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Etude sur la formation du verlan dans la langue française

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Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 5-21 5<br />

<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong> 1<br />

Tahereh Khameneh Bagheri ∗<br />

Chargée d'enseignement à <strong>la</strong> faculté des lettres, Université Ferdowsi de Machhad,<br />

Iran<br />

(Date de réception: 26 Apr 2009, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

"Au moment où disparaissent le corse,<br />

le breton, l'argot de Pantruche, se crée<br />

sous nos oreilles un nouveau français,<br />

mixage de voix francophones, <strong>la</strong>ngue<br />

d'un nouveau terroir: celui des cités de<br />

transit, des bidonvilles et des terrains<br />

vagues. "(Seguin et Teil<strong>la</strong>rd, 1996, 82)<br />

Résumé<br />

Depuis une quinzaine d'années, un phénomène linguistique n'a cessé de po<strong>la</strong>riser<br />

l'attention vu sa vitalité et son dynamisme: c'est <strong>la</strong> propagation d'un parler qui a été<br />

baptisé le français contemporain des cités (FCC) ou, tout court, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue des cités qu'on<br />

nomme le "ver<strong>la</strong>n". Ce parler dont l'apparition date des années quatre-vingt-dix semble<br />

être une extension <strong>du</strong> français des jeunes qui avait connu une forte diffusion <strong>dans</strong> les<br />

années quatre-vingts et qui tendait à développer "sa composante (dominante)<br />

périphérique, ethnoculturelle" (Boyer, 2001, 76) A l'heure actuelle, le FCC pénètre<br />

progressivement <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue commune, transmis par les médias et le rap. On témoigne<br />

donc d'un épanouissement de <strong>la</strong> culture des cités qui est foncièrement pluriethnique et<br />

hybride. Cette culture se manifeste à travers l'art que ce soit le cinéma, <strong>la</strong> télévision ou <strong>la</strong><br />

pro<strong>du</strong>ction littéraire. L'objectif de ces notes sera donc d'aborder deux aspects <strong>du</strong> français<br />

actuel, l'argot et le ver<strong>la</strong>n. Nous expliquerons comment, quand et pourquoi ils sont<br />

utilisés.<br />

Mots- clés : Ver<strong>la</strong>n, Argot, Ver<strong>la</strong>niser, Banlieue, les Jeunes, Linguistique.<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Article extrait <strong>du</strong> projet de recherche intitulé "<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

<strong>française</strong>"<br />

∗ Tel:0511-8796829, Fax:0511-8416556 , E-mail: tkbagheri@ferdowsi.um.ac.ir


6 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

Le ver<strong>la</strong>n est utilisé régulièrement <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong>, bien avant le succès<br />

qu’il va rencontrer au XXe siècle. Le ver<strong>la</strong>n, c’est un argot de banlieues, un <strong>la</strong>ngage<br />

associé aux c<strong>la</strong>sses popu<strong>la</strong>ires. Il est cependant dé<strong>la</strong>issé <strong>dans</strong> les années 30 et ne<br />

réapparaît que ponctuellement <strong>du</strong>rant les années 70.<br />

Le ver<strong>la</strong>n redevient donc le parler à <strong>la</strong> mode <strong>dans</strong> les banlieues et se transmet de<br />

générations en générations. Il passe des blousons noirs de Renaud aux jeunes<br />

rappeurs qui explosent <strong>dans</strong> les années 80. Le ver<strong>la</strong>n devient un véritable "art de<br />

parler" pour cette jeunesse qui l’use pour se démarquer des générations précédentes.<br />

Le ver<strong>la</strong>n se pose en véritable marqueur social, les jeunes l'utilisent pour<br />

communiquer entre eux sans être compris des non-initiés.<br />

Le ver<strong>la</strong>n constitue <strong>la</strong> composante <strong>la</strong> plus dynamique des procédés formels.<br />

C'est une forme d'autodérision, mais à l'encontre de ce que nous pouvons croire,<br />

l'inversion des phonèmes se fait selon des règles et en fonction <strong>du</strong> nombre de<br />

syl<strong>la</strong>bes <strong>du</strong> terme concerné. Ce sont les adolescents des banlieues qui paraissent être<br />

les ver<strong>la</strong>nisateurs les plus compétents et les plus pro<strong>du</strong>cteurs. Ils jouent avec les sons<br />

et les syl<strong>la</strong>bes et n'hésitent même pas parfois à enfreindre les règles pour égarer leur<br />

entourage. Conscients qu'ils sont le centre d'intérêt des jeunes des c<strong>la</strong>sses moyennes<br />

et que leur <strong>la</strong>ngage est hyper-médiatisé, les adolescents les plus défavorisés<br />

renouvellent constamment leur lexique en rever<strong>la</strong>nisant les termes déjà ver<strong>la</strong>nisés.<br />

Le mouvement hip-hop1, notamment à travers des groupes phares comme NTM<br />

(Voir note 2), Assassins3 ou IAM (Voir note 4), va participer à "vulgariser" le<br />

ver<strong>la</strong>n et à le diffuser <strong>dans</strong> toutes les couches de <strong>la</strong> société. Le ver<strong>la</strong>n prend toute son<br />

ampleur <strong>dans</strong> le phrasé hip-hop qui réc<strong>la</strong>me un rythme et un ton bien particuliers.<br />

Les rappeurs se doivent de trouver le mot qui fait mouche d’où <strong>la</strong> nécessité de<br />

"transformer" certains mots.<br />

La belle <strong>la</strong>ngue de Molière serait-elle menacée ? Le français c<strong>la</strong>ssique a certes<br />

quelque chose de magique mais <strong>la</strong> vraie beauté d’une <strong>la</strong>ngue n’est-t-elle pas de<br />

savoir évoluer ? Le ver<strong>la</strong>n et les rappeurs, véritables poètes urbains, en sont les<br />

exemples parfaits.


<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 7<br />

Dans ce présent article, nous proposons une étude <strong>sur</strong> le ver<strong>la</strong>n en tant qu'un<br />

<strong>la</strong>ngage à part, de son origine et de son évolution au cours de ces dernières années<br />

pour en finir avec sa morphologie, sa structure et ses formes.<br />

L'historique <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n<br />

D’où vient le ver<strong>la</strong>n? Sûrement pas des cités de banlieue. Il n'est pas non plus né<br />

<strong>dans</strong> les prisons <strong>du</strong>rant les années 40, contrairement à ce qu'affirme Le Breton (Le<br />

Breton, 1985, 8). La première attestation <strong>du</strong> mot se trouve chez Esnault en 1953<br />

(Esnault, 1965, 426). Le procédé est en fait plus ancien : Lontou pour Toulon (début<br />

XIXe s.), Séquinzouil ou Louis XV (vers 1760), Bonbour pour Bourbon (1585)<br />

(Merle, 2006, 48) et au 17e siècle, l’expression un sans-souci, ce qui veut dire<br />

pauvre, est transformée en un sans-six sous. Dynamique au cours de <strong>la</strong> Seconde<br />

Guerre mondiale, le ver<strong>la</strong>n était exploité pour dérouter les Allemands. (Antoine,<br />

1998, 45)<br />

Plus généralement, le ver<strong>la</strong>n est un argot à clefs, il procède à des dé<strong>formation</strong>s<br />

de mots selon les mêmes principes que ces argots à cette différence près que le<br />

procédé principal de permutation repose <strong>sur</strong> l'inversion d'ensembles phonétiques ou<br />

graphiques et non plus simplement de phonèmes. Mais encore, le ver<strong>la</strong>n se rattache<br />

au genre plus vaste des jeux de <strong>la</strong>ngage comme l'anagramme. Or l'anagramme<br />

permet de brouiller <strong>la</strong> compréhension des mots et elle a été utilisée <strong>dans</strong> l'argot dès<br />

le XV e siècle. Marcel Schwob <strong>dans</strong> son Étude <strong>sur</strong> l'argot français (p.15) cite<br />

l'exemple de tabar (manteau) qui est l'anagramme de rabat (mot de même sens à<br />

l'époque) <strong>dans</strong> Le Petit Testament de François Villon (poème: XXIV).<br />

Dans une version médiévale de Tristan et Iseult, on trouve déjà une forme<br />

ver<strong>la</strong>nisée <strong>du</strong> nom de Tristan en « Tan-tris », lorsque le héros doit se faire passer<br />

pour un autre (Bédier, 1980, 182).<br />

Une démarche strictement synchronique attribue bien trop souvent l'invention<br />

ou l'usage <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n aux jeunes qui vivent <strong>dans</strong> les banlieues, de préférence<br />

parisiennes, généralement d'origine immigrée. Il s'agit là d'une vision étriquée, naïve<br />

et sans nuance de réalités bien plus complexes.


8 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Le succès <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n <strong>dans</strong> les couches popu<strong>la</strong>ires et jeunes de <strong>la</strong> société, son<br />

emploi <strong>dans</strong> les films ou les chansons a répan<strong>du</strong> l'usage <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n bien au-delà des<br />

quartiers défavorisés ou d'une partie de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Le ver<strong>la</strong>n est, sans aucun<br />

doute, l'un des procédés argotiques les plus pro<strong>du</strong>ctifs, mais c'est aussi parce qu'il est<br />

fortement typé, difficilement identifiable. Un grand nombre de termes ont donc été<br />

repris par des jeunes de tous milieux <strong>sur</strong> tout le territoire. Ils sont pour une part<br />

entrés <strong>dans</strong> le <strong>la</strong>ngage familier et onts, depuis vingt ans per<strong>du</strong>, leur connotation<br />

argotique.<br />

Parlé à l'origine <strong>dans</strong> les banlieues <strong>française</strong>s, boudé de <strong>la</strong> fin des années 1930 à<br />

celle des années 1970, le ver<strong>la</strong>n est aujourd'hui employé en France et popu<strong>la</strong>risé par<br />

certains chanteurs, comme Renaud <strong>dans</strong> "Laisse Béton" en1978 mais <strong>sur</strong>tout par les<br />

nombreux groupes de rap français, comme NTM ou Assassin, mais aussi quelques<br />

cinéastes (C<strong>la</strong>ude Zidi, Les Ripoux, 1984). À noter que Jacques Dutronc avait utilisé<br />

le ver<strong>la</strong>n en 1971 : J'avais <strong>la</strong> vellecère qui zéfait des gueuvas (J'avais <strong>la</strong> cervelle qui<br />

faisait des vagues). À l'époque, le chanson passa inaperçue.<br />

Au cours des années 1970 et 1980, le ver<strong>la</strong>n est couramment parlé <strong>dans</strong> les<br />

banlieues. Il a été constitutif d'une identité des habitants de ces banlieues. Après les<br />

blousons noirs (vêtement porté par les rockers et ancien synonyme de voyou) qui<br />

semblent avoir colporté ce <strong>la</strong>ngage des temps anciens, <strong>la</strong> nouvelle génération des<br />

jeunes de banlieues s’est appropriée celui-ci en l'intégrant à leur culture (Lepoutre,<br />

1997, 94).<br />

Le début des années 1990, marqué par l'émergence <strong>du</strong> mouvement hip-hop,<br />

représente le début d'une réintro<strong>du</strong>ction massive <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n <strong>dans</strong> le <strong>la</strong>ngage parlé en<br />

France et <strong>sur</strong>tout au sein des nouvelles générations. L'essor <strong>du</strong> rap a fortement<br />

contribué à <strong>la</strong> dissémination <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n <strong>dans</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>française</strong>.<br />

Le ver<strong>la</strong>n a permis aux amateurs de rap et aux rappeurs à <strong>la</strong> fois de se<br />

démarquer par leur différence culturelle et sociale et d'apporter une nouvelle identité<br />

plus marginale et souvent p<strong>la</strong>isante à l'âge adolescent. Les textes rappés sont parfois<br />

des <strong>la</strong>boratoires <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n : ils sont basés davantage <strong>sur</strong> le rythme et le ton que <strong>sur</strong><br />

les harmonies, les allitérations sont omniprésentes, ce qui pousse les rappeurs à


<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 9<br />

inventer au besoin des mots ou de popu<strong>la</strong>riser des mots en ver<strong>la</strong>n encore peu connus.<br />

Des groupes comme NTM, Sages Poètes de <strong>la</strong> Rue 5 ou encore le Ministère<br />

AMER 6 , précurseurs de <strong>la</strong> scène rap <strong>française</strong>, sont les principaux acteurs <strong>du</strong> retour<br />

<strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n <strong>dans</strong> le pays. Leurs contributions ont porté autant <strong>sur</strong> les néologismes<br />

ver<strong>la</strong>nisés que <strong>sur</strong> le rétablissement d'anciens termes déjà utilisés.<br />

En 2004, un certain ver<strong>la</strong>n (essentiellement constitué d'un vocabu<strong>la</strong>ire) a fini par<br />

être plus ou moins compris et utilisé par toutes les couches de <strong>la</strong> société, ce qui en<br />

fait un <strong>la</strong>ngage en cours de démocratisation loin de son image plutôt marginale<br />

initiale. Toutefois, il existe quelques poches géographiques <strong>dans</strong> lesquelles un ver<strong>la</strong>n<br />

très "pur"/"<strong>du</strong>r" est utilisé quotidiennement. Un tel <strong>la</strong>ngage associé à un accent<br />

particulier est as<strong>sur</strong>ément incompréhensible au non initié et rempli ainsi <strong>la</strong> fonction<br />

première d'un argot : ne pas être compris des non initiés.<br />

Le développement presque exponentiel des nouveaux moyens de<br />

communication, le SMS en tête, a ren<strong>du</strong> pratique le ver<strong>la</strong>n, notamment en raison <strong>du</strong><br />

caractère raccourci des formes ver<strong>la</strong>nisées bien plus rapides à taper <strong>sur</strong> des c<strong>la</strong>viers<br />

que leurs équivalents <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong> officielle. Ce<strong>la</strong> a con<strong>du</strong>it des<br />

représentants de couches sociales moyennes et élevées, grands consommateurs de<br />

ces nouveaux outils personnels de communication, à utiliser le ver<strong>la</strong>n et à le<br />

comprendre.<br />

Le mot "ver<strong>la</strong>n"<br />

"J'ai intro<strong>du</strong>it le ver<strong>la</strong>n en littérature <strong>dans</strong> Le Rififi chez les hommes, en 1954.<br />

Ver<strong>la</strong>n avec e comme envers et non ver<strong>la</strong>n avec a comme ils l'écrivent tous… Le<br />

verlen, c'est nous qui l'avons crée avec Jeannot de Chapiteau, vers 1940-41, le grand<br />

Toulousain, et un tas d'autres." (Le Breton, 1985, 8).<br />

Les jeunes en particulier aiment modifier les mots ordinaires pour s'amuser. Un<br />

jeu de mots popu<strong>la</strong>ires est le VERLAN, qui consiste à dire les syl<strong>la</strong>bes des mots à<br />

l'envers ("ver<strong>la</strong>n" est d'ailleurs le ver<strong>la</strong>n de "l'envers"), un peu comme le pig<strong>la</strong>tin en<br />

ang<strong>la</strong>is. Le ver<strong>la</strong>n consiste à créer des mots argotiques selon des procédés formels. Il<br />

s'agit d'un argot à clefs. Les formes sont codées selon des principes préétablis.


10 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Gaston Esnault (1965, 633) l'écrit vers-l'en, Auguste Le Breton verlen. (Le Breton,<br />

1985, 9).<br />

Mais derrière cette technique, à première vue re<strong>la</strong>tivement facile, d’inversion<br />

des syl<strong>la</strong>bes, le ver<strong>la</strong>n est en fait un jeu complexe qui nécessite de véritables<br />

prouesses linguistiques. Ce que confirme Vivienne Mé<strong>la</strong> pour qui « l’apparente<br />

simplicité <strong>du</strong> codage en ver<strong>la</strong>n se révèle d’une grande efficacité pour rendre le<br />

discours hermétique. Les règles de base semblent faciles à appliquer mais par le<br />

biais de <strong>la</strong> rever<strong>la</strong>nisation, par le jeu d’escamotage de certaines voyelles pour ré<strong>du</strong>ire<br />

ou pour augmenter le nombre de syl<strong>la</strong>bes <strong>du</strong> mot de départ, par le biais de <strong>la</strong><br />

troncation, les pistes sont aisément brouillées et l’interlocuteur qui croyait avoir<br />

compris le jeu se retrouve vite égaré »(Mé<strong>la</strong>, 1997, 23).<br />

La particu<strong>la</strong>rité <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n<br />

Le ver<strong>la</strong>n a toujours existé en France et <strong>dans</strong> d'autres pays, mais ce qu'il y a de<br />

particulier <strong>dans</strong> ce phénomène linguistique, c'est qu'il est à l'origine un code, un<br />

<strong>la</strong>ngage secret connu et utilisé seulement par des initiés pour diverses raisons,<br />

(identité de bande, pour ne pas être compris par toute autorité, trafic de drogues); or<br />

c'est un <strong>la</strong>ngage qui s'est propagé aux autres c<strong>la</strong>sses de <strong>la</strong> société et fait partie de <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ngue parlée par une majorité de gens aujourd'hui, (<strong>sur</strong>tout par les jeunes), à tel<br />

point que certains mots figurent même <strong>dans</strong> les dictionnaires les plus récents, (ex:<br />

keum, keuf, meuf, zarbi pour mec, flic, femme, bizarre respectivement) et <strong>la</strong> liste<br />

continue de s'allonger.<br />

Il est vrai que pratiqué avec dextérité, le ver<strong>la</strong>n n’est pas facile à déchiffrer par<br />

un « non-initié » (certains reportages consacrés aux jeunes des cités sont sous-titrés<br />

afin que le spectateur puisse comprendre ce qui est dit). De plus, il existe des<br />

différences qui opposent par exemple les cités de <strong>la</strong> banlieue parisienne à celles de <strong>la</strong><br />

province. Certains mots ont une validité <strong>dans</strong> un territoire et pas <strong>dans</strong> un autre, sont<br />

prononcés différemment selon le quartier d’où l’on vient, mais aussi <strong>la</strong> bande à<br />

<strong>la</strong>quelle on appartient. Certaines cités disent « ma reumé » pour ma mère ; d’autres<br />

cités utilisent « ma reum ».


