Webzine Gahelig n°2
Le GAHeLiG est une association suisse regroupant des auteurs suisses ou résidant en Suisse. Bonne lecture !
Le GAHeLiG est une association suisse regroupant des auteurs suisses ou résidant en Suisse. Bonne lecture !
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GAHeLiG 1<br />
N°2– Juillet 2019
GAHeLiG 2<br />
N°2– Juillet 2019<br />
SOMMAIRE<br />
EDITO ........................................................................................................................... 3<br />
ÉDITION, AUTO-ÉDITION ET COMPTE D’AUTEUR ........................................................ 4<br />
L’AGENDA DES AUTEURS ............................................................................................ 7<br />
SALON DU LIVRE GENÈVE .......................................................................................... 8<br />
INTERVIEW DE LIONEL TRUAN .................................................................................. 10<br />
SORTIES DES AUTEURS ............................................................................................ 11<br />
CHRONIQUES ............................................................................................................. 15<br />
INTERVIEW D’AMÉLIE HANSER ................................................................................. 18<br />
LES MEMBRES DU GAHELIG ................................................................................... 19<br />
LES MOUCHOIRS DE TRAHAN – SARA SCHNEIDER ................................................. 23<br />
TERREUR DANS LA BAIE – FABRICE PITTET ............................................................ 28<br />
MADA - LUCIEN VUILLE ............................................................................................ 42
GAHeLiG 3<br />
N°2– Juillet 2019<br />
EDITO<br />
Par Déborah Perez<br />
Les beaux jours sont là !<br />
L’association du GAHELIG est très heureuse<br />
de vous présenter ce second <strong>Webzine</strong> qui<br />
pourra vous accompagner dans un moment de<br />
détente. Outre l’actualité des auteurs et de leurs<br />
prochaines parutions, nous mettons<br />
l'imagination en valeur. En supplément, vous<br />
pourrez vous régaler grâce à trois superbes<br />
nouvelles qui vous feront frissonner aussi bien<br />
de peur que de froid et ainsi découvrir le style de<br />
nos auteurs.<br />
Vous aurez également l’occasion de vous<br />
questionner sur les méandres de la publication<br />
d’un ouvrage. Aujourd’hui, il existe plusieurs<br />
voies pour donner corps à son rêve d’écriture.<br />
Au sein de notre groupe, nos membres représentent ses différentes variantes, et<br />
Tiffany Schneuwly résume parfaitement la situation. Peut-être que cela vous aidera<br />
dans votre démarche si vous avez déposé un manuscrit dans l’ombre d’un tiroir.<br />
Bien sûr, pour en apprendre davantage sur les plumes qui ont rejoint l’association,<br />
des interviews et des chroniques de livres contenteront votre curiosité. J’espère que<br />
cela vous tentera de « lire local » en vous laissant séduire par des univers palpitants,<br />
romantiques ou inquiétants. Et enfin, nous revenons sur notre première participation<br />
au Salon du livre de Genève qui fut une expérience ponctuée de beaux échanges avec<br />
les lecteurs.<br />
Pour terminer et céder la place au véritable contenu, nous serions très heureux de<br />
pouvoir recueillir vos commentaires et vos envies de lecture pour les prochaines<br />
nouvelles. Nous attendons donc des idées de thèmes de votre part. Les auteurs se<br />
feront un plaisir de relever le défi et de laisser parler leurs plumes. N’hésitez pas à le<br />
faire sur nos pages Facebook ou Instagram !<br />
Très bel été et surtout bonne lecture !
GAHeLiG 4<br />
N°2– Juillet 2019<br />
ÉDITION, AUTO-ÉDITION ET COMPTE D’AUTEUR<br />
Par Tiffany Schneuwly<br />
Bienvenue dans les méandres du monde de la publication<br />
« Quand je serai grand, je serai écrivain… »<br />
De nos jours, s’aventurer dans le monde de l’édition relève d’une véritable expédition.<br />
Les auteurs en herbe s’exposent autant à de belles opportunités qu’à des pièges à<br />
éviter. Alors, quand la plume vous<br />
démange au plus profond de votre âme<br />
et que vous ne parvenez pas à ôter ce<br />
rêve de votre tête, que faire ?<br />
Persévérer, et bien se renseigner !<br />
Il existe plusieurs moyens de se faire<br />
publier. Cette palette de possibilités s’est<br />
étoffée au fil des années. Alors que, par<br />
le passé, la signature d’un contrat avec<br />
une maison d’édition représentait la<br />
façon la plus courante pour un récit de<br />
trouver ses lecteurs, les livres peuvent<br />
désormais prendre vie de diverses<br />
manières.<br />
Au sein du GAHeLiG, les parcours éditoriaux des membres démontrent parfaitement<br />
qu’avec du talent et de la persévérance, il devient possible de voir le fruit de son<br />
imagination prendre vie juste sous ses yeux. Parmi ces différents moyens d’envisager<br />
la publication, il y en a trois qui reviennent fréquemment sur le devant de la scène :<br />
l’édition via un éditeur, l’auto-publication et l’édition à compte d’auteur.<br />
Confier son manuscrit à une maison d’édition<br />
Envoyer un manuscrit à une maison d’édition, puis passer par la longue et stressante<br />
phase de l’attente jusqu’au verdict final, voilà ce que choisissent de faire bon nombre<br />
d’auteurs. C’est la méthode la plus classique, du moins, pour le moment. Le procédé<br />
demeure plutôt « simple ». Une fois son texte abouti et corrigé (par ses propres<br />
moyens), l’auteur se met en quête d’une maison d’édition en veillant à respecter ce<br />
qu’on appelle la ligne éditoriale : inutile d’envoyer un roman d’horreur à un éditeur qui<br />
se spécialise dans la romance. L’envoi d’un manuscrit se fait par courrier postal ou par<br />
e-mail. Ces deux étapes franchies, on bascule alors dans l’inconnu et le varié. Le délai<br />
de réponse oscille généralement entre trois et douze mois. Certains éditeurs prendront<br />
la peine de donner une réponse détaillée, qu’il s’agisse d’une acceptation ou d’un<br />
refus, quand d’autres mentionneront que, sans nouvelles de leur part après un délai
GAHeLiG 5<br />
N°2– Juillet 2019<br />
énoncé, l’auteur devra comprendre que son texte n’a pas été retenu. La patience est<br />
de mise, car certaines maisons, souvent les plus connues, comptent par centaines les<br />
manuscrits qu’elles reçoivent chaque jour.<br />
Si un « oui » est obtenu par l’auteur, sa relation avec son éditeur sera scellée par la<br />
signature d’un contrat. La maison d’édition prendra à sa charge tous les frais liés à la<br />
fabrication et la vente du livre et reversera à l’auteur une part de droits d’auteur.<br />
Les petits plus de cette méthode :<br />
- La publication du livre se fait sans que l’auteur mette la main au porte-monnaie<br />
(il se peut toutefois qu’il doive prendre lui-même à sa charge des frais tels que le<br />
déplacement et le logement pour participer à des manifestations littéraires, par<br />
exemple).<br />
- L’auteur obtient un retour de qualité grâce aux professionnels qui se cachent<br />
dans l’ombre de leur maison d’édition (correcteurs, graphistes, etc.).<br />
- L’auteur bénéficie d’un bon accès aux réseaux de distribution et aux<br />
manifestations littéraires, et peut voir son livre se retrouver plus facilement en librairie.<br />
Les petits moins de cette méthode :<br />
- L’auteur est parfois confronté au point de vue de son éditeur, avec une marge<br />
de manœuvre pas toujours très large pour imposer son propre jugement.<br />
- Le pourcentage des droits d’auteurs demeure dans la majorité des cas<br />
relativement bas.<br />
Et si je m’auto-publiais ?<br />
Entre 2006 et 2010, une nouvelle méthode de publication d’un roman a connu un<br />
essor non négligeable. Noyés dans la masse toujours grandissante des écrivains en<br />
herbe, et parfois déçus de leurs expériences avec les maisons d’édition, certains<br />
auteurs ont retroussé leurs manches pour mettre la main à la pâte. Au lieu de courir<br />
après un éditeur, ils ont choisi de faire eux-mêmes toutes les démarches relatives à la<br />
publication de leur œuvre : corrections du texte, mise en page de ce dernier,<br />
conception de la couverture, impression et mise en vente du livre. Autant de<br />
casquettes qui demandent une curiosité poussée et une énergie considérable.<br />
Après tout, pourquoi pas ? Une histoire n’est rarement qu’un enchevêtrement de<br />
mots choisis avec soin pour permettre un voyage littéraire. C’est bien souvent une part<br />
de l’auteur qui est emprisonnée entre les lignes, un bout d’âme qui se retrouve coincé<br />
entre les paragraphes. Il peut être difficile de céder un manuscrit, de trouver la bonne<br />
personne à laquelle faire confiance pour lui permettre d’aller de l’avant. L’autopublication<br />
permet donc de conserver ses droits et de pouvoir mener son roman avec<br />
une certaine indépendance. Que l’histoire voie le jour en format broché ou numérique,<br />
il est désormais possible pour tout un chacun de devenir maître de son destin.<br />
Les petits plus de cette méthode :
GAHeLiG 6<br />
N°2– Juillet 2019<br />
- L’auteur conserve le dernier mot sur l’entier de son œuvre : couverture, texte,<br />
etc. La seule limite demeure sa propre imagination !<br />
- Les bénéfices liés à la vente de l’ouvrage reviennent entièrement au créateur<br />
du livre.<br />
Les petits moins de cette méthode :<br />
- L’auto-publication génère de nombreux frais : service d’un correcteur et/ou d’un<br />
graphiste, support marketing et publicitaire, etc.<br />
- La création d’un réseau solide prend du temps et n’est pas facile à mettre en<br />
place.<br />
Et si on me demandait de payer pour faire publier mon livre ?<br />
Dans la jungle que représente le monde de l’édition, certains n’hésitent pas à profiter<br />
de l’ignorance ou du désespoir des autres. C’est le cas des éditeurs qui fonctionnent<br />
à compte d’auteur. D’un point de vue quasi unanime, l’édition à compte d’auteur n’est<br />
pas considérée comme une véritable forme d’édition. Dans ce cas de figure, l’auteur<br />
paie l’éditeur pour que celui-ci publie son livre. L’éditeur, quant à lui, s’engage à<br />
assurer la correction du manuscrit, les formalités de déclaration légale (numéro<br />
d’ISBN…), la distribution et la promotion du livre. Il prend alors le rôle d’un prestataire<br />
de service. Malheureusement, dans une grande majorité des cas, les maisons<br />
d’édition travaillant à compte d’auteur se contentent d’encaisser le paiement de<br />
l’auteur (avoisinant souvent les CHF 3'000 à CHF 4'000) et se montrent souvent très<br />
peu actives par la suite.<br />
Cette méthode ne représente pas vraiment d’avantages, car les prestations fournies<br />
par l’éditeur fonctionnant à compte d’auteur peuvent être facilement organisées par<br />
l’auteur lui-même, et à moindres coûts. On en revient alors à la méthode de l’autopublication<br />
qui permet à l’auteur de garder la mainmise sur l’intégralité du processus<br />
éditorial.<br />
Y a-t-il une solution plus juste qu’une autre ? Certainement pas ! Ce qui compte avant<br />
tout, c’est d’être en accord avec son choix et de voir partir son bébé littéraire vers son<br />
lectorat le cœur le plus léger possible en ayant le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait.<br />
Alors, qu’attendez-vous ? À vos plumes ! Car le monde de l’édition, lui, n’attend plus<br />
que vous !
GAHeLiG 7<br />
N°2– Juillet 2019<br />
L’AGENDA DES AUTEURS<br />
Sous réserve de modifications.<br />
L’agenda complet des auteurs est disponible sur leurs plateformes personnelles (site internet,<br />
réseaux sociaux…)<br />
JUILLET<br />
6<br />
Fête de l’été au Noirmont, marché de<br />
l’art et artisanat des Franches-<br />
Montagnes, salle polyvalente<br />
Sara Schneider<br />
SEPTEMBRE<br />
6-8 Foire du Livre, Le Locle<br />
Sara Schneider, Charlene<br />
Kobel, Julien Hirt, François<br />
Curchod<br />
14-15 Salon du livre de Pusignan, Pusignan Katja Lasan<br />
OCTOBRE<br />
5 Marché d’automne, Champoz<br />
Charlene Kobel, Sara<br />
Schneider, Marilyn Stellini,<br />
Fabrice Pittet<br />
5 Cultura, Besançon Déborah Perez<br />
26<br />
Convention de l’Antre des Légendes,<br />
Porrentruy<br />
Marilyn Stellini<br />
27 Lausanne Fantasy<br />
Lionel Truan, Amélie Hanser,<br />
K.Sangil, Déborah Perez, Sara<br />
Schneider, Marilyn Stellini,<br />
Fabrice Pittet, François<br />
Curchod<br />
NOVEMBRE<br />
16-17 Fantasy en Beaujolais<br />
K. Sangil, Déborah Perez, Amélie<br />
Hanser<br />
16-17 Mon’s Livre, Mons (Belgique) Katja Lasan<br />
30<br />
DÉCEMBRE<br />
Festival du Livre Romantique,<br />
Dunkerque (France)<br />
Katja Lasan<br />
1<br />
Festival du Livre Romantique,<br />
Dunkerque (France)<br />
Katja Lasan<br />
15 Marché de Noël, Morges K. Sangil, Marilyn Stellini
GAHeLiG 8<br />
N°2– Juillet 2019<br />
SALON DU LIVRE GENÈVE<br />
Par K. Sangil<br />
Après un joyeux casse-tête pour caser quinze personnes en dédicaces durant cinq<br />
jours, une grande partie du Groupe des Auteurs Helvétiques de Littérature de Genre<br />
(GAHeLiG) s’est retrouvée pour profiter de belles rencontres au salon.<br />
À cette occasion, nous avons inauguré le mobilier et peaufiné au fil des jours notre<br />
présentation. Un chouette stand, agrémenté d’un label régional :<br />
Durant ces journées, nous avons discuté avec de nombreux professionnels en lien<br />
avec le monde de l’édition (imprimeurs, bibliothécaires, éditeurs, chroniqueurs) ainsi<br />
que des lecteurs, et découvert la face cachée des auteurs :<br />
Cela nous a demandé beaucoup d’énergie, mais c’est indéniablement une<br />
expérience à refaire ! Cerise sur le gâteau : l’année prochaine, le salon aura lieu du 28<br />
octobre au 1er novembre 2020. Sortez vos agendas et venez passer Halloween avec<br />
le GAHeLiG, vous devriez en avoir pour votre argent !
