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200 ans après, trimestre par trimestre, toute l’histoire napoléonienne<br />

Revue trimestrielle - France et Communauté européenne : 18,00 € - Lux : 18,00 € - Can : 30,00 $ CAD - Poly/S : 2 200 XPF - Pologne : 18,00 € - Numéro 43, date de parution : 20 août 2010<br />

Idylle impériale<br />

Numéro 43 Août 2010<br />

Juillet, août, septembre 1810


SOMMAIRE<br />

N° 43<br />

Juillet, août, septembre 1810<br />

Juillet, août, septembre 2010<br />

LA REVUE NAPOLÉON<br />

PRÉSIDENT D’HONNEUR :<br />

Comte Charles-André Walewski<br />

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION :<br />

Pierre Burgaleta<br />

COMITÉ DE RÉDACTION :<br />

Michel Kerautret, André Palluel-Guillard<br />

ICONOGRAPHIE :<br />

Éric Pautrel<br />

ABONNEMENT FRANCE :<br />

Éditions de la Revue Napoléon - BP 104<br />

74941 Annecy-le-Vieux Cedex<br />

Contact : Rosa Garcia-Johnston<br />

Tél. +33 (0) 4 50 32 63 58<br />

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et aux dépositaires de presse.<br />

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DISTRIBUTION EN BELGIQUE :<br />

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9, avenue Van Kalken – B 1070 – Bruxelles<br />

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DÉPÔT LÉGAL :<br />

3 e trimestre 2010<br />

COMMISSION PARITAIRE :<br />

N° 0502 K 79 571<br />

I.S.S.N. :<br />

1622 – 4 248<br />

IMPRESSION :<br />

Imprimerie de Champagne<br />

Rue de l'Étoile de Langres<br />

Z.I. Les Franchises - 52200 Langres<br />

LA REVUE NAPOLÉON EST PUBLIÉE PAR :<br />

Éditions de la Revue Napoléon<br />

14, rue du Pré Paillard - Parc des Glaisins<br />

74940 Annecy-le-Vieux<br />

Tél. +33 (0) 4 50 32 63 58<br />

Fax +33 (0) 4 50 02 38 35<br />

www.editions–napoleon. com<br />

contact@editions-napoleon.com<br />

FONDATEUR :<br />

Guy Lecomte<br />

DIRECTION :<br />

Pierre Burgaleta<br />

Tél. : +33 (0) 4 50 32 63 58<br />

■ Le contexte historique ................................................................... p. 3<br />

Michel Kerautret<br />

■ La guerre russo-turque : Les opérations de l’été 1810 .. p. 4<br />

Pierre Juhel<br />

■ Flammes et feux, le drame des incendies ........................... p. 17<br />

Chantal Lheureux-Prévot<br />

■ 1 er Juillet 1810 : tragédie à l'ambassade d'Autriche ...... p. 23<br />

Pierre Burgaleta<br />

■ Le petit Louis, lapin de Hollande .......................................... p. 28<br />

Ronald Pawly<br />

■ La mort de la reine Louise de Prusse<br />

(19 juillet 1810) .............................................................................. p. 41<br />

Michel Kerautret<br />

■ La visite Impériale à Anvers en 1810 ................................... p. 46<br />

Ronald Pawly<br />

■ Fastes monarchiques à l’heure d’une idylle :<br />

de la rencontre à la lune de miel<br />

sous les ors de Compiègne......................................................... p. 51<br />

Hélène Meyer<br />

■ La troisième invasion du Portugal ........................................ p. 57<br />

Frédéric Bey<br />

■ Le sort des prisonniers français .............................................. p. 66<br />

Vincent Rolin<br />

■ La vie quotidienne d’une bourgeoise sous l’Empire :<br />

madame Moitte (1747-1807) .................................................. p. 72<br />

Claudette Joannis<br />

■ La correspondance de Napoléon ............................................ p. 75<br />

Sélection Michel Kerautret<br />

■ Le journal des modes ................................................................... p. 77<br />

Claudette Joannis<br />

Couverture : Arrivée de Marie-Louise à Compiègne le 28 mars 1810, recevant les compliments<br />

et les fleurs d'un groupe de jeunes filles dans la Galerie du Chartrain à Compiègne.<br />

Huile sur toile de Pauline Auzou (1775-1835), 1810. Collection Châteaux de Versailles et de Trianon,<br />

Versailles, © RMN / Gérard Blot.<br />

1


Tableau chronologique<br />

Tableau chronologique des principaux<br />

événements durant le 3 e trimestre 1810<br />

(Du 1 er juillet au 30 septembre 1810)<br />

1 er juillet Incendie de l'hôtel Schwartzenberg.<br />

3 juillet Louis abdique le trône de Hollande et se réfugie en Autriche.<br />

Décret de Saint Cloud officialisant le régime des licences.<br />

9 juillet Réunion de la Hollande à l'Empire.<br />

10 juillet Masséna fait capituler Ciudad Rodrigo.<br />

13 juillet Échec définitif de la négociation franco-russe sur la Pologne.<br />

18 juillet La douane française s'installe à Dantzig.<br />

19 juillet Mort de la reine Louise de Prusse.<br />

24 juillet Au Portugal, début du siège d'Almeida.<br />

25 juillet Décret complétant celui du 3 juillet.<br />

5 août Décret de Trianon aggravant la taxation des denrées coloniales.<br />

7 août En Italie, Lucien s'embarque pour les États-Unis.<br />

10 août Ordre de réunir à Paris les archives de tous les pays réunis à la France.<br />

15 août Inauguration de la colonne Vendôme.<br />

16 août Dalberg introduit les réformes napoléoniennes à Francfort.<br />

18 août Ordre d'occuper toutes les côtes allemandes pour combattre la contrebande.<br />

21 août Bernadotte est élu prince héritier de Suède.<br />

28 août Masséna fait capituler Almeida.<br />

3 septembre Échec d'une attaque russe devant Roustchouk.<br />

4 septembre Fesch refuse le siège archi-épiscopal de Paris.<br />

5 septembre Victoire de Macdonald à Cervera en Espagne.<br />

7 septembre Victoire russe décisive à Batynia.<br />

15 septembre Talleyrand écrit à Alexandre pour lui demander un million.<br />

17 septembre Échec d'un débarquement de Murat en Sicile.<br />

24 septembre Ouverture des Cortès extraordinaires à Cadix.<br />

27 septembre Combat de Bussaco entre Masséna et Wellington.<br />

2


Contexte historique<br />

Michel KERAUTRET<br />

À<br />

l’échelle de l’histoire<br />

napoléonienne, l’été 1810<br />

n’a pas laissé de grands<br />

souvenirs. L’empereur ne livre pas de<br />

bataille, nul événement fondateur n’est<br />

à commémorer dans l’ordre intérieur, si<br />

ce n’est peut-être, le 15 août, l’érection<br />

de la colonne Vendôme. Mais les choses<br />

vont leur train, les ressorts continuent de<br />

jouer, des tensions s’accumulent, l’avenir<br />

se met en place.<br />

La guerre se poursuit plus que<br />

jamais avec l’Angleterre, sur le terrain<br />

militaire comme dans le domaine<br />

économique. En Espagne et au Portugal,<br />

Napoléon attendait beaucoup de<br />

Masséna, chargé de refouler Wellington<br />

jusqu’à ses vaisseaux. Après des débuts<br />

prometteurs, la campagne du prince<br />

d’Essling marque cependant le pas dès<br />

la fi n de septembre : lors du combat<br />

frontal et meurtrier de Bussaco, victoire<br />

chèrement acquise, on ne retrouve pas le<br />

génie de l’ex-enfant chéri de la victoire.<br />

Les querelles entre les généraux français<br />

n’en prospèrent que mieux, d’autant plus<br />

que l’éloignement interdit à Napoléon<br />

et à Berthier, demeurés à Paris, d’avoir<br />

vraiment prise sur la conduite de<br />

la guerre. Rien n’est donc réglé, et<br />

l’insurrection commence à s’organiser<br />

politiquement dans Cadix qui résiste<br />

toujours.<br />

La guerre économique ne fait pas<br />

non plus relâche, mais elle ne cesse<br />

d’évoluer. Après l’instauration d’un<br />

système de licences, peu cohérent avec<br />

la ligne générale du blocus continental,<br />

voici le décret de Trianon du 5 août, qui<br />

institue un tarif sur les importations de<br />

produits coloniaux anglais, applicable<br />

à toute l’Europe. À défaut de prohiber,<br />

on peut tirer des rentrées fiscales de<br />

l’appétit des populations pour le sucre et<br />

le café, ainsi que Napoléon le fait valoir<br />

à ses alliés. Les questions douanières<br />

continuent cependant de compliquer la<br />

vie quotidienne de nombreux habitants<br />

du grand Empire.<br />

Elles détériorent aussi le climat au<br />

sein de la famille impériale. Depuis des<br />

mois, elles ont contribué à envenimer<br />

les relations entre l’empereur et son<br />

frère Louis, roi de Hollande. La tension<br />

n’avait cessé de monter jusqu’à ce<br />

qu’au début de juillet, Louis se résolve<br />

à abdiquer et à s’enfuir en territoire<br />

autrichien. Fâcheux exemple ! Un<br />

mois plus tard, c’est un autre frère de<br />

l’empereur qui s’efforce d’échapper à son<br />

tour à son emprise : Lucien veut quitter<br />

l’Italie pour les États-Unis. Napoléon ne<br />

paraît pas ébranlé néanmoins par ces<br />

soubresauts familiaux : dès le 9 juillet,<br />

il a annexé la Hollande à l’Empire, et il<br />

ne prend pas de gants, en septembre,<br />

pour reprendre à Jérôme une partie<br />

des territoires formant son royaume de<br />

Westphalie, en vue de mieux contrôler<br />

la côte de l’Allemagne du nord. Quant<br />

à Murat, qui se sent délaissé depuis<br />

que le mariage autrichien a fait de<br />

sa rivale Marie-Caroline une parente<br />

de Napoléon, il s’irrite de n’être pas<br />

soutenu dans sa dernière tentative<br />

pour s’emparer de la Sicile. Partout, la<br />

famille récrimine. On peut s’étonner<br />

qu’à la lumière de ces premiers déboires,<br />

l’empereur laisse désigner son (quasi)<br />

beau-frère Bernadotte comme prince<br />

héritier de Suède, et qu’il espère même<br />

y trouver un avantage – tout en se<br />

défendant d’avoir pesé en rien sur<br />

l’élection.<br />

En dehors de la péninsule ibérique,<br />

le continent reste pacifique. Mais<br />

la puissance intacte de la Russie<br />

demeure un recours, et beaucoup y<br />

songent, d’autant plus qu’il existe des<br />

sujets de contentieux entre Paris et<br />

Saint-Pétersbourg, que ce soit la question<br />

de Pologne ou l’application du blocus<br />

– Alexandre n’ayant guère apprécié<br />

que Napoléon transgresse son propre<br />

système pour son seul profit, au moyen<br />

des licences. Pour l’heure, le tsar se<br />

contente de marquer des points sur<br />

le front turc et d’organiser son réseau<br />

d’espionnage à Paris. Talleyrand lui offre<br />

justement ses services pour un million.<br />

Tout cela ne prendra sens qu’à la<br />

lumière des événements ultérieurs.<br />

Sur le moment, ce sont sans doute les<br />

faits divers qui auront le plus frappé les<br />

contemporains. À commencer par le<br />

bal tragique de l’ambassade d’Autriche,<br />

le 1 er juillet, qui voit périr plusieurs<br />

dames de haut parage et démontre la<br />

nécessité de réformer l’organisation<br />

des pompiers de Paris. Quelques jours<br />

plus tard, non loin de Berlin, c’est la<br />

reine Louise de Prusse qui disparaît<br />

soudain, au terme d’une brève maladie.<br />

Napoléon perd sa meilleure ennemie,<br />

mais elle sera plus grande encore morte<br />

que vivante, et le jour viendra où le<br />

ressentiment prussien lui imputera cette<br />

mort prématurée pour mieux demander<br />

vengeance.<br />

■<br />

3


La guerre russo-turque :<br />

Les opérations<br />

de l’été 1810<br />

Pierre JUHEL<br />

Une nouvelle guerre entre la Russie et la Porte avait débuté<br />

en 1806. Mais à l’époque de Tilsit, par l’entremise de Napoléon,<br />

un armistice avait été signé en les deux puissances. Fin 1808,<br />

les armées russes, alors engagées contre l’autre « ennemi<br />

héréditaire », la Suède, avaient conquis l’ensemble<br />

de la Finlande 1 . Le Tsar, ayant ici atteint ses objectifs<br />

et ayant là assuré ses arrières par les accords passés à Erfurt<br />

avec Napoléon 2 , pouvait de nouveau tourner ses regards<br />

vers le Danube. L’armistice fut donc dénoncé en mars 1809.<br />

La campagne qui s’ensuivit, difficile, s’acheva finalement<br />

pour les Russes par un échec. Il leur avait fallu lever le siège<br />

de Silistrie et s’en retourner sur leurs bases en pratiquant,<br />

déjà, la politique de la terre brûlée.<br />

Ville et rade de Varna.<br />

Extrait de F. KANITZ, La Bulgarie danubienne et le Balkan. Étude de voyages (1860-1880),<br />

Paris, 1882, p. 461. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque patrimoniale de l’École<br />

militaire.<br />

4


L'ouverture de la<br />

Campagne de 1810<br />

Le plan d’opération russe<br />

A<br />

lexandre I er ne se le tint<br />

pas pour dit. Le précédent<br />

commandant en chef,<br />

Bagration, fut destitué et remplacé par<br />

le comte Nikolaï Kamenski, alors tout<br />

auréolé de gloire car il avait été l’artisan<br />

majeur des succès obtenus l’année<br />

précédente dans le Nord (il avait été à<br />

l’origine du plan d’invasion de la Suède).<br />

Des renforts de troupes aguerries furent<br />

dirigés vers Hirşova, tête de pont russe<br />

sur le Danube.<br />

Étonnement quand on se rappelle<br />

que les Turcs étaient à l’origine un<br />

peuple nomade, l’armée ottomane de<br />

l’époque avait, pour différentes raisons<br />

que nous exposerons ci-dessous, une<br />

stratégie entièrement fondée non sur<br />

la guerre de mouvement mais sur<br />

celle de positions. Les forces du Sultan<br />

s’appuyaient ainsi, sur le Danube, sur<br />

diverses places fortes où l’on espérait<br />

que les Russes viendraient, comme<br />

l’année passée, se casser les dents. Pour<br />

ceux-ci, la stratégie était donc dictée par<br />

celle de l’adversaire : il faudrait aller le<br />

débusquer et lui enlever une à une toutes<br />

ses forteresses. Le plan d’opérations<br />

des Russes était ainsi conçu : le gros<br />

de l’armée, environ 25 000 hommes,<br />

sous la férule du commandant en<br />

chef, devait se porter sur Silistrie ; un<br />

deuxième corps de 15 000 hommes,<br />

commandé par le frère aîné du général<br />

en chef, Serge Kaminski, si dirigereait<br />

sur Bazardjik (en bulgare, Dobritch),<br />

emporter la place et marcher ensuite<br />

sur Varna ; enfi n un corps auxiliaire<br />

(général Zass – orthographié Sass par<br />

VON VALENTINI), devait, se détachant<br />

du gros, passer le Danube de la rive<br />

gauche à la droite à Tourtoukaï (ou<br />

Turtukaïa), c’est-à-dire entre Silistrie<br />

et Roustchouk (aujourd’hui la bulgare<br />

Ruse, francisée en Rousse), au confluent<br />

de l’Argeş de façon à aller attaquer cette<br />

place de Roustchouk par la rive droite du<br />

fleuve. La principale difficulté qu’avaient<br />

toujours connue les armées russes sur ce<br />

théâtre d’opérations avait été celle des<br />

approvisionnements : aussi pourvu-t-on<br />

l’armée de Kamenski de quarante jours<br />

de vivres pendant que, en parallèle, une<br />

véritable pensée logistique visait à doter<br />

Nikolaï Kamenski, commandant en chef de forces russes lors de la Campagne de 1810 sur<br />

le Danube.<br />

L’officier prussien G. W. VON VALENTINI en avait dressé le portrait suivant : « Jeune général,<br />

il avait marqué dans la guerre de 1806 et 1807 et l’année suivante, lorsqu’il commandait en<br />

chef en Finlande, il en avait fait la conquête avec autant de bonheur que d’audace. Étant à<br />

la fleur de l’âge, et à la tête d’une grande armée, on croyait voir en lui le digne antagoniste<br />

de Napoléon. […] Mais il lui manquait plusieurs qualités essentielles pour remplir [le rôle]<br />

auquel il était appelé. N’étant pas à temps opportun hardi à entreprendre, ne sachant pas<br />

céder à l’occasion dans les négociations, mais surtout manquant de persévérance à vaincre<br />

des difficultés, il se montra peu propre à terminer une guerre, plus fastidieuse il est vrai que<br />

tout autre, mais dans laquelle le succès est infaillible pourvu qu’on ne se fatigue de battre et<br />

