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N’Autre école # 5 / ÉDITO /<br />

Contre l’extrême droite<br />

la perspective de l’égalité<br />

ColleCtif d’animation<br />

Éric Zafon – françois Spinner<br />

Samuel Ronsin – olivier Ramaré<br />

andrés monteret – mary vonne menez<br />

anne Querrien – nicolas Hernoult<br />

alexandra Henry – Jean-Pierre fournier<br />

fabien delmotte – Jérôme debrune<br />

Jean-louis Cordonnier – nicole Chosson alain<br />

Chevarin – Grégory Chambat Catherine<br />

Chabrun – Charlotte artois franck antoine.<br />

dRoite a compris depuis long temps<br />

qu’elle ne pourrait reconquérir largement les<br />

l’extRême<br />

esprits sans investir la question éducative.<br />

avec son collectif Racine et ses « enseignants<br />

patriotes », son programme réactionnaire obtient une<br />

audience qui dépasse les seuls cercles radicaux<br />

traditionnels.<br />

Sans doute reste-t-elle la même en son fond, mais elle<br />

sait prendre des visages différents. Comme le souligne<br />

l’historien et sociologue enzo traverso, les droites<br />

radicales actuelles conservent des traits fascistes tout en<br />

les dépassant ou les intégrant autrement pour sembler<br />

modernes et présentables.<br />

des convergences nouvelles se dessinent entre les<br />

intégrismes religieux d’une part (les Journées de retrait<br />

de l’école, la manif pour tous) et l’idéologie<br />

néolibérale de l’autre. derrière les parades petites et<br />

grandes du capitalisme se cache une réaction sociale<br />

qui passe maintenant pour du bon sens. il en va ainsi<br />

des écoles espérance banlieues alliant le libéralisme<br />

économique aux conceptions éducatives les plus<br />

rétrogrades.<br />

dans le prolongement du stage intersyndical qui s’est<br />

tenu en mai 2016 à la Bourse du travail de Saint-denis,<br />

ce dossier entend ne pas laisser le monopole de la<br />

contestation de l’école telle qu’elle est, c’est-à-dire déjà<br />

trop inégalitaire et autoritaire, aux seuls « réacpublicains<br />

».<br />

Comment résister ? Puisque la démocratie est en<br />

crise, il s’agit de la repenser dès l’école où les élèves<br />

construisent des savoirs partagés et s’approprient une<br />

connaissance méthodique et poétique du monde. C’est<br />

aussi là qu’ils et elles peuvent expérimenter des formes<br />

de vie collective, apprendre à coopérer et à agir<br />

ensemble dans la réciprocité. la passion de l’égalité<br />

pour donner une perspective à la vie, en somme. nous<br />

avons une guerre idéologique à mener en ce sens mais<br />

nous ne réussirons qu’en y associant les parents.<br />

Avec ce numéro, les lecteurs et lectrices familiers de la revue<br />

découvriront un nouveau format. Nous espérons que le plaisir<br />

de nous lire n’en sera que meilleur et vous incitera à nous soutenir<br />

en vous abonnant (bulletin en page 97).<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 3


Sommaire /<br />

Dossier – extrêmes droites contre éducation<br />

7<br />

Leurre programme<br />

décryptage d’un discours éducatif<br />

aux multiples facettes où la cohérence<br />

n’est pas vraiment au rendez-vous...<br />

inteRSyndiCale RÉGionale<br />

Île-de-fRanCe.<br />

27<br />

Une éducation déjà<br />

trop nationale<br />

Que certaines valeurs soient partagées<br />

par le fn et une partie encore plus large<br />

de l’opinion publique, avec l’école<br />

comme terrain d’expérimentation, n’est<br />

pas à vrai dire une chose nouvelle.<br />

10<br />

Quand l’extrême droite<br />

est déjà aux commandes...<br />

Plongée dans le quotidien d’enseignants<br />

et d’habitants de communes aux<br />

mains de l’extrême droite.<br />

RaCHel VeRniCe, institutrice à Béziers.<br />

aude SCHneideR, habitante de mantes-la-<br />

Ville.<br />

30<br />

BeRnaRd GiRaRd<br />

Petit manuel<br />

pour une laïcité apaisée<br />

Rencontre avec les auteur.e.s de ce petit<br />

manuel qui décrypte les usages identitaires<br />

de la laïcité.<br />

anaïS floReS & JÉRôme maRtin,<br />

20<br />

La « cible » familles<br />

nous rapprocher des parents<br />

les plus éloignés de l’école,<br />

c’est faire qu’eux s’éloignent<br />

des marchands de haine.<br />

Jean-PieRRe fouRnieR.<br />

34<br />

La méritocratie<br />

en questions<br />

Éclairage historique sur la notion<br />

de « méritocratie » républicaine<br />

et ses usages réactionnaires.<br />

22<br />

De la Journée de retrait<br />

de l’école à la Manif<br />

pour tous<br />

Retour sur un épisode de l’action<br />

des réseaux intégristes, de leur haine<br />

de l’égalité et de leur obsession pour<br />

les questions éducatives.<br />

CÉCile RoPiteaux, secteur droits et libertés du<br />

Snuipp - fSu.<br />

39<br />

JÉRôme KRoP, auteur de la méritocratie<br />

républicaine. Élitisme et scolarisation de masse<br />

sous la iii e République.<br />

Historiens de garde<br />

entretien avec les auteurs<br />

des Historiens de garde à propos<br />

de l’instrumentalisation de l’Histoire.<br />

William BlanC<br />

auRoRe CHÉRy<br />

CHRiStoPHe naudin<br />

4 // N’Autre école - Q2c N° 5


43<br />

45<br />

49<br />

56<br />

En classe<br />

la pédagogie contre les idées<br />

de l’extrême droite : retour sur une<br />

expérience de pratique « de classe »...<br />

dans une ville aux mains du fn.<br />

JaCQueline tRiGuel, prof en collège.<br />

Complotisme<br />

Comment aborder en classe<br />

l’indispensable travail de<br />

décons truction des théories du complot<br />

SeRVane maRZin, prof en lycée.<br />

Au cœur de la nébuleuse<br />

des réac-publicains<br />

Cartographie des réseaux qui ont fait<br />

de l’école le laboratoire de la révolution<br />

conservatrice.<br />

GRÉGoRy CHamBat, enseignant et auteur de<br />

l’École des réac-publicains.<br />

Une guerre « culturelle »<br />

Quand les extrêmes droites parlent culture...<br />

alain CHeVaRin, auteur de fascinant fascisant.<br />

Rubriques<br />

3 Édito<br />

70 Ouverture(s)<br />

INterNAtIoNAl : L’autre école belge<br />

PhIlosoPhIe : Au-delà des frontières<br />

77 Pédagogie sociale<br />

La rage du social<br />

86 L’école des barricades<br />

MéMoIre des luttes : Syndicalisme<br />

et pédagogie<br />

école-ogIe : Un an après la COP 21<br />

le bIllet de berNArd collot<br />

culture : Entretien avec J. Baschet<br />

93 Luttes-et-ratures<br />

revues, histoire et société<br />

littérature jeunesse<br />

68 Ressources<br />

Références bibliographiques<br />

et sitographiques.<br />

61<br />

Port-folio Myr Muratet<br />

entretien avec le photographe invité de<br />

ce numéro accompagné d’un reportage<br />

sur Calais.<br />

myR muRatet, photographe.<br />

CouVeRtuRe<br />

Éric Zafon<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 5


# dossier<br />

Extrêmes droites<br />

contre éducation<br />

École primaire Marie Curie , Bobigny Heure de travail individuel – Myr MURATET<br />

Éducation contre<br />

extrêmes droites<br />

6 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Leurre programme...<br />

mais l’histoire aime l’ironie. Ceux qui dénonçaient<br />

l’école comme trop « démocratique<br />

» deviennent aujourd’hui les fervents<br />

défenseurs d’une institution qui, au milieu<br />

du xx e siècle, excluait plus encore que celle<br />

d’aujourd’hui. le lycée ne s’ouvrait qu’à<br />

une minorité, qu’à une élite soci ale qui<br />

pouvait ainsi se reproduire en toute tranquillité.<br />

les autres devaient se contenter d’un minimum<br />

éducatif rendu acceptable par le pleinemploi<br />

et les perspectives de promotions<br />

que ce dernier offrait sur le moyen terme.<br />

À REBOURS DE L’HISTOIRE<br />

nous sommes aujourd’hui dans un tout autre<br />

contexte économique, culturel et technologique,<br />

avec des jeunes qui baignent dans<br />

des flux d’informations et de sollicitations<br />

contradictoires. la chasse aux papil lons a<br />

fait place à celle aux Pokémons. Cela impose<br />

de prendre les élèves comme ils et elles<br />

sont, pas tel.le.s* qu’on les imagine et de ne<br />

pas chercher dans le regret d’hier les recettes<br />

pour demain.<br />

et il ne suffit pas d’additionner les consternantes<br />

déclarations d’une dynastie de politiciens<br />

d’extrême droite pour faire un proultralibérale<br />

un jour, super-dirigiste le lendemain, « laïcité » chevillée<br />

au corps le matin, débordant « d’héritage chrétien » le soir… le discours<br />

du FN, qui incarne les différentes sensibilités nationalistes,<br />

adopte depuis des années, sans vergogne et sans peur des contradictions,<br />

la stratégie du caméléon ou l’art populiste de dire fort ce<br />

que « l’autre » est susceptible de vouloir entendre. et peu importe<br />

qu’on ait dit le contraire dans la phrase précédente.<br />

Par l’intersyndicale Éducation Île-de-France (CGT, CNT, CNT-SO, FSU, SUD éducation) & Visa, Q2C<br />

ne dÉRoGe PaS à cet<br />

empilement d’incohérences, mais<br />

l’ÉduCation<br />

il est possible de dégager les grands<br />

axes d’un « projet éducatif » des extrêmes<br />

droites, aux antipodes de ce que devrait être<br />

l’école d’aujourd’hui.<br />

UN PROJET ÉDUCATIF PÉRIMÉ<br />

Surfant sur de fausses évidences martelées<br />

par des polémistes peu scrupuleux d’exactitudes<br />

(alain finkielkraut, natacha Polony,<br />

Jean-Paul Brighelli, etc.), ce projet « éducatif »<br />

se cons truit avant tout en regardant en arrière,<br />

en cherchant dans un passé tronqué et revisité<br />

des modèles d’éducation. ainsi, l’école idéale<br />

serait celle d’hier… voire d’avant-hier. le<br />

bon temps du « Certif », lorsque les jeunes<br />

en blouses savaient rester à leur place en<br />

alignant les lignes de copie suivant le modèle<br />

d’un enseignant tout aussi sergent-major<br />

que les plumes utilisées pour écrire. une<br />

école de la discipline, de l’obéissance et de<br />

l’ordre. une école image d’Épinal idéalisée<br />

comme modèle d’une méritocratie républicaine<br />

que l’extrême droite de naguère vitupérait<br />

pourtant avec force car elle avait le<br />

tort d’être laïque et gratuite.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 7


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

gramme éducatif… Qu’on ne s’y méprenne<br />

pas, chez les le Pen, du grand-père à la petite-fille,<br />

du beau-fils à la grande fille, on se<br />

permet de dire tout et son contraire afin de<br />

ratisser le plus large. l’idéalisation de l’éducation<br />

d’hier n’a pas d’autre objet que de<br />

dénoncer et discréditer celle d’aujourd’hui<br />

afin de lui administrer un remède absolu : la<br />

privatisation.<br />

Ce projet « éducatif » se cons truit<br />

avant tout en regardant en arrière,<br />

en cherchant dans un passé tronqué<br />

et revisité des modèles d’éducation.<br />

ainsi, l’école idéale serait celle<br />

d’hier… voire d’avant-hier.<br />

“<br />

”<br />

C’est le rêve d’officines liées à l’extrême<br />

droite (SoS éducation, fondation pour<br />

l’école**) : la fin du service public d’éducation<br />

par l’instauration du « Chèque éducation*** »,<br />

véritable outil d’atomisation d’un système<br />

scolaire qui, bien qu’imparfait, reste le seul<br />

garant du « vivre ensemble ».<br />

aussi, en attendant et pour faire diversion,<br />

là où les acteurs et actrices de l’éducation<br />

regrettent les échecs de notre système et dénoncent<br />

le manque de moyens pour réellement<br />

le démocratiser… les extrêmes droites profitent<br />

du malaise et du manque d’investissement<br />

pour revendiquer des méthodes pédagogiques<br />

qui confinent au dressage en dénonçant<br />

syndicats, enseignantes et pédagogues<br />

comme responsables des échecs.<br />

Seule solution : la mise en concurrence des<br />

systèmes, des écoles, des élèves, des enseignantes…<br />

avec de plus grandes facilités<br />

pour les écoles privées et la mise à l’index<br />

de l’idéal d’une école pour toutes et tous !<br />

REMETTRE L’ÉCOLE AU PAS…<br />

Plus question d’émanciper l’ensemble des<br />

élèves, de les amener le plus loin possible.<br />

dans un monde de compétition, il y a des<br />

« perdantes » et des « gagnantes », des<br />

« méritantes » et des enfants « qui ne le<br />

sont pas »… et qu’importe que ce soit<br />

toujours les mêmes, il faut l’accepter comme<br />

une évidence, un fait naturel : il y a celles et<br />

ceux qui auraient certains dons et d’autres<br />

pas, il y a celles et ceux qui seraient « manuel-le-s<br />

» et les autres « intel lectuel-le-s ».<br />

l’école n’est dès lors plus qu’un instrument<br />

supplétif de l’économie nationale. il faut de<br />

la rentabilité, un retour sur investissement<br />

rapide et, dans cette logique, elle devient<br />

d’abord un coût.<br />

oublié le projet de société structurant.<br />

l’humanisme, même imparfaitement réalisé,<br />

d’une éducation émancipatrice, une Éducation<br />

nationale chargée de former des individus<br />

conscientes des enjeux de la société dans<br />

laquelle ils et elles vivent ! il faudrait « mériter<br />

» l’éducation que l’on reçoit et si cela<br />

ne convient pas, l’apprentissage sera là pour<br />

celles et ceux qui n’arrivent pas. Peu importent<br />

les raisons de leur échec. Peu importe que<br />

l’apprentissage n’ait jamais fait la démonstration<br />

de son efficacité. « leur école » n’a<br />

plus pour but que d’être une antichambre de<br />

l’entreprise et du marché du travail. Succursale<br />

à formater des producteurs et des consommateurs<br />

obéissants pour une élite économique<br />

libre de se perpétuer au milieu de dynasties<br />

de politiciens inamovibles.<br />

« Vous trouvez que l’éducation coûte cher ?<br />

essayez l’ignorance ! » déclarait abraham<br />

lincoln à celles et ceux qui lui reprochaient<br />

de vouloir investir dans l’École. 150 ans<br />

après, sa phrase conserve toute son acuité.<br />

8 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

ORGANISER LA RIPOSTE<br />

la question est aujourd’hui de savoir si l’on<br />

peut encore avoir de l’ambition pour l’Éducation<br />

nationale. Si le savoir, la culture, l’esprit<br />

critique… restent ou non des piliers<br />

structurants de notre avenir et comment la<br />

pédagogie doit participer à cette construction.<br />

Évidemment pour nous la réponse est<br />

affirmative… même si cela n’a rien d’évident.<br />

même si nos organisations continuent<br />

d’avoir des divergences sur certaines questions,<br />

sur certaines priorités, sur la lecture<br />

de certains faits… elles restent persuadées<br />

qu’il n’y a pas d’enfant perdu d’avance, que<br />

l’éducation, la culture sont les vecteurs de<br />

l’émancipation humai ne. Persuadées aussi,<br />

que c’est en donnant plus de poids à l’éducation,<br />

à l’école, en faisant confiance aux<br />

enseignantes et aux jeunes… que l’on<br />

pourra relever les défis démocratiques, économiques<br />

et écologiques dont l’urgence<br />

n’est plus à démontrer. ■<br />

IL NE SUFFIT PAS D’ADDITIONNER<br />

LES CONSTERNANTES DÉCLARATIONS<br />

D’UNE DYNASTIE DE POLITICIENS<br />

D’EXTRÊME DROITE POUR FAIRE<br />

UN PROGRAMME ÉDUCATIF...<br />

REPÈRES<br />

Nous avons conservé la féminisation du texte<br />

original.<br />

Fondationpourl’École&espérance<br />

banlieues : proches de la Manif pour tous, ces<br />

« ultra-libéraux » du marché scolaire rêvent de<br />

créer un vaste réseau d’écoles privées hors<br />

contrat et prônent une pédagogie rétrograde.<br />

Chèqueéducation: projet néo-libéral,<br />

mis en place dans le chili de Pinochet, qui donnerait<br />

la possibilité aux familles de financer<br />

l’école – publique ou privée – de leur choix afin<br />

de casser le service public. Porté par le FN<br />

jusqu’en 2007, c’est devenu la revendication<br />

scolaire des réseaux intégristes.<br />

UN TRAVAIL UNITAIRE CONTRE<br />

L’OFFENSIVE DES EXTRÊMES DROITES<br />

CONNAÎTRE & COMPRENDRE<br />

POUR MIEUX COMBATTRE<br />

$ $ $<br />

% % % % % % % % % %<br />

%% % % % % % % % % La progression % % du % FN, la banalisation %<br />

% % % % % % % % % % % des % % discours % %« décomplexés % % % »<br />

% % % % % %<br />

et sécuritaires rappellent les dangers<br />

% % % % % % % % qui pèsent % % sur la société % % et sur notre<br />

% % % % % % % % % école. % % % % % %<br />

% % % % % % % % % % % % Au fil des années, % % % l’absence %<br />

%% % % % % % % % de %% réponse % politique % à %« % la Crise »<br />

% %<br />

a laissé le champ libre à des<br />

idéologies qui avancent souvent<br />

% % % % % % % % % % masquées, % notamment % % dans<br />

% % % % % % % % % % % l’Éducation % % !% % % %<br />

% % % % % % % % % % % % %<br />

En mai 2016, un premier stage<br />

intersyndical régional entendait<br />

% % % % % % % répondre % à l’urgent % besoin, %<br />

% % % % % % % % % % % pour % les % personnels % % de toutes<br />

% % % % % % % % % % les % catégories % % de % l’Éducation % % publique,<br />

% % % % % % % % de % se % former % % pour mieux % connaître %<br />

% % % % % %<br />

les vrais visages des extrêmes droites<br />

dont l’histoire, les discours<br />

% % % % % % % % % % % % % %<br />

et les programmes sont en tous points<br />

% % % % % % % % % % % % % % %<br />

% % % % % % % % % % % % éloignés % des % valeurs que nous<br />

défendons !<br />

% % % % % % % % % % % % % % %<br />

C’est une première étape qui en<br />

% % % % % % % % % % % % % % %<br />

appelle d’autres, à commencer<br />

% % % % % % % % % % % %<br />

par ce document, issu des travaux<br />

% % % % % % % % % % % engagés % % lors de ce % stage et impulsé<br />

% % % %<br />

par cinq organisations syndicales<br />

% % % % % % % % et deux associations % % % % qui % placent<br />

%<br />

toutes l’éducation et la lutte contre<br />

% % % % % % % % % % % % les % idées % réactionnaires au cœur<br />

% % % % % % % % % % de leur % action. % % % %<br />

% % % % % % % % % % Connaître, % % comprendre, % % analyser %<br />

% % % % % % ce qui se joue aujourd’hui dans<br />

% % % % % % % % % % % et autour % de l’école, % comme % dans<br />

% % %<br />

le reste de la société est une nécessité<br />

pour mieux combattre % les régressions<br />

sociales et pédagogiques et contribuer<br />

à réactiver collectivement le projet<br />

d’une autre éducation : émancipatrice,<br />

égalitaire et démocratique. ■<br />

ensemble !<br />

Extrême(s) droite(s)<br />

contre l’éducation<br />

Leur école<br />

n’est pas la nôtre !<br />

guère vitupérait pourtant avec force car<br />

elle avait le tort d’être laïque et gratuite.<br />

Mais l’histoire aime l’ironie. Ceux qui<br />

dénonçaient l’école comme trop « démocratique<br />

» deviennent aujourd’hui les fer-<br />

LTRALIBÉRALE UN JOUR, superdirigiste<br />

le lendemain, « laïcité » vents défenseurs d’une institution qui, au<br />

Uchevillée au corps le matin, débordant<br />

« d’héritage chrétien » le soir… le que celle d’aujourd’hui. Le lycée ne s’ou-<br />

milieu du XX e siècle, excluait plus encore<br />

discours du FN, qui incarne les différentes vrait qu’à une minorité, qu’à une élite sociale<br />

qui pouvait ainsi se reproduire en<br />

sensibilités nationalistes, adopte depuis des<br />

années, sans vergogne et sans peur des toute tranquillité. Les autres devaient se<br />

contradictions, la stratégie du caméléon ou contenter d’un minimum éducatif rendu<br />

l’art populiste de dire fort ce que « l’autre » acceptable par le plein-emploi et les perspectives<br />

de promotions que ce dernier of-<br />

est susceptible de vouloir entendre. Et peu<br />

importe qu’on ait dit le contraire dans la frait sur le moyen terme.<br />

phrase précédente.<br />

L’éducation ne déroge pas à cet empilement<br />

d’incohérences, mais il est possible<br />

de dégager les grands axes d’un « projet<br />

éducatif » des extrêmes droites, aux antipodes<br />

de ce que devrait être l’école d’aujourd’hui<br />

!<br />

UN PROJETÉDUCATIFPÉRIMÉ<br />

& & & & & &<br />

Surfant sur de fausses évidences martelées Nous sommes aujourd’hui dans un tout<br />

par des polémistes peu & scrupuleux d’exactitudes<br />

(Finkielkraut, Polony, Brighelli, technologique, avec des jeunes qui bai-<br />

& autre contexte & & économique, & culturel et &<br />

etc.), ce projet « éducatif & » se cons truit & gnent dans des flux d’informations et de<br />

avant tout en regardant en arrière, en cherchant<br />

dans un passé tronqué et revisité des aux papillons a fait place à celle aux Poké-<br />

! ! ! ! ! ! !<br />

modèles d’éducation. Ainsi, l’école idéale mon. Cela impose de prendre les élèves<br />

sollicitations contradictoires. La chasse<br />

serait ! celle ! d’hier… ! voire d’avant-hier. ! ! Le ! comme ! ils et elles ! sont, ! pas tel.le.s qu’on<br />

bon temps du « Certif », lorsque les jeunes les imagine et de ne pas chercher dans le<br />

en blouses ! savaient rester à ! leur ! place en regret d’hier ! les recettes pour ! demain.<br />

alignant ! les ! lignes de copie ! ! suivant le ! modèle<br />

d’un enseignant tout aussi sergent-<br />

consternantes déclarations d’une dynastie<br />

Et il ne suffit pas d’additionner les<br />

major que ! les plumes utilisées ! pour écrire. ! de politiciens d’extrême ! droite ! pour ! faire<br />

Une école de la discipline, de l’obéissance un programme éducatif... (suite au dos)<br />

et de l’ordre. ! Une ! école image ! d’Épinal !? 5 ! ! !<br />

idéalisée comme 5*'$5*,%#6*$@A<br />

modèle d’une méritocratie<br />

républicaine que l’extrême droite de na-<br />

B.6'#*'!CDEF<br />

ÉDUCATION NATIONALE<br />

Notre lutte est<br />

sociale, syndicale<br />

et pédagogique<br />

)<br />

Pour prolonger le travail initié lors du stage<br />

de mai 2016 « extrême(s) droite(s) contre<br />

éducation », cinq organisations syndicales de<br />

la région parisienne (cgt, cNt, cNt-so, Fsu<br />

et sud éducation) et deux associations partenaires<br />

(Visa et Q2c) ont produit un document<br />

de 4 pages de décryptage et d’analyse<br />

dont le texte ci-dessus est l’introduction.<br />

ce document est en ligne sur les sites des<br />

organisations partie prenante.<br />

CGT éduc’action IdF – CNT-FTE RP – CNT-SO éducation RP – FSU IdF – Sud Éducation IdF – avec Visa et Questions de classe(s)<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 9


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Deux années scolaires<br />

avec Robert Ménard<br />

Par RACHEl VERNiSSE, Sud éducation 34 *<br />

La ville de Béziers est gérée depuis maintenant un peu plus de<br />

deux ans par l’extrême droite. Les attaques contre l’école sont<br />

légion. Elles nous disent la haine vouée au service public d’éducation<br />

ainsi que les idées qui se profilent à l’horizon…<br />

TOUS EN BLOUSE !<br />

dès son arrivée, la municipalité biterroise<br />

achète de quoi équiper toutes les écoles privées<br />

ou publiques sans avoir consulté ni parents ni<br />

enseignants. Ces blouses portent le nouvel<br />

écusson de la ville. Seule une école privée les<br />

réclame. tous les conseils d’école des écoles<br />

publiques sont alors sollicités à plusieurs<br />

reprises pour mettre à l’ordre du jour le port<br />

de la blouse. aucun conseil d’école ne vote<br />

pour. Peu importe, il s’agit de créer le buzz et<br />

de cultiver la nostalgie de l’école de Jules<br />

ferry et de sa ségrégation sociale : école<br />

primaire pour le peuple et école secondaire<br />

pour l’élite. le port de la blouse n’est là que<br />

pour un semblant d’égalité. mais la municipalité<br />

a su faire avancer l’idée : en cette rentrée<br />

2016, Bfm organise un sondage sur le port de<br />

la blouse. le débat sur l’égalité, lui, recule.<br />

LES RYTHMES SCOLAIRES<br />

le premier magistrat de Béziers déclare avec<br />

fracas qu’il n’appliquera pas la réforme des<br />

rythmes scolaires. mais sa volonté s’effrite<br />

bien vite. après négociations avec l’administration,<br />

la municipalité de Béziers est autorisée<br />

à appliquer la réforme progressivement. l’administration<br />

propose de financer des heures<br />

d’accompagnement éducatif pour toutes les<br />

écoles où les rythmes scolaires ne sont pas encore<br />

appliqués. l’ancienne municipalité biterroise<br />

avait budgétisé la somme de 400 000 euros.<br />

mais ces 400 000 euros disparaissent. la<br />

somme aurait pu être affectée aux écoles qui<br />

en ont tant besoin. C’est le double jackpot<br />

pour le maire de Béziers. il n’applique que<br />

progressivement la réforme et c’est plus de<br />

400 000 euros qui tombent dans son escarcelle.<br />

les convictions politiques de la commune<br />

s’effacent donc bien vite devant le dieu argent.<br />

STATISTIQUES ETHNIQUES<br />

64 % : ce pourcentage est devenu célèbre en<br />

pays biterrois. À la tête de la ville, on aime la<br />

statistique et on la manie avec rigueur et discernement.<br />

À la seule lecture des prénoms, le<br />

premier édile de la ville en déduit le pourcentage<br />

d’élèves issus de l’immigration dans les écoles<br />

ainsi que la confession de ces élèves. l’affaire<br />

a fait grand bruit nationalement. elle a un<br />

reten tissement encore bien plus grand sur la<br />

ville. Robert ménard réitère ses propos tenus<br />

dans l’émission « mots croisés » et les étaie<br />

dans le journal municipal (n° 13, mai 2015) :<br />

« la République ne doit plus cacher ses chiffres<br />

» (en couverture) propos proche de l’idée<br />

d’un complot. « un afflux d’immigrés a des<br />

conséquences. Pour une ville comme Béziers,<br />

10 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

cela veut dire 100 élèves de plus par an dans<br />

les écoles. Quatre classes ! » (p. 3) l’éducation<br />

des enfants issus de l’immigration coûte donc<br />

trop cher ! « les statistiques ethniques renforceraient<br />

la démocratie. elles permettraient aux<br />

citoyens de faire leur choix politique en toute<br />

connaissance de cause » (p. 3). le maire<br />

poursuit sa logique en cette rentrée 2016. une<br />

nouvelle statistique : 91 % d’élèves musulmans<br />

dans une classe à Béziers. il ajoute : « le<br />

vivre ensemble n’est qu’une invention. » Que<br />

propose-t-il alors ? l’apartheid ?<br />

ENSEIGNANTS : « PETITS CONS »<br />

lors de la pause méridienne, les enseignants<br />

de l’école Georges-Sand à Béziers partagent<br />

leur déjeuner en salle des maîtres. le maire<br />

vient leur rendre visite. après lui avoir dit<br />

bonjour, un des enseignants refuse de lui serrer<br />

la main. Robert ménard l’a alors traité de<br />

« petit con » et a menacé de lui donner deux<br />

gifles. la justice vient de condamner le maire<br />

de Béziers. les enseignants d’Histoire ne sont<br />

pas mieux traités : le maire de Béziers écrit<br />

« la nature de leur structure intellectuelle :<br />

refus du débat, refus de la confrontation des<br />

idées […] ils ne sont pas attachés à la rigueur<br />

de la démarche historique. ils font de la politique.<br />

»<br />

ÉCOLE À VENDRE !<br />

l’affaire est moins connue du grand public.<br />

la municipalité s’est faite ici plus discrète.<br />

dans la presse locale, le maire annonce dans<br />

un premier temps la volonté de découper un<br />

groupe scolaire du centre-ville sans d’ailleurs<br />

en informer personne ni les parents ni les enseignants.<br />

il s’agit du groupe scolaire Gaveau-macé.<br />

la municipalité évoque alors l’idée<br />

d’une école trop grande. Puis, vont circuler de<br />

nombreuses informations et rumeurs sur l’avenir<br />

de cette école. mais les enseignants décou -<br />

vrent sur le site de la ville que l’école fait<br />

l’objet d’un appel à projet immobilier : « la<br />

L’ÉDUCATION DES ENFANTS ISSUS<br />

DE L’IMMIGRATION COÛTE DONC<br />

TROP CHER !<br />

LES STATISTIQUES ETHNIQUES<br />

RENFORCERAIENT LA DÉMOCRATIE.<br />

ELLES PERMETTRAIENT AUX CITOYENS<br />

DE FAIRE LEUR CHOIX POLITIQUE<br />

EN TOUTE CONNAISSANCE DE<br />

CAUSE. »<br />

commune de Béziers souhaite réaliser une<br />

opération immobilière de reconversion du<br />

groupe scolaire Gaveau-macé et de l’îlot Saint-<br />

Jacques. » Ces deux îlots présentent l’opportunité<br />

d’un projet urbanistique d’envergure, est-il<br />

précisé.<br />

Pourquoi la municipalité biterroise s’intéresse-t-elle<br />

à cette école ? elle est construite<br />

sur le plus bel emplacement urbain : la vue est<br />

imprenable et unique sur les bas quartiers de<br />

la ville, l’orb, la plaine et le mont Carroux.<br />

l’école offre une surface conséquente de<br />

4 548 m 2 . la présence de l’école contrarie le<br />

plan de rénovation d’une partie de la ville qui<br />

va de la cathédrale au quartier Saint-Jacques.<br />

mais, aucune surface n’est disponible pour<br />

une reconstruction et les autres écoles du<br />

centre débor dent. l’audit engagé par la municipalité<br />

n’a pu trouver de solution. le projet<br />

est abandonné. mais la municipalité rechigne<br />

à faire une déclaration publique. l’adjointe<br />

aux affaires scolaires déserte les derniers<br />

conseils d’école. l’école est donc aussi à<br />

Béziers une affaire immobilière.<br />

AU QUOTIDIEN<br />

le journal municipal est omniprésent. il est<br />

tiré à 44 000 exemplaires pour une population<br />

de 80 000 habitants, ce qui couvre largement<br />

tous les foyers biterrois. il est difficile de ne<br />

pas le trouver. il paraît tous les quinze jours.<br />

Quelques grands titres en couverture peuvent<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 11


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

QUEL PROJET POUR L’ÉCOLE<br />

À BÉZIERS ?<br />

UNE ÉCOLE POUR LES BANLIEUES<br />

ET UNE ÉCOLE POUR L’ÉLITE.<br />

donner le ton : 64 % - ils arrivent – noël notre<br />

identité – Social : maintenant, on aide ceux<br />

qui en ont vraiment besoin ! ils sont contre<br />

ménard, israël, l’islamophobie, qui sont ces<br />

militants de la haine à Béziers ? Beaucoup de<br />

photos et de gros titres à chaque page. Peu de<br />

texte. l’autosatisfecit est permanent. les<br />

attaques de personnes, les calomnies sont<br />

légion. l’image des femmes est particulièrement<br />

soignée : souvent en petite tenue, aguicheuse<br />

et tenant des propos niais.<br />

« BÉZIERS LIBÈRE LA PAROLE »<br />

ainsi s’intitule le cycle de conférences muni -<br />

cipales. Périodiquement la ville est pourvue<br />

de grands panneaux publicitaires annonçant<br />

l’événement. difficile de ne pas être au courant,<br />

la couverture médiatique est importante. tous<br />

les penseurs de l’extrême droite sont invités,<br />

penseurs connus : Philippe de Villiers, Éric<br />

Zemmour, Philippe Bilger et moins connus<br />

Bernard lugan, denis tillinac. en cette rentrée<br />

2016, Jean frédéric Poisson est invité pour<br />

présenter son dernier livre : notre sang vaut<br />

moins cher que leur pétrole. Sans commentaires.<br />

À Béziers, il y a matière à se faire une culture<br />

d’extrême droite.<br />

SOUS LA PLUME DES ENSEIGNANTS<br />

des enseignants ont pris leur plume à plusieurs<br />

reprises. leurs mots disent la difficulté d’enseigner<br />

à Béziers tant notre éthique professionnelle<br />

est mise à mal. la première lettre<br />

est celle des enseignants du collège Krafft<br />

suite à l’affaire « du fichage ». ils s’adressent<br />

à Robert ménard « nous rejetons, nous refusons<br />

et n’acceptons pas ces affirmations médiatiques<br />

qui atteignent nos valeurs à transmettre, qui<br />

abîment nos élèves, nos enfants, notre incessant<br />

travail de concorde […] il n’y a pas d’élèves<br />

en trop dans notre établissement. Chacun a sa<br />

place et une place est réservée à chacun… »<br />

deux enseignantes de l’école Georges-Sand<br />

s’adressent à la ministre de l’Éducation après<br />

l’agression de leur collègue traité de « petit<br />

con ». elles s’interrogent ainsi : « devonsnous<br />

toujours interdire tout jeu violent à l’école,<br />

quand m. ménard expose partout aux abords<br />

des écoles des affiches faisant l’apologie des<br />

armes à feu ? » « devons-nous encore défendre<br />

précieusement cette valeur hautement fondamentale<br />

qu’est la laïcité, quand Robert ménard<br />

se vante d’avoir réalisé un fichage ethnique et<br />

religieux ? »<br />

RECONSTRUIRE LE PASSÉ<br />

la commune biterroise refait l’histoire, « la<br />

vraie Histoire ». des Gaulois à l’algérie française<br />

en passant par l’empire romain, Charles<br />

martel, 14-18 et Jean moulin, le maire de Béziers<br />

réécrit l’Histoire. il faut lire à ce propos<br />

la lettre des enseignants d’histoire-géographie<br />

publié le 15 janvier 2016 dans midi libre.<br />

Cette municipalité d’extrême droite n’a pas<br />

d’autre projet que celui-ci : faire avancer des<br />

idées. Quelles idées sur l’école ? il y a trop<br />

d’élèves issus de l’immigration dans nos<br />

écoles. de surcroît ce sont des musulmans<br />

(puisque les prénoms disent les confessions).<br />

et l’école coûte cher. la france dépense<br />

donc trop pour ces enfants-là.<br />

DES ENSEIGNANTS<br />

INDISCIPLINÉS ET POLITISÉS<br />

l’école de Jules ferry, école de la ségrégation<br />

sociale, est un modèle. le vivre ensemble est<br />

impossible, donc une école pour tous est aussi<br />

impossible. l’histoire enseignée à l’école n’est<br />

pas la bonne. et les enseignants d’histoire font<br />

de la politique. Sur le plan national, tous les<br />

médias alimentent les buzz. les réseaux sociaux<br />

12 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Jean-Paul brighelli, fameux pamphlétiste<br />

« anti-pédagogiste » invité vedette de béziers !<br />

sont largement utilisés. un colloque en mai<br />

dernier rassemble tous les grands noms de<br />

l’extrême droite à Béziers. Ce colloque a un<br />

objectif clairement annoncé : éditer des propositions<br />

au cas où la droite reviendrait au<br />

pouvoir. en ce qui concerne l’éducation : mise<br />

en place du chèque scolaire pour donner aux<br />

familles le libre choix de l’école ; fin du statut<br />

de fonctionnaires pour les ministères non régaliens<br />

; liberté donnée aux universités de sélectionner<br />

à l’entrée leurs étudiants quel que<br />

soit le cycle ; suppression du collège unique ;<br />

élargissement des bourses au mérite ; recentrage<br />

des programmes des écoles sur le lire, écrire,<br />

compter, connaître l’Histoire et la géographie<br />

de la france.<br />

ÉCOLE DES RICHES,<br />

ÉCOLE DES PAUVRES<br />

Quel projet pour l’école à Béziers ? une école<br />

pour les banlieues et une école pour l’élite.<br />

dans son programme électoral, la municipalité<br />

biterroise l’avait déjà indiqué. elle souhaite<br />

aider à la création d’une école qui faciliterait<br />

l’intégration des jeunes à la culture française,<br />

au monde du travail… « une telle école existe<br />

déjà en france à montfermeil en banlieue parisienne<br />

: l’école alexandre-dumas. » il s’agit<br />

d’une école hors contrat initiée et financée par<br />

la très réactionnaire fondation espérance banlieues<br />

où sont accueillis des élèves de milieu<br />

défavorisé. on y porte l’uniforme, on pratique<br />

la levée de drapeau le matin. elle est très médiatisée<br />

et elle commence à intéresser de nombreuses<br />

communes.<br />

et pour les autres ? le journal municipal biterrois<br />

(n° 21, octobre 2015) nous donne une<br />

indication. une page entière est consacrée à<br />

« l’école nouvelle internationale » qui a ouvert<br />

ses portes en septembre 2015. C’est une école<br />

hors contrat, pas à la portée de toutes les<br />

bourses : 3 400 euros d’inscription pour une<br />

année scolaire. C’est la pédagogie montessori<br />

qui est mise à l’honneur dans cette nouvelle<br />

école. ■<br />

* article publié sur le site de Sud éducation 34 en septembre<br />

2016.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 13


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Chronique de ma ville<br />

sous gestion FN<br />

Par auDe SChneiDer,SuD ÉDuCation 78<br />

Mars 2014, à la surprise générale, y compris celle du vainqueur, un<br />

professeur d’histoire-lettres, le FN remporte sa première commune<br />

en Île-de-France : Mantes-la-Ville.<br />

Sa gestion illustre une autre facette de la politique frontiste.<br />

Loin des esclandres de Robert Ménard, ici c’est le silence des pantoufles<br />

qui est à craindre, sans véritable opposition...<br />

Je SuiS de manteS-la-Ville, j’y ai<br />

grandi, choisi d’y vivre et d’y enseigner.<br />

le boulot, les enfants, la vie quotidienne…<br />

je ne me préoccupais pas trop de<br />

politique depuis que j’avais manifesté en<br />

2002 contre le Pen au second tour des présidentielles.<br />

et encore, « manifesté » est un<br />

bien grand mot : étant agoraphobe, j’avais<br />

passé la semaine avec une banderole « non<br />

au fn » à ma fenêtre en écoutant Saez, fils<br />

de france en boucle…<br />

lorsque fin 2013 des élus front de Gauche<br />

de ma ville m’ont sollicitée pour faire partie<br />

de leur liste aux municipales, je suis « entrée<br />

en politique » comme une oie blanche. J’ai<br />

participé aux réunions, appris qu’on suivait<br />

ceux qui savaient et que j’étais utile pour<br />

distribuer des tracts et donner une image<br />

jeune du groupe mais que mon avis ne<br />

comptait pas vraiment…<br />

lorsque le soir du second tour des municipales,<br />

le fn est passé avec 2 027 voix,<br />

soit 61 voix d’avance sur la liste PS, le choc<br />

a été rude. Cyril nauth, professeur de lettres<br />

et histoire-géographie en lycée professionnel<br />

dans une ville voisine, candidat du front<br />

national est élu maire de mantes-la-Ville,<br />

et il faudra faire avec pour au moins encore<br />

quatre ans.<br />

POURQUOI ?<br />

Je ne suis ni politologue ni sociologue, je<br />

n’ai pas non plus de recul sur ma ville et ne<br />

saurai pas expliquer dans le détail comment<br />

nous en sommes arrivé.es là. Je ne peux<br />

que décrire et expliquer ce que je vois et<br />

comprends de cette situation.<br />

tout d’abord le ras-le-bol de nombreux<br />

habitants vis-à-vis de la politique nationale,<br />

mais aussi de la politique locale (mantesla-Ville<br />

et le département des yvelines). Ce<br />

qui revient le plus souvent en discutant avec<br />

le voisinage, c’est qu’on voit ici toujours<br />

les mêmes têtes depuis des années, voire<br />

des décennies. l’idée du « tous pourris » est<br />

aussi bien ancrée et les habitants se désintéressent<br />

de la vie politique locale. Soyons<br />

honnêtes : quel habitant assistait aux conseils<br />

municipaux (Cm) avant l’élection du fn ?<br />

14 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Je n’ai compris qu’après coup à quel point<br />

la campagne municipale a été pourrie par<br />

les disputes entre les deux anciennes maires<br />

PS, les disputes entre les listes PS et fdG<br />

pourtant unies pour le second tour, sans<br />

même parler du fait que Cyril nauth ne<br />

s’est pas présenté à mantes-la-Jolie, sa ville<br />

de résidence, contre michel Vialet, le pantin<br />

de Pierre Bédier, mais bien à mantes-la-<br />

Ville, ce qui n’est pas un hasard…<br />

UNE ERREUR DE PARCOURS ?<br />

une enquête a lieu depuis plusieurs semai -<br />

nes pour savoir si l’ancienne majorité a<br />

fiché les électeurs musulmans dans le but<br />

de les démarcher au cours de la campagne.<br />

les conclusions ne sont pas encore rendues,<br />

mais dans un article du Parisien du 10 juin,<br />

Julie ferry, responsable du PS de mlV se<br />

désole : « Cette histoire écorne l’image du<br />

PS local. » Ce qui est désolant (sans même<br />

chercher à savoir si ce fichier a réellement<br />

été créé ou pas), c’est surtout que le PSfdG<br />

local n’a toujours pas mesuré l’impact<br />

de son comportement durant la campagne,<br />

persuadé que l’élection du fn n’est qu’une<br />

erreur de parcours. il n’y a aucun travail<br />

commun entre les trois groupes d’opposition<br />

de « gauche » et aucun travail réel d’opposition<br />

auprès des habitants de la ville, aucune<br />

communication, aucun compte rendu de<br />

Cm, bref un vide total. Je ne pense pas qu’il<br />

reste grand-chose à écorner…<br />

entre les deux tours des municipales, j’ai<br />

rencontré un habitant de mantes-la-Ville,<br />

jeune et non investi dans un parti politique<br />

(les deux points méritent d’être soulignés !),<br />

qui souhaitait créer une asso ciation pour intéresser<br />

les mantevillois à la politique locale,<br />

dans son sens premier que nous avons<br />

ensuite défini : « politicos : ce qui concerne<br />

les citoyens ».<br />

CYRIL NAUTH, PROFESSEUR DE LETTRES<br />

ET D’HISTOIRE-GÉOGRAPHIE EST ÉLU<br />

MAIRE DE MANTES-LA-VILLE,<br />

ET IL FAUDRA FAIRE AVEC POUR<br />

AU MOINS ENCORE QUATRE ANS.<br />

très vite après le second tour, nous avons<br />

créé cette association : le « Collec tif de réflexion<br />

et d’initiatives citoyennes » (Cric )<br />

avec une quinzaine de membres fondateurs.<br />

Si les racines de l’association ne se veulent<br />

pas anti-fn (puisqu’elle a vocation à exister<br />

quelle que soit la majorité en place), l’élection<br />

du fn à mantes-la-Ville a eu un fort impact<br />

sur l’intérêt que les habitants lui portent.<br />

COMMENT RÉAGIR ?<br />

malheureusement, malgré de nombreux<br />

adhérents et encore plus de sympathisants,<br />

l’association peine à grandir pour deux raisons<br />

: la première étant que les habitants<br />

sont prêts à soutenir financièrement, relayer<br />

les infos mais peu à s’investir, parce que la<br />

vie quotidienne va trop vite, la seconde<br />

parce que l’association n’a pas le soutien<br />

des partis politiques s’opposants au fn,<br />

contrairement aux associations anti-fn qui<br />

se sont créées dans les différentes villes<br />

sous mairie fn depuis les dernières municipales.<br />

en effet, le Cric n’est pas issu d’anciennes<br />

listes politiques, même si la majorité<br />

de ses membres ont eu des activités politiques<br />

et / ou syndicales. de plus, il a fallu, et il<br />

faut encore taper sur la « gauche » locale<br />

pour réussir à contrer le fn, et bien sûr, cela<br />

ne plaît pas…<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 15


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Monique geneix (4 ème en partant de la gauche), élue FN en charge des affaires scolaires à Mantes-la-Ville tenant<br />

la banderole de tête de civitas à droite d’un prêtre en soutane, du président de civitas escala et de Farida belghoul.<br />

QUELS OUTILS POUR RIPOSTER ?<br />

J’ai quitté l’association début 2016, car son<br />

fonctionnement pyramidal ne me convient<br />

pas, de même que ses liens avec l’union<br />

des étudiants juifs de france et SoS Racisme,<br />

mais lui souhaite, pour le bien de tou.tes<br />

d’exister et de se battre encore longtemps.<br />

À ma petite échelle, je tente de continuer à<br />

communiquer un maximum avec les habitant.es,<br />

à récolter des informations sur tout<br />

ce qui concerne la mairie, les écoles, les<br />

centres de vie soci aux (CVS), les associations,<br />

etc., à zieuter les réseaux sociaux où nos<br />

élu.es sont présents (ce qui me gâche quotidiennement<br />

ma pause-café…) et tente d’en<br />

rendre compte sur la page facebook « antifn<br />

mantes-la-Ville ».<br />

il serait donc vain, pour les raisons expli -<br />

quées plus haut, d’attendre que les groupes<br />

d’opposition fassent leur travail. il revient à<br />

chacun.e, dans le cadre d’une association<br />

ou en dehors, d’essayer de comprendre et<br />

d’anticiper le fonctionnement de notre municipalité.<br />

en effet, notre mairie ne fait pratiquement<br />

pas parler d’elle, au point que l’on peut facilement<br />

oublier que l’on est dans une municipalité<br />

fn si l’on n’est pas extrêmement<br />

attentif au moindre propos, à la moindre<br />

décision de la mairie.<br />

ici, il n’y a pas d’appel à la haine comme<br />

aux Cm de Villers-Cotterêts où des habitants<br />

ont porté plainte contre des élus fn pour<br />

propos racistes ; les Cm ne sont pas évacués<br />

à cause de chahuts comme à Béziers ; la<br />

police municipale n’est pas mise en avant<br />

comme à Cogolin (d’ailleurs les nouveaux<br />

policiers municipaux estam pillés fn, déçus,<br />

sont vite repartis tout comme le directeur<br />

de la communication, thomas du Chalard<br />

de taveau, lui aussi fn) ; les élus ne se sont<br />

pas octroyés d’augmentation comme au<br />

Pontet ; il n’y a pas (encore) de problèmes<br />

juridiques sur les finances comme à Hayange<br />

ou à orange ; il n’y a pas de réelle propagande<br />

visible comme à Béziers ou à Hayange (via<br />

le journal municipal, la fête du cochon et<br />

autres joyeusetés) ; nauth a réfuté tout lien<br />

avec le Bloc identitaire venu tracter sur la<br />

ville contre la mosquée ; marine le Pen<br />

n’est toujours pas venue sur la ville en signe<br />

16 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

de soutien et le maire a réussi pendant plusieurs<br />

mois à pratiquement faire oublier son<br />

appartenance au fn, puisqu’il n’en parle<br />

que sur twitter et dans l’édito du journal<br />

municipal. Je doute d’ailleurs que beaucoup<br />

d’habitants aient perçu les liens entre l’adjointe<br />

au scolaire, monique Geneix et Civitas…<br />

en fait, il n’y avait pas de victoire du fn<br />

prévue à mantes-la-Ville ni de leader charismatique.<br />

Cyril nauth a découvert ses colistiers<br />

à l’issue du premier tour. depuis, il a<br />

appris à gérer seul en donnant l’illusion que<br />

toute son équipe est apte à prendre ses fonctions<br />

en charge, ce qui est loin d’être le cas.<br />

il a rapidement interdit à ses élus de parler<br />

aux médias pour éviter tout couac, il prend<br />

soin de rester dans le domai ne de l’acceptable,<br />

il ne veut surtout pas créer de scandale ou<br />

polémique. Sa stratégie fonctionne ; les<br />

médias sont déçus et se désintéressent de la<br />

ville, de même que les habitants baissent<br />

leur garde, se disant au bout de deux ans,<br />

qu’il n’a fait ni mieux ni pire que les autres.<br />

les décisions symboliques prises par le<br />

maire telles que le bal du 14 juillet supprimé<br />

ou fait dans un lieu fermé, la cérémonie patriotique<br />

de la fin de la guerre d’algérie à<br />

laquelle il ne se rend pas mais qu’il organise,<br />

la fin du baptême civil (pour raisons d’économie<br />

mais je n’ai toujours pas compris<br />

lesquelles…), la fin du local attribué à la<br />

ligue des droits de l’homme, le retrait des<br />

drapeaux européens devant la mairie (mais<br />

pas devant les écoles pour ne pas se mettre<br />

en tort puisqu’ils y sont obligatoires), les<br />

baisses de subventions (qu’il peut justifier<br />

par la baisse des aides de l’État aux municipalités)<br />

ne touchent pas réellement les habitants<br />

dans leur quotidien et surtout ne<br />

touchent jamais beaucoup de personnes à la<br />

fois, ce qui a pour conséquences de les<br />

rendre invisibles puisqu’aucun groupe<br />

concerné ne monte au créneau sachant<br />

qu’aucun groupe d’opposition, syndicat ou<br />

association ne peut les unir.<br />

SA STRATÉGIE FONCTIONNE ; LES MÉDIAS<br />

SONT DÉÇUS ET SE DÉSINTÉRESSENT<br />

DE LA VILLE, DE MÊME QUE LES HABI-<br />

TANTS BAISSENT LEUR GARDE, SE DISANT<br />

AU BOUT DE DEUX ANS, QU’IL N’A FAIT<br />

NI MIEUX NI PIRE QUE LES AUTRES.<br />

RÉGNER POUR MIEUX DIVISER<br />

il faut gratter ce vernis d’acceptabilité pour<br />

percevoir les changements sur la ville. il y<br />

a, selon Visa, trois types de mairies fn : les<br />

laboratoires (Béziers, orange, Vitrolles où<br />

il faut faire du buzz et mettre en œuvre le<br />

programme du fn même s’il ne fonctionne<br />

pas), le clientélisme (placer amis et famille<br />

à la mairie, fausses associations et détournements<br />

de fonds) et la gestion en bon père<br />

de famille à laquel le nous sommes confrontés<br />

à mantes-la-Ville (une volonté d’être passepartout<br />

qui dédiabolise le fn mais est<br />

souvent liée à l’incompétence).<br />

le programme de nauth était basé sur la<br />

vidéo-surveillance, la police municipale, le<br />

refus de la salle de prière et les économies à<br />

faire sur la ville. Sur ce dernier point, l’ancienne<br />

municipalité PS a su assainir les finances<br />

de la ville. mais le maire joue sur un<br />

audit commandé au début du mandat qui<br />

n’a bien sûr pas été expliqué clairement<br />

pour faire croire que la ville est au bord de<br />

la faillite, ce qui lui permet de baisser, voire<br />

supprimer, un maximum de subventions<br />

aux associations, aux écoles, centres aérés<br />

et Centres de vie sociaux pour montrer qu’il<br />

fait des économies. mais du coup, il s’empêche<br />

aussi lui-même de mettre en place<br />

deux points de son programme : la vidéosurveillance<br />

et l’augmentation des effectifs<br />

de la police municipale. il y a fort à parier<br />

que cela est plutôt dû au coût exorbitant de<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 17


