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Même pas peur<br />
FÉVRIER 2017/ N°<strong>16</strong> /3 €<br />
100 %<br />
pur<br />
belge *<br />
* Avec un peu de Français<br />
dedans mais du bon<br />
N° <strong>16</strong> 2017 - Belgique 3 € - www.memepaspeur-lejournal.net/ Editeur rersp. Etienne Vanden Dooren, 28 rue de l’Ange 6001 Marcinelle (B)<br />
Colère, colère...
2 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / FÉVRIER 2017<br />
Manifestation le 21 mars à Bruxelles<br />
À Bruxelles comme ailleurs en Belgique,<br />
les problématiques liées au logement sont<br />
de plus en plus importantes. Les loyers ne<br />
cessent d’augmenter poussant les locataires<br />
à consacrer une part toujours plus importante<br />
de leurs revenus. Le loyer moyen est<br />
passé de 346 € en 1992 à 695 € en 2013 et<br />
rien qu’ entre 2004 et 2013 le loyer moyen a<br />
augmenté de 20 %… Rappelons également<br />
que le revenu mensuel d’un(e) isolé(e) au<br />
C<strong>PAS</strong> est de 860 € tandis que celui d’un(e)<br />
isolé(e) touchant des allocations d’insertion<br />
du chômage est de 760 €, la recherche d’un<br />
logement devient dès lors un véritable parcours<br />
du combattant. Sans compter nombre<br />
de propriétaires véreux(ses) qui refusent<br />
de louer à des allocataires du C<strong>PAS</strong> ou du<br />
chômage et ceux-celles qui n’hésitent pas<br />
à louer des logements complètement insalubre<br />
à des prix exorbitants sachant très<br />
bien que leurs locataires n’oseront pas se<br />
plaindre de peur de ne plus retrouver de<br />
logement.<br />
Le nombre de SDF a lui aussi fortement<br />
augmenté (on estime cette augmentation à<br />
plus de 33 % entre 2010 et 2015 allant jusqu’à<br />
atteindre 5.000 personnes). Pendant ce<br />
temps le nombre de logements vides serait<br />
compris entre 15.000 et 30.000 ce qui représente<br />
de 3 à 6 logements laissés à l’abandon<br />
par SDF dans la capitale. S’il y a des SDF ce<br />
n’est donc pas dû à une fatalité mais bien<br />
à une volonté politique de mettre la propriété<br />
privée au-dessus du droit au logement.<br />
La spéculation immobilière joue un<br />
rôle prépondérant dans ce nombre élevé de<br />
bâtiments abandonnés. En effet, en laissant<br />
volontairement des logements inoccupés<br />
les gros(ses) propriétaires rendent l’offre<br />
virtuellement plus faible que la demande<br />
ce qui engendre… une hausse des loyers !<br />
La situation dans les sociétés de logements<br />
sociaux n’est guère meilleure. La<br />
mauvaise gestion et le manque de volonté<br />
politique font que bien des logements<br />
publics restent eux aussi à l’abandon pendant<br />
que près de 50.000 ménages restent<br />
sur des listes d’attente, parfois pendant<br />
de nombreuses années. Dans certains<br />
quartiers cette situation désastreuse saute<br />
aux yeux comme par exemple à la Roue à<br />
Anderlecht où plus de 80 logements sont<br />
murés et laissés à pourrir. La cité-jardin du<br />
Floréal à Watermael-Boitsfort où le nombre<br />
de logements abandonnés atteint le chiffre<br />
faramineux de <strong>16</strong>4. Ces sociétés de logements<br />
publics n’hésitent pas à expulser<br />
les locataires qui ne peuvent ou ne veulent<br />
plus payer et sont bien souvent plus expéditifs<br />
que les propriétaires privés à virer<br />
les squats.<br />
Face à cette situation nous n’attendons<br />
rien de l’état. Ses réponses restent toujours<br />
les mêmes: répressions, contrôle et<br />
mesures médiatiques ridicules. Les proréappropriation<br />
des logements vides<br />
PIRATONS BXL,<br />
collectif de squatteur(euse)s<br />
Nouvelle<br />
LE COLERIQUE<br />
cédures d’expulsions de squats et de locataires<br />
sont de plus en plus expéditives. Des<br />
projets de loi visant à criminaliser les plus<br />
pauvres en punissant le squat sont régulièrement<br />
remis sur le tapis ces dernières<br />
années. Autre exemple : la loi Onkelinx<br />
de 1993 permettant aux bourgmestres<br />
de réquisitionner les logements vides n’a<br />
presque jamais été appliquée et ce n’est pas<br />
la réquisition avec un but purement médiatique<br />
d ’un étage d’immeuble pour en faire<br />
des logements qui va y changer grandchose<br />
surtout quand on sait que la ville de<br />
Bruxelles elle-même possède de nombreux<br />
bâtiments vacants.<br />
Notre réponse aux problématiques de<br />
logements se veut directe, autonome de<br />
tout parti politique ou syndicat et mise<br />
en œuvre par les premier(e)s concerné(e)s.<br />
Nous prônons l’occupation des bâtiments<br />
vides tant pour y habiter que pour y mener<br />
des activités, y créer des espaces de rencontres,<br />
de discutions, de créations. Ces<br />
espaces se veulent autogestionnaires, horizontaux<br />
et libérés autant que possible des<br />
rapports marchands ainsi que des oppressions<br />
racistes, sexistes, homophobes, transphobes<br />
et autres dominations qui régissent<br />
actuellement la société. Nous ne nous laisserons<br />
pas intimider par la répression !<br />
Organisons-nous collectivement pour lutter<br />
contre les expulsions de squatteur(euse)s et<br />
de locataires ! Un toit pour toutes et tous !<br />
C’est pour défendre ces revendications<br />
que nous appelons comme nous l’avions<br />
déjà fait l’année dernière à venir manifester<br />
en cette date symbolique du début de printemps<br />
et du début des expulsions de locataires<br />
de logements sociaux ce 21 mars 2017.<br />
Jean-Luc Dalcq<br />
C’était un coléreux.<br />
Un sanguin de belle envergure. Un Jupiter qui démarrait au quart de tour, comme ça,<br />
quasi pour rien. Un Raoul en colère. Capable d’en produire de bien sombres et d’autres<br />
véritablement homériques. Les murs en tremblaient encore bien après même si, depuis<br />
le temps, sa femme s’en était fait raison. Et à propos de raison, un jour, après qu’il eut<br />
frôlé un arrêt cardiaque une fois encore pour des broutilles, celle-ci vint le visiter plus<br />
en profondeur que d’ordinaire. Comme son tempérament, voire son idiosyncrasie, ne<br />
semblait pas en mesure de freiner le processus naturel, il n’eut plus le choix. Après avoir<br />
lu l’essai du psychologue et psychanalyste Jacques Arènes Accueillir la faiblesse, il se posa<br />
cette question essentielle. « Et si nos faiblesses servaient de socle à la construction de notre bonheur<br />
intérieur ? » Plutôt que recevoir ce pensum en souffrance ou de réfuter nos limites,<br />
pourquoi ne pas en faire une force ? Qui plus est, à une époque de bataille rangée économique.<br />
Matérialiser cette carence dans un combat susceptible de servir une pensée tant<br />
progressive qu’indépendante. Tiens, en voilà une idée!<br />
Il prit alors un registre de commerce, devint free lance et se mit à son compte. Et très vite<br />
devint incontournable en revendant ses colères qu’il produisait sans faillir. Livrées clé<br />
en main et prêtes à l’emploi. Nombre de leaders syndicalistes et de partis dits d’opposition<br />
se bousculèrent au portillon de sa clientèle, histoire d’utiliser ce produit colérique haut<br />
de gamme dans la sphère de leurs activités. L’époque était à nouveau à la contestation.<br />
Face au gouvernement inflexible, en effet, la grogne populaire montait un peu partout.<br />
Comme la matière première mais surtout les prétextes étaient intarissables, il se mit à<br />
produire des monceaux de colères. Et bien sûr devint richissime. Mais un jour, étrangement,<br />
tout s’arrêta. Incapable de produire la moindre colère, il fut contraint de mettre la<br />
clé sous le paillasson. Les comportementalistes de tous bords furent dans l’impossibilité<br />
de fournir la moindre explication.<br />
Depuis, contraints de passer des décrets dans une indifférence quasi générale, les gouvernements<br />
successifs, privés d’opposition susceptible de virer au rouge, s’ennuient.<br />
Quant à notre ancien colérique, il ne se souvient de rien. Bienveillant, subitement à<br />
l’écoute du monde et totalement tourné vers autrui, il pense même à se lancer dans une<br />
carrière politique.<br />
Noir, jaune, bouse<br />
Ainsi donc, une grrrrande enquête<br />
dépeint un citoyen belge en rupture de<br />
confiance envers ses institutions, tenté<br />
par le repli sur soi et enclin à rejeter<br />
l’étranger. Tu parles d’un scoop. Paraît<br />
même qu’on a payé un sociologue pour<br />
ça, alors qu’avec deux ou trois potes<br />
bourrés, on aurait déjà pu l’écrire il y a<br />
longtemps sur le zinc d’un café miteux<br />
en échange de quelques chopes et d’un<br />
cervelas.<br />
Derrière ce faramineux travail d’investigation,<br />
il y a la fondation « Ceci n’est pas<br />
une crise ». De prime abord, la fille a l’air<br />
aguichante mais les bas résille cachent<br />
en réalité de purulentes varices. Dans le<br />
bestiaire de ses membres figurent en effet<br />
quelques éminents thuriféraires du capitalisme<br />
bien-pensant : Philippe Busquin,<br />
Éric Domb, Louis Michel, Philippe Maystadt,<br />
Bruno Colmant (« oups-je-me-suistrompé-sur-les-intérêts-notionnels<br />
»)…<br />
La liste des partenaires démange également<br />
les zygomatiques. À côté des assureurs,<br />
on trouve notamment Proximus et<br />
Mithra, dont les dirigeants sont de foutus<br />
défenseurs de l’intérêt général ; l’une s’est<br />
récemment fendue d’une déchirante diatribe<br />
envers notre si cruelle fiscalité des<br />
entreprises, et l’autre se fait entendre à<br />
trois kilomètres tant il traîne des casseroles.<br />
Du lourd. La dream team.<br />
Mes amis, coupons court à tout espoir<br />
candide : ces tristes sires ne nous sauveront<br />
pas. John Emerich Edward Dalberg-<br />
Acton, qui n’était pourtant pas un révolutionnaire<br />
