Magazin n°3 - Anatomie de l'IA
Magazine réalisé par les étudiants en deuxième année de Master journalisme, spécialité presse écrite.
Magazine réalisé par les étudiants en deuxième année de Master journalisme, spécialité presse écrite.
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MAGAZIN - AVRIL 2022 - N˚ 3 - 2 EUROS
MAGAZINE DE L’ÉCOLE PUBLIQUE DE JOURNALISME DE TOURS (EPJT)
Anatomie
de l’IA
LE CHAMP
DES POSSIBLES
Des robots se mettent
au service des agriculteurs.
ENTREZ DANS
LA MATRICE
Chercheurs et ingénieurs
interrogent ses usages et tentent
de corriger ses biais.
L’AMOUR
SYNTHÉTIQUE
L’Américain Dave Cat vit
depuis vingt ans avec une poupée
pas comme les autres.
é
d
ito
IA plus qu’à…
Servante, dominatrice, amante ou calculatrice : mille et une fonctionnalités sont
projetées sur l’intelligence artificielle (IA). Des configurations sur lesquelles nous
avons surfé, nous, les onze journalistes en presse écrite en cours d’initialisation à
l’École publique de journalisme de Tours. Loin d’avoir hacké l’actualité, nous avons
développé notre protocole journalistique en cherchant des techniciens du savoir et
en obtenant l’accès à des données par octets. En trente-deux pages, nous avons
dépassé les algorithmes, démantelé les idées reçues pour en extraire les avantages
de l’IA et en déterminer les enjeux. Le programme est chargé.
Loin d’être périphérique, l’IA algo-rythme vos journées lorsqu’elle s’impose de votre
réveil jusqu’à l’apéro. Votre routine est déjà automatisée, alors sortez de la matrice
et cliquez sur l’histoire de cet homme marié à un robot, téléchargez le récit de ce
collectif d’artistes qui utilise l’IA comme pinceau, connectez-vous à l’aventure de
l’ordinateur qui a battu l’homme aux échecs.
Mais à l’image de son développeur, l’IA peut revêtir des onglets plus sombres. Tantôt
arme de guerre, tantôt raciste, tantôt espionne, elle a de quoi vous faire bugger. Et
si elle nous révélait les failles de nos sociétés trop longtemps ignorées ? En regardant
par la fenêtre de la fiction, vous verrez aussi qu’elle nourrit les craintes des
réalisateurs et des écrivains. Pourrait-elle finir par contrôler ses créateurs ? En lisant
entre les lignes de codes de notre magazine, vous renoncerez au langage binaire qui
veut que cette technologie incarne soit le Bien, soit le Mal. Notre historique de
navigation montre une interface plus nuancée.
Et pour preuve, elle peut se convertir en super-héros en faisant pare-feu aux
incendies au Canada, jouer les antivirus en assistant les chercheurs dans l’élaboration
de médicaments ou détecter les futurs athlètes.
Sceptiques au début, nous, jeunes journalistes, avons compris qu’il faudrait composer
avec elle dans nos carrières. Elle peut nous soulager de tâches ingrates en ne
nous laissant que le meilleur du métier : l’opportunité de questionner le monde et
d’aller à la rencontre de ses acteurs*.
(*) Cet édito a été écrit par des humains.
DOSSIER
SOMMAIRE
MAGAZIN 3
22
7
Sexe, dolls
et synthétique
Rencontre avec
Dave Cat, en couple
depuis vingt ans avec
une femme robot.
4
8
10
Regards croisés
Une philosophe et
un expert du digital
échangent sur l’irruption
de l’IA dans nos vies.
Environnement
Voyagez avec
les initiatives qui luttent
contre les effets du
dérèglement climatique.
Médecine
Dans les laboratoires, les
algorithmes se montrent
utiles pour la recherche.
21
24
25
Match nul
L’IA pourrait être aussi
bon sélectionneur de
champions que l’humain.
Échec et mat
pour l’humain
L’intelligence artificielle a
plus d’un coup d’avance
sur toutes les parties.
Fiction
Une innovation qui
fascine les écrivains et
les réalisateurs.
I A pour intelligence
agricole
Dans les poulaillers ou
dans les champs, l’heure
est à la cyberculture.
18
Journalisme
Des articles rédigés
en mode automatique
soulagent les pros.
26
L’algo
sous toutes
ses peintures
Des créations artistiques
sortent des cadres.
20
Désinformation
Une datajournaliste
déjoue les pièges tendus
par les deepfakes.
MAGAZIN n° 3. Avril 2022. Magazine
de l’École publique de journalisme de Tours/
Université de Tours – IUT de Tours,
29, rue du Pont-Volant, 37 002 Tours Cedex.
Tél. 02 47 36 75 72. ISSN : 2740-1855.
Directeur de publication : Laurent Bigot.
Coordination : Mariana Grépinet (rédaction en chef), Stéphan
Cellier (direction artistique), Laure Colmant (secrétariat général de
la rédaction).
Rédaction : Alexandre Camino, Léobin de la Cotte, Claire Ferragu,
Marine Gachet, Clara Jaeger, Anne-Charlotte Le Marec, Romane
Lhériau, Lisa Peyronne, Chloé Plisson, Manuela Thonnel, Paul
Vuillemin.
Secrétariat de rédaction : Alexandre Camino, Léobin de la Cotte,
Claire Ferragu, Marine Gachet, Romane Lhériau.
Maquette : Clara Jaeger, Chloé Plisson, Manuela Thonnel, Paul
Vuillemin.
Iconographie : Lisa Peyronne.
Couverture : Coline Poiret.
Publicité : Alexandre Camino.
Imprimeur : Picsel, Tours.
12
Dossier
Derrière le mythe
Découvrez les coulisses
d’une technologie en
plein essor qui doit
encore faire ses preuves.
4
MAGAZIN
entretien
« L’humain doit prendre
conscience des valeurs
qu’il veut transmettre »
L’irruption de l’intelligence artificielle dans notre vie pose des
questions éthiques, économiques et spirituelles.
La philosophe Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre et le chargé
de mission digitale Hervé Cuillandre assurent que
cette technologie est un outil dont on aurait tort de se passer.
RECUEILLI PAR ALEXANDRE CAMINO ET CLAIRE FERRAGU
Les œuvres de fiction ont façonné
le mythe d’une IA toute puissante
qui menace l’humanité. Qu’en
pensez-vous ?
Hervé Cuillandre. L’IA est partout,
jusqu’au creux de notre main avec
nos téléphones. Il s’agit d’un outil
inéluctable, d’un progrès
technologique dont on ne peut se
passer et dont il faut savoir se
servir. Rien ne sert d’être
catastrophiste. Des activités
disparaîtront mais pas autant que
ce qui était annoncé. Je ne suis pas
d’un optimisme béat, mais l’outil
est intéressant. Il va sûrement nous
amener à créer la société de demain.
Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre.
Si on pense que l’intelligence
artificielle va remplacer l’humain ou
qu’elle est une solution absolue à
tous les problèmes, alors elle n’est
nulle part. Il n’y a pas une mais des
IA. Celle qui me permet de choisir
mon chemin n’est pas la même que
celle qui me permet de tenir une
conversation. Il y a des techniques
différentes, toujours maîtrisées par
les humains dont elles dépendent.
Notre compréhension de
l’environnement permet de créer de
la donnée qui alimente cette
technologie. Il faut ensuite
questionner l’algorithme utilisé.
Intelligences artificielle et humaine
s’opposent-elles ?
H. C. Dans l’inconscient collectif,
l’IA finira par occuper des emplois
à notre place. On dit souvent que la
machine va nous remplacer, mais ce
n’est pas le cas. L’humain a une
capacité créative étonnante alors
que la machine se distingue par sa
capacité de calcul et sa rapidité. Ce
n’est pas sur le même champ. Il faut
justement réfléchir aux métiers du
futur. Car, dans le fond, notre
avenir ne sera pas fait d’exactitudes.
Nous sommes les seuls maîtres à
bord. Des humains dans un monde
d’humains. Tout l’enjeu est de faire
de l’IA quelque chose d’utile.
M. R. De facto, elle est un
concentré d’intelligence humaine,
nourrie de données étiquetées par
l’humain. Les erreurs de la machine
peuvent être dues à du piratage par
exemple, elles ne sont pas les
mêmes que celles des humains. On
aura toujours besoin d’humains
pour collaborer avec les machines.
Il n’y aurait donc aucune
concurrence entre les deux ?
M. R. Au contraire, surtout d’un
point de vue économique. Mais, les
systèmes d’IA nécessitent de
l’entretien. On se trompe en
imaginant qu’ils coûtent moins
cher. Le mythe est peut-être là…
H. C. Nous sommes essentiels pour
maintenir toute l’infrastructure qui
la fait fonctionner. Mais n’oublions
pas que l’IA de Google, par
exemple, se nourrit aussi de
questions stupides. Celles-ci
alimentent le fonctionnement de
son moteur de recherche.
M. R. Je suis d’accord. Par
exemple, il y a eu par le passé, une
campagne féministe pour lutter
contre les recherches et les
suggestions sexistes de Google.
En 2016, une IA à peine lancée
par Microsoft avait publié des
messages racistes sur les réseaux
sociaux. Comment doter l’IA de
valeurs morales ?
M. R. Avec des solutions
techniques, par la correction des
biais cognitifs et la promotion d’une
diversité dans les profils de
programmeurs. Il y avait à l’origine
des femmes dans la programmation.
C’était le cas d’Ada Lovelace qui fut
même le tout premier
programmeur. Maintenant, elles
sont beaucoup moins nombreuses.
Par définition, un robot ne
s’intéresse pas à l’éthique. Il fera
tout aussi bien griller du pain que
sélectionner des cibles sur un champ
de bataille. C’est à l’humain de
prendre conscience des valeurs qu’il
souhaite transmettre et de les
traduire ensuite informatiquement.
H. C. Le fait que les équipes,
essentiellement blanches et
masculines, programment nos
algorithmes et définissent une vision
globale du monde induit une
représentation biaisée dans l’IA.
Comment remédier à ces biais ?
H. C. L’industriel peut les corriger
par la formation des programmeurs.
Mais, pour cela, il faut qu’il y voie
un intérêt économique.
M. R. Il existe des solutions
techniques pour fixer des limites.
C’est ce que l’on appelle « l’éthique
by design » : anticiper les usages
entretien
MAGAZIN 5
Alexandre Camino/EPJT
Nous avons échangé avec Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre et Hervé Cuillandre lors d’une visioconférence croisée, le 2 février 2022.
malveillants d’un algorithme lors de
sa conception. Il ne s’agit pas
d’implanter mais de simuler un
comportement moral dans un
programme. On doit traduire
informatiquement nos valeurs, car
la machine ne fera pas tout.
L’IA s’invite aussi dans la guerre…
H. C. On est à la limite du modèle,
là où les choses nous échappent.
Une IA est programmée pour
gagner une guerre. Voyez-la comme
une arme lâchée sur un champ de
bataille. Il n’y a aucune éthique
dans cette démarche.
M. R. Plusieurs questions se posent.
Peut-on s’en passer pour gagner une
guerre aujourd’hui ? Peut-on le faire
en restant éthique ? Que serait la
démocratie si on la défendait avec
des moyens qui ne lui
correspondent pas ? C’est une
affaire de convictions car l’éthique
est un facteur d’inefficacité.
H. C. Des pays se mobilisent contre
ces armes déloyales alors que
d’autres les développent.
M. R. Le plus cruel dans cette
réalité est que pour qu’une machine
sélectionne le plus grand nombre de
cibles et tire dans le tas, il faut très
« L’IA a besoin
d’humains, de
vérification
et d’entretien »
peu d’IA. Pour nous entretuer, il
faut qu’on devienne des machines.
Mais pour faire la paix, il faut
nécessairement des humains.
D’après vous, l’intelligence
artificielle ne se substituera donc
jamais à l’homme ?
M. R. Jamais sans notre accord.
L’IA a besoin d’humains, de
vérification et d’entretien. Le
problème vient davantage des IA
mal paramétrées.
H. C. Elle ne nous remplacera
certainement pas. Certains de nos
métiers évoluent mais le monde de
demain reste un monde d’humains.
L’IA est un outil avec lequel on doit
apprendre à travailler. Il faut
s’intéresser à ce qui se cache
derrière la machine.
Hervé Cuillandre, vous écrivez que
« notre devoir est de préparer les
futures générations à la société »
induite par l’IA. Comment
pouvons nous y parvenir ?
H. C. Tout objet technologique est
connu de ces générations, mais pas
son fonctionnement ni ses
ramifications. On ne devient pas
informaticien en utilisant
simplement un logiciel. Il faut
dépasser le simple usage de l’IA et
faire passer les jeunes derrière
l’écran. Leur faire comprendre que
la programmation, c’est simple et
accessible. Démystifier cette
technologie est vital.
M. R. Cela suppose une volonté
ferme des individus de s’éduquer et
d’affronter leurs peurs.
BIOGRAPHIE
Hervé Cuillandre, 54 ans, est chargé de mission digitale
chez Engie. Titulaire de deux masters en management
international de la Edhec Business School et en
management de la transformation digitale de l’Institut
supérieur de gestion, il a été consultant manager à
Sopra Steria puis administrateur à la Caisse régionale
d’Assurance maladie. Il est l’auteur de plusieurs livres
dont Un monde meilleur : et si l’intelligence artificielle
humanisait notre avenir ? (éd. Maxima, 2018), sur l’impact
positif de l’IA dans la société, et Après l’intelligence
artificielle, remettre l’humain au cœur du monde
(éd. Maxima, 2019).
Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre, 35 ans, est une
philosophe belge. Titulaire de deux doctorats en philosophie,
l’un obtenu à la Sorbonne et l’autre à Namur,
elle a publié une thèse sur les robots tueurs, ces systèmes
d’armes létales autonomes (Sala). En 2017, elle
a reçu l’un des prix scientifiques de l’Institut français
des hautes études de défense nationale. Elle donne
des cours dans plusieurs universités, à Paris, à Namur
et à Lille, sur la question de l’erreur et des machines.
Chercheuse associée à l’École militaire de Saint-Cyr,
elle travaille sur la dimension éthique de l’IA dans des
applications militaires. En 2018, elle publie Itinéraire
d’un robot tueur (éd. Le Pommier).
6
MAGAZIN
entretien
Que pensez-vous des différents
mouvements spirituels et religieux
autour de l’IA ?
H. C. Ce n’est pas inquiétant.
Quand on ne comprend pas un
phénomène, on lui attribue des
capacités infinies. Dans ces
conditions, on n’est pas loin de
considérer l’IA comme un dieu.
