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"La fontaine Stravinski" (1983) Jean Tinguely (1925-1991) - Niki de ...

"La fontaine Stravinski" (1983) Jean Tinguely (1925-1991) - Niki de ...

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Œuvre tridimensionnelle et espace public<br />

"<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> Stravinski"<br />

(<strong>1983</strong>)<br />

<strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong> (<strong>1925</strong>-<strong>1991</strong>) - <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle (1930-2002)<br />

Par Isabelle Rollin-Royer<br />

<strong>La</strong> comman<strong>de</strong> publique<br />

<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> Stravinsky a été réalisée en <strong>1983</strong> dans le cadre du 1% prélevé sur le budget <strong>de</strong><br />

construction du Centre Georges Pompidou.<br />

C'est une comman<strong>de</strong> publique en partenariat entre la ville <strong>de</strong> Paris, le Ministère <strong>de</strong> la Culture<br />

et le Centre Pompidou.<br />

Le monument se trouve dans le quartier Beaubourg à Paris et évoque l'œuvre musicale <strong>de</strong><br />

Stravinsky.<br />

Il se situe entre la faça<strong>de</strong> sud du centre Georges Pompidou, l'église Saint Merri et l'IRCAM.<br />

Cette œuvre a été conçue par les artistes <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong> et <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle.<br />

1


<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> Stravinsky<br />

Il s'agit d'un vaste rectangle d'eau, dans lequel diverses sculptures mécaniques noires ou<br />

colorées sont animées par la force <strong>de</strong> l'eau.<br />

Ces sculptures sont au nombre <strong>de</strong> 16 et distribuées <strong>de</strong> manière relativement égale dans<br />

l'espace <strong>de</strong> ce bassin rectangulaire.<br />

7 <strong>de</strong> ces sculptures semblent directement réalisées par <strong>Tinguely</strong>.<br />

6 relèvent <strong>de</strong> la facture <strong>de</strong>s sculptures colorées <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle (dont 1 absente, peutêtre<br />

en restauration)<br />

3 autres enfin semblent être <strong>de</strong>s réalisations conjointes <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux artistes.<br />

2


<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> : lieu <strong>de</strong> rencontre et <strong>de</strong> repos dans la cité<br />

Contrairement à d'autres eaux, celle <strong>de</strong>s <strong>fontaine</strong>s est particulière car c'est une "eau<br />

construite", voulue, canalisée et domestiquée.<br />

Dans le passé, sa fonction était essentielle. A Paris, les populations se ravitaillaient aux<br />

quelques dizaines <strong>de</strong> <strong>fontaine</strong>s installées dans les différents quartiers. Pour beaucoup <strong>de</strong><br />

parisiens, chaque jour était celui <strong>de</strong> la corvée d'eau. C'était aussi l'occasion <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s<br />

voisins, <strong>de</strong>s amis. Par le passage obligé qu'elle imposait, la <strong>fontaine</strong> a rapi<strong>de</strong>ment pris l'allure<br />

d'un lieu <strong>de</strong> rassemblement, et même parfois d'un véritable centre d'animation.<br />

Par sa situation au centre <strong>de</strong> Paris, au cœur d'un quartier <strong>de</strong> culture et <strong>de</strong> tourisme, mais aussi<br />

par sa conception, la <strong>fontaine</strong> Stravinsky renoue avec cette tradition.<br />

Son plan d'eau est entouré d'un rebord <strong>de</strong> béton dont la forme invite le promeneur à s'asseoir.<br />

<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> est en même temps qu'un spectacle mobile, un lieu <strong>de</strong> convivialité, <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>zvous<br />

et <strong>de</strong> rencontre. On y passe, on s'y promène, on s'y arrête, on s'y installe, on y discute.<br />

Multiplicité <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue<br />

Lorsque le passant s'assoit sur le pourtour <strong>de</strong> béton aménagé à cet effet, il tourne le dos à la<br />

<strong>fontaine</strong> et même s'il s'assoit <strong>de</strong> biais, il perd toute vision frontale du monument : un nouvel<br />

angle s'offre à lui. Il peut, changeant <strong>de</strong> place transformer presque à l'infini son point <strong>de</strong> vue.<br />