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

« JE N’AI PAS VOCATION<br />

À FAIRE DANS LE SOCIAL »<br />

CYRIL NAUTH<br />

la première et au fait que les policiers muni -<br />

cipaux ne souhaitent pas être associés à la<br />

politique fn de la ville. le dernier point de<br />

son programme : empêcher l’installation<br />

d’une mosquée sur la ville (la salle de prière<br />

est devenue trop petite et n’est plus aux<br />

normes), n’a pas non plus pu être réalisé<br />

puisque la vente était prévue avant les élections<br />

et a eu lieu avec l’intervention du<br />

préfet et de la cour administrative.<br />

SAUVER PAR LA CRISE ?<br />

en ce qui concerne les quinze écoles mater -<br />

nelles et primaires de la ville, la situation va<br />

devenir problématique dans les prochaines<br />

années, mais elle est le résultat des deux anciennes<br />

majorités PS : les rénovations ont<br />

eu lieu très tardivement et sans aucun ajout<br />

de classes malgré les constructions de nombreux<br />

nouveaux loge ments sur la ville. le<br />

maire justifie ses refus d’ajouts de préfabriqués<br />

et d’atsem ainsi que la non mise en place<br />

des temps d’activités périscolaires depuis<br />

la réforme des rythmes scolaires par la<br />

priorité des économies et cela parle aux habitants<br />

qui commencent à être habitués à<br />

cette prétendue crise nationale.<br />

depuis cette année un tiers des postes<br />

dans l’animation et le socio-culturel est<br />

assuré par des vacataires, les spectacles,<br />

sorties et fêtes de fin d’année des écoles ont<br />

été annulés sous couvert d’état d’urgence,<br />

le festival Contentpourien a lui aussi été annulé<br />

sous prétexte des inondations au parc<br />

(mais il y a d’autres lieux sur la ville qui auraient<br />

pu être utilisés…) le comité des fêtes<br />

n’est plus indépendant. Si les spectacles<br />

culturels proposés par la ville dans la plus<br />

grande salle du bassin n’ont pas montré de<br />

signes idéologiques, le fC mantois a pourtant<br />

été attaqué par le maire et le premier adjoint<br />

(concept du français de souche versus immigrés),<br />

mais l’idéologie fn n’est toujours<br />

pas flagrante dans le quotidien des habitants<br />

au bout de deux ans de mandat. nauth a su<br />

mettre des stratégies en place pour ne pas se<br />

retrouver en faute vis-à-vis des mantevillois<br />

(par exemple en tâtant le terrain au sujet des<br />

CVS, disant qu’il n’a pas « vocation à faire<br />

dans le social », prévoyant de les supprimer,<br />

puis de n’en fermer qu’un pour finalement<br />

décider de juste en réduire un pour y ajouter<br />

une maison médicale).<br />

on a pourtant l’impression que tous ces<br />

points cassent petit à petit le lien social<br />

entre les habitants, les divisent et les isolent,<br />

tout en gardant cet arrière-goût de « pas<br />

pires que les autres ». mais il faut savoir<br />

que la nouvelle compagne du maire est à la<br />

fois directrice générale des services et dRH,<br />

il y a donc un clientélisme certain qui commence<br />

à se mettre en place, puisque le<br />

couple détient les trois plus grandes fonctions<br />

de la mairie.<br />

lors du stage intersyndical de mai 2016,<br />

quelqu’un m’a demandé ce qu’il se passerait<br />

si les élections municipales étaient dans six<br />

mois. Je n’y avais pas songé. Honnêtement ?<br />

Vu le mode de fonctionnement du maire et<br />

l’absence d’opposition réelle, je crois que le<br />

fn repasserait et je pense à un article de<br />

Rue 89 de 2014 où une habitante d’orange<br />

témoignait « en 10 ans les cœurs se sont<br />

fermés. » et j’ai mal à ma ville… ■<br />

18 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

453 000 PERSONNES<br />

VIVENT EN FRANCE<br />

DANS UNE MUNICIPALITÉ<br />

D’EXTRÊME DROITE...<br />

onzemairiessont gérées par le FN<br />

ou par un maire élu avec le soutien<br />

du FN. Quatre autres sont dirigées<br />

par la ligue du sud, parti d’extrême droite<br />

présidé par l’ex-FN Jacques<br />

bompard. se servir des mairies<br />

conquises en mars 2014<br />

comme des vitrines pour démontrer<br />

la capacité « à gouverner<br />

» et préparer 2017, tel<br />

est le projet du FN.<br />

les possibilités d’intervention<br />

des maires sur l’école, son<br />

fonctionnement, ses programmes<br />

sont limitées, alors<br />

ils se rabattent sur la culture,<br />

le périscolaire et l’accompagnement<br />

social qui permet<br />

aux élèves vivant dans la<br />

précarité de suivre leur scolarité<br />

dans des conditions<br />

de vie décente.<br />

À cela s’ajoute l’infecte finalité du programme<br />

de l’extrême droite, « la préférence<br />

nationale », que ces maires ne peuvent<br />

pas encore mettre en pratique, mais dont<br />

ils développent, insidieusement, la perspective<br />

par leurs déclarations et leurs<br />

déci sions discriminatoires. les quelques<br />

exemples suivants, parmi beaucoup d’autres,<br />

en sont l’illustration.<br />

contre les gens du voyage, lemairede<br />

Cogolin a rédigé ce communiqué abject :<br />

« À l’occasion de l’arrivée importante de<br />

gens du voyage, la mairie demande aux<br />

résidents de rester vigilants et de signaler<br />

à la police municipale tout comportement<br />

suspect. » le maire s’oppose à la présentation<br />

d’une danse orientale au gala des<br />

Associations : « s’ils veulent vivre comme<br />

en orient, les frontières sont ouvertes. »<br />

Àhayange, le maire, engelmann éructe :<br />

« la danse orientale est incompatible avec<br />

le Front national. » À Fréjus, le maire met<br />

fin à la subvention du centre social. Au<br />

Pontet, le maire FN décide de la fin de la<br />

gratuité des cantines scolaires pour les<br />

enfants issus de familles démunies.<br />

LemairedeBeaucaire, dans une tribune<br />

aux relents racistes publiée sur un site du<br />

FN, stigmatise les enfants issus de l’immigration<br />

qu’il est, à son grand regret, obligé<br />

d’inscrire dans les écoles de « sa » ville. Il<br />

parle ainsi de 22 enfants (sur les 16 000<br />

habitantes de la commune) et les désigne<br />

à la vindicte populaire : « […] ces élèves,<br />

pour la plupart originaires du Maghreb<br />

et/ou de nationalité espagnole<br />

grâce à l’europe passoire<br />

et laxiste en matière<br />

de naturalisation et de droit<br />

du sol. »<br />

Àmarseille, stéphane ravier<br />

et ses acolytes du FN<br />

dans une même logique discriminatoire<br />

votent contre les<br />

subventions de la dizaine de<br />

centres sociaux de la ville ou<br />

contre la réhabilitation de<br />

l’école de la busserine. Face à<br />

cela, les parents et les enseignantes<br />

refusent la venue des<br />

élus FN, le conseil d’école est<br />

suspendu et le maire, stéphane<br />

ravier, déclare vouloir éradiquer les « métastases<br />

rouges du quartier ». ce qui en<br />

dit long sur la nature fascisante du FN et<br />

l’arnaque de sa « dédiabolisation ». les<br />

enseignantes du lycée Paul-langevin à<br />

beaucaire l’ont expérimentée, quand, ayant<br />

refusé de serrer la main du maire, ils et<br />

elles se sont fait insulter dans la presse :<br />

« syndicalistes sans éducation, privilégiés,<br />

aigris et sectaires dont le comportement<br />

n’a rien à envier à celui des racailles. »<br />

tous ces exemples doivent nous conforter<br />

dans notre volonté d’informer sur les pratiques<br />

totalitaires et violemment discriminatoires<br />

des mairies d’extrême droite afin<br />

de se mobiliser, tou-te-s ensemble, enseignantes,<br />

éducateurs et éducatrices, parents<br />

d’élèves et syndicalistes, avec celles et<br />

ceux qui subissent et résistent à l’inacceptable.<br />

■<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 19


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

La cible “familles”<br />

Par Jean-Pierre Fournier,QueStionS De CLaSSe(S).<br />

« PAs elle ! » Quand une enseignante de maternelle, à tours, avait<br />

été victime d’accusations ahurissantes d’incitations à des attouchements<br />

1 par des activistes de la Jre, ses collègues et plus largement<br />

le monde enseignant avait été horrifiés. elle encore plus, pas seulement<br />

parce qu’elle était la victime, mais parce qu’ils avaient aidé<br />

une partie de ces mères à obtenir leurs papiers...<br />

dire que l’extrême droite<br />

ratisse très large. mais derrière<br />

C’est<br />

le paradoxe, il y a de quoi réflé -<br />

chir. Comment se fait-il que « ça marche » ?<br />

Qu’il s’agisse d’éducation sexuelle et d’égalité<br />

hommes-femmes, il y a un point commun :<br />

c’est nouveau (ou présenté comme tel) et ça<br />

fait peur.<br />

PaSSionS triSteS<br />

des parents très différents peuvent avoir peur :<br />

ainsi les riches ont peur des pauvres, mais les<br />

pauvres aussi ont peur des pauvres (ou des<br />

noirs, des arabes, des pauvres ethnicisés) !<br />

Je me souviens de ce père, d’origine africaine,<br />

m’expliquant qu’il interdisait à son fils de<br />

quitter la maison après l’école, car « dehors,<br />

il n’y a que des noirs ».<br />

les gens enfermés dans le « on ne parle pas<br />

de ça » à propos de la sexualité, avec ou sans<br />

(généralement quand même avec) renforcement<br />

religieux, peuvent être effra yés par tel chapitre<br />

de biologie ou tel texte de français.<br />

des identitaires à Sarko, toute la droite<br />

musclée attise la peur pour se présenter en<br />

défenseur, c’est leur carte – c’est leur force.<br />

il y a aussi les préjugés. C’est quelque<br />

chose que l’on n’ose pas s’avouer, car cela<br />

ternit l’image de « la classe ouvrière », et on<br />

n’aime pas trop bousculer nos icônes militantes.<br />

mais enfin : qui peut ignorer que les<br />

convictions autoritaires en matière de société<br />

et d’éducation sont largement partagées dans<br />

les classes popu laires ? Peine de mort, répression<br />

par tous les moyens de la délinquance<br />

de rue, et dans l’éducation c’est la même<br />

chose : quel enseignant dans les « quartiers »<br />

n’a reçu l’autorisation – l’encouragement –<br />

à mettre une taloche à l’enfant récalcitrant ?<br />

Je me souviens d’un « tu dis un mot au<br />

prof, je t’écrase la tête contre le mur ! ».<br />

dans un domaine voisin, l’homophobie se<br />

porte bien, et lors d’un débat en classe sur<br />

l’avortement, où seules les filles sont intervenues,<br />

j’avais vu que « c’était pas gagné ».<br />

même processus vis-à-vis des étrangers.<br />

un groupe d’élèves de troisième m’a ainsi<br />

courtoisement mais fermement dit dans un<br />

<strong>coul</strong>oir que j’avais tort de soutenir les sanspapiers,<br />

qui selon elles prenaient le travail<br />

aux autres. les élèves en question étaient<br />

toutes filles d’immigrés de la première génération.<br />

enfin, il y a la vengeance qui se trompe<br />

d’objet. on se souvient de ce personnage<br />

d’Au revoir les enfants, licencié par le res-<br />

20 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

ponsable de l’abbaye qui cache des enfants<br />

juifs ; cet employé va dénoncer tout le monde<br />

à la Gestapo. dans un registre moins dramatique<br />

et plus quotidien, combien d’humiliations<br />

vécues à l’école par les parents des classes<br />

populaires se transforment en hostilité aux<br />

« intellos » et à leurs idées ? Car l’école – ce<br />

n’est pas une mise en cause de nos collègues,<br />

l’effet système joue à fond – trie, casse, ignore<br />

souvent, et crée du coup du malheur-boomerang.<br />

Comment ne pas voir que c’est sur ces<br />

terrains que chasse l’extrême-droite ?<br />

Rien de surprenant au total. des passions<br />

tristes qui éclatent comme des boules puantes.<br />

rÉPonDre aux aFFeCtS ?<br />

la vraie question, c’est comment faire face.<br />

Comment gérer ces émotions-là, d’autant<br />

qu’on ne voit rien venir : nous ne sommes<br />

pas dans le secret des familles, et des remâchages<br />

privés aux éclats publics, le chemin<br />

n’est guère lisible. il me semble qu’on peut<br />

dégager deux pistes :<br />

– annoncer, expliquer aux familles ce qu’on<br />

fait ; reconnaître l’existence des préjugés, des<br />

peurs, des affects – après tout, personne n’est<br />

un pur esprit ; et ça n’empêche pas de faire ce<br />

qu’on a prévu. oui, mais, dira-t-on, mais<br />

quand les parents ne viennent pas ? Comme<br />

pour les autres apprentissages, c’est un vrai<br />

problème. essayer quand même ? le téléphone<br />

donne de bons résultats ; dans le premier<br />

degré, des collègues invitent deux-trois parents<br />

en fond de classe ;<br />

– dire et surtout montrer « de quel côté de la<br />

barricade » on se trouve ; le succès n’est pas<br />

garanti à 100 % 2 mais cela surprend tellement<br />

les parents des classes populaires que ça a<br />

des effets bénéfiques ; en fait, je suis un peu<br />

surpris que beaucoup de collègues, pourtant<br />

« syndicalistes de choc » et ouvertement à<br />

gauche voire plus, n’annoncent pas la <strong>coul</strong>eur,<br />

NOUS RAPPROCHER DES PARENTS<br />

LES PLUS ÉLOIGNÉS DE L’ÉCOLE,<br />

C’EST FAIRE QU’EUX S’ÉLOIGNENT<br />

DES MARCHANDS DE HAINE.<br />

socialement parlant (il ne s’agit pas de prosélytisme<br />

pour une chapelle !). n’y aurait-il<br />

pas beaucoup d’occasions manquées ?<br />

Pour les professionnels de l’éducation, il y<br />

a fort à faire. Sans se cacher pour autant que<br />

la clarté, l’explication, l’engagement raisonné<br />

sont peu (mais pas rien) contre des affects<br />

profonds.<br />

Peu, mais pas rien. nous rapprocher des<br />

parents « les plus éloignés de l’école », c’est<br />

faire qu’eux s’éloignent des marchands de<br />

haine. ■<br />

1. http://education.blog.lemonde.fr/2014/03/30/la-journee-de-retrait-de-lecole-accuse-publiquement-une-enseignante-de-maternelle/<br />

merci à dominique Seghetchian, enseignante engagée de<br />

cette ville, pour cette référence.<br />

2. Comme pourrait le faire croire l’exemple initial de cet<br />

article. mais, explique dominique, l’engagement de cette<br />

enseignante et de son équipe a permis que la réaction<br />

vienne non seulement d’un collectif syndicats-associations<br />

mais aussi et surtout des autres parents d’élèves ; les<br />

tentatives JRe qui ont suivi ont été des échecs.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 21


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Des JRE<br />

à la Manif pour tous<br />

PAR CÉCILE ROPITEAUX, SECTEUR DROITS ET LIBERTÉS DU SNUIPP-FSU<br />

en 2013, diverses mobilisations ont eu lieu autour de l’ouverture<br />

du mariage aux couples de même sexe : des manifestations impor -<br />

tantes en faveur de cette loi, et d’autres, encore plus importantes,<br />

qui la combattaient, prenant le nom de « Manif pour tous ».<br />

Pour le sNuiPP-Fsu, 2013 est l’année<br />

de son colloque « Éduquer contre<br />

l’homophobie dès l’école primaire ».<br />

opportunisme ? non, hasard du calendrier.<br />

nous avons entamé ce travail de rechercheaction<br />

en 2010, avec conception, puis expérimentation<br />

de séquen ces pédagogiques pour<br />

éduquer contre le sexisme et les lGBtphobies,<br />

et publié une brochure de sensibilisation<br />

et un document pédagogique téléchargeable 1 .<br />

LeS aBCDDe L’ÉgaLitÉ<br />

À la rentrée 2013 a été mis en place dans<br />

600 classes primaires le dispositif des aBCd<br />

de l’égalité, destiné à lutter contre les stéréotypes<br />

de sexes, à l’initiative du ministère<br />

des droits des femmes et du ministère de<br />

l’Éducation nationale.<br />

on a alors vu arriver autour de certaines<br />

écoles des tracts dénonçant l’enseignement<br />

et les méfaits de la prétendue « théorie du<br />

genre », distribués par des collectifs de<br />

parents auto-proclamés, des associations catholiques<br />

traditionalistes, ou des groupuscules<br />

de type « veilleurs » ou « vigi-gender »,<br />

issus de la manif Pour tous (lmPt). en<br />

janvier 2014, farida Belghoul a appelé à<br />

des Journées de Retrait de l’École (JRe,<br />

voir plus loin).<br />

DiSCourS et DÉSinFormation<br />

la rhétorique de ces tracts est un mélange<br />

de mensonges, d’exagérations, de glissements<br />

de sens, de détournements, de phrases extraites<br />

de leur contexte. ils se posent en défenseurs<br />

de « la complémentarité des sexes », dans<br />

une posture essentialiste. Ceci est symbolisé<br />

par les <strong>coul</strong>eurs rose et bleu, déclinées jusqu’à<br />

la nausée ! ils évoquent « l’être » et la « nature<br />

» (impli citement divine), comme si<br />

l’indivi du-e n’était pas une construction sociale.<br />

ils amalgament volontairement les aBCd,<br />

dispositif institutionnel, avec le travail<br />

syndical du Snuipp-fSu, qui va plus loin<br />

dans la déconstruction des stéréotypes et<br />

aborde la nécessaire banalisa tion de l’homosexualité<br />

: ils tentent ainsi de jeter le discrédit<br />

sur toutes les actions d’éducation à<br />

l’égalité et de lutte contre les discriminations<br />

que l’école peut mener. ils remettent en<br />

cause l’éducation à la sexualité. ils dénoncent<br />

les méthodes « tota litaires » de l’Éducation<br />

nationale et le fait que les parents seraient<br />

tenus à l’écart, et revendiquent que l’école<br />

ne s’occupe que d’instruction. il est même<br />

clairement dit qu’elle n’est pas là pour lutter<br />

contre les inégalités !<br />

22 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Certains discours, plus subtils, semblent<br />

faire des concessions au constructivisme<br />

« on ne naît pas femme, on le devient », et<br />

prétendent s’opposer aux discriminations.<br />

C’est en fait pour exprimer alors une homophobie<br />

plus feutrée, moins outrancière, qui<br />

considère les personnes lGBt comme<br />

comme inférieures (association des familles<br />

catholiques). l’hétérosexualité est présentée<br />

comme la seule sexualité « naturelle » et<br />

épanouissante, car féconde. dans le tract,<br />

les revendications d’égalité sont associées,<br />

négativement, à l’individualisme ! notons<br />

aussi l’amalgame entre homosexualité et<br />

pratiques sexuelles, alors que parler d’homosexualité<br />

à l’école primaire, c’est parler<br />

d’amour, de couples, de familles…<br />

ATTAQUES ANTI-SYNDICALES<br />

Parallèlement, le Snuipp-fSu a été visé<br />

également, dès le mois de mai, suite au<br />

travail qu’il mène : messages haineux sur<br />

des blogs, courriels de menaces ou d’insultes,<br />

permanences syndicales taguées, articles<br />

dans la fachosphère… dans une vidéo mise –<br />

un temps – en ligne, le Printemps français,<br />

branche radicale de lmPt, est allé jusqu’à<br />

écrire : « Vous répandez votre idéologie<br />

comme les rats répandent la peste. » Cette<br />

dernière phrase comporte une référence nauséabonde<br />

flagrante à ce que les nazis disaient<br />

Universite Robert Schuman ; Salle de TD, Strasbourg – Myr MURATET<br />

N’Autre école N° 5 //23


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

on a bien affaire à un réseau, alliant droite traditionaliste et extrê mes<br />

droites. lmPt a été l’occasion de passerelles, de rapprochements, comme<br />

celui de l’uni avec les identitaires, de fanatiques religieux de tous bords,<br />

allant jusqu’à la droite plus traditionnelle, depuis les convaincu-es de<br />

l’essentialisme, pour qui « la » femme doit rester à « sa » place.<br />

“<br />

”<br />

des Juifs… d’autres sites nous accusent<br />

d’être des « assassins d’enfants » et de<br />

vouloir « détruire la civilisation », et réussissent<br />

à amalgamer, dans un vaste complot du<br />

grand remplacement, féministes, homosexuels<br />

et « populations islamisées »…<br />

LES JRE<br />

en janvier 2014 eut lieu la première Journée<br />

de retrait de l’école. le discours associé<br />

franchit encore un cran dans la manipulation<br />

mensongère. des parents d’élèves ont reçu<br />

un courriel ou SmS les avertissant que l’école<br />

allait « enseigner à nos enfants qu’ils ne<br />

naissent pas fille ou garçon, mais qu’ils choisissent<br />

de le devenir », avec « démonstrations »<br />

de masturbation ! Cette opération visant à<br />

l’instrumentalisation des familles va connaître<br />

un succès relatif. le message, signé farida<br />

Belghoul, est diffusé par Égalité et Réconciliation<br />

et les réseaux liés à la mouvance dieudonné-Soral,<br />

dont des relais islamistes. les<br />

JRe ont aussi reçu le soutien de Civitas, organisation<br />

catholique intégriste, et du Bloc<br />

identitaire.<br />

QUI SONT-ILS ?<br />

« Contrôle totalitaire des cerveaux », « ensei -<br />

gnant-es gauchistes aux mœurs dépravées<br />

voulant corrompre la jeunesse »… les convergences<br />

de vocabulaire et d’arguments fallacieux<br />

montrent que, derrière la multiplicité des appellations,<br />

même si les relais sont divers et<br />

variés, on est dans la plus pure tradition des<br />

discours de l’extrême-droite contre l’école<br />

publique et laïque ! on a bien affaire à un réseau,<br />

alliant droite traditionaliste et extrêmesdroites.<br />

lmPt a été l’occasion de passerelles,<br />

de rapprochements, comme celui de l’uni<br />

avec les identitaires, de fanatiques religieux<br />

de tous bords, allant jusqu’à la droite plus<br />

traditionnelle, depuis les convaincu-es de l’essentialisme,<br />

pour qui « la » femme doit rester<br />

à « sa » place, jusqu’aux élu-es embrayant<br />

par opportunisme électoraliste.<br />

Ces campagnes contre l’école sont donc<br />

un moyen pour lmPt de se recycler, de<br />

continuer à s’opposer au gouvernement en<br />

essayant de ratisser largement dans l’opinion.<br />

À cela viennent s’ajouter les ennemi-es de<br />

l’école publique et les tenant-es de l’antipédagogisme.<br />

DERRIÈRE LES DISCOURS<br />

LES VÉRITABLES ENJEUX<br />

l’emploi du mot « gender » relève du sexisme<br />

et des lGBtphobies, mais aussi de l’antiaméricanisme<br />

et l’anti-intellectualisme. C’est<br />

à relier à la mention des « lesbiennes juives<br />

américaines » qui désigne parfois les féministes.<br />

on retrouve très souvent aussi les références<br />

au complotisme : des « lobbies » œuvreraient<br />

à la promotion de la pseudo « théorie du<br />

genre ».<br />

derrière la défense de la mythique complémentarité<br />

des sexes se cache le refus de<br />

l’égalité. en effet, dans leur vision binaire<br />

du monde, le masculin est assimilé au<br />

principe actif et à la sphère publique ; aux<br />

femmes la passivité et la sphère domes -<br />

tique. Répartition ô combien hiérarchique,<br />

qui est à la source même des inégalités et<br />

nourrit la domination patriarcale. Ce sont<br />

les mêmes qui s’opposent à l’avortement,<br />

au partage du congé parental, etc. leur<br />

crainte de « l’indifférenciation » masque<br />

24 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

leur refus de la diversité, ils prônent en fait<br />

l’uniformité à l’intérieur de chaque sexe,<br />

exprimant homophobie et transphobie, et<br />

nient la réalité des familles. Quant aux<br />

attaques contre l’éducation à la sexualité,<br />

elles relèvent bien évidemment de l’ordre<br />

moral, qui s’oppose à l’émancipation des<br />

femmes et des filles.<br />

ils osent se placer en protecteurs de l’enfance,<br />

alors que c’est bien le carcan du genre,<br />

qu’ils défendent si âprement, qui cause souffrances,<br />

viols et violences sexistes, dépressions<br />

et suicides de jeunes lGBt par haine de<br />

soi… ils occultent complètement le malêtre<br />

des jeunes, lGBt ou hétéros, qui ne se<br />

reconnaissent pas dans les normes strictes<br />

de genre. ils ne se préoccupent pas des torts<br />

causés à tous ces enfants qui grandissent<br />

dans toutes sortes de familles, qu’ils ont tant<br />

stigmatisées !<br />

ÉPILOGUE...<br />

les aBCd ont été enterrés. l’abandon du<br />

nom est une faute politique, un recul supplémentaire<br />

du gouvernement. le Plan d’éducation<br />

à l’égalité, présenté par le ministère comme<br />

une généralisation, ne tiendra pas ses promesses<br />

faute de moyens. le nouveau site de ressources<br />

pédagogiques est indigent, et présente quelques<br />

contenus essentialistes.<br />

la fapec, fédération de parents de f. Belghoul,<br />

est un échec, elle-même s’est brouillée<br />

avec Soral. en revanche, lmPt semble<br />

avoir réussi son recyclage au sein de<br />

l’umP/les Républicains, avec la création<br />

de « Sens commun » et compte un certain<br />

nombre d’élu-es. en 2016, les « vigi-gender »<br />

font parvenir à des centaines d’écoles une<br />

brochure de 50 pages intitulée le Genre en<br />

images, qui présente de nouveau leurs mensonges<br />

relatifs à une prétendue « théorie du<br />

genre ». l’éducation à l’égalité et la lutte<br />

contre les discriminations y est discréditée.<br />

Suite à interventions syndicales, le ministère<br />

LES ABCD ONT ÉTÉ ENTERRÉS.<br />

L’ABANDON DU NOM EST UNE FAUTE<br />

POLITIQUE, UN RECUL SUPPLÉMENTAIRE<br />

DU GOUVERNEMENT.<br />

LE PLAN D’ÉDUCATION ÀL’ÉGALITÉ,<br />

PRÉSENTÉ PAR LE MINISTÈRE COMME<br />

UNE GÉNÉRALISATION, NE TIENDRA PAS<br />

SES PROMESSES FAUTE DE MOYENS.<br />

a envoyé aux académies la consigne de bloquer<br />

ces envois.<br />

À nous de ne rien lâcher de notre projet<br />

éducatif !<br />

C’est bien le rôle de l’école :<br />

– d’agir dans une logique de prévention des<br />

discriminations, du harcèlement et des violences<br />

;<br />

– d’accueillir tou-tes les enfants, quelles que<br />

soient leurs familles ;<br />

– d’éduquer contre toutes les formes de xénophobie,<br />

contre le racisme, le sexisme, les<br />

lGBtphobies, la stigmatisation liée à la situation<br />

sociale ou au handicap ;<br />

– d’alléger le poids des stéréotypes et des<br />

déterminismes pour favoriser l’émancipation<br />

de toutes et tous ;<br />

– de contribuer à inventer une culture de<br />

l’égalité : égalité en droits, mais aussi égalité<br />

subjective afin que chacun-e se sente l’égale<br />

de l’autre et que nous puissions avancer<br />

ensemble vers l’égalité réelle, sociale et économique<br />

de toutes et tous.<br />

et c’est bien ce que collectivement nous<br />

continuerons à porter ! ■<br />

1. http://www.snuipp.fr/eduquer-contre-l-homophobie-desl,13866<br />

N’Autre école N° 5 // 25


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Florilège<br />

LeS Jre, c’est avant tout une<br />

stratégie victorieuse d’alliance<br />

de tous les obscurantismes religieux<br />

avec l’ultra-droite qui s’est<br />

concrétisée lors de la conférence de la<br />

presse du 19 février 2014 en présence<br />

de Farida belghoul, christine boutin et<br />

béatrice bourges, fondatrice du « Printemps<br />

français » qui y déclarait :<br />

« l’heure est tellement grave qu’il faut<br />

faire des alliances […]. Parce que c’est<br />

la mort qu’on nous propose […]. on<br />

veut faire de nous des personnes qui<br />

sont hors sexe et hors sol, qui perdent<br />

leur identité, qui perdent toutes leurs<br />

identités, pas seulement leur identité<br />

de sexe et de genre mais aussi leur<br />

identité nationale. […] on veut légaliser<br />

la pédophilie, parce que c’est de ça<br />

dont il s’agit, en plus, c’est de légaliser<br />

la pédophilie […] Alors nous avons décidé<br />

de faire alliance pour sauver notre<br />

civilisation. »<br />

Pour Albert Ali, essayiste « musulman<br />

et souverainiste français » proche<br />

d’Alain soral, « les Jre sont la mère<br />

de toutes les batailles », quant à Mourad<br />

salah, conseiller municipal à<br />

Melun, il résume l’ambiance générale :<br />

« tenez bon ! tout le corps enseignant<br />

est un corps de lâches. la journée de<br />

retrait de l’école c’est : je retire mon<br />

enfant de cet antre du mal. » cette<br />

croisade fondamentaliste, qui prêche<br />

pour le retour de l’école à la maison,<br />

se double d’un enjeu commercial. Pour<br />

Alain escada, président du mouvement<br />

catholique traditionaliste civitas,<br />

il est temps d’offrir « une alternative à<br />

l’école de la république », « cette<br />

école qui est aux ordres d’une vision<br />

laïciste et internationaliste veut séparer<br />

l’enfant de dieu comme de ses parents.<br />

» c’est à la mise en place d’un<br />

réseau d’écoles hors contrats que se<br />

consacre toute une fange de la mouvance<br />

traditionaliste. un vieux rêve de<br />

l’extrême droite, lassée des « compromis<br />

» entre l’enseignement privé sous<br />

contrat et l’état. dans le sillage du<br />

club de l’horloge, les « créateurs<br />

d’école » ont réalisé la synthèse entre<br />

une vision ultra-libérale du marché<br />

scolaire (l’école comme entreprise<br />

finan cée par le chèque éducation) et le<br />

retour à la pédagogie traditionnelle<br />

(religieuse ou pas). Quant à Farida<br />

belghoul, elle a lancé sa « petite entre -<br />

prise » de « remédiation éducative<br />

indivi dualisée à domicile » (le reid),<br />

une association à la recherche de<br />

250 000 euros de budget annuel pour<br />

une dizaine de jeunes. sa Fédération<br />

de parents accueille aussi rémy Wiedmann,<br />

le « coach des parents », animateur<br />

du site Internet « l’école à la<br />

maison » dont l’objectif est d’amener<br />

les parents à retirer les enfants de<br />

l’école, « de toutes les écoles », précise-t-il.<br />

À la croisade religieuse de civitas et<br />

de Farida belghoul, il faut associer<br />

sos éducation, connue pour sa pétition<br />

contre l’exposition « le zizi<br />

sexuel » à la cité des sciences. délégué<br />

général de l’association, Jean-Paul<br />

Mongin est convaincu que Najat Vallaud-belkacem<br />

n’a mis « les pieds à<br />

l’école que pour promouvoir l’expérimentation<br />

idéologique des Abcd dits<br />

“de l’égalité”, visant à subvertir les<br />

repè res des enfants dans la construction<br />

de leur identité sexuelle ».<br />

extrait de L’École des réac-publicains,<br />

g. chambat, libertalia, 2016<br />

26 // N’Autre école N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Histoire d’une éducation<br />

trop nationale<br />

Par BernarD girarD<br />

le FN peut-il réussir une percée électorale dans le monde de l’enseignement<br />

? Au-delà de l’autosatisfaction bruyamment affichée par le<br />

collectif racine, il est de fait que son programme éducatif 1 – qui n’a<br />

rien de révolutionnaire, se gardant bien d’effaroucher l’électeur poten -<br />

tiel – distille plutôt comme un air de déjà vu, déjà entendu.<br />

«<br />

l’ÉCole<br />

de la RÉPuBliQue est aujourd’hui<br />

en grand péril : elle ne<br />

remplit plus sa mission la plus<br />

essen tielle, celle de permettre à chaque<br />

enfant de france, selon ses talents et ses<br />

mérites, de trouver sa juste place dans la<br />

société, en assurant, par la perpétuation de<br />

l’excellence française, l’avenir de la nation.<br />

Cette situation est imputable à près d’un<br />

demi-siècle de contre-réformes inspirées<br />

par l’idéologie permissive héritée de<br />

mai 1968, par des théories pédagogiques<br />

aberrantes, et par les dogmes euro -<br />

mondialistes appliqués aux politiques éducatives.<br />

»<br />

en quelques mots, tout est dit : puisque<br />

l’apocalypse, c’est aujourd’hui, puisque les<br />

coupables sont dénoncés, il n’y a plus qu’à<br />

passer au « redressement » de l’école, à<br />

partir de quelques mesures dont certaines<br />

ne devraient guère poser de difficultés d’application…<br />

et pour cause, vu la place qu’elles<br />

occupent déjà, de longue date, dans les<br />

préoccupations de l’Éducation nationale.<br />

ainsi, parmi les propositions du fn, l’enseignement<br />

de l’histoire de france reflète la<br />

place centrale qu’occupe la nation dans l’imaginaire<br />

d’extrême-droite, un enseignement<br />

« qui retrouvera sa place au cœur de l’apprentissage<br />

[...] à partirde la chronologie et<br />

de figures symboliques qui se gravent dans<br />

les mémoires ». au cœur de l’apprentissage ?<br />

mais n’est-ce pas déjà le cas aujourd’hui,<br />

notamment à l’école élémentaire (cycle 3),<br />

avec un ensei gnement de l’histoire étroitement<br />

délimité et structuré autour du « temps des<br />

rois », du temps de la « République » ?<br />

LE ROMAN NATIONAL AU CŒUR DES<br />

PRÉOCCUPATIONS DU FN… ET DE L’EN<br />

dans un contexte politique où les considérations<br />

identitaires gangrènent en profondeur<br />

le débat public, au point d’occulter tout le<br />

reste, le choix d’un recentrage natio nal<br />

imposé par les pouvoirs publics dans le<br />

cadre de la rédaction des programmes d’histoire<br />

(printemps 2015) révèle une proximité<br />

avec le fn qui n’est pas que de façade.<br />

C’est par exemple Hollande qui assigne à<br />

l’enseignement de l’histoire la fonction de<br />

« rappeler les heures glorieuses de notre<br />

passé ». mais aussi nVB qui impose au<br />

CSP sa volonté de « mettre [dans les programmes]<br />

ce qui fonde l’identité de la france<br />

[...] l’enseignement de l’histoire doit bien<br />

être un récit qui raconte notre appartenance<br />

à la communauté nationale [...] » 2 . deux<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 27


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

EN QUELQUES MOTS, TOUT EST DIT :<br />

PUISQUE L’APOCALYPSE, C’EST AU-<br />

JOURD’HUI, PUISQUE LES COUPABLES<br />

SONT DÉNONCÉS, IL N’YAPLUS QU’À<br />

PASSER AU « REDRESSEMENT » DE<br />

L’ÉCOLE<br />

voix officielles qui sont comme un écho<br />

aux convictions jamais démenties du fn en<br />

matière d’enseignement de l’histoire : « l’enseignement<br />

de l’histoire doit […] renouer<br />

avec le roman national, qui doit y occuper<br />

une place centrale. l’une des finalités de<br />

l’école est en effet de donner aux enfants de<br />

france des raisons d’être fiers de leur pays,<br />

et elle doit tout autant remplir une fonction<br />

assimilatrice, ce qui exige que tous les<br />

jeunes français puissent se reconnaître dans<br />

une histoire commune. » (Philippot, viceprésident<br />

du fn… dans un cordial entretien<br />

avec Jean-Paul Brighelli 3 )<br />

LA GRANDE ARNAQUE<br />

DES IDENTITÉS COLLECTIVES<br />

Parce qu’elles touchent aux notions d’identité,<br />

de communauté, de société, les affinités<br />

entre l’extrême-droite et les programmes<br />

scolaires ne sont pas anecdotiques, ni sans<br />

conséquences, dans une période où l’en<br />

s’empêtre bien inconsidérément, sans débat<br />

public, dans une surenchère patriotique dont<br />

on ne voit pas la fin : après le verrouillage<br />

des programmes d’histoire, après le déploiement<br />

du drapeau tricolore dans les établissements,<br />

après l’apprentissage obligatoire<br />

et renforcé de La Marseillaise, après la<br />

sacra lisation de la République, après l’instrumentalisation<br />

de la laïcité, on peut légi -<br />

timement s’inquiéter de ce que certains<br />

choix faits par l’en ne s’écartent pas fondamentalement<br />

des options traditionnelles<br />

de l’extrême droite.<br />

Histoire commune, communauté natio -<br />

nale, fierté nationale, intégration : faut-il<br />

croire que ce vocabulaire n’aurait pas le<br />

même sens au fn que dans une salle de<br />

classe ? Que le le sang impur qui abreuve<br />

les sillons se verrait miraculeusement chargé<br />

dans la bouche des écoliers de valeurs civiques<br />

et morales qu’il n’aurait plus dans<br />

un meeting d’extrême droite ? dans les<br />

deux cas, pourtant, ce vocabulaire ambigu<br />

renvoie immanquablement à une même<br />

croyance, une même illusion : celle d’une<br />

communauté de peuples d’origine homogène,<br />

quasi ethnique, perpétuellement menacée<br />

de disparaître sous le coup d’invasions<br />

étrangères, barbares autrefois, immigrés et<br />

réfugiés aujourd’hui. l’indifférence au<br />

monde, la grande peur des migrants, la fermeture<br />

brutale des frontières, les milliers<br />

de réfugiés noyés à nos portes, sous nos<br />

yeux : tout cela n’a-t-il vraiment aucun rapport<br />

avec le roman national dont le but est<br />

de faire croire aux enfants des écoles que<br />

les gouvernants descendent en droite ligne<br />

des mérovingiens, des Capétiens ou de<br />

prétendus « héros » dont il faudrait conserver<br />

la mémoire et préserver l’héritage ?<br />

Prétendre que la vie collective ne pourrait<br />

se construire que dans le cadre artificiel de<br />

la nation, que toute autre forme de vie en<br />

groupe serait la marque du « communautarisme<br />

», relève certes des principes fondamentaux<br />

de l’extrême droite mais l’incrustation<br />

de cette escroquerie dans l’opinion<br />

publique et le débat politique est inséparable<br />

de la légitimité que lui apporte à l’école la<br />

promotion d’un patrio tisme remis au goût<br />

du jour précisément au moment où ce type<br />

d’identification montre toutes ses limites et<br />

tous ses vices : la stigmatisation de l’immigré<br />

et de ses descendants, la peur de l’étranger,<br />

le repli derrière les frontières, le recours ir-<br />

28 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

réfléchi à la guerre, ou encore l’incapacité<br />

à comprendre le monde dans sa globalité<br />

et donc à inventer de nouvelles relations<br />

entre ses composantes. l’identité se réfé -<br />

rant par principe aux individus considérés<br />

dans leur complexité, leur intimité, vouloir<br />

lui adjoindre une composante collective<br />

est non seulement peu légitime, mais souvent<br />

aventureux, comme le montre l’histoire<br />

des régimes totalitaires dont on sait quels<br />

usages ils ont fait de la défense des prétendues<br />

« identités collectives ».<br />

LES RÉSISTANCES PASSENT<br />

AUSSI PAR LES SALLES DE CLASSE<br />

Que certaines valeurs soient partagées en<br />

commun par le fn et une partie encore<br />

plus large de l’opinion publique, avec<br />

l’école comme terrain d’expérimentation,<br />

n’est pas à vrai dire une chose nouvelle :<br />

une conception de la discipline réduite à<br />

de simples exigences d’obéissance, une<br />

incapacité maladive à imaginer une forme<br />

d’intégration au groupe, de vie en société,<br />

qui s’épanouisse en dehors du cadre natio -<br />

nal, la morale ramenée à des leçons de<br />

morale, une conception intolérante de la<br />

laïcité, la nostalgie d’un prétendu âge d’or<br />

scolaire qui n’a jamais existé, le refus de<br />

prendre en considération la composante<br />

sociale de l’échec ou de la réussite scolaire,<br />

tout ceci se retrouve, à des degrés divers,<br />

sur un très large éventail politique.<br />

Reste que pour l’enseignant, pour l’éducateur,<br />

c’est la salle de classe, l’établissement<br />

qui restent les lieux privilégiés de socialisation<br />

des enfants et que pour les ouvrir<br />

aux autres et au monde, la pratique quotidienne<br />

de l’entraide, de la coopération, le<br />

souci des plus petits et des plus faibles<br />

sont potentiellement plus riches d’avenir<br />

que le recours aux vieilles chimères identitaires.<br />

■<br />

QUE CERTAINES VALEURS SOIENT<br />

PARTAGÉES EN COMMUN<br />

PAR LE FN ET UNE PARTIE ENCORE<br />

PLUS LARGE DE L’OPINION PUBLIQUE,<br />

AVEC L’ÉCOLE COMME TERRAIN<br />

D’EXPÉRIMENTATION, N’EST PAS<br />

À VRAI DIRE UNE CHOSE NOUVELLE.<br />

l’Atrium. universite Paris 6 Pierre et Marie curie,<br />

Jussieu. Paris – Myr MurAtet<br />

1. http://www.collectifracine.fr/blog/2013/05/02/appelpour-le-redressement-de-lecole/<br />

2. https://blogs.mediapart.fr/b-girard/blog/151015/lecolele-patriotisme-promu-comme-discipline-scolaire-la-placede-lhistoire<br />

3. http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paulbrighelli/brighelli-fn-le-programme-de-philippot-pour-lecole-et-l-universite-30-09-2015-1969274_1886.php<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 29


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Petit manuel<br />

pour une laïcité apaisée<br />

entretien avec deux membres du cercle des enseignant.e.s laïques,<br />

Anaïs Flores et Jérôme Martin, co-auteur.e.s du Petit manuel pour<br />

une laïcité apaisée, un ouvrage qui a marqué la rentrée 2016.<br />

Petit manuel pour<br />

une laïcité apaisée<br />

À l’usage des<br />

enseignants,<br />

des élèves et<br />

de leurs parents<br />

Jean baubérot<br />

et le cercle<br />

des enseignant.e.s<br />

laïques, la découverte,<br />

2016, 240 p., 12 €.<br />

QuestioNs de Classe(s) – le Petit manuel pour une laïcité<br />

apaisée à l’usage des profs, des élèves et des parents, arrive<br />

en librairies dans une période où le thème de la laïcité déchaîne<br />

les passions. Pouvez-vous nous préciser dans quel contexte est<br />

née l’idée de cet ouvrage et comment il a été rédigé ?<br />

Jérôme martiN & aNaïs Flores – enseignant-es en Seine-<br />

Saint-denis, nous constatons que la laïcité déchaîne les passions,<br />

mais essentiellement dans les médias et parmi les politiques. Parallèlement,<br />

nous expérimentons les difficultés engendrées par<br />

ces débats sur le terrain (stigmatisation des élèves et de leurs familles,<br />

conflits autour de bandeaux, de jupes, imprécision sur les<br />

signes religieux ostentatoires interdits par la loi de 2004, etc.).<br />

nous regrettions par ailleurs que ces débats masquent la réalité<br />

des difficultés sociales et économiques du terrain. Œuvrer à une<br />

laïcité apaisée, c’est aussi libérer la place médiatique pour discuter<br />

des urgences de l’école.<br />

le déclencheur a été la rencontre avec Jean Baubérot. nous<br />

avons eu plusieurs discussions collectives, lui partageant son expertise<br />

sur la laïcité et son histoire, nous notre quotidien, notre<br />

expérience des textes officiels et des classes. le Petit manuel est<br />

une mise en forme de cet échange.<br />

QdC – Quelle est la finalité de ce petit guide ?<br />

J. m. & a. F. – en présentant une réflexion théorique articulée<br />

autour d’une mise en perspective historique, de témoignages<br />

précis et de pistes pédagogiques, nous voulions à la fois proposer<br />

30 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

un outil directement utile aux usagè-res de<br />

l’école publique et apporter une contribution<br />

au débat qui soit en lien avec des expériences<br />

concrètes. des conflits peuvent être facilement<br />

désamorcés, pour peu qu’on ait les<br />

bons réflexes, qu’on ne prenne pas pour atteintes<br />

à la laïcité ce qui ne serait que des<br />

comportements d’enfants ou d’adolescentes<br />

classiques, ou le résultat d’inquiétudes,<br />

de préjugés.<br />

enfin, en montrant que la laïcité est un<br />

outil pour la liberté et le « vivre-ensemble »,<br />

nous entendions parler à la première personne,<br />

en tant qu’enseignant-es dans des<br />

quartiers en difficultés – voix qu’on entend<br />

peu dans le débat public, où s’expriment<br />

beaucoup de personnes qui n’ont jamais mis<br />

un pied dans les établissements où nous travaillons<br />

et ne visent qu’à nourrir le conflit,<br />

le fantasme du choc de civilisations, souvent<br />

sur le mode incantatoire.<br />

QdC – Au fil des pages, on comprend que<br />

cette laïcité « apaisée » entend s’opposer à<br />

une laïcité « falsifiée », comment définiriez-vous<br />

ces deux approches, leur histoire<br />

et leurs ressorts politiques ?<br />

J. m. & a. F. – il est essentiel de débattre<br />

sur des concepts vrais, solides, clairs en les<br />

plaçant dans leur contexte historique. une<br />

bonne part des conflits vient de la superposition<br />

de plusieurs laïcités : celle définie par<br />

les textes aujourd’hui, celle telle qu’elle était<br />

à l’époque de sa constitution et celle que<br />

chacun-e voudrait qu’elle soit.<br />

la laïcité « falsifiée » résulte de cette confusion.<br />

on le voit par exemple quand on essaie<br />

de défendre la loi de 2004 en la présentant<br />

comme l’héritière logique de la loi de 1905 :<br />

cette dernière garantit la liberté de<br />

conscience, met fin au Concordat et au système<br />

des « cultes reconnus ». mais elle n’enjoint<br />

en rien à la neutralité religieuse des<br />

usager-es des administrations ou dans l’espace<br />

public. en affirmant une continuité entre<br />

la loi de 1905 et celle de 2004, on masque<br />

la rupture que 2004 constitue dans notre régime<br />

juridique.<br />

“<br />

des conflits peuvent être<br />

facilement désamorcés, pour peu<br />

qu’on ait les bons réflexes, qu’on<br />

ne prenne pas pour atteintes à<br />

la laïcité ce qui ne serait que des<br />

comportements d’enfants ou<br />

d’adolescent-es classiques, ou le<br />

résultat d’inquiétudes, de préjugés.<br />

”<br />

la partie « analyses » du manuel vise ainsi<br />

à distinguer le régime juridique actuel de la<br />

laïcité, son histoire et les options philosophiques<br />

et politiques qui peuvent s’exprimer<br />

pour faire évoluer ce cadre juridique.<br />

la confusion entretenue depuis trente ans<br />

a permis à un discours réactionnaire de s’approprier<br />

la laïcité, alors même que ce sont<br />

les réactionnaires qui l’ont combattue depuis<br />

un siècle.<br />

QdC – Comment se situer par rapport à<br />

une laïcité « de combat » qui a longtemps<br />

constitué un des marqueurs de la gauche<br />

de la gauche et avec lequel le livre semble<br />

prendre ses distances ? Une laïcité « apaisée<br />

» reste-t-elle une laïcité « engagée » ?<br />

J. m. & a. F. – Si nous nous sommes lancées<br />

dans la rédaction de ce manuel en tant<br />

que « Cercle des enseignant-es laïques »,<br />

c’est que nous assumons un fort engagement<br />

sur cette question. la défense de l’école publique<br />

et son financement restent d’actualité.<br />

mais l’évolution des débats a déplacé la cible<br />

de la « laïcité de combat », même à gauche :<br />

ce ne sont plus les institutions religieuses et<br />

leur emprise sur l’école qui sont visées<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 31


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

LA CONFUSION ENTRETENUE DEPUIS<br />

TRENTE ANS A PERMIS À UN DISCOURS<br />

RÉACTIONNAIRE DE S’APPROPRIER<br />

LA LAÏCITÉ, ALORS MÊME QUE CE SONT<br />

LES RÉACTIONNAIRES QUI L’ONT<br />

COMBATTUE DEPUIS UN SIÈCLE.<br />

(l’abandon des aBCd de l’égalité en 2004<br />

sous la pression de lobbys religieux le<br />

prouve), mais certain-es élèves et leurs familles.<br />

en faisant de la laïcité un simple devoir<br />

de conformité, d’uniformité et d’obéissance,<br />

mais aussi un prétexte à exclusion,<br />

on perd le sens de ce qui motivait la défense<br />

de la laïcité.<br />

QdC – En quoi la laïcité « apaisée » estelle<br />

aussi un enjeu pédagogique qui s’oppose<br />

à une conception « disciplinaire » et<br />

« identitaire » de l’école ?<br />

J. m. & a. F. – « la représentation de la<br />

salle de classe comme un camp retranché,<br />

véhiculée par un certain nombre de polémistes,<br />

contribue à augmenter les conflits et<br />

masque les réalités de l’enseignement », écrivons-nous<br />

dès le début de l’ouvrage (on peut<br />

en lire des extraits en ligne sur notre site).<br />

il y a un lien direct entre les débats sur la<br />

laïcité et les débats sur la place des élèves,<br />

leurs droits et leur liberté. la première « affaire<br />

des foulards » à Creil, à l’automne<br />

1989, permet aussi aux partisans de l’exclusion<br />

des élèves voilées de critiquer la loi que<br />

le ministre lionel Jospin a promulguée en<br />

juillet, et qui garantit des droits aux élèves<br />

(liberté d’expression, de réunion, etc.).<br />

Prenons un cas : un élève objecte à un cours<br />

de physique et propose un argument religieux.<br />

depuis Buisson et ferry, on deman -<br />

de aux enseignant-es de ne pas répon dre en<br />

imposant la science comme un dogme qui<br />

contredirait le discours religieux, mais en<br />

dialoguant avec l’élève pour l’amener à distinguer<br />

savoir et croire. or, de tels conseils,<br />

fournis à nouveau en 2015 dans le livret de<br />

la laïcité, ont été critiqués comme une remise<br />

en cause de l’autorité enseignante, et une<br />

trahison de la laïcité. Sous prétexte de soutenir<br />

l’autorité ensei gnante, on défend une<br />

véritable erreur intel lectuelle laissant croire<br />

aux élèves que la science est, comme la religion,<br />

un dogme qui s’impose. l’autorité ne<br />

se décrè te pas, elle se forge par le sens du<br />

dialogue, l’écoute, la confrontation des points<br />

de vue et la transmission des savoirs.<br />

alors qu’on nous demande d’enseigner la<br />

laïcité, il nous semble essentiel de rappeler<br />

que l’école ne peut pas transmettre des valeurs<br />

sans les incarner. le rôle de l’enseignant-e<br />

n’est ni la répression ni le bourrage<br />

de crânes, mais bien d’apprendre aux élèves<br />

à se faire un avis par eux/elles-mêmes, en<br />

leur donnant tous les outils. Pourquoi exiger<br />

des futur-es adultes de « vivre ensemble »<br />

dans un restaurant ou à la plage, si l’école<br />

n’est pas un lieu où on montre comment<br />

cela est possible, où on vit et expérimente<br />

concrètement l’altérité.<br />

QdC – Le livre accorde une place à la question<br />

de l’égalité entre les hommes et les<br />

femmes… pour remettre en cause l’idée<br />

qu’il s’agirait d’un des fondements de la<br />

laïcité à la française. Pouvez-vous expliquer<br />

votre point de vue sur cette question ?<br />

J. m. & a. F. – les fondateurs de la laïcité<br />

s’accommodaient de la non-mixité à l’école,<br />

des programmes séparés pour les garçons et<br />

les filles. le refus du droit de vote aux<br />

femmes a même été justifié au nom de la<br />

laïcité : trop religieuses, elles auraient été<br />

32 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

influencées par leur curé ! Postuler un lien<br />

historique entre laïcité et féminisme ne fait<br />

qu’ajouter de la confusion aux débats.<br />

transformer le droit de se déshabiller ou<br />

de montrer ses cheveux en « devoir fémi -<br />

niste » est un contresens, une récupération<br />

des combats anti-sexistes pour donner un<br />

vernis progressiste à des discours d’exclusion.<br />

nous vous renvoyons à notre tribune<br />

sur médiapart à ce sujet (à ce lien).<br />

le port du voile a de multiples sens et ne<br />

peut se limiter à la seule pression patri arcale.<br />

et même si c’était le cas, exclure des femmes<br />

pour cela relève de l’incohérence. C’est à<br />

chaque femme de construire les voies de son<br />

émancipation, et l’école doit les y aider, donc<br />

ne pas les exclure.<br />

et pendant qu’on nous fait croire qu’il est<br />

féministe de renvoyer une jeune femme car<br />

elle porte une jupe au-dessus de son pantalon,<br />

on laisse le sexisme institutionnel forger le<br />

destin scolaire des élèves, à travers l’orientation,<br />

ou la représentation des femmes dans<br />

les manuels, etc.<br />

QdC – Pouvez-vous préciser votre référence<br />

au concept d’islamophobie dans les<br />

débats sur la laïcité ?<br />

J. m. & a. F. – nous expliquons dans le<br />

Petit manuel pourquoi nous utilisons ce<br />

terme, qui n’est contesté qu’en france pour<br />

des raisons qui ne nous semblent pas valables,<br />

et qu’on ne jugerait pas pertinentes<br />

dans le cas de l’antisémitisme. Cela correspond<br />

à une réalité, et il faut nommer cette<br />

réalité. le déferlement raciste de ces dernières<br />

semaines le prouve.<br />

on ne cesse de poser la question de la compatibilité<br />

entre l’islam, la République et la<br />

laïcité. or, on méconnait la réalité historique :<br />

la france laïque n’a jamais traité la religion<br />

des musulman-es comme les autres. Ce fut<br />

le cas dans l’algérie colo niale, où la loi de<br />

LES FONDATEURS DE LA LAÏCITÉ<br />

S’ACCOMMODAIENT DE LA NON-MIXITÉ<br />

ÀL’ÉCOLE, DES PROGRAMMES SÉPARÉS<br />

POUR LES GARÇONS ET LES FILLES.<br />

1905 ne fut pas appliquée. C’est le cas depuis<br />

plus de trente ans : les politiques ne cessent<br />

de vouloir imposer par le haut l’organisation<br />

générale de l’islam. C’est du gallicanisme,<br />

pas de la laïcité.<br />

au nom de la lutte contre la « radicalisation<br />

», on émet l’idée d’une formation des<br />

imams aux valeurs de la République. mais<br />

a-t-on suggéré une formation des curés à la<br />

lutte contre l’homophobie quand un très<br />

grand nombre d’entre eux se sont coordonnés<br />

pour tenir des prêches opposés au mariage<br />

pour tous le 15 août 2013 ?<br />

QdC – Un regret pour terminer. Ce manuel<br />

très complet, agrémenté d’une riche bibliographie<br />

qui n’oublie pas de citer « l’autre<br />

camp », ne présente pas le Cercle des enseignant-es<br />

laïques. Quels sont ses actions,<br />

son projet, sa composition ?<br />

J. m. & a. F. – Ce collectif s’est formé lors<br />

de la rédaction du manuel, nous en sommes<br />

donc les cinq membres. nous assurons pour<br />

le moment la promotion du livre, en répondant<br />

à des invitations à des débats, comme<br />

celui qui s’est tenu à l’institut du monde<br />

arabe. nous venons de déposer des statuts<br />

pour constituer le collectif en association, et<br />

nous espérons former un réseau de personnels<br />

éducatifs sur le sujet. on peut nous suivre<br />

sur les réseaux sociaux (facebook, twitter,<br />

framasphère). ■<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 33


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Étudiant en master 1, Paris 6, Jussieu – Myr MURATET<br />