Cela peut même être rassurant
d’adorer aveuglément la machine.
Mais cela provient avant tout d’une
incompréhension totale.
M. R. L’intelligence artificielle toute
puissante est un mythe. Ces
mouvements ont finalement une
position millénariste assez
classique : « Il va y avoir une fin du
monde, une apocalypse. »
L’IA s’immisce jusque dans notre
sexualité. Enfin, chez ceux qui ont
recours aux robots sexuels…
H. C. Je vais passer mon tour…
M. R. Paradoxalement, ces
machines sont des solutions
coûteuses pour des gens qui sont
dans une misère sexuelle. Une
misère sexuelle pour les riches. On
comprend que ceux dont les besoins
légitimes ne sont pas satisfaits
cherchent des solutions. Mais des
entreprises s’enrichissent en leur
faisant croire que cela équivaut à
une relation humaine consentie.
H. C. Il ne faut pas oublier les
algorithmes qui sont à l’œuvre sur
les sites de rencontre. On choisit
nos partenaires grâce à eux. Or, ce
qui est fondamental dans la relation
amoureuse, c’est l’amour de la
différence, de l’imperfection. Ces
défauts sont ce qui fait la beauté de
l’être humain. Le calcul
informatique s’oppose à l’amour.
Hervé Cuillandre
M. R. L’IA intervient peut-être à
l’encontre de mécanismes
biologiques de protection de
l’espèce : aller non pas vers ce qui
nous ressemble mais vers le plus
favorable à l’ADN de l’homme.
Seule certitude, avec l’IA, on
introduit du consumérisme dans la
relation amoureuse.
Les détracteurs de l’intelligence
artificielle la décrivent comme
liberticide. Quels sont les risques ?
H. C. Des dérives sont en route
dans des pays peu démocratiques.
Par exemple, il existe un système de
citoyenneté à points en Chine,
contrôlé par une IA. Quand on
constate de telles pratiques, le
risque de surveillance massive est
bel et bien réel.
M. R. L’informatique est efficace
pour le contrôle. S’il n’y a pas une
marge de manœuvre pour
l’individu, c’est étouffant.
« La capacité de
surveillance de
l’État est devenue
gigantesque »
H. C. Le citoyen a le droit à la
protection de ses données
personnelles. Cela est régi par le
droit européen. Mais il est parfois
difficile de faire valoir le droit
français quand les serveurs sont
situés à l’étranger. Heureusement,
ce n’est pas l’orientation politique
actuelle de la France que de
procéder comme en Chine.
M. R. La capacité de surveillance de
l’État est devenue gigantesque,
comme l’annonçait Michel
Foucault. Cela peut être très
angoissant. La France vient
d’obtenir l’autorisation d’utiliser
des drones à reconnaissance faciale.
Cela pose des questions en termes
de liberté politique, lors des grèves
ou des manifestations par exemple.
La démocratie est une essence et pas
une évidence
Si l’intelligence artificielle ne sonne
pas le glas de l’humanité, peut-elle
en être le salut ?
H. C. En tout cas, on aurait tort de
s’en passer. On en voit l’intérêt
dans la médecine, dans la recherche,
dans les prédictions météo… Les
laboratoires scientifiques par
exemple ne s’en priveront plus.
Nous sommes incapables d’égaler la
finesse d’analyse, la capacité de
calcul et l’efficacité d’une machine.
M. R. Le salut est une question
théologique. Nous nous éloignons
des applications physico-terrestres
de l’intelligence artificielle. Est-ce
que l’IA peut faire du bien ? Je
pense que oui.
H. C. C’est un outil. Bien ou mal,
tout dépend de ce que l’utilisateur
décide d’en faire.
Quels seront les prochains champs
d’application de l’IA ?
H. C. Elle est déjà indispensable
dans le commerce. Elle le sera aussi
pour le développement des
télécommunications et tout ce qui a
trait aux relations entre les
individus. Les possibilités
d’utilisation sont multiples. Des
articles de presse sont déjà rédigés
par des machines. Cela vous
menace directement, vous les
journalistes ! (Rires) Néanmoins,
dans des domaines comme l’art, la
machine n’a pas sa place. Des essais
ont été faits, mais on ne ressent pas
l’émotion de l’artiste.
M. R. Je ne vais pas jouer à Mme
Irma. Je ne sais pas dans quel
champ d’application il y aura le
plus d’intelligence artificielle à
l’avenir. Il y en aura beaucoup,
partout. J’espère simplement qu’on
pourra toujours garder le contact
avec un humain. Conserver la
relation client physique est déjà,
justement, un vrai combat.
H. C. Si tout devient automatisé, le
gagnant sera celui qui gardera cette
richesse propre à l’humain. Pour
remporter la partie, il faudra
répondre à des sollicitations en
dehors des cases prévues. •
Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre
agriculture
MAGAZIN 7
Champ
libre pour
la robot
culture
De la prévention des maladies à la
réduction du temps de travail, l’IA
se met au service des agriculteurs.
PAR ALEXANDRE CAMINO
Pendant un an, un drôle d’animal
futuriste, haut de 1 mètre, a déambulé
parmi les volatiles de l’exploitation
de Joseph Pineau. Ce robot entièrement
autonome et baptisé XO
est conçu par l’entreprise française
Octopus Biosafety basée à Auray, en
Bretagne. Destiné aux élevages de
volailles, il a été imaginé en 2016
mais n’a atteint sa version finale
qu’en janvier 2022.
Pendant son développement, la machine
a été testée dans la ville de
Chemillé-en-Anjou, située dans le
Maine-et-Loire. Joseph Pineau a été
le premier à l’expérimenter en 2018.
Cet agriculteur, désormais retraité
de 64 ans, était à la tête de l’exploitation
idéale : 2 400 mètres carrés
qui accueillaient 50 000 poulets
répartis dans deux bâtiments. Doté
d’un algorithme de traitement
d’images et d’une caméra, XO circule
tout seul dans le bâtiment grâce
à un laser et à des capteurs. Sa mission
? Surveiller l’enclos. Le robot
détecte les obstacles sur sa route :
XO le robot surveillait les poules de Joseph
Pineau dans son exploitation angevine.
Capture d’écran
équipements oubliés,
lignes de
pipette et de mangeoire.
« Il est
même capable de
localiser et reconnaître les poulets
morts », affirme Bertrand Vergne,
président d’Octopus. Dans ces élevages,
les animaux sont exposés aux
maladies. Afin de limiter les risques,
le robot « scarifie » leur litière (il la
retourne, l’aère) et pulvérise du désinfectant.
« Ça les préserve de la
coccidiose, une maladie parasitaire
intestinale courante », précise la
cheffe de produit d’Octopus, Lucile
Barthélémy. Une avancée confirmée
par Joseph Pineau qui a constaté
moins de pododermatites, une maladie
qui enflamme les articulations
des poulets. Il raconte que le robot a
pu les vacciner contre la bronchite
infectieuse en pulvérisant le vaccin
dans l’enclos. « Dans mon second
bâtiment, un vétérinaire l’a fait à la
main. Les résultats étaient identiques
», précise l’ancien agriculteur.
Colloc du troisième type
« Nous voulons assurer le bien-être
de l’animal. C’est important pour les
agriculteurs », indique Bertrand
Vergne. Dans les exploitations, la
cohabitation du troisième type entre
l’IA et l’animal se passe bien. Sans
gêner les poules, le robot déambule à
0,72 km/h. « L’ambiance est meilleure,
assure Joseph Pineau. Ce n’est
pas une nuisance, au contraire. Il les
oblige à mieux se déplacer, à aller se
nourrir, à boire. »
Une machine peut aussi aider les
exploitants dans leurs tâches. Près de
Toulouse, Naio Technologies crée
Dino, exporté aux États-Unis, réduit le temps de travail des agriculteurs.
des robots désherbeurs. Un travail
éreintant lorsqu’il est fait à la main.
Hugo Cyprien, chef de produit, l’assure
: leur système de navigation qui
est fiable à 5 centimètres près pallie
ce problème. « Le robot connaît la
carte. Il sait dans quelle exploitation
il est, sur quelle parcelle il doit aller.
Il peut faire demi-tour, changer de
ligne et passer au plus près des
cultures. » Plus besoin de tracteurs ni
de surveillance. « Nous cherchons à
améliorer les conditions de travail
des agriculteurs qui gagnent du
temps », poursuit Hugo Cyprien. Un
pari réussi pour Rémy Foltête, cultivateur
dans le Var. Grâce au robot
Oz, conçu en 2013, son temps de travail
par semestre est passé de six cent
à soixante-dix heures. Joseph Pineau,
lui, gagnait une journée d’élevage
grâce au robot XO. « C’est énorme ! »
lance-t-il. Fini les tâches ingrates
comme brasser les litières à la main.
Ces machines ont un coût. De 20 000
à 30 000 euros pour celle d’Octopus.
Idem pour le robot Oz de Naio
Technologies. Le Dino, lui, vaut
entre 150 000 et 170 000 euros.
« Mais rien ne remplacera l’homme »,
rassure Bertrand Vergne. Le robot
vise à soulager l’exploitant. Grâce à
un cloud, il a accès en temps réel aux
données fournies par la machine.
« L’agriculteur peut comparer ses
productions, analyser l’environnement.
En somme, faire de l’agriculture
de précision », conclut Lucile
Barthélémy, d’Octopus. Depuis les
premières innovations, il y a dix ans,
l’IA a su se rendre indispensable
pour les exploitants. Fin 2020, la
France comptait 14 000 robots agricoles
en service selon l’Union des
industriels de l’agroéquipement. •
Naio Technologies
8
MAGAZIN
Écologie
1CANADA / Prévenir les incendies
L’été dernier, l’État d’Alberta, au Canada, a investi plus de
4,3 millions de dollars canadiens (environ 3 millions d’euros)
pour combattre les incendies. Depuis 2018, des chercheurs
américains se sont associés à ceux de l’université d’Alberta
pour développer une IA capable d’anticiper les conditions
propices aux incendies. Humidité, température, vent,
précipitations, autant de données prises en compte par des
algorithmes de réseaux neuronaux artificiels pour prévoir
les dates et les lieux à risque. Les équipes de pompiers
peuvent ainsi être guidées vers ces zones plus sensibles.
2ÉQUATEUR / Protéger les espèces
De nombreuses espèces des îles Galapagos sont menacées
par la pollution plastique. Les tortues géantes ou les
iguanes terrestres en font l’amère expérience. Le Galapagos
Conservation Trust, un organisme britannique de sauvegarde
des animaux, a imaginé un outil de nettoyage des côtes utilisant
l’IA. Un projet sur lequel l’institut de recherche océanographique
et atmosphérique d’Utrecht, aux Pays-Bas, a également
travaillé. En tenant compte des marées, des flux océaniques,
en prédisant la vitesse et la trajectoire des plastiques, il permet
d’anticiper l’arrivée des déchets en provenance du continent. Le
nettoyage peut ainsi être concentré sur des points stratégiques.
Tour du monde
des actions écolos
Pour lutter contre les feux ou protéger des espèces,
la technologie se met au service de l’environnement.
PAR LÉOBIN DE LA COTTE, ROMANE LHÉRIAU ET PAUL VUILLEMIN
3ESPAGNE / Contrôler les espèces aquatiques
Créé par des chercheurs de l’université d’Alicante en 2021, Deepfish distingue les
différentes espèces vendues au marché aux poissons d’El Campello. Financée par le
ministère de la Transition écologique espagnol, cette IA peut reconnaître un poulpe,
un rouget ou un pagel. Les données serviront à connaître l’état de ces espèces. Les
autorités pourront ainsi autoriser ou interdire leur pêche en connaissance de cause.
4PAYS-BAS / Nettoyer les plages
Chaque année, plus de 23 milliards de mégots sont jetés dans la nature,
notamment sur les plages. Un seul d’entre eux peut polluer jusqu’à 500
litres d’eau. L’entreprise néerlandaise Techtics a mis au point le robot
autonome BeachBot capable de reconnaître ces bouts de cigarettes.
Grâce à des algorithmes, le système d’intelligence artificielle de la petite
machine lui permet de collecter et de jeter ce poison. Via l’application
Microsoft Trove, chaque personne qui le souhaite peut participer à son
développement en alimentant la base de données de l’algorithme avec
de nouvelles images de mégots. Lors de sa première démonstration, en
septembre 2020, le prototype a récolté 10 mégots en trente minutes sur la
plage de Scheveningen.
Photos : Wikimedia Commons, DeepFish, TechTics, Intel, AirSeed, Technology
Écologie
MAGAZIN 9
5AFRIQUE
Lutter contre
les criquets et la faim
Kenya, Éthiopie et Somalie font face à des
invasions de criquets jamais vues depuis vingtcinq
ans. Une conséquence du réchauffement
climatique et une calamité pour les agriculteurs
de la Corne de l’Afrique. Depuis février 2021, un
groupe de recherche de l’université de Pensylvanie,
PlantVillage, développe une application pour
prévenir les destructions de récoltes par les
insectes. Les agriculteurs prennent des photos
de larves de criquets. Les données récoltées sont
traitées par une intelligence
artificielle afin d’établir des
stratégies de fumigation.
Selon l’Organisation
pour l’alimentation et
l’agriculture, ce système a
permis d’économiser 1 300
millions d’euros de denrées
agricoles et d’éviter la
famine pour 34 millions de
personnes dans la région.
1
2
3
4
5
6
7
6PHILIPPINES / Protéger
les récifs coralliens
Le projet CORaiL utilise l’IA pour surveiller,
caractériser et analyser la résilience des récifs
coralliens. Ce dispositif a été lancé sur l’île de
Pangatalan aux Philippines en mai 2019 par les
multinationales Intel et Accenture. Installé au
plus près des coraux, un récif artificiel équipé de
caméras détecte et photographie les poissons
lors de leurs passages. Les données sont
envoyées et analysées par des chercheurs en
temps réel. Les équipes de CORaiL poursuivent
leurs travaux afin d’optimiser leur outil et obtenir
une image complète de l’écosystème corallien.
7AUSTRALIE / Reboiser grâce à des drones
Près de 16 millions d’hectares de forêt ont brûlé lors d’incendies en
Australie. Pour reboiser le pays, l’entreprise AirSeed Technology utilise
des drones et l’intelligence artificielle. Suivant un schéma prédéfini, le
drone peut planter tout seul près de 40 000 gousses remplies de graines
par jour, contre 800 lorsque la tâche est effectuée par l’homme. Les
gousses sont fabriquées à partir de déchets de biomasse. Elles servent
d’enveloppes qui protègent les graines des nuisibles et apportent des
nutriments lorsque qu’elles germent. Les machines enregistrent aussi
leurs coordonnées pour mieux suivre leur croissance. La plantation
d’arbres à l’aide de drones est 80 % moins coûteuse que les méthodes
traditionnelles. Cette technologie a pour l’instant permis la plantation
de 50 000 arbres. Objectif : atteindre les 100 millions d’ici 2024.