<strong>La</strong> mobilité <strong>de</strong>s sculptures ajoute à cette pluralité d'angles <strong>de</strong> vision. Leurs configurations<br />

multiples et mouvantes se conjuguent les unes aux autres. Ainsi, envisagée dans sa globalité,<br />

avec ce réseau <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vue instable, la <strong>fontaine</strong> est toujours la même et pourtant chaque<br />

fois différente.<br />

N'étant pas attenante à un bâtiment (comme la <strong>fontaine</strong> Saint Michel par exemple), elle est <strong>de</strong><br />

ces <strong>fontaine</strong>s autour <strong>de</strong>squelles on peut circuler. Visuellement, on peut être placé sur l'un <strong>de</strong><br />

ses côtés et apercevoir ce qui se trouve sur les 3 autres.<br />

Aussi, les escaliers qui séparent la <strong>fontaine</strong> <strong>de</strong> l'église Saint Merri ajoutent à cette possibilité<br />

<strong>de</strong> vision panoramique <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> la place.<br />

Ainsi, regardant la <strong>fontaine</strong> et les sculptures qui la composent, simultanément, on obtient une<br />

vue générale <strong>de</strong> sa situation dans l'espace.<br />

Ce monument est donc bien à envisager dans et avec le site qui le contient.<br />

Une autre possibilité <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vues : ceux que l'on a <strong>de</strong> la <strong>fontaine</strong>, <strong>de</strong>s différents niveaux<br />

du centre Georges Pompidou, du côté <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> qui lui correspond.<br />

Igor Stravinsky<br />

<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> Stravinsky <strong>de</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong> et <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle est une oeuvre plastique qui<br />

rend hommage à une oeuvre musicale.<br />

Plus qu'une référence, elle est la célébration d'un compositeur russe du 20e siècle.<br />

Igor Stravinsky est né à Saint Petersbourg en 1882 et mort à New York en 1971. Il a<br />

longtemps séjourné en France et représente un symbole <strong>de</strong> l'éclectisme et <strong>de</strong><br />

l'internationalisme artistique du début du siècle.<br />

<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> Stravinsky est attenante à Beaubourg (inauguré en 1977), elle en prolonge la<br />

polychromie. L'ensemble constitue comme une enclave au milieu <strong>de</strong> constructions anciennes,<br />

avec la mitoyenneté <strong>de</strong> Saint Merri, la proximité, entre autres édifices, <strong>de</strong> Sainte Eustache, <strong>de</strong><br />

la tour Saint-Jacques et <strong>de</strong> Notre-Dame <strong>de</strong> Paris.<br />

3


Avec ses formes, ses couleurs, ses représentations, la <strong>fontaine</strong> a certainement heurté une<br />

partie du public, elle a pu apparaître pour certains comme une véritable provocation. En cela,<br />

elle rappelle, soixante-dix ans plus tôt, le scandale <strong>de</strong> la première représentation Le Sacre du<br />

Printemps d'Igor Stravinsky (le 29 mai 1913 au Théâtre <strong>de</strong>s Champs Elysées). Les rythmes<br />

révolutionnaires <strong>de</strong> cette musique associés à la chorégraphie provocante <strong>de</strong> Diaghilev avaient<br />

en effet choqué la critique qui parla à l'époque <strong>de</strong> " massacre du printemps ".<br />

Avec cette <strong>fontaine</strong>, les formes manifestes ou simplement suggérées par <strong>Tinguely</strong> et Saint-<br />

Phalle citent <strong>de</strong>s fragments <strong>de</strong> l'œuvre musicale <strong>de</strong> Stravinsky : les couleurs du Sacre du<br />

Printemps, l'envol <strong>de</strong> l'Oiseau <strong>de</strong> feu.<br />

Un examen attentif montre que les 16 sculptures sont directement inspirées par les<br />

compositions du musicien, les différents éléments <strong>de</strong> la <strong>fontaine</strong> se nomment : la clé <strong>de</strong> sol, le<br />

rossignol, le serpent, l'oiseau <strong>de</strong> feu, l'éléphant, la mort, l'amour, le ragtime…<br />

<strong>La</strong> place qui supporte la <strong>fontaine</strong> porte d'ailleurs également le nom <strong>de</strong> Stravinsky.<br />

