Haiti Liberte 11 Mars 2020
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Twa Fèy, Twa Rasin O!<br />
Une interminable méchanceté<br />
Par Fanfan la Tulipe<br />
Léon Charles, le représentant<br />
permanent d’Haïti à l’OEA, celui<br />
qui après dilatoires, charabias<br />
et blablabla a finalement trahi<br />
le Venezuela et voté contre la<br />
légitimité du second mandat du<br />
président Maduro.<br />
Les nébulosités, les nuageosités de<br />
la philosophie m’ont toujours porté<br />
à garder une distance précautionneuse<br />
par rapport à ce que disent les penseurs,<br />
les philosophes, les save, surtout<br />
quand il s’agit de philosopher sur<br />
la méchanceté. Par exemple, d’après<br />
Socrate nul n’est méchant volontairement.<br />
Il n’admet pas le libre-arbitre<br />
qui consisterait à choisir ce qu’on sait<br />
être moins bon, car un tel choix serait,<br />
selon lui, sans raison, sans explication.<br />
Platon, pour sa part, dans son Protagoras,<br />
nous dit que « les sages savent<br />
parfaitement que tous ceux qui font<br />
des choses laides et mauvaises les font<br />
malgré eux. »<br />
Selon Confucius : « L’homme,<br />
dès sa naissance, est constitué dans<br />
la droiture. » Par nature, l’homme est<br />
donc bon. Voilà que Siun-tseu (Xun<br />
Zi) du iii e siècle av. J.-C., plus jeune que<br />
Confucius, a voulu dire aussi son mot,<br />
en fait le contraire de son aîné : « La<br />
nature humaine est mauvaise… Les<br />
hommes sont faits du bois d’un arbre<br />
tordu, ils inclinent constamment vers<br />
les mauvais penchants… Dans l’inné<br />
se trouvent l’égoïsme, la jalousie,<br />
la paresse, la licence ainsi que la violence.<br />
»<br />
Bien longtemps après Jésus<br />
Christ, il y a eu Kant aux yeux de qui la<br />
méchanceté n’est pas un “instinct naturel”<br />
mais une volonté. L’homme est<br />
auteur du mal. On sait que Jean Jacques<br />
Rousseau a été de l’avis que l’homme<br />
naît bon, mais que c’est la société qui le<br />
pervertit. Pour Thomas Hobbes, à l’état<br />
de nature, « l’homme est un loup pour<br />
l’homme ». Il s’empresse d’ajouter, sur<br />
un mode louvoyant : « Il ne fait aucun<br />
doute que les deux formules [bonté/<br />
méchanceté naturelles] sont vraies :<br />
l’homme est un dieu pour l’homme,<br />
et l’homme est un loup pour l’homme.<br />
La première, si nous comparons les citoyens<br />
entre eux, la seconde, si nous<br />
comparons les États entre eux. » Suit<br />
toute une philosopherie pour illustrer<br />
le propos.<br />
Toutes ces philosophades alimentent<br />
assurément des querellades,<br />
des discussionnades, des parlades en<br />
pile. Mais moi je ouette mon corps, non<br />
pas pour ne pas prendre position mais<br />
parce que la méchanceté de l’homme,<br />
peu importe son mécanisme, son origine,<br />
sa nature, sa philosophiture, je la<br />
vois, la connais et la vis à travers l’histoire<br />
de mon pays. Je voudrais la saisir<br />
à tout moment pour l’étrangler, pou m<br />
toufonen l, mais elle me fuit ; elle semble<br />
insaisissable, comme la fumée.<br />
Oui, de la méchanceté, de<br />
la perversité de l’homme, dans le cas<br />
particulier d’Haïti, parlons-en pou m pa<br />
toufe. Le 18 novembre 1803, la masse<br />
des esclaves a réglé ses comptes avec<br />
le colonialisme français en infligeant<br />
une impitoyable et humiliante défaite<br />
aux soldats de Napoléon. On est donc<br />
devenu un pays souverain qui a conquis<br />
de haute lutte, dans la souffrance,<br />
dans le sang, dans le deuil, le droit à la<br />
liberté, le droit à être reconnu egalego,<br />
nasyonalnasyono, égal à tous les pays.<br />
Du reste, la couleur de notre race, noire<br />
ou isabelle, devrait-elle nuire à notre<br />
honneur et à notre dignité ?<br />
De façon étonnante, elle<br />
avait nui aux anciens colons. Calés<br />
dans leur dodine de rancœur, de frustration,<br />
de haine, de vengeance, encore<br />
en proie à leur cauchemar, à leur défaite<br />
cauchemardesque face à la négraille<br />
aux pieds nus, les anciens bourreaux,<br />
bouffis de méchanceté, de morgue<br />
et de morve, allaient manigancer une<br />
