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Le Père Goriot - CNDP

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Filmer la comédie humaine<strong>Le</strong>ttres, lycéeDans une adaptation réaliséepar Jean-Claude Carrière,Jean-Daniel Verhaeghe filmela passion obsédante duvieux vermicellier pour sesdeux filles. Charles Aznavour,qui tient le rôle-titre,incarne tour à tour le pèrefaible et le négociant madré.Mais le film a le mérite desuivre tous les autres filsnarratifs du roman deBalzac: l’initiation du jeuneRastignac, la jalousie desdeux sœurs aussi égoïstesl’une que l’autre, lesmanigances et l’arrestationde Vautrin, l’exil volontairede M me de Beauséant quiobserve avec luciditél’hypocrisie du monde, laruine de M me Vauquer quivoit partir un à un tous sespensionnaires. C’est donc cepetit concentré del’humanité qui est évoqué àtravers cette représentationde la célèbre pensionVauquer.Rédaction Agnès <strong>Le</strong>fillastre, professeur delettres modernesCrédits photos France 2 / Jacques MorellÉdition Émilie Nicot et Anne PeetersMaquette Annik GuéryCe dossier est en ligne sur le sitede Télédoc.www.cndp.fr/tice/teledoc/<strong>Le</strong> travail de l’adaptation> Comparer une description littéraire avec sonpendant cinématographique. Relever les procédésd’économie de l’adaptation.Si le film ne néglige aucun fil narratif, il recourt auxprocédés habituels de l’adaptation qui visent toujoursà simplifier, élaguer, condenser. Comparer lesdeux premières séquences du film aux premièrespages du roman permettra de réfléchir au travail del’adaptation. La condensation porte sur les personnageset sur les lieux. Dans le roman, Rastignacrencontre Anastasie à l’occasion d’un bal donnépar M me de Beauséant, puis il l’aperçoit le matinmême dans une rue mal famée sortant de la maisond’un usurier. Éconduit par les Restaud auxquelsil rend visite, il se réfugie chez sa cousineM me de Beauséant afin de lui conter ses déboires.Lors de cette entrevue, la duchesse de Langeaisintervient pour révéler à M me de Beauséant lemariage imminent de son amant. <strong>Le</strong> scénario dufilm est plus épuré: Rastignac rend visite à sa cousinepour lui demander sa protection et rencontredans son salon Delphine qui annonce la publicationdes bans de l’amant. Ainsi, un personnage et troislieux sont économisés. On remarquera que si l’adaptationgagne en efficacité, elle réduit considérablementles étapes de l’initiation de Rastignac, lejeune provincial. La comparaison de l’incipit et dela première séquence du film permet d’observer laredistribution des informations dans le film. Lalongue description de la pension Vauquer est remplacéepar une action in medias res: un souperordinaire dévoile ainsi la salle à manger avant lesalon, qui est plus précisément décrit dans leroman. L’accélération dans la description de la salleà manger opérée par le narrateur balzacien offreainsi au décorateur une liberté plus grande. Onretrouve cependant certains éléments mentionnés:la boîte à cases numérotées pour les serviettes,un buffet très ordinaire chargé de vaisselle, desgravures encadrées, une longue table, le poêle vert,les quinquets... L’impression de froid humide estrendue par les mitaines de Vautrin, les châles, lesvestes que l’on porte même pendant le repas.L’arrivée anticipée de Rastignac donne l’occasion àM me Vauquer de présenter ses pensionnaires.La caractérisation des personnages> Décrire la construction cinématographique despersonnages.Dans cet univers médiocre composé d’êtres mesquinscomme Poiret ou M lle Michonneau, falotscomme Victorine Taillefer et M me Couture, ou encorepuérils comme les étudiants, émergent nettementles deux figures principales du roman : le père<strong>Goriot</strong> au regard perçant et Vautrin, le colosse auxgestes vifs.• L’adaptation choisit d’opposer plus rigoureusementces deux personnages et d’en faire deuxrivaux. Jean-Claude Carrière a même ajouté unescène de dispute entre les deux hommes au sujetde leur fils spirituel, Eugène de Rastignac. <strong>Le</strong>sdeux hommes se toisent parce qu’ils se reconnaissent,chacun ayant des origines populaires,chacun ayant brassé de l’argent de manière plus oumoins honnête. «<strong>Le</strong> loup peut mettre le manteaudu berger, il ne trompera pas le renard », lance<strong>Goriot</strong> goguenard à Vautrin.• Ils ont d’ailleurs chacun un accessoire qui lescaractérise: le pistolet symbolise l’enrichissementpar le meurtre; le pain ou le sac de farine rappellentla gloire d’un homme qui a profité d’unepériode de troubles mais qui s’est enrichi honnêtement.Cette rivalité a pour effet de montrer unpère <strong>Goriot</strong> très lucide qui, en tant qu’ancien négociantenrichi pendant la Révolution, ne s’en laissepas conter. Il ne cesse de scruter d’un regard malinles manigances de l’ancien bagnard.• L’opposition est renforcée par l’attribution àchacun d’une mélodie qui le suit tout au long dufilm: la comptine populaire du Petit Homme grisque Vautrin sifflote avec désinvolture et une mélodietrès nostalgique pour le père <strong>Goriot</strong> qui necesse de se repaître d’un passé heureux et idéalisé.Enfin, ces deux personnages sont les seuls à rêverd’un ailleurs: le père <strong>Goriot</strong> souhaite à deux reprisespartir acheter du blé en Ukraine pour gagnerde l’argent tandis que Vautrin confie son rêve derejoindre le Nouveau Monde pour régner enmillionnaire sur des esclaves.• Cette rivalité entre les deux personnages autourde Rastignac permet de rendre le père <strong>Goriot</strong> moinspathétique que ne l’est le personnage de Balzac.Il est certes raillé par les pensionnaires qui ignorentson secret mais il n’est plus le souffre-douleurde la pension, couvert de sobriquets infamants.Son agonie, du reste, paraît plus sobre que dans leroman. <strong>Le</strong> vol sordide du médaillon sur le grabatpar M me Vauquer disparaît ; le jeu de CharlesAznavour reste simple et digne et la caméra montrepudiquement la main blanche du vieillard quiserre dans un geste de paternité la main gantée denoir de Rastignac. La sublimation de la souffrancedu «Christ de la paternité» est ainsi atténuée; lepersonnage devient alors un père passionné plusproche de notre sensibilité.

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