<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> Stravinsky se trouve donc sur la place Stravinsky, et cela au-<strong>de</strong>ssus d'un centre <strong>de</strong><br />

recherche musicale.<br />

Le monument est en effet situé sur le toit d'un immeuble souterrain <strong>de</strong> 5 étages abritant le<br />

centre <strong>de</strong> recherche acoustique et musicale <strong>de</strong> Pierre Boulez, l'IRCAM (Institut <strong>de</strong> Recherche<br />

en Musique Contemporaine.)<br />

D'un point <strong>de</strong> vue pratique, ce projet architectural a été prévu en souterrain pour résoudre la<br />

contrainte technique <strong>de</strong> l'isolation acoustique.<br />

<strong>La</strong> structure du bassin <strong>de</strong> la <strong>fontaine</strong> est réalisée en acier inoxydable pour en alléger le poids.<br />

Les sons produits par les jeux d'eau <strong>de</strong> la <strong>fontaine</strong> évoquent également la musique. L'eau<br />

projetée <strong>de</strong>s sculptures sur les formes en polyester ou sur les constructions métalliques ellesmêmes,<br />

sur les bords du bassin ou encore sur la surface <strong>de</strong> l'eau produit <strong>de</strong>s sons qui se<br />

répon<strong>de</strong>nt et qui varient en fonction <strong>de</strong>s déplacements du spectateur-auditeur.<br />

<strong>Tinguely</strong>, avait réalisé dans les années cinquante <strong>de</strong>s machines à peindre, <strong>de</strong>s machines à<br />

<strong>de</strong>ssiner puis <strong>de</strong>s machines acoustiques.<br />

Avec ce monument <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> et <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, il y a comme la tentative <strong>de</strong> rendre<br />

visible la musique. <strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> est une partition jouée et éclaboussée par l'eau.<br />

L'eau<br />

Dans son ouvrage "L'eau et les rêves", le philosophe français Gaston Bachelard explique les<br />

liens très étroits qui nous unissent à l'eau, cela à travers l'ensemble <strong>de</strong>s visages que l'eau peut<br />

incarner : Elle est la mère, la maîtresse, la consolatrice ; l'eau peut être douce ou violente,<br />

profon<strong>de</strong>, dormante ou agitée,...<br />

<strong>La</strong> Fontaine Stravinsky propose aussi <strong>de</strong>s formes relatives à l'eau comme élément essentiel,<br />

source <strong>de</strong> vie cristallisée par la généreuse sirène <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, par la bouche<br />

pulpeuse et sensuelle jusqu'à l'excès. Le cœur multicolore aussi trouve sa place dans cette<br />

ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> symboles.<br />

<strong>La</strong> <strong>fontaine</strong> propose aussi une lecture ludique relative à l'enfance, à ses jeux et à ses<br />

gourmandises. Les sculptures <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle surtout, avec leurs formes opulentes<br />

ressemblent à <strong>de</strong>s ballons, à d'énormes bouées colorées.<br />

4


Les structures métalliques <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> rappellent les jeux-mécanos avec leurs constructions<br />

complexes et en même temps dérisoires.<br />

Le bruit participe aussi à tout cela : le bruit <strong>de</strong> l'eau, le bruit <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong>s différentes<br />

machines en mouvement.<br />

Avec cette danse <strong>de</strong>s sculptures, une question est posée : celle <strong>de</strong> la pérennité. Un monument<br />

doit durer, inaltérable, indifférent au temps qui passe et à l'érosion. Les Vénus sont<br />

immortelles. Qu'en est-il <strong>de</strong> la Fontaine Stravinsky ? Entre la fonction d'éternité du monument<br />

et le mouvement qui peut s'interrompre, cette contradiction est proposée à la réflexion, peutêtre<br />

à la manière d'une vanité contemporaine.<br />

Le mouvement<br />

C'est à Bâle que <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong> (<strong>1925</strong>-<strong>1991</strong>), fils d'ouvrier, a commencé à construire <strong>de</strong><br />

petites roues en bois au bord d'un ruisseau. A partir <strong>de</strong> déchets récupérés, il a continué à<br />

fabriquer <strong>de</strong>s machines inutiles, bruyantes et délirantes à Paris également, où il s'installe en<br />

1952.<br />

Tout au long <strong>de</strong> sa carrière la question du mouvement obsè<strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong>.<br />

Il explique :<br />

" Je suis un artiste du mouvement, j'ai fait tout d'abord <strong>de</strong> la peinture mais je<br />

m'y suis bloqué, j'étais dans une impasse. Toute l'histoire <strong>de</strong> l'art et l'Ecole <strong>de</strong>s<br />