monstrueuse perversité : étourdis,<br />
gaga, la tête encore pleine des fracas<br />
de mitraille de Vertières, ils avaient fantasmé<br />
que c’étaient eux les «victimes»<br />
de leurs monstruosités esclavagistes.<br />
Alors, il fallait faire payer aux négrailleux,<br />
aux miséreux, leur impertinence.<br />
Et ce fut, posé par le roi Charles<br />
X, le premier jalon d’une interminable<br />
méchanceté. Le <strong>11</strong> juillet 1825,<br />
sous la menace d’une escadre de 14<br />
vaisseaux et 500 canons, le président<br />
haïtien Jean-Pierre Boyer incapable<br />
de renouveler les efforts de guerre qui<br />
avaient mené à l’indépendance se résigne<br />
à signer un traité avec le roi de<br />
France. Celui-ci reconnaît l’indépendance<br />
de l’ancienne colonie en échange<br />
d’une indemnité de 150 millions de<br />
francs or qui sera plus tard ramenée à<br />
90 millions. Cette indemnité est officiellement<br />
destinée à dédommager les<br />
planteurs dépossédés de leurs terres.<br />
Elle est doublée d’une remise de 50<br />
% sur les droits de douane tout navire<br />
battant pavillon français. Pour un pays<br />
ruiné par la guerre de l’indépendance<br />
et un blocus, de fait, si ce n’est pas<br />
une sinistre méchanceté, c’est quoi<br />
alors ? Cette méchanceté d’origine<br />
externe va se compliquer d’une autre,<br />
celle-ci interne. En effet, au Havre, le<br />
cours du café, la principale source de<br />
revenus du pays, ne cesse de chuter. Le<br />
président Boyer aux abois, fait de l’indemnité<br />
une « dette nationale ». Pour<br />
la payer, il institue à cet effet un impôt,<br />
un fardeau de méchanceté pour les<br />
masses paysannes, l’arrière-pays exploité<br />
qui allaient en supporter le poids<br />
et payer les lourdes conséquences. Entre-temps<br />
les membres des élites continuaient<br />
d’aller étudier en France, d’aller<br />
se pavaner à Paris, la France isit, la<br />
France lòt bò.<br />
En 1838, le roi Louis-Philippe I er ,<br />
moins intransigeant que Charles X<br />
« reconnaît » l’indépendance pleine et<br />
entière d’Haïti. Le solde dû de l’indemnité<br />
est revu à la baisse et passe ainsi à<br />
60 millions. Au total, l’indemnité aura<br />
été de 90 millions de francs, les Haïtiens<br />
finiront de la payer en 1883. Non<br />
sans peine, puisqu’il a fallu établir des<br />
opérations bancaires complexes grâce<br />
auxquelles la « doulce France » aura<br />
contrôlé les finances du pays jusqu’à<br />
l’occupation étasunienne de 1915-<br />
1934.<br />
Entre-temps encore, divers emprunts<br />
et intérêts auprès des banques<br />
françaises, puis étasuniennes, auront<br />
été nécessaires pour régler une ironique<br />
« dette de l’indépendance ». Ils ne seront<br />
définitivement soldés qu’en 1952.<br />
Manifestement, l’économie d’Haïti, qui<br />
s’est saignée durant cent vingt-cinq ans<br />
pour honorer la soi-disant « dette », ne<br />
s’en est jamais relevée. En fait, ce fut<br />
une « double dette de l’indépendance<br />
» : celle envers l’Etat français pour<br />
indemniser les anciens colons et celle<br />
auprès des banquiers parisiens. Largement,<br />
elle aura pesé très lourd sur la<br />
situation catastrophique du pays.<br />
Mais du côté haïtien, il y avait<br />
aussi des méchants. Ainsi, Madiou rapporte<br />
que « l’administration générale<br />
de l’État d’Haïti était centralisée aux<br />
Gonaïves dans les bureaux du général<br />
André Vernet, ministre des Finances,<br />
un vieillard plein de zèle, mais d’une<br />
profonde ignorance. Il ne savait ni lire<br />
ni écrire ; il ne signait que son nom.<br />
Vastey, le chef de ses bureaux,<br />
homme de talent, mais profondément<br />
corrompu et méchant, avait toute sa<br />
confiance et faisait tout le travail de<br />
son département. Il profitait le plus<br />
souvent de l’ignorance du ministre des<br />
Finances pour lui faire signer des actes<br />
contraires aux intérêts du fisc, mais<br />
avantageux à ceux qui traitaient avec<br />
l’État. Il en retirait d’énormes bénéfices<br />
par les nombreuses gratifications qu’il<br />
recevait. » (Thomas Madiou, Histoire<br />
d’Haïti, t. III,).<br />
Les États-Unis et les jeunes États<br />
