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Histoire - Fondation de la France Libre

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epasser sans fils électriques : elles les<br />

chauffent sur un poêle. Ces fers paraissent<br />

légers. Il y en a aussi <strong>de</strong> toutes les formes.<br />

Les <strong>de</strong>moiselles m’expliquent que c’est<br />

pour repasser <strong>de</strong> différentes manières,<br />

pour repasser différentes choses.<br />

Mon père invite Y…, son ami d’enfance,<br />

professeur, à déjeuner. La conversation<br />

porte sur les systèmes sco<strong>la</strong>ires français<br />

et canadiens. J’apprends qu’ici, <strong>la</strong> numérotation<br />

<strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses est l’inverse <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

numérotation canadienne : en <strong>France</strong>,<br />

on commence par <strong>la</strong> onzième, alors qu’au<br />

Canada, on commence par <strong>la</strong> première.<br />

Les manières d’enseigner l’écriture sont<br />

aussi comparées : mon père se retourne<br />

vers mon frère et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : « À partir<br />

<strong>de</strong> quand utilise-t-on l’encre au Canada ? »<br />

Mon frère répond : « On utilise un stylo à<br />

partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> sixième ». Mon père se<br />

retourne, horrifié, vers Y… et lui dit : «Tu<br />

te rends compte, à partir <strong>de</strong> 11 ans ! ». Au<br />

cours <strong>de</strong> ce repas, mon frère apprend qu’il<br />

entrera en « huitième » ; moi, j’entrerai en<br />

« neuvième ». C’est pour octobre prochain.<br />

Mon père trouve enfin du travail.<br />

La nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Roosevelt nous<br />

parvient à mi-avril. Peu après, notre mère<br />

et nous quittons Paris pour <strong>la</strong> maison<br />

d’enfance <strong>de</strong> notre mère, du côté <strong>de</strong> Nice.<br />

Un ami d’enfance <strong>de</strong> ma mère nous<br />

attend à <strong>la</strong> gare, avec une voiture à cheval !<br />

La route monte, monte, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s<br />

nuages. Nous arrivons enfin à <strong>la</strong> maison<br />

d’enfance <strong>de</strong> ma mère ; nous y sommes<br />

accueillis par Candi<strong>de</strong>, <strong>la</strong> vieille domestique,<br />

qui avait élevé notre mère. Elle a un<br />

mari, Orféo, et une fille, Fernan<strong>de</strong>, à peu<br />

près <strong>de</strong> nos âges.<br />

Première coupe <strong>de</strong> champagne : <strong>la</strong> capitu<strong>la</strong>tion<br />

alleman<strong>de</strong>. Certains – autour <strong>de</strong><br />

moi – évoquent un 11 novembre. Je<br />

comprends que ce n’est pas <strong>la</strong> première<br />

fois que les Allemands s’en prennent à <strong>la</strong><br />

<strong>France</strong>.<br />

14 l Décembre 2011 • N° 42<br />

HISTOIRE<br />

Maman doit rentrer sur Paris ; elle nous<br />

<strong>la</strong>isse sous le contrôle d’Orféo et <strong>de</strong><br />

Candi<strong>de</strong>.<br />

Orféo bat sa femme !<br />

Orféonousdonneduvin:« Ce<strong>la</strong> fait <strong>de</strong>s<br />

hommes », dit-il.<br />

Outre Fernan<strong>de</strong>, il y a Wanda et Michèle,<br />

ses cousines. Nous assistons à leur première<br />

communion : les filles sont en robes<br />

<strong>de</strong> mariées ! Nous allons à <strong>la</strong> pêche<br />

ensemble, sur <strong>la</strong> jetée du port.<br />

L'été venu, les voisins aiment se réunir le<br />

soir, bavar<strong>de</strong>r entre eux, tous âges mé<strong>la</strong>ngés.<br />

