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L'acte de ce qui est

Un problème dialectique est posé à propos de l’emploi du verbe «être» pris comme signe d’un acte de ce qui est. Pour le résoudre, il s’impose d’entreprendre une «recherche qui tend à acquérir la vérité et la connaissance» à propos de cet emploi, et ce, • «en lui-même», i.e. quant à son usage logique comme prédicat ou comme copule, • et «comme un adjuvant à la solution d'un autre problème de ce genre», i.e. quant à son usage pour convenir ou disconvenir de la possibilité d’une métaphysique ayant pour thème l’être en tant qu’être. Les tenants et aboutissants de cette recherche sont présentés en ces pages.

Un problème dialectique est posé à propos de l’emploi du verbe «être» pris comme signe d’un acte de ce qui est.
Pour le résoudre, il s’impose d’entreprendre une «recherche qui tend à acquérir la vérité et la connaissance» à propos de cet emploi, et ce,
• «en lui-même», i.e. quant à son usage logique comme prédicat ou comme copule,
• et «comme un adjuvant à la solution d'un autre problème de ce genre», i.e. quant à
son usage pour convenir ou disconvenir de la possibilité d’une métaphysique ayant pour thème l’être en tant qu’être.
Les tenants et aboutissants de cette recherche sont présentés en ces pages.

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GILLES PLANTE

B.A. C.C.L. LL.L. M.A. Ph.D.

PROBLÈME DIALECTIQUE

L’ACTE DE CE QUI EST

CENTRE D’ÉTUDE EN HUMANITÉS CLASSIQUES

«J’APPELLE CLASSIQUE CE QUI EST SAIN.» (GŒTHE)

SSP ÉDITEUR (2020)

ISBN : 978-2-921344-70-8



GILLES PLANTE

B.A. C.C.L. LL.L. M.A. Ph.D.

PROBLÈME DIALECTIQUE

L’ACTE DE CE QUI EST

CENTRE D’ÉTUDE EN HUMANITÉS CLASSIQUES

«J’APPELLE CLASSIQUE CE QUI EST SAIN.» (GŒTHE)

SSP ÉDITEUR (2020)

ISBN : 978-2-921344-70-8


Éditeur : Société Scientifique Parallèle Inc.

4010 rue Cormier

Notre-Dame-du-Mont-Carmel

Québec

ISBN : 978-2-921344-70-8

Dépôt légal

Bibliothèque nationale du Québec

Bibliothèque nationale du Canada

1 er trimestre 2020

© Gilles Plante, 22 décembre 2019

350, De la terrasse

Saint-Étienne-des-Grès, Québec

Canada G0X 2P0


SOMMAIRE

Un problème dialectique est posé à propos de l’emploi du verbe être pris comme signe

d’un acte de ce qui est.

Pour le résoudre, il s’impose d’entreprendre une «recherche qui tend à acquérir la vérité

et la connaissance» à propos de cet emploi, et ce,

• «en lui-même», i.e. quant à son usage logique comme prédicat ou comme copule,

• et «comme un adjuvant à la solution d'un autre problème de ce genre», i.e. quant à

son usage pour convenir ou disconvenir de la possibilité d’une métaphysique ayant

pour thème l’être en tant qu’être.

Les tenants et aboutissants de cette recherche sont présentés en ces pages sous les

rubriques suivantes :

I. DÉSACCORD ENTRE SAGES p. 5

Données de la controverse p. 6

Le nom et le verbe p. 13

Un tournant linguistique p. 19

II. ÊTRE COMME PRÉDICAT p. 27

Le verbe ὑπάρχειν p. 28

«Τὸ ὂν ὑπάρχει…» est-il un prédicat ? p. 38

«Τὸ ὂν ὑπάρχει…» se prédique-t-il du suppôt ? p. 49

Retour au verbe ὑπάρχειν p. 57

III. CONCLUSION p. 63

Gilles Plante

Saint-Étienne-des-Grès, 27 novembre 2019

— # —



DÉSACCORD ENTRE SAGES

Le domaine des humanités se caractérise de curieuse façon par rapport aux autres

domaines d’étude. Chez ces derniers, on prétend que les solutions viennent finalement

à bout des problèmes. Dans le domaine des humanités, il semble plutôt que ce sont les

problèmes qui viennent à bout des solutions offertes, de temps à autre, par l'un ou

l'autre des auteurs. C’est ainsi que, entre eux, naissent des controverses, sinon

interminables, du moins non encore terminées à ce jour.

Au IV e siècle av. J.-C., Aristote était déjà aux prises avec une telle conjoncture, celle

dans laquelle naît un problème dialectique, lorsqu’il écrivit son ouvrage, Topiques, où il

proposait une méthode pour l’affronter :

«Ἡ μὲν πρόθεσις τῆς πραγματείας μέθοδον εὑρεῖν ἀφ´ ἧς δυνησόμεθα συλλογίζεσθαι περὶ

παντὸς τοῦ προτεθέντος προβλήματος ἐξ ἐνδόξων, καὶ αὐτοὶ λόγον ὑπέχοντες μηθὲν

ἐροῦμεν ὑπεναντίον.» 1

«Le but de ce traité est de trouver une méthode qui nous mette en mesure d’argumenter sur tout

problème proposé, en partant de prémisses probables, et d’éviter, quand nous soutenons un

argument, de rien dire nous-mêmes qui y soit contraire.» 2

Il y décrit le problème dialectique en des termes révélant que le désaccord entre les

opinions qui s’affrontent atteint parfois le cercle des sages :

«Πρόβλημα δ´ ἐστὶ διαλεκτικὸν θεώρημα τὸ συντεῖνον ἢ πρὸς αἵρεσιν καὶ φυγὴν ἢ πρὸς

ἀλήθειαν καὶ γνῶσιν, ἢ αὐτὸ ἢ ὡς συνεργὸν πρός τι ἕτερον τῶν τοιούτων, περὶ οὗ ἢ

οὐδετέρως δοξάζουσιν ἢ ἐναντίως [οἱ πολλοὶ τοῖς σοφοῖς ἢ οἱ σοφοὶ τοῖς πολλοῖς ἢ

ἑκάτεροι αὐτοὶ ἑαυτοῖς.» 3

«Un problème dialectique est un objet de recherche qui tend, soit à choisir et à l’éviter [en matière

pratique ou en matière technique], soit à acquérir la vérité et la connaissance [en matière

théorétique], et cela, soit en lui-même, soit comme un adjuvant à la solution d'un autre problème de

ce genre ; ce doit être une chose sur laquelle le vulgaire n'a aucune opinion, ni dans un sens, ni

dans l’autre, ou a une opinion contraire aux sages, ou bien encore sur laquelle les sages ont une

opinion contraire au vulgaire, ou bien enfin sur laquelle il y a désaccord parmi les sages ou au sein

du vulgaire.» 4

1

2

3

4

Topiques, 100a 18, 104b 1, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/topiques1gr.htm#104b5

Organon V, Les topiques, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1974

Topiques, 104b 1, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/topiques1gr.htm#104b5

Organon V, Les topiques, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1974

5


Dans le cas où le désaccord s’installe au sein du cercle des sages, il précise comment

la méthode qu’il recommande peut soutenir la «recherche qui tend (…) à acquérir la

vérité et à la connaissance [en matière théorétique]» :

«Πρὸς δὲ τὰς κατὰ φιλοσοφίαν ἐπιστήμας, ὅτι δυνάμενοι πρὸς ἀμφότερα διαπορῆσαι ῥᾷον

ἐν ἑκάστοις κατοψόμεθα τἀληθές τε καὶ τὸ ψεῦδος· ἔτι δὲ πρὸς τὰ πρῶτα τῶν περὶ ἑκάστην

ἐπιστήμην. Ἐκ μὲν γὰρ τῶν οἰκείων τῶν κατὰ τὴν προτεθεῖσαν ἐπιστήμην ἀρχῶν ἀδύνατον

εἰπεῖν τι περὶ αὐτῶν, ἐπειδὴ πρῶται αἱ ἀρχαὶ ἁπάντων εἰσί, διὰ δὲ τῶν περὶ ἕκαστα ἐνδόξων

ἀνάγκη περὶ αὐτῶν διελθεῖν. Τοῦτο δ´ ἴδιον ἢ μάλιστα οἰκεῖον τῆς διαλεκτικῆς ἐστιν·

ἐξεταστικὴ γὰρ οὖσα πρὸς τὰς ἁπασῶν τῶν μεθόδων ἀρχὰς ὁδὸν ἔχει.» 5

«Autre avantage encore, en ce qui regarde les principes premiers de chaque science : il est, en

effet, impossible de raisonner sur eux en se fondant sur des principes qui sont propres à la science

en question, puisque les principes sont les éléments premiers de tout le reste ; c’est seulement au

moyen des opinions probables qui concernent chacun d’eux qu’il faut nécessairement les

expliquer. Or, c’est là l’office propre, ou le plus approprié, de la Dialectique : car, en raison de sa

nature investigatrice, elle nous ouvre la route aux principes de toutes les recherches.» 6

La méthode pour découvrir les principes (μεθόδων ἀρχὰς ὁδὸν), et ce, en chaque

science (ἑκάστην ἐπιστήμην), est la Dialectique (διαλεκτικῆς), et ce, en raison de sa

nature investigatrice (ἐξεταστικὴ οὖσα).

Or, à propos du verbe «être», Emmanuel Kant et Thomas d’Aquin, qui suit Aristote,

s’affronte en un désaccord entre sages. Ce désaccord concerne une «recherche qui

tend (…) à acquérir la vérité et la connaissance», donc en matière théorétique, «et cela,

soit en lui-même», quant à son usage logique comme prédicat ou comme copule, «soit

comme un adjuvant à la solution d'un autre problème de ce genre», quant à son usage

pour convenir ou disconvenir de la possibilité d’une métaphysique ayant pour thème

l’être en tant qu’être. Kant en disconvient, alors que Thomas d’Aquin, qui suit Aristote,

en convient.

Données de la controverse

Emmanuel Kant est l’auteur d’un ouvrage qui a marqué l’histoire de la philosophie :

Critique de la raison pure. Pour Kant, la connaissance théorétique se passe dans

l’immanence du sujet connaissant, dans son entendement, alors que ce qui est à

5

6

Topiques, 101a 35 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/topiques1gr.htm#101a30

Organon V, Les topiques, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1974

6


connaître se trouve hors de l’entendement, hors du sujet connaissant, soit dans une

transcendance. La logique dite transcendantale, qu’il expose dans la Critique de la

raison pure, explique comment il est possible à la faculté immanente qu’est

l’entendement de connaître ce qui est en dehors d’elle : cette possibilité tient à l’a priori

kantien qui est au principe de son idéalisme transcendantal.

La logique transcendantale qui caractérise cet idéalisme transcendantal se divise en

deux parties : l’analytique transcendantale, qui traite des formes a priori de

l’entendement, et la dialectique transcendantale, qui traite des paralogisme de la raison

pure. C’est dans cette seconde partie, la dialectique transcendantale, là où Kant

cantonne une métaphysique ayant pour thème l’être en tant qu’être, que Kant énonce

sa thèse de l’Être comme copule grammaticale :

«Être n'est évidemment pas un prédicat réel, c'est-à-dire un concept de quelque chose qui puisse

s'ajouter au concept d'une chose. C’est simplement la position d'une chose ou de certaines

déterminations en soi. Dans l'usage logique, il n'est que la copule d'un jugement. cette proposition :

Dieu est tout-puissant renferme deux concepts qui ont leurs objets : Dieu et toute-puissance ; le

petit mot : est n'est pas du tout encore par lui-même un prédicat, c’est seulement ce qui met le

prédicat en relation avec le sujet. » 7

Il en donne un exemple avec «cent thalers», où il oppose «cent thalers possibles» à

«cent thalers réels» :

«Cent thalers réels ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles. Car, comme les thalers

possibles expriment le concept et les thalers réels, l'objet et sa position en lui-même, au cas où

celui-contiendrait plus que celui-là, mon concept n'exprimerait pas l'objet tout entier et, par

conséquent, il n'en serait pas, non plus, le concept adéquat. Mais je suis plus riche avec cent

thalers réels qu'avec leur simple concept (c'est à-dire qu'avec leur possibilité). Dans la réalité, en

effet, l'objet n’est pas simplement contenu analytiquement dans mon concept, mais il s'ajoute

synthétiquement à mon concept ( qui est une détermination de mon état), sans que, par cette

existence en dehors de mon concept, ces cent thalers conçus soient le moins du monde

augmentés.» 8

Thomas d’Aquin est l’auteur d’un commentaire du De l’interprétation, un ouvrage écrit

par Aristote, là où il écrit :

7

Critique de la Raison pure, traduction de A. Tremesaygues et B. Pacaud, page 494 : https://

gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5443790t/f527.image.r=emmanuel%20kant

8

op. cit. , p. 495

7


«Sed quia logica ordinatur ad cognitionem de rebus sumendam, significatio vocum, quae est

immediata ipsis conceptionibus intellectus, pertinet ad principalem considerationem ipsius;

significatio autem litterarum, tanquam magis remota, non pertinet ad eius considerationem, sed

magis ad considerationem grammatici. Et ideo exponens ordinem significationum non incipit a

litteris, sed a vocibus: quarum primo significationem exponens, dicit: sunt ergo ea, quae sunt in

voce, notae, idest, signa earum passionum quae sunt in anima. Dicit autem ergo, quasi ex

praemissis concludens: quia supra dixerat determinandum esse de nomine et verbo et aliis

praedictis; haec autem sunt voces significativae; ergo oportet vocum significationem exponere.» 9

«Mais parce que la logique est ordonnée à se saisir de la connaissance relative aux réalités (ad

cognitionem de rebus sumendam), la signification des sons de la voix, qui est immédiate pour les

conceptions mêmes de l’intellect, appartient à la considération principielle de [cette connaissance]

elle-même (principalem considerationem ipsius ) ; cependant la signification linguistique

(litterarum), en tant que plus éloignée, n’est pas pertinente à sa considération, mais l’est plus à

celle des grammairiens. Et c’est pourquoi, en exposant l’ordre des significations, [Aristote] ne

commence pas par la signification linguistique (litterarum), mais par les sons de la voix : de ceux-ci,

en exposant en premier leur signification, il dit : “Sont donc celles qui sont, dans les sons de la

voix, notations (notæ)”, c’est-à-dire signes (signa) “de ces passions qui sont dans l’âme”.

Cependant il dit “donc”, comme concluant de prémisses : parce que, plus haut, il avait dit pour

déterminer la nature du nom et du verbe et des autres [éléments] mentionnés auparavant ; or ce

sont là des sons significatifs de la voix ; donc il faut exposer la signification des sons de la voix.» 10

Dans ce texte, Thomas d’Aquin déclare que «la logique est ordonnée à se saisir de la

connaissance relative aux réalités». Trois notions distinctes sont mentionnées dans

cette phrase : 1. est ordonnée à ; 2. se saisir de ; 3. connaissance relative aux réalités.

Thomas d’Aquin les nomme respectivement : 1. modus inquirendi ; 2. modus

intelligendi ; 3. modus essendi. Ces expressions latines sont constituées du mot

«modus», suivi d’un verbe énoncé au moyen du gérondif décliné au génitif : 1. modus

inquirendi : mode du chercher (enquêter, investiguer) ; 2. modus intelligendi : mode du

intelliger (entendre, comprendre) ; 3. modus essendi : mode du être.

Dans la mesure où « la logique est ordonnée à se saisir de la connaissance relative aux

réalités», sa nature même est d’être un modus inquirendi, un mode du chercher, du

enquêter, du investiguer. Comme toute enquête réussie se termine par la découverte

d’un modus intelligendi, un mode du découvrir, un modus inveniendi, s’associe au

modus inquirendi :

«Expositio Posteriorum Analyticorum, lib. 2 l. 16 n. 4. Deinde cum dicit: semper autem est omnis

etc., ostendit praemissum modum inveniendi quod quid est esse convenientem. Et circa hoc duo

facit: primo, ostendit hunc modum esse convenientem; secundo, ostendit quid oportet in hoc modo

9

10

Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 2 n. 3. : http://www.corpusthomisticum.org/cpe.html#80274

Notre traduction

8


vitare; ibi: si autem neque disputare et cetera. Circa primum duo facit: primo, ostendit praedictum

modum esse convenientem quantum ad terminum, prout scilicet pervenitur ad aliquid commune;

secundo, quantum ad processum, prout scilicet proceditur in praedicto modo a particularibus; ibi:

faciliusque est singulare et cetera.» 11

«Ensuite lorsqu’il dit: Mais toute définition est toujours etc., il montre que ce mode du découvrir

l’essence convient. Et à ce sujet il fait deux choses : en premier lieu, il montre que ce mode

convient ; en deuxième lieu, il montre ce qu’il convient d’éviter dans ce mode, là où il dit : Mais s’il

ne faut pas discuter etc. Au sujet du premier point il fait deux choses : en premier lieu il montre que

le mode qui précède convient à la définition, c’est-à-dire pour autant qu’elle parvient à quelque

chose d’universel; en deuxième lieu, il montre qu’elle convient quant au processus lui-même, c’està-dire

pour autant qu’elle procède de cas particuliers, là où il dit : Il est plus facile de définir

l’espèce particulière etc.» 12

Aux quatre modes que sont le modus inquirendi, le modus inveniendi, le modus

intelligendi , et le modus essendi, s’en ajoute un cinquième : le modus significandi : le

mode du signifier.

Le modus significandi intéresse le grammairien à titre de principe, et le logicien à titre

de conséquent. Ainsi, ce qui intéresse le logicien, et ce, à titre de principe, et de

manière immédiate, ce sont les «ipsis conceptionibus intellectus», les «conceptions

mêmes de l’intellect», bref le modus intelligendi qu’il s’agit de découvrir au terme d’une

investigation. Ensuite, intervient à titre de conséquent, et de manière médiate,

l’expression de ce modus intelligendi dans une langue offrant le modus significandi

approprié. 13

Ainsi, en français, pour le modus significandi du verbe, le grammairien distingue le

mode personnel (ou conjugué), où il est fait usage des personnes grammaticales (je, tu,

il, nous, vous, ils), et le mode impersonnel (ou non conjugué), où il n’est pas fait usage

des personnes grammaticales. Les modes personnels sont : indicatif, impératif,

subjonctif ; les modes impersonnels sont : infinitif, gérondif, participe. En latin, les

modes personnels sont : indicatif, impératif, subjonctif ; les modes impersonnels :

11

Expositio Posteriorum Analyticorum : http://www.corpusthomisticum.org/cpa2.html#80021

12 Commentaire des Seconds Analytiques, traduction française de Serge Pronovost, légèrement

m o d i fi é e : http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/philosophie/

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm#_Toc536727783

13

Une consultation de l’Index Thomisticus, proposé par Roberto Busa S.J. et associés, au Corpus

Thomisticus, établit la provenance de ces expressions : http://www.corpusthomisticum.org/it/index.age

9


infinitif, gérondif, participe, supin. En grec, les modes personnels sont : indicatif,

impératif, subjonctif, optatif ; les modes impersonnels : infinitif, gérondif, participe.

Ces distinctions prennent de l’importance lorsqu’on lit un texte où est employé le verbe

être, en français, le verbe esse, en latin, ou le verbe εἶναι, en grec.

Que peut-on dire du modus essendi, le mode du être ? Il concerne une cognitionem de

rebus, une connaissance relative aux réalités. Le modus essendi est précisément la

connaissance même qui, elle, est relative aux réalités qui, elles, exerce l’esse, l’être.

Une telle réalité, une telle res, se distingue de la connaissance qui lui est relative. Pour

prendre connaissance d’une réalité, d’une res, il est nécessaire d’en prendre la mesure.

Cette mesure à prendre est précisément nommée avec le mot «modus», «mode».

L’emploi du nom de genre masculin «mode», par opposition au nom de genre féminin

«mode», s’explique par le mot latin «modus». Il vient du verbe «moderari» 14 qui

signifie : tenir dans la mesure ; il signifie aussi : imposer une limite. «Mode» se diversifie

en «modèle», «modeler», «modérer», «module», etc. Pour prendre connaissance d’une

réalité, d’une res, il est nécessaire d’en prendre la mesure, le modus essendi, et ce,

selon le modus intelligendi adéquat. Cette adéquation se doit d’être découverte, ce qui

dépend du modus inquirendi et du modus inveniendi, puis ensuite exprimée, ce qui

dépend du modus significandi.

À la fin de son texte, Thomas d’Aquin déclare qu’Aristote «dit : “Sont donc celles qui

sont, dans les sons de la voix, notations (notæ)”, c’est-à-dire signes (signa) “de ces

passions qui sont dans l’âme”. Cependant il dit “donc”, comme concluant de prémisses :

parce que, plus haut, il avait dit pour déterminer la nature du nom et du verbe et des

autres [éléments] mentionnés auparavant ; or ce sont là des sons significatifs de la

voix ; donc il faut exposer la signification des sons de la voix.»