La différence entre l'argot et le ver<strong>la</strong>n<br />

<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 11<br />

L'argot définit tout ce qui n'est pas standard, bien vu par <strong>la</strong> haute société. Il<br />

regroupe les mots grossiers, vulgaires, mais aussi des tournures de phrases comme<br />

(Schwob, 2003, 43):<br />

Ex : il se <strong>la</strong> pète un max.<br />

Le français correct pour cette phrase serait: il crâne. L'utilisation de l'argot ici<br />

est motivée par une recherche d'imagerie, une mise en valeur de <strong>la</strong> phrase en<br />

utilisant des mots riches en valeur humoristique.<br />

Le ver<strong>la</strong>n, lui, est aussi un jeu avec le <strong>la</strong>ngage qui fonctionne un peu comme un<br />

encodage <strong>du</strong> français en renversant les syl<strong>la</strong>bes d'un mot (Barreyre, 1989, 125):<br />

Ex: sicmu = musique (siquemu).<br />

Le développement de l'argot et <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n en France<br />

La <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong> a connu de nombreuses périodes de développement (<strong>la</strong><br />

Renaissance en est une) et de restriction (le C<strong>la</strong>ssicisme, par exemple). L'argot est<br />

issu de <strong>la</strong> grande soif de liberté linguistique <strong>du</strong> vingtième siècle (voir les Surréalistes<br />

et leurs successeurs). L'argot a toujours été <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue des bistrots ouvriers parisiens,<br />

auxquels bons nombres de films des années cinquante et soixante font référence et<br />

en ont propagé l'usage à travers <strong>la</strong> France.<br />

Le ver<strong>la</strong>n est aussi un phénomène parisien mais celui des banlieues. Paris a<br />

toujours été un mythe pour les français et beaucoup de nouvelles modes s'y sont<br />

développées. Les autres pays ne connaissent pas <strong>la</strong> même «centralisation urbaine» et<br />

n'ont donc pas le même développement linguistique. L'outil audio-visuel a beaucoup<br />

accéléré ce phénomène d'adoption par <strong>la</strong> province de toute nouveauté venue de<br />

Paris.<br />

Contrairement à l'emprunt de certains mots provenant de l'arabe, le ver<strong>la</strong>n a<br />

quitté le monde étroit des cités pour se propager à travers <strong>la</strong> France entière depuis<br />

que l'on s'intéresse à ce qui se passe <strong>dans</strong> les banlieues :<br />

"Hé<strong>la</strong>s pour les tireurs [voleurs], descendants des "tire-<strong>la</strong>ine," <strong>la</strong> France s'est<br />

mise à étudier ses cités. Des chanteurs comme Higelin, Lavilliers, Renaud, des


12 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

dessinateurs comme Margerin, parmi d'autres, ont popu<strong>la</strong>risé et poétisé "<strong>la</strong> zone,"<br />

ses mœurs, sa <strong>la</strong>ngue.<br />

Petit à petit, le ver<strong>la</strong>n pénètre <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong>. Dans <strong>la</strong> région parisienne,<br />

depuis 1985, il apparaît <strong>sur</strong> les affiches publicitaires - <strong>la</strong> mode chébran des Galeries<br />

Lafayette, <strong>la</strong> chetron sauvage <strong>du</strong> chanteur Renaud et les cuisines Gicavo (Vogica).<br />

Le succès <strong>du</strong> film Les ripoux a porté ce mot <strong>dans</strong> tous les coins de <strong>la</strong> France." (Mé<strong>la</strong>,<br />

1988, 48)<br />

L'argot et le ver<strong>la</strong>n peuvent être mé<strong>la</strong>ngés?<br />

fuck.<br />

Beaucoup de mots en ver<strong>la</strong>n sont «fabriqués» à partir de mots d'argot:<br />

Ex: keuf vient de flic qui est argotique.<br />

Notez que keuf tend maintenant à être rever<strong>la</strong>nisé en feuk, référence à l'ang<strong>la</strong>is<br />

Argot et ver<strong>la</strong>n se mé<strong>la</strong>ngent très bien et forment en fait un tout, une <strong>la</strong>ngue à<br />

part entière, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue des banlieues, en liaison avec <strong>la</strong> culture de banlieue,<br />

phénomène multiculturel et multiracial dont <strong>la</strong> France n'a conscience que depuis<br />

environ une dizaine d'années, (voir le mouvement Touche pas à mon pote, 1985-<br />

1986) 8 . Nous constatons aussi combien cette nouvelle culture est influencée par<br />

l'identification à <strong>la</strong> culture <strong>du</strong> ghetto 7 noir américain et par le hip-hop.<br />

D'argot de malfaiteurs, le ver<strong>la</strong>n est devenu <strong>la</strong>ngue d'adolescents, reprise façon<br />

mode par les publicitaires, voire par des personnalités <strong>du</strong> monde <strong>du</strong> spectacle sans<br />

pour autant perdre totalement son caractère illicite. (Mé<strong>la</strong>, 1988, 48)<br />

Le français banlieusard est également constitué d'emprunts, les mots provenant<br />

de toutes sortes de <strong>la</strong>ngues de communautés immigrées ou de l'anglo-américain,<br />

pour des raisons socioculturelles. Il y a ainsi de nombreux mots d'origine arabe tels<br />

que heps (de l'arabe haebs qui veut dire prison), maboul (de l'arabe mahbul qui veut<br />

dire fou), d'origine tsigane tels que chourav (<strong>du</strong> roumain čorav qui veut dire voler,<br />

dérober), marav (<strong>du</strong> roumain marav qui veut dire battre, frapper, tuer), d'origine<br />

anglo-américaine tels que cash (pour espèces), destroy (détruire), joint (cigarette de<br />

hachich), snifer (inhaler une drogue), flipper (avoir peur), shooter (donner un coup


<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 13<br />

de pied) – ces derniers cas avec l'ajout <strong>du</strong> suffixe -er (voir I, 1.3) (Goudaillier, 1997,<br />

18-21).<br />

Voltaire et le ver<strong>la</strong>n<br />

L'un des plus beaux fleurons historiques <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n nous est donné par l'usage<br />

qu'en faisait Voltaire. L’illustre écrivain <strong>du</strong> XVIe siècle pratiquait le ver<strong>la</strong>n. Il s'en<br />

servait <strong>sur</strong>tout pour les sobriquets; par exemple il appe<strong>la</strong>it Diderot, "P<strong>la</strong>ton", par<br />

f<strong>la</strong>tterie, mais vou<strong>la</strong>nt parler de l'encyclopédiste <strong>dans</strong> ses lettres sans qu'on pût<br />

l'identifier, il le nomma brusquement "monsieur Tomp<strong>la</strong>", ce qui est <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n pur et<br />

<strong>du</strong>r !<br />

Au reste, et ce<strong>la</strong>, beaucoup de gens l'ignorent, le nom lui-même "Voltaire" que<br />

l'écrivain avait choisi pour pseudonyme, provient d'une construction en ver<strong>la</strong>n. C'est<br />

le ver<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> petite ville d'Airvault, <strong>dans</strong> les Deux Sèvres, région dont il était<br />

originaire. Airvault a fourni Vault-air, que l'homme de lettres figno<strong>la</strong> en Voltaire !<br />

(Merle, 2006, 48)<br />

Morphologie <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n<br />

Le mot ver<strong>la</strong>n est lui-même le ver<strong>la</strong>n de l’envers. Le ver<strong>la</strong>n est essentiellement<br />

une <strong>la</strong>ngue orale. Assez rarement, il respecte l’orthographe d’origine des mots<br />

« ver<strong>la</strong>nisés ». Exemples :<br />

● chébran = branché<br />

● ouf = fou<br />

● tromé, trom’ = métro<br />

● à donf’ = à fond<br />

Le plus souvent, l’écriture d’un mot en ver<strong>la</strong>n est une reconstruction plus ou<br />

moins phonétique à partir de sa prononciation. Exemples :<br />

● <strong>la</strong>isse béton = <strong>la</strong>isse tomber<br />

● relou = lourd (pour signifier ennuyeux)<br />

● zarbi = bizarre<br />

● zyva = vas-y


14 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Lorsqu’il faut intro<strong>du</strong>ire en début de mot une syl<strong>la</strong>be, qui, <strong>dans</strong> le mot ver<strong>la</strong>nisé,<br />

se ré<strong>du</strong>it à une consonne finale ou à un «e muet», on ajoute généralement <strong>la</strong><br />

voyelle eu et on perd <strong>la</strong> voyelle d’origine. Exemples :<br />

● feuj = juif<br />

● keuf = flic<br />

● keum = mec<br />

● meuf = femme<br />

● chelou = louche<br />

● teuf = fête<br />

Parfois, l’usage fait apparaître des mots qui sont le ver<strong>la</strong>n d’un ver<strong>la</strong>n. On<br />

appelle parfois cette construction un double ver<strong>la</strong>n. Exemple :<br />

● Arabe → beur → reubeu ou rebeu<br />

On retrouve l’ordre des consonnes <strong>du</strong> mot d’origine, mais les voyelles ont été<br />

modifiées.<br />

Certains mots en ver<strong>la</strong>n sont même d’origine étrangère (Bagheri, 2006) :<br />

● despi = rapidement, vient de speed (vitesse) en ang<strong>la</strong>is<br />

● keub<strong>la</strong> = noir, nègre, vient de b<strong>la</strong>ck en ang<strong>la</strong>is<br />

● deublé = pays, région, vient de bled en arabe<br />

Ver<strong>la</strong>n et linguistique<br />

Le ver<strong>la</strong>n bien que connotant souvent un manque d’é<strong>du</strong>cation et un usage<br />

marginal de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue est cependant linguistiquement très riche et hautement<br />

intéressant. Le passage d’une <strong>la</strong>ngue officielle à son envers ou ver<strong>la</strong>n se décompose<br />

en trois opérations :<br />

● Découpage <strong>du</strong> mot en syl<strong>la</strong>bes.<br />

● Inversion syl<strong>la</strong>bique.<br />

● Troncature ou élision <strong>du</strong> (« nouveau ») mot.<br />

● Le découpage en syl<strong>la</strong>bes<br />

C’est l’opération d’apparence <strong>la</strong> plus simple mais bien identifier les syl<strong>la</strong>bes


<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 15<br />

<strong>dans</strong> un mot n’est pas, pour tout un chacun, une opération évidente. Le mot ou<br />

expression est découpé en deux parties. C'est l'usage et <strong>la</strong> facilité à prononcer le mot<br />

final qui semblent être les principaux facteurs déterminant l'endroit de cette coupure.<br />

On peut trouver quelques règles, qui ne sont pas toujours vérifiées : <strong>la</strong> séparation se<br />

situe en général avant <strong>la</strong> syl<strong>la</strong>be accentuée <strong>sur</strong> les mots de plus de deux syl<strong>la</strong>bes; les<br />

deux parties sont de taille approximativement égale. Sur les mots de deux syl<strong>la</strong>bes,<br />

<strong>la</strong> séparation se situe presque toujours entre les deux syl<strong>la</strong>bes.<br />

● Inversion syl<strong>la</strong>bique<br />

C’est l’opération d’apparence <strong>la</strong> plus complexe mais comme aucune règle<br />

officielle n’existe pour le ver<strong>la</strong>n, il demeure toujours sujet aux préférences<br />

personnelles et un même mot peut avoir plusieurs équivalents différents en ver<strong>la</strong>n.<br />

Une fois le mot découpé, on intervertit les deux parties. Cette inversion caractérise<br />

le ver<strong>la</strong>n, en ce sens qu'elle est présente <strong>dans</strong> toute construction d'un mot de ver<strong>la</strong>n,<br />

et qu'un mot formé au moyen de cette inversion est un mot de ver<strong>la</strong>n.<br />

Cas des mots monosyl<strong>la</strong>bes<br />

Le mot n’étant composé que d’une unique syl<strong>la</strong>be il est impossible de l’inverser<br />

alors l’inversion a lieu au niveau des phonèmes composant <strong>la</strong> syl<strong>la</strong>be.<br />

Ex : « ça » devient en ver<strong>la</strong>n « ace » (prononcer « asse »).<br />

Il est remarquable d’observer que l’habituelle élision de <strong>la</strong> voyelle n’a pas lieu.<br />

Dans ce cas, on procède à un ajout de voyelle afin que le mot en ver<strong>la</strong>n ne finisse<br />

pas <strong>sur</strong> un son sec de consonne.<br />

Cas des mots composés de deux syl<strong>la</strong>bes<br />

C’est le cas le plus simple. La dernière syl<strong>la</strong>be passe en tête alors que <strong>la</strong><br />

première se retrouve en queue. C’est l’inversion basique.<br />

Ex.: bizarre devient en ver<strong>la</strong>n "zarbi"


16 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Cas des mots composés de trois syl<strong>la</strong>bes ou plus<br />

Dès que le mot est composé de trois syl<strong>la</strong>bes ou plus, on franchit le seuil de<br />

complication:<br />

Rotation<br />

Fonctionne uniquement pour les mots composés d’un nombre impair de<br />

syl<strong>la</strong>bes, <strong>la</strong> syl<strong>la</strong>be centrale sert d’axe et reste à <strong>la</strong> même position alors que les<br />

syl<strong>la</strong>bes de queue passent en tête et vice-versa.<br />

Ex : « carnaval » composé de « car » « na » « val » devient en ver<strong>la</strong>n : « valnacar »<br />

- Fusion syl<strong>la</strong>bique<br />

Parfois <strong>la</strong> rotation donnant un résultat peu agréable à l’oreille, il est préférable<br />

de fusionner deux syl<strong>la</strong>bes afin de ré<strong>du</strong>ire le nombre de syl<strong>la</strong>bes <strong>du</strong> mot.<br />

Ex : « voiture » composé de « voi » « tu » « re » en fusionnant « tu » et « re » on<br />

obtient <strong>la</strong> syl<strong>la</strong>be « tur » on dispose alors de « voi » et de « tur » inversion simple<br />

comme pour un mot de deux syl<strong>la</strong>bes devient en ver<strong>la</strong>n « turvoi ». Il est<br />

remarquable d’observer l’élision <strong>du</strong> « e » lors de <strong>la</strong> fusion.<br />

Inversion subjective<br />

Toujours <strong>dans</strong> un souci de p<strong>la</strong>isir auditif puisque le ver<strong>la</strong>n est <strong>sur</strong>tout un <strong>la</strong>ngage<br />

oral, il est souvent procédé à une inversion décidée de manière subjective.<br />

Ex : « cigarette » composé de « ci » « ga » « ret » « te » devient en ver<strong>la</strong>n<br />

« garet’ci » Seule <strong>la</strong> syl<strong>la</strong>be de tête a en fait été inversée en passant en queue.<br />

-Inversion objective ou totale<br />

Dans ce schéma, toutes les syl<strong>la</strong>bes constituant le mot original sont inversées,<br />

c’est-à-dire qu’à <strong>la</strong> fin de l’inversion, aucune syl<strong>la</strong>be n’est au même endroit<br />

qu’avant l’inversion.<br />

Ex : « arnaque » composé de « ar » « na » « que » devient en ver<strong>la</strong>n « qu’arna »<br />

Il est remarquable d’observer l’élision de e lors de l’inversion.


Le troncage<br />

<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 17<br />

Très souvent <strong>la</strong> trans<strong>formation</strong> d’un mot en ver<strong>la</strong>n est accompagnée d’une<br />

élision, cette dernière peut concerner une lettre unique ou un groupe de lettres,<br />

principalement et en majorité des voyelles.<br />

Ex : « femme » composé de « fem » « me » devient « mefem » et après élision le<br />

mot devient « mef » ou « meuf », <strong>dans</strong> ce cas, voyelle et consonne finales sont<br />

élidées.<br />

Souvent, on a une resuffixation après troncation. Il s'agit ici d'un procédé<br />

typiquement argotique (l'argot traditionnel étant bien connu par ses resuffixations,<br />

entre autres, en -os (crados, calmos), en -ard (conard), en -oche (cinoche), en -otte<br />

(chiotte) etc.) (Goudaillier, 1997, 28)<br />

● L'apocope<br />

Ce procédé consiste <strong>dans</strong> <strong>la</strong> suppression de <strong>la</strong> dernière ou des dernières syl<strong>la</strong>bes<br />

d'un mot, pour n'en garder que <strong>la</strong> première. Par exemple, dégoutant devient deg,<br />

rediffusion devient redif, négociation devient nego, homosexuel devient homo,<br />

personnel devient perso, mobylette devient mob, matin devient mat, catastrophe<br />

devient cata, provocation devient provoc, appartement devient appart, faculté<br />

devient fac, comme d'habitude devient comme d'hab, reufre (ver<strong>la</strong>n de frère) devient<br />

reuf, tromé (ver<strong>la</strong>n de métro) devient trom, adolescent devient ado, fluorescent qui<br />

devient fluo, etc. (Goudaillier, 1997, 26-27).<br />

Il arrive parfois que l'on ajoute une terminaison comme par exemple pour<br />

propriétaire qui devient proprio, alcoolique qui devient alcoolo, intelligent devient<br />

intello ou africain qui devient afro, etc.<br />

Certains néologismes sont même formés par abréviation et dérivation, comme<br />

par exemple pour le mot matos qui vient de matériel.<br />

Enfin, il arrive parfois qu'il y ait des abréviations d'abréviations, tels que crade,<br />

de crado, lui-même de cradingue (sale en argot), ou encore faf, de fafa, facho, lui-<br />

même de fasciste.


18 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

L'aphérèse<br />

On assiste ici au procédé inverse de l'apocope, c'est à dire à <strong>la</strong> suppression de <strong>la</strong><br />

première ou des premières syl<strong>la</strong>bes d'un mot (ce procédé est appliqué depuis<br />

longtemps). Ainsi, problème devient blème, racaille devient caille, algérien devient<br />

rien, etc. (Goudaillier, 1997, 27)<br />

La rever<strong>la</strong>nisation<br />

N'oublions pas que le ver<strong>la</strong>n est un <strong>la</strong>ngage secret. Lorsqu'un mot en ver<strong>la</strong>n<br />

passe <strong>dans</strong> les autres couches de <strong>la</strong> société et qu’il devient accessible à <strong>la</strong> majorité de<br />

<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, il faut donc le réencoder, le «rever<strong>la</strong>niser» pour être le plus<br />

méconnaissable possible des autres.<br />

Un mot peut aussi être "rever<strong>la</strong>nisé":<br />

Ex: arabe → beara → beur → reub<br />

femme → meuf → feum<br />

Conclusion<br />

Le français contemporain des cités (FCC) ne peut en aucun cas être sous-estimé.<br />

C'est un chantier à peine ouvert, mais c'est également un parler qui constitue en soi<br />

un phénomène et qui doit être pris en considération. Les linguistes le considèrent<br />

comme un élément <strong>du</strong> patrimoine linguistique culturel. Investi <strong>dans</strong> les films,<br />

véhiculé par les médias et récupéré par les jeunes, le FCC a dépassé les frontières<br />

des cités. Son évolution s'impose comme une évidence. Il a une visibilité importante<br />

et il est utilisé malgré les réserves des bien-pensants.<br />

Le FCC a pris les devants et même ses détracteurs choqués, au début, ont fini<br />

par l'accepter, le tolérer et l'adopter. C'est un parler qu'on aime et qu'on corrige,<br />

qu'on attaque et qu'on utilise, qu'on réprimande et qu'on admire (Seguin, 1996, 197).<br />

Note<br />

1-Le hip-hop est un mouvement culturel et artistique apparu aux États-Unis<br />

d’Amérique <strong>dans</strong> le secteur New Yorkais au début des années 1970 qui mêle des


<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 19<br />

aspects festifs et revendicatifs. Originaire des ghettos noirs de New York, il se<br />

répandra rapidement à l'ensemble <strong>du</strong> pays puis au monde entier au point de devenir<br />

<strong>la</strong> culture urbaine actuellement dominante.<br />

2-Suprême NTM (ou simplement NTM) est un groupe de rap français, formé<br />

en 1988, dissout en 1998, puis reformé en 2008. Le groupe est principalement<br />

composé des deux rappeurs Joey Starr et Kool Shen. Le groupe est ouvertement<br />

critique <strong>sur</strong> le racisme et les inégalités de c<strong>la</strong>sse <strong>dans</strong> <strong>la</strong> société <strong>française</strong>. Alors que<br />

sa musique est violente à ses débuts, plus tard, certains de leurs refrains, tels que<br />

« Pose ton Gun », seront explicitement anti-violents.<br />

3- Assassin est un groupe de rap français formé en 1985. Assassin est un groupe<br />

de rap indépendant désirant mener, par l'intermédiaire <strong>du</strong> rap, un combat contre le<br />

système médiatique et politique.<br />

Assassin fait souvent référence aux racines <strong>du</strong> rap en rappe<strong>la</strong>nt à son auditoire<br />

les fondements de <strong>la</strong> culture hip hop : ils rejettent toutes sortes de sectarisme et<br />

appellent au respect, à l'amour, à l'unité et à l'é<strong>du</strong>cation.<br />

4- IAM est un groupe de rap français, originaire de Marseille, créé en 1989.<br />

Outre <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction anglophone de « je suis », le sigle IAM a plusieurs<br />

significations : « Imperial Asiatic Men » (référence à leur fascination pour l'Egypte),<br />

« Indépendantistes Autonomes Marseil<strong>la</strong>is », « Invasion Arrivée de Marseille » ou<br />

encore « Italien Algérien Malgache ».<br />

5- Les Sages Poètes de <strong>la</strong> Rue est un groupe de Hip Hop français qui a<br />

profondément influencé et continue d’influencer <strong>la</strong> scène musicale que ce soit à<br />

travers leur travail collectif ou leurs carrières solos.<br />

6- Le Ministère A.M.E.R. (rétro-acronyme de Action, Musique Et Rap) est un<br />

groupe de rap français originaire de Sarcelles qui est connu pour ses paroles<br />

radicales.<br />

7- Le Ghetto est un terme désignant un quartier juif, quartier qui leur était<br />

souvent à <strong>la</strong> fois réservé et imposé. Par extension, ce terme s'est appliqué à partir de<br />

<strong>la</strong> fin <strong>du</strong> XIXe siècle à tout quartier <strong>dans</strong> lequel se trouve une forte concentration<br />

d'une minorité ethnique, culturelle, ou religieuse, par choix ou par contrainte.


