Webzine Gahelig n°2

GAHeLiG 31
N°2– Juillet 2019
— Attendez un instant ! coupa Ferya, la main en visière. Là !
Elle désigna une silhouette sombre qui se rapprochait en glissant sur la surface
azurée de la mer.
— Un navire ? demanda Wundrak.
— Un navire, confirma l’Arctienne.
— Quel pavillon ?
— Pas un des nôtres, intervint Morgen, maintenant que le bateau se dessinait de
façon plus précise sur le camaïeu de l’océan.
— Des bélénides, souffla Ferya avec une grimace.
— Foutus étrangers ! siffla Wundrak.
— Les bélénides ne sont pas des envahisseurs, temporisa Toomas. Sans doute des
marchands ou des explorateurs.
Wundrak avait rencontré ce peuple une fois seulement, alors qu’il naviguait plus au
sud. Des êtres amphibies, capables d’évoluer aussi bien dans les profondeurs de la
mer que sur la terre ferme. Leurs cités, joyaux d’architecture et d’inventivité,
s’élevaient, disait-on, au milieu d’atolls gigantesques, semées de tours gracieuses et
de dômes recouverts de sculptures et de coquillages.
Toutes voiles dehors, le gréement tendu à l’extrême, le bateau filait avec grâce.
— Il semble pressé… fit remarquer Wundrak.
— Il y a de quoi, dit Ferya, les mâchoires crispées.
Quelque chose suivait les bélénides, fonçant au milieu du triangle pâle tracé par la
carène du navire. Deux grands ailerons de chair, piquetés de bernacles et de patelles,
qui fendaient l’eau, comme si un couple de requins évoluait de conserve.
— Bon sang ! s’écria Ferya. Ça lui fait quoi, quarante mètres ?
— Plus que ça, grogna Toomas, les yeux rivés sur le monstre.
— Impossible ! cracha Wundrak.
Et pourtant si. Toomas avait raison depuis le début. Cette bête défiait la logique et
tous les standards établis par les pêcheurs arctiens, depuis la nuit des temps.
Soudain, le navire fit une embardée, avant de freiner sa course dans une débauche
de mousse salée. Déstabilisés par l’inertie, les marins présents sur le pont
s’effondrèrent parmi les cordages, se relevèrent, gesticulèrent, hurlèrent de terreur.
Dix tentacules s’extirpèrent des flots, larges comme des troncs d’arbres plusieurs fois
centenaires. Ils tournoyèrent un instant au-dessus du bateau.
Puis frappèrent à l’unisson.
— Ils sont foutus, annonça Morgen en se détournant à demi.
Les appendices se saisirent des voiles, s’agrippèrent à la proue et au bastingage,
écrasant au passage quelques marins malchanceux. Dans un claquement sec, les
haubans se rompirent. Les mâts explosèrent, s’effondrèrent, emportant misaine,