14

Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Hachette, 1934 : https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?

q=moderor

10


Thomas d’Aquin réfère ici à la phrase introductive de l’ouvrage qu’il commente, le De

l’interprétation :

«Πρῶτον δεῖ θέσθαι τί ὄνομα καὶ τί ῥῆμα, ἔπειτα τί ἐστιν ἀπόφασις καὶ κατάφασις καὶ

ἀπόφανσις καὶ λόγος· Ἔστι μὲν οὖν τὰ ἐν τῇ φωνῇ τῶν ἐν τῇ ψυχῇ παθημάτων σύμβολα,

καὶ τὰ γραφόμενα τῶν ἐν τῇ φωνῇ. (…) Τὰ μὲν οὖν ὀνόματα αὐτὰ καὶ τὰ ῥήματα ἔοικε τῷ

ἄνευ συνθέσεως καὶ διαιρέσεως νοήματι, οἷον τὸ ἄνθρωπος ἢ λευκόν, ὅταν μὴ προστεθῇ τι·

οὔτε γὰρ ψεῦδος οὔτε ἀληθές πω. σημεῖον δ´ ἐστὶ τοῦδε· καὶ γὰρ ὁ τραγέλαφος σημαίνει

μέν τι, οὔπω δὲ ἀληθὲς ἢ ψεῦδος, ἐὰν μὴ τὸ εἶναι ἢ μὴ εἶναι προστεθῇ ἢ ἁπλῶς ἢ κατὰ

χρόνον.» 15

«Il faut d’abord établir la nature du nom et celle du verbe : ensuite celle de la négation et de

l’affirmation, de la proposition et du discours. Les sons (φωνῇ) émis par la voix sont les symboles

(σύμβολα) des états (παθημάτων) de l’âme, et les mots écrits (γραφόμενα) les symboles des

mots émis par la voix. (…) En eux-mêmes les noms (ὀνόματα) et les verbes (ῥήματα) sont

semblables à la notion (νοήματι) qui n’a ni composition (συνθέσεως) ni division (διαιρέσεως) :

tels sont l’homme, le blanc, quand on n’y ajoute rien, car ils ne sont encore ni vrai ni faux. En voici

une preuve (σημεῖον) : bouc-cerf (τραγέλαφος) signifie (σημαίνει) bien quelque chose, mais il

n’est encore ni vrai ni faux, à moins d’ajouter qu’il est (τὸ εἶναι) ou qu’il n’est pas (ἢ μὴ εἶναι),

absolument parlant ou avec une référence au temps.» 16

Aristote précise que «les sons (φωνῇ) émis par la voix» signifient des «états

(παθημάτων) de l’âme», alors que «les mots écrits (γραφόμενα)» signifient les «mots

émis par la voix». À propos des noms et des verbes employés seuls, il précise qu’ils

sont «semblables à la notion (νοήματι) qui n’a ni composition (συνθέσεως) ni division

(διαιρέσεως) : tels sont l’homme, le blanc, quand on n’y ajoute rien». Il convient de

relever les expressions «composition (συνθέσεως)» et «division (διαιρέσεως)». Ces

expressions, ici niés pour la «notion (νοήματι)», deviendront le cœur même de

l’opération qui compose ou qui divise : le jugement et la proposition. Dans une

proposition, composer consiste à «ajouter qu’il est (τὸ εἶναι)», et diviser consiste à

«ajouter qu’il n’est pas (ἢ μὴ εἶναι)».

Thomas d’Aquin commente cette phrase en ces termes :

«Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 2 n. 6 (…) : tum etiam quia significatio vocum refertur ad

conceptionem intellectus, secundum quod oritur a rebus per modum cuiusdam impressionis vel

passionis.» 17

15

16

17

De l’interprétation 16a 1 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia.htm

Aristote, Organon II, De l’interprétation, traduction par J. Tricot, Librairie J. Vrin, 1984

Expositio libri Peryermeneias : http://www.corpusthomisticum.org/cpe.html#80279

11


«#16. —(…) ; et aussi parce que la signification des voix renvoie à la conception de l’intelligence

du fait que celle-ci émane de la réalité sous le mode de quelque impression ou affection.» 18

«Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 2 n. 7 Postquam enim dixerat quod nomina et verba, quae sunt

in voce, sunt signa eorum quae sunt in anima, continuatim subdit quod nomina et verba quae

scribuntur, signa sunt eorum nominum et verborum quae sunt in voce.» 19

«#17. —Les noms et les verbes qui affectent la voix, venait-il de dire, constituent des signes des

affections qu’on trouve dans l’âme; il ajoute en continuation que celles qui affectent l’écrit

constituent les signes des affections que subit la voix.» 20

«Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 3 n. 13 Deinde cum dicit: signum autem etc., inducit signum ex

nomine composito, scilicet Hircocervus, quod componitur ex hirco et cervus et quod in Graeco

dicitur Tragelaphos; nam tragos est hircus, et elaphos cervus. Huiusmodi enim nomina significant

aliquid, scilicet quosdam conceptus simplices, licet rerum compositarum; et ideo non est verum vel

falsum, nisi quando additur esse vel non esse, per quae exprimitur iudicium intellectus. Potest

autem addi esse vel non esse, vel secundum praesens tempus, quod est esse vel non esse in

actu, et ideo hoc dicitur esse simpliciter; vel secundum tempus praeteritum, aut futurum, quod non

est esse simpliciter, sed secundum quid; ut cum dicitur aliquid fuisse vel futurum esse. Signanter

autem utitur exemplo ex nomine significante quod non est in rerum natura, in quo statim falsitas

apparet, et quod sine compositione et divisione non possit verum vel falsum esse.»

«#35. — Le Philosophe apporte ensuite un signe tiré du nom composé ‘bouc-cerf’, qui se compose

de ‘bouc’ et de ‘cerf’, dit en grec ‘tragelaphos’ : ‘tragos’, c’est ‘bouc’, et ‘elaphos’, c’est ‘cerf’. Pareils

noms signifient quelque chose, des concepts simples, mais à propos de réalités composées. Aussi

ne comportent-ils ni vrai ni faux, tant qu’on ne leur ajoute ni d’être ni de ne pas être, par quoi s’exprime

le jugement de l’intelligence. Par ailleurs, d’être ou de ne pas être peuvent s’ajouter quant au

temps présent, ce qui revient à être ou non en acte, ce qu’on appelle être “absolument”; ou encore

quant au temps passé ou futur, ce qui revient à être non absolument, mais sous un certain rapport,

comme lorsqu’on dit que quelque chose a été ou sera. — Le Philosophe présente significativement

un exemple tiré d’un nom qui signifie quelque chose qu’on ne trouve pas dans la réalité, dont la

fausseté apparaisse tout de suite. Malgré ce fait, il ne peut pourtant y avoir là ni vrai ni faux sans

composition ni division.»

Le commentaire fait à Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 3 n. 6 et n. 7, énonce l’ordre,

qui va de la «conception de l’intelligence» qui «émane de la réalité» à la « signification

des voix», et de cette dernière à «l’écrit», ce qui confirme ce qui fut dit plus haut à

propos des divers «modus».

Mais, le commentaire fait à Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 3 n. 13 présente un intérêt

neuf. Il éclaircit la nature du lien qui s’établit entre le nom-sujet et le verbe-prédicat dans

une proposition. Ce lien définit ce en quoi consiste la prédication, le modus praedicandi.

18 Commentaire du De l’interprétation, Introduction, traduction et notes par Yvan Pelletier : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairedeinterpretation.htm#_Toc17146322

19

20

Expositio libri Peryermeneias : http://www.corpusthomisticum.org/cpe.html#80279

Commentaire du De l’interprétation, Introduction, traduction et notes par Yvan Pelletier : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairedeinterpretation.htm#_Toc17146322

12


À cet égard, Thomas d’Aquin écrit : « Par ailleurs, d’être ou de ne pas être peuvent

s’ajouter quant au temps présent, ce qui revient à être ou non en acte, ce qu’on appelle

être “absolument”; ou encore quant au temps passé ou futur, ce qui revient à être non

absolument, mais sous un certain rapport, comme lorsqu’on dit que quelque chose a

été ou sera.»

C’est ici qu’éclate dans toute sa lumière le désaccord entre :

a) Kant qui, limitant le verbe «est» à n’être que copule, oppose «cent thalers

possibles» à «cent thalers réels» en niant que «réel» ajoute à «possible»,

b) et Thomas d’Aquin, qui oppose sujet et prédicat en affirmant que le second signifie

un acte d’être qu’il ajoute au premier, un «être absolument» ou un «être non

absolument».

Pour le moment, on commence par «établir la nature du nom et celle du verbe», et ce,

dans cet ordre.

Le nom et le verbe

Qu’est-ce qu’un nom ? Aristote répond :

«Ὄνομα μὲν οὖν ἐστὶ φωνὴ σημαντικὴ κατὰ συνθήκην ἄνευ χρόνου, ἧς μηδὲν μέρος ἐστὶ

σημαντικὸν κεχωρισμένον·» 21

«Le nom est un son vocal, possédant une signification conventionnelle, sans référence au temps,

et dont aucune partie ne présente de signification quand elle est prise séparément.» 22

Qu’est-ce qui n’est pas un nom ? Aristote répond :

«Τὸ δ´ οὐκ ἄνθρωπος οὐκ ὄνομα· οὐ μὴν οὐδὲ κεῖται ὄνομα ὅ τι δεῖ καλεῖν αὐτό, — οὔτε

γὰρ λόγος οὔτε ἀπόφασίς ἐστιν· — ἀλλ´ ἔστω ὄνομα ἀόριστον.» 23

«Non-homme n’est pas un nom. Il n’existe, en effet, aucun terme pour désigner une telle

expression, car ce n’est ni un discours, ni une négation. On peut admettre que c’est seulement un

nom indéfini [car il appartient pareillement à n’importe quoi, à ce qui est et à ce qui n’est pas.]» 24

21

22

23

24

De l’interprétation 16a 19 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia2.htm

Organon II, De l’interprétation, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1984

De l’interprétation 16a 30 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia2.htm

Organon II, De l’interprétation, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1984

13


L’expression «nom indéfini»,«ὄνομα ἀόριστον», implique que le nom défini est une

mesure, un modus, selon le verbe «moderari», qui signifie : tenir dans la mesure , et qui

signifie aussi : imposer une limite.

Qu’est-ce qui n’est pas un verbe ? Aristote répond :

«Τὸ δὲ οὐχ ὑγιαίνει καὶ τὸ οὐ κάμνει οὐ ῥῆμα λέγω· προσσημαίνει μὲν γὰρ χρόνον καὶ ἀεὶ

κατά τινος ὑπάρχει, τῇ διαφορᾷ δὲ ὄνομα οὐ κεῖται· ἀλλ´ ἔστω ἀόριστον ῥῆμα, ὅτι ὁμοίως

ἐφ´ ὁτουοῦν ὑπάρχει καὶ ὄντος καὶ μὴ ὄντος. Ὁμοίως δὲ καὶ τὸ ὑγίανεν ἢ τὸ ὑγιανεῖ οὐ

ῥῆμα, ἀλλὰ πτῶσις ῥήματος· διαφέρει δὲ τοῦ ῥήματος, ὅτι τὸ μὲν τὸν παρόντα

προσσημαίνει χρόνον, τὰ δὲ τὸν πέριξ.» 25

«Une expression comme ne se porte pas bien ou n’est pas malade n’est pas un verbe : bien

qu’elle ajoute à sa signification celle du temps et qu’elle appartienne toujours à un sujet, cette

variété ne possède pas de nom. On peut l’appeler seulement verbe indéfini, puisqu’elle s’applique

indifféremment à n’importe quoi, à l’être et au non-être. Même remarque pour il se porta bien ou il

se portera bien ; ce n’est pas là un verbe, mais un cas de verbe. Il diffère du verbe en ce que le

verbe ajoute à sa signification celle du temps présent, tandis que le cas marque le temps qui

entoure le temps présent.» 26

L’expression «verbe indéfini»,«ἀόριστον ῥῆμα», implique que le verbe défini est une

mesure, un modus, comme celui qui concerne le nom défini. L’expression «celle du

temps présent» va prendre de l’importance pour la suite.

Qu’est-ce qu’un verbe ? Aristote répond :

«Ῥῆμα δέ ἐστι τὸ προσσημαῖνον χρόνον, οὗ μέρος οὐδὲν σημαίνει χωρίς· ἔστι δὲ τῶν καθ´

ἑτέρου λεγομένων σημεῖον. Λέγω δ´ ὅτι προσσημαίνει χρόνον, οἷον ὑγίεια μὲν ὄνομα, τὸ δ´

ὑγιαίνει ῥῆμα· προσσημαίνει γὰρ τὸ νῦν ὑπάρχειν. Καὶ ἀεὶ τῶν ὑπαρχόντων σημεῖόν ἐστιν,

οἷον τῶν καθ´ ὑποκειμένου.» 27

«Le verbe est ce qui ajoute à sa propre signification celle du temps : aucune de ses parties ne

signifie rien prise séparément, et il indique toujours quelque chose d’affirmé de quelque chose. Je

dis dis qu’il signifie, en plus de sa signification propre, le temps : par exemple, santé est un nom,

tandis que est en bonne santé est un verbe, car il ajoute à sa propre signification l’existence

actuelle de cet état.» 28

«Αὐτὰ μὲν οὖν καθ´ αὑτὰ λεγόμενα τὰ ῥήματα ὀνόματά ἐστι καὶ σημαίνει τι, — ἵστησι γὰρ ὁ

λέγων τὴν διάνοιαν, καὶ ὁ ἀκούσας ἠρέμησεν,— ἀλλ´ εἰ ἔστιν ἢ μή οὔπω σημαίνει· οὐ γὰρ τὸ

εἶναι ἢ μὴ εἶναι σημεῖόν ἐστι τοῦ πράγματος, οὐδ´ ἐὰν τὸ ὂν εἴπῃς ψιλόν. αὐτὸ μὲν γὰρ

οὐδέν ἐστιν, προσσημαίνει δὲ σύνθεσίν τινα, ἣν ἄνευ τῶν συγκειμένων οὐκ ἔστι νοῆσαι.» 29

25

26

27

28

29

De l’interprétation 16b 11 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia3.htm

Organon II, De l’interprétation, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1984

De l’interprétation 16b 5 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia3.htm

Organon II, De l’interprétation, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1984

De l’interprétation 16b 19 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia3.htm

14


«En eux-mêmes et par eux-mêmes ce qu’on appelle les verbes sont donc en réalité des noms, et

ils possèdent une signification déterminée (car, en les prononçant, on fixe la pensée de l’auditeur,

lequel aussitôt la tient en repos), mais ils ne signifient pas encore qu’une chose est ou n’est pas.

Car être ou ne pas être ne présente pas une signification se rapportant à l’objet (πράγματος), et

pas davantage le terme étant, lorsqu’on se contente de les employer seuls. En elles-mêmes, en

effet, des expressions ne sont rien, mais elles ajoutent à leur propre sens une certaine composition

qu’il est impossible de concevoir indépendamment des choses composées.» 30

Le nom et le verbe sont donc deux espèces du «son vocal, possédant une signification

conventionnelle», ce qui constitue un genre, et ce, selon une différence spécifique faite

de «sans référence au temps» (ἄνευ χρόνου)» et de «ajoute à sa propre signification

celle du temps (προσσημαῖνον χρόνον)». De même qu’on oppose les deux espèces

«animal raisonnable» et «animal irraisonnable», de même on oppose les deux

espèces :

• son vocal qui possède une signification conventionnelle propre, et qui n’ajoute

pas à sa propre signification celle du temps

• son vocal qui possède une signification conventionnelle propre, et qui ajoute à

sa propre signification celle du temps

Le verbe pris à l’infinitif (au gérondif, et au supin) sont des noms. Le verbe «qui ajoute à

sa propre signification celle du temps» s’entend du verbe conjugué à l’indicatif présent ;

les autres temps sont des cas. Le verbe conjugué est toujours un prédicat : «il indique

toujours quelque chose d’affirmé de quelque chose». Ce peut-il qu’il «indique parfois

quelque chose de nié de quelque chose» ? Oui, mais dans la mesure où un verbe

indéfini «s’applique indifféremment à n’importe quoi, à l’être et au non-être».

Par exemple, la phrase : «La bouteille est verte.» laisse entendre que le sujet dont on

parle, cette bouteille-ci, est (existe) à titre de sujet colorée par la couleur verte, ce qui

est plutôt clair. Par contre, que laisse entendre la phrase : «La bouteille n’est pas

verte.» ? L’expression «n’est pas verte» est un verbe indéfini ; selon ce qu’on a lu plus

haut, «ὁτουοῦν ὑπάρχει καὶ ὄντος καὶ μὴ ὄντος». Dès lors, cette expression

«s’applique indifféremment à n’importe quoi, à l’être et au non-être», ce qui implique

que l’existence de la bouteille est laissée dans le doute. Qu’en est-il de : «La non-

30

Organon II, De l’interprétation, traduction par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1984

15


bouteille n’est pas verte.» ? Que n’importe quoi d’autre qu’une bouteille est n’importe

quoi d’autre qu’un sujet colorée par la couleur verte. Alors, quel est le sujet dont on

parle, et qu’est-ce qui en est dit ? C’est plutôt obscur.

Il importe surtout de bien relever que, pour Aristote, l’expression «est en bonne santé

est un verbe» qui, parce qu’il «indique toujours quelque chose d’affirmé de quelque

chose», est un prédicat. Pourtant, en grammaire française, Grevisse enseigne que le

prédicat «peut se présenter sous deux formes : a) Le prédicat est un verbe : Le

moineau PÉPIE. ; b. Le prédicat est un élément nominal ou adjectival uni au sujet par

l’intermédiaire d’un élément verbal : Mon mari est MÉDECIN. L’enfant paraît MALADE. On

appelle cet élément nominal (médecin) ou adjectival (malade) attribut, et cet élément

verbal (est, paraît) copule.» 31

Selon le grammairien, «le prédicat est un élément nominal ou adjectival» qui est «uni au

sujet par l’intermédiaire d’un élément verbal» ; la liaison concerne des mots selon le

modus significandi. Selon la logique d’Aristote, il en va autrement ; la liaison concerne

un nom et un verbe selon le modus intelligendi. C’est ainsi que, dans l’expression «est

en bonne santé», Aristote ne distingue pas une copule et un attribut ; il la prend comme

«un verbe» qui «ajoute à sa propre signification l’existence actuelle de cet état». C’est

ce verbe qui est prédicat, du point de vue du logicien.

Ce point est relevé par Peter Thomas Geach, l’auteur du livre Logic Matters où, au

chapitre 1.5. Histoire de la corruption de la logique, il s’exprime en ces termes (traduit

de l’anglais) à propos de la proposition :

«Si une proposition est composée de deux noms, elle doit également contenir un élément de

liaison pour les maintenir ensemble. Rappelez-vous l'argument de Platon selon lequel une simple

chaîne de noms ne constitue pas un discours intelligible. Les logiciens à deux noms attribuent en

fait un tel rôle de liaison à la copule grammaticale. En anglais, le verbe "is" ou "are". C’était une

nouvelle déviation par rapport à Aristote, qui estimait qu’une proposition pouvait simplement

consister en deux termes. (Le verbe "s’applique à" dans le schéma "A s’applique à B" visait

uniquement à donner une phrase qu’un conférencier peut prononcer, et non à fournir un lien entre

"A" et "B".) C’est ainsi que de nombreuses perplexités se sont présentées à l'importation de la

copule. Pour la théorie des deux noms, la copule doit être une copule d'identité. Car, dans sa forme

31

Maurice Grevisse, Le bon usage Grammaire française, refondue par André Goose, 3e édition, Duculot,

1993, no 238

16


pure, la théorie des deux noms dit qu'une proposition affirmative est vraie parce que les termesujet

et terme-prédicat nomment une seule et même chose : "Socrate est un philosophe" est vrai

parce que l'un des individus nommés par le nom commun "philosophe" est également nommé par

le nom propre "Socrates".» 32

Geach a raison de dire que l’introduction d’une copule «était une nouvelle déviation par

rapport à Aristote, qui estimait qu’une proposition pouvait simplement consister en deux

termes.» Cette déviation aurait été introduite par Pierre Abelard dans Dialectica 33.

Cependant, la thèse que formule Geach à propos d’une «copule d’identité» introduit

une perplexité que dissipe Thomas d’Aquin. En effet, Geach écrit : «Si une proposition

est composée de deux noms, elle doit également contenir un élément de liaison pour

les maintenir ensemble.» Quel est cet «élément de liaison» pour Thomas d’Aquin ? Il

répond :

«Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 22 Ideo autem dicit quod hoc verbum est consignificat

compositionem, quia non eam principaliter significat, sed ex consequenti ; significat enim primo

illud quod cadit in intellectu per modum actualitatis absolute: nam est, simpliciter dictum, significat

in actu esse; et ideo significat per modum verbi. Quia vero actualitas, quam principaliter significat

hoc verbum est, est communiter actualitas omnis formae, vel actus substantialis vel accidentalis,

inde est quod cum volumus significare quamcumque formam vel actum actualiter inesse alicui

subiecto, significamus illud per hoc verbum est, vel simpliciter vel secundum quid: simpliciter

quidem secundum praesens tempus; secundum quid autem secundum alia tempora. Et ideo ex

consequenti hoc verbum est significat compositionem.» 34

«#73. — Le Philosophe [Aristote] précise que le verbe ‘est’ “consignifie une composition”. C’est

qu’il ne la signifie pas principalement (principaliter), mais secondairement (ex consequenti) ; ce

qu’il signifie en premier, c’est ce qui tombe dans l’intelligence sous mode d’actualité, pris

absolument : ‘est’, dit tout seul, signifie ‘être en acte’; aussi signifie-t-il sous mode de verbe. Par ailleurs,

l’actualité, que signifie principalement (principaliter) le verbe ‘est’, se trouve communément

celle de toute forme ou de tout acte substantiel ou accidentel ; aussi, pour signifier qu’une forme ou

un acte, n’importe lesquels, inhère (inesse) actuellement à un sujet, on le fait avec ce verbe ‘est’,

absolument ou sous un certain rapport : absolument en regard du temps présent, sous un certain

32 University of California Press 1980 p. 53 : «If a proposition consists of two names, it must also contain

a linking element to hold them together; remember Plato's point that a mere string of names does not

make up an intelligible bit of discourse. Two-name logicians in fact assign such a linking role to the

grammatical copula, in English the verb "is" or "are". This was a further departure from Aristotle, who

held that a proposition may consist simply of two terms. (The verb "applies to" in the schema "A applies

to B" was meant only to give a sentence a lecturer can pronounce, not to supply a link between "A" and

"B" .) And so there arose many perplexities as to the import of the copula. For the two-name theory, the

copula has to be a copula of identity. For, in its pure form, the two-name theory says that an affirmative

proposition is true because the subject and predicate terms name one and the same thing: "Socrates is

a philosopher" is true because one of the individuals named by the common name "philosopher" is also

named by the proper name « Socrates".»

33

34

Dialectica : http://individual.utoronto.ca/pking/resources/abelard/Dialectica.txt

Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 22 : http://www.corpusthomisticum.org/cpe.html#80341

17


rapport en regard des autres temps. Voilà pourquoi le verbe ‘est’ signifie la composition secondairement

(ex consequenti).» 35

C’est ici qu’on retrouve la thèse de Thomas d’Aquin, thèse qui oppose sujet et prédicat

en affirmant que le second signifie un acte d’être qu’il ajoute au premier, un «être

absolument» ou un «être non absolument».

La théorie des deux noms soutenue par Geach est que : «Pour la théorie des deux

noms, la copule doit être une copule d'identité. Car, dans sa forme pure, la théorie des

deux noms dit qu'une proposition affirmative est vraie parce que les terme-sujet et

terme-prédicat nomment une seule et même chose : "Socrate est un philosophe" est

vrai parce que l'un des individus nommés par le nom commun "philosophe" est

également nommé par le nom propre « Socrates".»