20 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

L'usage moderne <strong>du</strong> terme a souvent une connotation péjorative de difficulté et de<br />

ségrégation sociale, voire de réclusion, <strong>dans</strong> un environnement urbain généralement<br />

dégradé.<br />

8- Le mouvement Touche pas à mon pote est un mouvement antiraciste qui<br />

connaît son heure de gloire <strong>dans</strong> <strong>la</strong> seconde moitié des années 80. D'autres visuels<br />

reprenaient ce message unanimiste : un Palestinien et un Juif bras dessus bras<br />

dessous, une main b<strong>la</strong>nche et une main noire tenues par <strong>la</strong> même paire de menottes.<br />

Reçu en France comme une contribution au combat antiraciste, alors que le Front<br />

national défraie <strong>la</strong> chronique, le message aura l'effet opposé aux Etats-Unis où il sera<br />

compris comme un clin d'œil nostalgique au temps de l'esc<strong>la</strong>vage.<br />

Bibliographie<br />

Antoine Fabrice, Des mots et des oms : ver<strong>la</strong>n, troncation et recyc<strong>la</strong>ge formel <strong>dans</strong><br />

l'argot contemporain, Cahiers de lexicologie, 72-1, 1998.<br />

Bagheri Tahereh, Petit dictionnaire des mots et des expressions de l'argot, 2006.<br />

Barreyre Jean-Yves, Le ver<strong>la</strong>n, Adolescence, t. 7/2, 1989, pp. 124-140<br />

Bedier Josephe, Le roman de Tristan et Iseut, Editions d'Art H. Piazza, Paris, 1946.<br />

Billiez J., Trimaille C., Langues, variations et insertion sociale : réflexion autour<br />

d'actions de médiation en contextes sco<strong>la</strong>ire et extrasco<strong>la</strong>ire ”, Langage et société, nº<br />

98, décembre 2001, pp105-127<br />

Boyer, Henri, "Le français des jeunes vécu/vu par les étudiants, enquêtes à Montpellier,<br />

Paris, Lille" Langage et société, n: 95, mars 2001, Paris, Maison des Sciences de<br />

l'homme.<br />

Calvet Louis-Jean, Les voix de <strong>la</strong> ville - Intro<strong>du</strong>ction à <strong>la</strong> sociolinguistique urbaine,<br />

Payot, Paris, 1994.<br />

Esnault Gaston, Dictionnaire historique des argots français, Larousse, paris, 1965.<br />

Goudaillier Jean-Pierre, Comment tu tchatches ! - Dictionnaire <strong>du</strong> français contemporain<br />

des cités, Maisonneuve & Larose, 2ème édition, Paris, 1998.<br />

Le Breton Auguste, Le monde, déc. 1985, pp. 8-9<br />

Lepoutre David, Cœur de banlieue - Codes, rites et <strong>la</strong>ngages, Éditions Odile Jacob,<br />

Paris, 1997.<br />

Mé<strong>la</strong> Vivienne, "Ver<strong>la</strong>n 2000", Revue Langue <strong>française</strong>, 1997, nº114, pp. 16-34<br />

Mé<strong>la</strong> Vivienne, "Parler ver<strong>la</strong>n: règles et usages." Langage et Société 45,1988, pp.47-72.


<strong>Etude</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> ver<strong>la</strong>n ... 21<br />

Merle Pierre, Argot, ver<strong>la</strong>n et tchatches, Editions Mi<strong>la</strong>n, Toulouse, 2006.<br />

Schwob Marcel & Guieysse Georges, Étude <strong>sur</strong> l'argot français, Éditions <strong>du</strong> Boucher,<br />

2003.<br />

Seguin Boris & Teil<strong>la</strong>rd Frédéric, Les céfrans parlent aux français. Chronique de <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ngue des cités, Editions seuil, Paris, 1998.


Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 23-41 23<br />

Typologie des erreurs orthographiques des étudiants<br />

iraniens en <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong><br />

Rouhol<strong>la</strong>h Rahmatian ∗<br />

Maître Assistant, Département de français, Faculté des sciences humaines,<br />

Université Tarbiat Modares<br />

Katayoon Katoozian ∗∗<br />

Master en didactique <strong>du</strong> français<br />

(Date de réception: 02 Dec 2007, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

Résumé<br />

Étant donné l’importance d’une orthographe correcte <strong>dans</strong> l’écriture <strong>du</strong> français, cette<br />

étude s’est penchée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> typologie des erreurs orthographiques des étudiants iraniens en<br />

<strong>la</strong>ngue <strong>française</strong> selon les grilles typologiques de l’équipe C.N.R.S.-H.E.S.O. 1 tout en<br />

précisant <strong>la</strong> répartition de chaque type d’erreur. Notre étude, réalisée <strong>sur</strong> 85 étudiants<br />

iraniens en <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong> <strong>dans</strong> trois universités de Téhéran a révélé que les erreurs<br />

orthographiques des étudiants déjà mentionnés se divisent en erreurs à dominantes<br />

phonogrammiques, morphogrammiques, logogrammiques, erreurs touchant les lettres<br />

historiques et étymologiques et les erreurs à dominante idéogrammique. Les erreurs les<br />

plus fréquentes sont les erreurs à dominante phonogrammique et les autres ont une<br />

fréquence de répartition moins élevée. Cette découverte confirme également les résultats<br />

obtenus pour un mot particulier (« horizon »), commun entre notre test et celui pris par<br />

l’équipe C.N.R.S. (fait <strong>sur</strong> 476 élèves français).<br />

Mots-clés: Typologie, Erreurs Orthographiques, Système Orthographique, Étudiants<br />

Iraniens, Langue Française.<br />

__________________________________________________________________<br />

∗ Tel: 021-88011001, Fax: 88011001, E-mail: rahmatir@modares.ac.ir<br />

∗∗ Tel: 021-88011001, Fax: 88011001, E-mail: katayoon.katoozian@modares.ac.ir<br />

1- C.N.R.S.-H.E.S.O. : Centre national de <strong>la</strong> recherche scientifique-Histoire et structure de<br />

l’orthographe


24 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

«Dis-moi ton orthographe, et je te dirai <strong>la</strong> qualité de ta sco<strong>la</strong>rité.» (Niquet, 1991,<br />

121) ; « L’orthographe est <strong>la</strong> politesse de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue », dit « Jean Guéhenno » 1 (cité<br />

par Huchon 1992 10). Tel est un peu ce que pensent les Français, même si le<br />

jugement est outré. L’orthographe est un code commun à une communauté<br />

linguistique donnée. Ce code a pour fonction première de permettre aux membres de<br />

cette communauté de se comprendre. En raison de cette fonction, et en raison aussi<br />

d’un passé culturel, l’orthographe a une valeur sociale. Tel est son statut <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

société.<br />

La lisibilité d’un texte et le degré de <strong>la</strong> facilité de sa compréhension dépendront<br />

<strong>la</strong>rgement <strong>du</strong> respect des règles orthographiques de <strong>la</strong> part <strong>du</strong> scripteur. D’une dictée<br />

traditionnelle à une prise d’un cours emprunt d’un c<strong>la</strong>sseur ; d’une simple lettre<br />

amicale à une dissertation volumineuse, les étudiants se trouvent davantage face à<br />

cette nécessité qu’est « bien orthographier » (Gey, 1979, 112).<br />

«L’orthographe peut être enseignée pour savoir lire et écrire le français. C’est<br />

une fonction d’utilité immédiate, pour <strong>la</strong>quelle des moyens immédiats peuvent être<br />

mis en action. Elle peut également être enseignée pour autre chose qu’elle-même, en<br />

tant qu’accès aux <strong>la</strong>ngues anciennes ou à <strong>la</strong> littérature. Finalement, on peut tenter de<br />

lui rendre sa juste p<strong>la</strong>ce en tant que forme nationale d’écriture d’une <strong>la</strong>ngue,<br />

comparable en importance (et en complexité) à <strong>la</strong> prononciation pour l’oralité»<br />

(Catach, 1998, 110, 111).<br />

«La forme <strong>du</strong> français écrit est très lointaine de <strong>la</strong> forme <strong>du</strong> français oral. En<br />

d’autres termes, en français, il existe deux <strong>la</strong>ngues différentes, bien distinctes »<br />

(Arrivé 19). Chez l’homme, « <strong>la</strong> prédominance de <strong>la</strong> vision <strong>sur</strong> l’audition et <strong>sur</strong><br />

l’olfaction » (Buridant & Pel<strong>la</strong>t dir.,1994, 77) est évidente d’où <strong>la</strong> primauté de l’oral<br />

et <strong>la</strong> secondarité de l’écrit.<br />

Les difficultés de l’orthographe <strong>française</strong> proviennent « d’une part de l’écart<br />

entre <strong>la</strong> prononciation et l’écriture et d’autre part, des écueils que l’on rencontre<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Jean Guéhenno (1890-1978) : Écrivain français. Il est l’auteur d’essais, de journaux et de<br />

Mémoires.


Typologie des erreurs orthographiques ... 25<br />

<strong>dans</strong> <strong>la</strong> recherche de <strong>la</strong> solution correcte » (Bescherelle, 1980, 4). Dans une <strong>la</strong>ngue<br />

aussi «faite pour l’œil», l’orthographe est évidemment liée en plusieurs points à <strong>la</strong><br />

structure profonde et « ne peut être négligée sans dommage » (Burney, 1995, 48).<br />

Typologie des erreurs orthographiques : une brève historique<br />

Le système orthographique français est un système composé de cinq zones<br />

principales à savoir les phonogrammes, les morphogrammes (lexicaux et<br />

grammaticaux), les logogrammes (lexicaux, grammaticaux, de discours), les lettres<br />

étymologiques et historiques, les idéogrammes. Ce sont ces zones constitutives <strong>du</strong><br />

système orthographique français qui régissent l’écriture des mots. Donc, afin de<br />

pouvoir bien orthographier un mot quelconque, il faudra bien connaître ces cinq<br />

zones principales et les lois les concernant. Ce<strong>la</strong> va de soi que si un mot est « mal<br />

orthographié » ou s’il est porteur d’erreurs orthographiques, c’est que l’une (ou<br />

plusieurs) de ces zones est (sont) touchée(s). Or, les erreurs orthographiques peuvent<br />

se répartir selon ces cinq composantes <strong>du</strong> système de l’orthographe <strong>française</strong>.<br />

Une telle répartition a été déjà faite par l’équipe C.N.R.S.-H.E.S.O. au cours des<br />

années 80 (1981-1982 pour être plus précis), à travers un immense test fait <strong>sur</strong> 476<br />

élèves <strong>dans</strong> un collège de <strong>la</strong> région parisienne. La typologie mise au point par cette<br />

équipe est <strong>la</strong> plus exacte, bien codifiée et structurée qui permet de répertorier très<br />

précisément les erreurs d’orthographe. Cette typologie montre c<strong>la</strong>irement <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de<br />

chaque type d’erreur selon les cinq zones constitutives <strong>du</strong> système orthographique<br />

français.<br />

Cependant, il est à noter que, d’autres chercheurs, tant français qu’étrangers, ont<br />

essayé, à leur tour, de c<strong>la</strong>ssifier et d’étudier les erreurs d’orthographe ; ce<strong>la</strong> <strong>dans</strong> le<br />

but d’établir une grille typologique d’erreurs spécifiques au français <strong>la</strong>ngue<br />

étrangère. La première grille établie, pionnière <strong>dans</strong> ce domaine, est « l’analyse des<br />

fautes d’orthographe d’usage » de « J.Lambert », effectuée <strong>dans</strong> le cadre <strong>du</strong><br />

Laboratoire expérimental <strong>du</strong> professeur « R.Buyse », publiée en 1947 (Buridant &<br />

Pel<strong>la</strong>t dir., 1994, 24). Grâce aux travaux de l’équipe H.E.S.O. <strong>du</strong> C.N.R.S. (sous<br />

l’impulsion de « N.Catach »), qui ont projeté une lumière bien intense <strong>sur</strong> le système


26 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

graphique <strong>du</strong> français, des grilles typologiques, plus exactes et scientifiques, ont vu<br />

le jour. La grille <strong>la</strong> plus complète de cette série, comme nous venons de le citer et<br />

comme nous allons <strong>la</strong> présenter minutieusement <strong>dans</strong> les parties suivantes, est sans<br />

doute celle de l’équipe déjà mentionnée, publiée <strong>dans</strong> le n°25 de <strong>la</strong> revue Pratique<br />

en 1979. Une autre grille typologique des fautes, spécifiques au français <strong>la</strong>ngue<br />

étrangère a été é<strong>la</strong>borée par « F.Debyser », « M.Houis » et « C.Rojas » à partir d’une<br />

vaste enquête menée <strong>dans</strong> plusieurs pays de l’Afrique francophone. « M.Rey von<br />

Allmen » est un autre chercheur qui, à partir d’une enquête auprès d’adolescents<br />

migrants hispanophones et italianophones, a établi sa typologie d’erreurs<br />

orthographiques. Mais précisons encore une fois que <strong>la</strong> plus convenable de toutes<br />

ces typologies reste celle établie par l’équipe C.N.R.S.-H.E.S.O. d’où toutes les<br />

autres grilles ont été ressorties.<br />

Présentation de <strong>la</strong> typologie des erreurs orthographiques mise au point par<br />

l’équipe C.N.R.S.-H.E.S.O.<br />

Cette typologie comporte sept ensembles dont les éléments sont c<strong>la</strong>ssés en<br />

fonction de dominantes calligraphiques, phonétiques, phonologiques,<br />

morphologiques, logogrammiques, étymologiques, idéographiques. À chacun de ces<br />

ensembles est attribué un indice particulier dont <strong>la</strong> justification se présente ainsi :<br />

A. INDICE 0<br />

Mal<strong>formation</strong>s ou incohérences concernant le tracé et l’enchaînement des signes<br />

(typologie/ensemble 0)<br />

Ce genre d’erreur peut avoir une forte incidence <strong>sur</strong> <strong>la</strong> lisibilité et risque de<br />

provoquer le cas échéant une difficulté d’interprétation. Exemple : l’erreur n°003<br />

consiste en un signe mal p<strong>la</strong>cé qui entraîne une interprétation ambiguë <strong>du</strong> mot<br />

(clément→ clément/dément).<br />

B. INDICE 1<br />

La lecture de <strong>la</strong> graphie erronée altère <strong>la</strong> valeur phonique <strong>du</strong> mot<br />

Il faut alors vérifier si le sujet :


1- Entend correctement ce qui est prononcé.<br />

2- Prononce correctement ce qui est écrit.<br />

Typologie des erreurs orthographiques ... 27<br />

Une telle recherche ne peut se pratiquer qu’indivi<strong>du</strong>ellement. En cas de réponse<br />

négative, le problème est extra graphique et d’ordre phonétique (typologie/ensemble<br />

1). En cas de réponse positive, le problème est d’ordre phonogrammique<br />

(typologie/ensemble 2.20). Exemple : l’erreur n°110 consiste en une confusion<br />

sourde/sonore « p/b » (puplier→ publier).<br />

C. INDICE 2<br />

La lecture de <strong>la</strong> graphie erronée n’altère pas <strong>la</strong> valeur phonique <strong>du</strong> mot mais le<br />

graphème choisi pour transcrire le phonème est faux (typologie/ensemble 2.21)<br />

Il s’agit, <strong>dans</strong> ce cas, d’une méconnaissance des lois de position ou d’une<br />

hésitation entre graphèmes de fréquences voisines (an/en par exemple). Exemple :<br />

l’erreur n°2000 consiste en une omission ou adjonction d’une voyelle, d’un<br />

digramme vocalique et d’un accent modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (merite→ mérite).<br />

D.INDICE 3<br />

La graphie erronée concerne une des formes que peut prendre un même terme<br />

(typologie/ensemble 3)<br />

nombre.<br />

Le système morphologique est mal compris :<br />

1- D’un point de vue grammatical (ensemble 3.30) : conjugaison, genre,<br />

2- D’un point de vue lexical (ensemble 3.31) : dérivation à contrôle étroit<br />

(masculin/féminin) ou à contrôle <strong>la</strong>rge (radical/dérivé).<br />

Exemple: l’erreur n°30020 consiste en une re<strong>la</strong>tion mal établie entre adjectif et<br />

nom juxtaposés (aucun hommes→ aucuns hommes).<br />

E.INDICE 4<br />

Confusion entre homophones-hétérographes (typologie/ensemble 4)<br />

Il est à noter que les homophones hétérographes jouent entre eux le rôle de


28 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

«catalyseurs» et « évitent » qu’un même mot reçoive de nombreuses graphies<br />

erronées différentes. Exemple : l’erreur n°410 consiste en une erreur portant <strong>sur</strong> une<br />

homophonie lexicale (chant→ champ).<br />

F.INDICE 5<br />

Confusion concernant <strong>la</strong> ponctuation (majuscules comprises) (typologie/ensemble 5)<br />

Ce genre d’erreur est étroitement lié à l’interprétation d’un énoncé. Exemple :<br />

l’erreur n°5000 consiste un mauvais emploi des majuscules (pierre→ Pierre).<br />

G.INDICE 6<br />

L’erreur commise ne contredit aucun des microsystèmes précédents<br />

(typologie/ensemble 6)<br />

La graphie erronée fait intervenir le plus souvent une loi synchronique alors que<br />

l’orthographe <strong>du</strong> terme ne peut se justifier qu’en faisant appel à l’histoire ou à<br />

l’étymologie. Il est évident que ce micro secteur est d’un abord complexe <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

me<strong>sur</strong>e où il n’a rien de fonctionnel. Exemple : l’erreur n°612 consiste en une<br />

consonne <strong>la</strong>tine (omission de « h ») (téâtre→ théâtre).<br />

Étude <strong>sur</strong> corpus : application et résultats<br />

Le présent article est le fruit d’une étude réalisée <strong>dans</strong> le but de mieux connaître<br />

(et de faire connaître) les erreurs orthographiques des étudiants iraniens grâce à une<br />

enquête menée auprès de 85 étudiants (80 femmes et 5 hommes) en <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong><br />

(options littérature et tra<strong>du</strong>ction), qui étaient en train de passer le cours de<br />

« phonétique <strong>française</strong> » aux universités « Alzahra », « Azad Is<strong>la</strong>mique de Téhéran<br />

(branche centrale) » et «Al<strong>la</strong>meh Tabatabaei» 1 .<br />

Afin d’examiner nos sujets, nous avons recouru à deux tests : le premier, une<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Que soient ici remerciés, pour leur aimable col<strong>la</strong>boration les Départements de français des<br />

universités déjà mentionnées.


