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TCHERNOBYL FOREVER / FRANÇAIS

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<strong>TCHERNOBYL</strong> / 1986 - 2016<br />

<strong>TCHERNOBYL</strong> <strong>FOREVER</strong><br />

CARNET DE VOYAGE EN ENFER<br />

Photographies et texte<br />

Alain-Gilles Bastide<br />

Avec l’amicale participation<br />

de<br />

Youri Bandajevski<br />

Photographisme-Photomorphisme


Tchernobyl forever<br />

LA Poupée Atomique


Une si belle journée …<br />

La journée est ensoleillée. La pierre dort de son sommeil de pierre. Le monde se tient dans son indifférence<br />

coutumière. Un homme vieillissant médite sa mort promise. Il vient de palper sa cinquantaine<br />

et il se dit qu’il n’y a, de plus en plus, plus de temps à perdre : il en sourit de se dire ça parce ce que<br />

c’est une évidence ! Une évidence depuis sa naissance qu’il aura mis cinquante cinq balais à assimiler.<br />

Jamais trop tard pour bien faire. Fût-ce pour faire un enfant ou laisser un enfant le faire. Bref,<br />

l’heureux jeune homme vieillissant s’abandonne aux premiers rayons de soleil de l’été naissant. Et<br />

puis soudain, allez savoir pour quoi : Tchernobyl … Oui, mais non … la mort, la pensée de sa mort<br />

heureuse … Oui mais non... Tchernobyl, revers de sa pensée heureuse, donc pensée malheureuse !<br />

La mort lui échappe… Il croyait – jouissance du soleil aidant – avoir fait son affaire de se considérer<br />

comme une denrée périssable. Il pensait dans une intime et sereine conviction, pouvoir se la jouer<br />

perso, dans le registre plutôt joyeux et commun de son passage sur terre comme un tour de manège !<br />

Tchernobyl ! Sa pensée dérape… Il ne s’agit plus de lui, de vous, des autres … C’est de l’espèce qu’il<br />

se sent saisi … De cette putain d’espèce humaine ! Il en est ! Elle l’étouffe, l’oppresse et l’anéantit:<br />

l’espèce humaine qui ne réalise pas que Tchernobyl est l’acte premier de SON SUICIDE !<br />

Jean-Pierre Dupuy 20 juin 2014.<br />

<strong>TCHERNOBYL</strong> <strong>FOREVER</strong>. Compte-rendu de lecture.


Photogramme - Simulation de l’explosion<br />

Survol du réacteur N°4 explosé - Anonyme<br />

<strong>TCHERNOBYL</strong> - Ukraine - 26 avril 1986 - 1h 23 AM<br />

En voulant tester la possibilité d’une production supplémentaire d’énergie en cas d’arrêt d’urgence<br />

d’un réacteur, des apprentis sorciers du nucléaire font exploser le réacteur N°4 de la<br />

Nuclear Power Plant de Tchernobyl.<br />

À 1H 23 minutes 49 secondes l’expérience tourne mal et<br />

BOUM !!!<br />

La vieille expérience de l’homme, sa culture et sa philosophie, son système de représentation,<br />

tous ses sens ont été pris de court par Tchernobyl. Les conséquences moléculaires,<br />

physiques et psychiques de l’explosion, ont fait basculer l’humanité dans un autre monde.<br />

(...) Avec mon collègue Legassov<br />

on a survolé le réacteur en hélicoptère<br />

et ma première réaction a été<br />

la suivante: «Si comme le disent<br />

les croyants l’Enfer existe, je peux<br />

dire qu’il est là sous mes yeux» (...)<br />

Le monde ancien n’existait plus. Nous étions tous devenus des Tchernobyliens.<br />

Vassili Nesterenko


On voudrait croire que cela est arrivé il y a très longtemps.<br />

Mais ce n’est pas vrai. Cela ne fait que commencer.


La première mission des soldats de l’Armée mobilisée sur la catastrophe<br />

était de récupérer toutes les photographies, ou les films, que les<br />

gens auraient pu faire de l’explosion et des évènements qui l’ont suivie.<br />

Films, appareils photographiques, caméras, tout était confisqué et/ou<br />

détruit. Ce n’est pas un détail anodin. Les soldats ne faisaient qu’obéir<br />

aux ordres de généraux étoilés et autres chefs suprêmes de l’URSS,<br />

qui ont, eux, défini des objectifs et une stratégie pour les atteindre.<br />

C’est l’acte numéro un de la guerre.<br />

<strong>TCHERNOBYL</strong> <strong>FOREVER</strong><br />

Pendant ce voyage d’images en territoires radioactifs, je vais essayer de vous faire voir l’invisible à vous aussi. Dans<br />

le silence des images, je vais vous raconter des histoires vraies de Tchernobyl.<br />

Ce sont des histoires à la mémoire de tous ceux qui ont été, -ou qui se sont sacrifiés en connaissance de cause-,<br />

pour tenter de circonscrire le sinistre. Des histoires à la Mémoire des pompiers de la première heure et de tous<br />

les «Liquidateurs», qui ont ramassé les gravats de l’apocalypse et construit un «sarcophage» pour les y enfermer.<br />

Ils sont des Héros de l’humanité.<br />

Sans eux nous vivrions très probablement dans les 2/3 de l’Europe, comme les 9 millions de cobayes humains qui survivent encore<br />

aujourd’hui dans le «Laboratoire de l’enfer», encore appelé le «Triangle de la Mort».<br />

Interdit de mémoire<br />

Essayons d’imaginer un instant la surprise, le désarroi, l’incompréhension<br />

de tous ces gens, de toutes ces familles, face à des militaires<br />

anxieux qui veulent, en premier lieu, confisquer et détruire leurs photos<br />

souvenirs et les empêcher d’en faire d’autres.<br />

...<br />

L’armée a réussi. La mémoire a été confisquée. Il n’y aura pas, ou<br />

très très peu d’images de l’exode atomique, des files interminables<br />

de milliers de bus et de camions, de convois militaires, de trains et<br />

de bateaux. Aucune, ou très très peu d’images de l’évacuation des<br />

populations. Ni de l’acheminement des centaines de milliers d’ouvriers<br />

et de soldats. Pas davantage de la mise en oeuvre des dizaines de<br />

milliers de tonnes de fer, de sable, de ciment, transportés dans la zone<br />

pour construire le plus gigantesque et dérisoire sarcophage du monde.<br />

Il faut mettre Tchernobyl hors-la-vue.<br />

Pas d’images de cette folie. Elles seraient un danger pour la santé<br />

mentale des populations. Et pour le pouvoir atomique.<br />

Alors je me suis dit que s’il n’y avait pas d’images du passé, il y<br />

en avait peut-être du futur.


«Ferme les lucarnes et recouche-toi !<br />

Il y a un incendie à la centrale. Je serai vite de retour ...»<br />

C’est ce que dit le pompier Chichenok à sa femme Elena, quand à 1H30 de la nuit du 26 avril,<br />

il est appelé au feu.<br />

(...) Ils étaient partis comme ils étaient, en chemise, sans leurs tenues de prélart * personne<br />

ne les avait prévenus. On les avait appelés comme pour un incendie ordinaire. (…) ** raconte<br />

Elena ...<br />

Quelques-uns sont montés avec lui sur ce qui restait du toit de la centrale, pour éviter que le<br />

bitume qui la recouvrait ne prenne feu. Il faisait très très chaud. Le bitume commençait à brûler.<br />

Avec leurs pieds, ils repoussaient dans le trou béant du réacteur explosé, des morceaux de<br />

barres de graphite éparpillés. Aucun compteur ne pouvait ici mesurer les radiations. Ici, on ne<br />

peut rester ni une seconde, ni une fraction de seconde. L’homme n’a tout simplement pas le<br />

droit d’être là.<br />

Ils lutteront toute la nuit. Pendant 5 heures, jusqu’au bout de la vie. À 7h du matin<br />

ils sont transportés à l’hôpital ultra-moderne de Pripyat. Ils sont noirs. Comme du bois brûlé.<br />

Carbonisés de l’intérieur. Boursoufflés. On voit à peine leurs yeux. Epuisés mais conscients.<br />

La radiation qu’ils portent en eux bloque tous les compteurs. Ce sont des piles, ou plutôt, des<br />

déchets atomiques. Ils sont transférés en urgence absolue à Moscou, à l’hôpital N°6, rue Chtchoukinskaïa,<br />

où ils mourront tous, bien sûr, en secret et sous observation, en quelques<br />

heures et quelques jours.<br />

Ils sont les premiers cobayes extrêmes plongés dans le feu atomique. Ils sont les premiers soldats-pompiers<br />

sacrifiés de Tchernobyl, Héros du Monde. Ils ont évité que le feu ne se propage<br />

aux autres réacteurs, empêchant ainsi un sur-désastre certain, un catastrophe atomique aux<br />

conséquences monstrueuses.<br />

* Prélart: Grosse toile imperméabilisée servant à protéger des intempéries les dromes et les embarcations d’un navire, le<br />

chargement d’un véhicule, les marchandises déposées en tas, etc.<br />

**«La supplication. Tchernobyl chroniques après l’apocalypse» Svetlana Alexievitch


Kiev . Ukraine . 7H AM.<br />

Une trentaine de participants à la 1ère Université<br />

d’été de Tchernobyl (Kiev, Ukraine - 22 au 28 août<br />

2005), étudiants, conférenciers et organisateurs<br />

montent dans le bus affrété par l’agence d’État<br />

(Chernobyl lnter Inform à Kiev) qui gère les visites<br />

sur la zone de la catastrophe.<br />

Infographie: Javier Sicilia<br />

Source: ONU<br />

Le silence est bien sûr particulier.<br />

Exactement comme le montre la photo. Je me<br />

dis que l’on est sur la bonne voie puisque l’on va<br />

essayer de photographier ce qui ne se laisse pas<br />

voir.<br />

Le chauffeur informe du départ imminent<br />

pour la zone d’apocalypse.<br />

Et rassure tout le monde en annonçant que l’on<br />

s’arrêtera pour prendre un café. Sur la route.


132 kms* de route rectiligne et de forêts interminables, vides<br />

et silencieuses. Et le ronronnement du moteur. Par moments la<br />

route s’anime un peu et se laisse imaginer comme elle était début<br />

1986, séculairement réglée, et libre de vivre avec la nature.<br />

Quand l’absence devient image<br />

On croise quelques lourdes charrettes de bois, montées sur un<br />

essieu de voiture, avec des grosses roues à pneus, tirées par<br />

des chevaux. À l’orée du bois, des paysans proposent leurs récoltes<br />

de champignons. Il y en a des toutes sortes, gros, colorés,<br />

resplendissants. Les giroles sont comme des taches de soleil.<br />

Au bord de la route les enfants nous font des signes de la main.<br />

Avec un grand sourire.<br />

Un peu plus loin, le 27 avril 1986, nous sommes arrêtés par<br />

un gigantesque embouteillage de camions et de tanks. Ils se<br />

dirigent tous vers la centrale. Descendus de leurs véhicules, les<br />

gens s’agitent, nerveux, pressés, fébriles, comme ne sachant<br />

pas vraiment que faire, tétanisés, pétrifiés. Certains, dans des<br />

combinaisons blanches, masqués, ressemblent à des personnages<br />

de la guerre des étoiles.<br />

Nous sommes arrêtés pour laisser passer une file infinie de<br />

bus, qui allait en sens contraire, vers Kiev. Plusieurs centaines.<br />

Les premiers sont remplis d’enfants. D’autres suivent avec des<br />

mères paniquées, qui s’accrochent aux vitres essayant de ne<br />

pas perdre de vue leur progéniture.<br />

On peut lire sur leurs visages une interrogation à laquelle personne<br />

ne peut répondre, le désarroi, l’incompréhension... et non<br />

pas la peur, mais, dans les yeux, l’effroi.<br />

Un effroi qui a effrité mon mirage. Nous avions avancé d’une<br />

cinquantaine de kilomètres. La route était toujours droite. Et vide.<br />

* Flight distance (straight line) 93 km<br />

Photogramme - Reportage sur Tchernobyl - ARTE


Contrôle<br />

pour l’entrée dans le périmètre de sécurité, presque entièrement<br />

évacué. Les passagers qui, la veille, s’étaient préparés<br />

à «l’excursion» avec trop de bière et de vodka ont un peu de<br />

mal à descendre du bus.<br />

Respirons un grand coup...<br />

Tranquille. La zone d’exclusion, un grand cercle de 30 km<br />

de rayon autour du réacteur explosé, est encore à une petite<br />

heure de route.<br />

Tout ce que nous avions appris sur Tchernobyl nourrissait<br />

notre imagination, et nos inquiétudes. Les dosimètres réagissaient<br />

de temps en temps. Mais rien de grave paraît-il,<br />

quand on ne fait que passer sans rester trop longtemps.<br />

Un autochtone m’explique :<br />

«Ici on lavait tous les véhicules qui sortaient de la zone. Dans la<br />

cabane, là-bas, ce sont les hommes que l’on lavait. Il fallait souvent<br />

les laver plusieurs fois avant de les laisser passer. Et puis<br />

de toutes façons on les laissait sortir malgré l’avis contraire de<br />

la machine. Cette unité est encore en service, mais maintenant<br />

on mesure seulement, on ne lave plus. Sauf si c’est vraiment<br />

nécessaire. On vous le dira à votre retour» ...<br />

On termine notre premier café atomique et on remonte dans le<br />

bus. Allez ! On va d’abord visiter la NPP (Nuclear Power Plant de<br />

Tchernobyl), vitrine et orgueil de l’industrie atomique de l’URSS.<br />

À Pripyat, le lendemain de l’explosion, la population recevait<br />

encore sans le savoir, des centaines de fois la dose de<br />

radiation maximale autorisée. Les autorités, paniquées ellesmêmes,<br />

mentaient délibérément pour éviter la folie générale.<br />

La décision première d’évacuer la population a été suspendue<br />

dans ce but. Toutes les initiatives spontanées, des<br />

autorités locales et des habitants, pour protéger les enfants<br />

étaient bloquées par le commandement général. Il était dit<br />

que, par prudence il fallait garder les enfants à l’école, qu’il<br />

ne fallait pas les laisser sortir, ni sans surveillance.<br />

Et puis surtout ne pas oublier de fermer les fenêtres, et de<br />

laver les sols.<br />

Sinon, pas de panique, tout va bien !<br />

Pendant ce temps la ville était investie par la police et par<br />

l’armée.


