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Alice. J'ignorais que ce prénom prendrait une telle place dans ma vie. J'avais entendu parler du malheur et je ne<br />

savais pas qu'il se prénommait Alice. Alice, je t'aime. Deux mots inséparables. Tu ne t'appelles pas Alice, mais<br />

"Alice-je-t'aime".<br />

Ton Marc très cafardeux.”<br />

Comme prévu, Alice me rappela le lundi suivant. Elle m'avoua qu'elle était folle de moi, et me promit qu'on ne se<br />

quitterait plus jamais. Je la dévêtis doucement dans un appartement prêté par une amie. C'est peu dire que nos<br />

retrouvailles furent agréables. Cet après-midi de plaisir pourrait servir de mètre-étalon à Sèvres au rayon<br />

“jouissance sexuelle de très haut niveau entre deux êtres humains de sexes complémentaires”. Ensuite,<br />

contrairement à sa<br />

promesse, elle me quitta vers neuf heures du soir, épuisée, et je me retrouvai de nouveau seul pour aller à la<br />

rencontre des heures.<br />

XXXIX<br />

La descente continue<br />

Autant vous prévenir tout de suite: il n'est pas sûr que cette histoire aura une “happy end”. Ces dernières semaines<br />

comptent parmi les plus tristes et magnifiques souvenirs de ma vie, et rien ne m'autorise à penser que cette situation<br />

ne va pas se prolonger. J'ai beau tenter de forcer le destin, celui-ci n'est pas en pâte à modeler.<br />

La fin du monde a eu lieu la semaine dernière. Alice m'a téléphoné pour me dire qu'elle partait en vacances avec<br />

Antoine pour essayer de recoller les morceaux. Cette fois, c'est bien fini. Nous avons raccroché sans même nous<br />

dire adieu. Mon amour est Hiroshima. Voyez les dégâts que peut causer la passion; on en vient presque à citer<br />

Marguerite Duras.<br />

Je regarde une mouche qui se cogne contre la fenêtre de ma chambre et je songe qu'elle est comme moi: il y a du<br />

verre entre elle et ja réalité. Séparée du bonheur par une prison invisible.<br />

La double vie est le luxe des schizophrènes. Alice a le beurre et l'argent du beurre: la passion interdite avec moi, et<br />

son petit confort avec son mari. Pourquoi n'avoir qu'une seule vie quand on peut en avoir plusieurs? Elle change de<br />

mec comme on change de chaîne sur le câble (j'espère au moins que je suis “Eurosport”).<br />

C'est fini. C.E.S.T. F.I.N.I. Il est incroyable que je puisse écrire ces huit lettres aussi facilement, alors que je suis<br />

incapable de les accepter. Parfois il m'arrive d'avoir des crises de mégalomanie: si elle ne veut pas de moi,<br />

m'autopersuade-je, alors je ne l'aime plus! Elle n'est pas à ma Hauteur? Tant pis pour cette conne! Mais ces sursauts<br />

d'orgueil ne durent pas longtemps car je n'ai pas un instinct de survie assez développé.<br />

Je vous prie de m'excuser, les écrivains sont des gens plaintifs, j'espère ne pas trop vous ennuyer avec ma douleur.<br />

Écrire, c'est porter plainte. Il n'y a pas une grande différence entre un roman et une réclamation aux PTT. Si je<br />

pouvais faire autrement, je ne resterais pas enfermé chez moi à taper à la machine. Mais je n'ai pas le choix; je ne<br />

parviendrai jamais à parler d'autre chose.<br />

Regardez-moi ce que je suis devenu... J'écris le même livre que les autres... Chasses-croisés amoureux... On quitte<br />

une femme pour une autre qui ne vient pas... Que m'arrive-t-il? Où sont mes soirées décadentes? Je m'enferre dans<br />

les problèmes sentimentaux germanopratins... On dirait du jeune cinéma français... L'amour est le problème des<br />

gens qui n'ont pas de problèmes... Mais c'est la première fois que je ressens un pareil besoin physique d'écrire...<br />

Autrefois quand on me parlait de “nécessité”, je faisais semblant de comprendre mais je ne savais rien du tout...<br />

Même cet autodénigrement est une énième protection... (Merci Drieu, merci Nourissier...) Je n'ai rien d'autre à<br />

raconter... Fallait que ça sorte un jour... Tant que l'on n'a pas écrit le roman de son divorce on n'a rien écrit... Peutêtre<br />

n'est-il pas inepte de prendre son cas pour une généralité... Si je suis banal, alors je suis universel... Il faut fuir<br />

l'originalité, s'atteler aux sujets éternels... Marre du second degré... Je fais l'apprentissage de la sincérité... Je sens<br />

qu'au fond de cette détresse ij y a comme une rivière qui coule, et que si je parvenais à faire jaillir cette source, je<br />

pourrais rendre service aux “joyeux quelques-uns” qui auraient déjà fréquenté le même genre d'abîme. J'aimerais<br />

les prévenir, tout leur expliquer, pour que ce genre de déconvenue ne leur arrive pas. C'est une mission que je<br />

m'accorde, et elle m'aide à y voir plus clair. Mais il n'est pas impossible que la rivière demeure à jamais<br />

souterraine...<br />

XL<br />

Conversation dans un palace<br />

Jean-Georges ne m'a jamais vu comme ça. Il tente désespérément d'égayer la conversation, comme on tend la main<br />

à un naufragé. Nous sommes au bar d'un grand hôtel mais je ne sais même plus lequel car nous les avons tous<br />

écumés. Je lui demande:

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