La théorie du nom et du verbe que soutient Thomas d’Aquin est plutôt que :

a) le verbe ‘est’ “consignifie une composition”, pas principalement (principaliter), mais

secondairement (ex consequenti) ;

b) ce qu’il signifie en premier (principaliter), c’est ce qui tombe dans l’intelligence sous

mode d’actualité, pris absolument : ‘est’, dit tout seul, signifie ‘être en acte’; aussi

signifie-t-il sous mode de verbe ;

c) l’actualité, que signifie principalement (principaliter) le verbe ‘est’, se trouve

communément celle de tout acte substantiel ou accidentel ; aussi, pour signifier

qu’un acte inhère (inesse) actuellement à un sujet, on le fait avec ce verbe ‘est’, ce

pourquoi le verbe ‘est’ signifie la composition secondairement (ex consequenti).

Selon la théorie du nom et du verbe, la proposition «Socrate est un philosophe» est

vraie si l’être en acte signifié par le verbe «est un philosophe» est aussi exercé par

Socrate. Si le Socrate dont il s’agit est celui qui est mort en 300 av. J.-C. en buvant la

cigüe, la proposition «Socrate est un philosophe» est fausse. Pour la rendre vraie, il

s’impose d’employer un cas du verbe, le passé simple : «Socrate fut un philosophe»,

35

Commentaire du De l’interprétation, Introduction, traduction et notes par Yvan Pelletier : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairedeinterpretation.htm

18


puisque l’être en acte signifié par le verbe «est un philosophe» n’est plus exercé par

Socrate depuis sa mort.

On a vu plus haut que, en grammaire française, il est admis que le prédicat peut se

présenter sous deux formes : a) le prédicat est un verbe ; b. le prédicat est un attribut,

et une copule. Au chapitre 10 du De l’interprétation, Aristote examine les oppositions

dans les propositions à deux expressions ou à trois expressions, à sujet défini ou

indéfini. La théorie» du nom et du verbe que soutient Thomas d’Aquin n’est pas remise

en question pour autant. Par exemple, la proposition «Socrate philosopha.» et la

proposition «Socrate fut un philosophe» contiennent le même verbe qui signifie le

même être en acte.

Avant de clore cette première partie, il convient de revenir sur l’ordre à établir entre le

modus intelligendi et le modus significandi.

Un tournant linguistique

Dans un article publié en 1882, dont le titre français est Que la science justifie le

recours à une idéographie

36, Gottlob Frege propose l’instauration d’un canon selon

lequel le mot écrit devient la norme du mot parlé, canon qu’il définit en ces termes : «Le

mot écrit l’emporte par la durée sur le mot parlé. On peut parcourir plusieurs fois du

regard une suite de pensées sans craindre qu’elles soient altérées, et vérifier d’autant

plus soigneusement sa valeur concluante. Les règles logiques sont alors appliquées de

l’extérieur, comme un canon, puisque la simple écriture des mots de la langue parlée

n’offre, de par sa nature, aucune garantie logique.» Ce canon inaugure ce qu’il est

convenu de nommer : tournant linguistique, linguistic turn.

Dans un autre article publié en 1891, Fonction et concept

37, Frege écrit encore : «Je

pars de ce qu’on appelle fonction en mathématiques.» «On voit combien ce que l’on

appelle concept en logique est étroitement lié à ce que nous appelons fonction. On

36

37

Écrits logiques et philosophiques, Éditions du Seuil, 1971, p. 65

Écrits logiques et philosophiques, Éditions du Seuil, 1971, p. 80

19


pourra même dire simplement : un concept est une fonction dont la valeur est toujours

une valeur de vérité.»

Dans un livre de 1940 intitulé An Inquiry into Meaning and Truth, traduit en français

sous le titre Signification et vérité, Bertrand Russell, qui emprunte la voie ouverte par

Frege, parle d’un langage-objet, qu’il présente en ces termes : «Dans son important

ouvrage, Der Wahreitsbegriff in den formalisierten Sprache, Tarski a montré que les

mots «vrai» et «faux», lorsqu’Ils s’appliquent aux phrases d’un langage donné,

requièrent toujours un autre langage, d’un ordre supérieur, à défaut de quoi ils ne

peuvent se définir adéquatement.»

38

L’ouvrage d’Alfred Tarski que mentionne Russell,

et qui expose une conception sémantique du concept de vérité, fut traduit en français et

publié sous le titre : Le concept de vérité dans les langages formalisés 39.

Le tournant linguistique s’est imposé à un point tel que l’alternative se limiterait à

«l’acrostiche ou l’élevage des abeilles», à moins de «fermer le livre», écrivit Stephen C.

Kleene, dès le début du premier chapitre de son ouvrage, Logique mathématique

est très important de garder à l’esprit cette distinction entre la logique étudiée (logique

objet) et notre emploi de la logique au cours de cette étude (logique de l’observateur). À

quiconque s’y refuserait nous suggérons de fermer le livre dès maintenant et de se

chercher un autre sujet d’intérêt, par exemple l’acrostiche ou l’élevage des abeilles.»

40

: «Il

Cette mise en garde est préparée par une introduction que cet auteur formule comme

suit :

«Nous nous proposons d’étudier la logique au moyen de méthodes mathématiques. Nous voici

devant un petit paradoxe : comment peut-on traiter la logique mathématiquement (ou d’une

manière systématique), sans utiliser la logique elle-même ? La solution de ce paradoxe est simple,

quoiqu’il faille du temps pour bien voir comment elle se matérialise. Nous plaçons la logique que

38

Flammarion, 1969, p. 74

39 Alfred Tarski, Logique, sémantique, métamathématique, tome 1, Librairie Armand Colin, 1972 : La

conception sémantique du concept de vérité s’oppose à une conception syntaxique à laquelle a

contribué Kurt Gödel avec son théorème de complétude du calcul des prédicats, et ses deux théorèmes

d’incomplétude concernant l’arithmétique. Cette division entre une sémantique formelle, une syntaxique

formelle et une pragmatique formelle est inspirée de la linguistique, de la grammaire, au point qu’on

parlera de la grammaire formelle d’une langue formelle.

40

Librairie Armand Colin, Paris, 1971

20


nous étudions dans une boîte et celle que nous utilisons dans cette étude dans une autre boîte. Au

lieu de boîtes, nous pouvons parler de langages. Quand nous étudions la logique, la logique que

nous étudions appartiendra à une langue dite langage-objet parce que cette langue et la logique

qui s’y trouve incluse sont l’objet de notre étude. Notre étude de cette langue et de sa logique, en y

incluant notre emploi de la logique dans cette étude, nous la regardons comme appartenant à une

autre langue que nous appelons langage de l’observateur. Nous pouvons ainsi parler de logiqueobjet

et de logique de l’observateur.»

Willard Van Orman Quine, dans Méthodes de logique

41, emploie le mot «prédicat», et

ce, selon le tournant linguistique. Il ne manque donc pas de donner la précision

suivante : «Mais cet usage du mot ‘prédicat’ ne doit pas être confondu, s’il est possible,

avec l’usage médiéval.» En fait, cet «usage médiéval» remonte plutôt à l’Antiquité

grecque, et un examen de cet usage rend manifeste qu’il ne peut pas être confondu

avec l’usage qu’en fait Quine.

En fait, l’usage du mot «prédicat» selon l’école aristotélicienne et l’usage du mot

«prédicat» selon l’école du tournant linguistique déterminent deux espèces de logique :

a) une logique où on élabore une théorie du nom et du verbe où le verbe est prédicat ;

b) une logique où on examine une théorie de la fonction de vérité. Il s’est même trouvé

un auteur, Henry B. Veatch, pour écrire un livre intitulé Two Logics The Conflict between

Classical and Neo-Analytic Philosophy 42.

Henry B. Veatch n’est pas le seul auteur qui conteste l’alternative retenue par Stephen

C. Kleene. Fred Sommers s’engage aussi dans cette voie, notamment dans son livre

intitulé The Logic of Natural Language

43. Marc Balmès également avec son livre

L’énigme des mathématiques La mathématisation du réel et la Métaphysique.

41

42

43

Armand Colin, 1972, p. 160

Northwestern University Press, Evanston, 1969

Clarendon Press, Oxford, 1982

21


Au tome I de son ouvrage, à la page 108, Balmès s’inspire d’un ouvrage de Charles H.

Kahn, The verb ‘be’ in Ancient Greek

44, qui traite du «système indo-européen du verbe

être», «dont l’analyse de l’usage révèle trois composantes : 1. signifier l’existence :

(…) ; 2. exprimer la véridicité : (…) ; 3. faire fonction de copule : (…)». Le livre de Kahn

se présente comme suit :

«Cette réédition du travail classique de Charles Kahn comprend un nouvel essai introductif

substantiel, qui présente une reformulation de la théorie de l'unité syntaxique et sémantique pour le

système d'utilisations du verbe être en grec (conçu principalement comme un verbe de

prédication), et de là une défense de l'unité conceptuelle de la notion d'étant dans la philosophie

grecque. Le livre offre une description systématique de l'utilisation et de la grammaire du verbe être

en grec ancien, avant que les philosophes ne l'aient repris pour exprimer les concepts centraux de

la logique et de la métaphysique grecques. Les preuves proviennent principalement d'Homère

mais sont complétées par des spécimens de la prose attique classique. Les sujets abordés

incluent le statut original du verbe en indo-européen, ainsi que les relations logiques et syntaxiques

entre les utilisations de copule, existentielle et véridique.» (traduit de l’anglais) 45

Aristote fréquenta l’Académie de Platon pendant vingt ans. À l’entrée de cet Académie,

apparaissait la phrase : « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre », dit-on. Après le décès de

Platon, en 348 av. J.-C., Speusippe devient le scholarque de l’Académie ; il lui fit

prendre un virage pythagorisant. C’est ce virage que vise Aristote lorsqu’il écrit dans

Métaphysique : «Mais, les Mathématiques sont devenues, pour les modernes, toute la

Philosophie, quoiqu’ils disent qu’on ne devrait les cultiver qu’en vue du reste.» 46

Alors que Kleene envisage «la logique au moyen de méthodes mathématiques», on

pourrait dire qu’Aristote, suivi par Thomas d’Aquin, l’envisage «au moyen de méthodes

métaphysiques». En effet, ce dernier écrit :

44 Peter Lang, 2002, tome I, p. 108 : «This reissue of Charles Kahn's classic work includes a substantial

new introductory essay, which presents a reformulation of the theory of syntactic and semantic unity for

the system of uses of the verb be in Greek (conceived primarily as a verb of predication), and hence a

defense of the conceptual unity for the notion of Being in Greek philosophy. The book offers a

systematic description of the use and grammar of the verb to be in Ancient Greek, before the

philosophers took it over to express the central concepts in Greek logic and metaphysics. Evidence is

taken primarily from Homer but supplemented by specimens from classical Attic prose. Topics

discussed include the original status of the verb in Indo-European, as well as the logical and syntactic

relations among copula, existential, and veridical uses.»

45

46

https://www.amazon.com/Verb-Be-Ancient-Greek/dp/0872206440

Métaphysique, 992a 30

22


«Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 3 Dicit ergo primo, quod de substantiis sensibilibus primo

dicendum est, et ostendendum est in eis quod quid erat esse: ideo primum dicemus de eo quod est

quod quid erat esse quaedam logice. Sicut enim supra dictum est, haec scientia habet quandam

affinitatem cum logica propter utriusque communitatem. Et ideo modus logicus huic scientiae

proprius est, et ab eo convenienter incipit. Magis autem logice dicit se de eo quod quid est

dicturum, inquantum investigat quid sit quod quid erat esse ex modo praedicandi. Hoc enim ad

logicum proprie pertinet.» 47

«1308. Il dit donc en premier lieu qu’au sujet des substances sensibles il faut parler en premier lieu

et manifester en elles quelle est leur quiddité : c’est pourquoi nous parlerons d’abord de ce qu’est

la quiddité en suivant un mode logique. En effet, ainsi que nous l’avons dit plus haut, cette science

[la métaphysique] a une certaine affinité avec la Logique en raison de leurs rapports communs. Et

c’est pourquoi le mode logique est approprié à cette science et c’est avec raison qu’elle commence

par là. Mais il dit qu’il va davantage parler de la quiddité suivant un mode logique dans la mesure

où il va examiner la quiddité à partir du mode d’attribution. Cette façon de faire en effet appartient

en propre au logicien.»

Sans aller jusqu’à une «description systématique de l'utilisation et de la grammaire du

verbe être», non pas «en grec ancien», comme Charles H. Kahn, mais en langue

française, il est intéressant de voir comment le Centre National des Ressources

Textuelles et Lexicales (CNRTL) présente ce verbe intransitif en trois sections

faisant ainsi ressortir les diverses acceptions que ce mot peut prendre :

48, en

1re Section. Emploi abs., au sens fort. Exister :

I.− [D'un point de vue abstr.]

A.− [Dans un cont. relig. judéo-chrét., philos. ou littér., avec une idée d'éternité, d'absence de

commencement et de fin;

B.− [Dans un cont. philos. et littér., sans idée d'éternité] Commencer d'être.

II.− P. ext. [D'un point de vue concr.]

A.− [En parlant d'un être vivant]

1. Être au monde; vivre en général :

B.− [En parlant d'une chose] Exister, être réellement comme le vérifie l'expérience; en partic.

être conforme à la réalité

2e Section. Premier élément d'une expression binaire :

I.− [Affirme ce que quelqu'un ou quelque chose est, dans son essence, sa réalité, son

apparence; ou sert à traduire une modalité de jugement sur quelqu'un ou quelque chose]

A.− [Copule de prédicat attributif]

1. [L'attribut est un adj.]

2. [L'attribut est un subst.]

3. [L'attribut est un nom. ou un pron.]

4. Cas partic.

B.− [Être est suivi d'un adv., d'une loc. adv., ou d'un syntagme prép.]

1. [Pour indiquer une situation dans l'espace]

47 Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 3 : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm

48

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : https://www.cnrtl.fr/definition/être

23


2. [Pour indiquer une situation dans le temps]

3. [Pour indiquer un état ou p. ext. une manière d'être]

4. [Pour indiquer une relation d'appartenance entre qqn et qqn ou qqn et qqc.] Être à + subst.

ou pron.

5. [Pour indiquer une tendance ou une orientation]

6. [Pour exprimer l'origine, la provenance, la conformité avec un modèle et p. ext. la

caractéristique ou le caractère inhérent à qqn ou qqc., la qualité d'élément ou de membre d'un

groupe]

3 e Section. Second élément d'une expression binaire.

I.− [L'expr. est introd. par ce]

A.− [Pour souligner ou marquer l'identité précise entre le signifié désigné par ce et le signifiant

explicite]

B.− [Dans la conversation fam., est relie ce (ce qu'on montre, l'objet en situation) à un attribut

implicite et vague, le sens précis étant tiré de la situation; c'est reste au sing.]

II.− [L'expr. est introd. par il impers.]

A.− Cour. [Constr. impers. simple; pour indiquer la situation dans un moment du temps]

B.− Lang. littér. recherchée. [Suivi d'un mot indéf. ou d'une négation]

C.− [Sert à exprimer un jugement de valeur, une appréciation]

Comme la 1 re Section, pour l’emploi abstrait, retient pour «sens fort» le verbe intransitif :

Exister, il est intéressant de lire ce que le CNRTL en dit 49 :

A.− Posséder une réalité. Synon. être au sens fort.

1. PHILOS. Surgir du néant ou avoir une cause

2. Cour. [Assorti de coordonnées (espace, temps) et de modalités précises] Être dans la réalité, au

monde.

B.− P. ext. Vivre (avec tous les éléments nécessaires à la vie).

1. [Envisagé du point de vue de la durée de l'existence]

2. [Envisagé du point de vue du contenu qualitatif de la vie, de la manière de vivre, de la qualité de

l'existence]

3. Vivre, au sens matériel du terme.

C.− [Avec valeur intensive; le suj. désigne une pers. ou une chose] Se manifester dans la vie de

manière éminente; avoir de l'importance, compter pour quelqu'un.

Parmi les acceptions retenues pour «être» et pour «exister», l’un étant un synonyme de

l’autre selon le CNRTL, il en est une pour la «copule de prédicat attributif», et une autre

pour «être au sens fort», i.e. «posséder une réalité». En latin, le verbe esse, traduit par

être, et le verbe exsistere, traduit par sortir de, n’ont pas exactement le même sens,

mais le désaccord dont l’examen est en cours n’exige pas d’en tenir compte.

Quant à l’acception «copule de prédicat attributif», elle n’est pas reçue en logique de la

proposition formulée selon la théorie du nom et du verbe citée plus haut. C’est ainsi

49

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : https://www.cnrtl.fr/definition/exister

24


que, lorsque Thomas d’Aquin commente l’ouvrage d’Aristote intitulé Métaphysique, il

écrit :

«Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 18. Ens dicitur non solum quod est in rerum natura, sed

secundum compositionem propositionis, prout est in ea verum vel falsum; ita possibile et

impossibile dicitur non solum propter potentiam vel impotentiam rei : sed propter veritatem et

falsitatem compositionis vel divisionis in propositionibus.»

«971. L’être se dit non seulement de ce qui existe dans la nature des choses mais aussi de la

composition d’une proposition dans la mesure où il y a en elle du vrai ou du faux.» 50

Le moment est venu d’approfondir la notion de prédicat selon Aristote et Thomas

d’Aquin, celle qui ouvre la voie à une métaphysique de l’être en tant qu’être.

— # —

50

Commentaire de saint Thomas d'Aquin du traité des métaphysiques d’Aristote, traduction par Serge

Pronovost : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

25



‘ÊTRE’ COMME PRÉDICAT

Un désaccord entre sages met aux prises Emmanuel Kant et Thomas d’Aquin, qui suit

Aristote. Kant, qui limite le verbe «est» à n’être que copule, oppose «cent thalers

possibles» à «cent thalers réels», et nie que «réel» ajoute quoi que ce soit à

«possible». Thomas d’Aquin, qui suit Aristote, oppose sujet et prédicat en affirmant que

le second signifie un acte d’être qu’il ajoute au premier, un «être absolument» ou un

«être non absolument».

C’est dans la seconde partie de sa Critique de la raison pure, la dialectique

transcendantale, que Kant énonce ainsi sa thèse de l’Être comme copule

grammaticale :

«Être n'est évidemment pas un prédicat réel, c'est-à-dire un concept de quelque chose qui puisse

s'ajouter au concept d'une chose. C’est simplement la position d'une chose ou de certaines

déterminations en soi. Dans l'usage logique, il n'est que la copule d'un jugement. cette proposition :

Dieu est tout-puissant renferme deux concepts qui ont leurs objets : Dieu et toute-puissance ; le

petit mot : est n'est pas du tout encore par lui-même un prédicat, c’est seulement ce qui met le

prédicat en relation avec le sujet. » 51

«Est-il vrai que être n’a qu’un «usage logique», et ce, à titre de «copule d’un

jugement» ? À cette question, Aristote formule une réponse négative en ces termes :

«Εἰ δὴ μηδὲν τῶν καθόλου δυνατὸν οὐσίαν εἶναι, καθάπερ ἐν τοῖς περὶ οὐσίας καὶ περὶ τοῦ

ὄντος εἴρηται λόγοις, οὐδ' αὐτὸ τοῦτο οὐσίαν ὡς ἕν τι παρὰ τὰ πολλὰ δυνατὸν εἶναι κοινὸν

γάῤ ἀλλ' ἢ κατηγόρημα μόνον, δῆλον ὡς οὐδὲ τὸ ἕν· τὸ γὰρ ὂν καὶ τὸ ἓν καθόλου

κατηγορεῖται μάλιστα πάντων.» 52

«S'il n’est pas possible que rien de ce qui qui est universel soit une substance, comme nous

l'avons dit dans nos discussions de la Substance et de l’Être, et si l’Être lui-même ne peut pas être

une substance une et déterminée, en dehors de la multiplicité sensible (car il est commun à cette

multiplicité), mais s’il n’est qu’un simple prédicat, il est évident que l’Un ne peut pas non plus être

une substance, puisque l'Être et l'Un sont les plus universels de tous les prédicats.» 53

Le mot «prédicat» vient du verbe latin «praedicare», qui signifie : dire à la face du

public. Le nom latin «subjectum», traduit par «sujet», vient du verbe «subjicere» qui

51 Critique de la Raison pure, traduction de A. Tremesaygues et B. Pacaud, page 494 : https://

gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5443790t/f527.image.r=emmanuel%20kant

52

53

Métaphysique 1053b 20, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#22

Métaphysique, Tome II, traduction de J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1981

27


signifie «placer dessous» ; le sujet est le sous-jacent. En grec, «subjectum» (sujet) se

traduit par : ὑποκειμένον. Le sous-jacent, latent par nature, est rendu patent, évident,

par le prédicat qui en est dit à la face du public : le sous-jacent est ainsi découvert.

Le verbe ὑπάρχειν

Dans De l’interprétation

54, Aristote introduit une précision à propos du prédicat en

l’identifiant au verbe : «Ῥῆμα δέ ἐστι τὸ προσσημαῖνον χρόνον, οὗ μέρος οὐδὲν

σημαίνει χωρίς· ἔστι δὲ τῶν καθ´ ἑτέρου λεγομένων σημεῖον.» «Le verbe est le

mot qui, outre sa signification propre, embrasse l'idée de temps, et dont aucune partie

isolée n'a de sens par elle-même; et il est toujours le signe des choses attribuées à

d'autres choses.»

Il ajoute que le verbe «est» signifie un «être au sens fort», comme suit : «Λέγω δ´ ὅτι

προσσημαίνει χρόνον, οἷον ὑγίεια μὲν ὄνομα, τὸ δ´ ὑγιαίνει ῥῆμα· προσσημαίνει

γὰρ τὸ νῦν ὑπάρχειν.» «Je dis qu'il embrasse l'idée de temps outre sa signification

propre, par exemple : santé, n'est qu'un nom; est en bonne santé est un verbe; car il

exprime en outre que la chose est dans le moment actuel.» Cependant, même si «est

en bonne santé est un verbe» qui «exprime en outre que la chose est dans le moment

actuel», et ce, à titre de prédicat, il faut encore qu’il soit entré en composition avec un

sujet qui signifie «la chose» qui «est dans le moment actuel». Il en est de même du mot

«étant», ajoute-t-il : « Car être ou ne pas être ne présente pas une signification se

rapportant à l’objet (πράγματος), et pas davantage le terme étant, lorsqu’on se

contente de les employer seuls.» Il s’impose de signifier : «L’étant est.»