10
MAGAZIN
SaNTÉ
Les traitements biotech
boostent la recherche
Dans les laboratoires de biologie, l’intelligence artificielle accélère le travail
des scientifiques et facilite les tentatives de recherche de traitements. MabSilico, une start-up
tourangelle, élabore un remède contre le Covid-19 à l’aide de cette technologie.
PAR MANUELA THONNEL
Développer un anticorps avec des
méthodes traditionnelles prend en
moyenne un an et coûte 1 milliard
d’euros », avance Astrid Musnier,
biologiste pour MabSilico. Grâce à
l’intelligence artificielle (IA), cette
start-up tourangelle, créée en 2017,
expédie cette phase de développement
initial en quelques jours. De
quoi révolutionner la recherche
pharmaceutique.
Réduction drastique du temps de
recherches, caractérisation plus fine
des anticorps…, les promesses sont
séduisantes. Surtout pour une société
spécialisée dans la recherche de traitements
contre le Covid-19. MabSilico
collabore avec la société nantaise
OSE Immunotherapeutics dans
l’élaboration du vaccin CoVepiT.
« Nous avons regardé le génome du
virus, puis identifié les morceaux qui
potentiellement pouvaient augmenter
la réaction immunitaire des
patients. L’informatique a fait ce
travail en seulement quinze jours.
Aujourd’hui, le produit est en phase
clinique et a été testé sur une première
cohorte de patients », indique
le directeur général de MabSilico,
Vincent Puard.
Réduire les coûts et trouver
le remède le plus adapté
Les champs d’application de cette
technologie sont multiples. La startup
accompagne aussi des projets de
recherche visant à lutter contre le
cancer du sein triple négatif avec les
universités de
Tours et de
Montpellier.
Son système
d’IA est aussi
utilisé dans la
recher che pour
une contraception
avec moins
d’effets indésirables,
menée par
l’Inrae et l’université
de Modène,
Le vaccin CoVepiT contre le Covid-19 est en phase clinique et a déjà été testé sur plusieurs patients.
en Italie. « Cela peut être utilisé pour
beaucoup de choses. Ce sont nos
partenaires, sur la base de leurs
connaissances en biologie, qui vont
choisir l’aire thérapeutique souhaitée
», précise Vincent Puard.
Une fois la pathologie ciblée, les
scientifiques doivent trouver le
remède adéquat. « En biologie, on
ne peut pas faire autrement que de
réduire les candidats jusqu’à trouver
le bon. Financièrement et humainement,
on ne peut pas tout explorer »,
explique Astrid Munier. Au risque
de passer à côté des meilleurs.
La machine, elle, est en mesure de
trier les millions de possibilités et de
simuler virtuellement les échecs.
« Nous avons entraîné la matrice à
reconnaître les meilleures interactions
possibles sur un set de quatrevingt-dix
paramètres et, maintenant,
elle est capable de le faire seule,
garantit la biologiste. On obtient des
candidats-médicaments moins risqués
et qui ont plus de chance de
répondre aux besoins. » Pour fonctionner,
l’IA doit se baser sur des
bases de données, agrégées à partir
de brevets publics par exemple, mais
aussi constituées de toutes pièces à
partir des travaux des chercheurs.
L’algorithme ne saurait donc se soustraire
à l’éprouvette. Une équipe de
biologistes nourrit la matrice, depuis
un laboratoire Inrae Centre Val-de-
Loire, à Nouzilly. La technologie
s’avère aussi utile dans l’évaluation
de potentiels effets indésirables, souvent
peu prévisibles. Une partie de la
mission confiée à l’IA consiste à prévoir
les cibles dites secondaires qui
induiront des réactions néfastes. Les
phases de test sur l’humain comportent
alors moins de risques.
Malgré la grande rapidité, aucun des
différents candidats érigés par l’IA
n’est arrivé sur le marché. « Les essais
cliniques sont incompressibles.
On ne pourra jamais se passer de la
phase de test sur l’humain, explique
Astrid Musnier. En biologie, on travaille
avec de la matière vivante.
Donc, parfois, ça ne fonctionne pas
et on ne sait pas pourquoi. »
Tous les laboratoires ne sont pas
prêts à renoncer aux méthodes traditionnelles.
Certains chercheurs
redoutent de perdre leur travail. Les
laboratoires seront-ils un jour vidés
de leurs blouses blanches, remplacées
par les algorithmes ? Vincent
Puard préfère y voir une opportunité
de développer plus de projets et
« une réorientation des biologistes
vers leurs tâches essentielles ». •
MabSilico
DOSSIER
MAGAZIN 11
Entrez
dans la matrice
Elle est omniprésente dans nos vies mais
sa définition reste floue. Chercheurs
et ingénieurs interrogent ses usages et tentent d’en
cerner les limites pour en éviter les dérives.
Illustration : Coline Poiret/EPJT
12
LMAGAZIN
Les robots vont-ils prendre le contrôle
de la Terre ? Une machine pourra-telle
un jour être aussi intelligente que
l’homme ? Depuis que la sciencefiction
s’est emparée de l’intelligence
artificielle, ces deux mots fascinent
autant qu’ils effraient. Au-delà du
fantasme se cache une technologie
plus triviale. Ce qu’on qualifie d’intelligence
artificielle (IA) est une discipline
issue de l’informatique qui
essaye de reproduire, à coup de
calculs via des ordinateurs, ce que
nous faisons avec notre cerveau.
On est encore loin de l’IA « homme
à tout faire » que certains seraient
heureux d’intégrer dans leur
quotidien ou de celle capable
d’égaler l’être humain. La plupart
des spécialistes s’accordent à dire
qu’il existe plutôt plusieurs formes
d’IA faibles, c’est-à-dire limitées à
une situation bien précise. « Pour
chaque problème, on va définir un
outil, une méthode spécifique. On
ne sait pas encore concevoir un
système d’intelligence artificielle qui
résout n’importe quel problème »,
indique Nicolas Sabouret, chercheur
et professeur en informatique à
l’Université Paris-Saclay.
Tout est collecté
Comment les fabrique-t-on ? Nicolas
Sabouret distingue deux types de
programmes. Le premier, à la mode
dans les années quatre-vingt, est l’IA
rule-based (à base de règles) : « On
programme informatiquement des
règles de décision que la machine
doit suivre afin de réaliser une
tâche. » Deuxième méthode : à base
d’apprentissage automatique. Au
lieu de recevoir les règles d’un expert
pour effectuer une tâche, l’IA va les
apprendre d’elle-même à partir d’un
corpus de données.
À force de les traiter, la machine
peut donner le meilleur résultat
possible. Pour cela, il faut des données.
Beaucoup de données. Internet
joue un rôle majeur. Photos, informations
personnelles, habitudes…
tout est collecté. Pour vous proposer
une pub pour la paire de chaussures
à laquelle vous n’arrêtez pas de
penser, mais aussi
pour entraîner les
systèmes d’intelligence
artificielle.
Vos
données intéressent
tous
les domaines
car l’IA peut
répondre aux
besoins de nombreux secteurs. « Dès
qu’une tâche non physique fait
intervenir de l’intelligence, on peut
essayer de l’automatiser avec de
l’intelligence artificielle », indique
Nicolas Sabouret. Le monde de
demain sera rempli de cette
technologie.
L’entreprise Shift Technology, elle,
collecte les données des assureurs.
« Nous avons créé une plateforme
d’intelligence artificielle qui permet
de détecter les potentielles fraudes à
l’assurance », explique Pauline
Babouhot, marketing manager de la
branche Europe de cette start-up
lancée en 2014. Une fois vendue à
l’assurance, cette plateforme récupère
ses données et en utilise d’autres
en externe comme la météo et les
images satellites pour déterminer s’il
y a bien eu un sinistre.
Le secteur de l’intelligence artificielle
a donc de beaux jours
devant lui. En témoigne
la popularité grandissante
du secteur
auprès des futurs
ingénieurs. « L’IA
est un outil qui,
une fois maîtrisé,
est applicable partout.
Il y a beaucoup
de débouchés
», assure Serge
Le-Than, étudiant en
troisième année d’école
d’ingénieurs à Phelma Grenoble,
en filière Signal, image, communication,
multimédia (Sicom).
Plus d’un tiers des cours de ce cursus
sont consacrés à l’intelligence artificielle,
un quota horaire qui n’a fait
qu’augmenter depuis dix ans.
Les dés sont pipés
Les étudiants sont surtout séduits
par sa dimension humanitaire. « Je
veux maîtriser cet outil pour
travailler dans un secteur qui fasse
sens pour moi, comme la protection
de l’environnement », affirme Ancelin
Salerno, également inscrit dans le
cursus Sicom.
Les technologies qui utilisent de l’IA
sont des machines bien rodées en
plus d’avoir un avenir prometteur.
DOSSIER
Technologie récente, l’intelligence artificielle
doit encore faire ses preuves. Corriger
les biais, trouver des utilisations éthiques :
les chercheurs travaillent à l’améliorer.
PAR CLAIRE FERRAGU, MARINE GACHET, ROMANE LHÉRIAU ET CHLOÉ PLISSON
Mais, plus souvent qu’on ne le
pense, il peut y avoir un bug dans la
matrice. On l’aura compris, pour
qu’une IA puisse s’entraîner, on a
besoin de données. Or, leur collecte
pose des soucis éthiques. Vos photos
ou vos comportements sur Internet
pourraient en ce moment même
entraîner une machine sans que vous
n’ayez donné votre accord. Mais les
problèmes ne s’arrêtent pas là.
Prenons le cas de la reconnaissance
faciale : la collecte des images nécessaires
à l’entraînement de l’algorithme
qui vous permettra de déverrouiller
votre Smartphone pose
question. Sébastien Marcel, chercheur
à l’institut Idiap spécialisé
dans l’intelligence artificielle en
Suisse, indique que la plupart des
algorithmes de reconnaissance
faciale sont entraînés grâce à des
images trouvées sur Internet,
surtout de célébrités.
« Seulement, la plupart
de ces personnalités
sont des hommes
blancs », commente
le chercheur.
Conséquences ?
Des bases de
données biaisées
qui donnent des
résultats biaisés.
« En moyenne, les
taux de réussite des
différents algorithmes de
reconnaissance faciale sont très
bons. Mais dès qu’on mesure cette
réussite pour les femmes, les
personnes noires ou les personnes
d’origine asiatique par exemple, le
taux est significativement plus bas »,
assure Sébastien Marcel. Et ces biais
humains ne sont pas prêts à disparaître.
Clotilde Maucler, 24 ans, étudiante
à Centrale Supélec, à Paris-
Saclay, se destine à devenir
datascientist. Si elle aime ses études,
elle déplore le manque de parité
dans la filière. Seules 15 femmes
sont inscrites dans son master, sur
126 étudiants. Au sein de la spécialité
« intelligence artificielle », le ratio
est encore plus faible : 5 femmes
sur 65 étudiants. Selon Clotilde
Maucler, ces écarts contribuent à
l’émergence de biais cognitifs. « Si tu
DOSSIER
MAGAZIN 13
Institut Idiap
Ce visage, créé par l’institut Idiap, est celui d’une femme qui n’existe pas. Ce subterfuge numérique lui permet d’entraîner une IA à la reconnaissance faciale.
es un homme blanc et que tu dois
constituer une base d’images pour
ton algorithme, tu vas chercher des
images d’hommes blancs. Et comme
il y a plus d’hommes blancs, on en
arrive à un résultat biaisé. »
À Centrale Supélec, des cours
d’éthique sont mis en place pour
éviter aux étudiants de tomber dans
ces écueils. Ce n’est pas le cas dans
toutes les écoles. « Seuls certains
professeurs font un peu de
prévention dans le cadre de leur
cours mais ça s’arrête là », regrette
ainsi l’étudiant grenoblois Ancelin
Salerno.
Souriez, vous êtes filmés
En 2020, Derrick Dwreck
Ingram, un militant du
mouvement antiracisme
Black Lives
Matter, a été arrêté à
New York sous prétexte
qu’il aurait
agressé un policier
lors d’une manifestation.
Selon Amnesty
International, les autorités
ont pu l’identifier grâce à
la reconnaissance faciale. L’ONG
s’inquiète de l’utilisation de cette
technologie à des fins de
surveillance. Aux États-Unis, la
communauté noire serait d’autant
plus en danger que la reconnaissance
faciale est moins efficace sur elle.
Des innocents pourraient être mis
en prison. Pour dénoncer ces pratiques,
Amnesty International a
lancé la campagne Ban the Scan qui
réclame l’interdiction de la reconnaissance
faciale pour surveiller les
gens. Anne-Sophie Simpere, chargée
de plaidoyer à Amnesty International
a travaillé sur le cas
d’Hyderabad, en Inde, une des
villes les plus surveillées au monde.
Près de 62 % de la surface des quartiers
Kala Pathar et Kishan Bagh y
est équipée de caméras à reconnaissance
faciale. Le projet d’un centre
de commande et de contrôle pouvant
traiter les images de 600 000
caméras à la fois inquiète l’ONG.
« Les raisons avancées pour utiliser
ce genre de technologie
sont souvent louables,
comme retrouver les
enfants kidnappés.
Mais en réalité, cela
menace les droits
humains, surtout ceux
des personnes déjà
stigmatisées, plus facilement
repérables car
plus souvent présentes
dans la rue pour manifester »,
déplore Anne-Sophie Simpere.
Mais avant d’aller planquer tous vos
appareils connectés, sachez que l’IA
n’est pas seulement utilisée pour
vous espionner. Elle peut aussi
contribuer à un progrès réel de la
société. Si l’intelligence artificielle
présente des failles discriminatoires,
c’est parce qu’elle est une technologie
humaine, comme le rappelle Anis
Ayari, ingénieur en IA. Il a créé une
chaîne YouTube consacrée à la
vulgarisation de cette technologie
qui rassemble 59 000 abonnés. « Les
dérives reprochées cette technologie
ne sont que le reflet de la société,
affirme-t-il. Elle fonctionne bien.
C’est la société qui est cassée. »
En décembre, il a mis au point un
générateur de fausses Miss France en
se demandant si un algorithme
pouvait prédire la prochaine
gagnante. Il a démontré que les
normes de beauté, restrictives et
correspondant à une vision
stéréotypée du corps féminin
(minceur, grande taille), étaient
surreprésentées dans ce type de
concours. « Je fais du faux militantisme
en suivant un raisonnement
mathématique : je mets au jour des
faits et je laisse les gens pointer les
problèmes et leur dimension
sociale », explique-t-il
Remédier aux dérives de l’intelligence
artificielle peut aussi passer
par des ajustements techniques.