latino-américains vont se mettre à la<br />
remorque de la méchanceté de l’État<br />
français. Prenant prétexte de cette indemnité<br />
dans laquelle ils voient une<br />
forme de protectorat de la France sur<br />
Haïti, ils refusent de reconnaître la république<br />
noire. Dès 1822, les États-<br />
Unis avaient reconnu formellement<br />
l’indépendance des pays latino-américains.<br />
En janvier 1825, le Conseil<br />
des ministres britannique décida de<br />
reconnaître officiellement les États de<br />
l’Amérique hispanique. En 1860 le<br />
Vatican finit par reconnaître l’État haïtien,<br />
par la signature d’un concordat<br />
entre les deux gouvernements. La reconnaissance<br />
américaine ne vint qu’en<br />
1862. Un peu plus, ils auraient pu<br />
étouffer de honte.<br />
En 1890, « L’affaire Luders » allait<br />
être une nouvelle et ignominieuse<br />
méchanceté de l’Occident ligué contre<br />
la geste du 18 novembre 1803.<br />
La justice haïtienne avait réglé selon<br />
la loi une grave impertinence contre<br />
des policiers haïtiens par un sujet allemand<br />
du nom de Luders, directeur<br />
des écuries centrales de Port-au-Prince<br />
qui était venu réclamer la libération de<br />
son cocher. Appréhendé lui aussi pour<br />
délit de rébellion, il fut toutefois libéré<br />
et quitta le pays.<br />
Mais parce que ni le juge ni les<br />
policiers n’avaient été « sanctionnés »,<br />
la Légation allemande, impertinemment,<br />
fit au gouvernement haïtien plusieurs<br />
exigences dont le retour de Luders,<br />
une rançon de vingt mille dollars et<br />
vingt et un coups de canon pour saluer<br />
le drapeau allemand, ce dans un délai<br />
de quatre heures. Le gouvernement<br />
de Tirésias Simon Sam alarmé par la<br />
menace d’un éventuel bombardement<br />
des grandes villes côtières capitula. Les<br />
navires de guerre allemands partis, les<br />
Haïtiens découvrirent avec horreur et<br />
stupeur, le lendemain, l’ignominieuse,<br />
l’horrible méchanceté : notre drapeau<br />
piétiné, souillé par des matières fécales.<br />
Mai 1902. Un bras de fer politique<br />
s’engage entre Anténor Firmin et<br />
Nord Alexis qui tous deux briguent la<br />
présidence à la chute de Tirésias Simon<br />
Sam. L’intrigant pakapala Boisrond<br />
Canal, président du gouvernement<br />
provisoire, favorable à Alexis, permet<br />
à ce dernier de prendre possession<br />
d’une grosse cargaison d’armes alors<br />
que celle de Firmin est saisie. L’amiral<br />
Killick, du camp firministe et commandant<br />
de l’aviso la Crête à Pierrot réquisitionne<br />
alors un navire allemand, le<br />
Markomania, porteur d’une cargaison<br />
de munitions destinées à Nord Alexis.<br />
Ploplop, Canal requiert des Allemands<br />
l’intervention d’un navire de<br />
guerre, le Panther, pour faire échec à<br />
Killick et à Firmin. Les États-Unis approuvent<br />
la démarche de cette canaille<br />
de Canal. Un affrontement entre les<br />
deux vaisseaux était inévitable. Refusant<br />
de se rendre éventuellement<br />
aux Allemands, Killick se saborde en<br />
faisant sauter son navire avec lui. La<br />
méchanceté de Canal allait ainsi faciliter<br />
la présidence à un Tonton Nò,<br />
patriote certes, mais obscurantiste, au<br />
détriment de Firmin, homme d’État,<br />
intellectuel, brillant sociologue, homme<br />
de progrès, appartenant au camp des<br />
« plus capables » à diriger le pays.<br />
Juillet 1915. Tumultes militaires<br />
et populacières, assassinats d’opposants<br />
emprisonnés, menace d’interférence<br />
allemande lorgnant le Môle<br />
Saint-Nicolas et nécessité, du point de<br />
vue du voisin du Nord, de passer la<br />
camisole à un peuple trop turbulent et<br />
bruyant vont porter les États-Unis à<br />
nous imposer une très lourde méchanceté<br />
: l’occupation du pays, synonyme<br />
de négation absolue de notre souveraineté.<br />
Inutile d’épiloguer sur les retombées<br />
funestes de cette occupation. Elles<br />
furent multiples, douloureuses, inhumaines<br />
: « les cinq mille Cacos / en vain<br />
donnèrent leur sang/ par toutes leurs<br />
blessures /Et tout fut à recommencer<br />