GAHeLiG 9<br />
N°2– Juillet 2019<br />
D’ici là, nous allons tenter d’inonder les bibliothèques suisses de nos romans. Si vous<br />
ne nous trouvez pas sur les étagères, réclamez-nous !
GAHeLiG 10<br />
N°2– Juillet 2019<br />
INTERVIEW DE LIONEL TRUAN<br />
Questions de Déborah Perez<br />
- Pouvez-vous vous présenter succinctement ?<br />
Lionel Truan, 30 ans et j’habite à Genève. J’ai une<br />
femme, une petite fille, et je travaille comme<br />
dessinateur dans une entreprise horlogère. Je suis<br />
l’auteur du roman Le Monde de Demain. Ce récit<br />
sur fond de guerre post-apocalyptique se passe en<br />
Suisse et verra son histoire évoluer sur trois tomes.<br />
- Vous avez la possibilité de rencontrer l'un de<br />
vos personnages, lequel et que lui diriez-vous ?<br />
Dans le tome 1, le personnage principal trace sa<br />
route, seul, sur 80% de l’histoire. Il rencontre<br />
quelques personnes attachantes, mais celui que je<br />
souhaiterais rencontrer se cache dans le tome 2 (qui<br />
n’est pas encore publié). Donc, pour notre webzine, je fais l’effort de divulguer son<br />
nom. Mais non… je rigole, je le fais avec plaisir ! Prenez ça pour du spoil ! Il s’agit de<br />
Fabien. Un personnage calme, réfléchi et qui montre bien qu’il est malin et intelligent.<br />
Ce que je lui dirais : « Ce que tu as bâti est extraordinaire, mais… une question…<br />
Pourquoi tu ne pars pas avec Elliot ? » Ah, mince ! Je divulgue trop d’informations. Je<br />
m’arrête là !<br />
- Improvisez-vous en écrivant ou est-ce que tout est planifié ?<br />
J’ai planifié la trame principale pour les trois volumes, du moins les points clés de<br />
l’histoire. Le reste se remplit au fur et à mesure. Parfois j’avance et au vu des<br />
circonstances, je change la trame principale. Dans l’ensemble c’est au feeling.<br />
- Quels sont les deux conseils que vous donneriez à ceux qui souhaitent<br />
écrire ?<br />
Lancez-vous sans hésiter, ayez de la volonté et ne baissez pas les bras au moindre<br />
échec. (Bon, ok, ça fait trois).<br />
- Avez-vous une devise ?<br />
Une devise bien connue de notre cher Jean-Claude Duss, mais qui a toujours été<br />
imprégnée dans ma tête. « Oublie qu't'as aucune chance, vas-y, fonce ! On ne sait<br />
jamais, sur un malentendu ça peut marcher... »<br />
- Qu'est-ce qu'il y a sur votre table de chevet ?<br />
Un roman épique de notre cher collègue Fabrice Pittet : De sang et de froid.
GAHeLiG 11<br />
N°2– Juillet 2019<br />
SORTIES DES AUTEURS<br />
FLORENCE COCHET<br />
Un caillou au fond de la poche<br />
Actes Sud junior, Septembre 2019<br />
« Un frisson chatouille sa nuque. Relevant le nez de son<br />
portable, il se heurte à quatre paires d’yeux qui le scrutent<br />
depuis la passerelle reliant les bâtiments A et B. Les Cavaliers<br />
infernaux, accoudés à la rambarde, forment une rangée<br />
d’oiseaux de mauvais augure. Incertain de la conduite à tenir,<br />
Henri reste immobile au milieu de la cour. Il ose à peine<br />
respirer. »<br />
Au collège, les autres élèves surnomment Henri « la<br />
Calculette » ou le « taré ». C’est un adolescent différent,<br />
surdoué, et allergique aux contacts. Sans la présence de<br />
Daisy, sa meilleure amie, il aurait déjà craqué. Mais ce matin,<br />
elle est clouée au lit. Pour la première fois depuis près de<br />
quatre ans, Henri doit se débrouiller seul, et une bande de<br />
racketteurs compte bien en profiter. Le mystérieux caillou que lui a confié son excentrique enseignante<br />
de français suffira-t-il à le protéger de leurs mauvais coups ?<br />
GILLES DE MONTMOLLIN<br />
Un été 1928<br />
Éditions BSN Press, juin 2019<br />
Juin 1928. Pilote à l’Aéropostale, Antoine Esnault est<br />
licencié pour une bêtise. Il est engagé pour une mission<br />
dans le Grand Nord : retrouver les passagers d’un dirigeable<br />
qui s’est écrasé sur la banquise. Il sauve l’un d’eux, le<br />
flamboyant financier Albert Schneider, et découvre alors<br />
qu’il a une immense dette morale à son égard. Or,<br />
Schneider lui présente maintenant l’addition… Jusqu’où<br />
Antoine acceptera-t-il d’aller pour rembourser cette dette ?<br />
Dans ce roman à suspense, l’intrigue fictionnelle s’appuie<br />
sur des faits réels. Elle nous emmène dans le Paris et la<br />
France des Années folles. Elle nous met derrière le manche<br />
à balai d’un avion de l’époque héroïque et aux commandes<br />
de son imposant concurrent, le dirigeable. Enfin, comme<br />
souvent chez cet auteur, elle nous fait découvrir des endroits<br />
perdus de la planète.
GAHeLiG 12<br />
N°2– Juillet 2019<br />
CALI KEYS<br />
Chipie à tout prix (Co-écrit avec Dear<br />
Caroline)<br />
Editions PRISMA, juin 2019<br />
Angie est une jeune fille passionnée par ses études de<br />
cinéma, mais jalousée par les gens de sa classe, humiliée<br />
chaque jour par une prof peu compréhensive, et qui doute<br />
terriblement de ses qualités. Pourtant pleine d'idées<br />
créatives, elle n'a qu'un ami qui l'encourage à s'épanouir,<br />
Anthony, avec qui elle peut être vraiment elle-même, sans<br />
tenir compte du regard des autres. D'autant qu'elle tombe<br />
amoureuse d'un jeune cinéaste venu donner des<br />
conférences dans son école, un amour interdit qui ne<br />
simplifie pas sa vie !<br />
Un jour, elle décide d'ouvrir une chaîne YouTube, comme<br />
les filles qu'elle suit et avec qui elle développe bien plus d'affinités qu'avec celles de sa classe. Elle va<br />
y trouver de vraies amies et une activité qui donne du sens à sa vie. Mais quand le succès surgit, Angie<br />
doute encore. Et son amour résistera-t-il au tourbillon ?<br />
Un livre qui nous fait rire, réfléchir et dont on ressort boosté et plein d'énergie pour affronter le monde !<br />
KATJA LASAN<br />
Gueule d’ange – tome 2 : Fred<br />
Éditions Cyplog, réédition 2019<br />
Harcelé depuis plusieurs années par une fan, aujourd’hui<br />
Fred a peur : dans sa dernière lettre, voilà que cette folle<br />
menace directement Alice.<br />
Depuis qu’il la connaît, il ne lui attire que des ennuis, à cette<br />
demoiselle. Ils n’appartiennent pas aux mêmes mondes. Et<br />
Fred a trop de fêlures, trop de démons enfouis au plus profond<br />
de lui. La meilleure chose à faire pour la protéger serait de la<br />
quitter.<br />
Pourtant, il ne peut s’y résoudre. Cette fille, il l’a dans la peau.<br />
Son sourire, son regard, son corps, tout en elle l’obsède.<br />
Mais à vouloir garder ses secrets pour lui, plus que leur<br />
relation, c’est Alice elle-même que Fred risque de mettre en<br />
danger.
GAHeLiG 13<br />
N°2– Juillet 2019<br />
SARA SCHNEIDER<br />
Les Enfants d’Aliel – tome 2 : Le cheval de feu<br />
Éditions Le Chien qui pense, Septembre 2019<br />
Les Synalions se croient à l’abri au sein de la Horde des<br />
Vents Levés, chez les éleveurs de chevaux. Mais Orga veille<br />
et les feux de camp pourraient bientôt éclairer une autre danse<br />
que celle de la cérémonie du cheval de feu. Des guerriers<br />
durnachs tournent leurs armes contre leur propre peuple.<br />
La quête du dernier Synalion prend l’allure d’un galop effréné<br />
et le tumulte des émotions chahute la fragile cohésion du<br />
groupe. Si Irika s’embrase, Carson s’efface, Nouak se<br />
disperse et Lilas fait face à des décisions qui bouleversent ses<br />
principes.<br />
Qui d’autre qu’elle, parmi ses coéquipiers, le mercenaire<br />
Vionel ou son frère Jaz en fera les frais ?<br />
TIFFANY SCHNEUWLY<br />
Entre deux feux – Tome 1 : Les Chuchoteurs<br />
Éditions Nouvelles Bibliothèques, réédition<br />
2019<br />
Eurielle mène une vie plus que confortable et a tout ce qu’il<br />
faut pour être heureuse… en apparence.<br />
Née dans une famille aisée, ses parents la laissent gérer son<br />
quotidien comme elle l’entend. Mais derrière cette façade se<br />
cache une fille solitaire et mal-aimée.<br />
L’univers d’Eurielle va cependant être complètement<br />
bouleversé par une improbable rencontre avec deux étranges<br />
personnages qu’elle seule semble voir.<br />
Qui sont-ils ? Et que cherchent-ils ?<br />
En apprenant à mieux les connaître, Eurielle découvre<br />
qu’elle n’est pas la personne qu’elle croyait être…
GAHeLiG 14<br />
N°2– Juillet 2019<br />
MARILYN STELLINI<br />
Talons Aiguilles & Ballon Rond<br />
Portsmouth, Angleterre<br />
Editions Kadaline, avril 2019<br />
Addison Bailey est la fille du mythique avant-centre du<br />
Chelsea Football Club, Mike Bailey, mais elle s'est éloignée de<br />
ses racines et de sa famille à la première occasion, a refait sa<br />
vie et tient à son nouvel anonymat.<br />
Devenue une femme d’affaires talentueuse, sa carrière la<br />
mène dans une ville portuaire du Sud de l’Angleterre. Sa vie<br />
paisible est bousculée lorsque Addison est forcée d'affronter<br />
son passé en assistant au match du Portsmouth FC : elle se<br />
rappelle à quel point elle aimait ce sport et l'ambiance des<br />
stades, mais les blessures de son enfance resurgissent.<br />
Les choses se compliquent lorsqu'elle s'aperçoit que<br />
l'entraîneur de l'équipe de football n'est autre que l'homme qui<br />
a brisé son cœur alors qu'elle était toute jeune fille : l'ancien<br />
protégé de son père et l'étoile montante du foot international.<br />
Et, cerise sur le gâteau, le beau et mystérieux capitaine de l'équipe lui fait les yeux doux, alors qu'elle<br />
attend tout, sauf une relation sérieuse.<br />
Cette confrontation à un passé douloureux qu'elle a fui lui permettra-t-elle de faire la paix avec les<br />
fantômes de son passé et d'ouvrir son cœur ?