Nous ne nous arrêterons pas sur le site de Tchernobyl 2 que l’on aperçoit sur notre<br />

gauche. Le chauffeur du bus ne ralentit même pas. Ce sont les antennes du Duga-3.<br />

La petite (90 m de haut / 250 m. de large) a déjà été démontée par les trafiquants de<br />

l’acier irradié. (Voir LA ZONE de Guillaume Herbaut). La grande (150 m de haut / 400<br />

m de large) est encore là, à l’écoute de messages qu’elle ne peut plus entendre.<br />

L’apparition de ces antennes au milieu de la forêt, a l’effet de relativiser les dimensions.<br />

Pour ceux qui en doutaient encore, nous entrons dans le gigantesque. Le démesuré.<br />

Nous venons de pénétrer dans le cœur de la zone de guerre.<br />

Une guerre d’un genre jamais vu, où il est impossible de se mettre à l’abri des balles<br />

invisibles d’un ennemi invisible. Aucun refuge: ni sur terre, ni sur l’eau, ni dans les airs.<br />

La doctrine militaire mondiale qui régissait la guerre, quand les antennes du Duga-3<br />

ont été construites (1960), était celle de la «guerre froide». C’était le M.A.D. (Mutual<br />

Assured Destruction). En langage clair, cela veut dire que le premier des belligérants<br />

qui utilisera la bombe atomique en recevra d’autres en retour. Nous sommes dans une<br />

doctrine dissuasive, pour que le monde ne soit pas, consciemment et mutuellement<br />

détruit. MAD, en anglais, veut dire FOU.<br />

L’écroulement de l’URSS, 5 ans à peine après Tchernobyl, a appelé à un changement<br />

de doctrine militaire. La nouvelle, celle qui régit le monde aujourd’hui, est la N.U.T.S<br />

(Nuclear Utilisation Target Strategy). L’arme nucléaire peut être utilisée par les pays<br />

qui la possèdent, sur des cibles stratégiques. La doctrine est devenue offensive. En<br />

clair une puissance se donne le droit d’utiliser l’arme atomique, sur des cibles qu’elle<br />

considèrera, elle, stratégiques. NUTS, en anglais, veut dire CINGLÉ .<br />

En rentrant dans la NPP, pour les dernières encablures qui nous séparent du point-zéro du désastre,<br />

le démesuré se confirme. Pour imaginer l’échelle, je vous propose de mettre un Schtroumpf<br />

(Peyo) dans une raffinerie de pétrole. Cela nous donne l’échelle d’un homme dans cette raffinerie<br />

atomique à l’abandon dans laquelle nous nous trouvons. Dans cet enchevêtrement de tuyaux<br />

géants, rouillés et rapiécés, si l’on reste un instant dans l’analogie de la bande-dessinée, on<br />

pense forcément à la voiture et aux installations expérimentales de Gaston Lagaffe. (Franquin)<br />

Si, tout à coup, la bande à Mad Max (James Mc Causland / George Miller ) surgissait pour arraisonner<br />

notre bus, nous n’en serions pas plus étonnés. Science !? Fiction !?


Le monstre est là. Au milieu du Monde. Quand on le connaît un peu, on sait qu’il faut<br />

s’en approcher doucement. Il peut se réveiller à tout moment. Au pied du réacteur dissimulé aux<br />

regards, nos narines sont sèches et un goût de métal s’installe dans la gorge. La bête est blessée,<br />

mais vivante. Elle ronfle. Ou elle râle. Elle mange le béton qui l’empêche de voir le ciel. Elle rugit<br />

des fois. Elle irradie toujours. Elle consume sa pierre tombale de l’intérieur. Elle est indestructible.<br />

Et il n’y a rien de pire, paraît-il, qu’une bête indestructible blessée.<br />

Les quelques images de sa construction, vues et revues pendant ma préparation à ce rendezvous,<br />

défilent dans ma tête. Après les premiers pompiers, 800.000 hommes travailleront ici pour<br />

construire ce sarcophage et essayer de nettoyer les zones les plus contaminées. Huit cent mille<br />

soldats ! On les avait surnommés les «petits robots verts»; réquisitionnés et sciemment sacrifiés<br />

par l’Armée de l’URSS et le lobby international de l’atome. Ils étaient là pour tenter de liquider<br />

Tchernobyl.<br />

On les appelle les «LIQUIDATEURS». Ils ont été acheminés des 4 coins de l’URSS. Ouvriers<br />

du bâtiment, ingénieurs, pilotes d’hélicoptères, marins, chauffeurs de camions et de trains,<br />

mineurs, hommes grenouilles, cantiniers et putains ... Ils resteront sur les lieux quelques minutes,<br />

quelques heures, quelques jours ou quelques mois selon les zones d’interventions pour les taches<br />

qui leur auront été allouées. Puis ils seront renvoyés à l’oubli, au fin fond de leur campagne, pour<br />

y mourir invisibles. Des centaines sont morts en quelques mois après leur séjour en apocalypse.<br />

Dans les années suivantes des dizaines de milliers les suivront. 20 ans après la catastrophe, au<br />

moins 350.000 ne sont plus de ce monde. Et les autres continuent de mourir.<br />

Nous savons ce que cache ce sarcophage, mais pas ce qu’il contient. Deux théories s’affrontent<br />

au sujet de ce qui reste de combustible atomique, dans cet enchevêtrement de gravats hautement<br />

radioactifs que personne ne peut explorer précisément. Une centaine de tonnes, soit la majorité<br />

des 192 tonnes dont était chargé le réacteur au moment de l’expérience fatale ? Ou bien à peine<br />

quelques tonnes, voire quelques kilos, la totalité du combustible nucléaire se serait alors volatilisée<br />

lors de l’explosion ?<br />

SARCOPHAGE : Étymologiquement le tombeau dans lequel les anciens mettaient les corps qu’ils ne<br />

voulaient pas brûler, et qui était fait d’une pierre que l’on croyait avoir la propriété de consumer les corps. (...)<br />

Ici, à Tchernobyl, c’est le contraire qui se passe. C’est le corps, le défunt, qui consume<br />

son tombeau.


200 m2: C’est la surface cumulée des fissures de vieillissement du monument de béton. L’équivalent d’un<br />

énorme trou. Il y a bien le projet de construire un sarcophage au sarcophage. Mais l’argent alloué au projet<br />

disparaît systématiquement dans les méandres de la corruption. Et puis il est plus difficile de trouver des<br />

liquidateurs, ou des «volontaires» pour le chantier. Alors ? Tchernobyl ? Un problème du passé ? Un<br />

vrai cauchemar pour le futur ? Le responsable scientifique, Anatoli Alexandrov, avait déclaré que ce type<br />

de réacteur serait le plus sûr jamais construit. «On pourrait le bâtir sur la Place Rouge», disait-il. Il avait<br />

même prévu qu’un accident du type de celui qui s’est produit, n’avait, selon je ne sais quels savants calculs<br />

et secrètes données, qu’une chance sur 2.000.000 de se produire.<br />

Nous restons une quinzaine de minutes au chevet du malade ... Comme tous ceux qu’il a consumés, il se<br />

consume lui-même. Comme les dizaines de milliers d’hommes qui l’ont construit, il souffre de «vieillissement<br />

précoce», syndrome classique d’une trop grande exposition aux radiations. (Déjà observé dans les<br />

effets des bombes de Hiroshima et Nagasaki, sur les populations fortement exposées aux radiations). Les<br />

hommes en meurent dans une agonie abominable plus ou moins longue, de quelques heures à quelques<br />

années, mais toujours selon le même scénario.<br />

(...) « Les os étaient à nu. Tout son corps s’en allait. Le dos tout entier... L’os des hanches pouvait être<br />

touché avec la main. J’introduisais ma main couverte d’un gant pour désinfecter et j’extrayais de là... des<br />

reste d’os qui s’en allaient. De l’os décomposé, pourri. Il était conscient de tout. Il demandait seulement de<br />

mourir rapidement » (...) *«Le Sacrifice» Emanuela Andreoli et Wladimir Tchertkoff - Témoignage de Mme Saragovets,<br />

l’épouse du liquidateur Anatoli Saragovets, qui raconte ses derniers moments ...<br />

Mobilisés dans l’urgence, des centaines de mineurs ont été réquisitionnés dans toutes les régions minières<br />

de l’URSS, pour creuser, sous le réacteur qui avait explosé, un réseau de galeries. Il s’agissait d’y installer<br />

un système de réfrigération pour geler le sol avec de l’azote liquide, et éteindre définitivement l’incendie. Il<br />

fallait absolument empêcher que le combustible nucléaire en fusion, ne perce la dalle de béton sous le réacteur<br />

et ne pénètre dans les chambres sous-jacentes remplies d’eau. Il fallait aller vite, très vite. La cadence<br />

était infernale, la chaleur et la radioactivité aussi. Théoriquement chaque mineur, torse nu, sans masque, ne<br />

devait creuser que quelques minutes; puis repartir, en faisant le serment de ne raconter à personne ce qu’il<br />

avait vu, au fin fond de sa grande Russie, avec son carnet de santé faisant office de nouveau passeport .<br />

il était venu russe, il repart Tchernobylien.


Le Sarcophage est terminé. Les derniers Liquidateurs signent leur œuvre.<br />

Entre 600.000 et 1 million de «liquidateurs» ont travaillé à<br />

l’enterrement de Tchernobyl. Ils sont niés, hors suivi et hors statistiques, tant<br />

des pouvoirs locaux que de l’ONU, de l’OMS et de l’AIEA. Ils n’existent pas.<br />

Reconnaître qu’ils ont existé serait reconnaître qu’ils ont été sacrifiés. La décision<br />

de sacrifier les troupes avait été prise en haut lieu. La machinerie pour<br />

nettoyer n’existait pas. Les robots tombaient en panne. Alors ils ont inventé les<br />

robots-humains.<br />

Ils nettoyaient à mains nues les débris de l’explosion. Ils respiraient à pleins<br />

poumons la poussière de la terre qu’ils devaient enterrer. Oui vous avez bien lu.<br />

Enterrer la terre ! Sur de très grandes superficies, ils pelaient la campagne de la<br />

terre contaminée. Avec des pelles, des pioches, des tracteurs, ils constituaient<br />

de gros rouleaux de terre. Comme des rouleaux de gazon à dérouler dans le<br />

jardin, ou des rouleaux de moquettes. Pareil. Là, ce sont des rouleaux de terre,<br />

avec tout ce qu’elle contient de vie sur 20 cm d’épaisseur, qu’ils chargeaient sur<br />

des camions et transportaient dans de grands trous pour les enterrer. Surréaliste<br />

non !? Ils sciaient les arbres calcinés par l’atome, enveloppaient les troncs<br />

dans du plastique quand il y en avait de disponible, et puis les enterraient aussi.<br />

Le plus profond possible.<br />

Ils lavaient les maisons irradiées avec de l’eau qui l’était encore plus. Leurs<br />

troupes campaient dans des villages de tentes militaires, sur des sols déjà<br />

inhabitables. Ils arrosaient les routes pour y fixer les poussières de mort, et que<br />

passent les convois de petits hommes verts.<br />

25 ans après avoir été réquisitionnés pour une intervention en zones d’apocalypse,<br />

les survivants de ces liquidateurs et leurs familles, sont complètement<br />

abandonnés à eux-mêmes, éparpillés dans des campagnes dont on ne parle<br />

jamais, ces campagnes lointaines d’un Empire que l’atome a explosé. Ils ont<br />

sauvé le monde et le monde les a oubliés.<br />

Qui sont ceux qui les laissent si pitoyablement mourir ? Qui sont-ils, dans les<br />

rouages cyniques de l’oubli organisé, de l’effacement de la mémoire, ceux qui<br />

persistent à les nier ? Ceux qui ont pris la décision, depuis le début, de liquider<br />

les liquidateurs et leurs descendants.<br />

Ils n’avaient aucune protection.<br />

Ils enterraient des villages et des<br />

kolkhozes entiers, des centaines et des<br />

centaines. Avec des tanks transformés en<br />

bulldozers, ils faisaient des trous devant les<br />

maisons, puis les poussaient dedans, avec<br />

leur mobiliers et leurs souvenirs.<br />

Ils déplaçaient la population et le bétail.<br />

130.000 personnes évacuées. Ils avaient<br />

ordre de tuer les animaux domestiques, et<br />

d’organiser des battues pour achever ceux<br />

qui, surpris et méfiants, avaient préféré appliquer<br />

la stratégie de la fuite.<br />

Ils construisaient le sarcophage du<br />

réacteur éventré. Ils n’avaient aucune protection.<br />

Ni physique. Ni psychique. Quelquesuns<br />

criaient au dérisoire, hurlaient à l’inutile.<br />

Quelques autres au crime.<br />

Le foot-ball et la vodka les aidaient à tenir.