exalté, l’avait déjà compris il<br />
y a plus d’un siècle : « Le pouvoir tend à<br />
corrompre, le pouvoir absolu corrompt<br />
absolument ». La suite de la citation est<br />
moins connue, mais cinglante : « Les<br />
grands hommes sont presque toujours<br />
des hommes mauvais ». Et paf.<br />
Une précaution s’impose. Loin de moi<br />
l’idée de mettre tous les hommes politiques<br />
(et les femmes aussi d’ailleurs, la<br />
connerie transcende les genres) dans le<br />
même panier du « tous pourris ». Beaucoup<br />
font de chouettes trucs et certain(e)s<br />
sont même des potes. Il est bien ici question<br />
d’une mafia certes minoritaire mais<br />
dangereusement agissante. Tous les<br />
partis sont touchés par cette engeance,<br />
même si c’est à droite qu’on trouve les<br />
plus beaux spécimens. Le PS, au moins,<br />
avait fait son mea culpa par anticipation<br />
- et inadvertance, manifestement -<br />
par l’usage ad nauseam de l’antienne,<br />
navrante d’impuissance et d’arrogance,<br />
« Sans nous, ce serait pire ».<br />
Ils ne sauveront pas le monde car ce<br />
sont justement eux qui l’ont construit. De<br />
toute façon, ils l’ont déserté depuis longtemps.<br />
Ces gens vivent hors sol. Alain<br />
Deneault évoque conceptuellement un<br />
Mark Harris<br />
rapport disloqué au réel 1 tandis que Frédéric<br />
Lordon compare sarcastiquement<br />
Emmanuel Macron à une tomate hydroponique<br />
2 . Dans cet univers, il est tout<br />
juste possible de vivre avec 5100 € nets<br />
par mois (Henri Guaino), alors même que<br />
les pains au chocolat coûtent 15 centimes<br />
(Jean-François Copé). Chez nous, un avocat<br />
palpe 1000 € de l’heure (Armand de<br />
Decker), et la minute à poser son cul sur<br />
une chaise pèse quelques centaines d’euros<br />
(Publifin). Dans une société saine, on<br />
ne leur confierait même pas la comptabilité<br />
d’un club de belote. Alors pensez<br />
donc, des milliards d’argent public…<br />
Malheureusement, nos élus locaux ne<br />
sont souvent guère plus brillants. C’est<br />
à l’émergence d’une Jacqueline Galant,<br />
dont la bêtise suinte pourtant par tous les<br />
pores, qu’on mesure la gravité de la situation.<br />
Ce n’est pas Jurbise, mais la faune<br />
politique de ma commune recèle également<br />
des espèces dégénérées et nuisibles.<br />
Dans cette jungle impitoyable où règnent<br />
la triche, le mensonge et le fric facile, tous<br />
ne sont pas égaux devant la pratique du<br />
langage. On notera la faiblesse du vocabulaire,<br />
à l’exception du registre de l’insulte.<br />
Le peu de mots qu’ils connaissent alimentent<br />
les mantras néolibéraux ressassés<br />
machinalement en lieu et place d’une<br />
pensée propre, depuis longtemps éteinte.<br />
Il est étonnant (et dramatique) qu’ils<br />
parviennent à se reproduire tant leur<br />
sexisme exacerbé semble témoigner d’un<br />
rapport problématique à l’autre sexe. Le<br />
machisme n’y est cependant pas l’apanage<br />
de la gent masculine. Témoin cette<br />
mandataire s’enorgueillissant, devant<br />
ses collègues mâles, de la taille de ses<br />
seins ou de la qualité de ses fellations.<br />
Mais ce qui frappe par-dessus tout, c’est<br />
leur incapacité à réfréner leurs pulsions.<br />
Chaque prise de parole s’apparente à<br />
une éjaculation précoce de l’esprit. Les<br />
limites de la bienséance (mais pas seulement)<br />
leur sont totalement étrangères.<br />
C’est ainsi qu’une opposante politique<br />
peut être publiquement, dans une réjection<br />
incontrôlée de testostérone, agonie<br />
d’injures et de leçons de morale à deux<br />
balles. Moi, la morale, je m’en fous. Mais<br />
s’ils souhaitent en dispenser des cours,<br />
qu’ils s’occupent d’abord de la leur. Selon<br />
leurs critères, y a du boulot.<br />
Bref, mes amis, ne comptez plus sur<br />
eux. Ne les laissez pas instiller dans votre<br />
cerveau la haine de l’autre, la culpabilité<br />
de ne pas avoir de travail, la honte d’être<br />
différent. Ne comptez plus sur eux car<br />
ils sont déjà morts, ou en phase terminale<br />
d’un cancer de l’ego. La société est<br />
malade ? Peut-être. Mais pas de vous.<br />
1 « La médiocratie », Lux, 2015<br />
2 Frédéric Lordon à HEC Débats, Youtube
FÉVRIER 2017 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / 3<br />
L’Éditorial<br />
À MÊME <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong>, nous sommes en colère contre tant de<br />
bêtises humaines qu’il nous faut lutter férocement contre un<br />
irrésistible engourdissement émotionnel (dit aussi «syndrome<br />
siestophile aigu»). Mais reconnaissons qu’en ce début d’année,<br />
même si nous entendons la voix lointaine des sauveteurs<br />
scander l’éternel « Restez avec nous, ne vous endormez pas », l’hibernation<br />
nous a tendu ses bras moelleux et, reconnaissonsle,<br />
certains ont succombé.<br />
Et là, une fois léthargiques, vous imaginez bien, chers<br />
mêmepaspeurien(e)s, qu’on ne peut se permettre de réveiller<br />
à la légère Marmotte Insoumise qui sieste, vieux Grizzly<br />
Belliqueux ronflant ou Grand Gosier Atrabilaire assoupi. ça<br />
craint.<br />
De plus, une partie de l’équipe, les plus fragiles, a pécho la<br />
scarlatine bovine H2 V4 B8 X69. D’autres vomissent encore<br />
chapons et foies - ou faux - gras de 20<strong>16</strong>.<br />
Vous trouverez les Survivors, Résurrectors et autres Mêmepasporcs<br />
dans ce douze pages héroïque !
4 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / FÉVRIER 2017<br />
s’instruire en s’amusant<br />
L’enfance de la colère André Clette<br />
Les bébés naissent tous en colère. Il n’y<br />
a qu’à voir leur visage rouge, leur front<br />
plissé, leurs poings serrés, entendre<br />
leurs cris de rage d’avoir été mis au<br />
monde. C’est une colère terrible. Une<br />
colère contre le monde entier. Contre<br />
l’existence même du monde. Une colère<br />
divine.<br />
Regarder la colère d’un bébé, c’est<br />
regarder Dieu dans les yeux et contempler<br />
l’attendrissant spectacle de son<br />
impuissance.<br />
Que faisait Dieu avant la création de<br />
l’univers ? se demandait Saint Augustin<br />
qui écrivit quelques centaines de ses<br />
plus belles pages pour nous amener à<br />
conclure qu’on n’en sait foutre rien. Et<br />
que ça ne nous regarde pas.<br />
Sans doute, Dieu était-il plongé dans<br />
une plénitude sans jour ni nuit, comme<br />
le bébé dans le ventre de sa mère, une<br />
plénitude d’avant la création du monde<br />
ou tout baignait pour lui. Et puis, soudain,<br />
la lumière fut, il y eut un soir, il y<br />
eut un matin. Finie la belle vie. C’est un<br />
déferlement de sensations, d’informations,<br />
de contacts, d’altérité… L’univers<br />
s’impose dans sa brutalité.<br />
On devine Dieu déboussolé par ce<br />
bouleversement total, en proie aux<br />
sentiments les plus contradictoires.<br />
On comprend qu’après la surprise<br />
et la peur vienne la colère. On comprend<br />
son irritabilité et sa propension<br />
à l’emportement.<br />
On comprend surtout ce qui a conduit<br />
l’homme à faire Dieu à son image et à<br />
inventer la « chute du paradis ». Naître<br />
incite à la mauvaise humeur.<br />
Dieu est à nos côtés<br />
Les dieux ont un sale caractère, on<br />
sait cela depuis la plus haute antiquité.<br />
Du haut de l’Olympe, Zeus maniait<br />
la foudre pour un oui pour un non.<br />
Sa femme Héra ne lui cédait en rien.<br />
Athéna n’était pas en reste, toujours<br />
prête à provoquer un déluge, à envoyer<br />
la peste et la famine ou à transformer<br />
une rivale en araignée pour un cheveu<br />
traînant dans la baignoire.<br />
Le Dieu des monothéistes ne vaut<br />
guère mieux. Face à qui lui résiste, les<br />
déluges et les pluies de feu sont ses<br />
arguments de prédilection.<br />
C’est du moins ce qu’affirment les<br />
Écritures. Car il y a belle lurette que<br />
Dieu n’intervient plus lui-même. Toujours<br />
irascible et désagréable comme<br />
un chef de bureau peu sûr de lui, il<br />
fait désormais intervenir ses subalternes,<br />
toujours diligents quand il s’agit<br />
de mener une sainte inquisition, une<br />
pieuse croisade ou un zélé jihad. « With<br />
God on our Side », comme chantait un<br />
récent prix Nobel…<br />
Bien sûr, les humains ne disposent<br />
pas de tous les moyens des dieux<br />
pour exprimer leur colère, mais ils se<br />
débrouillent plutôt bien quand même.<br />
Question déluges de feu et autres manifestations<br />
de courroux, ils ont bien<br />
appris. On a fait de grands progrès<br />
depuis la guerre de Troie et les colères<br />
homériques du bouillant Achille.<br />
« Plomb durci », « Tempête du désert »,<br />
« Aube de l’Odyssée » ou « Détermination<br />
absolue », ça n’était pas de la gnognote.<br />
En plus de témoigner d’une belle<br />
inventivité pour traduire « On va vous<br />
en mettre plein la gueule »…<br />
Saintes colères<br />
« La colère est le toucher du diable »<br />
proclame un livre saint. Bizarrement,<br />
bon nombre de religions classent la<br />
colère parmi les péchés capitaux. Alors<br />
qu’elle est pourtant un excellent remède<br />
à la mélancolie et au ressassement<br />
dépressif. Après tout, se mettre « hors<br />
de soi » est un bon début pour aller à la<br />
rencontre de l’autre. Ce qui est quand<br />
même plus ou moins la raison sociale<br />
des religions.<br />
D’ailleurs, les mêmes religions qui<br />
condamnent la colère s’empressent de<br />
la réhabiliter quand ça les arrange. La<br />
patience de Dieu, comme sa miséricorde,<br />
ont des limites. On y est vite.<br />
La Bible regorge d’éminents colériques,<br />
avec des figures comme Jacob,<br />
Moïse, Job ou Jésus. Ainsi, dans un<br />
accès de colère, Moïse réduit en poudre<br />
