Titre : Le sampleur : de la machine à l'instrument
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Auteurs :<br />
<strong>Titre</strong> :<br />
<strong>Le</strong> <strong>sampleur</strong> : <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> <strong>à</strong> l’instrument<br />
Vincent Rouzé est maître <strong>de</strong> conférences <strong>à</strong> l’université Paris 8 St Denis et chercheur au Centre<br />
d’étu<strong>de</strong> sur les médias, les technologies et l’internationalisation (CEMTI).<br />
vincent.rouze@univ-paris8.fr<br />
Maxence Déon est actuellement en M2 <strong>de</strong> Musique et Musicologie <strong>à</strong> l’université <strong>de</strong> Paris<br />
Sorbonne - Paris IV, sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> Catherine Ru<strong>de</strong>nt.<br />
maxence.<strong>de</strong>on@wanadoo.fr<br />
1
Introduction<br />
L’omniprésence <strong>de</strong> l’électronique, <strong>de</strong> l’informatique, d’Internet dans le mon<strong>de</strong> musical<br />
questionne les rapports entre l’homme et <strong>la</strong> <strong>machine</strong>. Dans quelle mesure ces technologies <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> communication participent <strong>à</strong> <strong>la</strong> création et dans quelles mesures elles peuvent être<br />
considérées comme <strong>de</strong>s instruments ? Sont-elles <strong>de</strong> simples outils <strong>de</strong> conception et <strong>de</strong><br />
composition ou <strong>de</strong> véritables objets esthétiques comme le sont les instruments traditionnels ?<br />
Quels rapports entretiennent-elles avec les instruments c<strong>la</strong>ssiques ? Quelles transformations<br />
ce<strong>la</strong> induit-il dans les modalités <strong>de</strong> création, <strong>de</strong> composition et d’écoute ?<br />
Si les <strong>machine</strong>s et autres artefacts sont au cœur <strong>de</strong>s problématiques <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong><br />
l’information et <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication, leur rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> musique et au son <strong>de</strong>meure un sujet peu<br />
étudié. D’une part parce que l’image prend inévitablement le pas sur le sonore. D’autre part,<br />
parce que <strong>la</strong> problématique technique est trop souvent envisagée indépendamment <strong>de</strong> ses<br />
contenus. Initiée en France par Pierre Schaeffer et certains membres du GRM au travers <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
musique concrète, cette approche croisée s’est peu <strong>à</strong> peu diluée dans <strong>de</strong>s perspectives<br />
disciplinaires rigidifiées. En sciences <strong>de</strong> l’information et <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication, outre dans les<br />
ouvrages peu nombreux comme ceux <strong>de</strong> Marie Noëlle Heinrich (2003) portant sur <strong>la</strong> création<br />
musicale et les nouvelles technologies, <strong>la</strong> musique est analysée comme un bien culturel intégré<br />
dans <strong>de</strong>s analyses socio-économiques liées aux industries culturelles (Bouquillion, 2007;<br />
Vandiedonck, 2007), envisagée comme une pratique sociale et communicationnelle<br />
(Debruynne, 2005 ; Rouzé, 2004). A cet égard, les « medias studies » anglo-saxonnes<br />
proposent une littérature plus abondante (<strong>de</strong> Simon Frith <strong>à</strong> Philipp Tagg en passant par<br />
Michael Bull ou encore Richard Middleton), traitant <strong>de</strong>s articu<strong>la</strong>tions entre medium, processus<br />
<strong>de</strong> création et d’appropriation, tout en faisant <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique un véritable objet d’analyse.<br />
En musicologie, le rapport homme/<strong>machine</strong> est envisagé au travers <strong>de</strong> <strong>la</strong> problématique<br />
instrumentale. Sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong>s musicologues et <strong>de</strong>s ethnomusicologues, celle-ci donne lieu <strong>à</strong><br />
une abondante littérature notamment organologiques et ethnomusicologiques (d’André<br />
Schaeffner <strong>à</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Cadoz). Hormis quelques travaux tels que ceux <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Cadoz (1999)<br />
ou encore ceux <strong>de</strong> Marc Battier (1995, 1999), <strong>la</strong> question du rapport instrument/<strong>machine</strong><br />
<strong>de</strong>meure cependant minoritaire. Très codifiée dans <strong>la</strong> musique savante ou <strong>la</strong> musique ethnique,<br />
cette p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> l’instrument et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> <strong>de</strong>vient problématique et encore moins évi<strong>de</strong>nte<br />
lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> musiques popu<strong>la</strong>ires. Comme l’a montré Philippe Rousselot (1995), <strong>de</strong><br />
façon très pertinente, les recherches sur l’instrument, menées conjointement par l’artiste et par<br />
le « luthier », interviennent en amont <strong>de</strong> <strong>la</strong> création et sont trop souvent occultées <strong>de</strong>s<br />
analyses. Or <strong>à</strong> mesure que <strong>la</strong> <strong>machine</strong> s’immisce et est intégrée dans le processus <strong>de</strong> création,<br />
qu’elle s’invite sur scène, <strong>la</strong> question <strong>de</strong> l’instrument, du statut du musicien et <strong>de</strong>s médiations<br />
entre les <strong>de</strong>ux resurgit.<br />
Dans cette communication nous proposons d’interroger ce rapport homme/<strong>machine</strong> au travers<br />
du <strong>sampleur</strong> ou échantillonneur. L’enjeu est ici <strong>de</strong> l’abor<strong>de</strong>r non pas seulement comme un<br />
simple objet, une innovation technologique parmi d’autres mais comme un véritable<br />
instrument <strong>de</strong> création. S’il trouve sa p<strong>la</strong>ce dans <strong>de</strong> nombreux courants musicaux, il est <strong>de</strong>venu<br />
2
l’instrument central du rap et plus globalement <strong>de</strong>s musiques électroniques. Notre ambition est<br />
<strong>de</strong> questionner ici le rôle qu’il joue et les effets qu’il produit dans les dispositifs <strong>de</strong><br />
composition et les dispositifs d’écoute qui leurs sont concomitants. Notre propos sera étayé<br />
par l’analyse <strong>de</strong> morceaux <strong>de</strong> différents groupes <strong>de</strong> rap afin <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce les rapports<br />
existants entre l’instrument (<strong>sampleur</strong>) et le son produit ‘le sample’.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>machine</strong>s contre les instruments<br />
<strong>Le</strong>s origines du <strong>sampleur</strong> sont certes liées aux innovations électroniques et numériques mais<br />
sont en germe <strong>de</strong>puis le développement au XIXème siècle <strong>de</strong>s <strong>machine</strong>s <strong>à</strong> communiquer<br />
susceptibles <strong>de</strong> capter, fixer et diffuser le son sans le recours <strong>à</strong> <strong>de</strong>s musiciens. Depuis <strong>la</strong> radio<br />
jusqu’<strong>à</strong> l’informatique, ces techniques <strong>de</strong> communication jouent un rôle fondamental en<br />
musique car elles vont permettre au son <strong>de</strong> quitter les rives spatiales et temporelles <strong>de</strong><br />
l’instant joué pour s’avancer vers celles <strong>de</strong> l’immortalité et <strong>de</strong> l’ubiquité. Par <strong>la</strong> fixation, <strong>la</strong><br />
reproduction <strong>à</strong> gran<strong>de</strong> échelle et <strong>la</strong> diffusion individualisée et collective qu’elles permettent<br />
(Chion, 1994 ; Sterne, 2003), ces <strong>machine</strong>s marquent un pas <strong>de</strong> plus dans l’autonomisation<br />
musicale. Tout en s’inscrivant dans un régime d’industrialisation permettant <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois l’écoute <strong>à</strong><br />
un nombre croissant <strong>de</strong> personnes et <strong>la</strong> réification <strong>de</strong>s contenus selon <strong>de</strong>s normes<br />
commerciales 1 , elles ouvrent aussi sur un champ <strong>de</strong> possibles que Luigi Russolo, le père du<br />
bruitisme appe<strong>la</strong>it <strong>de</strong> ses vœux : <strong>la</strong> nouvelle ère musicale <strong>de</strong>s « sons-bruits » (manifeste <strong>de</strong><br />
1913 2 ).Reste <strong>à</strong> savoir si ces <strong>machine</strong>s peuvent être considérées comme <strong>de</strong>s instruments.<br />
Comme le rappelle le canadien Jonathan Sterne (2007), cette question relève d’une dichotomie<br />
proposée en sociologie par Pierre Bourdieu, entre <strong>la</strong> logique praticienne et <strong>la</strong> logique<br />
théoricienne. Car avant même <strong>la</strong> théorie, un simple regard sur le mon<strong>de</strong> musical actuel force <strong>à</strong><br />
reconnaître <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce fondamentale qu’occupent les <strong>machine</strong>s, tant dans les dispositifs <strong>de</strong><br />
création, d’enregistrement, que <strong>de</strong> reproduction ou encore <strong>de</strong> diffusion. Ainsi pour ce<br />
chercheur , postuler d’une rupture entre l’instrument et <strong>la</strong> <strong>machine</strong>, repose sur une distinction<br />
faite entre l’instrument relevant d’une forme <strong>de</strong> communication directe entre celui qui en joue<br />
et son auditeur, et <strong>la</strong> <strong>machine</strong> ou du medium qui relèverait d’une forme <strong>de</strong> communication<br />
indirecte. Cette dualité évacue ainsi progressivement les représentations et les pratiques<br />
effectives qui innervent les pratiques musicales. <strong>Le</strong>s instruments traditionnels, suivant cette<br />
logique naturalisante et hiérarchisante, seraient ainsi supérieurs aux <strong>machine</strong>s tant par leur<br />
capacité sonore que par leur lien direct <strong>à</strong> l’homme, <strong>à</strong> son corps et in fine <strong>à</strong> <strong>la</strong> nature. Si le<br />
<strong>sampleur</strong> comme l’ordinateur efface les liens directs <strong>de</strong> l’instrument traditionnel au corps, il<br />
n’en <strong>de</strong>meure pas moins producteur <strong>de</strong> nouvelles contraintes re<strong>la</strong>tives aux capacités <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>machine</strong> et aux connaissances musicales <strong>de</strong> son utilisateur 3 . <strong>Le</strong> passage <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> <strong>à</strong><br />
l’instrument repose sur un savoir-faire technique et une connaissance musicale nécessaire <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
composition. Sans eux, <strong>la</strong> <strong>machine</strong> <strong>de</strong>meure un objet aux fonctionnalités en attente.<br />
1<br />
Idée que développent les théoriciens <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> francfort et plus particulièrement Théodor W. Adorno et<br />
Max Horkheimer qui <strong>la</strong> dénoncent au travers <strong>de</strong> l’expression singulière « d’industrie culturelle » (1947).<br />
2<br />
Manifeste réédité récemment en français : RUSSOLO Luigi, L’Art <strong>de</strong>s bruits, Manifeste futuriste, Paris, Allia,<br />
2003.<br />
3<br />
