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Academie Nissart 97/225 - Le Pays de Nice et ses Peintres

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Or, certains <strong>de</strong>s Jeunes Amateurs prêtent leurconcours au Teatrino Martiniano, le théâtre <strong>de</strong>marionn<strong>et</strong>tes animé par <strong>de</strong>s élèves <strong>et</strong> d’anciens élèvesdu collège qui, <strong>de</strong>puis 1844, sous la protection dugouverneur <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Jésuites, expriment les idées duparti conservateur <strong>et</strong> participent aux polémiquesprécédant la promulgation du Statuto par le roiCharles-Albert. Ils jouent les pièces qu’écriventJean-Baptiste Bottero, Joseph Giorgi, AugusteFricon <strong>et</strong> le poète Eugène Emanuel. Ce <strong>de</strong>rnier estun peu l’inverse <strong>de</strong> Guisol. Né en 1817, il est issud’une famille aisée <strong>de</strong> la bourgeoisie niçoise, seragreffier <strong>de</strong> justice <strong>et</strong>, <strong>de</strong>meuré fidèle à la Maison <strong>de</strong>Savoie, prendra la nationalité italienne en 1860 pourterminer sa carrière à la cour d’appel <strong>de</strong> Gênes. Ildécè<strong>de</strong>ra à <strong>Nice</strong> en 1880. La troupe porte le nom <strong>de</strong>Martin, un personnage <strong>de</strong> spirituel paysan niçois quiréapparaît dans chaque pièce bilingue (italiennissart)<strong>et</strong> dont Emanuel ambitionne <strong>de</strong> faire lamaschera nizzarda, l’équivalent niçois du Giandoujaturinois.271 Jacques GUIAUDMaison <strong>de</strong> campagne <strong>de</strong>s Jésuites à Carabacel, <strong>Nice</strong>, vers 1850AquarelleHercule Trachel, qui est comme Emanuel unancien élève <strong>de</strong> l’établissement, peint les décors <strong>et</strong> leri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> scène. Si les décors sont perdus, le ri<strong>de</strong>auexiste encore. C<strong>et</strong>te toile <strong>de</strong> 2,90 m. sur 1,66 m. estconservée au Musée Masséna. <strong>Le</strong> bord, très dégradé,est garni d’une frise où l’on lit les noms <strong>de</strong> quelquesanimateurs <strong>et</strong> le titre <strong>de</strong> certaines <strong>de</strong>s créations duTeatrino. <strong>Le</strong> centre représente un pique-nique surfond <strong>de</strong> campagne niçoise. Au loin, la mer, la côte,une végétation méditerranéenne, <strong>de</strong>s aloès, unechapelle <strong>et</strong> une gran<strong>de</strong> bâtisse. Il s’agit trèsprobablement <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> campagne possédéepar les Jésuites à Carabacel, sur les premières pentes<strong>de</strong> la colline <strong>de</strong> Cimiez. L’emplacement <strong>de</strong> cebâtiment familier aux spectateurs du Teatrino assurecomme la jonction entre le milieu rural <strong>et</strong> populairequ’incarne Martin <strong>et</strong> la « bonne société » dont lecollège instruit l’élite. Au premier plan, un enfantlève son verre (<strong>de</strong> la main gauche, sans doute pour<strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> symétrie). Il est vêtu d’un pantalonbleu serré par une taiola rouge <strong>et</strong> d’une chemiseblanche : un élève du collège en tenue campagnar<strong>de</strong> ?A côté <strong>de</strong> lui, répondant à son toast mais s’adressantaussi aux spectateurs, voici Martin, une sorte <strong>de</strong>gnome sans âge qui esquisse un pas <strong>de</strong> danse. Seul cedocument perm<strong>et</strong> d’avoir une idée <strong>de</strong>s marionn<strong>et</strong>tesdu Teatrino. Si l’on compare Martin avec le pêcheurou avec Barba Lauren du Presepi 13 , on est frappé parles ressemblances : même bonn<strong>et</strong> niçois rouge,même chemise épaisse, même visage grotesque.Mais, comme