Il convient de bien remarquer l’emploi que fait Aristote du verbe «ὑπάρχειν». Aristote

l’utilise abondamment dans l’Organon, et même dans Métaphysique, notamment dans

sa définition de l’acte : «Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ

λέγομεν δυνάμει.»

55

Thomas d’Aquin la commente en ces termes : «1825.Primo

54

55

De l’interprétation, 16b 5 ; http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia3.htm

Métaphysique, 1048a31

28


ostendit quid est actus; dicens, quod actus est, quando res est, nec tamen ita est sicut

quando est in potentia.»

56

; «Premièrement, il montre ce qu’est l’acte; en disant que

l’acte est quand la réalité est, mais pas ainsi qu’elle est quand elle est en puissance.» Il

n’est donc pas étonnant qu’il l’emploie dans la définition du verbe qu’on vient de lire :

«προσσημαίνει γὰρ τὸ νῦν ὑπάρχειν», que J. Tricot traduit par : «il ajoute à sa propre

signification l’existence actuelle de cet état». Un autre exemple se trouve aux Seconds

analytiques, là où «ὑπάρχειν», traduit par «appartenir», apparaît sept fois en six

lignes :

«Τῶν δὴ ὑπαρχόντων ἀεὶ ἑκάστῳ ἔνια ἐπεκτείνει ἐπὶ πλέον, οὐ μέντοι ἔξω τοῦ γένους.

Λέγω δὲ ἐπὶ πλέον ὑπάρχειν ὅσα ὑπάρχει μὲν ἑκάστῳ καθόλου, οὐ μὴν ἀλλὰ καὶ ἄλλῳ. Οἷον

ἔστι τι ὃ πάσῃ τριάδι ὑπάρχει, ἀλλὰ καὶ μὴ τριάδι, ὥσπερ τὸ ὂν ὑπάρχει τῇ τριάδι, ἀλλὰ καὶ

μὴ ἀριθμῷ, ἀλλὰ καὶ τὸ περιττὸν ὑπάρχει τε πάσῃ τριάδι καὶ ἐπὶ πλέον ὑπάρχει (καὶ γὰρ τῇ

πεντάδι ὑπάρχει), ἀλλ´ οὐκ ἔξω τοῦ γένους· ἡ μὲν γὰρ πεντὰς ἀριθμός, οὐδὲν δὲ ἔξω

ἀριθμοῦ περιττόν.» 57

«Parmi les attributs qui appartiennent toujours à la chose, quelques-uns dépassent la chose ellemême,

mais cependant sans sortir du genre. Je dis que les attributs dépassent la chose, lorsque,

tout en lui appartenant universellement, ils sont cependant -aussi à une autre chose qu'elle. Par

exemple, il y a tel attribut qui appartient à toute triade et qui cependant appartient aussi à ce qui

n'est pas triade. Ainsi l'être est un attribut qui appartient à la triade, mais il appartient de plus à ce

qui n'est pas nombre (ὥσπερ τὸ ὂν ὑπάρχει τῇ τριάδι, ἀλλὰ καὶ μὴ ἀριθμῷ). L'impair est un

attribut de toute triade, mais il dépasse le nombre trois, puisqu'il appartient également au nombre

cinq; toutefois il ne sort pas du genre; car cinq est bien un nombre, mais hors du nombre il n'y a

rien d’impair.» 58

Thomas d’Aquin commente ce passage en ces termes :

«Expositio Posteriorum, lib. 2 l. 13 n. 3 Circa primum considerandum est quod ea quae

praedicantur in eo quod quid est, oportet quod semper et universaliter praedicentur, ut supra

habitum est : et ideo accipiens ea quae praedicantur de unoquoque ut semper, dicit quod inter ea

quaedam inveniuntur quae extenduntur in plus quam id cui insunt ; non tamen ita quod inveniantur

extra genus illud. Et exponit quid sit esse in plus, et dicit quod in plus esse dicuntur quaecunque

universaliter insunt alicui, non tamen ei soli, sed etiam alii. Datur autem per hoc intelligi aliud

membrum oppositum, quia scilicet est aliquid quod extenditur in plus, et est extra genus. Et de hoc

primo ponit exemplum, dicens quod est aliquid quod inest omni ternario, sed et non ternario inest ;

sicut patet de ipso ente communi, quod quidem universaliter inest non tantum trinitati, sed etiam

aliis ; et non solum in genere numeri, sed etiam in his quae sunt extra genus numeri. Impar vero

inest omni ternario, et est in plus, quia etiam inest ipsi quinario ; non tamen invenitur extra genus

56 Commentary On The Metaphysics, traduction de John P. Rowan : https://dhspriory.org/thomas/

Metaphysics9.htm#5

57

58

Seconds analytiques 96b 25 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt22.htm#132

Traduction de J. Barthélemy-Sant-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/

analyt22.htm#132

29


ternarii, quod est numerus, quia etiam quinarius in genere numeri invenitur ; nihil autem quod sit

extra genus numeri potest dici impar.» 59

«529. Au sujet du premier point il faut considérer que les termes qui sont attribués dans l’essence

doivent l’être toujours et universellement ainsi que nous l’avons établi précédemment : et c’est

pourquoi il dit qu’en prenant les termes qui s’attribuent toujours à un sujet, il s’en trouve parmi eux

certains qui s’étendent plus largement qu’au seul sujet auquel ils appartiennent, mais non pas au

point de se retrouver en dehors du genre du sujet. Et il explique ce qu’il veut dire lorsqu’il dit

s’étendre plus largement, et il dit que possèdent une plus grande extension tous les prédicats qui

appartiennent à un sujet et qui, sans cependant appartenir à lui seul, appartiennent aussi à

d’autres. Mais il donne à entendre par là un autre terme opposé à celui-là, car il existe encore un

autre terme qui a plus d’extension que le sujet mais qui est situé en dehors du genre du sujet. Et

en premier lieu, il donne un exemple de cela en disant qu’il y a un terme qui appartient à toute

triade mais aussi à ce qui n’est pas triade ainsi qu’on le voit pour l’être commun lui-même qui

s’attribue certes universellement non seulement à toute triade mais aussi à d’autres choses, et non

seulement à d’autres choses qui sont dans le genre du nombre, mais aussi à des choses qui ne

sont pas même dans le genre du nombre.» 60

À partir de «Et exponit quid sit esse in plus», Thomas d’Aquin affirme que : «[Aristote]

explique ce qu’il veut dire lorsqu’il dit s’étendre plus largement, et il dit que possèdent

une plus grande extension tous les prédicats qui appartiennent à un sujet et qui, sans

cependant appartenir à lui seul, appartiennent aussi à d’autres.» Et, «il donne un

exemple de cela en disant qu’il y a un terme qui appartient à toute triade mais aussi à

‘ce qui n’est pas triade’ ainsi qu’on le voit pour l’être commun lui-même qui s’attribue

certes universellement non seulement à toute triade mais aussi à d’autres choses, et

non seulement à d’autres choses qui sont dans le genre du nombre, mais aussi à des

choses qui ne sont pas même dans le genre du nombre.»

Le verbe «ὑπάρχειν» est formé de «ὑπὸ» et de «άρχειν», où on reconnait le fameux

terme «άρχὴ». «Ὑπάρχειν» se prend en plusieurs acceptions, qu’il s’agisse du mode

personnel ou du mode impersonnel. Émile Pessonnaux 61 le présente comme suit :

a) mode personnel : 1. commencer, faire une chose le premier ; 2. être là, sous la

main ; 3. appartenir, être le partage de ; 4. tenir pour, favoriser ; 5. exister, subsister,

être ; 6. commander sous les ordres d’un autre ;

59 Expositio Posteriorum, lib. 2 l. 13 n. 3 : http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/philosophie/

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm#_Toc536727780

60 Commentaire de Saint-Thomas d’Aquin aux Seconds Analytiques d’Aristote, traduction de Serge

P r o n o v o s t : h t t p : / / d o c t e u r a n g e l i q u e . f r e e . f r / l i v r e s f o r m a t w e b / p h i l o s o p h i e /

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm#_Toc536727780

61

Dictionnaire grec-français, Librairie classique Eugène Belin, 1953

30


b) mode impersonnel : 1. commencer, débuter ; 2. commencer, prendre l’initiative.

Selon l’acception «3.», «appartenir» voisine «être le partage de», de telle sorte que :

«ὥσπερ τὸ ὂν ὑπάρχει τῇ τριάδι, ἀλλὰ καὶ μὴ ἀριθμῷ», qui est traduit par : «Ainsi

l'étant est un attribut qui appartient à la triade, mais il appartient de plus à ce qui n'est

pas nombre», pourrait tout aussi bien l’être avec : «Ainsi l'étant est le partage de la

triade, mais il est de plus le partage de ce qui n'est pas nombre». L’acception «5.

exister, subsister, être» présente aussi de l’intérêt puisque Thomas d’Aquin précise ce

qu’il entend par «substance», «subsistance», et «essence», comme suit :

«Unde dico, quod « essentia » dicitur cujus actus est esse, « subsistentia » cujus actus est

subsistere, substantia cujus actus est substare. Hoc autem dicitur dupliciter, sicut in singulis patet.

Esse enim est actus alicujus ut quod est, sicut calefacere est actus calefacientis ; et est alicujus ut

quo est, scilicet quo denominatur esse, sicut calefacere est actus caloris. (…) Sic ergo patet

differentia istorum trium dupliciter. Quia si accipiatur unumquodque ut quo est, sic essentia

significat quidditatem, ut est forma totius, « ousiosis » formam partis, « hypostasis » materiam. Si

autem sumatur unumquodque ut quod est, sic unum et idem dicetur « essentia », inquantum habet

esse, « subsistentia », inquantum habet tale esse, scilicet absolutum ; et hoc per prius convenit

generibus et speciebus, quam individuis ; et substantia, secundum quod substat accidentibus ; et

hoc per prius convenit individuis, quam generibus et speciebus.» 62

«C’est pourquoi je dis que «essentia» se dit de ce dont l’acte est d’exister, «subsistentia» de ce

dont l’acte est de subsister et «substantia» se dit de ce dont l’acte consiste à soutenir un autre.

Mais cela se dit de deux manières comme on le voit par l’examen des cas particuliers. Exister en

effet est l’acte d’un être en tant que ¨ce qui existe¨, comme réchauffer est l’acte de celui qui

réchauffe ; et il appartient à un être en tant que ¨ce par quoi¨ il existe, c’est-à-dire ce par quoi il est

dénommée, comme réchauffer est l’acte de la chaleur. (…) Et c’est pourquoi la différence entre ces

trois noms est évidente de trois manières. Car si on prend n’importe quel d’entre eux en tant que

¨ce par quoi¨, alors «essentia» signifie la quiddité en tant qu’elle est la forme du tout, «ousiosis»

signifie la forme de la partie, «hypostasis» signifie la matière. Mais si on prend chacun d’eux en

tant que ¨ce qui est¨, alors une seule et même chose sera appelée «essentia» en tant qu’elle

possède l’existence ; «subsistentia» en tant qu’elle possède telle existence, à savoir une existence

absolue, et cela convient en priorité aux genres et aux espèces plutôt qu’aux individus ; et enfin

«substantia» selon qu’elle soutient les accidents, et cela convient en priorité aux individus plutôt

qu’aux genres et aux espèces.»

On mesure la portée de ce texte si on considère que «l’acte de subsister est le partage

du subsistant», que «l’acte de soutenir est le partage de la substance», et que «l’acte

d’être est le partage de l’essence». C’est ainsi que : être, qui est l’acte d’un être pris en

62

Commentaire des sentences de Pierre Lombard — Scriptum super Sententiis

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 co. , traduction de Serge Pronovost : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

sommes/SENTENCES1.htm#_Toc516173817

31


tant que ¨ce qui est¨, est le partage de ¨ce par quoi¨ il est, c’est-à-dire de ce par quoi il

est dénommé.

L’emploi de «ὑπάρχειν» dans la définition même du verbe défini et du verbe indéfini, et

de ce qui s’ensuit, exclut la thèse d’un prédicat logique conçu comme un prédicat

grammatical, i.e. comme un attribut du sujet lié à ce dernier par une copule telle que

«est».

C’est ce sur quoi Thomas d’Aquin insiste dans son commentaire du De l’interprétation

lorsqu’il écrit un commentaire du chapitre III qu’il formule «ut magis sequamur verba

Aristotelis », «pour respecter davantage la lettre d’Aristote», et ce, en employant esse,

ens, est, quod est, compositio, et in qua consistit veritas et falsitas, et non potest intelligi

comme suit :

«Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 20 Et ideo ut magis sequamur verba Aristotelis

considerandum est quod ipse dixerat quod verbum non significat rem esse vel non esse, sed nec

ipsum ens significat rem esse vel non esse. Et hoc est quod dicit, nihil est, idest non significat

aliquid esse. Etenim hoc maxime videbatur de hoc quod dico ens : quia ens nihil est aliud quam

quod est. Et sic videtur et rem significare, per hoc quod dico quod et esse, per hoc quod dico est.

Et si quidem haec dictio ens significaret esse principaliter, sicut significat rem quae habet esse,

procul dubio significaret aliquid esse. Sed ipsam compositionem, quae importatur in hoc quod dico

est, non principaliter significat, sed consignificat eam in quantum significat rem habentem esse.

Unde talis consignificatio compositionis non sufficit ad veritatem vel falsitatem: quia compositio, in

qua consistit veritas et falsitas, non potest intelligi, nisi secundum quod innectit extrema

compositionis.» 63

«#71. — Aussi, pour respecter davantage la lettre d’Aristote, on doit se rappeler ce qu’il a dit

précisément : le verbe, pas même ‘étant’ lui-même (ipsum ens), ne signifie pas qu’une chose soit

ou ne soit pas (rem esse vel non esse.). Voilà le sens de sa déclaration à l’effet qu’il “n’est rien” : il

ne signifie pas que quelque chose soit (non significat aliquid esse). C’est le plus frappant à propos

de “étant” (dico ens), qui n’est rien d’autre que ‘ce qui est’ (ens nihil est aliud quam quod est). Dans

son cas, le verbe paraît bien signifier une réalité (videtur rem significare), du fait qu’on dise ‘ce

qui’ (dico quod et esse), et que cette réalité soit, du fait qu’on dise ‘est’ (per hoc quod dico est). De

fait, si cette expression, “étant”, signifiait principalement l’être (dictio ens significaret esse

principaliter), à la façon dont elle signifie une chose qui détient l’être (sicut significat rem quae

habet esse), elle signifierait sans doute que quelque chose soit (significaret aliquid esse).

Cependant, la composition impliquée du fait de dire ‘est’ (ipsam compositionem, quae importatur in

hoc quod dico est), l’expression ‘est’ ne la signifie pas principalement (non principaliter significat);

elle la consignifie consignificat eam ) en tant qu’elle signifie principalement une réalité détenant

l’être (in quantum significat rem habentem esse). Par suite, pareille consignification de composition

63

Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 20 : http://www.corpusthomisticum.org/cpe.html#80339

32


ne suffit pas à faire qu’il y ait vérité ou fausseté; la composition dans laquelle consiste la vérité et la

fausseté ne peut en effet être intelligée qu’à la condition d’en embrasser les termes.» 64

«Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 21 Si vero dicatur, nec ipsum esse, ut libri nostri habent,

planior est sensus. Quod enim nullum verbum significat rem esse vel non esse, probat per hoc

verbum est, quod secundum se dictum, non significat aliquid esse, licet significet esse. Et quia hoc

ipsum esse videtur compositio quaedam, et ita hoc verbum est, quod significat esse, potest videri

significare compositionem, in qua sit verum vel falsum; ad hoc excludendum subdit quod illa

compositio, quam significat hoc verbum est, non potest intelligi sine componentibus: quia dependet

eius intellectus ab extremis, quae si non apponantur, non est perfectus intellectus compositionis, ut

possit in ea esse verum, vel falsum.» 65

«#72. — En lisant : “du moins l’être…”, comme le portent nos versions, le sens apparaît plus

clairement : qu’aucun verbe ne signifie qu’une chose soit ou non, le Philosophe le prouve avec le

verbe ‘est’ qui, dit tout seul, ne signifie pas qu’une réalité soit, même s’il signifie l’être. Cet ‘être’

sonne comme une composition; aussi, le verbe ‘est’, comme il signifie l’être, peut donner l’impression

de signifier une composition où il se trouve du vrai ou du faux. Pour l’exclure, le Philosophe

ajoute que la composition que signifie le verbe ‘est’ ne peut se concevoir sans ses composantes,

parce que son intelligence dépend de termes sans la présence desquels on ne saisit pas assez

complètement la composition pour qu’il puisse s’y trouver du vrai ou du faux.» 66

La thèse de Thomas d’Aquin, pour qui être, qui est l’acte d’un être pris en tant que ¨ce

qui est¨, est le partage de ¨ce par quoi¨ il est, c’est-à-dire de ce par quoi il est

dénommée, donc dénommé comme étant (τὸ ὂν se traduit exactement par étant) tient

ici dans : «Sed ipsam compositionem, quae importatur in hoc quod dico est, non

principaliter significat, sed consignificat eam in quantum significat rem habentem esse.»

«L’expression ‘est’ ne signifie pas principalement la composition impliquée du fait de

dire ‘est’ ; elle la consignifie en tant qu’elle signifie principalement une réalité détenant

l’être : «(in quantum significat rem habentem esse).» C’est ainsi que «pareille

consignification de composition ne suffit pas à faire qu’il y ait vérité ou fausseté». «La

composition dans laquelle consiste la vérité et la fausseté ne peut en effet être intelligée

qu’à la condition d’en embrasser les termes».

64 Commentaire du De l’interprétation, Introduction, traduction - retravaillée - et notes par Yvan Pelletier :

http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairedeinterpretation.htm#_Toc17146329

65

Expositio Peryermeneias lib. 1 l. 5 n. 21 : http://www.corpusthomisticum.org/cpe.html#80339

66

Commentaire du De l’interprétation, Introduction, traduction et notes par Yvan Pelletier : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairedeinterpretation.htm#_Toc17146329

33


Comment en embrasse-t-on ces termes ? Le texte que Thomas d’Aquin écrit à Super

Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 co. complète la thèse sur la composition elle-même (ipsam

compositionem) ; il se lit comme suit :

«Similiter dico de veritate, quod habet fundamentum in re, sed ratio ejus completur per actionem

intellectus, quando scilicet apprehenditur eo modo quo est. Unde dicit philosophus, quod verum et

falsum sunt in anima; sed bonum et malum in rebus. Cum autem in re sit quidditas ejus et suum

esse, veritas fundatur in esse rei magis quam in quidditate, sicut et nomen entis ab esse imponitur;

et in ipsa operatione intellectus accipientis esse rei sicut est per quamdam similationem ad ipsum,

completur relatio adaequationis, in qua consistit ratio veritatis.» 67

«Je dis qu’il en est de même pour la vérité qui possède un fondement dans la réalité, mais sa

définition est complétée par l’action de l’intellect (actionem intellectus), à savoir quand elle est

saisie de la manière par laquelle elle existe. C’est pourquoi le Philosophe [VI Métaphysique, texte

8] dit que le vrai et le faux existent dans l’âme, mais le bien et le mal dans les choses. Mais

puisque c’est dans la réalité (in re) qu’existent sa quiddité et son être (esse), la vérité se fonde

davantage dans l’être de la réalité (in esse rei) que dans sa quiddité (in quidditate), tout comme le

nom d’étant (nomen entis) est imposé à partir du terme ¨être¨ (esse) ; et c’est dans l’opération

même de l’intellect qui reçoit l’existence de la réalité (esse rei) en tant qu’elle y existe par une

certaine ressemblance à ce dernier, qu’est complétée la relation d’adéquation dans laquelle

consiste la notion de vérité.

Thomas d’Aquin reprend ici la théorie du nom et du verbe exposée plus haut, mais en

d’autres termes que ceux de Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 20, là où il emploie

de manière très précise «esse», «est», «ens», et «res», tout en y ajoutant que «l’action

de l’intellect» consiste bien en un modus intelligendi du verbe-prédicat à titre de modus

prædicandi : «par l’action de l’intellect (actionem intellectus), à savoir quand (quando

scilicet) elle est saisie (apprehenditur) de la manière par laquelle elle existe (eo modo

quo est)».

Le désaccord entre sages, entre Aristote et Thomas d’Aquin, d’une part, et Kant, d’autre

part, est donc complet. Pour Kant, être ne peut pas «s'ajouter au concept d'une chose».

Et, le désaccord s’étend aussi à la théorie où la notion de prédicat est remplacée par la

notion fregéenne de fonction de vérité, ce qui fera dire à Quine : «Être, c'est être la

valeur d'une variable liée.» 68

67 Commentaire Des Sentences De Pierre Lombard, traduction et notes par Serge Pronovost, légèrement

modifiée : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/SENTENCES1.htm#_Toc516173791

68

«To be is to be the value of a bound variable.»

34


Comme on l’a vu plus haut, Balmès, qui s’inspire d’un ouvrage de Charles H. Kahn, The

verb ‘be’ in Ancient Greek, soutient que le «système indo-européen du verbe être»

donne lieu à une «analyse de l’usage» grammatical qui «révèle trois composantes : 1.

signifier l’existence ; 2. exprimer la véridicité ; 3. faire fonction de copule».