L’ascenseur social<br />

est dans l’escalier...<br />

Q<br />

‘’<br />

Parler d’« ascenseur social<br />

», c’est présupposer les<br />

étages : c’est donc inévitablement<br />

admettre l’inégalité dans<br />

la société et conforter l’argument<br />

du mérite qui justifie l’inégalité<br />

comme produit de l’égalité<br />

des chances, c’est-à-dire<br />

de la mise en concurrence<br />

généralisée des individus.<br />

ue l’on dÉPloRe à grands cris<br />

sa « panne » ou que l’on se félicite<br />

d’avoir pu l’emprunter (et,<br />

bien sûr, d’en être sorti aux<br />

étages supérieurs), l’« ascenseur social »<br />

apparaît régulièrement dans les discours<br />

politiques à gauche, toujours pour en vanter<br />

les mérites incomparables. Quant aux questions<br />

de savoir à combien on peut s’y<br />

serrer, et surtout s’il y aura de la place pour<br />

tout-e-s là-haut, elles sont plus rarement<br />

évoquées et pour cause…<br />

la rhétorique de l’ascenseur social est<br />

une rhétorique de la réussite individuelle<br />

et s’oppose en cela frontalement à l’idée<br />

de « société sans classe » qui constitue le<br />

fondement de tout projet réellement égali-<br />

‘’<br />

taire. Que certain-e-s à gauche entonnent<br />

ce couplet de « la panne de l’ascenseur social<br />

» qu’il s’agirait de réparer n’est rien<br />

d’autre que le signe de leur abandon d’un<br />

projet d’émancipation collectif, et marque<br />

leur ralliement à l’idéologie libérale de<br />

« l’égalité des chances ». Parler d’« ascenseur<br />

social », c’est présupposer les étages : c’est<br />

donc inévitablement admettre l’inégalité<br />

dans la société et conforter l’argument du<br />

mérite qui justifie l’inégalité comme produit<br />

de l’égalité des chances, c’est-à-dire de la<br />

mise en concurrence généralisée des individus.<br />

Comme le notait déjà marx, « plus une<br />

classe dominante est capable d’accueillir<br />

dans son sein les individus éminents des<br />

classes dominées, plus son règne sera stable<br />

et dangereux. (le Capital, livre iii). il s’agit<br />

donc bien au contraire de redécouvrir ce<br />

qu’albert thierry, enseignant syndicaliste<br />

du début du xx e siècle, appelait le refus de<br />

parvenir : « Refuser de parvenir, écrivait<br />

albert thierry, ce n’est ni refuser d’agir, ni<br />

refuser de vivre ; c’est refuser de vivre et<br />

d’agir pour soi et aux fins de soi. » ♦<br />

Gabriel Sidler, texte publié dans le Refus de parvenir,<br />

nada, 2016.<br />

34 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Questionner la « méritocratie »<br />

Jérôme Krop est maître de conférences en histoire contemporaine<br />

à l’université d’Artois et auteur de La Méritocratie républicaine.<br />

Élitisme et scolarisation de masse sous la III e République (Presses<br />

universitaires de rennes).<br />

À l’occasion du stage « extrême(s) droite(s) contre éducation »,<br />

il est intervenu pour présenter l’histoire de la notion de méritocatie<br />

et son instrumentalisation réactionnaire.<br />

loRS du StaGe inteRSyndiCal extrê -<br />

mes droites contre éducation, tu animais<br />

un atelier sur le déclinisme.<br />

les extrêmes droites et bon nombre de journalistes<br />

et d’intellectuels médiatisés ont fait<br />

de la notion de déclin une pierre angulaire de<br />

leur discours sur l’école. aujourd’hui c’est<br />

comme une évidence que l’école était mieux<br />

avant, que le niveau était meilleur, que l’autorité<br />

des enseignants était respectée et que le maître<br />

d’école bienveillant guidait les enfants du<br />

peuple pour les libérer de l’obscurantisme.<br />

alors l’école d’antan devient un modèle fantasmé<br />

d’un temps glorieux. ton livre la méritocratie<br />

républicaine décrit le fonctionnement<br />

élitiste de l’école dès les origines du service<br />

public d’éducation au xix e siècle. lors du<br />

stage, ton intervention donnait des contre arguments<br />

aux participants pour déconstruire<br />

l’hégémonie de ce discours décliniste et faire<br />

face aux idées reçues sur l’école de la iii e République.<br />

nous revenons ici sur les idées les<br />

plus fortes de ton intervention.<br />

***<br />

Questions de classe(s) – Si Jules ferry souhaite<br />

que tous les enfants aient un accès à<br />

l’école, il ne remet pas en cause une ségrégation<br />

sociale entre l’école primaire pour le peuple<br />

et l’enseignement secondaire. Peux-tu décrire<br />

ce système scolaire à deux vitesses ?<br />

JÉRôme KRoP – au xix e siècle, le système<br />

scolaire est fondé sur la stricte séparation<br />

de deux ordres d’enseignement. l’enseignement<br />

primaire est l’école du peuple, fréquenté<br />

par la grande majorité de la population<br />

dans le cadre de la gratuité et de l’obligation<br />

scolaire instituée par Jules ferry par les lois<br />

scolaires de 1881-1882. l’enseignement secondaire,<br />

payant, n’accueille qu’une minorité<br />

qui fait toute sa scolarité dans les collèges<br />

et lycées. elle est issue de la bourgeoisie,<br />

en particulier de la noblesse d’État ayant<br />

besoin du baccalauréat et de l’enseignement<br />

supérieur pour se perpétuer. Culturellement,<br />

l’enseignement secondaire se distingue par<br />

la transmission des humanités classiques<br />

nécessitant la maîtrise du grec et du latin,<br />

même si un enseignement moderne s’y développe<br />

à cette époque pour répondre aux<br />

nouveaux besoins nés des progrès de la civilisation<br />

industrielle. le xx e siècle connaît<br />

ensuite une lente évolution vers un système<br />

scolaire organisé en deux degrés successifs<br />

de l’école élémentaire au baccalauréat, le<br />

second degré étant divisé en deux cycles.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 35


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Carline sur le chemin de l’école élémentaire publique Riblette à Paris – Myr MURATET<br />

aujourd’hui, derrière les postures déclinistes<br />

se cache la nostalgie de ce système scolaire<br />

ségrégué, alors même que le souvenir de ce<br />

système scolaire disparaît aujourd’hui de la<br />

mémoire collective.<br />

QdC – Quelles conceptions du mérite et de la<br />

mobilité sociale véhicule l’école de Jules<br />

ferry ?<br />

J. K. – Jules ferry et plus généralement les<br />

fondateurs de l’école républicaine se réfèrent<br />

aux idéaux de la révolution de 1789 inscrit<br />

dans la déclaration des droits de l’homme<br />

et du citoyen du 26 août 1789 proclamant<br />

l’égalité en droit et l’accès aux fonctions<br />

sociales selon le mérite et non plus selon la<br />

naissance, si importante dans la société<br />

d’ordre de l’ancien Régime. en ce sens,<br />

l’école de la iii e République souhaite promouvoir<br />

les élèves les plus studieux, obtenant<br />

les meilleurs résultats scolaires. Cependant<br />

l’idée d’une promotion sociale massive n’est<br />

pas envisagée à l’époque et les discours<br />

réactionnaires d’alors évoquent le risque<br />

que l’école produise des déclassés dangereux<br />

pour l’ordre social existant.<br />

dans son fonctionnement quotidien, l’école<br />

de la iii e République mesure le mérite des<br />

élèves essentiellement à partir des notes obtenues,<br />

lors des compositions mensuelles<br />

organisées par les enseignants. même si les<br />

instituteurs tenaient compte des efforts particuliers<br />

fournis par certains élèves, c’est le<br />

classement des élèves qui prime. un système<br />

de gratification est censé stimuler les meilleurs<br />

élèves jusqu’à l’obtention du certificat<br />

36 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

d’études primaires qui n’est accessible qu’à<br />

moins de 15 % des élèves en fin de scolarité<br />

avant 1914.<br />

QdC – Charles Péguy, écrivain issu des<br />

classes populaires, est une « exception consolante<br />

» disais-tu. Peux-tu expliquer cette<br />

expres sion et comment ce mythe de l’école<br />

de Jules ferry s’est écrit ?<br />

J. K. – C’est ainsi que ferdinand Buisson,<br />

chargé par Jules ferry de la direction de<br />

l’enseignement primaire et qui est député<br />

radical-socialiste de la Seine au début du<br />

xx e siècle, désigne en 1910 les élèves qui<br />

bénéficient d’une bourse pour tenter une<br />

scolarité longue dans l’enseignement secon -<br />

daire. il dépose un projet de loi remet tant en<br />

cause la ségrégation entre l’enseignement<br />

primaire et l’enseignement secondaire, mais<br />

il faut attendre l’entre-deux-guerres pour<br />

qu’elle commence à être vraiment contestée.<br />

Charles Péguy est l’archétype de ce fils<br />

du peuple, issu d’un milieu extrêmement<br />

modeste, remarqué pour ces aptitudes intellectuelles<br />

et bénéficiant d’une bourse lui<br />

permettant d’accéder à l’enseignement secondaire,<br />

puis à l’École normale supérieure.<br />

Plus modestement, la promotion d’enfants<br />

du peuple devenant instituteurs grâce à<br />

l’aide de leur maître d’école et échappant<br />

ainsi, grâce à la République, au travail<br />

manuel pour participer à l’œuvre collective<br />

qu’impliquait l’essor de l’enseignement populaire,<br />

a frappé les imaginations.<br />

QdC – deux pratiques pédagogiques coexistent<br />

alors : l’enseignement mutuel* et l’enseignement<br />

simultané. Quelles sont les<br />

différences et pourquoi l’enseignement simultané<br />

s’impose comme seul modèle pédagogique<br />

?<br />

J. K. – Sous la monarchie de Juillet, les<br />

écoles publiques parisiennes laïques mettent<br />

en œuvre l’enseignement mutuel. il s’agit<br />

Le retour en arrière que suggèrent<br />

Les discours décLinistes serait<br />

une régression, dont Les victimes<br />

seraient Les éLèves Les pLus faibLes,<br />

issus Le pLus souvent des cLasses<br />

popuLaires, qui seraient dirigés<br />

vers de nouveLLes voies de reLégation.<br />

d’une méthode née outre-manche dans laquelle<br />

un instituteur scolarise parfois plusieurs<br />

centaines d’élèves en faisant cours à des<br />

moniteurs choisis parmi ses meilleurs élèves.<br />

Ceux-ci repro duisent son enseignement<br />

auprès des autres enfants moins avancés<br />

dans leur scolarité répartis par groupe de niveau<br />

dans les différentes disciplines scolaires.<br />

l’enseignement simultané, dans lequel le<br />

maître enseigne frontalement à une classe<br />

d’un niveau relativement homogène, utilisé<br />

par les frères des écoles chrétiennes depuis<br />

le xVii e siècle, s’impose progressivement.<br />

l’enseignement mutuel est abandonné à<br />

Paris au début de la iii e République. les familles<br />

des bons élèves demandaient un enseignement<br />

simultané plus profitable à court<br />

terme pour leur enfant et les écoles mutuelles<br />

manquaient de moniteurs. de plus, la discipline<br />

était très stricte dans les écoles mutuelles<br />

et ce serait une erreur d’y voir une méthode<br />

d’enseignement liber taire favorisant l’autonomie<br />

de l’enfant. Ce type de perspective<br />

se développe plus tard à partir du début du<br />

xx e siècle et donnera naissance au mouvement<br />

de l’éducation nouvelle dans l’entredeux-guerres.<br />

QdC – les instituteurs de l’époque recouraient<br />

couramment aux punitions corporelles.<br />

Quelles sont les causes de cette violence et<br />

retrou ve-t-on d’autres formes de violences à<br />

différents niveaux de l’institution scolaire ?<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 37


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Les discours réactionnaires d’aLors<br />

évoquent Le risque que L’écoLe produise<br />

des décLassés dangereux pour L’ordre<br />

sociaL existant.<br />

J. K. – l’usage de la violence physique par<br />

les maîtres est fréquent dans les écoles primaires<br />

de la iii e République. Parmi les instituteurs<br />

entrés dans l’enseignement entre<br />

1870 et 1886 dont j’ai été étudié le<br />

dossier, 15 % font l’objet au cours de leur<br />

carrière d’une enquête de l’administration<br />

scolaire pour des faits ayant laissé des traces<br />

sur le corps de l’élève victime. il faut faire<br />

attention au risque d’anachronisme. Cette<br />

violence est largement tolérée, même si<br />

l’administration scolaire interdit tout recours<br />

à des punitions corporelles. mais, face au<br />

discours décliniste, qui abhorre le rôle de la<br />

période qui a suivi les événements de 1968<br />

en matière d’éducation, il faut rappeler le<br />

progrès qu’a représenté cette époque dans<br />

la prise en compte du bien-être affectif de<br />

l’élève à l’école et de la sanctuarisation du<br />

corps de l’enfant.<br />

QdC – À partir de 1975 et de la loi Haby, le<br />

collège unique est, pour les déclinistes, l’origine<br />

du nivellement par le bas. Quels éléments<br />

peux-tu apporter face aux discours sur<br />

le niveau qui baisse ?<br />

J. K. – J’oriente actuellement mes recherches<br />

sur la massification scolaire des années<br />

1970-1980 et il me semble important de réintroduire<br />

de l’histoire dans la manière d’appréhender<br />

la question du collège unique.<br />

en 1975, la loi Haby prévoit de supprimer<br />

les filières au collège, alors que les élèves<br />

étaient alors répartis dans des classes de<br />

niveau en fonction de leur niveau scolaire à<br />

l’entrée en 6 e , et la disparition progressive<br />

du palier d’orientation de fin de 5 e . or, les<br />

discriminations qu’impliquait cette organisation<br />

pédagogique étaient devenues difficilement<br />

accep tables dans la société française<br />

des années 1970. les dispositifs pédagogiques<br />

de soutien aux élèves en difficulté, prévus<br />

par la loi, n’ont pas suivi et les parlementaires<br />

de droite ont imposé des dispositifs d’approfondissement<br />

pour les meilleurs élèves.<br />

l’hétérogénéité des classes a donc représenté<br />

une difficulté majeure dans un contexte de<br />

reconstitution des inégalités économiques<br />

et sociales qui s’accélère dans les années<br />

1980. le retour en arrière que suggèrent les<br />

discours déclinistes serait une régression,<br />

dont les victimes seraient les élèves les plus<br />

faibles, issus le plus souvent des classes populaires,<br />

qui seraient dirigés vers de nouvelles<br />

voies de relégation. Ceci dit, nier l’aggravation<br />

des inégalités scolaires serait une erreur.<br />

toutes les études sur les acquis des élèves<br />

en attes tent. le discours décliniste se nourrit<br />

de cette situation, bien sûr en rendant responsables<br />

les élèves, les parents, voire les<br />

enseignants, sans évoquer comment la situation<br />

du service public s’est davantage<br />

dégradée dans les quartiers populaires. ■<br />

Propos recueillis par andrés monteret<br />

*n.d.l.R. : pour mieux connaître l’enseignement mutuel,<br />

voir le livre d’anne Querrien, L’École mutuelle, une pédagogie<br />

trop efficace ?<br />

rePèreS<br />

La Méritocratie républicaine. Élitisme et scolarisation<br />

de masse sous la IIIe République, Jérôme Krop.<br />

Vient de paraître le nouveau livre de Jérôme Krop,<br />

Les Fondateurs de l’école républicaine. La première<br />

génération des instituteurs et des institutrices de la<br />

Seine sous la III e République.<br />

un des chapitres traite de la naissance du syndicalisme<br />

dans la seine et des revendications anti-hiérarchiques<br />

des enseignants.<br />

38 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Des Historiens de garde<br />

Nos amis des éditions libertalia rééditent en format poche Les Historiens<br />

de garde : De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du<br />

roman national*. dans cet essai d’historiographie et d’histoire critique,<br />

les auteurs s’inquiètent du réveil d’une histoire nationaliste, envisagée<br />

comme support d’un patriotisme rétrograde et dont lorànt deutsch<br />

est le porte-drapeau.<br />

Questions de classe(s) – Pouvez-vous nous<br />

expliquer la genèse de ce livre ? le fait de travailler<br />

à trois historiens répond-il seulement<br />

à une question de spécialisation ? avez-vous<br />

une « histoire » commune ?<br />

leS auteuRS** – nous sommes trois à<br />

avoir écrit ce livre. nous avons certes nos<br />

différences, mais une chose nous rassemble,<br />

c’est la méthode historique. Pour nous,<br />

l’Histoire n’est pas un grand mythe qui sert<br />

à fédérer une population autour d’une patrie<br />

(le « roman national ») ou d’un parti, mais<br />

bien une pratique d’interrogation critique<br />

du passé qui consiste à trouver des sources,<br />

à les interroger, à les comparer. nous sommes<br />

tributaires des réflexions déjà engagées il y<br />

a plus de trente-cinq ans par Suzanne Citron<br />

(voir son livre essentiel le mythe national :<br />

l’histoire de france en question, première<br />

parution en 1987) dont il faut saluer le<br />

travail ici, et qui ont été reprises par des collectifs<br />

comme aggiornamento Hist-Géo ou<br />

le CVuH (Comité de vigilance face aux<br />

usages publics de l’Histoire) notamment<br />

lors du quinquennat Sarkozy qui a constitué<br />

le moment du retour en force du roman national.<br />

QdC – Pouvez-vous définir la notion de<br />

« roman national » ?<br />

il s’agit d’une version mythifiée de l’histoire<br />

nationale, qui induit de l’unité et de la continuité<br />

là où il y a eu au contraire des ruptures<br />

constantes. Beaucoup d’historiens de garde<br />

insistent sur le fait que la france a toujours<br />

été « déjà là » pour reprendre l’expression<br />

de Suzanne Citron. Pour max Gallo par<br />

exemple, dans son livre l’Âme de la france<br />

(paru peu avant les élections de 2007 et qui<br />

est, plus on y pense, le véritable opus programmatique<br />

des historiens de garde), c’est<br />

le territoire, le terroir même, qui a sans<br />

cesse assimilé les hommes qui s’y sont installés<br />

pour les changer en des français qui<br />

ont eu, de tout temps, les mêmes caractéristiques<br />

culturelles ou mentales. Cette continuité<br />

souffre, pour tous ces historiens de garde,<br />

d’une rupture récente qui menacerait selon<br />

eux l’identité nationale. Stéphane Bern va<br />

même jusqu’à parler de « crise identitaire ».<br />

Pour les plus radicaux, comme deutsch,<br />

cette brisure s’incarnerait dans la Révolution<br />

française qui aurait « coupé la tête à nos racines<br />

» [sic]. d’autres mettent ça sur le<br />

compte de « la pensée 68 », notamment<br />

ceux qui, comme dimitri Casali, se sont investis<br />

dans la polémique sur les programmes<br />

scolaires. C’est justement cette polémique<br />

qui renseigne le plus sur ce que nicolas offenstadt<br />

(auteur de la préface du livre) a<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 39


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

depuis La fin de La décennie 2000,<br />

Les programmes se sont ouverts<br />

(timidement) sur une histoire<br />

pLus gLobaLe, en proposant d’étudier<br />

des civiLisations extra européennes,<br />

comme La chine des han ou Les empires<br />

africains [empires africains dont<br />

L’étude a disparu<br />

des programmes 2016].<br />

certains historiens de garde<br />

y ont vu une menace identitaire.<br />

appelé le néo- roman national. en effet,<br />

depuis la fin de la décennie 2000, les programmes<br />

se sont ouverts (timidement) sur<br />

une histoire plus globale, en proposant d’étudier<br />

des civilisations extra européennes,<br />

comme la Chine des Han ou les empires<br />

africains [empires africains dont l’étude a<br />

disparu des programmes 2016]. Certains<br />

historiens de garde y ont vu une menace<br />

identitaire. Pour eux, l’histoire ne doit pas<br />

servir à éveiller une curiosité, à interroger<br />

des différences pour mieux se forger une<br />

opinion, mais bien à créer un sentiment<br />

d’adhésion patriotique basé sur une vision<br />

glorieuse de la france.<br />

QdC – Votre livre consacre presque la moitié<br />

de la pagination au cas lorànt deutsch. Pouvez-vous<br />

parler de votre travail de critique sur<br />

le livre et les émissions de l. deutsch, ses<br />

métho des, son idéologie, sa vision de l’histoire<br />

?<br />

lorànt deutsch est un cas d’école. en guise<br />

de méthode, il n’hésite pas à inventer des<br />

faits afin d’embellir son roman national rétrograde<br />

tout en prétendant agir comme un<br />

historien et ne rapporter que des événements<br />

authentiques. Cela n’aurait pu avoir l’écho<br />

qu’on lui connaît si l’acteur et son éditeur<br />

avaient usé des méthodes les plus agressives<br />

du marketing : packaging attrayant (la figure<br />

de l’acteur lui-même, qui est l’argument de<br />

vente principal) et un storytelling grossier<br />

mais efficace. les résultats sont là : métronome<br />

s’est vendu à plus de 2 millions<br />

d’exemplaires, une adaptation télévisuelle<br />

a été produite sur une chaîne du service<br />

public (qui a coûté un million d’euros), et<br />

l’acteur a été invité dans des classes d’établissement<br />

publics afin de faire la promotion<br />

de son livre.<br />

QdC – l. deutsch sert de façade sympathique<br />

à un courant d’extrême droite incarné par Patrick<br />

Buisson et d’autres intellectuels. Pouvezvous<br />

nous brosser le paysage passé et présent<br />

de ce courant réactionnaire ?<br />

Précisons que l. deutsch a été soutenu par<br />

le Bloc identitaire. Quant à Patrick Buisson,<br />

il s’inspire largement de l’action française<br />

qui fit de l’Histoire, au début du xx e siècle,<br />

un de ses chevaux de bataille. il s’agissait à<br />

l’époque pour les monarchistes de remettre<br />

en cause l’histoire universitaire majoritairement<br />

républicaine en réinventant un récit<br />

glorieux célébrant l’action positive des monarques<br />

tout en fustigeant les mouvements<br />

populaires. Cela va passer par la création<br />

d’une véritable contre-université (l’institut<br />

d’action française), mais aussi par la rédaction<br />

de nombreux livres de vulgarisation. Parmi<br />

ces auteurs, le plus prolifique d’entre eux<br />

était certainement Jacques Bainville (1879-<br />

1936), dont les œuvres, – ce n’est pas un<br />

hasard –, connaissent depuis une dizaine<br />

d’années une nouvelle jeunesse. Cette radi -<br />

calité réactionnaire traverse le courant des<br />

historiens de garde. Évidemment, la plupart<br />

40 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

n’assument pas cette filiation. elle est<br />

pourtant bien présente. Jean Sévillia est par<br />

exemple un proche des cercles monarchistes<br />

du Renouveau français. dimitri Casali participe<br />

au site Boulevard Voltaire et n’hésite<br />

pas à en appeler au recours d’un « homme<br />

providentiel » à la tête de l’État.<br />

QdC – Vous faites également référence au<br />

roman national « de gauche ». Quelle analyse<br />

en faites-vous ?<br />

le roman national, dans sa forme originelle,<br />

est une création d’historiens républicains<br />

où domine notamment la figure d’ernest<br />

lavisse (1842-1922). il s’agissait pour eux<br />

de faire de la troisième République l’aboutissement<br />

logique de l’Histoire de france,<br />

qui finissait par se résumer à la longue<br />

marche d’un peuple pour son émancipation<br />

(avec, en point d’orgue, la Révolution française).<br />

d’aucuns tentent aujourd’hui de ressusciter<br />

ce type de récit, comme Jeanfrançois<br />

Kahn qui nous expli que sans rire<br />

dans son dernier livre que les droits de<br />

l’homme ont été inventés par les Gaulois au<br />

i er siècle de notre ère (voir cette analyse sur<br />

le site du livre***).<br />

QdC – dans le dernier chapitre, « l’histoire<br />

est un sport de combat », vous voulez répondre<br />

« au double phénomène qui relève à la<br />

fois d’un repli sur le roman national à des fins<br />

identitaires et par des stratégies marketing<br />

dont le but n’est ni plus ni moins que de transformer<br />

des citoyens libres en consommateurs<br />

d’images d’Épinal ». Quelles sont vos propositions<br />

?<br />

tout d’abord, réagir et sensibiliser le public.<br />

ensuite, proposer une vulgarisation historique<br />

de qualité, qui sorte du carcan de l’histoire<br />

nationale. Cela passe par l’écriture de livres<br />

grand public, mais aussi par le développement<br />

de médias alternatifs, comme la radio.<br />

***<br />

[la deuxième partie de cet entretien a été<br />

réalisée en octobre 2016] Plus de trois ans<br />

après cette interview, la situation a-t-elle<br />

évolué ?<br />

oui, et dans le mauvais sens. Cette rentrée<br />

2016 a été le théâtre d’une vaste offensive<br />

des tenants d’un récit identitaire et nationaliste<br />

du passé, comme dimitri Casali. de même,<br />

nombre de politiques, à droite notamment,<br />

affirment ouvertement vouloir promouvoir<br />

le retour du roman national à l’école, comme<br />

françois fillon ou nicolas Sarkozy, mais<br />

aussi emmanuel macron. mais, d’un autre<br />

côté, nous remar quons que de plus en plus<br />

d’historien-ne-s se préoccupent maintenant<br />

de proposer de la vulgarisation de qualité en<br />

passant par des médias populaires (télévision,<br />

radio ou bande dessinée). il faut que ces interventions<br />

se multiplient.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 41


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

cette rentrée 2016 a été Le théâtre d’une vaste<br />

offensive des tenants d’un récit identitaire<br />

et nationaListe du passé, comme dimitri casaLi.<br />

pareiLLement, nombre de poLitiques, à droite<br />

notamment, affirment ouvertement vouLoir<br />

promouvoir Le retour du roman nationaL<br />

àL’écoLe, comme françois fiLLon ou nicoLas<br />

sarkozy, mais aussi emmanueL macron.<br />

QdC – Votre livre a-t-il ouvert le débat dans<br />

les milieux enseignants ? Quelle a été la réception<br />

du livre ?<br />

difficile de répondre précisément pour les<br />

enseignants. le livre a permis d’ouvrir un<br />

débat plus large sur les usages publics de<br />

l’histoire et on sait qu’il a pas mal circulé.<br />

nicolas offenstadt, dans l’Histoire un<br />

combat au présent (textuel, 2014), écrit<br />

que notre travail a poussé les journalistes à<br />

questionner lorànt deutsch sur son rapport<br />

à l’histoire, et que l’ouvrage s’est « diffusé<br />

par capillarité », notamment dans des émissions<br />

comme les Guignols de l’info et Groland,<br />

où le comédien a été moqué. Ce qui<br />

n’était pas le cas auparavant. Cela a conduit<br />

entre autres lorànt deutsch à affirmer plus<br />

frontalement ses idées politiques, notamment<br />

son adhésion à la théorie du choc des civilisations,<br />

dans son livre Hexagone, publié fin<br />

2013.<br />

QdC – Vous avez actualisé votre travail dans<br />

une postface qui fait un bilan de l’influence<br />

des Historiens de garde, mais surtout propose<br />

une réflexion et des idées précises sur le rôle<br />

de l’historien dans l’espace public…<br />

depuis la sortie du livre, les historiens de<br />

garde ont toujours une certaine influence.<br />

la polémique autour de métronome a<br />

confirmé ce que nous écrivions sur la connivence<br />

entre historiens de garde et chiens de<br />

garde de certains médias de masse, comme<br />

Canal Plus et, malheureusement, france<br />

télévisions. malgré la disparition de l’émission<br />

de ferrand, « l’ombre d’un doute », le<br />

constat n’est pas très optimiste, surtout dans<br />

un contexte qui favorise encore plus les<br />

usages publics de l’Histoire, comme on l’a<br />

vu récemment avec le « nos ancêtres les<br />

Gaulois » de Sarkozy. mais, d’un point de<br />

vue plus positif, de plus en plus d’historiennes<br />

et d’historiens refusent cet état de fait et<br />

agissent, notamment sur les réseaux sociaux,<br />

comme on l’a vu sur la sortie de Sarkozy,<br />

mais aussi celle de Valls à propos de marianne.<br />

dans cette postface, nous avons justement<br />

voulu réfléchir, aussi, aux réponses<br />

qu’il faudrait apporter aux historiens de<br />

garde, et plus largement au rôle de l’historien<br />

dans l’espace public, notamment en interrogeant<br />

le fonctionnement de l’université<br />

et son rapport à la vulgarisation. ■<br />

Propos recueillis en juin 2013 puis en octobre 2016 par<br />

françois Spinner<br />

rePèreS<br />

* les Historiens de garde : de lorànt<br />

deutsh à Patrick Buisson, la résurgence du<br />

roman national, Préface de nicolas offenstadt,<br />

libertalia, 2016, 10 €. Première édition<br />

chez inculte (temps réels, essai). un titre<br />

qui fait référence aux ouvrages les Chiens<br />

de garde de Paul nizan (1932) et les nouveaux<br />

chiens de garde de Serge Halimi<br />

(1997).<br />

* William Blanc, aurore Chéry, Christophe<br />

naudin.<br />

*** Site du livre http://www.leshistoriensdegarde.fr/<br />

42 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Au nom du respect<br />

Par JAcQuelINe trIguel, enseignante en collège à Mantes-la-Ville<br />

« Madame, on prend une feuille simple ou une feuille double pour le<br />

contrôle ? » À question banale, réponse banale : « une feuille double ou<br />

deux feuilles simples, ça n’a pas d’importance » Mais voilà, suivent des<br />

rires étouffés, des coups d’œil complices et moqueurs glissés vers les<br />

uns et les autres. Quelque chose m’échappe…<br />

deVant mon aiR inteRRoGateuR,<br />

certains m’expliquent ce qui les<br />

amuse : « Ben en fait, madame,<br />

vous avez dit “ça n’a pas d’importance”.<br />

C’est comme “Sana” ». Sana étant le prénom<br />

d’une des élèves de la classe, qui me sourit<br />

en me disant : « C’est pas grave, madame,<br />

j’ai l’habitude. » la plaisanterie est douteuse,<br />

certes, même si fréquente chez les adolescents.<br />

Je décide cependant de prendre le temps de<br />

la réflexion avant de gérer cet incident car il<br />

me paraissait assez symptomatique d’un ensemble<br />

d’élèves ayant des difficultés à vivre<br />

ensemble.<br />

dès le mois de septembre, j’avais effectivement<br />

senti une ambiance particulière dans<br />

cette classe : moqueries incessantes, tension,<br />

agressivité, fermeture vis-à-vis les enseignants<br />

certes, mais surtout, plus étonnant, entre<br />

élèves. S’il est vrai que, dans n’importe<br />

quelle classe, les élèves forment souvent 3-<br />

4 groupes (issus des mêmes écoles primaires,<br />

ayant les mêmes centres d’intérêt…), dans<br />

cette 4 e , de véri tables clans étaient visibles<br />

et, constat déroutant, présentaient des caractéristiques<br />

scolaires, culturelles ou sociales<br />

très marquées (enfants réussissant ou ayant<br />

des difficultés, jeunes issus des quartiers ou<br />

des villages voisins ; ou encore issus de<br />

l’immigration ou non). Ces distinctions<br />

n’étaient sans doute pas volontaires, pensées,<br />

il n’empêche qu’elles étaient bien réelles.<br />

et ces groupes passaient 5 à 6 heures par<br />

jour côte à côte, sans commu ni quer, sans<br />

rien partager de leur quotidien, se regardant<br />

avec indifférence, voire avec un mépris que<br />

je n’avais vu dans aucune classe auparavant.<br />

mÉPriS De CLaSSe ?<br />

il y a Plus : Nous sommes FiN 2014.<br />

QuelQues mois auParavaNt, oNt eu lieu<br />

les éleCtioNs Qui oNt doNNé gagNaNt le<br />

FroNt NatioNal daNs la ville où Je travaille.<br />

saChaNt Que l’uNe des PratiQues<br />

de Ce Parti CoNsiste à diviser, à exhiber<br />

les diFFéreNCes, eN PartiCulier Culturelles,<br />

Comme autaNt de sourCes de<br />

daNger, à PréseNter l’autre, l’étraNger<br />

Comme uNe meNaCe, il m’était imPossible<br />

de rester iNdiFFéreNte à Ces relatioNs<br />

délétères eNtre les élèves. Pour autaNt,<br />

il m’était égalemeNt imPossible de m’iNs-<br />

Crire daNs uNe simPle démarChe iNstitutioNNelle<br />

et imPersoNNelle Qui aurait<br />

CoNsisté à Faire la morale à mes élèves,<br />

à leur raPPeler – imPoser – les PriNCiPes<br />

du vivre eNsemble (ou du règlemeNt iNtérieur).<br />

raPPeler, dire des valeurs,<br />

N’est Pas les Faire ComPreNdre et les<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 43


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

c’est bien Le signe que La méfiance<br />

vis-à-vis de L’autre ressurgit<br />

bien vite, surtout<br />

dans ces circonstances.<br />

Faire vivre.<br />

Je suis donc tout simplement repartie de cet<br />

incident sur le prénom de Sana et j’ai proposé<br />

à mes élèves un travail sur leur propre prénom<br />

: ils devaient effectuer des recherches<br />

sur l’origine de leur prénom (histoire, significations<br />

selon les langues, origines culturelles…)<br />

en s’aidant d’internet, en faisant<br />

des recherches à la biblio thèque mais aussi<br />

en questionnant leurs parents sur le choix<br />

de leur prénom.<br />

QueStionner Son iDentitÉ<br />

une fois ces recherches faites, plusieurs<br />

élèves volontaires ont présenté leurs découvertes<br />

devant le groupe. Cette heure assez<br />

informelle a été riche en échanges de la part<br />

d’élèves soudainement devenus curieux les<br />

uns des autres : les élèves se sont mis naturellement<br />

dans une posture d’écoute et de<br />

questionnements, certains étaient étonnés<br />

de ce qu’ils découvraient sur le prénom de<br />

leurs camarades (et souvent sur une tradition<br />

culturelle ou fami liale différente), d’autres<br />

notaient sur leur cahier des idées de prénoms<br />

ou des adresses de sites pour se renseigner<br />

davan tage. Pour la plupart, les élèves ont<br />

pris plaisir à se présenter les uns aux autres<br />

de cette manière assez inhabituelle et les<br />

moqueries dont ils étaient coutumiers n’ont<br />

pas ressurgi.<br />

Pour terminer, chacun a mis en forme ses<br />

recherches sur une feuille blanche, de manière<br />

à mettre en valeur son prénom et les découvertes<br />

qui l’avaient marqué. feutres, crayons,<br />

ciseaux, illustrations, déco rations, recherches<br />

complémentaires sur l’ordinateur de la salle…<br />

, tous les élèves se sont prêtés au jeu et nous<br />

avons fini la séance par une « exposition »<br />

des travaux sur les tables de la salle entre<br />

lesquelles les élèves circulaient pour admirer<br />

et commenter les affiches de leurs camarades.<br />

Plus tard encore, à la demande des élèves,<br />

ces mêmes affiches ont été présentées lors<br />

des portes ouvertes du collège, durant lesquelles<br />

j’ai eu le plaisir de voir plusieurs<br />

d’entre eux venir accompagnés d’amis ou<br />

de proches auxquels ils montraient avec<br />

fierté leur travail.<br />

À la suite de ces échanges, l’ambiance<br />

dans la classe s’est apaisée et les plaisanteries<br />

douteuses sur les prénoms, les accents ou<br />

l’origine sociale ont cessé.<br />

touJourS en vigiLanCe<br />

Pour autant, rien n’était évidemment acquis,<br />

car c’est un travail qui se fait sur le long<br />

terme et qui demande de s’adapter et de<br />

rester ouvert et bienveillant face à l’attitude<br />

parfois dérangeante ou provocatrice des<br />

élèves. les attentats de janvier 2015 me<br />

l’ont rappelé : la classe dont il est ici question<br />

a été l’une des seules à refuser catégoriquement,<br />

et même avec hostilité, d’évoquer les<br />

événements. et pourtant, par petits groupes,<br />

ils sont venus en discuter à la fin de l’heure,<br />

chacun atten dant son tour et restant à distance<br />

des autres. C’est bien le signe que la méfiance<br />

vis-à-vis de l’autre ressurgit bien vite, surtout<br />

dans ces circonstances.<br />

Que les extrêmes cherchent à diviser, opposer,<br />

créer de la peur à partir des différences<br />

culturelles, c’est donc un fait, mais c’est<br />

aussi le rôle de l’école que de (re)créer du<br />

lien, de rendre vivant, concret le si éculé<br />

« vivre ensemble », de faire de ces différences<br />

des sources de curiosité et d’enrichissement<br />

pour chacun. ■<br />

en ligne sur le site de la revue, un prolongement<br />

44 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Pédagogie du complotisme<br />

Par serVANe MArzIN, collectif Aggiornamento histoire-géo<br />

l’emballement médiatique et institutionnel autour de la « théorie<br />

du complot 1 » ne semble pas avoir de fin. du ministère aux corps<br />

d’inspection, des médias aux enseignants, tous les acteurs du<br />

monde éducatif multiplient les expériences, les sites Internet, les<br />

conseils et autres stages destinés à « riposter », à « apporter des<br />

réponses » aux discours présentés comme complotistes 2 .<br />

Sciences Po Paris, cours de sociologie – Myr MURATET<br />

mon PRoPoS n’eSt PaS de nieR la<br />

réalité de ces multiples scénarios<br />

complotistes, ni même de dénigrer<br />

sans distinction les dispositifs censés<br />

juguler la diffusion d’un récit incon -<br />

testablement délétère. il entend néanmoins<br />

proposer un regard critique sur la précipitation<br />

qui peut caractériser ces multiples réponses,<br />

les plus visibles n’étant pas toujours les plus<br />

pertinentes. il se veut également espace de<br />

proposition et de questionnement sur la<br />

nature du discours dit « complotiste », ses<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 45


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Je crois profondément à La nécessité d’engager,<br />

de repenser, de défendre une pédagogie active<br />

du fait poLitique [...] L’adhésion aux scénarios<br />

du compLot s’inscrit dans une démarche<br />

poLitique, nourrie des discriminations<br />

et des reLégations sociaLes<br />

moyens de diffusion et, partant, les outils<br />

que les enseignant-e-s peuvent développer<br />

avec leurs élèves pour instaurer une distance<br />

avec ce type de propos, première étape vers<br />

une pensée autonome.<br />

lorsque j’ai décidé de travailler sur le<br />

complotisme avec mes élèves, nous venions<br />

de vivre les attentats de janvier 2015.<br />

Quelques-uns, fort sérieusement, relayaient<br />

et défendaient des questionnements sur les<br />

rétroviseurs de la voiture des frères Kouachi,<br />

la carte d’identité oubliée dans leur véhicule<br />

ou l’apparente facilité avec laquelle ils avaient<br />

pu quitter Paris, tout cela leur apparaissant<br />

comme un faisceau de preuves que l’attaque<br />

ne s’était pas dérou lée comme les médias et<br />

le gouvernement l’avaient dit. mes tentatives<br />

pour réfuter leurs approches sont demeurées<br />

vaines. Rien d’étonnant à cela, puisque je<br />

ne traitais pas le discours, ni dans sa forme,<br />

ni par ses auteurs. J’étais demeurée prisonnière<br />

d’un affrontement verbal dans lequel je<br />

n’avais pas mesuré les pièges argu mentatifs<br />

à l’œuvre, et où ma volonté de renversement<br />

des perspectives – j’ai lancé à plusieurs<br />

reprises cette question « pourquoi préférezvous<br />

cette version des faits ? » – n’a pas pu<br />

être creusée.<br />

L’ÉCheC Du vertiCaL<br />

Je me suis donc décidée à engager un travail<br />

plus long, profitant d’heures d’aP en seconde<br />

pour lancer les élèves dans une série de recherches<br />

et d’observations. Sans rentrer dans<br />

les détails de ce travail, dont j’ai parlé sur<br />

d’autres supports 3 , j’aimerais, presque deux<br />

ans plus tard, étoffer mes réflexions pédagogiques.<br />

la première, et sans doute l’une des plus<br />

importante, tient aux modalités du discours<br />

enseignant face à cette « théorie du complot » :<br />

toute tentative verticale, descendante, façon<br />

« cours magistral », est vouée à l’échec ;<br />

l’approche complotiste se nourrit des réfutations<br />

dont elle fait l’objet, qu’elle digère et<br />

régurgite sans fin. Seule une mise en activité<br />

« par le bas », depuis les représentations et<br />

les pratiques d’information des élèves peut,<br />

progressivement et de manière modeste,<br />

conduire à des questionnements nécessaires.<br />

QueLLeS PratiQueS ?<br />

de fait les dispositifs proposés intègrent de<br />

plus en plus souvent cette mise en acti vité,<br />

et l’indigence du site officiel du gouvernement<br />

4 est loin d’être représentative. de plus<br />

en plus d’enseignant-e-s pratiquent par exemple<br />

« l’autodéfense intellectuelle » en lançant<br />

de manière faussement ingénue des questions<br />

aussi séri euses que « lady Gaga fait-elle<br />

partie des illuminati ? » pour mieux déconstruire<br />

les procédés rhétoriques à l’œuvre<br />

dans les scénarios du complot 5 , ou qui proposent<br />

d’éprouver le hasard pour mieux<br />

établir la notion de série statistique et les exceptions<br />

inévitables qu’elle implique 6 .<br />

en revanche, les propositions pour réécrire<br />

un scénario du complot me semblent soulever<br />

autant de problèmes qu’elles prétendent en<br />

résoudre. toute recherche sur la rhétorique<br />

de ces discours conduit le plus souvent, et<br />

assez rapidement, à des propos antisémites<br />

articulés de manière variée avec la dénonciation<br />

de l’impérialisme américain et/ou<br />

des franc-maçons. dès lors, se livrer à un<br />

exercice d’écriture impliquerait de restreindre<br />

les productions des élèves, puisqu’il n’est<br />

46 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

pas question de « jouer à l’antisémite ».<br />

mais ignorer l’antisémitisme récurent du<br />

complotisme en tronque les caractéristiques,<br />

ce qui n’est pas le meilleur chemin pédagogique<br />

pour comprendre le phénomène, et<br />

plus encore pour s’en détacher.<br />

J’en viens ainsi à la dimension politique<br />

des scénarios complotistes. Professeure d’histoire<br />

et de géographie, peut-être suis-je plus<br />

sensible que les enseignant-e-s de langue ou<br />

de lettres à la question du contexte, des<br />

acteurs et du cheminement des idées dans le<br />

temps. toujours est-il que je crois profondément<br />

à la nécessité d’engager, de repenser,<br />

de défendre une pédagogie active du fait<br />

politique. Comme d’autres chercheurs et<br />

chercheuses l’ont affirmé récemment, l’adhésion<br />

aux scénarios du complot s’inscrit dans<br />

une démar che politique, nourrie des discriminations<br />

et des relégations sociales 7 . ainsi,<br />

ces mécanismes d’exclusion extrêmement<br />

violents opèrent par le complotisme une<br />

forme de transcendance : de marginalisé,<br />

celui qui adhère à ces récits – qui portent en<br />

eux-mêmes une volonté de renverser l’ordre<br />

du monde – devient celui qui sait, qui a<br />

compris. À mes yeux, cette restauration de<br />

soi est loin d’être marginale ; ceux de mes<br />

élèves qui défendent les scénarios complotistes<br />

peuvent être de tous niveaux scolaires, mais<br />

tous ont cette envie de dénoncer, et sont<br />

même parfois engagés, et il ne s’agit pas de<br />

porter sur eux un jugement surplombant.<br />

toutefois, les cheminements politiques, les<br />

réseaux, les accointances leur sont étrangers :<br />

très peu savent que Jean-marie le Pen est le<br />

parrain d’une des filles de dieudonné, et le<br />

sauraient-ils, cela n’aurait peut-être pas forcément<br />

de sens pour eux. À leur décharge,<br />

le brouillage idéologique entre droite et<br />

gauche auquel nous assistons actuellement,<br />

dans lequel la surenchère médiatique et la<br />

prédominance des thématiques discrimi-<br />

Les« Debunkers »contre<br />

leshoax d’extrêmedroite<br />

les Debunkers sont des citoyens antifascistes<br />

révoltés par la propagande<br />

de l’extrême droite dans les médias et<br />

particulièrement sur l’Internet. Ils recherchent<br />

et démontent les<br />

« hoaxes » – en anglais, le mot hoax<br />

désigne toute forme de supercherie –<br />

pour les « debunker », c’est-à-dire démolir<br />

et démystifier les rumeurs.<br />

les affidés de l’extrême droite raciste<br />

et fascisante fabriquent de nombreux<br />

profils différents afin de donner une<br />

impression de « masse » : photos truquées<br />

ou détournées, fausses citations,<br />

détournements de réelles<br />

informations, changement des<br />

termes, affirmation de faux faits ou<br />

d’événements irréels, etc. les exemples<br />

de ce type de propagande mensongère<br />

sont légion sur l’Internet. Ils<br />

sont la marque de fabrique de l’extrême<br />

droite.<br />

le site propose des articles très documentés<br />

sur les intox du net ainsi que<br />

des conseils de base pour traquer et<br />

reconnaître les hoaxes. de nombreux<br />

liens utiles sont proposés vers d’autres<br />

sites anti-rumeurs, des sites<br />

d’analyses des extrêmes droites, des<br />

associations nationales ou locales, etc.<br />

site à suivre sur le web<br />

http://www.debunkersdehoax.org/,<br />

sur twitter et Fb.<br />

Fs, librement adapté du site des debunkers.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 47


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Les constructions pédagogiques que nous<br />

mettrons en œuvre pour étabLir une distance<br />

avec ces théories du compLot<br />

ne participeront que modestement,<br />

progressivement et de manière<br />

désynchronisée, à La construction<br />

du rapport au monde de nos éLèves.<br />

nantes – sous toutes leurs formes – qui<br />

servent de socle au débat, compliquent la<br />

construction d’une culture politique personnelle<br />

et renforcent les processus d’exclusion.<br />

Savoir Se Situer DanS Le monDe<br />

notre responsabilité n’en est que plus grande :<br />

à nous de faire émerger les noms des auteurs<br />

des sites relayant ou construisant les propos<br />

complotistes 8 , d’établir des liens entre eux,<br />

de cerner leurs idéologies et l’histoire de<br />

ces idéologies. nous pouvons ainsi amener<br />

nos élèves à situer l’essentiel des scénarios<br />

du complot comme des discours d’extrême<br />

droite, nourris par l’hostilité à la Révolution<br />

française et à son programme d’égalité et<br />

de liberté. et si je ne me méprends pas sur<br />

l’adhésion d’un nombre non négligeable<br />

d’élèves à un discours antisémite, je considère<br />

que, précisément, notre rôle est alors d’en<br />

étudier les origines, les ressorts, les impasses,<br />

les dangers, de situer cette pensée pour<br />

pouvoir la mettre à distance de soi. en outre,<br />

inscrire les scénarios du complot dans le<br />

temps et dans l’espace, c’est un moyen d’en<br />

montrer les apories, la répétition des mécanismes<br />

rhétoriques étant flagrante. nos élèves<br />

ont besoin de se situer en tant qu’acteurs<br />

dans l’espace politique commun, hic et nunc,<br />

pour sortir de cette dénonciation sans écho.<br />

Pour cela nous devons les aider à questionner<br />

ce en quoi ils croient.<br />

Pour finir il conviendra de garder à l’esprit<br />

la difficulté que représente, pour un élève<br />

qui adhérerait à ces versions complotistes,<br />

de renoncer à un schéma établi (appelé aussi<br />

théorie de l’engagement ou dissonance cognitive)<br />

par l’espace scolaire. de même que<br />

l’enseignement de l’histoire est loin de modeler<br />

seul les repré sentations historiennes<br />

des élèves en france 9 , les constructions pédagogiques<br />

que nous mettrons en œuvre<br />

pour établir une distance avec ces théories<br />

du complot ne participeront que modestement,<br />

progressivement et de manière désynchronisée<br />

à la construction du rapport au monde de<br />

nos élèves. il existe des mécanismes de résistance<br />

très forts qu’il ne faut pas minimiser.<br />

notre modestie et notre obstination seront<br />

notre force. ■<br />

1. Récit alternatif qui vient modifier la connaissance et la<br />

perception que nous avons d’un événement. d’un point de<br />

vue linguistique, le mot scénario convient d’avantage, la<br />

« théorie » impliquant un principe d’argumentation avec<br />

des hypothèses réfutables, dans une dynamique scientifique.<br />

2. impossible de faire une recension exhaustive. Je renvoie<br />

pour une sitographie incomplète à mon article sur le site<br />

d’aggiornamento histoire géographie.<br />

https://aggiornamento.hypotheses.org/3182<br />

3. ibid.<br />

4. http://www.gouvernement.fr/on-te-manipule<br />

5. http://www.autodefenseintellectuelle.org/article-en-avantpremiere-specialement-pour-vous-57972290.html<br />