Toutefois, ces contraintes semblent moins importantes qu’avec <strong>la</strong> programmation informatique qui, elle,<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> une explicitation et une formalisation <strong>de</strong> toutes ces formes implicites et empiriques qui constituent une<br />
bonne part du savoir musical. (Barrière, 1990)<br />
3
Au regard <strong>de</strong>s pratiques musicales actuelles et suivant <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong> Jonathan Sterne, il<br />
nous semble donc important non pas <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer les <strong>sampleur</strong>s dans une analyse comparative<br />
avec les instruments traditionnels mais plutôt <strong>de</strong> comprendre comment ils <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s<br />
instruments, quels sont leurs rapports aux instruments traditionnels et ce qu’ils modifient<br />
dans notre rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> musique.<br />
<strong>Le</strong> <strong>sampleur</strong>, un instrument hybri<strong>de</strong><br />
<strong>Le</strong> <strong>sampleur</strong> ou échantillonneur est d’abord une <strong>machine</strong>. Sa particu<strong>la</strong>rité est <strong>de</strong> se servir d’un<br />
extrait musical existant possédant déj<strong>à</strong> ses propres caractéristiques pour le détourner en en<br />
faisant <strong>la</strong> base d’un autre univers musical. Comme le rappelle le compositeur Bertrand Merlier,<br />
le <strong>sampleur</strong> trouve ses origines dans les <strong>machine</strong>s spécifiques développées <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s<br />
années 60. A <strong>la</strong> suite du Chamber<strong>la</strong>in inventé dans les années 40, le Mellotron (Mark I)<br />
audible dans les compositions <strong>de</strong>s Moody Blues, <strong>de</strong> King Krimson, ou encore dans<br />
l’introduction du « Strawberry Field Forever » <strong>de</strong>s Beatles, permet <strong>de</strong> jouer <strong>de</strong>s séquences<br />
musicales préenregistrées <strong>à</strong> l’ai<strong>de</strong> d’un c<strong>la</strong>vier dont chaque touche active <strong>la</strong> lecture d’une ban<strong>de</strong><br />
magnétique 4 . Importance <strong>de</strong> ces ban<strong>de</strong>s magnétiques aussi dans <strong>la</strong> musique électroacoustique.<br />
Dans le chapitre « L’équipement » <strong>de</strong> son livre sur <strong>la</strong> musique électroacoustique (Chion, 1982,<br />
p. 18-28), Michel Chion nous indique bien que l’un <strong>de</strong>s procédés <strong>de</strong> composition<br />
électroacoustique est l’utilisation <strong>de</strong> sons enregistrés. <strong>Le</strong>s objets utilisés sont alors <strong>de</strong>s<br />
magnétophones et <strong>de</strong>s microphones, que Chion n’appellera toutefois jamais « instrument ».<br />
Ce sont l<strong>à</strong> <strong>de</strong>s <strong>machine</strong>s, au service <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée du compositeur, qui ne manipule pas encore<br />
<strong>de</strong>s samples mais <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s sonores 5 .<br />
<strong>Le</strong>s premiers échantillonneurs numériques font leur apparition dans les années 80 avec le<br />
Fairlight et l’Emu<strong>la</strong>tor. Une décennie plus tard, les modèles tels que le Mirage, l’Akai S900,<br />
puis l’Akai S1000, ou encore ceux <strong>de</strong>s firmes E-mu ou Yamaha marquent l’ère du sample<br />
numérique<br />
Ces innovations techniques autant que les besoins ressentis par les musiciens d’expérimenter<br />
et <strong>de</strong> rechercher <strong>de</strong> nouvelles modalités <strong>de</strong> création contribuent <strong>à</strong> l’introduction <strong>de</strong> nouvelles<br />
<strong>machine</strong>s dans leur composition opérant ainsi le glissement progressif <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong><br />
expérimentale <strong>à</strong> l’instrument aux techniques et aux usages codifiés.<br />
Pour les musiciens électroacoustiques, une volonté <strong>de</strong> retour <strong>à</strong> un jeu instrumental (par<br />
opposition <strong>à</strong> l’é<strong>la</strong>boration d’une ban<strong>de</strong> sonore fixe) se fait sentir. Ils renouent ainsi avec<br />
l’introduction <strong>de</strong> <strong>machine</strong>s hybri<strong>de</strong>s utilisées par Pierre Schaeffer telles que les phonogènes (<strong>à</strong><br />
coulisse ou <strong>à</strong> c<strong>la</strong>vier) qu’il utilise notamment dans son Étu<strong>de</strong> aux allures <strong>de</strong> 1958. À partir <strong>de</strong>s<br />
années 1980, <strong>de</strong>s compositeurs comme Paul Méfano et François-Bernard Mâche écriront pour<br />
échantillonneur, signe <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> vouloir faire une musique plus vivante que <strong>la</strong> simple<br />
lecture d’une ban<strong>de</strong> magnétique. Ce <strong>de</strong>rnier va d’ailleurs jusqu’<strong>à</strong> préciser quel modèle <strong>de</strong><br />
4<br />
DAVIES Hugh, « Sampler », in SADIE Stanley (ed.), The New Grove Dictionnary of Music and Musicians,<br />
Second Edition, Grove, 2001, Volume 22, p. 219.<br />
5<br />
Du moins <strong>à</strong> l’époque où Chion publie ce livre (1982), qui est une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> développement intense du rap et<br />
<strong>de</strong>s techniques d’échantillonnage.<br />
4
<strong>sampleur</strong> (Akai S1000) il souhaite pour son Khnoum écrit pour cinq percussions et<br />
échantillonneur.<br />
Passage <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> <strong>à</strong> l’instrument aussi pour les producteurs <strong>de</strong> hip-hop et plus<br />
globalement <strong>de</strong>s musiciens du répertoire libre 6 qui vont eux aussi souhaiter une musique<br />
« expérientielle » mais faisant, quant <strong>à</strong> elle, <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche empirique un moteur <strong>de</strong> création.<br />
C’est le cas du rap. A première vue, le rap peut être considéré comme une musique dite « sans<br />
instrument », <strong>à</strong> l’instar <strong>de</strong> certaines musiques techno ou électroacoustiques. Oliver Lake,<br />
saxophoniste membre du World Saxophone Quartet, estime par exemple que les rappeurs ne<br />
font qu’« appuyer sur un simple bouton » 7 . Si ce cliché peut très facilement être contredit – il<br />
suffit <strong>de</strong> citer les styles <strong>de</strong> rap parmi lesquels que le G-funk (Krims, 2000, p. 74-75) ou le<br />
crunk (Blon<strong>de</strong>au et Hanak, 2007, p. 41), qui sont en gran<strong>de</strong> partie composés et joués sur<br />
instruments –, l’outil <strong>de</strong> composition qu’est le <strong>sampleur</strong> possè<strong>de</strong> alors un statut ambigu.<br />
L’usage <strong>de</strong> samples, contrainte d’abord sociale 8 , <strong>de</strong>vient enjeu et stratégie esthétiques sous <strong>la</strong><br />
patte <strong>de</strong> nombreux producteurs hip-hop, notamment <strong>de</strong> rap east coast (entendre « <strong>de</strong> New-<br />
York). Même lorsqu’ils utilisent <strong>de</strong>s instruments c<strong>la</strong>ssiques, ce qui est fréquent, il n’est pas<br />
rare <strong>de</strong> les voir sampler quelques secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> jeu sur cet instrument seulement, afin qu’ils<br />
puissent ensuite les insérer <strong>à</strong> leur guise dans leur composition ; ce qui est entendu est ce qui est<br />
joué en <strong>de</strong>rnier lieu au <strong>sampleur</strong>. C’est exactement ce que fait le producteur français 20Syl<br />
dans une vidéo disponible sur Internet 9 , où il sample quelques secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> guitare électrique,<br />
<strong>de</strong> triangle, etc. Il crée lui-même ses samples, qu’il va « jouer » ensuite avec les touches <strong>de</strong> son<br />
<strong>sampleur</strong> : il joue au <strong>sampleur</strong> ses propres notes et accords <strong>de</strong> guitare, et le touché <strong>de</strong> ces notes<br />
est bel et bien celui dû au <strong>sampleur</strong>. Même procédé <strong>de</strong> composition chez un groupe comme<br />
Massive Attack. <strong>Le</strong>s membres du groupe jouent <strong>de</strong> multiples instruments, enregistrent <strong>de</strong>s<br />
heures <strong>de</strong> « live » afin d’y trouver <strong>la</strong> source <strong>de</strong>s samples qui constitueront leurs prochains<br />
morceaux. (Sterne, 2007).<br />
Enfin, ajoutons <strong>de</strong>ux éléments qui soulignent l’assimi<strong>la</strong>tion du <strong>sampleur</strong> en tant qu’instrument.<br />
<strong>Le</strong> premier, visuel, se donne <strong>à</strong> voir sur certaines pochettes <strong>de</strong> disques ou certaines<br />
photographies <strong>de</strong> promotion commerciale. <strong>Le</strong>s musiciens posent avec leur <strong>sampleur</strong> (Q-Tip et<br />
son Akaï MPC, Madlib et sa SP-1200 10 ), <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon que Miles Davis pose avec sa<br />
trompette. D’autres décorent et personnalisent leur <strong>sampleur</strong> 11 , <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière que les<br />
rockeurs « customisent » leurs guitares, leurs basses électriques ou leurs fûts <strong>de</strong> batterie.<br />
<strong>Le</strong> second élément est d’ordre musical. Tout comme les chanteurs <strong>de</strong> jazz cherchent <strong>à</strong> imiter le<br />
phrasé <strong>de</strong> certains instruments lors <strong>de</strong> leurs improvisations en scat, les rappeurs vont tenter <strong>de</strong><br />
reproduire vocalement le phrasé du <strong>sampleur</strong>. Par exemple, sur « Live & Direct », d’Homeliss<br />
6<br />
Pour reprendre l’expression <strong>de</strong> Philippe Rousselot (Rousselot, 1995, p. 105-130). Il nomme « répertoire libre »<br />
le « vaste ensemble où s’empilent et se mé<strong>la</strong>nge le jazz, le rock, le blues et toutes leurs variantes. La rap en fait<br />
évi<strong>de</strong>mment partie, et y sont donc exclus les musiques ethniques et <strong>la</strong> musique savante.<br />
7<br />
DESSE, SBG, Free style, Paris, Florence Massot et François Millet éditeurs, 1993, p. 101.<br />
8<br />
Notamment due aux impossibilités financières d’acquérir <strong>de</strong>s instruments <strong>de</strong> musique dans les ghettos pauvres.<br />
(Béthune, 2003, p. 69-70).<br />
9<br />
On peut voir cette vidéo sur le site Youtube: taper « 20SYL - Beat Making Vi<strong>de</strong>o », ou directement<br />
http://www.youtube.com/watch?v=8OhDC5GUJYw (consultée le 21 Mai 2009).<br />
10<br />
Notamment sur les pochettes <strong>de</strong>s albums The Renaissance (Motown/Universal, 2008) pour Q-Tip et<br />
Madvil<strong>la</strong>iny <strong>de</strong> Madvil<strong>la</strong>in (Stones Throw, 2004) pour Madlib.<br />
11<br />
On peut en voir quelques exemples dans le documentaire West Coast Theory, disponible en DVD (Ava<strong>la</strong>nche<br />
Productions, Potemkine/Agnes B. DVD, 2009).<br />
5
Derilex, le rappeur répète plusieurs fois d’affilée <strong>la</strong> première syl<strong>la</strong>be du mot qu’il prononce (<strong>à</strong><br />
1’19 : « A – A – Architect »).<br />
À mesure que <strong>la</strong> maîtrise <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> est « naturalisée », corporellement et mentalement<br />
intégrée, <strong>de</strong> nouvelles techniques apparaissent et sont formalisées : déconstruction,<br />