Typologie des erreurs orthographiques ... 29<br />

dictée de deux paragraphes et le second, un questionnaire de 18 items 1 à trous suivis<br />

de 4 questions ouvertes concernant les idéogrammes : une soixantaine de mots en<br />

tout (tant lexicaux que grammaticaux).<br />

Dans les pages suivantes, nous allons présenter les grilles typologiques des<br />

erreurs relevées pour trois mots dont nous avons jugé les graphies erronées comme<br />

les plus représentatives.<br />

A) ORTHOGRAPHE<br />

Tableau n°1 : Répartition des graphies erronées <strong>sur</strong> le mot « orthographe »<br />

Graphies erronées<br />

Nb. d’étudiants<br />

85 100% Typologie<br />

fréquence pourcentage<br />

1. Orthographe 14 16.47<br />

2. Ortographe 16 18.82 611<br />

3. Ortograph 6 7.06 611, 2100<br />

4. Aurtographe 5 5.88 2110, 611<br />

5. Orthograph 5 5.88 2100<br />

6. Ortegraphe 3 3.53 611, 2010<br />

7. Autrographe 3 3.53 2110, 2022, 611<br />

8. Aurthographe 3 3.53 2110<br />

9. Autregraphe 3 3.53 2110, 2022, 611, 2010<br />

10. Aurtograf 3 3.53 2110, 611, 2112, 2100<br />

11. Aurtograph 3 3.53 611, 2110, 2100<br />

12. Hortographe 3 3.53 2102, 611<br />

13. Aurtograhe 1 1.18 2110, 611, 100<br />

14. Autographe 1 1.18 2110, 100, 611<br />

15. Ourtugrafe 1 1.18 2000, 611, 2010, 2112<br />

16. Artograph 1 1.18 100, 611, 2100<br />

17. Ortaugraphe 1 1.18 611, 2110<br />

18. Ordographe 1 1.18 1102<br />

19. Autrograph 1 1.18 2110, 2022, 611, 2000<br />

20. Aurtografe 1 1.18 2110, 611, 2112<br />

21. Aurtographe 1 1.18 2110, 611<br />

22. Otrograte 1 1.18 2022, 611, 100<br />

23. Othregraphe 1 1.18 2022, 2010<br />

24. Hourteghraf 1 1.18 2102, 2000, 611, 2010, 2102, 2112, 2100<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Mot <strong>la</strong>tin signifiant « en outre, de plus ». Chacun des points numérotés d’un test, sollicitant <strong>du</strong><br />

sujet une réponse particulière et donnant lieu à une notation séparée.


30 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Descriptif (ORTHOGRAPHE) [ )Rt )gRaf] : 3 syl<strong>la</strong>bes phoniques<br />

100 Omission ou adjonction de lettre (dominante phonétique) (*Aurtograhe) 1 .<br />

1102 Confusion sourde/sonore (t/d) (*Ordographe).<br />

2000 Omission ou adjonction de voyelle modifiant <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Ourtugrafe).<br />

2010 Confusion <strong>sur</strong> une voyelle modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (*Ortegraphe).<br />

2022 Inversion consonantique modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (*Othregraphe).<br />

2100 Omission ou adjonction d’une voyelle ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Orthograph).<br />

2102 Adjonction d’une consonne ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Hourteghraf).<br />

2110 Confusion <strong>sur</strong> un digramme vocalique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Aurthographe).<br />

2112 Confusion consonantique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique (*Aurtografe).<br />

611 Erreur concernant une consonne grecque (*Ortographe).<br />

Diagramme n°1 : Répartition des erreurs orthographiques <strong>sur</strong> le mot « orthographe »<br />

__________________________________________________________________<br />

1- L’astérisque signale le caractère « erroné » de <strong>la</strong> graphie en question.


B) PRÉCAUTIONS<br />

Typologie des erreurs orthographiques ... 31<br />

Tableau n°2 : Répartition des graphies erronées <strong>sur</strong> le mot « précautions »<br />

Graphies erronées<br />

Nb. d’étudiants<br />

85 100%<br />

fréquence pourcentage<br />

Typologie<br />

1. Précautions 4 4.71<br />

2. Précotion 14 16.47 2110, 30020<br />

3. Précaution 9 10.59 30020<br />

4. Précosion 7 8.24 2110, 2012, 30020<br />

5. Précotions 5 5.88 2110<br />

6. Précossion 5 5.88 2110, 2112, 30020<br />

7. Préscossion 3 3.53 2110, 2112, 30020<br />

8. Prècosion 3 3.53 312, 2010, 2110, 2012, 30020<br />

9. Prépotion 3 3.53 11, 2110, 30020<br />

10. Préquotion 3 3.53 2112, 2110, 30020<br />

11. Précutions 3 3.53 2000<br />

12. Precotion 3 3.53 312, 2000, 2110, 30020<br />

13. Precossion 3 3.53 312, 2000, 2110, 2112, 30020<br />

14. Précostions 1 1.18 2110, 100<br />

15. Précusion 1 1.18 2000, 2012, 30020<br />

16. Précossions 1 1.18 2110, 2112<br />

17. Prépossion 1 1.18 11, 2110, 2112, 30020<br />

18. Preqution 1 1.18 312, 2000, 2112, 101, 30020<br />

19. Prépossions 1 1.18 11, 2110, 2112<br />

20. Précution 1 1.18 2000, 30020<br />

21. Préqution 1 1.18 2112, 101, 30020<br />

22. Précoution 1 1.18 2010, 30020<br />

23. Préqosion 1 1.18 2012, 2110, 2012, 30020<br />

24. Precosion 1 1.18 312, 2000, 2110, 2012, 30020<br />

25. Très cossion 1 1.18 310<br />

26. Préquession 1 1.18 2112, 2010, 2112, 30020<br />

27. Prècaution 1 1.18 312, 2010, 30020<br />

28. Prècossions 1 1.18 312, 2010, 2110, 2112<br />

29. Precossions 1 1.18 312, 2000, 2110, 2112<br />

30. Oubli <strong>du</strong> mot 4 4.71


32 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Descriptif (PRÉCAUTIONS) [pRekosj)�] : 3 syl<strong>la</strong>bes phoniques<br />

100 Omission ou adjonction de lettre (dominante phonétique) (*Précostion).<br />

101 Omission ou adjonction de syl<strong>la</strong>be (dominante phonétique) (*Préqution).<br />

11 Confusion de son (*Prépossion).<br />

2000 Omission ou adjonction d’un accent ou d’une voyelle modifiant <strong>la</strong> valeur<br />

phonique (*Precotion, *Précutions).<br />

2010 Confusion <strong>sur</strong> un accent ou <strong>sur</strong> une voyelle modifiant <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Prècaution, *Préquession).<br />

2012 Confusion consonantique modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (*Précosion).<br />

2110 Confusion <strong>sur</strong> une voyelle ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique (*Précotions).<br />

2112 Confusion consonantique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique (*Précossion).<br />

30020 Re<strong>la</strong>tion mal établie entre adjectif et nom juxtaposés (*tes précaution).<br />

310 Non-reconnaissance <strong>du</strong> mot (*Très cossion).<br />

312 Ignorance des préfixes (*Precotion).<br />

Diagramme n°2 : Répartition des erreurs orthographiques <strong>sur</strong> le mot «précautions»


C) PROFESSIONNEL<br />

Typologie des erreurs orthographiques ... 33<br />

Tableau n°3 : Répartition des graphies erronées <strong>sur</strong> le mot « professionnel »<br />

Graphies erronées<br />

Nb. d’étudiants<br />

85 100%<br />

fréquence pourcentage<br />

Typologie<br />

1. Professionnel 8 9.41<br />

2. Professionelle 21 24.71 2103, 30020<br />

3. Professionel 16 18.82 2103<br />

4. Professionnelle 4 4.71 30020<br />

5. Profesionnel 3 3.53 2003<br />

6. Proffesionelle 3 3.53 21030, 2003, 2103, 30020<br />

7. Proféssionelle 2 2.35 2000, 2103, 30020<br />

8. Proffesionel 2 2.35 21030, 2003, 2103<br />

9. Profissionel 2 2.35 100, 2103<br />

10. Proffessionelle 2 2.35 2103, 30020<br />

11. Profétionel 1 1.18 2000, 2112, 2103<br />

12. Profesionelle 1 1.18 2003, 2103, 30020<br />

13. Professionale 1 1.18 2103, 100<br />

14. Profisionelle 1 1.18 100, 2003, 2103, 30020<br />

15. Proffetionnel 1 1.18 21030, 2112<br />

16. Profetionnelle 1 1.18 2112, 30020<br />

17. Professional 1 1.18 100<br />

18. Proffesionnelle 1 1.18 21030, 2003, 30020<br />

19. Profesionnelle 1 1.18 2003, 30020<br />

20. Professionnele 1 1.18 312<br />

21. Proffessionel 1 1.18 21030, 2103<br />

22. Professieunel 1 1.18 2010, 2103<br />

23. Profesionel 1 1.18 2003, 2103<br />

24. Professioné 1 1.18 2103, 100<br />

25. Professionell 1 1.18 2103, 312<br />

26. Proficionelle 1 1.18 100, 2112, 2103, 30020<br />

27. Profitionnel 1 1.18 100, 2112<br />

28. Profetionnel 1 1.18 2112<br />

29. Proffisinelle 1 1.18 21030, 100, 30020<br />

30. Profesionele 1 1.18 2003, 2103, 312<br />

31. Profétionelle 1 1.18 2000, 2112, 2103, 30020<br />

32. Oubli <strong>du</strong> mot 1 1.18


34 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Descriptif (PROFESSIONNEL) [pR )fεsj )nεl] : 4 syl<strong>la</strong>bes phoniques<br />

100 Omission ou adjonction de lettre (dominante phonétique) (*Professional).<br />

2000 Omission ou adjonction d’accent modifiant <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Proféssionelle).<br />

2003 Omission de consonne double modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (*Profesionnel).<br />

2010 Confusion <strong>sur</strong> un digramme vocalique modifiant <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Professieunel).<br />

2103 Omission de consonne double ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Professionel).<br />

21030 Adjonction d’une consonne double ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Proffessionel).<br />

2112 Confusion consonantique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique (*Profetionnel).<br />

30020 Re<strong>la</strong>tion mal établie entre adjectif et nom juxtaposés (*Surmenage<br />

professionnelle).<br />

312 Ignorance des suffixes (*Professionnele).<br />

Diagramme n°3 : Répartition des erreurs orthographiques <strong>sur</strong> le mot « professionnel »


Résultat final<br />

Typologie des erreurs orthographiques ... 35<br />

Ainsi, nous avons précisé <strong>la</strong> répartition des erreurs orthographiques pour chacun<br />

des mots existant <strong>dans</strong> nos deux tests. De l’analyse statistique de toutes les erreurs<br />

relevées <strong>dans</strong> les copies des étudiants ayant été soumis à nos tests, un diagramme<br />

final se dresse comme suit :<br />

Diagramme n°4 : Catégorie des erreurs orthographiques les plus significatives<br />

La description des codes figurant <strong>dans</strong> le diagramme n°4 se présente ainsi :<br />

1- L’erreur n° 2000 : avec un pourcentage de 10.04% et en tête de toutes les<br />

erreurs relevées, cette erreur consiste en « omission ou adjonction d’une voyelle,<br />

d’un digramme vocalique ou d’un accent modifiant <strong>la</strong> valeur phonique ».<br />

2- L’erreur n° 2103 : avec un pourcentage de 7.61%, cette erreur consiste en<br />

« omission d’une consonne double ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique ».<br />

3- L’erreur n° 2110 : avec un pourcentage de 6.37%, cette erreur consiste en<br />

« confusion <strong>sur</strong> une voyelle, <strong>sur</strong> un digramme vocalique ou <strong>sur</strong> un accent ne


36 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique ».<br />

4- L’erreur n° 2010 : avec un pourcentage de 5.88%, cette erreur consiste en<br />

« confusion <strong>sur</strong> une voyelle, <strong>sur</strong> un digramme vocalique ou <strong>sur</strong> un accent modifiant<br />

<strong>la</strong> valeur phonique ».<br />

5- L’erreur n° 30020 : avec un pourcentage de 5.60%, cette erreur consiste en<br />

« re<strong>la</strong>tion mal établie entre adjectif et nom juxtaposés ».<br />

6- L’erreur n° 310 : avec un pourcentage de 4.73%, cette erreur consiste en<br />

« non reconnaissance des mots ».<br />

7- L’erreur n° 410 : avec un pourcentage de 4.41%, cette erreur consiste en<br />

« erreurs concernant des homophones lexicaux ».<br />

8- L’erreur n° 2100 : avec un pourcentage de 4.02%, cette erreur consiste en<br />

« omission ou adjonction d’une voyelle, d’un digramme vocalique ou d’un accent ne<br />

modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique ».<br />

9- L’erreur n° 610 : avec un pourcentage de 3.89%, cette erreur consiste en<br />

« erreur portant <strong>sur</strong> une lettre finale non justifiable d’un enseignement ».<br />

10- L’erreur n° 2112 : avec un pourcentage de 3.87%, cette erreur consiste en<br />

« confusion <strong>sur</strong> une consonne, <strong>sur</strong> un digramme consonantique ou <strong>sur</strong> une cédille ne<br />

modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique ».<br />

11- L’erreur n° 40 : avec un pourcentage de 3.64%, cette erreur consiste en<br />

« confusion portant <strong>sur</strong> des homophones de discours ».<br />

12- L’erreur n° 5032 : avec un pourcentage de 3.20%, cette erreur concerne les<br />

idéogrammes.<br />

13- L’erreur n° 100 : avec un pourcentage de 2.80%, cette erreur consiste en<br />

« omission ou adjonction d’une lettre (dominante phonétique) ».<br />

14- L’erreur n° 30123 : avec un pourcentage de 2.75%, cette erreur consiste en<br />

« confusion modale ».<br />

15- L’erreur n° 611 : avec un pourcentage de 2.68%, cette erreur concerne les<br />

lettres historiques et étymologiques.<br />

16- L’erreur n° 21030 : avec un pourcentage de 2.16%, cette erreur consiste en<br />

« adjonction d’une consonne double ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique ».


Typologie des erreurs orthographiques ... 37<br />

17- L’erreur n° 2003 : avec un pourcentage de 2.06%, cette erreur consiste en<br />

« omission ou adjonction d’une consonne simple ou double modifiant <strong>la</strong> valeur<br />

phonique ».<br />

18- Les autres erreurs relevées <strong>dans</strong> les copies des étudiants (50 autres codes)<br />

ont un pourcentage de répartition de moins de 2% pour chaque erreur.<br />

Ainsi, on constate bien que les erreurs à dominante phonogrammique sont les<br />

plus fréquentes chez les étudiants iraniens en <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong>.<br />

Discussion et conclusion<br />

Dans les pages suivantes, nous allons présenter le résultat obtenu pour l’un des<br />

mots <strong>du</strong> second test (« horizon »).<br />

Tableau n°4 : Répartition des graphies erronées <strong>sur</strong> le mot « horizon »<br />

Graphies erronées<br />

Nb. d’étudiants<br />

85 100%<br />

fréquence pourcentage<br />

Typologie<br />

1. Horizon 27 31.76<br />

2. Orison 14 16.47 612, 2112<br />

3. Orizon 11 12.94 612<br />

4. Horison 8 9.41 2112<br />

5. Orision 4 4.71 612, 2112, 101<br />

6. Aurison 4 4.71 612, 2110, 2112<br />

7. Orisone 3 3.53 612, 2112, 2000<br />

8. Heurison 3 3.53 2010, 2112<br />

9. Horisons 3 3.53 2112, 3000<br />

10. Hurison 1 1.18 2010, 2112<br />

11. Horizone 1 1.18 2000<br />

12. Horisone 1 1.18 2112, 2000<br />

13. Orisean 1 1.18 612, 2112, 100<br />

14. Aurisont 1 1.18 612, 2110, 2112, 610<br />

15. Aurizon 1 1.18 612, 2110<br />

16. Aux reasons 1 1.18 310<br />

17. Oubli <strong>du</strong> mot 1 1.18


38 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Descriptif (HORIZON) [ )Riz )�] : 3 syl<strong>la</strong>bes phoniques<br />

100 Omission ou adjonction de lettre (dominante phonétique) (*Orisean).<br />

101 Omission ou adjonction de syl<strong>la</strong>be (dominante phonétique) (*Orision).<br />

2000 Omission ou adjonction de voyelle modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (*Orisone).<br />

2010 Confusion <strong>sur</strong> une voyelle modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (*Hurison).<br />

2110 Confusion <strong>sur</strong> un digramme vocalique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur<br />

phonique(*Aurizon).<br />

2112 Confusion consonantique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique (*Horison).<br />

3000 Re<strong>la</strong>tion mal établie entre déterminant et nom (*Un horisons).<br />

310 Non-reconnaissance <strong>du</strong> mot (*Aux reasons).<br />

610 Erreur portant <strong>sur</strong> une consonne finale non justifiable d’un enseignement<br />

(*Aurisont).<br />

612 Erreur concernant une consonne <strong>la</strong>tine (*Orizon).<br />

Diagramme n°5 : Répartition des erreurs orthographiques <strong>sur</strong> le mot « horizon »<br />

Comme pour esquisser notre discussion et <strong>dans</strong> l’intention d’éc<strong>la</strong>ircir les esprits<br />

chercheurs, nous présentons, ici, le résultat obtenu pour le même mot « horizon »,<br />

présenté par l’équipe C.N.R.S.-H.E.S.O. <strong>dans</strong> le cadre de l’enquête déjà<br />

mentionnée :


Typologie des erreurs orthographiques ... 39<br />

Tableau n°5 : Répartition des graphies erronées <strong>sur</strong> le mot « horizon »<br />

Graphies erronées<br />

Nb. d’élèves<br />

476 100%<br />

fréquence pourcentage<br />

Typologie<br />

1. Horizon 410 86.13<br />

2. Horison 15 3.15 2112<br />

3. Orizon 10 2.10 612<br />

4. Horizons 9 1.89 3000<br />

5. Horrizon 4 0.84 2103<br />

6. Orison 4 0.84 612, 2112<br />

7. Orizons 1 0.21 612, 3000<br />

8. Horrizons 1 0.21 2103, 3000<br />

9. Horisons 1 0.21 2112, 3000<br />

10. Orrizon 1 0.21 612, 2103<br />

11. Horision 1 0.21 2112, 100<br />

12. Horrison 1 0.21 2103, 2112<br />

13. Aurisons 1 0.21 612, 2110, 2112, 3000<br />

14. Orisson 1 0.21 612, 2003<br />

15. Horizont 1 0.21 612<br />

16. Orisont 1 0.21 612, 2112, 610<br />

17. Horyson 1 0.21 2100, 2112<br />

18. Houréizen 1 0.21 100<br />

Descriptif (HORIZON) [ )Riz )�] : 3 syl<strong>la</strong>bes phoniques<br />

100 Adjonction d’une semi-voyelle (*Horision).<br />

2003 Adjonction d’une consonne double modifiant <strong>la</strong> valeur phonique (*Orisson).<br />

2100 Confusion vocalique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique (*Horyson).<br />

2103 Adjonction d’une consonne double ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Horrizon).<br />

2110 Confusion <strong>sur</strong> un digramme vocalique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique<br />

(*Aurisons).<br />

2112 Confusion consonantique ne modifiant pas <strong>la</strong> valeur phonique (*Horison).<br />

3000 Re<strong>la</strong>tion mal établie entre déterminant et nom (*Un horisons).<br />

610 Erreur portant <strong>sur</strong> une consonne finale non justifiable d’un enseignement


40 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

(*Horizont).<br />

612 Erreur concernant une consonne <strong>la</strong>tine (*Orizon).<br />

Diagramme n°6 : Répartition des erreurs orthographiques <strong>sur</strong> le mot « horizon »<br />

En observant le diagramme n°5 et en le comparant avec le diagramme n°6, on<br />

constate bien que l’erreur n°2112 (Confusion consonantique ne modifiant pas <strong>la</strong><br />

valeur phonique (Horison)) est <strong>la</strong> plus fréquente. Malgré <strong>la</strong> différence <strong>du</strong> niveau<br />

d’âge, <strong>du</strong> niveau <strong>la</strong>ngagier et d’autres considérations linguistique, sociale et<br />

culturelle qui est évidente entre le corpus humain de notre étude et celui de l’étude<br />

menée par l’équipe C.N.R.S.-H.E.S.O., le même résultat est obtenu pour les deux<br />

groupes face à l’erreur <strong>la</strong> plus fréquente pour un mot particulier (« horizon »). Ce<strong>la</strong><br />

pourrait montrer que le statut de <strong>la</strong> « <strong>la</strong>ngue maternelle »/ « <strong>la</strong>ngue étrangère »<br />

n’était pas un facteur définitif et significatif face à l’apparition d’une telle erreur.<br />

Pourtant, d’autres erreurs relevées <strong>dans</strong> les copies de ces deux groupes diffèrent bien<br />

nettement (c’est le cas des erreurs n°2000, 2010, 310, 2003, 2100, 2103).<br />

Or, pour conclure nous avons à préciser, encore une fois, que l’erreur <strong>la</strong> plus<br />

fréquente chez les étudiants iraniens est bien l’erreur n°2000 (omission ou<br />

adjonction d’une voyelle, d’un digramme vocalique ou d’un accent modifiant <strong>la</strong>