/ selon le rythme de leur vie / selon<br />
leurs lois, leurs préjugés », selon leur<br />
violence d’occupants. L’humiliation et<br />
le cauchemar prirent fin avec le départ<br />
des Blancs qui laissèrent derrière eux<br />
une méchante Gendarmerie d’Haïti<br />
préposée essentiellement à veiller aux<br />
intérêts de l’impérialisme et à museler<br />
toute velléité revendicatrice de la population.<br />
Vingt-trois ans plus tard, en<br />
1957, la méchanceté continuait son<br />
chemin. Les hommes vêtus de jaune<br />
laissés en place par l’occupant devaient<br />
préférer pour président le « petit médecin<br />
de campagne » François Duvalier,<br />
sournois comme lui seul, au politiquement<br />
turbulent Daniel Fignolé et<br />
au grand naïf Louis Déjoie qui, la veille<br />
encore des élections, ânonnait : « Votre<br />
seule arme est votre bulletin de vote ».<br />
Une recommandation en principe correcte,<br />
démocratique, mais qui était<br />
en fait une ânonnerie dont le général<br />
‘‘Thomson’’Kébreau et les nombreux<br />
militaires pro-Duvalier devaient se moquer<br />
éperdument. On n’eut point de<br />
bouche pour parler, pour décrire cette<br />
paix des cimetières que furent les 29<br />
ans de la satrapie duvaliériste.<br />
De turbulence en turbulence,<br />
après le 7 février 1986, de coup d’État<br />
en coup d’État, de saltimbanqueries<br />
concoctées en Floride pour trouver un<br />
Premier ministre « indépendant » en<br />
grennnanboundaterie, pour renverser<br />
un président légitime, on en vint à<br />
un mode étrange de méchanceté sous<br />
forme de tètkalétude. Une sorcière<br />
états-unienne rompue aux chanpwelleries<br />
washingtoniennes s’amena<br />
une nuit, ivre de méchanceté. D’un<br />
rictus glauque et strident, elle ordonna<br />
qu’on écartât du scrutin une candidate<br />
aux tendances nationalistes, aux<br />
bonnes moeurs (devan, devan nèt par<br />
ailleurs) au profit d’un voyou spécialiste<br />
des « mots sales » et dont le niveau<br />
intellectuel se reconnaissait à ses fesseries<br />
et gwouyaderies carnavalesques.<br />
La dernière méchanceté en<br />
date a pour visage et pour nom un<br />
certain Jovenel Moïse, un paysan mal<br />
dégrossi qui est pourtant arrivé à être<br />
le chouchou ou, mieux, le toutou de<br />
la bourgeoisie. Nageant dans le mensonge<br />
et la corruption, il a réussi le<br />
tour de force de la plus grande lâcheté<br />
doublée de méchanceté qu’un président<br />
en exercice ait jamais commise :<br />
mordre la main d’un ami, la main de<br />
l’ami vénézuélien qui nous avait fait<br />
des conditions exceptionnelles, quant à<br />
l’acquisition de son pétrole.<br />
La morsure s’accompagna –<br />
lâcheté suprême – d’un inattendu coup<br />
de poignard dans le dos. Le représentant<br />
du gouvernement corrompu de<br />
Jovenel Moïse vota pour chasser le<br />
Venezuela de L’OEA. L’Histoire n’acquittera<br />
jamais Jovenel Moïse, lui que<br />
le peuple d’Haïti a déjà condamné à<br />
être jugé pour crime de haute trahison<br />
du peuple frère vénézuélien. Au pays,<br />
la faim, la misère atroce, l’absence de<br />
repères moraux, l’insécurité, le kidnapping<br />
n’ont jamais été aussi présents,<br />
troublants et menaçants. Personne ne<br />
sait qui gouverne le pays, encore moins<br />
comment il est gouverné. Jamais la pagaille<br />
n’a été aussi envahissante et le<br />
désespoir des citoyens aussi profond.<br />
Le « petit médecin de campagne » François Duvalier, ‘’élu’’ président<br />
d’Haïti, recevant des mains du général Antonio ‘’Thomson’’ Kébreau,<br />
sinistre créature d l’occupant yankee, l’écharpe présidentielle.<br />
Jusques à quand devrons-nous<br />
subir cette cascade de méchancetés<br />
dévalant les collines de l’histoire du<br />
pays ? Baryè ladwann te di pi mal,<br />
poutan l pete. Attention chasseur Jovenel<br />
! Attention chasseur impérialiste<br />
! Vous avez la part encore belle,<br />
mais le jour va et le jour vient. Il n’y<br />
a pas de lait qui monte et qui ne descend<br />
pas. Au tribunal populaire, nous<br />
vous donnons rendez-vous : fò n wè<br />
kanmèm…<br />
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