de tenir la campagne. » (VON VALENTINI, pp. 92-93).<br />

© Musée de l’Ermitage.<br />

chaque place conquise des ressources les<br />

plus conséquentes, tant en provisions de<br />

bouche qu’en munitions de toutes sortes.<br />

La position de la Porte<br />

Qu’elle était la situation des Turcs ?<br />

La Sublime Porte avait été terriblement<br />

affaiblie par les révolutions de palais<br />

de 1807 et de 1808. La déposition du<br />

sultan réformateur Sélim III le 31 mai<br />

1807 avait arrêté la modernisation de<br />

l’armée ottomane 3 ; le règne de celui-là<br />

même qui l’avait déposé, Moustapha IV,<br />

affaiblit l’État lui-même : l’abolition de<br />

toutes les réformes n’empêcha<br />

point les révoltes. Aux quatre coins de<br />

l’empire des pachas (gouverneurs) se<br />

rendaient indépendants et ce fut ainsi<br />

le Pacha de Roustchouk, Moustapha-<br />

Baïraktar, qui provoqua sa chute<br />

en marchant sur Constantinople<br />

(juillet 1808). Cette faiblesse du<br />

pouvoir central explique que, en cette<br />

année 1810, le commandant en chef<br />

5


8<br />

La guerre russo-turque : Les opérations de l’été 1810


En haut et en bas : Famille bulgare des<br />

environs de Varna et types humains<br />

(grecs et turcs) de Roumélie.<br />

Extrait de l’ouvrage de X. R. DE HELL,<br />

Voyage en Turquie et en Perse exécuté<br />

pendant les années 1846, 1847 et 1848,<br />

illustrations de J. LAURENS, Paris, 1859,<br />

respectivement pl. XIII et VIII.<br />

Avec l’aimable autorisation de la<br />

Bibliothèque patrimoniale de l’École<br />

militaire.<br />

Le général Voïnov (vers 1770-1832).<br />

Il amena à Nikolaï Kamenski un<br />

dernier renfort de 5 000 hommes que le<br />

commandant en chef russe avait jugé<br />

indispensable pour attaquer les Ottomans<br />

dans leurs positions de Battin.<br />

Lithographie de Pesotsky d’après un<br />

tableau de Klyoukvin. Circa 1840.<br />

Extrait d’A. C. KORCH [KOPX],<br />

Mikhail Kutuzov [en russe, rés. en<br />

anglais], s. l. [Musée d’histoire d’État de<br />

l’Ordre de Lénine], 1989, p. 34. D.R.<br />

8 000 hommes « dont la plus grande<br />

partie se trouvait morte et blessée<br />

dans le fossé et sur le rempart » (Id.,<br />

p. 104). Nikolaï Kamenski n’avait pas su<br />

arrêter à temps une affaire mal engagée.<br />

Quant au chef du génie russe, il s’attira<br />

des sarcasmes amers d’un général<br />

russe qui fini par lui lâcher : « Vous ne<br />

craignez pas la poudre [c’était en effet<br />

un officier courageux], mais vous ne<br />

l’avez pas inventée (sic !) » (Id., p. 100).<br />

Si Bosniak-Aga avait alors tenté une<br />

sortie, l’armée russe, fort affaiblie, aurait<br />

couru les plus grands dangers. Mais le<br />

pacha pensait plus à préserver ses forces,<br />

garantes de son autonomie, qu’à défaire<br />

l’ennemi. Car, dans un tel affrontement,<br />

il risquait de laisser sur le carreau une<br />

partie de ses troupes... Ainsi en allait-il<br />

de la Porte et de ses « défenseurs ». Sur<br />

le Danube, deux mois de sanglants<br />

combats n’avaient pas permis aux Russes<br />

d’atteindre leurs objectifs principaux.<br />

Vers la bataille décisive<br />

C’est du côté de Choumla, où le<br />

général en chef russe avait laissé son<br />

frère avec un corps de couverture, que<br />

vinrent, peu de temps après l’échec<br />

du grand assaut sur Routschouk, de<br />

bonnes nouvelles pour la cause du<br />

Tsar. À la vue du départ du gros de<br />

l’armée russe, le Grand-Vizir, jouant de<br />

sa large supériorité numérique, était<br />

sorti du grand retranché pour attaquer<br />

Serge Kaminski avec 30 000 hommes.<br />

Mais celui-ci l’avait repoussé avec<br />

force pertes le 22 juillet/3 août. Les<br />

38 drapeaux pris à cette occasion furent<br />

envoyés à Routschouk où ils arrivèrent<br />

le 26 juillet/7 août, fort à propos pour<br />

relever le moral ébranlé d’une armée<br />

qui avait subi un échec cuisant quelques<br />

jours plus tôt. La victoire de Kamenski<br />

l’aîné était d’autant plus importante<br />

qu’elle écartait le danger de voir l’armée<br />

de siège prise en tenaille par le sud-est<br />

alors qu’au même moment paraissait une<br />

autre menace, celle-ci surgit de l’ouest :<br />

Kushanz Ali, celui-là même qui avait tenu<br />

en échec Bagration dans la campagne<br />

précédente, réunissait sous sa bannière<br />

(ou plutôt, en l’espèce, sous sa queue de<br />

cheval, l’emblème du commandement<br />

suprême chez les Turcs), les contingents<br />

de différents pachas des environs du<br />

Danube ainsi qu’un renfort hors de<br />

pair envoyé par le fameux Pacha de<br />

Ioaninna, Ali. Celui-ci avait dépêché<br />

son fi ls Muktar, Pacha de Macédoine,<br />

vers Routschouk avec un puissant corps<br />

essentiellement composé de guerriers<br />

albanais. Ce groupement réuni par<br />

un séraskier (Commandant en chef)<br />

expérimenté formait donc une menace<br />

majeure pour les Russes, d’autant que<br />

les Albanais formaient « de toutes les<br />

troupes turques la plus disciplinée,<br />

la plus obéissante, la plus apte à la<br />

guerre. » (Id., p. 112).<br />

Pour aller reconnaître cet adversaire<br />

redoutable, Nikolaï Kamenski envoya<br />

le célèbre Koulniev, brave parmi<br />

les braves dans l’armée russe et qui<br />

devait trouver la mort en 1812 contre<br />

les Français. Fidèles à leur méthode,<br />

les Turcs avaient établi à quelques<br />

kilomètres en amont de Routschouk, au<br />

village de Battin, un camp retranché.<br />

Ils y attendaient le corps de Muktar,<br />

dont l’arrivée était annoncée pour le<br />

6/19 août. Koulniev eut l’intelligence,<br />

peu de temps après l’échec du grand<br />

assaut de Routschouk du 3, de ne pas<br />

9


La guerre russo-turque : Les opérations de l’été 1810<br />

et qui était aussi le plus vaste. Les<br />

premières attaques russes connurent<br />

des succès variés. Du côté du Danube,<br />

avec l’appui de navires qui eurent bon<br />

compte de la flottille turque, tous les<br />

retranchements ottomans, dont le camp<br />

de Kushanz Ali, tombèrent. Ils furent<br />

emportés par la colonne formée des<br />

troupes de Kamenski l’ainé, décidément<br />

irrésistible dans cette campagne. Mais<br />

ce fut au prix de lourdes pertes, ce dont<br />

ses soldats tirèrent vengeance en passant<br />

la majorité de la garnison du camp de<br />

Kushanz Ali au fi l de l’épée. Si deux<br />

derniers camps, dont celui de Muktar,<br />

repoussèrent les attaques, les Russes les<br />

tenaient à présent directement sous leur<br />

feu. Nikolaï Kamenski décida un assaut<br />

général des positions où se dressaient<br />

encore les emblèmes mahométans. Sa<br />

décision fut accueillie par quelques<br />

murmures des généraux qui craignaient<br />

de donner tête baissée sur dans troupes<br />

animées de la rage du désespoir et qui<br />

n’étaient jamais plus difficiles à vaincre<br />

que dans leurs fortifications improvisées.<br />

Koulniev, qui avait été un peu trop vif,<br />

fut même mis aux arrêts !<br />

Ce moment fut vraiment l’instant<br />

critique de la bataille. Car alors un<br />

ouragan de cavalerie sortit du camp de<br />

Muktar ! Ayant peur de se retrouver pris<br />

comme dans une nasse, le fils d’Ali avait<br />

décidé de s’ouvrir la voie en traversant<br />

les lignes russes avec toute sa cavalerie.<br />

Celle-ci fut suivie par l’infanterie<br />

albanaise qui, au pas de course, chercha<br />

elle aussi son salut dans une course<br />

éperdue. Mais si la cavalerie, passant<br />

à travers les carrés russes, essuyant<br />

le feu de l’infanterie et la mitraille de<br />

l’artillerie, subit de lourdes pertes,<br />

l’infanterie albanaise ne put échapper<br />

aux sabres des Hussards d’Alexandrinsk<br />

et aux coups de Pallaschen (les lattes<br />

russes) des Dragons de Livonie. Quant<br />

à ceux qui étaient restés dans le camp,<br />

ils furent presque tous massacrés.<br />

Quelques survivants furent attelés à un<br />

canon pour amener la pièce au général<br />

en chef des troupes du Tsar, dans une<br />

mise en scène digne des triomphes<br />

de la Rome antique ! Au soir, seul un<br />

camp turc résistait encore, celui qui<br />

était le plus au centre de leur dispositif.<br />

Totalement coupé, ses troupes mourant<br />

de soif, son commandant, le bras droit<br />

de Kushanz Ali (car ce dernier avait été<br />

tué – vraisemblablement dans l’assaut de<br />

Serge Kamenski évoqué ci-dessus), se<br />

rendit à la discrétion de l’ennemi.<br />

Victoire écrasante, Battin ne fut<br />

néanmoins pas l’Enstcheidungsschlacht,<br />

la « bataille décisive » qui devait décider<br />

du sort de la guerre. En effet si à<br />

Routschouk, Bosniak-Aga, totalement<br />

isolé, se vit contraint de négocier une<br />

capitulation, celle-ci, de fait, ressembla<br />

plutôt à un armistice. Différentes<br />

circonstances avaient fait que cette<br />

négociation avait tourné à l’avantage de<br />

l’opiniâtre pacha. D’une part, le général<br />

en chef russe avait pris connaissance<br />

d’évènements internationaux peu<br />

Fantassins albanais, l’élite de l’infanterie<br />

ottomane de l’époque.<br />

Le guerrier représenté de dos porte un<br />

costume traditionnel dont certains éléments<br />

remontent à la plus haute Antiquité -<br />

cf. R. ZOJZI, "Traces archaïques dans les<br />

costumes traditionnels du peuple albanais",<br />

Iliria, V, (1976), pp. 225-232. Planche en<br />

encart entre les pages 106 et 107 du<br />

volume V de l’ouvrage d’A. L. CASTELLAN.<br />

Avec l’aimable autorisation de la<br />

Bibliothèque patrimoniale de l’École<br />

militaire.<br />

Vue de Choumla.<br />

Extrait de l’ouvrage de F. KANITZ,<br />

o. c., p. 377. « Sjoumla a […] une situation<br />

favorable à la défense. C’est une ville<br />

considérable de 30 mille habitants,<br />

entourée par un promontoire du Balcan,<br />

en forme de fer à cheval, dont les<br />

pentes escarpées couvertes d’épaisses<br />

broussailles d’épines, forment une position<br />

des plus avantageuses pour le soldat<br />

turc bien armé, qui aime à tenir tête à son<br />

ennemi derrière des couverts naturels ou<br />

des retranchements. Toute la place longue<br />

d’un demi mille sur un quart de mille de<br />

large, est entourée d’un fossé et d’une<br />

espèce de rempart ou large muraille de<br />

briques que flanquent de petites tours<br />

massives ou corps de garde pour cinq<br />

ou six fusiliers. Tel est le noyau du camp<br />

retranché que la crête des montagnes<br />

environnantes a tracé naturellement à<br />

l’entour. Sa grande étendue, les vallées<br />

qui le traversent, les pentes roides dont<br />

nous avons parlé, rendent un blocus aussi<br />

difficile qu’une attaque dans les règles.<br />

Parfaitement à l’abri d’un bombardement,<br />

la ville offre tout l’espace nécessaire pour<br />

les magasins d’une armée, et elle embrasse<br />

même des vignobles et des jardins. Un<br />

ruisseau, qui y serpente en plusieurs<br />

bras, offre au camp une des choses<br />

les plus nécessaires pour les Turcs. »<br />

(VON VALENTINI, p. 49).<br />

12


Flammes et feux,<br />

le drame des<br />

incendies<br />

Chantal LHEUREUX-PRÉVOT<br />

Fondation Napoléon<br />

L’incendie.<br />

Gravure colorisée de Philibert-Louis<br />

Debucourt (1755-1832), Collection Musée<br />

Carnavalet, Paris, © Roger Viollet.<br />

17


Flammes et feux, le drame des incendies<br />

« Un incendie terrible s'est manifesté, le 21 germinal dernier,<br />

à Valneux, près de Sémur : de 28 maisons qui composaient ce<br />

malheureux village, quatre seulement ont été épargnées par<br />

les flammes. L'imprudence est encore la cause<br />

de cet accident qui ruine un si grand nombre de familles ».<br />

Cet événement qui jetait vingt-cinq familles dans le désarroi<br />

était malheureusement banal au Premier Empire<br />

et n'était traité que par quelques lignes dans l'almanach<br />

annuel de Troyes, région du sinistre. 1<br />

L<br />

es incendies étaient presque<br />

exclusivement d'origine<br />

accidentelle, sauf bien sûr<br />

lorsque les temps étaient aux troubles<br />

sociaux ou aux guerres, mais ces<br />

derniers relèvent d'une nomenclature<br />

que nous n'examinerons pas dans<br />

cet article. Un feu mal éteint, qu'il<br />

soit pour le chauffage de l'habitat ou<br />

pour la cuisson des aliments, pouvait<br />

déclencher un cataclysme à l'échelle<br />

d'un hameau ou d'un village. Un exemple<br />

parmi tant d'autres, à Cayeux sur Mer<br />

dans la Somme, en août 1811 : comme<br />

à l'accoutumée une femme préparait<br />

la pâtée de sa vache dans la grande<br />

marmite. Puis elle jeta les cendres encore<br />

chaudes sur un fumier trop sec. Le temps<br />

était venteux. Les flammes gagnèrent<br />

rapidement le toit et se propagèrent en<br />

moins de deux heures, aux 22 maisons<br />

du village, malgré l'emploi d'une pompe<br />

à eau pour tenter d'éteindre l'incendie et<br />

de préserver quelques fermes. 2<br />

Les jours et les semaines qui suivaient<br />

de tels incendies étaient dramatiques.<br />

Nous conservons le témoignage d'un<br />

envoyé de la préfecture de l'Oise<br />

quelques jours après qu'un violent<br />

incendie ait ravagé un village entier.<br />

Chargé de distribuer de l'argent de la<br />

part du département comme premier<br />

secours, le citoyen Cambry ne pouvait<br />

que constater : « Nul incendie n'offrit<br />

une destruction plus entière; au milieu<br />

d'une forêt d'arbres noirs ou de couleur<br />

rousse, on n'apercevait plus que<br />

quelques cheminées, quelques pignons<br />

à moitié renversés : l'église même était<br />

détruite. Les habitants sans vêtements<br />

et sans souliers, réunis, agglomérés sur<br />

un tertre, cherchaient en s'approchant<br />

une chaleur qui leur manquait. Point<br />

d'abri contre les injures du temps, point<br />

d'espérance pour l'avenir ; ils voyaient<br />

leurs jardins entièrement brûlés, toutes<br />

leurs jouissances d'habitudes perdues ;<br />

leurs bestiaux erraient épars dans la<br />

campagne : on n'apercevait que des<br />

femmes échevelées suivies de leurs<br />

enfants tout nus ; les chiens hurlaient<br />

près de l'emplacement où fut jadis la<br />

porte de leur maître : jamais tableau<br />

n'offrit un spectacle plus vrai du<br />

malheur et du désespoir ». 3<br />

Les incendies en milieu urbain étaient<br />

tout aussi tragiques car s'ils touchaient<br />

moins de constructions, les immeubles<br />

abritaient plusieurs familles. En l'An V, le<br />

29 pluviôse [17 février 1797], le feu prit<br />

dans une maison de la rue Saint-Honoré<br />

à Paris. Des grenadiers en casernement<br />

dans la capitale se précipitèrent pour<br />

sauver des familles entières « Ces<br />

guerriers accoutumés à des feux<br />

plus meurtriers, où il ne s'agit que de<br />

détruire pour se défendre, ont appliqué<br />

leur courage à braver un feu plus<br />

affreux, plus imposant peut-être, et à<br />

sauver les victimes qu'il allait dévorer.<br />

[…] Des femmes au désespoir sont à<br />

tous les étages de la maison ; il n'est<br />

pour elles d'autre issue que des fenêtres<br />

élevées ; c'est dans ce moment que les<br />

grenadiers parviennent dans les étages<br />

embrasés. Il ne s'agit pas de conserver<br />

des meubles, des effets précieux :<br />

ils sont dévoués aux flammes ;<br />

abandonnons-les. Mais sauvez les<br />

enfants ! Sauvez les femmes ! Sauvez<br />

les vieillards ! » Les témoins virent<br />

accourir un homme âgé. Il s'agissait d'un<br />

lieutenant en retraite, Charles Lauron<br />

qui venait sauver sa fille aînée qui tenait<br />

dans cet immeuble un atelier de lingerie.<br />

Cinq ouvrières étaient avec elle. Laissons<br />

encore la parole aux témoins : « Muni de<br />

cordes, il court à l'appartement occupé<br />

par sa fille. Il arrive à la chambre où<br />

sa fille attendait la mort avec deux<br />

personnes de son sexe. Au moment<br />

où l'incendie éclata, il y en avait trois<br />

de plus : c'étaient une nièce et deux<br />

jeunes filles. Aux premiers cris, elles<br />

veulent descendre par l'escalier, on ne<br />

les a plus revues ». Les deux ouvrières<br />

furent descendues grâce aux cordes et<br />

sauvées. C'est au tour de M elle Lauron :<br />

« Elle consent à grande peine à ce que<br />

son père l'attache à son tour pour<br />

la descendre par la fenêtre. Mais<br />

les cordes, attaquées par le feu, se<br />

rompent au milieu de cette périlleuse<br />

descente et la malheureuse jeune fille<br />

se fait, en tombant, des blessures dont<br />

elle se ressentit pendant le reste de sa<br />

vie ». La fin fut tragique pour le brave<br />

grenadier. « Quant à l'infortuné Lauron,<br />

entouré par les flammes, il n'eut d'autre<br />

ressource que de se précipiter dans le<br />

vide, et se tua raide dans sa chute ! » 4<br />

La propagation rapide des feux était<br />

facilitée par les matériaux utilisés<br />

pour les constructions « populaires ».<br />

Dans bien des régions le bois ou le pisé<br />

servaient à bâtir les murs et le chaume<br />

tapissait les toits. Les planchers et les<br />

toitures étaient entièrement en bois et<br />

s'effondraient lorsque le feu était trop<br />

violent. Le préfet des Hautes-Alpes<br />

soulignait l'emploi négatif de tels<br />

matériaux dans un rapport au ministre<br />

de l'Intérieur pour expliquer son<br />

impuissance à réduire les sinistres :<br />

« J'ai sur les incendies, des relevés<br />

véritablement effrayants : on compte<br />

des villages qui ont brûlé six fois,<br />

dans le courant du siècle qui vient de<br />

s'écouler. Les couvertures en chaume<br />

dans les campagnes, les bois résineux<br />

qui servent à la construction et<br />

beaucoup de négligence de la part des<br />

paysans occasionnent des désastres qui<br />

se renouvellent sans cesse. » 5<br />

Les constructions en pierre étaient<br />

plus fréquentes dans les plaines et dans<br />

les régions à l'agriculture suffisamment<br />

riche pour permettre aux laboureurs<br />

ou aux paysans aisés d'investir dans<br />

une maison au coût élevé. Le préfet de<br />

Moselle notait le changement positif<br />

opéré dans son département depuis une<br />

dizaine d'années : « Les maisons sont<br />

en maçonnerie, et presque partout la<br />

tuile y remplace le chaume. L'intérieur<br />

de leurs maisons est meublé avec plus<br />

de goût et de propreté » 6 . Certes les<br />

propriétaires pouvaient choisir entre<br />

les ardoises (mais que le vent enlevait<br />

facilement), les tuiles (au coût élevé,<br />

et qui couvraient imparfaitement), ou<br />

18


Sapeur-pompier, 1 er Empire.<br />

Gravure d’après Job, fin 19 e ,<br />

Coll. Part., DR.<br />

encore les tablettes de bois (mais qui<br />

restaient dangereuses en cas d'incendie).<br />

Quant aux pierres de laves, ignifugées,<br />

résistantes au vent, bien couvrantes,<br />

elles étaient hélas trop lourdes pour bien<br />

des constructions. Elles ne pouvaient<br />

être posées que sur des murs en pierre<br />

bien solides. On avait fait également des<br />

essais avec des plaques en tôles de fer.<br />

Les écarts de température arrêtèrent là<br />

le projet : en été, les tôles s'allongeaient<br />

et faisaient bouger la structure, et en<br />

hiver, les tôles rétrécissaient et la pluie<br />

s'engouffrait dans les brèches du toit,<br />

mouillant le grain et les provisions<br />

déposés au grenier.<br />

Les toits de chaumes restaient<br />

donc largement utilisés, bien que<br />

leur couverture végétale hautement<br />

inflammable était sujet à un autre<br />

danger venu non du sol, mais bien du<br />

ciel, à savoir la foudre des orages. Les<br />

paratonnerres étaient déjà connus mais<br />

restreints au cercle des savants, ils ne<br />

faisaient pas encore partie des paysages<br />

ruraux et urbains. Et c'est ainsi que le<br />

14 prairial de l'An XI (3 juin 1803), à<br />

Paris « le tonnerre [c'est ainsi que l'on<br />

nommait de manière générique toutes<br />

activités d'un orage] est tombé hier, à<br />

une heure après-midi, sur le dôme de<br />

la Salpêtrière. Une heure ensuite une<br />

flamme violente s'est manifestée, le<br />

globe de plomb a été fondu. La terreur<br />

s'est répandue parmi les nombreux<br />

habitants de ce vaste édifice ; mais<br />

l'ordre a été maintenu. Il n'y a eu<br />

aucun incident fâcheux ». 7<br />

Autre facteur aggravant, les cheminées<br />

étaient souvent trop grandes, mal<br />

conçues, et mal entretenues. Elles étaient<br />

à l'origine de nombreux départs de feux.<br />

Dans le département du Mont-Blanc, le<br />

préfet nouvellement nommé découvre<br />

l'habitat de ses administrés : « Les<br />

bâtiments ruraux sont généralement<br />

petits et mesquins, excepté ceux de<br />

quelques grandes fermes. La plupart<br />

sont couverts de chaume. Les tuyaux<br />

des cheminées, d'ailleurs trop bas,<br />

sortent vers le milieu du toit, au lieu<br />

d'être élevés jusqu'au faîte. De là sans<br />

doute le grand nombre d'incendies<br />

qui surviennent presque tous les<br />

ans, et dont les ravages sont d'autant<br />

19


XXXXXXXXXXXXXX<br />

Sapeur pompier du 1 er Empire en<br />

intervention.<br />

Gravure anonyme, début 19 e , Coll. Part.,<br />

DR.<br />

plus rapides, que les charpentes sont<br />

toutes de bois résineux. » 8 À Paris, le<br />

nombre de feux de cheminée était bien<br />

supérieur aux incendies dus à d'autres<br />

facteurs. En 1804, on comptait 314 feux<br />

de cheminée et 89 incendies. Les<br />

embrasements de conduits d'évacuation<br />

encombrés par les suies ne cessèrent<br />

d'augmenter au fil des ans, la ville<br />

devenant de plus en plus peuplée.<br />

En 1815, il y eut 470 feux de cheminée et<br />

66 incendies. 9<br />

Face à ces dangers multiples, des<br />

précautions matérielles et des politiques<br />

communales de lutte contre les incendies<br />

se mettaient en place. Depuis le début<br />

du 18 e siècle dans les villes relativement<br />

grandes (grosso modo à partir de<br />

30 000 habitants), des ordonnances<br />

avaient organisé le rassemblement<br />

des « pompiers » lorsque les cloches<br />

sonnaient un sinistre, et l'emploi de<br />

pompes à eau pour alimenter des tuyaux<br />

qui y étaient raccordés. Par exemple, la<br />

ville de Nantes, consciente du nombre<br />

important de maisons en bois que<br />

comportait la cité, acquit en Hollande<br />

des pompes pour aspirer de l'eau<br />

depuis une borne-fontaine ou un puits,<br />

et forma un corps de pompiers d'une<br />

quarantaine d'individus, tous volontaires.<br />

La majorité de ces pompiers faisaient<br />

partie des métiers du bâtiment, ayant la<br />

force physique pour utiliser la pompe<br />

et tenir la lance, et connaissant de par<br />

leurs métiers les différents types de<br />

construction. Il était également demandé<br />

aux architectes, maçons, charpentiers,<br />

couvreurs et ramoneurs qui le pouvaient,<br />

de se porter sur le lieu de l'incendie pour<br />

se mettre à la disposition des autorités. 10<br />

À Paris, avant la création du corps des<br />

Sapeurs-pompiers en 1811, différentes<br />

ordonnances de la préfecture de<br />

police du régime impérial avaient pris<br />

des dispositions pour faciliter la lutte<br />

contre les incendies, certaines de ces<br />

dispositions étant des rappels d'arrêté<br />

de l'Ancien Régime. Les porteurs<br />

d'eau disposant de tonneaux et pas<br />

seulement de seaux « étaient tenus<br />

en cas d'incendie de se porter au lieu<br />

de l'incendie, avec leurs tonneaux,<br />

pour fournir les secours nécessaires ;<br />

20


1 er Juillet 1810 :<br />

tragédie à<br />

l'ambassade<br />

d'Autriche<br />

Pierre BURGALETA<br />

Incendie de l’ambassade d’Autriche lors du bal donné par l’ambassadeur<br />

Charles de Schwarzenberg pour le mariage de Napoléon et Marie-Louise le 2 juillet 1810.<br />