6. http://cortecs.org/ateliers/theorie-du-complot-et-coincidences-troublantes/<br />

7. http://cortecs.org/a-la-une/barreaux-en-fer-et-verrousmentaux-tribune<br />

8. de fait, les séquences que j’ai menées ont beaucoup à<br />

voir avec une réflexion sur les médias et les producteurs<br />

d’information, la notion d’auteur/acteur étant centrale.<br />

9. http://www.liberation.fr/debats/2016/10/07/francoise-lantheaume-chez-les-jeunes-un-roman-national-existe-beaucoup-plus-fort-que-ce-qu-on-imagin_1520463<br />

48 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Plongée au cœur<br />

de la nébuleuse réactionnaire<br />

Par grégory chAMbAt, Questions de classe(s), auteur de L’École des réac-publicains<br />

depuis une trentaine d’années, l’éducation est devenue le champ<br />

d’intervention privilégié d’une nébuleuse de personnalités et de<br />

réseaux caressant le rêve de rétablir un état scolaire – et social –<br />

ancien. Pour ces « réac-publicains » évoquant inlassablement<br />

l’effondrement du niveau et la décadence de l’institution, le<br />

redressement de l’école doit préfigurer la restauration de l’ordre<br />

moral et de la nation.<br />

Comme PouR tout exeRCiCe de « mise<br />

en carte », le choix d’un « centre » a<br />

nécessairement quelque chose d’arbitraire<br />

: pourquoi placer le fn 1 au cœur de<br />

cette nébuleuse, au croisement des trois mouvances<br />

– intégristes i , idéologues de l’identité ii<br />

et nationaux-républicains iii – qui ont fait de<br />

l’école leur obsession première ?<br />

assurément, les personnalités et les réseaux<br />

présentés ici * ne se revendiquent pas tous<br />

du fn ni même de l’extrême droite, loin de<br />

là ** . mais la capacité de ce parti à incarner,<br />

voire à unifier les différents courants qui<br />

s’attaquent aujourd’hui à l’école est bien<br />

réelle et lui confère une position stratégique.<br />

depuis sa création en 1972, le fn s’inscrit<br />

dans une vieille tradition de l’extrême droite<br />

française, obsédée par la mise au pas de<br />

l’école. Jean-marie le Pen 3 dénonce la « racaille<br />

enseignante », « les professeurs avec<br />

des blue-jeans crasseux […] fumeurs de shits<br />

invétérés ». mais le parti sait aussi manier la<br />

rhétorique « anti-pédagogiste », en se réclamant<br />

des propos de certains de ses représentants<br />

(Jean-Paul Brighelli 4 , natacha Polony 5 , etc.) *** .<br />

après l’échec du Cercle de l’enseignement<br />

(1987) rebaptisé mouvement pour l’Éducation<br />

nationale (1995) sous l’ère mégret, le Rassemblement<br />

Bleu marine (RBm 6 ) lance, en<br />

2013, le Collectif Racine 7 des « enseignants<br />

patriotes » et le Collectif marianne 8 (les<br />

étudiants). il s’agit d’asseoir son hégémonie<br />

culturelle et de procéder à un « ajustage » du<br />

programme présidentiel de marine le Pen 9<br />

avec en perspective le projet de « redresser<br />

les esprits, redresser les corps pour redresser<br />

la nation ». la ligne « nationale-républicaine »<br />

du Collectif Racine, inspirée par florian Philippot<br />

10 , transfuge du chevènementisme,<br />

n’empêche pas les accointances avec les<br />

autres mouvances réactionnaires, comme en<br />

* Pour une présentation plus complète et détaillée des différents<br />

mouvements et personnalités présentés ici, voir les notices<br />

biograhiques rédigées pour le livre l’École des réacpublicains<br />

(liber talia, 2016) ou les notes d’actualité du blog<br />

du même nom.<br />

** outre que ce parti est lui-même traversé par des tendances<br />

concurrentes qui incarnent les trois grandes famil les, certains<br />

mouvements entendent le dépasser sur sa droite ou, inversement,<br />

d’autres, tout en adoptant une posture réactionnaire,<br />

continuent à se revendiquer « de gauche ».<br />

*** Voir la « lettre ouverte à natacha Polony et à Jean-Paul<br />

Brighelli » du Collectif Racine (août 2014) ou bien encore<br />

le discours de la campagne présidentielle de dijon de Jeanmarie<br />

le Pen en 2006 (en ligne sur le site l’école des réacpublicains),<br />

se référant à trente ans de publications pamphlétaires<br />

« anti-pédagogistes ».<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 49


50 // N’Autre école - Q2c N° 5


N’Autre école - Q2c N° 5 // 51


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

‘’<br />

Ce lobby anti-pédagogiste, antisyndical et gardien de l’ordre moral<br />

est adepte d’un marketing « musclé » (appel à la délation d’enseignants).<br />

Depuis sa création, il a su s’imposer dans le paysage, au point de<br />

s’infiltrer derrière le cortège syndical à la manif du 15 mars 2015 contre<br />

la réforme du collège.<br />

témoigne le parcours de différents membres<br />

du Collectif, pour certains issus de la droite<br />

extrê me, pour d’autres animateurs à Radio<br />

Courtoisie 11 , la « radio libre du pays réel »,<br />

porte-voix des traditionalistes, présidée par<br />

l’un des initiateurs du Club de l’Horloge 12 ,<br />

le sulfureux Henry de lesquen, connu pour<br />

ses « dérapages » racistes.<br />

i-rÉSeaux intÉgriSteS<br />

&uLtra-LiBÉraux SCoLaireS<br />

les croisés de l’enseignement religieux n’ont<br />

jamais désarmé ; ils entendent maintenir vivant<br />

le projet contre-révolutionnaire des anti-lumières,<br />

adaptant leur stratégie et leur « com »<br />

à l’ère du temps.<br />

S’inscrivant dans la détestation historique<br />

du lepénisme vis-à-vis de l’école publique :<br />

« le processus de décomposition intellectuel<br />

et moral de l’école depuis trente-cinq ans<br />

[…] n’est qu’un reflet de la décadence de la<br />

société tout entière ». (Programme fn,<br />

2002) ; deux personnalités incarnent ce<br />

courant traditionaliste. l’une au sein du fn,<br />

marion maréchal le Pen 2 , que les auteurs<br />

de la Bd, La Présidente, imaginent en future<br />

ministre de « l’école et des savoirs fondamentaux<br />

». l’autre, Robert ménard 13 , au<br />

RBm, rêvant d’unifier toutes les droites (action<br />

française 14 , debout la france 15 , Parti<br />

Chrétien démocrate 16 , etc.) autour d’un programme<br />

éducatif revanchard : « Passer l’école<br />

de 68 au karcher ».<br />

* Sur ces réseaux traditionalistes, leur conversion à l’ultralibéralisme,<br />

leur proximité avec le pouvoir sarkoziste (françois<br />

fillon, xavier darcos) et leur stratégie d’implantation<br />

voir main basse sur l’École publique, eddy Khaldi et<br />

muriel fitoussi, demopolis, 2008.<br />

‘’<br />

Ces réseaux, imprégnés des idéaux scolaires<br />

de l’Église catholique, se rassemblent dans<br />

une commune détestation de l’école publique<br />

(« l’école du diable »). Pour la détruire (au<br />

nom de la « liberté des famil les ») ils rêvent<br />

de bâtir un vaste réseau concurrentiel d’écoles<br />

privées. C’est la mission de la fondation<br />

pour l’école 17 , destinée à faciliter la création<br />

d’écoles hors contrat qui s’inspire des thèses<br />

de Philippe nemo 18 , partisan d’un « libéralcatholicisme<br />

» radical. Cette fondation abrite<br />

d’ailleurs les écoles de la fraternité Saint-<br />

Pie x 19 (où marion maréchal le Pen 2 fit<br />

ses études) et travaille avec des associations<br />

proches de l’opus dei 20* . elle milite pour<br />

l’instauration du « chèque éducation » –<br />

pilier du programme éducatif du fn jusqu’en<br />

2012 et projet des ultra-libéraux mis en place<br />

pour la première fois dans le Chili de Pinochet<br />

– afin de tota lement « déréguler » et<br />

« dénationaliser » le service public d’éducation.<br />

Cette fondation a mis en place son propre<br />

institut de formation, l’iflm 21 , diffuse des<br />

manuels sur-mesure (ainsi l’ouvrage d’histoire<br />

de dimitri Casali 22 , préfacé par Jean-Pierre<br />

Chevènement 23 ) et recrute des « personnalités<br />

» médiatiques : natacha Polony, Éric<br />

Zemmour 24 , laurent lafforgue 25 (mathématicien<br />

de renom et militant intégriste antiiVG),<br />

etc.<br />

anne Coffinier 26 , l’une des figures de proue<br />

de la manif pour tous 27 , préside cette fondation<br />

et administre aussi enseignement et<br />

liberté 28 , émanation du Club de l’Horloge 12 .<br />

52 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

Quant à la médiatique fondation espérance<br />

Banlieues 29 d’Éric mestrallet 30 , elle s’est<br />

spécialisée dans les écoles hors contrats pour<br />

les « quartiers ». la première s’est implantée<br />

à montfermeil, ville de xavier lemoine 31<br />

du Parti Chrétien-démocrate de Christine<br />

Boutin 32 et partisan de l’alliance de « toutes<br />

les droites » – tout comme Robert ménard,<br />

dont le projet est d’accueillir à Béziers une<br />

de ces écoles où amour de la patrie, uniforme<br />

et salut au drapeau tiennent lieu de programme.<br />

disposer d’un réseau d’écoles parallèles,<br />

c’est le vieux rêve caressé par l’extrême<br />

droite et repris par les « Créateurs d’écoles 33 »,<br />

rassemblements de hauts fonctionnaires, cofondé<br />

par xavier darcos 34 . devenu ministre<br />

de l’Éducation de Sarkozy, il n’hésite pas à<br />

se rendre à Radio courtoisie. il accorde à la<br />

fondation pour l’école la reconnaissance<br />

d’utilité publique et impulse un plan « espoir<br />

banlieues » (!) ; une politique – service minimum,<br />

suppression des iufm, réécriture<br />

des programmes – saluée par SoS éducation 35 .<br />

Ce lobby anti-pédagogiste, antisyndical et<br />

gardien de l’ordre moral est adepte d’un<br />

marketing « musclé » (appel à la déla tion<br />

d’enseignants). depuis sa création, il a su<br />

s’imposer dans le paysage, au point de s’infiltrer<br />

derrière le cortège syndical à la manif<br />

du 15 mars 2015 contre la réforme du collège.<br />

le mouvement anti-mariage gay a multiplié<br />

les initiatives visant l’école : création des<br />

« Vigi-gender 36 », des « enseignants pour<br />

l’enfance 37 », ou encore de l’observatoire<br />

de la théorie du genre 38 de l’uni 39 . C’est<br />

aussi autour de la manif pour tous qu’ont<br />

émergé, au sein des Républicains, des courants<br />

favorables aux alliances avec le fn : droite<br />

forte 40 (Guillaume Pelletier, ex-fn, fondateur<br />

de l’association Jeunesse action Chrétienté),<br />

droite populaire 41 (thierry mariani), Collectif<br />

Phénix 42 (Charles millon, Charles Beigbeder<br />

43 , ex-candidat à la présidence du medef<br />

« L’écoLe est<br />

au cœur de nos<br />

préoccupations<br />

pour 2017 »<br />

marion maréchaL<br />

Le pen.<br />

La Présidente, François Durpaire et Farid Boudjellal,<br />

éditions les Arènes, 2015.<br />

et admi rateur de marine le Pen). unité<br />

concrétisée dans les universités avec la<br />

Cocarde étudiante 44 regroupement de militants<br />

Répu blicains, fn et debout la france.<br />

II - les Idéologues de l’IdeNtIté<br />

les Journées de retrait de l’école contre l’enseignement<br />

des questions de genre (JRe 45 ),<br />

lancées en 2014 par farida Belghoul 46 ont<br />

réalisé la jonction entre les fanatiques intégristes<br />

(Printemps français 47 , Civitas 48 , l’action française,<br />

les musulmans pour l’enfance 49 , Christine<br />

Boutin) et une autre famille de l’extrême<br />

droite, les complotistes et les idéologues de<br />

l’identité.<br />

alain Soral 50 et son mouvement Égalité et<br />

réconciliation 51 ont ainsi été les premiers à<br />

relayer les vidéos de farida Belghoul. dans<br />

le sillage de la manif pour tous, cette offensive<br />

contre l’école publique, prolongée par la<br />

création d’une fédération autonome des parents<br />

d’élèves courageux (fapec 52 ) défend<br />

un programme de « déscolarisation », le homeschooling<br />

* , investi aux États-unis par les<br />

créationnistes. Remy Wiedmann, « coach<br />

éducatif » a saisi l’occasion pour promouvoir<br />

son mouvement d’école à la maison 53 . après<br />

sa rupture avec Belghoul, Soral ne délaisse<br />

pas les questions scolaires, en témoigne<br />

« l’école hors contrat gardoise 54 ».<br />

Cette mouvance, fascinée par les théories<br />

du complot, n’hésite pas, à l’image de dieudonné<br />

55 , à diffuser les thèses négationnistes<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 53


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

c’est encore à propos de L’écoLe<br />

que commence à se sceLLer L’aLLiance<br />

des “souverainistes des deux rives”<br />

que Jean-pierre chevènement appeLLe<br />

de ses vœux en 2015 Lors de L’université<br />

d’été de debout La france,<br />

Le parti de nicoLas dupont-aignan.<br />

et l’école y est considérée comme « l’instrument<br />

du Grand remplacement 56 » (Jeanyves<br />

le Gallou 57 , fondateur du Club de<br />

l’Horloge et de tV libertés 58 ). forgé par<br />

Renaud Camus 59 (RBm ** ), ce « concept »<br />

est repris par les identitaires 62 dans une perspective<br />

de reconquête de l’hégémonie culturelle<br />

héritée de la nouvelle droite (le<br />

Grece 63 ) d’alain de Benoist 64 . Cette stratégie<br />

de domination intel lectuelle a été menée,<br />

dès la fin des années 1960, à travers diverses<br />

publications (Nouvelle École, Valeurs actuelles<br />

65 , Éléments 66 , le lancement du Figaro<br />

Magazine 67 ) et se prolonge aujourd’hui sur<br />

inter net (Riposte laïque 68 , Causeur 69 , etc.).<br />

en lançant le Gene 70 (Groupe d’études pour<br />

une nouvelle éducation, 1976), la nouvelle<br />

droite avait témoigné de son intérêt pour<br />

l’école, pivot de son combat contre l’« égalitarisme<br />

», le « démo cratisme », le « sociologisme<br />

» et le « pédagogisme », suivi en<br />

cela par le Club de l’Horloge, avec enseignement<br />

et liberté, précurseur de SoS éducation.<br />

Si, au fn, un personnage comme Bruno<br />

Golnish 71 se rattache à ce courant, il se développe<br />

principalement hors des partis, travaillant<br />

aux brouillages des repères idéologiques,<br />

au façonnement de concepts ou à la<br />

récupération de personnalités (onfray, Julliard<br />

72 , milner 73 et Brighelli ont accordé des<br />

entretiens à la nouvelle formule d’Éléments<br />

d’alain de Benoist).<br />

III –LES NATIONAUX-RÉPUBLICAINS<br />

DES DEUX RIVES<br />

la troisième famille réactionnaire à se passionner<br />

pour les questions scolaires se revendique<br />

haut et fort de la République. Cet idéal<br />

a fini par se substituer au projet démocratique<br />

de transformation sociale et autorise tous les<br />

reniements – autour de la morale, de l’autorité,<br />

du roman natio nal, des hiérarchies – et, au<br />

nom de la « méritocratie », acte l’abandon de<br />

tout projet égalitaire.<br />

Cette révolution conservatrice est incarnée<br />

par des idéologues (alain finkielkraut 74 ,<br />

Pascal Bruckner 75 , Philippe Val 76 , etc.), souvent<br />

issus de la gauche comme leurs homologues<br />

néo-conservateurs américains. Ce<br />

courant s’est d’abord développé et radi calisé<br />

autour des questions éducatives, clivant le<br />

débat entre sociologues et pédagogues d’un<br />

côté et « républicains » de l’autre, délaissant<br />

au passage toute référence au social pour<br />

maintenir l’ordre – scolaire et économique –<br />

établi.<br />

depuis 1984 – date de sortie du pamphlet<br />

de Jean-Claude milner De l’école, où il<br />

invente le terme de « pédagogisme », et le<br />

passage de Chevènement au ministère de<br />

l’Éducation nationale – les néo-réactionnaires<br />

ont multiplié les ouvrages sur la déca dence<br />

de l’école 85 , prélude, comme l’affirme une<br />

pétition lancée en 2015 par Marianne 77 , au<br />

* le homeschooling n’est pas en soi un mouvement spécifiquement<br />

réactionnaire mais il a été investi aux Étatsunis<br />

par les créationnistes après l’adoption de lois plus restrictives<br />

con cernant l’enseignement des théories<br />

anti-darwinistes. en europe, c’est au nom de la lutte contre<br />

les questions de genre que les milieux intégristes entendent<br />

développer cette alternative à l’enseignement public.<br />

**après avoir créé son propre mouvement, le Parti de<br />

l’in-nocence 60 , Renaud Camus a rejoint le Siel 61 (Souveraineté,<br />

identité et libertés) fondé par des souverainistes de<br />

debout le france et aujourd’hui proche des identitaires.<br />

54 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

déclin de « la civilisation » et aux déferlements<br />

« des barbares » ; une rhétorique empreintée<br />

au corpus de la nouvelle droite : anti-égalitarisme,<br />

crispation sur l’identité et rejet du<br />

« démocratisme » au nom de la méritocratie.<br />

au sein du fn, florian Philippot, fils d’instituteur,<br />

incarne un national-républicanisme,<br />

héritier du fameux « ni droite ni gauche » de<br />

l’entre-deux-guerres. Son parcours politique,<br />

qui démarre dans le sillage de Jean-Pierre<br />

Chevènement, illustre le glissement vers le<br />

nationalisme de différentes personnalités, à<br />

commencer par de nombreux membres fondateurs<br />

du Collectif Racine. Habillement,<br />

ceux-ci appellent à voter aux élections professionnelles<br />

pour des syndicats * , au sein<br />

desquels ils ont parfois milité, comme fo 78<br />

ou le Snalc 79 , qui ont fait de la rhétorique<br />

décliniste et « anti-pédagogiste » leur fond<br />

de commerce. ils s’inspirent également de<br />

différentes associations et personnalités unis<br />

dans une détestation du « pédago gisme » 84 . Si<br />

certains se revendiquent progressistes, d’autres,<br />

comme Véronique Bouzou 83 , s’affichent ouvertement<br />

« prof réac et fière de l’être ».<br />

autre transfuge de cette gauche souverainiste,<br />

natacha Polony 5 , ancienne candidate du<br />

mRC 80 , reconvertie en journaliste spécialisée<br />

dans l’éducation, d’abord au sein de Marianne,<br />

puis au Figaro avant de prendre la place<br />

d’Éric Zemmour dans l’émission de laurent<br />

Ruquier. Jacques Julliard, lui aussi obsédé<br />

par l’éducation (auteur de L’École est finie),<br />

a connu une évolution identique, de la Cfdt<br />

autogestionnaire à Marianne, succédant à<br />

michel onfray en une de la nouvelle formule<br />

d’Éléments 66 .<br />

C’est bien à propos de l’école qu’est scellée<br />

l’alliance des « souverainistes des deux<br />

rives » que Jean-Pierre Chevènement appelle<br />

de ses vœux lors de l’université d’été (2015)<br />

de debout la france, le parti de nicolas dupont-aignan<br />

81 . Cette rencontre autour de<br />

« l’école de l’excellence », a été orchestrée<br />

par Jean-Paul Brighelli 4 , devenu « conseiller<br />

national à l’école de la République » de<br />

debout la france. il affirme en outre se retrouver<br />

à « 80 % dans le programme éducatif<br />

du fn ». dupont-aignan déclarait quant à<br />

lui choisir marine le Pen comme Première<br />

ministre en cas de victoire aux présidentielles<br />

de 2012. dans la salle, pour applaudir les<br />

deux « républicains », on trouvait Charles<br />

Beigbeder, Jean-Paul mongin de SoS éducation<br />

ou encore marc le Bris 82 , autre pam -<br />

phlé taire à succès, passé du trotskisme lambertiste<br />

à la tribune des conventions du parti<br />

les Républicains.<br />

derrière son éloge de la République et de<br />

ses valeurs, la révolution conservatrice avec<br />

ses idéologues de l’identité nationale et du<br />

déclin de la civilisation, n’hésitent plus à<br />

nouer des alliances « contre-nature ». À<br />

nous de retrouver collectivement le chemin<br />

des mobilisations pour une autre école, égalitaire,<br />

émancipatrice et démocratique sans<br />

rien céder aux sirènes réactionnaires. ■<br />

la carte complète<br />

en grand format et<br />

le texte sont<br />

consultables sur le<br />

blog l’école des<br />

réac-pubicains :<br />

www.questionsdeclasses.org/reac/<br />

* le Snalc, second syndicat dans le corps des certifiés et<br />

des agrégés, est un opposant historique du Collège unique<br />

et de l’enseignement des questions de genre. officiellement<br />

apolitique, il est cependant confronté aux « dérapages » de<br />

certains de ses adhérents, comme son ex-porte parole emmanuel<br />

Protin.<br />

Quant à fo, syndicat ultra-corporatiste où se côtoient,<br />

depuis sa création, lambertistes et militants de la droite<br />

gaulliste, il incarne une ligne très conservatrice qui séduit<br />

les réac-publicains. fo n’hésite pas à donner la parole<br />

dans sa presse à des personnalités comme laurent lafforgue<br />

ou Charles Coutel.<br />

Ces deux organisations ont reçu le soutien du Collectif<br />

Racine qui appelait à voter pour ces « syndicats dont l’indépendance<br />

politique, l’attachement à la Répu blique et<br />

l’engagement pour la défense du Service public ne sont<br />

plus à démontrer » (communiqué du 27 novembre 2014).<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 55


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Une guerre “culturelle”<br />

Par AlAIN cheVArIN, Questions de classe(s), Auteur de Fascinant / fascisant, une esthétique<br />

d’extrême droite, l’harmattan, 2013.<br />

s’il permet d’acquérir des connaissances, l’enseignement scolaire,<br />

par ses programmes et par ses mises en œuvre, présente aussi<br />

une vision du monde. c’est particulièrement visible avec les<br />

disciplines dites « culturelles » (littérature, arts plastiques, musique,<br />

danse, etc.). la vision du monde que les extrêmes droites voudraient<br />

faire partager à nos élèves se laisse apercevoir à travers les déclarations<br />

et les actes des différents courants qui la composent 1 . et ce<br />

n’est pas réjouissant…<br />

leS oRientationS PolitiQueS des extrêmes<br />

droites sur la culture et celles<br />

sur l’école sont très comparables et<br />

se recoupent fréquemment. dans les années<br />

80 le président du front national réclamait,<br />

parallèlement à la suppression pure et simple<br />

du ministère de l’Éducation nationale 2 , celle<br />

du ministère de la Culture et son remplacement<br />

par un secrétariat d’État consacré aux<br />

seuls Beaux-arts 3 . fondamentalement, l’extrême<br />

droite est hostile à la culture, et y<br />

oppose la civilisation : « la civilisation fait<br />

du Beau l’étalon de toute production de<br />

l’esprit et de la main, la culture sacralise la<br />

laideur ou le non-sens, voire le régressif ou<br />

le sordide. 4 »<br />

lorsqu’il est question de culture, le terme<br />

est soit employé dans cette acception réductrice,<br />

soit accompagné d’un nom de ministre<br />

qui se veut dévalorisant : « la culture<br />

malraux ». le programme 2002 du front<br />

national indique ainsi : « il ne suffit pas de<br />

décréter que tout est “art” pour que cela en<br />

soit. la “culture lang”, qui en est l’archétype,<br />

refuse toute idée de Beau, toute hiérarchie,<br />

toute propension de l’activité artistique à<br />

élever l’âme et l’esprit : elle mettra sur le<br />

même plan mozart et le rap, les colonnes<br />

de Buren et le vitrail de Chartres. » le Pen<br />

explique en 1996 : « la conception que j’ai<br />

de la culture est une conception restreinte et<br />

par là même élitiste […]. J’ai plus confiance<br />

dans les beautés créées par ceux qui nous<br />

ont précédés que dans celles de ceux qui<br />

vont nous suivre. 5 »<br />

Beau,Bien,vrai<br />

dans la conception totalisante qu’en a l’extrême<br />

droite, il n’existe pas des civilisations,<br />

mais « la civilisation », qui lie indis -<br />

sociablement esthétique, morale et vérité.<br />

le programme du front national s’en prend<br />

en 2002 au ministère de la Culture dans le<br />

chapitre « la rue de Valois [siège du ministère<br />

de la Culture] contre le Beau, le Bien et le<br />

Vrai », où il affirme : « la “civilisation” […<br />

] forme un tout ordonné, produit du Beau,<br />

du Bien et du Vrai dans tous les ordres de<br />

l’activité humaine : la civilisation française<br />

56 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

est autant dans sa gastronomie que dans ses<br />

cathédrales, dans l’harmonie de ses paysages<br />

que dans la perspective des jardins de Versailles.<br />

4 »<br />

une décennie plus tard, Kostas mavrakis,<br />

collaborateur occasionnel de revues de la<br />

nouvelle droite, reprend cela : « des gens<br />

intelligents, dont certains sont même sensibles<br />

à la peinture, prennent fait et cause pour le<br />

prétendu “art contemporain” et confondent<br />

ainsi l’art et le non-art, le beau et le nul, ce<br />

qui revient en fait à inter vertir le bien et le<br />

mal, le vrai et le faux. J’ai toujours été<br />

frappé par ce mystère d’iniquité. Serionsnous<br />

entrés dans un âge de ténèbres ? 6 »<br />

l’art, affirme le programme du front national,<br />

« véhicule des valeurs spirituelles et<br />

morales comme des normes esthétiques :<br />

un peuple qui se les verrait imposer par des<br />

lobbies ou des forces étrangères perdrait<br />

jusqu’au droit à l’existence. le rôle du Politique<br />

sera donc de faire respecter et de<br />

conforter l’identité culturelle de la nation<br />

4<br />

». C’est cette notion d’identité qui fonde<br />

la détestation de toutes les extrêmes droites<br />

pour l’art contemporain, considéré, depuis<br />

le début du xx e siècle, comme une « œuvre<br />

de métèques » au carac tère à la fois « antiartistique<br />

» et « anti national ». aujourd’hui,<br />

un élu fn d’arcueil s’oppose à la célébration<br />

du 150 e anniversaire de la naissance du<br />

compositeur erik Satie au motif que celuici<br />

aurait été un « communiste alcoolique ».<br />

Pas question donc, pour l’extrême droite,<br />

de formes du beau artistique susceptibles<br />

d’évolution selon les sociétés qui les produisent<br />

ou la sensibilité de l’artiste, mais<br />

un Beau absolu, délimité par des normes<br />

plastiques qui sont celles d’un classicisme<br />

européen revisité. la conception esthétique<br />

de l’art est réduite à une norme plastique<br />

figée hors de laquelle les œuvres sont du<br />

« non-art ».<br />

L’art SoumiS aux règLeS<br />

Pour les extrêmes droites, « contrairement à<br />

ce que prétend l’idéologie culturelle contemporaine,<br />

l’artiste a besoin d’un modèle, il<br />

doit obéir à des règles qui, en s’imposant à<br />

lui, le contraignent à se dépas ser. il maîtrise<br />

nécessairement une tech nique propre, fruit<br />

d’un difficile appren tissage. » (progr. 2002)<br />

l’art moderne est condamné sans nuance :<br />

pour national Hebdo 7 faisant allu sion à<br />

duchamp, Warhol et manzoni, les musées<br />

d’art moderne ne renferment que « des urinoirs,<br />

des boîtes de Coca ou des étrons séchés<br />

» ; pour Jacques Peyrat 8 , les sculptures<br />

monumentales de mark di Suvero sont un<br />

« amas de poutrelles » ; pour Bernard antony,<br />

Beaubourg est une « déjection, monstrueux<br />

amoncellement de tuyaux pour conduire de<br />

la merde 9 . »<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 57


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

l’art abstrait est particulièrement vilipendé.<br />

le militant identitaire Pierre Vial, alors<br />

membre du front national, le présente comme<br />

« un iconoclasme, révélateur d’une idéologie<br />

sous-jacente - celle du déracinement et du<br />

cosmopolitisme. […] d’où la logique de la<br />

terreur : la vie humaine est réduite à un<br />

principe abstrait 10 . »<br />

C’est, au minimum, tout l’art du xx e siècle<br />

qui est rejeté. Ces certitudes dans la détestation<br />

sont communes aux extrêmes droites (et les<br />

distinguent d’ailleurs de la droite classique),<br />

la seule question en débat étant pour elles le<br />

début de la « déca dence » de l’art : avec les<br />

impressionnistes qui, avec leur « mimésis<br />

affaiblie et leur signifiance restreinte » (mavrakis)<br />

ont renoncé au dessin ? avec l’invention<br />

de la photographie qui concurrence<br />

les arts plastiques dans la représentation du<br />

monde ? ou dès la fin de la période classique,<br />

selon michel marmin, co-fondateur du<br />

Grece ?<br />

La miSe en œuvre…<br />

Si on cherche à imaginer ce que serait la<br />

« guerre culturelle » (expression de mégret)<br />

menée par une extrême droite arrivée au<br />

pouvoir, on peut en avoir une idée en regar -<br />

dant l’action des municipalités qu’elle détient<br />

ou a détenues. avec les mairies frontistes en<br />

1995-1996, on pense à la suppression de<br />

subventions à des activités culturelles qui<br />

ne satisfont pas aux normes d’extrême droite,<br />

les Chorégies d’orange par exemple. Plus<br />

radicalement, à orange, Bompart a fait transformer<br />

le Hangar, un espace dédié à l’art<br />

moderne, en dépôt de matériaux de voirie.<br />

une des premières mesures de maires frontistes<br />

a été de s’en prendre brutalement aux<br />

œuvres d’art elles-mêmes : à toulon, en<br />

1996, le maire le Chevallier, fait raser une<br />

fontaine monumentale du plasticien René<br />

Guiffrey, édifiée en 1993 sur commande de<br />

la ville, après un concours natio nal. en 2014,<br />

dans Les années 1980 Le président du<br />

front<br />

nationaL récLamait, paraLLèLement<br />

à La suppression pure et simpLe du ministère<br />

de L’éducation nationaLe, ceLLe du ministère<br />

de La cuLture et son rempLacement<br />

par un secrétariat d’état consacré<br />

aux seuLs beaux-arts.<br />

à Hayange, engelmann fait recouvrir de<br />

peinture bleue (fine allusion à marine ?)<br />

une fontaine monumentale en pierre et métal<br />

édifiée en 2001 par l’artiste alain mila.<br />

transposé à l’échelle du pays entier, on voit<br />

ce que cela pourrait donner. et ce n’est pas<br />

parce que marine le Pen, « dédiabolisation »<br />

oblige, est quasiment silencieuse sur ces aspects,<br />

que le fond a changé.<br />

…DanS LeS ProgrammeS<br />

Ces bases posées, que veulent enseigner les<br />

extrêmes droites ? dans son programme de<br />

2015, le front national privilégie ce qu’il<br />

considère comme les fondamentaux : « le<br />

français, langue latine s’écrivant dans un alphabet<br />

latin, seule la méthode syllabique est<br />

appropriée pour apprendre à le lire et à<br />

l’écrire correctement. Son enseignement<br />

comprend le vocabulaire, l’orthographe, la<br />

grammaire et l’approche des grands auteurs.<br />

S’y ajoutent d’une part des notions solides<br />

sur l’histoire de france, à partir de la chronologie<br />

et de figu res symboliques qui se<br />

gravent dans les mémoires, d’autre part une<br />

connaissance de la géographie du pays, reposant<br />

sur des cartes. À l’école primaire,<br />

s’ajoute encore l’apprentissage du calcul. »<br />

Pour les « grands auteurs », on peut s’en<br />

faire une idée en rappelant cette vieille déclaration<br />

de le Pen : « Comment s’étonner<br />

du délabrement intellectuel de l’université<br />

quand on apprend que l’écrivain le plus lu<br />

58 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

si vous voulez emmener vos élèves à une expo impressionniste, faites-le avant qu’ils n’arrivent au pouvoir !<br />

en 1978 dans nos lycées (comme, d’ailleurs,<br />

dans les classes de français des lycées soviétiques)<br />

est, tenez-vous bien, Émile<br />

Zola ! 11 »<br />

l’enseignement de l’art n’est pas rejeté,<br />

mais un art réduit à des règles : « il faut […<br />

] rendre ses lettres de noblesse à l’enseignement<br />

artistique qui, seul, permet l’acquisition<br />

d’un art, en inculque la technique et les<br />

règles formelles. […] Ces disciplines trouveront<br />

leur place dans les programmes scolaires<br />

à tous les niveaux d’enseignement, du<br />

cycle primaire jusqu’au supérieur. des cours<br />

d’histoire de l’art seront également prévus.<br />

une haute qualification technique chez les<br />

professeurs d’art sera exigée par le biais des<br />

concours publics. » Si vous voulez emmener<br />

vos élèves à une expo impressionniste, faitesle<br />

avant qu’ils n’arrivent au pouvoir !<br />

Pour la musique, de même, l’essentiel<br />

pour les extrêmes droites est dans le tri<br />

entre ce qui, à leurs yeux, est de l’art et ce<br />

qui n’en est pas (la plupart des formes<br />

contemporaines). ainsi, rap et techno « ne<br />

sont pas des expressions musicales », et<br />

Gollnisch va même (à l’opposé des groupes<br />

adeptes de « rock identitaire ») jusqu’à<br />

considérer que le rock, « musique syncopée<br />

et assourdissante est une escroquerie intel -<br />

lectuelle ». À l’inverse, « l’apprentissage<br />

du chant choral, musique de l’âme, selon<br />

Saint françois d’assise, de la musique instrumentale<br />

et de la danse, sera encouragé à<br />

partir du plus jeune âge. […] une place sur<br />

la scène lyrique sera faite à l’opérette qui a<br />

un véritable public, mais n’a pas actuel -<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 59


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

« le peintre n’est pas<br />

là pour expliquer<br />

sa peinture. elle lui<br />

échappe. le plus beau<br />

compliment, c’est<br />

quand un visiteur<br />

dans l’atelier va<br />

"expliquer" mon<br />

tableau, évoquer les<br />

associations que cela<br />

suscite en lui, quand<br />

il va mettre sa propre<br />

couche de peinture.<br />

sinon, on ne peut que<br />

se placer dans l’ordre<br />

du bien, du bon, de la<br />

beauté, et c’est l’ordre<br />

fasciste. si l’on est<br />

dans un champ<br />

inverse, celui du<br />

doute, de l’incertitude,<br />

de l’approximation :<br />

je prends… »<br />

gérArd gArouste<br />

lement l’heur de plaire à la culture officielle rabat-joie. 4 »<br />

Quant à la danse, en 1995, le maire frontiste de toulon,<br />

le Chevallier, souhaitait voir représenter au festival de<br />

Châteauvallon plutôt que de la danse contemporaine,<br />

spécialité du lieu, « de la danse classique et un peu folklorique<br />

12 ». aujourd’hui, à marseille-nord, Stéphane Ravier<br />

démantèle les équipements culturels pour promouvoir la<br />

« tradition provençale » avec des danseuses en tenue folklorique.<br />

exaLtation et FaSCination<br />

Ces éléments programmatiques, ces ébauches de mise en<br />

œuvre, ces déclarations fracassantes sont autant de témoignages<br />

de la vision qu’ont les extrêmes droites de la<br />

culture et de son enseignement. tout ceci est conforme à<br />

leur mode de pensée. une citation d’alain de Benoist le<br />

résume assez bien : « notre anti-intellectualisme dé<strong>coul</strong>e<br />

de cette conviction […] qu’il y a prééminence de l’âme sur<br />

l’esprit, du caractère sur l’intelligence, de la sensibilité sur<br />

l’intellect, de l’image sur le concept, du mythe sur la<br />

doctrine 13 . » il s’agit en effet de jouer, y compris dans<br />

l’enseignement, non pas sur le raisonnement, sur la réflexion,<br />

mais sur les sens : présenter des images de « vertu » aristocratique<br />

et de travail à admirer, exalter des figures mythiques<br />

du passé, séduire par la fascination plus que par la raison.<br />

C’est marmin s’en prenant à « des siècles de dictature rationaliste<br />

» ; c’est mégret appelant en 1987 à retrouver<br />

« tous les mythes et les héros de notre civi lisation : le Cid,<br />

arthur, la lorelei, Jeanne d’arc, mélusine » ; c’est le Pen<br />

s’exprimant le 1 er mai devant une statue dorée de Jeanne<br />

d’arc dressant son oriflamme vers le ciel ; c’est, fondamentalement,<br />

l’exaltation d’un élitisme identitaire. ■<br />

1. Que les exemples de cet article proviennent majoritairement<br />

du front national s’explique uniquement par le fait que ce<br />

parti est celui qui a le plus écrit dans ce domaine. l’analyse<br />

n’est guère différente avec l’ensemble des extrêmes droites.<br />

2. déclaration de le Pen le 13 mai 1984, dans Le Monde, 22<br />

juin 1984.<br />

3. Le Monde, 31 août 1996.<br />

4. Chapitre « liberté de la culture », Pour un avenir<br />

français. Le programme de gouvernement du Front national,<br />

2002.<br />

5. Le Monde des 23-24 juin 1996.<br />

6. Art, Culture, Société, Blog de Kostas mavrakis, consulté<br />

le 27 juillet 2009 : http://kostasmavrakis.hautetfort.com/<br />

7. « Culture et politique », m. Plat, National hebdo, n° 633<br />

du 5 au 12 septembre 1996.<br />

8. Le Monde, du 29 février 1992 et du 21 juin 1995.<br />

9. Libération, 30 août 1996.<br />

10. National hebdo, n° 621 du 13 au 19 juin 1996, p. 7.<br />

11. Droite et démocratie économique, Préface, Paris, 1978,<br />

reprise en préface de Pour la France, albatros, Paris, 1986.<br />

12. Le Monde, 23 juin 1995.<br />

13. Nouvelle école, n° 35, 1979.<br />

60 // N’Autre école - Q2c N° 5


Myr Muratet /Portfolio/<br />

Interview Myr Muratet<br />

Pour l’illustration de ce numéro et du dossier « extrêmes<br />

droites contre éducation », Myr Muratet nous propose une<br />

série de photos de paysages des dispositifs d’enfermement de<br />

la Ville de calais. Photos sans aucun visage, où les barbelés,<br />

les douves et les barrières offrent des paysages de désolation.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 61


Portfolio/Myr Muratet<br />

Questions de classe(s) – Peux-tu nous présenter<br />

ton parcours ?<br />

myR muRatet – Je me suis formé à la photographie<br />

à Hambourg en Rfa dans les<br />

années quatre-vingt et j’ai fait des reportages<br />

dans les pays de l’est jusqu’à la fin du régi -<br />

me soviétique. J’ai développé un travail<br />

autour de questions sociales diffusé par des<br />

agences ou des collectifs photos. mon intérêt<br />

particulier pour les formes graphiques et<br />

spécialement l’affiche, m’a amené à rencontrer<br />

et travailler avec des collectifs comme<br />

Grapus, les Graphistes associés, et d’autres<br />

graphistes indépendants.<br />

QdC – ton travail de paysage sur Calais propose<br />

un regard sur une région transformée par<br />

les contrôles des populations. loin des nombreuses<br />

images sur la jungle, sur les migrants<br />

dans des situations critiques, tu portes un<br />

regard anonyme et froid sur la ville assiégée.<br />

Peux-tu nous parler de cette série de photos ?<br />

m. m. – il m’a semblé important de montrer<br />

l’omniprésence du dispositif qui a été mis<br />

en place contre les clandestins. Certes, il<br />

facilite la surveillance, contraint et entrave<br />

les migrants de la jungle de Calais dans<br />

leurs déplacements, mais de fait il surveille<br />

et contraint globalement toute la population<br />

de Calais, des environs et les personnes qui<br />

s’y rendent.<br />

malgré l’opposition des maires et des habitants<br />

riverains, l’État et eurotunnel ont<br />

rasé des hectares de bois et de marais – par<br />

ailleurs classés et protégés –, creusé, des<br />

douves et inondé les terrains aux abords des<br />

infrastructures du tunnel et du port.<br />

la ville et ses environs sont devenus un<br />

vaste centre de rétention à ciel ouvert, clôturé<br />

de toutes parts et sous vidéo-surveillance.<br />

Je ne compte plus les fois ou l’on m’a<br />

contrôlé lorsque j’ai réalisé ces photographies.<br />

Je marchais sur un chemin, la route, la plage<br />

et inévitablement arrivait une patrouille de<br />

police ou de gendarmes pour m’interroger<br />

sur ma présence en ces lieux pourtant publics.<br />

QdC – Comment ce travail fait-il écho à tes<br />

autres photographies ?<br />

m. m. – tous mes derniers travaux tournent<br />

autour d’un même constat : la raréfaction<br />

des communs !<br />

J’observe comment le pouvoir, tous les<br />

pouvoirs, s’approprient et privatisent toujours<br />

plus les espaces communs qui se trouvent<br />

être aussi les seuls lieux où ceux qui ne possèdent<br />

rien tentent de vivre leurs existences.<br />

Que ce soit les gares, les places publiques,<br />

les terrains vacants.<br />

J’ai commencé par une série – Paris-nord<br />

– de photographies à la gare du nord, sur<br />

un groupe d’habitués occupant les lieux<br />

tranquilles de la gare. J’ai photographié<br />

durant des années leur dérive sur place dans<br />

l’alcool, les cachets, la mort et l’éviction de<br />

la gare des derniers survivants. C’est par<br />

une approche similaire que j’ai réalisé la<br />

série Wasteland. nous avons avec une botaniste<br />

du muséum inventorié et photographié<br />

la flore des friches urbaines de Seine-Saintdenis<br />

et rencontré les habi tants des friches,<br />

des communautés de Roumains, noué des<br />

liens et photographié leurs activités. dans<br />

cette même réflexion sur l’occupation d’espaces<br />

en ville, j’ai suivi avant leur évacuation,<br />

l’installation d’africains fraîchement débarqués<br />

des côtes italiennes sous le métro<br />

la Chapelle. J’ai observé leurs pratiques de<br />

survie en milieu urbain, les échanges importants,<br />

le marché informel sous le métro<br />

aérien, etc. ■<br />

Pour suivre le travail de myr muratet :<br />

www.myrmuratet.com<br />

62 // N’Autre école - Q2c N° 5


Myr Muratet /Portfolio/<br />

Calais :<br />

29 km de clôtures<br />

<strong>coul</strong>oirs de clôtures surmontées de barbelé concertina (paré de<br />

lames de rasoirs) qui interdisent les accès au port et au terminal<br />

d’eurotunnel. le creusement de douves, le déboisement et<br />

l’inondation des terrains aux abords du terminal gênent la progression<br />

des clandestins, permettent la surveillance et facilitent<br />

l’intervention des forces de l’ordre.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 63


