François Gérard - Ste Thérèse

François GÉRARD (Rome, 1770 – Paris, 1837)
Sainte Thérèse d’Avila
1827
Huile sur toile, H. 172 ; L. 96cm
Paris, chapelle Sainte-Thérèse
HISTORIQUE
Donnée par l’artiste en 1828 à Céleste de Chateaubriand pour l’Infirmerie
Marie-Thérèse
EXPOSITIONS PRINCIPALES
Salon de 1828 ; De David à Delacroix : la peinture française de 1774 à 1830, Paris, Grand Palais,
1974 ; Paris Romantique 1815-1848, Paris, Petit Palais, 2019.
ŒUVRE EN RAPPORT
François Gérard, Sainte Thérèse d’Avila (esquisse), Chatenay-Malabry, maison de Chateaubriand, inv.
2014.2.1 (Fig. 1)
Cette toile de François Gérard fut destinée, dès sa commande, à orner les murs de la chapelle de
l’Infirmerie Marie-Thérèse, œuvre de charité fondée en 1819 par Céleste de Chateaubriand (Fig. 2) et
placée sous le patronage de la duchesse d’Angoulême, accueillant les prêtres souffrants et les « dames
de condition » en difficulté depuis la Révolution 1 . Dès la création de l’Infirmerie, l’épouse de
Chateaubriand désire embellir la chapelle et sollicite ses proches afin d’obtenir, gracieusement, un
ensemble de toiles. C’est ainsi que la commande d’une Sainte Thérèse d’Avila est passée à François
Gérard, premier peintre du roi et portraitiste de renom, par l’intermédiaire de Juliette Récamier.
En 1823, Céleste de Chateaubriand écrit à Mme Récamier :
« Vous êtes toujours, Madame, notre port dans la tempête. C’est donc encore à vos
bontés que j’ai recours pour tâcher de pénétrer dans les secrets de notre capricieux
immortel. Notre chapelle est prête, elle est charmante, il n’y manque plus que le tableau :
mais quand arriverai-t-il ? M. Gérard me l’avait positivement promis pour le premier
octobre. Je n’ose lui rappeler sa promesse, dans la crainte d’en reculer encore l’exécution.
Il n’y a donc que vous, Madame, qui, avec toutes vos séductions, puissiez l’amener à
achever sa charité promptement et de bonne grâce » 2 .
1
Louis XVIII approuva la demande de Céleste de placer l’Infirmerie sous la protection de Marie-Thérèse en
juillet 1819. En août, la Dauphine approuve le règlement général provisoire de l’institution rédigé par Céleste et
corrigé par l’archevêque de Paris, Mgr de Talleyrand-Périgord, supérieur et chef perpétuel de la maison.
2
Joseph Le Gras, Un complément aux Mémoires d’Outre-Tombe. Mémoires et lettres de Madame de
Chateaubriand, Paris, 1929, p. 237-238.