On vient de voir comment Thomas d’Aquin expose le modus logicus selon lequel le

verbe être signifie l’existence et exprime la véridicité. Plus haut, on a vu que, selon la

théorie du nom et du verbe, la proposition «Socrate est un philosophe» est vraie si l’être

en acte signifié par le verbe «est un philosophe» est aussi exercé par Socrate. Aristote,

qui vit précisément à l’époque étudiée par Kahn, ne s’écarte pas de cette thèse lorsque,

au De l’interprétation, il écrit :

«Τὰ μὲν οὖν ὀνόματα αὐτὰ καὶ τὰ ῥήματα ἔοικε τῷ ἄνευ συνθέσεως καὶ διαιρέσεως

νοήματι, οἷον τὸ ἄνθρωπος ἢ λευκόν, ὅταν μὴ προστεθῇ τι· οὔτε γὰρ ψεῦδος οὔτε ἀληθές

πω. σημεῖον δ´ ἐστὶ τοῦδε· καὶ γὰρ ὁ τραγέλαφος σημαίνει μέν τι, οὔπω δὲ ἀληθὲς ἢ

ψεῦδος, ἐὰν μὴ τὸ εἶναι ἢ μὴ εἶναι προστεθῇ ἢ ἁπλῶς ἢ κατὰ χρόνον.» 69

«Les noms eux-mêmes et les verbes ressemblent donc à la pensée sans combinaison ni division,

par exemple : homme, blanc, sans rien ajouter à ces mots. Ici en effet rien n'est encore ni vrai ni

faux: et en voici bien la preuve: un cerf-bouc, par exemple, signifie certainement quelque chose;

mais ce n'est encore ni vrai ni faux, si l'on n'ajoute pas que cet animal existe ou qu'il n'existe pas,

soit d'une manière absolue, soit dans un temps déterminé.» 70

«Ἀνάγκη δὲ πάντα λόγον ἀποφαντικὸν ἐκ ῥήματος εἶναι ἢ πτώσεως· καὶ γὰρ ὁ τοῦ

ἀνθρώπου λόγος, ἐὰν μὴ τὸ ἔστιν ἢ ἔσται ἢ ἦν ἤ τι τοιοῦτο προστεθῇ, οὔπω λόγος

ἀποφαντικός. 71

«Toute phrase énonciative renferme nécessairement un verbe ou un cas de verbe. Par exemple,

cette phrase : L'homme, n'est pas énonciative si l'on n'ajoute pas que l'homme est, qu'il a été ou

qu'il sera, ou telle autre circonstance.» 72

Et le même Aristote, aux Premiers analytiques, écrit encore :

«Ὅρον δὲ καλῶ εἰς ὃν διαλύεται ἡ πρότασις, οἷον τό τε κατηγορούμενον καὶ τὸ καθ´ οὗ

κατηγορεῖται, προστιθεμένου [ἢ διαιρουμένου] τοῦ εἶναι ἢ μὴ εἶναι.» 73

69

De l’interprétation 16a 14 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia.htm

70

De l’interprétation, traduction de J. Barthélemy-Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/

philosophes/Aristote/hermeneia.htm

71 De l’interprétation 17a 5 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/hermeneia5.htm

72 De l’interprétation, traduction de J. Barthélemy-Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/

philosophes/Aristote/hermeneia.htm

73

Premiers analytiques 24b 16 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt1.htm

35


«J’appelle terme ce en quoi se résout la prémisse, savoir le prédicat et le sujet dont il est affirmé,

soit que l’être s’y ajoute, soit que le non-être en soit séparé.» 74

Et le même Aristote, aux Seconds analytiques, écrit enfin :

«Τὰ ζητούμενά ἐστιν ἴσα τὸν ἀριθμὸν ὅσαπερ ἐπιστάμεθα. Ζητοῦμεν δὲ τέτταρα, τὸ ὅτι, τὸ

διότι, εἰ ἔστι, τί ἐστιν.» 75

«Les questions que l’on se pose sont précisément ni nombre égal aux choses que nous

connaissons. Or, nous nous posons quatre sortes de question : le fait, le pourquoi, si la chose

existe, et enfin ce qu’elle est.» 76

«Ζητοῦμεν δέ, ὅταν μὲν ζητῶμεν τὸ ὅτι ἢ τὸ εἰ ἔστιν ἁπλῶς, ἆρ´ ἔστι μέσον αὐτοῦ ἢ οὐκ

ἔστιν· ὅταν δὲ γνόντες ἢ τὸ ὅτι ἢ εἰ ἔστιν, ἢ τὸ ἐπὶ μέρους ἢ τὸ ἁπλῶς, πάλιν [90b] τὸ διὰ τί

ζητῶμεν ἢ τὸ τί ἐστι, τότε ζητοῦμεν τί τὸ μέσον. Λέγω δὲ τὸ ὅτι ἔστιν ἐπὶ μέρους καὶ ἁπλῶς,

ἐπὶ μέρους μέν, ἆρ´ ἐκλείπει ἡ σελήνη ἢ αὔξεται; εἰ γάρ ἐστι τὶ ἢ μὴ ἔστι τί, ἐν τοῖς

τοιούτοις ζητοῦμεν· ἁπλῶς δ´, εἰ ἔστιν ἢ μὴ σελήνη ἢ νύξ. Συμβαίνει ἄρα ἐν ἁπάσαις ταῖς

ζητήσεσι ζητεῖν ἢ εἰ ἔστι μέσον ἢ τί ἐστι τὸ μέσον.» 77

Quand, nous cherchons le fait ou quand nous cherchons si une chose est au sens absolu, nous

cherchons en réalité s’il y a de cela un moyen terme ou s’il n’y en a pas ; et une fois que nous

savons le fait ou que la chose est (autrement dit, quand nous savons qu’elle est soit en partie, soit

absolument), et qu’en outre nous recherchons le pourquoi, ou la nature de la chose, alors nous

recherchons quel est le moyen terme (quand la recherche porte sur le fait, je parle d’existence

partielle de la chose, et si elle porte sur l’existence même, je parle d’existence au sens absolu. Il y

a existence partielle, quand, par exemple, je demande : la Lune subit-elle-une éclipse ? ou encore:

la Lune s’accroît-elle ? car, dans des questions de ce genre, nous recherchons si une chose est

une chose ou n’est pas cette chose. Quant à l’existence d’une chose au sens absolu, c’est quand

nous demandons, par exemple, si la Lune ou la Nuit existe). 78

«Ὥσπερ γὰρ τὸ διότι ζητοῦμεν ἔχοντες τὸ ὅτι, ἐνίοτε δὲ καὶ ἅμα δῆλα γίνεται, ἀλλ´ οὔτι

πρότερόν γε τὸ διότι δυνατὸν γνωρίσαι τοῦ ὅτι, δῆλον ὅτι ὁμοίως καὶ τὸ τί ἦν εἶναι οὐκ

ἄνευ τοῦ ὅτι ἔστιν· ἀδύνατον γὰρ εἰδέναι τί ἐστιν, ἀγνοοῦντας εἰ ἔστιν.» 79

«De même que, quand nous savons qu'une chose est, nous cherchons pourquoi elle est, et que

parfois l'existence et la cause de la chose nous sont toutes deux connues en même temps, sans

que du reste on puisse jamais savoir pourquoi une chose est avant de savoir qu'elle est ; de

même, évidemment, l'essence de la chose ne peut jamais aller sans son existence; car il est

impossible de savoir ce qu'est une chose, quand on ignore même si elle est.» 80

74

75

Organon III, Premiers analytiques 24b 16, traduction de J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1973

Seconds analytiques 89b 20 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt22gr.htm#21

76 Seconds analytiques, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/complements/Aristotesecondsanalystiques.htm

77

Seconds analytiques 89b 36 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt22gr.htm#21

78 Seconds analytiques, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/complements/Aristotesecondsanalystiques.htm

79

80

Seconds analytiques 93a 16 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt22gr.htm#85

Seconds analytiques, traduction de J. Barthélemy-Saint-HIlaire : http://remacle.org/bloodwolf/

philosophes/Aristote/analyt22.htm#85

36


Lorsqu’il commente ce texte à Expositio Posteriorum, lib. 2 l. 1 n. 6, Thomas d’Aquin

écrit :

«Sicut autem in II perihermeneias dicitur, enunciatio dupliciter formatur. Uno quidem modo, ex

nomine et verbo absque aliquo apposito, ut cum dicitur homo est ; alio modo, quando aliquid

tertium adiacet, ut cum dicitur homo est albus. Potest igitur quaestio formata referri, vel ad primum

modum enunciationis, et sic erit quasi quaestio simplex ; vel ad secundum modum, et sic erit

quaestio quasi composita, vel in numerum ponens, quia videlicet quaeritur de compositione

duorum.» 81

«Mais tout comme on le dit au deuxième livre du Périherménéias, il y a deux manières de former

l’énonciation. La première manière, c’est à partir du nom et du verbe, sans aucune apposition,

comme lorsqu’on dit que l’homme existe ; la deuxième manière c’est quand on inclut un troisième

élément, comme lorsqu’on dit que l’homme est blanc. La question que l’on forme peut donc se

rapporter soit à la première manière de former l’énonciation et alors la question sera simple; mais

si elle se rapporte à la deuxième manière, alors la question sera comme composée ou posée en

une pluralité de termes parce qu’elle portera sur la composition de deux termes.» 82

Les quatre sortes de question formulées dans cet ordre : si la chose existe, ce qu’elle

est, le fait, le pourquoi, et leurs réponses respectives, peuvent donc se notifier ainsi :

1. Est-ce ? C’est.

2. Qu’est-ce ? C’est ceci.

3. Ceci est-il cela ? Ceci est cela.

4. Pourquoi ceci est-il cela ? Parce qu’il est ceci.

Dans la première réponse, l’accent est mis sur le «est». Dans la seconde, sur le «quoi»

du «ce», sur sa quiddité. Dans la troisième, sur «est cela». Dans la quatrième, sur le

«quoi» du «ceci», ce qui fut dit dans la seconde. On en détaille le modus inquirendi —

qui module les questions — pertinent à cette recherche d’un modus intelligendi — qui

module les réponses contenant un modus prædicandi — comme suit :

5. Ce est-il ? Ce est.

6. Quoi est ce ? Ce est ceci.

7. Ce-ci est-il ce-la ? Ce-ci est ce-la.

8. Pour quoi ce-ci est-il ce-la ? Pour le quoi de ce qui est ce-ci.

81

Expositio Posteriorum, lib. 2 l. 1 n. 6 http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/philosophie/

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm#_Toc536727768

82 Commentaire de Saint-Thomas d’Aquin aux Seconds Analytiques d’Aristote, Traduction de Serge

P r o n o v o s t : h t t p : / / d o c t e u r a n g e l i q u e . f r e e . f r / l i v r e s f o r m a t w e b / p h i l o s o p h i e /

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm#_Toc536727768

37


Rendu à ce point, par rapport au chapitre 3 de l’ouvrage intitulé Catégories où Aristote

propose une théorie du prédicat, il convient de se demander comment se situe la thèse

qu’Aristote expose à Seconds analytiques 96b 25 en ces termes : «τὸ ὂν ὑπάρχει τῇ

τριάδι, ἀλλὰ καὶ μὴ ἀριθμῷ», thèse que Thomas d’Aquin commente Expositio

Posteriorum, lib. 2 l. 13 n. 3.

«Τὸ ὂν ὑπάρχει…» est-il un prédicat ?

La question s’énonce comme suit : est-ce que «τὸ ὂν ὑπάρχει…» se dit d’un sujet et

est dans un sujet, ou est-ce que «τὸ ὂν ὑπάρχει…» se dit d’un sujet, et n’est pas dans

un sujet ? La réponse viendra à la toute fin de la recherche. 83 Le texte du chapitre 3

auquel il est fait ici référence se lit ainsi :

«Τῶν ὄντων τὰ μὲν καθ´ ὑποκειμένου τινὸς λέγεται, ἐν ὑποκειμένῳ δὲ οὐδενί ἐστιν, οἷον

ἄνθρωπος καθ´ ὑποκειμένου μὲν λέγεται τοῦ τινὸς ἀνθρώπου, ἐν ὑποκειμένῳ δὲ οὐδενί

ἐστιν· τὰ δὲ ἐν ὑποκειμένῳ μέν ἐστι, καθ´ ὑποκειμένου δὲ οὐδενὸς λέγεται, —ἐν

ὑποκειμένῳ δὲ λέγω ὃ ἔν τινι μὴ ὡς μέρος ὑπάρχον ἀδύνατον χωρὶς εἶναι τοῦ ἐν ᾧ ἐστίν, —

οἷον ἡ τὶς γραμματικὴ ἐν ὑποκειμένῳ μέν ἐστι τῇ ψυχῇ, καθ´ ὑποκειμένου δὲ οὐδενὸς

λέγεται, καὶ τὸ τὶ λευκὸν ἐν ὑποκειμένῳ μέν ἐστι τῷ σώματι, — ἅπαν γὰρ χρῶμα ἐν σώματι,

— καθ´ ὑποκειμένου δὲ οὐδενὸς λέγεται· τὰ δὲ καθ´ ὑποκειμένου τε [2a] λέγεται καὶ ἐν

ὑποκειμένῳ ἐστίν, οἷον ἡ ἐπιστήμη ἐν ὑποκειμένῳ μέν ἐστι τῇ ψυχῇ, καθ´ ὑποκειμένου δὲ

λέγεται τῆς γραμματικῆς· τὰ δὲ οὔτε ἐν ὑποκειμένῳ ἐστὶν οὔτε καθ´ ὑποκειμένου λέγεται,

οἷον ὁ τὶς ἄνθρωπος ἢ ὁ τὶς ἵππος, —οὐδὲν γὰρ τῶν τοιούτων οὔτε ἐν ὑποκειμένῳ ἐστὶν

οὔτε καθ´ ὑποκειμένου λέγεται·— ἁπλῶς δὲ τὰ ἄτομα καὶ ἓν ἀριθμῷ κατ´ οὐδενὸς

ὑποκειμένου λέγεται, ἐν ὑποκειμένῳ δὲ ἔνια οὐδὲν κωλύει εἶναι· ἡ γὰρ τὶς γραμματικὴ τῶν

ἐν ὑποκειμένῳ.» 84

«Parmi les êtres, les uns sont affirmés d’un sujet, tout en n’étant dans aucun sujet : par exemple,

homme est affirmé d’un sujet, savoir d’un certain homme, mais il n’est dans aucun sujet. D’autres

sont dans un sujet, mais ne sont affirmés d’aucun sujet (par dans un sujet, j’entends ce qui, ne se

trouvant pas dans un sujet comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est) : par

exemple, une certaine science grammaticale existe dans un sujet, savoir dans l’âme, mais elle

n’est affirmée d’aucun sujet ; et une certaine blancheur existe dans un sujet, savoir dans le corps

(car toute couleur est dans un corps), et pourtant elle n’est affirmée d’aucun sujet. D’autres êtres `

sont à la fois affirmés d’un sujet et dans un sujet : par exemple, la Science est dans un sujet, savoir

dans l’âme, et elle est aussi affirmée d’un sujet, la grammaire. D’autres êtres enfin ne sont ni dans

un sujet, ni affirmés d’un sujet, par exemple cet homme, ce cheval, car aucun être de cette nature

n’est dans un sujet, ni affirmé d’un sujet. Et, absolument parlant, les individus et ce qui est

numériquement un ne sont jamais affirmés d’un sujet ; pour certains toutefois rien n’empêche qu’ils

83

84

Page 59

Catégories 1a 20 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/categories.htm#III

38


ne soient dans un sujet, car une certaine science grammaticale est dans un sujet [mais n’est

affirmée d’aucun sujet].» 85

La définition du verbe exposée plus haut se lit ainsi : «Ῥῆμα ἔστι δὲ τῶν καθ´ ἑτέρου

λεγομένων σημεῖον.» «Le verbe indique toujours quelque chose d’affirmé de quelque

chose.» Il s’ensuit que le prédicat se dit d’un sujet, et que le non-prédicat ne se dit pas

d’un sujet. Au texte de Catégories, la distribution des divers cas se présente comme

suit :

1. le prédicat se dit d’un sujet, et est dans un sujet ;

2. le prédicat se dit d’un sujet, et n’est pas dans un sujet ;

3. le non-prédicat ne se dit pas d’un sujet, et est dans un sujet ;

4. le non-prédicat ne se dit pas d’un sujet, et n’est pas dans un sujet.

Si on introduit les exemples que donne Aristote, la distribution des divers cas se lit

comme suit :

5. le prédicat se dit d’un sujet, et est dans un sujet : science est dit d’un sujet, la

grammaire, et est dans un sujet, savoir dans l’âme ;

6. le prédicat se dit d’un sujet, et n’est pas dans un sujet : homme est dit d’un

sujet, savoir d’un certain homme, mais il n’est dans aucun sujet ;

7. le non-prédicat ne se dit pas d’un sujet, et est dans un sujet : une certaine

blancheur n’est dite d’aucun sujet, et est dans un sujet, savoir dans le corps

(car toute couleur est dans un corps) ;

8. le non-prédicat ne se dit pas d’un sujet, et n’est pas dans un sujet : cet homme,

ce cheval, les individus et ce qui est numériquement un ne sont jamais dits

d’un sujet ; pour certains toutefois rien n’empêche qu’ils ne soient dans un

sujet, car une certaine science grammaticale est dans un sujet [mais n’est dite

d’aucun sujet].

L’expression «dans un sujet», au texte cité plus haut, est ainsi définie : «ἐν

ὑποκειμένῳ δὲ λέγω ὃ ἔν τινι μὴ ὡς μέρος ὑπάρχον ἀδύνατον χωρὶς εἶναι τοῦ ἐν

ᾧ ἐστίν» ; «par dans un sujet, j’entends ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet

85

Catégories 1a 20, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/AristoteCategories.htm

39


comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est». Il s’impose de bien

remarquer que l’expression «dans un sujet» est un nom défini ; si elle était un verbe

défini, on l’écrirait comme suit : «est dans un sujet» ; si elle était un verbe indéfini, on

l’écrirait comme suit : «n’est pas dans un sujet».

Si on reporte la définition de l’expression «dans un sujet» dans la distribution des divers

cas de prédicat établie plus haut, on obtient :

1. le prédicat se dit d’un sujet, et est ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet

comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est ;

2. le prédicat se dit d’un sujet, et n’est pas ce qui, ne se trouvant pas dans un

sujet comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est ;

3. le non-prédicat ne se dit pas d’un sujet, et est ce qui, ne se trouvant pas dans

un sujet comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est ;

4. le non-prédicat ne se dit pas d’un sujet, et n’est pas ce qui, ne se trouvant pas

dans un sujet comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est.

On ne peut pas manquer de voir que la définition du nom défini «dans un sujet» pose

un problème lorsqu’elle est formulée en français : «par dans un sujet (ἐν ὑποκειμένῳ

δὲ), j’entends ce qui (λέγω ὃ ἔν τινι), ne se trouvant pas dans un sujet comme sa

partie (μὴ ὡς μέρος), ne peut être séparé de ce en quoi il est (ὑπάρχον ἀδύνατον

χωρὶς εἶναι τοῦ ἐν ᾧ ἐστίν)». Comment ce qui ne se trouve pas dans un sujet comme

sa partie peut-il ne pas pouvoir être séparé de ce en quoi il est ? Dans quoi est-il ?

Aristote n’a pas manqué de le voir dans la version grecque puisqu’il écrit :

«Μὴ ταραττέτω δὲ ἡμᾶς τὰ μέρη τῶν οὐσιῶν ὡς ἐν ὑποκειμένοις ὄντα τοῖς ὅλοις, μή ποτε

ἀναγκασθῶμεν οὐκ οὐσίας αὐτὰ φάσκειν εἶναι· οὐ γὰρ οὕτω τὰ ἐν ὑποκειμένῳ ἐλέγετο τὰ

ὡς μέρη ὑπάρχοντα ἔν τινι.» 86

«Ne soyons donc pas troublés du fait que les parties des substances sont dans le tout comme

dans un sujet, avec la crainte de nous trouver alors dans la nécessité d’admettre que ces parties

ne sont pas des substances. Quand nous avons dit que les choses sont dans un sujet, nous

n’avons pas entendu par là que c’est à la façon dont les parties sont contenues dans le tout.» 87

86

87

Catégories 3a 30 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/categories.htm#III

Catégories 3a 30, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/AristoteCategories.htm

40


Le problème se résout avec une distinction, dit Aristote. «Les parties des substances

sont dans le tout comme dans un sujet». Ce qui est dans un sujet n’y est pas «à la

façon dont les parties sont contenues dans le tout». Pour le moment, la distinction

demeure obscure. Une exploration du chapitre 5 de Catégories, qui porte sur la

substance, permettra peut-être de la dissiper.

Le chapitre 5 de Catégories, qui porte sur la substance, introduit une distinction entre la

substance première et la substance seconde. À propos de cette distinction, Thomas

d’Aquin écrit :

«De potentia, q. 9 a. 2 ad 6. Ad sextum dicendum quod, cum dividitur substantia in primam et

secundam, non est divisio generis in species,- cum nihil contineatur sub secunda substantia quod

non sit in prima,- sed est divisio generis secundum diversos modos essendi. Nam secunda

substantia significat naturam generis secundum se absolutam ; prima vero substantia significat

eam ut individualiter subsistentem. Unde magis est divisio analogi quam generis. Sic ergo persona

continetur quidem in genere substantiae, licet non ut species, sed ut specialem modum existendi

determinans.» 88

«6. Quand la substance est divisée en première et seconde, ce n'est pas une division du genre en

espèce — puisque rien n'est contenu sous la substance seconde qui ne soit dans la substance

première — mais c'est une division du genre selon les diverses manières d’être (modos essendi).

Car la substance seconde signifie la nature absolue du genre en soi ; mais la substance première

signifie celle-ci en tant qu’elle subsiste individuellement. C'est pourquoi c'est plus une division de

l’analogue que du genre. Ainsi donc la personne est contenue dans le genre de la substance, bien

qu'elle n’y soit pas comme espèce, mais comme ce qui détermine un mode spécial d’existence.» 89

Il convient de ne pas confondre «individuel» et «singulier» : «Ainsi il y a un individu,

pour autant qu’il est indivis en lui-même, mais un singulier, pour autant qu’il est divisé

des autres. Aussi ‘singulier’ est-il la même chose que ‘divis’.»

90, écrit Thomas d’Aquin.

La substantia prima est un sujet particulier dont est prédiqué l’universel qu’est la

substantia secunda qui, elle, «signifie la nature absolue du genre». La substantia prima

«signifie [la nature du genre] en tant qu’elle subsiste individuellement».

