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CARNETS DES CINÉMAS STUDIO AVRIL 2020

Les carnets des cinémas Studio, c'est chaque mois des articles sur les films, les rencontres d'équipe de film, les horaires des séances et une ouverture sur toutes les cinématographies mondiales...

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AUTOUR DES FILMS — À PROPOS

Qu'un sang impur

Du drame à

la tragédie

© MARS FILMS

Qu'un sang impur \ un film de Abdel Raouf Dafri

En cette année 1960 la guerre

en Algérie s’éternise. Dans

un camp militaire français

perdu dans les Aurès, la tenteinfirmerie

– signalée à l’entrée

par un crâne et des tibias

entrecroisés ! – sert en réalité

de cadre à des interrogatoires et

des exécutions de « rebelles ».

La scène est intense, glaçante,

la pénombre en accentue

l’horreur. Soudain les parois

bâchées sont piquetées d’une

multitude de points lumineux,

au milieu du vacarme

assourdissant des armes à

feu. Le camp est attaqué, tous

les soldats français sont tués,

les « rebelles » sont délivrés par

leurs compagnons.

Le drame va cependant bientôt

entrer dans une nouvelle

dimension, la tragédie.

Le fatum latin (dont découlent

fatal, fatalité, fatidique)

désigne ce qui est dit ou

prédit et dont aucune volonté

humaine ne peut empêcher

l’accomplissement, en un mot

le destin. La mère du colonel

Delignières informe Breitner,

le personnage principal, que

son fils – « une mère sent ces

choses-là » – est mort et exige

de lui qu’il parte en Algérie

en rapporter une preuve.

Le colonel est pourtant bien

vivant, il a pris la tête d’un

groupe d’indépendantistes

et combat désormais l’armée

française. Mais nul n’échappe

au fatum. Ce qui a été dit sera :

Delignières est tué.

La tragédie s’étend en réalité

à tous les personnages.

À l’exception de l’engagé

volontaire français qui

n’est là que pour « tuer

des bicots », chacun a ses

raisons, pas forcément légales

mais légitimes : chasser le

colonisateur, exécuter les

ordres donnés, récupérer un

objet en souvenir d’un fils

disparu, sauver une compagne

ou une mère, éliminer des

tueurs d’enfants… Jusqu’où

peut-on aller dans la barbarie

au nom d’une cause juste ? On

est bel et bien dans une tragédie

telle que l’a caractérisée Albert

Camus (1) : une impasse mortelle

parce que s’y s’opposent des

enjeux, des mobiles et des

dilemmes trop complexes,

insolubles, justifiables des deux

côtés. Où sont le bien et le mal ?

Qui a raison ? Qui a tort ?

Personne. Tout le monde.

La lutte d’un peuple qui

veut se libérer, conquérir

son indépendance, ne peut

qu’être légitime. Mais il n’y a

pas de gentils qui peuvent à

la fin se targuer d’avoir tué les

méchants, c’est une horreur

complexe dont personne ne

sort grandi, pas même indemne.

Le générique de fin dédie le film

aussi bien « au peuple algérien »

qu’aux « appelés et rappelés »

envoyés là-bas. Sont ainsi

réunis ceux qui ont combattu

pour leur liberté et ceux à qui

on n’a pas demandé leur avis,

à l’instar du jeune appelé à

lunettes dans la première scène.

Le « sang impur » du titre est

celui de tous les protagonistes,

symboliquement réunis,

dans le générique final, par

une Marseillaise chantée en

arabe… — AW

(1) Dans une conférence prononcée à

Athènes en 1955.

N°388 — avril 2020 11

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