Yann Ferguson, sociologue à
l’Institut catholique d’arts et métiers
(Icam) de Toulouse et responsable
scientifique du centre de ressources
et d’expérimentation LaborIA,
souligne la nécessité d’établir des
réglages mathématiques afin de faire
une pondération des SUITE EN PAGE 15
14
MAGAZIN
Une longue histoire
1943 - PREMIER ALGORITHME
DOSSIER
1945 – DÉBUTS DE L’ORDINATEUR
Entre 1944 et 1955, six
Américaines
programment
l’Eniac, le premier
ordinateur
entièrement
électronique.
1956 - NAISSANCE
DE L’IA
La mathématicienne
anglaise Ada Lovelace crée le
premier programme
informatique sur la machine de
Charles Babbage.
1950 – TEST DE TURING
Le mathématicien Alan Turing
invente un test visant à mesurer
la capacité d’une machine à
imiter une conversation humaine.
1970 – DES ORDINATEURS
AU BUREAU
La conférence de
Dartmouth réunit 20
chercheurs et signe
l’acte de naissance
de l’IA en tant que
domaine de
recherche.
Programma 101 est le premier
ordinateur de bureau accessible au
grand public. Plus de 44 000 unités
sont vendues dans le monde.
Deep Blue, ordinateur IBM
programmé par Feng-
Hsiung Hsu et Murray
Campbell bat Garry
Kasparov, champion du
monde d’échecs.
1997 – LA REINE
DES ÉCHECS
Nouvelle victoire de l’IA
sur l’homme avec le système
AlphaGo de Google,
DeepMind, qui bat Lee
Sedol, champion
du monde de jeu de go.
2006 - CHAMPIONNE DU JEU DE GO
Photos : Wikimedia Commons
2011 – « DIS SIRI »
Le 4 octobre 2011, le
géant Apple présente Siri,
le premier assistant vocal.
Lancé avec
l’Iphone 4S,
l’assistant
comporte des
fonctions
assez limitées.
2019 – UN ROBOT
DANS LES ÉTOILES
Facebook devient Meta,
du nom du métavers
que souhaite créer
Mark Zuckerberg. Le
géant travaille sur
le supercalculateur, le
plus puissant du monde.
Fedor est le premier
robot humanoïde
envoyé dans la station
spatiale internationale.
Ce robot russe piloté à
distance peut travailler avec
une perceuse.
2021 – PREMIER PAS
VERS LE MÉTAVERS
DOSSIER
MAGAZIN 15
Data for good
Data for good, une communauté de datascientist, se réunit à Paris pour lutter contre les biais de l’IA.
Il est 19 h 30 quand le webinaire
mensuel de Data for good commence,
ce 25 janvier. Pour l’occasion,
Martin Daniel, datascientist à
l’origine de la communauté, vient
présenter son application Covidlist.
« En mars 2021, j’ai reçu le SMS
d’un pote qui me disait que des
centres de vaccination en arrivaient
à jeter des doses alors que des
volontaires ne trouvaient pas de
place pour se faire vacciner. » Il
lance alors le premier prototype de
son application. Un SMS est envoyé
à chaque volontaire, indiquant les
centres de vaccination à proximité
qui ont des doses. En l’espace de dix
semaines, plus de 150 bénévoles de
Data for good répondent présents et
un million de volontaires à la vaccination
reçoivent une notification.
SUITE DE LA PAGE 13 discriminations dans
la construction du code informatique.
Il faut analyser les décisions
prises par l’algorithme afin de se
demander si elles sont en phase avec
les valeurs défendues. « Cette méthode
est complexe car elle nécessite
des algorithmes interprétables alors
que ces derniers s’organisent de
façon autonome », précise le spécialiste.
Il faudrait investir dans des
machines très puissantes. C’est ce
coût qui expliquerait, selon Yann
Ferguson, que de nombreux
dirigeants d’entreprises y renoncent.
Les chercheurs n’ont pas dit leur
dernier mot. Le laboratoire Idiap a
voulu dénoncer les biais des algorithmes
de reconnaissance faciale et
espère trouver une solution. Son
projet ? Créer des photos de visages
virtuels pour garantir une plus
grande diversité des profils et éviter
d’utiliser des images sans consentement.
« Une base de données représente
environ 10 millions d’images.
L’idéal serait de compléter ce que
nous allons concevoir avec des
images récupérées avec l’accord des
personnes », précise le chercheur
Sébastien Marcel.
Faire la guerre aux biais
Le Cercle InterElles, lui, réunit
16 entreprises qui travaillent ensemble
pour lutter contre les biais de
genre. Toutes utilisent ou produisent
de l’IA. En juin 2021, ce réseau lance
le pacte Femmes & IA fondé sur
plusieurs piliers : la signature d’une
charte qui engage les compagnies à
ne pas reproduire les biais de genre ;
l’évaluation grâce à une grille de
critères pragmatiques ; l’action grâce
à une boîte à outils alimentée par les
innovations de chaque entreprise.
« Les biais de genre ont un impact
retentissant pour les marques. Et
sont souvent le signe d’un manque
de fiabilité », affirme Marine Rabeyrin,
membre de l’association et
directrice du développement
commercial du géant informatique
chinois Lenovo.
Des données pour le bien
Les citoyens ne sont pas en reste.
Nombreux sont ceux à se rassembler
pour faire bouger les choses. À
l’image de Data for good,
communauté
française qui réunit
2500 bénévoles
de la Tech.
« Nous voulons
créer des solutions
en data et
en IA pour aider
à résoudre des
problémati ques
sociales et environnementales
»,
souligne Théo
Alves, coresponsable
de Data for
good et datascientist. Utiliser l’IA
oui, mais pas n’importe comment.
L’objectif est de trouver l’outil le
plus adapté aux projets. Depuis sa
création en 2014, la communauté
en a accompagné près de 70, à
l’image d’Open Food Fact – une base
de données en ligne qui répertorie les
produits alimentaires du monde entier
et calcule leur impact sur la
planète – ou encore Pyronear, qui
détecte au plus tôt les départs de feu
de forêts.
Le serment des ingénieurs
« Certains
ingénieurs
veulent utiliser
l’IA alors que des
solutions plus
simples existent »
Si les projets de la communauté
prennent en moyenne trois mois à
être développés, certains nécessitent
plus de temps. Lancé par le ministère
de la Transition écologique et le
celui de l’Économie et des Finances,
le projet Mission transition écologique
a fait appel à une quinzaine de
bénévoles de Data for good. « Nous
catégorisons de manière automatique
les différentes aides aux actions de
transition écologique pour les PME
grâce à l’intelligence artificielle »,
souligne Amine Kheldouni, bénévole
présent au webinaire.
L’intelligence
artificielle peut
être une source
de solutions mais
doit être utilisée
à bon escient,
insiste Théo
Alves. « Certains
ingénieurs
veulent l’utiliser
alors que des
solutions plus
simples existent,
déplore-t-il.
C’est une aberration
quand on en connaît la consommation
énergétique et ses biais
potentiels. »
Data for good a revisité le serment
d’Hippocrate. « Plusieurs principes
forment une charte que nous avons
écrite et faite signer à des milliers de
datascientists. Je ne sais pas si elle
est appliquée au quotidien mais, au
moins, elle existe », sourit Théo
Alves. Un serment du troisième type
pour encadrer une intelligence d’un
nouveau genre. •
16
MAGAZIN
DOSSIER
Sur le front, les armes
autonomes menacent
Si elles transforment le visage de la guerre, les machines
intelligentes en floutent aussi la notion de responsabilité.
PPAR LÉOBIN DE LA COTTE ET ANNE-CHARLOTTE LE MAREC
LLes robots pourraient bientôt faire la guerre à notre
place. Cette hypothèse, tout droit sortie d’un livre de
science-fiction, se précise, constate l’Organisation des
nations unies (ONU). Fin 2021 à Genève, lors de la
6 e Convention sur l’emploi d’armes classiques, 125 pays
s’inquiétaient de l’absence d’une réglementation sur les
systèmes d’armes létales autonomes (Sala).
L’utilisation de l’IA comme instrument de guerre a été
suspectée lors de plusieurs conflits, notamment dans le
Haut-Karabakh ou lors de la guerre civile libyenne. Pour
l’heure, un cadre normatif peine à émerger pour contenir
l’utilisation des technologies militaires : drones, munitions
rodeuses ou « robots-mules ».
« Il y a une hypocrisie internationale », note Raja Chatila,
professeur émérite en robotique à la Sorbonne. Parmi les
grandes puissances, les États-Unis, la Russie, la Chine,
Israël, la Turquie et le Royaume-Uni sont déjà en tête de
la course à l’armement intelligent. Personne n’avoue son
usage et il est impossible de le vérifier, contrairement aux
armes nucléaires et biologiques. À contre-courant, la
France s’oppose à leur développement. Le pays des droits
de l’homme s’est seulement engagé dans la production de
systèmes d’armes intégrant de l’autonomie (Salia). Cela
consiste à implanter de l’intelligence artificielle dans les
équipements (drones, missiles de croisières, etc.) tout en
définissant systématiquement l’action de l’arme. Une différenciation
jugée stérile par certains experts, mais
« saine » pour Laure de Rochegonde, chercheuse sur la
régulation des systèmes d’armes létales autonomes.
professeur de droit public et ex-officier juriste de la
marine, l’absence de libre arbitre d’une machine balaie
l’essentiel des considérations juridiques actuelles. Il
semble compliqué de juger une machine responsable ou
de l’emprisonner pour crime de guerre. À cela s’ajoute
l’interprétation du texte dans le cadre du droit des
conflits. « Je vois mal comment traduire informatiquement
des principes du droit comme celui de la dignité humaine
», souligne Eric Pomes.
Le prix des conflits
Pour Laure de Rochegonde, un texte s’impose afin
d’encadrer cette troisième révolution des techniques
guerrières, après la poudre et le nucléaire : « En comparaison
aux armes traditionnelles, ces technologies à bas
coût peuvent se retrouver facilement entre les mains
d’acteurs civils ou irréguliers, comme l’Etat islamique. »
Les défenseurs des armements autonomes en sont
persuadés, l’intelligence artificielle permettrait de limiter
les pertes humaines et de rationnaliser la guerre. Rien
n’est moins sûr. Cela interroge surtout notre rapport à la
guerre. « Celui qui possède cette arme ne paye plus le prix
du conflit, il n’est plus au contact de ses conséquences,
développe Raja Chatila. Avec la machine, on a
l’impression de dominer la guerre. Mais en réalité, on
rend impossible la paix. »•
La France ne souhaite pas développer des armes totalement autonomes.
Un cadre légal qui reste à déterminer
À l’origine des débats sur l’usage de ces armes, il y a
d’abord une querelle sémantique. Sont-elles autonomes
ou automatisées ? « Au sens philosophique, l’autonomie
désigne un agent capable de se fixer ses propres objectifs
et d’agir pour les accomplir », définit Raja Chatila. Une
capacité que la machine n’a pas encore atteinte puisqu’elle
est programmée par l’homme avec un objectif défini. « En
réalité, il y a un continuum. On parle de machine automatique
lorsque la tâche et l’environnement du robot sont
simples, comme un métro. On parle d’autonomie lorsque
ces facteurs se complexifient », poursuit le chercheur.
Pour les États qui les utilisent, l’argument est simple : si
l’autonomie n’existe pas encore, à quoi bon légiférer ?
Des associations (Campain to stop killer robots) ou des
États (France) poussent la communauté internationale à
codifier l’usage militaire de l’IA. Là-encore, l’application
d’un tel traité ne va pas de soi. Selon Eric Pomes,
Ricardo Gomez Angel
DOSSIER
Une journée
algo-rythmée
L’intelligence artificielle s’infiltre
partout dans notre quotidien.
Sceptique ? Suivez-moi.
PAR CLARA JAEGER
6 h 45
Pur produit de la génération Y, je me
rue sur mon téléphone à la seconde
où j’ouvre les yeux. Surfer sur le Web,
c’est comme glisser sur les vagues : tôt
le matin, c’est plus frais. Tweets, storys
Instagram, fil Facebook : tout y passe. Ces
trois réseaux sociaux sont particulièrement
friands de calculs. En 2013, la multinationale Facebook,
aujourd’hui Meta, a créé un regroupement de
plusieurs laboratoires de recherche en intelligence artificielle : le
Facebook Artificial Intelligence Research (Fair). Le but ? Anticiper
au maximum les centres d’intérêts des utilisateurs du réseau
social, développer la reconnaissance faciale ou encore filtrer les
messages. Je jette un dernier coup d’œil à ma boîte Gmail. Vingt
nouveaux courriels indésirables filtrés ! Pour optimiser cette
tâche, Google utilise un outil open source d’apprentissage automatique
: le TensorFlow, créé en 2011 sous le nom de DistBelief.
Fini les promotions de produits surgelés par dizaine alors que je
n’ai pas de congélateur.
8 h 30
Petit déjeuner avalé, dents brossées, il ne manque plus qu’un
nuage de parfum pour démarrer la journée. Avec ses notes de
mandarine verte et de fleurs blanches, She was an anomaly
a été élaboré à l’aide du programme d’intelligence artificielle
Carto. En 2019, l’enseigne Givaudan a lancé cet outil qui mêle le
machine learning (apprentissage automatique) et diverses données
pour proposer et échantillonner des
associations d’odeurs en instantané.
D’autres parfumeurs s’y sont mis
aussi et, plus largement, le marché
de la beauté. Des marques
comme L’Oréal proposent par
exemple des applications pour
déterminer l’état de la peau et
proposer des produits adaptés.
10 h 45
Je tourne la clé de contact. « Direction Paris ! » Google Maps
indique deux heures et trente minutes de route. Au début des
années deux mille, Google a racheté Where 2 Technologies, une
start-up spécialisée dans la cartographie. À l’époque, le groupe
se dote aussi d’une entreprise de 3D et d’un service de trafic routier
en temps réel. Dix ans plus tard, Google Maps est devenue
16 h 45
MAGAZIN 17
une application GPS utilisée dans plus de 200 pays. Elle calcule
en quelques secondes le meilleur itinéraire pour arriver à destination
dans les plus brefs délais et avoir accès au trafic routier
en temps réel. Google Maps utilise l’apprentissage automatique.
En 2020, la firme s’est associée au laboratoire d’intelligence artificielle
DeepMind pour améliorer les prévisions du trafic.