88 De potentia, q. 9 a. 2 ad 6 : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/questionsdisputees/

questionsdiputeessurlapuissancedieulatinfra.htm

89 De potentia, traduction et notes par Raymond BERTON : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

questionsdisputees/questionsdiputeessurlapuissancedieulatinfra.htm

90

Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 co. ; http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/

SENTENCES3.htm

41


La nature singulière, en tant que singulière, est nommée avec le mot «suppôt». Dans

son ouvrage intitulé Métaphysique, à 105a 30, Aristote l’appelle «ἀριθμῷ τὸ καθ'

ἕκαστον ἀδιαίρετον», que John P. Rowan traduit par «singular thing» 91 :

«Τὰ μὲν δὴ οὕτως ἓν ᾗ συνεχὲς ἢ ὅλον, τὰ δὲ ὧν ἂν ὁ λόγος [30] εἷς ᾖ, τοιαῦτα δὲ ὧν ἡ

νόησις μία, τοιαῦτα δὲ ὧν ἀδιαίρετος, ἀδιαίρετος δὲ τοῦ ἀδιαιρέτου εἴδει ἢ ἀριθμῷ· ἀριθμῷ

μὲν οὖν τὸ καθ' ἕκαστον ἀδιαίρετον, εἴδει δὲ τὸ τῷ γνωστῷ καὶ τῇ ἐπιστήμῃ, ὥσθ' ἓν ἂν εἴη

πρῶτον τὸ ταῖς οὐσίαις αἴτιον τοῦ ἑνός.» 92

«817. Et d'autres choses ne font qu'un si leur structure intelligible est une; et tels sont ceux dont le

concept est un, c'est-à-dire dont le concept est indivisible; et il est indivisible si la chose est

indivisible spécifiquement ou numériquement. Or, ce qui est numériquement indivisible est ce qui

est singulier, et ce qui est spécifiquement indivisible est ce qui est connaissable et fait l’objet de

connaissances scientifiques. Par conséquent, quelle que soit la cause de l'unité des substances,

celle-ci doit être une au sens premier.» (traduit de l’anglais)

93

«L’unité des substances» est prise «au sens premier», i.e. au sens où «le concept est

un». Dans le commentaire qu’il en fait, Thomas d’Aquin écrit :

«Quod quidem contingit dupliciter. Aut quia apprehensio indivisibilis est eius quod est unum specie,

aut eius quod est unum numero. Numero quidem indivisibile est ipsum singulare, quod non potest

praedicari de multis. Specie autem unum, est indivisibile, quod est unum secundum scientiam et

notitiam. Non enim in diversis singularibus est aliqua natura una numero, quae possit dici species.

Sed intellectus apprehendit ut unum id in quo omnia inferiora conveniunt. Et sic in apprehensione

intellectus, species fit indivisibilis, quae realiter est diversa in diversis individuis.»

La traduction de John P. Rowan se lit comme suit :

«Cela peut être le cas pour deux raisons : soit parce que l'objet indivis appréhendé est

spécifiquement un, soit parce qu'il en est numériquement un. Or, ce qui est indivis numériquement

est la chose singulière elle-même, qui ne peut être prédiquée de plusieurs choses; et ce qui est

spécifiquement est indivis parce que c'est un objet unique de science et de connaissance. Car

dans les choses singulières distinctes, il n'y a pas de nature numériquement une qui puisse être

appelée une espèce, mais l'intellect appréhende comme un l'attribut dans lequel tous les singuliers

91 L’étymologie du mot «thing» révèle que ce terme est voisin de «being», en français «étant». https://

www.etymonline.com/word/thing

92 Commentary On The Metaphysics, traduction de John P. Rowan : https://dhspriory.org/thomas/

Metaphysics10.htm

93

«817. And other things are one if their intelligible structure is one; and such are those whose concept

is one, that is, whose concept is indivisible; and it is indivisible if the thing is specifically or numerically

indivisible. Now what is numerically indivisible is the singular thing, and what is specifically indivisible is

what is knowable and is the object of scientific knowledge. Hence whatever causes the unity of

substances must be one in the primary sense.»

42


s'accordent. De ce fait, l’espèce, qui est en réalité distincte d’individus distincts, devient indivis

quand elle est appréhendée par l’intellect.» (traduit de l’anglais ) 94

Le singulier est incomparable. La connaissance sensitive le connaît. La connaissance

intellective ne le connaît pas directement puisqu’il est incomparable à quoi que soit

d’autre. La connaissance intellective connaît directement le comparable, la

ressemblance impliquée, qui est un tout intelligible, et les ressemblants à titre de parties

subjectives dont le tout intelligible est prédicable. Les ressemblants, à titre de parties du

tout intelligible, prennent le nom de «particuliers», ce qui fait dire à Thomas d’Aquin

que : «rien n'est contenu sous la substance seconde qui ne soit dans la substance

première». À ce titre, la connaissance intellective, qui connaît directement un tel

particulier, parvient à connaître un singulier, mais de manière oblique. 95

Le suppôt singulier dont est prédiquée la substance seconde universelle est ainsi

qualifié comme substance première particulière. Thomas d’Aquin l’exprime comme suit :

«Respondeo dicendum, quod in quolibet nomine est duo considerare: scilicet id a quo imponitur

nomen, quod dicitur qualitas nominis; et id cui imponitur, quod dicitur substantia nominis: et nomen,

proprie loquendo, dicitur significare formam sive qualitatem, a qua imponitur nomen; dicitur vero

supponere pro eo cui imponitur.» 96

«En tout nom, il faut considérer deux choses : ce à partir de quoi le nom est imposé, qu’on appelle

la qualité du nom ; ce à quoi le nom est imposé, qu’on appelle la substance du nom. On dit que le

nom, à proprement parler, signifie la forme ou la qualité à partir de laquelle le nom est imposé ;

mais on dit qu’il joue le rôle de suppôt pour ce à quoi il est imposé.» 97

94

«1930. This can be so for two reasons: either because the undivided, object apprehended is

specifically one, or (4) because it is numerically one. Now what is numerically undivided is the singular

thing itself, which cannot be predicated of many things; and what is specifically one is undivided

because it is a single object of knowledge and acquaintance. For in distinct singular things there is no

nature numerically one which can be called a species, but the intellect apprehends as one that attribute

in which all singulars agree. Hence the species, which is distinct in distinct individuals in reality, becomes

undivided when apprehended by the intellect. »

95 Somme théologique, Ia Q. 86 Art. 1 : «Notre intelligence ne peut connaître directement et

premièrement le singulier dans les réalités matérielles. (…) Mais indirectement, et par une sorte de

réflexion, elle peut connaître le singulier. (…) Ainsi donc, elle connaît directement l’universel au moyen de

l’espèce intelligible, et indirectement les singuliers d’où proviennent les images. Et de cette manière, elle

forme cette proposition " Socrate est homme.»

96 Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 co. : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/

SENTENCES3.htm

97

Commentaire des Sentences de Pierre Lombard traduction par Jacques Ménard : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/SENTENCES3.htm

43


À la Somme théologique, Thomas d’Aquin fait aussi une distinction entre le suppôt, et la

nature ou l’essence, en ces termes :

«In rebus compositis ex materia et forma, necesse est quod differant natura vel essentia et

suppositum. Quia essentia vel natura comprehendit in se illa tantum quae cadunt in definitione

speciei, sicut humanitas comprehendit in se ea quae cadunt in definitione hominis, his enim homo

est homo, et hoc significat humanitas, hoc scilicet quo homo est homo. Sed materia individualis,

cum accidentibus omnibus individuantibus ipsam, non cadit in definitione speciei, non enim cadunt

in definitione hominis hae carnes et haec ossa, aut albedo vel nigredo, vel aliquid huiusmodi. Unde

hae carnes et haec ossa, et accidentia designantia hanc materiam, non concluduntur in

humanitate. Et tamen in eo quod est homo, includuntur, unde id quod est homo, habet in se aliquid

quod non habet humanitas. Et propter hoc non est totaliter idem homo et humanitas, sed

humanitas significatur ut pars formalis hominis; quia principia definientia habent se formaliter,

respectu materiae individuantis. In his igitur quae non sunt composita ex materia et forma, in

quibus individuatio non est per materiam individualem, idest per hanc materiam, sed ipsae formae

per se individuantur, oportet quod ipsae formae sint supposita subsistentia. Unde in eis non differt

suppositum et natura.» 98

«Pour le comprendre, il faut savoir que dans les choses composées de matière et de forme, il y a

nécessairement distinction entre la nature ou essence d’une part, et le suppôt de l’autre. En effet,

la nature ou essence comprend seulement ce qui est contenu dans la définition de l’espèce ; ainsi

l’humanité comprend seulement ce qui est inclus dans la définition de l’homme, car c’est par cela

même que l’homme est homme, et c’est cela que signifie le mot humanité : à savoir ce par quoi

l’homme est homme. Mais la matière individuelle, comprenant tous les accidents qui

l’individualisent, n’entre pas dans la définition de l’espèce ; car on ne peut introduire dans la

définition de l’homme cette chair, ces os, la blancheur, la noirceur, etc. ; donc, cette chair, ces os et

les accidents qui circonscrivent cette matière ne sont pas compris dans l’humanité, et cependant ils

appartiennent à cet homme-ci. Il s’ensuit que l’individu humain a en soi quelque chose que n’a pas

l’humanité. En raison de cela, l’humanité ne dit pas le tout d’un homme, mais seulement sa partie

formelle, car les éléments de la définition se présentent comme informant la matière, d’où provient

l’individuation. Mais dans les êtres qui ne sont pas composés de matière et de forme, qui ne tirent

pas leur individuation d’une matière individuelle, à savoir telle matière, mais où les formes sont

individualisées par elles-mêmes, les formes doivent être elles-mêmes les suppôts subsistants, de

sorte que là le suppôt ne se distingue pas de la nature.» 99

Thomas d’Aquin complète son exposé de la distinction entre le suppôt et la nature ou

l’essence en comparant l’ipsum esse rei et son essentia, comme suit :

«Primo quidem, quia quidquid est in aliquo quod est praeter essentiam eius, oportet esse

causatum vel a principiis essentiae, sicut accidentia propria consequentia speciem, ut risibile

consequitur hominem et causatur ex principiis essentialibus speciei; vel ab aliquo exteriori, sicut

calor in aqua causatur ab igne. Si igitur ipsum esse rei sit aliud ab eius essentia, necesse est quod

esse illius rei vel sit causatum ab aliquo exteriori, vel a principiis essentialibus eiusdem rei.

Impossibile est autem quod esse sit causatum tantum ex principiis essentialibus rei, quia nulla res

98

99

ST Iª q. 3 a. 3 co. : http://www.corpusthomisticum.org/sth1003.html#28342

S T I ª q . 3 a . 3 c o . : h t t p : / / d o c t e u r a n g e l i q u e . f r e e . f r / b i b l i o t h e q u e / s o m m e s /

1sommetheologique1apars.htm#_Toc484618162

44


sufficit quod sit sibi causa essendi, si habeat esse causatum. Oportet ergo quod illud cuius esse

est aliud ab essentia sua, habeat esse causatum ab alio.» 100

«Ce que l’on trouve dans un étant (quidquid est in aliquo), outre son essence (praeter essentiam

eius), est nécessairement causé (oportet esse causatum), soit qu’il résulte des principes mêmes

constitutifs de l’essence (a principiis essentiae), comme les attributs propres de l’espèce : ainsi le

rire appartient à l’homme en raison des principes essentiels de son espèce ; soit qu’il vienne de

l’extérieur (ab aliquo exteriori), comme la chaleur de l’eau est causée par le feu. Donc, si

l’existence même d’une chose (ipsum esse rei) est autre que son essence (aliud ab eius essentia),

elle est causée nécessairement (necesse est quod esse illius rei) soit par un agent extérieur (sit

causatum ab aliquo exteriori), soit par les principes essentiels de cette chose (a principiis

essentialibus eiusdem rei). Mais il est impossible (Impossibile est autem), lorsqu’il s’agit de

l’existence (quod esse), qu’on la dise causée par les seuls principes essentiels de la chose (sit

causatum tantum ex principiis essentialibus rei), car aucune chose n’est capable de se donner

l’existence (nulla res sufficit quod sit sibi causa essendi), si cette existence dépend d’une cause

(habeat esse causatum). Il faut donc que l’étant dont l’existence est autre que son essence

(Oportet ergo quod illud cuius esse est aliud ab essentia sua), reçoive son existence d’un autre

étant (habeat esse causatum ab alio).» 101

Dans le chapitre 5 de Catégories, les extraits

pertinentes au propos de la recherche en cours sont les suivants :

102

d’où ressortent les propriétés les plus

a) la substance première est un individu déterminé ; elle n’est ni dite d’un sujet ni

dans un sujet, ce pourquoi elle n’est pas prédicable de plusieurs, et n’apparaît jamais

dans un prédicat :

100

[2a 10] La substance, au sens le plus fondamental, premier et principal du terme, c’est ce qui

n’est ni affirmé d’un sujet, ni dans un sujet : par exemple, l’homme individuel ou le cheval

individuel. [2b 5] Il en résulte que tout le reste ou bien est affirmé des substances premières

prises comme sujets, ou bien est inhérent à ces sujets eux-mêmes. Faute donc par ces

substances premières d’exister, aucune autre chose ne pourrait exister. [2b 15] De plus, les

substances premières, par le fait qu’elles sont le substrat de tout le reste et que tout le reste en

est affirmé ou se trouve en elles, sont pour cela appelées substances par excellence. [3a 6] Le

caractère commun à toute substance, c’est de n’être pas dans un sujet. La substance première,

elle, n’est pas, en effet, dans un sujet et elle n’est pas non plus attribut d’un sujet. [3b 10] Toute

substance semble bien signifier un être déterminé. En ce qui concerne les substances

premières, il est incontestablement vrai qu’elles signifient un être déterminé, car la chose

exprimée est un individu et une unité numérique. [3a 33] Le caractère des substances secondes

aussi bien que des différences, c’est d’être dans tous les cas attribuées dans , un sens

synonyme, car toutes leurs prédications ont pour sujets soit des individus, soit des espèces. Il

est vrai que la substance première ne peut nullement être prédicat, puisqu’elle n’est elle-même

affirmée d’aucun sujet.

Corpus thomisticum, ST Iª q. 3 a. 4 co. : http://www.corpusthomisticum.org/sth1003.html#28351

101 Somme théologique, traduction des Éditions du Cerf : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

sommes/1sommetheologique1apars.htm#_Toc484618163

102

Catégories, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/AristoteCategories.htm ; légèrement modifiée à 3a 33 selon la traduction de E. M. Edghill

disponible à : http://classics.mit.edu/Aristotle/categories.1.1.html

45


b) la substance seconde est une espèce (genre, différence), donc un universel

servant à exprimer l’essence définie d’une substance première ; elle est dite d’un

sujet qui n’est pas un comme la substance première est une

sujet :

103, et n’est dans aucun

[2a 14] Mais on appelle substances secondes les espèces dans lesquelles les substances

prises au sens premier sont contenues, et aux espèces il faut ajouter les genres de ces

espèces : par exemple, l’homme individuel rentre dans une espèce, qui est l’homme, et le genre

de cette espèce est l’animal. On désigne donc du nom de secondes ces dernières substances,

savoir l’homme et l’animal. [3a 6] Le caractère commun à toute substance, c’est de n’être pas

dans un sujet. (…) Quant aux substances secondes, il est clair (…) qu’elles ne sont pas dans

un sujet. [3b 10] Toute substance semble bien signifier un être déterminé. (…) Pour les

substances secondes, aussi, on pourrait croire, en raison de la forme même de leur appellation,

qu’elles signifient un être déterminé, quand nous disons, par exemple, homme ou animal. Et

pourtant ce n’est pas exact : de telles expressions signifient plutôt une qualification, car le sujet

n’est pas un comme dans le cas de la substance première ; en réalité, homme est attribué à

une multiplicité, et animal également. [3a 27] C’est donc avec raison qu’à la suite des

substances premières, seuls de tout le reste les espèces et les genres sont appelés substances

secondes, car de tous les prédicats ils sont les seuls à exprimer la substance première. [3a 33]

Le caractère des substances secondes aussi bien que des différences, c’est d’être dans tous

les cas attribuées dans , un sens synonyme, car toutes leurs prédications ont pour sujets soit

des individus, soit des espèces. Il est vrai que la substance première ne peut nullement être

prédicat, puisqu’elle n’est elle-même affirmée d’aucun sujet.

À cet étape de la recherche en cours, il convient aussi de repérer les traits propres à la

substance première dans le texte grec écrit par Aristote, comme suit :

1. «[2b 5] Il en résulte que tout le reste ou bien est affirmé des substances premières prises

comme sujets, ou bien est inhérent à ces sujets eux-mêmes. Faute donc par ces substances

premières d’exister, aucune autre chose ne pourrait exister. — πάντα aγὰρ τὰ ἄλλα ἤτοι καθ´

ὑποκειμένων τούτων λέγεται ἢ ἐν ὑποκειμέναις αὐταῖς ἐστίν· ὥστε μὴ οὐσῶν τῶν πρώτων

οὐσιῶν ἀδύνατον τῶν ἄλλων τι εἶναι.»

il s’impose de remarquer le «τι εἶναι», qui rappelle le «εἰ ἔστι, τί ἐστιν» des

Seconds analytiques : est-ce ? ; qu’est-ce ? ;

2. «[2b 15] De plus, les substances premières, par le fait qu’elles sont le substrat de tout le reste et

que tout le reste en est affirmé ou se trouve en elles, sont pour cela appelées substances par

excellence. — Ἔτι αἱ πρῶται οὐσίαι διὰ τὸ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν ὑποκεῖσθαι καὶ πάντα τὰ ἄλλα

κατὰ τούτων κατηγορεῖσθαι ἢ ἐν ταύταις εἶναι διὰ τοῦτο μάλιστα οὐσίαι λέγονται·»

il s’impose de remarquer le «ἅπασιν ὑποκεῖσθαι καὶ πάντα τὰ ἄλλα κατὰ

τούτων κατηγορεῖσθαι» qui engage la question «τί ἐστιν», mais laisse

ouverte la question «εἰ ἔστι» ;

103

Car, il convient de ne pas confondre «individuel» et «singulier».

46


3. «[3a 6] Le caractère commun à toute substance, c’est de n’être pas dans un sujet. La substance

première, elle, n’est pas, en effet, dans un sujet et elle n’est pas non plus attribut d’un sujet.

Κοινὸν δὲ κατὰ πάσης οὐσίας τὸ μὴ ἐν ὑποκειμένῳ εἶναι. Ἡ μὲν γὰρ πρώτη οὐσία οὔτε καθ´

ὑποκειμένου λέγεται οὔτε ἐν ὑποκειμένῳ ἐστίν.»

il s’impose de remarquer le «οὔτε καθ´ ὑποκειμένου λέγεται οὔτε ἐν

ὑποκειμένῳ ἐστίν» de la substance première, qui la caractérise comme un

non-prédicat, alors que la substance seconde est un prédicat qui se dit d’un

sujet, le suppôt qualifiée en substance première, mais n’y est pas comme dans

un sujet ;

4. «[3a 33] Le caractère des substances secondes aussi bien que des différences, c’est d’être

dans tous les cas attribuées dans , un sens synonyme, car toutes leurs prédications ont pour sujets

soit des individus, soit des espèces. Il est vrai que la substance première ne peut nullement être

prédicat, puisqu’elle n’est elle-même affirmée d’aucun sujet. Ὑπάρχει δὲ ταῖς οὐσίαις καὶ ταῖς

διαφοραῖς τὸ πάντα συνωνύμως ἀπ´ αὐτῶν λέγεσθαι· πᾶσαι γὰρ αἱ ἀπὸ τούτων κατηγορίαι

ἤτοι κατὰ τῶν ἀτόμων κατηγοροῦνται ἢ κατὰ τῶν εἰδῶν. Ἀπὸ μὲν γὰρ τῆς πρώτης οὐσίας

οὐδεμία ἐστὶ κατηγορία, —κατ´ οὐδενὸς γὰρ ὑποκειμένου λέγεται·»

il s’impose de relever que la substance première ne peut jamais être dans un

verbe-prédicat, puisqu’elle n’est jamais affirmée d’un sujet ;

il s’impose aussi de remarquer le «συνωνύμως» que le traducteur rend par

«synonyme» ; or, Aristote définit le «συνώνυμα» comme suit :

«Συνώνυμα δὲ λέγεται ὧν τό τε ὄνομα κοινὸν καὶ ὁ κατὰ τοὔνομα λόγος τῆς οὐσίας ὁ

αὐτός, οἷον ζῷον ὅ τε ἄνθρωπος καὶ ὁ βοῦς·» 104

«D’autre part, on appelle « synonyme » ce qui a à la fois communauté de nom et identité de

notion. Par exemple, l’animal est à la fois l’homme et le bœuf.»

105

;

quoiqu’il en soit, le «συνωνύμως» ne concerne précisément pas le «τὸ ὂν»,

qui n’est pas un genre (οὐ γένος τὸ ὄν) comme on le lira bientôt, et dont

Aristote dit :

«Οὕτω δὲ καὶ τὸ ὂν λέγεται πολλαχῶς μὲν ἀλλ' ἅπαν πρὸς μίαν ἀρχήν· τὰ μὲν γὰρ ὅτι

οὐσίαι, ὄντα λέγεται, τὰ δ' ὅτι πάθη οὐσίας, τὰ δ' ὅτι ὁδὸς εἰς οὐσίαν ἢ φθοραὶ ἢ

στερήσεις ἢ ποιότητες ἢ ποιητικὰ ἢ γεννητικὰ οὐσίας ἢ τῶν πρὸς τὴν οὐσίαν λεγομένων,

ἢ τούτων τινὸς ἀποφάσεις ἢ οὐσίας· διὸ καὶ τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεν.» 106

«C’est absolument de cette façon que le mot d’Être peut recevoir des acceptions multiples, qui

toutes cependant se rapportent à un seul et unique principe. Ainsi, Être se dit tantôt de ce qui

est une substance réelle, tantôt de ce qui n’est qu’un attribut de la substance, tantôt de ce qui

tend à devenir une réalité substantielle, tantôt des destructions, des négations, des propriétés

de la substance, tantôt de ce qui la fait ou la produit, tantôt de ce qui est en rapport purement

verbal avec elle, ou enfin de ce qui constitue des négations de toutes ces nuances de l’Être, ou

104

105

Catégories 1a 5 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/categories.htm#V

Catégories, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

complements/AristoteCategories.htm

106

Métaphysique 1003b 5 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque4gr.htm#22

47


des négations de l’Être lui-même. C’est même en ce dernier sens que l’on peut dire du Non-être

qu’il Est le Non-être.» 107

Quant à la substance seconde, pour les fins de la recherche en cours, il suffit de faire

ressortir le trait qui explique pourquoi elle est dite seconde, i.e. qu’elle est un universel

prédicable de plusieurs suppôts qui, ainsi, sont qualifiées comme substance première :

«Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 16 n. 11. Secundam rationem ponit ibi, amplius quod dicit quod

hoc ipsum quod est unum, non potest apud multa simul inveniri. Hoc enim est contra rationem

unius, si tamen ponatur aliquod unum per se existens ut substantia. Sed illud quod est commune,

est simul apud multa. Hoc enim est ratio communis, ut de multis praedicetur, et in multis existat.

Patet igitur quod unum quod est commune, non potest esse sic unum quasi una substantia. Et

ulterius palam est ex omnibus praedictis in hoc capitulo, quod nullum universale, nec ens, nec

unum, nec genera, nec species habent esse separatum praeter singularia.»