Lithographie de Charles Motte (1785-1836) d’après un dessin de Wattier (1793-1871),<br />

Collection Bibliothèque Nationale, Paris, © AKG-Images.<br />

23


XXXXXXXXXXXXXX<br />

Sapeur-pompier 1 er Empire en grande<br />

tenue.<br />

Gravure début 19 e , Coll. Part., DR.<br />

L<br />

e 1 er juillet 1810, le prince de<br />

Schwarzenberg, ambassadeur<br />

d'Autriche, organise un bal en<br />

l'honneur du mariage de Napoléon<br />

avec Marie-Louise, la fille de l'empereur<br />

d'Autriche François I er . Après les fastes<br />

de la cérémonie religieuse voulue<br />

par l’Empereur dans le salon Carré<br />

du Louvre le 2 avril, l’ambassadeur<br />

d’Autriche souhaite lui aussi marquer<br />

les esprits : conçues par l'architecte<br />

Bénard, une salle de bal et plusieurs<br />

galeries provisoires sont construites<br />

dans les jardins de l'ambassade, rue du<br />

Mont-Blanc à Paris, pour permettre la<br />

réception de plus de 1 500 personnes.<br />

Richement décorées, ces constructions<br />

de bois et de toile sont garnies de<br />

nombreuses tentures, de gazes, la toiture<br />

est de toile bitumée, un plancher a été<br />

installé pour les nombreux danseurs.<br />

Réalisées dans un délai très court,<br />

on a pour leur décoration, utilisé des<br />

peintures contenant de l’alcool, qui<br />

sèchent plus vite, pour gagner du temps<br />

et être prêts pour l’événement, qui<br />

s’annonce fastueux. L’éclairage se fait<br />

évidemment avec des bougies, et pas<br />

moins de 73 lustres en bronze donnent<br />

un éclat somptueux à la fête.<br />

Laissons la parole au général Lejeune,<br />

témoin et acteur héroïque de cette soirée<br />

qui commence joyeusement mais qui très<br />

vite, se transforme en véritable tragédie.<br />

« Enfin arriva [dimanche 1 er juillet<br />

1810] la fête préparée par le prince de<br />

Schwarzenberg [ambassadeur d'Autriche<br />

en France], pour célébrer l'auguste<br />

mariage, auquel il avait puissamment<br />

contribué. Son hôtel, situé dans la rue<br />

du Mont-Blanc [aujourd'hui rue de la<br />

Chaussée-d'Antin], était au milieu d'un<br />

fort beau jardin ; dans lequel on avait<br />

imité plusieurs des sites où la jeune<br />

Impératrice avait passé son enfance.<br />

Tous les artistes-danseurs de l'Opéra,<br />

dans les costumes autrichiens de ces<br />

localités, représentaient des scènes de<br />

ses premières années. Cette attention<br />

délicate rendit la première partie de la<br />

fête délicieuse pour l'Impératrice, qui<br />

en fut touchée.<br />

Pour recevoir les douze à<br />

quinze cents invités, le prince avait<br />

fait construire une grande salle en<br />

24


Officier de sapeur-pompier, 1 er Empire.<br />

Gravure début 19 e , Coll. Part., DR.<br />

planches, richement décorée de glaces,<br />

de fleurs, de peintures, de draperies,<br />

et d'un luminaire immense. Depuis<br />

plus d'une heure, le bal était en<br />

grande activité, et l'on dansait une<br />

écossaise, quoique la chaleur fût<br />

étouffante. L'lmpératrice, la reine<br />

de Naples, la reine de Westphalie,<br />

la princesse Borghèse, la princesse<br />

de Schwarzenberg, belle-soeur de<br />

l'ambassadeur, ses filles et cent autres<br />

dames, étaient très occupées de figurer<br />

à cette danse animée, lorsqu'une<br />

bougie d'un des lustres près de la porte<br />

du jardin vint à couler et mit le feu à<br />

la draperie. M. le colonel de Tropbriant<br />

s'élança d'un bond pour l'arracher. Ce<br />

mouvement brusque de la draperie<br />

étendit la flamme, et en moins de<br />

trois secondes, dans cette salle peinte<br />

à l'alcool pour la faire sécher plus<br />

promptement, et fort échauffée par<br />

le soleil de juillet, mais bien plus<br />

encore par la quantité considérable de<br />

bougies, la flamme s'étendit d'un bout<br />

à l'autre du plafond avec la rapidité<br />

de l'éclair et le bruit d'un roulement de<br />

tonnerre. Tous les assistants furent à<br />

l'instant même sous une voûte de feu.<br />

Dès que l'Empereur eut jugé<br />

l'impossibilité de l'éteindre, il prit<br />

avec calme la main de l'Impératrice<br />

et la conduisit hors du jardin. Chacun<br />

imita son sang-froid, et personne<br />

ne jeta un cri ; plusieurs danseurs<br />

même ne savaient encore à quoi<br />

attribuer l'augmentation de lumière<br />

et de chaleur, et chacun d'abord se<br />

dirigeait, sans courir, vers l'issue<br />

du jardin, croyant avoir le temps<br />

d'éviter le danger. Cependant, en<br />

quelques secondes, la chaleur devint<br />

insupportable ; on pressa le pas et<br />

l'on marcha sur les robes, ce qui<br />

occasionna un encombrement de<br />

personnes renversées sur les marches<br />

du jardin. Des lambeaux enflammés,<br />

tombés en même temps du plafond,<br />

brûlaient les épaules et la coiffure des<br />

dames ; les hommes, même les plus<br />

forts, étaient entraînés dans la chute, et<br />

leurs vêtements prenaient feu.<br />

Cette réunion de personnes<br />

embrasées était affreuse à voir. J'avais<br />

pu sortir facilement des premiers, en<br />

25


Le petit Louis,<br />

lapin de Hollande<br />

Ronald PAWLY<br />

« La terre et les eaux de la Hollande sont à vous. »<br />

Ainsi le lieutenant-général Lebrun annonce-t-il à l’Empereur,<br />

le 23 juillet 1810, l’annexion de la Hollande à l’Empire.<br />

28


Pyramide élevée à l’auguste Empereur<br />

des Français Napoléon I er , par les troupes<br />

campées dans la plaine de Zeist, faisant<br />

partie de l’armée Française et Batave,<br />

commandée par le général en chef<br />

Marmont.<br />

La hauteur totale est de 36 mètres environ,<br />

celle de l’obélisque prise séparément avec le<br />

socle est de 13 mètres environ, la pyramide<br />

prise à sa base à 48 mètres de côtés.<br />

Les inscriptions furent :<br />

2 e face : Batailles de Montenotte, de Dego,<br />

et Millesimo, de Mondovi, Passage du Pô,<br />

Bataille de Lodi, Combat de Borguetto,<br />

Passage du Mincio, Batailles de Lonato,<br />

de Castiglione, de la Brenta, de S t Georges,<br />

d’Arcole, de la Favorite, de Chebreïs, de<br />

Sediman, de Montabor, d’Aboukir, de<br />

Marengo. Partout où il combattit il fixa la<br />

victoire. Par lui le territoire Français fut<br />

agrandi d’un tiers. Il remplit le monde de sa<br />

gloire.<br />

3 e face : Il termina la guerre civile, détruisit<br />

tous les partis, fit succéder à l’anarchie une<br />

sage liberté, rétablit le Culte, releva le crédit,<br />

enrichit le Trésor public, fit reconstruire les<br />

routes, en ouvrit de nouvelles, fit creuser des<br />

ports et des canaux, prospérer les Sciences<br />

et les Arts, améliore le sort du soldat, honora<br />

le métier des Armes : La Paix générale fut<br />

son ouvrage. La Mauvaise foi de l’Angleterre<br />

renouvelle la Guerre, Il faura l’en Punir.<br />

4 e face : Les troupes campées dans la<br />

plaine de Zeyst, faisant partie de l’armée<br />

Française et Batave, commandées par<br />

le général en chef Marmont, et sous ses<br />

ordres par les généraux de division Grouchy,<br />

Boudet, Vignolle, le lieutenant-général<br />

Batave Dumonceau, les généraux de<br />

brigade Soyez, Cassagne, Delzons, Lacroix,<br />

Guerin d’Etoquigny, Tirlet, Lery, Rousseau,<br />

Dessaix, les généraux-majors Quayta et<br />

Heldring, les colonels Balleydier, Vabre,<br />

Breissand, Sancey, Chalbos, Gruardet,<br />

Pajol, Somis, Foy, Aboville, Desvaux, Delort,<br />

Cerize, Massabeau et Dugommier, les<br />

Colonels Batave Carteret, Colaert et Usslar.<br />

Aubernon Ord. en chef. et composées, du<br />

18 e Régiment d’Infanterie légère, des 11 e ,<br />

35 e , 84 e et 92 e d’Infanterie de Ligne, des<br />

10 e , 17 e , 18 e et 19 e Bataillons Bataves, de<br />

2 Bataillons de Waldeck, et 2 Bataillons<br />

de Grenadiers du 6 e Rég t d’Hussards et du<br />

8 e de Chasseurs à cheval Français, d’un<br />

Régiment d’Hussards et de Dragons bataves,<br />

de 4 Compagnies du 8 e Régiment du Corps<br />

Impérial d’Artillerie, de 4 Compagnies<br />

d’Artillerie à pied Bataves, d’une Compagnie<br />

d’Artillerie à cheval Batave, du 7 e Bataillon<br />

bis du Train d’Artillerie Français, de<br />

4 Compagnies du Train d’Artillerie Batave, de<br />

la 4 e Compagnie de Mineurs Français, de la<br />

7 e C ie du 4 e B on de Sapeurs Français et d’une<br />

C ie de Gendarmerie, ont élevé ce Monument<br />

à la Gloire de l’Empereur des Français<br />

Napoléon I er à l’époque de son avènement<br />

au Trône, et en témoignage d’admiration et<br />

d’amour, généraux, officiers, et soldats, tous<br />

y ont travaillé avec une égale ardeur. Il fut<br />

commencé le 24 Fructidor An 12 et terminé<br />

en 32 Jours.<br />

Atlas Van Stolk, Rotterdam<br />

Caricature anglaise montrant Napoléon qui offre son frère Louis, la cigogne,<br />