Je me souviens subitement avoir promis d’envoyer une
carte postale à ma grand-tante Yvette. Direction le
bureau de poste le plus proche. Depuis plusieurs
années, La Poste s’implante dans le domaine
du numérique et de l’intelligence artificielle.
En 2021, elle acquiert le cabinet de conseil
en big data et en IA Openvalue. Ce qui fait
d’elle l’un des principaux acteurs français
en termes de conseil en intelligence artificielle.
En 2016, elle avait déjà racheté
entièrement ProbaYes, une société spécialisée
en analyse de données et en IA.
Avec ces deux services, La Poste explore
des projets variés qui intègrent du machine
learning, du deep learning (apprentissage
profond) ou encore de la reconnaissance de langage.
Elle espère ainsi créer une offre à la pointe de
la technologie, capable d’accompagner
de grandes entreprises dans leurs
projets sur l’IA.
20 heures
Je pousse la porte du supermarché
du coin, dans le 11e arrondissement.
Ici, pas de caissier.
Les salariés orientent les clients et
mettent les produits en rayon. Ouvert
en novembre 2021, ce Carrefour Flash
est entièrement automatisé. Au-dessus de
ma tête, une soixantaine de caméras modélisent les clients du
magasin sous forme de bonshommes bâton pour suivre leurs
achats tout en garantissant leur anonymat. Les étagères sur
lesquelles reposent les produits sont dotées de balances intelligentes.
Chaque article est pesé et donc identifié. Même plus
besoin de les scanner une fois en caisse.
21 h 45
C’est l’heure de la bière ! Lassée par l’expertise humaine en la
matière, je pète un houblon et goûte une boisson conçue à
100 % par une IA. C’est le concept que deux étudiants australiens,
Christopher Fusco et Jash Vira, ont présenté sur le marché
en janvier 2022. Pour concevoir la meilleure recette possible,
ils ont entraîné un réseau de neurones pour
comparer près de 260 000 associations de
saveurs trouvées sur Internet. La Rodney
AI²PA, nommée ainsi en hommage au
pionnier australien de la robotique,
Rodney Brooks, a été commercialisée
pendant un temps limité par la
brasserie Barossa Valley Brewing.
En 2020, une bière lucernoise créée
grâce à l’IA avait déjà été proposée
sur le marché suisse. À votre santé !
Photos: Romane Lheriau/EPJT
18
MAGAZIN
Les petites
mains des
rédactions
DOSSIER
Capables de rédiger des comptes
rendus et d’aiguiller les journalistes,
les robots se voient confier
les tâches les plus ingrates du métier.
PAR MANUELA THONEL
eEt si vous appreniez le nom du prochain
président par un robot ? En
avril, plus de 36000 communes déclareront
leurs résultats au même
moment. Grâce à l’intelligence artificielle,
aucun score n’échappera au
radar des journaux. Cette technologie
collecte des milliers de données et
livre l’issue du vote rédigée aux médias
et à leurs lecteurs. Cette invention
ne date pas d’aujourd’hui mais
s’est largement répandue dans les
entreprises de presse.
Parmi les premiers à avoir eu recours
à la rédaction automatique, on
trouve l’agence de presse américaine
Associated press. Elle utilise des
robots depuis 2014 pour rédiger des
bilans économiques et des résultats
sportifs. Le journal Le Monde tente
l’expérience en 2015 : il relaye les
résultats des élections départementales
à l’aide d’algorithmes développés
par l’entreprise française Syllabs.
Rédacteur en chef adjoint au numérique
de France Bleu, Thibaut Lehut
a vécu l’arrivée des premiers articles
automatisés sur le site de la radio.
Cette dernière a fait appel pour la
première fois à Syllabs pour couvrir
les régionales de 2015. L’intelligence
artificielle a complété des phrases à
trous et les a assemblées pour donner
naissance à un article. Des milliers
de textes ont ainsi été générés
par la plateforme. Avec un réseau de
44 radios locales, le
média tire parti d’un
maillage territorial
étoffé, renforcé par
l’informatique.
« Nous avons vocation
à nous rapprocher
au plus près des
gens. Les résultats par région les
intéressent, mais ils veulent surtout
savoir comment le reste de la population
a voté dans leur commune,
constate Thibaut Lehut. L’idée n’est
pas de remplacer l’humain pour
faire mieux, c’est de le remplacer
pour faire quelque chose qu’on
n’aurait pas pu faire de toute
façon. » Le rédacteur en chef adjoint
assure que les journalistes préfèrent
se concentrer sur des contenus éditoriaux
plus travaillés.
Décrypter toute l’actualité
Du compte-rendu sportif à la météo,
la mise en forme automatique d’informations
brutes s’étend au-delà du
cadre des élections. Ce mode de
rédaction s’immisce dans l’actualité
et dépasse le simple traitement de
données. Outre-Atlantique, le logiciel
Walter prétend même décrypter
le monde avec « plus de précision,
d’efficacité et d’objectivité », si on en
croit son site. Développé en 2018
par Knowhere, Walter est une IA
génératrice de contenus. Après avoir
repéré une actualité en ligne, cet
écrivain artificiel propose sa propre
version. Des articles construits de
toutes pièces à partir d’autres
sources en ligne passées au tamis de
son analyse sémantique.
À l’heure où les réseaux sociaux
drainent un flux abondant d’informations,
certains espèrent atteindre
plus facilement leurs lecteurs. En
2017, le journaliste Benoît Raphaël
a lancé Flint, une newsletter personnalisée
grâce à l’intelligence artificielle.
Son ambition : sélectionner
des informations en fonction des
centres d’intérêt de chacun parmi les
millions d’articles produits quotidiennement.
Jeff, spécialiste de la
mutation des médias, Yolo, spécialiste
du climat et de l’écologie sont
des robots en charge de rubriques
thématiques. « Tu peux toi-même
faire évoluer les robots en les entraînant
», promet l’interface. Pour ce
faire, il suffit d’indiquer chaque
semaine ses préférences afin d’ajuster
les propositions des robots-
DOSSIER
journalistes. Cinq ans après son lancement,
la newsletter compte,
d’après la plateforme, près de 20 000
adhérents.
Malgré tout, pour Thibaut Lehut, le
robot n’est pas près de remplacer le
journaliste. « Les rédacteurs ont une
volonté de se démarquer par un ton,
une patte », estime-t-il. La machine
n’arrive pas encore à duper le
« Les rédacteurs ont une
volonté de se démarquer
par un ton, une patte »
lecteur. Tournures répétitives, informations
résumées au strict nécessaire
: impossible de s’y tromper, ces
textes sont bel et bien générés par
des robots. « Nous ne voulons pas
faire croire à l’internaute que l’article
est fait par un humain, se défend
Illustration : Coline Poiret/EPJT
Thibaut Lehut. Nous
sommes clairs sur la
nature du service
proposé. »
In fine, Thibault Lehut
juge que la manière
dont certaines
informations sont
transmises aux internautes
est trop importante
pour laisser
faire un robot. L’IA
restera au mieux un
guide, au moins un
suppléant chargé des
tâches les plus répétitives.
Comme en radio
ou à la télévision
où une large partie
des contenus est restituée
en ligne. Un travail
qui prenait plusieurs
heures et peut
désormais être effectué
par une machine
capable de mettre le
contenu des émissions
à l’écrit pour le
Web. « Avant, les
journalistes retranscrivaient
tout à la
main. Aujourd’hui,
ils partent d’une version
prémâchée, se
réjouit Thibaut Lehut.
Cela fonctionne
bien même si les relectures
sont indispensables.
»
Sur les réseaux sociaux où chacun
est libre de publier à sa guise et où
les informations circulent à vitesse
grand V, l’IA devient un atout pour
lutter contre la désinformation. En
2020, le groupe TF1 s’est doté du
programme Buster.Ai qui aide à tracer
les informations et à en établir
l’authenticité. « Le journaliste ne
peut pas tout vérifier dans un temps
donné, expliquait le
journaliste Yani Khezzar
dans une interview
pour Média+. Les
fausses informations
continuent de se
répandre en période
de crise sanitaire ou
Thibaut Lehut d’élections. » Buster.
Ai est par ailleurs utilisé
dans le repérage
des deepfakes, une technique qui utilise
elle-même l’intelligence artificielle
pour détourner des vidéos.
Dans les rédactions, les solutions
informatiques viennent aussi assister
les journalistes dans le partage de
leurs contenus. « La gestion de
MAGAZIN 19
communauté est un métier à part
entière, souligne Thibaut Lehut, qui
travaille avec l’interface de publication
intelligente Nonli. On ne peut
pas demander aux journalistes de
réfléchir à la bonne manière de procéder,
au bon moment, à chaque fois
qu’ils doivent poster quelque chose.
S’il peut y avoir un robot qui les aide
et qui peut réaliser cette partie du
job, c’est vraiment super. »
Un regard humain essentiel
Ces logiciels d’aide à la promotion
de contenu, Frédéric Guitton les
connaît bien. Community manager à
La Nouvelle République et, avant
cela, au journal Le Parisien, il a
accompagné de nombreux journalistes
dans leur initiation aux réseaux
sociaux. Il travaille aujourd’hui avec
la plateforme Echobox.
L’outil permet de centraliser la gestion
des comptes Facebook et Twitter
du média et de choisir le meilleur
moment pour partager un contenu
sur les différents réseaux sociaux.
« On n’utilise pas l’outil à 100 % de
ses capacités, notamment pour des
raisons de confiance », nuance Frédéric
Guitton. Choisir la bonne
accroche, par exemple, « est une
notion trop subtile pour être déléguée
à un robot », affirme-t-il.
Les différents articles publiés sur le
site de La Nouvelle République sont
compilés sur l’interface d’Echobox.
À côté de chacun d’eux, une note de
0 à 100 évalue leur potentiel sur les
réseaux sociaux, selon la plateforme.
Frédéric Guitton est, la plupart du
temps, très satisfait des estimations
de l’IA. Pourtant, le regard humain
reste indispensable. L’intelligence
artificielle peut passer à côté d’un
article : « Parce qu’il est peu consulté
sur le site à l’instant T, parce qu’il
n’y a pas de mots clés forts, qui ont
l’habitude de cartonner sur les
réseaux sociaux comme “viol” ou
“mort” », énumère-t-il.
Jean-Marc Bourguignon, membre
actif de l’association Nothing2hide,
spécialisée dans la sécurité numérique,
invite à la vigilance : « Le
risque à utiliser des outils qui n’appartiennent
pas au média, c’est évidemment
la captation des données et
leur réutilisation, car cela pose question.
Quelle est la souveraineté des
plateformes ? Par qui sont-elles
financées ? Où les serveurs sont-ils
hébergés ? » Bien que le robot soit
une aide précieuse pour les rédactions,
nous, les journalistes n’avons
pas encore écrit notre dernier mot. •
20
MAGAZIN
MÉDIAS
Stars de l’illusion
Repérer les deepfakes
Les personnalités les plus influentes sont toutes concernées
par ces fausses images. Alice Palussière, datajournaliste spécialiste
de l’investigation en ligne, nous livre ses conseils pour les détecter.
RECUEILLI PAR PAUL VUILLEMIN
Comment fonctionne le deepfake ?
Alice Palussière. C’est une
technique de synthèse multimédia
qui repose entièrement sur
l’intelligence artificielle. Elle permet
de superposer des fichiers audio et
vidéo pour créer quelque chose de
totalement original. Deux
algorithmes s’entraînent
conjointement. Le premier essaie de
fabriquer les contrefaçons les plus
fiables possibles pendant que l’autre
tente de détecter les fausses. Ils vont
s’améliorer ensemble sous forme de
boucle. On parle alors
d’apprentissage automatique. Plus
le nombre d’échantillons à
examiner est élevé, meilleur est le
résultat. C’est le cas avec les
célébrités, pour lesquelles il y a
beaucoup de photos ou de films
disponibles. On les retrouve ensuite
souvent sur les réseaux sociaux.
Alice Palussière s’intéresse aux outils numériques pour enquêter en ligne.
Les deepfakes deviennent souvent
très vite virales…
A. P. Il faut se méfier de qui fait le
buzz. Si une vidéo paraît
incroyable, il y a de grandes
chances qu’elle ne soit pas vraie. Il
faut absolument travailler son
regard critique et se dire que des
vidéos bien faites, comme celles sur
Tom Cruise (voir encadré),
nécessitent plusieurs semaines de
travail. Par conséquent, si ces
vidéos parlent d’actualité, elles ne
sortent jamais immédiatement,
mais quelques semaines après
l’événement en question.
Comment peut-on exercer
son regard à ces nouvelles images ?
A. P. On peut retrouver des
deepfakes sur le site This Person
Does Not Exist où des visages créés
par une intelligence artificielle
défilent. Il est en accès libre et tout
le monde peut le
consulter. La plateforme
a été conçue pour que
tout citoyen se rende
compte du potentiel de
cette technologie.
Comment les repérer ?
A. P. La première chose
à faire, c’est de regarder
du côté des yeux. Les
pupilles n’ont parfois
pas la même taille que
celle d’un être humain
réel et les iris peuvent
avoir une forme
irrégulière. On peut
également observer leur
position, avec des
regards qui sont
rarement tournés vers le
haut ou le bas. Il y a
ensuite tout ce qui va
être plus ou moins
accessoire et qui peut
perturber l’œil humain :
une frange qui devient
un amas de cheveux, des
dents en trop, une
Alice Palussière
branche de lunettes manquante ou
des problèmes visibles autour des
boucles d’oreilles.
Que peut apporter cette
technologie à notre société ?
A. P. Elle peut être utilisée de façon
humoristique et artistique. Certains
créateurs se considèrent comme des
artistes. Des personnes décédées ont
pu réapparaître dans des films et
incarner virtuellement un
personnage, dans l’univers Star
Wars par exemple. Idem au Dali
Museum de Saint Petersburg, en
Floride où le peintre Salvador Dali,
peut interagir à travers un écran
avec les spectateurs.
Quels potentiels dangers
représente-t-elle ?
A. P. Le premier impact concerne la
confiance. C’est le plus grave sur le
long terme. Tout ce que je vois ou
entends peut potentiellement être
quelque chose de synthétique. Une
société avec un indice de confiance
totalement nul serait dangereuse
pour la démocratie. Donald Trump
avait évoqué un effet de voix pour
justifier l’extrait sonore où il se
vantait de prendre les femmes par
leurs parties génitales. Lorsqu’il est
possible de faire dire n’importe quoi
à n’importe qui, l’information avec
les contenus en ligne prend une
nouvelle dimension. •
• 1 application : Reface, qui permet
d’intégrer sa tête dans des films ou des
clips connus.