Typologie des erreurs orthographiques ... 41<br />

valeur phonique) qui est considérée comme une erreur à base phonogrammique. Les<br />

phonogrammes, cette partie majeure <strong>du</strong> système orthographique français (plus de<br />

80% des graphèmes <strong>du</strong> français étant des phonogrammes), se sont révélés donc,<br />

chez les étudiants iraniens en <strong>la</strong>ngue <strong>française</strong>, comme (étant) les plus<br />

problématiques.<br />

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Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 43-57 43<br />

Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation de <strong>la</strong> motivation des<br />

apprenants <strong>du</strong> FLE<br />

Hamid Reza Shaïri ∗<br />

Maître de conférences, Université Tarbiat Modares<br />

Ley<strong>la</strong> Ghodsi ∗∗<br />

Université Tarbiat Modarres<br />

(Date de réception: 02 May 2009, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

Résumé<br />

La motivation est un processus complexe et interne, on peut <strong>la</strong> susciter et<br />

l’encourager. Pour rendre <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse plus active, il y a différentes approches et méthodes<br />

didactiques. Mais <strong>la</strong> perspective actionnelle (l’approche par <strong>la</strong> tâche) est une nouvelle<br />

approche didactique, qui offre un nouveau sens à l’interaction entre les apprenants <strong>dans</strong><br />

le cadre de l’apprentissage et au sujet de <strong>la</strong> réalisation de <strong>la</strong> tâche : <strong>la</strong> tâche est de<br />

préparer les élèves à <strong>la</strong> pratique sociale réelle ; et les apprenants comme des acteurs<br />

sociaux doivent accomplir ces tâches qui ne sont pas seulement <strong>la</strong>ngagières. Le<br />

processus de tâche a pour objectif de mener les apprenants à <strong>la</strong> pratique communicative,<br />

mais <strong>la</strong> communication ne suffit pas pour l’action sociale, il faut agir ensemble. Cet<br />

article cherche donc à savoir en quoi l’apprentissage de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue peut être facilité par <strong>la</strong><br />

tâche, et <strong>dans</strong> quelle me<strong>sur</strong>e <strong>la</strong> réalisation de celle-ci peut augmenter <strong>la</strong> motivation des<br />

apprenants.<br />

Mots-clés: Motivation, Tâche, Approche Actionnelle, Pratique Communicative,<br />

Enseignement/ Apprentissage.<br />

__________________________________________________________________<br />

∗ Tel: 021-82883614, Fax: 82883614, E-mail: shairi@modares.ac.ir<br />

∗∗ Tel: 021-82883614, Fax: 82883614, E-mail: ley<strong>la</strong>ghodsi@yahoo.com


44 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

1. Intro<strong>du</strong>ction<br />

L’apprentissage d’une <strong>la</strong>ngue étrangère repose aujourd’hui <strong>sur</strong> le pouvoir et le<br />

savoir. Le premier constitue à agir et se situe à <strong>la</strong> base de <strong>la</strong> toute nouvelle approche<br />

actionnelle. Le second s’avère en rapport avec <strong>la</strong> volonté et prépare l’accès à <strong>la</strong><br />

motivation. La perspective actionnelle est une nouvelle voie qui intègre à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong><br />

tâche en tant que pratique sociale et <strong>la</strong> motivation comme le désir de participer <strong>dans</strong><br />

les actes réels et authentiques. De ce point de vue, l’apprenant est un acteur qui agit<br />

<strong>dans</strong> les circonstances réelles de <strong>la</strong> communication. Le fait que, <strong>dans</strong> une c<strong>la</strong>sse, il y<br />

ait souvent une grande diversité parmi les élèves, en ce qui concerne leurs intérêts,<br />

leur goût d’apprendre et leurs manières préférées d’apprentissage et d’enseignement,<br />

rend le choix d’approche plus compliqué. Ainsi, le professeur est p<strong>la</strong>cé devant un<br />

grand défi s’il veut réussir à motiver tous ses élèves. Mais, en plus, un enseignement<br />

motivant, ne dépend pas seulement de l’action <strong>du</strong> professeur, mais également de<br />

l’attitude de l’élève. Une telle attitude reposerait en partie <strong>sur</strong> <strong>la</strong> participation de<br />

l’apprenant <strong>dans</strong> ce que l’on peut appeler <strong>dans</strong> une perspective de tâche, l’action<br />

sociale et réelle.<br />

En quoi le processus de tâche offre une nouvelle perspective à <strong>la</strong> didactique des<br />

<strong>la</strong>ngues ? Ainsi, notre objectif consiste <strong>dans</strong> cet article à voir, comment enseigner<br />

une <strong>la</strong>ngue étrangère par <strong>la</strong> réalisation d’une tâche. Aussi, nous nous intéresserons à<br />

savoir <strong>dans</strong> quelle me<strong>sur</strong>e <strong>la</strong> pratique de <strong>la</strong> tâche peut augmenter <strong>la</strong> motivation des<br />

élèves.<br />

2. Approches différentes <strong>dans</strong> l’enseignement des <strong>la</strong>ngues étrangères<br />

On a souvent essayé de trouver <strong>la</strong> méthode qui donne le meilleur résultat <strong>dans</strong><br />

l’apprentissage d’une <strong>la</strong>ngue étrangère, mais il a été difficile de prouver qu’une<br />

méthode est meilleure qu’une autre. Les élèves ont des aptitudes différentes et le<br />

professeur doit fournir un enseignement différencié et indivi<strong>du</strong>alisé pour le rendre<br />

motivant pour tous les élèves et ne pas faire marcher tout le monde <strong>du</strong> même pas. Si<br />

l’enseignant fait participer les élèves <strong>dans</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nification de l’enseignement, les<br />

élèves deviendront souvent plus motivés <strong>dans</strong> leur activité de l’apprentissage.


Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation ... 45<br />

«La conception de l’apprenant comme indivi<strong>du</strong> intériorisant un système<br />

linguistique est abandonné en faveur de l’idée d’un acteur social qui développe des<br />

compétences <strong>la</strong>ngagières variables à travers son interaction avec d’autres acteurs<br />

sociaux» (Ceberio, 2004 : 4,5).<br />

L’étude faite par Ceberio analyse les composantes de <strong>la</strong> motivation d’apprenants<br />

en situation plurilingue. Les résultats montrent l’importance de <strong>la</strong> communication et<br />

de l’échange entre cultures pour motiver les élèves. Elle parle de l’importance de<br />

l’intercompréhension, de <strong>la</strong> capacité de comprendre <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, de se faire<br />

comprendre et de faire de l’élève « le sujet qui communique».<br />

Dans <strong>la</strong> situation sco<strong>la</strong>ire, <strong>la</strong> communication avec des natifs de <strong>la</strong>ngue cible est<br />

rare et il faut créer des situations de substitut, avec le groupe/c<strong>la</strong>sse et l’enseignant.<br />

Une autre approche motivante pour l’apprentissage de l’élève est aussi une approche<br />

communicative mais avec une perspective actionnelle. On voit les apprenants<br />

comme des acteurs sociaux qui accomplissent des tâches. L’apprenant réalise une<br />

action sociale <strong>dans</strong> des circonstances et des environnements donnés, à l’intérieur<br />

d’un domaine d’action particulier.<br />

«Cette perspective actionnelle correspond à <strong>la</strong> prise en compte d’un nouvel<br />

objectif social lié aux progrès de l’intégration européenne, celui de préparer les<br />

apprenants non seulement à vivre mais aussi à travailler, <strong>dans</strong> leur propre pays ou<br />

<strong>dans</strong> un pays étranger, avec des natifs de différentes <strong>la</strong>ngues-cultures étrangères. Il<br />

ne s’agit plus seulement de communiquer avec l’autre, mais d’agir avec lui en<br />

<strong>la</strong>ngue étrangère » (Puren, 2006 : 58-71).<br />

«Le point central est de faire en sorte que les élèves comprennent et connaissent<br />

les règles socioculturelles et soient au courant de l’intention de <strong>la</strong> communication »<br />

(Cuq et Gruca 2003 : 245).<br />

Ce<strong>la</strong> contribue à ré<strong>du</strong>ire les préjugés et à promouvoir <strong>la</strong> tolérance et crée<br />

souvent des attitudes positives chez l’élève envers d’autres peuples de d’autres<br />

cultures, en même temps qu’on arrive à une compréhension approfondie d’un peuple<br />

et d’une culture particulière, <strong>dans</strong> le cas actuel, <strong>la</strong> culture <strong>française</strong>. Avec une<br />

attitude positive envers <strong>la</strong> culture cible, il est évidemment plus simple de motiver un


46 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

élève à apprendre <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue.<br />

3. De l’approche communicative à <strong>la</strong> perspective actionnelle<br />

Dans l’approche communicative, on fait communiquer en c<strong>la</strong>sse les élèves entre<br />

eux pour qu’ils apprennent ainsi à communiquer en société. L’approche<br />

communicative a pour objectif de rendre l’apprenant autonome <strong>dans</strong> des situations<br />

<strong>la</strong>ngagières réelles. "Les méthodes et les cours de type communicatif sont en général<br />

organisés autour d'objectifs de communication à partir des fonctions (des actes de<br />

parole) et des notions (catégories sémantico-grammaticales comme le temps,<br />

l'espace, ctc.)" (Cuq, 2003 : 24).<br />

Mais «<strong>la</strong> tâche communicative est une partie <strong>du</strong> travail en c<strong>la</strong>sse qui amène les<br />

apprenants à comprendre, manipuler, pro<strong>du</strong>ire ou interagir <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue cible,<br />

pendant que leur attention est principalement focalisée <strong>sur</strong> le sens plutôt que <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />

forme. La tâche devrait également être complète et faire sens de manière autonome,<br />

en tant qu’acte communicatif à part entière ». (Nunan 1989: 10).<br />

La perspective actionnelle donne à l’enseignement /apprentissage sco<strong>la</strong>ire une<br />

authenticité que l’approche communicative lui a déniée pendant trois décennies.<br />

« Action sociale » sera définie ici comme « action collective à finalité collective » :<br />

celle que réalise une équipe <strong>dans</strong> une entreprise, mais aussi des parents élevant leurs<br />

enfants, des joueurs de football <strong>sur</strong> le terrain, un parti politique préparant une<br />

élection. Ou encore un groupe d’élèves travail<strong>la</strong>nt un exposé à présenter devant leurs<br />

camarades, et plus généralement tout enseignant avec ses apprenants tout au long<br />

d’un cours de <strong>la</strong>ngue collectif.<br />

4. La notion de tâche <strong>dans</strong> l’approche actionnelle<br />

Le Cadre européen commun de référence pour les <strong>la</strong>ngues propose <strong>la</strong> définition<br />

suivante de <strong>la</strong> tâche : « Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur<br />

se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème<br />

à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. Il peut s’agir tout<br />

aussi bien, suivant cette définition, de dép<strong>la</strong>cer une armoire, d’écrire un livre,


Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation ... 47<br />

d’emporter <strong>la</strong> décision <strong>dans</strong> <strong>la</strong> négociation d’un contrat, de faire une partie de cartes,<br />

de commander un repas <strong>dans</strong> un restaurant, de tra<strong>du</strong>ire un texte en <strong>la</strong>ngue étrangère<br />

ou de préparer en groupe un journal de c<strong>la</strong>sse ». (CECR: 16).<br />

La pratique de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’enseignement d’une <strong>la</strong>ngue étrangère est centrée<br />

<strong>sur</strong> le sens ; ce<strong>la</strong> peut impliquer un recours à plusieurs compétences <strong>la</strong>ngagières, et<br />

doit aboutir à un résultat et à un pro<strong>du</strong>it communicatif. Les tâches nous offrent<br />

l’occasion de mettre en p<strong>la</strong>ce des stratégies d’interaction basées <strong>sur</strong> certaines<br />

dimensions comme : les dimensions cognitive et affective, qui permettent d’aller à<br />

l’encontre de certains obstacles intellectuels des élèves comme <strong>la</strong> peur, <strong>la</strong> timidité,<br />

l’anxiété, … et peuvent susciter <strong>la</strong> motivation et l’intérêt des apprenants.<br />

Donc, les tâches proposées en c<strong>la</strong>sse de <strong>la</strong>ngue ne correspondent pas toujours<br />

aux besoins réels des apprenants. Une tâche peut consister à motiver les élèves ou<br />

tout simplement à les amuser; comme ranger les affaires d'un bureau à l'aide des<br />

amis ou vider le coffre d'une voiture pour distribuer les nourritures entre les<br />

personnes âgées. Ces tâches ressemblent à des activités qui augmentent le p<strong>la</strong>isir<br />

d'apprendre, mais qui ont peu d'utilité <strong>du</strong> point de vue de <strong>la</strong> pratique <strong>la</strong>ngagière.<br />

"L’autre dérive, en milieu de type sco<strong>la</strong>ire, est que les tâches retenues, les<br />

micro-tâches en particulier, doivent s’insérer <strong>dans</strong> un dispositif de <strong>formation</strong> qui,<br />

<strong>dans</strong> de nombreuses situations é<strong>du</strong>catives, est déterminé par des programmes<br />

(définissant des contenus « grammaticaux » à faire acquérir, par exemple). Les effets<br />

observables des programmes <strong>sur</strong> les tâches font que ces micro-tâches sont alors<br />

détournées de leurs fins actionnelles et qu’on les met, en fait, au service d’objectifs<br />

formels étroits" (Beacco, 2008 : 35), comme <strong>dans</strong> l’exemple suivant :<br />

[Tâche : acheter <strong>du</strong> pain] Regarder <strong>dans</strong> le rayon de pain <strong>dans</strong> un supermarché<br />

(photo). On peut y trouver presque toutes sortes de pain. Quel pain vous préférez ?<br />

(Amorce de réponse) : Moi, je préfère toujours le pain de campagne. Moi, je<br />

n'achète que le pain b<strong>la</strong>nc. Moi, je prends une ficelle ….


48 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

5. La réalisation de «projet»<br />

La perspective actionnelle implique non seulement une entrée par les tâches,<br />

mais aussi <strong>la</strong> réalisation de «projet»: « En pédagogie, le projet est un ensemble de<br />

tâches impliquant très fortement un collectif d’élèves en vue de <strong>la</strong> réalisation d’un<br />

pro<strong>du</strong>it déterminé <strong>sur</strong> une <strong>du</strong>rée re<strong>la</strong>tivement longue (quelques semaines, quelques<br />

mois, voire une année entière)» (Puren, 2002 : 5).<br />

Les apprenants travaillent en semi autonomie et définissent leurs objectifs et<br />

leur besoins en dehors de toute considération. Cette mise en pratique d’un<br />

enseignement, commandé par <strong>la</strong> réalisation concrète d’un pro<strong>du</strong>it (une brochure<br />

touristique <strong>sur</strong> <strong>la</strong> ville, une vidéo documentaire réalisée à partir de <strong>la</strong> visite d’une<br />

c<strong>la</strong>sse …), se passe de syl<strong>la</strong>bus et l’enseignant est <strong>sur</strong>tout personne ressource.<br />

« L’approche par tâche, enten<strong>du</strong>e comme approche par projet, con<strong>du</strong>it à déstructurer<br />

les progressions d’enseignement, puisque l’essentiel est le pro<strong>du</strong>it et non les acquis<br />

<strong>la</strong>ngagiers » (Beacco, op.cit. : 34).<br />

6. La motivation et <strong>la</strong> tâche<br />

Un apprentissage approfondi ne peut pas se pro<strong>du</strong>ire sans une réelle motivation<br />

de <strong>la</strong> part des apprenants. Il est plus probable que l’exécution d’une tâche soit<br />

couronnée de succès si l’apprenant s’y implique. Un niveau élevé de motivation<br />

personnelle à réaliser une tâche, créé par l’intérêt qu’elle suscite ou parce qu’elle est<br />

perçue comme pertinente par rapport aux besoins réels par exemple, ou encore par<br />

l’accomplissement d’une tâche qui lui est rattachée (interdépendance des tâches),<br />

con<strong>du</strong>ira l’apprenant à une plus grande implication. La motivation externe peut jouer<br />

également un rôle, par exemple <strong>dans</strong> le cas où il est important que <strong>la</strong> tâche soit<br />

couronnée de succès pour ne pas perdre <strong>la</strong> face, ou pour des raisons de gratification


ou de compétition.<br />

Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation ... 49<br />

Les approches centrées <strong>sur</strong> l’apprenant exploitent les connaissances de<br />

l’apprenant, évaluent ses besoins et ses intérêts et sélectionnent en conséquence le<br />

matériel, les activités et les tâches les plus adéquates. A tous les stades <strong>du</strong> processus,<br />

<strong>la</strong> négociation entre facilitateurs et apprenants est vivement encouragée.<br />

L’apprentissage est en effet conçu comme une entreprise solidaire. De plus, toute<br />

approche doit prendre en considération le contexte de son déroulement et, les<br />

réactions possibles des apprenants à <strong>la</strong> méthodologie. Si <strong>la</strong> méthodologie ne leur est<br />

pas familière, ou s’ils l’acceptent sans enthousiasme, les facilitateurs devront<br />

négocier avec eux de sorte à s’as<strong>sur</strong>er qu’ils soient motivés et heureux d’apprendre<br />

de cette façon. Les apprenants seront de ce fait les partenaires de cette approche.<br />

Ainsi l’accent est p<strong>la</strong>cé non pas <strong>sur</strong> l’apprentissage de points de <strong>la</strong>ngage <strong>dans</strong> un<br />

vide non contextualisé, mais <strong>sur</strong> l’utilisation de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue en tant qu’outil permettant<br />

de satisfaire des besoins authentiques (de <strong>la</strong> vie réelle). En travail<strong>la</strong>nt à <strong>la</strong> réalisation<br />

d’une tâche, le <strong>la</strong>ngage est immédiatement employé <strong>dans</strong> le contexte de <strong>la</strong> réalité de<br />

l’apprenant, conférant ainsi une véritable authenticité à l’apprentissage. Dans le<br />

cadre de cette approche, le <strong>la</strong>ngage nécessaire n’est pas présélectionné avant d’être<br />

délivré aux apprenants, qui vont le mettre en pratique; les apprenants vont être<br />

amenés, avec l’aide des facilitateurs, à s’exprimer <strong>dans</strong> un <strong>la</strong>ngage répondant aux<br />

exigences des activités et de <strong>la</strong> tâche. La méthodologie exige que les apprenants<br />

expérimentent activement leur stock de connaissances et mettent à profit leurs<br />

qualités de dé<strong>du</strong>ction et d’analyse linguistique indépendante pour exploiter<br />

pleinement <strong>la</strong> situation.<br />

L’enseignant ne doit plus considérer le français comme un objet d’étude, mais<br />

bien comme un outil qui permet d’accéder à <strong>la</strong> compréhension des documents et à<br />

l’expression personnelle de l'élève. Celui-ci quitte alors une attitude passive pour<br />

devenir acteur <strong>du</strong> cours et de son apprentissage. Cette conception de l’enseignement<br />

prépare l’élève à l’autonomie, à <strong>la</strong> vie en société et à des situations de<br />

communication futures.<br />

Dans un exemple concret de tâche (<strong>la</strong> préparation d’un repas), l’objectif de <strong>la</strong>


50 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

session est de faire œuvrer les apprenants ensemble à <strong>la</strong> préparation d’un repas, à<br />

<strong>la</strong>quelle chacun peut apporter sa contribution. Par ce biais, une quantité de <strong>la</strong>ngage<br />

<strong>sur</strong> le thème de <strong>la</strong> nourriture va être activée. Comme le montre cet exemple, les<br />

participants vont devoir discuter des menus, acheter les ingrédients et attribuer les<br />

fonctions. Les participants auront été préparés à <strong>la</strong> tâche à accomplir, de sorte qu’ils<br />

prennent conscience <strong>du</strong> vocabu<strong>la</strong>ire nécessaire pour y parvenir.<br />