5


Beaux-Arts m'avaient handicapé, je partais handicapé dans la peinture, je suis<br />

resté accroché dans les tableaux, sur les tableaux, tout ce que je pouvais faire<br />

finalement dans les tableaux était d'attendre qu'ils soient fatigués et je ne<br />

pouvais jamais en trouver la fin. Alors j'ai décidé d'y introduire le mouvement.<br />

"<br />

On peut penser que le fait que <strong>Tinguely</strong> soit né et ai grandi en Suisse, pays <strong>de</strong> l'horlogerie <strong>de</strong><br />

précision, ai constitué un facteur déterminant dans son orientation artistique. Il n'a jamais<br />

cessé <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s " anti-machine ". Les mécanismes mis au point par <strong>Tinguely</strong> sont à<br />

l'opposé <strong>de</strong> ce que l'on entend ordinairement par " machine ". Elles sont imprécises, se<br />

trompent, grincent. <strong>Tinguely</strong> ruse avec les mécanismes du mouvement et, là où l'homme<br />

mo<strong>de</strong>rne attend un mouvement imperturbable et précis, la machine répond par <strong>de</strong>s écarts, <strong>de</strong>s<br />

tremblements. Avec ces imperfections, <strong>Tinguely</strong> " humanisent " la machine.<br />

Pour lui, n'existe que ce qui bouge.<br />

" Tout ce qui est fixe se délabre, tout ce qui est mouvement <strong>de</strong>meure. Le<br />

mouvement <strong>de</strong> mes sculptures est un mouvement pour la stabilité… <strong>La</strong> plus<br />

gran<strong>de</strong> stabilité, c'est l'instabilité. "<br />

En 1953, il utilise le mouvement manuel dans les Moulins à prière et autres constructions en<br />

fil <strong>de</strong> fer.<br />

<strong>La</strong> même année, il commence la réalisation <strong>de</strong> tableaux géométriques noir et blanc, animés <strong>de</strong><br />

moteurs cachés.<br />

Il poursuit ces recherches avec les Méta-mécaniques que l'on peut entendre comme "au-<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> la mécanique". Des formes simples, figures plus ou moins géométriques empruntées au<br />

vocabulaire formel <strong>de</strong>s constructivistes russes, animées par un mécanisme invisible,<br />

engendrant une série indéfinie <strong>de</strong> compositions. Ces reliefs sont en continuelle transformation<br />

:<br />

" Mes reliefs représentent une permanence <strong>de</strong> l'infini, c'est-à-dire ce que je<br />

n'avais pas réussi à faire avant, à l'époque où je ne parvenais jamais à finir un<br />

tableau. Je construisais ces reliefs comme <strong>de</strong>s tableaux où la poésie intervenait<br />

comme malgré moi. Ils se travaillaient tout seuls et se plaçaient eux-mêmes<br />

dans l'infini… "<br />

En observant certaines <strong>de</strong>s compositions <strong>de</strong> cette époque, et en imaginant la danse <strong>de</strong> ses<br />

différents éléments à l'intérieur du rectangle qui en constitue le support, on peut penser aux<br />

différentes sculptures animées dans l'espace rectangulaire du plan d'eau du bassin <strong>de</strong> la<br />

Fontaine Stravinsky. Envisagé <strong>de</strong> cette manière, c'est à dire en vision aérienne, le monument<br />

rappelle les méta-mécaniques que <strong>Tinguely</strong> construisait dans les années 1956-1958.<br />

<strong>Tinguely</strong> rencontre Yves Klein en 1956 et organise avec lui, en 1959 à la galerie Iris Clert,<br />

l'exposition "Vitesse pure et stabilité monochrome" où sont présentés <strong>de</strong> grands disques bleus<br />

peints par Klein, montés sur <strong>de</strong>s machines <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong>. Cette collaboration annonce la<br />

mécanisation <strong>de</strong> certaines <strong>de</strong>s sculptures <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle par <strong>Tinguely</strong>.<br />

<strong>La</strong> rencontre <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> avec Yves Klein et les discussions qui ont abouti à la constitution<br />

du groupe <strong>de</strong>s Nouveaux Réalistes en 1960, n'ont pas bouleversé la démarche <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong>. Il<br />

serait réducteur <strong>de</strong> n'envisager son travail qu'en relation avec ce mouvement.<br />