Giandouja, Martin porte la culotte à lafrançaise, les bas <strong>et</strong> les souliers à boucle. C<strong>et</strong>te tenueapparemment populaire <strong>et</strong> au fond conservatrice(car, sans être réellement archaïques, <strong>de</strong> telsvêtements sont démodés en 1844) symbolise assezbien les idées politiques exprimées dans les piècesjouées <strong>de</strong>vant le gouverneur <strong>de</strong> Maistre, l’évêque,Mgr Galvano, <strong>et</strong> les autres membres <strong>de</strong> la hautesociété niçoise à qui le spectacle est réservé surinvitations.Quant à la participation d’Hercule Trachel auTeatrino, elle s’explique peut-être par le fait qu’il estle professeur <strong>de</strong> peinture <strong>de</strong> la comtesse <strong>de</strong> Maistre,<strong>de</strong> <strong>ses</strong> filles ainsi que d’autres personnes d’unearistocratie <strong>et</strong> d’une haute bourgeoisie dont il décoreles villas. En outre, il travaille pour l’Eglise <strong>de</strong>puis1841 <strong>et</strong> son activité dans le domaine <strong>de</strong> l’art sacré estparticulièrement importante en 1844, année <strong>de</strong> lafondation du Teatrino 14 .La contribution picturale d’Antoine Trachel à lalittérature d’oc <strong>de</strong> <strong>Nice</strong> est moins spectaculaire, maistout à fait remarquable, puisqu’elle concerne le textefondateur <strong>de</strong> la littérature nissar<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne, LaNemaïda <strong>de</strong> Joseph-Rosalin<strong>de</strong> Rancher (1785-1843).Elle consiste en une série <strong>de</strong> sépias <strong>de</strong>stinées àquelques exemplaires <strong>de</strong> la première édition (1823).Réalisées à une date inconnue, celles du volume ducomte <strong>de</strong> Cessole ont été partiellement révélées aupublic en 1954, date à laquelle M. André Compan ena publié huit en hors-texte dans son édition <strong>de</strong>sOeuvres du poète 15 , <strong>et</strong> en 1985, quand six autres ontété reproduites avec les précé<strong>de</strong>ntes dans l’album <strong>de</strong>l’exposition du Musée Masséna, <strong>Le</strong>s Fleurs <strong>de</strong>Rancher 16 .Enfin, l’apport <strong>de</strong> l’architecte <strong>et</strong> aquarelliste PaulTrachel est plus mo<strong>de</strong>ste, mais se rattache égalementà une étape importante <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s l<strong>et</strong>tres d’oc<strong>de</strong> <strong>Nice</strong>, l’essai <strong>de</strong> renaissance théâtrale que l’on doità Juli Eynaudi (1871-1948). Ce <strong>de</strong>rnier, qui a crééson Cagancio en 1901 <strong>et</strong> a publié Lou Terno en 1905,fait appel au fils d’Antoine pour illustrer sa troisièmecomédie nissar<strong>de</strong>, Misè Pounchoun 17 , parue en encartdans le numéro <strong>de</strong> 1910 <strong>de</strong> son Armanac niçart. Ses165


trois <strong>de</strong>ssins 18 ont une valeur plus symboliquequ’esthétique, <strong>et</strong> expriment le souhait du dramaturge<strong>de</strong> rattacher <strong>ses</strong> créations à la floraison littéraire du19 e siècle. En eff<strong>et</strong>, la première livraison <strong>de</strong>l’Armanac niçart, en 1903, contenait <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong>Rancher, d’Emanuel <strong>et</strong> <strong>de</strong> Guisol ainsi qu’unelongue étu<strong>de</strong> sur celui-ci, débouchant sur le souhaitque renaissent les Jeunes Amateurs :Siéu segur que se si faguesse una tentativa per remontalou Teatre Niçart d’aloura, lu fervent - n’i a touplen -anerïon nombrous coum’au bèu tems passat lu nouostrepaire au teatrin <strong>de</strong> la Salla Apollon. 