GAHeLiG 15<br />
N°2– Juillet 2019<br />
CHRONIQUES<br />
« Une sirène » & « La Fille qui n’aimait pas la foule », Gilles de<br />
Montmollin (BSN press)<br />
Par Lucien Vuille<br />
Un matin d’été, dans les années 1970, je devais aller<br />
rencontrer Gilles de Montmollin pour écrire cette<br />
chronique. En route pour les quais où il m’avait donné<br />
rendez-vous, je pensais à ce que j’allais bien pouvoir<br />
lui dire. J’avais pensé à une chouette métaphore : un<br />
livre c’est comme une boisson. Y en a, c’est de l’huile<br />
de foie de morue, on nous a forcés à le lire en pensant<br />
que ça nous ferait du bien, mais c’était terrible. Pas mal<br />
de livres, c’est comme du Coca : c’est vraiment pas<br />
bien, presque du poison, les gens le savent, mais ils en<br />
consomment beaucoup malgré tout. Certains<br />
bouquins, c’est des petits shots de bourbon. Bref, vous<br />
avez compris l’analogie. Les livres de Gilles de<br />
Montmollin, c’est des expressos. Ça passe bien, ça se<br />
descend vite, et si on n’y prend pas garde, on en<br />
enchaîne plein à la suite. Mais j’ai pas eu l’occasion de<br />
partager ma brillante image avec cet auteur. Déjà, j’imaginais que l’endroit où il m’avait<br />
donné rendez-vous serait un bureau, sombre, avec une porte vitrée. Comme pléthore<br />
d’autres écrivains de polars, je pensais le découvrir, l’imper mastic, derrière une<br />
machine à écrire, la pipe à la bouche et un verre de whisky à portée d’une main<br />
tremblante. Mais Gilles de Montmollin n’est pas ce<br />
genre d’auteur. Je l’ai trouvé au bout de la jetée,<br />
affairé sur un gros bateau baptisé « Circé ». « Un<br />
yacht », il m’a corrigé. Athlétique, les cheveux<br />
décolorés par le soleil, bronzé comme un Thierry<br />
Lhermitte dans le film éponyme, Gilles de<br />
Montmollin s’affairait sur son esquif, fignolait des<br />
trucs au milieu de ses cordages. « Des bastaques<br />
», il a précisé. Dans son dos, j’ai repéré une belle<br />
femme blonde, mystérieuse et discrète. Du genre<br />
qui n’aime pas la foule. L’écrivain s’excusait, il<br />
devait partir précipitamment. Comme s’il fuyait<br />
quelque chose.<br />
Sa destination était inconnue, je ne savais pas où<br />
il avait l'intention de s’emmener. J’ai vite compris<br />
que son sort serait lié à cette énigmatique sirène.<br />
Sans prévenir, Gilles de Montmollin s’est enfui avec cette femme. Et j’avais bien raison,
GAHeLiG 16<br />
N°2– Juillet 2019<br />
elle lui a causé plein de problèmes. J’ai vu un autre bateau les pourchasser, j’ai<br />
entendu des coups de feu, ils ont continué leur course-poursuite en voiture de sport,<br />
et puis des policiers ouest-allemands s’en sont mêlés, de jolies femmes, encore. Y’a<br />
eu des braquages, des meurtres. Je crois que Gilles de Montmollin s’en est tiré, mais<br />
pas sûr. Si vous ne me croyez pas, vous pouvez lui faire confiance, c’est écrit dans<br />
son livre : « les premiers romans sont toujours autobiographiques ».<br />
Les chroniques écarlates, Fabrice Pittet (Fantasy Editions)<br />
Par Sara Schneider<br />
Les Chroniques Écarlates regroupent 6 mini-romans qui se déroulent toutes dans<br />
le même monde : l’Étoile, mais dans des territoires, des paysages et même des milieux<br />
différents, puisque l’une des chroniques se déroule sous l’eau. Sans que l’on retrouve<br />
les héros d’une histoire à l’autre, des références, des éléments, des peuples et des<br />
personnages de certaines histoires sont mentionnés dans d’autres récits, créant le<br />
réseau d’un ensemble cohérent.<br />
Avec le mini-roman, la difficulté pour l’auteur est de plonger rapidement son lecteur<br />
dans une ambiance différente pour chaque histoire<br />
et de lui présenter des personnages parfaitement<br />
développés en un minimum de lignes. C’est l’une<br />
des forces de Fabrice Pittet : toutes les<br />
personnalités sont minutieusement construites,<br />
complexes, sans jamais tomber dans le cliché.<br />
Fabrice Pittet apprécie les personnages imparfaits,<br />
torturés, voire les antihéros.<br />
Le style des Chroniques Écarlates est celui de<br />
l’heroic fantasy. Même si tous les héros ne sont pas<br />
des guerriers, la lutte est toujours présente. À<br />
travers des bagarres ou des batailles, Fabrice Pittet<br />
se dessine comme un spécialiste des scènes<br />
d’action. Souvent violents, parfois agrémentés de<br />
détails anatomiques à vous donner des haut-lecœur,<br />
ces passages sont la signature personnelle<br />
de l’auteur. Pourtant, il serait réducteur de ne retenir<br />
que cet aspect des mini-romans. Chaque histoire invite à une réflexion sur des thèmes<br />
comme la différence, l’exclusion, le sacrifice, le dépassement de soi, la fidélité.<br />
Voici un aperçu de chacune des six chroniques :<br />
Dans La Gloire Écarlate, on suit le parcours initiatique d’un futur guerrier<br />
mercenaire. L'histoire se construit comme la traditionnelle formation d'un combattant,<br />
avec ses cruelles épreuves éliminatoires. Sans jamais ennuyer son lecteur, Fabrice
GAHeLiG 17<br />
N°2– Juillet 2019<br />
Pittet coule son récit dans l’un des moules classiques de la fantasy. Mais l’auteur ne<br />
va pas se contenter d’utiliser ce carcan, il va le questionner, le chahuter, jusqu’à faire<br />
apparaître ses failles. On entrevoit ici la patte de Fabrice Pittet : il ne ménage ni ses<br />
personnages ni ses lecteurs. Une expérience déroutante menée de main de maître<br />
par un auteur doué dans cet exercice.<br />
Par-delà les ondes met en scène Elpheen : un habitant de la mer du peuple des<br />
bélénides qui souffre d’une déficience et ne peut pas sortir de l’eau, contrairement aux<br />
autres membres de son espèce. L’idée est très originale, le milieu est parfaitement<br />
décrit, même si quelques passages donnent l’impression de suivre un documentaire<br />
sur le monde sous-marin. On vit une véritable expérience d'immersion, et quand<br />
Elpheen manque d’air, on se surprend presque à avoir le souffle court. La frustration<br />
due à la déficience est traitée de façon innovante et la fin est épique. Une lecture<br />
envoûtante et prenante.<br />
Dans son ombre relate l’histoire plus classique d’un guerrier tiraillé entre ses<br />
sentiments et son devoir. Fabrice Pittet y décrit des personnages touchants avec une<br />
certaine sensibilité. Un récit plus introspectif que les autres, bien que les scènes de<br />
bataille chères à l’auteur soient toujours présentes.<br />
Dans Les Corbeaux de Mereng, l’auteur nous place en immersion dans un groupe<br />
de brigands. Une rencontre va amener leur chef, Murka, à amorcer une réflexion sur<br />
ses motivations. Cette chronique nous pose question sur les origines du mal, inné ou<br />
acquis, à travers une aventure palpitante.<br />
L’attrait du mini-roman Vous mourrez tous réside sans conteste dans la<br />
construction de son personnage principal : l’antihéros par excellence. Vieux, faible,<br />
alcoolique, couard, démissionnaire, il réunit tous les défauts d’un personnage qu’on<br />
adore détester. Fabrice Pittet nous réserve quelques ruses de bataille dont il a le<br />
secret, dans un récit plaisant à suivre qui ne figure pas parmi les perles de ce livre,<br />
tout en étant parfaitement conté.<br />
Le Dernier Bastion clôture de façon magistrale ce recueil de mini-romans. Fabrice<br />
Pittet se livre à un exercice narratif dans lequel il excelle : le récit de bataille, les<br />
situations tendues, voire désespérées, et les gestes héroïques. Les personnages<br />
guerriers sont remarquablement construits. Ils sont tous différents, dotés d’une<br />
personnalité propre et de motivations personnelles pour se battre. Les adversaires<br />
sont effrayants à souhait et les descriptions de combats aptes à provoquer des<br />
cauchemars. En conclusion, un récit poignant et haletant.<br />
La véritable réussite de ce recueil de chroniques réside dans la diversité des<br />
situations présentées. Chaque histoire, chaque personnage est une invention unique<br />
et aboutie. Le lecteur ne s’ennuie pas une seule seconde. C’est un exercice difficile<br />
que de plonger le lecteur six fois dans des contextes et des décors différents, sans le<br />
surcharger d’informations. Mais Fabrice Pittet relève le défi haut la main. L’immersion<br />
se fait sans peine dans chaque récit. On prend plaisir aussi aux clins d’œil et aux<br />
références croisées. Ceci donne une unité tout à fait bienvenue à l’ensemble des<br />
chroniques. En résumé, Les Chroniques Écarlates, ce sont six beaux moments de<br />
lecture d’heroic fantasy.
GAHeLiG 18<br />
N°2– Juillet 2019<br />
INTERVIEW D’AMÉLIE HANSER<br />
Questions de Déborah Perez<br />
– Pouvez-vous vous présenter succinctement ?<br />
Je m’appelle Amélie Hanser et j’ai trente ans.<br />
Passionnée de mythologie et d’histoire, j’ai d’ailleurs<br />
étudié cette matière et décroché un master en histoire<br />
des religions. Ce sont des thèmes qui imprègnent mes<br />
écrits, en particulier dans la trilogie de fantasy La Terre<br />
des héros. Mes prochains projets sont d’ailleurs des<br />
romans historiques.<br />
– Vous avez la possibilité de rencontrer l’un de vos<br />
personnages, lequel et que lui diriez-vous ?<br />
Ce n’est pas évident, j’aurai un petit mot pour chacun,<br />
je pense. Cela dit, je crois que j’aimerais rencontrer<br />
Kouareï pour lui dire d’accepter le fait qu’on ne réussit<br />
pas toujours. Nos échecs nous construisent autant que<br />
nos réussites, mais ils n’enlèvent rien à notre valeur.<br />
– Improvisez-vous en écrivant ou est-ce que tout est planifié ?<br />
J’ai commencé en improvisant, mais finalement aujourd’hui, je planifie tout. J’ai<br />
construit ma propre méthode inspirée des fiches de préparation des enseignants. Pour<br />
moi, c’est indispensable, même si je laisse de la place à l’improvisation.<br />
– Quels sont les deux conseils que vous donneriez à ceux qui souhaitent<br />
écrire ?<br />
1. Lancez-vous, vous avez plus à perdre à ne pas le faire.<br />
2. Informez-vous sur l’actualité, les méthodes d’écriture ou bien n’importe quel<br />
domaine qui pourrait vous inspirer.<br />
– Avez-vous une devise ?<br />
« Nous changeons tous, quand on réfléchit bien, nous sommes tous plusieurs<br />
personnes et cela tout au long de notre vie. Et ça, c’est très bien, on doit continuer à<br />
avancer tant qu’on se souvient des différentes personnes que nous avons été. » Dr<br />
Who.<br />
J’aime cette idée, et je me dis aussi que lire et écrire, c’est vivre plusieurs vies.<br />
– Qu’est-ce qu’il y a sur votre table de chevet ?<br />
Un réveil et une bouteille d’eau. En fait, je lis dans le salon la plupart du temps. En<br />
ce moment, c’est L’étoile de Lowilo de Déborah Perez.
GAHeLiG 19<br />
N°2– Juillet 2019<br />
LES MEMBRES DU GAHELIG<br />
Marlène CHARINE (AG)<br />
Fantastique et thriller<br />
Florence COCHET (GE)<br />
Fantastique, thriller,<br />
romance<br />
François CURCHOD (NE)<br />
Fantastique / Fantasy<br />
Gilles DE<br />
MONTMOLLIN (VD)<br />
Polar et aventure<br />
Marika GALLMAN (VD)<br />
Urban Fantasy<br />
Stéphane GALLAY (GE)<br />
Fantasy (romans, jeux de rôle)<br />
Amélie HANSER (FR)<br />
Fantasy<br />
Julien HIRT (NE)<br />
Fantasy<br />
Marie-Christine HORN<br />
(FR)<br />
Polar
GAHeLiG 20<br />
N°2– Juillet 2019<br />
Cali KEYS (VD)<br />
Romance<br />
contemporaine<br />
Charlene KOBEL (BE)<br />
Romance<br />
Pierre Yves LADOR<br />
Erotisme<br />
Katja LASAN (FR)<br />
Fantasy et romance<br />
Pascal LOVIS (JU)<br />
Fantasy<br />
Cindy MEZNI (VD)<br />
Fantasy et Bit-Lit<br />
Déborah PEREZ (VD)<br />
Fantasy<br />
Fabrice PITTET (VD)<br />
Fantasy<br />
K. SANGIL (VS)<br />
Romances fantastiques
GAHeLiG 21<br />
N°2– Juillet 2019<br />
Mary SARA (VD)<br />
Fantasy Young-Adult<br />
Sara SCHNEIDER (JU)<br />
Fantasy Jeunesse<br />
Tiffany SCHNEUWLY<br />
(FR)<br />
Fantastique et urban<br />
fantasy, jeunesse<br />
Marilyn STELLINI (FR)<br />
Romance historique et<br />
fantastique<br />
Laurence SUHNER<br />
(GE)<br />
Science-Fiction<br />
Jean-François<br />
THOMAS (VD)<br />
Science-Fiction<br />
Lionel TRUAN (GE)<br />
Science-Fiction<br />
Lucien VUILLE (NE)<br />
Fantasy<br />
Ian S. CONNAUGHT<br />
(NE)<br />
Fantasy
GAHeLiG 22<br />
N°2– Juillet 2019<br />
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Supplément - 3 nouvelles<br />
Trois nouvelles inédites vous sont offertes par trois de nos auteurs de fantasy !<br />
• Les Mouchoirs de Trahan de Sara Schneider<br />
• Terreur dans la baie de Fabrice Pittet<br />
• Mada de Lucien Vuille<br />
À déguster confortablement installé, à consommer sans modération.
GAHeLiG 23<br />
N°2– Juillet 2019<br />
LES MOUCHOIRS DE TRAHAN – SARA SCHNEIDER<br />
— Il respire encore.<br />
Le guérisseur retira la main qu’il avait posée sur le corps du Prince et recula à petits<br />
pas pressés, jusqu’à se trouver hors d’atteinte du bras qui avait occis plusieurs de ses<br />
prédécesseurs. Il fit signe à Trahan d’avancer vers la Reine. Elle s’était mise à<br />
hoqueter, de peine ou de soulagement, impossible à dire. Le jeune page mit un genou<br />
à terre et tendit à sa souveraine un plateau couvert de mouchoirs imbibés de décoction<br />
d’euphraise, destinés à assécher les yeux.<br />
Sur la balance de son destin, chaque larme versée alourdira le plateau du malheur,<br />
annonçait le dernier vers de la prophétie concernant le Prince. Jamais les herboristes<br />
n’avaient produit autant de décoction d’euphraise que depuis qu’il avait commencé à<br />
dépérir. Trahan passait ses journées à courir d’un visiteur accablé à l’autre, afin<br />
d’enrayer cette production de larmes qui précipitait le royaume vers les abîmes.<br />
Un volet claqua.<br />
L’une des duchesses poussa un cri et se laissa choir dans les bras de son époux qui<br />
l’éloigna avec un rictus gêné. Trahan posa son plateau sur un guéridon et se précipita<br />
pour refermer le battant en veillant à enfoncer solidement le crochet.<br />
Malheureusement, toutes les personnes présentes avaient pu apercevoir la chape de<br />
nuages noirs s’abattant sur les contreforts des montagnes voisines, si proches. Les<br />
courtisans échangeaient des regards alarmés ; certains chuchotaient derrière leurs<br />
mains. Des gestes de dépit ou d’impuissance fleurissaient dans les conversations à la<br />
façon de corolles vénéneuses distillant leur parfum de capitulation.