les tables de la Loi que Dieu vient de lui<br />
confier. Dans la foulée, il massacre 3000<br />
infidèles. Dieu est content. Il offre à<br />
Moïse des tables toutes neuves. L’évangile<br />
nous apprend que Jésus, très en<br />
colère, chasse les marchands du temple<br />
en maniant le fouet avec la maestria<br />
d’un dompteur de chez Bouglione.<br />
Doux Jésus…<br />
Ce sont là de saintes colères. On peut<br />
les donner en exemple aux enfants.<br />
Car les enfants apprécient le spectacle<br />
de la colère. Ils en sont friands. Quoi<br />
de meilleur que le moment où Guignol<br />
furieux bastonne le gendarme ? Quel<br />
délicieux spectacle que la fureur muette<br />
et toute en retenue d’un Oliver Hardy<br />
lorsqu’il passe sa colère en persécutant<br />
son comparse Laurel ! Quelle jubilation<br />
quand le capitaine Haddock s’emporte<br />
et déploie des chapelets d’injures ! Et<br />
quelle rigolade quand Joe Dalton, tout<br />
rouge, trépigne de rage en cognant sur<br />
ce benêt d’Averell !<br />
Parmi les figures de la colère, l’incroyable<br />
Hulk occupe une place de<br />
choix. Ce brave gars se transforme<br />
en géant vert forcené, destructeur<br />
et invincible, à chaque fois que son<br />
pouls s’affole sous l’effet du stress ou<br />
de l’indignation. Ça déchire grave. Au<br />
sens propre. À chaque épisode, c’est au<br />
moins une chemise qui part en lambeaux<br />
sous la pression de sa musculature<br />
en expansion.<br />
On observera qu’il conserve toujours<br />
sa culotte. Que se passe-t-il dans cette<br />
culotte tandis que le reste du corps<br />
prend une taille démesurée ? On ne<br />
le saura pas. La culotte protégera toujours<br />
cette partie de son anatomie que<br />
les dévots jugent honteuses. C’est à cela<br />
qu’on reconnait que la colère de Hulk<br />
est une sainte colère.<br />
Il existe aussi de saintes colères à<br />
l’usage des adultes. Elles sont souvent<br />
tout aussi réjouissantes. On ne saurait<br />
en faire le tour dans cette brève<br />
rubrique. Mais il serait dommage de<br />
ne pas terminer sans évoquer l’image<br />
hilarante de ce président de parti qui,<br />
le nœud papillon en bataille, glapissait<br />
naguère : « J’en ai marre des parvenus ».<br />
Et, si vous voulez mon avis, on n’a pas<br />
fini de rigoler.<br />
Des révélations sur Donald
FÉVRIER 2017 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / 5<br />
le repos du guerrier<br />
L'oe i l de l’Observatoire<br />
Bruxellois du Clinamen<br />
Halte à l’élevage<br />
des puces en<br />
batterie !<br />
Dr Lichic<br />
Il est de plusieurs espèces comme de certains<br />
mendiants dans la rue : elles n’apitoient<br />
personne. Tandis que les piécettes<br />
s’accumulent dans le galurin de l’un,<br />
l’autre a beau tendre le capiau personne ne<br />
s’en émeut. C’est le cas notoire de la puce,<br />
qui fait très pâle figure face aux regards<br />
attendrissants des mignons petits orangsoutans<br />
et autres bébés éléphants. Au vingt<br />
et unième siècle ce siphonaptère est élevé<br />
en batterie dans l’indifférence générale,<br />
tandis que les pétitions pour les baleines<br />
bleues de peur encombrent à l’envi les<br />
bureaux des ministocrates compétents.<br />
D’aucuns soutiendront que notre manque<br />
d’empathie envers cet insecte provient de<br />
son caractère nosocomial ; à l’image de ces<br />
maladies contractées à l’hôpital alors que<br />
l’on tente de se débarrasser d’une autre<br />
pathologie – comme la syphilis chopée<br />
grâce à ce bel infirmier - la puce électronique<br />
(Siphonapterus usbii) est de celle<br />
que l’on attrape à la SPA alors que l’on<br />
vient gentiment y abandonner Médor. À<br />
l’heure d’écrire ces lignes elle aura certainement<br />
déjà envahi vos derniers achats de<br />
vêtements ou de librairie. Échappant à tout<br />
débat de société (savante ou politique), elle<br />
s’est récemment implantée dans nos cartes<br />
bancaires, de sécurité sociale et d’identité.<br />
Cette peste est d’autant plus difficile<br />
à combattre que l’évolution - très rapide<br />
en raison d’un cycle de reproduction très<br />
court - a doté l’insidieux insecte de la capacité<br />
à injecter à son hôte, à chaque utilisation,<br />
le sérum de l’habitude, lequel comprend<br />
des molécules liées à la perception<br />
du confort et du bien-être. Moindre mal si<br />
toutes les puces, par un grégarisme encore<br />
mal connu, n’étaient reliées entre elles et<br />
ne permettaient de surveiller étroitement<br />
les humains infectés. Pire, si elles n’étaient<br />
pas de surcroît récemment réputées infecter<br />
également certains appareils électroménagers,<br />
réduisant de la sorte leur durée<br />
de vie en une obsolescence programmée<br />
par les siphonaptères.<br />
On l’aura compris, il en va tant du bienêtre<br />
animal que de la santé publique :<br />
dénonçons haut et fort les industriels qui<br />
veulent imposer cet ectoparasite partout, et<br />
faire de nos vies un prurit continu. Débarrassons-nous<br />
de cette sensation de démangeaison<br />
constante chaque fois qu’une puce<br />
électronique marque nos déplacements !
6 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / FÉVRIER 2017<br />
LES SCOUTS ME BROUTENTBenoit Doumont<br />
Avouons-le d’emblée : il y a des sujets<br />
d’énervement plus graves et l’actualité<br />
nous offre chaque jour l’occasion de<br />
colères plus élevées. N’empêche, existet-il<br />
source d’exaspération quotidienne<br />
plus bouillonnante que la contemplation<br />
d’une meute de scouts dans l’exercice<br />
de ses immuables fonctions ? La<br />
réponse, bien sûr, baigne dans le jus de<br />
sa question.<br />
À l’origine de cette secte, il y a, rappelons-le,<br />
l’impayable colonel londonien<br />
Robert Baden-Powell, qui s’illustre<br />
pendant la deuxième guerre des Boers<br />
en utilisant des gosses d’une douzaine<br />
d’années comme éclaireurs pendant le<br />
siège de Mafeking 1 . À la guerre comme<br />
à la guerre, diront certains. Sauf que Bob<br />
trouve son idée de guérillero prépubère<br />
tellement géniale que, de retour au pays,<br />
il décide de l’adapter pour l’incorporer<br />
à la vie civile et de consacrer tout son<br />
temps libre de jeune retraité à transposer<br />
le concept du champ de bataille à la<br />
ville. Ménagères, apprêtez votre portemonnaie,<br />
le grand racket va pouvoir<br />
commencer.<br />
En 1908, Baden-Powell publie Scouting<br />
For Boys, sorte de Bible à l’usage des communiants<br />
en culottes courtes. La comparaison<br />
n’est pas anodine : l’aspirant scout<br />
se doit de formuler une « promesse » ou<br />
vœu d’obéissance envers les 10 articles de<br />
la « loi scoute ». Une loi en 10 commandements,<br />
ça ne vous rappelle rien ? Sûr<br />
qu’en bon fils de pasteur anglican, Bob<br />
n’a jamais perdu de vue la dimension<br />
évangélique de sa mission éducative.<br />
d’une certaine forme de modernité au<br />
sein du mouvement, apparaissent les<br />
« guides », patrouilles féminines (à l’instar<br />
des Guides Catholiques, très populaires<br />
en Belgique), puis, dans les années<br />
1960 seulement, les premières unités<br />
mixtes (même si nombre d’entre elles ne<br />
le sont toujours pas actuellement). Jouer<br />
à la guéguerre, c’est décidément un truc<br />
de mecs.<br />
Youkaïdi Youkaïda<br />
Mais qu’ont-ils au juste de si gonflant ? Il<br />
y a d’abord, bien sûr, ce port volontaire de<br />
l’uniforme, qui fera remonter un peu de<br />
vomi dans la gorge de tout esthète normalement<br />
constitué. Et puis, les grades<br />
(selon l’âge), le respect de la hiérarchie, la<br />
discipline, les marches,... Tout chez eux<br />
évoque l’avancée d’une armée miniature<br />
et la militarisation des mœurs juvéniles.<br />
Le ridicule de certaines de leurs pratiques<br />
nous inciterait pourtant presque à<br />
la rigolade. Prenons le totem. Comment<br />
garder son sérieux plus de dix secondes<br />
lorsqu’on se retrouve en face de Loriot<br />
Sagace, Saumon Ardent ou Pipistrelle<br />
Râleuse ? Mais prudence, toutefois sous<br />
cette apparente bouffonnerie se dissimule<br />
toujours une forme de réduction<br />
de l’individu au groupe, qui finit par le<br />
façonner à son image. C’est ce que le psychologue<br />
social Herbert Kelman appelle<br />
le « conformisme par identification » (en<br />
grossissant le trait : prenez un gamin de<br />
dix ans, totémisez-le « Cloporte Délateur<br />
» et il y a de bonnes chances qu’il<br />
finisse par s’identifier à l’oniscide sycophante<br />
auquel vous cherchez à l’assimiler<br />
à toute force). Le groupe nuit gravement à<br />
l’individu ; ne commencez pas.<br />
Il est également permis de s’interroger<br />
sur l’utilité concrète de leurs camps d’entrainement<br />
forestiers. Pourquoi creuser<br />
des « feuillées » (dit clairement : fosses<br />
à merde) dans les sous-bois propices<br />
à la flânerie, alors que l’eau courante<br />
dessert aujourd’hui la moindre bourgade<br />
du pays ? Où réside encore l’intérêt<br />
d’apprendre à faire du feu en ce<br />
début de XXIe siècle, alors que le bois<br />
est devenu plus rare que les vannes<br />
thermostatiques wifi ? N’y a-t-il pas là<br />
quelque chose de désuet, voire de carrément<br />
réactionnaire ? Ou peut-être<br />
une forme de survivalisme un brin<br />
nigaude ? Quoi qu’il en soit, que les<br />
parents candidats à l’envoi de leur progéniture<br />
en camp se ravisent : il existe<br />
bien d’autres manières de vous débarrasser<br />
de vos lardons et bien d’autres<br />
écoles de la vie que cette rance assemblée<br />
paramilitaire.<br />
Mais ce qui reste incontestablement<br />
le plus exaspérant chez les scouts, c’est<br />
leur pseudo-esprit entrepreneurial,<br />