Portfolio/Myr Muratet<br />

64 // N’Autre école - Q2c N° 5


Myr Muratet /Portfolio/<br />

douves, déboisement, inondation, clôtures. dispositifs anti-clandestins<br />

calais 2016<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 65


Portfolio/Myr Muratet<br />

66 // N’Autre école - Q2c N° 5


Myr Muratet /Portfolio/<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 67


DoSSier/ extrêmes droites contre éducation<br />

Ressources<br />

bibliographie et sitographie<br />

L’ÉCOLE, CIBLE<br />

DES DROITES EXTRÊMES<br />

L’éducation est bien une<br />

obses sion historique de<br />

l’extrême droite française.<br />

Jean-Michel Barreau a<br />

retra cé les grandes étapes<br />

de ses combats, leur permanence<br />

jusqu’aux éructations<br />

du FN contre l’école<br />

(L’extrême droite, l’école et<br />

la République, Petits détours<br />

par l’histoire, Syllepses,<br />

2003). Sur la pério -<br />

de de Vichy et sa politique<br />

scolaire, on pourra se référer<br />

à l’ouvrage de Rémy<br />

Handourtzel, Vichy et<br />

l’école, 1940-1944 (Noêsis,<br />

1997) ou à nouveau à<br />

Jean-Michel Barreau :<br />

Vichy, contre l’école de<br />

la République, Théoriciens<br />

et théories scolaires de<br />

la Révo lution nationale<br />

(Flammarion, 2000).<br />

L’actualité de cette haine<br />

de l’éducation et de l’égalité<br />

dépasse aujourd’hui les<br />

seuls cercles extrémistes.<br />

Avec L’École des réac-publicains,<br />

la pédagogie noire<br />

du FN et des néo-conservateurs<br />

(Libertalia, collection<br />

N’Autre école, 2016)<br />

Grégory Chambat, du collectif<br />

Questions de classe(s),<br />

propose une analyse de la<br />

rhétorique réactionnaire,<br />

une exploration de la nébuleuse<br />

conservatrice tout en<br />

rappelant qu’il convient de<br />

ne pas laisser aux « réac-publicains<br />

» le monopole de la<br />

contestation de l’école telle<br />

qu’elle est. L’ouvrage vaut<br />

aussi pour ses notices biographiques<br />

qui permettent<br />

de se repérer dans cette galaxie<br />

de « l’anti-péda -<br />

gogisme ».<br />

Sans être exclusivement<br />

consacré à l’école, même si<br />

celle-ci est très présente,<br />

l’ouvrage de Jacques Rancière,<br />

La Haine de la démocratie<br />

(La Fabrique, 2005),<br />

expose comment « c’est, de<br />

fait, autour de la question<br />

de l’éducation que le sens<br />

de quelques mots – république,<br />

démocratie, égalité,<br />

société, a basculé ».<br />

Sur les réseaux religieux<br />

traditionalistes et leur proximité<br />

avec les ultra-libéraux,<br />

l’enquête d’Eddy Khaldi,<br />

Muriel Fitoussi (Main basse<br />

sur l’école publique, Demopolis,<br />

2008) reste un incontournable.<br />

Autre livre important :<br />

Voyage au cœur d’une<br />

France fasciste et catholique<br />

intégriste (Cherche<br />

midi, 2013) qui raconte l’infiltration<br />

de deux journalistes,<br />

Matthieu Maye et<br />

Rémy Langeux dans les<br />

milieux intégristes bordelais<br />

et en particulier dans l’une<br />

des écoles de le Fraternité<br />

Saint-Pie X. Glaçant…<br />

COMPRENDRE,<br />

ANALYSER, COMBATTRE<br />

Les ouvrages sur l’extrême<br />

droite ne manquent pas.<br />

Sur son histoire, depuis ses<br />

origines jusqu’à nos jours,<br />

on se référera à la<br />

« somme » (464 pages…) de<br />

Jean-Paul Gautier Les<br />

Extrêmes droites en<br />

France : De la traversée du<br />

désert à l’ascension du<br />

Front National (1945-<br />

2008), Syllepse 2009 (réédition<br />

mars 2016), à compléter<br />

par un petit texte salutaire<br />

sur la « dédiabolisation<br />

» du FN : De Le Pen à<br />

Le Pen, continuités et ruptures<br />

(Syllepse, 2015).<br />

C’est dans les ouvrages mili<br />

tants que la production<br />

reste la plus intéressante.<br />

D’abord avec les publications<br />

du réseau intersyndical<br />

Visa : plongée dans le<br />

quotidien des municipalités<br />

d’extrême droite (Lumières<br />

sur Mairies brunes, Syllepse,<br />

2015) ou encore<br />

décryp tage du programme<br />

« social » du FN (Face au FN<br />

et à toute l’extrême droite,<br />

réponses et ripostes syndicales<br />

! avec un chapitre<br />

très complet consacré au<br />

FN et l’éducation).<br />

HISTOIRE, CULTURE,<br />

LAÏCITÉ, SOCIOLOGIE…<br />

Quatre thématiques détournées<br />

et instrumentalisées<br />

par les droites extrêmes<br />

pour asseoir leur hégémonique<br />

culturelle.<br />

Le discours de l’extrême<br />

droite sur la culture est peu<br />

connu, peu étudié. L’ouvrage<br />

d’Alain Chevarin, du<br />

collectif Questions de<br />

classe(s), Fascinant fascisant,<br />

une esthétique d’extrême<br />

droite (L’Harmattan,<br />

2013) se révèle donc des<br />

68 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation /DoSSier/<br />

plus précieux et éclaire ce<br />

point méconnu du programme<br />

extrémiste.<br />

Pour répondre au détournement<br />

de la laïcité, Jean<br />

Baubérot et le Cercle des<br />

enseignant.e.s laïques proposent<br />

un Petit manuel<br />

pour une laïcité apaisée à<br />

l’usage des profs, des<br />

élèves et de leurs parents<br />

(La Découverte, 2016) tout<br />

à fait indispensable pour<br />

s’armer contre les dérives<br />

actuelles.<br />

Concernant l’histoire et le<br />

« roman national », les travaux<br />

sont plus nombreux.<br />

Citons, outre Les Historiens<br />

de garde (Libertalia,<br />

réédition 2016), Nicolas<br />

Offenstadt avec L’Histoire<br />

un combat au présent<br />

(Textuel, 2014) ou encore<br />

La Fabrique scolaire de<br />

l’histoire, Illusions et désillusions<br />

du roman national<br />

(sous la direction de Laurence<br />

De Cock & Emmanuelle<br />

Picard, préface de<br />

Suzanne Citron, Agone,<br />

2009).<br />

La sociologie étant également<br />

une cible privilégiée<br />

des discours réactionnaires,<br />

on lira donc le petit<br />

texte de Bernard Lahire<br />

Pour la sociologie et pour<br />

en finir avec une prétendue<br />

culture de l’excuse (La<br />

Découverte, 2016).<br />

www.questionsdeclasses.org/larevue<br />

le site de la revue prolonge ce dossier :<br />

– le Front national, une identité antirépublicaine,<br />

Jean-Michel barreau<br />

– un entretien sur L’École des réac-publicains<br />

– une présentation de la claf (campagne<br />

libertaire unitaire antifasciste)<br />

– des compléments bibliographiques<br />

– retour sur le stage de saint-denis<br />

– l’école de Vichy<br />

– le 4 pages intersyndical extrême(s)<br />

droite(s) contre éducation, etc.<br />

SUR LE NET<br />

Pour connaître les réseaux<br />

d’extrême droite, leur histoire<br />

et leur projet, pour suivre<br />

l’actualité…<br />

Visa association intersyndicale<br />

(FSU, Solidaires,<br />

CGT, CFDT, CNT, l’UNEF,<br />

etc.) fondée en 1996 pour<br />

proposer un outil d’information<br />

et de réflexion pour<br />

toutes les forces syndicales<br />

afin de lutter collectivement<br />

contre l’implantation<br />

et l’audience de l’extrême<br />

droite dans le monde du<br />

travail.<br />

La Horde : « Énervé, indiscipliné,<br />

collectif et solidaire »<br />

ce site propose un point de<br />

vue antifasciste sur l’actualité<br />

nationale et internationale,<br />

en collaboration avec<br />

les sites militants qui le<br />

font déjà, et en contrepoint<br />

des médias traditionnels,<br />

en relayant et en participant<br />

aux initiatives antifascistes<br />

de terrain et en mettant<br />

à disposition du matériel<br />

antifasciste (dont une<br />

très utile cartographie de<br />

l’extrême droite).<br />

Quartiers Libres est un collectif<br />

de militant-e-s de<br />

quartiers, de journalistes,<br />

d’universitaires qui tou-te-s<br />

vivent, travaillent, ou militent<br />

en banlieue et issu-e-s<br />

de différents courants de<br />

gauche radicale pour mettre<br />

en avant différentes<br />

thématiques ayant trait à la<br />

vie culturelle et politique<br />

des quartiers populaires.<br />

Le site publie régulièrement<br />

des articles sur l’extrême<br />

droite, en particulier<br />

sur la mouvance Dieudonné-Soral.<br />

DROITES EXTRÊMES<br />

ET ÉCOLE<br />

Les antidotes des<br />

Cahiers pédagogiques :<br />

très belle initiative que propose<br />

le Crap avec ces petits<br />

textes destinés à contrecarrer<br />

les lieux communs véhiculés<br />

par les réactionnaires<br />

sur l’école : « Le roman national,<br />

la barbe du Père<br />

Noël et la moustache de<br />

Clovis », « Ne pas renoncer<br />

au collège unique », « L’élitisme<br />

n’a jamais été abandonné<br />

», etc.<br />

Le blog de Claude Lelièvre<br />

(sur Mediapart) : toujours<br />

très documentés, brefs,<br />

percutants et en phase<br />

avec l’actualité, les billets<br />

de Claude Lelièvre sont à<br />

savourer… S’ils n’abordent<br />

pas toujours spécifiquement<br />

les discours réactionnaires,<br />

ils désamorcent<br />

bien souvent nombre<br />

d’idées reçues.<br />

Le blog L’école des réacpublicains<br />

: revue de<br />

presse, bibliographie, analyses<br />

et décryptage de l’actualité<br />

des réactionnaires.<br />

COMPLOTISME<br />

Debunkers des rumeurs<br />

hoax d’extrême droite :<br />

un site utile, qui tord le cou<br />

à toutes les intox que l’extrême<br />

droite propage sur<br />

internet : « les musulmans<br />

veulent faire interdire<br />

Noël », « des enfants interdits<br />

de dessiner des<br />

cochons à l’école », etc.<br />

Le site FailFaf, publie des<br />

articles dans deux catégories<br />

: les Fail, qui reprennent<br />

tous les loupés de<br />

l’extrême droite, et les Win<br />

qui s’intéressent aux initiatives<br />

ou positions antifascistes<br />

et antiracistes.<br />

FACHOSPHÈRE<br />

Deux journalistes, Dominique<br />

Albertini et David<br />

Doucet, dressent la cartographie<br />

de la présence de<br />

l’extrême droite sur Internet<br />

: La Fachosphère,<br />

comment l’extrême<br />

droite remporte la<br />

bataille du Net (Flammarion,<br />

2016).<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 69


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

Droit de suite<br />

Par JAcQuelINe trIguel, enseignante en collège à Mantes-la-Ville<br />

En prolongement du texte « Au nom du respect » (page 43 de ce<br />

numéro), un retour, un an après les événements rapportés, sur<br />

les suites de ce travail autour des attentats...<br />

uN aN aPrès, me voici pratiquement<br />

face à la même classe, en 3 e . un<br />

an après, voici le 13 novembre<br />

qui nous frappe et qui conduit une nouvelle<br />

fois quatre élèves à attendre la fin de l’heure<br />

pour me parler, alors que leurs camarades<br />

n’ont pas hésité à prendre la parole en<br />

classe, contrastant avec leur silence du mois<br />

de janvier. Pour ce petit groupe resté seul<br />

avec moi, les mots sortent plus difficilement.<br />

Rien n’est clair dans leur esprit sur ce qui se<br />

passe autour d’eux et sur ce qu’ils ressentent.<br />

et pour cause : « madame, je sais pas comment<br />

dire. le regard des autres, il a changé »,<br />

« Je sais pas si c’est fait exprès mais à<br />

chaque fois que je passe, ils disent : “c’est<br />

de leur faute, les musulmans” », « mais<br />

nous, on n’a rien fait. ils nous regardent<br />

parce qu’on est… » et celui-ci laisse sa<br />

phrase en suspens, comme s’il ne fallait pas<br />

le dire clairement, comme si être<br />

musulman devait rester secret après les attentats,<br />

a fortiori dans une commune fn.<br />

Ces confidences, livrées délibérément en<br />

dehors du cours, me dérangent et me questionnent.<br />

non pour ce qu’elles sont, mais<br />

pour ce qu’elles symbolisent. Je retourne<br />

alors quelques mois en arrière, en janvier,<br />

pour me rappeler que plusieurs élèves avaient<br />

été sanctionnés pour avoir osé questionner<br />

les faits et les « mots d’ordre », parce qu’ils<br />

avaient pris de la distance par rapport aux<br />

attitudes et aux réactions qui leur étaient<br />

imposées par l’institution. est-ce la raison<br />

de leur silence en classe ? faut-il donc accepter<br />

que les élèves subissent, en plus de la<br />

violence des attentats, la violence de consignes<br />

qu’ils ne comprennent pas ? faut-il accepter<br />

qu’ils aient même honte de leur appartenance<br />

religieuse ? et si nous l’acceptons, quelle<br />

image de l’école – et de la société – offronsnous<br />

à ces jeunes qui se construisent au fil<br />

de leurs expériences et des discours qui les<br />

entourent ?<br />

Faire SiLenCe ?<br />

Car se taire et feindre l’indifférence devant<br />

l’ensemble du groupe classe, puis choisir<br />

de n’en parler qu’après la sortie de tous les<br />

autres élèves, n’est-ce pas déjà là un premier<br />

pas vers cette discrétion qu’un Jean-Pierre<br />

Chevènement fraîchement nommé à la fondation<br />

pour l’islam de france conseillera<br />

quelques mois plus tard aux musul mans<br />

« dans cette période difficile » ? n’est-ce<br />

pas un premier pas vers une mise en conformité<br />

de façade de tous les individus ? et<br />

sommes-nous là, nous enseignants, pour<br />

abonder dans ce sens, et mener nos élèves<br />

70 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

J’imagine un exercice pLus<br />

structuré et pLus conséquent,<br />

dont L’un des obJectifs serait,<br />

à nouveau, de nourrir Les Liens<br />

difficiLement créés entre Les éLèves<br />

L’année passée.<br />

vers l’extinction de leurs singularités, qui<br />

conduit immanquablement à l’extinction de<br />

leur voix, alors même que nous sommes les<br />

premiers à nous plaindre du mutisme de<br />

nos élèves ?<br />

ou Bien Se Dire et S’ÉCrire ?<br />

Qu’à cela ne tienne ! en cours de français,<br />

nous sommes alors à la fin d’une séquence<br />

sur l’écriture de soi, au cours de laquelle<br />

des petits exercices d’écriture, présentés ensuite<br />

oralement, avaient déjà permis aux<br />

élèves tout à la fois de se livrer à une<br />

réflexion sur eux-mêmes, et d’en partager<br />

une partie avec le reste de la classe. Cette<br />

fois, suite aux réactions de ce 16 novembre,<br />

j’imagine un exercice plus structuré et plus<br />

conséquent, dont l’un des objectifs serait, à<br />

nouveau, de nourrir les liens difficilement<br />

créés entre les élèves l’année passée. Je<br />

profite d’avoir travaillé sur des extraits du<br />

Journal d’Anne Frank pour leur proposer<br />

une écriture sous forme de journal intime,<br />

dont voici les consignes :<br />

À la manière d’anne frank, écrivez une<br />

ou deux pages de votre journal intime pour<br />

raconter un moment en famille, durant lequel<br />

vous célébrez une fête familiale ou culturelle.<br />

Pour cela :<br />

– adoptez la forme du journal intime<br />

– choisissez une date (elle peut être actuelle<br />

ou située dans votre passé mais en faisant<br />

comme si c’était actuel)<br />

– rédigez plusieurs paragraphes dans lesquels<br />

:<br />

* vous ferez une introduction de quelques<br />

lignes pour situer le récit (« aujourd’hui,<br />

nous avons fêté… », par exemple) ;<br />

* vous raconterez les faits et les origines de<br />

cette festivité (d’où vient-elle, comment la<br />

fêtez-vous dans votre famille, qu’y a-t-il de<br />

spécial… ?)<br />

* vous développerez les sentiments et réflexions<br />

que ce moment a fait naître en<br />

vous.<br />

tout en réinvestissant leurs apprentissages<br />

sur l’écriture autobiographique, et plus particulièrement<br />

sur la forme du journal intime,<br />

il me semblait important que les élèves pensent<br />

leur héritage culturel, en prennent pleinement<br />

possession à travers des recherches,<br />

à travers des échanges avec leur entourage,<br />

pour ensuite les transmettre à leurs camarades.<br />

ainSi CirCuLent La ParoLe<br />

et LeS iDÉeS<br />

le sujet présenté, s’ensuit tout un fourmillement<br />

chez les élèves : les uns se jetant sur<br />

leur brouillon, les autres s’interrogeant sur<br />

ce sujet un peu déroutant, d’autres encore,<br />

comme de coutume, démunis devant la rédaction<br />

à imaginer. Peu à peu, les questionnements<br />

ont porté sur les spécificités du<br />

sujet : quel genre de fête ? peut-on parler<br />

d’un anniversaire, de noël, du jour de l’an,<br />

de l’aïd el-Kebir ? mais comment savoir<br />

d’où ça vient, ce que ça signifie ? Comment<br />

donner un sens à des rituels culturels ou familiaux<br />

parfois répétés inconsciemment ?<br />

la nécessité, pour les élèves, de s’informer<br />

et de dialoguer avec leurs proches a émergé<br />

d’elle-même au cours de ces échanges, si<br />

bien qu’à la séance suivante, plusieurs élèves<br />

sont revenus forts de leurs découvertes, nées<br />

d’un dialogue avec les parents, les oncles,<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 71


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

les voisins, les amis. et ceux qui n’avaient<br />

pas fait la démarche se sont à leur tour informés<br />

auprès de leurs camarades.<br />

D’une CuLture ÀL’autre,<br />

D’une traDition ÀL’autre<br />

ainsi circulent la parole et les idées, d’une<br />

culture à l’autre, d’une tradition à l’autre,<br />

parfois d’une famille à l’autre. un lien se<br />

fait donc, d’abord entre les élèves, qui partagent<br />

un peu d’eux-mêmes, mais également<br />

entre les élèves et leurs proches, qui s’écartent<br />

des échanges quotidiens, pour mettre à<br />

l’honneur leur héritage culturel commun.<br />

au fil des brouillons et des lectures à haute<br />

voix, nous retournons aux racines de noël<br />

ou de l’aid el-Kebir, nous découvrons la<br />

tradition mexicaine de la fête des Quince<br />

años où les jeunes filles célèbrent leur<br />

passage à l’âge adulte. nous apprenons<br />

qu’une élève réunionnaise commémore tous<br />

les ans l’abolition de l’esclavage au cours<br />

d’une grande fête familiale. les élèves s’intéressent<br />

aux traditions des uns et des autres,<br />

s’en étonnent, parfois s’émerveillent des légendes<br />

qui leur sont présentées.<br />

Bien sûr, il y a eu des résistances : tout<br />

d’abord, de la part des élèves, qui ne souhaitaient<br />

pas se livrer, mais qui ont dépassé<br />

leurs réticences grâce aux encouragements<br />

et à l’exemple de leurs camarades ; des résistances<br />

aussi de la part de parents, qui ont<br />

interdit à leur fils d’évoquer une fête religieuse<br />

car, selon eux, il valait mieux ne pas parler<br />

de ce genre de chose à l’école. C’est dire<br />

s’il reste du chemin à parcourir pour que<br />

personne ne se sente obligé de taire certains<br />

aspects de sa vie, par crainte d’être jugé.<br />

Quoi qu’il en soit, il me semble avoir<br />

atteint un objectif essentiel : ne pas laisser<br />

les quatre élèves venus me parler s’isoler et<br />

se refermer sur eux-mêmes. ici, au détour<br />

d’une activité d’écriture ordinaire en cours<br />

au Lieu de se faire discrètes,<br />

eLLes se sont exposées, et ceLa sans<br />

qu’aucune tension, moquerie<br />

ou marque d’intoLérance ne soit<br />

apparue, bien au contraire..<br />

de français, les différences ont été mises à<br />

l’honneur. au lieu de se faire discrètes, elles<br />

se sont exposées, et cela sans qu’aucune<br />

tension, moquerie ou marque d’intolérance<br />

ne soit apparue, bien au contraire.<br />

ne PaS reSter<br />

au SeuiL De La CLaSSe<br />

mais une nouvelle fois, cette pratique reste<br />

limitée à la classe, répondant comme souvent<br />

à l’urgence du quotidien. il serait nécessaire<br />

que cela franchisse le seuil de la salle de<br />

cours, que le collège soit lui-même un lieu<br />

de partage, d’écoute et de respect des différences.<br />

non pas comme un refuge à l’abri<br />

de la société, mais bien comme un refus assumé<br />

des dissensions que la société véhicule<br />

et qui se frayent parfois un chemin dans<br />

l’école. Pour cela, il nous faudra nous frotter<br />

à des écueils que nous ne connaissons que<br />

trop bien : la pudeur des uns et des autres<br />

devant des sujets complexes, les familles<br />

qui peuvent y voir de l’ingérence, une direction<br />

frileuse, voire hostile, des collègues<br />

aussi, qui trouveraient le terrain trop glissant.<br />

mais à vouloir éviter les sujets difficiles,<br />

ceux-là mêmes qui préoccupent nos élèves,<br />

nous laissons rumeur, mal-être et sentiment<br />

d’exclusion enfler, alors que, parfois, le<br />

détour par une simple activité pédagogique<br />

peut permettre les dépasser. ■<br />

72 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

Le Front national<br />

une identité antirépublicaine<br />

Par JeAN-MIchel bArreAu<br />

depuis plusieurs décennies, le Front National est devenu un exceptionnel<br />

donneur de leçons de morale républicaine à ses adversaires<br />

politiques : une sorte de champion dans le domaine.<br />

l’école de la république est le vecteur privilégié de ces attaques<br />

où la moralisation le dispute aux imprécations.<br />

LeçonS De moraLe SCoLaire<br />

rÉPuBLiCaine<br />

le père<br />

dans le bimensuel du fn la lettre de Jeanmarie<br />

le Pen de septembre 1991, le président<br />

du fn prenait la République à témoin.<br />

« Vous avez dit républicains ? », écrivait-il.<br />

il s’en prenait à la « bande des quatre » qui<br />

ne faisait que s’entendre entre elle tout en<br />

s’affublant du nom de républicain. il affirmait<br />

que jamais escroquerie, concussion, corruption<br />

morale, financière et politique n’avait atteint<br />

de telles dimensions. « l’éducation nationale<br />

est en pleine déroute », rajoutait-il 1 . Cette<br />

prise de position inaugurait une longue trajectoire<br />

d’imprécations/moralisations scolaires<br />

dont Bruno mégret ou Carl lang seront les<br />

fidèles rédacteurs.<br />

la fille<br />

marine le Pen a exploité ce filon avec une<br />

volubilité spectaculaire. il n’y a presque<br />

aucun de ses discours qui ne fasse référence<br />

de façon grandiloquente à la République,<br />

tout en la stigmatisant rudement. au congrès<br />

de tours en janvier 2011, elle formulait ces<br />

anathèmes et auto proclamations en ces<br />

termes : « nous avons ramassé le drapeau<br />

tricolore que la classe politique a laissé<br />

traîner dans le caniveau, nous relèverons les<br />

valeurs traditionnelles de la république française<br />

; les véritables défenseurs de la république,<br />

c’est nous ! » 2 . Ces appels à une<br />

« République vraiment française » 3 ou à<br />

une République « rigoureuse et exemplaire »<br />

4<br />

dont elle parle encore ailleurs passent<br />

toujours par de virulentes attaques contre<br />

son école qui cumulerait tous les vices : immoralité,<br />

sauvagerie, perversité, laxisme,<br />

baisse de niveau.<br />

la petite fille<br />

la jeunesse de marion maréchal-le Pen ne<br />

l’empêche pas d’avoir déjà un solide pédigrée<br />

sur ce registre. en mars 2013, elle faisait<br />

cette déclaration devant l’assemblée nationale<br />

: « Vous répétez à l’envi les mots de<br />

République, de laïcité, de démocratie pour<br />

parler de l’école, mais ce sont sur ses résultats<br />

qu’on la juge. or, si jadis elle intégrait et<br />

émancipait, désormais, elle n’est plus qu’une<br />

machine à exacerber les particularismes, un<br />

laboratoire pour pédagogisme et une usine<br />

à chômeurs » 5 .<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 73


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

une iDentitÉ antirÉPuBLiCaine<br />

Panthéon<br />

Ces leçons de morale républicaines assénées<br />

par le fn émanent pourtant d’une identité<br />

profondément antirépublicaine. Ce que l’on<br />

pourrait appeler le « panthéon » de ce parti<br />

politique est significatif, à cet égard. on<br />

trouve dans français d’abord ! une petite<br />

pléiade d’éloges pour honorer les grandes<br />

figures historiques dans lesquelles il se reconnaît<br />

: les contre-révolutionnaires louis<br />

de Bonald, Rivarol ou Joseph de maistre,<br />

par exemple. l’un ou l’autre de ces modèles<br />

est célébré comme une « voie libre » 6 , un<br />

« merveilleux écrivain » 7 ou un « héraut incontournable<br />

de la france catholique et<br />

royale » 8 . Ces hagiographies rendent également<br />

honneur au nationaliste Charles maurras<br />

et à ses « courageux combats politiques » 9 .<br />

l’amertume que l’œuvre de ces théoriciens<br />

soit « passé sous silence » et « injustement »<br />

tenu à l’écart des programmes scolaires est<br />

fortement exprimée dans ces articles 10 . mais<br />

ces biographies militantes font l’impasse<br />

sur le fait que Bonald, Rivarol et Joseph de<br />

maistre étaient de purs ennemis des lumières,<br />

de la Révolution française, de la déclarations<br />

des droits de l’Homme, de la démocratie.<br />

Pour chacune de ces instances, ces idéologues<br />

écrivaient qu’elle était « école de la barbarie<br />

et du brigandage » 11 , « honteuse » 12 « turbulence<br />

», « licence », « nivellement »,<br />

« désorganisation », « corruption des mœurs »<br />

13<br />

. le fn ne mentionne rien sur Charles<br />

maurras lorsqu’il écrivait que « la démocratie,<br />

c’est le mal, la démocratie c’est la mort » 14<br />

et que « l’inégalité des biens est un bien » 15 .<br />

Hommages<br />

les hommages rendus par un parti politique<br />

à ses grands disparus parlent toujours de<br />

son identité. Jean-marie le Pen se rend tous<br />

les ans sur la tombe de françois duprat qui<br />

est décédé à 37 ans dans un attentat à la<br />

voiture piégée le 18 mars 1978. dans ces<br />

hommages, le chef du fn parle de « martyr »<br />

et de « héros » 16 mais il ne dit pas que cet<br />

intellectuel avait mené dans les années 60-<br />

70 de vigoureux combats idéologiques dont<br />

la trilogie fascisme/négationnisme/racisme<br />

était la pierre angulaire. À la mort de maurice<br />

Bardèche le 30 juillet 1998, Jean-marie le<br />

Pen saluait le « grand écrivain » et « l’historien<br />

d’avant-garde » que fut cet intellectuel à ses<br />

yeux 17 , tout en faisant l’impasse sur son engagement<br />

pour le fascisme. dans son livre<br />

Qu’est-ce que le fascisme ? qu’il publia en<br />

1961, maurice Bardèche commençait par<br />

une phrase qui avait le mérite de la clarté :<br />

« Je suis un écrivain fasciste » 18 . dominique<br />

Venner se donnait la mort le 21 mai 1013<br />

devant l’autel de la cathédrale notre-dame<br />

de Paris. marine le Pen, louis aliot, Julien<br />

Rochedy, Robert ménard prirent leurs plumes<br />

ou leurs tweets pour honorer sa disparition<br />

19<br />

. Ce théoricien du nationalisme avait<br />

pourtant derrière lui un long parcours d’activisme<br />

nationalisto-identitaire dont la démocratie<br />

et la république étaient les adversaires<br />

désignés et promis à la destitution. il avait<br />

appartenu très tôt dans sa jeunesse des années<br />

50-60 à des cercles néo-fascistes comme<br />

Jeune nation et la fédération des étudiants<br />

nationalistes. dans un petit opuscule publié<br />

en 1962, il écrivait : « la démocratie est le<br />

nouvel opium des peuples » 20 . le 2 août<br />

2013, Bruno Gollnisch disait sa grande émotion<br />

devant le décès de Jean madiran à l’âge<br />

de 93 ans. Ce traditionaliste catholique avait<br />

pourtant derrière lui un long parcours d’antisémitisme<br />

patent. dans l’action française<br />

du 11 août 1944, il écrivait : « le juif souffre<br />

par où il a péché, tandis que le français<br />

souffre par où il a laissé pécher le juif » 21 .<br />

dans les années 80, il posait les postulats de<br />

ses positions idéologiques dans sa revue itinéraires<br />

: « nous sommes à droite de l’ex-<br />

74 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

trême droite ». il précisait : « enregistrons<br />

donc le fait : “travail-famille-patrie”, “dieu<br />

premier servi”, c’est bien à droite de la<br />

droite » 22 .<br />

Vivier<br />

dans le chaudron de cette identité antirépublicaine,<br />

il y a le vivier des militants, des intellectuels<br />

et des amis qui gravitent autour<br />

du front national en affinités idéologiques<br />

plus ou moins proches de ses axiomes principaux.<br />

dans cet entrelacs de consciences<br />

extrême droitières, on y croise un peu de<br />

tout au fil des générations le Pen.<br />

Pour celle de Jean-marie, il y eut des<br />

membres du Parti populaire français (PPf),<br />

du Rassemblement national populaire (RnP),<br />

de la légion des Volontaires français (lVf),<br />

des pétainistes affichés, des admirateurs de<br />

la Waffen SS, des anciens de l’oaS et des<br />

maurrassiens toujours fidèles au maître. Pour<br />

marine, ce sont les « Gudars » qui font<br />

office de ces publics extrême-droitiers d’aujourd’hui.<br />

du côté marion-maréchal le Pen, ce sont<br />

les identitaires et les monarchistes contemporains<br />

qui ont plutôt ses faveurs. les injures<br />

et les attaques contre la démocratie et la République<br />

sont toujours au rendez-vous de<br />

ces sympathies collatérales. Pour les uns,<br />

« la République est une prostituée » 23 .<br />

Pour les autres, « aimer les immigrés est un<br />

vice de bourgeois » 24 . dans ce marigot<br />

d’outrages, on trouve aussi ce type d’éloges :<br />

« le SS avec son uniforme, c’est un peu le<br />

prêtre avec sa soutane » disait Jean-marie<br />

le Pen à la jeunesse, après les évènements<br />

de 1968 25 .<br />

nous rapprocher des parents<br />

« Les pLus éLoignés de L’écoLe »,<br />

c’est faire qu’eux s’éLoignent<br />

des marchands de haine.<br />

de son identité et idéologique et politique,<br />

le FN devrait s’assumer comme le 1 er<br />

parti antirépublicain de France. Nul autre<br />

parti que lui ne cumule en son sein un<br />

tel florilège de personnalités, de groupuscules,<br />

de symboles, de drapeaux et<br />

de slogans qui ont nié à ce point la République<br />

ou la nient encore. L’identité<br />

générale de ce parti est celle d’une ennemie<br />

du « Liberté, Égalité, Fraternité » du<br />

fronton de nos écoles françaises. Donner<br />

des leçons de morale scolaire républicaine<br />

d’un tel fond antirépublicain relève d’un<br />

réel culot politique. ■<br />

Le Fn :1 er Parti<br />

antirÉPuBLiCain De FranCe<br />

Marine Le Pen se qualifiait de « présidente<br />

du premier parti de France » (Présent du<br />

13 décembre 2013 26 ). Mais au regard<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 75


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

Rapport de stage<br />

Par JeAN-PIerre FourNIer, Questions de classe(s)<br />

« Pas elle ! » Quand une enseignante de maternelle, à Tours,<br />

avait été victime d’accusations ahurissantes d’incitations<br />

à des attouchements 1 par des activistes de la JRE, ses collègues<br />

et plus largement le monde enseignant avait été horrifiés.<br />

Elle encore plus, pas seulement parce qu’elle était la victime,<br />

mais parce qu’elles avaient aidé une partie de ces mères<br />

à obtenir leurs papiers...<br />

Surprise et incrédulité furent ma première<br />

réaction au début du stage extrême-droite<br />

auquel j’ai participé: un intervenant annonça<br />

que 10% des professeurs enseignant en<br />

lycée, collège ou école primaire auraient<br />

une idéologie s’apparentant à l’extrême<br />

droite. au fil des interventions et des ateliers<br />

des témoignages se sont succédés, montrant<br />

la diffusion des idées du front national à<br />

l’intérieur de l’Éducation nationale. J’ai<br />

tenté de m’arrêter sur la manière dont ces<br />

idées pouvaient prendre naissance chez un<br />

enseignant. J’ai aussi cherché à comprendre<br />

comment les élèves pouvaient être soumis<br />

à des propagandes d’extrême droite et à la<br />

fameuse théorie du complot.<br />

les conditions dans lesquelles un enseignant<br />

travaille peuvent facilement le mettre en<br />

difficulté que ça soit pour des raisons d’effectif,<br />

d’élèves à besoin particuliers, de<br />

manque d’expérience, de formation... face<br />

à ces problèmes peu de solutions existent.<br />

les conseillers pédagogiques sont souvent<br />

surchargés de travail, les collègues (bien<br />

que solidaires la plupart du temps) n’empêchent<br />

pas ce sentiment de solitude que l’on<br />

peut éprouver face à la difficulté pédagogique<br />

devant un élève ou une classe, les formations<br />

sont, dans la majorité des cas, non adaptées<br />

aux besoins des enseignants (pas assez<br />

conséquentes et jamais poursuivies pour accompagner<br />

l’enseignant à les mettre en<br />

place en classe). ainsi, la souffrance engendrée<br />

par ces conditions n’est pas négligeable<br />

et offre une perméabilité à des propos qu’un<br />

enseignant n’aurait pas acceptés ou tenus<br />

dans un contexte différent. face à des problèmes<br />

de discipline, il peut être facile de<br />

verser dans une attitude où l’on perd son<br />

objectivité. il est tentant de se raccrocher à<br />

une posture coercitive quand une situation<br />

nous échappe, de se laisser aller aux vieilles<br />

méthodes : humiliations, châtiments corporels.<br />

« Pédagogie » où la sévérité voire l’autoritarisme<br />

permettaient d’assurer cette notion<br />

très aléatoire de « respect » du professeur<br />

au détriment d’une remise en question pédagogique.<br />

il est également aisé de faire<br />

l’amalgame entre peur et respect et d’oublier<br />

que le respect s’obtient d’abord (et surtout)<br />

par une crédibilité pédagogique. Jouer sur<br />

les souffrances des gens, sur leurs peurs<br />

pour les faire obéir ou pour détourner leur<br />

attention vers des solutions simplistes qui<br />

76 // N’Autre école - Q2c N° 5


La progression du FN, la banalisation de discours « décomplexés » et sécuritaires nous<br />

rappellent les dangers qui pèsent sur notre société. De fait, au fil des années, l'absence<br />

de réponse politique à « la Crise » a laissé le champ libre à des idéologies qui avancent<br />

masquées, notamment dans l'Éducation ! Ce premier stage intersyndical régional,<br />

articulant temps de formations et ateliers d’échanges, entend répondre à l'urgent besoin,<br />

pour les personnels de toutes les catégories de l'Éducation publique, de se former pour<br />

mieux connaître les vrais visages des extrêmes droites dont l'histoire, les discours et les<br />

programmes sont en tous points éloignés des valeurs que nous défendons !<br />

Inscrivons-nous nombreuses & nombreux !<br />

Intervenant-e-s et invité-e-s<br />

– Interventions des différents syndicats organisateurs<br />

– VISA (Vigilance initiatives syndicales antifascistes)<br />

– Questions de classe(s)<br />

- Éditions Libertalia<br />

- Éditions Syllepse<br />

Les ateliers du lundi<br />

Présence de l’extrême droite et riposte :<br />

L1. dans nos mairies, nos quartiers<br />

L2. dans nos écoles et établissements,<br />

dans nos classes<br />

L3. dans nos luttes syndicales<br />

OUVERT À TOUTES ET TOUS<br />

Possibilité de participer à une seule journée.<br />

Lieu précisé à l’inscription.<br />

et de Mantes-la-Ville)<br />

<br />

INSCRIPTION OBLIGATOIRE<br />

(nombre de places limité)<br />

ou sudeducation78@ouvaton.org<br />

Bourse du Travail<br />

de Saint Denis,<br />

9, rue Genin,<br />

Métro Porte<br />

de Paris<br />

Quand?<br />

Les 9 et 10 mai<br />

2016<br />

Les ateliers du mardi matin<br />

M1. Le complotisme<br />

M2. Contre-argumentaire face au déclinisme<br />

M3. Extrême droite et culture<br />

M4. Atelier libre.<br />

extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

auraient la prétention de résoudre leurs<br />

problèmes sont des méthodes largement<br />

employées par l’extrême droite. Cela a<br />

souvent comme effet de creuser des<br />

fossés entre les protagonistes d’un problème,<br />

distance qu’il est bien difficile<br />

de combler une fois établie. le fait<br />

même d’accepter ces pratiques comme<br />

relation entre une personne dominante<br />

(l’enseignant ou l’institution) et une personne<br />

dominée (l’élève) peut amener<br />

l’élève à croire que force et soumission<br />

sont des situations normales.<br />

Par ailleurs, une partie du stage a été<br />

consacrée à l’étude des théories du complot<br />

et à la façon dont les enseignants<br />

peuvent amener les élèves à remettre<br />

en question les « vérités démontrées »<br />

par l’extrême droite ou par des idéologues<br />

visant à les tromper, voire les fanatiser.<br />

Que faire avec nos élèves face à ce<br />

détournement de l’information? il faut,<br />

plutôt que de démonter les mécanismes<br />

thèses conspirationnistes, les amener à<br />

développer leur esprit critique et à faire<br />

la lumière sur ces théories. mener avec<br />

eux un travail minutieux de détective,<br />

de vérification, d’analyse, travail qui<br />

peut se faire en interdisciplinarité (étude<br />

du discours, histoire, falsification ou<br />

détournement de documents...).<br />

les idées d’extrême droite s’épanouissentt<br />

sur un terrain où le manque de<br />

connaissances et la souffrance personnelle<br />

sont importantes. il est possible de la<br />

refuser et d’apprendre aux élèves à s’en<br />

émanciper, à nous de jouer !<br />

Sylvain<br />

des initiatives...<br />

L’écoleréactionnaire:unenjeupour<br />

l’extrêmedroite : avril 2016, formation<br />

syndicale antifasciste, Nancy (sud, cNt, bAF).<br />

Extrême(s) droite(s)<br />

contre l’éducation<br />

Programme<br />

Lundi 9 mai<br />

Mardi 10 mai<br />

9h : Accueil des stagiaires 9h-10h30 : L’extrême droite et<br />

9h30-9h45 : Présentation du sa «galaxie», les mouvements<br />

stage<br />

d’extrême droite dans l’école<br />

9h45-11h : Histoire des 10h30-10h45 : Pause<br />

extrêmes droites contre 10h45 : Ateliers<br />

l’éducation<br />

12h30-14h : Pause déjeuner<br />

11h-12h30 : Ateliers<br />

14h-15h30 : Restitution des<br />

12h30-14h : Pause déjeuner ateliers et débat.<br />

14h-15h : Retour sur les ateliers 15h30-15h45 : Pause<br />

en plénière et débat.<br />

15h45-16h30 : Bilan du stage et<br />

15h-15h15 : Pause<br />

perspectives.<br />

15h15-17h00 : Pour construire<br />

une école de l’égalité.<br />

Intervenant-e-s et débat.<br />

Pour s’inscrireàcestage, envoyerunmailà:<br />

sudeducation75@wanadoo.fr<br />

Où?<br />

L’école,cible des droites extrêmes<br />

STAGE<br />

INTERSYNDICAL<br />

30&31 <br />

JANVIER<br />

Dans le Mantois<br />

Comprendre<br />

pour mieux<br />

combattre<br />

Le projet anti-social<br />

de l’extrême droite<br />

Vivre et enseigner<br />

sous une mairie FN<br />

(intervenant.e.s de Béziers<br />

L’éducation, obsession<br />

historique des extrêmes<br />

droites françaises<br />

Histoire, culture :<br />

les batailles idéologiques<br />

Sur le Web et à l’école<br />

connaître et déjouer<br />

le complotisme<br />

L’enseignement<br />

de la question du genre<br />

face à l’ordre moral<br />

Laïcité dévoyée<br />

vs laïcité apaisée...<br />

cgteducaction78@gmail.com<br />

ou fsu78@fsu.fr<br />

L’école est aujourd’hui la cible d’une offensive idéologique<br />

portée par les courants les plus réactionnaires.<br />

Intégristes religieux rêvant de rétablir leur ordre moral dans<br />

le sillage de la Manif pour tous ; idéologues identitaires aspirant<br />

à une école « de souche » ; nationaux-républicains<br />

partisans d’un retour autoritaire à l’école disciplinaire d’antan<br />

pour mieux « redresser les corps et les esprits » afin de<br />

« redresser la nation »...<br />

Derrière leur nostalgie de l’école d’hier, amplement fantasmée,<br />

s’avancent la haine de l’égalité et de la démocratie, une<br />

pédagogie du dressage, la mise au pas des personnels et<br />

le démantèlement du service public d’éducation.<br />

extrême(s)<br />

droite(s)contre<br />

l’éducation, mai<br />

2016 (intersyndicale<br />

Île-de-France<br />

cgt, cNt, cNtso,<br />

Fsu, sud)<br />

Visa et Q2c.<br />

L’école,cible<br />

desdroitesextrêmes,<br />

janvier<br />

2017, intersyndicale<br />

78 cgt, cNt,<br />

Fsu, sud) Visa et<br />

Q2c.<br />

qui en appellent<br />

d’autres !<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 77


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

Campagne libertaire<br />

unitaire antifasciste<br />

Par FrANcK ANtoINe, cNt éducAtIoN 34<br />

Plusieurs organisations anarchistes, libertaires ou anarcho-syndicalistes<br />

(Alternative libertaire, la Coordination des groupes anarchistes,<br />

la Confédération nationale du travail, la Fédération<br />

anarchiste et l’Organisation anarchiste) se sont réunies au sein<br />

d’une coordination libertaire antifasciste afin de tenir un discours<br />

libertaire sur cette question de la lutte idéologique contre l’extrême<br />

droite.<br />

Cela leur semblait important car<br />

pour lutter contre les idées rétrogrades,<br />

nous nous devons de porter<br />

un projet. le projet libertaire qui porte l’exigence<br />

du partage des richesses, de l’égalité<br />

économique et sociale, de la défense et du<br />

développement des libertés individuelles et<br />

collectives ainsi que la volonté d’une gestion<br />

directe de la société par toutes celles et ceux<br />

qui en font partie nous semble le plus à<br />

même de combattre les idées réactionnaires<br />

et de favoriser l’espoir en un autre futur.<br />

espoir qui semble bien peu présent aujourd’hui<br />

et sur l’absence duquel tous les<br />

renoncements se basent en favorisant le recours<br />

aux pires idées du 20° siècle.<br />

Cette coordination a déjà lancé deux campagnes<br />

en éditant des affiches, des autocollants<br />

et un 4 pages. dans celui-ci, elle rappelle la<br />

teneur raciste, sexiste, homophobe, violente<br />

et autoritaire des discours de l’ensemble de<br />

l’extrême droite. elle dénonce aussi son<br />

discours pseudo-social qui a pu tromper<br />

une partie des travailleurs et des travailleuses.<br />

elle appelle à l’auto-organisation contre les<br />

fascistes, mais aussi l’état et le capitalisme<br />

qui en sont un terreau fertile.<br />

la deuxième campagne s’est concentrée<br />

sur la question des migrant-e-s et a été l’occasion<br />

de la publication de plusieurs visuels<br />

que vous pouvez retrouver sur http://www.cntf.org/campagne-libertaire-antifasciste.html<br />

■<br />

78 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

Réactionnaires d’hier<br />

Par JeAN-louIs cordoNNIer, Questions de classe(s)<br />

La réaction est une force retardante quand nous envisageons le progrès<br />

social. les arguments en faveur d’une évolution de l’école vers plus<br />

de justice, plus d’ouverture, plus de « science avec conscience » ont<br />

rencontré tout au long du XX e siècle des réactions qui ressemblent<br />

beaucoup à celles d’aujourd’hui. Les querelles autour du rôle de l’école,<br />

de ses objectifs et de ses résultats pour les individus, pour la société,<br />

pour la nation jalonnent l’histoire.<br />

Deux ÉCoLeS<br />

Jusqu’en 1930, l’enseignement français est<br />

caractérisé par la juxtaposition presque<br />

étanche de deux parcours d’enseignement :<br />

le primaire et le secondaire.<br />

les possibilités de passage d’un système<br />

à l’autre sont extrêmement limitées. le système<br />

des bourses ne permet qu’à une infime<br />

minorité d’élèves du primaire d’accéder à<br />

l’enseignement secondaire et l’ignorance<br />

du latin est un obstacle, malgré une filière<br />

« moderne » créée en 1902 .<br />

C’est cet édifice ségrégatif que les réactionnaires<br />

vont chercher à préserver, même<br />

après que les arrêtés de Jean Zay, du 11<br />

avril 1938 aient prescrits des programmes<br />

identiques au premier cycle de l’enseignement<br />

secondaire et aux quatre années des ePS.<br />

Le ProJet D’ÉCoLe uniQue<br />

en 1918, les Compagnons de l’université<br />

nouvelle publient un plan de réforme démocratique<br />

de l’école : «l’école unique,<br />

c’est la suppression des barrières entre l’enseignement<br />

primaire et l’enseignement élémentaire<br />

des lycées.» (p.194). ils définissent<br />

un modèle de l’école et de l’orientation<br />

fondé sur le mérite individuel.<br />

leur projet reste un projet et en 1924, on<br />

s’écarte même d’un rapprochement des deux<br />

écoles : léon Bérard, ministre de l’instruction<br />

publique de 1921 à 1924 réinstaure l’obligation<br />

du latin dès la sixième, supprimant<br />

la filière secondaire « moderne » créé en<br />

1902. Cette réforme vaudra à Bérard le<br />

soutien de la droite nationaliste maurrassienne,<br />

mais fut presque aussitôt abolie par la victoire<br />

électorale du Cartel des gauches en 1924.<br />

Bien que progressivement l’idée de classes<br />

« modernes » progresse, elles restent dans<br />

l’idée de tous, hiérarchiquement inférieures.<br />

aveC ou SanS Latin<br />

la réforme de 1902 avait créé quatre sections :<br />

la section a gréco-latine, la section B latinlangues,<br />

C latin-sciences et d (scienceslangues).<br />

la section d – sans latin – de cet<br />

enseignement moderne.<br />

mais pendant un demi siècle, cette réforme<br />

fait controverse :<br />

m. léon Guillet, directeur des études techniques<br />

au ministère du commerce, professeur<br />

à l’École centrale et au Conservatoire des<br />

arts et métiers, faisait hier, sous les auspices<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 79


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

de « l’union française », une conférence<br />

sur l’enseignement technique supérieur. et,<br />

envisageant la formation d’un ingénieur, il<br />

commença par montrer l’importance des<br />

études secondaire et la nécessité de revenir<br />

aux humanités classiques, ou tout au moins<br />

aux humanités latines. de même, la semaine<br />

précédente, m. Kula, industriel, traitant de<br />

l’apprentissage nécessaire aux grands industriels,<br />

mettait à la base ces mêmes humanités,<br />

qui, disait-il développent les qualités<br />

indispensables « aux chefs ». Qu’est-ce à<br />

dire, sinon que ceux-là mêmes, ingénieurs,<br />

commerçants, producteurs, hommes d’affaires,<br />

aux désirs de qui les réformateurs de<br />

1902 se flattaient de satisfaire, condamnent<br />

cette réforme de l’enseignement secondaire,<br />

cette diminution des études classiques, cette<br />

opposition continue à nos traditions éducatives<br />

qui, grâce au grec et au latin, se fondent sur<br />

la civilisation méditerranéenne, ou plutôt la<br />

civilisation tout court2.<br />

en 1923, Édouard Herriot, radical s’oppose<br />

au parlement à la réforme prévue par le ministre<br />

léon Bérard<br />

(...) Qu’est-ce qu’une démocratie, selon<br />

nous ? Ce n’est pas le régime qui voudrait<br />

ramener par artifice tous les hommes au<br />

même niveau et au niveau le plus bas. une<br />

démocratie, c’est, ce doit être tout au moins,<br />

le régime qui permet à tous les hommes de<br />

s’élever dans la hiérarchie sociale jusqu’au<br />

degré où les conduiront leur mérite, leur<br />

effort et – je reprends un mot de montesquieu<br />

– leur vertu. (applaudissement à l’extrême<br />

gauche et à gauche.) (...) il y a plus. la<br />

grande idée, monsieur le ministre, sur laquelle<br />

nous divergeons est celle-ci : avec beaucoup<br />

d’éclat, d’autorité et un prestige auquel nous<br />

cédons tous, vous nous avez dit que, parmi<br />

les différents types d’enseignement secondaire,<br />

le meilleur et, au demeurant d’après<br />

votre décret, le seul désormais admis était<br />

celui qui se fonde sur les lettres anciennes.<br />

C’est là que nous commençons à nous séparer.<br />

la culture secondaire, la culture générale,<br />

ce n’est pas une affaire de programmes,<br />

c’est une affaire de méthode.<br />

(très bien ! très bien)<br />

on peut donner à un enfant une excellente<br />

culture secondaire avec des maîtres qui lui<br />

enseignent tout autre chose que le grec et le<br />

latin, de la même façon qu’on peut lui<br />

donner un enseignement secondaire déplorable<br />

avec des professeurs qui prétendent<br />

lui enseigner le latin et le grec. (...) le but<br />

de l’enseignement secondaire n’est pas de<br />

meubler, de remplir des esprits ; c’est de<br />

former des esprits, de préparer des intelligences<br />

et, j’ajoute, bien plus encore des jugements<br />

que des intelligences. (très bien !<br />

très bien!) (...) nous ne pouvons pas nous<br />

contenter éternellement dans ce pays de<br />

france de ne concevoir d’autre enseignement<br />

que celui qui fut établi suivant la formule<br />

des régents du quinzième ou du seizième<br />

siècle. (applaudissement sur divers bancs.)<br />

est-ce que par les sciences pures on ne<br />

pourrait pas arriver à la culture générale ?<br />

m. marc Sangnier vous l’a démontré avec<br />

éclat3.<br />

Georges leygues (ministre de l’intructon<br />

publique en 1902 et responsable de la<br />

réforme incriminée) ajoute4 :<br />

(...) m ; Hadamard, professeur au collège<br />

de france, écrit : « l’excellence du moderne<br />

a été démontrée en ce qui concerne la valeur<br />

de la section d, grâce au concours d’entrée<br />

aux grandes écoles. elle l’a été à l’école<br />

polytechnique et à l’école centrale. dans<br />

les deux cas, on a comparé, au point de vue<br />

de l’épreuve de composition française, la<br />

valeur des candidats, en distinguant entre<br />

eux, suivant qu’ils produisent des diplômes<br />

80 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

de bachelier avec lation ou des diplômes<br />

sans latin. « Ces comparaisons indépendantes<br />

ont donné des résultats remarquablement<br />

concordants sur tous les points ; ils ne montrent<br />

aucune supériorité des sections latines<br />

sur la section d »<br />

en 1930, Paul langevin, président du<br />

Groupe français d’éducation nouvelle devient<br />

également président des Compagnons. il<br />

se réalise alors une convergence entre des<br />

préoccupations pédagogiques et le projet<br />

d’une réforme démocratique de l’école.<br />

la majorité des professeurs de lycées<br />

refuse cette réforme : « ils ne veulent pas de<br />

la pédagogie, ils ne veulent pas de la psychologie<br />

; ils ne veulent pas des méthodes<br />

actives ; ils ne veulent pas de la formation<br />

des professeurs » « la fédération des professeurs<br />

de lycée, réunie en congrès en 1921,<br />

est plutôt favorable, sans le dire ouvertement,<br />

aux décrets Bérard. À une énorme majorité<br />

elle proscrit la culture sans latin.5 »<br />

guerrierS ou PaCiFiSteS<br />

la défaite de 1940 a été imputée aux enseignants,<br />

dont beaucoup étaient officiers<br />

ou sous-officiers de réserve.<br />

depuis plusieurs années, le maréchal Pétain<br />

martelait cette diffamation des instituteurs :<br />

en février 1934, il avait souhaité se voir attribuer<br />

le poste de ministre de l’Éducation<br />

nationale, pour « [s]’y occuper des instituteurs<br />

communistes » ! (…) la jeunesse et l’enfance<br />

ne sont pas éduqués en fonction de leur<br />

devoir. il faudrait de ce point de vue s’inspirer<br />

de ce qui se passe en allemagne et en italie».<br />

le 5 avril 1934, il s’adressait au ministre<br />

de l’Éducation nationale, Berthod, craignant<br />

une contamination du « corps des officiers<br />

de réserve dans lequel les instituteurs sont<br />

particulièrement nombreux. », « il est de<br />

nous rapprocher des parents<br />

« Pourquoi l’inégalité devant l’instruction,<br />

devant la culture, pourquoi cette<br />

inégalité sociale ; pourquoi cette<br />

iniquité ; pourquoi cette injustice ; pourquoi<br />

le haut enseignement à peu près<br />

fermé, pourquoi la haute culture à peu<br />

toute nécessité pour le pays, tant du point<br />

de vue de sa défense que de son redressement<br />

moral, que le corps enseignant s’emploie à<br />

former une jeunesse résolue, virile et bien<br />

préparée à l’accomplissement de son devoir<br />

militaire. »et dans un entretien publié dans<br />

le Journal 30 avril 1936 : « … tout ce qui<br />

est international est néfaste. tout ce qui est<br />

national est utile et fécond … on ne peut<br />

rien faire d’une nation qui manque d’âme.<br />

C’est à nos instituteurs, à nos professeurs<br />

de la forger … ».<br />

il s’en prend également au syndicat national<br />

des instituteurs (Sni). la loi du 15 novembre<br />

1940 relève de leurs fonctions ceux qui se<br />

sont livrés à des agitations politiques contraires<br />

aux intérêts de la france.<br />

un mouvement pacifiste s’était en effet<br />

développé à l’issue de la Première Guerre<br />

mondiale « il avait semblé alors que pour<br />

assurer au monde un avenir de paix, rien ne<br />

pouvait être plus efficace que de développer<br />

dans les jeunes générations le respect de la<br />

personne humaine par une éducation appropriée.<br />

».<br />

aujourd’hui, Éric Zemmour continue<br />

d’entretenir cette haine vis-à-vis des instituteurs<br />

: « l’idéologie de Vichy avait raison.<br />

de chercher et de désigner des responsables<br />

de la défaite de juin 1940. (...) Raison de remettre<br />

en cause le climat d’avant-guerre, et<br />

surtout ce pacifisme devenu obsessionnel<br />

depuis l’hécatombe de 1914, véhiculé par<br />

la littérature, le cinéma, et les instituteurs,<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 81


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

relayé par la plupart des politiques, de Briand<br />

à laval6.<br />

ÉLite et hiÉrarChie SoCiaLe<br />

les réactionnaires ne manquent pas d’arguments<br />

pour expliquer tout le bien fondé<br />

d’une école ségrégative ; ainsi on justifie la<br />

nécessité d’une élite et conjointement d’une<br />

non-élite :<br />

l’homme se produit sous le pavois de<br />

tous les grands mots. Croire qu’il est bon de<br />

répandre aveuglement l’instruction, c’est en<br />

méconnaître la puissance ; elle n’est pas<br />

une eau claire, ni un vin léger. C’est un<br />

terrible élixir, et il n’y a pas pour chacun de<br />

nous de démarche plus aventureuse, ni<br />

mieux faite pour rendre manifeste toutes les<br />

infirmités de notre constitution intellectuelle,<br />

que de nous porter vers les sommets du<br />

savoir et de vouloir penser à nous seuls.<br />

Comme l’infirmité des corps se fait voir<br />

quand ils soulèvent des poids, l’infirmité<br />

des esprits éclate quand ils soulèvent des<br />

pensées.<br />

mais tandis que notre pays est ainsi menacé,<br />

dans son bon sens et sa sagesse, par la<br />

contrefaçon frauduleuse d’instruction qu’on<br />

répand partout, la dureté du temps où nous<br />

sommes le menace au même moment d’un<br />

danger contraire, c’est que ceux qui sont<br />

vraiment faits pour l’instruction la plus haute<br />

soient empêchés par des conditions matérielles<br />

de la recevoir. ainsi, tandis que le peuple<br />

sera déformé par un faux enseignement,<br />

l’élite nécessaire à la nation risque de ne<br />

pas se former7.<br />

mais en 1933, abel Bonnard dans un<br />

article de la revue hebdomadaire du 7<br />

janvier 1933 annonçait clairement la finalité<br />

de cette élite :<br />

Cette virilité de l’esprit, sans laquelle on<br />

ne se place pas au-dessus de la moyenne, se<br />

marque par plus d’un trait ; elle seule donne<br />

à un homme le courage et l’audace d’aller<br />

jusqu’au bout des idées que l’étude de la<br />

réalité lui inspire. nous sommes entourés,<br />

au contraire d’une quantité d’honnêtes gens<br />

à qui les choses qui les entourent donnent<br />

mille commencements d’idées justes qu’ils<br />

n’ont pas le courage d’achever ; leur esprit<br />

reste à mi-chemin : ils ne tirent pas parti des<br />

constatations qu’ils ont faites ;ils n’osent<br />

jamais conclure : leur esprit est encombré<br />

d’une quantité de remarques justes dont ils<br />

ne font pas le total. (...) ils ne s’aperçoivent<br />

même pas que le fait caractéristique de<br />

notre époque, au contraire, c’est que cette<br />

démocratie est partout caduque, et qu’il<br />

s’agit précisément de savoir par quoi de<br />

plus noble on peut la remplacer. (...) Si vous<br />

êtes persuadé que la démocratie est une immense<br />

entreprise d’abaissement, si vous<br />

êtes convaincus qu’elle est l’ennemie de la<br />

noblesse et de la raison humaines, comme<br />

celle du bonheur des hommes, si vous croyez<br />

que les sociétés qu’elle pénètre tendent nécessairement<br />

vers le bas, il faut refaire et<br />

fixer les principes qui sont capables d’engendrer<br />

un ordre contraire.<br />

face à la nécessité de cette élite, il y a la<br />

nécessité que tous n’y concourent pas ;<br />

ainsi, l’écrivain René Benjamin, ami de<br />

Charles maurras et de léon daudet, et très<br />

favorable au maréchal Pétain :<br />

les familles qui sont en situation de faire<br />

de leurs enfants des hommes cultivés, doivent<br />

comprendre que le premier besoin d’une<br />

nation si abaissée, c’est de réformer une<br />

élite. et je dis tout de suite que le dernier<br />

des prolétaires, le plus démuni des illettrés<br />

doit entendre que c’est aussi son intérêt.<br />

Évidemment, rien ne l’y prédispose. on ne<br />

82 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

lui enseigne depuis longtemps que l’égalité,<br />

et il n’y a pas de mot qui ait plus contribué<br />

à épaissir les ténèbres de l’esprit public.<br />

C’est déjà une idée générale absurde de<br />

proclamer que tous les hommes peuvent<br />

accéder aux mêmes biens ; mais quand il<br />

s’agit des biens spirituels, quelle folie de ne<br />

pas voir que ceux qui en ont moins ont<br />

avantage à ce que d’autres en aient plus !...8<br />

mais tout autant, le philosophe catholique<br />

Gustave thibon, qui, lui, refusa de collaborer :<br />

il y a infiniment plus d’intelligence et de<br />

sagesse dans l’âme d’un vieux paysan, riche<br />

de ses traditions ancestrales et de son expérience<br />

personnelle, qui met tant d’esprit<br />

dans ses travaux matériels que dans tel intellectuel<br />

gonflé de science assimilée qui<br />

accomplit matériellement sa tâche spirituelle.9<br />

et<br />

au début du siècle dernier, dans nos villages<br />

provençaux non encore travaillés par la<br />

fièvre républicaine, une extrême familiarité<br />

régnait entre le seigneur du lieu et les<br />

paysans ; on jouait aux boules ensemble<br />

après les vêpres, les demoiselles nobles dansaient<br />

avec les jeunes gens du village, etc.<br />

de tels courant de sympathie effective<br />

n’étaient possibles que dans la mesure où<br />

chaque classe restait liée à sa position, en<br />

dehors de toute contestation et envie.<br />

Cet éloge des métiers humbles, des gens<br />

modestes est un des fonds de commerce<br />

des discours de Pétain et de sa Révolution<br />

nationale :<br />

Révélez-leur l’excellence, la dignité, la<br />

noblesse des humbles métiers montrez-leur<br />

que toute tâche est belle où une âme humaine<br />

se met tout entière enseignez-leur que les<br />

pays où il fait bon vivre sont ceux où<br />

personne ne vit isolé, montrez-leur que<br />

l’égoïsme, qui prétend faire le bonheur de<br />

nous rapprocher des parents<br />

« Les pLus éLoignés de L’écoLe »,<br />

c’est faire qu’eux s’éLoignent<br />

des marchands de haine.<br />

chacun, assure en réalité le malheur de tous,<br />

dites à ces enfants la vérité de la vie. en un<br />

mot, formez, pétrissez, préparez cette immense<br />

élite des âmes sans laquelle l’étroite<br />

élite des talents ne vous servirait de rien10.<br />

BaiSSe Du niveau<br />

les Compagnons de l’université nouvelle<br />

souhaitent maintenir le baccalauréat, dont<br />

ils disent :<br />

Cet examen est faible parce que les candidats<br />

s’y montrent en majorité d’une ignorance<br />

ingénue et qui semble croître tous les ans.<br />

(p236)<br />

le moindre paradoxe n’étant pas de voir<br />

léon Blum en 1933, contredire les radicaux<br />

et poursuivre ce cantique du niveau qui<br />

baisse :<br />

les réformateurs modernistes se sont appliqués<br />

à réintégrer dans l’enseignement secondaire<br />

la clientèle des inaptes que duruy<br />

avait dérivés dans le « spécial » (...) ,<br />

en 1902, à côté de la section a grécolatine,<br />

les sections B (latin-langues), C (latin-sciences),<br />

d (sciences-langues) offraient<br />

aux jeunes français aussi des programmes<br />

pour toutes les inaptitudes et pour tous les<br />

degrés de paresse. (...) les sections B et d,<br />

qui devaient renouveler l’expérience fâcheuse<br />

du moderne, étaient destinées à recueillir le<br />

déchet des autres. (...) la cohue des inaptes à<br />

l’enseignement secondaire put envahir le<br />

supérieur et les carrières libérales. (...)<br />

les réformateurs de 1925 [ont voulu]<br />

réunir dans les mêmes établissements et<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 83