6


C'est à cette époque aussi qu'il rencontre <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle. Ils s'engageront ensemble dans<br />

le mouvement <strong>de</strong>s Nouveaux Réalistes et travailleront régulièrement à <strong>de</strong>s œuvres communes.<br />

<strong>La</strong> Fontaine Stravinsky est un exemple <strong>de</strong> cette collaboration.<br />

Bien avant la réalisation <strong>de</strong> ce monument dédié à un musicien, l'intérêt <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> pour le<br />

mouvement s'accompagne d'une interrogation relative au son. En 1958, il réalise <strong>de</strong>s<br />

sculptures acoustiques : Mes étoiles - Concert pour sept peintures est enregistré et diffusé par<br />

<strong>de</strong>ux stations <strong>de</strong> radio.<br />

En 1960, il réalise son fameux Hommage à New York : Une machine, dont la construction a<br />

nécessité <strong>de</strong>s semaines <strong>de</strong> travail, se détruisait elle-même.<br />

L'art <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> fonctionne donc sur un paradoxe : mouvement / stabilité ; construction /<br />

<strong>de</strong>struction<br />

<strong>La</strong> filiation à Dada est évi<strong>de</strong>nte (Ready-ma<strong>de</strong> <strong>de</strong> Marcel Duchamp ou peinture mécanomorphe<br />

<strong>de</strong> Picabia). Il s'agit d'une même critique <strong>de</strong> la civilisation mécanisée à outrance, symbole<br />

d'ordre, <strong>de</strong> discipline, <strong>de</strong> précision et <strong>de</strong> rationnel.<br />

<strong>Tinguely</strong> contraint ses machines à se confronter à ce qui jusque là leur semblait inconciliable :<br />

le hasard.<br />

Il continuera toute sa vie, à construire à partir <strong>de</strong> déchets un grand nombre <strong>de</strong> machines,<br />

généralement inutiles, (sauf pour ce qui concerne Méta-matic, qui produisait en 1959 <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ssins et peintures aléatoires, ridiculisant peut-être l'Expressionnisme abstrait américain),<br />

bruyantes et d'aspect souvent délirant (satire manifeste <strong>de</strong>s outrances <strong>de</strong> la société<br />

industrielle).<br />

Le travail <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> atteint <strong>de</strong>s niveaux <strong>de</strong> représentation symbolique qui sont <strong>de</strong> l'ordre du<br />

théâtre, un théâtre joué par les objets dont l'artiste se joue lui-même.<br />

Avec ses machines folles et dérisoires, <strong>Tinguely</strong> se réapproprie la machine à <strong>de</strong>s fins parfois<br />

ludiques (Rotozaza n°1, 1967, lance <strong>de</strong>s ballons).<br />

Dans sa rétrospective au Centre Pompidou, quelque peu avant sa mort, <strong>Tinguely</strong> avait exigé<br />

que la première salle soit gratuite et réservée aux enfants.<br />

Ses sculptures restent inspirées par l'esprit d'enfance, du carnaval et du cirque. <strong>La</strong> Fontaine<br />

Stravinsky est un peu comme l'arène rectangulaire d'un grand cirque où tout tourne : les<br />

sculptures sur elle-mêmes, les spectateurs autour <strong>de</strong> l'ensemble.<br />

Opulence et générosité <strong>de</strong>s formes<br />

<strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, née en 1930 à Neuilly sur Seine, passe son enfance à New York puis<br />

revient vivre à Paris en 1952, date <strong>de</strong> l'installation <strong>de</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong> en France et qu'elle<br />

rencontrera quelques années plus tard.<br />

Elle commence à fabriquer et à peindre <strong>de</strong>s objets-reliefs en plâtre puis utilise <strong>de</strong> nouveaux<br />

matériaux.<br />

Elle explique elle-même que c'est par l'art qu'elle est parvenue à surmonter les traumatismes<br />

d'une enfance douloureuse.<br />

Les productions <strong>de</strong> cette époque évoquent <strong>de</strong>s figurines <strong>de</strong> sorciers (Crucifixion, 1963) qui<br />

peu à peu vont annoncer les fameuses Nanas.<br />

7


En 1960, elle participe à la création du mouvement <strong>de</strong>s Nouveaux Réalistes fondé par le<br />

critique Pierre Restany.<br />

C'est à cette pério<strong>de</strong> qu'elle réalise les premiers Tirs (les œuvres contiennent <strong>de</strong>s ampoules <strong>de</strong><br />

peinture qui explosent sous l'impact <strong>de</strong> balles tirées à la carabine par les spectateurs ou par<br />

<strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle elle-même).<br />

A partir <strong>de</strong> 1965, les Nanas se multiplient. Elles sont gaies, colorées, ron<strong>de</strong>s et semblent<br />

pourtant légères, comme <strong>de</strong>s ballons. Les Nanas <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle rappellent les jeux,<br />

les sucreries et gourmandises <strong>de</strong> l'enfance. Elles sont parfois habitables et ludiques aussi,<br />

comme les énormes personnages <strong>de</strong>s parcs d'attraction, supports ou coques <strong>de</strong> circuits<br />

infernaux.<br />

<strong>La</strong> plus gran<strong>de</strong> lui est commandée par le musée d'Art mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> Stockholm en 1966. Elle<br />

mesure 28 mètres <strong>de</strong> long, 12 <strong>de</strong> large et 7 <strong>de</strong> haut. Elle contient <strong>de</strong>s salles d'exposition, <strong>de</strong><br />

cinéma, un bar. L'entrée <strong>de</strong>s visiteurs est située à l'emplacement du sexe.<br />

De nombreuses Nanas suivront, habitables ou non.<br />

<strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle réalisera également beaucoup d'aménagements urbains ou d'éléments <strong>de</strong><br />

mobiliers utilisant les thèmes qu'elle affectionne (animaux et mythologie liée à l'enfance).<br />

Collaboration <strong>Tinguely</strong> / <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle<br />

8


<strong>La</strong> collaboration <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle et <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> est présente dans d'autres œuvres.<br />

Le musée <strong>Tinguely</strong> à Bâle, construit par l'architecte Mario Botta propose les œuvres <strong>de</strong><br />

<strong>Tinguely</strong> à l'intérieur du bâtiment alors que <strong>de</strong>s sculptures <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle sont<br />

installées à l'extérieur.<br />

<strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint Phalle était la compagne <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> et leur communion artistique était notoire.<br />

Ils travaillaient parfois à la réalisation d'œuvres communes. <strong>La</strong> Fontaine Stravinsky est un<br />

exemple.<br />

Les ron<strong>de</strong>urs, les couleurs et les sujets <strong>de</strong>s productions <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle s'articulent aux<br />

métalliques et sombres structures mécaniques <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> dans une<br />

opposition/complémentarité du masculin/féminin. Certains y ont vu une relation artistique<br />

sexuelle et fusionnelle rendue tangible par les productions <strong>de</strong> leur collaboration<br />

professionnelle.<br />

Au long <strong>de</strong>s différentes lectures relatives à cette <strong>fontaine</strong>, le plus souvent on relève qu'il s'agit<br />

d'un travail <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> " avec la collaboration <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle ".<br />

Visuellement la participation <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux artistes paraît égale. Pourtant, lorsque<br />

l'on s'attache à un inventaire précis, le travail <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> paraît plus présent (7 sculptures<br />

sont en propre <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong>, pour 6 <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle et 3 semblent réalisées en<br />

collaboration). Les œuvres <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle présentent <strong>de</strong>s mécanismes qui les ren<strong>de</strong>nt<br />

mobiles et qui s'apparentent au travail <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong>.<br />

Après examen, cette inégalité semble visuellement compromise. Cela, comme si la couleur et<br />

les formes opulentes <strong>de</strong>s sculptures <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle compensaient leur plus petit<br />

nombre, comme si les productions mécaniques, monochromes et évidées <strong>de</strong>s constructions<br />

métalliques <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> nécessitaient une mobilisation plus gran<strong>de</strong>.<br />

Ce relevé impose un déplacement tout autour du plan d'eau. Il faut s'y reprendre plusieurs<br />

fois, tant tout bouge, tourne, virevolte, éclabousse. Entre le déplacement <strong>de</strong> celui qui regar<strong>de</strong><br />

et la mobilité <strong>de</strong> ce qui est observé, l'examen semble chaque fois à reprendre. Ici, à cet<br />

endroit, telle pièce semble avoir échappé à l'opération, finalement vue sous ce nouvel angle,<br />

au détour <strong>de</strong> sa ron<strong>de</strong> propre, elle se reconnaît. Il est en effet difficile <strong>de</strong> compter et <strong>de</strong><br />

dénombrer les différentes pièces <strong>de</strong> la <strong>fontaine</strong>.<br />