mis au service d’une soi-disant bonne<br />
cause. On ne trouve pas plus bidon, ils<br />
ne sont pas foutus de confectionner un<br />
gâteau vaguement digeste, ni de laver<br />
les vitres d’une voiture sans y laisser<br />
les traces de vingt coups de raclette mal<br />
maîtrisée, mais ça ne les empêchera pas<br />
de vous rançonner sans merci « pour<br />
leur camp », lequel semble justifier à<br />
leurs yeux la mobilisation de la population<br />
entière. Déjà, moi, le mot « camp »,<br />
ça me donnerait plutôt envie de fuir<br />
à toutes jambes. Mais admettons,<br />
puisqu’ils ont l’air d’aimer ça. Est-ce<br />
une raison pour houspiller son monde<br />
avec des calendriers et des pots de<br />
miel ? S’agit-il vraiment d’une si grande<br />
et noble cause ? En novembre dernier,<br />
j’ai vu une unité scoute concurrencer<br />
ouvertement et sans complexe une<br />
bénévole de l’association 11.11.11 à l’entrée<br />
d’un supermarché. Ça ne les gênait<br />
pas le moins du monde, c’était « pour leur<br />
camp », quoi de plus normal ? Et cet arrogant<br />
petit foulard...<br />
Comme de nombreux patrons sont<br />
également d’anciens chefs scouts (faites<br />
le test, demandez aux indépendants de<br />
votre entourage), la connivence avec le<br />
monde de l’entreprise est assurée. Peu<br />
de commerçants refuseront en effet de<br />
mettre la devanture de leur magasin à<br />
disposition d’un groupe de scouts en<br />
quête de fonds « pour leur camp ». De<br />
même, les jobistes appartenant à une<br />
unité scoute seront fréquemment privilégiés<br />
à l’embauche (corollaire en forme<br />
de truisme : les postulants non-scouts<br />
seront discriminés). Il est vrai que les<br />
valeurs du scoutisme - respect aveugle de<br />
l’autorité et optimisme béat - cadrent bien<br />
avec celles de l’entreprise.<br />
Dans mon esprit moyenâgeux, les scouts<br />
accomplissaient des « B.A. » ou bonnes<br />
actions. Comme ça, pour aider, gratuitement.<br />
Je n’ai jamais vu un scout accomplir<br />
de B.A. Pourtant, ils sont partout et<br />
on les voit de loin. Mais sur les parkings<br />
des supermarchés, ils sont trop occupés à<br />
laver les cabriolets et les 4x4 pour avoir le<br />
temps de se soucier de la petite vieille qui<br />
traîne son caddie comme un boulet. Pas<br />
assez rentable sans doute. Les scouts ne<br />
sont pas des secouristes sociaux, ce sont<br />
des gratteurs professionnels, qui vendent<br />
des biens inutiles et des services foireux<br />
à leur propre profit, et qui véhiculent,<br />
sans même s’en apercevoir, les valeurs<br />
rétrogrades de leur cinquième colonne<br />
infantile.<br />
Il y a d’anciens scouts à la rédac, ainsi<br />
que dans ma famille proche. Qu’ils me<br />
pardonnent si j’ai si souvent envie d’imiter<br />
le cinéaste Jean-Pierre Bouyxou,<br />
qui n’aime rien tant que faire trébucher<br />
les petits scouts avec la crosse de son<br />
parapluie.<br />
1 Pour faire nécessairement court : en 1899, les Anglais,<br />
attirés par l’or du Transvaal, parviennent à tenir<br />
la ville de Mafeking, assiégée par les Boers, pendant<br />
217 jours (avant d’être libérés par la cavalerie de Sa<br />
Majesté la reine Victoria).<br />
2 A Scout obeys orders of his parents, Patrol Leader or<br />
Scoutmaster without question.’’ (https://www.scout.<br />
org/promiseandlaw, dernière consultation le 12 janvier<br />
2017)<br />
Que dit la Loi ? Il serait fastidieux d’en<br />
énumérer ici tous les commandements<br />
(nous avons d’autres ribambelles à fouetter),<br />
mais on peut aisément en dégager<br />
les trois piliers : loyauté indéfectible,<br />
altruisme du dimanche, optimisme autosatisfait.<br />
Ce qui est croquignolet, c’est que<br />
le septième article, qui stipule qu’ « un<br />
scout obéit aux ordres de son chef de<br />
patrouille ou de son supérieur scout<br />
sans poser de question », n’a subi aucune<br />
modification substantielle lors de la mise<br />
à jour du texte en 2007, en dépit des enseignements<br />
d’un siècle particulièrement<br />
fécond en génocidaires mandatés. Ainsi,<br />
sur le site officiel de l’Organisation Mondiale<br />
du Mouvement Scout, peut-on toujours<br />
lire : « un Scout obéit aux ordres de ses<br />
parents, de son chef de patrouille ou de son<br />
supérieur scout sans poser de question » 2 . Sir,<br />
yes, Sir !<br />
Un dernier mot sur les origines, avant<br />
de donner le bal à nos clampins contemporains.<br />
Jusque dans les années 1950,<br />
tradition militaro-chrétienne oblige, le<br />
scoutisme ignore toute mixité. Le titre<br />
de la bible est d’ailleurs sans équivoque :<br />
Scouting For Boys ; les girls ne sont pas<br />
invitées à la grand-messe émancipatoire<br />
et restent quant à elles priées de poursuivre<br />
consciencieusement leur apprentissage<br />
de la couture et du repassage<br />
auprès de Maman. Avec l’avènement
Déconomie<br />
Deconomie<br />
Sylvie Kwaschin<br />
FÉVRIER 2017 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / 7<br />
Bêtes ou méchants ?<br />
Réforme de la sécu<br />
« Il faut réformer le financement de la<br />
sécurité sociale pour nos enfants et nos<br />
petits-enfants », comprenez : il faut retirer<br />
à la sécurité sociale son autonomie<br />
budgétaire, en retirer la gestion aux partenaires<br />
sociaux et soumettre son financement<br />
aux aléas de l’équilibre du budget<br />
fédéral. Si le budget est équilibré, il<br />
y aura de l’argent pour la sécu ; sinon,<br />
non. Le lecteur qui a un peu de mémoire<br />
se souviendra que les prévisions budgétaires<br />
du fédéral sont généralement<br />
totalement erronées. Dans le mauvais<br />
sens : recettes surestimées, dépenses<br />
sous-estimées, déficits se comptant en<br />
milliards. Donc, il y a gros à parier, si<br />
vous trouvez un parieur sur ce coup-là,<br />
que la sécurité sociale verra ses moyens<br />
rabotés de budget en budget, au gré des<br />
plantages de prévision. Sont-ils bêtes<br />
ou sont-ils méchants ? Ont-ils un cerveau<br />
plus limité que le vôtre ou le mien<br />
ou est-ce voulu sur le mode « grand<br />
complot » ?<br />
Compétitivité<br />
« Il faut rendre l’espace économique belge<br />
plus compétitif pour attirer des investisseurs<br />
», comprenez : il faut réduire l’impôt<br />
des sociétés, l’impôt sur le capital, le<br />
coût du travail. Pour un cerveau limité,<br />
bête ou méchant ?, la compétitivité, c’est<br />
une histoire d’argent, de coûts moindres<br />
et de profits plus élevés. Jamais une<br />
question de qualité, de capacité de coopération,<br />
de cohésion sociale, etc. D’ailleurs,<br />
l’Europe (Union ou zone euro) est<br />
construite comme un champ de courses,<br />
pour la compétition entre pays. Et tant<br />
pis si dans une compétition, il n’y en<br />
a que très peu qui gagnent. Tant pis si<br />
la coopération est plus efficace que la<br />
concurrence. Tant pis si les règles imbéciles<br />
des Traités sont anti-démocratiques<br />
et empêchent toute régulation intelligente<br />
de l’économie qui permettrait<br />
d’anticiper les catastrophes environnementales<br />
annoncées, de recentrer l’économie<br />
sur les besoins sociaux et de par-<br />
tager équitablement la valeur produite.<br />
Sont-ils bêtes ou méchants ?<br />
Médias, profs et tutti quanti<br />
Et les journalistes qui, la plupart du<br />
temps, relaient sans distance qu’« il n’y a<br />
pas d’alternative » parce que « le marché<br />
est mondialisé » et les profs dans les facs<br />
ou les écoles secondaires qui enseignent<br />
des âneries dont l’imbécillité a déjà été<br />
démontrée plusieurs centaines de fois ?<br />
Et nous, si vite prêts à dire que « tout ça,<br />
c’est compliqué », « il faut laisser faire<br />
les experts », « après trois lignes, si c’est<br />
pas drôle, ça me tombe des mains » ?<br />
Bêtes ou méchants ?<br />
Bêtes ou méchants ?<br />
J’ai toujours eu du mal à penser qu’on<br />
puisse à ce point manquer d’intelligence.<br />
Sauf rares exceptions, tout le monde a un<br />
cerveau complet et il suffit de s’en servir,<br />
non ? Et, il n’est pas trop difficile de faire<br />
l’hypothèse que les partis conservateurs<br />
au pouvoir roulent pour ceux qui<br />
détiennent le pouvoir d’action du capital.<br />
Oui, mais, les partis de gauche qui<br />
ont été au pouvoir à la fin des années ’90<br />
en Europe ? Ah, « ils ont trahi »… Mais,<br />
pourquoi ? Et les étudiants auxquels j’ai<br />
enseigné pendant quinze ans, insensibles<br />
aux arguments critiques logiques,<br />
sauf une infime minorité ? Ils étaient<br />
déjà pervertis ? J’ai toujours eu du mal<br />
aussi avec les théories du « grand complot<br />
». Donc, la question reste entière.<br />
Généreux, intelligent !<br />
J’ai enfin rencontré quelqu’un qui se<br />
la pose aussi. Un type intelligent, drôle,<br />
impertinent et pédagogue. Enfin, je l’ai<br />
rencontré comme je rencontre la plupart<br />
des gens intelligents : dans un bouquin.<br />
Il s’appelle Jacques Généreux, est économiste<br />
(membre des Économistes atterrés)<br />
et prof. Il vient de publier La Déconnomie<br />
1 (novembre 20<strong>16</strong>, Seuil, 19,5 €). Il<br />
va vous prendre par la main pendant<br />
quatre cents pages – mais, putain, vous<br />
n’êtes pas obligé de le lire en un weekend<br />
comme un polar ! – pour vous réexpliquer<br />
que nous ne vivons pas dans<br />
une « économie de marché » mais bien<br />
dans une économie capitaliste. Que<br />
notre société n’est pas capitaliste parce<br />
que de larges pans fonctionnent bien<br />
sous l’égide de la coopération et de la<br />
socialisation (comme la sécu). Que tout<br />
n’est pas mondialisé, loin s’en faut, mais<br />
que les choix politiques des années ’80<br />
ont consisté à déréguler complètement<br />