enchaînements inattendus, superpositions. Si le <strong>la</strong>ngage musical, au sens musicologique, est<br />
d’une manière générale re<strong>la</strong>tivement peu innovant, <strong>la</strong> texture sonore <strong>de</strong>vient quant <strong>à</strong> elle très<br />
spécifique et très originale. <strong>Le</strong> procédé d’échantillonnage est ainsi extrêmement important pour<br />
l’i<strong>de</strong>ntité sonore <strong>de</strong> certains artistes. Comme d’autres <strong>machine</strong>s dans le rock (Julien, 1999),<br />
c’est lui qui donne « le son » si spécifique <strong>de</strong> certains groupes ou <strong>de</strong> certains producteurs, en<br />
particulier pour le rap east coast <strong>de</strong> 1985 <strong>à</strong> 2000.<br />
Reste <strong>la</strong> question du timbre. On sait en effet que <strong>la</strong> spécificité d’un instrument résulte <strong>de</strong> son<br />
timbre. Or, le <strong>sampleur</strong> est a priori vidé <strong>de</strong> tout timbre, puisque les sons qui en sortent sont<br />
<strong>de</strong> source extérieure. Cependant, <strong>de</strong>s producteurs et même certains auditeurs très avertis sont<br />
capables <strong>de</strong> reconnaître le son <strong>de</strong> tel ou tel modèle, notamment <strong>de</strong>s quelques modèles<br />
emblématiques <strong>de</strong> <strong>sampleur</strong>s apparus dans les années 85-90, commercialisés par les firmes<br />
Akaï et E-MU Systems (Blon<strong>de</strong>au et Hanak, 2007, p. 23-24). Il peut paraître surprenant<br />
d’entendre dire « le son <strong>de</strong> ce morceau me rappelle celui du <strong>sampleur</strong> SP-1200 12 », pourtant<br />
certains producteurs et artistes n’hésitent pas <strong>à</strong> l’affirmer. Car le sample n’est pas <strong>à</strong> lui tout<br />
seul le son que l’on entend : <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> qualité sonore, qui dépend <strong>de</strong> <strong>la</strong> fréquence<br />
d’échantillonnage lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> numérisation du son, donne un grain spécifique propre <strong>à</strong> tel ou tel<br />
<strong>sampleur</strong>, tout comme un pianiste <strong>à</strong> l’oreille avertie saura différencier le timbre spécifique d’un<br />
piano <strong>à</strong> queue Pleyel <strong>de</strong> celui d’un piano <strong>à</strong> queue Erard ou Steinway. Ainsi, le modèle<br />
susmentionné, le SP-1200, possè<strong>de</strong> notamment <strong>de</strong>s caractéristiques essentielles qui altèrent le<br />
son samplé :<br />
<strong>Le</strong>s caractéristiques <strong>de</strong> cet outil sont d’une part une faible fréquence d’échantillonnage ainsi qu’une<br />
faible capacité <strong>de</strong> stockage. <strong>Le</strong> premier <strong>de</strong> ces paramètres a pour conséquence <strong>de</strong> donner au rap un son<br />
poussiéreux, altéré […]. La secon<strong>de</strong> particu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong> cette <strong>machine</strong> en modifie le groove. (Blon<strong>de</strong>au et<br />
Hanak, 2007, p. 24)<br />
<strong>Le</strong> son samplé peut donc être « marqué » par les paramètres du <strong>sampleur</strong> utilisé. A ce<strong>la</strong><br />
s’ajoute les modifications que le musicien peut choisir <strong>de</strong> faire lorsqu’il sélectionne puis<br />
sculpte et travaille son sample : effets <strong>de</strong> tout type (réverbération, transposition, qui va <strong>de</strong><br />
paire généralement avec une accélération ou un ralentissement, distorsion, etc.) qui seront l<strong>à</strong><br />
encore les signes distinctifs <strong>de</strong> tel ou tel modèle d’échantillonneur<br />
La « secon<strong>de</strong> particu<strong>la</strong>rité » mentionnée ici fait directement référence <strong>à</strong> ce que nous verrons<br />
plus bas, sur <strong>la</strong> déconstruction <strong>de</strong>s samples (notamment motivée par <strong>la</strong> « faible capacité <strong>de</strong><br />
stockage »). Et nous pourrions ainsi multiplier les exemples qui prouvent l’existence et <strong>la</strong><br />
spécificités du timbre en fonction <strong>de</strong>s <strong>sampleur</strong>s .<br />
C’est précisément cette existence du timbre qui pousse les fabricants <strong>de</strong> « plug-in »<br />
(programmes intégrables aux logiciels <strong>de</strong> M.A.O (Musique Assistée par Ordinateur) tels que<br />
Cubase, Garage Band, Nuendo, Protools <strong>à</strong> recréer virtuellement <strong>de</strong>s amplificateurs, <strong>de</strong>s<br />
12 <strong>Le</strong> producteur et rappeur Kev Brown écrit ce<strong>la</strong> dans le livret <strong>de</strong> son album I Do What I Do, Up Above<br />
Records, 2005.<br />
6
instruments, <strong>de</strong>s <strong>sampleur</strong>s. L’enjeu est <strong>de</strong> retrouver « <strong>la</strong> couleur » musicale propre <strong>à</strong> chacun<br />
mais aussi <strong>de</strong> permettre <strong>de</strong>s combinatoires sonores et d’instruments « complexes », libérées<br />
<strong>de</strong>s contraintes matérielles.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>machine</strong>s dans <strong>la</strong> composition : le basculement d’un paradigme<br />
Au <strong>de</strong>l<strong>à</strong> <strong>de</strong>s visions prométhéennes ou Frankensteiniennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> inhérente <strong>à</strong><br />
toute innovation technique (Flichy, 1991 ; Perriault, 1989), ce qui se joue avec le <strong>sampleur</strong><br />
tant sur le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s représentations que dans les processus créatifs, c’est moins <strong>la</strong> question <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> dualité <strong>machine</strong>/instrument que celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition originale appe<strong>la</strong>nt <strong>à</strong> <strong>de</strong> nouveaux<br />
paradigmes <strong>de</strong> création, l’inscrivant <strong>de</strong> facto dans <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong> l’histoire musicale.<br />
Comme toujours dans l’histoire <strong>de</strong>s <strong>machine</strong>s « <strong>à</strong> communiquer », leur existence est liée aux<br />
processus d’appropriation et <strong>de</strong> réappropriation <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois physique et symbolique débouchant<br />
sur <strong>de</strong>s modalités d’usages soit définies par le constructeur et/ou l’inventeur, soit détournées<br />
et redéfinies par l’usager lui même. Dans <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong> l’anthropologue Jack Goody (1979)<br />
qui montre combien l’écriture transforme nos manières <strong>de</strong> voir et <strong>de</strong> penser le mon<strong>de</strong> sans<br />
éradiquer celles qui lui préexistent, le musicien-concepteur Ro<strong>la</strong>nd Cahen 13 constate que les<br />
<strong>machine</strong>s contribuent <strong>à</strong> <strong>la</strong> multiplication <strong>de</strong>s paradigmes <strong>de</strong> composition.<br />
Dans le premier cas, ce rapport <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> est pensé comme un nouvel instrument. Toute<br />
réflexion musicale réitère <strong>de</strong> façon « mo<strong>de</strong>rne » les problématiques anciennes basées sur<br />
l’œuvre et sur <strong>la</strong> partition. C’est le cas, par exemple, <strong>de</strong>s recherches et <strong>de</strong>s œuvres<br />
« stochastiques » <strong>de</strong> Iannis Xenakis qui débutent par le fameux "ST48" écrit en 1962.<br />
D’inspiration pythagoricienne, ces compositions reposent, en effet, sur les mathématiques,<br />
l’ordinateur et les algorithmes permettant <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois un travail sur le son et sur l’organisation<br />
structurelle <strong>de</strong>s œuvres. L’ordinateur, pour Iannis Xénakis, s’il <strong>de</strong>vient un élément central <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> composition n’en <strong>de</strong>meure pas moins un outil ouvrant sur d’autres possibles ancrés dans les<br />
probabilités et les théorèmes mathématiques.<br />
A l’inverse, dans le second cas dans lequel s’intègre le sample, les musiciens ne cherchent plus,<br />
dans ces <strong>machine</strong>s, un nouvel instrument se substituant <strong>à</strong> d’autres mais une voie possible pour<br />
créer une « nouvelle » musique, détachée <strong>de</strong> ses contingences compositionnelles traditionnelles<br />
et historiques. Progressivement, le paradigme <strong>de</strong> composition se dép<strong>la</strong>ce ainsi vers celui du<br />
sonore (De<strong>la</strong><strong>la</strong>n<strong>de</strong>, 2001). Par cette mutation progressive al<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition centrée sur<br />
l’écriture vers l’accent mis sur l’écoute et le son, les musiciens cherchent <strong>de</strong> nouvelles matières<br />
sonores au travers <strong>la</strong> création <strong>de</strong> sonorités, d’autres manières <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> <strong>machine</strong> un véritable instrument. Aux Etats-Unis, <strong>la</strong> cybernétique et les travaux <strong>de</strong> Norbert<br />
Wiener sur les rapports entre homme/<strong>machine</strong> seront <strong>à</strong> l’origine <strong>de</strong>s brico<strong>la</strong>ges sonores<br />
expérimentaux comme ceux du couple Baron qui aidèrent John Cage <strong>à</strong> montrer l’un <strong>de</strong> ses<br />
premiers col<strong>la</strong>ges « William Mix ». De même, ses Radio Music (1956) invitent <strong>à</strong> cette<br />
possibilité d’utiliser, <strong>de</strong> détourner <strong>de</strong> nouveaux médiums <strong>à</strong> <strong>de</strong>s fins musicales et<br />
compositionnelles. Avec Imaginary Landscape n°4 pour douze postes <strong>de</strong> radio et <strong>de</strong>ux<br />
exécutants, il rompt avec les co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> composition en vigueur en mé<strong>la</strong>ngeant et en détournant<br />
13 Voir Ro<strong>la</strong>nd CAHEN, Générativité et interactivité en musique et en art électroacoustique, 03/05/2000,<br />
http://perso.orange.fr/ro<strong>la</strong>nd.cahen/Textes/CoursSON.html/MusiqueInteractive.htm<br />
7
appareils quotidiens et variations aléatoires. S’appuyant sur les principes du I Ching 14 et sur<br />
<strong>de</strong>s supports techniques expérimentaux (piano préparé, objets trouvés <strong>de</strong>venus percussion,<br />
poste <strong>de</strong> radios détournés), il s’éloigne <strong>de</strong>s modèles c<strong>la</strong>ssiques <strong>de</strong> composition<br />
(partition/exécution) pour <strong>la</strong>isser p<strong>la</strong>ce <strong>à</strong> <strong>de</strong>s morceaux joués en fonction <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>s intuitions<br />
improvisées <strong>de</strong> l’artiste et du milieu d’interprétation. La musique est donc celle <strong>de</strong>s sons<br />
produits in situ intégrant les éléments sonores inhérents <strong>à</strong> <strong>la</strong> temporalité et <strong>à</strong> l’espace<br />
d’interprétation.<br />
En France, les expériences acousmatiques menées par Pierre Schaeffer au sein du GRM<br />
débouchant sur une musique concrète marquent <strong>à</strong> <strong>la</strong> même époque l’importance <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>s<br />
<strong>machine</strong>s et du studio comme lieu d’expérimentation mais aussi les liens retrouvés entre<br />