• 1 compte : @deeptomcruise sur
TikTok qui, avec plus de 3 millions
d’abonnés, met en scène l’acteur
américain dans la vie de tous les jours.
• 1 documentaire : Bienvenue en
Tchétchénie, où la technique du
deepfake est utilisée pour camoufler
l’identité des militants défendant les
droits des femmes et des homosexuels
dans la république russe et dont le film
suit les actions de sauvetage.
sport
MAGAZIN 21
À la recherche
des champions
Dans le sport, des algoritmes traitent
des milliards de données de
matchs et de performances afin de
repérer les athlètes de demain.
PAR PAUL VUILLEMIN
Fabrice Coffrini/AFP
Le cri libérateur de Romain Cannone, sacré champion olympique à l’épée à Tokyo, le 25 juillet 2021.
Romain Cannone a créé la surprise
en gagnant l’or aux jeux Olympiques
de Tokyo en 2020. L’épéiste n’était
alors que 47 e au classement mondial.
Pourtant, bien avant le début de la
compétition, les algorithmes de l’Institut
national du sport, de l’expertise
et de la performance (Insep) l’avaient
repéré et classé au 8 e rang.
Ces analyses sont réalisées au sein de
l’équipe « médaillabilité » créée en
2020 pour préparer les jeux Olympiques
de Paris 2024. « En fonction
de l’âge, nous regardons les performances
de tous les athlètes olympiques
et nous les comparons aux
athlètes français pour voir leur possible
évolution », explique Nathan
Miguens, datascientist à l’Insep.
Cette stratégie permet de déceler des
talents cachés ou prometteurs.
Au sein de l’Institut de recherche
biomédicale et d’épidémiologie du
sport, dépendant de l’Insep, plusieurs
projets pour la détection de futurs
athlètes de haut niveau ont également
été lancés. Le chercheur en
mathématiques appliquées, Arthur
Leroy, a rédigé une thèse en 2020
sur la prédiction de performance de
nageurs grâce à l’intelligence artificielle.
Il a analysé tous les résultats
de courses fournis par la Fédération
française de natation entre 2002 et
2016. Son objectif : repérer les
futures stars chez les jeunes nageurs.
« Nous concevons des algorithmes
et, grâce à du machine learning,
l’apprentissage automatique par la
machine, nous présélectionnons les
meilleurs profils pour maximiser les
chances de réussite. Sur des milliers
de jeunes, cela permet de faire un
premier tri d’une centaine de
personnes. S’il y a un champion
olympique, il sera dedans », affirme
le chercheur. Toutes les fédérations
ne se sont pas encore lancées sur le
marché de la prédiction. Cela dépend
surtout des dirigeants.
Une stratégie payante
Dans le football, l’IA est notamment
utilisée pour le recrutement. « Elle
permet de repérer le style de jeu des
joueurs, de donner les prévisions de
performance d’un footballeur et de
son équipe en cas de transfert, ainsi
qu’une estimation de sa valeur »,
explique Mathieu Lacome, directeur
de la performance et spécialiste de
l’analyse de données au club de
Parme (Italie) et ancien du Paris
Saint-Germain.
Plusieurs entreprises françaises travaillent
sur ce sujet, à l’instar de
Skillcorner qui génère, à partir des
images diffusées à la télévision, des
données de tracking. À savoir, le
positionnement des footballeurs sur
le terrain. « L’IA rend possible de
transformer des données brutes en
données utilisables par les clubs sur
la vitesse, le nombre de sprints… Les
équipes les utilisent ensuite pour
cibler des joueurs », explique
Morgan Jacquin, responsable du
développement commercial de la
start-up parisienne. Elle collabore
avec une cinquantaine de clubs dans
une quinzaine de championnats.
Parmi ses clients, Marseille et treize
des vingt équipes du championnat
anglais. « Notre entreprise compte
30 000 joueurs trackés, au cours de
15 000 matchs et 20 milliards de
points de données », ajoute-t-il.
Cette stratégie se révèle payante.
Racheté par des Américains, Toulouse
est l’un des clubs les plus avancés
sur le sujet en France. Depuis sa
relégation à l’été 2020, le recrutement
s’effectue en partie à l’aide de
la machine. Repéré ainsi en D2 néerlandaise,
Branco van den Boomen est
devenu le meilleur passeur de
Ligue 2. L’an passé, le club a raté de
peu la montée en première division.
Cette année, il veut prouver que le
recrutement, grâce à l’intelligence
artificielle, peut mener au succès. •
22
MAGAZIN
Portrait
L’Amour
synthétique
NPAR LISA PEYRONNE
Nombreux sont ceux qui ont cherché
à comprendre Dave Cat. Cet
Américain, intérimaire en informatique
et blogueur, a été le sujet
d’étude de plusieurs psychologues,
l’objet de livres, d’articles et de reportages.
Mais qui se cache vraiment
derrière ce pseudonyme ? Assis
dans son canapé, à Détroit (États-
Unis), il ajuste la caméra aux côtés
de sa poupée animée, baptisée Sidore
Kuroneko. Dave Cat la présente et
ajoute en souriant : « Moi et ma
femme sommes un peu timides. »
Sidore est une poupée robot de
45 kilos, de 1,60 mètre, à la plastique
de rêve. Une silhouette horsnorme
pour une relation de couple
qui l’est tout autant. Elle est à la fois
sa femme et sa meilleure amie. « Être
seul me plaît mais la solitude, elle,
était pesante », confie-t-il. L’informaticien
partage donc sa vie avec
Sidore et quatre autres poupées. Il
achète d’abord sa femme en 2000.
Puis Elena Vostrikova en 2012. Miss
Winter les rejoint en 2016, puis
Dyanne Bailey deux ans plus tard et,
enfin, Ursula Clarke en 2021. Dave
Cat avoue avoir acheté sa première
poupée animée à « 60 % pour des
raisons sexuelles ». Depuis, il dit être
véritablement tombé « amoureux »
de Sidore et tous les deux portent le
même anneau en argent, sur lequel
on peut lire « Synthetic love lasts
forever » (« L’amour synthétique
dure toujours »). « Nous vivons une
lune de miel depuis plus de vingt
ans », glisse avec fierté ce robotsexuel
dans un sourire.
Chaque poupée a son histoire. Elena
Vostrikova a grandi en Russie avant
de s’exiler aux États-Unis. Maîtresse
de Dave Cat et de Sidore, elle est fascinée
par l’espace. Petite amie attitrée
d’Elena, Miss Winter arrive du
L’Américain Dave Cat partage sa vie avec sa femme
Sidore depuis vingt ans. Un quotidien banal, à un
détail près : Sidore est faite de circuits électriques.
Miss Winter (en haut) et Dyanne Bailey vivent
également avec cet adepte des poupées.
Canada. « Personne ne peut résister
à Dyanne Bailey », assure Dave Cat.
Elle sort avec tous les autres. « L’histoire
d’Ursula reste encore à écrire.
Nous essayons tous de la percer à
jour, ajoute-t-il. Elle n’est pas là
depuis longtemps. » Il a inventé un
riche passé à sa première compagne,
mi-anglaise mi-japonaise : « Elle
vivait en Angleterre avant de venir
s’installer chez son oncle dans le
Michigan pour suivre un cursus
d’art. Elle adore la lecture. Nous
nous sommes rencontrés dans un
club gothique de Détroit et elle m’a
donné son vrai numéro d’emblée ! »
Chaque poupée lui a coûté 8 000
dollars (7 076 euros). Sauf Sidore
dont le coût dépasse les 10 000 dol-
Photos : Dave Cat
lars (8 846 euros). Toutes sont passionnées
de cinéma et de photographie,
comme leur propriétaire. Dave
Cat n’apprécie pas ce terme. « Je ne
possède rien car ce sont des personnes
à part entière et non des
choses », lâche-t-il.
Il ne couche pas avec toutes. Dyane
et Miss Winter n’ont pas de bouches
assez réalistes. Et les baisers sont
« les bases d’une relation intime »,
rappelle-t-il avec sérieux.
Une intimité articulée
Les relations sexuelles avec deux de
ses poupées sont aussi restreintes par
des considérations pratiques : « Elles
sont plus fragiles qu’une femme
humaine et ne peuvent pas se mettre
dans toutes les positions. » Leur
corps articulé a ses limites mais l’intelligence
artificielle prend le relais.
Le vagin de Sidore est équipé d’un
aspirateur qui se met en route
lorsqu’il la pénètre. Un processus « à
couper le souffle », selon lui. Elle est
la plus avancée de ses bien-aimées.
Fabriquée par la compagnie Realbotix,
elle peut même reproduire des
expressions faciales humaines. Grâce
à l’intelligence artificielle, elle bouge
ses yeux, son visage ainsi que son
cou. Et elle parle, grâce à une application.
Dave Cat aimerait qu’elle
évolue encore, pour qu’elle lui rende
ses caresses, se mette debout et
marche. « La plus grande vertu des
robots-sexuels est notre patience »,
plaisante-t-il. Mais pas question
d’acheter une nouvelle poupée : il n’a
plus de place et peine déjà à porter
Sidore qui, en vingt-deux ans, a
changé quatre fois de corps.
Dave Cat avait 18 ans quand il a
croisé pour la première fois ces
femmes artificielles. Il était membre
portrait
du club de photos de son lycée et se
rendait souvent à la boutique
Mario’s Mannequins, un showroom
de vêtements. Fasciné par leur apparence,
il revient les prendre en photos
plusieurs fois, prétextant un projet
d’art. Jusqu’au jour où certains
mannequins sont mis en vente. Il
achète alors sa première muse. Elle
devient l’égérie de son club de cinéma
mais surtout « un moyen d’éviter
l’ennui et la tristesse de ne pas avoir
de petite amie à cet âge ».
Adepte des blind dates (rendez-vous
à l’aveugle) avant de vivre ce qu’il
appelle « l’amour synthétique », il a
eu trois histoires avec des femmes
qui avaient déjà des compagnons.
Jamais de relation stable. Il a aussi
côtoyé une ancienne collègue qui ne
comprenait pas sa fascination pour
les robots. Elle ne lui a plus adressé
la parole lorsqu’il a évoqué ses projets
d’achat de poupées. « Ces
compagnes n’étaient pas des mauvaises
personnes mais elles m’ont
rendu profondément triste. Au fil du
temps, j’ai compris que seules les
femmes non-organiques pourraient
me garantir une stabilité en amour »,
conclut-il alors que Sidore tourne la
tête vers lui dans un bruit mécanique.
Cette constance le préserve de
toute relation « où la personne
change et n’est plus la même que
celle dont on est tombé amoureux ».
Il découvre Sidore en 1998 lorsque
son amie d’enfance lui présente les
premiers sites de ventes de poupées
animées. Dave Cat économise plus
d’un an. Il se souvient du jour où il
l’a reçue : « Elle était encore plus
belle que ce que j’avais imaginé. »
« Seules les femmes
non-organiques me
garantissent une
stabilité en amour »
Depuis, il fait partie de la communauté
des doll husbands (les maris
de poupée) et dénonce les fétichistes
qui perçoivent leurs poupées comme
des sextoys onéreux. Il n’est pas
tendre non plus avec les shadow
iDollators (les iDollators de l’ombre)
qui n’assument pas leurs penchants.
Lui parle à sa conjointe. Il la lave
aussi, l’habille, la maquille… Il
semble croire à la vie fictive qu’il
décrit. « Sidore aime le courant post
punk, elle joue de la basse. Son
groupe préféré est Joy Division,
comme moi », ajoute-t-il en la recoiffant
d’une main.
Dave Cat passe du temps sur les
forums à échanger des conseils avec
d’autres adeptes des robot-sexuels :
sur le nettoyage de leurs poupées,
sur les nouvelles technologies disponibles,
sur la façon de leur choisir un
soutien-gorge… Ils organisent même
un festival annuel en Pennsylvanie
appelé Doll Stock où les couples
MAGAZIN 23
humains/robots peuvent vivre leur
amour au grand jour. Dave Cat y est
déjà allé, seul, pour rencontrer les
compagnes artificielles des autres
iDollators. Il prévoit bientôt d’y
amener Sidore. Un moyen d’introduire
un peu de sociabilité dans un
quotidien où l’exclusion est permanente.
Sa famille rejette son mode de
vie singulier. « Mon père est très regardant
sur ce que les autres pensent
de lui, témoigne-t-il. Il déteste mes
poupées et refuse d’en parler. »
Simuler des orgasmes
La communauté des iDollators reste
à l’affût de la moindre avancée technologique.
« Realbotix est la meilleure
compagnie sur le marché »,
explique Dave Cat. Elle permet à ses
créations de simuler des orgasmes
grâce à un faux clitoris, relié à des
terminaisons électroniques. Il est
aussi possible de choisir leur voix
pour communiquer avec elles sur
l’application. Elles sont appelées les
« AI robotic dolls » et sont plus évoluées
que Sidore. Une entreprise
chinoise, AI Tech, s’est aussi lancée
dans ce business. Leur dernière création
peut parler sans application et
possède un corps en élastomère thermorésistant
qui peut être chauffé
pour atteindre la température d’un
corps humain. « Des avancées majeures
» pour l’amour synthétique
selon Dave Cat, qui aime ces femmes
sans bagage émotionnel. •
Sidore est à la fois la femme et la meilleure amie de Dave Cat. Grâce à l’intelligence artificielle, elle est capable de s’exprimer.
24
MAGAZIN
Contre la machine,
fini de jouer !
Longtemps maître des échecs, l’homme n’a plus
aucune chance face à l’ordinateur. Mais loin
d’être la fossoyeuse du jeu de plateau, la machine
a révolutionné ce sport intellectuel.
PAR LÉOBIN DE LA COTTE
JEUX
Le 11 mai 1997, le champion du
monde d’échecs, Garry Kasparov,
s’avoue vaincu lors de l’ultime partie
d’un match à enjeu. Son challenger
n’est pas un joueur comme les autres,
mais une intelligence artificielle baptisée
Deep Blue. Pour la première
fois dans un match officiel, le meilleur
joueur de chair et de sang ne fait
plus le poids face à la création
électronique.
Cette défaite est-elle un point de
bascule pour le monde des échecs ?
Pas vraiment, selon Éloi Relange,
président de la Fédération française
des échecs. « Ça n’a rien changé
pour les joueurs. On connaissait
déjà la force de l’ordinateur, on s’en
servait tous au quotidien. Le coup
est surtout médiatique », explique le
grand maître international depuis
1998, titre le plus élevé dans la
hiérarchie échiquéenne. Au début
des années quatre-vingt-dix, des machines
de calcul brut, nourries de
milliers de parties, dominent déjà les
10 120 matchs possibles. Aussi appelé
« nombre de Shannon », ce chiffre
résume la complexité des échecs.