aux « grenouilles » hollandaises.<br />

Atlas Van Stolk, Rotterdam<br />

A<br />

près plus de deux siècles,<br />

l’indépendance de la Hollande<br />

vient de cesser. Une seule fois,<br />

les Provinces-Unies 1 se sont trouvées<br />

parmi les grandes puissances du monde<br />

occidental. Ses flottes, commandées<br />

par des amiraux comme De Ruyter et<br />

Tromp, naviguaient sur tous les océans<br />

afin de protéger ses colonies et routes<br />

commerciales.<br />

Peu à peu, sa suprématie sur les mers<br />

diminua et vers la fin du 18 e Siècle, une<br />

guerre contre l’Angleterre, accompagné<br />

d’une crise économique, se révèle<br />

désastreuse. Le mécontentement parmi<br />

les nobles, la bourgeoisie libérale, les<br />

commençants et artisans aboutit à une<br />

révolte de patriotes bataves contre les<br />

Orangistes du Stadhouder Guillaume V<br />

qui se voit supporté par la Prusse. Les<br />

Orangistes en sortent vainqueurs. La<br />

répression qui suit conduit en prison des<br />

centaines de patriotes et 400 000 fuient<br />

la République, la plupart vers la France.<br />

Mais le succès du Stadhouder sera<br />

de courte durée. Fin 1794, les troupes<br />

révolutionnaires françaises du général<br />

29


Le petit Louis, lapin de Hollande<br />

Pichegru franchissent les frontières<br />

de la République des Provinces-<br />

Unies. Les patriotes bataves suivent les<br />

forces républicaines et le Stadhouder<br />

Guillaume V doit s’exiler en Angleterre.<br />

La République Batave est proclamé le<br />

19 janvier 1795.<br />

Gouvernée par un directoire exécutif<br />

de cinq membres, la République va<br />

essayer de garder son indépendance<br />

et de rester neutre dans ces années<br />

turbulentes en Europe. Mais les<br />

garnisons et les exigences françaises<br />

pèsent sur le moral.<br />

Les nouvelles du coup d’état du<br />

18 Brumaire, sont en général bien<br />

reçues et une nouvelle convention 2<br />

entre les deux états, réduit sensiblement<br />

le nombre des troupes françaises à<br />

la solde de la république. L’espoir<br />

de créer un gouvernement stable et<br />

indépendant reste actuel mais vain,<br />

car le 30 septembre 1801, l’ancien<br />

ambassadeur à Paris, Gerard Brantsen,<br />

écrit au ministre des affaires étrangères<br />

Van der Goes : « Nous sommes sous la<br />

férule française. »<br />

Même si le Premier Consul ne<br />

montre pas beaucoup d’intérêt pour<br />

ses voisins du Nord, il reconnaît leur<br />

importance stratégique à cause de leurs<br />

ports et rivières. Pour protéger Anvers,<br />

son « pistolet braqué sur le cœur<br />

de l’Angleterre », le général Monnet<br />

occupe, en avril 1803, Middelbourg<br />

et Veere, puis met Flessingue en état<br />

de siège. Les troupes bataves doivent<br />

évacuer ces positions. À peu près en<br />

même temps, d’autres troupes françaises<br />

entrent dans le Brabant hollandais et s’y<br />

établissent dans les principales places.<br />

Une opération d’annexion de parties du<br />

territoire hollandais que les Français vont<br />

répéter plusieurs fois jusqu’à 1810.<br />

C’est seulement en 1805, que<br />

Napoléon commence vraiment à se<br />

mêler des affaires du gouvernement de<br />

la République Batave. Favorisant un chef<br />

direct au lieu d’un directoire exécutif,<br />

il y installe le 1 er mai de la même année<br />

l’ancien représentant batave à Paris,<br />

Rutger Jan Schimmelpenninck, comme<br />

grand-pensionnaire de la République<br />

batave. Sympathisant des idées politiques<br />

de l’Empereur, Schimmelpenninck<br />

doit occuper son poste tant que dure la<br />

guerre contre l’Angleterre, et rester en<br />

poste pour cinq ans encore après une<br />

signature de paix. Mais à Paris, dans<br />

les salons et les cercles diplomatiques<br />

on sait que Schimmelpenninck n’est<br />

« destiné qu’à faire la planche pour un<br />

prince français, il n’est qu’un doge de<br />

six mois. »<br />

Le 6 février 1806, le ministre des<br />

Affaires étrangères, Talleyrand, écrit<br />

au grand-pensionnaire que l’Empereur<br />

veut remédier à l’instabilité qui règne en<br />

Hollande. Un mois plus tard, il annonce<br />

déjà au même son intention d’y établir<br />

une monarchie héréditaire. Et Napoléon,<br />

de son côté, écrit le 8 mars à son frère<br />

Joseph « Il est possible que je fisse Louis<br />

roi de Hollande ».<br />

Sa décision prise, les autorités<br />

hollandaises durent prier l’Empereur<br />

de bien vouloir leur accorder son frère<br />

Louis comme roi ! Par un message à<br />

Leurs Hautes Puissances, représentant<br />

la République Batave, lu en séance<br />

extraordinaire du 5 juin 1806, le Grand-<br />

Pensionnaire annonce qu’il abandonne<br />

le pouvoir qu’il confie provisoirement<br />

Entrée du roi Louis à Amsterdam le 20 avril 1808.<br />

Atlas Van Stolk, Rotterdam<br />

30


au président du Corps Législatif, le<br />

Baron C. de Vos van Steenwijk tot den<br />

Hogenhof.<br />

Louis Bonaparte, troisième frère de<br />

Napoléon Bonaparte, est né à Ajaccio<br />

(Corse) le 2 septembre 1778 et entre<br />

en 1793 dans la vie active, à peine au<br />

sortir de l’enfance. Poussé par Napoléon<br />

dans une carrière militaire, cette<br />

perspective parait sans attrait pour Louis<br />

qui aspire déjà à une vie paisible. Son<br />

caractère, rempli de contrastes, invite<br />

Napoléon à dire que Louis « a de l’esprit,<br />

il n’est point méchant, mais avec ces<br />

qualités un homme peut faire bien des<br />

sottises et causer bien du mal. »<br />

Le 10 juin 1806, le vice-amiral<br />

VerHuell 3 instruit les autorités du traité<br />

conclu le 24 mai à Paris avec l’Empereur<br />

et dont le premier article stipule que<br />

Napoléon déclare, pour lui, ses héritiers<br />

et ses successeurs, garantir à jamais les<br />

lois constitutionnelles et l’indépendance<br />

de la Hollande, ainsi que l’intégrité de<br />

son territoire et de celui de ses colonies<br />

et ses libertés politiques, civiles et<br />

religieuses.<br />

Le second article stipule que<br />

l’Empereur répondant au désir exprimé<br />

par la représentation nationale autorise<br />

son frère, le Prince Louis Napoléon, à<br />

accepter la couronne de la Hollande<br />

pour lui et ses successeurs mâles ; les<br />

couronnes de France et de la Hollande ne<br />

seront jamais réunies sur la même tête.<br />

Ce traité n’est qu’un leurre, car<br />

l’Empereur entend de faire de Louis<br />

une sorte de roi-préfet qui « règne » en<br />

fonction des volontés de son frère et<br />

dans les intérêts de la France. Louis, de<br />

son côté, veut, lui, être un roi-souverain.<br />

Mais qui est ce Louis ? En fait il est<br />

avant tout un malade. À l’âge de 20 ans<br />

environ, il attrape une infection que<br />

certains disent même vénérienne. Et<br />

même s’il connaît des moments où sa<br />

santé s’améliore, il ne sera jamais guéri.<br />

Ces maux, ces douleurs le mettent<br />

souvent de mauvaise humeur. Il joue<br />

souvent son propre médecin, cherchant<br />

des remèdes dans les traitements les plus<br />

bizarres.<br />

Et c’est ce même jeune prince que<br />

l’Impératrice Joséphine a poussé dans<br />

les bras de sa fi lle Hortense, afi n de<br />

s’attacher plus encore à Napoléon. Et<br />

l’Empereur, lui, espère que Louis peut lui<br />

donner un successeur. Mais le mariage se<br />

montre très vite un désastre.<br />

Pourtant, avec l’Empire, la dignité<br />

de Louis grandi. Il devient, pour citer<br />

les plus importants : Altesse Impériale,<br />

Grand Connétable, colonel-général des<br />

Carabiniers, Sénateur et puis roi de<br />

Hollande.<br />

Le 11 juin au matin, des unités de la<br />

Garde hollandaise à pied et à cheval<br />

partent pour Breda afin de recevoir et<br />

d’escorter le nouveau Roi, lequel du reste<br />

se fait précéder par le général Michaud 4<br />

avec un Corps de troupes françaises 5 .<br />

Le 15 juin, l’ambassadeur français<br />

en Hollande, le général Dupont-<br />

Chaumont 6 écrit au Duc de Cadore<br />

« L’esprit public, un peu étonné d’abord<br />

de la promptitude des événements,<br />

commence à revenir, la population<br />

vit en bonne intelligence avec le<br />

soldat français. Une garde d’honneur<br />

s’organise pour recevoir Leurs<br />

Majestés. »<br />

Deux jours plus tard, le Roi, la Reine<br />

et leurs deux fils venant d’Anvers,<br />

Blason du roi, montrant l’aigle impérial<br />

et le lion hollandais, le collier de la<br />

Légion d’honneur ainsi que celui de<br />

l’Ordre Royal de l’Union et, au-dessus,<br />

la devise « Eendracht maakt macht »<br />

(l’Union fait la force).<br />

Atlas Van Stolk, Rotterdam<br />

franchissent la frontière du royaume<br />

près du village de Groot-Zundert, où<br />

ils sont complimentés par les autorités.<br />

Un détachement de la Garde à cheval<br />

s’y trouve, et les régiments de cavalerie<br />

sont échelonnés le long de la route par<br />

Breda et Moerdijk, où la famille royale<br />

s’embarque sur un yacht qui la conduit<br />

à Rotterdam. Elle arrive le 18 au soir<br />

par Voorburg en contournant La Haye,<br />

où le canon, le carillon et les musiques<br />

se font entendre. Une députation de<br />

la magistrature de La Haye, placée à<br />

l’entrée du Bois près de l’allée de Nieuw-<br />

Oostindië présente le vin d’honneur.<br />

Le général Collaert 7 a pris position à ce<br />

carrefour, avec la cavalerie de la Garde et<br />

les premiers régiments de Dragons et de<br />

Hussards de la Ligne, qui tous escortent<br />

ensuite la famille royale jusqu’au palais<br />

par les allées illuminées du Bois.<br />

Elle y fut reçue au pied du grand<br />

31


Le petit Louis, lapin de Hollande<br />

et le 20 e de Chasseurs à cheval.<br />

6 - Pierre Antoine Dupont-Chaumont (1759-<br />

1838), frère du général Dupont, vaincu à<br />

Bailén en 1808 ; ministre plénipotentiaire<br />

auprès du grand-pensionnaire Rutger Jan<br />

Schimmelpenninck, puis auprès du roi<br />

Louis. En 1806, il accompagne le roi en<br />

Prusse. Inspecteur général de l’Infanterie<br />

en mars 1809, il reçoit le commandement<br />

du camp de Boulogne, passe en Italie et sera<br />

retraité le 25 juin 1812.<br />

7 - Jean Antoine Collaert (1761-1816), entre au<br />

service de l’Autriche en 1778 ; passe au service<br />

des Provinces Unies en 1786 ; lieutenantcolonel<br />

en 1795 ; colonel en 1803 puis majorgénéral<br />

en 1806. Colonel-général de la Garde<br />

royale et Grand Officier de la Couronne en<br />

mai 1807 ; il passe au service de la France et<br />

sert en Illyrie et l’Italie, puis en Allemagne<br />

(1813). Démissionne en 1814 et entre au<br />

service des Pays-Bas. Blessé à Waterloo.<br />

8 - André Ernest Modeste Grétry (1741-1813),<br />

compositeur liégeois puis français.<br />

9 - Armand Louis de Broc (1772-1810), colonel et<br />

adjudant du prince Louis en 1804 ; généralmajor<br />

au service de la Hollande en juin 1806 ;<br />

Grand Maréchal du Palais et Grand Officier<br />

de la Couronne de juillet 1806 à février 1809 ;<br />

sert en Espagne et passe au service de la<br />

France en octobre 1808 ; général de brigade<br />

en 1809 ; sert en Italie comme commandant<br />

de la 2 e Division de Dragons.<br />

10 - Auguste Jean Gabriel de Caulaincourt (1777-<br />

1812), frère cadet d’Armand Augustin Louis<br />

de Caulaincourt Grand écuyer de l’Empereur.<br />

Colonel du 19 e Dragons, il devient aide de<br />

camp du prince Louis Bonaparte et sert à la<br />

tête de son régiment pendant les campagnes<br />

de 1805 et 1806. Il suit le roi Louis comme<br />

aide de camp et fut nommé général de brigade<br />

en août 1806. Rentré au service de France, il<br />

sert en Espagne pour rentrer en France où il<br />

sera nommé Gouverneur des Pages. Nommé<br />

commandant du grand quartier général en<br />

juillet 1812, il sert en Russie où il sera tué à la<br />

bataille de la Moskowa.<br />

11 - Jean François Xavier Noguès (1769-1808),<br />

premier adjudant du prince Louis en 1804 ;<br />

général de division en 1805 ; entre au<br />

service de la Hollande en 1806 ; adjudantgénéral<br />

du roi et gouverneur de La Haye et<br />

du Palais en juin 1806 ; chef d’état-major de<br />

l’Armée du Nord en juin 1806 ; prend congé<br />

de convalescence et retourne en France en<br />

juillet 1806. Il ne retourne plus en Hollande.<br />

12 - Voir : Soldats Napoléoniens N°21<br />

13 - Le roi Louis, avant de partir pour Paris, laisse<br />

son fils aîné au pavillon d’Haarlem et a confié<br />

la Régence provisoire aux ministres. Le<br />

13 juillet, arrive le général Lauriston, aide de<br />

camp de l’Empereur, qui après de nombreuses<br />

conférences au château du Pavillon, repart à<br />

la nuit tombée, emmenant dans une voiture<br />

de poste le Prince royal à Amsterdam, puis à<br />

Paris, conformément aux ordres de l’Empereur<br />

en date du 10.<br />

14 - Adrien François de Bruno (1771-1861), chef<br />

d’escadron au 12 e de Hussards en 1801, puis<br />

major au 10 e Chasseurs à cheval. Il sera<br />

nommé aide de camp du roi Louis, puis Grand<br />

écuyer. Après l’abdication, il repasse dans les<br />

cadres de l’armée française comme général<br />

de brigade.<br />

15 - Alexander Wilhelmus Josephus Joannes van<br />

Hugenpoth tot Aert (1780-1859), catholique,<br />

fut nommé ministre de la Justice et de la<br />

Police parce que le roi voulait avoir un<br />

ministre catholique dans son gouvernement.<br />

À l’âge de 29 ans, il fut le plus jeune ministre<br />

hollandais. Il gardera sa fonction jusqu’au<br />

1 er janvier 1811.<br />

16 - Jacob Anthony Twent, seigneur de<br />

Kortenbosch (1776-1815), intendant des<br />

domaines royaux en 1806 ; intendantgénéral<br />

des domaines de la Couronne<br />

en 1807 ; trésorier-général de la Couronne<br />

en novembre 1807 ; intendant-général de la<br />

Maison royale en décembre 1808.<br />

17 - Etienne Jacques Travers, baron de Jever (1765-<br />

1827), officier de cavalerie dans l’armée<br />

française. Il passe comme chef d’escadron<br />

dans l’armée hollandaise en juin 1806 ;<br />

colonel du régiment Garde Cavalerie en<br />

septembre 1806 ; nommé général-major et<br />

aide de camp du roi en mars 1808 ; colonelgénéral<br />

de la cavalerie et gendarmerie<br />

ainsi que grand officier de la Couronne en<br />

août 1808 ; premier aide de camp du roi de<br />

août 1808 jusqu’en juin 1809 ; naturalisé<br />

en mars 1809, il devient commandant de la<br />

défense des côtes en août 1809. Retourne<br />

comme général de brigade au service de la<br />

France en 1810.<br />

18 - Willem Otto Bloys van Treslong (1765-<br />

1837), entre au service de la marine en 1780.<br />

Gouverneur de Surinam de 1801 à 1804 ;<br />

premier aide de camp du roi, grand officier<br />

de la Couronne et Grand Maréchal du Palais<br />

de 1808 à 1810. Fidèle au roi, il refuse d’entrer<br />

en service dans la marine française.<br />

19 - Carel Adam van Bylandt (1773-1857), officier<br />

d’ordonnance du roi, 1806 ; écuyer du roi,<br />

novembre 1806 ; lieutenant-colonel au<br />

2 e Hussards en juin 1808 ; passe avec son<br />

grade dans l’état-major général et sera nommé<br />

aide de camp du roi en août 1809 ; colonel<br />

en septembre 1809 ; nommé adjudantcommandant<br />

en 1812.<br />

20 - Cornelis Felix van Maanen (1769-1846),<br />

ministre de la Justice et de la Police de<br />

décembre 1807 jusqu’en avril 1809 ; premier<br />

président de la Cour impériale à La Haye en<br />

octobre 1810.<br />

21 - Isaac Jan Alexander Gogel (1765-1821),<br />

secrétaire d’état en 1805 ; ministre des<br />

Finances de 1806 à 1809 ; intendant-général<br />

des finances et de la trésorerie de Hollande<br />

en 1810 ; membre du Conseil d’état en 1810.<br />

22 - Les départements des Bouches-du-Rhin<br />

(Bois-le-Duc) et des Bouches-de-l’Escaut<br />

(Middelbourg) furent créé en avril et mai 1810<br />

après l’annexion des territoires du Brabant et<br />

Gueldre et de Zélande.<br />

23 - À Paris, la Hollande sera représentée par<br />

six sénateurs, six députés au Conseil d’Etat,<br />

vingt-cinq députés au Corps législatif et<br />

deux juges à la Cour de cassation.<br />

Bibliographie<br />

Catalogue, Exposition, Lodewijk<br />

Napoleon en het Koninkrijk Holland,<br />

Rijksmuseum, Amsterdam, 1959. de<br />

Caumont-Laforce : Lebrun lieutenantgénéral<br />

en Hollande (juillet-septembre<br />

1810). 15 mars 1907.<br />

Du Casse, A., Les Rois frères de<br />

Napoléon I er , 1883.<br />

Homan, Gerlof D., Nederland in<br />

de Napoleontische Tijd 1795-1815,<br />

Fibula-Van Dishoeck, Haarlem, 1978.<br />

Kikkert, J.G., Louis Bonaparte –<br />

1778-1846, AD. Donker, Rotterdam,<br />

1981.<br />

Lebrun, Anne-Charles (duc de<br />

Plaisance, Gal), Une statue du<br />

duc de Plaisance sera inaugurée le<br />

10 octobre 1847 à Coutances... [Notice<br />

biographique sur Charles-François<br />

Lebrun, écrite à cette occasion par son<br />

fi ls. 1847.<br />

Legrand, Louis Désiré, La révolution<br />

française en Hollande : la République<br />

batave, 1894.<br />

Presser, J. Prof. Dr., Napoleon,<br />

Elsevier, Amsterdam/Brussel. 1974.<br />

Rocquain, Félix, Napoléon I er et le Roi<br />

Louis, Firmin-Didot, Paris. 1875.<br />

Schutte, Otto Mr., De Orde van de<br />

Unie, De Walburg Pers, Zutphen, 1985.<br />

40


La mort de la reine<br />

Louise de Prusse<br />

(19 juillet 1810)<br />

Michel KERAUTRET<br />

Au cœur de l’été 1810, la nouvelle de la mort inattendue<br />

de la reine Louise, à peine âgée de 34 ans, frappa de stupeur<br />

sa famille et son peuple, mais aussi l’Europe entière.<br />

Cette tragédie allait faire de l’ennemie de Napoléon,<br />

enlevée en pleine jeunesse, une sorte d’icône.<br />

Napoléon reçoit la reine Louise de Prusse à Tilsitt le 6 juillet 1807.<br />

Huile sur toile de Jean-Charles Tardieu (1765-1830), Collection Musées des Châteaux<br />