Auparavant, notre mère nous avait inscrits<br />

au lycée local, pour le troisième trimestre<br />

<strong>de</strong> l’année sco<strong>la</strong>ire, lycée où ellemême<br />

et son frère avaient brillé, récoltant<br />

prix et félicitations, année après année.<br />

Vient donc cette rentrée <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses. Je<br />

prépare avec soin le plumier ramené du<br />

Canada et mon cahier, acheté en <strong>France</strong><br />

avec <strong>de</strong>s coupons <strong>de</strong> rationnement.<br />

Comme au Canada, les élèves se mettent<br />

en rang <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> leur salle <strong>de</strong><br />

c<strong>la</strong>sse, en attendant <strong>la</strong> maîtresse.<br />

Généralement, les pupitres sont partagés<br />

par <strong>de</strong>ux élèves, mais l’on m’indique un<br />

pupitre où je serai seul. La maîtresse me<br />

<strong>la</strong>nce un regard noir puis annonce qu’elle<br />

va faire une dictée. Je suis content, j’étais<br />

bon en orthographe française au Canada.<br />

Qu’est-ce qu’on dicte vite en <strong>France</strong> ! J’en<br />

suis encore à écrire le titre quand elle termine<br />

<strong>la</strong> dictée <strong>de</strong> <strong>la</strong> première phrase.<br />

Toute <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse hurle, textuellement :<br />

« Madame, il écrit au crayon en caractères<br />

d’imprimerie ».<br />

La maîtresse abor<strong>de</strong> une expression <strong>de</strong><br />

mépris, <strong>de</strong> dégoût même. Elle dit quelque<br />

chose et l’on m’apporte une bouteille<br />

d’encre et un petit bâton en bois terminé<br />

par un objet métallique pointu. L’instant<br />

suivant, il y a <strong>de</strong>s taches d’encre plein<br />

Visitez notre site :<br />

mon cahier, plein ma chemise (du<br />

Canada). La maîtresse n’en a cure. Elle<br />

continue sa dictée. Je n'arrive pas à suivre ;<br />

il y a <strong>de</strong> l’encre partout.<br />

Je prendrai donc <strong>de</strong>s leçons d’écriture<br />

cursive. […]<br />

Je découvre les manuels sco<strong>la</strong>ires <strong>de</strong> mon<br />

oncle maternel, décédé en 1943. Je découvre<br />

en particulier un Manuel d’Éducation<br />

civique et une Leçon <strong>de</strong> choses. Je trouve<br />

aussi une collection complète <strong>de</strong> Science<br />

et Vie datant <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre 14-18 et une<br />

<strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine française. […]<br />

Notre mère vient nous chercher en septembre,<br />

en prévision <strong>de</strong> <strong>la</strong> rentrée <strong>de</strong>s<br />

c<strong>la</strong>sses dans un lycée parisien.<br />

J’entre donc en « neuvième ». Dès le premier<br />

jour, Madame M…, <strong>la</strong> maîtresse, me<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire une conférence sur le<br />

Canada pour le lundi suivant ! Mon père<br />

en rédige le texte. Ma mère <strong>de</strong>ssine une<br />

gran<strong>de</strong> carte du Canada. J’apporte, ce<br />

lundi-là, les trois flèches et <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> coiffure<br />

indienne (une vraie coiffe donnée par<br />

un vrai chef indien).<br />

Cette initiative <strong>de</strong> Madame M… effacera<br />

toute distinction entre les autres enfants<br />

et moi : heureuse initiative.<br />

Mais, il me restait l'image <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieille<br />

dame sans savon <strong>de</strong> qualité. Reste aussi le<br />

souvenir <strong>de</strong> ma première dictée. Et, comment<br />

oublier le « c’est pas moi, c'est les<br />

Alliés » du contrôleur SNCF.<br />

Ainsi, au contraire <strong>de</strong> mon père, <strong>de</strong>s<br />

Français avaient pu ignorer l'état <strong>de</strong><br />

guerre et <strong>la</strong> présence alleman<strong>de</strong> sur notre<br />

sol ! Une minorité, sans doute, ai-je pensé<br />

en 1945.<br />

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