19Je suis sûr que si l’on faisait une tentative pour remonter leThéâtre <strong>Nissart</strong> d’alors, les fervents - il y en a beaucoup -viendraient nombreux, comme au bon vieux temps nos pèresallaient au p<strong>et</strong>it théâtre <strong>de</strong> la Salle Apollon.Or, l’engagement félibréen d’Eynaudi <strong>et</strong> sonadoption <strong>de</strong> la graphie mistralienne ont faitcontester <strong>ses</strong> réalisations par <strong>de</strong>s Niçoisparticularistes farouchement attachés à la graphieitalianisante <strong>de</strong> Rancher, tel Jules Bessi (1844-1908).On peut supposer que la signature d’un Trachel<strong>de</strong>vait servir <strong>de</strong> gage <strong>de</strong> fidélité à la traditiondramatique locale 20 .Mais comment définir ce que les Trachel ontapporté à la littérature dialectale <strong>de</strong> <strong>Nice</strong> autrementque par c<strong>et</strong>te permanence <strong>de</strong> près <strong>de</strong> soixante ans ?EsthétiqueAntoine <strong>et</strong> Paul fournissent <strong>de</strong>s illustrations<strong>de</strong>stinées à accompagner la lecture <strong>de</strong>s textes. Enrevanche, si les lithographies d’Hercule semblentobéir à la même fonction, il est permis <strong>de</strong> lesconsidérer aussi comme <strong>de</strong>s témoignages sur lesreprésentations <strong>de</strong>s Jeunes Amateurs. En eff<strong>et</strong>, l’aîné<strong>de</strong>s Trachel <strong>de</strong>vait probablement faire office <strong>de</strong>décorateur, comme il le ferait au Teatrino Martiniano<strong>et</strong> au Théâtre Royal, car « pèr quauqui <strong>ses</strong>oun,s’encarguèt tambèn <strong>de</strong> broussar lu <strong>de</strong>cor dóu GranTeatre » 21 (pendant quelques saisons il se chargeaégalement <strong>de</strong> brosser les décors du Grand Théâtre).<strong>Le</strong>s lithographies <strong>de</strong> L’Amour d’un bouon <strong>Nissart</strong>reproduisent à l’évi<strong>de</strong>nce une scène <strong>de</strong> théâtre <strong>et</strong>correspon<strong>de</strong>nt très fidèlement aux didascalies ainsiqu’au contenu <strong>de</strong>s dialogues. Celle du Mariage <strong>de</strong>conveniensa fournit une reproduction <strong>de</strong> l’extrémitéest du cours Saleya où se situe l’action <strong>de</strong> la comédie.On reconnaît la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> L’Oste <strong>de</strong>i Dama, la porteperm<strong>et</strong>tant d’accé<strong>de</strong>r à la Marina <strong>et</strong> au centre lecélèbre monument dédié par les serruriers à Charles-Félix. Sur l’ensemble <strong>de</strong> ce paysage familier auxNiçois veille la silhou<strong>et</strong>te ventrue <strong>et</strong> rassurante <strong>de</strong> latour Bellanda.Chaque fois, les fonds <strong>de</strong>s lithographies sontdésignés comme <strong>de</strong>s toiles <strong>de</strong> fond <strong>de</strong> théâtre par un<strong>de</strong>ssin maigre <strong>et</strong> purement linéaire s’opposant au272 Hercule TRACHELLou Mariage <strong>de</strong> conveniensa, <strong>de</strong>rnière scèneGravure166


comique : Victor stupéfait lève les bras au ciel,bouche bée <strong>et</strong> les yeux ronds, Trimidor pris sur lefait lâche le couteau dont il menaçait Anaïs. Enoutre, les personnages sympathiques ontuniformément <strong>de</strong> doux visages inclinés sur le côté,auxquels s’opposent l’inflexible verticalité <strong>et</strong> lalai<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l’ignoble Trimidor. Enfin, la mise enscène <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> comédiens n’appelle pas <strong>de</strong>commentaire particulier : elle est souvent fondée surune symétrie assez monotone. <strong>Le</strong> conventionnalismegénéral qui se dégage <strong>de</strong> ces images correspond assezbien à celui <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> Guisol <strong>et</strong> laisse imaginercelui <strong>de</strong>s