À côté du réacteur N°4, au moment<br />

de l’explosion, la construction<br />

du réacteur N°5 était déjà<br />

bien avancée. Je ne trouve pas<br />

les mots, ni les analogies spatiales<br />

pour en décrire la dimension.<br />

Il devait être le réacteur le<br />

plus grand, le plus puissant du<br />

Monde, le plus sûr probablement,<br />

le plus beau peut-être, le plus fort<br />

encore. Le plus « tout ».<br />

Malheureusement pour lui, il était<br />

aussi le plus près de l’épicentre<br />

de l’explosion. C’est sur lui que<br />

sont retombées les plus fortes<br />

concentrations de radionucléides.<br />

Aujourd’hui il n’est plus rien que<br />

le plus grand chantier abandonné<br />

du Monde.<br />

Le plus radioactif aussi.<br />

Après l’explosion, il avait été décidé de vidanger d’urgence le réservoir de stockage de<br />

l’eau de refroidissement du réacteur. Le combustible atomique en fusion ne devait en aucun<br />

cas entrer en contact avec cette réserve d’eau, au risque de déclencher une explosion<br />

thermonucléaire. Mais les commandes électriques des trappes de vidange ne fonctionnaient<br />

plus. Le seul moyen pour les débloquer était de plonger dans le réservoir et d’aller<br />

les ouvrir manuellement. Restait à trouver un plongeur volontaire.<br />

La mission était assortie d’une prime correspondant à plusieurs années de salaire, d’une<br />

voiture, d’une datcha, de la médaille de Héros de l’URSS, d’une retraite confortable, d’une<br />

pension pour sa famille en cas de ...<br />

Deux plongeurs se sont laissés tenter et se sont immergés quelques minutes. Ils ont réussi<br />

l’opération. Renvoyé chez eux, la vie ne leur a pas donné le temps de réclamer ce qui<br />

leur avait été promis. Aucune des promesses des autorités n’a été tenue. Et les plongeurs<br />

sont morts quelques semaines après.<br />

Au bord d’un réservoir d’eau hautement radioactive, les cheminées du réacteur N°5 ne monteront<br />

jamais jusqu’au ciel. L’eau brille et fait sonner les dosimètres. C’est l’eau maudite des sorciers:<br />

imbuvable, impossible à filtrer, interdite à la baignade. De l’eau de mort.


Dans les zones évacuées et interdites, dans<br />

la région de Slavgorod, en Belarus, j’ai rencontré<br />

un homme qui vivait tout seul dans sa<br />

maison en pleine campagne. Un homme qui<br />

avait refusé de partir. Il était là, enfoui dans une<br />

interminable friche d’herbes folles, de forêts, de<br />

poteaux électriques en désuétude et de kolkhozes<br />

abandonnés.<br />

KOLKHOZE KUYBYCHEVA<br />

MEMORIAL AUX VILLAGES ENTERRÉS<br />

Entrée du kolkoze Kuybycheva - Belarus<br />

Assis à l’entrée de son jardin, il nous regardait<br />

approcher. Il ne bougeait pas. Ses yeux grisbleu<br />

brillaient. Ils brillaient vraiment. Comme<br />

des phares blancs allumés dans le jour. Plus<br />

personne ne vient jamais le voir. Des miliciens<br />

quelquefois, et des étrangers qui lui posent des<br />

questions sur sa santé et le mesurent, toujours<br />

pressés de repartir. Cela faisait des semaines<br />

qu’il n’avait vu personne. Les gens ne viennent<br />

pas ici, ils ont peur. Le plus dur, dit-il, c’est qu’il<br />

n’y a personne à qui parler. Il a beaucoup de<br />

mal à dormir. Alors la nuit il écoute les loups<br />

et parle aux étoiles. Le ciel n’est plus le même<br />

depuis l’accident, on y voit beaucoup plus<br />

d’étoiles que l’on n’en voyait avant. «Comme<br />

dans le désert» paraît-il. La Voie Lactée est si<br />

belle, si dense.<br />

Il ne va presque plus au village car on le traite<br />

là-bas comme un pestiféré. « Ils disent que<br />

je viens des territoires du diable». Il se nourrit<br />

de son jardin, de l’air du temps et d’un peu de<br />

braconne. L’eau du puits est toujours claire. Et<br />

puis il se sent fatigué. De plus en plus fatigué.<br />

Il sait qu’il va mourir bientôt.<br />

« La technique était éprouvée: le bulldozer<br />

(tank transformé en bulldozer) creusait<br />

d’abord une fosse géante devant la maison,<br />

puis la poussait dedans. C’est ainsi que des<br />

villages entiers ont été enterrés. On entendait<br />

les bruits de vaisselle qui se casse,<br />

des miroirs et des vitres qui éclatent, les<br />

meubles broyés ... Tout allait très vite, tout<br />

semblait irréel, impossible ...»<br />

Témoignage cité par Igor Kostin dans «Tchernobyl / Confessions<br />

d’un reporter» - Édition Les Arènes


UKRAINE: Bazar / Boroutyno / Bouda-Varovytchi / Bouliv Chakhy / Chevtchenkove / Denysovytchi / Dibrova / Fabrykivka / Gannivka / Goloubievytchi / Grezlia / Jouravlynka / Jovtneve / Kalynivka / Karpylivka / Khryplia / Kolesnyky / Kolosivka / Korolivka / Kotovs’ke / Loznytsia / Lubarka / Lystvynivka / Malenivka / Mali Klischi<br />

Mali Min’ki / Malynka / Martynovytchi / Megyliska / Narodytchi / Nova / Markivka / Noviy / Myr / Nozdrysche / Olexandry / Osyka / Pereizd / Peremoga / Polis’ke / Poukhove / Red’kivka / Rizky Rogy / Roudnia Bazars’ka / Roudnia Grezlians’ka / Roudnia Ossochnia / Roudnie / Radovels’ka / Rozsokhivs’ke / Selets’ / Severivka<br />

/ Sloboda / Solotyne / Stanovysche / Stare / Charne / Stebli / Sydory / Tarasy / Vas’kivtsi / Velyki Klischi / Velyki Min’ky / Velyki Ozera / Velykiy Tcheremel’ / Viltcha / Vystoupovytchi / Yassen / Zavodne / Zvizdal’ / Andriivka / Bazar / Benivka / Bober / Boroutyne / Bouda / Bouda Varovytchi / Boudymlia / Bouliv<br />

/ Bouryakivka / Bovysche / Bytchky / Chakhy / Chevtchenkove / Chychelivka / Deleta / Denyssovytchi / Derkatchi / Dibrova / Doumyns’ke / Dovgiy / Lis / Fabrykivka / Galouzia / Gannivka / Glynka / Goloubievytchi / Gorodtchan / Gorodysche / Grezlia / Ilintsi / Ilovnytsia / Ivanivka / Jouravlynka / Jourba / Jovtneve /<br />

Kalynivka / Kamianka / Karpylivka / Khoutir / Zolotniiv / Khryplia / Khrystynivka / Khutir / Zolotniiv / Klyvyny / Kocharivka / Kochivka / Kolesnyky / Kolossivka / Kopatchi / Korogod / Korolivka / Koscharivka / Koschivka / Kotovs’ke / Kotsyubyns’ke / Koupouvate / Kovchylivka / Krasne Machivka / Krasne Machivka / Krasne<br />

ovstolis / Krasne Tovstolissia / Kryva / Gora / Ladyjytchi / Leliv / Lisnytstvo / Yakovetske / Liubarka / Liudvynivka / Lokot’kiv / Loubianka / Loznytsia / Lyps’ki / Romany / Lystvynivka / Macheve / Malakhivka / Malenivka / Mali / Klischi / Mali / Min’ky / Malynka / Martynovytchi / Mejyliska / Mlyny / Moschanytsia /<br />

otyli / Narodytchi / Nova Krasnytsia / Nova / Markivka / Nove / Charne / Noviy / Myr / Novochepelytchi / Novosilky / Nozdrysche / Obykhody / Olexandry / Omelnyky / Opatchytchi / Osyka / Otachiv / Oussiv / Parychiv / Pereizd / Peremoga / Pihots’ke / Prypiat / Plutovysche / Polis’ke / Poukhove / Prylisne / Red’kivka /<br />

itchytsia / Rizky / Rogy / Roud’ky / Roudnia / Roudnia Bazars’ka / Roudnia Gerevtsi / Roudnia Grezlians’ka / Roudnia Ilinets’ka / Roudnia Jerevtsi / Roudnia Kalynivka / Roudnia Ossochnia / Roudnia Povtchans’ka / Roudnia Povtchans’ka / Roudnia Radovels’ka / Roudnia Veresnia / Rozijdje / Rozsokha / Rozsokhivs’ke / Rozsoxa /<br />

elets’ / Severivka / Sloboda / Solotyne / Sosnivka / Stanovysche / Stara / Krasnytsia / Stare / Charne / Stari / Chepelytchi / Starovilia / Stebli / Stepky / Stetchanka / Stovpytchne / Sydory / Tarassy / Tchapaevka / Tcherevatch / Tchernobyl / Tchernobyl-2 / Tchervonossilka / Tchystogalivka / Terekhiv / Teremtsi / Tovstiy<br />

Lis / Ussiv / Varovytchi / Vas’kivtsi / Velyki Klischi / Velyki Min’ky / Velyki Ozera / Velykiy Tcheremel / Vesniane / Vilchanka / Viltcha / Volodymyrivka / Vozliakove / Vystoupovytchi / Yampil’ / Yaniv / Yassen / Zalissia / Zamochnia / Zapilia / Zavodne / Zvizdal / Zymovysche / RUSSIE: Alexandrovka / Alexandrovski /<br />

Andreevka / Petchevaya / Antonovka / Azaritchi / Babaki / Baranovka / Barki / Barsouki / Barsouki / Batourovka / Baylouki / Bejkov / Belimovo / Beliy Kolodets / Berezovka / Bezbojnik / Borets / Borki Barsoukovo / Borok Maniukovo / Borok Novomestovo / Borozenschina / Borschevka / Boukovets / Bouldynka / Bourossovka / Bouyan<br />

Chamry / Chelovy / Chyriaevka / Chytikov / Log / Dalniy / Klin / Dantchenkova / Sloboda / Dedovskiy / Deniskovitchi / Diagov / Dobrodeevka / Dobryn’ / Dobryn’ka / Doubenets / Doubovets / Doubrovka / Drobnitsa / Droujba / Ermaki / Fanzovschina / Fedorovka / Fedorovka Ounochevo / Gassanova / Sloboda / Gatka / Glinnoe /<br />

lybotchka / Golota / Gordeevka / Gorelaya / Sossna / Gorka / Gorodetchnia / Gorodok / Gorovaya / Gouschi / Gouta / Gouta Koretskaya / Gremoutchka / Griva / Grivki / Grozniy / Jouravki / Jovnets / Kalinine / Kalinovka / Kamen’ / Kamenka / Karna / Katitchi / Khaleevitchi / Kharmynka / Kipen’Ouscherpskiy / Kipen’Rojnovskiy<br />

Kliukov Mokh Sinekolodets / Kliukov Mokh Vnoukovitche / Kniazevschina / Kojany / Kojoukhovo / Kolodetskiy / Kolodezskiy Starovychkovo / Kolpiny / Komary / Kor’ma / Kortchi / Kourganie Starovychkovo / Kourganovka / Koustovka / Kouznets / Kovali / Kozlovka / Krasnaya / Krinitsa / Krasnaya / Zaria / Krasniy / Kamen’ / Krasniy<br />

Loutch / Krasniy / Ostrov / Krasnye / Orly / Krichtopov / Routchey / Krinitchnoe / Krivoy / Sad / Kroutoberezka / Krylovka / Larnevsk / Lesnovka / Lesnoy / Ouvelskoe / Liubin / Liubine / Lysye / Machkinskiy / Makaritchi / Makhanovka / Makoussy-1 / Malev / Malinovka / Malooudebnoe / Mamay / Maniuki / Maniuki / Medvedi<br />

/ Medvedovka / Medvejie / Mikhalevka / Mikhaylovka / Mikhaylovka Katiche / Mirniy / Mochok / Morozovka / Moskovschina / Mouravinka / Mouravinka Nesvoevka / Netecha / Nijnyaya / Melnitsa / Nikolaevka / Nikolsk / Nivy / Novaya / Alexeevka / Novaya / Derevnia / Novaya / Jizn’ / Novaya / Komarovka / Noviy / Mir / Noviy<br />

Rassvet / Noviy / Svet / Novoalexandrovka / Novodrojensk / Novoe / Mesto / Novomikhaylovka / Novonovitskaya / Novoretchitsa / Novosergeevka / Novovelikiy / Bor / Novozybkov / Novye / Bobovitchi / Novye / Fayki / Novye / Katitchi / Orel / Ossov / Oucherpie / Ouletovka / Ounetcha / Ounochevo / Ouvetchie / Palomy / Paloujskaya<br />

/ Roudnia / Pavlovka / Pen’ki / Peretin / Perevoz / Petrova / Bouda / Petrovka / Pissarevka / Pissarki / Pobeda / Podproudnia / Podslavouchka / Pokon’ / Pokrovka / Polek / Poliany / Poplavy / Popovka / Progress / Prokhorenko Barsoukovo / Prokhorovka / Proudovka / Rassadniki / Razdolie / Revoliutsionniy / Svet /<br />

ogov / Rogovetch / Rojny / Roubany / Roudnia Demen’ / Roudnia Vorobievka / San’kovo / Savitchka / Savitskiy / Log / Savkin / Khoutor / Selets / Sennoe / Siniavka / Siniavka-2 / Siniy / Kolodets / Smeliy / Smialtch / Snovskoe / Sofievka / Sougrodovka / Soukrin Polon / Spiridonova / Bouda / Staraya / Roudnia / Stariy /<br />