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

dans les mêmes classes tous les petits<br />

français du même âge. Secondaire, primaire<br />

supérieur et technique fusionneraient dans<br />

l’enseignement du second degré. Jusqu’ici<br />

la formule ambitieuse : « tous les enfants<br />

égaux devant l’instruction » avait prévalu.<br />

mais, comme on finit par s’apercevoir qu’ils<br />

ne sont pas tous égaux devant les mathématiques<br />

ou les humanités, on s’achemine vers<br />

celle-ci, plus réalisable : « l’instruction<br />

égale devant tous les enfants. » il suffit, en<br />

effet, de l’abaisser au niveau des plus faibles<br />

pour obtenir l’égalité idéale. (...)<br />

ainsi, depuis quarante ans, d’abord pour<br />

maintenir dans les lycées les enfants de la<br />

bourgeoisie inaptes aux études secondaires,<br />

puis, sous prétexte d’y amener ceux des<br />

écoles primaires les plus intelligents, qui<br />

eussent été capables de s’élever à la vraie<br />

culture, on a rabaissé les études au niveau<br />

des plus médiocres. (...)<br />

Que les fonctions publiques et les professions<br />

libérales soient envahies par les médiocres<br />

de toutes les conditions qui, avant<br />

1902, n’y étaient pas admis, c’est déjà pour<br />

l’État un dommage sensible. mais le pis est<br />

que la suppression, dans les lycées et dans<br />

les facultés, de toutes les barrières opposées<br />

jadis à l’ambition des inaptes, a égaré des<br />

milliers de jeunes gens dans une voie des<br />

sans issue. Voici des chiffres inquiétants.<br />

en 1900-1901 on a délivré 5647 diplômes<br />

de bachelier, et 14376 en 1928-1929. (...)<br />

le salut est dans la déflation des diplômes<br />

par la régénération des études11.<br />

Sélection par l’argent<br />

les conservateurs voulaient préserver la<br />

sélection des élites par l’argent (et donc par<br />

la naissance) ; le quotidien la Croix de la<br />

Somme explique ainsi :<br />

Par le système des bourses, l’accès est<br />

ouvert à tout élève qui en est digne. mais<br />

les partisans de l’école unique ne veulent<br />

plus entendre parler des bourses. Plus d’aumône,<br />

dit m. Herriot, mais une assistance.<br />

les mots changent, mais le fait demeure.<br />

au lieu d’aider quelques-uns, il faut se<br />

charger de tous. et sur la voie de la gratuité,<br />

où s’arrêter ? la gratuité de l’externat<br />

entraîne celle de l’internat. puis subvention<br />

aux familles dont les enfants continueront<br />

leurs études après le temps de l’instruction<br />

obligatoire. Qui paiera tout cela ? on ne<br />

donne aux uns qu’en prenant aux autres, et<br />

cette prétendue réforme démocratique aura<br />

ce résultat inattendif de faire payer, par les<br />

contributions, même des petits, l’instruction<br />

des fils de famille.<br />

Cette question scolaire se double d’une<br />

question sociale. on peut craindre à bon<br />

droit que les défenseurs de l’école unique, à<br />

la recherche de ressources pour leurs diplômés,<br />

ne soient amenés à appliquer le socialisme<br />

intégral. au vrai, les deux notions<br />

s’appellent logiquement. le collectivisme<br />

est la socialisation des fortunes, l’école<br />

unique est celle des personnes12.<br />

la loi du 15 août 1941, le ministre Jérome<br />

Carcopino supprime la gratuité à partir de<br />

la troisième du lycée sous prétexte qu’elle<br />

favorise les populations urbaines au détriment<br />

des populations rurales. derrière ce souci<br />

de justice sociale, se cache en fait le désir<br />

de conserver au secondaire son caractère<br />

d’enseignement d’élite, de passerelle étroite<br />

vers le supérieur. (mais, par d’autres articles<br />

de la même loi, il intègre les ePS au second<br />

degré en les transformant en collèges modernes,<br />

ce qui a pour résultat paradoxal<br />

d’amener le secondaire à organiser l’accueil<br />

dans son second cycle des élèves formés<br />

auparavant par les ePS ; il limite l’exclusion<br />

des élites pauvres en créant un concours national<br />

des bourses.)<br />

84 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

Contradictions<br />

en 1935, temps fort des luttes sur la<br />

question scolaire, était fondée la revue Éducation,<br />

pôle de réflexion moderniste de l’enseignement<br />

privé centré sur la relation famille/école,<br />

qui attribue en octobre 1940<br />

« les causes premières de la défaite » à la<br />

« carence de l’éducation nationale française »<br />

et se met au service de l’entreprise vichyste<br />

de « réforme totale de l’éducation ».<br />

en décembre 1941, Jérôme Carcopino,<br />

secrétaire d’État à l’Éducation nationale y<br />

publie un « exposé des motifs de la loi du<br />

15 août 1941 ». dans le même numéro,<br />

Georges Bertier y fait l’éloge de la politique<br />

scolaire de Vichy et y condamne la sociologie<br />

de durkheim, responsable de la défaite :<br />

le règne de Guyau13-fouillée est fini et<br />

de la morale “sans obligation ni sanction”<br />

unie à l’“irréligion de l’avenir”. le règne de<br />

durckheim et de lévy-Bruhl est terminé.<br />

(...) Quand on recherche les origines de<br />

notre immense défaite, on ne peut pas ne<br />

pas se rappeler que beaucoup de nos jeunes<br />

soldats, formés par la morale sociologique<br />

et internationaliste, sont allés au danger et<br />

au risque de mort sans avoir au cœur ni le<br />

sentiment du devoir ni l’amour de la france<br />

qui seuls font les héros »<br />

il est intéressant de noter que bien que ministre<br />

de Vichy, Jérome Carcopino était fortement<br />

influencé par l’Éducation nouvelle<br />

de Georges Bertier. fondateur des éclaireurs<br />

de france, en 1921, et devenu directeur de<br />

l’école des Roches (dont Carcopino est un<br />

des administrateurs), Bertier fut vice-président<br />

du Gfen de 1932 à 1936. Son fils aîné<br />

épousa la fille aînée de Jérome Carcopino.<br />

Citation de Carcopino à retrouver<br />

le nationalisme contre l’internationalisme<br />

léon Bérard s’est opposé à l’espéranto<br />

parce qu’il le tenait pour un des outils de<br />

propagande de l’internationalisme et un<br />

risque pour le nationalisme :.<br />

Je crois aujourd’hui devoir appeler votre<br />

attention sur les dangers que l’enseignement<br />

de l’espéranto me parait présenter dans les<br />

circonstances que nous traversons. il serait<br />

fâcheux que l’éducation à base de culture<br />

latine que nous défendons puisse être amoindrie<br />

par le développement d’une langue artificielle<br />

qui séduit par sa facilité. le français<br />

sera toujours la langue de la civilisation et,<br />

en même temps, le meilleur moyen de divulguer<br />

une littérature incomparable et de<br />

servir à l’expansion de la pensée française.<br />

J’ajoute, au point de vue strictement universitaire,<br />

que le développement de l’espéranto<br />

nuit à l’enseignement des langues vivantes<br />

encore trop peu répandu et trop peu<br />

efficace.<br />

aussi bien, les dangers de l’espéranto<br />

semblent s’être accrus depuis ces derniers<br />

temps. des organisations internationales,<br />

qui ont leur siège à l’étranger, s’efforcent<br />

de développer les relations entre les groupes<br />

espérantistes des divers pays. d’après les<br />

documents que publient certains de ces organismes,<br />

le but de cette propagande ne<br />

serait pas tant de simplifier les relations linguistiques<br />

entre les peuples, que de supprimer,<br />

dans la formation de la pensée, chez l’enfant<br />

et chez l’homme, la raison d’être d’une<br />

culture nationale.<br />

Ces groupements visent surtout l’esprit<br />

latin et, en particulier, le génie français.<br />

Suivant l’expression même d’un espérantiste,<br />

il s’agit de créer la séparation de la langue<br />

et de la patrie. l’espéranto devient donc<br />

l’instrument d’action d’un internationalisme<br />

systématique, ennemi des langues nationales<br />

et de toutes les pensées originales qui expriment<br />

leur développement14.<br />

Sens de l’effort


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

Le retour de l’école<br />

des réac-publicains<br />

Septième titre (déjà !) de la collection « N’Autre École »<br />

aux éditions Libertalia, L’école des réac-publicains, la pédagogie<br />

noire du FN et des néo-conservateurs propose une exploration<br />

de l’histoire et de l’actualité de l’offensive réactionnaire contre<br />

l’école. Entretien avec son auteur, Grégory Chambat, par ailleurs<br />

membre du collectif Q2C.<br />

L’école des réacpublicains,<br />

la pédagogie noire<br />

du FN et des néoconservateurs<br />

grégory chambat,<br />

libertalia, coll. N’Autre<br />

école, 2016, 260 p.,<br />

10 €.<br />

Questions de classe(s) – À maintes reprises ton livre rappelle<br />

que l’École républicaine, loin du consensus, est en fait un<br />

champ de bataille idéologique. Peux-tu nous décrire les<br />

forces en présence et leurs objectifs ?<br />

grégory Chambat – Chacun peut constater que l’éducation<br />

est au cœur des débats, toujours présentée comme « une<br />

priorité » dans les programmes politiques, à droite comme à<br />

gauche. elle est l’objet, depuis une trentaine d’années,<br />

d’enjeux sociétaux et sert de laboratoire rhétorique à la révolution<br />

conservatrice. C’est autour de l’école, et avec une<br />

tonalité de plus en plus virulente, que sont réapparues les<br />

thématiques du retour à l’autorité, à la morale, à l’identité,<br />

etc. d’abord pensés dans le cadre de la reconquête idéologique<br />

de la nouvelle droite, ces discours et ces éléments de langage<br />

se sont diffusés au-delà des cercles radicaux. l’effondrement<br />

du niveau, le naufrage de l’école prélude à celui de la<br />

civilisation ou encore la mainmise des pédagogues et des sociologues<br />

« gauchistes » sur l’institution sont en passe de<br />

devenir des idées hégémoniques, c’est-à-dire d’apparaître<br />

comme des évidences qui n’ont dès lors plus à être dé -<br />

battues… Passée cette première phase de la bataille, l’étape<br />

suivante est de remettre au pas l’école de manière autoritaire,<br />

de « redresser les corps et les esprits pour redresser la<br />

nation » (fn) et en face, la riposte ne semble malheureusement<br />

pas à la hauteur de ces enjeux et de ces menaces.<br />

86 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

entre la contestation réactionnaire du système<br />

et la mainmise technocratique sur<br />

l’institution, un troisième camp peine à se<br />

mettre en place et surtout à prendre la<br />

mesure de ce qui se joue actuellement. l’objectif<br />

de ce petit livre sur les réac-publicains,<br />

c’est de servir d’outil militant à celles et<br />

ceux qui combattent l’institution en son sein<br />

sans se laisser séduire par les sirènes du<br />

« c’était mieux avant ». la lutte pour une<br />

autre école, qui devrait être portée par le<br />

mouvement social, syndical, associatif et<br />

pédagogique doit prendre la mesure des<br />

deux forces qui se dressent contre elle : la<br />

logique du libéralisme économique et la révolution<br />

conservatrice. deux visions de<br />

l’école beaucoup plus proches qu’elles ne<br />

veulent le faire croire et dont l’alliance est,<br />

à court terme, prévisible (que l’on pense au<br />

programme éducatif de fillon ou de macron).<br />

QdC – Ton livre a pour titre l’école des<br />

reac-publicains, la pédagogie noire du fn<br />

et des néo-conservateurs. Malgré ce soustitre<br />

peux-tu expliquer le terme que tu es un<br />

des premiers à avoir utilisé ? Qui désignet-il<br />

?<br />

G. C. – Ce néologisme met en lumière deux<br />

aspects de la révolution conservatrice. la<br />

première, c’est l’instrumentalisation de la<br />

notion de République dans une perspective<br />

nationaliste et identitaire, c’est-à-dire d’exclusion<br />

et de normalisation. on peut dater<br />

l’émergence de ce courant au milieu des<br />

années quatre-vingt et la question scolaire y<br />

occupe une place centrale.<br />

en 1984, Jean-Pierre Chevènement devient<br />

ministre de l’Éducation nationale et laurent<br />

fabius Premier ministre. C’est dans ce<br />

contexte du tournant de la rigueur et de ralliement<br />

à l’économie de marché, qu’une<br />

fraction du PS entend substituer la République<br />

La Lutte pour une autre écoLe,<br />

qui devrait être portée par<br />

Le mouvement sociaL, syndicaL,<br />

associatif et pédagogique doit<br />

prendre La mesure des deux forces<br />

qui se dressent contre eLLe :<br />

La Logique du LibéraLisme<br />

économique et La révoLution<br />

conservatrice.<br />

au projet socialiste. « l’objectif, déclare le<br />

nouveau ministre au micro de france inter<br />

le 24 septembre 1984, n’est pas le socialisme<br />

à court terme. C’est une République moderne.<br />

» dans un livre d’entretiens publié à<br />

la même époque, il y revient : « dès 1982,<br />

[j’ai eu conscience] que la construction<br />

d’une République est la perspective dans<br />

laquelle les socialistes devaient se lancer.<br />

[…] les conditions n’ont jamais été réunies<br />

pour mettre le socialisme à l’ordre du jour :<br />

le socialisme n’était pas à l’ordre du jour, il<br />

fallait d’abord construire un pays moderne. »<br />

une logique résumée par Blandine Barret-<br />

Kriegel dans le rapport que lui a commandé<br />

le président de la République en décembre<br />

1984 : « il faut civiliser le social et individualiser<br />

la citoyenneté. » C’est, pour reprendre<br />

l’expression de Bruno théret, « la<br />

consécration républicaine du néolibéralisme.<br />

» où la lutte contre les inégalités<br />

cède la place à l’exaltation des valeurs normatives<br />

: la loi, l’autorité, la hiérarchie et la<br />

liberté économique…<br />

ainsi, il n’est pas innocent que le terme<br />

« républicains » ait été choisi de préférence<br />

à celui de « démocrate » par ceux qui se<br />

sont opposés aux « pédagogues », avant de<br />

devenir le nom du parti de nicolas Sarkozy.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 87


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

le mot « réac-publicain » évoque donc ce<br />

courant mais j’ai voulu aussi rappeler qu’il<br />

existe d’une autre idée de la « République »<br />

comme celle, démocratique, sociale et universelle<br />

du mouvement ouvrier. ne pas leur<br />

abandonner l’usage du terme me paraissait<br />

une clarification mais aussi un aspect de la<br />

bataille « sémantique » en cours. Bruno<br />

Gollnisch le rappelle : « les batailles politiques<br />

sont des batailles sémantiques, celui<br />

qui impose à l’autre son vocabulaire lui impose<br />

ses valeurs, sa dialectique et l’amène<br />

sur son terrain à livrer un combat inégal. »<br />

le second élément, c’est la volonté de caractériser<br />

ce courant, sans craindre de le<br />

qualifier de réactionnaire. C’est un enjeu<br />

politique. Ce mot a une histoire et, contrairement<br />

aux pirouettes verbales d’un finkielkraut<br />

(« ne pas se laisser de dire que le<br />

terme de réactionnaire est totalement fictif »),<br />

il définit une pensée, une idéologie que l’on<br />

peut caractériser de manière objective.<br />

Pour qualifier cette pensée, je me suis appuyé<br />

sur les travaux de Jean-michel Barreau<br />

et sa définition : « Conservateur en colère,<br />

le réactionnaire veut maintenir l’ordre “naturel”<br />

des choses et se donne les moyens<br />

autoritaires de le faire. [il est aussi] assurément<br />

un réformateur, mais un réformateur qui réforme<br />

à reculons : en reculant dans l’histoire<br />

et en reculant dans le social, dans la justice<br />

et l’égalité. »<br />

C’est ce courant que j’ai voulu présenter,<br />

en retraçant son histoire, depuis la naissance<br />

de l’école de la iii e République jusqu’à nos<br />

jours, mais aussi en explorant ses obsessions<br />

(contre l’égalité, la démocratie, l’histoire<br />

critique, etc.) et en étudiant ses réseaux.<br />

QdC – Dans la deuxième partie, tu cites de<br />

nombreux textes qui montrent comment différents<br />

intellectuels faiseurs d’opinion classés<br />

(alors) à gauche ont abandonné la promotion<br />

d’une école égalitaire au profit d’un discours<br />

nostalgique pour une école de la transmission<br />

des valeurs ou de la sélection. Quand tu<br />

parles du renoncement de la gauche à<br />

l’école à quel contexte historique fais-tu référence<br />

?<br />

G. C. – il est frappant de constater comment<br />

les trois reniements de la gauche de gouvernement<br />

– ralliement à l’économie de marché,<br />

conversion au sécuritaire et abandon d’un<br />

projet démocratique et social égalitaire pour<br />

l’école – sont en réalité contemporains. Cela<br />

se joue au milieu des années quatre-vingt,<br />

comme je l’ai dit. l’école occupe une place<br />

centrale, parce qu’elle est un univers plus<br />

familier pour ces intellectuels que celui de<br />

l’économie… Ces évolutions ont été décryptées<br />

dans différents ouvrages : Lettre<br />

ouverte à ceux qui sont passés du Col Mao<br />

au Rotary (Guy Hocquenghem), Rappel à<br />

l’ordre, enquête sur les nouveaux réactionnaires<br />

(daniel lindenberg), La Haine de la<br />

démocratie (Jacques Rancière) mais aussi<br />

Les nouveaux Chiens de garde (Serge Halimi).<br />

À ma modeste et petite échelle, je<br />

m’inscris dans cette filiation en centrant<br />

mon propos sur les questions éducatives et<br />

en essayant de démontrer comment l’école<br />

a été un laboratoire de cette émergence du<br />

phénomène néo-conservateur en france.<br />

d’ailleurs, dès les années cinquante/60, on<br />

observe le même phénomène aux Étatsunis,<br />

patrie des « néo-cons ». ainsi, dans<br />

les écoles, des « citoyennes femmes au<br />

foyer » (« Citizen housewives ») se retrouvent<br />

pour analyser les manuels scolaires et<br />

s’assurer qu’ils ne contiennent pas d’analyses<br />

favorables à l’impôt sur le revenu, la loi sur<br />

la sécurité sociale, les nations unies, ou<br />

encore le philosophe John dewey (1859-<br />

1952), figure célèbre du pragmatisme amé-<br />

88 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

ricain. la nomination de Betsy devos au<br />

poste de ministre de l’Éducation par donald<br />

trump en est une remarquable illustration.<br />

QUANT AU SUPPOSÉ ANTI-LIBÉRA-<br />

LISME DE CETTE MOUVANCE, ON<br />

RAPPELERA LE TITRE DU LIVRE PU-<br />

BLIÉ EN 1985 PAR JEAN-PIERRE<br />

CHEVÈNEMENT «APPRENDRE POUR<br />

ENTREPRENDRE».<br />

QdC – Tu parles d’une alliance idéologique<br />

à la fin des années quatre-vingt-dix entre<br />

les réactionnaires et les libéraux pour critiquer<br />

l’école publique. Qu’ont ils en commun<br />

?<br />

G. C. – on pourrait croire, à première vue,<br />

que le « républicanisme » incarne une forme<br />

de résistance au néolibéralisme économique.<br />

Cependant, la convergence entre ces deux<br />

courants de pensée est avérée dès le début<br />

des années quatre-vingt. le Club de l’Horloge,<br />

partisan de l’union de toutes les droites<br />

autour d’un « national-libéralisme », publie<br />

un livre L’école en accusation, où l’on retrouve<br />

déjà tous les poncifs sur le déclin de<br />

l’école et de la civilisation.<br />

d’ailleurs, en mettant en page ma cartographie<br />

de la nébuleuse des réac-publicains,<br />

je suis parti de l’idée qu’il y avait d’un côté<br />

les intégristes et leurs écoles et de l’autre<br />

les partisans de l’ultralibéralisme scolaire<br />

(promoteur du Chèque éducation). en réalité,<br />

il s’agit d’une seule et même famille et j’ai<br />

compris qu’il fallait les inscrire dans le<br />

même courant. mais on peut aussi aller<br />

plus loin, et là c’est plus surprenant. on<br />

imagine la famille des néo-républicains plus<br />

axée sur la question laïque. or, j’ai découvert<br />

que natacha Polony avait présidé en 2010<br />

le prix de la fondation pour l’école (qui<br />

abrite les écoles de la fraternité Saint-Pie<br />

x) ou bien encore que Jean-Pierre Chevènement<br />

avait préfacé le « contre manuel<br />

d’histoire de france » de dimitri Casali<br />

édité par la fondation aristote et diffusé<br />

dans les écoles hors contrat… marc le<br />

Bris, ce pamphlétaire « antipédagogiste » à<br />

succès, ancien trotskiste, anime des conférences<br />

sur l’école pour des associations catholiques<br />

et dans des meetings des Républicains…<br />

Quant au supposé antilibéralisme de la<br />

mouvance « souverainiste », on rappellera<br />

le titre du livre publié en 1985 par Jean-<br />

Pierre Chevènement « apprendre pour entreprendre<br />

». on se souvient qu’il a imposé<br />

l’apprentissage de La Marseillaise à l’école<br />

mais on a oublié qu’il a rendu obligatoire<br />

les stages en entreprises…<br />

Chez certains des « antipédagogistes », il<br />

y a bien une volonté de « diaboliser » la pédagogie<br />

en en faisant l’allié de la privatisation<br />

de l’école. C’est la thèse de Jean-Pierre le<br />

Goff dans La Barbarie douce, la modernisation<br />

aveugle des entreprises et de l’école.<br />

Certes, les pédagogies alternatives (ou plus<br />

exactement « innovantes », ce qui n’est pas<br />

la même chose) sont et ont été instrumentalisées<br />

(l’école des Roches fondée en 1899,<br />

la Chambre de commerce de Paris ouvrant<br />

une section de formation au management<br />

se revendiquant de la pédagogie freinet !),<br />

mais la pensée néolibérale s’accomode tout<br />

autant d’une pédagogie autoritaire et traditionaliste<br />

(comme en témoigne le soutien<br />

d’emmanuel macron aux écoles espérance<br />

Banlieues). mais « l’antipédagogisme »<br />

n’est pas un antilibéralisme, et n’oublions<br />

pas que c’est l’alliance avec les forces les<br />

plus conservatrices de la société qui a permis<br />

l’arrivée au pouvoir de Reagan, de thatcher<br />

ou encore de Pinochet… l’épisode de la<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 89


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

manif pour tous, ce mai 1968 conservateur,<br />

est à cet égard des plus inquiétants. d’autant<br />

que ce mouvement s’intéresse de près à<br />

l’école à travers la dénonciation des études<br />

de genre ou la création d’écoles privées<br />

hors contrat.<br />

il y aurait toute une analyse à faire de cette<br />

confusion des combats, peut-être dans un<br />

prochain numéro de la revue… il faudrait y<br />

questionner une lecture trop superficielle<br />

du Nouvel Esprit du capitalisme de luc<br />

Boltanski et Ève Chiapello mais aussi une<br />

complaisance avec le concept de « libérallibertaire<br />

» récupéré par les officines d’extrême<br />

droite (voir la fiche Wikipédia de ce<br />

concept).<br />

QdC – Tes contradicteurs te reprochent de<br />

pratiquer l’amalgame : tu confondrais dans<br />

un même mouvement néo-réactionnaire différentes<br />

positions politiques sur l’école apparemment<br />

contradictoires.<br />

G. C. – le reproche « d’amalgame » a en<br />

effet très souvent été brandi après la sortie<br />

du livre ou la diffusion de la cartographie.<br />

et de façon assez étrange d’abord par des<br />

gens que je ne visais pas forcément ou<br />

qu’en tout cas, je ne considérais pas comme<br />

réactionnaires… mais qui, eux, semblent<br />

s’être reconnus !<br />

on peut résumer en quelques traits ce qui<br />

caractérise la mouvance réac-publicaine :<br />

une certaine délectation à entonner le couplet<br />

de la décadence de l’école qui irait en s’accélérant<br />

du fait d’un « complot pédagogiste,<br />

sociologiste, et démocratiste ». en dé<strong>coul</strong>ent<br />

un appel à un redressement autoritaire de<br />

l’institution et un recentrage réducteur en<br />

termes de savoirs (les fondamentaux) entérinant<br />

les inégalités sociales (ou de sexes)<br />

que l’école n’aurait pas (ou plus) à combattre.<br />

de toute façon aucune formule de prudence<br />

n’y changera quelque chose. Je prends soin<br />

de dire, de préciser, que toutes les personnes<br />

ou réseaux que je présente ne sont pas<br />

fascistes ou au fn, cela n’a pas d’impact<br />

parce que justement, un des éléments clés<br />

de la rhétorique réactionnaire c’est de nier<br />

la réalité de cette catégorisation politique<br />

pour n’en retenir que l’aspect « insulte ».<br />

Cela ne veut pas dire que je ne prends pas<br />

au sérieux cette idée d’amalgame. il m’est<br />

plusieurs fois arrivé de reconsidérer telle ou<br />

telle personnalité ou association, au cours<br />

de l’écriture du livre ou de la réalisation de<br />

la carto. mais il reste une question importante.<br />

assurément, l’extrême droite est antipédagogiste,<br />

mais les antipédagogistes ne sont<br />

pas systématiquement d’extrême droite (je<br />

renvoie à l’excellent article de luc Cédelle<br />

« les 10 “avantages” de l’antipédagogisme »,<br />

sur son blog). Ce que je veux interroger,<br />

c’est la continuité entre un projet éducatif,<br />

pédagogique et le projet social qui le soustend<br />

: peut-on apprendre la liberté par l’obéissance,<br />

la démocratie par la soumission,<br />

l’égalité par l’exclusion, la coopération par<br />

la compétition ?<br />

C’est donc quand il s’agit de présenter la<br />

3 e « famille » de la nébuleuse, les « nationaux-républicains<br />

», que la polémique est<br />

la plus vive. d’abord parce qu’on y retrouve<br />

des gens qui ont autrefois été à gauche, et<br />

même souvent très à gauche et que la mise<br />

à jour du logiciel n’est pas la même pour<br />

tous les lecteurs qui ne sont pas au fait des<br />

évolutions politiques des uns et des autres<br />

(voir par exemple l’article consacré au parcours<br />

politique de Jacques Julliard dans Le<br />

Monde diplomatique de février 2017). il<br />

faut alors montrer comment le discours sur<br />

l’école a inspiré la révolution conservatrice<br />

en partant de cette année charnière que fut<br />

90 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

nous rapprocher des parents<br />

« Les pLus éLoignés de L’écoLe »,<br />

c’est faire qu’eux s’éLoignent<br />

des marchands de haine.<br />

1984.<br />

Certains arguments permettent de mettre<br />

en lumière ces enjeux. ainsi, en 2006, le<br />

discours présidentiel de le Pen sur l’école<br />

(à dijon) s’ouvre par la lecture de 37 titres<br />

d’ouvrages sur le déclin scolaire : « Si je<br />

devais dresser l’état de cette institution en<br />

quelques mots, il me suffirait de citer les<br />

titres des livres qui lui ont été consacrés<br />

depuis trente ans. » il conclut cette longue<br />

liste en s’exclamant : « oh, bien sûr, mesdames<br />

et messieurs, vous n’aviez pas besoin<br />

de la lecture de tous ces titres de livres pour<br />

savoir que l’école est un champ de ruine !<br />

en revanche, le processus de décomposition<br />

intellectuel et moral de l’école depuis 35<br />

ans est moins connu, même s’il n’est qu’un<br />

reflet de la décadence de la société toute entière.<br />

au grand dam d’une écrasante majorité<br />

de professeurs et d’enseignants, l’école a<br />

été détruite par les coups de boutoirs conjugués<br />

des idées de 68, de la nomenklatura de<br />

l’Éducation nationale et des politiciens qui<br />

se sont succédés au pouvoir depuis 25 ans.<br />

après mai 68 en effet, l’ensemble des autorités<br />

familiales, scolaires, religieuses, militaires<br />

et politiques ont été contestées. »<br />

pour en arriver à cette conclusion du leader<br />

d’extrême droite « bien sûr… ».<br />

tous ces ouvrages sur le déclin de l’école<br />

ne font pas le jeu du fn, ils parlent à sa<br />

place !<br />

d’un côté, on a des figures comme celle<br />

de Jean-Paul Brighelli, dont le glissement à<br />

droite de la droite est avéré et revendiqué,<br />

cela gêne ses admirateurs d’ailleurs. et il y<br />

en a d’autres qui probablement sont des adversaires<br />

farouches du fn (Philippe Val,<br />

par exemple).<br />

mais c’est sur les ruines des idéaux émancipateurs,<br />

qu’émerge ce pôle « national-républicain<br />

» appelant à la « restauration »<br />

des valeurs de la République. l’incontournable<br />

« crise de l’école » devient l’otage<br />

d’une offensive intellectuelle et médiatique<br />

visant à faire voler en éclat le clivage gauche<br />

/ droite à travers le procès de la modernité,<br />

de la démocratisation scolaire et de la<br />

« pensée 68 ».<br />

QdC – Peux tu expliquer pourquoi d’après<br />

toi l’entrisme de certaines associations catholiques<br />

intégristes dans l’école, les actions<br />

de bouche-à-oreille contre des enseignants<br />

suspects d’immoralisme orchestrées par<br />

Belghoul et la fermeture de cantine scolaire<br />

par des mairies du FN relèvent d’une même<br />

logique ? Quelles sont les passerelles idéologiques<br />

et politiques entre les réac publicains,<br />

les néoconservateurs et l’extrême droite ?<br />

G. C. – en ce qui concerne ces passerelles<br />

je renvoie à la cartographie et j’en profite<br />

pour quelques compléments / réponses à<br />

certaines interprétations mal-intentionnées<br />

qui en ont été faites.<br />

la réalisation de ce schéma a été longue.<br />

la centralité du fn, que j’essaye de justifier<br />

dans le texte d’accompagnement, s’explique<br />

pour trois raisons : sa « centralité » dans le<br />

jeu politique actuel, le fait que ce parti soit,<br />

depuis sa création, une « synthèse » des différents<br />

courants nationalistes et, enfin, le<br />

rôle que joue la question scolaire, dans son<br />

programme, fidèle en cela à la tradition historique<br />

de l’extrême droite.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 91


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

la carte est construite sur des axes : en<br />

haut, celles et ceux qui font de la religion<br />

un pivot (fondation pour l’école, manif<br />

pour tous, droite catholique, etc.) en bas,<br />

celles et ceux qui, au contraire mettent en<br />

avant la laïcité (Chevènementistes mais<br />

aussi, à leur manière, identitaires, soraliens,<br />

ou certains idéologues). Cela permet déjà<br />

de voir comment le fn est à la croisée de<br />

ces chemins.<br />

l’autre axe, toujours autour du fn, est<br />

entre ceux qui le dépassent sur sa droite (intégristes<br />

et identitaires) et ceux qui, au nom<br />

de certaines valeurs, le condamne pour son<br />

extrémisme mais n’hésitent pas à reprendre<br />

certains points de son programme, à imaginer<br />

une alliance possible (par exemple le mouvement<br />

de nicolas dupont-aignan, debout<br />

la france) ou bien font l’objet d’une opération<br />

de séduction de la part du fn (les syndicats<br />

Snalc et fo, les figures de « l’antipédagogisme<br />

»).<br />

Pour résumer, à travers ces 3 familles, il<br />

s’agit de souligner les continuités et les oppositions<br />

à l’œuvre au sein de cette nébuleuse<br />

et non pas de mettre tout le monde dans le<br />

même « sac ». Certains veulent détruire<br />

l’école publique et instaurer un marché scolaire<br />

où chaque communauté aura sa propre<br />

école, d’autres veulent au contraire une<br />

école de la République forte, centralisée,<br />

pour mieux imposer par en haut, une fois le<br />

pouvoir conquis, leur idéologie et faire de<br />

l’éducation un instrument de contrôle social<br />

et politique.<br />

QdC – Les néoconservateurs et les réac publicains<br />

expliquent « l’échec de l’école publique<br />

française » comme une des conséquences<br />

de la mondialisation et du choc civilisationnel<br />

qu’elle provoque. En quoi ce<br />

concept polémique est il un double piège<br />

tant du point de vue de l’analyse que de ses<br />

conclusions ?<br />

G. C. – Sur ce point, comme sur d’autres,<br />

on voit comment la question scolaire est<br />

instrumentalisée dans un double mouvement :<br />

elle permet d’impulser un certain nombre<br />

de thèmes et d’éléments de langage qui<br />

sont ensuite entendus à l’ensemble de la société<br />

(je pense à l’amour de la patrie que<br />

l’école aurait cessé de transmettre) et, second<br />

aspect, elle « absorbe » des enjeux qui lui<br />

sont extérieurs et sur lesquels elle est sommée<br />

de réagir (on songe aux injonctions après<br />

les attentats et à la commission d’enquête<br />

du Sénat).<br />

Sur les « théories » d’Huntington, qui ont<br />

contribué à la néo-conservatisation de plusieurs<br />

de nos intellectuels (Bruckner, onfray,<br />

Julliard, etc.) elles ont leur déclinaison<br />

scolaire et pédagogique. Je pense à la fois à<br />

la conclusion de la pétition de Marianne<br />

contre la réforme du collège (« C’est un<br />

combat contre toutes les formes de barbarie.<br />

il faut arrêter le gâchis pendant qu’il en est<br />

encore temps, pendant qu’il reste encore<br />

dans ce pays un amour commun pour la<br />

transmission et l’instruction. Qui ne voit<br />

pas ici que l’enjeu n’est pas politique : c’est<br />

un enjeu de civilisation ! ») mais aussi aux<br />

déclarations de Pascal Bruckner sur les<br />

projets de programmes d’histoire (« on peut<br />

également s’étonner du choix de privilégier<br />

l’enseignement de l’islam par rapport à<br />

celui des lumières ou du christianisme médiéval.<br />

À mon sens il ne s’agit pas d’un<br />

choix arbitraire, mais idéologique. il y a<br />

sans doute ici […] un souci de plaire aux<br />

nouveaux arrivants en supprimant tout ce<br />

qui peut les heurter. […] on prive les<br />

français de leur histoire. »).<br />

le mot barbare est récurrent dans la rhétorique<br />

réac-publicaine, dans les titres des ouvrages<br />

92 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

(et l’on peut penser que le « mammouth »<br />

relève d’un certain point de vue un peu<br />

aussi de ce champ lexical).<br />

le « Grand remplacement » est aussi de la<br />

partie. Selon Renaud Camus, l’inventeur<br />

du concept, les deux vecteurs sont les médias<br />

et l’école. Jean-yves le Gallou a signé une<br />

préface « l’école, instrument du grand remplacement<br />

». Certains caressent en effet le<br />

rêve d’une école « de souche ». Pour Gilbert<br />

Collard : « on va apprendre l’arabe à l’école ;<br />

on ferait mieux d’apprendre le français ! »<br />

mais tout n’est pas figé, certains, y compris<br />

au sein des « antipédagogistes », se sont<br />

alarmés de certaines dérives, ainsi danièle<br />

Sallenave à propos de la mobilisation contre<br />

la réforme du collège : elle se déclarait « effarée<br />

par le tour que prend la critique de la<br />

réforme. l’accuser de préparer une invasion<br />

de l’islam par l’effacement de nos racines<br />

européennes et nationales, en faire un nouveau<br />

‟munich de l’esprit”, et le prodrome d’une<br />

‟soumission” à ‟l’islamo-fascisme”, c’est<br />

du délire. et un délire dangereux. »<br />

QdC – Tu parles des attentes clientélistes<br />

d’une partie des parents d’élèves et de l’aggravation<br />

des conditions de travail des enseignants<br />

mais tu n’abordes que très rapidement<br />

le contexte économique dégradé de<br />

ces vingt dernières années. Ne peut-il pas<br />

expliquer en grande part, la perte de<br />

confiance dans les institutions et notamment<br />

dans l’école ? Cette moindre confiance du<br />

peuple de gauche qui croyait aux promesses<br />

de la social-démocratie ne participent-elles<br />

pas cette désillusion propice au discours<br />

neoconservateur ?<br />

G. C. – Publié dans une collection « de<br />

poche », l’ouvrage est d’abord limité dans<br />

sa pagination ! Ce que tu dis est très vrai, et<br />

c’est un implicite de mon discours. l’épisode<br />

nous rapprocher des parents<br />

« Les pLus éLoignés de L’écoLe »,<br />

c’est faire qu’eux s’éLoignent<br />

des marchands de haine.<br />

des Journées de retrait de l’école illustre<br />

cette défiance des parents et la façon dont,<br />

dans une logique complotiste, elle peut être<br />

instrumentalisée par les démagogues. dans<br />

un excellent petit article louis maurin y revient<br />

d’ailleurs : « le système français n’est<br />

pas le pire au monde, il est hypocrite. Ce<br />

qui fâche, ce n’est pas ce qu’il est, mais<br />

l’écart entre un discours sur l’égalité scolaire<br />

et la réalité vécue par les « non-initiés » des<br />

milieux populaires. leur rejet par le système<br />

est d’une rare violence et nourrit les tensions<br />

sociales. C’est l’un des piliers oubliés de la<br />

montée de l’extrême droite. » (« non, l’école<br />

n’augmente pas les inégalités », alternatives<br />

économiques, janvier 2017).<br />

dans mon ouvrage, je me suis plus intéressé<br />

aux « idées » et même, en réalité, au « discours<br />

», à la bataille culturelle et sémantique<br />

(il y a très peu de chiffres ou de statistiques<br />

dans mon ouvrage).<br />

Ce courant réactionnaire, bien qu’inspiré<br />

d’une idéologie, ne se développe pas sur<br />

rien. Certes, il bénéficie des médias et de<br />

l’air du temps ; mais aussi de l’absence<br />

d’un contre-projet pour l’école qui passe<br />

par une redéfinition de ses finalités comme<br />

de son fonctionnement. l’enjeu, c’est celui<br />

d’une école de l’égalité, pour toutes et tous.<br />

d’ailleurs, les parents ne sont plus les seules<br />

cibles, les collègues sont aussi dans le collimateurs<br />

: on a vu une délégation du Collectif<br />

Racine venir témoigner de son soutien après<br />

une agression dans un collège parisien (ils<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 93


SuPPLÉment numÉriQue extrêmes droites contre éducation<br />

se sont fait virer de la salle des profs) ou encore<br />

le lobby ultralibéral SoS éducation<br />

mettre en place sur son site une page de<br />

conseils pour « tenir sa classe » et me ner<br />

une campagne contre les violences subies<br />

par les enseignants…<br />

QdC – Âpres les attentats assistons-nous à<br />

une victoire totale du camp déclaré de la<br />

souveraineté et de l’ordre ?<br />

G. C. – Je pense qu’effectivement nous<br />

avons déjà perdu une première bataille, probablement<br />

parce que nous ne l’avons même<br />

pas menée… entre 1978 et 2017, j’ai recensé<br />

plus de 100 titres sur le « déclin » de<br />

l’école… en face, seule une toute petite<br />

poignée d’ouvrages a cherché à analyser et<br />

dénoncer la montée du discours réactionnaire.<br />

Cette défaite est aussi celle de l’institution<br />

qui résiste de moins en moins aux injonctions<br />

conservatrices comme on l’a vu ces derniers<br />

temps sous l’état d’urgence… une bataille<br />

idéologique en passe d’être remportée : salut<br />

au drapeau, marseillaise, roman national,<br />

etc. C’est un double piège : d’abord parce<br />

que ces mesures simplistes ne règlent en<br />

rien la situation dans les établissements,<br />

mais c’est aussi une orientation dangereuse<br />

dans le contexte de la montée des nationalismes.<br />

Reste, pour ne pas finir sur une note pessimiste,<br />

qu’il y a aussi des raisons d’espérer.<br />

l’école est aussi un lieu de résistance : les<br />

mobilisations de Resf autour des élèves<br />

sans-papiers et de leur famille, les soutiens<br />

aux familles sans logement, à lyon par<br />

exemple, mais aussi des prises de conscience<br />

de l’influence grandissante des discours extrémistes<br />

à travers l’organisation de stages<br />

intersyndicaux comme à Saint-denis, nancy,<br />

mantes, etc.<br />

QdC – Dans ta troisième partie intitulée<br />

contre-feu tu recenses les moyens d’action<br />

et de résistance contre le discours des neo<br />

conservateurs et l’action de l’extrême droite.<br />

Tu cites souvent des pratiques pédagogiques<br />

à visé sociale et émancipatrice mais tu<br />

parles peu de la capacité de mobilisation et<br />

d’action du syndicalisme. S’agit-il d’un<br />

constat de défiance vis-à-vis des syndicats<br />

représentatifs et majoritaires et de la portée<br />

de leur action ?<br />

Ou est-ce un effet de l’intériorisation du<br />

procès en illégitimité que mènent, au nom<br />

de la république, depuis des siècles, les<br />

conservateurs et les néo contre ceux qui se<br />

reconnaissent dans la révolution et ses<br />

idéaux ?<br />

G. C. – du côté des réactionnaires il y a<br />

deux postures. la haine historique du syndicalisme,<br />

que l’on retrouve chez SoS éducation<br />

ou dans les propos de marion maréchal<br />

le Pen, Collard ou ménard. en revanche,<br />

dans le sillage de floriant Phlippot, les<br />

choses sont un peu plus subtiles. le Collectif<br />

Racine répète inlassablement qu’il n’est<br />

pas un syndicat et qu’il n’entend pas se<br />

substituer aux organisations existantes. en<br />

décembre 2014 il a très habillement appelé<br />

à voter aux élections professionnelles pour<br />

le Snalc et fo (« syndicats dont l’indépendance<br />

politique, l’attachement à la République<br />

et l’engagement pour la défense du Service<br />

public ne sont plus à démontrer ») – où ont<br />

été formés plusieurs de membres du collectif.<br />

Ce sont justement des organisations qui ont<br />

fait de « l’antipédagogisme » leur fond de<br />

commerce...<br />

en ce qui concerne les autres syndicats, on<br />

peut regretter leur timidité sur le pour<br />

syndicat, comme SoS éducation.<br />

tu fais bien de pointer cette question syn-<br />

94 // N’Autre école - Q2c N° 5


extrêmes droites contre éducation SuPPLÉment numÉriQue<br />

dicale qu’on ne peut aborder d’un bloc.<br />

une partie, non de smoindres, du syndicalisme<br />

a fait de l’antipédagisme sont fond de<br />

commer. Habillement le collectif Racine l’a<br />

souligné, comme Brighelli et Polony. avec<br />

succès pour le premier…<br />

le positionneemnt réformiste est une impasse,<br />

un piège dans le débat, loi travail…<br />

enfin, syndicalisme d’opposition et de<br />

lutte vigilance pas que morale réforme<br />

collège exemplaire<br />

2 camps ceux qui veulent changer l’école,<br />

syndicalistes par ex se saisir de la pédagogie<br />

et de l’interpro.<br />

pas changer l’école en cassant le social<br />

nous rapprocher des parents<br />

« Les pLus éLoignés de L’écoLe »,<br />

c’est faire qu’eux s’éLoignent<br />

des marchands de haine.<br />

QdC – A qui adresses tu ton livre ? Tu racontes<br />

en introduction ce qui a motivé l’écriture<br />

de ton essai. Au delà de l’inquiétude<br />

que suscite la réussite electorale du FN<br />

quelle reaction aimerais tu susciter chez le<br />

lecteur ou la lectrice ?<br />

G. C. – Comme je le dis souvent au début<br />

de mes inerventions, c’est d’abord un livre<br />

militant et qui se revendique comme tel.<br />

Pas un essai d’observateur. doter mouvement<br />

d’outils pour décrypter et engager frontalement<br />

la bataille des idées, des pratiques.<br />

ouvrir aussi les yeux, pas anodin.Combat<br />

cntre extrême droite passe aussi par l’école,<br />

nos pratiques, etc. familles aussi citation<br />

JP.<br />

Propos recueillis par Éric Zafon pour Questions<br />

de classe(s).<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 95


# ouvertures(s)<br />

L’autre école belge<br />

Depuis plus de trente-cinq ans, Le Grain, atelier de pédagogie<br />

sociale, tente de relever « le défi pédagogique » d’une émancipation<br />

par l’action sociale et l’éducation.<br />

À l’occasion de la sortie d’un ouvrage bilan , nous avons rencontré<br />

Francis Tilman, animateur au Grain, pour qu’il nous présente ce<br />

mouvement et ses combats.<br />

QueStionS de ClaSSe(S) – Pouvez-vous présenter<br />

en quelques mots Le Grain, mouvement<br />

belge qui a placé l’égalité sociale et l’émancipation<br />

au cœur de ses engagements ?<br />

fRanCiS tilman – C’est une association<br />

d’éducation permanente, fondée en 1975, qui<br />

poursuit l’émancipation des milieux populaires<br />

par la voie de l’éducation, dans le monde<br />

scolaire et dans celui de l’éducation permanente.<br />

Pour lui, les pédagogies « sociales », tel le<br />

projet, qui visent à outiller les sujets pour les<br />

rendre plus autonomes, sont transversales aux<br />

deux univers. le Grain a donc cherché à<br />

créer des ponts entre ces secteurs autour de<br />

ces démarches. le Grain œuvre à la construction<br />

d’une pédagogie émancipatrice de deux<br />

façons : par l’engagement professionnel de<br />

ses membres et par une réflexion d’équipe et<br />

la diffusion du résultat de ses recherches<br />

auprès de ces praticiens.<br />

QdC – Quelles sont vos formes d’intervention<br />

dans et autour de l’école ?<br />

f. t. – nous promouvons nos productions<br />

(grilles de lecture, outils méthodologiques,<br />

propositions d’action) de plusieurs façons :<br />

la première est la pratique de démarches et<br />

d’expérimentation sur notre terrain professionnel.<br />

la seconde passe par des publications : articles,<br />

études, livres, dossiers, ou des exposés débats<br />

dans des journées pédagogiques, par exemple…<br />

la troisième prend la forme de tables rondes,<br />

de journées d’étude, où des praticiens et des<br />

chercheurs se rencontrent et échangent.<br />

la quatrième, ce sont nos interventions. elles<br />

prennent la forme, soit de recherche-action<br />

(coproduction de savoirs nouveaux prenant<br />

appui directement sur l’expérience des praticiens),<br />

soit de formation-recherche, en aidant<br />

un groupe à formaliser une problématique<br />

pédagogique mise à l’essai par lui ou en<br />

96 // N’Autre école - Q2c N° 5


Au-delà des frontières /ouverture(S)/<br />

faisant découvrir une pédagogie et ses différentes<br />

dimensions, sur base d’exemples connus<br />

des praticiens ou apportés par l’intervenant,<br />

ou en permettant de s’approprier une pédagogie,<br />

comme celle du projet par exemple, dans une<br />

formation qui dure plusieurs jours où elle est<br />

pratiquée par les participants.<br />

QdC – Il n’existe (hélas !) pas d’équivalent<br />

en France de votre mouvement. En quoi la<br />

situation scolaire et éducative en Belgique<br />

peut-elle expliquer cette spécificité et cette<br />

volonté de relier le social et le pédagogique ?<br />

f. t. – l’associatif ainsi que le non-marchand,<br />

en Belgique, et spécialement en Belgique<br />

francophone, sont très développés et disposent<br />

de statuts qui leur permettent une certaine indépendance<br />

d’action et une stabilité institutionnelle<br />

minimale.<br />

Par ailleurs, l’enseignement belge est marqué<br />

par l’existence de plusieurs « réseaux » caractérisés<br />

par une « liberté pédagogique » de<br />

principe. (l’enseignement libre confessionnel,<br />

l’équivalent de l’enseignement privé en france,<br />

scolarise plus de la moitié des jeunes dans<br />

l’enseignement secondaire.) le système est<br />

donc moins centralisé, ce qui n’a pas que des<br />

avantages. ainsi notre enseignement est considéré<br />

comme un « quasi marché », chaque<br />

établissement cherchant à présenter une offre<br />

de formation et une spécificité s’adressant à<br />

un groupe social-cible. la ségrégation scolaire<br />

est ainsi favorisée par les « lois du marché ».<br />

Pour peu qu’on prenne du recul dans l’analyse<br />

sociale et qu’on pense en termes de domination<br />

et d’émancipation, on arrive à la conclusion<br />

que ces deux secteurs, social et scolaire,<br />

vivent sur le plan éducatif, des problématiques<br />

semblables. on peut donc penser les logiques<br />

qui créent les situations inégalitaires, l’action<br />

éducative et les stratégies pédagogiques à<br />

mener en réponse de manière transversale.<br />

le « jeu » qu’offrent (malgré eux) le système<br />

scolaire et le système d’encadrement social<br />

Le Jeu qu’offrent (maLgré eux)<br />

Le système scoLaire et Le système<br />

d’encadrement sociaL permet<br />

de s’insérer dans ces interstices.<br />

permet de s’insérer dans ces interstices et de<br />

s’adresser aux militants mais aussi aux « personnes<br />

de bonne volonté » insatisfaites de<br />

l’état actuel pour leur proposer des pistes<br />

d’analyse et d’action.<br />

QdC – Quelle place occupe la question internationale<br />

dans vos engagements respectifs ?<br />

Êtes-vous attentifs à ce qui se passe en dehors<br />

des frontières de la Belgique ? En quoi cette<br />

« curiosité » est-elle un élément de votre démarche<br />

?<br />

f. t. – la Belgique est un petit pays. la Belgique<br />

francophone, compétente pour l’enseignement<br />

(fédération Wallonie-Bruxelles), encore<br />

plus. nous avons donc conscience de<br />

notre spécificité issue de notre histoire mais<br />

aussi de la dimension contingente de nos<br />

structures. nous regardons donc spontanément<br />

vers l’étranger. ainsi, nous connaissons bien<br />

le système français et les idées qui y circulent.<br />

Par exemple, notre grande réforme, dite de<br />

l’enseignement rénové, mise en place dans<br />

les années 1970, est directement inspirée du<br />

plan langevin-Wallon. aujourd’hui, nous<br />

lorgnons du côté des pays scandinaves, spécialement<br />

la finlande. avec le piège de vouloir<br />

décalquer leur réforme sur nos institutions.<br />

le transfert des « bonnes pratiques » demande<br />

d’analyser finement les contextes respectifs<br />

et de mettre au point des stratégies de transition.<br />

Ce qu’il faut faire, ce n’est pas copier mais<br />

traduire. Gros travail !<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 97


ouverture(S)/Au-delà des frontières<br />

‘’<br />

Notre action éducative et sociale,<br />

s’inscrivant dans une vision globale<br />

du combat contre le capitalisme<br />

et l’idéologie libérale, nous amène<br />

à être attentifs à toutes les luttes<br />

qui se mènent partout dans le monde<br />

sur tous les terrains.<br />

‘’<br />

Par ailleurs, notre action éducative et sociale,<br />

s’inscrivant dans une vision globale du combat<br />

contre le capitalisme et l’idéologie libérale,<br />

nous amène à être attentifs à toutes les luttes<br />

qui se mènent partout dans le monde sur tous<br />

les terrains. on en a parfois besoin car, comme<br />

me l’a dit un jour un « vieux » syndicaliste,<br />

l’important ce n’est pas de remporter une<br />

victoire, mais de durer face à un système capitaliste<br />

qui se renouvelle sans cesse et qui<br />

exige sans cesse de le combattre.<br />

QdC – L’activité militante en Belgique semble<br />

dynamique : outre le Grain, on songe à la<br />

Cgé ** ou encore l’Aped *** . Avez-vous des<br />

liens avec ces mouvements ?<br />

f. t. – la CGé et le Grain sont très proches<br />

dans leurs analyses, leurs options politiques,<br />

leurs propositions pédagogiques, d’où notre<br />

fréquente collaboration. il en est de même,<br />

quoique plus occasionnellement, avec l’aped.<br />

il n’y a pas de concurrence entre nous : nous<br />

sommes trop peu nombreux à promouvoir<br />

des idées de changement pour chercher à en<br />

avoir le monopole. Comme nous avons des<br />

réseaux et des canaux en partie différents,<br />

nous sommes plutôt complémentaires. Suite<br />

à l’histoire spécifique de chacune de nos institutions,<br />

nous travaillons en partie sur des<br />

terrains différents. ainsi, la CGé est très<br />

présente sur l’interculturel et la pédagogie<br />

institutionnelle, par exemple ; nous, sur l’insertion<br />

socioprofessionnelle, la formation professionnelle<br />

ou la pédagogie du projet. l’aped,<br />

quant à elle, milite plus sur le plan de la<br />

diffusion d’analyse des inégalités scolaires et<br />

celui des revendications politiques et structurelles.<br />

nous collaborons souvent ensemble<br />

en fonction de nos compétences, par des<br />

écrits dans nos publications respectives, par<br />

des interventions organisées par l’un ou l’autre<br />

d’entre nous.<br />

QdC – Vu de Belgique, quel regard portezvous<br />

sur l’école française, son « modèle républicain<br />

» mais aussi sur les mouvements –<br />

syndicaux ou pédagogiques – qui y militent ?<br />

f. t. – Ce qui frappe, de premier abord,<br />

lorsqu’on regarde l’école française, c’est son<br />

centralisme et son culte du concours. au nom<br />

d’une certaine conception de la justice, il importe<br />

de traiter tout le monde de la même<br />

façon et de régler par la loi, par définition<br />

neutre et démocratique, l’entièreté du fonctionnement<br />

de l’institution scolaire. Par ailleurs,<br />

le concours est censé être neutre, lui aussi et<br />

objectif. Ce fonctionnement se justifie par<br />

une idéologie de l’égalité des chances et de la<br />

méritocratie. or, la réalité est inégalitaire et<br />

diversifiée. on ne peut réduire ces injustices<br />

exclusivement par décret. les progressistes<br />

auraient donc intérêt, selon moi, à chercher à<br />

obtenir une plus grande autonomie des établissements<br />

tout en mettant en place les gardefous<br />

vis-à-vis d’une dérive libérale. Je ne<br />

dirai rien quant aux mouvements militants<br />

car je ne les connais pas assez et leur paysage<br />

présente une certaine complexité qu’il faudrait<br />

examiner plus en détail. en tout cas, certaines<br />

de leurs initiatives sont pour nous source<br />

d’inspiration.<br />

QdC – Dans le défi pédagogique * , outre la<br />

revendication assumée d’une « pédagogie de<br />

combat », sociale et politique, on est frappé<br />

par l’attention que vous portez à la lisibilité<br />

et au renouvellement de l’écriture militante.<br />

En quoi est-ce important pour vous ?<br />

98 // N’Autre école - Q2c N° 5


Au-delà des frontières /ouverture(S)/<br />

Le Défi pédagogique envisage l’émancipation, simultanément,<br />

comme perspective politique, comme engagement<br />

social et comme travail pédagogique.<br />

le livre est divisé en trois parties. la première – “d’hier<br />

à aujourd’hui” – permet de nouer le fil historique, de faire<br />

un retour aux sources de nos idées et de dessiner la<br />

transformation de la société depuis lors.<br />

la deuxième partie – “les fondements” – pose les pierres<br />

d’angle de la notion d’émancipation.<br />

enfin, la troisième partie – “les pratiques” – propose un<br />

inventaire systématique et ordonné des ressources<br />

métho dologiques disponibles pour mener à bien des<br />

démar ches de pédagogie émancipatrice. Nous proposons<br />

des pistes concrètes concernant le rapport au savoir, le<br />

rapport au pouvoir, le rapport aux autres et le rapport<br />

aux valeurs, et nous les inscrivons dans l’approche coopérative<br />

en pédagogie.<br />

Notre espoir est que certaines des idées développées à<br />

travers ce livre puissent être utiles aux acteurs impliqués<br />

dans les mouvements sociaux actuels qui, sous de multiples<br />

formes, façonnent notre devenir commun, en ce<br />

tout jeune xxI e siècle.<br />

Le Défi pédagogique<br />

émanciper par l’éducation<br />

et l’action sociale,<br />

Dominiquegrootaers<br />

etFrancistilman,<br />

Chroniquesociale&<br />

Couleurslivre,2016.<br />

f. t. – Valéry aurait dit : tout ce qui est<br />

simple est faux ; tout ce qui est compliqué<br />

est inutilisable. notre écriture essaye de<br />

se situer dans cet entre-deux. notre souci<br />

est l’efficacité. Pour que les idées, aussi<br />

bien théoriques que pratiques, soient<br />

utiles, elles doivent être comprises et<br />

faire sens. C’est pourquoi nous nous efforçons,<br />

autant que possible, de rendre<br />

accessibles tant les grilles de lecture<br />

sociale que les pédagogies coopératives.<br />

Pour les premières, nous sommes en<br />

quelque sorte des interfaces. Pour les secondes,<br />

nous nous efforçons de modéliser<br />

les démarches pour les rendre transférables.<br />

nous avons donc le souci de produire<br />

une écriture au contenu solide mais accessible.<br />

■<br />

rePèreS<br />

le grain vient de publier Le Défi pédagogique,<br />

émanciper par l’éducation et l’action sociale,<br />

Francis tilman et dominique grootaers, chronique<br />

sociale & <strong>coul</strong>eurs livre.<br />

site du grain, atelier de pédagogie sociale :<br />

www.legrainasbl.org<br />

la cgé (changements pour l’égalité) est un<br />

mouvement «socio-pédagogique» belge qui publie<br />

une revue Traces de changements.<br />

site de la cgé : www.changement-egalite.be<br />

l’Aped (Appel pour une école démocratique)<br />

est un mouvement belge qui milite contre la privatisation<br />

et la marchandisation de l’école et<br />

réflé chit à ce que pourrait être une école réellement<br />

démocratique. site de l’Aped : www.skolo.org<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 99