de Versailles et de Trianon, © RMN / Gérard Blot - Jean Schormans.<br />

41


La mort de la reine Louise de Prusse<br />

« La reine des cœurs »<br />

Louise, née le 14 mars 1776 à<br />

Hanovre, était issue d’une de ces familles<br />

souveraines allemandes qui tenaient<br />

le haut du pavé dans le Saint Empire<br />

romain germanique, s’alliaient entre<br />

elles et conservaient un sentiment très<br />

fort de leur supériorité sociale. Elles<br />

étaient réputées régnantes, de sorte que<br />

sa naissance plaçait Louise au niveau<br />

de tous les souverains d’Europe et lui<br />

donnait le droit de faire un mariage<br />

royal. Dans la pratique, néanmoins, un<br />

tel destin était peu probable, car elle<br />

était issue de deux branches cadettes de<br />

deux lignées de second rang. Son père,<br />

le prince Charles de Mecklembourg-<br />

Strelitz, n’était pas destiné à régner,<br />

et avait pris du service auprès du roi<br />

d’Angleterre, électeur de Hanovre.<br />

Seule la mort de son frère aîné fit de<br />

lui, en 1794, un duc souverain. Quant<br />

à la mère de Louise, Frédérique de<br />

Hesse-Darmstadt, nièce du landgrave<br />

Louis IX, elle décéda en 1782, laissant<br />

l’enfant orpheline à l’âge de 6 ans, avec<br />

ses sœurs Charlotte (née en 1769),<br />

Thérèse (1773) et Frédérique (1778), et<br />

le petit Georges (1779), futur grand-duc<br />

de Mecklembourg-Strelitz. Les enfants<br />

furent élevés d’abord par une tante à<br />

Hanovre, puis à la mort de celle-ci par<br />

leur grand-mère maternelle Marie-Louise<br />

(dite « princesse Georges », du nom<br />

de feu son mari). Louise partagea<br />

dès lors son temps entre la ville de<br />

Darmstadt, d’autant plus provinciale<br />

que le landgrave n’y résidait pas, et<br />

divers châteaux des environs. Enfance et<br />

adolescence joyeuses, éducation éclairée<br />

sous la direction d’une gouvernante<br />

originaire de Neuchâtel et adepte de<br />

Rousseau, Salomé de Gélieu. La princesse<br />

apprit le français, le chant, le clavecin et<br />

la danse, ainsi bien sûr que la religion<br />

protestante.<br />

Les petits duchés de Mecklembourg<br />

occupaient au nord de l’Allemagne<br />

une position médiane entre deux<br />

grands États, l’électorat de Hanovre,<br />

propriété du roi Georges III d’Angleterre,<br />

et le royaume de Prusse, mais ils<br />

entretenaient des liens privilégiés<br />

avec Londres. C’est peut-être pour<br />

contrebalancer cette liaison que le roi de<br />

Prusse Frédéric-Guillaume II rechercha<br />

leur alliance lorsqu’il voulut marier ses<br />

fils, le prince héritier et son frère Louis.<br />

En tout cas, l’on se mit d’accord en avril<br />

1793, tandis que les princes et leur père<br />

séjournaient à Francfort lors de la guerre<br />

contre les révolutionnaires français.<br />

Les jeunes gens furent mis en présence<br />

lors d’un bal, ils ne se déplurent pas.<br />

L’aîné, âgé de 23 ans, choisit Louise, le<br />

cadet Frédérique. Néanmoins, en dépit<br />

de la légende, cela n’eut rien d’un coup<br />

de foudre et l’amour resta toujours<br />

raisonnable, même si des liens étroits<br />

se créèrent peu à peu entre le futur roi<br />

et son épouse. Le mariage fut célébré à<br />

Berlin le 24 décembre 1793. Quatre ans<br />

plus tard, Louise était reine de Prusse<br />

aux côtés de Frédéric-Guillaume III.<br />

Ses premières années à Berlin, comme<br />

épouse du Kronprinz puis comme<br />

reine, se caractérisent par un mélange<br />

de légèreté et d’application. La jeune<br />

provinciale s’étourdit des plaisirs que<br />

lui prodigue la capitale, elle danse<br />

des nuits entières, y compris la valse<br />

encore un peu choquante à l’époque,<br />

se laisse courtiser par son beau cousin<br />

Louis-Ferdinand, pose un peu dévêtue<br />

pour le sculpteur Schadow, s’irrite des<br />

réprimandes de la grande-maîtresse,<br />

M me de Voss. Mais elle se donne aussi<br />

beaucoup de peine pour apprendre<br />

les usages de cette cour étrangère et<br />

donne à la Prusse les héritiers qu’elle<br />

attend. Trois naissances se succèdent<br />

rapidement, Frédéric-Guillaume (le futur<br />

roi Frédéric-Guillaume IV) en 1795,<br />

Guillaume (le futur empereur) en 1797,<br />

Charlotte en 1798. Louise adore ses<br />

trois aînés, son « trèfle trilobé », et veille<br />

de près à leur éducation.<br />

Enfi n, Louise, en plein accord avec<br />

son mari, crée un nouveau style : le<br />

couple vit de façon assez simple, tant à<br />

la ville qu’à la campagne, l’étiquette est<br />

réduite au minimum. L’abbé Georgel,<br />

qui passe alors par Berlin, ne sait s’il<br />

doit admirer ou s’offusquer : « Pour<br />

s’éviter l’ennui et la dépense d’une<br />

représentation digne de la majesté<br />

du trône, le petit-neveu du grand<br />

Frédéric a quitté à Berlin le palais de<br />

ses prédécesseurs pour se loger avec la<br />

reine et ses enfants dans une maison<br />

bourgeoise, sur la rue qui conduit à<br />

la belle promenade des tilleuls. Il y vit<br />

bourgeoisement, sans aucune pompe.<br />

Deux sentinelles, placées au-dessus<br />

d’une rampe double, composent toute<br />

sa garde. Quand il paraît, ou à pied ou<br />

à cheval ou en voiture, dans les rues de<br />

Berlin, il n’a ni suite ni gardes : un seul<br />

valet de pied ou un seul palefrenier<br />

l’accompagne. J’ai vu le roi passer<br />

dans les rues sans qu’on s’arrêtât par<br />

respect ; je l’ai vu sortant de la comédie,<br />

donnant la main à la reine pour la<br />

conduire à son carrosse, sans qu’on se<br />

dérangeât pour les laisser passer : le roi<br />

remonta ensuite à cheval suivi de son<br />

palefrenier, sans qu’aucun de la foule<br />

ôtât son chapeau ». L’été, on réside non<br />

à Potsdam, trop pompeux, mais le plus<br />

souvent dans la maison de Paretz, ou<br />

dans la fausse ruine de l’île des Paons :<br />

on y mène une vie de seigneurs de<br />

villages, entre l’idylle et l’agronomie.<br />

Quant à l’intérieur, il est tout aussi<br />

simple, quelques pièces à vivre, pas<br />

de cour, un service de table frugal, des<br />

loisirs ordinaires – on se couche tôt.<br />

« Pas de luxe », s’est donné comme<br />

devise le roi, soucieux de rompre avec la<br />

prodigalité paternelle et de restaurer les<br />

finances publiques. Louise s’habille avec<br />

élégance, mais sobrement. La mousseline<br />

légère sied bien à sa taille, comme<br />

l’écharpe ou le ruban dont elle pare son<br />

long cou, mais elle ne se poudre ni ne<br />

se farde, et doit borner ses dépenses de<br />

poche aux mille thalers mensuels qui lui<br />

sont alloués. Il n’est d’ailleurs pas rare de<br />

la croiser dans les rues de Berlin avec ses<br />

enfants, faisant elle-même ses emplettes.<br />

De là à parler d’un ménage bourgeois,<br />

comme on l’a fait parfois, il y a certes<br />

encore loin. Mais Louise plaît, sa beauté<br />

et son aménité lui valent le surnom de<br />

« reine des cœurs », forgé par August<br />

Wilhelm Schlegel. « Le charme de<br />

son céleste visage, écrit M me Vigée-<br />

Lebrun, qui l’a rencontrée, exprimait<br />

la bienveillance, la bonté ; les traits<br />

étaient réguliers et fins ; la beauté<br />

de sa taille, de son cou, de ses bras,<br />

l’éblouissante fraîcheur de son teint,<br />

tout enfin surpassait en elle ce qu’on<br />

peut imaginer de plus ravissant ».<br />

Philippe de Ségur, qui vint en mission à<br />

Berlin, est lui aussi sous le charme, ainsi<br />

qu’il le rapporte dans ses Mémoires : « Il<br />

me semble voir encore cette princesse,<br />

à demi couchée sur un riche sofa ; un<br />

trépied d’or était près d’elle ; un voile de<br />

pourpre oriental recouvrait légèrement<br />

Portrait de la Reine Louise de Prusse.<br />

Pastel par Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun<br />

(1755-1842), début 19 e , Collection Privée,<br />

© Christie’s Images / Bridgeman<br />

Giraudon.<br />

42


et laissait apercevoir sa taille élégante<br />

et gracieuse. Il y avait dans le son de sa<br />

voix une douceur si harmonieuse, dans<br />

ses paroles une séduction si aimable<br />

et si touchante, dans son attitude tant<br />

de charme et de majesté que, interdit<br />

pendant quelques instants, je me crus<br />

en présence de l’une de ces apparitions<br />

dont les récits fabuleux des temps<br />

antiques nous ont retracé l’image<br />

enchanteresse ».<br />

La vie régulière des souverains<br />

convient à l’opinion, elle paraît<br />

l’expression idéale du nouvel âge d’or<br />

où s’alanguit la Prusse, demeurée neutre<br />

depuis le traité de paix de Bâle (1795) :<br />

îlot de paix et asile des muses dans une<br />

Europe déchirée, le royaume prospère,<br />

et il s’agrandit même par la grâce de<br />

Bonaparte, lors du Recès de 1803. Ce<br />

tableau va changer en quelques années,<br />

et la reine Louise y aura sa part.<br />

L’ennemie de Napoléon<br />

Louise s’était longtemps tenue à<br />

distance de la politique, et nul n’aurait<br />

d’ailleurs attendu qu’elle s’en mêlât. Le<br />

futur premier ministre Stein ne voyait<br />

en elle qu’une femme superficielle et<br />

dépourvue de jugement. Mais Frédéric-<br />

Guillaume, qui était d’un naturel<br />

hésitant, prit l’habitude de lui faire<br />

confidence de ses tergiversations, puis<br />

de la consulter régulièrement. Il ne fait<br />

pas de doute que son influence contribua<br />

à faire pencher la balance du côté de la<br />

guerre contre la France. On a souvent<br />

attribué l’animosité anti-française de<br />

la reine à l’influence de l’empereur<br />

Alexandre de Russie. Il est vrai que, lors<br />

de la rencontre qui eut lieu à Memel, en<br />

juin 1802, entre le tsar et le couple royal<br />

de Prusse, une vive sympathie était née<br />

entre Louise et Alexandre, et qu’une<br />

correspondance chaleureuse s’en était<br />

suivie. Mais des motifs plus puissants ont<br />

évidemment joué leur rôle.<br />

La tension montait peu à peu,<br />

depuis 1803, entre la France et la Prusse.<br />

Il y avait eu l’occupation française du<br />

Hanovre, aux confins des États prussiens,<br />

l’enlèvement de l’agent anglais Rumbold<br />

à Hambourg, en 1804. Même si Berlin<br />

reconnut sans difficulté la proclamation<br />

de l’empire, on cherchait des garanties<br />

du côté de la Russie, un accord de<br />

juin 1804 stipulant même une action<br />

commune contre Napoléon s’il dépassait<br />

la ligne du Weser. La Prusse résista<br />

cependant, au cours de l’été 1805, aux<br />

sollicitations des instigateurs de la<br />

troisième coalition, Russie, Angleterre<br />

et Autriche. La guerre commença sans<br />

elle en septembre. Alexandre, désireux<br />

d’obtenir un droit de passage pour<br />

ses troupes, en vint un instant aux<br />

menaces. Mais l’incident que suscita<br />

bientôt à Ansbach la violation d’un<br />

territoire prussien par des éléments<br />

du corps de Bernadotte, délivra le roi<br />

de ses scrupules. Louise semble avoir<br />

montré à cette occasion une indignation<br />

particulière.<br />

L’empereur de Russie s’invita alors<br />

à Berlin, et se fit assez persuasif pour<br />

entraîner le roi de Prusse dans la<br />

coalition, virtuellement du moins. Leur<br />

entente se trouva scellée lors d’une<br />

scène restée célèbre, celle du serment<br />

nocturne prêté par Alexandre et<br />

Frédéric-Guillaume, en présence de la<br />

reine, sur la tombe de Frédéric-le-Grand,<br />

dans la crypte de l’église de la Garnison<br />

de Potsdam (5 novembre). Cet épisode,<br />

aussitôt diffusé par l’iconographie, ne<br />

suffit pas néanmoins à précipiter les<br />

armements de la Prusse. Le ministre<br />

Haugwitz porta certes un ultimatum à<br />

Napoléon, mais ne l’ayant trouvé qu’à la<br />

veille d’Austerlitz, il différa jusqu’à l’issue<br />

de la bataille… et revint à Berlin avec un<br />

traité d’alliance.<br />

L’animosité ne cessa de monter en<br />

Prusse au cours des mois suivants, et la<br />

reine Louise devint très ouvertement<br />

la championne du parti de la guerre. Il<br />

est vrai que Napoléon, exaspéré du jeu<br />

trouble de la Prusse, ne prenait plus de<br />

ménagements avec elle. Non seulement<br />

il lui enlevait Clèves, Neuchâtel et<br />

Ansbach en échange du Hanovre, mais<br />

il obligeait la Prusse à rompre avec<br />

Londres, approuvait en sous-main les<br />

empiètements de Murat en Westphalie,<br />

créait en juillet la Confédération du<br />

Rhin, puis négociait avec l’Angleterre<br />

sur le Hanovre. C’est alors que l’on<br />

vit la reine Louise prendre l’uniforme<br />

des dragons d’Ansbach et soutenir au<br />

conseil, où elle entrait désormais, la<br />

position pro-russe. Selon Gentz, elle<br />

discutait et conseillait avec intelligence,<br />

précision et fermeté, mais aussi avec<br />

une « profondeur de sentiment » toute<br />

féminine.<br />

Lorsque l’on en vint en septembre<br />

1806 à la rupture ouverte, le roi parut<br />

fataliste, mais la reine était confiante,<br />

heureuse de livrer ce combat aux côtés<br />

de son ami Alexandre : « Je n’ai pas<br />

peur, lui écrit-elle, car il est impossible<br />

de voir une armée animée d’un<br />

meilleur zèle que la nôtre. Je crois en<br />

vous comme en Dieu, et mon amitié<br />

pour vous ne pourra finir qu’avec<br />

mon bonheur ». Le 21 septembre, elle<br />

partit pour la guerre avec son époux,<br />

et demeura à ses côtés. Les Français se<br />

rapprochant dangereusement, le duc de<br />

Brunswick, général en chef, obtint enfin<br />

son départ le 13 octobre. Il était temps :<br />

le lendemain vit la déroute complète<br />

des deux armées prussiennes à Iéna<br />

et Auerstaedt, et le début d’une fuite<br />

éperdue. Louise parvient à s’échapper<br />

vers le nord, sous la protection de<br />

quelques cuirassiers. Elle apprend à<br />

Berlin, quatre jours plus tard, que tout<br />

est perdu, et fuit jusqu’à l’Oder puis la<br />

Vistule : les places de Schwedt, Stettin,<br />

Küstrin, Graudenz n’offrent que des<br />

pauses éphémères. Elle a tout de même<br />

retrouvé son époux, mais il est effondré,<br />

et elle se sent coupable. Et voilà qu’elle<br />

découvre les sarcasmes et les « infâmes<br />

mensonges » dont Napoléon l’accable<br />

dans ses bulletins. « Il semble voir<br />

Armide, dans son égarement, mettant<br />

le feu à son propre palais », écrivait-il le<br />

8 octobre. Puis le 17 : « C’est une femme<br />

d’une jolie figure, mais de peu d’esprit,<br />

incapable de présager les conséquences<br />

de ce qu’elle faisait. Il faut aujourd’hui,<br />

au lieu de l’accuser, la plaindre, car<br />

elle doit avoir bien des remords des<br />

maux qu’elle a faits à sa patrie ».<br />

Pire encore, dans le bulletin du 27,<br />

daté de Berlin : « On a trouvé dans<br />

l’appartement qu’occupait la reine, à<br />

Potsdam, le portrait de l’empereur de<br />

Russie. On a trouvé à Charlottenbourg<br />

sa correspondance avec le roi et des<br />

mémoires rédigés par des écrivains<br />

anglais. Ces pièces démontreraient,<br />

si cela était besoin, combien sont<br />

malheureux les princes qui laissent<br />

prendre aux femmes de l’influence<br />

sur les affaires politiques. Les notes,<br />

les rapports, les papiers d’Etat étaient<br />

musqués et se trouvaient mêlés avec<br />

des chiffons et d’autres objets de toilette<br />

de la reine ».<br />

Le 10 décembre, la reine et sa famille<br />

arrivent épuisés à Königsberg, où ils<br />

43


La visite Impériale<br />

à Anvers en 1810<br />

Ronald PAWLY<br />

«<br />

N<br />

ous sommes informés que<br />

Leurs Majestés Impériales<br />

et Royales honoreront notre<br />

ville de leur présence et que le jour de<br />

leur arrivée est fixé au 29 courant.<br />

Il y a quelques années que nous<br />

avons eu le bonheur d’avoir le<br />

Grand Napoléon en nos murs et de<br />

lui démontrer notre amour et notre<br />

reconnaissance à son égard.<br />

Dans les circonstances présentes,<br />

il va de soi que les manifestations<br />

que nous allons témoigner envers ces<br />

augustes personnages doivent dépasser<br />

en splendeur celles de l’An XI.<br />

Leurs Majestés seront escortées<br />

d’une assez grande suite qui ne pourra<br />

être logée qu’uniquement chez les<br />

habitants.<br />

Néanmoins, le Maire de la Ville<br />

d’Anvers a confiance dans le dévouement<br />

et l’hospitalité de ses concitoyens. »<br />

Ainsi, le Maire d’Anvers, Jean-Etienne<br />

Werbrouck, annonce dans le Antwerpsche<br />

Gazet du 26 avril 1810, la visite prochaine<br />

L'Empereur et l'Impératrice visitant l'escadre mouillée dans l'Escaut devant Anvers<br />

et montant à bord du vaisseau amiral « le Charlemagne », le 1 er mai 1810.<br />

Par Van Brée Matthieu Ignace (1773-1839). RMN.<br />

46


de Napoléon et Marie-Louise aux<br />

anversois.<br />

Depuis la première visite en l’An XI, le<br />

monde politique et le visage de l’Europe<br />

ont bien changé. En ces 7 ans, le Premier<br />

Consul est devenu Empereur des<br />

Français, Roi d’Italie, Protecteur de la<br />

Confédération du Rhin et Médiateur de<br />

la Confédération Suisse ; des frontières<br />

ont été redessinées, des royaumes créés,<br />

d’autres ont disparu… et la ville dont<br />

Bonaparte a dit « j’ai cru me trouver<br />

ce matin dans une ville d’Afrique »<br />

est devenue le plus vaste chantier de<br />

l’Empire.<br />

Après la campagne de Walcheren<br />

(1809), Napoléon s’occupe encore<br />

plus de son « pistolet braqué sur le<br />

cœur de l'Angleterre ». Des bassins<br />

sont creusés, les quais sont rectifiés,<br />

des cales érigées et une flotte créée, les<br />

fortifications modernisées et agrandies et<br />

une nouvelle ville sur la rive gauche est<br />

prévue. Même pour les anversois la ville<br />

devient méconnaissable.<br />

Certes, le décret pour creuser<br />

les bassins fut signé en 1803, mais<br />

on ne commence avec les travaux<br />

qu’en 1807 ! Avec les installations<br />

maritimes de Flessingue détruites par<br />

les Anglais en 1809, la flotte a besoin<br />

de bassins pour s’armer, doubler les<br />

vaisseaux et pour y hiverner. On est<br />

en 1810 et le premier bassin n’est<br />

toujours pas prêt pour recevoir les<br />

frégates de l’escadre. Maintenant, marié<br />

en seconde noce à Marie-Louise, fi lle<br />

de l’Empereur d’Autriche, Napoléon va<br />

inspecter en personne les progrès de<br />

tous ces travaux.<br />

Les souverains ne voyagent pas léger,<br />

car la cour suit. Avec eux, le Prince de<br />

Neuchâtel et de Wagram, le Ministre de<br />

la Marine Decrès, le Duc de Bassano,<br />

le colonel général de la Garde le Duc<br />

d’Istrie, le Grand maréchal du Palais<br />

Duroc, le Duc de Reggio, le Ministre<br />

de l’Intérieur et le général Guyot,<br />

responsable pour les escortes et la<br />

sécurité des souverains. 1<br />

Même les princes Metternich et<br />

Schwartzenberg sont présents comme<br />

envoyés extraordinaires, ainsi que son<br />

frère le roi de Westphalie avec son<br />

épouse Catherine, fille du roi de Bavière<br />

qui rejoignent l’Empereur à Bruxelles.<br />

Et puis il y a Eugène, vice roi d’Italie<br />

qui fut plus ou moins convoqué par<br />

Napoléon en écrivant : « Mon fils, je<br />

désirerais que vous vinssiez à Anvers<br />

de votre personne pour voir l’escadre<br />

et les localités, qu’il est bon à votre<br />

âge de connaître. Je ne sais pas si vous<br />

avez vu Boulogne depuis que j’y ai fait<br />

construire une flottille. Je compte être à<br />

Anvers le 1 er mai. Tâchez d’y être du 3<br />

au 4. Cependant, comme ce voyage<br />

n’est que pour votre instruction, faites<br />

là-dessus ce qui vous conviendra. »<br />

Le 27 avril 1810, à 7 heures du<br />

matin, Napoléon quitte Compiègne<br />

avec l’Impératrice pour se rendre à<br />

Saint-Quentin où ils arrivent à 13 h. Là,<br />

l’Empereur visite le port du canal, des<br />

fabriques et donne des audiences. Le<br />

soir, le couple impérial assiste à un bal<br />

donné en son honneur.<br />

De Caters, commandant de la Garde<br />

d'honneur d'Anvers 1811.<br />

Par van Bree. RMN.<br />

Le 28, à 8 heures du matin, Napoléon<br />

visite le tunnel du canal du Tronquay ;<br />

déjeune à Belticour et visite le canal<br />

souterrain de Réqueval. À 15 heures,<br />

il entre à Cambrai, en gondole. Le<br />

lendemain après la messe, on part pour<br />

Valenciennes où l'on s’arrête. Pas pour<br />

longtemps car à 7 heures du soir on<br />

arrive par la porte d’Anderlecht à<br />

Bruxelles où les souverains seront logés<br />

au palais de Laeken.<br />

À Anvers, une fois mises au courant<br />

de la visite impériale, les autorités civiles<br />

et militaires prennent leurs dispositions<br />

et poussent les travaux. Les quais, les<br />

bassins, les fortifications... rien est oublié<br />

et heureusement on a fait son devoir car<br />

le 31 octobre 1809, l’architecte de la ville<br />

Verly avait déjà décrit les décorations à<br />

47


La visite Impériale à Anvers en 1810<br />

tendues des guirlandes d’illumination.<br />

À chaque extrémité de la ligne droite<br />

se trouvera un portique avec l’initiale N<br />

supportée par l’aigle impérial. On<br />

espère même qu’on puisse décorer les<br />

quais ainsi jusqu’aux travaux du bassin<br />

en côtoyant le fleuve. Pour compléter<br />

le tout, il faudra que tous les bâtiments<br />

soient pavoisés et illuminés le soir.<br />

Pour les hospices et hôpitaux : de<br />

l’hôtel de l’Empereur jusqu’aux hôpitaux<br />

une avenue d’illumination de deux<br />

rangs réguliers, exprimant les faits de<br />

commisération exercés par l’Empereur et<br />

notamment son respect pour le malheur<br />

vertueux, sera prévue.<br />

La Bourse sera illuminée en verre de<br />

couleur, avec des colonnes mauresques<br />

et des arcades, on suspendra au centre<br />

une immense couronne impériale<br />

protectrice, « Emblème du bonheur<br />

qui doit procurer la paix glorieuse qui<br />

sera l’issue des travaux héroïques de<br />

Napoléon. »<br />

À l’extrémité de la Place de Meir, en<br />

face de l’hôpital de la Marine, sera placée<br />

une aiguille à l’Egyptienne d’une haute<br />

proportion portant une inscription qui<br />

exprimera les vœux du peuple, entre<br />

autres la paix. Et sur la Place S t Georges,<br />

au bout de la rue de l’Hôpital et des<br />

Peignes, se trouvera la bonne étoile de<br />

l’Empereur avec au centre le signe du<br />

zodiaque « sous lequel il revient visiter<br />

sa bonne ville d’Anvers ».<br />

Verly avait même prévu un spectacle<br />

avec une décoration extérieure<br />

représentant le « Temple de Mémoire »<br />

où on y lirait les inscriptions nombreuses<br />

des faits qui sont la gloire du monarque.<br />

Lettre d'avis des logis préparés et probablement rédigée par le maréchal des logis du<br />