Vychkov / Staronovitskoe / Starye / Bobovitchi / Stepana / Rasina / Stolbounka / Stolpenko / Sviatsk / Sviderki / Svistok / Svistok Tchakhov / Tchekhov / Tcheretovka / Tchigray / Tchikhovka / Teremochka / Tislenki / Tougany / Trigolov / Trostan’ (Trostan’) Usine d’extraction de la tourbe «Rekta» / Vajytsa / Vassilievka /<br />

Velikie / Liady / Velikiy / Bor / Velikooudebnoe / Velitchka / Veprino / Verbovka / Vereschaki / Verteby / Vesselaya / Roscha / Viajnovka / Vikholka (Katitche) / Vladimirovka / Vnoukovitchi / Voronova / Gouta / Vychkov / Yagodka / Yagodnoe / Yalovka / Yamische / Yasnaya / Poliana / Zaborie / Zaglodie / Zalipovie / Zamychevo<br />

/ Zaozerie / Zaretchie / Zaretchie (Snov) / Zassetchniy / Zavercha / Zavodo-Koretskiy / Zaytsev / Zeleniy / Klin / Zlotnitskiy / Khoutor / Zlynka / Znanie / BELARUS: Akchinka / Amelnoe / Andreïevka / Antonovka / Babtchine / Bahan’ / Bartolomeïevka / Beloberejskaïa / Roudnia / Bereziaki1 / Bereziaki2 / Besed’ /<br />

Besedy / Bogouch / Bor’ba / Borchevka / Borovitchi / Bouda / Danileevka / Derajnia / Dernovitchi / Doubetskoé / Doubrova / Doubrovka / Dovliady / Dragotyn’ / Dron’ki / Dvoriché / Garousty / Glouhovitchi / Gorbovitchi / Gorochkov / Gouta / Gridni / Grouchevka / Hizy / Hlevno / Horochevka / Houtor / Sergueev / Hvochevka /<br />

Iakouchevka / Iaseni / Iasenok / Irinovka / Jarely / Jerdnoïe / Karpovitchi / Kojouchki / Kolyban’ / Kolyban’ Kositskaïa / Koul’chitchi / Koulajine / Koulikovka / Krasnoeznamia / Krasnoselié / Kriouki / Liady / Lioudvinov / Lipa / Lomatchi / Lomych / Lozovitsa / Lozovitsa / Malinovka / Maly / Hotimsk / Mamnik / Manouily<br />

Jeleznitsa / Masany / Melovka / Mhinitchi / Mikhaïlovka / Mikhalevka / Mokroe / Molotchki Néjihov / Nouditchi / Novaïa / Elnia / Novye / Gromyki / Novyi maïdn / Novyi stepanov / Okopy / Omel’kovchtchina / Omel’kovchtchina / Orovitchi / Osipovka / Ostrogliady / Otcheso / Roudnia / Ouchaki / Ougly / Ouhovo / Oulasy /<br />

ennoe / Perestinets / Petropolie / Pirki / Poboujié / Pogonnoe / Popsuïevka / Posoudovo / Potiosy / Pouguine / Pristanskoé / Proletarskï / Rachev / Radine / Retchki / Rojava / Romanovka / Roudenka / Roudnia / Chliaguina / Roudnia / Oudalevskaïa / Rovnisché / Salabouda / Saltanovka / Samotevitchi / Savinitchi / Savitchi /<br />

ebrovitchi / Selitskaïa / Simonovka / Sivinka / Skaline / Smolegovskaïa / Roudnia / Sperijie / Staraïa / Bouda / Staroé / Zakroujié / Starye / Gromyki / Staryi / Stepanov / Stroumen’ / Tarasovka / Tchapaevka / Tchikalovitchi / Tchoudiany / Techkov / Tihin / Titovka / Toul’govitchi / Vasilievka / Velikibor / Veprine /<br />

epry / Verhovaïa / Sloboda / Vetuhna [Vetougna] / Vorobiobka / Vorotets / Vydevo / Vygrebnaïa / Sloboda / Zagorié / Zakopytie / Zalesié / Zaretchie / Zartchie / Zavodok / Zolotnino / ...............................................................................................................<br />

«KOLKOZE KUYBYCHEVA» • Région de SLAVGOROD • Bélarus • MÉMORIAL aux 700 villages enterrés après la catastrophe • Ouverture de l’exposition européenne pour les 20 ans de tchernobyl, «Il était une fois Tchernobyl ...», organisée par le CCCB de barcelone • AGB - 2006. • Format de l’oeuvre: 8m/0,80m


Nous avons quitté<br />

l’épicentre de ce bordel<br />

sans nom pour revenir<br />

au village de Tchernobyl,<br />

pique-niquer sur le<br />

port. Nous avons amené<br />

notre repas, “notre petit<br />

panier” comme dit Léo<br />

Ferré. De toutes façons,<br />

personne n’a vraiment<br />

faim.<br />

L’hébétude ne se dissipe<br />

pas, la respiration reste<br />

au ralenti. Une ombre<br />

improbable se mêle<br />

à l’image. L’invisible<br />

se laisse, ou se fait<br />

photographier. Il joue<br />

avec la lumière, et avec<br />

les miroirs.<br />

Pique-nique atomique


C’est le calme dans le calme. Seuls les dosimètres craquent quand on les approche de l’eau. Ne cherchez pas les bateaux des pêcheurs. Il n’y en a<br />

plus. Ni de bateaux. Ni de pêcheurs. Ne cherchez pas les guinguettes flottantes pour vous régaler d’une bonne friture de poissons et de champignons<br />

autochtones. Ne cherchez plus la paix, c’est le port interdit d’une guerre perdue.<br />

Ici, la dernière bataille, déclenchée le 27 avril 1986, ne s’est achevée qu’en décembre 1988. Des centaines d’énormes barges transportant des<br />

tonnes et des tonnes de sable, de fer, de camions et de tanks, d’hommes et de vodka, s’embouteillaient devant nous. Le bruit était permanent, 24h sur<br />

24h. L’air sentait le diésel. Les oiseaux s’en allaient. L’ennemi était partout et on ne le voyait pas.<br />

Et c’est l’atome qui a vaincu le port.


VILLAGE DE <strong>TCHERNOBYL</strong> - UKRAINE - 12.000 HABITANTS<br />

Un village séculaire de centaines de petites datchas dissimulées dans la forêt, au bord du Dniepr. Le<br />

pays des grandes forêts, de la nature abondante, des pommes, des champignons et des myrtilles. Une<br />

immensité de chasse et de pêche. Les dignitaires de l’URSS aimaient y venir se reposer. C’était avant.<br />

Dans un autre monde.<br />

Quelques jours après l’explosion qui réchauffa la nuit du 26 avril 1986, et l’illumina de turquoise et de<br />

bleus irréels, le temps ici a été confisqué. Il a fallu abandonner le village. Pour toujours. Tout laisser.<br />

Déchirer les photos, l’histoire et les souvenirs. Et le village est parti.<br />

«Notre vie n’était plus faite que de déchets atomiques. Nous en étions nous-mêmes devenus».<br />

Aujourd’hui, Tchernobyl s’est recroquevillée sur quelques parcelles «nettoyées», où sont confinées<br />

l’administration et les équipes tournantes de surveillance et de maintenance de la NPP. Officiellement<br />

plus personne n’a le droit de vivre au village, mais quelques anciens qui ont refusé de partir, ou sont<br />

revenus, se cachent dans le bois, «ils sont quatre ou cinq», dit-on. Mystères et légendes au pays des<br />

sorcières.<br />

Un jeune couple, venu de la ville, s’y serait même installé il y a quelques mois, et un enfant viendrait de<br />

naître dans leur cabane. Il serait le premier enfant né dans un endroit où l’homme est interdit de vivre.<br />

Insolite. Effrayant. Secret absolu.


La verdure s’annonce difficilement pénétrable. Nous avançons lentement. Piotr a emmené un livre de<br />

Tolstoï. Il me parle de la correspondance que l’écrivain entretenait avec Gandhi.<br />

«On aurait mieux fait de les écouter au lieu de les bannir ou de les tuer» me dit-il.


Les sorciers de l’atome ont donc même cassé la lumière. C’est vrai que l’œil se sèche comme<br />

la gorge, et perd ses repères chromatiques. Il y a de l’opaline dans les contrastes. Je dirais que<br />

l’œil sent, plus qu’il ne voit, que quelque chose ne va pas. La vidéo, elle, enregistre. Le violet, le<br />

turquoise, et les bleus envahissent mes images. Je vérifie bien sûr le réglage de mes appareils.<br />

Piotr me regarde faire. Il sourit et me dit:<br />

«Tu vois, je te l’avais dit, ils ont même cassé la lumière!»


« Il y avait des taches * de couleur un peu partout dans la campagne. Quelques-unes très<br />

grandes et des dizaines d’autres plus petites. Elles étaient noires, rouges, bleues, blanches.<br />

Toutes très luisantes. Brillantes. Jamais de mémoire d’anciens nous n’avions vu quelque chose<br />

de semblable. Plus tard nous apprendrons que c’est l’atome que l’on avait vu, et que nous avions<br />

de la chance parce que, normalement, on ne le voit pas.<br />

Nous avons appelé la milice mais elle n’est venue qu’en début d’après-midi. Malheureusement<br />

il avait plu durant presque toute la matinée et quand ils sont arrivés toutes les taches avaient<br />

disparu. Les miliciens ont sorti un instrument de mesure que l’on n’avait jamais vu par ici. Un<br />

truc qui n’arrêtait pas de sonner. Ils avaient tous l’air effrayé et ils nous ont dit qu’il fallait partir<br />

tout de suite, que l’on ne pouvait pas vivre ici, que l’on ne pourrait plus jamais y vivre. Personne<br />

ne les a crus, et nous sommes restés. Le lendemain les militaires sont revenus. Ils ont évacué<br />

la population. On se demandait bien quel ennemi ils pourchassaient !? Rien n’avait changé ici.<br />

Tout était calme. Il y avait bien un goût métallique dans la bouche, la gorge irritée, le nez sec,<br />

les yeux qui pleuraient, les enfants qui vomissaient ... mais pour le reste rien n’avait changé. (...)<br />

Et puis quelque temps après, ils se sont mis à enterrer les villages. Et même la terre ! Comment<br />

voulez-vous envisager une chose comme celle-là !? Enterrer les villages !!! Enterrer la terre ! (...)<br />

Moi je leur ai dit que je resterai dans ma maison. Qu’ils m’enterrent avec s’ils veulent mais que<br />

je ne partirai pas. Et ils m’ont laissé là.<br />

Ma maison n’était pas trop touchée disaient-ils. C’est tout autour que c’est dangereux. Mais<br />

j’y vais quand même, les champignons sont abondants et délicieux. J’ai longtemps attendu le<br />

retour des gens. Je me disais que personne ne part pour toujours et qu’ils reviendraient un jour.<br />

Mais personne n’est revenu.<br />

«Je sais maintenant que personne ne reviendra».<br />

* La contamination des radionucléides dispersés sur le sol, est dite «contamination en taches de léopard».<br />

Les taches foncées sur la peau du léopard seraient les zones fortement contaminées. Le reste serait dans<br />

les normes.<br />

Une autre image qui illustre le dépôt de cette contamination, est un champ de blé après un fort orage. De<br />

manière très aléatoire, par endroits, par taches, le blé est couché dans le champ.


Le bois devenu cannibale, est en train de digérer le village. Les maisons, prisonnières<br />

de la forêt, se décomposent. Sont absorbées. Des ombres s’agitent quelquefois sur les murs,<br />

comme des gnomes en fuite.<br />

Ici il n’y a plus de senteurs dans le bois. Les genévriers, les pommiers, les<br />

fleurs des arbres ou des vestiges de jardins n’ont plus d’odeur...


Quand le malheur arrive,<br />

l’homme n’aime pas penser et<br />

reconnaître qu’il est responsable<br />

de l’horreur qu’il a générée.<br />

Il n’aime pas s’arrêter, ni renoncer,<br />

même si tout converge<br />

à lui démontrer qu’il est sur un<br />

chemin d’apocalypse. Sa cupidité<br />

féroce fera qu’il continuera<br />

à ne tenir la prochaine catastrophe<br />

possible que lorsqu’elle<br />

sera rentrée dans le réel. Personne<br />

n’aime penser à tout cela.<br />

J’ai suivi un rayon de soleil qui<br />

m’a emmené à l’intérieur d’une<br />

petite maison. Il n’y avait plus<br />

que des papiers qui jonchaient<br />

le sol. Des lettres sorties de<br />

boîtes en cartons, éventrées,<br />

pourries. De la correspondance<br />

d’un autre temps, quand les<br />

mots d’amour n’étaient pas des<br />

déchets atomiques. Comment<br />

vais-je raconter tout cela ? Je<br />

me demande s’il est possible de<br />

transmettre la mémoire d’une<br />

catastrophe à des gens qui en<br />

sont les futures victimes.<br />

Tchernobyl a inauguré un mécanisme de deuil impossible, le processus du deuil à perpétuité.