108

«1641. Il présente le deuxième raisonnement là [680] où il dit : ¨ De plus ce qui ¨. Il dit que cela

même qui est un ne peut se retrouver simultanément dans plusieurs. Cela en effet est contraire à

la définition de l’un, si on entend cependant par là l’un qui existe par soi en tant que substance

[première]. Mais ce qui est commun se retrouve simultanément dans plusieurs. C’est là en effet la

définition de l’universel de pouvoir s’attribuer à plusieurs et d’exister dans plusieurs. Il est donc

clair que l’un qui est commun ne peut être un à la manière d’une substance [première]. Et par la

suite il est clair à partir de tout ce que nous avons dit dans ce chapitre qu’aucun universel, ni l’un

ni l’être, ni les genres ni les espèces ne peuvent exister séparément en dehors des [singuliers].»

109

La substance seconde est une ressemblance prédicable de plusieurs suppôts qui, du

fait de la présence en eux de cette ressemblance, sont des ressemblants, ce pourquoi

la substance seconde peut apparaître dans un verbe tel que : «est un homme.» Ce

texte d’Aristote suffit à l’exposition de cette thèse :

[3b 10] En ce qui concerne les substances premières, il est incontestablement vrai qu’elles

signifient un être déterminé, car la chose exprimée est un individu et une unité numérique. Pour les

substances secondes, aussi, on pourrait croire, en raison de la forme même de leur appellation,

qu’elles signifient un être déterminé, quand nous disons, par exemple, homme ou animal. Et

pourtant ce n’est pas exact : de telles expressions signifient plutôt une qualification, car le sujet

n’est pas un comme dans le cas de la substance première ; en réalité, homme est attribué à une

multiplicité, et animal également. Πᾶσα δὲ οὐσία δοκεῖ τόδε τι σημαίνειν. Ἐπὶ μὲν οὖν τῶν

πρώτων οὐσιῶν ἀναμφισβήτητον καὶ ἀληθές ἐστιν ὅτι τόδε τι σημαίνει· ἄτομον γὰρ καὶ ἓν

ἀριθμῷ τὸ δηλούμενόν ἐστιν. Ἐπὶ δὲ τῶν δευτέρων οὐσιῶν φαίνεται μὲν ὁμοίως τῷ

σχήματι τῆς προσηγορίας τόδε τι σημαίνειν, ὅταν εἴπῃ ἄνθρωπον ἢ ζῷον· οὐ μὴν ἀληθές γε,

107 Métaphysique 1003b 5, traduction de Pascale-Dominique Nau : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/complements/Aristotemetaphysiquepascalenau2008.htm

108 Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 16 n. 11. : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm

109

Commentaire de saint Thomas d'Aquin du traité des métaphysiques d’Aristote, traduction par Serge

Pronovost, légèrement modifiée : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm

48


ἀλλὰ μᾶλλον ποιόν τι σημαίνει, — οὐ γὰρ ἕν ἐστι τὸ ὑποκείμενον ὥσπερ ἡ πρώτη οὐσία,

ἀλλὰ κατὰ πολλῶν ὁ ἄνθρωπος λέγεται καὶ τὸ ζῷον·

Que révèle la revue des traits propres à la substance première, dans le texte grec écrit

par Aristote, et ce, pour la recherche en cours ? Elle révèle que la substance première

n’est ni affirmée d’un sujet, ni dans un sujet, comme c’est le cas pour l’homme

individuel, ou le cheval individuel.

Or, aux Seconds analytiques 92b 11, Aristote souligne que : «τὸ δὲ τί ἐστιν ἄνθρωπος

καὶ τὸ εἶναι ἄνθρωπον ἄλλο.»

110, là où il oppose ce qu’est l’homme à ce qui en

diffère, soit l’homme existe. Et, il ajoute : «τὸ δ' εἶναι οὐκ οὐσία οὐδενί· οὐ γὰρ γένος

τὸ ὄν. ἀπόδειξις ἄρ' ἔσται ὅτι ἔστιν.» «L’être (τὸ εἶναι ) n’est jamais la substance

(οὐσία) de quoi que ce soit (οὐδενί), puisqu’il n’est pas un genre (οὐ γένος τὸ ὄν). La

démonstration (ἀπόδειξις) sera (ἔσται) donc (ἄρ') du fait (ὅτι ἔστιν)» ; il s’agit du fait

que l’homme est. Il est évident qu’une telle démonstration exige plus que l’emploi d’une

copule. Elle exige un verbe tel que : «est homme».

«Τὸ ὂν ὑπάρχει…» se prédique-t-il du suppôt ?

La démonstration ὅτι ἔστιν ici évoquée, démonstration du fait, est la réponse qui se

greffe à la troisième des quatre sortes de question formulables dans cet ordre : si la

chose existe, ce qu’elle est, le fait, le pourquoi :

1. Est-ce ? C’est. (εἰ ἔστι)

2. Qu’est-ce ? C’est ceci. (τί ἐστιν)

3. Ceci est-il cela ? Ceci est cela. (τὸ ὅτι)

4. Pourquoi ceci est-il cela ? Parce qu’il est ceci. (τὸ διότι)

Cependant, elle se réduit à la première. En effet, il s’agit de démontrer que la substance

est (existe) selon le verbe : «est substance». Ainsi formulé, la proposition qui contient

ce verbe : «est substance» se formule ainsi : «Cet étant est substance.» Cette dernière

proposition implique une autre proposition qui lui est antérieure : «Le suppôt est.»,

proposition qui signifie que le suppôt est un étant. Et la question dont la réponse est :

110

Seconds analytiques 92b 11, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt22gr.htm#VII

49


«Le suppôt est.» peut se formuler avec l’expression «τὸ ὂν ὑπάρχει», et ce, à titre de

prédicat, alors que le nom-sujet est «suppôt», comme suit : «Est-ce que τὸ ὂν ὑπάρχει

au suppôt ?»

On est ainsi appelé à distinguer le suppôt lui-même (ceci) et son acte d’être (cela). Or,

comme on l’a vu plus haut : «Être (esse) est l’acte (actus) d’un sujet quelconque

(alicujus) en tant qu’il est (ut quod est) ; et il l’est (est) d’un sujet quelconque (alicujus)

en tant que ¨ce par quoi¨ il est (ut quo est), c’est-à-dire (scilicet) ce par quoi il est

nommé (quo denominatur esse).»

111

Il s’ensuit que la réponse à la question : «Est-ce

que τὸ ὂν ὑπάρχει au suppôt ?» est : «Τὸ ὂν ὑπάρχει au suppôt.»

S’exprimant dans le cadre d’un désaccord qui l’oppose à Avicenne, Thomas d’Aquin

traite du Un «qui se convertit avec l’être» et de cet Être, en ces termes :

«Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 11 Sed in primo quidem non videtur dixisse recte. Esse enim

rei quamvis sit aliud ab eius essentia, non tamen est intelligendum quod sit aliquod superadditum

ad modum accidentis, sed quasi constituitur per principia essentiae. Et ideo hoc nomen ens quod

imponitur ab ipso esse, significat idem cum nomine quod imponitur ab ipsa essentia.» 112

«558. Mais pour ce qui est de l’être il [Avicenne] ne semble pas avoir parlé avec justesse. Bien que

l’être (esse) d’une réalité (rei) soit en effet distinct de son essence, il ne doit cependant pas être

compris comme une forme qui s’y ajoute à la manière d’un accident, mais comme étant constitué

par les principes de l’essence. Et c’est pourquoi ce nom étant (ens) qui est imposé par l’être luimême

(ab ipso esse) signifie le même que [ce que signifie] le nom qui est imposé par l’essence

elle-même.» 113

«Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 13 Unum igitur quod est principium numeri, aliud est ab eo

quod cum ente convertitur. Unum enim quod cum ente convertitur, ipsum ens designat,

superaddens indivisionis rationem, quae, cum sit negatio vel privatio, non ponit aliquam naturam

enti additam.» 114

111 Commentaire des sentences de Pierre Lombard — Scriptum super Sententiis

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 co. , traduction de Serge Pronovost : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

sommes/SENTENCES1.htm#_Toc516173817

112

Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 11 : http://www.corpusthomisticum.org/cmp04.html#82123

113

Commentaire de saint Thomas d'Aquin du traité des métaphysiques d’Aristote, traduction par Serge

Pronovost : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

114

Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 11 : http://www.corpusthomisticum.org/cmp04.html#82123

50


«560. Donc l’un qui est principe du nombre diffère de celui qui se convertit avec l’être. En effet l’un

qui se convertit avec l’être désigne l’être lui-même en ajoutant uniquement la notion d’indivision

qui, parce qu’elle est une négation ou une privation, ne peut ajouter aucune nature à l’être.» 115

Au numéro 558, Thomas d’Aquin commence par distinguer «ce nom étant qui est

imposé par l’être lui-même (ab ipso esse)», dans : «Ens est.», et «le nom qui est

imposé par l’essence elle-même (ab ipsa essentia)». Ensuite, il les compare en disant

que le premier «signifie le même» que le second. En quoi consiste ce «même» ? En un

«quasi», un «presque», un «à peu près», qui apparaît dans «quamvis (…), sed quasi».

«Bien que l’être (esse) d’une réalité (rei) soit à quelque degré distinct de son essence»,

dit Thomas d’Aquin, il «est quasi constitué par les principes de l’essence».

Cette thèse demande un ajustement avec celle qu’énonce la citation introduite plus haut

à propos de la distinction entre l’ipsum esse rei et son essentia 116.

La phrase : «hoc nomen ens quod imponitur ab ipso esse» situe un suppôt par rapport

à son acte d’être. Ce problème est distinct d’un autre problème qui concerne le rapport

entre un suppôt singulier, qualifié comme substance première, du fait que la substance

seconde en est prédiquée à titre de verbe, et son essence. Chacun de ces deux

problèmes méritent un examen distinct.

Auparavant, il convient de traiter du Un «qui se convertit avec l’être». Du point de vue

de la recherche en cours, il suffit de noter que le Un «qui se convertit avec l’être» y

«[ajoute] uniquement la notion d’indivision». C’est ainsi que l’être indivis, l’être un, se

divise du non-être qui, lui, n’est pas.

On s’y intéresse dans la mesure où, à Seconds analytiques 96b 5, cité plus haut et

commenté par Thomas d’Aquin, furent relevé les expressions «extenduntur in plus» et

«s’étendre plus largement», en rapport avec l’extension des prédicats. Comme le verbe

à l’infinitif «esse» et le verbe au participe présent «ens», donc pris comme nom, sont

respectivement un indivisible, du fait qu’ils sont Un, il convient de citer :

115

Commentaire de saint Thomas d'Aquin du traité des métaphysiques d’Aristote, traduction par Serge

Pronovost : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

116

Voir p. 35

51


«Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 10. Intellectus autem habet duas operationes, quarum una

vocatur indivisibilium intelligentia, per quam intellectus format simplices conceptiones rerum

intelligendo quod quid est uniuscuiusque rei. Alia eius operatio est per quam componit et dividit.»

117

«Mais l’intellect possède deux opérations, dont l’une est appelée intelligence des indivisibles, par

laquelle l’intellect forme les conceptions simples des réalités en intelligeant leur ce qu’est. L’autre

opération est celle par laquelle l’intellect compose et divise.» 118

C’est ainsi qu’on en vient aux deux problèmes distincts :

• celui du rapport entre un suppôt et son acte d’être : «hoc nomen ens quod

imponitur ab ipso esse»,

• et celui du rapport entre un suppôt et son essence : «hoc nomen ens significat

idem cum nomine quod imponitur ab ipsa essentia».

Cependant, avant d’en entreprendre l’étude, il convient de se demander si ces études

présentent quelque intérêt.

Or, la question de l’intérêt ne souffre pas de doute, comme on a pu le lire plus haut à

propos du modus prædicandi qui est promu au rang d’incipit de la métaphysique, à

Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 3

119, et ce, de la plume de Thomas d’Aquin lui-

même : «Et ideo modus logicus huic scientiae proprius est, et ab eo convenienter

incipit.» ; «Et c’est pourquoi le mode logique est approprié à cette science et c’est avec

raison qu’elle commence par là.»

Une autre raison pour y voir un intérêt tient à un autre désaccord entre sages. La revue

Laval Théologique et Philosophique, en 2017, publia un article de Guy-François

Delaporte, du Centre d’études Saint Thomas d’Aquin, dont le résumé se lit comme suit :

«Le thème de la Métaphysique de l’acte d’être a connu un succès jamais démenti au cours du

siècle dernier, avec des auteurs comme Gilson, Maritain ou Fabro, pour ne citer que les plus

célèbres. Pourtant, des questions de fond n’ont jamais reçu de réponse satisfaisante, et ont laissé

le sentiment d’une doctrine inachevée et inachevable. Trois observations contribuent à cette

insatisfaction : la quasi-absence d’une telle problématique chez Thomas d’Aquin, les désaccords

117

118

Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 10. : http://www.corpusthomisticum.org/cmp06.html#82798

Notre traduction

119

Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 3 : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm

52


entre certains points de la théorie ainsi qu’entre les auteurs, et les incompatibilités avec certains

thèmes centraux de la philosophie de Thomas d’Aquin.» 120

On peut s’engager dans la voie de résolution qui concerne le premier problème, celui

du rapport entre un suppôt et son acte d’être : «hoc nomen ens quod imponitur ab ipso

esse» On peut le formuler sous forme d’une question : «Est-ce que τὸ ὂν ὑπάρχει au

suppôt ?» Ou encore : est-ce que l’étant est le partage du suppôt ?

Et la réponse de Thomas d’Aquin, qui est affirmative, est déjà connue : «Ce nom étant

(ens) (…) est imposé par l’être lui-même (ab ipso esse).» Autrement dit, la phrase :

«Ens est.», «L’étant est.», signifie que l’acte d’être signifié par «est» est actuellement

exercé par un sujet signifié par «étant» ; elle est vrai si, en réalité, l’étant l’exerce ; s’il

ne l’exerce pas en réalité, alors elle est fausse. L’explication en fut donnée plus haut :

«Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 20 — Sed ipsam compositionem, quae importatur in hoc

quod dico est, non principaliter significat, sed consignificat eam in quantum significat rem

habentem esse. Unde talis consignificatio compositionis non sufficit ad veritatem vel falsitatem:

quia compositio, in qua consistit veritas et falsitas, non potest intelligi, nisi secundum quod innectit

extrema compositionis.» 121

«Cependant, la composition impliquée du fait de dire ‘est’ (ipsam compositionem, quae importatur

in hoc quod dico est), l’expression ‘est’ ne la signifie pas principalement (non principaliter

significat); elle la consignifie consignificat eam ) en tant qu’elle signifie principalement une réalité

détenant l’être (in quantum significat rem habentem esse). Par suite, pareille consignification de

composition ne suffit pas à faire qu’il y ait vérité ou fausseté; la composition dans laquelle consiste

la vérité et la fausseté ne peut en effet être intelligée qu’à la condition d’en embrasser les

termes.» 122

C’est ainsi que Thomas d’Aquin, d’accord avec Avicenne, déclare que la première

notion connue est celle du participe présent «ens», de «étant», à titre de participant au

présent signifié par «est» :

«Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 11. Ibi enim dicitur quod magis universalia sunt nobis primo

nota. Illa autem quae sunt primo nota, sunt magis facilia. Sed dicendum, quod magis universalia

secundum simplicem apprehensionem sunt primo nota, nam primo in intellectu cadit ens, ut

120 Guy-François Delaporte, Une métaphysique propre à Thomas d’Aquin ?, Centre d’études Saint

Thomas d’Aquin, Béziers, France, Laval Théologique Et Philosophique, Volume 73 • Numéro 2 • Juin

2017, https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2017-v73-n2-ltp03307/1042443ar/ ; ou https://www.thomasd-aquin.com/documents/files/Metaph_Propre_Aquin.pdf

121

Expositio Peryermeneias, lib. 1 l. 5 n. 20 : http://www.corpusthomisticum.org/cpe.html#80339

122

Commentaire du De l’interprétation, Introduction, traduction - retravaillée - et notes par Yvan

P e l l e t i e r : h t t p : / / d o c t e u r a n g e l i q u e . f r e e . f r / b i b l i o t h e q u e / p h i l o s o p h i e /

commentairedeinterpretation.htm#_Toc17146329

53


Avicenna dicit, et prius in intellectu cadit animal quam homo. Sicut enim in esse naturae quod de

potentia in actum procedit prius est animal quam homo, ita in generatione scientiae prius in

intellectu concipitur animal quam homo.» 123

«On y dit en effet que c’est ce qu’il y a de plus universel qui nous est connu en premier. Mais ce

qu’on connaît en premier est aussi ce qu’il y a de plus facile à connaître. - Il faut cependant dire

que ce qui est le plus universel selon la simple appréhension nous est connu en premier car, ainsi

que le dit Avicenne, c’est d’abord la notion d’être qui apparaît dans l’intelligence, et la notion

d’animal vient en elle avant la notion d’homme.» 124

On peut aussi s’engager dans la voie de résolution qui concerne le second problème

qu’on a identifié, celui du rapport entre un suppôt et son essence : «hoc nomen ens

significat idem cum nomine quod imponitur ab ipsa essentia»

Formulons-le ainsi :

• en quoi le nom étant (ens),

• qui est imposé par l’être lui-même (ab ipso esse),

• signifie-t-il le même (idem) que [ce que signifie] le nom qui est imposé par

l’essence elle-même (ab ipsa essentia) si,

• bien que l’être (esse) d’une réalité (rei) soit à quelque degré (quamvis)

distinct de son essence,

• il ne doit pas être compris comme s’y ajoutant à la manière d’un accident,

• mais comme étant quasi constitué (quasi constituitur) par les principes de

l’essence ?

Un premier élément de la réponse que Thomas d’Aquin donne se trouve au De veritate,

en ces termes : « On ne trouve rien qui (non autem invenitur aliquid), dit affirmativement

et dans l’absolu (affirmative dictum absolute), puisse être conçu en tout étant (quod

possit accipi in omni ente), si ce n’est son essence (nisi essentia eius), d’après laquelle

il est dit être (secundum quam esse dicitur) ; et c’est ainsi qu’est donné le nom de

« réalité » (et sic imponitur hoc nomen res), lequel, selon Avicenne au début de sa

Métaphysique, diffère de « étant » (quod in hoc differt ab ente, secundum Avicennam in

principio Metaphys. [I, 6]) en ce que « étant » est pris de l’acte d’être (quod ens sumitur

123

124

Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 11 : http://www.corpusthomisticum.org/cmp0101.html#81612

Commentaire de saint Thomas d'Aquin du traité des métaphysiques d’Aristote, traduction par Serge

Pronovost : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/commentairemetaphysique.htm

54


ab actu essendi), au lieu que le nom de « réalité » exprime la quiddité ou l’essence de

l’étant (sed nomen rei exprimit quidditatem vel essentiam entis).» Le texte complet se lit

comme suit :

Illud autem quod primo intellectus concipit quasi notissimum, et in quod conceptiones omnes

resolvit, est ens, ut Avicenna dicit in principio suae Metaphysicae [I, 5]. Unde oportet quod omnes

aliae conceptiones intellectus accipiantur ex additione ad ens.

Or ce que l’intelligence conçoit en premier comme le plus connu et en quoi il résout toutes les

conceptions, est l’étant, comme dit Avicenne au début de sa Métaphysique. Par conséquent, il est

nécessaire que toutes les autres conceptions de l’intelligence s’entendent par addition à l’étant.

Quod dupliciter contingit : uno modo ut modus expressus sit aliquis specialis modus entis. Sunt

enim diversi gradus entitatis, secundum quos accipiuntur diversi modi essendi, et iuxta hos modos

accipiuntur diversa rerum genera. (…) Alio modo ita quod modus expressus sit modus generalis

consequens omne ens ; et hic modus dupliciter accipi potest : uno modo secundum quod

consequitur unumquodque ens in se ; alio modo secundum quod consequitur unum ens in ordine

ad aliud.

Or cela se produit de deux façons. D’abord, en sorte que le mode exprimé soit un mode spécial de

l’étant – il y a, en effet, différents degrés d’entité, selon lesquels différents modes d’être se

conçoivent, et les divers genres de réalités sont pris selon ces modes. (…) Ensuite, en sorte que le

mode exprimé soit un mode général accompagnant tout étant ; et ce mode peut être entendu de

deux façons : d’abord comme accompagnant chaque étant en soi, ensuite comme accompagnant

un étant relativement à un autre.

Si primo modo, hoc est dupliciter quia vel exprimitur in ente aliquid affirmative vel negative. Non

autem invenitur aliquid affirmative dictum absolute quod possit accipi in omni ente, nisi essentia

eius, secundum quam esse dicitur ; et sic imponitur hoc nomen res, quod in hoc differt ab ente,

secundum Avicennam in principio Metaphys. [I, 6], quod ens sumitur ab actu essendi, sed nomen

rei exprimit quidditatem vel essentiam entis. Negatio autem consequens omne ens absolute, est

indivisio ; et hanc exprimit hoc nomen unum : nihil aliud enim est unum quam ens indivisum.

Si on l’entend de la première façon, on distingue selon qu’une chose est exprimée dans l’étant

affirmativement ou négativement. Or, on ne trouve rien qui, dit affirmativement et dans l’absolu,

puisse être conçu en tout étant, si ce n’est son essence, d’après laquelle il est dit être ; et c’est

ainsi qu’est donné le nom de « réalité », lequel, selon Avicenne au début de sa

Métaphysique, diffère de « étant » en ce que « étant » est pris de l’acte d’être, au lieu que le nom

de « réalité » exprime la quiddité ou l’essence de l’étant. Quant à la négation accompagnant tout

étant dans l’absolu, c’est l’absence de division, laquelle est exprimée par le nom de « un » ; l’un

n’est rien d’autre, en effet, que l’étant sans division.» 125

125

De veritate Q. 1 Art. 1 co., traduction par les moines de l’Abbaye Abbaye sainte Madeleine du

B a r r o u x : h t t p : / / d o c t e u r a n g e l i q u e . f r e e . f r / b i b l i o t h e q u e / q u e s t i o n s d i s p u t e e s /

questionsdisputeessurlaverite.htm

55


Comme Thomas d’Aquin soutient que : «Et c’est pourquoi le mode logique est

approprié à cette science et c’est avec raison qu’elle commence par là.»

qu’on s’intéresse à ce modus logicus.