information, communication et musique. De sa volonté <strong>de</strong> créer une musique concrète, il<br />
travaille exclusivement <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> sons captés et enregistrés. Bref, il utilise <strong>de</strong>s sons déj<strong>à</strong><br />
existants qu’il va ensuite retravailler. Pour Pierre Schaeffer, cette problématique repose sur ce<br />
qu’il appelle un programme <strong>de</strong> musique concrète :<br />
J’invitais les compositeurs et les auditeurs <strong>à</strong> remettre en cause l'opposition primaire entre son et bruit<br />
en découvrant <strong>la</strong> musicalité potentielle <strong>de</strong> sons habituellement considérés comme bruits aussi bien<br />
qu'en repérant, dans le son prétendu pur, le bruitage implicite : grain du violon ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix,<br />
présence dans une note <strong>de</strong> piano du choc répercuté sur <strong>la</strong> table d'harmonie, foisonnement complexe <strong>de</strong>s<br />
cymbales, etc. On fera bien <strong>de</strong> se souvenir qu'il ne s'agit pas d'imperfections regrettables : ces<br />
prétendues impuretés font partie même du donné musical. 15<br />
Comme chez John Cage, <strong>la</strong> musique est abordée <strong>à</strong> partir <strong>de</strong>s sons produits par <strong>de</strong>s sources<br />
quotidiennes et non plus, exclusivement, <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> schèmes compositionnels organisés. <strong>Le</strong>s<br />
bases du sample se posent ainsi progressivement <strong>à</strong> mesure que les sonorités quotidiennes et<br />
les sources sonores se détachent <strong>de</strong> leurs matérialités originelles et qu’elles sont intégrées, par<br />
col<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>s, dans <strong>de</strong>s compositions originales. Des col<strong>la</strong>ges sonores aux samples, ces<br />
expériences sonores et/ou musicales marquent une réelle évolution dans le processus créatif. A<br />
<strong>la</strong> manière <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>sticiens ou <strong>de</strong>s peintres, le son <strong>de</strong>vient matière. Ce centrement sur <strong>la</strong><br />
p<strong>la</strong>sticité sonore va conduire <strong>à</strong> transformer nos manières <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> percevoir <strong>la</strong> musique.<br />
Car il est désormais possible <strong>de</strong> travailler <strong>la</strong> compression du spectre sonore, <strong>la</strong> variation du<br />
timbre en passant par <strong>la</strong> modu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s fréquences, le filtrage du bruit, <strong>la</strong> compression <strong>de</strong>s<br />
hauteurs. Elle s’illustre par exemple dans les compositions du suisse Giussepe Elgbert, en<br />
1975, celles du français Hugues Dufour ou encore celles <strong>de</strong>s recherches « spectrales » et « <strong>de</strong>s<br />
sons paradoxaux » menées par le compositeur Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Risset.<br />
Parallèlement, <strong>la</strong> volonté « d’omniscience sonore » pousse <strong>de</strong>s ingénieurs et <strong>de</strong>s musiciens <strong>à</strong><br />
développer <strong>de</strong>s <strong>machine</strong>s électroniques. <strong>Le</strong>s premiers morceaux « électroniques» apparaissent<br />
dans les années 50 et 60 sous les doigts d’ingénieurs et <strong>de</strong> musiciens tels Max Mathews,<br />
James Tenney, Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Risset et John Chowning. <strong>Le</strong>s premières œuvres électroniques 16 ,<br />
14<br />
Aussi appelé « Livre <strong>de</strong>s mutations », il est l’un <strong>de</strong>s cinq livres essentiels du Confucianisme. Basé sur le<br />
recueil d’oracles chinois ancestraux, il vise <strong>à</strong> prédire l’avenir.<br />
15<br />
Citation extraite du livret accompagnant <strong>la</strong> compi<strong>la</strong>tion « Pierre Schaeffer - L'oeuvre musicale »,<br />
INA/GRM/EMF, 1998.<br />
16<br />
Notons, ici, que les premières expériences lui sont antérieures. C’est, en effet, Werner Meyer-Eppler qui<br />
travaille <strong>à</strong> <strong>la</strong> création <strong>de</strong> sonorités synthétiques et qui est l’auteur du terme « musique électronique ». Ce sont,<br />
d’ailleurs, Meyer-Eppler, Beyer et Eimert qui fon<strong>de</strong>nt le studio <strong>de</strong> <strong>la</strong> radio <strong>de</strong> Cologne. Mais ce n’est qu’avec<br />
Stockhausen que <strong>la</strong> musique électronique prend sa dimension esthétique et théorique.<br />
8
dont Studie I, naissent sous les doigts <strong>de</strong> Karlheinz Stockhausen <strong>à</strong> <strong>la</strong> WDR 17 <strong>de</strong> Cologne et<br />
viendront enrichir les problématiques esthétiques et expérimentales <strong>de</strong> nombreux compositeurs<br />
et <strong>de</strong> centres <strong>de</strong> recherche comme celui <strong>de</strong> l’Ircam. <strong>Le</strong> développement <strong>de</strong> l’électronique et <strong>de</strong>s<br />
recherches informatiques autant que leur appropriation par les artistes a progressivement<br />
contribué <strong>à</strong> <strong>la</strong> transformation <strong>de</strong>s conceptions artistiques contemporaines tant sur le p<strong>la</strong>n<br />
p<strong>la</strong>stique que musical. (Synthétiseurs, MIDI 18 ). <strong>Le</strong> basculement du paradigme est lié au<br />
développement <strong>de</strong> <strong>machine</strong>s capables <strong>de</strong> produire et reproduire <strong>de</strong>s sons synthétiques. Il<br />
poursuit en ce<strong>la</strong> un processus commencé dès le 15 ème siècle avec l’orgue qui offre <strong>de</strong>s<br />
possibilités d’imitation d’autres instruments, <strong>de</strong> flûtes, <strong>de</strong> voix humaines et <strong>de</strong> chants<br />
d’oiseaux. Mais ce qui diffère avec l’électronique, c’est précisément <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> produire<br />
et reproduire <strong>à</strong> l’infini <strong>de</strong>s instruments existants mais aussi <strong>de</strong>s instruments « virtuels » et<br />
synthétiques illustrés par l’arrivée <strong>de</strong>s synthétiseurs Korg, Moog ou encore Yamaha et surtout<br />
<strong>de</strong> les traiter en temps réel.<br />
Mais si les <strong>machine</strong>s intègrent et modifient les modalités <strong>de</strong> compositions <strong>de</strong> musiques<br />
contemporaines « savantes », elles jouent parallèlement un rôle fondamental dans les<br />
compositions dites « popu<strong>la</strong>ires » montrant ici encore le caractère superficiel <strong>de</strong>s frontières<br />
trop souvent tracées entre l’une et l’autre. L’article du compositeur et musicologue<br />
britannique, <strong>Le</strong>igh Landy, intitulé « La synthèse sonore : enfin l’émancipation ? », dresse un<br />
état <strong>de</strong>s lieux <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois historique et prospectif du numérique dans <strong>la</strong> composition musicale,<br />
montrant bien les hybridations qui se jouent dans les productions musicales actuelles. 19<br />
Par ailleurs, <strong>la</strong> polysémie <strong>de</strong>s termes renvoyant <strong>à</strong> l’« electro » 20 témoigne aussi <strong>de</strong> cette<br />
richesse. De <strong>la</strong> techno <strong>à</strong> <strong>la</strong> musique électro-acoustique en passant par le hip-hop et le DJing,<br />
les catégories musicales <strong>de</strong>viennent plus opaques, <strong>de</strong>s col<strong>la</strong>borations se développent et ren<strong>de</strong>nt<br />
plus complexes <strong>la</strong> définition <strong>de</strong>s styles.<br />
Du rock <strong>à</strong> <strong>la</strong> techno 21 , elles travaillent dans un même esprit d’une recherche sonore originale.<br />
<strong>Le</strong> cas du son <strong>de</strong>s Beatles analysé par Olivier Julien montre ici encore combien <strong>la</strong> <strong>machine</strong> est<br />
essentielle et comment elle participe <strong>à</strong> <strong>la</strong> création même du groupe <strong>de</strong> Liverpool (Julien, 2000).<br />
L’appropriation <strong>de</strong> ces <strong>machine</strong>s par <strong>de</strong>s musiciens soucieux d’expériences musicales et<br />
sonores aboutit <strong>à</strong> <strong>la</strong> création <strong>de</strong> morceaux et <strong>de</strong> genres originaux hybri<strong>de</strong>s tels que <strong>la</strong> « new<br />
wave » et l’« electro », immortalisés par <strong>de</strong>s groupes tels que Kraftwerk, Tangerine Dreams,<br />
Joy Division, les Cocteur Twins... (Toop, 1996). <strong>Le</strong> rap va également intégrer ces <strong>machine</strong>s<br />
grâce notamment <strong>à</strong> Afrika Bambaataa, l’un <strong>de</strong>s protagonistes les plus influents <strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> culture hip-hop, qui n’hésitera pas <strong>à</strong> mé<strong>la</strong>nger synthétiseurs, boîtes <strong>à</strong> rythme et<br />
échantillons. C’est le cas par exemple <strong>de</strong> son titre « P<strong>la</strong>net Rock » (1982), où sont samplés les<br />
Allemands <strong>de</strong> Kraftwerk (Béthune, 2004, p. 70).<br />
17 WDR sont les initiales du studio radiophonique « West<strong>de</strong>utscher Rundfunk »<br />
18 <strong>Le</strong> MIDI (Musical Instrument Digital Interface) apparu en 1983 permet, notamment, <strong>de</strong> co<strong>de</strong>r <strong>la</strong> musique et<br />
d’utiliser simultanément plusieurs instruments gérés par ordinateur.<br />
19 Voir le texte publié sur le site <strong>de</strong> l’auteur :<br />
http://perso.orange.fr/gmem/evenements/jim2002/articles/L02_Landy.pdf<br />
20 Nous mettons ce terme entre guillemets car, comme le montre François De<strong>la</strong><strong>la</strong>n<strong>de</strong> (2003), il renvoie <strong>à</strong> un<br />
paradigme incluant différentes catégories musicales telles que musiques électroniques, musiques électroacoustiques,<br />
musiques acousmatiques qui ont bon nombre <strong>de</strong> points communs mais aussi quelques divergences<br />
quant aux principes <strong>de</strong> composition qui les régissent.<br />
21 Voir Revue Mouvements, Techno <strong>de</strong>s corps et <strong>de</strong>s <strong>machine</strong>s, n°42, La découverte, 2005.<br />
9
Un art <strong>de</strong> <strong>la</strong> manipu<strong>la</strong>tion<br />
Utilisons justement le répertoire du rap pour analyser l’utilisation <strong>de</strong> <strong>sampleur</strong>s comme<br />
moyen <strong>de</strong> composition. Il existe évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> sampling très peu créatifs par rapport<br />
au sample d’origine 22 , où <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> composition <strong>de</strong>vient re<strong>la</strong>tive, mais nous tenterons ici <strong>de</strong><br />
considérer plutôt les cas où une nette différence musicale s’entend entre le morceau rap et le<br />
titre samplé. Afin <strong>de</strong> poser les questions <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition, mais aussi du geste et <strong>de</strong><br />
l’esthétique.<br />
Commençons par exemple avec celle du geste. Bien que <strong>la</strong> technologie du <strong>sampleur</strong> réduise<br />
l’objet sonore entendu au geste « appuyer sur un simple bouton », il y a tout <strong>de</strong> même geste.<br />
