2023_03_22_EB_SY_Engendrer ou créer

Département Ethique biomédicale
Séminaire 2022-2024
« Engendrer ou Créer ? Vers l’Homme fabriqué »
Séance du 22 mars 2023
Intervenant :
P. Matthieu Villemot
« Le statut de l’embryon, enjeux pour aujourd’hui »
Intervenant :
P. Matthieu Villemot, professeur ordinaire de philosophie, Faculté Notre-Dame, Collège des Bernardins
Alors que notre société porte au pinacle l’évaluation, la notation, la statistique, comment imaginer que la
destruction massive d’embryons apparaisse comme une anomalie ? Respecter ce petit embryon, alors qu’il
est la forme la plus fragile de l’être humain, serait admettre que la dignité ne repose pas sur des performances
quantifiables et remettrait donc en cause notre société performative.
Afin de justifier cette prise de position, plusieurs aspects du sujet seront successivement traités : l’avortement
devenu un dogme, les divers contrôles exercées par notre société performative, l’anthropologie sous-jacente,
le rapport à l’embryon qui en découle et une rapide approche théologique.
Avant de se concentrer sur l’embryon à proprement parlé, il convient de regarder tout l’écosystème. Les
statistiques de l’INED montrent qu’une femme sur trois avortera dans sa vie. La quasi absence de politique
familiale et le peu de considération des enfants dans certains lieux (trains, églises…) ne favorisent pas
l’accueil d’enfants « non programmés ». Il est donc important de ne pas juger ces femmes, de ne pas alourdir
le fardeau de culpabilité ressenti par certaines, mais de comprendre comment nous sommes complices.
L’avortement est devenu un dogme dans notre société. Plusieurs éléments permettent de l’affirmer.
Les pares-feux de la loi Veil ont cédé un à un : délai de réflexion, délai maximum… Les faux positifs trouvés
lors du dépistage précoce de la trisomie 21 conduisent à des avortements en nombre. L’efficacité relative des
moyens de contraception induit un nombre non négligeable de grossesses non désirées. Les organismes
internationaux conditionnent fréquemment leur aide aux pays les plus pauvres sous réserve que le planning
familial (qui comporte la possibilité d’avorter) soit accepté. Le projet parental, indispensable à une PMA, est
porté par deux personnes, alors que la décision d’avorter ne revient qu’à la femme seule. Il faut aussi noter
que ce sujet fédère tous les courants féministes au contraire du voile, de la prostitution…
Une société de contrôle et de financiarisation.
Que ce soit par l’Etat ou les sociétés privées, tout est sujet à contrôle et le nombre de critères de ces contrôles
a explosé. Il faudrait être jeune, sexy, écolo, tolérant, moderne, inclusif, diététique… Les catholiques
n’échappent pas à cette tendance. Ils doivent faire de l’apostolat en paroisse, avoir lu le dernier écrit du pape,
faire des retraites sur la prière personnelle…. La pression est particulièrement forte sur les mères. Marlène
Schiappa a ainsi répandu le concept de « mamunisme », contraction de « maman » et communisme ». Les
mamunistes imposent leur vision de la mère parfaite : refus de la péridurale, nourriture infantile bio,
allaitement obligatoire…. Pascal Bruckner 1 explique que cette performance suprême conduit au bonheur. Le
bonheur devient donc un droit, un devoir moral qu’on va conquérir politiquement. Pour couronner le tout, il
y a une financiarisation. Ainsi élever un enfant de 0 à 20 ans coûte 180 000 euros. On met donc un chiffre
1
Pascal Bruckner, L’Euphorie perpétuelle, Essai sur le devoir de Bonheur, Grasser, Paris 2000.
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sur l’enfant. Sur le senior, on mettra un chiffre très élevé, « trop cher » pour les partisans de l’AMD. Quant
aux pauvres « les aides sociales coûtent un pognon de dingue » 2 .
Quelle est donc l’anthropologie sous-jacente ?
Elle est simple. La vie humaine ne vaut que sous condition. L’être humain est devenu un outil dans une
société hypertechnologique. De plus, il n’y a plus de temps « mort » puisque grâce à l’ordinateur et internet,
tous les instants peuvent être « exploités ».
Rapport à l’Embryon
L’embryon, état le plus fragile de l’être humain, ne sert à rien. Il est. Encore faut-il que son existence soit
perçue ce qui n’est souvent pas le cas dans les premiers jours de la grossesse. Ensuite, il « esclavagise » la
mère et celle-ci n’a aucun pouvoir de contrôle sur sa grossesse. Non seulement elle ne maîtrise pas les coups
de pied mais en plus, elle ne sait pas s’il sera le futur Carl Lewis ou un simple joggeur. Pour accepter ce petit
être en croissance, il faut donc admettre que l’homme vaut parce qu’il est homme. Mais l’embryon est-il
humain ? Pour cela il faut faire appel à la conscience réflexive et à la conscience préréflexive qui, pour
Husserl 3 , à une composante pulsionnelle. Cette pulsion fondamentale, non rationnelle commence à l’instant
0 puisque dès l’origine l’embryon est force d’auto-organisation.
Théologie
Comment Jésus entre-t-il dans cette société de performance ? Fuite en Egypte, tentation par Satan,
harcèlement par la foule, sueur de sang… Jésus est loin d’être un surhomme. Et les femmes de la Bible,
avortent-elles ? Aucun récit ne le rapporte mais nombreux sont les textes concernant la miséricorde de Dieu
pour les femmes : la prostituée épousée par le prophète Osée, la Samaritaine pardonnée par Jésus…
Finalement, la Bible montre surtout que l’homme est appelé dès sa conception : Jérémie, appelé dès le sein
de sa mère ; la Visitation…
Qu’en est-il de l’âme ? Saint Thomas d’Aquin nie la présence de l’âme dès la conception. Ainsi, pour la
Tradition, le corps humain mérite respect indépendamment de la question de l’âme. Si on met le corps au
centre, comme dans l’Eucharistie, il n’est pas possible d’avorter.
Pour conclure, nous affirmons que l’embryon est humain. Luc Boltanski écrit « La condition fœtale, c’est
la condition humaine ».
2
Emmanuel Macron, Le Monde, 13 juin 2018
3
Edmond Hussert, Téléologie universelle, Manuscrit E III 5, Ha XV, n°34, p. 593-597, trad. J. Benoist
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