Webzine Gahelig n°2

GAHeLiG 41
N°2– Juillet 2019
Autour d’eux, la tribu des Crânes de Fer fêtait la victoire. Tout le village était en liesse.
On levait des pintes d’hydromel, on les entrechoquait, on riait, on chantait. Les plus
sobres s’adonnaient à des danses qui, la plupart du temps, se soldaient par des chutes
dans l’hilarité générale. Plus loin, de grands quartiers de chair de calamar grillaient sur
des broches. En Arctique, rien n’était perdu. Et surtout pas de la nourriture.
— Peut-être qu’un jour, on se reverra, glissa Shorgeen. Parfois, on engage des
mercenaires, à Opalis. On aurait bien besoin de gars comme toi.
Wundrak parcourut les alentours d’un regard rapide.
À l’une des tables, Ferya luttait au bras de fer, face à un solide guerrier du clan. Après
quelques injures bien placées, elle lui tordit le poignet et gagna la manche, sous les
applaudissements des spectateurs. À ses côtés, Morgen assistait au duel en souriant.
Quant à Toomas, il plastronnait devant un attroupement de femmes et rapportait
l’affrontement avec des gestes amples. Entre chaque phrase, il enfournait de grandes
bouchées de calamar en sauce.
— C’est ma famille, petit. C’est ma patrie. Tu m’excuseras de décliner ton offre.
— Je comprends. Quel combat !
— Tu l’as dit ! Une horreur de moins dans les océans !
— Pas une horreur, non. Juste un animal rejeté par la nature dont il est issu, et qui a
fait les frais de son gigantisme anormal. Je n’éprouve aucune haine à son égard.
— Tu es vraiment quelqu’un d’étrange, Opalien.
— Je te retourne le compliment, espèce de morse ! (Shorgeen attendit un moment,
hésitant.) Ton frère est fier de toi, j’en suis certain.
— Bien entendu qu’il est fier de moi ! grogna l’Arctien avec un air faussement excédé.
(Il reprit son sérieux.) Toi aussi, tu as rendu hommage à ton équipage. On n’y serait
jamais arrivé, sans toi.
— Tu m’as dit qu’un bateau, en partance pour le continent, larguait bientôt les
amarres ?
— À Port-Kembish, oui.
— Alors je ferais mieux de me dépêcher.
Wundrak acquiesça, auscultant le bout de ses bottes. Puis il releva la tête, tandis
que le bélénide s’éloignait déjà.
— Attends, freluquet ! Ce navire ne partira pas avant deux jours. Tu peux rester ici.
Et prendre une bonne cuite avec moi.
— Fais attention, je suis un puits sans fond.
— Nous verrons ça, Opalien ! Nous verrons ça !