représentations.273 Hercule TRACHELAlte la ! malerousGravur<strong>et</strong>rait accusé <strong>et</strong> à la coloration en noir ou gris <strong>de</strong>sacteurs dont le relief est ainsi souligné <strong>et</strong> dont lesombres sont bien visibles. Il en va <strong>de</strong> même, sur lalithographie du Mariage <strong>de</strong> conveniensa, pour lesarbres encadrant la scène <strong>et</strong> pour le monument <strong>de</strong>sserruriers : on est invité à les considérer comme <strong>de</strong>séléments <strong>de</strong> décor.En ce qui concerne la représentation <strong>de</strong>spersonnages, il est bien sûr difficile <strong>de</strong> distinguer cequi relève du co<strong>de</strong> expressif propre au <strong>de</strong>ssinateur <strong>de</strong>ce qui reproduit le jeu <strong>de</strong>s interprètes. Mais il estimpossible que celui-ci n’ait pas influencé celui-làchez un artiste qui était lui-même comédien. DansLou Mariage <strong>de</strong> conveniensa, pièce comique, ondécouvre ainsi une gestuelle <strong>et</strong> <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong>physionomie simplistes <strong>et</strong> fortement accusés, commel’étonnement traduit par <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s qui tombent <strong>de</strong>smains ou par un lorgnon que l’on ajuste. Mêmeexpressionnisme au niveau <strong>de</strong> vêtements qui sontvoulus comme ridicules : couvre-chefs difformes,cols extravagants, redingotes froissées. Du point <strong>de</strong>vue pictural, l’ensemble révèle chez l’illustrateur uncertain sens <strong>de</strong> la caricature qui réapparaît sur leri<strong>de</strong>au du Teatrino Martiniano avec le visage jovial <strong>de</strong>Martin <strong>et</strong> la scène <strong>de</strong> merenda animant joyeusementle cadre lumineux du bas-Cimiez. Ce paysage, qui au19 e siècle a également inspiré le peintre Guiaud, secaractérise par une indécision <strong>de</strong>s contours, un flou<strong>de</strong>s lointains conférant (s’ils ne sont pas dus à ladégradation du tissu !) une indéfinissable poésie aupanorama <strong>de</strong> la campagne niçoise <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Baie <strong>de</strong>sAnges. <strong>Le</strong>s illustrations <strong>de</strong> L’Amour d’un bouon<strong>Nissart</strong>, pièce sérieuse, montrent le réalismescrupuleux <strong>de</strong>s costumes <strong>de</strong>s interprètes : hauts-<strong>de</strong>forme,redingotes, pantalons à sous-pieds pour leshommes, robes à crinoline <strong>et</strong> châles pour lesfemmes. Elles révèlent <strong>de</strong> plus un jeumélodramatique tout aussi convenu que le jeuEn revanche, les trois illustrations <strong>de</strong> PaulTrachel n’ont pas d’intérêt documentaire du point<strong>de</strong> vue dramaturgique, la pièce n’ayant jamais étécréée. <strong>Le</strong> portrait <strong>de</strong> femme au cairèu suggèresimplement une composition pour l’éventuelleinterprète du rôle éponyme. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux paysages nepeuvent servir <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s <strong>de</strong> décor, l’action sedéroulant intégralement à l’intérieur d’unappartement du Mascoïnat. Ils renvoient à la rigueurà certains passages <strong>de</strong>s dialogues. La Marina <strong>et</strong> lesménagères attroupées <strong>de</strong>vant une boutiquepourraient correspondre à l’intention <strong>de</strong> MisèPounchoun d’« anar faire un tour au Cours » 22 (allerfaire un tour au marché) ; le linge <strong>de</strong>s bugadieraétendu dans le lit du Paillon rappelle que laprotagoniste assume tous les travaux domestiques :« couïna, linjaria, bugada o bugadoun » 23 (cuisine,lingerie, lessive gran<strong>de</strong> ou p<strong>et</strong>ite). Ces <strong>de</strong>ssinsexécutés sans gran<strong>de</strong> originalité donnent au lecteurl’impression qu’il se dégage <strong>de</strong> l’unité <strong>de</strong> lieu <strong>et</strong>agrémentent l’ouvrage d’une touche <strong>de</strong> couleurlocale.274 Paul TRACHELLa Marina, <strong>Nice</strong>Gravure167