Lorsque l'on s'attache à une vision plus générale, la participation respective <strong>de</strong> <strong>Tinguely</strong> et <strong>de</strong><br />

<strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle donne à l'ensemble une impression harmonieuse et équilibrée.<br />

Entre le mo<strong>de</strong>rne centre Pompidou, témoin et organisateur <strong>de</strong> spectacles vivants et l'église<br />

Saint Merri, site <strong>de</strong> concerts classiques, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'IRCAM, la Fontaine Stravinsky "joue"<br />

au monument-synthèse, à la manière d'une proposition in situ où les arts (peinture, sculpture,<br />

architecture et musique) sont représentés ensembles.<br />

9


D'autres Fontaines<br />

- En 1962, <strong>Tinguely</strong> expose à Ba<strong>de</strong>n "Onze sculptures-<strong>fontaine</strong>s".<br />

- <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong>, Fountain V, 1963<br />

Tubes <strong>de</strong> métal, éléments <strong>de</strong> fer forgé, 205 x 96 x 77 cm.<br />

(Document extrait <strong>de</strong> : Catherine Francblin, Les Nouveaux Réalistes, Paris, Editions du<br />

Regard, 1997, page 141).<br />

- En 1977, <strong>Tinguely</strong> réalise un ensemble <strong>de</strong> <strong>fontaine</strong>s pour la ville <strong>de</strong> Bâle.<br />

- <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, <strong>La</strong> Fontaine aux quatre Nanas 1974 - <strong>1991</strong><br />

Polyester peint, 225 x 224 x 55 cm<br />

Musée d'Art mo<strong>de</strong>rne et d'Art contemporain, Nice.<br />

- <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong>, <strong>La</strong> Roue <strong>de</strong> la Fortune 1979 - 1996<br />

"Jardin <strong>de</strong>s Tarots" Garavicchio, Italie.<br />

Il s'agit <strong>de</strong> l'une <strong>de</strong>s 22 sculptures monumentales <strong>de</strong> <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle et <strong>Tinguely</strong> réalisées<br />

entre 1979 et 1996, dans le "Jardin <strong>de</strong>s Tarots", à Garavicchio, dans le sud <strong>de</strong> la Toscane en<br />

Italie. Ces sculptures sont inspirées <strong>de</strong>s arcanes majeurs du Tarot. Certaines comme la Roue<br />

10


<strong>de</strong> la fortune sont habitables. Elle est construite en béton et est recouverte d'une mosaïque <strong>de</strong><br />

miroir, <strong>de</strong> verre et <strong>de</strong> céramique colorée.<br />

" <strong>La</strong> Roue <strong>de</strong> la fortune est un vieux symbole <strong>de</strong> la Roue <strong>de</strong> la vie ; ce qui<br />

monte doit forcément <strong>de</strong>scendre. Un jour je marchant à travers le jardin,<br />

EUREKA ! J'ai eu l'idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong> <strong>de</strong> faire la Roue <strong>de</strong> la<br />

Fortune dans une <strong>fontaine</strong>. L'eau s'écoulerait <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong> la Papesse. "<br />

<strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint Phalle<br />

- <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong>, <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, Statue-Fontaine-Mobile 1987 - 1993<br />

Château-Chinon, Morvan.<br />

Cette <strong>fontaine</strong> est une comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> François Mitterrand à <strong>Jean</strong> <strong>Tinguely</strong> et <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint<br />

Phalle pour la place <strong>de</strong> la mairie <strong>de</strong> Château-Chinon, dont il était maire. Elle présente <strong>de</strong><br />

nombreux points communs avec la Fontaine Stravinsky (bassin central, distribution <strong>de</strong><br />

sculptures mobiles <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux artistes, situation au milieu d'une place) mais dans <strong>de</strong>s<br />

dimensions beaucoup plus réduites.<br />

- <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, L'arbre <strong>fontaine</strong>, Installation au jardin du Palais-Royal<br />

Eté 2003, Paris.<br />

- <strong>Niki</strong> <strong>de</strong> Saint-Phalle, Les trois grâces, Installation au jardin du Palais-Royal<br />

Eté 2003, Paris.<br />

Crédits photographiques : Isabelle Rollin-Royer<br />

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