GAHeLiG 24<br />
N°2– Juillet 2019<br />
Depuis que la santé du Prince avait commencé à décliner, le royaume allait de mal<br />
en pis. La tempête la plus dévastatrice dont on se souvenait de mémoire d’homme<br />
avait ravagé le territoire depuis ses frontières extérieures, semant la désolation sur<br />
son passage, et elle encerclait désormais le château. Les nobles présents aujourd’hui<br />
ne pleuraient pas la perte imminente de leur Prince – qu’ils n’avaient jamais aimé – ils<br />
pleuraient sur leur propre sort.<br />
Les ingrats !<br />
Eux qui n’avaient cessé de railler la prophétie se précipitaient aujourd’hui sur les<br />
mouchoirs de Trahan pour éponger leurs regrets.<br />
Lorsque le petit était entré au service de la Reine en tant que page, sa mère, brave<br />
chambrière à l’esprit pragmatique des petites gens, l’avait averti : « La cour regorge<br />
de parvenus à la mémoire courte, qui ont oublié combien les temps étaient durs avant<br />
la venue au monde du Prince. Tout ce qu’ils voient ce sont leurs coffres qui ne<br />
débordent pas de l’or promis par la prophétie. »<br />
Il faut avouer qu’elle présageait d’un avenir des plus radieux, cette prophétie :<br />
Dès l’avènement du Prince, reculeront les jours sombres,<br />
Son souffle balaiera les esprits malins comme le vent chasse les feuilles mortes,<br />
Son œil gardera les frontières du royaume,<br />
Son bras tiendra à distance les plus vils charognards,<br />
Sa brillance rejaillira sur ses sujets comme une cascade d’or céleste.<br />
Mais, sur la balance de son destin, chaque larme versée alourdira le plateau du<br />
malheur.<br />
A l’époque où elle avait été énoncée, tous les habitants du royaume en avaient pris<br />
connaissance et s’en réjouissaient, même si personne ne comprenait ce dernier vers.<br />
Pourquoi pleurerait-on pour un prince aussi héroïque, prodiguant sécurité et fortune à<br />
ses sujets ? Les érudits avaient eu beau les mettre en garde : « La brillance du Prince<br />
représentait son intelligence et l’or céleste était une image pour le soleil ». Les nobles<br />
persistaient à croire que leur fortune allait se multiplier, comme par magie.<br />
Quelle ne fut pas leur déception lorsque la Reine mit au monde son fils et que d’or il<br />
n’y eut point. Ni la moindre brillance, d’ailleurs. Et pire encore : en guise d’œil princier,<br />
un unique globe noirâtre et gélatineux de la taille d’un poing au milieu d’une tête sans<br />
cou, et, en matière de bras, un genre de tentacule creux d’où sortait un souffle rauque<br />
et maladif.<br />
Le Prince était un monstre. Un amas de chair informe dans lequel on peinait à<br />
distinguer quelque trait humain. Et pourtant la chose vivait. Elle s’était mise à téter sa<br />
mère avec cette trompe flexible qui lui servait à la fois de bras et de bouche, et elle<br />
avait continué à le faire durant quatorze années. Quatorze années durant lesquelles<br />
les tempêtes arrachant le blé des terres et le chaume des toits s’étaient tues. Quatorze<br />
années que les loups-spectres, qui suivaient les tempêtes comme des charognards,<br />
s’étaient retirés dans les forêts des royaumes alentour. Quatorze années aussi que<br />
tous ceux qui pénétraient dans la chambre princière avec de noirs desseins périssaient<br />
étranglés par son bras. Quatorze années de quiétude relative durant lesquelles la
GAHeLiG 25<br />
N°2– Juillet 2019<br />
Reine avait choyé son ébauche de fils avec le dévouement aveugle d’une mère, et que<br />
le bien-être qu’il en retirait avait suffi à tenir le malheur à distance.<br />
Jusqu’à la semaine précédente.<br />
Le Prince avait toussé et un amas de fibres noirâtres mêlées de sang avait été projeté<br />
de son tentacule. Trahan avait donné à la reine un mouchoir imbibé d’huiles<br />
essentielles de lavande pour calmer ses nerfs, puis il avait nettoyé le sol, le lit et le<br />
corps du Prince des souillures visqueuses. Le page n’avait jamais craint cette créature<br />
qui était son Prince. Plus jeune que son souverain de quelques années, il avait<br />
crapahuté derrière sa mère quand elle nettoyait la chambre princière. Il avait souvent<br />
observé cet agglomérat de chair rose gigotant et en avait conclu qu’il valait mieux<br />
naître simple fils de chambrière et posséder tous ses membres. Et ceci était d’autant<br />
plus vrai aujourd’hui que la peau du Prince avait viré au gris et que sa respiration était<br />
si pauvre qu’elle ne sifflait même plus.<br />
Le Prince s’affaiblissait et il entraînait son royaume dans sa perte. Ses sujets<br />
voyaient leur monde glisser vers les ténèbres et ils pleuraient, oublieux de la mise en<br />
garde contenue dans la prophétie. Et sur la balance du destin, chaque larme versée<br />
alourdissait le plateau du malheur, malgré les efforts de Trahan à distribuer des<br />
mouchoirs.<br />
La tempête avait désormais atteint le château. Elle glissait ses longs doigts glacés<br />
dans les interstices des volets et hurlait ses menaces aux oreilles des témoins de<br />
l’agonie du Prince. Les courtisans s’étaient rapprochés les uns des autres en petits<br />
groupes compacts et ils s’éloignaient des murs, tout en veillant à rester à une distance<br />
prudente du lit trônant au centre de la pièce. Trahan tira d’épaisses tentures de velours<br />
devant les ouvertures dans un vain effort de préserver la quiétude de la chambre<br />
princière. De temps à autre, les vents coulis gonflaient un rideau qui s’élevait alors<br />
comme un invité fantôme et se retiraient ensuite dans un sifflement méprisant.<br />
Soudain, la porte s’ouvrit et un courant d’air la précipita contre le mur dans un fracas<br />
métallique. Un guerrier se tenait dans l’embrasure. Il était vêtu d’un plastron d’acier<br />
poli incrusté de dorures sur un gambison en cuir renforcé, et il tenait un casque sous<br />
son bras. La poignée d’une épée dépassait d’un fourreau sanglé sur sa hanche<br />
gauche, et on voyait au-dessus de son épaule la tête d’une hache d’arme qu’il portait<br />
dans son dos.<br />
On aurait dit que la guerre elle-même venait briser l’oraison funèbre.<br />
Trahan se précipita au-devant de l’homme en armure pour le débarrasser de son<br />
casque. Il avait reconnu le commandant de la garde du royaume.<br />
L’homme s’avança vers la reine et mit un genou à terre. L’étiquette lui imposait de<br />
baisser la tête, mais l’urgence — et peut-être autre chose de moins avouable entre un<br />
commandant et une reine — l’autorisait à rester droit. Son regard plongea dans celui<br />
de sa souveraine et elle avala son souffle pour cacher un sanglot.<br />
— Ortos… Commandant Ortos, se reprit-elle, quel cataclysme vous amène à troubler<br />
le temps sacré d’une agonie par une intrusion aussi… martiale ?<br />
— Majesté, veuillez pardonner l’inconvenance de mon interruption — cette fois, il<br />
baissa les yeux, et son regard glissa vers le Prince un bref instant avant de revenir sur
GAHeLiG 26<br />
N°2– Juillet 2019<br />
la Reine – mais la sécurité de notre citadelle est compromise. Un groupe de loupsspectres<br />
a pénétré dans la première enceinte. Dès la nuit tombée, tous ceux qui ont<br />
été mordus se joindront à leurs forces. Je demande l’autorisation d’effectuer une sortie<br />
avec la moitié de la garde pour les contenir hors de la deuxième enceinte.<br />
Le visage de la Reine se crispa sous l’assaut d’une lame de peine. Le commandant<br />
n’avait pas besoin de son accord pour prendre des décisions tactiques, même pour<br />
une manœuvre aussi désespérée. Il venait lui faire ses adieux. Elle posa sa main sur<br />
l’épaule cuirassée, se retenant de lui caresser la joue, comme elle aimait le faire dans<br />
le secret de leur intimité.<br />
— Faites ce qui est nécessaire, et que la chance vous accompagne.<br />
Leurs regards restèrent accrochés encore un instant, puis le guerrier fit volte-face et<br />
sortit à grandes enjambées en attrapant au passage son casque que lui tendait<br />
Trahan. Le petit avait utilisé un de ses mouchoirs pour le lustrer jusqu’à la brillance.<br />
Au moins, le commandant chargerait-il l’ennemi avec panache.<br />
Et c’est ce qu’il fit.<br />
Jusqu’à la mort.<br />
***<br />
La nuit était tombée. Les hurlements du vent ressemblaient à ceux d’une meute de<br />
loups affamés. Tout le monde était conscient que le Prince respirait encore. Sa trompe<br />
produisait un râle douloureux à faire grincer les dents des convives. L’appendice<br />
flasque pendait dans les bras de la reine ; elle le caressait comme on rassure un<br />
nourrisson pour l’endormir. Elle ne semblait pas outre mesure alarmée par sa couleur<br />
violacée. Mais, quand il se détacha du corps du Prince, elle poussa un cri, puis, comme<br />
si elle venait de prendre conscience de ce qu’elle tenait entre les bras, elle le lança<br />
dans la direction de Trahan. Le page s’empressa de le couvrir avec ses morceaux de<br />
tissu pour le soustraire à la vue de tous.<br />
Quelques duchesses et marquises avaient perdu connaissance à la suite de ce<br />
énième cahot sur la route de la fin du monde. Les ducs et les marquis n’en menaient<br />
pas plus large. Tout le monde était maintenant bien au-delà des larmes et Trahan<br />
distribuait des mouchoirs imbibés de divers toniques. Il gardait cachée dans la pièce<br />
une préparation calmante et vaguement euphorisante qu’il employait habituellement<br />
pour apaiser la Reine quand elle perdait ses nerfs. Il ne s’en servirait qu’en dernier<br />
recours, ne sachant pas bien quand ce moment se présenterait.<br />
Le prince respirait toujours.<br />
La chute de sa trompe avait laissé un trou béant sur son corps et l’air entrait et sortait<br />
par cet orifice comme d’une outre percée. À présent, le guérisseur s’approchait plus<br />
régulièrement du Prince pour l’ausculter, et son diagnostic se réduisait à un soupir de<br />
plus en plus profond. Tout semblait désormais se résumer à des souffles, fussent-ils<br />
hurlants, sifflants, difficiles ou désespérés. Le royaume s’étiolait dans une brise<br />
funeste en même temps qu’il s’asphyxiait de ses propres remords. Et si on avait su se<br />
montrer plus reconnaissant de ce qu’on avait plutôt que de se lamenter sur ce qui nous<br />
faisait défaut ? Et si on avait été capable de voir le Prince au-delà du monstre, est-ce<br />
que l’issue aurait été différente ?
GAHeLiG 27<br />
N°2– Juillet 2019<br />
Trop tard.<br />
Le Prince ne bougeait presque plus. Même le mouvement de sa respiration devenait<br />
imperceptible et son corps difforme se rigidifiait. Son œil opaque présentait déjà la<br />
fixité de la mort.<br />
Et à présent, au milieu des lamentations des courtisans, on pouvait jurer entendre<br />
les griffes des loups-spectres lacérer les volets.<br />
Le moment était arrivé.<br />
Trahan s’approchait du petit coffre où il gardait sa préparation calmante quand une<br />
main décharnée lui saisit le poignet. Un très vieil homme sortit de l’ombre d’une tenture<br />
où il était parvenu à se faire oublier. D’aussi loin que Trahan se souvenait, il s’était<br />
toujours senti mal à l’aise en sa présence. Le vieux était presque aveugle, mais il le<br />
regardait toujours droit dans les yeux avec son regard flou et il lui donnait l’impression<br />
de voir à travers son crâne, jusqu’à ses pensées.<br />
Son nom était Lââ. Il était le dernier prophète du royaume. Son pouvoir divinatoire<br />
l’avait quitté après sa prophétie concernant le Prince. Dès lors devenu inutile, et<br />
puisqu’il était à l’origine de cette prophétie trompeuse, on lui vouait une rancœur<br />
presque générale. Pourtant, on tolérait sa présence au château comme on l’aurait fait<br />
pour le fantôme d’un grand-oncle encombrant mais inoffensif, avec un frisson dans le<br />
dos et un haussement d’épaules pour chasser la vague d’inconfort.<br />
— J’ai vu ! hurla-t-il aux oreilles de Trahan pour couvrir le vacarme de la tempête qui<br />
semblait avoir redoublé d’un coup.<br />
Le page tenta de se dégager, mais le prophète s’agrippait à lui avec une force<br />
inattendue.<br />
— J’ai vu à nouveau ! insista-t-il en secouant la manche du gamin.<br />
— Tant mieux pour vous, rétorqua Trahan, mais c’est trop tard. Le royaume<br />
s’effondre et nous aurons de la chance si nous mourons sous les décombres avant<br />
que les loups-spectres ne nous dévorent.<br />
— Ce n’est pas la fin ! protesta le prophète.<br />
— Il est mort ! répondit un cri de la reine qui s’écroula sur les draps bordant la<br />
dépouille de son fils.<br />
Trahan se précipita vers le lit. Il constata avec effroi que la chair du Prince s’était<br />
solidifiée en une coque noire et dure. Il la toucha. Elle n’était ni chaude ni froide. Dans<br />
une impulsion, il en essuya la surface avec ses mouchoirs et la couche sombre<br />
s’éclaircit jusqu’à ce qu’il puisse voir au travers. Sous l’enveloppe transparente, il<br />
distingua quelque chose, une forme vivante qui gigotait vigoureusement de ses quatre<br />
petits membres parfaits, roses et potelés.<br />
— C’est un commencement, confirma le prophète.