PratiQueS De CLaSSe/ Philo à l’école<br />

Philosophie<br />

au-delà des frontières<br />

Par JeAN-PIerre FourNIer, Questions de classe(s)<br />

le philosophe est d’abord un citoyen du monde disaient les<br />

Anciens. c’est à cette échelle planétaire qu’il faut aussi regarder<br />

son enseignement.<br />

un rapport récent de l’unesco, consultable en ligne nous fournit<br />

d’intéressantes informations à ce sujet 1 .<br />

Friche rue de l’Évangile à Paris – Myr MURATET<br />

100 // N’Autre école - Q2c N° 5


Philo à l’école /PratiQueS De CLaSSe/<br />

PHiloSoPHeR eSt un dRoit de l’enfant.<br />

Pas seulement parce qu’il est sousentendu<br />

dans la Convention internationale<br />

des droits de l’enfant, mais plus<br />

concrètement parce qu’il se met en place<br />

depuis à peine trente ans. Partie de l’œuvre<br />

de lipman aux États-unis, la philo pour enfants<br />

traverse dans les années 90 la frontière<br />

canadienne puis l’atlantique ; elle se transforme,<br />

nourrit plusieurs courants et se diffuse<br />

progressivement dans des classes de maternelle<br />

et du primaire.<br />

gÉograPhie De La PhiLoSoPhie<br />

Certains pays sont particulièrement dyna -<br />

miques : la Belgique, le Canada, l’italie, le<br />

Royaume-uni, les pays d’amérique latine,<br />

et l’espagne 2 et même la france, malgré<br />

l’opposition de l’inspection générale de philosophie<br />

et de la principale association professionnelle<br />

d’enseignants.<br />

mais en dehors de l’amérique dans son<br />

entier et de l’europe, cette philo pour les<br />

plus jeunes est inconnue, à de rares excep -<br />

tions près. C’est une pratique qui reste très<br />

minoritaire. Certes le cadre existe désormais<br />

avec les nouveaux programmes, mais il faut<br />

se lancer, et aucune formation officielle<br />

n’existe 3 .<br />

dans les autres pays, les droits de l’enfant<br />

sont encore lettre morte dans tant de domai -<br />

nes que l’on n’y songe même pas : philosopher<br />

à huit ou dix ans en Russie ? dans le<br />

monde arabe ? en Chine ? là où la pauvreté<br />

est telle que l’école n’existe qu’à peine, ou<br />

si mal ?<br />

d’autant que la forme même de cette initiation<br />

à la philosophie est forcément inhabituelle,<br />

voire subversive : comme on ne<br />

peut demander aux enfants de « prendre des<br />

notes » en écoutant le prof une ou deux<br />

heures de suite, ni de faire des commentaires<br />

de textes d’auteurs célèbres, il n’y a qu’une<br />

possibilité : se mettre en cercle, laisser chacun<br />

s’exprimer (ou se taire), faire de l’enseignant<br />

un incitateur, un orga nisateur, un<br />

« relanceur » voire plus, mais jamais celui<br />

qui « dit la vérité » sur des questions indécidables.<br />

argumenter, écouter des opinions<br />

autres, voire choquantes, bref, se forger son<br />

opinion devant et avec les autres, ne peut se<br />

faire que dans la liber té et une égalité fondamentale<br />

(ce qui ne signifie pas que toutes<br />

les idées se valent, ni que les compétences<br />

de l’adulte soient les mêmes que celles de<br />

l’enfant). À leur tour, ces débats produisent<br />

de la liberté (de penser) et de l’égalité (penser<br />

ensemble sans gagnant ni perdant).<br />

C’est beaucoup, et c’est beaucoup trop<br />

pour les autoritaires de toutes tailles et de<br />

tous pays. mais, patience et longueur de<br />

temps, la progression de cette pratique récente<br />

est un encouragement.<br />

QueLLe PhiLo Pour LeS LyCÉenS ?<br />

là aussi, il y a d’abord l’absence. on lit<br />

ainsi dans ce rapport : « au Cambodge, on<br />

relate qu’il y a quelques années le minis tère<br />

de l’Éducation a retiré le cours de philosophie<br />

des programmes. […] en fédération de<br />

Russie, la philosophie n’est pas enseignée<br />

dans le secondaire. » en dehors des raisons<br />

politiques ou religieuses, il peut y avoir<br />

aussi le choix budgétaire de sacrifier une<br />

matière « secondaire » ou la volonté de supprimer<br />

tout ce qui n’est pas rentable dans la<br />

formation. un brin de xénophobie à l’occasion<br />

(la philo comme « matière occidentale ») et<br />

le (mauvais) tour est joué.<br />

mais il y a aussi tous les pays où l’on fait<br />

de la philo quelque chose d’assez éloigné<br />

de sa congénitale impertinence : les pays où<br />

c’est une manière d’inculquer le dogme étatique,<br />

là encore qu’il soit religieux ou<br />

politique, voire les deux ; ceux où on en<br />

reste à une histoire des idées, propre à<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 101


PratiQueS De CLaSSe/ Philo à l’école<br />

“ Réfléchir est un plaisir qui fait grandir.”<br />

meubler la culture générale de la classe supérieure<br />

(aux États-unis, très peu de philo,<br />

ou alors comme option, sauf dans les High<br />

School chics !), soit un mélange des deux :<br />

ainsi le cas intéressant du Japon où la philo<br />

est une sous-branche de l’éducation civique,<br />

laquelle est elle-même une partie de l’éthique<br />

– entendez l’éthique confucéenne ; on y<br />

ajoute un peu d’initiation culturelle aux philosophies<br />

européennes, et on a de futurs citoyens<br />

obéissants et cultivés.<br />

ne regrettons pas pour autant le passé<br />

encore bien présent, avec des cours de philo,<br />

supports de vénérables exercices scolaires<br />

pour une petite partie d’une classe d’âge,<br />

pendant une période restreinte (de un à trois<br />

ans selon les pays), ne laissant chez la plupart<br />

que des traces d’ennui.<br />

mais que cette activité soit maintenant un<br />

peu partout couplée avec l’éducation civique,<br />

si elle comporte des avantages (affirmation<br />

des droits humains par la réfle xion collective),<br />

risque aussi d’être le lieu de conformismes<br />

dangereux (on l’a vu récemment<br />

ici avec les « valeurs républicaines<br />

»). et cette focalisation<br />

peut faire négliger des champs<br />

majeurs de la pensée : la réflexion<br />

sur la démarche scientifique, ses<br />

objets et ses usages, la prise en<br />

compte des arts notamment. ou<br />

oublier cette autre voie de la philosophie,<br />

qui consiste à la vivre<br />

en pensant ses choix, en tâchant<br />

de les déterminer avec justesse,<br />

voire pour la justice.<br />

Reste que s’affirment des visions<br />

positives de la philosophie à<br />

l’école, avec le choix fondamental qui<br />

consiste à oser (Kant) se poser des questions<br />

sur tous les grands sujets humains, avec le<br />

parti pris, à la fois pédagogique et démocratique<br />

qui fait du débat la pierre… philosophale<br />

d’une activité qui permet de « frotter et<br />

limer sa cervelle à celle d’autrui », pour reprendre<br />

l’expression de montaigne parlant<br />

des voyages. et c’est un voyage qu’offre ce<br />

rapport qui nous rappelle que se penser et<br />

penser le monde est un travail rude mais indispensable<br />

pour abattre les murs, et d’abord<br />

ceux que nous avons dans nos têtes. ■<br />

1. le compte rendu de cet article se limite à la partie<br />

scolaire, dont la première partie concernant les enfants est<br />

de michel tozzi (le rapport évoque aussi les pratiques philosophiques<br />

dans le supérieur et en dehors de l’éducation).<br />

2. d’origine catalane, le projet 3/18, avec un matériel<br />

spécifique par tranche d’âge, s’est diffusé dans d’autres<br />

lieux en espagne et dans les pays de langue hispanique.<br />

3. en revanche, les sites des différents courants (tozzi, lévine-aGSaS,<br />

Brénifier) sont riches d’informations.<br />

École primaire Charles Martin, Bordeaux. la cour – Myr MURATET<br />

102 // N’Autre école - Q2c N° 5


Pédagogie sociale /ouverture(S)/<br />

La rage du social<br />

Laurent ott,pédagogue social, dernier ouvrage paru La Rage du social<br />

le concept de pédagogie sociale traverse l’œuvre de grands<br />

pédagogues qui ont eu en commun la volonté d’affronter les réalités<br />

les plus triviales, les plus difficiles, les plus nues et redoutables,<br />

et en même temps un indéracinable désir de les transformer.<br />

de nomBReux PÉdaGoGueS ont recherché<br />

par tous les moyens des<br />

modèles idéaux de pédagogie,<br />

d’enseignement, de vivre ensemble. leur<br />

démarche, pour louable qu’elle était, restait<br />

toujours empreinte d’idéalisme, voire de romantisme.<br />

la pensée même de l’Éducation<br />

nouvelle est entièrement sous le signe de<br />

l’utopie. on recherche de nouvelles voies,<br />

des écoles idéales, des espaces épanouissants.<br />

mais aucun de ces lieux n’est la réalité<br />

et surtout pas la réalité sociale. tous sont<br />

construits et ressortent d’un projet de s’en<br />

évader.<br />

Cette pensée idéale, voire idéaliste, à travers<br />

l’Éducation nouvelle a inspiré le déve -<br />

loppement tant du secteur de l’éducation populaire,<br />

que celui de l’éducation spécialisée.<br />

en ce qui concerne l’école officielle, c’est<br />

là une tout autre histoire. après avoir été<br />

sensible aux mêmes mouvements, celle-ci<br />

s’est repliée sur elle-même, à partir des années<br />

quatre-vingt, préférant conserver un<br />

rôle de contrôle et de norme sociale, au prix<br />

même de ses nombreux dysfonctionnements,<br />

plutôt que d’évoluer.<br />

la pédagogie sociale d’un freinet, d’un<br />

Korczak, d’un freire, ou même, telle que<br />

définie à son origine par la pédagogue polo -<br />

naise, Radlinska, manifeste au con traire un<br />

grand intérêt et un grand attachement pour<br />

la réalité.<br />

Selon la pédagogie sociale, pas question<br />

de séparer les enfants, les gens, les familles,<br />

en groupes ou en tranches. et surtout pas<br />

question de les séparer du milieu, du contexte<br />

social, économique et politique qui les a produits.<br />

la vie est une ; les conditions vécues par<br />

les uns et des autres, les oppressions subies<br />

par tous, sont forcément et visiblement liées<br />

entre elles. elles font système.<br />

les cloisonnements qui délimitent les institutions<br />

et les projets, sont toujours des empêchements<br />

artificiels. opposer le parent au<br />

professionnel, le travailleur au bénévole,<br />

l’enfant à l’adulte, la vie privée à la vie publique<br />

est toujours une erreur qui empêche<br />

de voir la réalité telle qu’elle est. Pour la pédagogie<br />

sociale, la réalité est unique, autant<br />

qu’elle est dure et résistante. mais elle surtout<br />

globale.<br />

Pédagogie de la globalité, la pédagogie sociale<br />

renonce à séparer les gens, comme les<br />

âges, les sexes ou les cultures. elle les réunirait<br />

plutôt.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 103


ouverture(S)/Pédagogie sociale<br />

‘’<br />

C’est une pédagogie qui donne envie de se lever,<br />

de sortir de chez soi, de se retrousser les manches, d’oser<br />

“aller vers”, de sortir du cadre, des pratiques convenues...<br />

‘’<br />

et pour y parvenir, nul besoin de longs et<br />

inutiles débat préliminaires ; pas de<br />

programme déjà écrit, même d’éducation<br />

populaire ; pas de découpage de la temporalité.<br />

il n’y a rien de tout cela, rien que des<br />

chantiers ouverts, non limitatifs, et sans fin.<br />

en pédagogie sociale, on entre en relation<br />

les uns avec les autres, par le « faire », par<br />

le travail, par l’invitation ici et maintenant<br />

à améliorer ensemble nos propres vies, à<br />

égayer nos lieux, à habiter nos espaces.<br />

PÉDagogie<br />

D’un CoLLeCtiF PoSSiBLe<br />

Pédagogie d’un « vivre ensemble possible<br />

», à l’époque où le lien social lui-même<br />

pose problème et où l’individualisme menace<br />

tout simplement le « faire société »,<br />

la péda gogie sociale propose une autre<br />

perspective.<br />

Pour le pédagogue social, jamais le collectif<br />

et l’individu ne peuvent et ne doivent<br />

s’opposer. C’est par l’instauration de collectifs<br />

vivants, tolérants, « secures » et accueillants<br />

que les individus s’épanouissent<br />

et peuvent espérer devenir des personnes.<br />

en pédagogie freinet, par exemple, c’est<br />

par l’immersion dans un groupe-classe, et<br />

par l’instauration d’une véritable sécurité<br />

affective et collective, que l’enfant même<br />

timide ou réservé s’épanouit et s’exprime<br />

parmi les autres. il devient lui-même unique<br />

et différent en se nourrissant de la diversité<br />

du collectif, jamais en s’opposant à elle.<br />

les groupes ainsi construits ne sont jamais<br />

monotones. Jamais personne n’y est la copie<br />

d’aucun autre. le pouvoir, la capacité<br />

de faire et de vivre ensemble n’affa dit pas<br />

les différences interpersonnelles : elle les<br />

nourrit.<br />

ainsi la pédagogie sociale a une dimension<br />

à la fois sociale, éducative, cognitive, et<br />

même affective. mais avant tout, elle est politique,<br />

dans le sens le plus noble qui soit ;<br />

celui qui traite de la possibilité d’habiter et<br />

de transformer un monde en commun.<br />

PÉDagogie<br />

De La CritiQue SoCiaLe<br />

elle repose sur une invitation à investir la<br />

réalité et, en même temps, à la critiquer ;<br />

Pédagogie du « faire », la pédagogie sociale<br />

est aussi une pédagogie de la critique socia -<br />

le, de la critique personnelle et de la critique<br />

collective. en cela elle est une école de prise<br />

de parole, et d’expression de soi-même<br />

comme de ses racines et de ses groupes d’appartenance<br />

à travers tous les langages.<br />

en pédagogie freinet, par exemple, ce qui<br />

est essentiel est de s’exprimer ; non pas seulement<br />

d’apprendre à s’exprimer à partir de<br />

programmes rébarbatifs, de règles ,<br />

d’épreuves et d’évaluations ; il s’agit à l’inverse<br />

de pratiquer l’expression dans tous les<br />

langages : verbal, non verbal, corporel, chant,<br />

danse, musique, poésie, arts plastiques, etc.<br />

avec de telles caractéristiques, on comprend<br />

pourquoi la pédagogie sociale a telle -<br />

104 // N’Autre école - Q2c N° 5


Pédagogie sociale /ouverture(S)/<br />

ment de mal à trouver de place dans les institutions.<br />

elle est profondément et inévitablement<br />

dissidente, que ce soit à l’éco le, à la<br />

crèche, dans le centre social, à l’hôpital ou à<br />

l’université. elle prend ainsi plus volontiers<br />

place dans les espaces exté rieurs, les lieux<br />

en friche, non investis par les professionnels<br />

et les institutions.<br />

intermèDeS roBinSon :<br />

inveStir LeS Lieux en FriChe<br />

la pédagogie sociale pousse ainsi les acteurs<br />

sociaux à travailler hors de l’école, en pied<br />

d’immeuble, dans les espaces publics, la rue<br />

et les bidonvilles.<br />

l’association intermèdes Robinson , association<br />

en pédagogie sociale, développe<br />

ainsi depuis plus de dix ans, des ateliers éducatifs<br />

directement dans les lieux de vie des<br />

familles concernées ; ateliers de rue, ateliers<br />

de jardinage communautaire ; ateliers dans<br />

les bidonvilles et les camps rroms, etc. elle<br />

met en place et expérimente des pratiques<br />

culturelles, socia les et éducatives basées sur<br />

la libre initiative, le travail collectif, l’inconditionnalité<br />

de l’accueil, les pratiques d’expression<br />

et d’organisation collective.<br />

L’ÉCriture SinguLière<br />

De La PÉDagogie SoCiaLe<br />

tous les acteurs sociaux, qui innovent et expérimentent,<br />

ressentent le besoin et la nécessité<br />

d’écrire. la pratique de l’écriture sur<br />

les pratiques se retrouve dans l’œuvre de<br />

tous les pédagogues sociaux. Certains appelaient<br />

cela des « moments » (Korczak) ;<br />

d’autres des « monographies » (f. oury).<br />

Pour tous, ce passage à l’écrit, correspond à<br />

la possibilité de s’approprier sa propre pratique.<br />

Cela permet de devenir auteur et pas<br />

seulement subir, ce que nous vivons.<br />

La pédagogie sociaLe :<br />

pédagogie de La rage et du sociaL<br />

la pédagogie sociale est, en effet, une pédagogie<br />

de l’énergie dans un monde qui en<br />

manque, dans un monde qui en perd. C’est<br />

une pédagogie qui donne envie de se lever,<br />

de sortir de chez soi, de se retrous ser les<br />

manches, d’oser « aller vers », de sortir du<br />

cadre, des pratiques convenues, de s’émanciper<br />

de tous les carcans, fussent-ils soit-disant<br />

protecteurs ou sécu ritaires.<br />

le social n’est pas un ensemble de problèmes,<br />

comme on essaie tellement de nous<br />

en convaincre. il n’est ni temps perdu, ni argent<br />

perdu ; il est une source d’énergie, il<br />

est notre énergie même pour nous approprier<br />

nos espaces et notre temps. ■<br />

texte d’introduction à La Rage du social,<br />

laurent ott, les éditions du monde<br />

libertaire, 2016.<br />

rePèreS<br />

deux ouvrages de référence<br />

sur la pédagogie sociale, son histoire,<br />

sa pensée, ses pratiques : Pédagogie<br />

sociale, laurent ott, éditions chronique<br />

sociale et Aux sources de la pédagogie<br />

sociale, helena radlinska, éditions<br />

l’harmattan.<br />

Pour en savoir plus sur l’association<br />

Intermèdes robinson : http://assoc.intermedes.free.fr<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 105


L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/Mémoires pédagogiques et sociales<br />

Syndicalisme de lutte<br />

et pédagogies sociales<br />

QueStionS de ClaSSe(S) – À la lecture de ton livre on sent une<br />

construction assez universitaire, quelle en est la genèse ? Quelle<br />

était l’intention au moment de son édition ?<br />

Gaëtan le PoRHo – C’est effectivement et originairement un<br />

travail universitaire puisque c’est un mémoire de master 2<br />

rédigé à Paris 8 – Saint-denis, Vincennes. la lecture de<br />

l’ouvrage de loïc le Bars sur la fédération unitaire de l’enseignement<br />

(fue) qui contient une partie sur la pédagogie m’a<br />

donné envie de creuser la question. mes engagements syndicaux<br />

dans des fédérations syndicales révolutionnaires/autogestionnaires<br />

qui étaient en train de redécouvrir fortement les liens entre révolution<br />

sociale et pédagogique m’ont aussi conduit à vouloir<br />

voir ce qui s’est fait avant dans ce domaine. J’ai ensuite fait<br />

partager mes trouvailles dans mon organisation syndicale ou<br />

à la faveur de stages, en me disant que le passé peut servir le<br />

présent.<br />

QdC – tu fais état de deux tendances de plus en plus marquées<br />

dans la fue qui se cristallisent autour de la question de l’organisation<br />

de la classe et du rapport d’autorité avec les élèves.<br />

les divergences autour de la transformation de l’école, du<br />

contenu et de la méthode de transmission du savoir recoupentelles<br />

dans l’organisation celles entre les socialistes autoritaires<br />

et les libertaires ?<br />

G. l. P.– l’engagement dans les pédagogies alternatives les<br />

plus radicales pouvait dépendre d’un lieu géographique plus<br />

que d’une idéologie. tendanciellement, il se trouve plus dans<br />

des territoires ruraux. les choix politiques comptent évidemment<br />

quand même, mais il est très étonnant de voir que les recousyndicalisme<br />

révolutionnaire et éducation émancipatrice : quand les<br />

deux combats n’en faisaient qu’un... entretien avec gaëtan le Porho,<br />

auteur de Syndicalisme révolutionnaire et éducation émancipatrice.<br />

L’investissement pédagogique de la Fédération Unitaire de l’Enseignement<br />

1922-1935, (éditions Noir et rouge, 2016).<br />

Syndicalisme<br />

révolutionnaire<br />

et éducation<br />

émancipatrice<br />

L’investissement<br />

pédagogique de la<br />

Fédération unitaire<br />

de l’enseignement<br />

1922-1935<br />

gaëtan le Porho<br />

Noire & rouge, 2016,<br />

398 p., 20 €.<br />

106 // N’Autre école - Q2c N° 5


Mémoires pédagogiques et sociales /L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/<br />

pements syndicaux et politiques à ce sujet<br />

ne sont pas ceux auxquels on aurait pu<br />

penser. les deux minorités opposées – syndicaliste-révolutionnaire<br />

pure et stalinienne –<br />

se retrouvent en effet sur un soutien à la pédagogie<br />

alternative la plus radi cale autour<br />

de freinet.<br />

il y a une sorte de retournement des allian -<br />

ces quand il s’agit de l’engagement dans ce<br />

qui est en train de devenir la péda gogie<br />

freinet. mais le soutien pour les pédagogies<br />

radicalement subversives est conjoncturel<br />

pour les staliniens, seul le bon syndicat dirigé<br />

par le bon parti constituant pour eux les éléments<br />

d’une contre-société communiste, alors<br />

que pour les syndicalistes-révolutionnaires il<br />

est nécessaire dès maintenant de créer des<br />

institutions autogestionnaires et ouvrières. il<br />

s’agit dans le cadre de l’éducation de pratiquer<br />

l’alternative sociale : coopération plutôt que<br />

compétition, égalité plutôt que hiérarchie. il<br />

est évident que c’est du côté de ces derniers<br />

que l’on trouve la tradition du socialisme antiautoritaire.<br />

QdC – Célestin freinet ne pensait pas visiblement<br />

que la pédagogie pouvait se suffire<br />

à elle-même et il prend soin d’inscrire sa pédagogie<br />

émancipatrice dans un projet social<br />

plus large. Quelles sont les divergences entre<br />

freinet et la pédagogie montessori sur ce<br />

point ? Peux-tu aussi nous rappeler les liens<br />

entre freinet et la fue ?<br />

G. l. P.– freinet a pu se moquer de montessori<br />

qu’il appelait la dottoressa. Cependant il a<br />

trouvé certaines de ses recherches pédagogiques<br />

dignes d’être utilisées et analysées.<br />

montessori, comme d’autres pédagogues de<br />

l’Éducation nouvelle, était lue et travaillée<br />

par freinet (alors que les staliniens les vilipendaient<br />

comme bourgeois), mais il n’a<br />

cessé d’être critique envers l’idée que l’éducation<br />

seule pouvait changer la société et par<br />

exemple empêcher les guerres. Rien de mieux<br />

qu’une bonne révolution pour avoir une<br />

école vraiment populaire et émancipatrice !<br />

encore faut-il qu’elle soit préparée correctement.<br />

Pour le freinet de cette époque c’est<br />

au syndicat qu’une telle tâche incombe. la<br />

pédagogie émancipatrice permet de penser<br />

‘’<br />

mes engagements syndicaux<br />

dans des fédérations syndicales<br />

révolutionnaires/autogestionnaires<br />

qui étaient en train de redécouvrir<br />

les liens entre révolution sociale<br />

et pédagogique m’ont aussi conduit<br />

à vouloir voir ce qui s’est fait avant<br />

dans ce domaine.<br />

‘’<br />

son émergence. C’est une condition de possibilité<br />

d’un socialisme en ce qu’il tente de<br />

se pratiquer déjà. il lui est évident que le<br />

syndicat est l’organisme par excellence de<br />

coopération des éducateurs révolutionnaires.<br />

C’est en son sein qu’il crée des coopératives,<br />

qu’il pratique la correspondance scolaire,<br />

qu’il théorise, qu’il échange.<br />

le départ vers la CGt de militants de la<br />

fue écœurés par les staliniens et le conflit<br />

avec la direction fédérale qui trouve en gros<br />

qu’il va trop loin dans la mise en autonomie<br />

des élèves l’amène finalement à donner plus<br />

d’indépendance aux structures qu’il a mises<br />

en place avec d’autres pour pratiquer la pédagogie<br />

émancipatrice, alors qu’avant elles<br />

étaient sous le contrôle des congrès et assemblées<br />

générales et autres instances de la<br />

fue.<br />

QdC – tu montres aussi que freinet pouvait<br />

être critique avec de l’universalisme républicain<br />

abstrait. il pensait au contraire qu’il fallait<br />

s’appuyer sur les cultures régionales et les<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 107


L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/Mémoires pédagogiques et sociales<br />

iLs’agit dans Le cadre<br />

de L’éducation de pratiquer<br />

L’aLtenative sociaLe : coopération<br />

pLutôt que compétition,<br />

égaLité pLutôt que hiérarchie.<br />

savoirs populaires pour stimuler l’intérêt des<br />

élèves. autrement dit, son universalisme inclut<br />

la diversité. C’est une idée d’une grande<br />

actua lité au moment où cette question de la<br />

pluralité refait surface aujourd’hui autour de<br />

la laïcité et de l’islam. Cette position de freinet<br />

était-elle partagée au sein de la fue ?<br />

G. l. P.– freinet comme ses camarades de la<br />

fue étaient effectivement très critiques<br />

envers le jacobinisme républicain dit « universaliste<br />

». ils s’appuyaient sur des enquêtes<br />

de terrain pour connaître leur environnement,<br />

son histoire, sa langue, sa culture, sa géographie<br />

et correspondaient pour apprendre d’autres<br />

classes qui vivaient dans d’autres contextes.<br />

ils étaient tous d’accord pour critiquer le colonialisme<br />

et le centralisme jacobin, avec<br />

néanmoins quelques débats. Par exemple,<br />

alors qu’il était interdit de parler breton, les<br />

syndicalistes l’utilisaient quand même en<br />

Bretagne. ils combattaient de manière acharnée<br />

toute emprise de la religion sur l’école et la<br />

société. le catholicisme était alors très<br />

influent, notamment dans les campagnes où<br />

était le plus implantée la fue.<br />

Quant à la pratique laïque, elle reste essen -<br />

tielle mais elle ne peut être la même dans les<br />

campagnes du morbihan des années trente<br />

et la Seine-Saint-denis d’aujourd’hui où la<br />

lutte contre les discriminations, le racisme et<br />

leurs expressions, est une question décisive.<br />

elle doit servir, en prenant en compte les oppressions<br />

spécifiques, à unifier les classes<br />

populaires et les solidariser plutôt que les diviser.<br />

QdC – les syndicalistes engagé-e-s dans<br />

l’éducation émancipatrice ont essayé non<br />

seulement d’entrelacer les disciplines mais ils<br />

ont radicalisé cette pratique au point de tenter<br />

de faire éclater le cadre strictement disciplinaire.<br />

l’enfermement dans les disciplines<br />

était-il perçu comme un frein au développement<br />

d’une éducation libératrice et pourquoi<br />

?<br />

G. l. P. – tout doit avoir du sens pour<br />

l’enfant de manière à ce que l’école soit vivante.<br />

au lieu de se dire on va faire une<br />

heure de français sur un texte, puis une<br />

heure de mathématiques, puis technologie,<br />

enfin biologie, l’élève va faire une promenade<br />

scolaire dans un contexte naturel, il va être<br />

enthousiasmé et vouloir en parler à ses correspondants<br />

et donc va ramasser des végétaux<br />

(biologie), des fleurs ou autre chose, va<br />

faire un herbier pour leur envoyer, va écrire<br />

un texte pour raconter ce qui a été fait ou<br />

décrire ce qui a été rame né, il va le rédiger<br />

et le corriger correctement en en discutant<br />

avec ses pairs (français), puis va compter<br />

les lettres d’imprimerie pour les mettre dans<br />

la machine (mathématiques), etc. : tout est<br />

lié. les disciplines proviennent d’un découpage<br />

artificiel, mortifère et improductif.<br />

Pour comprendre, l’enfant et l’adulte, qui<br />

travaillent à leur émancipation, doivent<br />

avoir une saisie globale des choses afin de<br />

pouvoir analyser, critiquer et réfléchir.<br />

QdC – ils rejettent par ailleurs les examens<br />

au bénéfice de l’évaluation. Quelles différences<br />

font-ils entre les deux ? en quoi ces<br />

deux conceptions de l’éducation s’opposent-elles<br />

?<br />

108 // N’Autre école - Q2c N° 5


Mémoires pédagogiques et sociales /L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/<br />

‘’<br />

Pour Freinet, il est évident que le syndicat est l’organisme par<br />

excellence de coopération des éducateurs révolutionnaires. C’est en<br />

son sein qu’il crée des coopératives, qu’il pratique la correspondance<br />

scolaire, qu’il théorise, qu’il échange.<br />

‘’<br />

G. l. P. – les syndicalistes de la fue avaient très<br />

bien saisi et analysé en quoi les examens servent à la<br />

reproduction sociale. ils avaient tendance à valoriser<br />

les tests de connaissance pour deux raisons : par<br />

scientisme et par volonté de différencier les apprentissages.<br />

Certains ont ainsi trouvé très bien les tests<br />

de Qi parce qu’il s’agirait là de science et d’objectivité.<br />

ils ont pu être conçus alors comme des alternatives<br />

aux examens dont la réussite serait trop liée à la<br />

condition sociale. la vision des sciences en jeu ici est<br />

sans doute trop étroite et mécaniste. Par contre des<br />

tests de connaissance étaient utilisés pour mieux<br />

connaître les élèves de la classe et conduire ainsi une<br />

pédagogie dite « différenciée ».<br />

QdC – tu soulignes plusieurs fois le partage des<br />

tâches très genrées entre hommes et femmes. Quels<br />

sont, d’après toi, les comportements ou les habitudes<br />

militantes de cette époque très troublée (anti-militarisme,<br />

pacifisme, anti-fascisme) qui interrogent les<br />

nôtres ?<br />

G. l. P. – la fue était engagée dans des combats<br />

féministes notamment en matière de lutte pour la<br />

contraception. mais les hommes étaient plus présents<br />

aux postes de responsabilité et prenaient plus part<br />

aux débats d’orientation politique, aux combats<br />

d’idées et de pouvoir. les femmes s’investissaient<br />

davantage dans la mise en œuvre des idées, l’application<br />

pratique de l’autogestion. elles ont été ainsi particulièrement<br />

actives dans les réalisations et les questions<br />

pédagogiques. l’égalité des sexes reste un rêve inachevé.<br />

il nous appartient aujourd’hui de prendre en<br />

compte la lutte contre toutes les oppressions par des<br />

réalisations pratiques et positives, tout en gardant un<br />

horizon de transformation sociale radicale. ■<br />

c’<br />

est d’abord dans les<br />

colonnes de la revue<br />

syndicale L’École<br />

émancipée puis dans celles<br />

de L’Éducateur prolétarien<br />

que célestin Freinet (1896-<br />

1966) a témoigné de ses<br />

engagements sociaux<br />

et éducatifs. on ne peut<br />

œuvrer à une autre école<br />

sans se soucier de la marche<br />

du monde, sans s’attacher,<br />

dans et hors de la classe,<br />

à le transformer.<br />

tel est l’héritage du pédagogue<br />

et du militant que fut<br />

célestin Freinet dont on suit<br />

ici le cheminement et le<br />

mûris sement de la pensée.<br />

À travers ce choix d’écrits<br />

publiés entre 1920 et 1939,<br />

se révèle l’actualité des combats<br />

d’un instituteur révolutionnaire<br />

qui voulait tout<br />

à la fois changer le monde<br />

et l’école.<br />

célestin Freinet, Le Maître insurgé,<br />

articles et éditoriaux, 1920 - 1939,<br />

libertalia, coll. N’Autre école,<br />

2016,10 €.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 109


L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/école-ogie<br />

École – écologie<br />

un an après la COP 21<br />

Florence herrero est enseignante dans le premier degré et<br />

conseillère municipale déléguée, chargée de l’éducation au<br />

déve loppement durable, dans le xx e arrondissement de Paris, de<br />

celles qui favorisent l’éducation à l’environnement depuis plusieurs<br />

années. très investie dans son métier et tout spécialement dans<br />

le domaine de l’écologie, elle a bien voulu répondre à Questions<br />

de classe(s).<br />

QueStionS de ClaSSe(S) – Comment voistu<br />

la présence de l’écologie à l’école ?<br />

floRenCe HeRReRo – Ça fait douze ans que<br />

ça aurait dû commencer, l’Éducation au développement<br />

durable (edd), car elle est inscrite<br />

dans les programmes depuis 2004 !<br />

mais l’évolution est très lente et les actions<br />

dans le domaine de l’éducation à l’environnement<br />

voient le jour grâce à l’initiative<br />

d’enseignants volontaires et engagés. leur<br />

travail n’est pas assez valorisé ni encouragé<br />

par une hiérarchie qui semble assez peu<br />

concernée, hélas, par cet enjeu d’avenir. À<br />

l’occasion de la CoP 21, il y a eu de nombreuses<br />

activités, mais… pas dans le durable.<br />

on est face à un manque flagrant de volonté<br />

institutionnelle. un exemple : il n’y a pas de<br />

recherche de lien entre les ateliers périscolaires<br />

et les enseignements. Hors Éducation nationale,<br />

c’est la même chose : la Région Île-de-france<br />

(récemment passé à droite) lamine les budgets<br />

des associations, donc de celles qui favorisent<br />

l’éducation à l’environnement, et la Ville a<br />

supprimé plusieurs structures intéressantes<br />

qui accompagnaient les établissements depuis<br />

des années dans leur démarche, comme Paris-nature.<br />

À l’échelle nationale, difficile de<br />

savoir. l’académie d’amiens organise des<br />

rencontres interdegrés, dont le foredd* qui<br />

édite des outils pour les enseignants.<br />

QdC – Sur le plan pratique, comment ça se<br />

passe dans la gestion des établissements du<br />

premier et du second degrés ?<br />

f. H. – là aussi, l’évolution est très lente. en<br />

matière énergétique comme pour les déchets,<br />

aucune démarche globale et responsable<br />

n’est vraiment mise en œuvre, c’est laissé au<br />

libre arbitre des enseignants volontaires. il<br />

existe pourtant des associations spécialisées**<br />

mais ce n’est pas la préoccupation des gestionnaires.<br />

QdC – et les enseignants ?<br />

f. H. – lors de la formation initiale, c’est le<br />

zéro absolu. et certains collègues, qui ne<br />

sont pas sensibilisés à ces questions, font<br />

preuve de la même inertie et du même<br />

manque de réflexion et d’implication que la<br />

plupart de nos concitoyens. Car si la transversalité<br />

de l’edd est passionnante et met à<br />

contribution notre créativité, elle nécessite<br />

incontestablement un investissement régulier<br />

et beaucoup d’engagement personnel et collectif.<br />

les ePi en collège peuvent fournir un<br />

110 // N’Autre école - Q2c N° 5


école-ogie /L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/<br />

cadre pour des actions interdisciplinaires,<br />

mais généralement ce sont des gens qui « faisaient<br />

déjà » qui s’y retrouvent. il faut<br />

souhaiter que ces enseignants soient les moteurs<br />

de ce changement de pratique pédagogique<br />

pour une nouvelle dynamique de l’enseignement<br />

au sein des collèges. les nouvelles<br />

générations sont prêtes, il est temps que<br />

l’Éducation nationale les rejoigne dans leur<br />

désir de faire ensemble et de vivre une citoyenneté<br />

active et généreuse. l’edd est un<br />

des leviers de cette citoyenneté.<br />

du côté des syndicats ? Pas de nouvelles.<br />

* crdp.ac-amiens.fr/foredd/ mais le site de<br />

l’académie est décevant sur ce thème, comme<br />

celui du ministère !<br />

** Par exemple www.zerowastefrance.org/fr<br />

et leur dico déchets instructif et grinçant.<br />

PédAgo-écolo<br />

Qu’en est-il du côté des mouvements péda -<br />

gogiques ? un tour rapide au hasard de<br />

l’actualité : dans le numéro d’octobre de<br />

Dialogue (groupe français d’éducation nouvelle,<br />

gFeN), un article sur l’enseignement<br />

problématisé (l’enseignement et la notion)<br />

du développement durable en lycée ; dans<br />

celui de novembre des Cahiers pédagogiques,<br />

« chimie verte en lycée professionnel ». du<br />

côté de Freinet, catherine chabrun avait<br />

réagi à la coP 21 sur son blog à Mediapart<br />

et aux déclarations de la ministre sur le site<br />

de l’Icem.<br />

À l’étranger francophone, même chose : les<br />

belges ont même un magazine école-pédago<br />

(Symbioses) et le syndicat des enseignants<br />

romands a une rubrique régulière sur le<br />

sujet dans son magazine Éducateur.<br />

reste à élargir le cercle… sur ce thème<br />

comme sur tant d’autres.<br />

École publique de Saint-Didier-sous-Riverie (Rhône). Une pause dans la matinée. Pédagogie alternative – Myr MURATET<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 111


L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/l’école du 3 e type<br />

Les finalités...<br />

Par berNArd collot<br />

la remise en cause de l’école est devenue un serpent de mer. Il<br />

se dit beaucoup de choses, dans toutes les sphères, par toutes<br />

les personnalités. Mais ce qui n’est jamais vraiment mis sur la<br />

table, c’est ce que serait sa finalité 1 .<br />

on Sait PouRQuoi on a construit des<br />

centrales nucléaires. on sait pourquoi<br />

il faudrait les supprimer et les remplacer<br />

par autre chose. lorsqu’on met un<br />

système en place pour répondre à une finalité<br />

quand celle-ci est claire et consensuelle,<br />

suivant ce qu’il est, il implique des conséquences<br />

sur les organisations politiques, économiques,<br />

territoriales, sociales.<br />

BeauCouP De BeLLeS PhraSeS<br />

BeauCouP De Beaux DiSCourS<br />

S’agissant d’école, le sujet de la finalité<br />

d’une école n’est pas vraiment abordé. Beaucoup<br />

de belles et justes phrases sur l’enfant,<br />

beaucoup de beaux discours philosophiques<br />

et humanistes, malheureusement ce n’est pas<br />

avec cela (ou seulement avec cela) qu’une<br />

nation va définir une politique éducative,<br />

orienter et répartir les moyens qu’elle nécessite.<br />

l’école ne convient pas : comme pour les<br />

centrales nucléaires, on peut toujours essayer<br />

d’améliorer le système en y injectant d’autres<br />

éléments (pédagogies, métho des, une demiheure<br />

enlevée pour les rythmes…), essayer<br />

de le consolider (augmentation des postes<br />

d’enseignants), essayer de le sécuriser (ZeP,<br />

Rased, ReaPP…), il reste toujours bancal<br />

et surtout fonctionne sans que personne ne<br />

sache vraiment ce à quoi il veut aboutir, ce<br />

pourquoi il serait nécessaire. Quelque chose<br />

a été oublié : une espèce sociale crée les dispositifs<br />

nécessaires à sa survie et son bienêtre<br />

en mutualisant ses moyens pour qu’ils<br />

soient à la disposition de tous. mais elle sait<br />

ce dont elle a besoin et pourquoi.<br />

dans la recherche de la finalité, on confond<br />

souvent celle-ci avec ce qui la permet (mais<br />

dont tout le monde n’est pas forcément<br />

convaincu) : épanouissement, bienveillance,<br />

respect de la personne, etc. on la confond<br />

avec ce contre quoi on veut lutter (mais<br />

contre quoi tous ne veulent pas lutter), société<br />

de consommation, de la compétition, capitaliste…<br />

et aucun consensus n’est possible.<br />

on ne peut réduire sa finalité à « une école<br />

pour apprendre ». apprendre quoi ? Ce qui<br />

supposerait aussi qu’il n’y a qu’à l’école<br />

qu’on apprend ou qu’on peut appren dre ce<br />

qu’elle serait censée apprendre, qu’il n’y a<br />

que ce que l’école apprend qui serait important,<br />

etc. Ce ne peut être une finalité : apprendre<br />

est une capacité que tout le monde possède<br />

et que chacun met lui-même en branle.<br />

112 // N’Autre école - Q2c N° 5


l’école du 3 e type/L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/<br />

‘’<br />

Beaucoup de belles et justes phrases sur l’enfant, beaucoup de<br />

beaux discours philosophiques et humanistes, malheureusement ce n’est<br />

pas avec cela (ou seulement avec cela) qu’une nation va définir une<br />

politique éducative, orienter et répartir les moyens qu’elle nécessite.<br />

aPPrenDre<br />

C’est de facto tout l’environnement physique<br />

et social qui a ce pouvoir sans même en<br />

avoir conscience.<br />

la finalité pourrait être tout bonnement<br />

« occuper et garder les enfants quand les parents<br />

sont au boulot ou à la recherche de<br />

boulot » ! C’est de facto ce qu’elle est pour<br />

beaucoup, ce qui est aussi un triste reflet de<br />

notre société.<br />

Considérons que l’éducation n’est que la<br />

résultante des interactions dans un ensem ble<br />

de dispositifs, de situations, d’espaces sociaux,<br />

d’environnements… de comportements de<br />

personnes, ensemble dont la finalité est<br />

d’amener l’enfant à l’autonomie 2 d’un adulte<br />

dans l’environnement où il aura à évoluer<br />

(société), avec un plus pour l’espèce humaine :<br />

lui donner aussi la capacité d’agir sur cet environnement,<br />

que ce soit sur l’environnement<br />

physique ou sur l’environnement social. Ceci<br />

‘’<br />

dans l’interdépendance avec les autres membres<br />

de la société à laquelle il appartient,<br />

avec lesquels il vit, desquels il a besoin et<br />

lesquels ont besoin de lui 3 . Quels sont les<br />

outils de l’autonomie que doivent se construire<br />

les enfants pour être et agir dans les différents<br />

mondes créés par notre société ? des outils<br />

neurocognitifs que j’ai définis comme les<br />

langages 4 . nous sortons alors du piège de<br />

« l’apprendre », de « l’apprendre quoi ? » et<br />

même de « l’apprendre comment ? »<br />

Le SenS DeS moyenS<br />

À partir de cela, l’école ne fait plus alors que<br />

partie d’un ensemble avec la même finalité<br />

et elle peut alors ne s’occuper que des conditions<br />

5 qui favorisent la construction des<br />

enfants en adultes armés des outils leur permettant<br />

de s’emparer et de conduire leur<br />

propre vie. les moyens actuels (programmes,<br />

évaluations, chaîne industrielle scolaire tayloriste,<br />

uniformisation… obligation), imposés<br />

1. Pour Guizot, en 1833, la finalité de l’école était claire :<br />

« l’instruction primaire universelle est désormais en effet<br />

une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale. » Pour<br />

ferry et Bert aussi ; 1882 : « nous attribuons à l’État le seul<br />

rôle qu’il puisse avoir en matière d’enseignement et<br />

d’éducation – seul l’État a le droit d’éduquer » et l’école<br />

doit donner « une pensée unique, une foi commune pour un<br />

peuple ». mais ceux qui devaient envoyer leurs enfants à<br />

l’école ignoraient la finalité que les régimes au pouvoir<br />

avaient fixée. À partir de 1950, puis de la massification<br />

(obligation jusqu’à 16 ans), l’école sert ouvertement à<br />

dégager une élite avec une sélection qui se fait progressivement<br />

et toujours produire un type d’individus en rapport avec des<br />

liens culturels, des valeurs admises.<br />

2. autonomie. C’est le terme qui demande le plus de discussions,<br />

d’approfondissements, pour sortir aussi de sa<br />

notion seulement philosophique ou idéologique.<br />

3. l’éducation du chaton par la mère cesse lorsque celui-ci<br />

devient autonome alimentairement (finalité). dans les espèces<br />

sociales l’éducation est plus complexe et dépend de l’ensemble<br />

du groupe avec lequel le futur adulte sera dans des interdépendances.<br />

4. l’autonomie et les pouvoirs d’agir dans notre société dépendent<br />

du développement des outils neurocognitifs qui<br />

permettent de rentrer dans les représentations des différents<br />

mondes créés par le social-historique de cette société et qui<br />

régissent son fonctionnement (monde du verbal, monde de<br />

l’écrit, monde mathématique, monde scientifique…). en<br />

apprendre seulement les codes standardisés dans des langues<br />

ou accumuler les savoirs produits par ces mondes ne rend<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 113