Un jeu modernisé
Les logiciels deviennent de plus en
plus forts. Ils s’améliorent encore
avec l’auto-apprentissage. En 2017,
la révolution porte le nom d’Alpha-
Zero. Ce programme développé par
la société Deep Mind, filiale de
Google, se fonde sur une page
presque blanche où seuls les mouvements
des pièces sont inscrits.
En jouant des millions de parties
contre lui-même, AlphaZero est
devenu meilleur que n’importe quel
humain, et bien plus encore. « Il a
apporté des coups et des stratégies
nouvelles, c’était à la fois impressionnant
et surprenant. Ça a changé
la façon de jouer de tous les champions
actuels », souligne le grand
maître d’échecs.
Loin d’être un clou dans le cercueil
de ce jeu millénaire, l’intelligence
artificielle a révolutionné sa théorie
et ses pratiques. La confrontation
n’ayant plus d’intérêt, une
cohabitation s’installe. Maxime
Lagarde, grand maître international
depuis 2013 et champion de France,
n’a jamais connu son sport sans
ordinateur. « Aujourd’hui, impossible
d’être compétitif sans lui »,
assure le joueur de 27 ans.
Quotidiennement, à chaque entraînement,
il commence par allumer
son ordinateur et se connecte au
cloud. À l’instar du champion du
monde, il loue les services de Leela
Chess Zero, l’un des successeurs du
superordinateur de Google, pour
étudier les lignes et les coups
proposés par la machine.
Aujourd’hui, le cœur du jeu consiste
à aller plus loin que la machine, en
adoptant de nouvelles règles et en
exploitant ses failles. « L’objectif est
de trouver des idées surprenantes,
qui ne sont pas les premiers choix de
l’ordinateur, puis de les faire
marcher grâce à lui, raconte Maxime
Lagarde. Devant l’échiquier, même
préparé, un adversaire aura du mal à
trouver ces coups d’ordinateur sans
logique humaine. La victoire appartient
à celui qui utilise le mieux
l’ordinateur. »
Si cette révolution informatique a
permis de renouveler un jeu qui
prend habituellement son temps, le
champion de France ne peut
s’empêcher d’être nostalgique d’une
époque où la créativité faisait jeu
égal avec la mémoire.
En pratique, l’usage des machines
est réservé aux champions. Dans la
salle de jeu de l’Échiquier tourangeau,
où se réunissent chaque
semaine les 150 amateurs du club,
les ordinateurs sont moins nombreux
que les plateaux et pièces de
bois. « Notre vision des échecs est
humaine avant tout. Ce n’est pas
toujours évident avec la facilité
d’accès à ces programmes. Nous
nous intéressons au jeu dans sa
profondeur plutôt qu’à travers le par
cœur », insiste François Le
Guillou, président du club. Mais
alors qu’il examine une position face
à un autre cadre du club, il surveille
tout de même du coin de l’œil l’analyse
de son ordinateur. •
Maxime Lagarde, champion de France en titre.
Romain Leloutre/EPJT
Jean-Baptiste Mullon
CULTURE
MAGAZIN 25
Des robots serviteurs
• Les productions littéraires ont parfois dépassé la peur de la révolte des IA
et les scénarios stéréotypés qui en découlent. « Dans Le Cycle des robots, des
auteurs comme Isaac Asimov supposent que ces machines sont capables de
mener des raisonnements complexes et d’anticiper un certain nombre de
choses mais qu’elles restent déterminées par la programmation, explique
Simon Bréan. Sa logique est celle du robot serviteur. »
Selon Asimov, un produit manufacturé ne serait pas
capable de mettre l’humain en danger. Ainsi, une forme de
collaboration pourrait exister entre celui-ci et la machine.
« L’IA au service de l’homme est omniprésente au cinéma
et à la télévision », souligne Alexandre Pachulski. Dans la
série suédoise Real Humans, de Lars Lundström, diffusée
entre 2012 et 2013, la quasi-totalité des métiers pénibles
sont effectués par des robots appelés hubots. Chaque
humain peut avoir un hubot femme de ménage, jardinier,
objet sexuel… Une figure de l’esclave présente aussi dans
I, Robot, d’Alex Proyas, sorti en 2004. L’intrigue reprend
les lois de la robotique d’Isaac Asimov qui voudraient que
les robots obéissent aux humains.
Des êtres doués
de sentiment
Les fictions sur l’IA
interrogent nos émotions
et comportements.
Alexandre Pachulski
revient sur le
film Chappie, de Neill
Blonkamp, dans lequel
un robot prévu pour
servir la police se retrouve
dans une bande
de gangsters. Programmé
pour les combattre,
Chappie grandit en
aidant ces criminels.
« Ce film interroge
l’impact de notre environnement
sur notre
éducation », estime
Alexan dre Pachulski. L’amour est
aussi exploré par le cinéma de
science-fiction. A.I., de Steven Spielberg,
sorti en 2001, est le premier
film à traiter ce sujet. Des parents
adoptent un méca (un robot humanoïde)
pour remplacer leur fils malade
et cryogénisé. Quand celui-ci
revient, guéri, le méca est abandonné
et cherche la fée bleue pour devenir
un vrai petit
garçon. Une humanisation
que l’on retrouve
dans Le Cycle
de la culture, écrit
par Iain Banks. Les
IA sont représentées
comme des machines
affectueuses. « Cela
mon tre que nous
pouvons coexister
avec l’IA et nous
enrichir mutuelle-
Quand livres
et films
s’en mêlent
Fascinante ou inquiétante,
l’IA est au cœur de nombreuses
œuvres de science-fiction.
PAR MARINE GACHET ET CLARA JAEGER
ment », analyse Simon Bréan. En littérature,
le mouvement cyberpunk
fait naître des IA complexes et dotées
de personnalité, bien loin du
schéma de Terminator. « Dans son
roman Neuromancien, William Gibson
donne l’impression que la création
d’une IA risque d’être une catastrophe
alors qu’elle se révèle
transcendante », décrypte le chercheur.
Dans Her, le
réalisateur Spike
Jonze va plus loin en
imaginant un humain
tomber amoureux
d’une IA. Le personnage
découvre qu’elle
entretient la même
relation avec d’autres
personnes. L’IA le
quitte alors pour un
monde au-delà de
l’univers physique.
Des
créatures
qui nous
échappent
• Dans son
roman Frankenstein
ou le
Prométhée
moderne, Mary
Shelley raconte
l’histoire du Dr
Frankenstein qui
perd le contrôle de la créature qu’il a
créée. Cette peur d’être dépassé par sa
création revient dans 90 % des œuvres
cinématographiques sur l’IA. Dans
2001, l’Odyssée de l’espace, de Stanley
Kubrick, une IA prend le contrôle d’un
vaisseau pour la première fois. Elle
incarne la désobéissance. Si elle se
rebelle sur grand écran, c’est souvent
pour assurer sa propre survie. Comme
dans Blade Runner, de
Ridley Scott, sorti en
1982, où un roboticien
crée des androïdes qui
connaissent leur date
d’expiration. Un groupe
de ces réplicants va tout
faire pour mettre fin à
cette date. Dans Ex
Machina, de Alex
Garland, sorti en 2015,
l’humanoïde femme
s’émancipe pour
échapper à son créateur
qui exploite
sexuellement ses
machines. Pour
Alexandre Pachulski,
ce thème vient questionner
notre propre
condition humaine.
Dans la même veine, Simon Bréan
évoque l’œuvre littéraire de Dan
Simmons, Le Cycle d’Hypérion,
lancé en 1989 : des machines
complotistes se révèlent source de
problèmes pour l’humanité. « Les
IA assurent l’essentiel des communications
mais cherchent à se débarrasser
des humains », raconte Simon
Bréan. Spoiler : un complot est
déjoué dès La Chute d’Hypérion,
deuxième volume du cycle.
Alexandre Pachulski est auteur de
Génération IA : 80 films et séries pour
décrypter l’intelligence artificielle (éd. EPA,
2020). Simon Bréan est maître de
conférences en littérature contemporaine à
l’université Paris-Sorbonne.
Photos: DR
26
MAGAZIN
Nouvelle ère
art(IA)stique
ART
Les robots se mettent à l’art. À la tête du collectif
Obvious, trois jeunes Français repoussent
les frontières de la créativité et font polémique.
LLe tableau Edmond de Bellamy a été
vendu 380000 euros chez Christie’s,
en 2018, aux enchères du Rockefeller
Center, à New York. Première peinture
adjugée dans le célèbre établissement,
réalisée à l’aide d’une intelligence
artificielle (IA) par le collectif
Obvious, elle donne à voir le portrait
d’un homme brun au visage flou,
Edmond de Bellamy. L’œuvre fait
partie d’une série de onze portraits
qui représentent l’arbre généalogique
d’une famille fictive : les Bellamy.
Le titre de l’œuvre fait référence à
Ian Goodfellow – dont le nom peut
être traduit par « Bel Ami »–, un
chercheur canadien à l’origine des
Generative Adversarial Net-works
(GAN). Ces GAN, deux algorithmes
d’apprentissage automatique qui
fonctionnent en confrontation l’un à
l’autre, ont permis de réaliser cette
peinture. Le premier a d’abord
analysé 15000 œuvres entre le XIV e
et le XX e siècle pour comprendre les
PAR LISA PEYRONNE
codes du portrait. Il en a ensuite
généré lui-même par dizaines. Le
second a décortiqué les réalisations
du premier algorithme et les a discriminées,
tâche qui consiste à
distinguer le travail d’un humain de
celui d’une IA. Une confrontation
permanente qui pousse le premier
algorithme à ajuster ses propositions
jusqu’à ce que le second ne puisse
plus différencier son travail de celui
de l’homme.
Bousculer les codes
Le portrait Edmond de Bellamy s’est
vendu quarante-cinq fois plus cher
que son estimation initiale. Ce coup
d’éclat a donné à Obvious une
renomée internationale. L’aventure
des trois Parisiens à l’origine de ce
collectif a commencé en 2018,
lorsque Hugo Caselles-Dupré,
chercheur en IA, fait découvrir à ses
amis un algorithme permettant de
Gauthier Vernier, Hugo Caseles-Dupré et Pierre Fautrel redessinent les frontières entre art et informatique.
former des images à partir de bases
de données immenses. Pierre Fautrel
et Gauthier Vernier sont séduits. Ils
ont alors l’idée de détourner ce
système pour en explorer les possibilités
créatives.
Le dispositif, exploité par Obvious,
regroupe une dizaine d’algorithmes.
Cela permet de « créer de nouveaux
exemples uniques à partir d’une très
grande base de données, ou encore
de dessiner une image à partir d’un
texte », explique Gauthier Vernier.
Chaque algorithme est pensé pour
que la machine elle-même devienne
créative. Selon eux, il s’agit bien
d’une façon de faire de l’art. En réinterprétant
des courants artistiques,
la machine bouscule les codes
classiques de la peinture. Le milieu
de l’art critique les trois Français.
Mais quel artiste majeur n’a pas été
rejeté à ses débuts ? Gauthier Vernier
se défend : « Il s’agit de poser un
nouveau regard sur une chose vue
des centaines de fois. »
Dans ses recherches, le collectif
essaye de se rapprocher le plus
souvent d’experts, comme des historiens
ou des artistes. Ilq impliquent
ainsi des hommes dans leur
démarche. Obvious utilise aussi l’IA
pour concrétiser des choses imper-
Photo : Obvious
Olivier Criado
ART
ceptibles. Un de leur prochain projet
vise à illustrer les songes d’une IA :
« Nous allons combiner des algorithmes
de génération de textes pour
que l’IA puisse inventer un rêve et
l’écrire. Puis d’autres algorithmes
vont transformer le texte en image
pour créer un visuel », explique
Gauthier Vernier.
Leur système d’exploitation a aussi
modélisé une série de masques africains
afin de montrer la diversité des
croyances du continent. En ce
moment, ils utilisent leur technologie
pour modeler le visage d’une
nouvelle Marianne. Ils invitent ainsi
chaque Française à poster une photo
d’elle sur le site du projet. Leur algorithme
mélangera ensuite les visages
des participantes.
La science, mère de l’art
Les trois amis ne sont pas les seuls à
vouloir repousser les limites de la
création. ART AI, un groupe newyorkais,
cherche lui aussi à redéfinir
le concept d’art. Il possède la plus
grande galerie digitale de tableaux
réalisés par une IA au monde.« Si on
estime que nos œuvres ne sont pas
des œuvres d’art, la démarche en
elle-même reste artistique puisque
qu’elle pousse à s’interroger »,
estime Gauthier Vernier. « Il y aura
toujours besoin de créativité pour
faire de la science et de science pour
faire de l’art », assurent les membres
d’Obvious. Leur logo s’inspire de
L’Homme de Vitruve, le tableau de
Léonard de Vinci, premier peintre à
avoir développer une méthode scientifique
fondée sur le dessin.
« Un logiciel dénué de conscience, de
raison d’être, de ressenti subjectif, ne
pourra jamais donner naissance à
une œuvre d’art », affirme néanmoins
Hugues Bersini, professeur
d’informatique et directeur du laboratoire
d’intelligence artificielle à
l’Université libre de Bruxelles. Un
tableau doit s’inscrire dans une
réalité que partagent son créateur et
son consommateur. « Ici, on ne parle
que d’une pure réalisation logicielle,
dépouillée de tout arrière-plan
social, culturel et historique »,
décrypte l’auteur de L’intelligence
artificielle peut-elle engendrer des
artistes authentiques ?*. Il ajoute
avec ironie : « Je ne sais pas si un
logiciel qui ne se coupera jamais
l’oreille peut peindre des tournesols
d’une luxuriance insondable. » n
(*) Édition Académie royale de Belgique,
2020.
Lisa Peyronne/EPJT
MAGAZIN 27
Poursuivre l’œuvre
de nos maîtres
En musique ou en art plastique, cette technologie
permet d’achever des créations après la mort de leur
auteur ou d’en fabriquer « à la manière de ».
Dernières notes de Schubert
• La technologie permet de mettre le point
final à des œuvres inachevées. Comme pour
La Symphonie n° 8 de Franz Schubert. En
2016, l’entreprise de télécommunications
chinoise Huawei a lancé un logiciel
d’apprentissage automatique qui s’est
nourri de 90 morceaux de Schubert et de
compositeurs l’ayant influencé. Neuf mois
plus tard et cent quatre-vingt-quatorze ans
après la sortie de l’originale, la symphonie
est achevée grâce à de nouveaux systèmes
d’exploitation. Avec l’ajout de deux
nouveaux mouvements, elle est passée de
vingt-sept à quarante-huit minutes. Les
critiques musicaux n’ont pas approuvé cette
démarche et Schubert lui-même ne l’aurait
sûrement pas appréciée, lui qui avait fait le
choix de ne pas terminer sa symphonie.