Peut-être des anges qui seraient devenus des ogres ?<br />

Ce n’est quand même pas l’atome qui a mangé cet angle de maison. Ni un sanglier à trois têtes. Ni des fourmis géantes. Ni des vers<br />

de pierre... Peut-être des anges qui seraient devenus des ogres ?<br />

«Ce sont les trafiquants de matériaux radioactifs» me dit Piotr. «Ils récupèrent tout ce qu’ils peuvent et le revendent sur les marchés locaux<br />

ou internationaux. Le trafic est organisé et général, c’est un secret de Polichinelle ici. En enlevant un angle de la maison, elle va très vite<br />

s’écrouler sur elle-même. La démolition n’est pas très pénible et ils n’auront qu’à ramasser ensuite. N’oublie pas que nous sommes à un<br />

endroit où l’on ne peut pas rester longtemps, et où l’on ne peut pas faire de bruit».


Autant de maisons, autant de tragédies. Autant de rêves confisqués. Autant de vies transformées en déroutes.


Anna vivait dans cette maison de la rue Lénine, à Tchernobyl, avec Anatoli son mari, lorsque<br />

le réacteur a explosé.<br />

Elle se souvient de tout me dit-elle. De la lumière bleue dans la nuit. Et au petit matin, des<br />

taches de couleurs phosphorescentes sur le sol et sur les arbres. De l’étonnement. Du silence.<br />

De l’appréhension. Puis de la peur. Et de l’errance... C’était le début d’un cauchemar<br />

pour la vie. Elle se souvient de tout répète-t-elle. Quand le monde a basculé.<br />

« Karina, notre premier enfant est né en 1988, deux ans après la catastrophe. Elle était normale<br />

nous avaient dit les médecins. Heureusement. Nous avons ainsi pu passer quelques<br />

mois à les croire. Mais malheureusement les choses se sont très vite compliquées. D’abord<br />

c’est Anatoli qui est tombé malade. Depuis son retour de la zone où il avait travaillé comme<br />

liquidateur, il n’allait pas très bien. À 28 ans il en paraissait 40. Il a fallu l’amputer d’une jambe,<br />

alors qu’il avait déjà du mal à marcher avec les deux ... alors imaginez-vous ! Et puis il est<br />

mort. Cela a été un soulagement pour tous. Pour lui surtout. De mon côté j’ai dû être opérée 3<br />

fois, pour la thyroïde, et pour des ganglions. Ce n’est pas grand-chose. Je pouvais m’occuper<br />

de ma fille »<br />

(...)<br />

Anna se souvient de son errance dans les méandres corrompus de l’administration ukrainienne,<br />

de la course aux soins, aux médicaments. De leur errance dans la ville, où les points<br />

de repère ne sont pas ceux de la campagne. De leurs familles dispersées suite à l’évacuation<br />

du village. Du rejet de la population qui les regardait et les traitait comme des pestiférés...<br />

« Karina est tombée malade l’été qui précédait ses 8 ans. C’était la leucémie. Elle est restée<br />

mourante pendant 6 ans. J’ai tout fait pour la sauver. Mais avant qu’un problème ne soit réglé,<br />

un autre surgissait, et ce que l’on croyait fini, recommençait»<br />

(...)<br />

Anna se demande comment elle est encore en vie. Comment son corps et sa tête ont-ils<br />

résisté à tout cela ? « C’est Karina qui m’a donné la force » ... D’hôpitaux en centres de<br />

soins, elle a rencontré des dizaines d’enfants malades, souvent des enfants orphelins ou<br />

abandonnés, avec des pathologies inconnues, complètement inimaginables, incroyables,<br />

monstrueuses... Alors elle s’est mise à s’occuper d’eux de plus en plus. Elle me dit qu’elle les<br />

aime autant qu’elle aimait Karina. Et puis ils ont tellement besoin de nous.


Photo: Magdalena Caris - Novinki -<br />

Autour de Minsk, au Belarus, la plaine est si immense<br />

qu’elle paraît infinie. Des champs à perte<br />

de vue, des forêts à n’en jamais sortir, des pièces<br />

d’eau comme des miroirs géants posés dans une<br />

campagne vide, pour que le ciel s’y regarde en<br />

silence.<br />

Hôpital psychiatrique pour enfants<br />

À la naissance, ce n’était pas un bébé, mais un sac fermé de tous les<br />

côtés, sans aucune fente. Les yeux seuls étaient ouverts (...) Pas<br />

de foufoune, pas de derrière et un seul rein (...) J’ai entendu les<br />

médecins parler entre eux, «si l’on montre cela à la télé, aucune mère<br />

ne voudra plus accoucher» (...) On lui a fait des fesses. On est en<br />

train de lui former un vagin (...) On lui presse les urines toutes les<br />

demi-heures, avec les mains, pour que l’urine passe à travers les trous<br />

minuscules dans la région du vagin (...) c’est le seul enfant qui ait<br />

survécu à une pathologie aussi complexe.» * (...)<br />

À une douzaine de kilomètres de Minsk, Novinki,<br />

est une Cour des Miracles revisitée par les conséquences<br />

du progrès technologique. C’est un hôpital<br />

médico-psychiatrique pour des enfants de 4 à<br />

17 ans, pour la plupart abandonnés dès leur naissance,<br />

tant les parents étaient terrorisés en les<br />

découvrant. Difficile à imaginer n’est-ce pas ?<br />

* Lire le témoignage complet dans « La Supplication » de Svetlana Alexievitch<br />

Aujourd’hui, dans ces régions,<br />

les cimetières débordent de petits cercueils blancs.<br />

Ils sont ici un peu plus de 200. Capacité maximum<br />

et sans eau ni gaz à tous les étages. Porteurs de<br />

pathologies et de malformations inconnues de<br />

la médecine, sans guérison possible. Ils vivent<br />

cloués au sol ou en se traînant par terre. Malades<br />

? Patients ? Cobayes ? Le Monde n’a pas de<br />

système de références qui permettrait d’imaginer<br />

les enfants de Novinki. Le Monde ne veut pas les<br />

connaître, ni les reconnaître, à cause, peut-être,<br />

de cette même terreur que leurs parents n’ont pas<br />

pu supporter.<br />

«J’ai vu un petit enfant, tout petit, comme un nourrisson<br />

de 6 mois alors qu’il avait 3 ans. Il avait les<br />

cheveux tout noirs et tout raides, et de très grands<br />

Ne pas regarder. Ne pas voir. Et pourtant ...<br />

yeux écarquillés. Il semblait fixer une image, une<br />

scène qu’il avait déjà vue peut-être, une image qui<br />

le maintenait depuis sa naissance dans un état de<br />

constante terreur. Il ne se calmait que lorsqu’on le<br />

prenait dans les bras. Là il se blottissait, il se recroquevillait,<br />

et s’apaisait» ...<br />

Anna me parle des regards de silence et d’incompréhension<br />

dans des puits de tristesse, des<br />

camisoles de force dans lesquelles on enferme<br />

les enfants pour contrôler leur rage, des sourires<br />

Photo: Paul Fusco / Magnum Photos - Novinki -<br />

immenses, profonds comme le cœur, des pleurs<br />

pour des souffrances irréparables, et des éclats<br />

de rire quelquefois, que déclenchaient un jeu ou<br />

beaucoup de tendresse.<br />

Anna me raconte l’épuisement des infirmières permanentes,<br />

des équipes de soins, du dévouement<br />

des docteurs, de l’absence de moyens mis à leur<br />

disposition. Elle me parle des longs mois de l’hiver<br />

où il fait très froid. Surtout par terre. Des ciels de<br />

plomb, du vent et de la neige qui plongent Novinki<br />

dans un silence de verre, que ne déchirent que des<br />

cris, et quelquefois, le hurlement des loups.


Vie et mort de la Ville de Pripyat, ville modèle, ville vitrine de la toute-puissance de<br />

l’Empire de l’URSS, ville du futur, ville de rêve, ville de cauchemar, ville nucléaire.<br />

(1974-1986)<br />

56.000 personnes y vivaient en 1986, dans le plus grand confort, disposant d’infrastructures<br />

exceptionnelles, et bénéficiant des meilleurs salaires de toute l’URSS.<br />

Dans la nuit du 26 avril 1986, à 1h 23, une explosion gigantesque secoua et réveilla<br />

la ville. Une lueur bleu turquoise envahit la nuit, et un faisceau de lumière monta plus<br />

haut que le ciel. Le réacteur N°4, à 2 km à vol d’oiseau, n’était plus qu’un immense trou<br />

béant, en feu.<br />

L’Alerte Incendie est déclenchée pour une réalité dépassant la fiction qui venait de se<br />

mettre en marche.<br />

Combien s’imaginent alors que dans 36h à peine, ils devront partir, partir et pour toujours<br />

? Combien ont conscience que leur vie, et que l’humanité entière sont en train de<br />

basculer du rêve au cauchemar ?<br />

De la lumière à la nuit.


Pendant la matinée du 27 avril 1986 ...<br />

Les plus petits jouaient déjà dans les bacs à sable.<br />

D’ici, depuis les toits de Pripyat, ou depuis leurs fenêtres et leurs balcons,<br />

les habitants observaient l’incendie. La lumière était irréelle. L’alerte qui<br />

avait retenti était celle d’un simple incendie. Il n’y avait donc pas de danger<br />

à contempler ce spectacle extraordinaire. Dans la brume du matin, au<br />

lever du jour, beaucoup d’enfants ont enfourché leurs bicyclettes pour aller<br />

voir de plus près l’incendie. Ils ont pu s’en approcher à quelques centaines<br />

de mètres. Et puis ils sont allés à l’école. Les plus petits jouaient déjà dans<br />

les bacs à sable.<br />

Au bord de la rivière, les pêcheurs s’étaient installés comme tous les matins.<br />

Quand ils sont rentrés chez eux, vers midi, avec leurs petits paniers<br />

remplis de poissons, ils étaient noirs. Brûlés par l’atome. La radioactivité<br />

était plus de 200.000 fois supérieure à la radioactivité naturelle. Mais personne<br />

ne les en avait avertis.<br />

Pendant la matinée du 27 avril, l’armée investit la ville. Dans des combinaisons<br />

de science-fiction, masqués, pourvus d’étranges appareils de<br />

mesure, les militaires en prennent possession. Des tanks sont positionnés<br />

aux carrefours, autour de la centrale et autour de l’hôpital...<br />

La tension et l’inquiétude montaient, tout cela n’était pas très normal. Les<br />

haut-parleurs diffusaient des messages qui se voulaient rassurants. Et<br />

personne ne parlait encore de radiations.<br />

Alors à 14h, quand il est annoncé à la population l’ordre d’évacuation<br />

immédiate de la ville, les gens ont commencé à se dire qu’il s’agissait<br />

vraiment de quelque chose de bien plus grave qu’un simple incendie.<br />

Une trentaine d’heures plus tard, Pripyat était vidé de ses habitants.<br />

<strong>FOREVER</strong>.


« Pas besoin de crier. Parle normalement. Tu vois ... ils ont même cassé le son ! »<br />

Piotr ne voulait pas m’accompagner sur le toit de l’immeuble le plus haut<br />

de la ville, « trop contaminé et il n’y a plus d’ascenseur», plaisante-t-il. Il<br />

me dit qu’il n’a pas le droit de me laisser tout seul, que s’il m’arrive quelque<br />

chose il perdra son travail. Je cherche des arguments pour le rassurer et<br />

le convaincre. Enfin, après avoir écouté ses recommandations d’extrême<br />

prudence, et lui avoir juré le secret absolu, il accepte que je parte sans lui<br />

dans l’immeuble.<br />

16 étages à grimper pour arriver où j’étais sûr d’avoir le meilleur point de vue<br />

sur la région, et où je pourrai imaginer le mieux cette nuit du 26 avril 1986,<br />

et l’évacuation de la ville le lendemain. Ces moments où l’humanité bascula.<br />

Frissons du vide plein de présences qui m’entourent, concentration absolue<br />

dans le moment, je monte doucement. Par endroits le dosimètre annonce<br />

100 fois plus que la normale. Il est fou.<br />

Le sarcophage est là, à portée de main. Tout autour, dans un rayon de 30<br />

km, le territoire est évacué et interdit. Personne. Personne depuis 20 ans.<br />

Personne jusqu’à la nuit des temps. Silence de désert atomique.<br />

Je m’approche du bord pour avertir Piotr que j’étais arrivé sans encombre.<br />

Je l’aperçois au pied de l’immeuble, lisant son Tolstoï en fumant une cigarette.<br />

Je lance un «HOLA !» de là-haut, qui retentit comme si j’avais hurlé<br />

alors que j’ai à peine forcé la voix. Un multi-écho me revient, métallique,<br />

aigu. Pour le pied j’en remets un en criant. Impressionnant ! ...<br />

« Pas besoin de crier. Parle normalement. Tu vois ... ils ont même cassé le<br />

son !» me dit Piotr en rigolant. Il rit souvent mon guide.<br />

Je me dis qu’il est un peu fou. Comme le dosimètre.<br />

LE DOMAINE DES DIEUX DE L’ATOME<br />

Je me demande si je ne suis pas victime d’une bulle de<br />

temps !? Ai-je atterri dans le Domaine des Dieux !? (Album<br />

Astérix, Goscinny / Uderzo).<br />

J’ai l’impression que les arbres poussent et deviennent<br />

géants en quelques secondes, comme ceux sortant des<br />

glands magiques spécialement traités par le druide Panoramix,<br />

pour que la forêt efface vite l’occupation romaine.