L’exemple le plus évi<strong>de</strong>nt est celui <strong>de</strong>s cas où le producteur va échantillonner séparément les<br />
différents sons d’une batterie (grosse caisse, caisse c<strong>la</strong>ire, cymbales, charleston, etc.) <strong>à</strong> partir<br />
d’un disque préexistant, afin <strong>de</strong> les jouer ensuite <strong>à</strong> sa guise pour créer tous les rythmes qu’il<br />
souhaite.<br />
La particu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong> cette <strong>machine</strong> [le <strong>sampleur</strong> SP-1200 <strong>de</strong> E-MU Systems] est qu’elle ne pouvait<br />
sampler que quatre samples d’environ <strong>de</strong>ux secon<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>mie, ce qui est assez faible pour capter une<br />
mesure <strong>de</strong> batterie par exemple. Il a donc fallut ruser. On samp<strong>la</strong>it une grosse caisse, une caisse c<strong>la</strong>ire<br />
et on frappait un beat sur <strong>la</strong> boîte <strong>à</strong> rythmes. Et c’est ça, le son du rap. <strong>Le</strong> rythme du rap vient <strong>de</strong> cette<br />
<strong>machine</strong>.(Blon<strong>de</strong>au et Hanak, 2007, p. 62)<br />
Ce commentaire du producteur RZA nous donne plusieurs indications sur <strong>la</strong> façon <strong>de</strong> produire<br />
du hip-hop <strong>à</strong> base <strong>de</strong> samples. Tout d’abord, il confirme le constat établit <strong>à</strong> l’instant. Il va plus<br />
loin en ajoutant que le rythme ainsi créé va être différent, nouveau, le groove ne sera pas le<br />
même que dans le funk, d’où les sons sont pourtant majoritairement tirés. Cette différence<br />
rythmique est bien sûr liée au mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> jeu, <strong>à</strong> ce geste instrumental dont nous parlons ici, qui<br />
n’est plus celui <strong>de</strong> taper sur <strong>de</strong>s fûts avec <strong>de</strong>s baguettes mais d’appuyer sur les touches d’un<br />
<strong>sampleur</strong> ; <strong>à</strong> ce<strong>la</strong> s’ajoute le fait que <strong>la</strong> mise en boucle est calculée par <strong>la</strong> <strong>machine</strong>, <strong>la</strong> répétition<br />
est donc stricte, il n’y a plus les même possibilités <strong>de</strong> variation que le batteur en chair et en os<br />
pouvait apporter ; les variations vont désormais être créées bien souvent par <strong>la</strong> suppression et<br />
<strong>la</strong> réapparition <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie <strong>de</strong> batterie répétitive : les caractéristiques <strong>de</strong> l’instrument qu’est le<br />
<strong>sampleur</strong> ont une influence directe sur <strong>la</strong> façon <strong>de</strong> composer. De plus, RZA explique que les<br />
samples ne peuvent, avec cette <strong>machine</strong> (qui est l’une <strong>de</strong>s plus usitées dans <strong>la</strong> première moitié<br />
<strong>de</strong>s années 1990), durer plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux secon<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>mie. Ce<strong>la</strong> va donc être <strong>à</strong> l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
déconstruction <strong>de</strong> plus en plus poussées <strong>de</strong>s samples.<br />
Pour ce qui est <strong>de</strong> <strong>la</strong> décomposition <strong>de</strong>s différents sons <strong>de</strong> batterie, on assiste donc <strong>à</strong> un<br />
nouveau geste instrumental en même temps proche et éloigné <strong>de</strong> celui d’un batteur concret :<br />
proche, car le musicien <strong>de</strong>vra jouer (au <strong>sampleur</strong>) tous les sons ; éloigné, car ce n’est pas avec<br />
ses baguettes et ses pieds (mais les touches du <strong>sampleur</strong>), ni même en temps réel (grâce <strong>à</strong><br />
l’utilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> boucle, le producteur peut enregistrer d’abord <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> cymbale charleston,<br />
puis celles <strong>de</strong> grosse caisse et caisse c<strong>la</strong>ire, etc.).<br />
Mais cette nécessité <strong>de</strong> déconstruire les samples ne concerne pas que les sons <strong>de</strong> batterie. Un<br />
bon exemple sonore illustrant ce<strong>la</strong> est le morceau « Spark » du groupe Homeliss Derilex. Ce<br />
morceau est issu <strong>de</strong> l’album {HD’S –VS- The SP-1200}, au titre on ne peut plus significatif :<br />
« HD » représente les initiales du groupe, qui est alors confronté (« VS » signifie versus) au<br />
22 Dai Griffith en cite quelques uns dans son article sur les reprises dans les musiques popu<strong>la</strong>ires. (« Cover<br />
versions and the sound of i<strong>de</strong>ntity in motion », in HESMONDHALGH David & NEGUS Keith, Popu<strong>la</strong>r Music<br />
Studies, New York, Oxford University Press Inc., 2002, p. 51-64)<br />
10
<strong>sampleur</strong> SP-1200. Une façon plus c<strong>la</strong>ssique <strong>de</strong> dire ce<strong>la</strong> serait « Concerto pour SP-1200<br />
interprété par Homeliss Derilex ». Mais revenons au morceau qui nous intéresse : <strong>la</strong> boucle<br />
principale est formée par <strong>la</strong> mélodie <strong>de</strong> vibraphone suivante (le tempo est <strong>de</strong> 93, et le rythme<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> mélodie possè<strong>de</strong> le swing caractéristique du jazz, où ):<br />
Exemple musical 1 : Homeliss Derilex, « Spark », boucle principale<br />
Cette boucle dure exactement 5 secon<strong>de</strong>s. Nommons « S1 » <strong>la</strong> première mesure et « S2 » <strong>la</strong><br />
secon<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> premier temps <strong>de</strong> S1 comporte, en plus <strong>de</strong> ses triples croches, un coup <strong>de</strong> grosse<br />
caisse. <strong>Le</strong> modèle SP-1200 ne pouvant pas accepter <strong>de</strong> sample plus long que 2,5 secon<strong>de</strong>s, le<br />
producteur a donc dû ici déconstruire le sample au milieu (2x1 mesures au lieu <strong>de</strong> 1x2<br />
mesures), c'est-<strong>à</strong>-dire séparer S1 et S2, pour le reconstruire ensuite en jouant au <strong>sampleur</strong> (S1<br />
est <strong>de</strong> couleur bleue et S2 <strong>de</strong> couleur rouge 23 ) :<br />
Exemple musical 2 : Homeliss Derilex, « Spark », jeu au <strong>sampleur</strong>, couplet<br />
L’introduction et les refrains du morceau sont <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> cette boucle. Dans<br />
l’introduction, on entend <strong>de</strong> nombreuses fois d’affilée le début <strong>de</strong> S1, et un peu celui <strong>de</strong> S2, ces<br />
<strong>de</strong>ux débuts étant joués <strong>à</strong> différentes hauteurs (et donc <strong>à</strong> différentes vitesses) ; on l’entend<br />
notamment très bien grâce <strong>à</strong> l’harmonie accompagnant le coup <strong>de</strong> grosse caisse <strong>de</strong> S1,<br />
transposée plus haut ou plus bas. Voil<strong>à</strong> donc un exemple d’utilisation du <strong>sampleur</strong> en tant<br />
qu’instrument mélodique.<br />
<strong>Le</strong> refrain quant <strong>à</strong> lui ne possè<strong>de</strong> pas <strong>de</strong> changement <strong>de</strong> hauteur, mais une construction<br />
différente composée <strong>à</strong> partir <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mêmes samples S1 et S2. <strong>Le</strong> jeu au <strong>sampleur</strong> est le<br />
suivant :<br />
Exemple musical 3 : Homeliss Derilex, « Spark », jeu au <strong>sampleur</strong>, refrain<br />
Nous entendons donc <strong>la</strong> musique suivante :<br />
Exemple musical 4 : Homeliss Derilex, « Spark », refrain<br />
On voit ainsi apparaître <strong>à</strong> nouveau un geste instrumental, inédit. <strong>Le</strong> producteur « joue les<br />
samples » 24 , <strong>à</strong> défaut <strong>de</strong> jouer <strong>de</strong>s notes, car « <strong>la</strong> note n'est plus l'élément composant. <strong>Le</strong><br />
phonème <strong>de</strong> base du sampling est le fragment » (Tordjman, 1998). L’interface c<strong>la</strong>vier <strong>de</strong>s<br />
<strong>sampleur</strong>s (qu’il s’agisse <strong>de</strong> touches toutes i<strong>de</strong>ntiques, les pads, ou d’un c<strong>la</strong>vier c<strong>la</strong>ssique avec<br />
touches b<strong>la</strong>nches et touches noires) permet donc une notation. En effet,<br />
23 Chaque couleur correspond en fait <strong>à</strong> une touche du <strong>sampleur</strong>, ces <strong>machine</strong>s possédant généralement un c<strong>la</strong>vier<br />
<strong>de</strong> plusieurs touches dont l’appui « joue » l’échantillon suivant <strong>la</strong> longueur avec <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> touche est maintenue.<br />
24 Expression notamment utilisée par RZA (Blon<strong>de</strong>au et Hanak, 2007, p. 61).<br />
11
noter une hauteur sur une portée ou un rythme solfégique revient <strong>à</strong> noter sur quelle touche on appuie<br />
et <strong>à</strong> quel moment. Mais le résultat sonore peut n’avoir plus aucun rapport avec un contrôle <strong>de</strong> hauteur,<br />
ni <strong>de</strong> durée, rendant <strong>la</strong> partition totalement inaudible intérieurement <strong>à</strong> <strong>la</strong> lecture. 25<br />
Cependant, ces problèmes <strong>de</strong> notations ne concernent pas les producteurs hip-hop, qui sont<br />
bien souvent <strong>de</strong>s autodidactes ne lisant pas <strong>la</strong> musique. Lorsqu’ils préparent leur<br />
échantillonneur (comme John Cage préparait son piano), ils assignent un son <strong>à</strong> chaque touche,<br />
et ils savent ensuite très bien quelle touche jouera quel son.<br />
Revenons pour l’instant sur les paroles <strong>de</strong> RZA, qui introduit également dans son propos<br />
l’idée <strong>de</strong> ruse. Car utiliser <strong>de</strong>s samples, c’est évi<strong>de</strong>mment ruser sans cesse pour recomposer<br />
une musique cohérente, avec un <strong>la</strong>yering 26 qui tient <strong>la</strong> route, éventuellement masquer ses<br />
samples pour éviter <strong>de</strong> lourds procès <strong>de</strong> droits d’auteur 27 , etc. Mais même dans le cas d’un<br />
sample peu déconstruit, le producteur hip-hop peut avoir <strong>à</strong> ruser pour adapter un sample qu’il<br />
souhaite utiliser re<strong>la</strong>tivement tel quel mais dont <strong>la</strong> métrique ne convient pas au beat du hiphop.<br />
C’est par exemple le cas du premier morceau <strong>de</strong> l’album The Low End Theory du groupe A<br />
Tribe Called Quest, « Excursions », où le MC et producteur Q-Tip transforme <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong><br />
contrebasse du sample d’origine :<br />
en :<br />
Exemple musical 5 : Art B<strong>la</strong>key, « A Chant For Bu », ligne <strong>de</strong> contrebasse<br />
Exemple musical 6 : A Tribe Called Quest, « Excursions », ligne <strong>de</strong> contrebasse<br />
Notons au passage que <strong>la</strong> tonalité n’est pas <strong>la</strong> même : l’abaissement du diapason (d’environ un<br />
ton) est dû au ralentissement du sample, <strong>de</strong> 105 (« A Chant For Bu ») <strong>à</strong> 96 bpm<br />
(« Excursions »). Afin <strong>de</strong> s’adapter <strong>à</strong> <strong>la</strong> rythmique <strong>à</strong> quatre temps binaires souhaitée par les<br />
rappeurs et n’avoir que le son <strong>de</strong> contrebasse (accompagnée d’une percussion, dont nous ne<br />