Palais Canouville.<br />

Archives Municipales d'Anvers.<br />

Et puis il y aura la promenade des<br />

Géants illuminés avec chars etc.,<br />

une parade connue sous le nom<br />

d’Ommegang.<br />

prévoir pour une visite éventuelle des<br />

souverains.<br />

Tout le pourtour de la Place Bonaparte<br />

sera illuminé avec au centre un « Temple<br />

de la Gloire » et un camp d’honneur<br />

environnera la dite place. Une fête<br />

militaire est également prévue.<br />

La Cathédrale sera décorée avec des<br />

tentures en draperies autour du chœur,<br />

enrichies de guirlandes de laurier,<br />

couronnes, girandoles, dais et trône.<br />

Toute l’église et sa tour seront illuminées<br />

pendant la visite.<br />

Au Quai Napoléon, on y plantera<br />

régulièrement 2 rangs de sapins de<br />

moyenne grandeur entre lesquels seront<br />

Le voyage connaît un tel succès<br />

qu’on retarde l’arrivée à Anvers jusqu'au<br />

lendemain du jour prévu. Là, on travaille<br />

sans relâche en attendant l'arrivée de<br />

l’Empereur en voiture. On nettoie et<br />

décore d’une manière élégante le chemin<br />

venant de Berchem vers la porte de la<br />

ville ainsi que les rues menant vers la<br />

préfecture où seront logés les augustes<br />

48


visiteurs. Seulement, Napoléon change<br />

d’avis et veut arriver en bateau, comme il<br />

a fait en 1803.<br />

Le 30 avril à midi, le couple impérial<br />

s’embarque donc sur un yacht très orné<br />

et gagne Willebroeck, puis Anvers. Dans<br />

la ville, les autorités sont informées<br />

de ce changement dans l’itinéraire de<br />

l’Empereur. C’est la panique. On enlève<br />

toutes les décorations prévues du côté de<br />

Berchem et les apporte vers les bords de<br />

l’Escaut et les rues que l’Empereur doit<br />

emprunter pour arriver au « Palais ».<br />

À environ six heures et demie,<br />

les cloches sonnent à toute volée et<br />

l’artillerie des forts et l’escadre entrent<br />

en action. Les maisons et même les<br />

chantiers se vident pour remplir les<br />

quais et les rues menant vers le logis des<br />

souverains.<br />

Après avoir visité l’amiral Missiessy<br />

à bord du Charlemagne, l’Empereur et<br />

l’Impératrice arrivent devant la ville.<br />

Pour la première fois depuis au<br />

moins deux siècles, la ville accueille<br />

de nouveau un souverain et sa cour<br />

composée de princes, ducs et autres<br />

nobles.<br />

Le spectacle est impressionnant. Le<br />

maire de la ville, offre sur un plateau<br />

d’argent les clés de la cité. Précédés par<br />

la garde d’honneur sous les ordres du<br />

chef d’escadron de Caters, les souverains<br />

et leur suite se rendent au « Palais ».<br />

Sur leur chemin, tous les yeux sont<br />

dirigés sur la nouvelle mariée qui est<br />

accueillie par des cris réitérés de « Vive<br />

Marie-Louise d’Autriche ». Le souvenir<br />

des règnes de Marie-Thérèse et de<br />

Jozef II d’Autriche était encore frais dans<br />

les mémoires.<br />

Le 1 er mai à partir de 7 heures du<br />

matin, l’Empereur visite le port et les<br />

fortifications. Dans l’après-midi, il y a<br />

une revue de la flottille de l’Escaut et le<br />

soir il donne audience aux autorités et au<br />

clergé.<br />

Le 2 mai, ils assistent au lancement<br />

du vaisseau Friedland. Les souverains<br />

reçoivent l’eau bénie par l’archevêque<br />

de Malines, qui ensuite bénit le vaisseau.<br />

Peu après, les ouvriers coupent les<br />

câbles et le vaisseau descend avec un<br />

bruit épouvantable, accompagné d’une<br />

musique et des cris des spectateurs<br />

dans l’Escaut. Le soir, Eugène arrive de<br />

Bruxelles et rejoint l’Empereur.<br />

Arrivée de Napoléon I er et de Marie-Louise<br />

à Anvers, le 1 er mai 1810.<br />

Par Crépin.<br />

Cliché de l'auteur.<br />

Le 3 mai, Napoléon visite l’arsenal<br />

et l’emplacement de la nouvelle ville<br />

projetée au delà de l’Escaut. On assiste<br />

au défilé du Géant et de ses suivants, le<br />

Ommegang.<br />

Le 4 mai, le soir, Napoléon,<br />

Marie-Louise et la cour assistent à la fête<br />

offerte par la ville à l’hôtel de ville.<br />

Pour recevoir l’Empereur, on a<br />

transformé le bâtiment en enlevant<br />

des murs et des cheminés. La cour<br />

ouverte au milieu de l’hôtel de ville est<br />

transformée en salle bal et reçoit un<br />

plancher et un toit. La grande salle de<br />

l’hôtel forme la salle du trône, le cabinet<br />

du secrétaire et celui du Maire servent de<br />

petit appartement à Sa Majesté.<br />

Le soir, le règlement intérieur de la<br />

fête se déroule comme l’étiquette exige.<br />

Après huit heures du soir, la porte<br />

d’entrée de l’hôtel de ville sera fermée.<br />

Les personnes invitées remettent leurs<br />

49


La visite Impériale à Anvers en 1810<br />

billets d’entrée à deux commissaires<br />

qui se trouvent dans la première salle.<br />

De là, deux commissaires conduisent<br />

les dames, qui se font remarquer par la<br />

quantité des diamants dont elles sont<br />

couvertes, jusqu’au salon de danse ou<br />

six autres personnes les conduiront et<br />

indiqueront leurs places aux invitées.<br />

Personne ne peut quitter le lieu où<br />

il a été placé tant que Leurs Majestés<br />

honorent la fête de leur présence.<br />

Deux commissaires veillent à<br />

empêcher toute circulation dans la salle<br />

de réception et deux autres veillent<br />

également au bon ordre dans les<br />

deux salles où sont placés les buffets.<br />

À l’arrivée de Leurs Majestés<br />

Impériales et Royales, le Maire, ses deux<br />

adjoints, deux conseillers municipaux<br />

et deux commissaires vont recevoir<br />

l’Empereur au bas de l’escalier, destiné<br />

uniquement à son entrée. Douze Dames<br />

vont également recevoir l’Impératrice<br />

au bas de l’escalier.<br />

À l’entrée de Leurs Majestés, toutes<br />

les personnes invitées doivent se lever<br />

en silence.<br />

Le Maire prend les ordres du Grand<br />

maréchal du Palais Duroc pour faire<br />

commencer la cantate. Après la<br />

cantate, il prend ses ordres pour faire<br />

commencer la danse.<br />

Pendant que Leurs Majestés sont<br />

présentes, on ne danse que trois<br />

quadrilles à la fois, aux places indiquées<br />

par les commissaires, qui choisissent les<br />

partenaires, tant pour les contre-danses<br />

que pour les valses.<br />

À la sortie de Leurs Majestés, on<br />

leur rendra les mêmes devoirs qu’à<br />

leur entrée. Toutes les personnes<br />

invitées seront debout. Le Maire, deux<br />

membres du conseil, deux commissaires<br />

et les douze Dames reconduiront<br />

Leurs Majestés jusqu’au bas de l’escalier.<br />

Le 5 mai, le roi de Hollande arrive<br />

pour voir son frère l’Empereur afi n<br />

de sauver son trône. Dans la journée,<br />

Napoléon visite le vaisseau Dalmatie.<br />

Le lendemain matin à 6 heures,<br />

l’Empereur et l’Impératrice, suivis par<br />

la cour, partent d’Anvers pour aller<br />

à Breda, puis Bois-le-Duc, Bergen op<br />

Zoom, l’Isle de Walcheren pour revenir<br />

le 13 vers minuit à Anvers. De là, ils<br />

repartiront pour aller à Bruxelles, Gand,<br />

Bruges, Ostende, Dunkerque, Lille,<br />

Calais, Boulogne, Dieppe, le Havre,<br />

Rouen et S t Cloud où elles vont arriver<br />

le 1 er Juin 1810.<br />

Le résultat de cette visite est très<br />

positif. Un grand nombre de décrets<br />

vont encore améliorer la situation<br />

de la ville, augmentant encore son<br />

importance.<br />

Jusqu’à présent, les habitants les<br />

reçoivent avec ferveur et beaucoup<br />

d’enthousiasme. Pas pour longtemps,<br />

car pendant la visite suivante de 1811 la<br />

situation aura bien changé.<br />

Quand même, les travaux avancent<br />

et de plus en plus de bâtiments sont<br />

lancés dans l’Escaut et la flotte gagne<br />

d’importance. En 1812, les deux<br />

bassins peuvent contenir presque<br />

soixante vaisseaux. La même année,<br />

le secrétaire du Duc de Padoue,<br />

Jean-Baptiste Fournier, décrit Anvers<br />

comme : « Les gigantesques travaux<br />

entrepris à Anvers, la rapidité avec<br />

laquelle ils s’exécutaient, tout enfin<br />

était marqué au sceau du génie de<br />

l’homme qui les avait conçus. De<br />

la ville commerciale qu’elle était,<br />

Anvers devenait tout à coup et<br />

comme par un coup de baguette,<br />

port militaire de premier ordre.<br />

Des bassins immenses, et pouvant<br />

contenir quarante vaisseaux de<br />

guerre, se creusaient comme par<br />

enchantement sur un emplacement<br />

où, naguère encore, on voyait une<br />

grande promenade garnie d’arbres<br />

et une église. Huit mille ouvriers<br />

et quatorze mille prisonniers de<br />

guerre espagnols, fort gais et gagnant<br />

beaucoup d’argent, fourmillaient,<br />

même la nuit, éclairés par des<br />

torches, dans les terrassements de ces<br />

importants ouvrages. Des chantiers<br />

de construction sur une vaste<br />

échelle étaient créés depuis peu, et je<br />

trouvai en vaisseaux de haut bord<br />

sur les cales, quand je les visitai : le<br />

Superbe, le Neptune, l’Atlas, l’Hymen,<br />

l’Alexandre, le Terrible, l’Impétueux,<br />

l’Aigle, le Tibre, le Mars, le Belliqueux,<br />

l’Alcide, et le Conquérant, total treize<br />

non compris les frégates et les bricks.<br />

Il faut grimper comme je l’ai fait dans<br />

ces immenses squelettes quoique<br />

dépourvus encore de ce qui doit leur<br />

donner la vie, pour admirer le génie<br />

de l’homme et sa hardiesse ! Que de<br />

bras pour ces treize colosses, de fer, de<br />

bois ! Et quand un de ces vaisseaux<br />

sera gréé et armé, quelle merveille<br />

entre toutes les merveilles peut se<br />

comparer à ce roi des mers toutes<br />

voiles déployées, faisant mugir l’air de<br />

ses cent bouches à feu ou pavoisé des<br />

mille couleurs de tous ses pavillons !<br />

Voulant embrasser d’un seul coup<br />

d’œil tous les travaux de ces immenses<br />

chantiers, je montai sur le clocher<br />

de la cathédrale qui les domine à<br />

quelques pas de là, et de ce point, je<br />

pus jouir agréablement d’un coup<br />

d’œil ravissant. J’admirai en même<br />

temps, outre la ville et la citadelle, les<br />

larges sinuosités de l’Escaut se rendant<br />

à la mer et déployant ses vastes<br />

rubans dans les directions de Batz et<br />

de Flessingue. » 2<br />

Deux ans plus tard, les Anglais sont<br />

de nouveau devant les portes de la ville.<br />

■<br />

1 - Les autres personnages qui font parti du<br />

voyage sont : le 1er écuyer ; les aides de<br />

camp de l’Empereur : le duc de Rovigo, le<br />

comte Bertrand et le comte Lauriston ; les<br />

chambellans : les comtes d’Arberg et Ghilini ;<br />

le maréchal de logis du Palais le baron<br />

Canouville ; les écuyers : le baron Canisy et<br />

MM d’Héricy et Montaran ; la duchesse de<br />

Montebello, dame d’honneur ; la comtesse de<br />

Luçay, dame d’autours ; les dames du Palais :<br />

les comtesses du Châtel, Bouillé et Poro ; le<br />

chevalier d’honneur le comte de Beauharnais ;<br />

le 1er écuyer le prince Aldobrandini ; les<br />

chambellans les comtes Bondi et Bearn ; les<br />

écuyers les barons d’Audenarde et St Aignan ;<br />

les officiers d’ordonnance : l’Epinay, Talhouet,<br />

Watteville et La Bourdonnays ; les fourriers du<br />

Palais Baillon et Picot ; six pages ; le personnel<br />

du bureau de l’Empereur MM. Meneval, Fain et<br />

de Ponthon ; les officiers de santé : Bourdier<br />

(médecin de l’Impératrice), Yvan (chirurgien<br />

de l’Empereur) et Vareliaud (chirurgien de<br />

la Maison) ; et les généraux Chambarlhac et<br />

Putaux.<br />

2 - Souvenirs de Fournier, aide de camp d’Arrighi<br />

de Casanova, duc de Padoue. La Vouivre, 2009.<br />

50


Fastes monarchiques<br />

à l’heure d’une idylle :<br />

de la rencontre<br />

à la lune de miel<br />

sous les ors de Compiègne<br />

Hélène MEYER<br />

Conservateur du patrimoine, Palais de Compiègne,<br />

chargée des Grands appartements<br />

Arrivée de l’Empereur Napoléon et de<br />

l’Impératrice Marie-Louise au palais<br />

impérial de Compiègne le 27 mars 1810.<br />

Gravure anonyme, époque 1 er Empire,<br />

Collection B.N.F., Paris, © Roger Viollet.<br />

51


XXXXXXXXXXXXXX<br />

Arrivée de Marie-Louise à Compiègne le<br />

28 mars 1810, recevant les compliments<br />

et les fleurs d'un groupe de jeunes<br />

filles dans la Galerie du Chartrain à<br />

Compiègne.<br />

Huile sur toile de Pauline Auzou (1775-<br />

1835), 1810. Collection Châteaux de<br />

Versailles et de Trianon, Versailles,<br />

© RMN / Gérard Blot.<br />

E<br />

n choisissant Compiègne pour<br />

recevoir la nouvelle Impératrice<br />

en 1810, Napoléon marque<br />

le palais du sceau de l’histoire. Il<br />

renouvelait ainsi, quarante ans plus<br />

tard, le geste souverain de l’accueil<br />

de Marie-Antoinette par Louis XV et<br />

le Dauphin. En s’alliant avec la plus<br />

vieille famille régnante d’Europe et<br />

avec la petite-nièce de la dernière<br />

reine de France, l’Empereur souhaitait<br />

inscrire son épopée dans la continuité<br />

monarchique et enraciner sa nouvelle<br />

dynastie sur des fondements ancestraux :<br />

un nouveau mariage pour que le vaste<br />

Empire, alors à son apogée, puisse<br />

perdurer sous l'égide d'un héritier de<br />

sang tant espéré.<br />

Compiègne se devait d'évidence<br />

d'évoquer cet événement historique<br />

et l'exposition présentée du 27 mars<br />

au 19 juillet 2010 1 s'est fi xé de relater<br />

la pittoresque rencontre du couple<br />

impérial, les mariages parisiens et la<br />

lune de miel compiégnoise d'avril 1810.<br />

Car rien ne laissait présager que, de ce<br />

mariage politique et dynastique, naîtrait<br />

une improbable idylle impériale. Ce fut<br />

donc aujourd'hui pour ce bicentenaire<br />

l'occasion de réunir l'iconographie<br />

incontournable de l'événement, dans la<br />

limite des contraintes techniques qui ont<br />

dû faire renoncer à certains très grands<br />

formats. On peut dire que l'essentiel a<br />

pu être montré, ponctué de nouvelles<br />

découvertes.<br />

Marie-Louise, on le sait, a souffert, dès<br />

son arrivée, d'un déficit de popularité<br />

qui ne cessera de s'attacher à son image.<br />

Cette nouvelle Autrichienne, quoique<br />

assez séduisante sur l'étude qu'en a<br />

laissée Gérard, n'avait certes pas le<br />

52


charisme de Joséphine, incarnation de<br />

la grâce et de la volupté, la bien-aimée<br />

des Grognards qui y voyaient le portebonheur<br />

de l'Empereur. C'est dire que<br />

cette impératrice oubliée dans l'ombre<br />

de Joséphine, au règne on ne peut plus<br />

éphémère, n'a pas suscité d'abondante<br />

littérature. Si l'on doit à Frédéric Masson<br />

(1902) 2 la monographie de référence<br />

ou à Geneviève de Chastenet (1972) 3<br />

la biographie encore disponible, sans<br />

omettre les nombreuses sources au<br />

premier rang desquelles les Souvenirs<br />

historiques de Méneval (1844) 4 , force est<br />

de constater que le sujet reste encore à<br />

exploiter.<br />

L'une des récompenses de l'exposition,<br />

au départ de laquelle on pouvait<br />

s'interroger sur sa viabilité, fut<br />

l'émergence d'un grand nombre d'œuvres<br />

ou d'objets inédits. Le Salon de 1810,<br />

inauguré par le couple impérial en<br />

novembre, et voulu par Napoléon<br />

comme l'événement artistique majeur<br />

de l'année, a largement servi de creuset<br />

à ces découvertes, puisque les artistes<br />

se sont fait bien entendu l'écho de<br />

l'événement.<br />

Ce fut également l'occasion de se<br />

réintéresser au Compiègne du Premier<br />

Empire et à plusieurs de ses aspects,<br />

méconnus ou inédits : l'exposition a<br />

ainsi permis de redécouvrir ce qu'était<br />

la Galerie des ministres qui ornait<br />

l'ancienne Salle des gardes ainsi que la<br />

Galerie des tableaux de l'Impératrice,<br />

tout en révélant un grand nombre<br />

d'objets d'art livrés pour Marie-Louise à<br />

l'occasion de ce séjour.<br />

Nous n'aurions pu évidemment<br />

œuvrer sans l'aide de ceux dont la<br />

contribution fut essentielle, et en<br />

particulier M me Chantal Gastinel-<br />

Coural, M. Jean-Pierre Samoyault et<br />

Bernard Chevallier, ainsi qu'Anne Dion-<br />

Tennebaum et David Mandrella, associés<br />

au commissariat de l'exposition.<br />

Le remariage était dans l'air depuis<br />

1807 si l'on croit les premières<br />

négociations de Napoléon avec<br />

Alexandre I er à Tilsit. Mais les sœurs du<br />

tsar sont alors trop jeunes et l'Empereur<br />

encore hésitant. C'est la grossesse de<br />

Marie Walweska, dont la moralité ne<br />

pouvait faire aucun doute, qui sera<br />

décisive. Elle le rejoint d'ailleurs à<br />

Schonbrünn en août 1809 et, à son<br />

retour en France, en octobre, Napoléon<br />

demande, qu'à Fontainebleau, la porte<br />

de ses appartements communiquant<br />

avec ceux de Joséphine soit murée :<br />

un symbole de l'inéluctable divorce<br />

entériné par la famille impériale le<br />

15 décembre. De peur de l'échec<br />

diplomatique face à la Russie, peu<br />

zélée à livrer la grande duchesse<br />

Anne à l'ogre de l'Europe, Napoléon<br />

choisit la fille aînée de l'Empereur<br />

d'Autriche, le vaincu d'Austerlitz<br />

puis de Wagram. Le calendrier est<br />

dès lors resserré à la mesure de<br />

l'impatience légendaire de l'Empereur :<br />

le 14 janvier, l'Officialité diocésaine<br />

de Paris prononce l'annulation du<br />

mariage d'avec Joséphine ; le 6 février,<br />

Eugène de Beauharnais négocie le<br />

contrat de mariage avec le prince de<br />

Schwarzenberg, ambassadeur d'Autriche<br />

à Paris ; le 16, François I er , père de<br />

Marie-Louise, ratifie la convention de<br />

mariage ; le 17, le général Berthier,<br />

l'homme de confi ance, est envoyé à<br />

Vienne sous son titre de prince de<br />

Neufchâtel – laissant de côté celui<br />

de Wagram par diplomatie – pour<br />

formuler la demande officielle de<br />

mariage le 8 mars, assister au mariage<br />

par procuration le 11 en l'église des<br />

Augustins, puis escorter Marie-Louise<br />

de Vienne, dont ils partent le 13, jusqu'à<br />

Compiègne.<br />

Si peu de pièces permettaient<br />

d'évoquer ces préambules, on a choisit<br />

ainsi, à partir des tableaux du Salon et<br />

de plusieurs dessins inédits, d'évoquer<br />

le contexte de ces négociations, en<br />

rappelant notamment la campagne<br />

d'Autriche de 1809 conclue par la Paix de<br />

Vienne du mois d'octobre. Pour incarner<br />

cette épopée, le tableau d'Adolphe<br />

Roehn, montrant Napoléon soucieux à la<br />

veille de l'issue de la bataille de Wagram,<br />

fait partie de ceux qui ont directement<br />

participé à la légende napoléonienne<br />

du vivant même de l'Empereur : l'œuvre<br />

inspirée par un dessin de Benjamin Zix<br />

connut en effet grand succès au Salon<br />

et fut largement diffusée par la gravure.<br />

C'est encore à Zix, en collaboration avec<br />

Constant Bourgeois, que l'on doit deux<br />

dessins de cette période autrichienne :<br />

l'emballage sur la terrasse du Belvédère<br />

de tableaux prélevés dans les collections<br />

impériales au profit du Musée Napoléon<br />

au titre de butin de guerre ou Napoléon<br />

se promenant dans les fausses ruines<br />

romaines des jardins de Schonbrünn,<br />

site qui a suscité une enthousiaste<br />

description de Constant dans ses<br />

mémoires (collection particulière) 5 .<br />

Pour le voyage notamment, les rites de<br />

l’Ancien régime servirent de référence<br />

et le protocole élaboré pour celui de<br />

Marie-Antoinette sera repris. Ainsi l’on<br />

sait combien l’épisode romanesque<br />

de la rencontre, incognito et « à la<br />

hussarde », eut de quoi en surprendre<br />

plus d’un. Car l’on doit s’imaginer, ce<br />

27 mars 1810, en forêt de Soissons et<br />

sous une pluie torrentielle, l'Empereur<br />

pressant et ruisselant, se précipitant<br />

sans préavis dans le carrosse de<br />

l'archiduchesse pour se jeter à son<br />

53


Fastes monarchiques à l’heure d’une idylle<br />

Cortège du mariage de Napoléon et<br />

Marie-Louise dans la grande Galerie du<br />

Louvre le 2 avril 1810.<br />

Dessin à l’encre de Benjamin Zix (1772-<br />

1811), Collection Musée du Louvre,<br />

Paris © RMN / Thierry Le Mage.<br />

billard, aimait peindre et dessiner, ayant<br />

bénéficié pendant ces années françaises<br />

de l'enseignement de Prud'hon, d'Isabey<br />