Dans cette approche, l’accent est mis <strong>sur</strong> l’envie de communiquer qui devient <strong>la</strong><br />

principale force motrice. Elle va privilégier <strong>la</strong> facilité de communication au<br />

détriment de l’hésitation générée par <strong>la</strong> pression de devoir formuler des phrases<br />

parfaites, comme c’est le cas des approches plus didactiques. L’exposition à une<br />

<strong>la</strong>ngue cible doit se faire <strong>dans</strong> une situation naturelle. Ce<strong>la</strong> signifie que, en cas<br />

d’utilisation d’outils, ceux-ci ne devront pas avoir été préparés spécifiquement pour<br />

<strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse de <strong>la</strong>ngue, mais sélectionnés parmi des sources authentiques et adaptées. Le<br />

contexte de l’apprentissage de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue par <strong>la</strong> réalisation d’une tâche est un<br />

contexte adapté, l’attention est concentrée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tâche finale. Cette tâche est conçue<br />

en tant qu’entreprise qui correspond authentiquement aux besoins des apprenants.<br />

Le schéma suivant montre en quoi <strong>la</strong> tâche et <strong>la</strong> motivation s’interagissent pour<br />

donner lieu à un parcours cohérent d’apprentissage par action :<br />

Contextualisation de<br />

l’apprentissage (Activité<br />

socioculturelle)<br />

L’envie de participer<br />

(Le déclenchement d’une<br />

énergie propos<br />

collective, <strong>la</strong> motivation)<br />

L’authenticité des faits<br />

(Préparation d’un repas)<br />

L’activation d’une grande<br />

quantité de <strong>la</strong>ngage non<br />

prédéterminée (Tous les<br />

possibles <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nourriture et<br />

<strong>la</strong> préparation <strong>du</strong> repas)<br />

L’accomplissement heureux de <strong>la</strong> tâche<br />

(La satisfaction qui est motivante pour d’autre parcours)


Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation ... 51<br />

7. La méthode Rond-point comme un exemple basé <strong>sur</strong> l’apprentissage par les<br />

tâches<br />

Rond-point (2004) est une nouvelle méthode de français qui applique <strong>la</strong><br />

perspective actionnelle retenue par le Cadre de référence afin de réaliser<br />

d’authentiques processus de communication. La mise en pratique de <strong>la</strong> perspective<br />

actionnelle, telle qu’elle est conçue pour Rond-point, entraîne de profondes<br />

modifications. La communication qui s’établit au cours de l’exécution des tâches<br />

s’avère authentique et <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, cet espace de partage et d’interaction, devient un<br />

lieu où chacun vit des expériences de communication aussi riches et authentiques<br />

que celles que les apprenants vivent en dehors de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse. Dans <strong>la</strong> méthode Rond<br />

Point, l’apprentissage de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue se fait par les tâches que les apprenants doivent<br />

être en me<strong>sur</strong>e d’effectuer. L’approche par les tâches est réalisée <strong>dans</strong> chaque leçon.<br />

Avec <strong>la</strong> méthode Rond-point les apprenants, en situation d’interaction,<br />

mobilisent leurs compétences pour exécuter les tâches. Elle sollicite à tout moment<br />

le vécu et les connaissances des élèves. Cette démarche permet de capter et de<br />

maintenir leur intérêt et leur motivation. La grammaire est toujours pratiquée en<br />

contexte. Les pages Formes et Ressources sont spécialement conçues pour présenter<br />

<strong>la</strong> grammaire comme un outil au service de <strong>la</strong> communication. Les documents<br />

authentiques servent de cadre à <strong>la</strong> réalisation de tâches communicatives proches de<br />

<strong>la</strong> vie réelle. Dans <strong>la</strong> méthode Rond-point, les apprenants doivent constamment<br />

prendre des décisions et s’organiser pour réaliser les tâches. Rond-point repose <strong>sur</strong><br />

un principe de communication et d’échange. Chaque élève peut participer et<br />

progresser à partir de ses propres compétences. Les pages Regards croisés proposent<br />

des activités qui stimulent <strong>la</strong> réflexion interculturelle : les apprenants découvrent de<br />

nouveaux aspects de <strong>la</strong> culture <strong>française</strong> tout en prenant conscience de certains traits<br />

de leur propre culture. Rond-point propose des documents oraux authentiques,<br />

adaptés au niveau des apprenants, mais qui montrent <strong>la</strong> richesse et <strong>la</strong> pluralité des<br />

voix francophones <strong>dans</strong> des contextes d’usage quotidien.<br />

Les apprenants sont donc con<strong>du</strong>its à établir un lieu entre leur acquis, leur vécu<br />

ainsi que leur situation indivi<strong>du</strong>elle, ce qui aboutit à l’accomplissement des tâches


52 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

communicatives (comme par ex. organiser une recette de cuisine en groupe ou<br />

bien se mettre d’accord <strong>sur</strong> une date de rendez-vous). Il s’agit là bien de tâches :<br />

l’objectif est c<strong>la</strong>ir et posé dès le départ, le résultat est concret, les compétences mises<br />

en œuvre ne sont pas seulement linguistiques, et <strong>la</strong> démarche est communicative et<br />

interactive. L’approche actionnelle a des répercussions importantes <strong>sur</strong><br />

l’enseignement : <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue est en effet d’abord un moyen de communication. La<br />

perspective actionnelle entraîne également une redéfinition <strong>du</strong> rôle de<br />

l’enseignant(e). Il/Elle doit désormais orienter les apprenants vers les démarches à<br />

suivre, intervenir pour les conseiller, leur donner confiance et les inciter à <strong>la</strong><br />

communication et non pas chercher à leur transmettre son savoir magistral. Rond<br />

Point s’est donné pour objectif principal l’apprentissage autonome et autodéterminé<br />

des apprenants.<br />

Un exemple de tâche de niveau A1, unité 2, par <strong>la</strong> méthode Rond-point :<br />

(Rond- Point 1 :18, 19)<br />

• un contexte : un mariage ; les membres de deux familles ; l’habitude culturelle<br />

de rassembler les gens après <strong>la</strong> cérémonie lors d’un dîner<br />

• un problème à résoudre : p<strong>la</strong>cer les gens autour de trois tables<br />

• un but que chacun se sente bien, passe un bon moment avec ses voisins et que<br />

les règles de bienséance soient respectées<br />

• un résultat ou pro<strong>du</strong>it : le p<strong>la</strong>n dont on défend <strong>la</strong> pertinence avec les parents de<br />

<strong>la</strong> mariée, qui paient


(Rond-Point 1, Unité 2 : 18, 19)<br />

8. La tâche et son influence <strong>sur</strong> <strong>la</strong> motivation des élèves<br />

Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation ... 53<br />

Une tâche est signifiante pour un élève <strong>dans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où elle correspond à ses<br />

intérêts, s’harmonise avec ses projets personnels et répond à ses préoccupations.


54 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Cette condition favorise particulièrement <strong>la</strong> perception qu’a l’élève de <strong>la</strong> valeur qu’il<br />

accorde à <strong>la</strong> tâche. Ainsi, plus une tâche est signifiante, plus l’élève <strong>la</strong> juge<br />

intéressante et utile. La diversité doit d’abord se retrouver <strong>dans</strong> le nombre de tâches<br />

à accomplir à l’intérieur d’une même tâche. Les tâches retenues doivent également<br />

être variées. La répétition d’une même tâche jour après jour peut être une source de<br />

démobilisation pour l’élève en raison de son caractère routinier.<br />

Une tâche constitue un défi pour l’élève <strong>dans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où elle n’est ni trop<br />

facile ni trop difficile. Ainsi, un élève se désintéresse rapidement d’un succès qui ne<br />

lui a coûté aucun effort ou d’un échec dû à son incapacité à réussir une tâche.<br />

L’élève doit savoir ce que l’enseignant attend de lui. Ainsi, il ne perdra pas de<br />

temps à chercher à comprendre ce qu’il doit faire. Des consignes c<strong>la</strong>ires contribuent<br />

à ré<strong>du</strong>ire l’anxiété et le doute que certains élèves éprouvent quant à leur capacité à<br />

accomplir ce qu’on leur demande. La <strong>du</strong>rée prévue pour une tâche effectuée en<br />

c<strong>la</strong>sse devrait correspondre au temps réel qu’une tâche équivalente requiert <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

vie courante. Le fait d’accorder à l’élève le temps dont il a besoin l’aide à porter un<br />

jugement positif <strong>sur</strong> sa capacité de faire ce qui est exigé de lui.<br />

L’aspect ludique <strong>du</strong> travail par les différentes tâches y joue également un grand<br />

rôle. L’élève n’a pas l’impression de faire un travail pénible, fatigant auquel il est<br />

contraint. Tout au contraire, il croit participer à un jeu, à une activité passionnante<br />

<strong>dans</strong> <strong>la</strong>quelle beaucoup dépend de lui-même, de son choix, de sa créativité, de sa<br />

volonté. Mettant un fort accent <strong>sur</strong> l’initiative des apprenants, leur motivation peut<br />

être maintenue plus longtemps. Dans le travail par <strong>la</strong> tâche, ils voient très vite eux-<br />

mêmes à quoi sert leur apprentissage aussi bien en ce qui concerne leurs<br />

compétences linguistiques que les compétences cognitives, culturelles et<br />

interculturelles.<br />

Le travail par <strong>la</strong> tâche recouvre l’implication des apprenants et leur<br />

connaissance <strong>du</strong> monde. Il accorde une grande valeur aux in<strong>formation</strong>s que les<br />

apprenants apportent <strong>dans</strong> les sessions d’apprentissage <strong>dans</strong> une atmosphère de<br />

col<strong>la</strong>boration et amène les élèves à travailler ensemble pour atteindre un but<br />

commun. Tandis que les élèves partagent leurs connaissances, leurs expériences et


Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation ... 55<br />

leurs points de vue, ils mettent ce qu’ils connaissent de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue en pratique,<br />

acquièrent de nouvelles compétences linguistiques. L’apprentissage linguistique par<br />

<strong>la</strong> réalisation d’une tâche permet à l’enseignant d’exploiter un matériel thématique<br />

authentique, permet le développement des compétences nécessaires à l’exécution<br />

des tâches inspirées de <strong>la</strong> vie réelle. On utilise les documents authentiques <strong>dans</strong><br />

l'enseignement pour motiver, donner <strong>du</strong> sens, concrétiser, pour un plus de véridicité<br />

et parce qu'ils ont le but de rendre l'élève compétent et capable d’accomplir des<br />

tâches complexes et de le préparer pour <strong>la</strong> vraie vie et non seulement de lui<br />

transmettre des in<strong>formation</strong>s stériles et non applicables. Une tâche doit mener à une<br />

réalisation, c’est-à dire à un pro<strong>du</strong>it qui ressemble à ceux que l’on trouve <strong>dans</strong> <strong>la</strong> vie<br />

courante. Il peut s’agir d’une affiche, d’un article de journal, d’une interview, d’un<br />

document audiovisuel, d’un texte électronique <strong>dans</strong> un site Internet, d’une pièce de<br />

théâtre, etc. Un poème lyrique, un organisateur graphique ou une chanson peuvent<br />

également constituer des réalisations susceptibles de motiver l’élève. En fait, il est<br />

important d’éviter le plus possible que l’élève ait le sentiment de devoir accomplir<br />

un travail dépourvu <strong>du</strong> contenu qui ne présente de l’intérêt que pour le professeur et<br />

qui n’est utile que pour une évaluation technique. La réalisation d’un pro<strong>du</strong>it<br />

améliore <strong>la</strong> perception de l’élève vis-à-vis de l’acte social qu’il a à accomplir.<br />

Quelques exemples de tâche:<br />

- Réalisation d'une brochure touristique <strong>sur</strong> un pays.<br />

- Ecriture d'un conte.<br />

- Créer un dépliant touristique <strong>sur</strong> les attraits d'une ville (monuments, musées,<br />

hôtels, restaurants), suite à des recherches <strong>sur</strong> Internet. Présenter son meilleur<br />

ami à l'oral en prenant appui <strong>sur</strong> un poster montrant sa photo et ses goûts.<br />

- Ecrire un mail à son nouveau correspondant pour dire qui on est, ce qu’on<br />

aime faire...<br />

- Ecrire et jouer un sketch pour réserver une chambre d'hôtel.<br />

- Rédiger le script d'une scène d'action à partir d'une BD.<br />

- Etc.


56 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

9. Conclusion<br />

Opter pour le contenu de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue au détriment de <strong>la</strong> forme serait l’objectif<br />

d’une approche qui se veut avant tout actionnelle, authentique, réelle et sociale. Tout<br />

au long de cette recherche, nous avons pu affirmer que proposer des tâches qui<br />

prennent p<strong>la</strong>ce au sein d'interactions sociales réelles dépassant le cadre <strong>du</strong> groupe,<br />

permet de mettre en œuvre <strong>la</strong> perspective actionnelle <strong>du</strong> CECR, mais <strong>sur</strong>tout<br />

contribue à augmenter sensiblement <strong>la</strong> motivation des apprenants et les incite à une<br />

plus grande exigence de qualité au niveau <strong>du</strong> contenu de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue. Aussi, nous<br />

avons insisté <strong>sur</strong> le fait que le travail par <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> un groupe est plus agréable<br />

car l’élève se sent à l’aise <strong>dans</strong> le groupe pour être capable de participer activement<br />

et améliorer son français. La communication peut favoriser l’interaction <strong>dans</strong> le<br />

processus d’apprentissage ; il s’agit de mettre en contact les apprenants entre eux et<br />

développer leur capacité de compréhension ; remédier aux problèmes <strong>sur</strong>tout<br />

psychologiques qui font obstacle <strong>dans</strong> le processus de <strong>la</strong> communication et de<br />

l’apprentissage de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, et provoquer <strong>la</strong> motivation à apprendre et pratiquer <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ngue. La variation rend l’enseignement beaucoup plus amusant et les élèves plus<br />

engagés. Dans l’apprentissage de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue par <strong>la</strong> tâche, les élèves ont une partie de<br />

<strong>la</strong> responsabilité pour rendre l’enseignement intéressant, motivant et efficace. Plus<br />

l’élève s’efforce à apprendre, plus les résultats seront bons, et sa motivation<br />

augmentera.<br />

Les tâches nous offrent l’occasion de mettre en p<strong>la</strong>ce des stratégies d’interaction<br />

et de coopération. Les tâches comme : préparer un repas, envoyer une lettre, jeu de<br />

rôle, … ainsi que le travail de groupe créent un contexte socioculturel, donnent lieu<br />

à l’authenticité et développent l’envie et le p<strong>la</strong>isir de communiquer chez les<br />

apprenants et ce<strong>la</strong> provoque <strong>la</strong> motivation à apprendre. En outre, ces tâches<br />

in<strong>du</strong>isent une modification de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion apprenant-enseignant, ce dernier est<br />

considéré par l'apprenant comme un co-actant de <strong>la</strong> situation d’apprentissage.<br />

Les résultats de cet article ne peuvent donc que nous conforter <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

promotion d'une approche actionnelle, une approche demandant aux apprenants de<br />

faire quelque chose au sein d'interactions sociales réelles, une approche privilégiant


Le rôle de <strong>la</strong> tâche <strong>dans</strong> l’augmentation ... 57<br />

des tâches réelles dont le résultat <strong>du</strong>rable dépasse le cadre étroit de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse de<br />

<strong>la</strong>ngues et l'interaction ré<strong>du</strong>ctrice apprenant-enseignant.<br />

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Synergies, Pays Scandinaves.


Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 59-75 59<br />

L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> Le Prométhée mal<br />

enchaîné d'André Gide<br />

Ali Abassi ∗<br />

Maître de conférences, Université Shahid Beheshti<br />

Rouhol<strong>la</strong>h Ghassemi ∗∗<br />

Doctorant de <strong>la</strong> littérature <strong>française</strong>, Université Shahid Beheshti<br />

(Date de réception: 02 May 2009, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

Résumé<br />

Les formes narratives <strong>dans</strong> les œuvres et <strong>dans</strong> les différents récits sont capables de<br />

transmettre des significations variées. Le narrateur, pour sa part, met en valeur les formes<br />

discursives parfois très diverses pour influencer son narrataire voire son lecteur. Le<br />

Prométhée mal enchaîné est une des œuvres d'André Gide où les narrateurs jouent tour à<br />

tour des rôles très intéressants et seule une lecture attentive pourra éc<strong>la</strong>irer les coulisses<br />

des intentions <strong>du</strong> narrateur pour choisir telles ou telles formes discursives.<br />

Les outils de l'analyse des formes syntaxiques et syntagmatiques et les structures qui<br />

en <strong>sur</strong>gissent sont susceptibles et capables de venir au secours <strong>du</strong> lecteur pour procéder à<br />

un déchiffrement des complexités structurales. Celles-ci sont sensées faciliter ou, selon le<br />

cas, entraver <strong>la</strong> compréhension <strong>du</strong> texte, ce qui nécessite une attention particulière de <strong>la</strong><br />

part <strong>du</strong> narrateur pour choisir les formes les plus compatibles avec ses intentions.<br />

Les interactions et les échanges discursifs entre les narrateurs ainsi que <strong>la</strong> présence<br />

<strong>du</strong> narrataire <strong>dans</strong> les passages différents de ce récit créent une ambiance romanesque qui<br />

établit une re<strong>la</strong>tion forte avec son narrataire. Bien que celui-ci soit sous l'influence de ces<br />

liens, le narrateur, par des voies différentes, reçoit les avis de ses narrataires et leur<br />

accorde une importance et une position remarquable.<br />

Mots clés: Narratologie, Homodiégétique, Hétérodiégétique, Discours, Récit,<br />

Prométhée, Gide.<br />

__________________________________________________________________<br />

∗ Tel: 021-29902446, Fax: 021-29902446, E-mail: Ali_abasi2001@yahoo.com<br />

∗∗ Tel: 021-29902446, Fax: 021-29902446, E-mail: r_ghasemi@sbc.ac.ir


60 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

L'étude de <strong>la</strong> position <strong>du</strong> narrateur <strong>dans</strong> Le Prométhée mal enchaîné nous révèle<br />

le statut de l'instance narratrice de ce récit. Les études effectuées <strong>sur</strong> André Gide et<br />

ses œuvres sont nombreuses et d'une variété considérable. Pourtant l'analyse<br />

typologique <strong>du</strong> Prométhée mal enchaîné apportera des intérêts spéciaux à ceux qui<br />

veulent mieux connaître les couches et les niveaux basiques de <strong>la</strong> <strong>formation</strong> de cette<br />

œuvre. Les re<strong>la</strong>tions entre les différents narrateurs, <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration des instances<br />

narratrices et les interactions entre le narrateur et ses narrataires, qui sont parfois ses<br />

interlocuteurs actifs <strong>dans</strong> les échanges discursifs, donnent naissance à une œuvre qui<br />

pourrait représenter des aspects intéressants pour une analyse narratologique.<br />

L'article présent a pour ambition d'étudier le statut <strong>du</strong> narrateur ainsi que de<br />

travailler <strong>sur</strong> les échanges bi<strong>la</strong>téraux entre narrateur et narrataire. Nous tâcherons<br />

d'exhiber comment les narrateurs appartenant à différents paliers temporels et même<br />

spatiaux s'entraident pour mener à bien un seul récit donc l'étude de <strong>la</strong> <strong>formation</strong> de<br />

cette col<strong>la</strong>boration constitue une partie importante de cette recherche.<br />

Nous tâcherons, tout d'abord, de préciser <strong>la</strong> définition <strong>du</strong> récit; ensuite nous<br />

essaierons de montrer le degré de <strong>la</strong> conformité des composantes de cette histoire<br />

avec ces définitions. Pour ce<strong>la</strong>, nous utiliserons le point de vue d'Yves Reuter en<br />

nous référant à son Intro<strong>du</strong>ction à l'analyse <strong>du</strong> roman.<br />

Ce bref article essaiera de déchiffrer ces re<strong>la</strong>tions et ces coopérations qui<br />

s'effectuent <strong>dans</strong> le monde romanesque et qui sont sensés créer une espace<br />

imaginaire. Une analyse de ces structures et une lecture attentive et méticuleuse<br />

pourraient aider le lecteur à décrypter les liens internes entre les différentes parties<br />

d'un récit et le procès de <strong>la</strong> compréhension <strong>du</strong> sens profond <strong>du</strong> texte, qui reste<br />

parfois caché <strong>du</strong> regard d'un lecteur inattentif, se réalisera plus facilement.<br />

Les conceptions telles que le narrateur hétérodiégétique ou homodiégétique<br />

présentées et é<strong>la</strong>borées par Gérard Genette constituent le point de départ de notre<br />

démarche.<br />

A cet effet, <strong>la</strong> méthode de Japp Lintvelt fournit l'un des meilleurs outils<br />

analytiques <strong>dans</strong> ce domaine, nous l'avons choisie comme base de notre travail.