faisons pas état ici), il a fallut s’ingénier <strong>à</strong> n’échantillonner que les <strong>de</strong>uxième et troisième<br />
mesures <strong>de</strong> l’introduction <strong>de</strong> contrebasse originale ; en effet, il y a <strong>de</strong>s notes <strong>de</strong> piano<br />
électrique « parasites » sur les première et quatrième mesures. Si l’on se réfère au co<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
couleur établit dans l’exemples précé<strong>de</strong>nt, <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce du couplet s’est donc faite ainsi (<strong>la</strong><br />
b<strong>la</strong>nche pointée correspondant au trois temps complets <strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure originale, et <strong>la</strong> noire aux<br />
<strong>de</strong>ux premières croches) :<br />
25 PASCAL Michel, « <strong>Le</strong> Studio Instrumental : <strong>Le</strong>s données d’une virtuosité <strong>à</strong> l’intérieur même du son », in<br />
GENEVOIS Hugues et DE VIVO Raphaël (dir.), <strong>Le</strong>s nouveaux gestes <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique, Marseille, Éditions<br />
Parenthèses, 1999, p. 157-168. C’est ici Michel Pascal qui souligne.<br />
26 <strong>Le</strong> <strong>la</strong>yering est « <strong>la</strong> superposition <strong>de</strong>s échantillons prélevés sur <strong>de</strong>s morceaux différents grâce au mixage et <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
technologie <strong>de</strong> l’enregistrement multipistes » (BÉTHUNE Christian, 2003, p. 10).<br />
27 Ibid., p. 78-79. Voir également : FERNANDO Jr., S. H., The New Beats, Paris, Kargo, 2000, p. 274-281.<br />
12
Exemple musical 7 : A Tribe Called Quest, « Excursions », jeu au <strong>sampleur</strong>, couplet<br />
Lors du refrain, dans lequel s’ajoute une mélodie <strong>de</strong> cuivres, une manipu<strong>la</strong>tion semb<strong>la</strong>ble a<br />
également été nécessaire afin d’adapter le sample <strong>à</strong> <strong>la</strong> métrique <strong>à</strong> quatre temps.<br />
<strong>Le</strong> sample n’est donc ici pas déconstruit, mais plutôt reconstruit <strong>de</strong> manière <strong>à</strong> coller <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
mesure <strong>à</strong> 4/4 si caractéristique du rap. <strong>Le</strong> geste ne s’entend pas au premier abord, comme il<br />
faisait dans l’introduction et le refrain <strong>de</strong> « Spark » d’Homeliss Derilex ; ici, le « touché<br />
<strong>sampleur</strong> » ne saute pas aux oreilles. <strong>Le</strong> geste est masqué, et on se doute que si le morceau<br />
d’Art B<strong>la</strong>key avait été <strong>à</strong> quatre temps <strong>à</strong> l’origine, Q-Tip n’aurait pas eu <strong>à</strong> manipuler <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte<br />
le sample.<br />
Parfois, ce n’est pas un problème <strong>de</strong> métrique qui se pose au producteur mais un problème <strong>de</strong><br />
tonalité. Non pas que le rap soit une musique tonale, mais les producteurs sont tout <strong>de</strong> même<br />
sensible aux enchaînements mélodico-harmoniques. Alors que pour « Excursions », c’est<br />
certainement le tempo qui a été le critère <strong>de</strong> transposition, sur le morceau du Wu-Tang C<strong>la</strong>n<br />
« For Heaven’s Sake », un sample issu d’un titre du chanteur soul King Floyd (« Don’t You<br />
<strong>Le</strong>ave Me Lonely ») est transposé (on l’entend bien au timbre anormal <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix), certes pour<br />
être mis au bon tempo (<strong>de</strong> 64 bpm pour l’original <strong>à</strong> 89 pour le morceau rap), mais subi<br />
également une transposition durant le morceau. <strong>Le</strong>s quelques secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ce sample sont en<br />
effet entendues <strong>à</strong> chaque refrain d’abord une fois en do mineur, en accord avec le couplet qui<br />
est en do aussi, mais le tempo du sample est alors trop lent : <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> fois, le<br />
sample est donc <strong>à</strong> nouveau transposé, d’environ un <strong>de</strong>mi ton au <strong>de</strong>ssus, afin d’être <strong>à</strong> 89 bpm.<br />
<strong>Le</strong>s contraintes <strong>de</strong> hauteur et <strong>de</strong> tempo dues <strong>à</strong> l’utilisation <strong>de</strong> samples sont en partie <strong>à</strong> l’origine<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> sonorité particulière <strong>de</strong> ce titre. Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> sonorité du rap en général – celui <strong>à</strong> base <strong>de</strong><br />
sample en tout cas.<br />
Il existe <strong>de</strong>s cas où le sample est très déconstruit pour être « joué » ensuite. Sur le titre<br />
« Shimmy Shimmy Y’all » d’Ol’ Dirty Bastard est ainsi samplée <strong>la</strong> première note<br />
(uniquement) du morceau <strong>de</strong> Stevie Won<strong>de</strong>r « Knocks Me Off My Feet ». <strong>Le</strong> producteur (qui<br />
est justement RZA) a ensuite, avec cette seule note, créé le riff suivant :<br />
Exemple musical 8 : Ol’ Dirty Bastard, « Shimmy Shimmy Y’all », riff<br />
<strong>Le</strong> fait <strong>de</strong> ne choisir qu’une seule note pour reconstruire ensuite ce riff a <strong>de</strong>s conséquences<br />
importantes sur <strong>la</strong> sonorité dudit riff. En effet, il est intéressant <strong>de</strong> noter ici le fait que ce riff ne<br />
possè<strong>de</strong> pas un son naturel <strong>de</strong> piano : cette note est, dans le sample original, <strong>la</strong> première d’une<br />
mélodie <strong>de</strong>scendante, et est attaquée <strong>de</strong> façon très forte par Stevie Won<strong>de</strong>r. Ce<strong>la</strong> signifie donc<br />
que dans le titre « Shimmy Shimmy Y’all » d’Ol’ Dirty Bastard, chaque note entendue<br />
possè<strong>de</strong> exactement le même attaque (effectuée non pas par le producteur RZA mais par<br />
Stevie Won<strong>de</strong>r, si l’on peut dire), ce qui crée une sonorité inhabituelle. Un pianiste jouant au<br />
piano ce riff n’attaquerait certainement pas ainsi chaque note, il jouerait naturellement avec<br />
13
plus <strong>de</strong> legato. On peut supposer que ce n’est pas tant un son <strong>de</strong> piano qui intéressa RZA ici<br />
(n’aurait-il pas dans ce cas utilisé un vrai piano ?), mais le son <strong>de</strong> cette note, <strong>de</strong> cette attaque en<br />
particulier.<br />
Quand le son <strong>de</strong>vient instrument<br />
On en arrive alors <strong>à</strong> un point primordial : le travail sur le son. Car utiliser <strong>de</strong>s samples, c’est<br />
vouloir possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s sons d’instruments conventionnels 28 et non synthétiques relevant <strong>de</strong><br />
l’univers musical ou du paysage sonore quotidien. En accord avec Philippe Rousselot, nous<br />
pouvons affirmer qu’« écouter <strong>la</strong> partie instrumentale d’un rap, c’est se plonger dans l’exacte<br />
réalité du sound » 29 . Un approfondissement <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> « Shimmy Shimmy Y’all » le<br />
confirme d’ailleurs : d’autres sons issus <strong>de</strong> samples sont utilisés, créant un « champ sonore »<br />
absolument inédit (on peut notamment entendre <strong>la</strong> voix du comique Richard Pryor, <strong>de</strong>s rires,<br />
<strong>de</strong>s sons <strong>de</strong> craquement <strong>de</strong> vinyle, etc.).<br />
Dans son article, Rousselot explique que dans le répertoire libre, « homme + instrument =<br />
sound » ; or dans le rap utilisant <strong>de</strong>s samples, on a donc « homme + sample (qui possè<strong>de</strong> déj<strong>à</strong><br />
un sound) + <strong>sampleur</strong> = nouveau sound ». L’équation implique donc que « sample + <strong>sampleur</strong><br />
= instrument » : on a l<strong>à</strong> une sorte d’hyper-instrument en <strong>la</strong> présence du couple « sample +<br />
<strong>sampleur</strong> ». Philippe Rousselot touche juste lorsqu’il dit que pour le rappeur, « le son est un<br />
instrument » 30 ; ou plutôt, le son est instrumentalisé par le biais d’outils originellement<br />
dévoués <strong>à</strong> sa reproduction 31 . <strong>Le</strong> <strong>sampleur</strong> est vi<strong>de</strong> sans le sample, et est autant objet <strong>de</strong><br />
reproduction que <strong>de</strong> production. Dans les exemples plus haut, nous avons en effet vu que si<br />
geste instrumental il y a, ce qui est entendu n’est pas ce que joue le rappeur : le sample<br />
possè<strong>de</strong> déj<strong>à</strong> une instrumentalité (autant que les autres éléments du son : hauteur, durée, etc.).<br />
Ce<strong>la</strong> va être <strong>à</strong> <strong>la</strong> base du champ sonore <strong>de</strong> tel ou tel artiste <strong>de</strong> rap, qui va choisir d’être<br />
extrêmement cohérent dans son instrumentation (comme le Wu-Tang C<strong>la</strong>n qui utilise<br />
principalement <strong>de</strong>s sons <strong>de</strong> cor<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> piano) ou non (Public Enemy aime par exemple<br />
superposer et enchaîner tous les sons possibles et imaginables dans leurs morceaux, véritables<br />
col<strong>la</strong>ges sonores avant-gardistes).<br />
Mais surtout, le sampling va être l’occasion <strong>de</strong> musicaliser <strong>de</strong>s sons incongrus. Par exemple les<br />
sons <strong>de</strong> craquement <strong>de</strong> vinyle, a priori <strong>à</strong> éviter si l’on veut un son propre, sont souvent<br />
présents dans les morceaux rap. Dans les fréquents cas où le sample <strong>de</strong> <strong>la</strong> boucle provient d’un<br />
vinyle, les craquements sont également mis en boucle, ce qui crée un nouveau p<strong>la</strong>n sonore<br />
(rythmique ?) au timbre inédit. De plus, tous les sons pouvant être samplés, les rappeurs vont<br />
se faire un p<strong>la</strong>isir d’augmenter leur musique d’un côté théâtral en y musicalisant toutes sortes<br />
<strong>de</strong> bruits. Contrairement <strong>à</strong> <strong>la</strong> musique concrète,<br />
28 Nous appelons ici instrument conventionnel tout instrument <strong>de</strong> musique acoustique ou électrique (piano<br />
électrique, guitare électrique, etc.) mais non électronique (synthétiseurs, etc.).<br />
29 Rousselot préfère utiliser dans son article le terme « sound » plutôt que « son », le terme ang<strong>la</strong>is comprenant<br />
l’idée <strong>de</strong> typicité du son bien plus que son homologue français, plus neutre. (Rousselot, 1995, p. 118-123).<br />
30 Ibid., p. 124.<br />
31 D’autres objets <strong>de</strong> médiation <strong>de</strong>viennent instruments sous les doigts <strong>de</strong>s rappeurs : le disque vinyle et <strong>la</strong><br />
p<strong>la</strong>tine qui le lit le sont aussi quant ils sont soumis au cutting et scratching du DJ. <strong>Le</strong> geste instrumental est l<strong>à</strong><br />
encore très concret. Nous pouvons même renverser l’argument dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique savante<br />
instrumentale, où l’instrument est lui-même un média, tout autant que l’interprète, qui ensemble permettent <strong>de</strong><br />
concrétiser en vibrations sonores <strong>la</strong> pensée du compositeur, pensée elle-même relue par l’interprète.<br />
14
le rappeur se veut bruiteur dans sa pratique musicale, il tient <strong>à</strong> ce que l’on i<strong>de</strong>ntifie sans ambiguïté les<br />