275 Antoine TRACHELLa chute <strong>de</strong>s marguilliers dans le tombeauEncre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépiaEn tant qu’illustrateur <strong>de</strong> La Nemaïda <strong>de</strong> Rancher,Antoine Trachel est autrement intéressant.Certes, il est capable d’atteindre le pathétique enreprésentant le tendre Lubin aux pieds <strong>de</strong> la douceCourina en larmes, mais il révèle la plupart du tempsun tempérament aussi malicieux que celui du poète.Ainsi, le non-dit grivois <strong>de</strong> la fin du chant V luisuggère-t-il une représentation <strong>de</strong> la chambrenuptiale fondée sur le non-montré. Cependant, leplus souvent, il préfère donner libre cours à satruculence. Très sensible à l’inspiration carnavalesquedu poème, il excelle à montrer l’ivresse <strong>de</strong> Nem <strong>et</strong> <strong>de</strong>don Sabin, les aventures malodorantes <strong>de</strong> Parpagnaca<strong>et</strong> <strong>de</strong> Signa Poncion, le rassemblement <strong>de</strong>s partisans<strong>de</strong> Nem ou, au dénouement, la chute <strong>de</strong>s marguilliersdans le tombeau. Il manifeste alors un incontestabl<strong>et</strong>alent <strong>de</strong> caricaturiste <strong>et</strong> accumule <strong>de</strong>s visagesgrotesques, déformés par les bâillements, l’ivresse oula terreur, qui ne sont pas sans rappeler certains<strong>de</strong>ssins-charges <strong>de</strong> Victor Hugo. Il se surpasse encroquant Nem, dont il fait un personnage énorme,lippu, paillard, gaillard <strong>et</strong> madré. L’on songe presquealors à Gustave Doré illustrant Rabelais.276 Antoine TRACHELNem <strong>et</strong> Lubin <strong>de</strong>visant entre les murs du Vieuxchemin <strong>de</strong> CimiezEncre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépia277 Antoine TRACHELNemEncre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépia278 Antoine TRACHELBoucharla rue du MascoïnatEncre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépia168


279 Antoine TRACHELBertin pourchassé par les paysans à travers le Prat Cougn<strong>et</strong> - Encre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépiaPlusieurs <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ssins représentent également<strong>de</strong>s paysages bien précis. Quand ils r<strong>et</strong>ournent enville, Nem <strong>et</strong> Lubin nous apparaissent <strong>de</strong>visant entreles murs du Vieux Chemin <strong>de</strong> Cimiez. Si Rancherécrit que Nem est droit comme un échalas sur uncoin <strong>de</strong> rue (« Dreç com’un scarasson soubre lacantonada »), Antoine le poste à l’entrée duMascoïnat. Boufiga <strong>de</strong>scend-il du cim<strong>et</strong>ière d’enCastèu où il a participé à un enterrement ? Nous levoyons rue du Château. Grâce à ces <strong>de</strong>ssins, lafiction s’ancre dans une réalité géographique niçoiseque les vers <strong>de</strong> Rancher suggérent à peine 24 . Mais,fidèle à l’esprit ranchérien, Antoine offre <strong>de</strong> ces lieuxune vision qui tranche avec l’image qu’en donnentles paysagistes traditionnels <strong>et</strong> les marque <strong>de</strong>sexploits canavalesques <strong>de</strong>s personnages. À travers leprat <strong>de</strong> Cougn<strong>et</strong>, <strong>de</strong>vant le superbe panorama <strong>de</strong> laville, du château <strong>et</strong> du Mont-Alban surmonté <strong>de</strong> sonfort, Bertin pourchassé par <strong>de</strong>s paysans s’enfuit sousune pluie <strong>de</strong> tomates pourries, <strong>de</strong> mottes <strong>de</strong> terre <strong>et</strong><strong>de</strong> trognons <strong>de</strong> légumes. Sur la place du monastère<strong>de</strong> Cimiez, au pied <strong>de</strong> la célèbre croix séraphique,Nem en galante compagnie trinque avec Lubin, aumilieu <strong>de</strong> la foule <strong>de</strong>s festinié à laquelle mendiants <strong>et</strong>280 Antoine TRACHELAu Festin <strong>de</strong> Cimiez, Nem trinque avec Lubin - Encre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépia169