GAHeLiG 28<br />
N°2– Juillet 2019<br />
TERREUR DANS LA BAIE – FABRICE PITTET<br />
W<br />
undrak se redressa, la main posée sur la hache qui pendait à sa ceinture. Devant<br />
lui, le cadavre d’un homme le fixait de ses yeux exorbités. Son corps avait été<br />
plié, tordu, comprimé par une force colossale, et ses membres adoptaient des<br />
courbures grotesques.<br />
L’Arctien replaça son heaume à cornes sur ses traits burinés. Âgé de seulement vingt<br />
ans, Wundrak portait les stigmates d’une vie entière à batailler contre le froid, le soleil<br />
et les dangers du Nord. Sa barbe blonde retombait sur son gorgerin de cuir, chargée<br />
de pièces de métal, et des peaux de bêtes accentuaient la largeur de ses épaules.<br />
— Par tous les Grands Gelés ! fit une voix éraillée.<br />
Wundrak se tourna vers Ferya. Une femme au regard fier, dont les longs cheveux<br />
noirs ondoyaient sous les bourrasques. Près d’elle se tenait un autre guerrier, coiffé<br />
d’un casque à lunettes. Sa main gauche, tendue devant lui, s’auréolait de flammes<br />
bleues et crépitantes. Morgen, le Ravageur du clan, accumulait sa magie en vue du<br />
danger.<br />
Face au trio s’étendait un effroyable charnier. Une dizaine de dépouilles<br />
transformées en charpie, dont le sang avait aspergé la couche de neige fraîche. Quant<br />
aux cinq chaumières qui, encore hier, servaient d’habitations à ces familles de<br />
pêcheurs, elles avaient été démantelées, réduites en miettes, comme balayées par le<br />
point d’un géant.<br />
Quelques mètres plus loin, le ressac léchait les flancs rocailleux de la côte, projetant<br />
son écume glacée dans le vent. Quelques débris de bois flottaient parmi les vagues,<br />
tels des naufragés s’égayant au petit bonheur la chance. Mais les regards des trois<br />
barbares convergèrent très rapidement vers la minuscule forme humaine, blottie au<br />
milieu d’un écrin de vieux filets de pêche.
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N°2– Juillet 2019<br />
Un enfant mort, sans doute propulsé dans les flots au moment de l’attaque.<br />
— Il faut qu’on la débusque, et vite ! annonça Morgen d’une voix rauque. Sinon, il ne<br />
restera dans la baie que des ruines poissées du sang de nos frères !<br />
Wundrak et Ferya acquiescèrent. La bête avait jailli de l’océan, tué ces pauvres<br />
bougres, pulvérisé leurs masures, avant de replonger aussitôt.<br />
Les trois Arctiens remontèrent la pente et retrouvèrent le gros Toomas, occupé à<br />
inspecter le matériel dont il avait la charge. Sa moustache, blonde et fournie, se<br />
rabattait sur ses lèvres comme les défenses d’un morse.<br />
— Des survivants ? demanda-t-il.<br />
Ferya hocha négativement la tête.<br />
— Ce n’est pas vraiment dans ses habitudes, répondit-elle en palpant le pommeau<br />
de son épée.<br />
Wundrak serra les poings, jusqu’à faire grincer le cuir de ses gants. Depuis qu’ils<br />
avaient quitté leur village fortifié, une semaine plus tôt, les quatre guerriers n’avaient<br />
cessé de traquer cette créature, subissant les macabres mises en scène qu’elle semait<br />
derrière elle. Au total, pas moins de trente membres du clan des Crânes de Fer,<br />
disséminés dans plusieurs bourgades, avaient été tués depuis son apparition.<br />
Le monstre ne suivait aucun itinéraire précis, n’obéissait à aucune stratégie<br />
susceptible d’augurer le lieu de sa prochaine attaque. Il frappait au hasard, déchaînait<br />
sa fureur, puis disparaissait dans les tréfonds obscurs de la baie d’Ourokas.<br />
— Et si on balançait l’appât ? proposa Wundrak.<br />
— Pas ici ! maugréa Ferya. À en juger par l’état des cadavres, la mort remonte à<br />
hier. Rien ne nous dit que cette chose est encore dans le coin. On n’a droit qu’à un<br />
essai, je te rappelle ! (L’expression de la guerrière s’adoucit.) Pardonne-moi, Wun. Je<br />
sais que tu crèves d’envie d’en découdre. Mais cela ne doit pas nous empêcher de<br />
réfléchir.<br />
Wundrak acquiesça sombrement. La rage embrasait ses tripes, tandis que le rire de<br />
son frère résonnait dans sa mémoire. Tendrak… Le pauvre avait été emporté par le<br />
monstre, dix jours plus tôt, alors qu’il chassait le barracuda.<br />
Wundrak avait donc juré, devant toutes les divinités arctiennes, de retrouver la<br />
créature et de mettre un terme à son règne de terreur.<br />
Morgen referma son poing, broyant la boule de lumière bleue qui s’y était formée. Le<br />
sort offensif se désintégra en une multitude de flammèches argentées.<br />
— Gravissons cette éminence, dit-il en désignant un éperon de roche qui surplombait<br />
la mer. On bénéficiera d’une vue dégagée.<br />
Les chasseurs reprirent la route, ployant sous le poids de leurs sacs à dos. Outre<br />
leur armement conventionnel, ils portaient sur leurs épaules de grands harpons aux<br />
pointes barbelées, conçues pour rester fichées dans la chair.<br />
Le soleil se hissait lentement dans un ciel chamarré de nuages, distribuant ses<br />
rayons avec la munificence d’un roi. D’ailleurs, on distinguait déjà quelques végétaux,
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dont les feuilles chétives se tendaient vers lui comme pour mendier sa lumière. De la<br />
roche affleurait de toutes parts, perçant la couche de neige résiduelle, et parfois, on<br />
apercevait des animaux amaigris par l’hibernation, occupés à écumer la côte pour<br />
traquer leurs premières proies de l’année.<br />
Toomas ahanait, tandis que des fumerolles s’effilochaient devant son immense<br />
moustache. Son obésité l’avait toujours desservi lorsqu’il se déplaçait sur de longues<br />
distances, mais c’était un guerrier hors pair, doublé d’un chasseur redoutable.<br />
— Ta femme te nourrit trop bien, Toom, le taquina Morgen.<br />
— Ferme-la, Ravageur. Et avance ! Sinon je m’en vais te masser le fondement à<br />
grands coups de semelles cramponnées !<br />
Ferya esquissa un sourire en jetant un coup d’œil à Morgen. Wundrak savait que<br />
quelque chose se tramait entre ces deux-là. Rien de concret pour le moment, mais il<br />
ne serait pas étonné de voir un jour cette talentueuse combattante s’unir au puissant<br />
magicien.<br />
Ils arrivèrent au sommet du contrefort et s’immobilisèrent, observant un silence<br />
typiquement Arctien. Parfois, la parole ne servait à rien. Parfois, il fallait s’en défaire,<br />
afin de mieux s’arrimer à l’instant présent.<br />
Face à eux, la baie d’Ourokas se déployait dans un panorama à couper le souffle,<br />
digne des plus grands peintres en quête d’inspiration. L’océan se déchaînait, soumis<br />
aux ruades du blizzard, parsemé d’innombrables crêtes blanchâtres. Des icebergs<br />
sillonnaient les flots, exhibant leurs surfaces bombées et irisées, truffées de galeries<br />
et de cavités que des phoques utilisaient pour se protéger des rafales du vent. De<br />
temps à autre, le dos d’une baleine apparaissait, tandis que son évent projetait vers le<br />
ciel sa gerbe d’eau salée. Enfin, sur la droite, une plaque de glace dérivait, emportant<br />
à son bord un puissant mabrak. Insensible aux cahots, l’ours blanc géant dévorait un<br />
manchot fraîchement tué. Du poing, les quatre guerriers se frappèrent la poitrine, en<br />
signe de respect pour l’animal, puisqu’il incarnait force et courage pour tous les<br />
barbares du Pôle.<br />
La nature s’éveillait après le long sommeil hivernal, après une nuit qui avait duré des<br />
semaines entières. Le royaume des fiers Arctiens... Paradis ? Enfer ? Aucune<br />
importance. Ce pays de glace et de roc était le leur.<br />
Et tous donneraient leur vie pour le protéger.<br />
— Vous voyez quelque chose ? s’enquit Toomas.<br />
— Ferya ? demanda Morgen, conscient que la guerrière bénéficiait de la meilleure<br />
acuité visuelle du groupe.<br />
— Rien d’anormal, répondit la concernée.<br />
— À croire que cette bestiole se joue de nous ! éructa Wundrak. Depuis que nous<br />
sommes partis, nous n’avons aperçu d’elle qu’une nageoire, au loin. Tu parles d’une<br />
traque !<br />
— Ce n’était pas elle, assura Toomas. Cette nageoire était beaucoup trop petite.<br />
Aujourd’hui, on a affaire à un démon vomi par les abysses du monde. Le genre de<br />
créature qui donne naissance aux légendes.
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N°2– Juillet 2019<br />
— Attendez un instant ! coupa Ferya, la main en visière. Là !<br />
Elle désigna une silhouette sombre qui se rapprochait en glissant sur la surface<br />
azurée de la mer.<br />
— Un navire ? demanda Wundrak.<br />
— Un navire, confirma l’Arctienne.<br />
— Quel pavillon ?<br />
— Pas un des nôtres, intervint Morgen, maintenant que le bateau se dessinait de<br />
façon plus précise sur le camaïeu de l’océan.<br />
— Des bélénides, souffla Ferya avec une grimace.<br />
— Foutus étrangers ! siffla Wundrak.<br />
— Les bélénides ne sont pas des envahisseurs, temporisa Toomas. Sans doute des<br />
marchands ou des explorateurs.<br />
Wundrak avait rencontré ce peuple une fois seulement, alors qu’il naviguait plus au<br />
sud. Des êtres amphibies, capables d’évoluer aussi bien dans les profondeurs de la<br />
mer que sur la terre ferme. Leurs cités, joyaux d’architecture et d’inventivité,<br />
s’élevaient, disait-on, au milieu d’atolls gigantesques, semées de tours gracieuses et<br />
de dômes recouverts de sculptures et de coquillages.<br />
Toutes voiles dehors, le gréement tendu à l’extrême, le bateau filait avec grâce.<br />
— Il semble pressé… fit remarquer Wundrak.<br />
— Il y a de quoi, dit Ferya, les mâchoires crispées.<br />
Quelque chose suivait les bélénides, fonçant au milieu du triangle pâle tracé par la<br />
carène du navire. Deux grands ailerons de chair, piquetés de bernacles et de patelles,<br />
qui fendaient l’eau, comme si un couple de requins évoluait de conserve.<br />
— Bon sang ! s’écria Ferya. Ça lui fait quoi, quarante mètres ?<br />
— Plus que ça, grogna Toomas, les yeux rivés sur le monstre.<br />
— Impossible ! cracha Wundrak.<br />
Et pourtant si. Toomas avait raison depuis le début. Cette bête défiait la logique et<br />
tous les standards établis par les pêcheurs arctiens, depuis la nuit des temps.<br />
Soudain, le navire fit une embardée, avant de freiner sa course dans une débauche<br />
de mousse salée. Déstabilisés par l’inertie, les marins présents sur le pont<br />
s’effondrèrent parmi les cordages, se relevèrent, gesticulèrent, hurlèrent de terreur.<br />
Dix tentacules s’extirpèrent des flots, larges comme des troncs d’arbres plusieurs fois<br />
centenaires. Ils tournoyèrent un instant au-dessus du bateau.<br />
Puis frappèrent à l’unisson.<br />
— Ils sont foutus, annonça Morgen en se détournant à demi.<br />
Les appendices se saisirent des voiles, s’agrippèrent à la proue et au bastingage,<br />
écrasant au passage quelques marins malchanceux. Dans un claquement sec, les<br />
haubans se rompirent. Les mâts explosèrent, s’effondrèrent, emportant misaine,
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artimon et nouvelles victimes, qui furent éjectés au milieu des remous glacés. Puis la<br />
coque elle-même se fendit dans une averse d’esquilles, de clous et de cadavres<br />
désarticulés.<br />
— En avant ! beugla Wundrak. La bête restera peut-être dans le coin pour festoyer.<br />
On va l’avoir. Par le Froid !<br />
Nimbés de neige cristalline, les chasseurs dévalèrent la pente à vive allure. Lorsqu’ils<br />
atteignirent le rivage, ils s’activèrent et apprêtèrent leur matériel. Ferya relia les cordes<br />
aux harpons, tandis que Wundrak et Morgen s’échinaient à gonfler les panses de<br />
morses en soufflant dedans. Élément clé dans la technique employée, ces flotteurs<br />
badigeonnés de peinture jaune seraient fixés à l’autre extrémité des cordes. Enfin,<br />
c’est à Toomas que revint la lourde responsabilité de préparer l’appât, une masse de<br />
poissons fermentés, enveloppés dans une nasse tressée. Le fumet diffusé était infect,<br />
propre à vider l’estomac des plus endurcis, et l’Arctien manipulait le leurre avec des<br />
morceaux de lichen coincés dans les narines.<br />
Sur le lieu du naufrage, on distinguait des débris errer parmi des tonneaux éventrés.<br />
Les voiles formaient des plaques blanches qui dérivaient sur l’eau comme la peau d’un<br />
lait posé sur le feu. Quelques hommes s’accrochaient désespérément à des planches.<br />
Mais ces pauvres hères disparaissaient les uns après les autres, happés vers les<br />
ténèbres de la baie où ils finiraient dans l’effroyable gueule du monstre.<br />
— Prêts ? hurla Toomas.<br />
Ses amis hochèrent la tête pour marquer leur assentiment. Le guerrier moustachu<br />
empoigna l’appât en grimaçant, le souleva et s’avança dans le ressac. Lorsqu’il jugea<br />
les distances acceptables, il tournoya sur lui-même afin de conférer à son lancer l’élan<br />
nécessaire. La boule de poissons effectua une impressionnante parabole avant de<br />
retomber dans les flots, où elle se mit aussitôt à flotter parmi les vagues.<br />
Le leurre était relié à un câble de crin déroulé sur la berge. Lorsque Toomas revint,<br />
trempé jusqu’aux fesses, il le saisit. De leur côté, Ferya et Wundrak brandissaient leurs<br />
harpons et se tenaient prêts. Quant à Morgen, il invoquait déjà une sphère lumineuse<br />
dans sa paume tendue.<br />
Toomas donnait des à-coups, tirait sur la corde puis laissait le courant emporter<br />
l’appât. De cette manière, le poisson fermenté diffusait son odeur parmi les eaux de la<br />
baie. La technique était ancestrale et s’était améliorée au fil des décennies. Elle avait<br />
fait ses preuves, à maintes reprises. La bête serait attirée par ses effluves, comme une<br />
mouche par un morceau de viande avariée.<br />
— Tenez-vous prêts ! claironna Toomas. Visez entre les yeux ! Sinon, concentrezvous<br />
sur la tête. On va le fatiguer un peu, le mollusque !<br />
Au loin, là où le navire avait sombré, on ne percevait plus aucune activité.<br />
C’est alors que les deux ailerons verdâtres apparurent, fonçant droit sur les<br />
chasseurs en lardant la surface de balafres blanches.<br />
Wundrak avala sa salive. Son cœur battait à tout rompre, frappait contre sa cage<br />
thoracique. La peur s’immisçait en lui, mais il l’accueillit avec un radieux sourire.<br />
Il se sentait vivant, plus que jamais.
