Webzine Gahelig n°2
Le GAHeLiG est une association suisse regroupant des auteurs suisses ou résidant en Suisse. Bonne lecture !
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GAHeLiG 44<br />
N°2– Juillet 2019<br />
regards perçants des chats de Beira s’étaient plantés sur la cambrioleuse.<br />
« Doucement, les minets, ne vous affolez pas, tout doux », murmura Mada, inquiète<br />
que les félins ne trahissent son intrusion.<br />
Elle constata que les chats s’approchaient d’elle, car les paires de pupilles dorées<br />
qui se découpaient dans la pénombre étaient de plus en plus près. Mada ne pouvait<br />
savoir combien de bêtes se trouvaient devant elle. Des grognements commencèrent<br />
à se faire entendre, ténus, vagissants.<br />
***<br />
Soudain, une voix s’éleva dans le dos de Mada. Un frisson parcourut son échine :<br />
elle connaissait trop bien celle qui venait de parler. « Maman, on a peur, reviens vers<br />
nous ». Mada McCarmick entendait sa fille aînée l’appeler. Elle se retourna, franchit<br />
les quelques mètres qui la séparaient de la fenêtre ouverte qu’elle venait de fracturer.<br />
Dehors, pieds nus dans l’herbe sombre agitée par les vents, épouvantées, se<br />
trouvaient ses deux fillettes. Elles avaient furtivement suivi leur mère, craignant de la<br />
voir s’éclipser pendant la nuit et disparaître pour toujours, comme l’avait fait leur père<br />
avant elle. Mada voulait leur dire de repartir d’où elles venaient, mais craignait que les<br />
petites s’égarent dans l’obscurité. « Ne bougez pas de là, j’arrive ! », leur promit-elle.<br />
Lorsque Mada McCarmick se retourna, un éclair transperça le ciel nocturne. Son<br />
sang se glaça. La lueur avait révélé la présence de la vieille Beira, face à elle, entourée<br />
d’une vingtaine de chats aux échines hérissées. La veuve était aussi effrayante que<br />
sa réputation. Sa peau fine était ridée à l’extrême et semblait tirée sur les os secs et<br />
pointus de son visage. Les deux mains croisées dans le dos, vêtue d’une robe violet<br />
sombre et noire qui tombait sur son corps bossu, l’occupante des lieux fixait la<br />
cambrioleuse d’un regard sévère et perçant. Elle lâcha d’un air dédaigneux sa<br />
sentence. « Vous n’irez plus nulle part, sale voleuse. »<br />
Mada McCarmick sentit toutes les émotions contenues depuis le départ de son mari<br />
affluer dans son cœur. Sincère, elle supplia la vieille femme. « Madame, de grâce,<br />
pardonnez-moi, mais nous avons tellement faim ». Beira grimaça et chacun de ses<br />
nombreux chats feula, dévoilant des crocs menaçants. « Vous brisez ma vitre, vous<br />
pénétrez chez moi durant la nuit pour me voler et désormais, vous osez me demander<br />
l’aumône ? » La voix de la vieillarde était claire mais usée, comme si elle provenait<br />
d’une caverne profonde. Mada McCarmick désigna d’une main tremblante la fenêtre<br />
ouverte. « Je vous en prie, Madame, dehors, juste là, il y a mes fillettes. Elles sont si<br />
maigres, elles ont tellement faim, si je ne trouve pas de quoi les nourrir, elles vont<br />
toutes les deux mourir. »<br />
Le visage de la vieille Beira ne trahit aucune émotion. Une brève étincelle anima son<br />
regard et au même moment, Mada ressentit un atroce pincement, au cœur, comme si<br />
son organe était empoigné et broyé par une main glaciale. Beira fit un pas dans sa<br />
direction. « Pour les voleurs, aucune pitié. » Mada McCarmick s’écroula au sol,<br />
terrassée par la douleur qui déchirait sa poitrine. Elle articula difficilement, le souffle<br />
coupé. « Mes filles sont innocentes ».<br />
« Je le sais bien », répondit sèchement Beira. Délaissant la cambrioleuse<br />
agonisante, la vieille femme s’était approchée de la fenêtre.