Céleste de Chateaubriand attend avec impatience ce tableau car elle lui destine une place de choix
dans la chapelle : dans l’abside derrière l’autel, éclairée par un jour ménagé dans la toiture 3 . Mais le
peintre n’est pas prompt à honorer sa commande : les insistances de Juliette Récamier n’y feront rien,
et le tableau tant attendu ne sera prêt qu’en 1828. Sainte Thérèse y est représentée adossée à une
colonne, un genou à terre, priant les mains jointes : le sujet, très sobre, est toutefois frappant par
l’intensité du regard de la sainte. Est-ce celui de Juliette Récamier dont les traits auraient pu servir de
modèle ? Une autre maîtresse de François-René de Chateaubriand aurait participé à l’élaboration de
la composition : Hortense Allart, pour les mains et les pieds de la sainte. Le jeu de lumière autour du
visage rappelle le traitement de certaines toiles de David : ainsi Thérèse sort de l’ombre, le reste de la
composition restant dans l’obscurité 4 .
Le tableau ne sera pas directement accroché dans la chapelle, suite à la parution d’un article du Globe,
en 1828 : ce journal informe ses lecteurs qu’un des meilleurs tableaux du peintre, cette sainte Thérèse
que le critique a pu admirer avec d’autres dans l’atelier de l’artiste, ne fera pas l’objet d’une exposition
publique. Cette annonce, reprise par plusieurs journaux, fait rapidement enfler la rumeur et provoque
des récriminations.
« La désolation fut pendant un jour dans tous les salons de la capitale. C’est un vol qu’on
nous fait disait-on partout ; si un grand homme appartient à l’univers entier, les ouvrages
d’un grand homme appartiennent à tout le monde ; de quel droit M. Gérard nous dérobet-il
notre bien ? » 5 .
Chateaubriand répond publiquement dans une lettre publiée dans Le Globe :
« Je viens de lire dans votre excellent journal l’article où vous avez annoncé la sainte
Thérèse de M. Gérard, ouvrage véritablement incomparable, et destiné par ce grand
peintre à l’hospice qui doit son établissement au zèle et à la charité de Madame de
Chateaubriand. Madame de Chateaubriand et moi, Monsieur, loin d’être avares du trésor
que l’on nous confie, désirons qu’il soit communiqué à tous. C’est dans ce sens que j’ai
répondu à une lettre que le comte de Forbin m’avait fait l’honneur de m’écrire. Je me
reprocherais trop de soustraire à sa juste renommée le nouveau chef-d’œuvre de M.
Gérard ; la gloire, en France, est une de nos libertés publiques ; tout le monde est appelé
à en jouir et à l’admirer » 6 .
L’œuvre est finalement exposée au Salon pour un laps de temps très court à la fin du Salon en mars
1828, grâce au Comte de Forbin qui en est l’organisateur, puis accrochée dans la chapelle dans la niche
prévue à cet effet. L’œuvre suscite l’enthousiasme du public comme de la critique, sensible à cette
représentation intimiste mais fervente de Sainte Thérèse, et devient une nouvelle icône de l’imagerie
religieuse.
3
Céleste de Chateaubriand le précise dans ses lettres à Juliette Récamier : « Si la niche destinée à la sainte ne
peut rien ajouter à un chef-d’œuvre, au moins elle ne le gâtera pas. Le jour est admirable, et la couleur du stuc
telle qu’un peintre la pourrait choisir ». Idem.
4
F. Cummings, Pierre Rosenberg et Robert Rosenblum (dir.), De David à Delacroix : la peinture française de
1774 à 1830 : [exposition, Paris], Grand Palais, 16 novembre 1974-3 février 1975 , Paris, 1974, p. 433-436.
5
A. Jal, Esquisses, croquis, pochades ou Tout ce qu’on voudra sur le Salon de 1827, Paris, 1828, p. 377.
6
François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, tome VI, p. 7.

Dans une lettre d’avril 1828, Chateaubriand écrit à Gérard et nous apprend que :
« la foule nous envahit, et nous allons être obligés d’annoncer des jours fixes, en attendant
le jour solennel de l’inauguration. J’attends ce jour avec impatience pour avoir l’occasion
de manifester au public ma haute admiration pour votre dernier chef-d’œuvre » 7 .
En 1838, les époux Chateaubriand cèdent l’Infirmerie à l’Archevêque de Paris, Mgr de Quelen. C’est un
crève-cœur pour Céleste qui doit s’éloigner de l’œuvre qu’elle a créée. Quelques années plus tard, en
1847, elle demande à être inhumée dans la petite abside de la chapelle, sous ce tableau, où elle repose
encore.
Caroline Morizot
Figure 1 : François Gérard, Sainte Thérèse d’Avila (esquisse), Chatenay-Malabry, maison de
Chateaubriand © CD92/Willy Labre
7
F. Cummings, Pierre Rosenberg et Robert Rosenblum (dir.), op.cit., p. 433.

Figure 2 : Céleste de Chateaubriand, La mère des pauvres, Paris, BnF