le capital financier. Il va vous raconter<br />
l’histoire de cet abandon délibéré de la<br />
souveraineté politique pour vous expliquer<br />
que le système dans lequel nous<br />
vivons n’est pas un fait inéluctable, que,<br />
comme (presque) tout ce qui a été fait par<br />
les hommes, il peut être modifié. Mon<br />
père disait « Tu as su le défaire, tu sauras<br />
le refaire », à moins que ce ne soit l’inverse,<br />
je ne sais plus. Au passage, Généreux<br />
vous explique comment il est possible de<br />
modifier ce qui a été fait, non pas pour<br />
revenir à une situation identique à celle<br />
des Trente Glorieuses (de ’45 à fin ‘60),<br />
mais pour retrouver une capacité politique.<br />
C’est simple pour un État souverain.<br />
Nous avons donc un gros souci en<br />
Europe où la souveraineté ne gît plus ni<br />
dans les États ni au niveau de l’UE.<br />
Avec un talent qui réjouit, Jacques<br />
Généreux explique en même temps, le<br />
vrai monde où l’on vit et les pseudothéories<br />
qui nous font prendre des vessies<br />
pour des lanternes. Point de lourdeur<br />
théorique, pas de concepts durs à<br />
comprendre – ce qui est parfois une des<br />
difficultés des économistes marxistes. Et<br />
cependant, de la rigueur.<br />
Bêtes et méchants<br />
Alors, bêtes ou méchants ? Il y a bien<br />
sûr de la complicité de classe objective,<br />
comme disent les camarades. Autrement<br />
dit, il y a bien des collusions entre nos<br />
représentants pseudo-démocratiques et<br />
les intérêts des acteurs du capital. Mais,<br />
Jacques Généreux prend un risque : il va<br />
voir du côté de la biologie et de la psychologie<br />
cognitive pour savoir ce qu’il<br />
est possible de faire avec un cerveau<br />
humain. Notre cerveau a bien la capacité<br />
de penser mais, au départ, il n’est<br />
pas fait pour cela. Penser, se passionner<br />
pour la vérité et le savoir exige du<br />
temps, de la sérénité, du désir. Tout ce<br />
que l’époque fout en l’air sous les impératifs<br />
de la concurrence, de la rentabilité<br />
et de la réussite sociale. Et quand on<br />
ne pense pas ? On réagit à l’économie,<br />
si j’ose dire ! On prend des raccourcis<br />
réflexes qui visent à nous protéger et à<br />
réussir dans la compétition, en utilisant<br />
notre plus « vieux » cerveau, celui qui<br />
nous vient du profond de notre animalité.<br />
Cela conduit à ce qu’on appelle des<br />
« biais cognitifs » qui nous font voir les<br />
choses de manière simpliste et parano.<br />
Je dirais donc, bêtes et méchants. Mais,<br />
il ne faut pas croire que cela nous rend<br />
la tâche plus facile. « C’est que la passion<br />
de la connaissance et du vrai est un handicap,<br />
et non pas un atout, lorsque la compétition<br />
sociale est organisée pour nous réduire<br />
à l’état de bêtes en lutte pour notre survie,<br />
notre position et notre reproduction. »<br />
(p. 399). Donc, c’est de notre « bêtise »<br />
à tous, de notre pensée réflexe de bêtes,<br />
qu’il est question. Êtres humains, encore<br />
un effort pour nous servir de notre intelligence<br />
! Lisez, nom de dieu, lisez ! Je ne<br />
peux quand même pas résumer quatre<br />
cent pages en 6.000 signes !<br />
1 Le nouveau titre de la rubrique de Même pas peur,<br />
« Déconomie » avec un seul « n » a été choisi par le<br />
groupe avant la publication de cet ouvrage. Comme<br />
quoi, n’hésitons pas à nous prendre pour ce que nous<br />
sommes : les grands esprits se rencontrent !<br />
Sokolov a<br />
des doutes<br />
@sylvie kwaschin : Le capitalisme ne<br />
relève tout de même pas d’un manque<br />
d’intelligence ?? C’est un système de<br />
pouvoir. Pourquoi chercher des explications<br />
dans la psychologie des individus<br />
? Nous ne vivons plus dans une<br />
démocratie mais dans une ploutocratie<br />
(le pouvoir de l’argent). Ceux qui nous<br />
gouvernent ont intérêt à servir la soupe<br />
à ceux qui détiennent le pouvoir d’action<br />
du capital. Psychologiser risque de donner<br />
encore moins d’audience à l’analyse<br />
en termes de rapports de production et<br />
de rapports de force.<br />
@sokolov : Quand nous parlons de<br />
capitalisme comme d’un système de<br />
pouvoir, nous construisons une certaine<br />
représentation du monde pour essayer<br />
de le comprendre. Quand d’autres<br />
parlent d’économie de marché mondialisée,<br />
ils construisent une autre représentation<br />
et donc une autre explication,<br />
une autre histoire. C’est la même chose<br />
lorsque nous essayons de comprendre<br />
l’origine de l’espèce humaine. Quarante<br />
pour cent des Américains préfèrent<br />
croire au créationnisme (et Dieu créa<br />
l’homme et accessoirement la femme)<br />
que chercher à comprendre la théorie<br />
de l’évolution. Créationnisme et théorie<br />
de l’évolution sont des constructions,<br />
des théories de l’esprit humain. La<br />
question est de savoir s’il y a une théorie<br />
meilleure que l’autre.<br />
@sylvie kwaschin : Je suis d’accord<br />
avec toi s’il s’agit de sciences exactes,<br />
de sciences de la nature, comme la<br />
théorie de l’évolution. Mais, l’économie,<br />
c’est une question de choix politique,<br />
ça relève du genre de monde que nous<br />
voulons. Ce n’est pas pareil. On pourrait<br />
aussi bien dire que le socialisme ou<br />
le communisme relève de « biais cognitifs<br />
», non ?<br />
@sokolov : Socialisme ou communisme<br />
sont les noms de projets politiques<br />
pas de théories économiques.<br />
C’est sûr que les sciences sociales ont<br />
un boulot plus difficile à faire. Elles<br />
doivent distinguer entre ce qui est souhaitable<br />
et la compréhension de ce qui<br />
existe ou a existé. Et c’est souvent de<br />
la confusion des deux que naissent les<br />
problèmes. Mais, si nous voulons dire<br />
que l’égalité et la fin de l’exploitation<br />
sont souhaitables, que c’est ce à quoi<br />
nous voulons aboutir par nos actions,<br />
nous avons tout intérêt à construire une<br />
compréhension du fonctionnement de<br />
l’économie robuste, qui accepte les critiques<br />
et qui soit capable d’y répondre.<br />
Or, c’est bien le problème de la théorie<br />
des marchés qui s’équilibrent tout seuls<br />
et de la concurrence généralisée : elle<br />
ne résiste pas à la critique mais elle<br />
s’est construite et imposée en refusant<br />
toute critique. Si on regarde comment<br />
fonctionnent d’autres sciences sociales<br />
ou humaines (socio, psycho,…) il y a<br />
des débats entre théories explicatives<br />
concurrentes, plusieurs courants ou<br />
écoles sont enseignés dans les universités.<br />
Ce n’est pas toujours facile mais<br />
ça discute. Plus rien de tel en économie,<br />
particulièrement en France ou dans nos<br />
écoles supérieures.<br />
@sylvie kwaschin : Mais ça n’est pas<br />
notre problème ! Qu’ils se débrouillent<br />
entre élites profs, chercheurs et autres !<br />
@sokolov : C’est notre problème à<br />
partir du moment où une représentation<br />
simpliste et idiote, contradictoire<br />
avec ce que nous savons par ailleurs<br />
des êtres humains, de leurs relations,<br />
etc., s’impose à quasi tout le monde et<br />
conduit à ce qu’il ne semble plus possible<br />
de penser autrement. C’est notre<br />
problème à partir du moment où les<br />
médias ne relaient pas d’autre manière<br />
de voir, où la plupart des commentaires<br />
sur les réseaux sociaux montrent un<br />
manque de culture économique, un<br />
manque de goût pour la réflexion critique,<br />
se mettent en colère à propos des<br />
riches ou de l’argent sans plus avoir les<br />
ressources théoriques, conceptuelles<br />
de contester l’idéologie dominante.<br />
C’est notre problème quand j’entends<br />
un syndicaliste dire que l’allongement<br />
de la carrière est inéluctable vu l’allongement<br />
de l’espérance de vie, quand je<br />
lis un commentaire qui dit qu’à tout<br />
prendre le capitalisme, c’est mieux<br />
que le stalinisme, comme si c’était cela<br />
l’alternative ! Ce ne sont pas des « collaborateurs<br />
» zélés du capital. Ce sont<br />
des gens qui ne savent plus voir qu’il y<br />
a d’autres manières de penser.<br />
@sylvie kwaschin : Et… on fait quoi ?<br />
@sokolov : On en reparle. Nous<br />
sommes en train de dépasser le nombre<br />
de signes…
8 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / FÉVRIER 2017<br />
Nos amis les bêtes betes et méchants<br />
mechants<br />
Petite histoire de la presse satirique Cyril Bosc<br />
épisode 6<br />
Mad et Bizarre : inspirateur de Hara-kiri<br />
Créé par le dessinateur Harvey Kurtzman,<br />
le magazine américain inspira<br />
toute la génération des créateurs de<br />
journaux alternatifs français des années<br />
60 et 70.<br />
René Goscinny, futur créateur de Pilote<br />
en 1959, ira faire ses premières armes<br />
à la fin des années 40 aux États-Unis<br />
où il travaillera avec Kurtzman et Will<br />
Elder, entre autres… Marcel Gotlib,<br />
découvert par Goscinny et créateur de<br />
L’écho de savanes puis de Fluide glacial,<br />
se réclamera toujours de Mad. Il offrira<br />
d’ailleurs quelques « unes » de Fluide<br />
glacial à Kurtzman. Ce dernier et Elder<br />
inspireront aussi les débuts de Wolinski<br />
(voir épisode précédent) qui devenu<br />
rédacteur en chef de Charlie-mensuel se<br />
fera un plaisir de les publier.<br />
Satire de la société américaine, bandes<br />
dessinées, fausses publicités (et absence<br />
totale de vraies), parodies,… on trouve<br />
tout de suite dans Mad ce qui fera la base<br />
de l’humour présent dans Hara-kiri.<br />
Cavanna déclare dans son autobiographie<br />
: « Mad, dans les années cinquante,<br />
fascina plus d’un jeune humoriste ! Il était<br />