GAHeLiG 33<br />
N°2– Juillet 2019<br />
C’est dans ce genre de situation qu’un combattant grandissait, devenait quelqu’un.<br />
Le courage et la force d’un Arctien se mesuraient à l’aune de ses actes. C’est ce qui<br />
le définissait.<br />
Soudain, une silhouette surgit de l’océan, à un jet de pierre du rivage.<br />
— Merde ! rugit Morgen, qui avait failli lâcher sa boule magique.<br />
Une armure de cuir clouté recouverte d’enluminures, une peau légèrement bleutée,<br />
des oreilles fines, des yeux en amandes, un visage gracieux et des cheveux sombres<br />
aux reflets verts... Aucun doute, il s’agissait d’un bélénide. Le marin courait vers les<br />
Arctiens, les traits décomposés par la terreur.<br />
— Tirez-vous de là ! s’égosilla-t-il dans un langage commun au fort accent.<br />
— Pas question, mon mignon ! lui lança Wundrak en bombant le torse. On est des<br />
Arctiens et on ne recule jamais !<br />
Au même moment, derrière le bélénide, dans une déferlante glacée, la bête apparut.<br />
Et tous reculèrent, y compris Wundrak.<br />
Toomas hala l’appât, afin d’attirer le monstre directement sur le rivage. Du moins<br />
était-ce son intention première, car une force colossale lui arracha la corde des mains<br />
et le leurre se volatilisa parmi les tourbillons d’écume. De son côté, le naufragé passa<br />
en trombe au milieu des barbares.<br />
Le calamar mesurait peut-être soixante mètres, en comptant ses multiples<br />
appendices. Difficile à évaluer, puisque son arrière-train, coiffé des deux ailerons,<br />
disparaissait dans les flots. Une masse de force pure, de bestialité consommée,<br />
capable de réduire un mammouth en un tas de pulpe sanglante. Deux yeux circulaires,<br />
aussi larges qu’une lance, lorgnaient les Arctiens. Un regard froid, où n’affleurait tout<br />
au plus qu’une vague avidité pour ses proies.<br />
Les tentacules ressemblaient à un enchevêtrement de serpents géants en pleine<br />
orgie, tandis que la créature s’ébrouait, soulevant de hautes vagues qui venaient se<br />
fracasser sur la plage de rocailles. Puis, dans une incroyable démonstration de<br />
violence, les dix bras s’écartèrent, projetant des trombes de fluide salé sur les<br />
chasseurs. Au milieu de ce bouillonnement de chair molle apparut un bec noir et<br />
dentelé. Une béance de cauchemar, une porte ouverte sur le royaume de la mort.<br />
Morgen fut le premier à réagir. Il libéra son projectile magique en le lançant comme<br />
une pierre. La sphère lumineuse rencontra la peau verdâtre de la chose, quelque part<br />
sur son flanc, et s’y enfonça. Un instant plus tard, elle explosa, expulsant une pluie de<br />
miettes filandreuses. Si le monstre en éprouva une quelconque douleur, il n’en montra<br />
rien. Il se hissa même un peu plus sur le rivage, ses tentacules s’accrochant aux<br />
rochers qui émaillaient la zone.<br />
Ferya et Wundrak lancèrent leurs harpons en même temps. Reliées à des cordes<br />
elles-mêmes raccordées aux panses de morses gonflées, les armes filèrent sans un<br />
bruit et se fichèrent dans les tempes de la bête.<br />
— Merde ! cracha Ferya qui avait manqué le point faible de la chose, situé entre ses<br />
yeux.
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N°2– Juillet 2019<br />
— C’est pas le moment de flancher, sœurette ! hurla Wundrak en se munissant d’un<br />
autre harpon.<br />
D’un mouvement latéral, l’un des tentacules balaya Morgen, qui venait de décocher<br />
une lance de lumière bleue sur leur ennemi. Sonné, le souffle coupé, le Ravageur<br />
effectua un vol plané avant de s’effondrer dans la neige, une dizaine de mètres plus<br />
loin. Toomas avait abandonné la corde de son appât. Il empoigna la lourde hache qui<br />
pendait dans son dos et l’abattit sur l’un des appendices. La lame pénétra la chair et y<br />
laissa une large entaille, mais le membre, bien trop épais, résista.<br />
Qu’à cela ne tienne, la créature sembla pour un temps se concentrer sur l’Arctien<br />
pansu. Une aubaine pour Wundrak et Ferya, qui en profitèrent pour décocher quatre<br />
autres projectiles.<br />
Cette fois, le monstre témoigna sa douleur en poussant un étrange barrissement. Il<br />
recula, ses tentacules fouettant l’air iodé, et disparut dans les ondes ténébreuses de<br />
la baie.<br />
Les cordes fixées aux harpons se déroulèrent, à mesure que la chose s’enfuyait.<br />
Enfin, les flotteurs furent eux aussi entraînés à la suite des liens.<br />
— Rien de cassé ? questionna Toomas en se relevant.<br />
— À part une quinzaine de côtes, non ! grimaça Morgen, une main plaquée contre<br />
son flanc.<br />
Au loin, six ballons jaunes filaient à vive allure, emportés par la nage du calamar. De<br />
la taille d’une grande malle à vêtements, ces flotteurs fatigueraient la bête et<br />
l’empêcheraient de plonger trop profondément dans les eaux tumultueuses de la baie.<br />
De plus, les Arctiens pourraient visualiser sa position et ses déplacements.<br />
— Je m’appelle Shorgeen, fit une voix.<br />
Les chasseurs en étaient venus à oublier le bélénide. Ce dernier se tenait non loin,<br />
livide, des cernes sombres soulignant ses yeux emplis de chagrin.<br />
— Tu es le seul survivant ? questionna Ferya en étudiant l’homme de la tête aux<br />
pieds.<br />
— Je ne sais pas... Je pense que… Oui, je suis le seul.<br />
— Désolé, petit, lui lança Toomas. Foutue journée, hein ?<br />
Les épaules du naufragé s’affaissèrent. Ses doigts étaient refermés sur le manche<br />
d’une épée, et Wundrak nota que ses phalanges blanchissaient.<br />
— Guerrier ? demanda-t-il.<br />
— C’est ce que je croyais, tout du moins.<br />
— Tu n’as pas à t’en vouloir, tempéra Toomas en lui posant une main potelée sur le<br />
bras. Cette chose n’a rien d’un ennemi conventionnel.<br />
— Qu’est-ce que vous fichiez dans le coin ? s’enquit Ferya.<br />
— Mission de cartographie, pour le compte du souverain d’Opalis, la Cité de Nacre.<br />
Je fais… faisais partie d’une section militaire, assignée à la protection de l’équipage.
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N°2– Juillet 2019<br />
— Tout un programme, persifla Wundrak, qui avait toujours vu d’un très mauvais œil<br />
les étrangers.<br />
— Cet animal nous est tombé dessus alors que nous allions accoster à l’embouchure<br />
de la baie, expliqua le bélénide. Elle nous a pris en chasse. Nous n’avons rien pu faire.<br />
Tous mes frères d’armes, tous les matelots…<br />
— Si j’étais toi, je commencerais à chercher du bois pour faire un feu, renchérit<br />
Wundrak. Tu risques d’attendre longtemps avant qu’on vienne te récupérer. (Il se<br />
tourna vers les autres.) Alors, on fait quoi ?<br />
L’Arctien éprouvait une colère sourde. La colère d’avoir manqué sa vengeance. La<br />
colère de ne pas avoir été à la hauteur.<br />
De l’index, Toomas désigna les points jaunes qui dansaient parmi les vagues.<br />
— La bête ne peut plus plonger, à cause des ballasts qu’on lui a fourrés dans le lard.<br />
Elle perd du sang, et elle s’épuise. Avec un peu de chance, elle finira par crever dans<br />
la baie.<br />
— Alors, suivons-le pour nous en assurer ! dit Ferya. Tu viens, Morgen ?<br />
L’intéressé sourit et emboîta le pas à la guerrière. Toomas considéra le bélénide<br />
avec une grimace contrite.<br />
— Courage, fiston. Courage...<br />
— Je viens avec vous.<br />
— Par la barbe de Thaurathos ! grogna Wundrak. Pas question !<br />
— Et pourquoi donc ?<br />
— Tu n’es pas l’un des nôtres, freluquet ! Les Arctiens ne chassent qu’avec des<br />
Arctiens, selon nos coutumes.<br />
— Va te faire voir avec tes coutumes ! répondit Shorgeen en lui décochant un regard<br />
courroucé. J’ai perdu tous mes amis, sur ce navire ! Et si tu tentes de m’arrêter, par la<br />
Mer, je jure de loger ma rapière dans tes tripes de brute épaisse !<br />
Sans un mot de plus, l’Opalien suivit Morgen et Ferya, bousculant au passage un<br />
Wundrak excédé.<br />
— Rappelle-moi de lui briser la nuque, quand tout ça sera fini, glissa ce dernier à<br />
Toomas.<br />
— Il est aussi têtu que toi, mon ami. Voilà tout.<br />
— C’est ma vengeance, Toom. La mienne. Tu m’entends ?<br />
— Je t’entends.<br />
Ils se déplacèrent durant des heures, sur un rythme qui tenait plus de la course que<br />
de la marche. Le calamar longeait la côte, traînant dans son sillage les panses<br />
flottantes. Même s’il progressait moins vite qu’avant, l’animal ne flanchait pas pour<br />
autant. Pire, sous les yeux interdits des six guerriers, il attaqua un narval et le mit en<br />
pièces dans une terrible effusion de sang et d’eau mélangée.<br />
— Cette saloperie tue pour le plaisir, déclara Morgen.