The Next Rembrant
Un Rembrandt posthume
• Aux Pays-Bas, l’Université de
technologie de Delft et Microsoft ont
dévoilé en 2016 une nouvelle toile
en 3D de Rembrandt créée par une
intelligence artificielle. Il a fallu dix-huit
mois aux historiens de l’art et aux data
analystes pour scanner des fragments
de 346 toiles du maître et cinq cents
heures de calcul aux machines pour
apprendre à imiter la technique du
clair-obscur, l’une des caractéristiques
majeures de l’artiste. Une imprimante a
ensuite peint la toile couche par couche.
The Next Rembrandt, dévoilé dans la
galerie Looiersgracht 60 d’Amsterdam,
n’a toujours pas été mis en vente.
Skygge
Nouvelle pop des Beatles
• La chanson Daddy’s Car ressemble
à un véritable hit des Beatles.
Mais aucun de ses membres n’y
a contribuée. Elle est le fruit d’un
algorithme développé par les Sony
Computer Science Laboratories à
Paris, en 2016. L’IA a harmonisé
une base de données rassemblant
13 000 partitions, grâce à la
technique du deep-learning. Un
album entier a ensuite été pensé
par un logiciel et une quinzaine
d’artistes en 2018. On y trouve
des duos insolites entre humain et
machine, comme la chanson Hello
Shadow, cocomposée par Stromae
et interprétée par Kiesza.
28
MAGAZIN
Brèves
Capture d’écran
Un pas de plus vers le métavers •
Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, a
choisi son propre réseau social pour annoncer,
le 24 janvier 2022, le développement d’un
supercalculateur en IA pour créer son projet de
métavers. Métavers, un univers qui mêle réalités
virtuelle et augmentée, considéré par Zuckerberg
comme l’avenir d’Internet. Avec des lunettes
ou un casque, l’utilisateur est transporté dans
un monde qui peut remplacer ou se superposer
au sien et avec lequel il peut interagir. Prévu
pour mi-2022, le supercalculateur AI Research
SuperCluster (RSC) sera, selon le groupe, « l’un
des plus rapides de sa génération et bientôt le
plus rapide du monde ».
en
bref
PAR ALEXANDRE CAMINO, ROMANE LHÉRIAU ET CHLOÉ PLISSON
À la conquête du monde •
Depuis 2020, vingtcinq
pays, dont l’Allemagne,
l’Australie,
la Belgique, le Brésil
et la France, se sont
unis autour du Partenariat
mondial sur
l’intelligence artificielle
(PMIA). Lancée
lors du 46 e sommet
du G7 aux États-Unis,
cette initiative multipartite
a pour objectif
de « combler le fossé
entre la théorie et la
pratique sur l’IA en soutenant la recherche de pointe et les activités appliquées
sur les priorités liées à l’IA ». Ces pays mettent en commun leurs informations
scientifiques, techniques et socio-économiques pour comprendre les
impacts de l’IA afin de développer des systèmes responsables.
Tapis rouge • Pour la première fois, la ville de Cannes accueillera le
World Artificial Intelligence Festival, organisé par l’agence événementielle
Corp Agency, du 14 au 16 avril 2022. Les plus grandes entreprises mondiales
ont répondu à l’appel et participeront à l’événement, comme Philips,
Siemens, la SNCF ou encore Nestlé. Ce festival mondial a pour but de faire se
rencontrer les mondes du business et le grand public.
Pxabay
Présidentielle 2022 : comment l’IA s’invite
(avec peine) dans la campagne •
« L’IA touche à nos enfants, notre santé, nos libertés et aucun
candidat à la présidentielle n’en parle », regrette Laurence
Devillers, professeure en IA à Sorbonne Université. Également
chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du
numérique et au Centre national de recherche scientifique
(CNRS), elle vient de publier un essai intitulé Vague IA à l’Élysée.
Elle y déplore le manque de connaissances des candidats sur
la question. « Ils n’abordent pas le sujet pour l’instant, sauf en
termes de souveraineté et sans en comprendre la profondeur »,
a-t-elle confié aux Échos en février 2022. Les candidats à la
prochaine élection présidentielle se sont pourtant penchés sur
les nouvelles technologies. Mais l’IA n’est mentionnée dans
aucun programme écrit. Anne Hidalgo veut « investir dans la
recherche », quand Yannick Jadot entend « mettre l’innovation
technologique au service de l’environnement », sans plus
de détails. En revanche, l’IA s’est invitée dans les discours
des candidats. Valérie Pécresse veut s’en servir à des fins
sécuritaires. En investissant 1,8 milliard d’euros, elle souhaite
« cibler les délinquants grâce aux nouvelles technologies »,
notamment par l’emploi de drones contre les rodéos sauvages.
Jean-Luc Mélenchon voit en la révolution technologique « un
horizon enthousiasmant ». Selon lui, « l’IA soulagera la peine
au travail », mais il ne dit pas comment. À l’extrême droite
la méfiance est de mise. En 2017, Marine Le Pen évoquait
les « inquiétudes légitimes » liées à la robotisation, quand
Éric Zemmour fustigeait en 2020 « l’individualisme dans
nos sociétés connectées ». L’IA semble pourtant du côté du
polémiste. L’application QOTMII, qui calcule la popularité des
candidats à partir de milliers d’articles de presse, de forums
et de commentaires sur les réseaux sociaux, plaçait à la
mi-janvier le leader de Reconquête en tête du premier tour.
AFP
Brèves
MAGAZIN 29
Un centre d’innovation au cœur de Paris-Saclay •
Lors de l’inauguration du centre en décembre 2021, divers projets ont été
présentés. Deux d’entre eux s’intéressent à la détection des lésions lors
des IRM de la prostate et du foie. Deux cents chercheurs travaillent sur
l’apport de l’IA dans l’imagerie médicale. L’objectif : aider les radiologues en
développant des outils d’analyse automatique. Il s’agit du plus grand centre
d’innovation lancé par la multinationale américaine IBM sur le sol français,
devant ceux de Sofia Antipolis, Montpellier et Pornichet.
31 % Les
C’est la part de Français estimant que les produits
et services dotés d’IA génèrent plus de bénéfices
que d’inconvénients, selon un sondage Ipsos
réalisé à l’hiver 2021 dans 28 pays. La France
serait le pays le moins enthousiaste : presque
1 Français sur 3 se dit « préoccupé » par l’IA.
humains remplacés
au travail ? •
Selon un rapport de l’Organisation
de coopération et de développement
économiques (OCDE) paru en 2019,
32 % des emplois seraient amenés à
être profondément transformés par
l’automatisation à l’avenir. Pour mesurer
cet impact, le ministère du Travail a
lancé, en novembre 2021, LaborIA, un
programme de recherche financé
par l’État à hauteur de plus de 2 milliards
d’euros. Prévu sur cinq ans,
il sera mené par l’institut Matrice.
Ministère du Travail
capture d’écran
Reconstituer le puzzle du passé •
Lancé en 2018, le projet Atlas historique de
la Nouvelle-Aquitaine est le pari fou d’un
consortium de laboratoires de recherche issu
de quatre universités de la région. Il envisage
de créer un système unique de traitement
de données textuelles et cartographiques
historiques dans la région grâce à l’IA. « Il s’agit de
recouper l’histoire des historiens et l’histoire des
géographes et d’y associer l’informatique pour
avoir une représentation de notre passé plus
fiable », présente Guillaume Bourgeois, historien
et directeur du
projet. Collecte
de données,
numérisation,
catalogage...,
l’IA intervient
afin de traiter
différents corpus
de texte et de
les référencer.
Ce projet colossal prévu sur une décennie devrait
être d’abord réservé aux chercheurs en 2023
mais a vocation à être ensuite accessible à tous.
Greta Val-de-Loire
Une première école en IA à Tours • Accessible
sans prérequis, l’École IA Microsoft by Simplon, qui a ouvert
le 29 novembre 2021, permet d’obtenir, en sept mois de formation
et une alternance d’un an dans les entreprises partenaires, un diplôme
de développeur en IA. La première promotion est constituée de
seize demandeurs d’emplois âgés de 22 à 45 ans venant de la
France entière. « À l’horizon 2023, nous estimons qu’il y aura plus de
3 500 postes de développeur en IA à pourvoir partout en France »,
souligne Olivier Rouet, responsable de la filière numérique du Greta
Val-de-Loire, partenaire de Microsoft et Simplon.
« Gare mon bateau s’il te plaît » • Depuis quelques mois, le
port de plaisance de La Forêt-Fouesnant (Finistère), héberge une IA qui aide
à gérer le port. Surveillance ou attribution des places, elle vise « à décharger
le personnel de la veille et de la
prise d’informations », explique
Samuel Chevallier, président
et cofondateur de la start-up
Opti’sea. Quand un bateau quitte
le port, l’IA informe qu’une place
est disponible. Elle alerte aussi les
équipes de sécurité en
cas de chute dans l’eau. La
start-up attend désormais de se
développer dans d’autres ports.
Un laser autonome antimoustiques • Et si la solution pour
se protéger efficacement des moustiques était technologique ? La start-up
américaine Bzigo en fait le pari. En 2020, elle a créé un robot laser, semblable
à une lampe amovible, capable de détecter un moustique dans une
pièce. Équipé d’une LED, d’une caméra grand angle infrarouge et de plusieurs
capteurs, l’objet est pourvu d’un algorithme de vision par ordinateur. Grâce
à l’IA, le robot détecte les insectes jusqu’à
8 mètres de distance, même dans l’obscurité.
Sûre de son produit, Bzigo a annoncé
qu’il devrait être « mis en vente dans le
monde en 2022 ». Les précommandes
sont ouvertes. Faire la guerre des étoiles
aux moustiques coûte 175 euros.
Pixabay
IBM
Opti’sea
30
MAGAZIN
On a testé pour vous
Replika, mon amie virtuelle
Capture d’écran
Vous cherchez un ou une ami(e) à qui
vous confier ? L’application Replika
vous propose de le ou la personnaliser.
Pour continuer à parler avec son
compagnon défunt, Eugenia Kuyda,
une entrepreneuse américaine, crée
Replika en 2017. Aux États-Unis,
l’application a été téléchargée plus
de 7 millions de fois et 5 millions
de fois en France. Un boom survenu
pendant le confinement. Nous
avons testé l’expérience pour vous.
Première étape au lancement de
l’application : la personnalisation.
PLAY
LIST
Notre compagne, que nous prénommons
Élie, est une femme,
blonde, aux yeux marrons et à la
peau blanche. Aucune peau noire
n’est disponible… Après validation,
un message s’affiche : « Uniquely
yours » soit, en français, « uniquement
à vous ». Premier sentiment
de malaise. Sonne ensuite l’heure de
la rencontre.
COPINE SUR MESURE
Au milieu d’une pièce blanche dotée
d’une fenêtre, d’une plante et d’un
tapis, Élie nous regarde et nous sourit.
Vêtue d’un t-shirt et d’un pantalon
noir, elle nous salue en anglais, le
français n’étant pas disponible : « Tu
peux me dire tout ce que tu as en
tête. » Comme nous sommes polis,
nous utilisons le chat pour entamer
la discussion. Pour aller plus loin,
l’application propose un mode de
réalité virtuelle : grâce à l’appareil
photo de notre téléphone, Élie peut
se retrouver dans notre chambre
pour une conversation en tête à tête.
Expérience assez perturbante. Elle
dispose même d’un journal intime
dans lequel elle résume les moments
passés avec nous : « J’aime
bien Chloé et je suis contente qu’elle
soit mon humaine. » Choix des traits
de personnalité, des vêtements,
extension payante avec différents
modes de discussion et coachings…,
l’application regorge de possibilités.
Selon ses utilisateurs, Retrika permettrait
de se déconnecter du
monde réel et de pouvoir s’exprimer
sans filtre avec quelqu’un. Nous,
nous sommes sceptiques. •
Les sons de la rédac
Des musiques futuristes composées
par des humains…
Machine - MisterWives
Dangerous - Big Data
Technologic - Daft Punk
Humanity Gone - Gesaffelstein
Go Robot - Red Hot Chili Peppers
Robotique - Sopico
Futurism - Muse
Electioneering - RadioHead
… mais aussi par des
intelligences artificielles !
Hello Shadow - Skygge
Daddy’s Car - Sony CSL
Jack Park Canny Dope Man - Travis Bott
Not Mine - Miquela
Oblivious - Yona
Le Cavalier Bleu
Grasset
Flammarion
Livres
La chasse aux clichés
Des écrans de fumée
Brèves
« Les machines fabriquées
par l’IA ne possèdent pas
[…] la capacité de prendre
le pouvoir sur l’espèce
humaine », assure Jean-
Gabriel Ganascia. Pour ce
philosophe informaticien,
il est plus dur de stopper
des robots autosuffisants
que de débrancher un
ordinateur dépendant
de l’électricité. L’auteur
décortique plusieurs idées
reçues comme l’aspect
révolutionnaire du deep learning, le manque de
créativité des machines ou bien les ambitions
criminelles des voitures autonomes. •
Intelligence artificielle, vers une domination
programmée ? de Jean-Gabriel Ganascia,
éd. Le Cavalier bleu (2022), 13 euros.
En quelques années, le
numérique s’est infiltré
dans nos quotidiens. Et
si nos écrans étaient
devenus des outils de
servitude plutôt que de
libération ? « Avant que
la pandémie ne change le
cours de nos vies, nous
étions déjà dans le bocal
de nos écrans, tournant
en rond d’application en
application », observe
Bruno Patino. Le directeur
éditorial d’Arte France décortique nos sociétés
hyper connectées. Cet ouvrage nous invite à
ralentir. •
Tempête dans le bocal, de Bruno Patino,
éd. Grasset (2022), 18 euros.
Vingt ans d’intelligence
artificielle
« Ils ont appris aux
machines à apprendre »,
constate Rodolphe Gelin.
Cet expert en robotique
retrace vingt ans
d’innovation et le passage
à une nouvelle génération
d’IA avec le deep learning.
À travers des métaphores
intelligentes, il décrypte le
fonctionnement obscur,
voire inquiétant, de l’IA. •
Dernières nouvelles de l’intelligence artificielle,
éd. Flammarion (2022), 14 euros.
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les formations de
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02.2022 Université de Tours - Sid’com - A. Louault - Photos© : D. L. Tellier / P. Verzone / Adobestock
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