J’avais envie de sonner. Il me semblait complètement inconvenant d’entrer sans y être invité.<br />

Quelques jours seulement après l’évacuation, le pillage de la ville a<br />

commencé. 20 ans après, les charognards de l’atome n’ont laissé<br />

que peu de choses. Tout a été volé, recyclé, vendu et revendu, bourré<br />

de radionucléides.<br />

En m’arrêtant dans les étages, j’entrais dans des appartements au hasard.<br />

Je choisissais ceux qui avaient leur porte fermée. J’avais envie<br />

de sonner. Il me semblait complètement inconvenant d’entrer sans y<br />

être invité.<br />

Je pense à cette histoire d’un gars<br />

qui avait acheté un chapeau sur un<br />

marché à Kiev, et qui a très vite commencé<br />

à souffrir de céphalées dont<br />

ni lui ni les docteurs ne comprenaient<br />

l’origine.<br />

Et qui est mort, quelques mois après<br />

d’un cancer fulgurant.<br />

Au cerveau.


Au 7ème étage je trouve des arbres et<br />

des fougères qui poussent à même le<br />

sol, sur le béton, dans ce qui fut une<br />

chambre d’hôtel...<br />

Il n’y a plus de fenêtres mais les radiateurs<br />

sont encore là, peut-être parce<br />

qu’ils sont trop lourds, ou parce qu’ils font<br />

sonner très fort le dosimètre. Allez savoir.


J’ai pu imaginer, en cinémascope, le bombardement<br />

massif de la ville et de la région, jusqu’à<br />

perte de vue, par les radionucléides en folie. Devenus<br />

invisibles et silencieux, missiles, bombes<br />

à fragmentation, mines anti-personnelles, lanceflammes<br />

et autres chars d’assaut, artefacts passemurailles<br />

diaboliques d’une guerre d’un nouveau<br />

genre, n’ont rencontré aucune résistance, ni de la<br />

part de la nature ni de celle des populations.<br />

Transportée par les vents, précipitée à terre par la<br />

pluie, cette armada a sournoisement attaqué des<br />

territoires et des peuples, qui ne l’ont ni entendue,<br />

ni vu venir. Elle a empoisonné et tué des milliers<br />

et des milliers de personnes. Ce sont les enfants<br />

qui sont le plus vulnérables aux radiations. Les<br />

attaques de ces armées invisibles sont non douloureuses.<br />

En un premier temps c’est comme si<br />

rien ne se passait. Cela rend très difficile la prise<br />

de conscience de l’ampleur de la défaite et des<br />

dégâts. Il faudra que le temps passe un peu, pour<br />

que les gens se rendent compte, et que commencent<br />

les souffrances.<br />

Dans les jours qui suivirent l’explosion du réacteur,<br />

l’ armada de l’apocalypse nucléaire a conquis<br />

des territoires immenses de l’Empire, et établi des<br />

bases d’occupation perpétuelle dans de nombreux<br />

pays, loin, bien loin du front. *<br />

* (Norvège/Laponie/France/Italie/Afrique du Nord ... Etc ...<br />

Voir Atlas CRIIRAD).


Piotr me raconte ce no man’s land atomique, grands<br />

cercles concentriques de 30 et 100 km de rayon autour du<br />

sarcophage. Au-delà de ces zones, beaucoup de terres, de<br />

kolkhozes et de villages sont évacués et interdits, au total<br />

un territoire grand comme le Liban. Une aubaine pour les<br />

voleurs et les trafiquants en tous genres.<br />

Cinémathèque de Pripyat / Centre culturel<br />

Les pilleurs de la première heure, dès les jours qui suivirent<br />

l’évacuation, sont venus chercher les objets de valeur<br />

abandonnés dans la débâcle. Tout ce qui pouvait être<br />

revendu vite et au meilleur prix se retrouvera très vite sur<br />

les petits marchés: les objets personnels facilement transportables,<br />

la vaisselle, les outils, les bibelots, les jouets<br />

d’enfants, les vêtements ...<br />

Quand on sait que les jouets en peluche ont la particularité<br />

de retenir spécialement les radionucléides ... « Je pense à<br />

tous ces enfants qui se sont endormis souriants avec<br />

leur nounours, dans leur pyjama radioactif en provenance<br />

des zones évacuées... c’est ignoble » dit Piotr.<br />

Au fil des mois et des ans, favorisés par la structure mafieuse<br />

de l’URSS, le pillage et le trafic se sont systématiquement<br />

mis en place. Les éléments plus volumineux et<br />

lourds, matelas, meubles, frigo, cuisinières, radiateurs,<br />

etc ... sont extraits des zones de mort, pour être écoulés<br />

sur des marchés plus ou moins lointains de l’Empire. Puis<br />

tout, tout ce qui peut servir, fenêtres, portes, vitres, briques,<br />

tuyauteries ... tout est récupéré. Tout disparaît. Tout devient<br />

invisible.<br />

À quelques kilomètres de Pripyat, dans le cimetière d’engins<br />

militaires de Razhoka, le plus grand stock d’acier<br />

contaminé de la planète s’est accumulé. Immense trésor<br />

évalué à huit millions de tonnes d’acier radioactif: chars,<br />

camions, véhicules, hélicoptères, ambulances, bus, ...<br />

Aujourd’hui 80% du trésor, soit 6 millions de tonnes, a disparu.<br />

Et inlassablement, la mafia de l’acier radioactif continue<br />

son œuvre assassine, à l’abri du vide et du silence des<br />

territoires interdits.


Dans l’histoire de l’homme, Pripyat est la première<br />

ville d’importance tombée à l’ennemi et<br />

totalement évacuée en quelques heures. Dans<br />

cette guerre d’un nouveau genre où l’ennemi est<br />

invisible et les armes silencieuses, l’homme n’a<br />

de refuge nulle part. Il ne lui reste que la fuite.<br />

La débâcle. La déroute. La déraison.<br />

Dans les jours et les semaines qui suivront, dans<br />

toute la région, ce sont des milliers de villages<br />

qui seront évacués dans les mêmes conditions.<br />

130.000 personnes seront arrachées pour toujours<br />

à leurs maisons, leurs terres, leur histoire et<br />

leur temps. Elles seront parquées là-bas ou ailleurs,<br />

loin. Personne ne voulait les accueillir, tout<br />

le monde en avait peur. Ils étaient les irradiés,<br />

les «Tchernobyliens», ces gens qui venaient du<br />

pays du diable. Des réfugiés infréquentables.<br />

Auditorium / Centre culturel - Pripyat<br />

Salle de musique / Centre culturel - Pripyat<br />

Ils ont dû très vite faire face aux premières maladies<br />

rapportées du front, trouver les médicaments,<br />

affronter les opérations chirurgicales, se<br />

battre sans répit pour se faire reconnaître des<br />

autorités comme sinistrés, sans travail, sans argent,<br />

rejetés par tout le monde... Quelques plans<br />

de relogement ont été mis en place. Lotissements<br />

dans les campagnes, tours de béton dans<br />

les villes, villes nouvelles même. C’est là qu’ils<br />

ont été regroupés. Ghettoïsés.<br />

Puis les autorités les ont oubliés. Ils n’existent<br />

pas. Il ne s’est rien passé de grave à Tchernobyl.<br />

Le mécanisme de l’ignorance programmée, de<br />

la négation du désastre, de la liquidation de son<br />

souvenir même, était en marche.


Au matin du 26 avril 1986, l’école était<br />

ouverte, et les écoliers au travail. Ils<br />

recevaient sans douleur, je le redis, des<br />

milliers de fois la dose de radiation admise.<br />

10 fois serait déjà trop pour des<br />

enfants. Alors...<br />

Même pas la peine de les en avertir<br />

La principale préoccupation des autorités<br />

était d’éviter la panique. Elles auront<br />

réussi, en commettant au passage le<br />

premier crime de masse du nucléaire<br />

civil.<br />

Aujourd’hui ce sera l’avant-dernière<br />

matinée de vie de cette école, avant<br />

l’annonce de l’évacuation de la ville. Ce<br />

n’est pas un exercice. C’est l’état d’urgence.<br />

Impitoyable. Inhumain.<br />

Et le lendemain, les enfants n’iront pas<br />

à l’inauguration du Parc d’activités que<br />

la Ville avait construit pour eux. Il devait<br />

être inauguré le 27 avril. Ce devait être<br />

un jour de fête. Le sort, le hasard ou les<br />

sorcières en ont décidé autrement.


PRIPYAT - AMUSEMENT PARC<br />

Hasard du calendrier : le 27 avril 1986 devait être le jour de l’inauguration du Parc<br />

d’amusement de Pripyat. Les enfants attendaient ce jour depuis longtemps. La veille<br />

de l’accident, en s’endormant, la grande roue tournait dans leurs rêves, et ils se poursuivaient<br />

déjà en auto-tamponneuses...<br />

Aucun d’eux ne s’imaginait que, pendant leur sommeil, les sorciers de l’atome allaient<br />

casser leurs songes. Réveillés au milieu de la nuit par l’énorme explosion, les enfants<br />

allaient devoir apprendre que l’on pouvait passer très vite du rêve au cauchemar, de la<br />

tranquillité à l’effroi. Leur temps et leurs rêves venaient de leur être confisqués.<br />

Le 27 avril, à 14h, dans une course folle qui venait de commencer, ils étaient entassés<br />

dans des bus, sans avoir le droit d’emmener avec eux leurs mascottes ou leurs jouets,<br />

ni leurs devoirs d’école. Rien. Des mères désespérées entravaient le départ des bus<br />

en s’y accrochant. Les soldats devaient les arracher des véhicules. Et quand le bus<br />

prenait de la vitesse, elles couraient après, les bras au ciel. L’air était de métal.


Jacques Prévert - « Fête foraine » dans son recueil «Paroles»<br />

Heureux le coeur du monde<br />

Sur son jet d’eau de sang<br />

Heureux le limonaire<br />

Hurlant dans la poussière<br />

De sa voix de citron<br />

Un refrain populaire<br />

Sans rime ni raison<br />

Heureux les amoureux<br />

Sur les montagnes russes<br />

Heureuse la fille rousse<br />

Sur son cheval blanc<br />

Heureux le garçon brun<br />

Qui l’attend en souriant<br />

Heureux cet homme en deuil<br />

Debout dans sa nacelle<br />

Heureuse la grosse dame<br />

Avec son cerf-volant<br />

Heureux le vieil idiot<br />

Qui fracasse la vaisselle<br />

Heureux dans son carrosse<br />

Un tout petit enfant<br />

Malheureux les conscrits<br />

Devant le stand de tir<br />

Visant le cœur du monde<br />

Visant leur propre coeur<br />

Visant le cœur du monde<br />

En éclatant de rire.


Juillet 2005 - School 1 -<br />

First building collapsed in Pripyat<br />

Le bâtiment du lycée School #1 est le premier<br />

qui s’est écroulé à Pripyat. Il s’est coupé en<br />

deux, tout seul, presque 20 ans après l’évacuation.<br />

Une trace du futur proche de la ville.<br />

«Je n’aime pas l’architecture des villes nouvelles<br />

... elles ne feront pas de belles ruines», m’avait<br />

dit un jour Jacques Prévert.


Il n’y a pas de pause possible ici<br />

On ne doit pas rester longtemps là où l’on se trouve, et l’on n’a pas d’autre choix que de poursuivre<br />

la route vers des lieux où l’homme n’a plus le droit de vivre. Piotr me dit que nous avons le temps de<br />

passer par le stade et par le jardin d’enfants avant que le soleil ne se couche.<br />

En chemin il me raconte les missions d’extermination des animaux domestiques qui suivirent l’évacuation<br />

des territoires. Imaginez la ligne de front d’une armée de scaphandres blancs traquant des<br />

chats, des chiens, des animaux de basse-cour, et les enterrant dans des fosses communes de déchets<br />

radioactifs!<br />

Il me parle des mutations de la flore et de la faune. Des cigognes qui ne sont jamais revenues, et des<br />

pins qui, là où ils sont morts, n’ont jamais repoussé. « Le plan de désinformation voudrait nous faire<br />

croire que la nature est plus prolifique et en meilleure santé depuis que le réacteur a explosé. Que<br />

l’atome est la solution à la désertification! Quelle farce !»<br />

En allumant sa 15ème cigarette de la journée il me dit: «Ici, dans ces régions, tu vois des choses que<br />

les autres n’ont pas encore vues mais auxquelles ils vont être confrontés bientôt. Tu es au cœur du<br />

piège atomique. Puissent tes images faire comprendre à ceux qui les verront qu’ils vont avoir, très vite,<br />

à désapprendre de pleurer».


Monuments engloutis<br />

Pyramides improbables<br />

Le stade - Pripyat<br />

C’est le stade de Pripyat. Version atomique de Angkor,<br />

de Palenque ou Chichen Itza. Mais ici la jungle<br />

n’a pas de moiteur, les odeurs ne sentent rien, et les<br />

oiseaux ne chantent plus. Ici, comme là-bas, les lieux<br />

sont marqués d’une absence soudaine. D’un abandon<br />

obligé. D’un exode forcé.<br />

Là-bas les constructions étaient de pierre et les divinités<br />

vénérées. Ici elles sont de sable, de ciment et de<br />

fer. Et l’homme a voulu prendre la place des Dieux.<br />

Là-bas ils étaient dans l’hommage, ici dans le défi.<br />

Là-bas des vestiges millénaires d’une civilisation disparue,<br />

ici les traces récentes d’une humanité déchue.<br />

Tchernobyl a aussi cassé la frontière entre le réel<br />

et l’irréel. La rupture est génétique, psycho-génétique.<br />

C’est un déchirement des croyances et la révocation<br />

de tous les schémas philosophiques.<br />

«Alors on se réjouira en voyant des traces humaines,<br />

pas un autre homme: seulement des traces».<br />

La Supplication / p 53 / Svetlana Alexievitch


La dernière nuit de l’Hôpital de Pripyat aura<br />

été très très agitée.<br />

Branle-bas de combat<br />

C’est là que, dans la nuit, sont arrivés les premiers<br />

blessés, puis au petit matin les pompiers<br />

irrémédiablement brûlés, et plus tard les<br />

pêcheurs à la ligne. Et puis, au fil des heures,<br />

de plus en plus de gens saisis de fortes nausées,<br />

qui accompagnaient des enfants qui<br />

saignaient du nez , se plaignaient de maux de<br />

tête en vomissant partout...