GAHeLiG 36<br />
N°2– Juillet 2019<br />
— Non, dit Shorgeen. Je connais cette espèce. Du moins ses petits représentants.<br />
Ces créatures emmènent leurs proies dans des tanières sous-marines pour se<br />
constituer des réserves de nourriture. Elles préfèrent la chair en décomposition. Et<br />
vous avez remarqué les cicatrices sur son dos ?<br />
— Bien entendu ! J’ai eu le temps de l’ausculter sous toutes les coutures, pendant<br />
qu’elle me massait avec ses tentacules ! ironisa Wundrak.<br />
— Des cicatrices ? s’enquit Ferya.<br />
— Oui, affirma le bélénide. Des morsures de requins. Je pense que ce monstre a été<br />
chassé de son territoire originel. Trop gros, trop gourmand… Les prédateurs ont donc<br />
tenté de l’évincer.<br />
— Et il est venu se réfugier ici, dans la baie, déduisit Morgen.<br />
— Exact.<br />
Wundrak s’apprêtait à user une fois encore de sarcasme, mais il se retint. Il était bien<br />
forcé d’admettre que le jeune guerrier en savait plus que lui sur les mystères des<br />
profondeurs de la mer.<br />
Le soleil avait amorcé sa descente en direction des montagnes, dont les crêtes se<br />
dessinaient dans le lointain. Ils étaient tous éreintés, à bout de nerfs. De son côté, le<br />
calamar poursuivait sa nage aléatoire, obligeant les chasseurs à courir, à ralentir, à<br />
revenir sur leurs pas.<br />
Enfin, Toomas jeta son paquetage au sol.<br />
— Ça ne sert à rien ! L’endurance de ce fumier nous tourne en bourrique ! Nous<br />
n’avions droit qu’à un seul essai et nous avons échoué !<br />
— Un seul essai ? s’enquit Shorgeen.<br />
Ferya acquiesça, plaçant une mèche de cheveux noirs derrière son oreille.<br />
— Nous ne disposions que d’un unique appât. Et donc, impossible de l’attirer sur la<br />
plage pour finir le travail.<br />
— Merde ! jura Wundrak.<br />
Toomas s’approcha de lui.<br />
— On va retourner au village, Wun. On s’équipera mieux. On prendra quelques gars<br />
en plus. On se reposera et…<br />
— Je ne tiens pas à me reposer ! Je veux tuer cette chose ! Maintenant ! Il y a des<br />
centaines de membres de notre clan qui vivent en bord de mer. Il y a déjà eu trop de<br />
morts !<br />
— Oui, mais on ne…<br />
— Je vais l’attirer, déclara soudain Shorgeen.<br />
Tous les chasseurs se tournèrent vers lui.<br />
— Comment ça ? demanda Ferya, ses yeux réduits à deux fentes.
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N°2– Juillet 2019<br />
— Je vais servir d’appât.<br />
— C’est du suicide, ronchonna Wundrak.<br />
— Admettons que tu arrives à l’attirer jusqu’à nous, dit Toomas. Et après ? Notre<br />
première tentative n’a pas été très concluante et il ne nous reste que trois harpons…<br />
— Et nos épées, précisa Ferya.<br />
— Et encore un peu de magie, ajouta Morgen, tandis que des étincelles bleues<br />
dansaient sur son index.<br />
Wundrak observa les alentours.<br />
— Ici ! fit-il en pointant la main vers l’ouest.<br />
Il y avait là un grand talus, recouvert de glace et de neige.<br />
— C’est l’endroit parfait pour lui tendre une embuscade. Toomas et Morgen, vous y<br />
prendrez place pour décocher vos projectiles. Ferya et moi, on l’attendra en bas.<br />
Les yeux des Arctiens s’embrasèrent d’une lueur froide.<br />
Shorgeen s’avança vers les flots. Il s’était débarrassé de son baudrier de cuir, de sa<br />
ceinture, de son arme. De tout ce qui était superflu. Wundrak lui saisit le bras.<br />
— Fais gaffe à toi, freluquet !<br />
Le bélénide lui renvoya un regard difficile à déchiffrer. Puis il hocha la tête, esquissant<br />
un faible rictus. Il plongea et disparut sous les vagues.<br />
Tous se tenaient prêts. Ferya faisait danser son épée devant elle pour se dégourdir<br />
les poignets. Elle était belle, à sa façon. Une vraie dame des batailles, de celles qui<br />
ensemencent l’esprit des bardes. Sur le promontoire, Toomas priait les Grands Gelés,<br />
un poing sur le cœur. Quant à Morgen, il affichait une mine détendue, fendue d’un<br />
large sourire. On aurait dit un gamin sur le point d’être récompensé par des cadeaux.<br />
Wundrak reporta son attention sur l’océan. Les flotteurs tourbillonnaient au gré des<br />
déplacements erratiques de la bête. Puis tout à coup, ils s’immobilisèrent. Et foncèrent<br />
vers la berge, bondissant de vague en vague.<br />
— Le petit l’a ferré ! jubila Toomas. Il l’a fait, ce cinglé !<br />
— Oh, Tendrak, mon frère ! murmura Wundrak. Que cet instant soit le tien, toi qui<br />
m’observes depuis les Passerelles Célestes…<br />
Soudain, Shorgeen s’extirpa des flots dans un geyser d’écume. Il se précipita vers<br />
Ferya qui lui tendit sa rapière. Le bélénide la saisit et pirouetta, prêt à se battre.<br />
Wundrak fut impressionné par sa rapidité et la fluidité de ses mouvements.<br />
— Il arrive, annonça l’Opalien. Et il n’est pas très content.<br />
— Alors, par tous les Grands Gelés, donnons-lui de quoi de se réjouir ! beugla<br />
Morgen en invoquant un nuage scintillant devant lui, fait de gouttelettes de givres en<br />
suspension.
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N°2– Juillet 2019<br />
Ce fut comme si l’océan tout entier avait décidé de frapper les Arctiens. Une vague<br />
gigantesque déferla sur la plage, une masse froide, mouchetée de débris de glace<br />
turquoise, qui retomba sur les combattants pour les paralyser. Au milieu de cet enfer<br />
liquide, le calamar se propulsa sur le rivage dans un gargouillement terrifiant. Autour<br />
de lui dansaient cordages et flotteurs, rattachés aux différentes hampes qui saillaient<br />
de son corps.<br />
Aussitôt, deux tentacules foncèrent sur Wundrak. Celui-ci roula au sol, tandis que les<br />
appendices se refermaient sur l’espace qu’il venait de quitter. Il se releva vivement et<br />
frappa comme un damné avec sa hache de bataille, ouvrant des plaies affreuses dans<br />
la chair molle.<br />
Depuis son perchoir, Toomas projeta un harpon, puis un second. Leurs pointes<br />
barbelées s’enfoncèrent dans la tête de la chose, dispersant des giclures sombres,<br />
semblables à du naphte. Enfin, le gros Arctien empoigna son dernier projectile, le<br />
soupesa, tendit le bras gauche pour équilibrer son corps et guider la trajectoire de son<br />
lancer.<br />
Il attendait le moment propice, la fenêtre idéale dans le bouclier de muscles offert par<br />
les tentacules de la bête.<br />
De son côté, Ferya s’était mise à danser au milieu des appendices, ferraillant avec<br />
toute la hargne qui la caractérisait : son épée filait, frappait, se rétractait, frappait<br />
encore. Bientôt, elle fut couverte d’une lymphe infecte, vomie par les dizaines<br />
d’estafilades qu’elle avait tracées dans le cuir de la chose.<br />
À ses côtés, le jeune bélénide déployait toute sa virtuosité de bretteur. Il bondissait,<br />
virevoltait, esquivait et attaquait si vite que sa rapière en était réduite à une nuée floue<br />
de métal acéré. Il abattait sa lame avec une sauvagerie consommée, lui qui avait perdu<br />
l’entièreté de son équipage.<br />
Morgen avait lancé son nuage magique. Les cristaux de glaces qui le constituaient,<br />
tournoyant à vive allure, lardèrent l’épiderme du calamar. L’animal rétracta aussitôt un<br />
tentacule blessé, arrosant son entourage d’humeur visqueuse.<br />
Tandis que Wundrak repoussait les ventouses avec sa grande hache, il éprouva une<br />
fierté énorme et grisante. Il était là, sur cette maudite plage, bataillant aux côtés de ses<br />
amis les plus chers. Ses frères de guerre, pour lesquels il donnerait sa vie, sans la<br />
moindre hésitation. Quatre valeureux barbares du Pôle qui, par leur acte désespéré,<br />
couvriraient de gloire leurs illustres aïeux.<br />
Ils incarnaient toute la fureur de l’Arctique. Ils étaient des héros. Maintenant, et peutêtre<br />
pour l’éternité, si d’aventure leur histoire parvenait aux oreilles des poètes.<br />
Sans vraiment s’en rendre compte, Wundrak se mit à rire à gorge déployée, tandis<br />
qu’il progressait vers la tête de la bête à grands coups de hache ensanglantée. Car<br />
c’est là, derrière cette forêt mouvante d’appendices, que se trouvait le point faible du<br />
calamar.<br />
Entre ses deux yeux.<br />
L’air fut brusquement chassé de ses poumons, tandis qu’une pression énorme<br />
écrasait sa poitrine. Wundrak grimaça, ses côtes mises au supplice. Seul son bras<br />
gauche était libre. Sa hache retomba sur le sol, dans une auréole de neige. Désormais,
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N°2– Juillet 2019<br />
il lévitait au-dessus de ses amis. Il sentait les ventouses palper son armure, chercher<br />
ses failles pour atteindre sa chair et lui aspirer la moelle des os. Sa vision se parait de<br />
phosphènes, se brouillait. Les sons lui parvenaient étouffés, de plus en plus lointains.<br />
Dans quelques instants, le fracas de la bataille céderait sa place au silence le plus<br />
absolu.<br />
Puis soudain, il fut comme heurté par le poing d’ogre. Un goût salé et frais envahit<br />
sa bouche. Il reconnut la saveur métallique du sang, identifia la texture de la glace. Il<br />
gisait sur le rivage, le visage enfoncé dans la neige. Libre. Il battit des paupières,<br />
s’agenouilla, vomit. Les vertiges se dissipèrent. Au-dessus de lui se tenait Shorgeen,<br />
lui hurlant des paroles qu’il ne comprenait pas. Non loin, une longue masse de chair<br />
frétillait encore, sectionnée à coups d’épée.<br />
Ce foutu bélénide l’avait sauvé !<br />
Wundrak tendit la main, empoigna le manche si réconfortant de sa hache. Il se leva<br />
en grognant.<br />
— Remue-toi, l’Arctien ! brama Shorgeen. Va cueillir ta vengeance !<br />
— Pas la peine de gueuler comme ça, freluquet ! Je t’entends !<br />
Wundrak nota que Ferya avait elle aussi été saisie par le monstre. Peu à peu, elle<br />
était entraînée vers l’effroyable bec enduit de bave.<br />
Sur son promontoire, Morgen était livide. Épuisé par ses sortilèges, plusieurs côtes<br />
en miettes, il était sur le point de s’effondrer. Mais ses yeux avaient gardé leur éclat<br />
de ténacité. Les deux bras levés, il invoquait dans les airs un ruban argenté, comme<br />
si des millions de gouttes de plomb avaient été rassemblées. Puis, dans un cri rauque,<br />
le Ravageur projeta la concrétion magique sur la base de l’appendice qui emprisonnait<br />
Ferya. La zone touchée changea de couleur, se couvrit de cristaux de givre.<br />
Puis la chair gelée vola en éclats, dans une pluie de cristaux grisâtres. Ferya retomba<br />
lourdement sur la berge.<br />
Toomas lança enfin son dernier harpon. Il se ficha dans le crâne de l’animal, juste<br />
derrière ses globes oculaires. Le calamar fut parcouru d’un grand frisson, et un instant,<br />
tous ses membres s’immobilisèrent.<br />
Mais cette lueur de victoire se dissipa très vite.<br />
La bête repartit à l’attaque, malgré ses nombreuses blessures.<br />
— La couche de muscles est trop épaisse ! vociféra le gros Toomas. Mon harpon n’a<br />
pas atteint le cerveau !<br />
Wundrak chargea, sa hache voltigeant devant lui. À sa droite progressait sa sœur de<br />
guerre, Ferya. À sa gauche tournoyait l’étrange bélénide, emporté par le sifflement de<br />
sa rapière.<br />
Wundrak avança, pas à pas, consumé par la rage, taillant son chemin comme un<br />
éclaireur dans une sylve fournie. L’image de son frère s’imposait dans son esprit, en<br />
toile de fond, et lui donnait la force dont il avait besoin.<br />
Il hurla, sourd à la douleur de ses muscles durement sollicités.
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N°2– Juillet 2019<br />
Ils allaient tous mourir.<br />
Ils ne pourraient jamais traverser cet ouragan de violence issu des entrailles du<br />
monde.<br />
— J’ai une idée ! brama Toomas. Sois prêt, Wun ! Tu n’auras droit qu’à un essai !<br />
Wundrak ne comprit pas à quoi faisait allusion son ami. Toomas avait enlevé son<br />
casque, et il le tenait plaqué contre son ventre immense, l’ouverture dirigée vers<br />
l’extérieur. Puis il prit son élan et sauta depuis l’élévation. De toute évidence, il avait<br />
visé la hampe du harpon.<br />
Celui qu’il avait logé dans la tête de la bête, quelques instants plus tôt.<br />
Son heaume s’y imbriqua avec un tintement cristallin. Puis la masse de Toomas fit<br />
le reste. Emporté par la gravité, il retomba lourdement sur l’embout de bois, tel un<br />
marteau sur un clou, son casque de métal protégeant son torse et lui évitant de<br />
s’empaler. Dans un craquement sec, le harpon s’enfonça dans la chair robuste du<br />
monstre. La pointe d’acier fouilla les nerfs, trancha peut-être quelque organe<br />
d’importance.<br />
Cette fois encore, le calamar se figea, ses tentacules comme paralysés.<br />
Wundrak n’attendit pas. Il se rua vers la tête de l’animal, louvoyant entre les<br />
appendices. Lorsqu’il retrouva devant l’immense bec, il bondit, y prit appui, se hissa<br />
sur une protubérance gonflée.<br />
Et s’immobilisa entre les deux yeux de la bête.<br />
Cette dernière semblait le toiser. Un regard impassible, distant, dénué de toute<br />
émotion. Ce face-à-face ne dura qu’un battement de cœur, mais Wundrak le savoura<br />
comme une sucrerie.<br />
Il leva sa hache bien haut.<br />
— Pour toi, mon frère.<br />
La lame s’abattit avec une force terrible.<br />
Un sifflement tonitruant. Quelques mouvements ondulatoires d’un gros tentacule.<br />
Puis le silence. La joie.<br />
La victoire.<br />
— Tu t’es bien débrouillé, mon gars.<br />
Face à Wundrak, Shorgeen s’inclina.<br />
— Toi aussi, Wun.<br />
— Il n’y a que mes amis qui osent m’appeler comme ça.<br />
— Alors désolé, si j’ose. (Un rictus en coin se dessina sur le visage bleuté du<br />
bélénide.) Ce fut un honneur de me battre avec vous.<br />
Wundrak acquiesça.
