CARNETS DES CINÉMAS STUDIO AVRIL 2020
Les carnets des cinémas Studio, c'est chaque mois des articles sur les films, les rencontres d'équipe de film, les horaires des séances et une ouverture sur toutes les cinématographies mondiales...
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AUTOUR DES FILMS — À PROPOS
Histoire d'un regard
Le pouvoir du fixe
Histoire d'un regard \ Mariana Otero
Il peut être tentant d'imaginer que l'image
« vraie », prise sur le vif, garante à 100 % de la
réalité, de l'authenticité, transmettrait mieux ou
plus l'émotion du moment de vie qu'elle saisit
et représente. De la même manière, on pourrait
aussi se dire (il s'agit bien sûr du point de vue
d'un cinéphile/cinéphage, mais si vous lisez ces
lignes, il y a des chances que vous soyez vous aussi
peu ou prou membre de la secte…) que l'image en
mouvement, l'image filmée, saura mieux et plus
transmettre la vérité du moment filmé que ne le
ferait une image fixe.
L'idée, en gros, c'est que plus « ça ressemble »,
plus ça « a l'air vrai » et plus ce serait susceptible
de faire passer de l'émotion.
Le très beau (exemplaire, même) film de M.
Otero sur le travail et la vie du photographe Gilles
Caron, Histoire d'un regard, nous offre ce qui m'a
semblé être un puissant exemple… du contraire !
Une scène du film, en effet, m'a posé quelques
questions ET touché comme rarement. Biafra,
1968. Gilles Caron, comme de nombreux autres
photographes de presse, saisit des images de combattants,
d'hommes et de femmes faméliques,
d'enfants mourant de faim… Il photographie aussi
un enfant mort et deux adultes (ses parents ?) qui
s'apprêtent à l'inhumer en l'enveloppant dans une
natte qui servira de linceul.
Laisser du vide
Gilles Caron bien sûr ne filme pas mais
prend plusieurs photos très rapprochées que
Mariana Otero fait apparaître successivement à
l'écran. Il n'y a donc ni son d'origine ni mouvement
et pourtant, à cet instant précis, le fractionnement
même du mouvement, son découpage, me sont
apparus plus émouvants que ne l'auraient été les
quelques minutes ou secondes qu'a dû durer l'action.
Ce découpage m'a je crois plus frappé au cœur
qu'aucun enterrement filmé n'aurait pu le faire.
18
Les Carnets du Studio
© DIAPHANA DISTRIBUTION
Alors quoi ?
Alors, tout se passe comme si c'était dans les
interstices vides laissés entre les images fixes que
s'est projetée mon émotion. Les images ne s'enchaînaient
pas de manière fluide à raison de 24 par
seconde (1) mais fixaient autant d'instants de douleur
là où la même scène filmée n'aurait peut-être
généré qu'UN seul moment poignant.
Il n'y a aucune généralité à tirer de cette observation
mais j'y vois comme un parallèle avec
certains films (Valse avec Bachir en étant sûrement
le meilleur exemple) dans lesquels la légère
déréalisation induite par le caractère dessiné de
l'image me rendait plus sensible l'univers du film
ainsi porté sous mes yeux.
Mais il y a encore autre chose : ce que nous
voyons à ce moment du film de Mariana Otero,
ce ne sont pas QUE des images fixes… ce sont
des images fixes mises en scène par le processus
filmique… Le cinéphile est soulagé de retrouver
intacte sa passion pour les images qui bougent…
Ouf… — ER
(1) Il y aurait beaucoup à redire sur l'aphorisme godardien qui
veut que « la photographie c'est la vérité et le cinéma c'est 24 fois
la vérité par seconde… »