estropiés donnent un p<strong>et</strong>it air <strong>de</strong> cour <strong>de</strong>s miracles.<strong>Le</strong> centre <strong>de</strong> la vie mondaine niçoise au 19 e siècle, lecours Saleya, sert <strong>de</strong> cadre à l’affrontement <strong>de</strong>sarmées héroï-comiques en prélu<strong>de</strong> duquel Blanchinadénu<strong>de</strong> <strong>et</strong> châtie sans pitié la « coufa immensa » <strong>de</strong>Rougiassa. Chez Hercule Trachel, le chiffre <strong>de</strong>Charles-Félix était le témoin du ridicule cortège duMariage <strong>de</strong> conveniensa. Chez Antoine, grâce à unanachronisme peut-être involontaire 25 , le monogrammedu roi <strong>de</strong> Sardaigne surplombe le plus carnavalesque<strong>et</strong> le plus gaulois <strong>de</strong>s combats.Il faut bien reconnaître qu’Antoine Trachel prend<strong>de</strong>s libertés avec la perspective <strong>et</strong> les proportions.Mais ces audacieu<strong>ses</strong> maladres<strong>ses</strong>, qu’il ne se perm<strong>et</strong>pas dans le reste <strong>de</strong> son œuvre, caractérisent le stylecomique <strong>de</strong> ce faux naïf. Sa manière <strong>de</strong> traiter lesfoules, les personnages <strong>et</strong> les lieux <strong>de</strong> la ville ou <strong>de</strong>senvirons avec une feinte désinvolture dissimule un<strong>et</strong>echnique éprouvée. Soignant particulièrement lesombres <strong>et</strong> les lumières, il obtient <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>sd’éclairage parfois saisissants, comme dans ce <strong>de</strong>ssintiré d’un autre exemplaire <strong>de</strong> La Nemaïda que celuidu comte <strong>de</strong> Cessole. De même, chez lui les cadrages<strong>et</strong> la composition sont généralement irréprochables :le motif essentiel est presque toujours disposé selon laloi du nombre d’or <strong>et</strong> au besoin la contre-plongée lem<strong>et</strong> en valeur, comme dans l’illustration <strong>de</strong> la chute<strong>de</strong>s marguilliers dans le tombeau.Si Antoine Trachel s’est choisi en Rancher uninspirateur bien supérieur à Guisol, Emanuel <strong>et</strong>Eynaudi pour lesquels travaillent son frère <strong>et</strong> son fils,il lui a fallu être digne <strong>de</strong> son modèle, ce à quoi il estparvenu avec une apparente facilité.281 Antoine TRACHELBlanchina fesse la Rougiassa sur le Cours SaleyaEncre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépia282 Antoine TRACHELNem frappant à la porte d’une rue du Vieux-<strong>Nice</strong>Encre <strong>et</strong> lavis d'encre à la sépia170


Comme tous les illustrateurs, les Trachel fontdialoguer les textes <strong>et</strong> les images. D’abord surl’espace <strong>de</strong> la page. Inscrivant les fictions dans leslieux réels où elles sont censées se dérouler, ilsinscrivent simultanément les lieux dans les textes, enparticulier Hercule <strong>et</strong> Antoine qui légen<strong>de</strong>nt leurs<strong>de</strong>ssins avec les vers qui les ont inspirés. De là, larelation se poursuit dans l’espace imaginaire où lelecteur visualise les fictions. La symbiose entre l<strong>et</strong>exte <strong>et</strong> l’image, à peine ébauchée avec les <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong>Paul, mais effective chez Hercule <strong>et</strong> généralisée parAntoine, anime les paysages, les théâtralise <strong>et</strong> lescarnavalise. Nés d’une interprétation individuelle <strong>de</strong>sœuvres, ceux <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ssins qui ont été publiés enorientent désormais les lectures, tout en modifiant laperception <strong>de</strong>s lieux réels représentés. D’oùl’émergence en chaque lecteur, grâce à l’artiste, d’unobj<strong>et</strong> mental nouveau, synthèse du texte, du <strong>de</strong>ssin <strong>et</strong>du réel : <strong>de</strong> même que Nem ne se conçoit plusmaintenant sans la trogne dont l’a pourvu AntoineTrachel, <strong>de</strong> même à l’image <strong>de</strong> la place Charles-Félixsont désormais associés certains affrontements hautsen couleur...L’empreinte <strong>de</strong>s Trachel marque aussi le travail<strong>de</strong>s créateurs qui leur ont succédé <strong>et</strong> ont recueilli leurhéritage. Hercule a été le professeur d’Alexis Mossa(1844-1927), qui a ensuite formé son propre filsGustave-Adolphe (1883-1<strong>97</strong>1) lequel, après avoirréalisé une extraordinaire œuvre d’aquarellistesymboliste, s’est tourné vers le théâtre dialectal. En1923, il adapte à la scène La Nemaïda, <strong>et</strong> certains <strong>de</strong>sdécors qu’il réalise alors ne sont autres que la mise entrois dimensions <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins d’Antoine Trachel.L’année suivante, répondant à une suggestion <strong>de</strong>Xavier Emanuel, p<strong>et</strong>it-fils d’Eugène, Mossa ressusciteMartin en fondant son Teatre <strong>de</strong> Barba Martin <strong>et</strong>réinterprète à sa manière le visage <strong>de</strong> la mascheranizzarda. Du fait <strong>de</strong> <strong>ses</strong> dons exceptionnels, ilpratique lui-même simultanément les formesd’expression littéraire <strong>et</strong> picturale. D’autres écrivainsdialectaux, par la suite, assurent c<strong>et</strong>te union enentr<strong>et</strong>enant <strong>de</strong>s relations privilégiées avec les peintreslocaux. Ainsi, par exemple, Francis Gag s’attachera-tiloccasionnellement la collaboration <strong>de</strong> RaymondMor<strong>et</strong>ti, <strong>de</strong> Raymond Peyn<strong>et</strong> ainsi que <strong>de</strong> quelquesautres, <strong>et</strong> plus durablement d’Emmanuel Bellini. Dece fait, le théâtre nissart s’est trouvé associé au fil <strong>de</strong>sans au figuratif <strong>de</strong>s paysagistes, à l’expressionnisme, àl’Art Déco, au cubisme, au naïf 26 ... Une habitu<strong>de</strong>, àchaque époque, d’échanges entre artistes, d’ouverturevers la mo<strong>de</strong>rnité <strong>et</strong> <strong>de</strong> renouvellement qui date <strong>de</strong>sTrachel, qui a contribué à faire la richesse <strong>de</strong>s l<strong>et</strong>tresd’oc <strong>de</strong> <strong>Nice</strong> <strong>et</strong> que l’on aimerait voir perdurer.Rémy GASIGLIANotes1. GUISOL (François), “La Mieù bïougraphia”, LaMensoneghiera, n° 15, 1er novembre 1868.2. SUPPO (Joseph), “<strong>Le</strong> Poète François Guisol, 1803-1874”,L’Eclaireur <strong>de</strong> <strong>Nice</strong>, 26 juill<strong>et</strong> 1908.3. Ibi<strong>de</strong>m.4. Peut-être Hippolyte Tibaud, né le 29 mai 1825, commis en1841 (cf. <strong>Le</strong>va militare, Archives municipales <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> <strong>Nice</strong>).5. GUISOL (François), Lou Mariage <strong>de</strong> conveniensa, coumedia en douiate e en vers nissart. Nissa, <strong>de</strong> la Sossi<strong>et</strong>à Tipografica, 1842, p. 46.6. Hors-texte, après les p. 8, 20, 46.7. GUISOL (François), Lou Dinà ridicul d’un proussès gagnat.Préface <strong>de</strong> C. Baudoin. <strong>Nice</strong>, Société Typographique,Imprimerie <strong>et</strong> lithographie A. Gil<strong>et</strong>ta, 1871. 