Webzine Gahelig n°2

GAHeLiG 33
N°2– Juillet 2019
C’est dans ce genre de situation qu’un combattant grandissait, devenait quelqu’un.
Le courage et la force d’un Arctien se mesuraient à l’aune de ses actes. C’est ce qui
le définissait.
Soudain, une silhouette surgit de l’océan, à un jet de pierre du rivage.
— Merde ! rugit Morgen, qui avait failli lâcher sa boule magique.
Une armure de cuir clouté recouverte d’enluminures, une peau légèrement bleutée,
des oreilles fines, des yeux en amandes, un visage gracieux et des cheveux sombres
aux reflets verts... Aucun doute, il s’agissait d’un bélénide. Le marin courait vers les
Arctiens, les traits décomposés par la terreur.
— Tirez-vous de là ! s’égosilla-t-il dans un langage commun au fort accent.
— Pas question, mon mignon ! lui lança Wundrak en bombant le torse. On est des
Arctiens et on ne recule jamais !
Au même moment, derrière le bélénide, dans une déferlante glacée, la bête apparut.
Et tous reculèrent, y compris Wundrak.
Toomas hala l’appât, afin d’attirer le monstre directement sur le rivage. Du moins
était-ce son intention première, car une force colossale lui arracha la corde des mains
et le leurre se volatilisa parmi les tourbillons d’écume. De son côté, le naufragé passa
en trombe au milieu des barbares.
Le calamar mesurait peut-être soixante mètres, en comptant ses multiples
appendices. Difficile à évaluer, puisque son arrière-train, coiffé des deux ailerons,
disparaissait dans les flots. Une masse de force pure, de bestialité consommée,
capable de réduire un mammouth en un tas de pulpe sanglante. Deux yeux circulaires,
aussi larges qu’une lance, lorgnaient les Arctiens. Un regard froid, où n’affleurait tout
au plus qu’une vague avidité pour ses proies.
Les tentacules ressemblaient à un enchevêtrement de serpents géants en pleine
orgie, tandis que la créature s’ébrouait, soulevant de hautes vagues qui venaient se
fracasser sur la plage de rocailles. Puis, dans une incroyable démonstration de
violence, les dix bras s’écartèrent, projetant des trombes de fluide salé sur les
chasseurs. Au milieu de ce bouillonnement de chair molle apparut un bec noir et
dentelé. Une béance de cauchemar, une porte ouverte sur le royaume de la mort.
Morgen fut le premier à réagir. Il libéra son projectile magique en le lançant comme
une pierre. La sphère lumineuse rencontra la peau verdâtre de la chose, quelque part
sur son flanc, et s’y enfonça. Un instant plus tard, elle explosa, expulsant une pluie de
miettes filandreuses. Si le monstre en éprouva une quelconque douleur, il n’en montra
rien. Il se hissa même un peu plus sur le rivage, ses tentacules s’accrochant aux
rochers qui émaillaient la zone.
Ferya et Wundrak lancèrent leurs harpons en même temps. Reliées à des cordes
elles-mêmes raccordées aux panses de morses gonflées, les armes filèrent sans un
bruit et se fichèrent dans les tempes de la bête.
— Merde ! cracha Ferya qui avait manqué le point faible de la chose, situé entre ses
yeux.