126, il s’impose

Quel est ce modus logicus ? Il s’agit d’une addition propre à l’esse commune, tel que

Thomas d’Aquin l’expose en ces termes :

«Ad primum ergo dicendum quod aliquid cui non fit additio potest intelligi dupliciter. Uno modo, ut

de ratione eius sit quod non fiat ei additio; sicut de ratione animalis irrationalis est, ut sit sine

ratione. Alio modo intelligitur aliquid cui non fit additio, quia non est de ratione eius quod sibi fiat

additio, sicut animal commune est sine ratione, quia non est de ratione animalis communis ut

habeat rationem; sed nec de ratione eius est ut careat ratione. Primo igitur modo, esse sine

additione, est esse divinum, secundo modo, esse sine additione, est esse commune.» 127

«Ce qu’on dit ici de l’être sans addition peut se comprendre en deux sens : ou bien l’être en

question ne reçoit pas d’addition parce qu’il est de sa notion d’exclure toute addition : ainsi la

notion de “ bête ” exclut l’addition de “raisonnable”. Ou bien il ne reçoit pas d’addition parce que sa

notion ne comporte pas d’addition comme l’animal en général est sans raison en ce sens qu’il n’est

pas dans sa notion d’avoir la raison ; mais il n’est pas non plus dans sa notion de ne pas l’avoir.

Dans le premier cas, l’être sans addition dont on parle est l’être divin ; dans le second cas, c’est

l’être commun.» 128

Donc, le premier élément de réponse que Thomas d’Aquin donne à la question du

rapport entre un suppôt et son essence s’énonce comme suit : le nom «étant», pris de

l’acte d’être , et le nom «réalité», qui exprime la quiddité ou l’essence de l’étant,

signifient un même puisque l’étant est quasi constitué par les principes de l’essence,

bien que l’être d’une réalité soit à quelque degré distinct de son essence.

Dès lors, il reste à exposer ce en quoi consiste ce «quasi constitué par les principes de

l’essence», et ce «à quelque degré distinct de son essence». Mais, ici, on ne doit pas

confondre le rôle du dialecticien avec le rôle du métaphysicien. Le dialecticien demeure

au niveau du modus logicus ; il cherche le modus prædicandi qui convient à la saisie du

126 «Et ideo modus logicus huic scientiae proprius est, et ab eo convenienter incipit.» ; Sententia

Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 3 : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/philosophie/

commentairemetaphysique.htm

127

ST Iª q. 3 a. 4 ad 1 : http://www.corpusthomisticum.org/sth1003.html#28352

128

S o m m e t h é o l o g i q u e , t r a d u c t i o n d e s É d i t i o n s d u C e r f , l é g è r e m e n t

modifiée/////////////////////////////////////////////////

ngfcvbnvcbnvcvgfhjfdhjÉÉ »….>>< : http://

docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/1sommetheologique1apars.htm#_Toc484618163

56


modus essendi pertinent. Le métaphysicien s’emploie à saisir le modus essendi

pertinent en utilisant le modus prædicandi comme «incipit».

Retour au verbe ὑπάρχειν

Or, il arrive que la question : «Est-ce que τὸ ὂν ὑπάρχει au suppôt ?» fut motivée par

l’emploi que fait Aristote du verbe «ὑπάρχειν». En relevant les diverses acceptions de

ce verbe, on s’est arrêté à : « 5. exister, subsister, être». Là se trouve le second

élément de réponse que Thomas d’Aquin donne à la question du rapport entre un

suppôt et son essence.

«Ὑπάρχειν» peut être employé pour signifier «exister», «subsister», ou «être». Cette

acception présente de l’intérêt , fut-il signalé plus haut, puisque Thomas d’Aquin précise

ce qu’il entend par «substance», «subsistance», et «essence», comme suit :

«Unde dico, quod « essentia » dicitur cujus actus est esse, « subsistentia » cujus actus est

subsistere, substantia cujus actus est substare. Hoc autem dicitur dupliciter, sicut in singulis patet.

Esse enim est actus alicujus ut quod est, sicut calefacere est actus calefacientis ; et est alicujus ut

quo est, scilicet quo denominatur esse, sicut calefacere est actus caloris. (…) Sic ergo patet

differentia istorum trium dupliciter. Quia si accipiatur unumquodque ut quo est, sic essentia

significat quidditatem, ut est forma totius, « ousiosis » formam partis, « hypostasis » materiam

[partis]. Si autem sumatur unumquodque ut quod est, sic unum et idem dicetur « essentia »,

inquantum habet esse, « subsistentia », inquantum habet tale esse, scilicet absolutum ; et hoc per

prius convenit generibus et speciebus, quam individuis ; et substantia, secundum quod substat

accidentibus ; et hoc per prius convenit individuis, quam generibus et speciebus. Ulterius, hoc

nomen « persona » significat substantiam particularem…» 129

«C’est pourquoi je dis que «essentia» se dit de ce dont (cujus) l’acte est d’exister, «subsistentia»

de ce dont (cujus) l’acte est de subsister et «substantia» se dit de ce dont (cujus) l’acte consiste à

soutenir un autre. Mais cela se dit de deux manières comme on le voit par l’examen des cas

particuliers. Exister en effet est l’acte d’un être en tant que ¨ce qui existe¨, comme réchauffer est

l’acte de celui qui réchauffe ; et il appartient à un être en tant que ¨ce par quoi il existe¨, c’est-à-dire

ce par quoi il est dénommée, comme réchauffer est l’acte de la chaleur. (…) Et c’est pourquoi la

différence entre ces trois noms est évidente de trois manières. Car si on les prend chacun

séparément en tant que ¨ce par quoi il existe¨, alors «essentia» signifie la quiddité en tant qu’elle

est la forme du tout, «ousiosis» signifie la forme de la partie, «hypostasis» signifie la matière [de la

partie]. Mais si on les prend chacun séparément en tant que ¨ce qui est¨, alors un seul et même

«ce» sera appelé «essentia» en tant qu’il possède l’existence ; [sera appelé] «subsistentia» en tant

qu’il possède telle existence, à savoir une existence absolue, et cela convient en priorité aux

genres et aux espèces plutôt qu’aux individus ; et enfin [sera appelé] «substantia» selon

129

Scriptum super Sententiis, Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 co., Commentaire des sentences de Pierre Lombard,

traduction de Serge Pronovost, légèrement modifiée : http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/

sommes/SENTENCES1.htm#_Toc516173817

57


qu’il soutient les accidents, et cela convient en priorité aux individus plutôt qu’aux genres et aux

espèces.»

La thèse pertinente à la recherche en cours se formule ainsi : «Essentia» se dit de ce

dont l’acte est d’exister, «subsistentia» de ce dont l’acte est de subsister et «substantia»

se dit de ce dont l’acte consiste à soutenir un autre.» Mais, dit Thomas d’Aquin, «Cela

se dit de deux manières» :

• «Exister est l’acte d’un être en tant que ¨ce qui existe¨, comme réchauffer est

l’acte de celui qui réchauffe» ;

• «Exister appartient à un être en tant que ¨ce par quoi il existe¨, c’est-à-dire ce par

quoi il est dénommée, comme réchauffer est l’acte de la chaleur.»

Autrement dit : être, qui est l’acte d’un être pris en tant que ¨ce qui est¨, est le partage

de ¨ce par quoi¨ il est, c’est-à-dire de ce par quoi il est dénommée. Comme dans : «La

chaleur réchauffe.» Alors comment s’explique la différence entre ces trois noms :

«essentia» «subsistentia» «substantia» ? Cela s’explique de deux manières (dicitur

dupliciter), dit Thomas d’Aquin, «ut quo est» et «ut quod est» :

1. si on les prend chacun de ces noms séparément en tant que ¨ce par quoi il existe¨

(ut quo est), alors :

1.1. «essentia» signifie la quiddité en tant qu’elle est la forme du tout (du quoi) ;

1.2. «ousiosis» 130 signifie la forme de la partie du tout (du quoi) ;

1.3. «hypostasis» signifie la matière de la partie du tout (du quoi) ;

2. si on les prend chacun séparément en tant que ¨ce qui est¨ (ut quod est), alors un

seul et même «ce qui» sera appelé :

2.1. «essentia» en tant qu’il possède l’existence ;

2.2. «subsistentia» en tant qu’il possède telle existence, à savoir une existence

absolue, et cela convient en priorité aux genres et aux espèces plutôt qu’aux

individus ;

2.3. «substantia» selon qu’il soutient les accidents, et cela convient en priorité

aux individus plutôt qu’aux genres et aux espèces.

130

action de donner l’être : Émile Pessonnaux, Dictionnaire grec-français, Librairie classique Eugène

Belin, 1953

58


C’est ainsi que l’étant, en tant que ¨ce par quoi il existe¨, est quasi constitué par les

principes de l’essence, et, en tant que ¨ce qui est¨, l’être d’une réalité est à quelque

degré distinct de son essence. Par exemple, réchauffer est l’acte de la chaleur, selon

¨ce par quoi il existe¨, et réchauffer est l’acte de celui qui réchauffe, selon ¨ce qui est¨.

Rendu à ce point de la recherche, il s’impose de constater qu’une question demeure

toujours en attente d’une réponse, la question suivante : est-ce que «τὸ ὂν ὑπάρχει…»

se dit d’un sujet et est dans un sujet, ou est-ce que «τὸ ὂν ὑπάρχει…» se dit d’un

sujet, et n’est pas dans un sujet ? Pour y répondre, il convient de prendre connaissance

de ce texte que Thomas d’Aquin écrit à la Somme contre les gentils :

«Si enim esse est subsistens, nihil praeter ipsum esse ei adiungitur. Quia etiam in his quorum esse

non est subsistens, quod inest existenti praeter esse eius, est quidem existenti unitum, non autem

est unum cum esse eius, nisi per accidens, inquantum est unum subiectum habens esse et id quod

est praeter esse: sicut patet quod Socrati, praeter suum esse substantiale, inest album, quod

quidem diversum est ab eius esse substantiali; non enim idem est esse Socratem et esse album,

nisi per accidens. Si igitur non sit esse in aliquo subiecto, non remanebit aliquis modus quo possit

ei uniri illud quod est praeter esse. Esse autem, inquantum est esse, non potest esse diversum:

potest autem diversificari per aliquid quod est praeter esse; sicut esse lapidis est aliud ab esse

hominis. Illud ergo quod est esse subsistens, non potest esse nisi unum tantum. Ostensum est

autem quod Deus est suum esse subsistens. Nihil igitur aliud praeter ipsum potest esse suum

esse. Oportet igitur in omni substantia quae est praeter ipsum, esse aliud ipsam substantiam et

esse eius.» 131

«En effet, si l'acte d'être est subsistant, rien en dehors de lui ne peut s'y adjoindre. Car, même en

ceux dont l'acte d'être n'est pas subsistant, ce qui appartient à l'existant en plus de son acte d'être

lui est assurément uni, mais n'est pas un avec son acte d'être, sinon par accident, en tant que le

sujet est un qui a l'acte d'être et ce qui est en plus de celui-ci. Ainsi voit-on qu'en Socrate, en plus

de son acte d'être substantiel, il y a le blanc, qui est certes divers de cet acte d'être substantiel, car

ce n'est pas la même chose d'être Socrate et d'être blanc, autrement que par accident, si donc

l'acte d'être n'est pas dans quelque sujet, il ne restera plus d'autre manière dont puisse lui être uni

ce qui est en plus de l'acte d'être. Or l'acte d'être, en tant qu'acte d'être, ne peut être divers, mais il

peut être diversifié par quelque chose qui est en dehors de lui. Ainsi l'acte d'être de la pierre est

autre que celui de l'homme. Par conséquent, cela qui est l'acte d'être subsistant ne peut être qu'un

seulement. Or, nous avons montré que Dieu est son acte d'être subsistant. Rien d'autre que lui ne

peut donc être son acte d'être. Et par suite, il faut qu'en toute substance qui n'est pas lui, la

substance elle-même soit autre chose que son acte d’être.» 132

L’ipsum esse en tant que tel, pris comme acte d’être lui-même, ne peut être divers. En

lui, tout ce qui est se ressemble. L’ipsum esse est nécessairement un, mais il peut être

131

132

Contra Gentiles, lib. 2 cap. 52 n. 2 : http://www.corpusthomisticum.org/scg2046.html#24908

Somme contre les gentils, traduction des Éditions du Cerf : http://docteurangelique.free.fr/

bibliotheque/sommes/contragentiles.htm

59


diversifié par ce qui est en dehors de lui, dit Thomas d’Aquin, qui est ainsi conduit à

introduire une distinction entre l’ipsum esse subsistens et l’ipsum esse non subsistens :

• si l'acte d'être lui-même est subsistant, «rien en dehors de lui ne peut s'y

adjoindre» ; dès lors, «τὸ ὂν ὑπάρχει» se dit de lui, mais n’est pas en lui ;

• si l'acte d'être lui-même n’est pas subsistant, lui est uni ce qui est en dehors de

lui, mais sans faire un avec son acte d’être ; dès lors, «τὸ ὂν ὑπάρχει» se dit de

lui, et est en lui. 133

Et, en ce qui concerne l’ipsum esse non subsistens, le «τὸ ὂν ὑπάρχει», qui se dit de

lui, et est en lui, instaure le suppôt qui constitue la substance première, celle dont il est

dit, à Catégories 2b 5 : «Ὥστε μὴ οὐσῶν τῶν πρώτων οὐσιῶν ἀδύνατον τῶν ἄλλων

τι εἶναι.», «Faute donc par ces substances premières d’exister, aucune autre chose ne

pourrait exister.», et celle dont il est dit, à Catégories 3a 6 : «Ἡ μὲν γὰρ πρώτη οὐσία

οὔτε καθ´ ὑποκειμένου λέγεται οὔτε ἐν ὑποκειμένῳ ἐστίν.», «La substance

première, elle, n’est pas, en effet, dans un sujet et elle n’est pas non plus attribut d’un

sujet.». La substance première (πρώτη οὐσία) est ainsi l’essentia en tant qu’elle

possède l’existence, selon le «ut quod est», et l’essentia qui signifie la quiddité en tant

qu’elle est la forme du tout, selon le «ut quo est».

Les phrases «τὸ ὂν ὑπάρχει se dit de lui, mais n’est pas en lui» et «τὸ ὂν ὑπάρχει se

dit de lui, et est en lui» expriment l’une et l’autre le modus significandi d’un modus

intelligendi, celui du prédicat esse commune, soit le modus prædicandi qui convient à

une métaphysique de l’être en tant qu’être.

C’est pourquoi l’emploi que fait Aristote du verbe «ὑπάρχειν» conduit à un passage des

Seconds analytiques où «ὑπάρχειν» est traduit par «appartenir», comme suit : «Τὸ ὂν

ὑπάρχει τῇ τριάδι, ἀλλὰ καὶ μὴ ἀριθμῷ.»

à la triade, mais il appartient de plus à ce qui n'est pas nombre.» 135

134

«Ainsi l'être est un attribut qui appartient

133 C’est la réponse à la question soulevée plus haut, à la page 38. Voir aussi Contra Gentiles, lib. 1 cap.

25 n. 9 et n. 10

134

135

Seconds analytiques 96b 25 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/analyt22.htm#132

Traduction de J. Barthélemy-Saint-Hilaire : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/

analyt22.htm#132

60


Comme on l’a relevé plus haut, Thomas d’Aquin commente ce passage en ces termes :

«Expositio Posteriorum, lib. 2 l. 13 n. 3 Datur autem per hoc intelligi aliud membrum oppositum,

quia scilicet est aliquid quod extenditur in plus, et est extra genus. Et de hoc primo ponit

exemplum, dicens quod est aliquid quod inest omni ternario, sed et non ternario inest ; sicut patet

de ipso ente communi, quod quidem universaliter inest non tantum trinitati, sed etiam aliis ; et non

solum in genere numeri, sed etiam in his quae sunt extra genus numeri.» 136

«529. Et en premier lieu, il donne un exemple de cela en disant qu’il y a un terme qui appartient à

toute triade mais aussi à ce qui n’est pas triade ainsi qu’on le voit pour l’être commun lui-même qui

s’attribue certes universellement non seulement à toute triade mais aussi à d’autres choses, et non

seulement à d’autres choses qui sont dans le genre du nombre, mais aussi à des choses qui ne

sont pas même dans le genre du nombre.» 137

En fait, le prédicat être est dit de tout ce qui est. «Τὸ γὰρ ὂν καὶ τὸ ἓν καθόλου

κατηγορεῖται μάλιστα πάντων.»

de tous les prédicats.»

139

138, dit Aristote. «L'Être et l'Un sont les plus universels

Et l’Un qui se convertit avec l’Être signifie l’indivisibilité de ce

dernier, ainsi promu au premier rang des indivisibles. L’Être est l’indivisible le plus

universel de tous. Il s’ensuit que tout autre indivisible que l’Être indivis, qui est le plus

universel, est moins universel, selon le rapport suivant :

moins universel

le plus universel

La division qui oppose l’ipsum esse subsistens et l’ipsum esse non subsistens est le

point de départ du moins universel, selon les rapports :

ipsum esse subsistens

esse commune

ipsum esse non subsistens

esse commune

136

Expositio Posteriorum, lib. 2 l. 13 n. 3 : http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/philosophie/

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm#_Toc536727780

137 Commentaire de Saint-Thomas d’Aquin aux Seconds Analytiques d’Aristote, traduction de Serge

P r o n o v o s t : h t t p : / / d o c t e u r a n g e l i q u e . f r e e . f r / l i v r e s f o r m a t w e b / p h i l o s o p h i e /

commentaireSecondsAnalytiquesSP.htm#_Toc536727780

138

139

Métaphysique 1053b 20, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/metaphyque10gr.htm#22

Métaphysique, Tome II, traduction de J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1981

61


Le rapport du moins universel au plus universel est-il comparable au rapport de la

moitié au tout entier, du tiers au tout entier, du quart au tout entier, etc. :

1/2

___ ___

1/3

___

1/4

?

2/2 3/3 4/4

Une réponse affirmative à cette question s’impose si on tient compte des textes

suivants :

a) De veritate, q. 2 a. 11 ad 2. :

«2° En réponse à la seconde objection : à Topiques 108a 7, le Philosophe [i.e. Aristote] expose

une double mesure de ressemblance. L’une qui est découverte dans des genres divers ; et celleci

est attentive à la proportion ou à la proportionnalité, comme lorsque, de même qu’un premier

élément est à un second, de même un troisième est à un quatrième, comme il le dit lui-même au

même endroit. L’autre, dans ceux qui sont du même genre, comme lorsque le même est en

divers [d’entre eux].» 140

b) De veritate, q. 2 a. 3 ad 4. :

«4° En réponse à la seconde objection : quelque chose est dite proportionnée à une autre de

deux manières. D’abord, parce qu’une proportion est remarquée entre elles ; comme nous disons

que 4 est proportionné à 2, parce que 4 se rapporte à 2 dans la proportion du double. Ensuite,

par mesure de proportionnalité ; comme si nous disions que 6 et 8 sont proportionnés parce que,

de même que 6 est double de 3, de même 8 est double de 4 : en effet, la proportionnalité est la

ressemblance des proportions. Et, parce que, en toute proportion, il est remarqué un rapport

mutuel entre ceux qui sont dits proportionnés selon un dépassement déterminé de l’un sur l’autre,

c’est pourquoi il est impossible qu’un infini soit proportionné à un fini par mesure de proportion.

Mais, entre ceux qui sont dits proportionnées par mesure de proportionnalité, il n’est pas

remarqué un rapport mutuel, mais un rapport semblable de deux à deux autres ; et ainsi, rien

n’empêche qu’un infini soit proportionné à un fini : parce que, de même qu’un certain fini est égal

à un autre fini, de même, un infini est égal à un autre infini.» 141

c) De veritate, q. 8 a. 1 ad 6 :

«6° En réponse à la sixième objection : La proportion, à proprement parler, n’est rien d’autre que

le rapport d’une quantité à une quantité, comme celle qui est égale à l’autre, ou le triple d’une

autre ; et de là, le nom de proportion est transféré, de telle sorte que le rapport de n’importe

quelle réalité à une autre réalité est nommé ‘proportion’ ; ainsi, il est dit que la matière est

proportionnée à la forme en tant qu’elle se rapporte à la forme comme sa matière, sans

considérer quelque rapport de quantité.» 142 — # —

140

141

142

De veritate, q. 2 a. 11 ad 2, http://www.corpusthomisticum.org/qdv02.html#52086

De veritate, q. 2 a. 3 ad 4, http://www.corpusthomisticum.org/qdv02.html#51903

De veritate, q. 8 a. 1 ad 6, http://www.corpusthomisticum.org/qdv08.html#53146

62


CONCLUSION

C’est ainsi que la recherche engagée à propos du problème dialectique que pose

l’emploi du verbe être pris comme signe d’un acte de ce qui est s’achève.

Et c’est ainsi que la vérité et la connaissance à propos de cet emploi est acquise, et ce,

«en lui-même», i.e. quant à son usage logique comme prédicat, et dès lors comme un

adjuvant à la solution d'un autre problème, i.e. quant à son usage pour convenir de la

possibilité d’une métaphysique ayant pour thème l’être en tant qu’être.

La recherche engagée à propos d’un problème dialectique vise à «trouver une méthode

qui nous mette en mesure d’argumenter sur tout problème proposé». Cette méthode

n’est autre qu’un modus logicus adéquat à la découverte d’un modus prædicandi

convenable pour la résolution d’un autre problème, ici celui de la possibilité d’une

métaphysique ayant pour thème l’être en tant qu’être.

Le modus logicus qui est ici convenable s’énonce comme suit : être, qui est l’acte d’un

être pris en tant que ¨ce qui est¨, est le partage de ¨ce par quoi¨ il est, c’est-à-dire de ce

par quoi il est dénommée :

• «Exister est l’acte d’un être en tant que ¨ce qui existe¨, comme réchauffer est

l’acte de celui qui réchauffe» ;

• «Exister appartient à un être en tant que ¨ce par quoi¨ il existe, c’est-à-dire ce par

quoi il est dénommée, comme réchauffer est l’acte de la chaleur.»

— # —

63



Un problème dialectique s’est posé à propos de l’emploi du

verbe être pris comme signe d’un acte de ce qui est.

Pour le résoudre, il s’impose d’entreprendre une «recherche

qui tend à acquérir la vérité et la connaissance» à propos de

cet emploi, et ce,

1. «en lui-même», i.e. quant à son usage logique comme

prédicat ou comme copule,

2. et «comme un adjuvant à la solution d'un autre problème de

ce genre», i.e. quant à son usage pour convenir ou

disconvenir de la possibilité d’une métaphysique ayant pour

thème l’être en tant qu’être.

Les tenants et aboutissants de cette recherche sont présentés

en ces pages.

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