36 ENTRETIEN aile et on a travaillé ensemble dix ans. Et ça s’est enclenché encore plus après. C’est une suite logique, des briques que tu mets et tu ne le sais pas parce que des fois, t’as l’impression que la maison ne se construit pas, mais en fait elle se construit sans que tu le vois. À un moment il y a un résultat. Vous avez présenté la Cérémonie des Césars en 2017. En quoi cet exercice est-il différent de la présentation d’une émission comme Burger Quiz ? «L’insouciance, c’est peut-être le bien le plus précieux. On ne s’en rend pas compte, mais le fait de ne pas avoir trop de responsabilités, de pouvoir faire des aller-retours pour aller chez son copain ou sa copine, de kiffer avec ses potes, de faire des vacances à la cool parce qu’on a pas beaucoup de fric. » Les Césars, c’est un modèle un peu hybride qui n’existe pas vraiment. C’est la seule émission où un spectacle vivant sur le thème du cinéma passe à la télé et est ensuite repris sur le net [rires]. J’ai adoré le faire et c’est pour ça que je suis revenu cette année pour remettre un prix. C’est marrant, que ce soit le public ou les professionnels, le rapport qu’ils ont à cette cérémonie quand ils me disent « oh là là c’est dur. Pourquoi tu vas là-dedans ? Tu vas te faire flinguer ». Finalement, c’est très français. Je peux quand même avoir foi en moi, dégager de l’amour, de l’empathie, de la tendresse. Avoir envie qu’on me suive. Peut-être que mes vannes vont marcher. Ça, c’est le public qui décidera. Il ne faut pas y aller battu. Ce qui est dur, c’est d’aller combattre Daesh en Syrie. Mais pas faire les Césars, faut pas déconner. Enfin si, c’est très dur mais faut y croire. Kad Merad, présentateur de la dernière édition, a été vivement critiqué sur sa performance. Qu’est-ce que vous en pensez ? Pour l’avoir vécu, j’ai un regard très tendre et très compréhensif sur tous ceux qui le font et qui l’ont fait avant et après moi. Il faut avoir un humour qui plaise à tous les cinémas et au grand public. Avant, l’émission passait et les gens se disaient « c’était de la merde » ou « c’était bien » et puis le lendemain c’était fini. Mais aujourd’hui, les critiques restent. Les vidéos qui circulent après sur tous ces sites, ça donne encore plus de poids. On avait l’impression que ce phénomène atténuerait un peu le contenu mais au contraire. Quand quelqu’un se plante ou dit une connerie, il y a une espèce de « re-buzz » après le buzz parce que ça peut toujours repartir. Et quand c’est négatif, c’est extrêmement pénible. Que ce soit avec Édouard Baer, avec Manu Payet ou Kad Merad, je me dis qu’il faut y être, le faire, le vivre et puis après chacun s’en tire comme il peut. À l’ère des réseaux sociaux qui sont un peu devenus un tribunal populaire, est-ce qu’on peut rire de tout ? Ce que je dis modestement parce que chacun a sa théorie sur la question, c’est déjà : peut-on rire ? Si je vous demande la dernière fois que vous vous êtes pris une barre de rire monumentale devant un film, une pièce, un one-man show, une émission… Vous allez avoir du mal à vous en souvenir. On parle d’une discipline quasiment infaisable, c’est limite miraculeux. Après je dirais oui… quand c’est pas militant dernière. C’est vrai qu’il y a des sketchs de Coluche où il va très loin sur les Arabes et le fameux Pierre Desproges avec les juifs. C’est toujours les mêmes trucs qu’on vous ressasse. Mais la différence avec ceux-là, quand ils finissaient le spectacle, ils allaient boire un «C’est vrai qu’il y a des sketchs de Coluche où il va très loin sur les Arabes et le fameux Pierre Desproges avec les juifs. Mais la différence avec ceux-là, quand ils finissaient le spectacle, ils allaient boire un coup avec les copains. » coup avec les copains. Aujourd’hui malheureusement, quand il y a du militantisme – et en plus extrémiste voire antisémite – là ça devient dégueulasse. Certains humoristes sont au coeur d’une polémique avec la chaîne YouTube CopyComic, qui dénonce les plagiats entre humoristes. En quoi ça remet en cause le métier ? C’est exactement ce dont on vient de parler avec la question « peut-on rire de tout ? ». C’est-à-dire qu’en attendant, on n’est pas en train de rire. D’accord, il y a Tartempion qui a piqué une vanne à Tartampion n°2 en 2008 sur un spectacle qu’il a vu sur le Net parce que l’autre avait fait un café-théâtre à Los Angeles. Mais quelque part, je m’en fous un peu. Après, ça nourrit la bête, cette espèce d’hydre que sont les réseaux sociaux. C’est la bête de Stranger Things [il imite]. Tout est bon à prendre parce que c’est la polémique du jour, mais en attendant, on rigole pas du tout. Pendant qu’on parle de CopyComic, on n’est pas en train de bosser nos sketchs. À l’instar d’un “rap game”, existe-t-il un “humour game” ? Oui, tout le monde a son avis. Moi de ce que j’entends de mes copains et des textos qu’on s’envoie, c’est un peu une tempête dans un verre d’eau. Parce que, une fois que t’as disséqué que « oui c’est machin qui pense savoir que c’est machin qui l’a fait mais qu’il a mis un post sur Instagram pour dire qu’il pensait que c’était lui mais en fait c’est peut-être pas lui », au bout d’un moment, tout le monde est saoulé et tout le monde parle de rien… Mais comme sur la majeure partie des sujets quand vous regardez les buzz, au bout de cinq minutes, on se dit qu’on est quand même en train d’enculer les mouches. <strong>BIG</strong><strong>MAG</strong>-BAT.indd 36 07/07/2019 10:22
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