la preuve vivante que le grand rêve était<br />
possible. (…) ».<br />
Mad permettra à toute une génération<br />
de dessinateur de s’exprimer : en plus<br />
de Kurtzman et Elder, on peut citer<br />
entre autres Jack Davis, Don Martin,<br />
Sergio Aragonés, Mort Drucker, Peter<br />
Kuper… Si le magazine existe toujours<br />
et vient de sortir en février son numéro<br />
543, il a bel et bien perdu son aspect<br />
subversif. C’est un bon magazine d’humour<br />
pour adolescent.<br />
Bizarre (1953 puis 1955-1968)<br />
Fondé par Michel Laclos, Bizarre est<br />
d’abord édité par Eric Losfeld. Jacques<br />
Sternberg en fait déjà partie (voir épisode<br />
2, Même Pas Peur n°12). Cette<br />
première série ne comptera que deux<br />
numéros. Jean-Jacques Pauvert en<br />
reprend l’édition en mai 1955 avec toujours<br />
Michel Laclos aux commandes.<br />
Plus ou moins trimestrielle, le dernier<br />
numéro sera le 46 en mars 1968.<br />
Proche du surréalisme et de la pataphysique,<br />
Bizarre veut publier ce que<br />
les autres revues ne veulent pas. On<br />
peut ainsi trouver des numéros consacrés<br />
aux « fous littéraires », un traité<br />
de Jocondologie, « les monstres » (avec<br />
toutes déformations physiques possibles<br />
et imaginables), « A-t-on lu Rimbaud<br />
? » (par un certain Robert Faurisson)<br />
qui déclencha une belle bataille<br />
littéraire, « Tarzan », « la littérature<br />
illettrée », « Les vies parallèles de Boris<br />
Vian »,…<br />
Mais Bizarre, sous l’impulsion de Pauvert<br />
et Sternberg, laissera une grande<br />
place aux dessinateurs d’humour et en<br />
particulier ceux de la nouvelle génération<br />
en allant jusqu’à consacrer des<br />
numéros spéciaux dédiés aux dessins<br />
(souvent introduits par Sternberg d’ailleurs).<br />
On peut ainsi trouver Bosc, Chaval,<br />
Gébé, Maurice Henry, Topor, Lob,<br />
Mose, Tetsu, Trez, Laville, Solo, Ylipe,<br />
Cardon, Bovarini, Gourmelin, Bernard<br />
Miot, Cabu, Copi, Reiser, Sempé, etc…<br />
Trois dessinateurs auront le privilège<br />
d’un numéro qui leur sera entièrement<br />
consacré : Siné (qui réalisera aussi plusieurs<br />
couvertures), Wolinski et Chaval.<br />
Siné est d’ailleurs présent dès le numéro<br />
1 de cette deuxième série dont Maurice<br />
Henry fait la couverture.<br />
La revue Bizarre beaucoup plus littéraire<br />
que satirique, n’est que très rarement présentée<br />
comme étant inspiratrice pour les<br />
créateurs d’Hara-kiri. On retrouve pourtant<br />
dans ce premier numéro de mai 1955<br />
ce qui fera la particularité de Hara-kiri. À<br />
cette période, Cavanna est déjà depuis<br />
deux ans le principal réalisateur de Zéro-<br />
Cordées et il est difficile d’imaginer qu’il<br />
n’est pas eu ces numéros de Bizarre entre<br />
les mains.<br />
Or, dans ce numéro 1, dont la couverture<br />
est un dessin, on trouve des textes abondamment<br />
illustrés, des dessins d’humour<br />
évidemment (dont Siné), des articles de<br />
presse à lire au deuxième ou troisième<br />
degré et des photos avec des commentaires<br />
détournés, méthode qui fera les<br />
beaux jours de la revue satirique.<br />
Pour appuyer cette proximité, on peut<br />
feuilleter le numéro 6 de novembre 1956<br />
pour trouver un article de six pages sur<br />
une revue américaine… Mad ! La couverture<br />
de ce numéro 6 en rappellera aussi<br />
une autre devenue célèbre.<br />
Mais de cela, on reparlera.<br />
PS : pour les curieux, il existe une superbe<br />
Anthologie de Bizarre 1953-1968 établie et<br />
commentée par Jean-Marie Lhôte, Berg<br />
international, 2009, 670 p.
FÉVRIER 2017 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / 9<br />
Colère Antifa<br />
Camille Lermenev<br />
Depuis quelques années s’est constitué<br />
sur Bruxelles un groupe antifasciste,<br />
dont l’objectif premier est de combattre<br />
la présence de groupes ouvertement<br />
tournés vers l’extrême droite sur le territoire<br />
de la Région. La colère de leur<br />
dernière campagne, « Non au local Nazi<br />
à Bruxelles » est tournée vers la représentation<br />
européenne de l’APF. Acronyme<br />
pour Alliance For Peace and Freedom<br />
(les chemises brunes ne manquent pas<br />
d’humour), regroupement de plusieurs<br />
organisations nationalistes européennes<br />
parmi lesquelles les très sympathiques<br />
Aube Dorée grecs (néo-nazis notamment<br />
soupçonnés puis condamnés pour assassinats<br />
racistes), les joyeux Forza Nuoava<br />
(italiens ouvertement nostalgiques de<br />
Mussolini et suprémacistes blanc), les<br />
amusants espagnols de Democratia<br />
National (extrême droite anti-gay, antiavortement…)<br />
et pour la couleur locale (si<br />
je puis m’exprimer ainsi) les Belges francophones<br />
de Nation, groupuscule identitaire<br />
aux méthodes musclées (ratonades,<br />
intimidations anti-immigrés) aux scores<br />
électoraux très faibles et qui profitent des<br />
des forces de l’ordre (près de 60 arrestations<br />
musclées), suite à des attaques<br />
sur des cibles capitalistes (voir encadré).<br />
Réussite, si l’on considère que les manifestants<br />
ont obligé les fascistes à se réunir<br />
clandestinement dans un autre lieu<br />
tenu secret et à attirer l’attention des<br />
médias sur ce local nauséabond. Quelle<br />
que soit la méthode, il est bon en effet<br />
que le contribuable sache ce qui se fait<br />
avec le denier européen : c’est en effet<br />
avec l’argent que leur attribue l’Europe<br />
pour ses élus au parlement que l’extrême<br />
droite s’installe dans Bruxelles.<br />
On retrouvera les actions des antifa<br />
de Bxl sur : https://bxlzoneantifasciste.<br />
wordpress.com/<br />
grands frères européens pour se payer<br />
une belle visibilité à Ixelles (certes,<br />
en servant surtout de service d’ordre,<br />
chacun selon ses possibles sans doute).<br />
Ixelles ? Oui, Ixelles, où une majorité<br />
MR PS-Spa laisse œuvrer en toute tranquillité<br />
nos gais lurons (cette même<br />
commune connue pour sa police réprimant<br />
le moindre café faisant du bruit<br />
après 22h ou la moindre fête d’appartement).<br />
La campagne vise donc à dénoncer<br />
la présence de ce lobby d’extrême<br />
droite homophobe, raciste, patriarcal au<br />
cœur de l’Europe. Le dernier fait marquant<br />
en date a été la manifestation du<br />
17 décembre dernier, mobilisation dont<br />
le but était d’empêcher la tenue d’un<br />
congrès de l’APF. Réussite ou échec,<br />
tout dépend du point de vue. Échec, si<br />
l’on considère le nombre de personnes<br />
présentes (une grosse centaine, malgré<br />
l’appui des trotskistes du Parti Social de<br />
Lutte), la déambulation sans but d’un<br />
cortège dispersé et la sévère répression<br />
Antifascistes<br />
souvent<br />
anticapitalistes<br />
Contrairement à l’image<br />
véhiculée par la presse<br />
bien pensante, les Antifa<br />
ne sont pas des « casseurs »<br />
aveugles. Souvent anticapitalistes,<br />
ils profitent des<br />
manifestations pour cibler<br />
avec soin les symboles de<br />
ce dernier. Ainsi, ce ne sont<br />
pas des « magasins » qui<br />
sont visés, mais bien des<br />
assureurs ou des banquiers.<br />
De même, ce ne sont pas les<br />
abribus qui sont vandalisés,<br />
mais bien les panneaux<br />
publicitaires de J-C Decaux<br />
qui sont détruits. Cette<br />
politique du débordement<br />
défoulatoire, qui permet<br />
selon certains de remettre<br />
quelques pendules à l’heure,<br />
dessert souvent dans les<br />
médias traditionnels la<br />
cause poursuivie. Mais elle<br />
permet également de retourner<br />
un instant la violence<br />
quotidienne du système<br />
contre ce dernier.<br />
À vous de juger.<br />
Pendant ce temps<br />
en Syrie... MIckomix<br />
En ce moment est menée une opération militaire<br />
en Syrie résonnant au doux nom de « Colère de<br />
l’Euphrate » et c’est une femme kurde de 35 ans, Rojda<br />
Felat qui mène l’opération lancée par les Forces<br />
Démocratiques Syriennes le 10 décembre 20<strong>16</strong> afin<br />
de libérer la ville de Raqqa, bastion de Daesh en<br />
Syrie. A la date du <strong>16</strong> janvier, selon les sources de<br />
Kurdistanews* le bilan de l’opération est plutôt<br />
positif : 236 villages libérés, 620 membres de Daesh<br />
neutralisés et 18 capturés, 42 combattants des Forces<br />
Démocratiques Syriennes sont tombés au combat<br />
(36 combattants kurdes/arabes, trois occidentaux<br />
combattant auprès des Kurdes et trois combattants<br />
syriens).<br />
*http://kurdistanews.fr/
10 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / FÉVRIER 2017<br />
Voici l’heure des<br />
«infaux» Stefan Thibeau<br />
“En ce qui concerne mes « anciennes compagnes<br />
» (puisque vous semblez préférer les<br />
anciennes à l’actuelle), je vous conseille de lire<br />
le journal intime de l’une d’elles, Véronique B.<br />
(elle apparaît pour la première fois dans Les<br />
Demoiselles du Taranne). Elle est alors âgée<br />
de <strong>16</strong> ans. J’espère que votre projet de film sur<br />
moi prendra forme un jour, mais cet automne<br />
il ne me sera pas possible d’y consacrer de<br />
l’attention et du temps. “<br />
Gabriel Matzneff venait d’annuler leur<br />
rendez-vous. Était-ce sa proposition<br />
d’orienter son documentaire autour de<br />
ses amours pour les moins de <strong>16</strong> ans qui<br />
lui avait fait peur, ou bien la crainte d’une<br />
éventuelle complication liée à son hospitalisation<br />
du lendemain ? C’est qu’il avait<br />
plus de 80 ans, le bougre. Décidément<br />
rien ne tournait à son avantage. Pour une<br />
fois qu’il avait une bonne idée de documentaire,<br />
son sujet se faisait la malle.<br />
Le voici seul, rue Maître Albert, à l’angle<br />