et de Joseph Redouté.<br />

Ce séjour compiégnois et celui de<br />

l'été 1811, avec le Roi de Rome âgé<br />

de cinq mois, restent dans l’histoire<br />

napoléonienne les rares parenthèses<br />

paisibles et heureuses de la vie<br />

trépidante de l’Empereur. Celui de 1810<br />

prend fi n le dimanche 27 avril, avec<br />

le voyage de noces du couple, leur<br />

premier voyage officiel, en Belgique.<br />

Napoléon voulait « se montrer » avec<br />

la nouvelle Impératrice, dans ces<br />

nouvelles provinces conquises sur la<br />

maison d’Autriche, comme l'illustrent<br />

les tableaux de Crépin (Paris, Fondation<br />

Thiers) ou de Van Brée (Paris,<br />

Chancellerie de la Légion d'honneur).<br />

Si l'exposition a pu apporter quelques<br />

nouveaux éléments de connaissance<br />

sur l'événement, il n'en reste pas<br />

moins à poursuivre ces recherches<br />

pour éclairer ces dernières années de<br />

l'Empire, sous l'angle spécifique du<br />

règne de Marie-Louise. Que reste-t-il<br />

de la richesse de son trousseau, que<br />

connaît-on de son goût en matière<br />

artistique alors qu'elle fait acheter<br />

au Salon et qu'elle aurait constitué<br />

une collection d'estampes, que sont<br />

devenues ses lettres à Napoléon encore<br />

connues à la fi n du XIX e siècle ? Nous<br />

avons modestement tenté de rétablir la<br />

vérité de son image altérée par l'histoire,<br />

frappée du mépris que sa personnalité a<br />

suscité en France, alors qu'elle demeure<br />

adulée à Parme, dont elle devint<br />

duchesse par le Congrès de Vienne, et<br />

qu'elle sut faire administrer, non sans<br />

intelligence, par ses amants et maris, les<br />

comtes de Neipperg et de Bombelles.<br />

■<br />

1 - 1810, la politique de l'amour. Napoléon I er<br />

et Marie-Louise à Compiègne, Compiègne,<br />

Musée national du palais, 27 mars - 19 juillet<br />

2010, catalogue 208 p., édition RMN<br />

2 - Frédéric Masson, L'impératrice Marie-Louise,<br />

Paris, Goupil, 1902<br />

3 - Geneviève Chastenet, Marie-Louise, l'otage<br />

de Napoléon, Paris, 1972<br />

4 - Baron de Méneval, Napoléon et Marie-Louise,<br />

souvenirs historiques, Paris, 1844<br />

5 - Constant, Mémoires intimes de Napoléon I er ,<br />

Paris, Mercure de France, 1967, 2 vols., vol. II,<br />

p. 39-40<br />

6 - Prince de Clary et Aldringen, Trois mois<br />

à Paris lors du mariage de l'Empereur<br />

Napoléon I er et de l'archiduchesse<br />

Marie-Louise, Paris, Plon, 1914, p. 16<br />

7 - Constant, II, p. 120<br />

8 - Clary, p. 20<br />

9 - Clary p. 45<br />

10 - Clary, p. 47<br />

11 - Clary, p. 44 et 47<br />

12 - Constant, II, p. 125<br />

13 - Constant, II, p. 127<br />

14 - Constant, II, p. 125<br />

15 - Clary, p. 48<br />

16 - Ferdinand Paër (1771-1839), originaire<br />

de Parme, fut le maître de musique de<br />

Marie-Louise à Vienne. Il fut nommé par<br />

Napoléon, qui avait entendu son opéra<br />

Achille à Dresde, directeur de la musique<br />

des concerts et du théâtre de la cour en<br />

décembre 1806, puis maître de chant de<br />

l’Impératrice.<br />

17 - Clary, p. 48<br />

18 - Constant, II, p. 125<br />

56


La troisième invasion<br />

du Portugal<br />

Frédéric BEY<br />

Portrait du duc de Wellington.<br />

Aquarelle sur papier cartonné<br />

par William Derby (1786-1847),<br />

d’après sir thomas Lawrence (1769-1830),<br />

Collection Wallace Collection, Londres,<br />

© The Wallace Collection / Distr. RMN.<br />

57


La troisième invasion du Portugal<br />

Les Français peuvent alors découvrir les<br />

six divisions anglaises déployées soit<br />

sur une ou deux lignes, en formations<br />

serrées et s’abritant derrière chacun<br />

des accidents du terrain. La 4 e division<br />

(général Cole) se trouve à l’extrême<br />

gauche de la ligne anglaise, couvrant le<br />

chemin menant à Milheada. À sa droite<br />

se trouve la division légère du général<br />

Crawford, renforcée par la brigade<br />

allemande (King German Légion) placée<br />

en réserve, puis la brigade portugaise<br />

du brigadier-général Pack qui forme<br />

l’avant-garde de la première division<br />

du lieutenant-général Spencer. Cette<br />

dernière est déployée sur la partie la<br />

plus haute de la crête, avec à sa gauche<br />

le couvent et à sa droite la 3 e division<br />

(major-général Picton). À la droite de<br />

Picton on trouve enfin la 5 e division du<br />

major-général Leith, puis la 2 e division<br />

du général Hill. La brigade portugaise<br />

d’Hamilton occupe l’extrême droite<br />

de la ligne anglaise et les hauteurs qui<br />

viennent s’appuyer sur les rives du<br />

Mondego. La cavalerie est placée loin en<br />

arrière de la crête, derrière la 4 e division.<br />

Seul le 4 e régiment de dragons légers<br />

est placé en position de combat, sur<br />

le sommet de la sierra. Toute la ligne<br />

anglaise est couverte par de nombreux<br />

tirailleurs. Enfi n, 50 pièces d’artillerie<br />

sont déployées en batteries sur les<br />

meilleures positions de tir. Masséna<br />

a de son côté disposé ses forces de la<br />

manière suivante : Ney forme l’aile droite<br />

française avec le VI e corps, Reynier<br />

l’aile gauche avec le II e corps. Junot et<br />

le VIII e corps sont déployés en réserve,<br />

derrière les troupes du maréchal Ney.<br />

La cavalerie, inutilisable sur un terrain<br />

aussi accidenté est conservée en réserve,<br />

elle aussi en arrière du VI e corps, avec<br />

la possibilité d’éclairer le flanc droit de<br />

l’armée. Quelques pièces d’artillerie sont<br />

mises en position sans grande possibilité<br />

de tir vers les hauteurs. L’artillerie légère<br />

est alignée derrières les troupes de Ney<br />

et de Reynier, prête à suivre l’infanterie<br />

si elle parvenait à conquérir les crêtes.<br />

Masséna, installé sur un mamelon<br />

bordant la route allant de Viseu à<br />

Coïmbre dispose d’une bonne vue sur le<br />

champ de bataille. Il lance, dès 7 heures<br />

du matin, Ney à l’assaut du couvent<br />

de Bussaco, face à Pack et Crawford.<br />

Reynier est chargé d’attaquer par<br />

Bataille de Bussaco.<br />

Gravure de T. Fielding, 1819, extraite<br />

de l’ouvrage « Les victoires du duc de<br />

Wellington » publié en 1819, Collection<br />

Particulière, © Bridgeman Giraudon.<br />

62


Sacerda et San Antonio de Cantaro, face à<br />

Spencer, Picton et Leith. Les deux corps<br />

d’armée doivent attaquer simultanément<br />

pour mieux ébranler les défenseurs.<br />

L’attaque et l’échec<br />

du II e corps<br />

Les troupes de Reynier entrent<br />

néanmoins en action en premier. La<br />

division Merle marche en tête sur la<br />

route de San Antonio, suivie par la<br />

division Heudelet. Les français sont<br />

d’abord protégés par le brouillard.<br />

Bientôt, la division Merle se jette sur la<br />

droite de la route. Les soldats doivent<br />

gravir la pente, au milieu des arbres et<br />

des broussailles. La division Heudelet<br />

poursuit son avance sur la route qui<br />

serpente en direction de la crête. La<br />

progression des Français est énergique<br />

mais épuisante. Lorsque la division<br />

Merle atteint le sommet, elle se heurte<br />

au 8 e régiment portugais. Malgré leur<br />

fatigue, après une marche d’approche<br />

de plusieurs heures, les soldats de Merle<br />

culbutent les Portugais et s’emparent<br />

de leur artillerie. La division française<br />

essaye alors de se déployer sous le feu<br />

des soldats ennemis. La réaction des<br />

Britanniques est très rapide. Les troupes<br />

de Picton se lancent à la rencontre des<br />

Français pour parer au plus pressé. Ils<br />

sont appuyés sur leur droite par les<br />

soldats de Leith et sur leur gauche par<br />

la mitraille de l’artillerie de la division<br />

Spencer. À leur habitude, les fantassins<br />

anglais déclenchent leurs salves de<br />

mousqueterie à 15 pas. Ils font des<br />

ravages dans les lignes françaises et<br />

notamment parmi les officiers. En<br />

quelques instants, le général de division<br />

Merle, le général de brigade Graindorge,<br />

le colonel Merle (2 e léger) et le colonel<br />

Desgraviers (4 e léger) sont mortellement<br />

blessés. Profitant de la désorganisation<br />

qui gagne les rangs français, Picton<br />

lance une contre-attaque avec les 45 e et<br />

88 e régiments. Les Anglais chargent à<br />

la baïonnette et repoussent les Français<br />

jusqu’à l’extrémité du plateau. L’arrivée<br />

par la route du 31 e léger (division<br />

Heudelet), qui se porte immédiatement<br />

au soutien des soldats en retraite de<br />

la division Merle, ranime l’espoir des<br />

Français. Mais, à son tour, le 31 e est pris<br />

sous le feu très efficace des anglais.<br />

Avant d’être déployé, le régiment a déjà<br />

perdu son chef, le colonel Desmeuniers.<br />

Le corps du maréchal Reynier dans<br />

son ensemble est désormais contraint<br />

à la retraite. Celle-ci est conduite<br />

intelligemment, sans panique. Les<br />

fantassins s’abritent derrière chaque<br />

obstacle d’où ils peuvent faire feu sur<br />

les Anglais. Alors que la progression<br />

de Picton est finalement arrêtée,<br />

Wellington lance une partie des troupes<br />

de Leith et Spencer sur les flancs des<br />

Français. Au total, ce sont maintenant<br />

15 000 Anglo-Portugais, appuyés par<br />

une forte artillerie, qui assaillent moins<br />

de 8 000 français dépourvus d’artillerie<br />

de soutien. Le reflux des troupes du<br />

II e corps est désormais inévitable.<br />

Reynier, conscient des pertes déjà subies<br />

décide de ne pas engager le reste de la<br />

division Heudelet. Le général Foy est à<br />

son tour tombé au combat, grièvement<br />

blessé. Ses hommes le portent et le<br />

ramènent en arrière. L’attaque menée<br />

par Reynier est pour l’instant terminée.<br />

Le général ne peut espérer lancer un<br />

nouvel assaut qu’en fonction des résultats<br />

qu’aura obtenu le maréchal Ney de son<br />

côté.<br />

L’assaut sans issue<br />

du VI e corps<br />

L’attaque des troupes du maréchal<br />

Ney a été lancée par la division Loison,<br />

suivie à distance des divisions Marchand<br />

puis Mermet. La brigade Ferey s’empare<br />

des bois et escalade les versants à pic<br />

de la position anglaise. Pendant ce<br />

temps, sur sa droite, la brigade Simon<br />

progresse avec une détermination<br />

sans faille, malgré l’intensité des tirs<br />

– mousquèterie et mitraille – déclenchés<br />

par les Anglais. Les soldats s’emparent<br />

du hameau de Moira puis avancent, sans<br />

jamais ralentir leur marche, jusqu’à la<br />

ligne ennemie. Les soldats du général<br />

Simon se retrouvent face à une batterie<br />

ennemie, en avant du village de Sula,<br />

qu’elle se dispose à enlever au pas de<br />

charge. Le 26 e de ligne et la légion du<br />

Midi lancent la charge. Les Français<br />

atteignent les canons et les canonniers.<br />

Le général Simon dirige personnellement<br />

les combats et encourage ses hommes<br />

qui continuent à repousser l’ennemi.<br />

Mais il est alors blessé par des coups<br />

feu. Sur la droite de la brigade Simon,<br />

la brigade Ferey est parvenue, après de<br />

terribles efforts, à atteindre le sommet<br />

de la crête et à s’établir sur des positions<br />

précaires. C’est le moment choisi par<br />

les Anglais pour contre-attaquer. Le<br />

général Crawford harangue ses soldats :<br />

« Maintenant 52 e , vengez Moore ! » 4 .<br />

Les autres unités de la division légère<br />

et la brigade portugaise Coleman,<br />

jusqu’alors dissimulés au revers de la<br />

crête, s’avancent au pas de charge avec<br />

le 52 e . Abordant la brigade Simon de<br />

flanc, ils n’ouvrent le feu qu’une fois à<br />

10 pas des Français. Foudroyés par cette<br />

salve les Français sont contraints à se<br />

replier précipitamment dans le village<br />

de Sula, en abandonnant leurs blessés.<br />

Le général Simon, blessé, et 300 de ses<br />

hommes sont faits prisonniers. L’artillerie<br />

anglaise, depuis ses bonnes positions<br />

de tir, fait maintenant des ravages dans<br />

les rangs des Français. La brigade Ferey<br />

est également repoussée. Ne trouvant<br />

pas de points d’appuis pour résister<br />

efficacement, elle est ramenée sur ses<br />

positions de départ.<br />

La division Marchand qui forme<br />

le deuxième échelon des troupes du<br />

maréchal Ney, ne parvient à entrer en<br />

action qu’au moment où la division<br />

Loison rétrograde. L’objectif de la<br />

division Marchand est de suivre la route<br />

pour s’emparer du col. Il s’agit sans doute<br />

d’une mission particulièrement difficile,<br />

car c'est le point le mieux défendu de<br />

la ligne anglaise. À la hauteur du village<br />

de Sula, les soldats de Marchand se<br />

retrouvent pris sous le feu de l’ennemi.<br />

Son front et son fl anc gauche sont<br />

battus par les tirs de l’artillerie et<br />

de l’infanterie anglo-portugaise. Les<br />

Français hésitent, devant la puissance<br />

de feu ennemie. La division continue<br />

néanmoins à progresser sur la route,<br />

les boulets adverses lui enlevant parfois<br />

des compagnies entières. La progression<br />

devenant trop couteuse en hommes, les<br />

soldats de Marchand renoncent à leur<br />

objectif. Ils n’avaient plus alors que le<br />

choix entre charger au pas de course<br />

vers le col ou trouver un abri. C’est cette<br />

deuxième solution qui est retenue. Les<br />

Français se précipitent sur la gauche de<br />

la route, dans des rochers, des bruyères<br />

et des bouquets d’arbres qui fourmillent<br />

malheureusement de tirailleurs ennemis.<br />

63


XXXXXXXXXXXXXX<br />

Bataille de Bussaco.<br />

Gravure de Richard Simkin (1840-1926),<br />

1900, Collection National Army Museum,<br />

Londres, © Bridgeman Giraudon.<br />

La division se retrouve bloquée par des<br />

escarpements qu’elle ne peut franchir.<br />

Les troupes anglo-portugaises qui<br />

surplombent les Français continuent<br />

leurs tirs. Marchand et ses hommes<br />

sont maintenant dans une impasse, car<br />

ils ne peuvent ni regagner la route, ni<br />

poursuivre leur avance. Des voltigeurs<br />

sont envoyés en avant, mais ils sont<br />

rapidement tués ou blessés. Marchand<br />

organise alors plusieurs colonnes<br />

d’assaut, pour tenter de se frayer un<br />

passage vers le haut. Ces attaques<br />

rencontrent toutes une forte résistance<br />

sans jamais ouvrir la moindre brèche<br />

dans la ligne défensive de l’ennemi.<br />

Ney, lucide, a compris qu’il n’y avait<br />

désormais plus d’espoir de victoire, avec<br />

déjà 2 000 hommes hors de combat.<br />

Masséna, à son tour, se décide à arrêter la<br />

bataille, sans engager le corps de réserve<br />

du général Junot. La journée a été longue<br />

et rude. La bataille dure depuis le matin,<br />

et la journée est beaucoup trop avancée<br />

pour envoyer de nouvelles brigades<br />

à l’escalade de la Sierra d’Alcoba. Les<br />

Français ont perdu au total 1 800 tués<br />

et plus de 3 000 blessés. Le duc de<br />

Wellington ne déplore que 1 600 tués<br />

ou blessés. Certaines sources proposent<br />

des chiffres de pertes légèrement<br />

différentes, mais aucune ne donne moins<br />

de 4 000 Français ni plus de 2 000 Anglo-<br />

Portugais hors de combat. Le bilan est<br />

nettement défavorable aux Français<br />

qui ont également perdu un général<br />

et 4 colonels. L’échec de Masséna est<br />

évident. Ce n’est pas l’ardeur de ses<br />

troupes, même si le prince d’Essling<br />

peut reprocher à Ney d’avoir attaqué un<br />

peu tard et sans autant d’énergie qu’à<br />

l’habitude, qui est en cause : c’est bien la<br />

position anglaise qui était trop puissante.<br />

Le maréchal Masséna, en engageant<br />

le combat dans une bataille au cours<br />

de laquelle il ne pourrait pas utiliser sa<br />

cavalerie ni son artillerie, s’est mis de<br />

lui-même dans une situation défavorable.<br />

On ne voit d’ailleurs pas, au regard de<br />

la difficulté du terrain, comment les<br />

Français auraient pu engager plus de<br />

troupes en même temps pour tenter de<br />

déloger les Anglo-Portugais avec plus de<br />

réussite. Wellington a gagné la bataille de<br />

Bussaco la veille des combats, lorsqu’il<br />

64


a choisi cette excellente position pour<br />

y établir son armée et ses canons. Il a<br />

bien anticipé le fait que Masséna, à la<br />

tête d’une armée française convaincue<br />

de sa supériorité et toujours portée<br />

vers l’offensive, penserait pouvoir l’en<br />

déloger. Mais pour les Français, si la<br />

bataille a été perdue tactiquement avant<br />

d’être livrée, ce qui a été confirmé par<br />

les combats sanglants du 27 septembre,<br />

la suite va montrer qu’elle peut encore<br />

être gagnée le lendemain.<br />

La suite de la bataille<br />

Dans la soirée du 27 septembre, un<br />

prêtre français, ancien réfractaire réfugié<br />

dans le pays depuis la Révolution, se<br />

présente auprès des avant-postes français<br />

pour indiquer à ses compatriotes le<br />

chemin permettant de contourner la<br />

position de Wellington. Dès le lendemain<br />

matin, Masséna envoie le général<br />

Montbrun et le colonel Sainte-Croix,<br />

à la tête de la cavalerie du VIII e corps<br />

d’armée, reconnaître ce chemin, situé<br />

sur la droite des positions françaises.<br />

Masséna maintient par ailleurs une<br />

certaine activité dans son armée sur<br />

place afin de tromper l’ennemi sur<br />

ses intentions. Bientôt les dragons de<br />

Sainte-Croix découvrent les chemins<br />

dont on leur avait indiqué l’existence.<br />

Le passage se révèle qui plus est<br />

praticable pour l’artillerie. Une fois<br />

arrivé sur les sommets, les Français<br />

peuvent apercevoir la grande plaine<br />

de Coïmbre. Un paysan leur confi rme<br />

par ailleurs que les chemins rejoignent<br />

plus loin la grande route qui mène à<br />

cette ville. Montbrun et Sainte-Croix<br />

établissent un régiment de dragons et<br />

leur artillerie dans le village de Boïalva.<br />

Ils échelonnent les trois autres en<br />

arrière avant d’envoyer des messagers<br />

à Masséna. Masséna, averti de la bonne<br />

nouvelle vers midi ordonne à Junot<br />

et à son corps d’armée de prendre la<br />

direction de Boïalva. Ney doit ensuite<br />

suivre Junot. Reynier est chargé de<br />

fermer la marche. Le départ des troupes<br />

françaises s’effectue dans la soirée du<br />

28 septembre, alors que la nuit est déjà<br />

tombée. Pendant tout ce temps, le duc de<br />

Wellington est resté deux jours immobile<br />

avec ses troupes victorieuses. Dès qu’il<br />

comprend le mouvement engagé par<br />

les troupes de Masséna et qu’il les voit<br />

s’engager sur ce passage, il s’empresse,<br />

dans la soirée du 29, d’ordonner à son<br />

armée de lever le camp et de prendre<br />

la direction de Coïmbre. Une fois dans<br />

la ville Wellington oblige les habitants à<br />

quitter les lieux et à détruire tout ce qui<br />

pourrait servir à ravitailler les Français.<br />

Montbrun et Sainte-Croix, lancés à la<br />

poursuite de l’arrière-garde anglaise, lui<br />

livrent un combat 1 er octobre dans la<br />

plaine située entre Coïmbre et le village<br />

de Fornos. Les dragons français sabrent,<br />

refoulent et mettent en déroute les<br />

troupes anglo-portugaises, notamment<br />

les quatre régiments de cavalerie<br />

déployés par Crawford. Stratégiquement,<br />

Masséna a désormais rétabli la situation :<br />

les Anglais se replient au plus vite vers<br />

Lisbonne et les lignes de défense que<br />

Wellington a préparé à Torres Védras,<br />

tout en pratiquant la terre brûlée<br />

derrière lui. Les Français s’installent à<br />

Coïmbre à partir du 2 octobre pour se<br />

préparer à les poursuivre. La défaite de<br />

Bussaco, qui aurait sans doute pu être<br />

évitée, n’a donc pas arrêté l’invasion du<br />

Portugal par les Français. Son impact<br />

moral et militaire est par contre très<br />

palpable. L’armée de Masséna a souffert<br />

et s’est affaibli inutilement dans cette<br />

affaire. Pour chasser les Anglais du<br />

Portugal, il faudra les vaincre un jour<br />

ou l’autre. Masséna a certes montré sa<br />

détermination, mais Wellington a offert<br />

la démonstration de sa maîtrise du<br />

terrain et de son habileté tactique.<br />

■<br />

1 - Adolphe Thiers, Histoire du Consulat et de<br />

l’Empire<br />