30 p. Premièreédition dans le journal <strong>de</strong> Guisol, La Mensoneghiera, à partir dun° 19, dimanche 22 novembre 1868 (collection <strong>de</strong> laBibliothèque Nationale <strong>de</strong> France, information que nous<strong>de</strong>vons à M. Sylvain Amic).8. Peut-être le “scritturale” (employé aux écritures) FrançoisPierre Ammirati, né le 24 juin 1818.9. BAUDOIN (C.), “Préface”, op. cit., p.4.10. BEU (Aimée), “Un peu <strong>de</strong> biographie sur Paulin Broch”,manuscrit inédit, collection particulière. Nous respectons laforme originale du texte.11. M. Sylvain Amic a r<strong>et</strong>rouvé une l<strong>et</strong>tre envoyée par Guisol àHercule Trachel au moment du décès <strong>de</strong> Joseph Dabray, en 1855.12. GUISOL (François), Loisirs poétiques ou recueil <strong>de</strong> chansons,épîtres, épigrammes, <strong>et</strong>c. <strong>Nice</strong>, Imprimerie Canis frères, 1847,“Epitre a M. Giausè Dabray”, p. 90.13. Lou Presepi nissart, coumedia lirica en tré atte. <strong>Nice</strong>, LaCiamada nissarda, 1965, 24 p. <strong>Le</strong>s marionn<strong>et</strong>tes quiinterprètent c<strong>et</strong>te pastorale, appartenant à la Ciamada Nissarda,sont exposées au Musée Masséna, à <strong>Nice</strong>.14. Cf. dans le présent ouvrage, la biographie d’HerculeTrachel par M. Sylvain Amic.15. <strong>Le</strong>s Oeuvres <strong>de</strong> Rancher. La Nemaïda, La Mouostra raubada,Lou Fablié nissart. Publication spéciale <strong>de</strong> la Revue <strong>de</strong>s Languesromanes, Nîmes, 1954. Après les p. 88, 96, 112, 120.16. FOURNET (Clau<strong>de</strong>), FIGHIERA (Charles-Alexandre),VERAN (Danielle), <strong>Le</strong>s Fleurs <strong>de</strong> Rancher. <strong>Nice</strong>, MuséeMasséna, 1985.17. EYNAUDI (Juli), Misè Pounchoun, coumèdia niçarda en un atee en prosa. <strong>Le</strong>tra Prefaça <strong>de</strong> Jousè Giourdan, illustrationsoriginales <strong>de</strong> Paul Trachel. <strong>Nice</strong>, Imprimerie <strong>de</strong>s Alpes-Maritimes, 1910, 55 p.18. Hors-texte, après les p. 16, 32, 48.19. LA DIRECION, “François Guisol”, Armanac niçart, 1903,p. 112.20. Un autre gage <strong>de</strong> fidélité <strong>de</strong> ce genre apparaît au niveautextuel, dans une réplique citation, quand un personnage se ditdécidé à ne pas contracter “un mariage <strong>de</strong> conveniença” (scène12, p. 48).21. J.G., “Ercule Trachel”, Armanac niçart, 1909, p. 30.22. Op. cit, scène 1, p. 15.23. Ibi<strong>de</strong>m, p. 11.24. Cf. GASIGLIA (Rémy), “L’espace dans La Nemaïda <strong>et</strong> LaMouostra raubada <strong>de</strong> Joseph-Rosalin<strong>de</strong> Rancher (1785-1843)”,conférence donnée le 29 avril 19<strong>97</strong> à l’U.F.R. Espaces <strong>et</strong>Cultures <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> <strong>Nice</strong>-Sophia-Antipolis dans lecadre du cycle <strong>de</strong> conférences du Centre <strong>de</strong> NarratologieAppliquée. A paraître in Cahiers <strong>de</strong> Narratologie, C.N.A.,Association <strong>de</strong>s publications <strong>de</strong> la Faculté <strong>de</strong>s <strong>Le</strong>ttres, Arts <strong>et</strong>Sciences Humaines <strong>de</strong> <strong>Nice</strong>.25. Cf. GASIGLIA (Roger), “Promena<strong>de</strong> littéraire... « Sus louCours»”, <strong>Nice</strong> Historique, 19<strong>97</strong>, n° 3, p. 140, note 3.26. Cf. GASIGLIA (Rémy), <strong>Le</strong> Théâtre nissart aux 19e <strong>et</strong> XXèmesiècles. Étu<strong>de</strong> historique, dramaturgique <strong>et</strong> thématique d’unphénomène culturel <strong>de</strong> langue d’oc. Thèse d’Etat, Université <strong>de</strong><strong>Nice</strong>, 1994, tome II, p. 737-771.171

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