de la rue Frédéric Sauton, en plein 5ème<br />
arrondissement de Paris. Un sans-abri<br />
l’accoste, littérairement parlant ça donnait<br />
à peu près ça : “Fils de pute, radio marche<br />
pas !”. Il était largué et ne comprenait pas<br />
un traître mot de ce que ce SDF polonais<br />
lui racontait. Sans trop savoir comment<br />
ni pourquoi, entraîné par cet étrange<br />
SDF, il se retrouva entouré de personnes<br />
toutes plus curieuses les unes que les<br />
autres. Il y avait là un homme tenant sous<br />
le bras une thèse sur le futurisme et une<br />
philosophe en pleine rédaction d’un essai<br />
sur les rapports entre création artistique<br />
et philosophie, tous deux se pavanant<br />
devant le maître des lieux.<br />
– Il s’appelle Darius, c’est mon garde du<br />
corps, entrez.<br />
Il n’avait pas fait attention à l’endroit<br />
où l’attirait Darius le sans-abri, ni à la<br />
devanture de la galerie, ni aux ouvrages<br />
qui s’y trouvaient... Patience, Au régal des<br />
vermines, etc. Il avait du mal à y croire,<br />
l’homme qui venait de lui parler n’était<br />
autre que le fils de l’auteur de la célèbre<br />
chanson “Tu veux ou tu veux pas” : Alain<br />
Zannini alias Marc-Edouard Nabe.<br />
– C’est l’endroit le plus libre de Paris.<br />
Vous pouvez admirer sur les murs ma<br />
dernière création, une exposition consacrée<br />
à notre ami Darius.<br />
Le sans-abri était devenu malgré lui la<br />
muse de l’artiste Nabe .<br />
Il était ébloui par la lumière d’un projecteur<br />
qui projetait des mots sur son visage.<br />
Derrière le faisceau lumineux, Nabe et<br />
une secrétaire corrigeaient les fautes et<br />
coquilles du futur manuscrit de l’auteur<br />
de Visage de turc en pleurs.<br />
– Nous travaillons de 10h à 20h, le texte<br />
est projeté sur l’écran et nous ne laissons<br />
aucune faute nous échapper.<br />
– Quel est le thème ?<br />
– Le conspirationnisme, Dieudo, Soral...<br />
Après tout il s’agissait d’un sujet comme<br />
un autre, il n’avait aucune raison de faire<br />
la fine bouche, c’était ça ou rentrer en Belgique<br />
sans rien. Il était convaincu qu’il<br />
y avait une censure moralisante dans<br />
nos médias soi-disant démocratiques.<br />
La vérité était devenue tellement réelle<br />
depuis le 11 septembre qu’on n’arrivait<br />
plus à l’accepter. Le terrorisme nous a<br />
reconnectés avec le réel de façon si violente<br />
que nous devons à présent être<br />
ménagés. Les images doivent être aseptisées,<br />
le discours simplifié pour épargner<br />
notre naïveté occidentale. Nous sommes<br />
devenus ignorants du monde qui nous<br />
entoure à tel point que nous ne faisons<br />
plus que le remettre en question. Une<br />
décapitation trop brutale dans un désert<br />
syrien devient un effet spécial sur fond<br />
vert. La couleur de l’hémoglobine nous<br />
apparaît subitement trop rouge, elle<br />
paraît aussi fausse que celle des blockbusters<br />
américains. Les têtes coupées des<br />
otages sont moins bien faites que celles<br />
des films gores, on se moque de nous, on<br />
cherche à nous manipuler. La peur de ne<br />
pas faire d’amalgame rejoint celle de la<br />
crainte du réel. Les terroristes sont bien<br />
sûr instrumentalisés et armés par l’Oncle<br />
Sam pour exacerber le choc des civilisations.<br />
Après tout, ce qu’il nous faut, c’est<br />
une bonne guerre ! La possibilité qu’un<br />
pareil conflit puisse surgir du désert avec<br />
une telle fureur paraît si incroyable qu’on<br />
préfère la nier. Les complotistes de tout<br />
poil font d’une mouche une pachidermique<br />
Amérique, qui n’a le mérite que<br />
de récupérer et d’instrumentaliser les<br />
conflits. L’Amérique devient le créateur,<br />
le Frankenstein du Moyen-Orient.<br />
Les Thierry Meyssan, Dieudonné et<br />
Soral abreuvent les masses grâce aux<br />
tribunes ardissonnienne, Tout le monde<br />
en parle et plus personne n’y comprend<br />
rien. La boîte de Pandore est ouverte, les<br />
vedettes s’y engouffrent joyeusement.<br />
Bigard et Kassovitz se retrouvent chez<br />
Guillaume Durand pour expliquer comment<br />
les tours jumelles se sont effondrées.<br />
Spectacle pathétique hautement<br />
risible, qui se révèle être le meilleur spectacle<br />
de Jean-Marie et la plus belle suite<br />
de La Haine. Mais il existe bien pire que<br />
ce négationniste qui nie la réalité : ceux<br />
qui n’y entravent que couic. Hollande<br />
répond aux attentats par d’autres attentats<br />
qu’il appelle guerre, mais une guerre<br />
juste. Lorsque chez nous on tire sur des<br />
caricaturistes, on bombarde chez eux des<br />
écoles. Ce qui est intolérable pour nous<br />
est normal pour eux.<br />
Hara-Kiri, la démocratie bête et<br />
méchante.<br />
Pendant plus d’une heure, Nabe avait<br />
vendu son futur bouquin devant une<br />
tribune de rebus, véritable cour des<br />
miracles, accompagné en fond sonore par<br />
un musicien. Sa tête lui disait quelque<br />
chose, c’est étrange les réminiscences<br />
d’un visage… Il ne rêvait pas, c’était bien<br />
lui ! Comment oublier cet homme qui<br />
quelques jours plus tôt s’était vautré à<br />
la gare de Charleroi, abandonnant son<br />
accordéon sur le quai ? Il avait d’ailleurs<br />
regretté de ne pas avoir pu le filmer. Décidemment<br />
la vie était là pour lui prouver<br />
que le hasard n’existait pas. Sans savoir<br />
pourquoi, son instinct le poussait à le filmer.<br />
Après tout, un jeune chanteur mettant<br />
en musique les poèmes d’un auteur<br />
catalogué antisémite pouvait lui servir<br />
plus tard. Il s’était toujours senti une âme<br />
de maître-chanteur…<br />
Fin de l’acte 4.<br />
L’exposition Darius est réelle et se trouve à la galerie<br />
Nabe à Paris. 45 portraits du sans-abri y sont exposés<br />
depuis décembre<br />
Entretien avec Stéphane Pastor. Propos recueillis<br />
par le Dr Lichic<br />
Radio campus<br />
Invité sur Radio Campus, à l’occasion<br />
de l’expo de la Brucellôse, la revue des<br />
urinoirs et lieux d’aisance bruxellois,<br />
le Dr Lichic a pu évoquer sur les ondes<br />
de cette radio alternative l’aventure de<br />
Même Pas Peur. L’occasion d’interroger<br />
en retour l’animateur de l’émission<br />
« Midi express ».<br />
MPP : Peux-tu nous parler de Radio<br />
Campus et de sa philosophie ?<br />
Stephane Pastor : Comme on le lit sur<br />
notre site Internet : « Radio Campus est<br />
née en 1980 sur le campus de l’Université<br />
libre de Bruxelles. Avec une cinquantaine<br />
d’émissions, elle rassemble plus de 100<br />
animateurs, techniciens et collaborateurs<br />
autour de valeurs partagées : une libre<br />
expression assumée et constructive, un<br />
attachement immodéré au tissu social<br />
bruxellois et un amour sans borne pour la<br />
diversité musicale et culturelle. »<br />
J’ajouterais que d’un jour à l’autre, les<br />
émissions et les voix sont différentes<br />
pour un maximum d’éclectisme et que<br />
nous rassemblons plein de nationalités<br />
différentes. Notre philosophie est<br />
résolument non commerciale. Ça fait<br />
belle lurette que nous avons renoncé à<br />
la publicité.<br />
Vous nous trouvez sur 92,1 MHz à<br />
Bruxelles et sur radiocampus.be.<br />
MPP : Radio Campus a déjà une<br />
longue histoire, mais les générations<br />
étudiantes passent vite (tous les 4-5<br />
ans); comment faites-vous pour rester<br />
en phase avec la communauté étudiante<br />
? Pour renouveler les animateurs<br />
?<br />
Stéphane Pastor : On imagine à juste<br />
titre que nous sommes une radio estudiantine.<br />
Il y a bien évidemment des<br />
étudiants qui font partie de la maison.<br />
Ils s’occupent des journaux et flashes<br />
d’actualité. D’autres participent à certaines<br />
émissions. Mais sur nos ondes,<br />
on peut surtout entendre des gens de<br />
tous les âges, des étudiants aux pensionnés.<br />
Cela dit, de nombreux étudiants<br />
ne connaissent pas bien notre<br />
radio et nous y réfléchissons.<br />
MPP : Peux-tu nous parler de ton<br />
émission ? En quoi consiste-t-elle ?<br />
Stéphane Pastor : C’est un agenda<br />
culturel axé sur les lieux alternatifs<br />
bruxellois, les petites associations qui<br />
organisent des événements culturels,<br />
les concerts dans certains cafés etc.<br />
Les événements annoncés sont souvent<br />
gratuits, à prix libre ou financièrement<br />
accessibles à tous (grand<br />
max.15 €). Des gens sont souvent invités<br />
à l’antenne pour présenter ce qu’ils<br />
organisent.<br />
Mon émission n’est que l‘un des 15<br />
agendas de la semaine. Il y en a trois<br />
par jour du lundi au vendredi (le<br />
matin, à midi et à 17 h). Grâce au partenariat<br />
que nous avons avec certains<br />
endroits (le Nova, le Magasin 4, les<br />
Ateliers Claus…) nous avons souvent<br />
des entrées à offrir aux auditeurs.<br />
MPP : Pourquoi des journaux comme<br />
la Brucellôse, MPP ou le Batia Moûrt<br />
Soû trouvent-ils une place dans ta<br />
programmation qu’on imaginerait a<br />
priori musicale ?<br />
Stéphane Pastor : Mon dada, ce sont<br />
en effet les concerts dans les petits<br />
endroits mais je soutiens aussi<br />
d’autres facettes de la vie socioculturelle<br />
underground de la cité. J’annonce<br />
donc aussi des films au Nova, des<br />
documentaires au Labo Kube, le festival<br />
du film d’Attac, les rencontres<br />
de la Fanzinothèque, les vernissages<br />
au Sterput organisés par la galerie E²<br />
(active dans la microédition) etc. Dans<br />
cette perspective, la presse indépendante<br />
comme La Brucellôse ou Même<br />
Pas Peur sont naturellement les bienvenus<br />
dans mon émission. Il m’arrive<br />
aussi d’annoncer une manif.<br />
Si vous ne captez pas Radio Campus,<br />
allez l’écouter sur internet !
