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Les bouleversements induits par la guerre civile en Somalie ... - IRD

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136 Mohamed Mohamed-Abdi<br />

Paradis ». Ce choix d’appel<strong>la</strong>tion, volontairem<strong>en</strong>t irrévér<strong>en</strong>cieux vis-à-vis des<br />

conv<strong>en</strong>tions religieuses, exprime peut-être pour les groupes wadaad une rev<strong>en</strong>dication<br />

du statut de guerrier-waranle.<br />

La troisième caste, celle des waable, se situe au plus bas de l’échelle sociale : les<br />

« castés », ou marginaux, ne possèd<strong>en</strong>t ni terre, ni points d’eau (bi<strong>en</strong> qu’ils creus<strong>en</strong>t<br />

les puits dans certaines régions), ni gros bétail (celui de valeur); pire, ils ne<br />

peuv<strong>en</strong>t avoir d’id<strong>en</strong>tité autre que celle du patron dont ils dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t : conserver<br />

leur mémoire généalogique leur est interdit, ils sont nasab dhimaan (sans lignée).<br />

Leurs re<strong>la</strong>tions avec les Somali nobles pass<strong>en</strong>t toujours <strong>par</strong> le biais de leur patron,<br />

qui les représ<strong>en</strong>te d’ailleurs devant <strong>la</strong> loi. Dans certaines régions, le meurtre d’un<br />

marginal ne nécessite aucune ré<strong>par</strong>ation.<br />

La tradition orale explique et justifie l’exist<strong>en</strong>ce de ces groupes <strong>par</strong> <strong>la</strong> faute<br />

anci<strong>en</strong>ne d’un homme dont <strong>la</strong> desc<strong>en</strong>dance a donc été mise à l’écart, marginalisée<br />

et méprisée. Dans <strong>la</strong> plu<strong>par</strong>t des cas, <strong>la</strong> faute correspond à <strong>la</strong> transgression d’un<br />

interdit religieux: les Midgaan sont ceux qui, comme leur ancêtre, mang<strong>en</strong>t de <strong>la</strong><br />

viande impure (le gibier n’est pas égorgé), ou <strong>en</strong>core qui « se nourriss<strong>en</strong>t de<br />

cadavres d’animaux » ! Quant aux Yibir, leur ancêtre était un sorcier puissant qui<br />

terrorisait les popu<strong>la</strong>tions al<strong>en</strong>tour; il fut vaincu <strong>par</strong> un cheikh musulman, ancêtre<br />

de l’une des confédérations somali. Le don que tout Somali fait au premier Yibir<br />

qui se prés<strong>en</strong>te à <strong>la</strong> naissance de son fils ou lors de son mariage est sa contribution<br />

au prix du sang que les « desc<strong>en</strong>dants » du cheikh (i.e. les Somali nobles) doiv<strong>en</strong>t<br />

verser pour <strong>la</strong> mort du sorcier Yibir. D’autres traditions racont<strong>en</strong>t aussi que les<br />

Tumaal sont les desc<strong>en</strong>dants d’un homme inconnu qui fut recueilli, avec ses deux<br />

<strong>en</strong>fants, <strong>par</strong> une tribu noble et qui fut obligé de fonder famille avec une femme<br />

Midgaan, car aucun membre de <strong>la</strong> tribu ne souhaitait lui donner sa fille <strong>en</strong> mariage<br />

du fait de ses origines inconnues. Le meurtre d’un notable (chef, cheikh) ou d’un<br />

<strong>par</strong><strong>en</strong>t proche (père, mère, frère…) est considéré comme odieux et sans comp<strong>en</strong>sation<br />

possible. Le criminel est alors banni de sa tribu et n’a d’autre recours pour<br />

survivre que de rejoindre l’un des groupes marginaux.<br />

De nombreux interdits sont imposés aux waable, avec toutefois quelques différ<strong>en</strong>ces.<br />

Il n’y a pas de mariage possible <strong>en</strong>tre les nobles et eux, quels qu’ils soi<strong>en</strong>t.<br />

Autrefois, ces unions « coupables » étai<strong>en</strong>t le plus souv<strong>en</strong>t sanctionnées très sévèrem<strong>en</strong>t.<br />

La peine de mort pour le couple fautif et ses <strong>en</strong>fants était souv<strong>en</strong>t appliquée<br />

lorsque l’infraction était découverte. Sinon, le noble contrev<strong>en</strong>ant perdait son<br />

statut et était relégué au rang de marginal. Lorsqu’un campem<strong>en</strong>t s’établit, le<br />

groupe des familles marginales se p<strong>la</strong>ce toujours à l’écart, <strong>en</strong> aval du campem<strong>en</strong>t<br />

noble <strong>par</strong> rapport à <strong>la</strong> rivière ou au-delà de celui-ci <strong>par</strong> rapport au v<strong>en</strong>t dominant.<br />

Leur littérature elle-même est méprisée : <strong>par</strong> exemple, leur littérature versifiée,<br />

tous g<strong>en</strong>res confondus, est dite maanyo, que l’on peut r<strong>en</strong>dre <strong>par</strong> « petite poésie »<br />

ou « verbiage poétique ». À l’époque coloniale, des marginaux se sont vu refuser<br />

l’accès à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, <strong>par</strong> les <strong>en</strong>seignants somali, sous prétexte que les basses<br />

besognes ne nécessit<strong>en</strong>t aucune instruction 6 .<br />

6 J’ai recueilli dans un des camps de Dhadhaab le témoignage d’un homme Midgaan sur sa condition de<br />

marginal. Préférant garder l’anonymat, il a néanmoins t<strong>en</strong>u les propos suivants: « Lorsque j’étais <strong>en</strong>fant, je

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