Les bouleversements induits par la guerre civile en Somalie ... - IRD
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144 Mohamed Mohamed-Abdi<br />
camps, <strong>la</strong> confrontation avec un univers très différ<strong>en</strong>t). La rupture avec les traditions,<br />
du fait de <strong>la</strong> <strong>guerre</strong> puis de l’adaptation nécessaire à un univers occid<strong>en</strong>tal, a<br />
permis le rapprochem<strong>en</strong>t des communautés somali<strong>en</strong>nes; les tabous qui les sé<strong>par</strong><strong>en</strong>t<br />
se bris<strong>en</strong>t peu à peu. <strong>Les</strong> mariages « mixtes », c’est-à-dire dont l’un des époux<br />
ap<strong>par</strong>ti<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> caste waable et l’autre à celle des waranle ou des wadaad, rec<strong>en</strong>sés<br />
ici et là à travers <strong>la</strong> diaspora somali<strong>en</strong>ne, <strong>en</strong> sont le témoignage le plus frappant. J’ai<br />
personnellem<strong>en</strong>t rec<strong>en</strong>sé, <strong>en</strong> juillet 1999 au Canada, vingt-trois familles « mixtes »<br />
constituées depuis l’exode (après 1991) et cinq dans les camps de Dadaab <strong>en</strong> 1997.<br />
Il pourrait être intéressant d’étudier les stratégies que ces couples ont développées<br />
pour faire admettre leur union au sein de <strong>la</strong> communauté.<br />
Le démantèlem<strong>en</strong>t de l’État et des infrastructures, <strong>la</strong> désintégration de <strong>la</strong><br />
société somali<strong>en</strong>ne, le déchirem<strong>en</strong>t des factions armées <strong>en</strong> une multitude de c<strong>la</strong>ns<br />
opposés, <strong>la</strong> prés<strong>en</strong>ce internationale à l’écoute des « minorités », <strong>en</strong>fin, ont donné <strong>la</strong><br />
possibilité aux marginaux waable et aux minorités ka baxsanayaal de fonder des organismes<br />
(<strong>par</strong>tis ou associations) qui les représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t et déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t leurs droits. En<br />
fait, les t<strong>en</strong>tatives antérieures ont toutes échouées. Dans les années quatre-vingt,<br />
des diplômés et des commerçants waable ont approché des paysans bantou pour t<strong>en</strong>ter<br />
d’organiser les « forces productives » (c’est ainsi qu’ils se désignai<strong>en</strong>t) et constituer<br />
un <strong>par</strong>ti les représ<strong>en</strong>tant. Cette démarche, d’abord <strong>en</strong>couragée <strong>par</strong> le<br />
gouvernem<strong>en</strong>t de Siad Barre, a été <strong>en</strong>travée <strong>par</strong> lui (ce qui est <strong>par</strong>adoxal, vu les<br />
mesures prises <strong>par</strong> ailleurs <strong>en</strong> faveur des mêmes groupes) et est restée sans résultat.<br />
Peu avant l’éc<strong>la</strong>tem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> <strong>guerre</strong> <strong>civile</strong>, certains waable et reer Barre ont r<strong>en</strong>oué<br />
avec leurs anci<strong>en</strong>s patrons-maîtres, <strong>en</strong> adhérant à leurs <strong>par</strong>tis fondés sur des bases<br />
c<strong>la</strong>niques. Peut-être espérai<strong>en</strong>t-ils tirer profit de <strong>la</strong> montée <strong>en</strong> puissance des <strong>par</strong>tis<br />
d’opposition et <strong>par</strong>ticiper à <strong>la</strong> conquête du pouvoir. <strong>Les</strong> voyant, <strong>par</strong> <strong>la</strong> suite, se<br />
déchirer <strong>en</strong>tre eux et dans l’impossibilité d’atteindre rapidem<strong>en</strong>t leur objectif, ils<br />
ont cessé leur souti<strong>en</strong>, d’autant plus qu’ils n’avai<strong>en</strong>t pas été é<strong>par</strong>gnés <strong>par</strong> les<br />
« chasses aux sorcières ». Mais ils n’ont pas pour autant essayé de se regrouper. Ces<br />
échecs sont imputables au fait que les minorités bantou et les waable n’ont pu transc<strong>en</strong>der<br />
leurs affiliations c<strong>la</strong>niques premières de dép<strong>en</strong>dance et, plus sûrem<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>core, au fait qu’ils n’étai<strong>en</strong>t pas prêts à se manifester à visage découvert, <strong>en</strong><br />
constituant des <strong>en</strong>tités représ<strong>en</strong>tant c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t leurs intérêts. C’est finalem<strong>en</strong>t <strong>la</strong><br />
conjonction de plusieurs facteurs qui a permis que ces popu<strong>la</strong>tions s’organis<strong>en</strong>t et<br />
fond<strong>en</strong>t diverses organisations et <strong>par</strong>tis, à <strong>par</strong>tir de 1993-94. Ainsi le Somali National<br />
Union (SNU) est le <strong>par</strong>ti représ<strong>en</strong>tant les B<strong>en</strong>adiri au s<strong>en</strong>s <strong>la</strong>rge; le Somali African<br />
Moki Organization (SAMO), celui des Bantou; le United Somali Roots (USR), celui<br />
des waable. Ces <strong>par</strong>tis ont su se faire reconnaître <strong>par</strong> les instances internationales travail<strong>la</strong>nt<br />
<strong>en</strong> <strong>Somalie</strong>, et <strong>par</strong> l’<strong>en</strong>semble des factions armées et des <strong>par</strong>tis somali<strong>en</strong>s.<br />
Ils ont ainsi été conviés à différ<strong>en</strong>tes confér<strong>en</strong>ces de réconciliation nationale (Addis-<br />
Abeba, Sodere, Le Caire). Ce phénomène est <strong>en</strong>couragé <strong>par</strong> des débats et des<br />
confér<strong>en</strong>ces publics sur les ondes 9 , <strong>en</strong> <strong>Somalie</strong> et au sein de <strong>la</strong> diaspora, souv<strong>en</strong>t<br />
9 La BBC a programmé, <strong>en</strong> juin-juillet 1998, une série d’émissions-débats intitulée Quursigu qiil ma leeyahay<br />
? (Y a-t-il des raisons au mépris?) Des interv<strong>en</strong>ants de toutes les catégories sociales, et de toutes les<br />
communautés somali pouvant capter <strong>la</strong> BBC, y ont <strong>par</strong>ticipé <strong>en</strong> direct.