d / la case en moins<br />
FÉVRIER 2017 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / 11<br />
LE FRIC POÉTIQUE<br />
DE JODO<br />
Benoit Doumont<br />
À bientôt 88 balais, Alejandro Jodorowsky<br />
(dit Jodo) n’a rien perdu de sa<br />
verdeur. Le scénariste chilien, considéré<br />
par beaucoup d’amateurs de bande<br />
dessinée comme un véritable génie (on<br />
lui doit des séries aussi diverses que le<br />
space opera L’Incal, le western Bouncer,<br />
la saga mystique du Lama blanc ou les<br />
répugnantes enquêtes du détective<br />
Gilles Hamesh), s’est souvent servi de la<br />
BD pour « recycler » ses projets cinématographiques<br />
les plus ambitieux. Avec,<br />
à l’issue de ce dialogue entre les arts,<br />
une trouvaille admirable : l’invention de<br />
l’argent poétique.<br />
Jodorowsky est un touche-à-tout, tour<br />
à tour romancier, scénariste, essayiste,<br />
poète, théoricien du tarot, marionnettiste,<br />
mime, clown, comédien, organisateur de<br />
performances, metteur en scène et réalisateur<br />
de cinéma. C’est sous cette dernière<br />
casquette qu’en 1975, il s’investit corps et<br />
âme dans l’adaptation du roman Dune de<br />
Frank Herbert. Le projet lui filera sous le<br />
nez et le film sera finalement réalisé par<br />
David Lynch, dont le synopsis sera jugé plus<br />
vendeur par les producteurs hollywoodiens<br />
(faut pas demander). Mais Jodo tient<br />
à son histoire. Car à vrai dire, il a tant et si<br />
bien personnalisé et transformé l’univers<br />
de Herbert (non sans provoquer, d’ailleurs,<br />
l’ire de ce dernier 1 ) qu’il en a quasiment<br />
1 Source : Christophe Quillien et Jean Annestay,<br />
Les mystères de l’Incal, nouvelle édition revue et<br />
augmentée, Les Humanoïdes Associés, 20<strong>16</strong> (1989).<br />
créé un nouveau de toutes pièces. Il décide<br />
donc, chose assez rare, d’adapter sa propre<br />
adaptation et contacte l’ami Moebius pour<br />
mettre tout ça en cases et en bulles. Le<br />
cycle de L’Incal était né, ressuscité des<br />
cendres d’un long métrage.<br />
Cinq ans auparavant, au Mexique, Jodorowsky<br />
réalise le film El Topo, western allégorique<br />
snobé par presque tous les distributeurs<br />
de l’époque et dont la première<br />
projection a lieu dans un cinéma porno. Le<br />
film, ensuite programmé de nuit dans des<br />
petites salles et défendu par des artistes<br />
comme John Lennon, devient néanmoins<br />
rapidement un classique dans les milieux<br />
psychédéliques et donne même naissance<br />
au genre dit des midnight movies. Une<br />
fois encore, les producteurs ont manqué<br />
de nez. Et s’obstinent : une quarantaine<br />
d’années plus tard, lorsque Jodo écrit le<br />
scénario des Fils d’El Topo et le propose<br />
aux studios hollywoodiens, il se heurte<br />
à un nouveau refus, malgré le succès du<br />
premier film. Se souvenant de L’Incal, il<br />
fait alors appel au dessinateur mexicain<br />
José Ladrönn, qui transpose l’histoire en<br />
BD et, en juin 20<strong>16</strong>, la traduction française<br />
du premier tome des Fils d’El Topo sort en<br />
librairie 2 .<br />
Mais lorsque tous les studios lui claquent<br />
une troisième fois la porte au nez tandis<br />
qu’il démarche à la recherche de financements<br />
pour son nouveau film, Poesía Sin<br />
Fin (qui fait pourtant suite au film-culte La<br />
2 Alejandro Jodorowsky et José Ladrönn, Les fils<br />
d’El Topo, t.1 : Caïn, Glénat, 20<strong>16</strong>, 62 pages (15€).<br />
montagne magique), le vieux Jodo décrète<br />
que c’est marre et que ce projet-là ne finira<br />
pas en bande dessinée. En février 2015, il<br />
lance une campagne de financement participatif<br />
sur le site Kickstarter et récolte rapidement<br />
plus de $400 000 avec une proposition<br />
à la fois simple et fascinante : vendre<br />
aux internautes de l’argent poétique.<br />
L’idée consiste à acheter au réalisateur<br />
des « dineros poéticos », sous la forme<br />
de billets de banque émis par la « Banco<br />
Central de Poesía Sin Fin », afin de lui permettre<br />
de financer son film avec de vrais<br />
dollars. Les billets, à son effigie sur une face<br />
et - ultime pied de nez aux producteurs -<br />
à celle des héros d’El Topo sur l’autre,<br />
sont chacun agrémentés d’une devise (en<br />
espagnol). Les coupures<br />
(de 1, 10 et 100) sont<br />
physiquement envoyées<br />
aux souscripteurs à partir<br />
de février 20<strong>16</strong>. Ces dineros<br />
poétiques n’ont, bien<br />
entendu, aucune valeur<br />
marchande. À moins que<br />
l’on n’en croie Jodo luimême<br />
: « Je ferai tout ce<br />
qui est maintenant possible<br />
pour réaliser un film<br />
formidable. Non pas pour<br />
mon propre bénéfice,<br />
mais en pensant que les<br />
billets poétiques, l’argent<br />
poétique que vous avez<br />
reçu – si le film est une<br />
merveille – cet argent factice<br />
deviendra réel. Il vaudra<br />
plus, cent fois plus! Il sera le souvenir<br />
culturel d’un événement magique; donner<br />
c’est recevoir, et recevoir c’est donner. » 3<br />
Voilà pourquoi j’ai décidé de dépenser les<br />
quelques dineros qui me restent en remboursant<br />
l’ami qui, il y a de nombreuses<br />
années déjà, me fit découvrir l’œuvre de ce<br />
visionnaire magique.<br />
3 Alejandro Jodorowsky, vidéo de remerciement<br />
à l’attention des contributeurs de la campagne<br />
Kickstarter, mise en ligne au terme de l’opération,<br />
le 22 mars 2015 (traduction française par les<br />
responsables de la campagne).<br />
Elle voulait chanter pour Trump !<br />
Brèves de trottoir<br />
► ► ► Le chômage en baisse<br />
en Belgique. Mauvaise nouvelle<br />
pour les industriels : ils ne pourront<br />
plus l’invoquer pour justifier<br />
par le chantage à l’emploi<br />
l’existence de toutes leurs usines<br />
polluantes.<br />
► ► ► Palestine. Israël pour<br />
une solution à deux états : état de<br />
guerre, état sœur.<br />
► ► ► Diminution des pouvoirs<br />
du Sénat. Du moment qu’ils<br />
peuvent encore débattre de la longueur<br />
de la pause-café, les sénateurs<br />
ne s’inquiètent pas trop.<br />
► ► ► Terrorisme. On sait maintenant<br />
que le tueur a pris un bus,<br />
payé en euro, fait caca au quick,<br />
s’est gratté la nuque et a acheté<br />
un ticket de Lotto. L’enquête doit<br />
encore déterminer quel est le<br />
numéro du ticket.<br />
► ► ► Promesse de campagne.<br />
Si Guy Verhofstadt est élu au parlement<br />
européen, il promet d’aller<br />
enfin chez le dentiste.<br />
► ► ► Biopic de Dalida. On va<br />
enfin savoir si c’était un homme ou<br />
pas.<br />
Alexiev Brno<br />
► ► ► Rigueur hivernale. La<br />
SNCB s’est aperçue avec stupeur<br />
que l’hiver est revenu comme<br />
chaque année et que les aiguillages<br />
peuvent geler. Un plan d’urgence a<br />
été adopté.<br />
► ► ► Véhicules intelligents.<br />
Les policiers s’inquiètent d’être<br />
bientôt dépassés aux tests de QI<br />
par leur fourgon.<br />
« Les putes au pouvoir ! Leurs fils y sont déjà »<br />
Sandro Baguet<br />
L’association « Même pas peur » a été initiée par Cactus Inébranlable Éditions (www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com) et Les Éditions du Basson (www.editionsdubasson.com)<br />
Comité de rédaction Styvie Bourgeois, Thomas Burion, André Clette, Serge Delescaille, Benoit Doumont, Sylvie Kwaschin, Fabienne Lorant, Jean-Philippe Querton, Etienne Vanden Dooren Mise en page Etienne Vanden<br />
Dooren, Serge Delescaille Contributeurs dessins, collages, photo-montages : Sandro Baguet, Bavi, Cécile Bertrand, Serge Delescaille, Djony, Flam, Kanar, Kurt, Mickomix, Pierre Laurantin, Plop&Kankr, Wiglaf, Yvan Carreyn<br />
Contributeurs textes Cyril Bosc, Alexeiv Brno, André Clette, Benoit Doumont, Mark Harris, Sylvie Kwaschin, Dr Lichic, Camille Lermenev, Mickomix, Sokolov, Stefan Thibeau.<br />
Un grand merci à tous les contributeurs à qui nous n’avons pas pu offrir un espace dans ce numéro <strong>16</strong> de Même pas peur !<br />
Le site : http://www.memepaspeur-lejournal.net N° de compte BE 28 0017 5410 1520
12 / Même pas peur N o <strong>16</strong> / FÉVRIER 2017<br />
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