2 - Auteur quelques années plus tard d’une<br />

Histoire des guerres dans la Péninsule<br />

3 - Frédéric Hulot, Le maréchal Ney<br />

4 - En référence au général Moore, tué lors de la<br />

bataille de la Corogne<br />

Bibliographie<br />

André de la Grave, Campagne de<br />

l’armée du Portugal, J.G. Dentu, 1815<br />

Philip J. Haythornthwaite, The<br />

Napoleonic Source Book, Arms and<br />

Armour, 1995<br />

Frédéric Hulot, Le maréchal Masséna,<br />

Pygmalion, 2005<br />

William Francis Patrick Napier,<br />

History of the War in the Peninsula<br />

and the South of France, J.S. Redfield<br />

1841<br />

Général Koch, Mémoires de Masséna,<br />

Paulin et Lechevalier, 1850<br />

Adolphe Thiers, Histoire du Consulat<br />

et de l’Empire, Tome douzième, Paulin<br />

Editeurs 1855<br />

Collectif, sous la direction de Jean<br />

Tulard, Dictionnaire Napoléon,<br />

Fayard 1995<br />

Jean Tranié et J.C. Carmigniani,<br />

Napoléon, la campagne d’Espagne,<br />

Pygmalion Gérard Watelet 1998<br />

65


La vie quotidienne d’une bourgeoise sous l’Empire<br />

personnelles et de charmants<br />

néologismes que relève Paul Cottin :<br />

« les marges contiennent parfois<br />

des petits croquis de circonstance ;<br />

est-elle triste ? Elle y trace une croix de<br />

grandeur différente selon le degré de<br />

tristesse. Rapporte-t-elle un événement<br />

heureux, c’est une étoile qu’elle<br />

dessine. L’accordeur est-il venu ? C’est<br />

un piano ; A-t-on moulu le café ? Un<br />

moulin à café ; reçu des ramoneurs ?<br />

Un manteau de cheminée. Remonté<br />

une pendule ? Un cadran. Appris la<br />

naissance d’un enfant ? Un berceau. »<br />

Ce journal est aussi une façon<br />

d’entrer dans l’intimité d’un couple.<br />

Lui, est prompt à la colère, artiste, il ne<br />

sait pas toujours monayer le prix de ses<br />

œuvres. Elle, fait souvent des reproches<br />

à Moitte de boire trop de tilleul, de se<br />

tenir trop près du feu, de pas ranger<br />

ses vêtements… petites querelles<br />

domestiques qui n’empêchent pas leur<br />

mutuel attachement.<br />

Malgré tout la santé de son mari<br />

n’est pas bonne. Des hémorroïdes<br />

persistantes le font souffrir ce qui le<br />

rend détestable. Madame Moitte utilise<br />

un terme pour noter sa mauvaise<br />

humeur : « il est "Miou miou" », dit-elle.<br />

Cependant il est aussi des moments<br />

de détente quand les Moitte recoivent<br />

leurs amis artistes, peintres, musiciens,<br />

sculpteurs, comme Van Loo, Houdon, le<br />

ménage voisin des Vien. Les diners sont<br />

abondants. En voici un exemple : soupe<br />

grasse, radis beurre cornichons, bouilli,<br />

deux poulets, petits pâtés côtelettes,<br />

poularde aux truffes, deux perdreaux,<br />

salade, choux-fleurs, charlotte, biscuit<br />

de Savoie et tartelettes, fromage et<br />

confiture, café et liqueurs, meringues,<br />

macarons, petits biscuits à la cuiller,<br />

bonbons et conserves, pêches.<br />

Comment imaginer aujourd’hui une<br />

telle quantité de mets pour un seul<br />

repas livré probablement par un<br />

traiteur ? Précisons que se joignent<br />

aussi à l’assemblée, les pensionnaires<br />

de la maison qui sont traités comme<br />

la famille. Ils participent aux jeux, à<br />

la musique. Leur logeuse les emmène<br />

au théâtre, aux marionnettes, voir les<br />

fantasmagories alors très à la mode. Il<br />

se rendent également au Panoramas<br />

un spectacle tout nouveau qui permet<br />

de voir défi ler des vues panoramiques.<br />

Parmi les cinq pensionnaires dont<br />

trois sont très jeunes, Louise a une<br />

place à part. Cette jeune fi lle dont<br />

le prénom apparaît souvent dans le<br />

journal, est à la fois une femme de<br />

chambre, une institutrice et une amie.<br />

Elle accompagne Madame Moitte<br />

dans ses courses et ses promenades.<br />

Toutes deux vont faire des emplettes<br />

de couture et de broderie : « j’ai<br />

été avec Louise d’abord rue des<br />

Bons Enfants chez un marchand<br />

d’étoffes sati-drap sati-vigogne que<br />

j’ai vu annoncer dans le Journal de<br />

l’Empire. On m’y a fait honnêteté et<br />

l’on m’a montré des étoffes de laine<br />

superbe et de beaux schalls ». À La<br />

vielleuse, magasin renommé, elle achète<br />

pour le jour de l’an quatre cravates à<br />

12 F chacune. Parmi les comptes sont<br />

en effet donnés les prix des achats<br />

vestimentaires ; robe de taffetas :<br />

65,50 F, Palatine : 48 et 30 F, fichu brodé<br />

laine et or 30 F, chapeau de taffetas :<br />

15 F, robe de toile anglaise : 26 F, châle<br />

croisé : 17 F. Ce sont des notations<br />

précieuses qui sont à mettre en parallèle<br />

avec les factures de Joséphine à qui l’on<br />

fait payer plus du double pour une robe<br />

en mousseline et vingt fois plus pour un<br />

châle !<br />

Coquette donc, malgré ses<br />

cinquante neuf ans, Madame Moitte<br />

soigne ses tenues. Elle détaille les<br />

vêtements qu’elle porte pour faire le<br />

« tracas du matin » (le ménage), les<br />

visites, aller à la campagne ou recevoir.<br />

Cependant toujours économe elle se<br />

prive de « gentillesses » renonçant<br />

par exemple aux chapeaux de chez<br />

Madame Colliau au Palais royal. La<br />

couturière est plus abordable qui<br />

transforme et confectionne. Pour<br />

le nouvel an la couturière apporte<br />

« une redingote blanche à collet de<br />

mousseline bouffante ; elle a emporté<br />

ma robe à palmettes pour la remonter<br />

sur un corsage qu’elle fera avec<br />

les manches pareilles ». Pour plus<br />

d’économie encore Madame Moitte est<br />

aussi capable de couper des chemises<br />

et des fichus, des jupons, des redingotes<br />

et elle raccomode son linge tandis<br />

que Louise brode avec ses cheveux.<br />

C’est notons-le ce qui se pratique<br />

dans la maison de l’impératrice, qui<br />

compte des teinturiers, dégraisseurs,<br />

raccomodeuses, blanchisseuses et<br />

couturières.<br />

Surmenée par ses tâches domestiques<br />

et tourmentée par des problèmes<br />

d’argent, Madame Moitte se sent de<br />

plus en plus fatiguée. Dès le début de<br />

l’année 1807, elle fait de longs séjours<br />

dans son lit, souffre de douleurs que<br />

les médecins ne diagnostiquent pas,<br />

pourtant elle est atteinte d’un cancer<br />

comme le sera la reine Hortense<br />

quelques trente ans plus tard, sans<br />

plus de chance de guérison. Elle se<br />

montre admirable de courage, toujours<br />

soucieuse de ses devoirs et continue<br />

jusqu’au bout à conduire sa maison<br />

avec l’aide de la fidèle Louise. La malade<br />

absorbe force tisanes, eau de cannelle,<br />

poudres contenant du quinquina ou de<br />

la rhubarbe. Cependant ni les omelettes<br />

à l’huile ni les sangsues, pauvres<br />

remèdes dérisoires, ne font reculer le<br />

mal de Madame Moitte dont le ventre<br />

ne cesse d’enfler. Elle s’éteint après<br />

beaucoup de souffrances à l’âge de<br />

soixante ans.<br />

Son mari Jean-Guillaume Moitte lui<br />

survivra trois ans.<br />

Exemple assez unique dans la<br />

production autobiographique, ce<br />

journal nous fait entrer de plain-pied<br />

dans une maison bourgeoise parisienne<br />

de l’Empire prenant le contre-pied<br />

des livres de souvenirs de la période<br />

napoléonienne. Curieusement il est<br />

fort peu question dans ces pages de<br />

l’Empereur et de la cour impériale.<br />

Madame Moitte a, nous l’avons vu<br />

d’autres soucis ; tout au plus est-il fait<br />

allusion à Napoléon quand celui-ci<br />

s’interesse à une statue de Desaix<br />

commandée au statuaire et nous<br />

apprenons incidemment que parmi les<br />

cadeaux achetés en étrennes il y a une<br />

boite dont le couvercle reproduit le<br />

portrait de Bonaparte.<br />

Tout dans ce texte montre que<br />

les préoccupations domestiques<br />

l’emportent sur celle de la patrie, une<br />

fois n’est pas coutume !<br />

■<br />

1 - Un ménage d’artistes sous le Premier Empire.<br />

Journal inédit de Madame Moitte, femme de<br />

Jean-Guillaume Moitte statuaire membre de<br />

l’Académie des Beaux Arts 1805-1807 ; publié<br />

avec des notes des dessins et un index par<br />

Paul Cottin, Paris 1932.<br />

74


La correspondance<br />

de Napoléon<br />

Juillet, août, septembre 1810<br />

Sélection Michel KERAUTRET<br />

Paris, 1 er juillet 1810. À Decrès,<br />

ministre de la Marine.<br />

Je désire envoyer cette année 1 500<br />

hommes à l’île de France. Il faudrait<br />

préparer pour cela trois expéditions,<br />

l’une à Brest, la seconde à Rochefort et<br />

une troisième à Cherbourg. Une fois<br />

qu’une de ces expéditions serait partie,<br />

on contremanderait les deux autres ou<br />

on leur donnerait une autre direction.<br />

Saint-Cloud, 4 juillet 1810.<br />

À Champagny, ministre des<br />

Relations extérieures.<br />

Ecrivez à mon ministre à Berlin et<br />

parlez au ministre de Prusse à Paris<br />

pour porter plainte et demander<br />

pourquoi on laisse entrer à Memel<br />

et à Stettin les marchandises<br />

sous pavillon américain qu’on a<br />

refusé de recevoir à Stralsund.<br />

Rambouillet, 8 juillet 1810. À<br />

Decrès, ministre de la Marine.<br />

Je viens de signer l’acte de réunion<br />

de la Hollande à la France. Il est<br />

indispensable que vous envoyiez<br />

quelqu’un pour reconnaître au vrai<br />

l’état de la marine hollandaise, et que<br />

vous me proposiez sa réorganisation,<br />

mon intention étant que tous<br />

les officiers civils et militaires<br />

soient employés à mon service.<br />

Rambouillet, 8 juillet 1810. À<br />

Lebrun, architrésorier de l’Empire.<br />

J’ai besoin de vos services en<br />

Hollande. Faites préparer vos<br />

équipages de voyage, et rendez-vous<br />

le plus tôt possible à Rambouillet<br />

pour y prendre vos instructions.<br />

Il est indispensable que vous<br />

partiez de Paris demain soir pour<br />

vous rendre à Amsterdam.<br />

Rambouillet, 10 juillet 1810. À<br />

Clarke, ministre de la Guerre.<br />

Je désire que vous preniez<br />

secrètement des informations sur la<br />

situation des armes dans le duché<br />

de Varsovie. Vous pouvez employer<br />

le sieur Serra, en lui recommandant<br />

toute la circonspection possible.<br />

Mon intention est d’avoir toujours<br />

dans ce pays une grande quantité<br />

d’armes, afin qu’en cas de besoin<br />

la population puisse s’en armer.<br />

Rambouillet, 11 juillet 1810. À Régnier,<br />

Grand Juge, ministre de la Justice.<br />

La cour criminelle de Foix<br />

a acquitté les assassins qui<br />

ont tué le maire de Mercenac,<br />

département de l’Ariège.<br />

Faites-moi un rapport là-dessus.<br />

Rambouillet, 12 juillet 1810. À Bigot<br />

de Préameneu, ministre des Cultes.<br />

Renouvelez aux préfets vos<br />

instructions sur la société de<br />

charité maternelle. Recommandezleur<br />

de vous envoyer la liste des<br />

personnes qui se font inscrire, pour<br />

la mettre sous mes yeux. Ne leur<br />

laissez point négliger cette affaire.<br />

Rambouillet, 13 juillet<br />

1810. À Hortense, reine de<br />

Hollande, à Plombières.<br />

Je vois que les lettres de Hollande<br />

vous sont enfin arrivées. On n’a<br />

point de nouvelles du roi ; on ne<br />

sait pas où il s’est retiré et l’on<br />

ne conçoit rien à cette lubie.<br />

75


Rambouillet, 14 juillet 1810.<br />

À Defermon, intendant général<br />

du Domaine extraordinaire.<br />

Il est nécessaire que vous occupiez<br />

sérieusement de mon domaine<br />

extraordinaire. Jusqu’ici, vous n’avez<br />

rien fait ; les affaires en souffrent,<br />

les particuliers en souffrent. Cela<br />

n’est conforme ni à votre réputation<br />

ni au bien de mon service.<br />

Saint-Cloud, 20 juillet 1810.<br />

À Madame Mère.<br />

Je m’empresse de vous apprendre<br />

que le roi de Hollande est aux eaux de<br />

Teplitz, en Bohême. Comme vous avez<br />

dû éprouver beaucoup d’inquiétude<br />

sur sa disparition, je ne perds pas<br />

un moment à vous donner cette<br />

nouvelle pour votre tranquillité. Sa<br />

conduite est telle qu’elle ne peut être<br />

expliquée que par son état de maladie.<br />

Paris, 21 juillet 1810. À Champagny.<br />

Je vous envoie des porcelaines<br />

que l’Impératrice désire envoyer<br />

à Vienne. Faites-les partir avec<br />

les lettres ci-jointes par un<br />

courrier, en lui recommandant<br />

de ne pas les casser en route.<br />

Saint-Cloud, 25 juillet<br />

1810. À Champagny.<br />

Les circonstances où se trouvent<br />

le Valais m’imposent l’obligation de<br />

prendre un parti sur ce petit pays,<br />

et j’ai résolu de le réunir à la France.<br />

Préparez un rapport dans lequel vous<br />

retracerez la mauvaise organisation du<br />

Valais, qui a donné lieu à sa conduite<br />

équivoque pendant la guerre, les<br />

ridicules prétentions du haut Valais,<br />

qui veut subjuguer le bas […]. Vous<br />

me ferez connaître à quel département<br />

il faudrait réunir le Valais.<br />

Saint-Cloud, 25 juillet 1810. À<br />

Montalivet, ministre de l’Intérieur.<br />

Ayant supprimé la plus grande<br />

partie des couvents à Rome, et<br />

voulant, autant que possible,<br />

maintenir le rang et l’importance de<br />

la population de cette grande ville, je<br />

désire y établir des manufactures et<br />

encourager la culture des cotons. On<br />

m’assure que les terres de Rome sont<br />

propres à cette culture, et qu’il y a une<br />

grande quantité de courants d’eau,<br />

dans les emplacements où étaient<br />

situés les couvents, qui peuvent servir<br />

comme moteurs des machines.<br />

Saint-Cloud, 18 août 1810. À<br />

Jérôme, roi de Westphalie.<br />

Je viens d’ordonner que mes<br />

troupes occupent tout le pays depuis<br />

le Holstein jusqu’à la Hollande, et dans<br />

cette mesure se trouve compris le pays<br />

situé entre Bremen et Vulhenburg. Je<br />

vous prie d’en retirer vos troupes.<br />

Saint-Cloud, 9 septembre<br />

1810. À Champagny.<br />

Il est nécessaire de faire une<br />

circulaire à mes ministres et agents<br />

à l’étranger sur l’élection du prince<br />

de Ponte-Corvo, pour qu’ils fassent<br />

sentir que je n’y suis pour rien, que<br />

c’est la volonté de la nation qui a<br />

tout fait, et qu’ils démentent tous ces<br />

bruits d’argent que j’aurais donné.<br />

Saint-Cloud, 11 septembre<br />

1810. À Champagny.<br />

Ecrivez au sieur Bourrienne que<br />

je suis étonné de l’explication qu’il<br />

donne sur le visa qu’il a mis au bas<br />

des ridicules certificats du sénat de<br />

Hambourg ; qu’il ne doit mettre sa<br />

signature nulle part ; que depuis<br />

longtemps on me porte plainte des<br />

opérations peu régulières qui auraient<br />

lieu à Hambourg ; qu’il doit éviter<br />

de s’attirer mon mécontentement.<br />

Saint-Cloud, 12 septembre 1810. À<br />

Joséphine, aux eaux d’Aix en Savoie.<br />

Mon amie, je reçois ta lettre du<br />

9 septembre. J’apprends avec plaisir<br />

que tu te portes bien. L’impératrice<br />

est effectivement grosse de quatre<br />

mois ; elle se porte bien et m’est fort<br />

attachée. Ma santé est assez bonne. Je<br />

désire te savoir heureuse et contente.<br />

On dit qu’une personne chez toi<br />

s’est cassé la jambe en allant à la<br />

glacière. Adieu, mon amie, ne doute<br />

pas de l’intérêt que je prends à toi<br />

et des sentiments que je te porte.<br />

Saint-Cloud, 16 septembre 1810.<br />

À Berthier, major général de<br />

l’armée d’Espagne (à Paris).<br />

Je suis instruit qu’un grand nombre<br />

d’Espagnols envoient leurs mérinos<br />

en France, et qu’un troupeau de<br />

10 000 moutons est en route pour<br />

s’y rendre. Donnez des ordres à tous<br />

mes généraux et autres autorités<br />

pour qu’on protège le mouvement<br />

de ces animaux sur la France.<br />

Saint-Cloud, 17 septembre<br />

1810. À Berthier.<br />

Le bruit d’un prétendu mariage du<br />

prince Ferdinand [d’Espagne] avec<br />

une princesse d’Autriche s’accrédite<br />

beaucoup. Il est important que vous<br />

écriviez à tous les commandants des<br />

corps d’armée en Espagne pour les<br />

prévenir que ce bruit est un enfant<br />

de l’oisiveté de Paris et un bavardage<br />

qui occupe les Parisiens ; qu’il n’a<br />

jamais été question de rien de pareil.<br />

Saint-Cloud, 20 septembre<br />

1810. À Champagny.<br />

Ecrivez en Prusse pour faire<br />

connaître que je désirerais que le<br />

gouvernement prussien mît à la<br />

sortie des grains des ports de Memel,<br />

Königsberg, Stettin et Kolberg, le<br />

même droit qu’à Danzig. L’Angleterre<br />

ayant besoin de blé, c’est une<br />

imposition qu’il sera utile et agréable<br />

à la Prusse de lever sur l’Angleterre.<br />

Expliquez cette théorie à mon<br />

chargé d’affaires et à mes consuls.<br />

76


Claudette JOANNIS<br />

Pierre de La Mésangère (1761-1831).<br />

Costume de Bal en Lévantine Garni de Martre.<br />

Planche 1035 des Costumes parisiens, 1810.<br />

Eau forte coloriée.<br />

Musée national de Malmaison et Bois-Préau.<br />

D<br />

eux mots peuvent nous interpeler dans cette<br />

description : lévantine et martre.<br />

La levantine est une étoffe de soie légère et unie<br />

originaire du Levant utilisée ici comme robe de bal. Quant à<br />

la martre, c’est un petit animal carnivore de la famille de la<br />

zibeline. Elle possède une fourrure soyeuse de teinte fauve<br />

qui fut toujours appréciée (pour les pinceaux entre autre). À<br />

défaut des luxueuses peaux de zibeline provenant de Russie,<br />

la marte était utilisée pour les manteaux ou en garniture<br />

comme ici sur les manches et sur le bas de la robe. On<br />

trouve dans l’inventaire après décès de l’impératrice<br />

Joséphine plusieurs mentions de manchon, tocque et<br />

garniture en « marthe » d’Éthiopie, du Canada et de<br />

Prusse.<br />

La jeune femme représentée sur cette gravure<br />

et dont la robe est largement décolletée, esquisse<br />

un pas de danse. Notre éditeur-promeneur<br />

La Mésangère a tout loisir d’observer les bals<br />

car, depuis le Directoire, la danse fait fureur<br />

dans les salons et les lieux publics. Avec les<br />

nouveaux codes du savoir vivre instaurés à la<br />

cour par Napoléon, les soirées sont souvent<br />

longues et ennuyeuses, aussi les bals sont-ils une<br />

distraction très prisée par les dames qui peuvent ainsi<br />

montrer leurs riches atours et leurs précieuses parures<br />

à commencer par l’Impératrice.<br />

Les principales danses en vogue sont alors la<br />

contre-danse, la gavotte, une survivance de l’ancien<br />

régime, la valse récemment introduite mais sous<br />

une forme différente de celle que nous connaissons. Il faut<br />

ajouter le bal masqué apprécié par l’empereur qui n’hésite pas<br />

pour passer (pense-t-il) inaperçu à revêtir un domino et un<br />

« loup », masque de tissu fourni par son parfumeur Teissier<br />

(il en subsite un en taffetas et à volants au musée de<br />

Provins).<br />

Dans les bals, les quadrilles sont les plus spectaculaires.<br />

Ils sont à thème, mimés par plusieurs figurants. C’est aussi<br />

un spectacle, attendu à la Cour pour la concurrence<br />

qui règne entre la reine Hortense et Caroline Murat.<br />

En 1812, la première organise le quadrille des incas<br />

dont tous les protagonistes sont habillés de costumes<br />

de fantaisie de péruviens et péruviennes, Hortense<br />

apparaissant en prêtresse du soleil. La même année,<br />

c’est Caroline qui met en scène le quadrille des<br />

étoiles et des constellations. Elle y apparaît avec sa<br />

sœur Pauline revêtue d’or, de pierres précieuses…<br />

L’impératrice Marie-Louise n’est pas la dernière à<br />

s’amuser de ces bals où elle se montre dans un<br />

costume de cauchoise (habitante du pays de Caux<br />

en normandie), loin de la réalité car sa jupe et son<br />

corset sont en velours boutonné d’or, garnis d’un<br />

fichu en mousseline bordé de dentelle de Malines…<br />

Déjà en 1801, le journal Le bon genre signalait :<br />

« Dans un bal masqué de société on ne voit plus<br />

aucun Arlequin ni Colombine ni Pierrot. Les<br />

costumes à la mode sont ceux de la Suisse et de<br />

notre ancienne province de Normandie. »<br />

■<br />

77


Trompette d’artillerie à cheval en tenue pendant la campagne d’Espagne en 1810.<br />

D’après une gravure milieu 19 e , anonyme, Coll. Part., D.R.<br />

L 18887 - 43 - F: 18,00 € - RD

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