Impossible de recevoir<br />

tout ce monde<br />

La radioactivité dont étaient chargés<br />

Vassia Chichenoke et Titenok, -les 2 premiers<br />

pompiers qui ont passé 7 heures sur<br />

ce qui restait du réacteur explosé-, était<br />

si forte, que les murs de leurs chambres<br />

saturaient les compteurs. Celles des pêcheurs<br />

également. Leur taux de radioactivité<br />

n’était même pas mesurable. On<br />

n’avait jamais vu ça. Urgence pour les<br />

entrées. Mais, chose plus rare, urgences<br />

aussi pour les sorties.<br />

Tous les médecins, infirmières et personnel<br />

soignant de la ville sont mobilisés<br />

dans la nuit. Ce seront les premiers à<br />

réaliser l’ampleur du désastre. Complètement<br />

débordés. Impossible de recevoir<br />

tout ce monde. Les médicaments étaient<br />

eux aussi devenus des déchets atomiques<br />

dangereux. Le matériel médical<br />

tombait en panne.<br />

Que de scènes hallucinantes se sont déroulées<br />

ici dans les 30 dernières heures<br />

de la Ville de Pripyat!<br />

D’un côté il n’y avait qu’un incendie, de<br />

l’autre plus le temps.<br />

Hôpital de Pripyat / Étage Enfants


Et pour détendre l’atmosphère<br />

lES radioS UKRAINIENNES diffusAIENT des histoires drôles<br />

La Verkhovna Rada (Conseil Supérieur ukrainien,<br />

le Parlement) siège. A l’ordre du jour, les<br />

discussions autour des capacités agricoles<br />

des terres à côté de la zone de Tchernobyl. Un<br />

député propose d’y faire pousser de la pomme<br />

de terre, tout le monde est indigné ... mais non,<br />

ce n’est pas possible. Un autre propose des<br />

pommes, ça ne passe pas non plus.<br />

Un troisième dit: - Plantons du tabac, comme<br />

ça on pourra marquer sur le paquet LE MINIS-<br />

TÈRE DE LA SANTÉ PRÉVIENT POUR LA<br />

DERNIÈRE FOIS ...<br />

(Histoire drôle)<br />

Les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl<br />

sur le cerveau et sur le métabolisme des<br />

enfants ont été très néfastes. Les radiations ont<br />

provoqué des troubles inquiétants.<br />

Savez-vous comment ils font, maintenant,<br />

les enfants, pour compter jusqu’à 33 ? ... ils<br />

comptent sur les doigts de leurs mains.<br />

(Autre histoire drôle)


Ils se sont tous enfuis.<br />

Les premiers secrétaires, les présidents,<br />

leurs adjoints, les médecins,<br />

tous les responsables, tous les dirigeants,<br />

toutes les «autorités» se sont<br />

enfuis. Ils ont laissé là la population<br />

à elle-même, comme des cobayes,<br />

comme des rats. Et ils sont partis avec<br />

la caisse bien sûr. D’autres les ont<br />

remplacés, se sont rempli les poches<br />

et sont partis.<br />

«Comme les savants, les experts qui<br />

passent nous voir toutes les Saint Glinglin.<br />

Ils emmènent avec eux leurs repas, nous<br />

regardent, nous traitent comme des pestiférés,<br />

et repartent vite. Nous sommes des<br />

animaux de laboratoire. Partir ? Mais pour<br />

aller où ?<br />

On doit crever ici.<br />

Des gens en haut lieu en ont décidé ainsi».


Tout ce que j’avais lu et vu pendant les 2 années de préparation à<br />

mon voyage en zones atomiques sur la catastrophe, sur sa gestion<br />

et ses conséquences, refaisait surface dans ce lieu de recueillement.<br />

J’ai rencontré beaucoup des acteurs de cette tragédie (journalistes,<br />

photographes, témoins, universitaires, cinéastes, écrivains, philosophes,<br />

scientifiques, associatifs, ONG, liquidateurs, victimes ... )<br />

qui œuvrent à dévoiler sa réalité, à dénoncer ses conséquences, à<br />

briser le silence que les criminels, les barbares, les psychopathes<br />

déments du lobby de l’atome et les gouvernants, ont imposé au<br />

lendemain de l’explosion. Beaucoup sont encore vivants et même<br />

toujours aux responsabilités, qu’ils soient soviétiques ou fassent<br />

partie de l’ AIEA et des agences complices de l’ ONU, comme l’<br />

OMS, muselée par son accord avec l’AIEA dont le principal objectif<br />

statutaire est «l’accélération et la croissance de la contribution<br />

de l’énergie atomique pour la paix, la santé et la prospérité<br />

dans le monde entier».<br />

Ce sont les mêmes dont la première décision a été de classer<br />

immédiatement Tchernobyl comme dossier «ULTRA-SECRET».<br />

Puis d’éliminer et d’empêcher les images, de disperser les acteurs<br />

et les témoins du désastre, de liquider les liquidateurs, de sacrifier<br />

des millions de vies, d’organiser la désinformation pour faire<br />

croire au Monde que Tchernobyl n’était pas une catastrophe, mais<br />

juste un accident pas si grave que cela. Tout le mépris du monde<br />

sur tous ces menteurs cyniques et sinistres, comme notre abject<br />

Pellerin† (qu’il ne dorme pas en paix) national, dépêché en première<br />

ligne médiatique pour faire croire aux français que le nuage<br />

radioactif venant de Tchernobyl s’était arrêté à nos frontières !<br />

Que soient maudits, tous ceux qui ont œuvré à réduire au silence<br />

ceux qui tentaient de sauver des vies, et pire, à les en empêcher.<br />

Que soient punis aussi et avec eux, tous ceux qui ont pensé, mis<br />

en place et développent l’ignorance organisée, et qui décident en<br />

petit nombre, au jour le jour, du sort de milliards de personnes.<br />

Le terme de Crime contre l’Humanité n’a jamais eu autant de<br />

sens. Il faut pour eux, que soit réouvert NUREMBERG.


Dans l’appartement de Lioussia Chichenok,<br />

(l’épouse de premier pompier monté sur le toit de<br />

réacteur explosé), la petite chapelle qu’elle entretient<br />

pour le souvenir du pompier Chichenok, mort<br />

au feu atomique avec Vachtchouk, Kibenok, Titenok,<br />

Pravik et Tichitchoura, de garde cette nuit-là.<br />

Tous médaillés post-mortem de la médaille de<br />

Héros de l’URSS.<br />

« Cependant, du point de vue de<br />

la santé mentale, la solution la plus<br />

satisfaisante pour l’avenir des utilisations<br />

pacifiques de l’énergie atomique<br />

serait de voir monter une nouvelle<br />

génération qui aurait appris à<br />

s’accommoder de l’ignorance et de<br />

l’incertitude et qui, pour citer Joseph<br />

Addison, le poète anglais du XVIII<br />

siècle, « saurait chevaucher dans<br />

l’ouragan et diriger la tempête »<br />

Rapports techniques, n° 151, OMS - Genève, 1958, p.45<br />

(...) Depuis le début de l’ère nucléaire: «32 millions<br />

de personnes victimes de la guerre nucléaire industrielle.<br />

Chiffre prudent.» (...) Rosalie Bertell


SOURCES<br />

Svetlana Alexievitch<br />

Wladimir Tcherkoff<br />

Vassily Nesterenko<br />

Grigori Medvedev<br />

Youri Bandajevski<br />

Bella et Roger Belbéoch<br />

Michel Fernex<br />

Rosalie Bertell<br />

Jean-Pierre Dupuy<br />

Guillaume Herbaut<br />

Magdalena Caris<br />

Paul Fusko<br />

Adi Roche<br />

Danielle Mitterrand<br />

Igor Kostine<br />

AUTORISATIONS: FATRAS / Jacques Prévert / Editions GALLIMARD / Magnum Photos<br />

Robert Polidori<br />

Lioussia Chichenok<br />

Tania Kibenok<br />

Criirad<br />

Acro<br />

Sortir du Nucléaire<br />

Greenpeace<br />

Université de Caen<br />

Kiev-Mohyla-Académie<br />

Musée de Tchernobyl - Kiev<br />

ARTE / A2 / FR3<br />

Wikipedia<br />

Jean-Philippe Desbordes<br />

Peter Watkins<br />

SPECIALS THANKS<br />

Olivier Azam<br />

Laure Guillot<br />

Boris Perrin<br />

Pascal Boucher<br />

Jean-Pierre Dupuy<br />

Claude Nori<br />

Patrick Chapuis<br />

Roland Desbordes<br />

Youri Bandajevski<br />

Dominique Charles<br />

Jean-Claude Zylberstein<br />

Stéphanie Loïk<br />

Aurore James<br />

Piotr, mon guide<br />

FIN<br />

•••


Cher Alain-Gilles,<br />

Youri Bandajevski - 05/09/2005 - Minsk<br />

Je rencontre Youri Bandajevski chez lui à Minsk.<br />

Il a quitté la prison il y a quelques semaines. Il est<br />

assigné à résidence.<br />

Youri.B sera la première personne à voir la photo<br />

«La poupée atomique» que je viens de réaliser<br />

quelques jours plutôt à Pripyat. Il est ému. Nous<br />

parlons de tout et peut-être de rien, tant l’étudiante<br />

qui m’accompagne comme traductrice est impressionnée.<br />

Je fais quelques portraits de Youri B. Il me montre<br />

son stock secret de souris de laboratoire sur<br />

son balcon, très impatient de reprendre ses recherches.<br />

En partant je lui dis que ça me ferait bien sûr très<br />

plaisir s’il m’envoyait une lettre, un article, une<br />

collaboration pour mon projet «Tchernobyl Forever».<br />

Photo: Alain-Gilles Bastide<br />

Pour l’humanité, Tchernobyl est une blessure qui ne cicatrise pas, même 20 ans après.<br />

Et qui ne cicatrisera pas pendant très longtemps. C’est un rappel permanent du danger<br />

de l’énergie atomique pour tout ce qui est vivant sur la Terre. Pourquoi Tchernobyl<br />

est-il dangereux pour l’humanité, encore aujourd’hui ?<br />

Premièrement, à cause de l’importance de son influence sur tout ce qui est vivant dans<br />

l’épicentre de la catastrophe. (...) 104.000 km carrés de la superficie du Belarus, de<br />

l’Ukraine et de la Russie avec une densité de contamination radioactive extrêmement<br />

dangereuse. Plus de 3,8 millions de personnes demeuraient sur les territoires indiqués<br />

au moment de l’accident. Un nombre immense de gens, qui se trouvaient loin du lieu<br />

de l’explosion du réacteur N°4 de la centrale atomique en 1986, ont été victimes de<br />

l’influence effrayante de l’énergie atomique, qui avait pris la clef des champs.<br />

Deuxièmement, à cause de la spécificité négative de l’influence sur l’organisme des<br />

gens. Un grand nombre de substances radioactives a été rejeté dans la biosphère (...),<br />

avec des périodes de désintégration différentes, de l’iode à courte durée de vie dont la<br />

période de demi-vie est 8 jours, au plutonium à longue durée de vie dont la période de<br />

demi-vie est 24 390 ans. Cependant, l’élément radioactif qui prédomine par sa quantité<br />

est le césium-137, dont la demi-vie est de 30 ans. Tous ces éléments radioactifs,<br />

non seulement dans les premiers jours de la catastrophe, mais aussi depuis 20 ans,<br />

pénètrent dans l’organisme de l’homme, soit directement, soit par le rayonnement<br />

radioactif en se désintégrant. Ils exercent bien sûr une action très néfaste sur les<br />

organes vitaux.<br />

Dans les premiers mois après l’accident, ces sont les liquidateurs qui ont été soumis à<br />

la radiation la plus grande, principalement à cause du rayonnement radioactif externe.<br />

Beaucoup d’entre eux ont été gravement malades, et certains, peu de temps après,<br />

sont morts du syndrome du mal des rayons.<br />

Dans la période post-tchernobylienne il y a eu une très grande augmentation du<br />

nombre des maladies du coeur, du système endocrinien et des autres systèmes, une<br />

énorme quantité d’enfants avec des vices innés du développement. L’accroissement<br />

du nombre de tumeurs malignes a atteint un niveau extrêmement dangereux.<br />

Troisièmement, Tchernobyl est dangereux par le fait qu’il n’a pas provoqué une réaction<br />

vive de la population, telle qu’elle se produit dans le cas de tragédies d’une telle<br />

ampleur. Les gens ont accepté Tchernobyl, ils sont exposés à son influence terrible,<br />

et n’exigent aucune mesure de sécurité, pour eux-mêmes, mais surtout pour leurs<br />

enfants et petits-enfants. (...) Tchernobyl a paralysé la volonté des gens. Le pouvoir<br />

a créé une représentation de la désolation telle qu’on puisse croire à la résolution du<br />

problème. (...) Même aujourd’hui, Tchernobyl ne révolte pas les gens. Désormais, intimidés<br />

par le pouvoir en place, ils sont même d’accord pour mourir des maladies provoquées<br />

par la radioactivité. Et même si des appels se font entendre dans la société<br />

pour la protection des gens victimes des effets de la radioactivité, on les fait taire, pour<br />

ne pas mettre en péril les mensonges des États. (...)<br />

Le devoir du médecin et du professionnel de la santé consiste à défendre la vie et<br />

la santé de l’homme. Cette défense s’exerce, non seulement par le fait de porter secours,<br />

mais aussi en étudiant l’influence des différents facteurs de l’environnement<br />

sur la population humaine, et en en tirant les enseignements pour mieux la protéger<br />

et la soigner. (...)<br />

Professeur, Youri Bandajevski - Minsk - Oct.2005<br />

Je l’ai reçue 3 semaines plus tard.<br />

Voir: http://tchernobyl.verites.free.fr/<br />

La population, qui vit sur les territoires qui ont été touchés par la catastrophe de Tchernobyl,<br />

est exposée à une influence radioactive permanente, en utilisant des denrées<br />

alimentaires contaminées. C’est le danger principal de la catastrophe de Tchernobyl.<br />