objets et les situations mis <strong>à</strong> contribution dans ses panoramas sonores où prévaut <strong>la</strong> mimésis.<br />
(Béthune, 2004, p. 63)<br />
Ainsi, les coups <strong>de</strong> revolver sont très fréquents et illustrent sémantiquement (tout en étant<br />
élément musical) les paroles <strong>de</strong>s rappeurs. Eminem va souvent très loin dans ce procédé <strong>de</strong><br />
bruitage en ajoutant <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> crayon sur le papier, <strong>de</strong> pluie ou d’orage, d’acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong><br />
voitures, <strong>de</strong>s cris, etc. <strong>Le</strong> titre « Stan » est un bon exemple, où tous ces sons sont intégrés <strong>à</strong><br />
l’histoire racontée par Eminem. Son champ sonore <strong>de</strong>vient au moins aussi <strong>la</strong>rge que son champ<br />
lexical.<br />
Mais <strong>la</strong> dimension sémantique <strong>de</strong>s sons incongrus utilisés dans le rap n’est pas forcément mise<br />
en avant. Il y a également <strong>de</strong>s titres où seul le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> l’écoute d’un son surprenant prévaut.<br />
La mise en boucle peut créer une mélodie <strong>à</strong> partir d’un échantillon sonore non musical. <strong>Le</strong><br />
morceau « Game P<strong>la</strong>n » <strong>de</strong> Gang Starr en est un exemple. La boucle est composée <strong>de</strong> cris et<br />
d’app<strong>la</strong>udissements au <strong>de</strong>ssus d’une batterie et d’un accord <strong>de</strong> piano. Or, on peut également<br />
entendre une mélodie formée par les cris <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux personnes :<br />
Exemple musical 9 : Gang Starr, « Game P<strong>la</strong>n »<br />
<strong>Le</strong> but n’est pas d’entendre précisément ces notes, ce relevé étant bien évi<strong>de</strong>mment très<br />
subjectif. Ce qui est objectif est d’admettre qu’une mélodie (aussi imprécise soit-elle) est tout<br />
<strong>de</strong> même créée par <strong>la</strong> mise en boucle astucieuse <strong>de</strong> sons non musicaux. Cette mise en musique<br />
<strong>de</strong> voix non chantées offre <strong>à</strong> nos oreilles un timbre vocal et un effet surprenants et inédits.<br />
Mais même sans chercher <strong>de</strong>s exemples surprenants, le simple fait <strong>de</strong> composer <strong>à</strong> partir <strong>de</strong><br />
sons préenregistrés implique d’accepter le son dans son intégralité (par exemple les sons<br />
« parasites » <strong>de</strong> craquements du vinyle <strong>de</strong>viennent une composante importante et fréquente <strong>de</strong><br />
l’esthétique sonore), ou <strong>de</strong> ruser pour éviter ces sons parasites (comme dans l’exemple précité,<br />
« Excursions », où <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> boucle <strong>de</strong> contrebasse passait par une suppression<br />
<strong>de</strong>s notes parasites <strong>de</strong> c<strong>la</strong>vier électrique). <strong>Le</strong> compositeur nage dans un « océan <strong>de</strong> sons » 32<br />
dont il sélectionne, positionne et modifie les gouttes qui l’intéressent, dans un jeu permanent<br />
entre <strong>la</strong> création libre et les contraintes imposées par <strong>la</strong> <strong>machine</strong>. Ce qui satisfait <strong>à</strong> <strong>la</strong> requête <strong>de</strong><br />
Guil<strong>la</strong>ume Apollinaire dans son poème La Victoire: « On veut <strong>de</strong> nouveaux sons <strong>de</strong> nouveaux<br />
sons <strong>de</strong> nouveaux sons. »<br />
S’il offre <strong>la</strong> possibilité d’une infinité <strong>de</strong> sons, le <strong>sampleur</strong> pose également <strong>de</strong> nouveaux<br />
problèmes aux créateurs, qui vont alors chercher <strong>de</strong> nouvelles solutions, ou détourner ce<br />
problème technique en un « stigmate » sonore, un signe i<strong>de</strong>ntitaire facilement reconnaissable.<br />
L’exemple le plus caractéristique est celui <strong>de</strong> ce qu’Adam Krims nomme hip-hop sublime.<br />
Produit d’une combinaison <strong>de</strong>nse <strong>de</strong> couches sonores différentes, il peut impliquer <strong>la</strong><br />
superposition <strong>de</strong> différents diapasons. <strong>Le</strong>s producteurs, au lieu <strong>de</strong> vouloir rectifier cette<br />
32 Expression qui donne son titre au livre <strong>de</strong> David Toop (1996), mais que Pierre Schaeffer utilisait déj<strong>à</strong> dans La<br />
musique concrète, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1973, p. 49.<br />
15
confrontation, l’ont au contraire apprécié et en ont fait un effet désiré (Krims, 2000, p. 73, et<br />
2003, p. 143-145). La maîtrise du <strong>sampleur</strong> est donc au cœur <strong>de</strong>s stratégies compositionnelles<br />
et participent <strong>de</strong> leurs codifications. Ces <strong>de</strong>rnières <strong>de</strong>meurent néanmoins re<strong>la</strong>tives et ne<br />
doivent pas faire l’objet d’une surinterprétation théorique qui perd <strong>de</strong> son sens dans <strong>la</strong><br />
pratique.<br />
Une esthétique <strong>de</strong> l’expérience?<br />
Quoiqu’il en soit, l’utilisation <strong>de</strong> samples est <strong>à</strong> l’origine d’une poétique créatrice<br />
nouvelle, qui implique d’envisager sous <strong>de</strong> nouveaux angles <strong>la</strong> composition : geste, ruse,<br />
matériau sonore, technique, tout ce<strong>la</strong> était déj<strong>à</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> base <strong>de</strong> <strong>la</strong> réflexion <strong>de</strong>s compositeurs <strong>de</strong><br />
tradition savante comme <strong>de</strong> rock ou <strong>de</strong> jazz, mais prend ici, avec le <strong>sampleur</strong>, <strong>de</strong> nouvelles<br />
directions. Elle renouvelle ainsi les problématiques esthétiques 33 et communicationnelles.<br />
<strong>Le</strong> terme ang<strong>la</strong>is « sampler » trouve d’ailleurs ces origines dans les motifs <strong>de</strong> bro<strong>de</strong>ries repris<br />
et enrichis en fonction <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s nécessités. Outre le rapport visuel premier du terme<br />
« sampler », l’intérêt repose sur cette pratique ancestrale <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> répéter <strong>de</strong>s motifs<br />
originaux tout en les personnalisant. Ces hybridations renvoient donc dès les origines <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
dimension esthétique. Comme en littérature ou en peinture, elles questionnent l’ambiguïté <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
citation et interroge <strong>la</strong> création réticu<strong>la</strong>ire illustrative reprenant les mêmes motifs selon <strong>de</strong>s<br />
modalités singulières. Comme nous l’avons vu, le <strong>sampleur</strong> est un instrument original en ce<br />
sens qu’il opère le basculement <strong>de</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong> notes <strong>à</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong> fragments<br />
sonores 34 . A l’instar d’autres technologies <strong>de</strong> reproduction, il participe d’une culture <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
segmentation et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fragmentation personnalisée où chacun peut sélectionner les parties, les<br />
moments, les morceaux qui l’intéressent. <strong>Le</strong> <strong>sampleur</strong> réactive ainsi <strong>la</strong> problématique <strong>de</strong><br />
création par <strong>la</strong> copie différente en ce<strong>la</strong> <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> reproduction dont parle Walter Benjamin<br />
et les membres <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Francfort (Tiffon, 2003). Reste que le <strong>sampleur</strong>, opère non pas <strong>la</strong><br />
reproduction d’un motif sonore mais son découpage. S’inscrivant dans <strong>la</strong> tradition esthétique<br />
du XXème siècle marquée par <strong>la</strong> déconstruction (découpage, col<strong>la</strong>ge, travail sur <strong>la</strong> matière)<br />
visant <strong>à</strong> reconfigurer les réalités existantes tout en les questionnant, le <strong>sampleur</strong> n’est pas un<br />
appareil <strong>de</strong> reproduction mais un instrument <strong>de</strong> manipu<strong>la</strong>tion. Ce qui fait dire <strong>à</strong> Bernard<br />
Stiegler :<br />
La pratique instrumentale <strong>de</strong>s reproductibilités apparaît ici en fin <strong>de</strong> compte premièrement comme art<br />
du réagencement, <strong>de</strong> l’enchaînement par montage <strong>de</strong> citations, <strong>de</strong> re-visions, réauditions, réénonciations<br />
et récitations <strong>de</strong> tous ordres : en ce sens, les supports tels que le CDROM et toutes les<br />
manipu<strong>la</strong>tions (analytiques et synthétiques) envisageables sur leurs contenus (échantillonnages<br />
sonores, visuels et textuels) sont une promesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> programmatique en jeu. 35<br />
33 Ce constat est évoqué dans un article déj<strong>à</strong> ancien du musicien et écrivain Gilles Tordjman (Tordjman, 1998).<br />
34 Fragments qui se donnent <strong>à</strong> écouter dans les morceaux mais aussi <strong>à</strong> voir dans <strong>la</strong> composition par ordinateur où<br />
<strong>la</strong> partition musicale n’est plus une succession <strong>de</strong> notes mais une organisation <strong>de</strong> clusters renvoyant <strong>à</strong> <strong>de</strong>s entités<br />
sonores plutôt qu’<strong>à</strong> <strong>de</strong>s sons uniques.<br />
35 Bernard STIEGLER, « Programmes <strong>de</strong> l'improbable, courts-circuits <strong>de</strong> l'inouï », InHarmoniques n°1, Paris,<br />
Ch. Bourgois/IRCAM, 1986, p. 157-158 cité par Tiffon V. (2003)<br />
16
Très souvent le résultat <strong>de</strong> <strong>la</strong> pratique empirique, <strong>de</strong> l’autodidactie et <strong>de</strong> l’écoute 36 , les<br />
modalités <strong>de</strong> compositions n’en <strong>de</strong>meurent pas moins soumises, au même titre que les<br />
instruments traditionnels, <strong>à</strong> <strong>de</strong>s contraintes. Avoir recours au <strong>sampleur</strong> nécessite une maîtrise<br />
<strong>de</strong>s fonctionnalités proposées par <strong>la</strong> <strong>machine</strong> en fonction <strong>de</strong>s modèles et une capacité d’écoute<br />
capable <strong>de</strong> singu<strong>la</strong>riser les sons d’un morceau afin <strong>de</strong> se les réapproprier. Bref, incarner une<br />
capacité créative susceptible d’opérer le passage du simple découpage sonore <strong>à</strong> son intégration<br />
dans une composition cohérente et historique. Seulement, celles-ci sont moins théoriques,<br />
qu’empiriques. Déj<strong>à</strong> évoquée par Antoine Hennion (1981) au sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> transmission musicale<br />
par l’écoute <strong>de</strong>s disques (<strong>la</strong> discomorphose), <strong>la</strong> connaissance musicale s’acquiert par l’écoute,<br />
<strong>la</strong> comparaison empirique et émotionnelle. Si <strong>la</strong> <strong>machine</strong> peut potentiellement conduire <strong>à</strong> un<br />
accroissement <strong>de</strong>s productions musicales, elle requiert <strong>la</strong> dimension humaine pour leur donner<br />