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N°2– Juillet 2019<br />
Autour d’eux, la tribu des Crânes de Fer fêtait la victoire. Tout le village était en liesse.<br />
On levait des pintes d’hydromel, on les entrechoquait, on riait, on chantait. Les plus<br />
sobres s’adonnaient à des danses qui, la plupart du temps, se soldaient par des chutes<br />
dans l’hilarité générale. Plus loin, de grands quartiers de chair de calamar grillaient sur<br />
des broches. En Arctique, rien n’était perdu. Et surtout pas de la nourriture.<br />
— Peut-être qu’un jour, on se reverra, glissa Shorgeen. Parfois, on engage des<br />
mercenaires, à Opalis. On aurait bien besoin de gars comme toi.<br />
Wundrak parcourut les alentours d’un regard rapide.<br />
À l’une des tables, Ferya luttait au bras de fer, face à un solide guerrier du clan. Après<br />
quelques injures bien placées, elle lui tordit le poignet et gagna la manche, sous les<br />
applaudissements des spectateurs. À ses côtés, Morgen assistait au duel en souriant.<br />
Quant à Toomas, il plastronnait devant un attroupement de femmes et rapportait<br />
l’affrontement avec des gestes amples. Entre chaque phrase, il enfournait de grandes<br />
bouchées de calamar en sauce.<br />
— C’est ma famille, petit. C’est ma patrie. Tu m’excuseras de décliner ton offre.<br />
— Je comprends. Quel combat !<br />
— Tu l’as dit ! Une horreur de moins dans les océans !<br />
— Pas une horreur, non. Juste un animal rejeté par la nature dont il est issu, et qui a<br />
fait les frais de son gigantisme anormal. Je n’éprouve aucune haine à son égard.<br />
— Tu es vraiment quelqu’un d’étrange, Opalien.<br />
— Je te retourne le compliment, espèce de morse ! (Shorgeen attendit un moment,<br />
hésitant.) Ton frère est fier de toi, j’en suis certain.<br />
— Bien entendu qu’il est fier de moi ! grogna l’Arctien avec un air faussement excédé.<br />
(Il reprit son sérieux.) Toi aussi, tu as rendu hommage à ton équipage. On n’y serait<br />
jamais arrivé, sans toi.<br />
— Tu m’as dit qu’un bateau, en partance pour le continent, larguait bientôt les<br />
amarres ?<br />
— À Port-Kembish, oui.<br />
— Alors je ferais mieux de me dépêcher.<br />
Wundrak acquiesça, auscultant le bout de ses bottes. Puis il releva la tête, tandis<br />
que le bélénide s’éloignait déjà.<br />
— Attends, freluquet ! Ce navire ne partira pas avant deux jours. Tu peux rester ici.<br />
Et prendre une bonne cuite avec moi.<br />
— Fais attention, je suis un puits sans fond.<br />
— Nous verrons ça, Opalien ! Nous verrons ça !
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N°2– Juillet 2019<br />
MADA - LUCIEN VUILLE<br />
L<br />
a Grande Famine décimait le pauvre peuple irlandais depuis de longues années<br />
lorsque Luaine McCarmick disparut. Il avait promis à son épouse qu’il trouverait de<br />
quoi les nourrir, eux et leurs deux jolies petites filles, et il s’en était allé dans la nuit, en<br />
direction de la colline. Elle lui avait demandé de ne pas le faire, que c’était trop<br />
dangereux. Une semaine après son départ, Mada McCarmick avait compris que son<br />
mari ne reviendrait plus. Sa tentative avait mal tourné et désormais, Mada se retrouvait<br />
seule, sans le sou, le ventre creux et les petites n’avaient plus de père.<br />
En 1849, une épidémie avait ravagé les cultures de pommes de terre de toute<br />
l’Irlande. Depuis, la population mourrait de faim et personne ne lui venait en aide. La<br />
Reine de Grande-Bretagne, assise sur les plus grandes réserves de nourriture du<br />
monde, regardait le peuple voisin agoniser sans lever le petit doigt pour le sauver.<br />
Si cela leur avait été possible, la famille McCarmick aurait fait comme tant d’autres<br />
Irlandais et se serait enfuie, loin de la Grande Famine, l’An Drochshaol, « la mauvaise<br />
vie » dans la langue locale. Les McCarmick seraient montés à bord d’un de ces<br />
nombreux bateaux en partance pour le Nouveau-Monde, pareillement à ces milliers<br />
d’autres Irlandais affamés. Mais désormais, il était trop tard. Mada devait survivre et<br />
faire manger ses fillettes, dans les plaines du Donnegal ravagées par la faim.<br />
Elle avait troqué tout ce qui lui restait contre un peu de pain dur. Ensuite, elle avait<br />
tenté de mendier quelque pitance auprès des villageois. Mais tous les voisins restants<br />
souffraient eux aussi de la pénurie de nourriture.<br />
Depuis le début de l’année, la moitié des adultes du village dans lequel vivaient les<br />
McCarmick avaient quitté les lieux. Soit ils étaient morts de faim, soit ils s’étaient exilés.<br />
Quant aux enfants… Mada préférait éviter d’y songer. Ses deux petites filles aux longs
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N°2– Juillet 2019<br />
cheveux roux et aux yeux bleus étaient les derniers enfants du village. Les autres<br />
n’étaient pas morts de faim, comme tant de leurs parents.<br />
Ils avaient disparu.<br />
Selon les dires de nombreux témoins, plusieurs d’entre eux avaient été aperçus pour<br />
la dernière fois alors qu’ils jouaient hors du hameau, à proximité de la colline. Celle-là<br />
même sur laquelle se dressait la demeure de la vieille Beira. C’était une veuve, qu’on<br />
disait centenaire, revêche et acariâtre, vivant entourée de ses chats et ne quittant sous<br />
aucun prétexte son lugubre manoir séculaire.<br />
Il n’y avait guère qu’elle, dans toute la région, qui mangeait à sa faim. Mais jamais<br />
Mada McCarmick n’aurait osé aller mendier auprès d'elle.<br />
De sombres rumeurs circulaient depuis longtemps sur cette veuve. Certains<br />
prétendaient qu'elle était une sorcière qui avait pactisé avec le diable pour vivre<br />
éternellement, d'autres qu'elle se repaissait de la chair des enfants pour se régénérer.<br />
Lorsque les filles de Mada lui demandaient si la vieille aux chats était une sorcière,<br />
leur mère leur répondait que la veuve Beira "était vieille, très vieille, voilà tout." Mada<br />
tentait de les rassurer alors qu'elle craignait elle-même par-dessus tout la sorcière de<br />
la colline.<br />
Chaque jour qui passait était une véritable torture pour ces corps soumis à la faim.<br />
Mada tentait de nourrir ses enfants en confectionnant du pain de fougère, en chassant<br />
les corbeaux. Mais cette filandreuse pitance n’apaisait pas les pauvres estomacs<br />
meurtris. La nuit, Mada se couchait entourée de ses deux filles dans l'unique paillasse<br />
de leur cabane soumise aux quatre vents. La mère était souvent tirée de son sommeil,<br />
réveillée par le grondement sourd des ventres vides.<br />
***<br />
Mada McCarmick n'était pas une voleuse. Mais elle ne pouvait pas se résoudre à<br />
laisser ses petites filles mourir de faim sans agir. Un soir, alors que la faim les torturait<br />
toutes trois plus que jamais, elle quitta leur frêle domicile et pris le chemin de la colline,<br />
gravissant celle-ci en direction de la demeure de la vieille Beira. Cette nuit-là, un vent<br />
d'Atlantique s'engouffra dans la plaine du Donnegal pour murmurer un dernier<br />
avertissement aux oreilles de la famélique mère de famille. De terribles nuages<br />
s’amoncelèrent au-dessus du hameau et des coups de tonnerre fracassants<br />
rythmèrent la marche décidée de Mada McCarmick.<br />
Arrivée devant le manoir, les vêtements trempés par la pluie, Mada contempla avec<br />
dégoût la demeure, sinistre et inhospitalière. La femme apeurée refusa de céder à la<br />
terreur qui résonnait en elle. "Si Beira ne veut pas partager, je lui volerai de quoi nourrir<br />
mes petites", avait-elle décidé. Mada contourna le bâtiment et s'approcha d'une fenêtre<br />
du rez-de-chaussée. Aussi discrètement que possible, la femme brisa une vitre, ouvrit<br />
la fenêtre et pénétra par effraction dans le manoir de la colline.<br />
Mada McCarmick était entrée dans la cuisine de la vieille Beira. Elle fit quelques pas<br />
sur le plancher grinçant. L’obscurité était totale, le silence uniquement brisé par l’orage<br />
au-dehors. Rapidement, Mada comprit toutefois qu’elle n’était pas seule dans cette<br />
pièce : d'inquiétantes paires d’yeux jaunes apparurent et la scrutèrent fixement. Les
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regards perçants des chats de Beira s’étaient plantés sur la cambrioleuse.<br />
« Doucement, les minets, ne vous affolez pas, tout doux », murmura Mada, inquiète<br />
que les félins ne trahissent son intrusion.<br />
Elle constata que les chats s’approchaient d’elle, car les paires de pupilles dorées<br />
qui se découpaient dans la pénombre étaient de plus en plus près. Mada ne pouvait<br />
savoir combien de bêtes se trouvaient devant elle. Des grognements commencèrent<br />
à se faire entendre, ténus, vagissants.<br />
***<br />
Soudain, une voix s’éleva dans le dos de Mada. Un frisson parcourut son échine :<br />
elle connaissait trop bien celle qui venait de parler. « Maman, on a peur, reviens vers<br />
nous ». Mada McCarmick entendait sa fille aînée l’appeler. Elle se retourna, franchit<br />
les quelques mètres qui la séparaient de la fenêtre ouverte qu’elle venait de fracturer.<br />
Dehors, pieds nus dans l’herbe sombre agitée par les vents, épouvantées, se<br />
trouvaient ses deux fillettes. Elles avaient furtivement suivi leur mère, craignant de la<br />
voir s’éclipser pendant la nuit et disparaître pour toujours, comme l’avait fait leur père<br />
avant elle. Mada voulait leur dire de repartir d’où elles venaient, mais craignait que les<br />
petites s’égarent dans l’obscurité. « Ne bougez pas de là, j’arrive ! », leur promit-elle.<br />
Lorsque Mada McCarmick se retourna, un éclair transperça le ciel nocturne. Son<br />
sang se glaça. La lueur avait révélé la présence de la vieille Beira, face à elle, entourée<br />
d’une vingtaine de chats aux échines hérissées. La veuve était aussi effrayante que<br />
sa réputation. Sa peau fine était ridée à l’extrême et semblait tirée sur les os secs et<br />
pointus de son visage. Les deux mains croisées dans le dos, vêtue d’une robe violet<br />
sombre et noire qui tombait sur son corps bossu, l’occupante des lieux fixait la<br />
cambrioleuse d’un regard sévère et perçant. Elle lâcha d’un air dédaigneux sa<br />
sentence. « Vous n’irez plus nulle part, sale voleuse. »<br />
Mada McCarmick sentit toutes les émotions contenues depuis le départ de son mari<br />
affluer dans son cœur. Sincère, elle supplia la vieille femme. « Madame, de grâce,<br />
pardonnez-moi, mais nous avons tellement faim ». Beira grimaça et chacun de ses<br />
nombreux chats feula, dévoilant des crocs menaçants. « Vous brisez ma vitre, vous<br />
pénétrez chez moi durant la nuit pour me voler et désormais, vous osez me demander<br />
l’aumône ? » La voix de la vieillarde était claire mais usée, comme si elle provenait<br />
d’une caverne profonde. Mada McCarmick désigna d’une main tremblante la fenêtre<br />
ouverte. « Je vous en prie, Madame, dehors, juste là, il y a mes fillettes. Elles sont si<br />
maigres, elles ont tellement faim, si je ne trouve pas de quoi les nourrir, elles vont<br />
toutes les deux mourir. »<br />
Le visage de la vieille Beira ne trahit aucune émotion. Une brève étincelle anima son<br />
regard et au même moment, Mada ressentit un atroce pincement, au cœur, comme si<br />
son organe était empoigné et broyé par une main glaciale. Beira fit un pas dans sa<br />
direction. « Pour les voleurs, aucune pitié. » Mada McCarmick s’écroula au sol,<br />
terrassée par la douleur qui déchirait sa poitrine. Elle articula difficilement, le souffle<br />
coupé. « Mes filles sont innocentes ».<br />
« Je le sais bien », répondit sèchement Beira. Délaissant la cambrioleuse<br />
agonisante, la vieille femme s’était approchée de la fenêtre.
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La mère, aux portes des Enfers, entendit la sorcière appeler ses enfants. « Petites,<br />
petites, venez vers moi. » Elle se pencha à la fenêtre.<br />
Juste avant de mourir, Mada McCarmick aperçut à nouveau cette brève étincelle<br />
surgissant du regard de la sorcière. Ensuite, elle vit Beira saisir quelque chose à<br />
l'extérieur, puis se retourner, deux chatons roux aux yeux bleus blottis dans ses bras.<br />
Beira s’éloigna avec les petits félins. « Au moins, mes filles n’auront plus faim », se<br />
rassura-t-elle.<br />
Et puis, Mada succomba et les chats de la vieille Beira bondirent sur son cadavre<br />
pour s'en repaître.