Lettre de Youri Bandajevski à l’auteur


Photo: Patrick Chapuis - 2012<br />

L’AUTEUR Alain-Gilles Bastide<br />

À mon petit garçon Noé ...<br />

(...) La «PHOTO-POÉSIE» - activité polymorphiste,<br />

qui permet l’association de<br />

formes et pratiques a-priori hétérogènes<br />

- est le moteur du travail d’Alain-Gilles<br />

Bastide, dès son début (1968). Il se dit<br />

«IMAGIER» et répudie l’appellation de photographe.<br />

Il s’applique à démystifier «LE<br />

photographe» version Blow-up, serviteur<br />

complaisant de la société du spectacle, et il<br />

décide de ne travailler qu’avec l’outillage de<br />

monsieur tout le monde.<br />

Dès le début des années 70, il va participer<br />

à de nombreux festivals et rencontres<br />

photographiques. Avec son premier grand<br />

reportage (AMOCO-CADIZ), «La marée<br />

était en noir», il signera des publications<br />

importantes dans PhotoCinéma / Pentax<br />

Photographie Japon / Bulletin de l’UNESCO<br />

/ etc .... C’est ensuite au Mexique qu’il<br />

conduit son second, «IXTOC-ONE», proposé<br />

comme «Le rêve en bleu d’Esteban», qui<br />

fera l’objet d’expositions à Paris et en Province.<br />

La critique parle d’ «un livre qui brûle<br />

les plates-formes» (ZOOM) et ses images<br />

sont reprises et publiées par Paris-Match et<br />

la presse du monde entier qui le consacrent<br />

bien malgré lui, «grand reporter».<br />

Les travaux se multiplient et s’exposent à<br />

Paris, Amsterdam, Lima, Cologne, Tokyo ...<br />

«SANGUINE-BLOODSTONE» est exposé<br />

à Paris pendant le Mois de la Photographie<br />

(Catalogue 82) et le magazine ZOOM s’en<br />

fait un large écho. Le Musée d’Art Moderne<br />

de Paris fait l’acquisition d’une première<br />

photographie. Dans les années 80, son travail<br />

a été distribué par les agences Gamma<br />

à Paris, Black Star à New York et Pacific<br />

Press Service (Magnum) à Tokyo. (...)<br />

En 2006, le Musée d’Art Contemporain de<br />

Barcelone (CCCB) se porte acquéreur du<br />

Mémorial qu’il a réalisé pour les 700 villages<br />

enterrés après la catastrophe de Tchernobyl.<br />

Cette œuvre ouvrira l’exposition européenne<br />

«IL ÉTAIT UNE FOIS TCHERNO-<br />

BYL» réalisée au CCCB pour le 20 ème<br />

anniversaire de la catastrophe. (…)<br />

Jean-Pierre Dupuy<br />

Achevé d`imprimer par Pulsio.net en février 2016. Imprimé en UE<br />

• Le texte de Alain-Gilles Bastide «Tchernobyl Forever» Carnet de voyage<br />

en enfer est traduit en: allemand, japonais, anglais, italien, espagnol, norvégien,<br />

esperanto, MAYA .<br />

• Adapté au théatre par Stéphanie Loïk, Théatre du Labrador pour la Scène<br />

Nationale de la Martinique dirigée par Hassane Kassi Kouyaté. Mars 2016.<br />

* Jean-Pierre Dupuy<br />

Conseiller Technique et Pédagogique d’Education Populaire de théâtre<br />

auprès du Ministère de la Jeunesse et sports. Homme de théâtre : comédien/metteur<br />

en scène. La photographie et les arts visuels et plastiques<br />

recoupent l’essentiel de ses préoccupations comme l’expérimentation de<br />

nouvelles formes de gestion et d’expression du lien social.<br />

• Distribué par «Les Mutins de Pangée» www.lesmutins.org


À propos de <strong>TCHERNOBYL</strong> <strong>FOREVER</strong> ...<br />

En 2000, de retour en France après 20 ans passés en Amérique Latine, j’ai entrepris<br />

une trilogie photographique sur le thème des « Traces ». Je vivais alors entre Paris et La<br />

Havane. J’avais dans mes yeux tous les jours les traces du présent, ou celles du passé.<br />

Paris, le présent, le temps de la modernité en marche, le béton et l’asphalte, les codes<br />

graphiques de l’ordre en noir et blanc … La Havane, les couleurs du passé, le temps<br />

suspendu, celui du retour au sable dans l’anarchie des ruines … C’est en me demandant<br />

où je pourrais trouver des traces du futur, que j’ai pensé à Tchernobyl. J’imaginais le<br />

temps confisqué, volé, le vide soudain, l’abandon, la terre empoisonnée …<br />

J’ai lu « La supplication - Tchernobyl: Croniques après l’apocalypse » de Svetlana Alexievitch,<br />

et j’ai su compris que ce serait bien là-bas que trouverai des traces du futur. J’ai<br />

préparé mon voyage pendant 2 ans, lu et vu beaucoup de ce qui avait été publié sur le<br />

sujet; j’ai rencontré des gens qui travaillaient sur le sujet de Tchernobyl, sur son histoire<br />

et sur ses conséquences.<br />

En 2004, la première mission d’une ONG qui devait m’emmener dans la région a été<br />

annulée au dernier moment. En 2005, je fus chargé dans un programme de l’Université<br />

de Caen, du pôle image de «Première Université de Tchernobyl» à Kiev. J’ai proposé aux<br />

étudiants (Français/Ukrainiens/Russes/Bélarusse) de travailler sur le thème de la mémoire<br />

et de l’invisible. L’atelier « Tchernobyl Forever » a enfin pu avoir lieu.<br />

L’Université terminée, je suis resté tout seul sur le terrain. J’ai recherché et trouvé la<br />

poupée abandonnée qu’une professeur parisienne avait vue, lors d’une mission universitaire,<br />

10 ans plus tôt, dans les ruines de Pripyat. J’ai trouvé, complètement par hasard,<br />

dans la région de Slavgorod *, le paysage dont j’avais cauchemardé pour réaliser un<br />

Mémorial aux Villages enterrés. Et puis j’ai rencontré des gens qui m’ont raconté leurs<br />

histoires et leur quotidien, avant et après la catastrophe, et j’ai réalisé des centaines<br />

d’images d’ombres et d’abandon contraint.<br />

De retour à Paris j’ai «monté» une série de 20 images pour le 3ème chapitre de ma trilogie<br />

«Traces». J’ai fait cadeau de la photo de «La poupée atomique» à la Criirad, pour<br />

éditer une carte postale et contribuer à recueillir des fonds pour le projet de laboratoire<br />

Criirad-Bandajewski à Minsk. En 2006, le CCCB de Barcelone, qui organisait l’exposition<br />

européenne pour les 20 ans de la catastrophe, «Il était une fois Tchernobyl ...», s’est<br />

porté acquéreur de «Kolkoze Kuybicheva», mon Mémorial aux 700 villages enterrés<br />

en Ukraine, Belarus et Russie. Puis, d’expositions en conférences ou en publications,<br />

informatives et solidaires, Tchernobyl Forever à fait son chemin.<br />

Et je me disais qu’un jour, peut-être, si j’en trouvais les mots, je ferai un carnet de ce<br />

voyage avec les centaines d’images qui sommeillaient dans ma mémoire, et dans celle<br />

de l’ordinateur. Ce n’est qu’en 2012, - 7 ans après mon séjour dans «la zone»* - alors<br />

qu’une histoire d’enfant confisqué m’enfermait dans un hiver plus froid, que je me suis<br />

mis à écrire, et à réaliser la maquette du Carnet de voyage, en écoutant Mister Tambourin<br />

Man*.<br />

En 2013, à peine terminé l’exemplaire «0», j’ai reçu une proposition de publication de<br />

la part d’un éditeur parisien. Je lui ai expliqué qu’une publication n’avait de sens que si<br />

elle pouvait générer de ressources pour les enfants de là-bas, sur le terrain, dans les<br />

territoires maudits où ils servent de cobayes. En aucun cas il ne fallait l’imaginer comme<br />

l’édition d’un «album» de photographies.<br />

Et Tchernobyl Forever est devenu le concept d’une campagne de crowdfunding: « Un<br />

livre-dvd pour une opération humanitaire ». 414 souscripteurs en ont fait le succès et ont<br />

permis l’édition d’un ouvrage collectif autour de Tchernobyl Forever. Les auteurs qui ont<br />

participé, Jean-Pierre Dupuy / Wladimir Tchertkoff / Emanuela Andreoli / Michel Fernex / Jean<br />

Gaumy / Jacques Prévert / Patricia Jean-Drouart ont apporté avec moi leurs droits d’auteurs<br />

au profit des enfants malades des radiations, en Bélarus.<br />

En 2014 le texte du carnet de voyage Tchernobyl forever à eu l’immense chance de<br />

rencontrer Stéphanie Loïk* qui s’est proposée d’en faire une adaptation théatrale. En 2016<br />

Tchernobyl Forever est produit par la Scène Nationale de la Martinique et le Théatre du<br />

Labrador.<br />

En 2016, Tchernobyl Forever sortira en librairies, en français et sera disponible en plusieurs<br />

langues sur des plateformes ebook. Je remercie une nouvelle fois tous ceux qui<br />

ont rendu possible et qui accompagnent la diffusion de ce travail. Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui<br />

et bien sûr ceux de demain. Mes droits d’auteur continueront d’être ma modeste<br />

contribution à générer des ressources pour les damnés des zones contaminées de Tchernobyl…<br />

de Fukushima… et demain d’un ailleurs qui dans ce domaine, n’en doutez pas,<br />

n’est jamais très loin.<br />

Les images et les mots de ce livre sont pour eux.<br />

Alain-Gilles Bastide . Paris Oct.2015<br />

* Slavgorod. Sud-Est du Belarus . Concentration villages enterrés / * Voir le livre de Guillaume Herbaut LA ZONE / * «Mister Tambourin Man» Bob Dylan The Royal Album - 1966<br />

* Tchernobyl Forever est adapté au théatre par Stéphanie Loïk.


<strong>TCHERNOBYL</strong> <strong>FOREVER</strong><br />

CARNET DE VOYAGE EN ENFER<br />

L’histoire de Tchernobyl depuis l’explosion du réacteur le 26 avril 1986 jusqu’à nos jours, comme elle n’avait jamais été racontée.<br />

Ici, nous sommes dans les faits, les témoignages, nous sommes dans un quotidien simple, humble, dans l’Humain au sens de l’individu<br />

comme de l’Humanité. Tout ce qui est raconté dans ce livre est vrai. Vérités cachées, dissimulées quand elles ne sont pas<br />

interdites, ou vérités que l’on ne veut pas voir.<br />

Aujourd’hui, alors que 30 ans se sont écoulés depuis le désastre, un auteur/photo-journaliste nous raconte Tchernobyl comme nous<br />

ne l’avions jamais imaginé. Et ce n’est pas une fiction. C’est Tchernobyl, et c’est bien Forever.<br />

Note de l’éditeur<br />

(...) Nous venons de pénétrer dans le cœur de la zone de guerre. Une guerre d’un genre jamais vu, où il est impossible de<br />

se mettre à l’abri des balles invisibles d’un ennemi invisible. Aucun refuge: ni sur terre, ni sur l’eau, ni dans les airs.<br />

(...) Au matin du 26 avril 1986, l’école était ouverte, et les écoliers au travail. Ils recevaient sans douleur, je le redis, des milliers de<br />

fois la dose de radiation admise. 10 fois serait déjà trop pour des enfants. Alors ... Même pas la peine de les en avertir ...<br />

(...) Avec mon collègue Legassov on a survolé le réacteur en hélicoptère et ma première réaction a été la suivante: «Si<br />

comme le disent les croyants l’Enfer existe, je peux dire qu’il est là sous mes yeux» ! Vassili Nesterenko. 27 avril 1986<br />

(...) Tchernobyl a aussi cassé la frontière entre le réel et l’irréel.<br />

La rupture est génétique, psycho-génétique. C’est un déchirement des croyances et la révocation de tous les schémas philosophiques.<br />

(...) La vieille expérience de l’homme, sa culture et sa philosophie, son système de représentation, tous ses sens ont été pris de court par Tchernobyl.<br />

Les conséquences moléculaires, physiques et psychiques de l’explosion, ont fait basculer l’humanité dans un autre monde.<br />

Extraits de Tchernobyl Forever. Texte et photographies: Alain-Gilles Bastide<br />

Édition à compte d’auteur Alain-Gilles Bastide • Gestion/Administration: Association Photographisme-Photomorphisme • PARIS - 2015 • © Droits réservés pour tous pays.

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