leur essence esthétique opérant le passage <strong>de</strong> <strong>la</strong> simple boucle sonore <strong>à</strong> celle d’un morceau<br />
construit.<br />
De ce constat, nous pourrions proposer <strong>de</strong> définir les pratiques compositionnelles jouant du<br />
sample comme d’une esthétique <strong>de</strong> l’expérience. Ce concept d’expérience ou <strong>de</strong> processus<br />
expérientiel, comme l’appelle le philosophe pragmatiste John Dewey (1934), repose sur un<br />
triple jeu d’action participation réaction. Dans cette perspective, l’esthétique n’est plus<br />
uniquement liée <strong>à</strong> l’objet, ni <strong>à</strong> « l’expérience » 37 renvoyant <strong>à</strong> une psychologie du sujet mais est<br />
le fait <strong>de</strong> l’expérience interactive entre l’artiste, sa création, <strong>la</strong> (les) <strong>machine</strong>(s) et le public. La<br />
création proposée joue paradoxalement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>machine</strong> pour réinsuffler un rapport direct et<br />
participatif avec l’humain. Cette proposition <strong>de</strong> Dewey a le mérite d’inscrire l’action comme<br />
élément central <strong>de</strong> l’approche artistique et d’éviter <strong>de</strong> considérer les re<strong>la</strong>tions objets, artistes,<br />
publics selon une logique segmentée et discriminante. Cette esthétique expérientielle dont nous<br />
n’avons expliqué que le versant compositionnel est le fruit d’une alchimie fonctionnant sur <strong>la</strong><br />
base <strong>de</strong> <strong>la</strong> citation, <strong>de</strong> l’intertextualité (par le biais <strong>de</strong> samples ou non, dans les paroles par<br />
exemple) et <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>rité réseautique mais aussi <strong>de</strong> l’écoute 38 .<br />
Loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> copie et <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> reproductibilité c<strong>la</strong>ssique, le <strong>sampleur</strong> opère le passage et<br />
le brouil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s pistes entre information et communication favorisant l’échange, le flux et <strong>la</strong><br />
mise en réseau. En ce sens, cette esthétique expérientielle n’est pas sans inférence avec le<br />
régime <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication définit par les philosophes Lucien Sfez (1988) et son application<br />
<strong>à</strong> l’art contemporain par Anne Cauquelin. Sans nous attar<strong>de</strong>r ici sur <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> ces auteurs,<br />
nous retiendrons uniquement trois <strong>de</strong>s concepts développés : celui <strong>de</strong> réseau, <strong>de</strong> redondance et<br />
<strong>de</strong> saturation contribuant <strong>à</strong> opérer le passage du régime <strong>de</strong> l’information <strong>à</strong> celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
communication. De fait, ce qui importe avec le <strong>sampleur</strong>, c’est moins les notes <strong>de</strong><br />
l’instrument que le son lui même, moins <strong>la</strong> linéarité du processus compositionnel que sa<br />
circu<strong>la</strong>rité. Composer c’est alors dé-re composer <strong>de</strong>s entités sonores dans un jeu <strong>de</strong> répétitions<br />
36 Ce phénomène renvoie <strong>à</strong> <strong>la</strong> discomorphose proposée par Antoine Hennion concernant l’apprentissage d’un<br />
instrument <strong>à</strong> partir <strong>de</strong>s disques. Par ailleurs, travail<strong>la</strong>nt sur les musiciens <strong>de</strong> rock, Fabien Hein (2006) note lui<br />
aussi cette importance <strong>de</strong> l’autodidaxie dans les processus <strong>de</strong> création musicale.<br />
37 L’esthétique expérimentale a été développée, au début du siècle, par l’allemand Fechner et popu<strong>la</strong>risée, en<br />
France, par Charles Lalo. Récusant <strong>la</strong> hiérarchisation <strong>de</strong> l’art, elle opère le passage <strong>de</strong> l’esthétique <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
psychologie et se tourne vers l’expérience <strong>de</strong> l’art et <strong>la</strong> mobilisation cognitive <strong>à</strong> <strong>la</strong>quelle elle engage. Dès lors, le<br />
sujet <strong>de</strong>vient l’objet central <strong>de</strong> recherche. Cette « esthétique », qui en perdra le nom pour <strong>de</strong>venir psychologie <strong>de</strong><br />
l’art, trouvera ses applications en musique dans <strong>de</strong> nombreux travaux comme ceux, en France, <strong>de</strong> Robert Francès<br />
ou <strong>de</strong> Michel Imberty.<br />
38<br />
17
permanentes appe<strong>la</strong>nt <strong>à</strong> <strong>la</strong> construction d’une autre réalité que celle qui existait <strong>à</strong> l’origine. Une<br />
réalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité comme l’appelle Paul Watz<strong>la</strong>wick transcendant le présent par <strong>de</strong>s figures<br />
du passé aux visages recomposés. Ces principes <strong>de</strong> boucles et <strong>de</strong> mise en réseaux sont ici<br />
originaux et s’inscrivent dans <strong>de</strong>ux dimensions concomitantes. <strong>Le</strong> premier lié <strong>à</strong> l’objet musical<br />
lui-même est circu<strong>la</strong>ire et procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> répétition <strong>à</strong> l’i<strong>de</strong>ntique <strong>de</strong> l’extrait manipulé. <strong>Le</strong> second<br />
inscrit dans <strong>la</strong> dimension socio-historique du morceau <strong>de</strong> musique samplé ouvre alors sur une<br />
temporalité circu<strong>la</strong>ire centripète : <strong>la</strong> spirale. Cette spirale historique oscille entre <strong>la</strong> copie et <strong>la</strong><br />
reprise, entre <strong>la</strong> citation et le p<strong>la</strong>giat, le détournement et l’appropriation.<br />
Toutefois si nous avons insisté sur <strong>la</strong> manipu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière sonore, <strong>de</strong>s capacités<br />
nécessaires <strong>à</strong> son exercice, cette esthétique relève surtout et avant tout <strong>de</strong> l’écoute. Ce n’est<br />
qu’avec elle que cette esthétique prend son sens et que le <strong>sampleur</strong> <strong>de</strong>vient un instrument.<br />
Conclusion<br />
Loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> simple <strong>machine</strong> qui conférerait au musicien le simple rôle d’exécutant, le <strong>sampleur</strong><br />
est avant tout un instrument au service <strong>de</strong> <strong>la</strong> création. La p<strong>la</strong>ce accrue, voir fondamentale, qu’il<br />
occupe aujourd’hui dans l’ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong> production musicale témoigne <strong>de</strong> cette nécessité <strong>de</strong><br />
ne plus penser les <strong>machine</strong>s contre les instruments mais plutôt <strong>de</strong> comprendre pourquoi et<br />
comment ils <strong>de</strong>viennent instruments. Ceci dans le but <strong>de</strong> mieux saisir nos manières <strong>de</strong> faire et<br />
d’écouter <strong>la</strong> musique mais aussi <strong>de</strong> les inscrire dans ces mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique dont parle<br />
Becker (1988). Au travers le cas du <strong>sampleur</strong>, <strong>de</strong> multiples médiations sont <strong>à</strong> l’œuvre <strong>de</strong>puis<br />
l’appropriation <strong>de</strong>s <strong>machine</strong>s jusqu’au geste musical et le travail <strong>de</strong> mise en musique.<br />
Evi<strong>de</strong>mment, il y en a d’autres qui ont été <strong>la</strong>issées ici <strong>de</strong> coté et qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>raient <strong>à</strong> s’y<br />
ajouter notamment celles concernant l’industrie musicale, les phénomènes <strong>de</strong> convergences<br />
économiques et les matériaux d’écoute.<br />
Quoiqu’il en soit, <strong>de</strong> part les dispositifs <strong>de</strong> composition qu’il implique autant que par sa<br />
déclinaison tant en terme <strong>de</strong> <strong>machine</strong> physique ou <strong>de</strong> programme informatique, le <strong>sampleur</strong> est<br />
un matériel hybri<strong>de</strong>. Par hybridation, nous signifions <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois son inscription dans une longue<br />
histoire <strong>de</strong>s <strong>machine</strong>s, le mé<strong>la</strong>nge chaque fois renouvelé d’un héritage musical expérimental et<br />
expérientiel et enfin celui d’une esthétique <strong>de</strong> composition originale. <strong>Le</strong> <strong>sampleur</strong> et au-<strong>de</strong>l<strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
question <strong>de</strong> l’instrument technologique ouvrent alors d’autres pistes <strong>de</strong> recherche tant en<br />
musicologie qu’en science <strong>de</strong> l’information et <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication. On pourrait nottament<br />
s’interroger sur <strong>la</strong> distinction entre les informations numériques qui font le sample et le<br />
processus <strong>de</strong> communication qui <strong>la</strong> transforme en musique. Ensuite, <strong>la</strong> question se pose <strong>de</strong><br />
savoir si toute <strong>machine</strong> peut potentiellement <strong>de</strong>venir instrument. Enfin dire qu’une <strong>machine</strong><br />
comme le <strong>sampleur</strong> est un instrument invite <strong>à</strong> s’interroger sur les mutations que ce<strong>la</strong> induit en<br />
terme <strong>de</strong> compétences musicales et techniques, d’apprentissage mais aussi et plus globalement<br />
en terme <strong>de</strong> création et <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong>s messages, <strong>de</strong> séquençage <strong>de</strong> l’information et <strong>de</strong><br />
processus <strong>de</strong> communication.<br />
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Discographie<br />
• A Tribe Called Quest, « Excursions » est disponible sur l’album :<br />
A Tribe Called Quest, The Low End Theory – Jive/BMG – 1991 (piste 1).<br />
• Art B<strong>la</strong>key and the Jazz Messengers, « A Chant For Bu » est disponible sur l’album :<br />
Art B<strong>la</strong>key and the Jazz Messengers, Buhaina – Prestige – 1973<br />
et réédité sur le CD :<br />
Art B<strong>la</strong>key and the Jazz Messengers, Vol. 2: Mission Eternal – Prestige – 1995 (piste 5).<br />
• Eminem, « Stan » est disponible sur l’album :<br />
Eminem, The Marshall Mathers LP – Aftermath/Interscope – 2000 (piste 3).<br />
• Gang Starr, « Game P<strong>la</strong>n » est disponible sur l’album :<br />
Gang Starr, Step In The Arena – Chrysalys – 1991 (piste 10).<br />
• Homeliss Derilex, « Live & Direct » et « Spark » sont disponibles sur l’album :<br />
Homeliss Derilex, {HD’S –VS- The SP-1200} – Pocketslinted – 2005 (pistes 1 et 2).<br />
• King Floyd, « Don’t You <strong>Le</strong>ave Me Lonely » est disponible sur le CD :<br />
King Floyd, Choice Cuts – Waldoxy – 1994 (piste 12).<br />
• Ol’ Dirty Bastard, « Shimmy Shimmy Y’all » est disponible sur l’album :<br />
Ol’ Dirty Bastard, Return To The 36 Chambers – Elektra/Warner – 1995 (piste 2).<br />
• Wu-Tang C<strong>la</strong>n, « For Heaven’s Sake » est disponible sur le double album :<br />
Wu-Tang C<strong>la</strong>n, Wu-Tang Forever – Loud Records – 1997 (piste 3 du CD 1).<br />
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