L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 61<br />

Pourtant nous avons recouru à d'autres ouvrages de l'analyse narratologique et<br />

discursive pour compléter dignement ce travail et pour que nous puissions étudier<br />

tous les points <strong>sur</strong>gis <strong>dans</strong> cette histoire.<br />

Statut <strong>du</strong> narrateur<br />

Selon certains chercheurs, le récit doit être formé par un certain nombre de<br />

composantes indispensables. Ces dernières s'imposent comme des éléments<br />

essentiels de toute pro<strong>du</strong>ction verbale – écrite ou orale – digne de figurer <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

catégorie <strong>du</strong> récit. Cette définition exige trois étapes différentes pour que nous<br />

puissions qualifier un texte de récit. Tout d'abord, il faut avoir une situation primaire<br />

où le silence actionnel règne; ceci dit, <strong>la</strong> première partie <strong>du</strong> récit ne comprend<br />

aucune action remarquable censée changer le cours <strong>du</strong> récit. Il s'agit donc d'une<br />

stabilité dominante où les protagonistes sont occupés par <strong>la</strong> quotidienneté et où<br />

aucun problème ne <strong>sur</strong>vient. Pourtant cette tranquillité ne pourra pas continuer à<br />

l'infini; ce calme doit être brisé par une "force perturbatrice" qui bouleverse <strong>la</strong><br />

situation primaire et donne lieu à l'action principale voire au "nœud" <strong>du</strong> récit.<br />

Tous les efforts des protagonistes pour résoudre le problème <strong>sur</strong>gi se déploient à<br />

<strong>la</strong> suite de ce point délicat; en effet, désormais, les actions des acteurs sont orientées<br />

vers le dénouement <strong>du</strong> nœud qui est le point culminant <strong>du</strong> récit tant recherché par les<br />

protagonistes. À <strong>la</strong> suite de cette étape, le récit entre <strong>dans</strong> une nouvelle phase; celle<br />

de <strong>la</strong> deuxième période de stabilité. Dans cette dernière escale, les problèmes sont<br />

résolus, les manques comblés et les pertes retrouvées; c'est pourquoi le récit et les<br />

événements tirent vers le calme et <strong>la</strong> tranquillité; <strong>dans</strong> cette partie, grâce à l'acte des<br />

protagonistes, les situations redeviennent stables, comparables avec <strong>la</strong> première<br />

partie <strong>du</strong> récit. Pourtant les détails de ces deux scènes ne sont pas complètement<br />

identiques car les changements <strong>sur</strong>venus ont modifié certains éléments de l'histoire.


62 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Force perturbatrice Force régu<strong>la</strong>trice<br />

Etat initial Etat finale<br />

Etat interne<br />

Yves Reuter précise cette définition <strong>dans</strong> son Intro<strong>du</strong>ction à l'analyse <strong>du</strong> roman:<br />

Certains chercheurs ont donc tenté de rendre compte de toute intrigue en un<br />

modèle plus abstrait et plus simple. Selon eux, tout récit serait fondé <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />

superstructure suivante, que l'on appelle aussi schéma canonique <strong>du</strong> récit ou schéma<br />

quinaire, en raison de ses cinq grandes "étapes":<br />

TRANSFORMATION<br />

Etat initial Complication Dynamique Résolution Etat final<br />

(Force perturbatrice) (Force régu<strong>la</strong>trice)<br />

Le récit se définirait ainsi comme trans<strong>formation</strong> d'un état en un autre état.<br />

(Reuter;2006:47)<br />

Ce tableau schématique montre bien ces trois conditions nécessaires <strong>du</strong> récit et<br />

l'absence de chacune d'entre elles nuit à <strong>la</strong> globalité et à <strong>la</strong> cohérence <strong>du</strong> récit.<br />

Pourtant <strong>dans</strong> les récits minimaux, l'histoire pourrait être racontée dès l'arrivée de <strong>la</strong><br />

force perturbatrice; ce<strong>la</strong> veut dire que le narrateur est capable, voire autorisé, de faire<br />

l’économie de <strong>la</strong> première partie <strong>du</strong> récit.<br />

En ce qui concerne l'histoire de Prométhée qui constitue notre champ<br />

d'investigation et pour y appliquer ce que nous avons déjà résumé comme <strong>la</strong><br />

définition <strong>du</strong> récit, nous ne pouvons pas y trouver toutes ces étapes.<br />

Le narrateur fait l'économie de <strong>la</strong> première partie <strong>du</strong> récit qui aurait dû montrer<br />

une situation calme et stable. Ceci dit, le narrateur supprime <strong>la</strong> première étape et le<br />

lecteur ne connaît pas ce qui est arrivé aux protagonistes ni les conditions où ils<br />

vivaient. Le récit commence par <strong>la</strong> <strong>sur</strong>venue de <strong>la</strong> force perturbatrice qui constitue<br />

l'arrivée de Prométhée à Paris.


L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 63<br />

Quand, <strong>du</strong> haut <strong>du</strong> Caucase, Prométhée eut bien éprouvé que les chaînes,<br />

tenons, camisoles, parapet et autres scrupules, somme toute, l'ankylosaient, pour<br />

changer de pose il se souleva <strong>du</strong> côté gauche, étira son bras droit et, entre quatre et<br />

cinq heures d'automne descendit le boulevard… (Gide, 1958:304)<br />

L'arrivée de Prométhée à Paris est le début d'une série d'actions qui mènent<br />

finalement au dénouement <strong>du</strong> récit. Ce<strong>la</strong> signifie que tous les autres récits intra<br />

diégétiques doivent être rangés <strong>dans</strong> ce niveau et l'enchaînement de ces récits fait<br />

<strong>sur</strong>gir le sens à <strong>la</strong> fin <strong>du</strong> récit premier où le narrateur extradiégétique-<br />

hétérodiégétique 1 clôt son système discursif.<br />

Cette partie qui est en fait le corps, <strong>la</strong> partie principale <strong>du</strong> récit, est composée<br />

par 6 autres récits intradiégétiques dont nous analyserons in extenso le système<br />

narratif.<br />

Concernant les récits intradiégétiques, nous y trouvons l'alternance des<br />

narrateurs homodiégétique et hétérodiégétique comme le montre ce tableau<br />

Nom <strong>du</strong> récit Niveau Narrateur<br />

Histoire de Miglionnaire intradiégétique Garçon <strong>du</strong><br />

restaurant<br />

Statut <strong>du</strong><br />

narrateur<br />

hétérodiégétique<br />

Histoire de Damoclès intradiégétique Damoclès homodiégétique<br />

Histoire de Coclès intradiégétique Coclès homodiégétique<br />

Histoire de Prométhée intradiégétique Narrateur principal hétérodiégétique<br />

Pétition de principes<br />

(suite de l'histoire de<br />

Prométhée)<br />

Interview de<br />

Miglionnaire<br />

intradiégétique Prométhée homodiégétique<br />

intradiégétique Miglionnaire homodiégétique<br />

Histoire de Tityre intradiégétique Prométhée hétérodiégétique<br />

Pour tous les récits nommés <strong>dans</strong> cette grille, nous pourrons appliquer le même<br />

schéma que pour le récit principal.<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Nous avons emprunté ses notions à Gérard Genette; 1972: 252


64 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

L'histoire de Miglionnaire commence par des verbes au présent. Le narrateur<br />

essaie ainsi de créer un sentiment de contemporanéité entre le moment de l'action et<br />

le moment de <strong>la</strong> narration<br />

Mon ami descend le matin, avec, <strong>sur</strong> lui, un billet de cinq cents francs <strong>dans</strong> une<br />

enveloppe et une gifle prête <strong>dans</strong> sa main. Il s'agit de trouver quelqu'un sans le<br />

choisir. Donc, <strong>dans</strong> <strong>la</strong> rue il <strong>la</strong>isse tomber son mouchoir et […] (ibid:306)<br />

La présence des verbes itératifs évoque une action répétitive <strong>dans</strong> ce passage et<br />

le recours au présent diminue ainsi <strong>la</strong> distance narrateur-narrataire; ce sentiment de<br />

contemporanéité pourrait ainsi être é<strong>la</strong>rgi jusqu'aux frontières <strong>du</strong> lecteur. C'est en<br />

fait ce dernier qui est <strong>la</strong> cible privilégiée de l'auteur abstrait qui manipule le<br />

narrateur comme un de ses porte-paroles.<br />

[L'auteur abstrait] pourrait seulement se dissimuler derrière le discours <strong>du</strong><br />

narrateur fictif, mais <strong>dans</strong> ce cas-là c'est le narrateur qui s'énonce et point l'auteur.<br />

En outre, il faut bien se rendre compte que, même si le narrateur joue parfois le rôle<br />

de porte-parole <strong>la</strong> position idéologique de l'auteur implicite n'est pro<strong>du</strong>ite qu'en<br />

partie par le commentaire explicite <strong>du</strong> narrateur. (Lintvelt,1981:26)<br />

Malgré les ressemb<strong>la</strong>nces superficielles que le lecteur pourrait ressentir entre les<br />

verbes conjugués au présent <strong>dans</strong> ce passage, nous pouvons marquer une séparation<br />

nette entre deux parties visiblement distinctes; si nous faisons une distinction entre<br />

les trois verbes "descend", "s'agit" et "<strong>la</strong>isse", nous constatons un déca<strong>la</strong>ge de point<br />

de vue. Les premier et troisième verbes suggèrent un point de vue auctoriel; c'est en<br />

fait le narrateur qui prend <strong>la</strong> responsabilité de ces énoncés et qui révèle au lecteur<br />

comment il voit les évènements <strong>sur</strong>venus. C'est lui qui contemple les évènements et<br />

diffuse sa vision. Le lecteur peut ainsi avoir accès à des visions <strong>du</strong> narrateur et se<br />

trouver d'une manière ou d'une autre <strong>dans</strong> sa position qui lui est propre et une fusion<br />

entre ces deux instances <strong>du</strong> système narratif s'avère très proche.<br />

Tandis que <strong>dans</strong> <strong>la</strong> deuxième phrase de ce passage, en utilisant le verbe "il<br />

s'agit", le narrateur se p<strong>la</strong>ce <strong>dans</strong> <strong>la</strong> position de l'acteur et annonce un point de vue<br />

actoriel. C'est en fait le protagoniste, Miglionnaire, qui veut trouver quelqu'un et<br />

c'est encore lui qui est conscient que l'objet de cette recherche n'est pas une personne


L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 65<br />

préa<strong>la</strong>blement choisie; ce choix hasardeux de <strong>la</strong> personne qui devrait recevoir une<br />

gifle pourrait augmenter le poids de l'acte gratuit <strong>du</strong> personnage. Le narrateur<br />

hétérodiégétique aussi met l'accent <strong>sur</strong> cette gratuité qui est <strong>la</strong> raison des actions de<br />

Miglionnaire: "J'ai un ami, Monsieur, qui est Miglionnaire. Il est intelligent aussi. Il<br />

s'est dit: une action gratuite? Comment faire? Et comprenez qu'il ne faut pas<br />

entendre là une action qui ne rapporte rien" (Gide,1958:305). Les propos <strong>du</strong><br />

narrateur vont <strong>dans</strong> <strong>la</strong> même direction que les actes <strong>du</strong> personnage. Effectivement, le<br />

sens <strong>sur</strong>git de <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration étroite entre ces deux instances discursives; les actes<br />

et les propos se complètent les uns les autres. Etant donné que les propos <strong>du</strong><br />

narrateur apparaissent plus tôt <strong>dans</strong> le cours <strong>du</strong> récit, ce<strong>la</strong> témoigne de l'intention de<br />

ce dernier pour affirmer ses propos et pour que le narrataire puisse plus facilement<br />

les croire; en effet, le narrateur hétérodiégétique utilise l'alternance des points de vue<br />

auctoriel et actoriel pour y appuyer son propre discours. Ce changement des points<br />

de vue est un moyen favorable par lequel le narrateur joue son rôle assertif; il<br />

n'utilise pas les moyens linguistiques et grammaticaux mais essaie de cacher cette<br />

fonction assertive derrière les yeux et <strong>la</strong> pensée de l'acteur.<br />

Pourtant le résultat <strong>du</strong> travail de ce narrateur n'est pas, selon <strong>la</strong> définition<br />

présentée, jusqu'ici un récit; le narrateur a bien présenté le début de l'histoire; l'étape<br />

primaire se forme d'une manière impeccable avec des verbes itératifs conjugués au<br />

présent sensés suggérer un état de stabilité. Ce qui attire l'attention et le regard <strong>du</strong><br />

lecteur, c'est le côtoiement des narrateurs hétérodiégétiques et homodiégétiques pour<br />

mener à bien une seule histoire. En effet, bien que le garçon <strong>du</strong> restaurant, en tant<br />

que narrateur hétérodiégétique, ne réussisse pas à accomplir son récit, <strong>dans</strong> un autre<br />

passage de l'histoire principale, un autre narrateur, homodiégétique cette fois-ci,<br />

entre <strong>sur</strong> <strong>la</strong> scène pour compléter <strong>la</strong> mission de son homologue.<br />

En effet, les histoires racontées par deux autres personnages, Damoclès et<br />

Coclès, sont à concevoir comme des parties complémentaires de <strong>la</strong> première<br />

histoire.<br />

L'histoire de Damoclès commence comme son précédent par une série<br />

d'in<strong>formation</strong>s fournies par le narrateur homodiégétique pour décrire une situation


66 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

stable. Cette fois-ci, tout au contraire <strong>du</strong> garçon <strong>du</strong> restaurant qui utilise des verbes<br />

au présent, le narrateur préfère avoir recours à l'imparfait.<br />

Je m'ingéniais; je faisais de <strong>la</strong> statistique, je supputais le juste milieu. […] Je me<br />

couchais chaque jour à dix heures. Je dormais huit heures et demie. J'avais en<br />

chacun de mes actes d'imiter toujours le plus grand nombre, et pour chacune de mes<br />

pensées d'adopter l'opinion <strong>la</strong> plus commune. (Gide, 1958:308)<br />

Une cascade à l'imparfait des verbes imperfectifs dessine ici une série d'actions<br />

répétitives. Les trois premiers verbes "ingéniais", "faisais" et "supputais" se<br />

déroulent <strong>dans</strong> un espace temporel indéterminé. Le lecteur ne sait pas pendant<br />

combien de temps ou bien avec quel intervalle temporel, ses actions se répètent. Ce<br />

qui compte c'est l'acte de cette répétition et le sens qui s'en dégage pour créer une<br />

ambiance de continuité sans aucun arrêt. Le verbe "je me couchais" va <strong>dans</strong> le sens<br />

contraire car une expression temporelle, "chaque jour", est chargée de préciser les<br />

périodes où il se répète. Cette détermination guide le lecteur vers une<br />

compréhension plus facile <strong>du</strong> texte et pour qu'il puisse se localiser <strong>dans</strong> l'espace<br />

temporel de l'instance de <strong>la</strong> narration; sans une telle sorte d'in<strong>formation</strong>s, il risque<br />

d'être per<strong>du</strong> <strong>dans</strong> l'enchaînement <strong>du</strong> procès de <strong>la</strong> création <strong>du</strong> sens. Une seule<br />

référence temporelle paraît être <strong>la</strong>rgement suffisante pour développer son sens <strong>dans</strong><br />

d'autres phrases qui <strong>la</strong> suivent. C'est pourquoi <strong>dans</strong> <strong>la</strong> dernière partie de ce passage<br />

comprenant les verbes "je dormais" et "j'avais", l'énonciateur n'a plus besoin d'une<br />

spécification temporelle; ces énoncés étant subordonnés au verbe précédent, doivent<br />

y chercher leur ressource et dépendent temporellement de <strong>la</strong> phrase qui les a<br />

précédés.<br />

Ces verbes ne font, pourtant, aucune allusion ni au début ni à <strong>la</strong> fin des actions<br />

qu'ils racontent. Ils transposent ces actions juste au milieu de leur déroulement. Cette<br />

caractéristique de l'imparfait en fait un temps compatible avec <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée temporelle.<br />

L'imparfait est un temps imperfectif qui présente le procès <strong>dans</strong> son<br />

déroulement, sans délimiter le début ni <strong>la</strong> fin, qui peut être marqué par des<br />

périphrases comme "commencer à" ou "finir de" ou par des compléments de temps.<br />

(Herschberg Pierrot, 1994: 47)


L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 67<br />

Dans le cas de ce passage, nous voyons que le début et <strong>la</strong> fin des actions ne sont<br />

pas déterminés; ce qui compte c'est le processus de leur déroulement et le lecteur les<br />

saisit en plein d'achèvement. En effet, une sorte de mouvement se cache derrière ces<br />

énoncés et l'énonciateur ne vou<strong>la</strong>it pas entraver cet enchaînement des verbes ni cette<br />

continuité des actions.<br />

En effet, entre ce narrateur homodiégétique et le narrateur hétérodiégétique<br />

précédent, nous pouvons trouver des ressemb<strong>la</strong>nces de style et des modes de<br />

présentation simi<strong>la</strong>ires. Les deux veulent raconter une même histoire et les deux<br />

utilisent des procédés comparables <strong>dans</strong> des situations semb<strong>la</strong>bles.<br />

Nous avons évoqué là-haut l'emploi de l'imparfait par Miglionnaire qui raconte<br />

sa propre histoire; le garçon <strong>du</strong> restaurant utilise, <strong>dans</strong> son discours, le présent pour<br />

dessiner une situation stable tandis que son homologue hétérodiégétique utilise le<br />

présent pour suggérer <strong>la</strong> même idée car<br />

A l'aspect imperfectif de l'imparfait ou <strong>du</strong> présent (l'imparfait est parfois appelé<br />

un présent <strong>du</strong> passé) on peut relier d'autres effets contextuels: <strong>la</strong> valeur <strong>du</strong>rative<br />

(quand on insiste <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> procès), <strong>la</strong> valeur itérative (quand le procès se<br />

répète), <strong>la</strong> valeur gnomique, ou de vérité générale (propre au présent). (Ibid.)<br />

La valeur aspectuelle commune permet aux énonciateurs différents d'utiliser des<br />

temps différents pour suggérer <strong>la</strong> même idée; celle de continuité.<br />

Pourtant le garçon ne continue plus cette histoire et le lecteur doit chercher<br />

ailleurs pour en trouver une suite. Le narrateur homodiégétique, Miglionnaire,<br />

avance davantage <strong>dans</strong> le cours de l'histoire; tout d'abord, il étale l'état initial, ensuite<br />

pour <strong>la</strong> deuxième étape, il utilise un verbe au passé composé en précisant : "Je suis<br />

descen<strong>du</strong> <strong>dans</strong> <strong>la</strong> rue, cherchant le moyen de faire souffrir quelqu'un <strong>du</strong> don que<br />

j'al<strong>la</strong>is faire à quelqu'un d'autre" (Gide,1958:329). Le passé composé est utilisé ici à<br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> passé simple. Le narrateur prend ici un point de vue actoriel. Cette<br />

phrase fait état de l'intention <strong>du</strong> personnage pour "descendre" <strong>dans</strong> <strong>la</strong> rue. Le "je-<br />

narrant" essaie de s'approcher <strong>du</strong> "je-narré" en adoptant son point de vue; comme si<br />

le narrateur homodiégétique se mettait <strong>dans</strong> <strong>la</strong> position <strong>du</strong> protagoniste de son<br />

histoire. Il s'écarte ainsi <strong>du</strong> moment de <strong>la</strong> narration et pour aller vers le moment de