L’ÉCoLe DeS BarriCaDeS/l’école du 3 e type<br />

École publique de Saint-Didier-sous-Riverie (Rhône), boîte à idées<br />

Pédagogie alternative – Myr MURATET<br />

pour attein dre une finalité indéfinissable, incertaine<br />

et non consensuelle parce que non<br />

discutée, n’ont plus de sens.<br />

une ÉCoLe LiBÉrÉe<br />

dans cette finalité simple une autre école et<br />

une autre politique éducative (les moyens<br />

donnés aux communautés territoriales locales<br />

pour créer leurs propres modèles) pourraient<br />

être élaborées. la finalité de l’école ne serait<br />

plus d’alimenter la machine économique, de<br />

préparer les enfants à des professions suivant<br />

l’état du marché du travail, de formater tel ou<br />

tel type de citoyens devant être conformes à ce<br />

qu’un État définit. l’école serait libé rée.<br />

Cette vision quasi biologique du rôle de<br />

l’école, on peut dire aussi écologique si on<br />

s’en tient à ce que l’écologie est la science qui<br />

étudie les systèmes vivants dans les interactions<br />

avec leur milieu et les interactions entre eux,<br />

ne serait plus idéologique, toute idéologie<br />

devant combattre une autre idéologie, l’école<br />

et les enfants en étant alors l’enjeu. ■<br />

un rÉCent raPPort De FranCe-StratÉgie,organisme<br />

lié à Matignon, aborde<br />

la problématique des finalités de<br />

l’école. Il constate bien que le système<br />

éducatif actuel n’est qu’un système<br />

neutre et uniforme pour orga niser une<br />

distribution méritocratique des positions<br />

sociales… À partir de ce constat<br />

et de l’illusion de la notion républicaine<br />

d’égalité des chances pour la réalisation<br />

de cette finalité en elle-même<br />

contestable, il imagine trois modèles<br />

de système éducatif suivant la finalité<br />

privilégiée : l’école censée construire<br />

la société et ses membres - l’école<br />

préparant les élèves aux besoins du<br />

monde professionnel – l’école permettant<br />

l’accomplissement de la personnalité<br />

de chaque élève.<br />

ces trois finalités sont celles qui sont<br />

plus ou moins demandées à l’école<br />

d’assurer, mais elles ne peuvent se retrouver<br />

simultanément dans le même<br />

modèle. d’autre part chacune demande<br />

à ce qu’elle soit conforme aux<br />

besoins supposés de la socié té actuelle.<br />

Mais ce rapport a le mérite de<br />

poser le problème.<br />

le rapport se trouve sur le site : www.strategie.gouv.fr<br />

une analyse du rapport sur blogs.mediapart.fr/bernard-collot/blog/290916/les-finalites-de-lecole-enfin-posees-dans-unrapport<br />

pas autonome si on n’a pas développé les différentes<br />

capacités créatrices qui permettent de comprendre qu’ils<br />

ne sont que la création des langages et surtout qu’ils<br />

pourraient être autres. (l’école de la simplexité, the-<br />

Bookedition.com)<br />

5. l’épanouissement, le bien-être, le plaisir, la liberté<br />

de faire, etc. ne font alors que partie des conditions.<br />

d’autre part l’école est alors un espace où tous les<br />

enfants trouvent les conditions et un environnement<br />

qu’ils n’ont pas tous par ailleurs (inégalités).<br />

114 // N’Autre école - Q2c N° 5


entretien/CuLture/<br />

Entretien<br />

avec Jérôme Baschet<br />

d’une récente exposition historique à la cité des sciences à la<br />

réédition d’Adieux au capitalisme , de l’écho médiatique de son<br />

dernier ouvrage, assez rare pour ce type de travail, à son engagement<br />

au chiapas, les présences de Jérôme baschet sont<br />

multiples et réfléchies.<br />

Nous l’avons interrogé sur la cohérence de ses travaux et de ses<br />

engagements, et, naturellement, sur l’école.<br />

QueStionS de ClaSSe(S) – Dans Corps et âmes**, votre<br />

analyse historique débouche sur un élargissement anthro -<br />

pologique, où l’on quitte l’Occident pour le monde entier,<br />

et le Moyen-Âge pour des temps qui sont à sa frontière (intérieure<br />

?) et jusqu’à aujourd’hui. Pensez-vous en général<br />

que l’histoire doive s’élargir aux sciences sociales, afin<br />

d’y trouver une autre utilité sociale ? Dans la réflexion des<br />

chercheurs ? Dans l’enseignement ?<br />

JÉRôme BaSCHet – il est clair, pour moi, que l’histoire<br />

fait partie du champ des sciences sociales et qu’elle doit<br />

se penser comme telle. Si elles ont des « terrains »<br />

différents, c’est-à-dire des modes de relation différents à<br />

leurs « sources », toutes les sciences sociales ont un<br />

même objectif essentiel : comprendre les logiques des<br />

structures sociales et leurs dynamiques de transformation,<br />

dans la diversité des expériences qui composent la géohistoire<br />

de l’humanité et de ses multiples milieux. au<br />

cours du xx e siècle, c’est la rencontre avec les autres<br />

sciences sociales qui a permis les plus féconds renouvellements<br />

de la discipline historique : la sociologie pour<br />

marc Bloch et lucien febvre, la géographie notamment,<br />

pour fernand Braudel, l’anthropologie pour Jacques le<br />

Goff, qui en a tiré la proposition d’une « anthropologie<br />

historique ». Ceci, pour ne mentionner que quelques<br />

exemples, parmi d’autres possibles.<br />

Corps et âmes,<br />

une histoire de la personne<br />

au Moyen-Âge, Flammarion,<br />

2016.<br />

Adieux au capitalisme<br />

Autonomie, société du bien<br />

vivre et multiplicité des<br />

mondes rééd. la découverte,<br />

2016.<br />

Enfants de tous<br />

les temps, de tous<br />

les mondes, gallimard jeunesse,<br />

2010.<br />

et, en collaboration avec guillaume<br />

goutte, Enseignements<br />

d’une rébellion -<br />

La petite école zapatiste<br />

suivi de Un pont pour communiquer<br />

du compañero Maestro<br />

Galeano, l’escargot, 2014.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 115


CuLture/entretien<br />

Marseille, école primaire quartier de la Joliette. – Myr MURATET<br />

il me semble qu’aujourd’hui, l’un des<br />

enjeux les plus aigus de la discipline historique<br />

consiste à développer des formes de comparatisme<br />

à la fois ambitieuses et rigoureuses.<br />

Cela n’a rien d’aisé, mais c’est indispensable<br />

au moment où semble s’imposer une nouvelle<br />

histoire globale, volontiers pensée à l’échelle<br />

de la planète. or, tous les mondes sociaux<br />

qui ont composé les mondes du passé ne<br />

peuvent être analysés seulement sous l’angle<br />

de leurs « connexions » : il faut aussi être<br />

capable d’en mesurer les écarts, pour pouvoir<br />

les situer à leur juste place, les uns par<br />

rapport aux autres, sans essentialiser les différences<br />

(par exemple entre occident et<br />

orient) mais sans non plus exclure, par principe,<br />

de véritables singularités (sinon, comment<br />

comprendre la domination que l’europe<br />

a imposée à presque tous les autres peuples<br />

du monde ?). Pour cela, l’histoire a besoin<br />

du secours de l’anthropologie, dont l’expérience<br />

en matière de comparatisme est bien<br />

plus ancienne et profonde.<br />

toutes ces questions ne concernent pas<br />

seulement la recherche et pourraient utilement<br />

trouver place dans l’enseignement secondaire.<br />

À travers les classes d’histoire,<br />

c’est bien à la compréhension de la multiplicité<br />

des formes de l’expérience collective<br />

qu’il s’agit d’introduire. Cela passe par la réflexion<br />

sur notre propre histoire, mais aussi<br />

sur celle des autres grandes trajectoires civilisationnelles,<br />

comme c’est le cas dans les<br />

programmes actuels. mais du point de vue<br />

de l’objectif même des sciences sociales, le<br />

privilège accordé aux « Grandes Civilisations<br />

» est tout à fait indu et l’omission des<br />

sociétés qu’on disait autrefois « primitives »<br />

ne se justifie nullement (en réalité, seul le fait<br />

116 // N’Autre école - Q2c N° 5


entretien/CuLture/<br />

toutes ces questions ne concernent<br />

pas seuLement La recherche et pourraient<br />

utiLement trouver pLace dans<br />

L’enseignement secondaire. à travers<br />

Les cLasses d’histoire, c’est bien<br />

à La compréhension de La muLtipLicité<br />

des formes de L’expérience coLLective<br />

qu’iL s’agit d’introduire.<br />

de voir dans l’État la forme légitime de l’organisation<br />

politique, permettant d’échapper<br />

au chaos de la guerre de tous contre tous,<br />

conduit à cette situation). Si on pense au<br />

contraire que les sociétés qu’on ne dit plus<br />

« primitives » sont tout aussi indispensables<br />

que les « Grandes Civilisations » à notre<br />

compréhension de l’expérience humaine<br />

dans sa diversité, alors, un recours accru à<br />

l’anthropologie devrait s’imposer. les indiens<br />

guaranis, par leur philosophie politique<br />

ou les achuars, par leur rapport aux non-humains,<br />

ont tout autant à nous apprendre que<br />

la Chine impériale des ming !<br />

QdC – dans adieux au capitalisme, quand<br />

vous abordez, brièvement, le domaine de<br />

l’école, c’est pour envisager une déscolarisation<br />

au moins partielle, dans la foulée<br />

d’ivan illich. Par ailleurs, il est fait allusion<br />

aux écoles zapa tistes et dans enfants de tous<br />

les temps…, le « modèle école » est envisagé<br />

de manière plus constructive (par Vaneigem<br />

notamment). ne pourrait-on pas<br />

envisager de considérer les classes ou les<br />

écoles populaires (car actuellement l’enseignement<br />

à la maison ou dans des écoles indépendantes<br />

est surtout le fait de membres<br />

des classes aisées) où est pratiquée une autre<br />

péda gogie, par exemple inspirée de freinet<br />

ou de freire, appartiennent à ces « espaces<br />

libérés » dont tu prônes l’expansion ?<br />

J. B. – C’est vrai que, dans adieux au capitalisme,<br />

j’insiste surtout sur la déscolarisation,<br />

dans une démarche fortement inspirée<br />

par ivan illich, dont la pensée est très présence<br />

au mexique, et notamment à l’université<br />

de la terre, à San Cristobal de las Casas.<br />

Cela est lié aussi à la perspective générale<br />

d’une dé-spécialisation qui me semble devoir<br />

caractériser le mouvement vers un<br />

monde libéré des logiques capitalistes – lesquelles<br />

poussent la division du travail et les<br />

dynamiques d’hyperspécialisation à un point<br />

jamais atteint auparavant, qui dessaisit chacun<br />

d’une multitude de capacités à faire et<br />

aboutit souvent à des situations absurdes<br />

(comme le fait d’acheter des salades prélavées<br />

sous plastique, parce que la presse généraliste<br />

est telle qu’on croit ne pas avoir<br />

deux minu tes pour faire le geste simple de<br />

laver une salade – ce qui implique qu’il<br />

existe de lourdes infrastructures, coûteuses<br />

en matériaux et en énergie, pour industrialiser<br />

la production de quelque chose d’aussi<br />

élémentaire qu’une salade).<br />

en fait, je parle d’une déscolarisation partielle<br />

(une part des apprentissages pouvant<br />

se dérouler dans les divers espa ces du faire<br />

collectif, une autre dans des lieux spécifiques,<br />

auxquels pourraient participer des<br />

personnes dont le rôle serait en grande partie<br />

de coordonner les échanges avec les détenteurs<br />

de savoirs particuliers). mais, surtout,<br />

il ne doit y avoir, en cette matière, nul dogmatisme.<br />

du type École ou déscolarisation<br />

(complète). les expériences ne peuvent être<br />

que multiples, et évolutives. du reste, dans<br />

l’expérience de l’autonomie zapatiste, l’attachement<br />

à la forme-École reste très fort,<br />

même si ses modes d’organisation et l’esprit<br />

qui l’anime s’écartent nettement du modèle<br />

dominant.<br />

les expériences pédagogiques alternatives,<br />

menées au sein de la forme-École, peuventelles<br />

être qualifiées d’« espaces libé rés » ?<br />

oui, assurément. il faut pour cela préciser<br />

que je ne parle pas d’espaces entièrement libérés,<br />

purs de toute ingérence des formes de<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 117


CuLture/entretien<br />

domination constitutives de la société de la<br />

marchandise. il suffit qu’ils soient en procès<br />

de libération, en lutte contre la reproduction<br />

de la tyrannie et de la destruction capitalistes.<br />

tout ce que nous faisons pour desserrer<br />

l’emprise de ces logiques, pour nous déprendre<br />

d’automatismes que nous reproduisons<br />

souvent nous-mêmes, dans la perspective<br />

qu’il est possible de nous avancer vers la<br />

construction de mondes non-capitalistes,<br />

tout cela nous aurions, en effet, intérêt à nous<br />

le représenter comme la création et la défense<br />

d’espaces libérés.<br />

QdC – Dans vos différents ouvrages, vous<br />

juxtaposez des centres d’intérêt dont on voit<br />

à la fois la spécificité et le lien : description<br />

des formes variées de l’enfance et de la manière<br />

dont elle a été et est considérée (Enfants<br />

de tous les temps), réfle xion sur ce que<br />

peut être l’anticapitalisme aujour d’hui<br />

(Adieux au capitalisme, auto nomie, société<br />

du bien vivre et multiplicité des mondes), histoire<br />

médiévale permettant d’éclai rer le<br />

contemporain (Corps et âmes). On est à<br />

mille lieues de l’homme de parti d’autrefois,<br />

pliant tout champ de réflexion à un unique<br />

lit de Procuste, mais on est également éloigné<br />

de la préciosité indifférente de nombre<br />

d’intellectuels du temps présent. N’y a-t-il<br />

pas là une figure nouvelle de l’engagement<br />

intellectuel ?<br />

J. B. – Pour moi, l’expérience concrète de la<br />

vie au Chiapas, au contact de la lutte<br />

d’hommes et de femmes, à la fois ordinaires<br />

et extraordinaires, qui construisent jour après<br />

jour un autre monde – le leur – en s’efforçant<br />

de repousser l’hétéronomie capitaliste, est ce<br />

qui a bouleversé ma vie et, accessoirement,<br />

mon travail comme historien. Cela m’a<br />

conduit à divers mélan ges des genres qui,<br />

sans eux, n’auraient probablement pas eu<br />

lieu.<br />

Par exemple, entre passé et présent. il est<br />

clair que, du point de vue des luttes, du point<br />

de vue du désir de transformation sociale,<br />

l’histoire s’écrit au présent. elle commence<br />

nécessairement par le présent. marc Bloch<br />

avait déjà clairement souligné que le rapport<br />

entre présent et passé est constitutif du savoir<br />

historique. on le répè te depuis, à sa suite.<br />

mais, le plus souvent, sans en tirer toutes les<br />

conséquences. or, si l’histoire pense le passé<br />

depuis le présent qui est le sien, penser ce<br />

présent devrait faire pleinement partie de sa<br />

tâche et être assumé comme tel (et pas seulement<br />

comme une réflexion menée à titre<br />

personnel).<br />

encore faut-il préciser que penser l’histoire<br />

depuis le présent n’oblige à nul enfermement<br />

dans ce présent. C’est là au contraire<br />

la principale maladie qui, aujour d’hui, affecte<br />

l’histoire, dans une époque où prévaut<br />

ce que françois Hartog a appelé le présentisme.<br />

oublieux de l’histoire et niant tout horizon<br />

alternatif, le présentisme nous voue à<br />

la fatalité de la réalité existante. C’est très<br />

exactement ce que proclamait françois<br />

furet, en même temps qu’il décrétait la « fin<br />

de la Révolution » : « nous sommes<br />

condamnés à vivre dans le monde dans lequel<br />

nous vivons. » les luttes réelles et les<br />

formes de rébellion et de résistance qui se<br />

manifestent un peu partout nous permettent<br />

de penser que cette sentence peut être démentie.<br />

et l’histoire, jointe aux autres<br />

sciences socia les, en nous faisant voir, depuis<br />

le présent, d’autres mondes possibles,<br />

dans le passé et dans le futur, devrait alimenter<br />

la critique de ce présent et nourrir le désir<br />

d’échapper à la puissance de destruction,<br />

écologique et psychique, qui en émane, de<br />

façon sans cesse plus dévastatrice. Je ne sais<br />

pas si cela fait l’utilité sociale de l’histoire,<br />

mais c’est en tout cas ce qui nous la rend infiniment<br />

précieuse. ■<br />

Propos recueillis par Jean-Pierre fournier<br />

118 // N’Autre école - Q2c N° 5


EN REVUES / LUTTES-ET-RATURES /<br />

EN REVUES…<br />

Le Nouvel éducateur<br />

« Freinet, toujours debout ! »,<br />

n° spécial, octobre 2016, 12 €.<br />

Octobre 2016, c’est le cinquantenaire<br />

de la disparition de Freinet,<br />

mais c’est aussi quatre-vingt-dix<br />

ans de pratiques, d’expérimentations<br />

et de recherches à l’école et<br />

hors de l’école, de la maternelle<br />

au lycée.<br />

Ce numéro exceptionnel de 140<br />

pages présente le mouvement<br />

Freinet, une actualité ancrée<br />

dans l’Éducation nouvelle qui, en<br />

ce début du XXI e siècle, demeure<br />

une force vive de propositions<br />

pour l’école populaire, celle de<br />

tous les enfants.<br />

Un dossier articulé en trois parties<br />

:<br />

– La construction d’un mouvement<br />

pédagogique avec des articles<br />

d’historiens, de compagnons<br />

de Freinet et de militants ;<br />

– L’actualité de la pédagogie Freinet,<br />

tout un avenir, avec des articles<br />

de praticiens, de militants,<br />

des secteurs et chantiers de<br />

l’ICEM ;<br />

– Ensemble pour l’Éducation,<br />

avec des paroles extérieures.<br />

C. C.<br />

Les Cahiers pédagogiques<br />

« Justice et injustices à l’école »<br />

novembre 2016, n° 532, 10 €.<br />

Est-ce vraiment un des meilleurs<br />

numéros des Cahiers depuis<br />

longtemps ou son thème touchet-il<br />

plus au vif la sensibilité militante,<br />

dont on sait qu’elle est à la<br />

source de toutes les constructions<br />

théoriques, et surtout de<br />

toutes les interventions pratiques<br />

? Je ne parle pas des seuls<br />

militants pédagogiques, mais de<br />

tous ceux qui veulent dire haut et<br />

fort, construire l’entraide, et combattre<br />

les injustices qui sont au<br />

fondement de cette société.<br />

En tout cas, ceux-là se plairont à<br />

la description des injustices scolaires,<br />

sous les plumes expertes<br />

et reconnues de François Dubet,<br />

de Bernard Defrance ou d’Éric<br />

Debarbieux. Ils réfléchiront aux<br />

alter natives que présente Sylvain<br />

Connac (le conseil coopératif),<br />

Véro nique Bavière et Christelle<br />

Nayrolles quand elles parlent des<br />

ateliers de réflexion et de réparation<br />

de leurs écoles, mais aussi<br />

d’autres dispositifs (heure de vie<br />

de classe en collège, évaluation<br />

formative, discussion à visées<br />

démo cratique et philosophique).<br />

La question de la justice n’est pas<br />

périphérique, elle touche le cœur<br />

des apprentissages, comme le<br />

montre Sylvie Grau dans un article<br />

qui donne à penser (elle<br />

évoque l’organisation du travail<br />

coopératif en maths). La formule<br />

« à ne pas manquer » est galvaudée,<br />

ce qui est, pour ce numéro…<br />

injuste. J.-P. F.<br />

Réfractions<br />

« La justice hors-la loi », automne<br />

2016, n° 37, 15 €.<br />

Nous l’avons dit fréquemment,<br />

c’est une bonne revue. Elle<br />

aborde cette fois-ci la question de<br />

la justice (« La justice hors-la-loi »)<br />

avec des textes de réflexion et<br />

l’exposé passionnant de deux<br />

expériences actuelles, celle du<br />

Chiapas et celle des Kurdes du<br />

Rojava. S’y ajoutent deux beaux<br />

textes de Kropotkine, qui ne sont<br />

pas à mettre sur la seule étagère<br />

« patrimoine » mais aussi « réfle -<br />

xion durable ».<br />

Peut-être un tour vers la justice<br />

réparative ou restaurative n’aurait-il<br />

pas été superflu ? Il y a<br />

pourtant là de belles réponses<br />

aux recettes mortifères des sécuritaires.<br />

Aucune référence à la<br />

question scolaire – à marier donc<br />

avec le numéro de novembre des<br />

Cahiers pédagogiques sur « Justices<br />

et injustices à l’école ». J.-P. F.<br />

Sciences humaines<br />

« Qu’est-ce qu’une bonne<br />

école ? », octobre 2016, n° 285,<br />

6,50 €.<br />

Ce dossier balaie les notions<br />

d’égalité, de réussite, d’épanouissement,<br />

de climat scolaire, de filières<br />

(Bac pro), d’architecture, ...<br />

Outre Meirieu et Dubet, on trouve<br />

un point sur « les études concernant<br />

l’effet-maître, l’effet-établissement,<br />

l’effet-classe », un panorama<br />

des écoles « autrement » :<br />

sans notes, sans chef, sans école<br />

(à la maison). La revue donne<br />

aussi la parole à ses lecteurs.<br />

L’occasion de faire entendre des<br />

points de vue encore<br />

minoritaires : www.scienceshumaines.com/_education<br />

NC<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 119


LUTTES-ET-RATURES / ÉDUCATION & PÉDAGOGIE<br />

LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT<br />

une histoire politique (1866-1976)<br />

Jean-Paul Martin (dir.), Presses<br />

universitaires de Rennes<br />

(Histoire), 2016, 605 p., 29 €.<br />

Des centaines de milliers de bénévoles,<br />

des milliers de salariés<br />

impliqués dans des activités périscolaires<br />

ou de loisirs, un assemblage<br />

associatif gigantesque<br />

qu’on ne peut ignorer ; en même<br />

temps, un combat de 150 ans en<br />

faveur de la laïcité qui est au départ<br />

la raison d’être de la Ligue et<br />

qui lui donne aujourd’hui une certaine<br />

originalité politique,<br />

puisqu’elle a fait le choix d’une<br />

laïcité de compréhension et de<br />

dialogue, contre la tentation actuelle<br />

d’un raidissement plein<br />

d’arrière-pensées pas très propres.<br />

[...]<br />

Le travail n’avait jamais été réalisé,<br />

même si les acteurs<br />

s’étaient exprimés par écrit, mais<br />

sans la mise en perspective de<br />

l’historien, qui permet de dégager<br />

les enjeux sur un temps plus<br />

long. C’est son premier intérêt.<br />

[...] Un livre, même aussi riche<br />

que celui-ci –nous n’en avons<br />

transcrit que quelques aspects<br />

– ne peut pas tout dire.<br />

Et c’est preuve de sa réussite<br />

quand ses apports, nombreux<br />

sans être touffus, amènent à<br />

d’autres questions. J.-P. F.<br />

Recension complète sur le blog<br />

Luttes-et-ratures<br />

LES BLAGUES À PISA<br />

Le discours sur l’école d’une institution<br />

internationale,<br />

Daniel Bart et Bertrand Daunay,<br />

éditions du croquant, 2016, 131 p.,<br />

12 €.<br />

Le Programme international de<br />

suivi des acquis des élèves a été<br />

lancé en 2000. Une entreprise à<br />

l’échelle planétaire, couronnée de<br />

succès au point d’être devenu un<br />

incontournable (on ne dit même<br />

plus « le » Pisa, comme il conviendrait,<br />

mais « Pisa » tout court…)<br />

Et pourtant, Daniel Bart et Bertrand<br />

Daunay viennent sérieusement<br />

écorner voire désacraliser<br />

la rigueur de cette enquête qui,<br />

pour peu qu’on se penche scientifiquement<br />

sur ses milliers de<br />

pages, tourne effectivement<br />

à la « blague ».<br />

En marge de leurs recherches,<br />

ces deux universitaires ont collecté<br />

« bizarreries », « curiosités »<br />

et « contradictions » qui scandent<br />

ces travaux financés par l’OCDE,<br />

à travers l’exposé des analyses<br />

mais aussi dans les exercices qui<br />

servent de support à cette<br />

enquê te. L’ouvrage présente les<br />

carac téristiques du fonctionnement<br />

du discours du Pisa, son<br />

« raisonnement circulaire », sa parole<br />

d’autorité, ses affirmations<br />

parfois très douteuses (sur l’intelligence<br />

innée…) mais aussi un florilège<br />

de « blagues » issues de la<br />

« littérature » Pisa et rassemblées<br />

en fin de volume. Les fausses évidences<br />

succèdent aux déclarations<br />

incantatoires et aux injonctions<br />

libérales…<br />

Reste malgré tout, le moins drôle,<br />

la mise en évidence, en ce qui<br />

concerne l’école française, d’une<br />

formidable machine à creuser et<br />

légitimer les inégalités… on<br />

n’avait pas besoin de Pisa pour le<br />

savoir, d’autant que la répétition,<br />

de rapports en rapports, de cette<br />

triste réalité, n’a pour l’instant<br />

toujours rien changé au choix de<br />

l’élitisme dans le système éducatif<br />

de la France.<br />

Et là, fini de rire… G. C.<br />

ADOLESCENCE ET<br />

CONSTRUCTION DE L’AUTONOMIE<br />

INTELLECTUELLE ET MORALE<br />

Les conditions de la réussite<br />

Béatrice Clavel, Antoine Castano,<br />

Amandine Lépine,, Chronique sociale<br />

(Pédagogie - Formation),<br />

2016, 80 p., 14,50 €.<br />

Une enquête auprès d’élèves de<br />

seconde pro, en parallèle avec<br />

des lycéens en seconde générale,<br />

permet aux auteurs, à partir des<br />

catégories de Piaget, de montrer<br />

que nombre d’entre eux en restent<br />

au stage figuratif de la pensée<br />

(je perçois globalement, je<br />

réagis ici et maintenant) et ont du<br />

mal à passer à un mode opératif<br />

(j’analyse les éléments d’une situation,<br />

je compare, je construis).<br />

Dans le domaine des capacités<br />

psycho-sociales, pour parler le<br />

langage spécialisé, on va tout de<br />

suite au clash… pour parler le langage<br />

ordinaire.<br />

Travailler le raisonnement, ce devrait<br />

être la tâche de l’école, mais<br />

ce n’est pas le cas, constatent les<br />

auteurs. Pour cela, il faudrait des<br />

méthodes plus actives, et une autre<br />

évaluation. Un regard nouveau<br />

sur des questions qui sont posées<br />

par des auteurs ou des praticiens<br />

très différents, mais dont<br />

les diagnostics convergent.<br />

Un second ouvrage est attendu<br />

sur ce thème : on l’attend ! J.-P. F.<br />

120 // N’Autre école - Q2c N° 5


INTERNATIONAL, SOCIÉTÉ / LUTTES-ET-RATURES /<br />

CHRONIQUES DE GAZA<br />

mai-juin 2016,<br />

Sarah Katz, Pierre Stambul,<br />

Acratie, 2016, 92 p., 10 €.<br />

Les auteurs sont membres de<br />

l’UJFP (Union Française Juive<br />

pour la Paix), organisation juive<br />

anti-sioniste qui s’oppose à la politique<br />

de l’État d’Israël. Ces militants<br />

sont allés à Gaza pour témoigner<br />

et mettre en place des<br />

actions de solidarité. Il résulte de<br />

la mise en ordre de leurs notes<br />

journalières un tableau étonnamment<br />

vivant et varié de la situation<br />

locale : bien sûr elle est vraiment<br />

terrible, et le poids de l’injustice<br />

est sensible sous tous les<br />

aspects de la vie quotidienne. Il<br />

est poignant de lire l’enfermement<br />

des Gazaouis, leur appauvrissement<br />

organisé (l’exemple<br />

de la pêche est particulièrement<br />

parlant), les suites non-cicatrisées<br />

de la guerre. Mais il est<br />

aussi profondément encourageant<br />

de constater la ténacité et<br />

l’inventivité des habitants, notamment<br />

pour ce qui est de la production<br />

agricole et de l’enseignement<br />

: les auteurs évoquent avec<br />

précision les activités d’un peuple<br />

qui ne vit pas prostré mais qui au<br />

contraire multiplie les initiatives.<br />

Ainsi, un échange sur les programmes<br />

de maths dans le supérieur<br />

(Pierre Stambul est enseignant<br />

de mathématiques) semble<br />

assez ahurissant au lecteur…<br />

et symptomatique des capacités<br />

de résistance face à une terrible<br />

adversité.<br />

La surprise est aussi de constater<br />

la variété des options politiques<br />

et idéologiques, qui ne résument<br />

pas à l’affrontement OLP/Hamas/islamistes<br />

: les non-violents,<br />

les marxistes, les croyants tolérants<br />

voire les athées s’expriment<br />

(ce qui ne signifie pas qu’ils ont la<br />

vie facile). Et d’autre part la judéité<br />

affirmée des auteurs est<br />

bien vécue par leurs interlocuteurs.<br />

Un livre qui donne le grain<br />

de la réalité, qui fait réfléchir<br />

aussi sur un des lieux d’oppression<br />

le plus cité de notre planète,<br />

mais pas si bien connu que ça.<br />

J.-P. F.<br />

UN MONDE DE CAMPS<br />

Michel Agier (dir.), La Découverte,<br />

2016 [2014], 423 p., 25 €.<br />

Temporaires ou habités depuis<br />

plusieurs générations, camps de<br />

réfugiés, de migrants, camps<br />

roms : vingt-cinq monographies,<br />

avec un cadrage original pour<br />

chacune d’entre elles, brossent le<br />

tableau de ces mondes « en dehors<br />

», de ces milliers et centaines<br />

de milliers de laissés à<br />

l’écart. Chaque texte montre les<br />

logiques à l’œuvre dans chacune<br />

des situations, haineuses ou indifférentes<br />

la plupart du temps,<br />

les espaces étroits de l’humanitaire,<br />

la ténacité des victimes qui<br />

rusent et résistent. Maintenant<br />

que nous apprenons à vivre à<br />

côté de ces camps, aux portes et<br />

au cœur de l’Europe, il est plus<br />

qu’intéressant de les connaître :<br />

c’est une tâche de solidarité car,<br />

on le sait, mieux comprendre<br />

c’est mieux agir. Pas simplement<br />

à côté, mais à leurs côtés. J.-P. F.<br />

QUE FAIRE<br />

CONTRE LES INÉGALITÉS<br />

30 experts s’engagent<br />

Collectif, Observatoire des inégalités,<br />

118 p., 2016, 7,50 €.<br />

D’abord les connaître : une trentaine<br />

d’articles brefs, secteur par<br />

secteur. L’école n’est pas oubliée,<br />

d’abord évoquée dans le texte général<br />

d’introduction de Louis<br />

Maurin et Nina Schmitt, puis sujet<br />

de trois articles. On retiendra<br />

d’abord celui de Jean-Paul Delahaye,<br />

incisif à la fois sur la question<br />

des moyens qui manquent<br />

aux élèves pauvres et sur la pédagogie.<br />

D’autres articles (logement,<br />

santé, droit au séjour, discriminations)<br />

concernent également<br />

nos élèves et leurs parents,<br />

et décrivent les mécanismes :<br />

une dénonciation efficace car<br />

précise. Avec l’interrogation fondamentale<br />

de Patrick Savidan, reprise<br />

de son livre, sur cette<br />

étrange attitude vis-à-vis de l’inégalité,<br />

qui explique tant d’obstacles,<br />

y compris chez nos collègues…<br />

et qui mérite à son tour<br />

explication ! J.-P. F.<br />

Luttes-et-ratures<br />

d’autres notes de<br />

lecture (littérature,<br />

Bd, histoire, pédagogie,<br />

jeunesse,<br />

etc.) sont à découvrir<br />

sur le blog Q2C luttes et ratures...<br />

un blog régulièrement mis<br />

à jour pour suivre au plus près<br />

l’actualité éditoriale et qui accueille<br />

également vos contributions.<br />

www.questionsdeclasses.org<br />

/luttes-et-ratures/<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 121


LUTTES-ET-RATURES / FICTIONS & BD<br />

L’ESSAI<br />

Nicolas Debon, Dargaud, 2015,<br />

80 p., 16,45 €.<br />

« Lorsqu’un homme rêve, ce<br />

n’est qu’un rêve : Que plusieurs<br />

hommes rêvent ensemble et<br />

c’est le début d’une réalité ».<br />

C’est cette utopie réelle que ce<br />

magnifique album au graphisme<br />

épuré et expressif nous fait découvrir<br />

: Celle de « L’Essai », colonie<br />

libertaire fondée par Jean-<br />

Charles Fortuné Henry en 1903<br />

et démantelée en 1909.<br />

Au début : La volonté solitaire<br />

d’un homme qui s’installe dans<br />

une clairière perdue des Ardennes<br />

et l’hostilité des villageois<br />

qui se méfient de cet étranger<br />

prétendant « créer la colonie initiale<br />

de l’humanité future ». Puis<br />

c’est l’arrivée des camarades<br />

anarchistes et syndicalistes qui<br />

prennent part à l’aventure, surmontent<br />

les difficultés matérielles<br />

et donnent vie à l’idéal de liberté<br />

et d’égalité. Viennent ensuite les<br />

curieux des villages alentour, interloqués,<br />

intéressés par l’expérience<br />

: « Rien n’est enviable<br />

comme le bonheur ni contagieux<br />

comme l’exemple ». Et en 1906,<br />

c’est la création d’une imprimerie<br />

et d’un journal, « le Cubilot »:<br />

« Nos idées vont se propager au<br />

fond des consciences ». Mais le<br />

caractère autoritaire de Fortuné,<br />

la rudesse du quotidien, les tensions<br />

entre l’idéal social du projet<br />

et la réalité de la vie dans la colonie<br />

sont autant de coups portés à<br />

« L’Essai ».<br />

L’expérience s’est terminée…<br />

Mais elle a existé. Et cet album<br />

touchant qui la fait revivre nous<br />

fait beaucoup de bien en réaffirmant<br />

que les idéaux sont faits<br />

pour être réalisés. A. H.<br />

KOBANE CALLING<br />

Zerocalcare, Cabourakis, 2016,<br />

270 p., 23 €.<br />

Zerocalcare, bédéaste du milieu<br />

alternatif romain, dessinateur de<br />

la contre-culture punk italienne<br />

nous offre une BD qui oscille entre<br />

reportage à la Joe Sacco et<br />

carnet de voyage décalé, sincère<br />

et sensible. En 2014 puis en<br />

2015, l’auteur a accompagné<br />

une petite délégation apportant<br />

du matériel sanitaire au Rojava<br />

syrien dans le but de savoir, si oui<br />

ou non « on ne raconte pas des<br />

conneries sur la révolution, le<br />

confédéralisme démocratique,<br />

les femmes, tout ça », à la rencontre<br />

des miliciens et miliciennes<br />

kurdes des YPG-YPJ.<br />

Le récit mêle mise à distance et<br />

doute inhérent aux règles du reportage<br />

et expériences personnelles<br />

de Zerocalcare, ses peurs<br />

(il y a de quoi !), son empathie<br />

(profonde) et une distanciation<br />

constante par l’humour et un<br />

dessin aux expressions graphiques<br />

variées et parfois totalement<br />

décalées. Un livre important.Un<br />

livre important. F. S.<br />

CATCH 22<br />

Joseph Heller, Grasset (Le Livre de<br />

poche), 1985 [1961], 638 p.,<br />

8,10 €.<br />

Relisant pour la troisième fois (en<br />

quarante ans quand même), L’attrape-nigaud<br />

de Heller, j’ai eu envie<br />

de partager ce très grand roman<br />

étasunien, roman absurde,<br />

bouffon, révolté et kafkaïen qui<br />

préfigure MASH et les fictions<br />

anti-guerre du cinéma et de la littérature<br />

des États-Unis.<br />

En 1945, sur une petite île de la<br />

Méditerranée, Yossarian, un aviateur<br />

à bord d’un B-25, cherche<br />

par tous les moyens à échapper à<br />

la guerre et sa finalité, sa propre<br />

mort. Roman à la temporalité indéfinissable,<br />

dans un récit en spirale,<br />

boucles et mises en abyme,<br />

le lecteur rencontre des officiers<br />

supérieurs plus préoccupés de se<br />

faire la guerre entre eux que<br />

contre l’ennemi, un officier d’intendance<br />

qui fait du commerce<br />

international y compris avec l’ennemi<br />

avec lequel il passe contrat<br />

pour bombarder sa propre escadrille,<br />

des hommes obsédés par<br />

les femmes, prostituées romaines,<br />

infirmières ou comtesse<br />

italienne et plus encore obnubilés<br />

par leur tour de mission qui une<br />

fois bouclé leur permettrait de<br />

rentrer au pays. Mais il y a l’Article<br />

22 - catch 22 - auquel doit faire<br />

face Yossarian qui se fait passer<br />

pour fou en recevant, complètement<br />

nu et pour une mission ratée,<br />

une médaille. Hélas l’Article<br />

22 stipule : « Quiconque veut se<br />

dispenser d’aller au feu n’est pas<br />

réellement fou. »<br />

Livre culte des opposants à la<br />

guerre du Vietnam, ce roman, satire<br />

burlesque de la hiérarchie militaire<br />

et du capitalisme débridé,<br />

122 // N’Autre école - Q2c N° 5


FICTIONS & HISTOIRE / LUTTES-ET-RATURES /<br />

est un des très grand roman de<br />

l’après-guerre, paru en 1961 aux<br />

États-Unis (Gallimard, 1964) et<br />

qui a été réédité et retraduit en<br />

1985 chez Grasset et au Livre de<br />

poche sous le titre original de<br />

Catch 22 dans une traduction<br />

plus moderne. F. S.<br />

LE TALON DE FER<br />

Jack London, traduit de l’américain<br />

par Philippe Motimer, Libertalia,<br />

2016, 450 p., 16 €.<br />

Proposé dans une traduction totalement<br />

renouvelée, avec un appareil<br />

critique et un dossier très soigné<br />

consacré à la réception de<br />

l’œuvre, le fameux roman d’anticipation<br />

sociale de Jack London<br />

mérite d’être (re)découvert aujourd’hui,<br />

tant il résonne avec<br />

l’actualité la plus noire du moment.<br />

Les choix narratifs (un récit fictif<br />

rétrospectif, des « effets de réel »<br />

à travers les notes de bas de<br />

page qui présentent le roman<br />

comme un « document » sur l’histoire<br />

des luttes ouvrières du début<br />

du XX e siècle) en font un texte<br />

puissant, porté par le souffle de<br />

l’écriture de London. C’est aussi<br />

une réflexion politique lucide où<br />

certaines prédictions se sont, hélas,<br />

avérées prophétiques.<br />

Un classique de la littérature sociale<br />

de combat qui trouve ici un<br />

bel écrin. G. C.<br />

Chez le même éditeur, voir aussi<br />

Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret<br />

l’astre noir du surréalisme, (Libertalia,<br />

2016, 328 p., 18 €) et sa recension<br />

sur notre site.<br />

VOYAGE<br />

EN TERRES D’ESPOIR<br />

Edwy Plenel, Les éditions de l’atelier,<br />

2016, 479 p., 25 €.<br />

C’est à une déambulation en<br />

terres d’espoir et de lutte que<br />

nous convie Edwy Plenel, avec<br />

comme guide et compagnon de<br />

voyage le Dictionnaire biographique,<br />

mouvement ouvrier, mouvement<br />

social (Le Maitron, pour<br />

reprendre le nom de son instigateur,<br />

instituteur révolutionnaire).<br />

L’ouvrage comporte deux parties,<br />

la première est une réflexion sur<br />

cette entreprise éditoriale sans<br />

pareil. Une « une autre histoire »,<br />

celle des opprimé.e.s rassemblés<br />

dans le Maitron sous le nom<br />

« d’ouvriers » synonyme ici de militant.e.s.<br />

Un nom générique qui<br />

dépasse largement les seuls travailleurs<br />

pour embrasser la vie de<br />

tous ceux et toutes celles qui luttent,<br />

prolétaires ou artistes et esclaves<br />

en révolte. « Une histoire<br />

actuelle », précise Plenel, celle de<br />

« l’immense multitude » dont il<br />

faut préserver le passé pour sauver<br />

l’avenir…<br />

La seconde partie du livre reproduit<br />

une sélection de notices biographiques.<br />

Un choix totalement<br />

arbitraire revendiqué par Plenel<br />

au nom de la géographie, de son<br />

intimité, du choix des oubliés et<br />

de méconnus, des obscurs ou<br />

tout simplement du hasard des<br />

pages qui se tournent… En deux<br />

ou trois phrases ou bien en plusieurs<br />

pages, ces notices balisent<br />

un itinéraire qui passe par les colonies,<br />

l’exil, les révolutions, bien<br />

entendu, mais aussi toutes les<br />

formes de résistance à l’oppression<br />

: la chanson, la sculpture, le<br />

savoir.<br />

Derrière l’hommage au dictionnaire,<br />

c’est un appel à reprendre<br />

en main notre histoire, elle « n’est<br />

jamais écrite [...] elle ne fait rien.<br />

Nous la faisons, dans la rencontre<br />

des individus et des circonstances.<br />

Une rencontre dont il dépend<br />

de nous, et de nous seuls,<br />

qu’elle soit désastreuse ou prometteuse.<br />

» G. C.<br />

Je m’abonne ou j’abonne un proche<br />

la revue n’autre école est en vente<br />

en librairie (diffusion Harmonia mundi)<br />

et par abonnement.<br />

5 numéros : 25 € tarif normal<br />

15 € précaires / 30 € international & soutien.<br />

Chèques à l’ordre de Questions de classes,<br />

à envoyer à Questions de classe(s),<br />

CiCP, 21 ter, rue Voltaire 75020 Paris<br />

ou bien en paiement en ligne sur le site :<br />

www.questionsdeclasses.org/Commandes-et-abonnement-a-notrerevue-et-a-nos-ouvrages<br />

les 4 premiers numéros sont toujours disponibles<br />

au prix de 5 € + frais de port (2,80 €).<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 123


LUTTES-ET-RATURES / LECTURE JEUNESSE<br />

MARIE CURIE :<br />

NON AU DÉCOURAGEMENT<br />

Roman historique<br />

Élisabeth Motsch, Actes Sud<br />

Junior (Ceux qui ont dit non),<br />

2016, 94 p., 8 €.<br />

Trente-troisième titre de la collection<br />

« Ceux qui ont dit non »,<br />

ce court roman historique<br />

débute le jour où Marya<br />

Skłodowska et ses sœurs se<br />

font refouler avec mépris par le<br />

préposé aux inscriptions à l’université<br />

de Varsovie : « Des filles<br />

voulant se mêler aux garçons<br />

sur les bancs de l’illustre université<br />

! Quelle incorrection ! » Mais<br />

heureusement, Marya ne s’est<br />

pas découragée.<br />

Ce récit facile à lire retrace de<br />

manière assez exhaustive le<br />

parcours de Marie Curie, première<br />

femme à avoir reçu un<br />

prix Nobel (et même deux !) :<br />

les obstacles à surmonter avant<br />

de pouvoir se lancer dans sa<br />

carrière scientifique, sa rencontre<br />

avec Pierre Curie, leurs recherches<br />

sur le radium et la radioactivité,<br />

son engagement auprès<br />

des blessés pendant la<br />

Première Guerre mondiale, ses<br />

craintes quant aux usages possibles<br />

de ses découvertes.<br />

Un petit livre qui raconte que<br />

les filles ont le droit d’être fortes<br />

en sciences et que les femmes<br />

ont toute leur place parmi les<br />

« grands hommes » ! A. H.<br />

LA DÉCLARATION DES DROITS<br />

DES MAMANS / LA DÉCLARA-<br />

TION DES DROITS DES PAPAS<br />

Album à partir de 6 ans.<br />

Élisabeth Brami, Estelle Billon-<br />

Spagnol (ill.), Talents hauts,<br />

2016, 32 p., 12,50 € chaque.<br />

Ces 2 albums sont soutenus par<br />

Amnesty international pour que<br />

les stéréotypes et les discriminations<br />

soient combattus. 15 articles,<br />

un par double page pour les<br />

deux albums, appuyés par des illustrations<br />

très drôles et convaincantes<br />

de situations de la vie quotidienne.<br />

1 er article des droits des<br />

mamans : Le droit de ne pas être<br />

parfaites. De ne pas tout savoir<br />

sur tout, de se tromper, d’oublier,<br />

de faire des bêtises et parfois, de<br />

lâcher un gros mot. Elles n’ont<br />

pas de super-pouvoirs.<br />

8 e article des droits des papas :<br />

Le droit de n’être ni sportifs, ni<br />

bricoleurs, ni costauds, ni machos<br />

: de n’avoir pas d’auto,<br />

même pas le permis moto.<br />

De n’être pas des super-héros.<br />

2 albums à avoir dans toutes les<br />

familles ! À partir de 5 ans. S. N.<br />

MON AMI PRÉHISTORIQUE<br />

Album à partir de 6/7 ans.<br />

Karim Ressoumi-Demigneux,<br />

Chloé Fraser (ill.), Rue du Monde,<br />

2016, 32 p., 16,50 €.<br />

Antonin n’a plus peur depuis qu’il<br />

parle et vit des moments imaginaires<br />

avec son ami… préhistorique…<br />

Il apprend à crier, à chasser<br />

le mammouth et sort de ses<br />

pensées en se découvrant une<br />

règle à la main poursuivant son<br />

chien. Une histoire très riche par<br />

les paroles de l’enfant qui verbalise<br />

ses craintes et son appréhension<br />

et parfois même son incompréhension<br />

du monde ; l’écriture<br />

est vive et piquante, elle frappe<br />

juste, on est bien dans la tête de<br />

l’enfant. Antonin va puiser dans<br />

son imaginaire la force qui lui permettra<br />

de dépasser ses peurs.<br />

« Comme j’avais peur des cauchemars,<br />

j’avais peur de m’endormir.<br />

Mais j’avais également peur de<br />

me réveiller, car sitôt tombé du lit,<br />

après avoir enfin réussi à mettre<br />

mes chaussons à l’endroit, il fallait<br />

manger pour prendre des<br />

forces mais pas mettre mes<br />

coudes sur la table… répondre<br />

aux questions, mais pas parler la<br />

bouche pleine, m’essuyer la<br />

bouche mais pas me lécher les<br />

doigts, me laver les dents longtemps<br />

mais prendre une douche<br />

rapide… »<br />

Chloé Fraser illustre à merveille<br />

cet imaginaire et apporte elle<br />

aussi une belle touche délicate<br />

aux situations ; elle est à la fois<br />

descriptive et toujours empathique.<br />

S. N.<br />

Voir les autres notes sur notre site<br />

Luttes-et-ratures.<br />

n’autre école, la revue de Questions<br />

de classe(s), n° 5 – hiver 2016/2017<br />

Périodicité : trimestriel<br />

Prix du n° : 5 € / iSSn 2491- 2697<br />

dir. de publication : n. Hernoult<br />

maquette & mise en page : G. Chambat<br />

Correction : S. Bidault<br />

iconographie : myr muratet<br />

une et der de couv. : É. Zafon<br />

Site & contact :<br />

www.questionsdeclasses.org<br />

contact@questionsdeclasses.org<br />

abonnements<br />

Paiement en ligne sécurisé sur le site<br />

ou par courrier à Questions de classe(s) n’autre<br />

école, CiCP,<br />

21 ter, rue Voltaire 75011 Paris.<br />

Chèques à l’ordre de « Questions de classes »<br />

impression :<br />

la Source d’or, Clermont-ferrand<br />

diffusion<br />

Harmonia mundi livres libertalia<br />

Publiée sous Creative commons.<br />

Pas d’utilisation commerciale.<br />

124 // N’Autre école - Q2c N° 5


LECTURES JEUNESSE / LUTTES-ET-RATURES /<br />

LIBERTÉ D’EXPRESSION :<br />

A-T-ON LE DROIT DE TOUT DIRE ?<br />

Documentaire jeunesse<br />

Daniel Schneidermann, Étienne Lécroart<br />

(ill.), la ville brûle<br />

(Jamais trop tôt), 2015, 64 p., 10 €.<br />

Excellent ce manuel sur la liberté<br />

d’expression : 20 chapitres pour<br />

expliquer ce droit fondamental,<br />

explorer ses limites, étudier les<br />

cas particuliers. Exemples de<br />

thème abordé : « Censure et autocensure<br />

», « Pourquoi il faut critiquer<br />

les médias », « A-t-on le droit<br />

de rire de Dieu ? ».<br />

Destiné aux adolescents, Daniel<br />

Schneidermann, journaliste fondateur<br />

d’Arrêt sur Images nous<br />

livre une analyse claire, servie<br />

avec humour par des illustrations<br />

pertinentes d’Étienne Lécroart.<br />

C. T.<br />

Dans la même collection (voir sur<br />

notre site : Pourquoi les riches<br />

sont-ils de plus en plus riches ?)<br />

CE QUI NOUS RASSEMBLE<br />

Album<br />

Noé Carlin, Sandra Poirot Chérif<br />

(ill.), Rue du Monde (Mes petites<br />

collections), 2016, 48 p., 13,80 €.<br />

Ce qui nous rassemble ? Tout<br />

simplement les toutes petites<br />

choses de la vie, ces choses que<br />

l’on a tous faites mais dont on n’a<br />

pas forcément parlé aux autres…<br />

« essayer de semer son ombre en<br />

courant très vite », « croire qu’on<br />

est le seul à faire des oreilles de<br />

lapin sur la photo de classe »…<br />

Noé Carlain (pseudonyme de 2<br />

auteurs, Carl Norac et Alain<br />

Grousset) recense(nt) nos petites<br />

manies, nous les humains de tout<br />

âge et de toute origine ! Jolie entrée<br />

dans la réflexion sur nos<br />

points communs. S. N.<br />

Le site de l’illustratrice :<br />

http://sandrapoirotte.blogspot.f<br />

r/2016/08/en-librairie.html<br />

CE TIGRE A AVALÉ<br />

MON CARNET DE DESSIN<br />

Album à partir de 7 ans<br />

Alain Serres, Laurent Corvaisier,<br />

Rue du Monde, 2016, 40 p., 17 €.<br />

Alain Serres raconte Laurent Corvaisier<br />

qui se dessine dans les situations<br />

dans lesquelles l’a mis<br />

l’auteur. Comme à son habitude,<br />

Alain Serres raconte poétiquement<br />

et avec humour, ici, la passion<br />

de Laurent Corvaisier pour la<br />

peinture, sa façon de voir le<br />

monde et de le croquer.<br />

Laurent est heureux quand il<br />

peint et malheureux quand il ne<br />

touche pas à ses <strong>coul</strong>eurs, alors<br />

soit tout est beau autour de lui,<br />

soit tout est triste. Son plus grand<br />

trésor est contenu dans son carnet<br />

de dessins qu’il emporte partout<br />

avec lui. Et puis une nuit il se<br />

réveille en sueur ! Il a perdu son<br />

carnet ! Alors il va mener l’enquête<br />

et arriver jusqu’au tigre de<br />

la ménagerie ; il est persuadé que<br />

c’est lui qui l’a avalé ! Ira-t-il<br />

jusqu’à lui ouvrir le ventre pour retrouver<br />

son précieux carnet…<br />

Un livre d’art ! Un livre qui ouvre<br />

des portes comme sait si bien le<br />

faire Rue du Monde ! L’auteur et<br />

l’artiste nous offrent leur connivence,<br />

que l’on savoure. S. N.<br />

* Rue du Monde publie en même temps<br />

que cet album Ceci est mon carnet de<br />

dessin, le carnet de Laurent Corvaisier<br />

qu’a bien failli avaler le tigre !<br />

PAPA, POURQUOI<br />

T’AS VOTÉ HITLER ?<br />

1933, les nazis arrivent<br />

au pouvoir en Allemagne<br />

Récit historique - fiction<br />

Didier Daeninckx (texte) et Pef (ill.),<br />

Rue du monde (Histoire d’Histoire),<br />

2016, 48 p., 15,80 €.<br />

Au début de ce récit historique<br />

fictionnel, cet opus met en<br />

scène une famille allemande en<br />

mars 1933. Le père vote Hitler<br />

et la mère s’y oppose. Rudi se<br />

souvient et raconte : triomphe<br />

d’Hitler, premières brimades et<br />

violences contre les juifs,<br />

construction du camp de Dachau,<br />

autodafé, parades nazis,<br />

... Puis, la dernière partie de l’album<br />

raconte la guerre, les bombardements,<br />

l’arrivée des<br />

troupes américaines, la ville détruite.<br />

Comme les autres titres de la<br />

collection Histoire d’Histoire, ce<br />

texte sensible et adapté au public<br />

de fin de primaire et début<br />

collège, – mais pouvant être lu<br />

jusqu’en 3 e –, est accompagné<br />

d’un fil documentaire constitué<br />

de documents d’époque qui<br />

éclairent le récit. Les illustrations<br />

de Pef rythment l’album<br />

en jouant de toute la palette<br />

des <strong>coul</strong>eurs, du rouge des SA<br />

et des militants nazis aux verts<br />

sombres, aux bruns et aux gris<br />

qui peignent la mort et les ravages<br />

du totalitarisme. F. S.<br />

N’Autre école - Q2c N° 5 // 125

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