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Webzine Gahelig n°2

Le GAHeLiG est une association suisse regroupant des auteurs suisses ou résidant en Suisse. Bonne lecture !

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GAHeLiG 43<br />

N°2– Juillet 2019<br />

cheveux roux et aux yeux bleus étaient les derniers enfants du village. Les autres<br />

n’étaient pas morts de faim, comme tant de leurs parents.<br />

Ils avaient disparu.<br />

Selon les dires de nombreux témoins, plusieurs d’entre eux avaient été aperçus pour<br />

la dernière fois alors qu’ils jouaient hors du hameau, à proximité de la colline. Celle-là<br />

même sur laquelle se dressait la demeure de la vieille Beira. C’était une veuve, qu’on<br />

disait centenaire, revêche et acariâtre, vivant entourée de ses chats et ne quittant sous<br />

aucun prétexte son lugubre manoir séculaire.<br />

Il n’y avait guère qu’elle, dans toute la région, qui mangeait à sa faim. Mais jamais<br />

Mada McCarmick n’aurait osé aller mendier auprès d'elle.<br />

De sombres rumeurs circulaient depuis longtemps sur cette veuve. Certains<br />

prétendaient qu'elle était une sorcière qui avait pactisé avec le diable pour vivre<br />

éternellement, d'autres qu'elle se repaissait de la chair des enfants pour se régénérer.<br />

Lorsque les filles de Mada lui demandaient si la vieille aux chats était une sorcière,<br />

leur mère leur répondait que la veuve Beira "était vieille, très vieille, voilà tout." Mada<br />

tentait de les rassurer alors qu'elle craignait elle-même par-dessus tout la sorcière de<br />

la colline.<br />

Chaque jour qui passait était une véritable torture pour ces corps soumis à la faim.<br />

Mada tentait de nourrir ses enfants en confectionnant du pain de fougère, en chassant<br />

les corbeaux. Mais cette filandreuse pitance n’apaisait pas les pauvres estomacs<br />

meurtris. La nuit, Mada se couchait entourée de ses deux filles dans l'unique paillasse<br />

de leur cabane soumise aux quatre vents. La mère était souvent tirée de son sommeil,<br />

réveillée par le grondement sourd des ventres vides.<br />

***<br />

Mada McCarmick n'était pas une voleuse. Mais elle ne pouvait pas se résoudre à<br />

laisser ses petites filles mourir de faim sans agir. Un soir, alors que la faim les torturait<br />

toutes trois plus que jamais, elle quitta leur frêle domicile et pris le chemin de la colline,<br />

gravissant celle-ci en direction de la demeure de la vieille Beira. Cette nuit-là, un vent<br />

d'Atlantique s'engouffra dans la plaine du Donnegal pour murmurer un dernier<br />

avertissement aux oreilles de la famélique mère de famille. De terribles nuages<br />

s’amoncelèrent au-dessus du hameau et des coups de tonnerre fracassants<br />

rythmèrent la marche décidée de Mada McCarmick.<br />

Arrivée devant le manoir, les vêtements trempés par la pluie, Mada contempla avec<br />

dégoût la demeure, sinistre et inhospitalière. La femme apeurée refusa de céder à la<br />

terreur qui résonnait en elle. "Si Beira ne veut pas partager, je lui volerai de quoi nourrir<br />

mes petites", avait-elle décidé. Mada contourna le bâtiment et s'approcha d'une fenêtre<br />

du rez-de-chaussée. Aussi discrètement que possible, la femme brisa une vitre, ouvrit<br />

la fenêtre et pénétra par effraction dans le manoir de la colline.<br />

Mada McCarmick était entrée dans la cuisine de la vieille Beira. Elle fit quelques pas<br />

sur le plancher grinçant. L’obscurité était totale, le silence uniquement brisé par l’orage<br />

au-dehors. Rapidement, Mada comprit toutefois qu’elle n’était pas seule dans cette<br />

pièce : d'inquiétantes paires d’yeux jaunes apparurent et la scrutèrent fixement. Les

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