68 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

l'histoire. Mais cette distance temporelle n'est pas très longue car le narrateur utilise<br />

<strong>dans</strong> son énoncé un verbe au passé composé qui tend à établir un contact, une<br />

re<strong>la</strong>tion entre le passé et le présent: "Le passé composé est en correspondance avec<br />

le moment présent de l'écriture" (Herschberg Pierrot, 1994:74).<br />

Certes, l'action de l'écriture se trouve remp<strong>la</strong>cée <strong>dans</strong> ce passage par l'action de<br />

narration. En effet, après un éloignement temporel, le narrateur essaie de guider son<br />

narrataire vers le moment de <strong>la</strong> narration pour créer chez lui un sentiment de<br />

contemporanéité. Ces deux procédés discursifs s'entraident pour marquer un aller<br />

<strong>dans</strong> le passé et un retour au présent. La vivacité créée pas le passé composé<br />

empêche le lecteur de ne pas rester <strong>dans</strong> l'ambiance <strong>du</strong> passé et le recours par le<br />

narrateur au point de vue actoriel exige un intervalle temporel entre l'instance<br />

narratrice et le fait raconté.<br />

Le point intéressant <strong>dans</strong> ces histoires, c'est <strong>la</strong> participation des différents<br />

narrateurs <strong>dans</strong> le procès de <strong>la</strong> création d'un récit; les narrateurs hétérodiégétiques et<br />

homodiégétiques se côtoient pour raconter finalement une seule et même histoire.<br />

Ainsi, ce deuxième narrateur n'arrive-t-il pas à achever son histoire; <strong>la</strong> présence d'un<br />

autre protagoniste s'avère nécessaire ici pour continuer le trajet de ces narrateurs<br />

intradiégétiques.<br />

Il y a un autre narrateur qui suit le cours de ce système narratif : Coclès. Lui<br />

aussi raconte <strong>la</strong> première partie de cette histoire de son point de vue qui lui est<br />

propre.<br />

Je n'ai pas grandes re<strong>la</strong>tions <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre; et même avant ce que je vais vous<br />

raconter, je ne m'en savais pas encore. Je ne sais qui m'a mis au monde et j'ai<br />

longtemps cherché quelques raisons de continuer à ma vie. Je suis descen<strong>du</strong> <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

rue, quêtant une détermination <strong>du</strong> dehors. Je pensais que d'un premier apport devait<br />

dépendre ma destinée […] un premier acte, je le savais, al<strong>la</strong>it me motiver l'existence.<br />

(Gide, 1958:310-311)<br />

Le procès de narration se poursuit par un autre protagoniste voire un autre<br />

narrateur. Le récit est déclenché par une situation initiale présentée par des verbes au<br />

présent suivis par des imparfaits. Les deux temps se trouvent <strong>sur</strong> des paliers


L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 69<br />

différents mais représentent des aspects simi<strong>la</strong>ires qui suggèrent le sentiment de<br />

continuité; l'un <strong>dans</strong> le présent et l'autre <strong>sur</strong> le palier <strong>du</strong> passé. Le poids de <strong>la</strong><br />

différence entre le passé et le présent se révèle très c<strong>la</strong>irement et le narrateur passe<br />

directement et rapidement d'une phase à l'autre. Ces deux mondes ne sont pas si<br />

éloignés l'un de l'autre; leur lien s'établit par le recours au passé composé car :<br />

Le parfait établit un lien vivant entre l'évènement passé et le présent où son<br />

évocation trouve p<strong>la</strong>ce. C'est le temps de celui qui re<strong>la</strong>te les faits en témoin, en<br />

participant; c'est donc aussi le temps que choisira quiconque veut faire retenir<br />

jusqu'à nous l'évènement rapporté et le narrateur à notre présent.<br />

(Benveniste, 1966: 244)<br />

La divergence entre les points de vue paraît être fondamentale <strong>dans</strong> ce passage<br />

de l'œuvre d'André Gide. Le narrateur homodiégétique change tout le temps de<br />

point de vue et fait continuellement <strong>la</strong> navette entre les points de vue actoriel et<br />

auctoriel. La première phrase est celle <strong>du</strong> narrateur <strong>dans</strong> le moment de <strong>la</strong> narration<br />

"je n'ai pas grandes re<strong>la</strong>tions <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre"; c'est en fait le narrateur qui, loin <strong>du</strong><br />

monde narré, se met en re<strong>la</strong>tion directe avec le lecteur, annonce son point de vue <strong>sur</strong><br />

sa vie actuelle et juge ainsi ses propres actions voire ses propres états. Les verbes<br />

conjugués au présent expriment visiblement ce point de vue, ce regard <strong>du</strong><br />

personnage <strong>sur</strong> son état actuel. Ce regard se complète par une autre vision <strong>du</strong> passé<br />

évoquée par les verbes au passé composé. Ces derniers donnent naissance à un point<br />

de vue auctoriel; ici <strong>la</strong> séparation entre le "je-narré" et le "je-narrant" s'effectue<br />

visiblement par l'alternance des temps passé et présent. Le narrateur prend distance<br />

de son passé, vient <strong>dans</strong> le moment présent et fait part de <strong>la</strong> manière par <strong>la</strong>quelle il<br />

voit son entourage; et ce<strong>la</strong> par le biais <strong>du</strong> point de vue auctoriel.<br />

Le même aller-retour entre le passé et le présent que nous avons évoqué plus<br />

haut, nous pouvons le trouver <strong>dans</strong> les précisions de ce narrateur homodiégétique.<br />

Dans ce dernier cas, tout comme le modèle présenté précédemment, le recours à des<br />

points de vue différents côtoie l'emploi des temps verbaux variés pour suggérer ce<br />

mouvement temporel. Le temps paraît comme un jouet <strong>dans</strong> les mains <strong>du</strong> narrateur<br />

qui ne veut pas se limiter <strong>dans</strong> un espace temporel.


70 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

La convergence des systèmes narratifs<br />

Jusqu'ici nous avons évoqué quelques ressemb<strong>la</strong>nces entre les discours des<br />

narrateurs différents. Ils ont utilisé les mêmes structures pour entamer <strong>la</strong> narration<br />

d'une histoire. Les narrateurs hétérodiégétiques et homodiégétiques tendent vers le<br />

même but mais ils n'arrivent pas tous à achever leur récit. Un système de<br />

coopération poli-narrateur paraît fonctionner en vue de préparer un espace narratif<br />

complet. Le garçon <strong>du</strong> restaurant, Damoclès, Coclès et Miglionnaire racontent,<br />

chacun à son tour, leur propre histoire, mais ces histoires ne sont pas sans rapport<br />

l'une avec l'autre; le garçon raconte l'histoire d'un homme (Miglionnaire) qui gifle<br />

les autres; Damoclès et Coclès raconte l'histoire d'un homme qui les a giflés. Les<br />

points communs qui relient ces histoires entre elles sont visiblement repérables.<br />

Ces étapes initiales ne sont que le début <strong>du</strong> récit. Le garçon ne continue plus son<br />

rôle, <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> parole aux autres et se contente de préparer le terrain pour que les<br />

autres puissent raconter leurs propres histoires: "Alors on s'assied (pas moi) on cause<br />

(pas moi non plus) mais je mets en re<strong>la</strong>tion; j'écoute; je scrute; je dirige <strong>la</strong><br />

conversation" (Gide, 1958:305).<br />

Damoclès continue ainsi:<br />

Donc figurez-vous qu'un matin je reçus une lettre. Messieurs, je vois à l'absence<br />

de votre étonnement que je vous raconte mal mon histoire. J'aurais dû vous dire<br />

d'abord que, de lettres, je n'en attendais point. De lettres, j'en reçois trois par an: une<br />

de mon propriétaire pour réc<strong>la</strong>mer le terme; une de mon banquier pour m'annoncer<br />

que je suis en me<strong>sur</strong>e de le faire; une au premier janvier… (Ibid.:309)<br />

Ce passage révèle c<strong>la</strong>irement l'effondrement de <strong>la</strong> situation initiale; l'arrivée<br />

d'une lettre, exprimée par le passé simple, constitue <strong>la</strong> force perturbatrice <strong>du</strong> récit de<br />

Damoclès. La stabilité des situations se concrétise avec les verbes au présent qui<br />

révèlent un aspect imperfectif et montre les actions dont ni le début ni <strong>la</strong> fin ne sont<br />

déterminés.<br />

Le passé simple indique un aspect non conclusif ; pour utiliser le mot juste, il<br />

s'agit, <strong>dans</strong> ce passage, d'une action ponctuelle qui <strong>sur</strong>vient à un moment de l'histoire<br />

et qui change le cours normal de <strong>la</strong> vie <strong>du</strong> narrateur. C'est ce verbe qui fournit


L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 71<br />

l'activité, le mouvement <strong>du</strong> récit; sans ce verbe, <strong>la</strong> continuité de l'état initial se<br />

poursuivrait éternellement et donc aucune trans<strong>formation</strong> ne serait envisageable ;<br />

c'est pourquoi nous pouvons qualifier cette action de moteur <strong>du</strong> récit.<br />

Cette action principale prend une autre forme chez Coclès:<br />

Un premier acte, je le savais, al<strong>la</strong>it me motiver l'existence. Naturellement bon, je<br />

l'ai dit, cet acte fut de ramasser à terre un mouchoir; celui qui le <strong>la</strong>issait tomber<br />

n'avait pu s'écarter que de trois pas encore; moi, courant après lui, le lui remis.<br />

(Ibid. :311)<br />

Ce passage pourrait être conçu comme un acte de confession. Le narrateur est<br />

bien conscient de l'influence de cette action <strong>sur</strong> sa vie et qu'elle "al<strong>la</strong>it motiver son<br />

existence". Le point de vue auctoriel domine ce passage. Le narrateur essaie de<br />

s'écarter <strong>du</strong> moment de l'action, hésite à se mettre <strong>dans</strong> <strong>la</strong> position de l'acteur et juge<br />

les actions <strong>du</strong> je-narré avec une distance temporelle après leur coup. Cette fois-ci, le<br />

narrateur homodiégétique ne fait aucun effort pour combler ce déca<strong>la</strong>ge et si nous ne<br />

considérons pas le seul verbe conjugué au passé composé "je l'ai dit", le rapport<br />

entre le moment de <strong>la</strong> narration et celui de l'action sera complètement coupé et<br />

l'action se p<strong>la</strong>cera totalement <strong>dans</strong> le passé. Ce lien ne tient qu'à <strong>la</strong> présence de ce<br />

verbe; or, à <strong>la</strong> suite d'une seule comparaison avec d'autres exemples cités<br />

préa<strong>la</strong>blement, nous trouvons une différence nette entre les structures narratives<br />

utilisées par ce narrateur et celles que les autres narrateurs ont employées. Chez<br />

Coclès, <strong>la</strong> ligne qui relie les deux extrémités temporelles est comme une voie à sens<br />

unique tandis que chez les autres narrateurs, nous avons remarqué une interaction,<br />

un échange perpétuel entre ces deux instants.<br />

Les points de vue auctoriels monoscopiques 1 doivent se compléter l'un l'autre de<br />

sorte que le lecteur se trouve face à un système uniforme et cohérent; les points de<br />

vue seraient pris donc pour polyscopiques.<br />

__________________________________________________________________<br />

1- voir: Lintvelt, 1981, chapitre II


72 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

P<strong>la</strong>n verbal<br />

En ce qui concerne l'étude <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n verbal, nous voyons une diversité d'emploi et<br />

une présence effective des différentes fonctions et les narrateurs utilisent des<br />

procédés variés pour accomplir ces fonctions. Ce qui attire l'attention d'un lecteur<br />

avisé, c'est <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion narrateur-narrataire et les modalités de ce lien.<br />

Les narrateurs <strong>dans</strong> Le Prométhée mal enchaîné tendent presque toujours à<br />

absorber les narrataires et les faire participer au cours de leurs activités discursives;<br />

de sorte que quelquefois, ces derniers ne peuvent pas, même s'ils le veulent, rester à<br />

l'écart <strong>du</strong> courant de ce flux narratif. Dans un passage, Prométhée essaie<br />

d'apostropher directement ses interlocuteurs pour établir avec eux une re<strong>la</strong>tion plus<br />

intime<br />

… ne cherchez pas à tout ce<strong>la</strong> trop grand sens, je vou<strong>la</strong>is <strong>sur</strong>tout vous distraire,<br />

et suis heureux d'y être parvenu; vous devais-je ce<strong>la</strong>? Je vous avais tant ennuyés<br />

l'autre fois. (Ibid. :340)<br />

La distance entre le narrateur qui raconte sa propre histoire - homodiégétique –<br />

et ses narrataires tend ainsi à diminuer. Les deux instances de ce système narratif<br />

s'approchent l'un de l'autre; c'est en effet le narrateur qui essaie de franchir des pas<br />

vers son interlocuteur pour lui présenter une précision, une explication. L'utilisation<br />

et <strong>la</strong> présence des formes interrogatives font part, bel et bien, de l'intention <strong>du</strong><br />

narrateur pour attribuer un rôle actif au narrataire et pour le faire participer <strong>dans</strong> le<br />

cours de <strong>la</strong> création de son discours. Dans ce cas particulier, le narrateur raconte une<br />

histoire drôle et amusante; <strong>la</strong> dernière phrase <strong>du</strong> passage mentionné fait état des<br />

causes et des raisons de l'activité discursive <strong>du</strong> narrateur. Il raconte car il croit qu'il<br />

"avait ennuyé" ses interlocuteurs; et ce travail narratif ne cherche qu'à combler cette<br />

faute que le narrateur avait commise; or, le narrateur précise explicitement l'objectif<br />

de son travail et le but qu'il cherche.<br />

Cette participation <strong>du</strong> narrataire au cours de <strong>la</strong> narration n'est pas toujours une<br />

activité physique; <strong>la</strong> présence mentale et spirituelle compte parfois beaucoup pour sa<br />

part.<br />

Messieurs, voyez-le maintenant, et comprenez pourquoi je parle; pourquoi je


L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 73<br />

vous assemble ici; pourquoi je vous supplie de m'entendre: c'est que j'ai découvert<br />

ceci: l'aigle peut devenir très beau. – Or chacun de vous a un aigle; je viens bien de<br />

l'affirmer. Un aigle? – Hé<strong>la</strong>s! Vautour peut-être! Non, non pas de vautour,<br />

Messieurs! –Messieurs, il faut avoir un aigle, il faut avoir un aigle… (Ibid. :325)<br />

Le narrateur invite à réfléchir, il convoque ses narrataires à être attentifs à son<br />

discours. Si le narrateur assemble les gens pour leur annoncer une nouvelle ou bien<br />

pour leur raconter une histoire, c'est parce qu'il veut leur révéler un secret, une chose<br />

importante et considérable. Il fait appel à leur vigi<strong>la</strong>nce pour leur annoncer <strong>la</strong> partie<br />

<strong>la</strong> plus importante de son discours.<br />

Pourtant ce n'est pas toujours le narrateur qui appelle et encourage le narrataire.<br />

C'est un projet bi<strong>la</strong>téral, un programme où deux protagonistes sont présents et ils<br />

sont <strong>dans</strong> un état d'interaction mutuelle et perpétuelle. C'est pourquoi nous voyons<br />

de temps en temps les interpel<strong>la</strong>tions adressées de <strong>la</strong> part des narrataires au<br />

narrateur:<br />

L'irritation de Damoclès et de Coclès se réunissent.<br />

Mais vous ne dites rien", s'écrièrent-ils.<br />

[…]<br />

Rien encore n'a pu m'advenir que votre inappréciable rencontre qui me fait<br />

sentir bien ce que peut devenir une conversation parisienne, lorsque des gens d'esprit<br />

<strong>la</strong>…<br />

- mais avant de venir ici, dit Coclès.<br />

- vous étiez quelque part, ajouta Damoclès.<br />

- oui je l'avoue … mais encore une fois ce<strong>la</strong> n'a aucune espèce de rapport…<br />

- N'importe, dit Coclès, nous sommes venus ici pour causer. Tous deux,<br />

Damoclès et moi, avons déjà sortis notre histoire; vous seul n'apportez rien; vous<br />

écoutez; ce n'est pas juste. Il est temps de parler, Monsieur… (Ibid. :313)<br />

Dans ce passage, nous avons une conversation entre Prométhée, Damoclès et<br />

Coclès. Ces deux derniers ont déjà raconté leurs histoires et demandent à Prométhée<br />

de parler de ses aventures. Bien que le narrateur ne s'intéresse pas tellement à cette<br />

demande, il doit accepter de fournir les in<strong>formation</strong>s sollicitées par les narrataires et


74 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

leur raconter finalement sa propre histoire. Or, ce trajet paraît ne pas être uni<strong>la</strong>téral<br />

et uni-phonique; l'interaction narrateur-narrataire s'effectue <strong>dans</strong> le cadre des<br />

re<strong>la</strong>tions entre ces deux instances narratives.<br />

Conclusion<br />

L'étude des structures narratives <strong>du</strong> Prométhée mal enchaîné nous a révélé le<br />

statut et <strong>la</strong> position <strong>du</strong> narrateur. La multiplicité des narrateurs paraît <strong>dans</strong> le premier<br />

regard être un peu préjudiciable à <strong>la</strong> cohérence <strong>du</strong> récit, tandis que cette<br />

caractéristique ne nuit aucunement à <strong>la</strong> cohésion de ce texte. La présence active et <strong>la</strong><br />

col<strong>la</strong>boration des différents narrateurs constituent un édifice imaginaire dont <strong>la</strong><br />

cohérence et <strong>la</strong> majesté restent indéniables. Comme nous l’avons démontré <strong>dans</strong> cet<br />

article, l'intégralité de cette histoire est racontée par des narrateurs différents dont<br />

chacun construit une partie de ce complexe.<br />

Une analyse des récits intradiégétiques qui paraissent au premier regard<br />

incohérents approuve <strong>la</strong> qualité <strong>du</strong> travail de ces narrateurs. Les narrateurs séparés<br />

qui racontent les histoires <strong>sur</strong>venues sans aucun rapport apparent font partie d'un<br />

même système discursif et le sens qui <strong>sur</strong>git à <strong>la</strong> fin <strong>du</strong> texte n'est que le résultat de<br />

cette participation intime des narrateurs intradiégétiques au sein d'une seule<br />

composition narrative.<br />

D'autre part, une étude minutieuse des structures narratives de ce récit nous a<br />

révélé le rapport et les liens entre le narrateur et le narrataire. Le narrateur essaie, de<br />

temps en temps, de faire participer son narrataire au cours de son activité narrative.<br />

Ce rapport entre ces deux éléments avance pas à pas le cours de l'histoire.<br />

L'interaction entre ces deux instances nous montre l'importance que les narrateurs<br />

attachent à leurs interlocuteurs. Ces derniers ne peuvent pas rester inactifs face aux<br />

interpel<strong>la</strong>tions des narrateurs qui les invitent, par des moyens différents comme le<br />

contact direct ou les gestes divers, à être présents au cours <strong>du</strong> procès de <strong>la</strong> genèse <strong>du</strong><br />

sens et <strong>dans</strong> le courant de <strong>la</strong> création discursive.


Bibliographie<br />

L'étude de l'édifice narratologique <strong>dans</strong> ... 75<br />

Benveniste, Émile; Problèmes de linguistique générale, 1; éd. Gallimard; Paris; 1966.<br />

Genette, Gérard; Figures III; seuil; Paris; 1972.<br />

Gide, André; Œuvres complètes; pléiade; Paris; 1958.<br />

Herschberg Pierrot, Anne; Stylistique de <strong>la</strong> poésie; éd. Belin Sup; Paris; 1994.<br />

Lintvelt, Japp; Typologie narrative; éd. José Corti; Paris; 1989.<br />

Reuter, Yves; Intro<strong>du</strong>ction à l'analyse <strong>du</strong> roman; éd. Armand Colin; Paris; 2006.


Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 77-88 77<br />

"Tra<strong>du</strong>ction et rencontre de cultures" Les problèmes de <strong>la</strong><br />

tra<strong>du</strong>ction de <strong>la</strong> nouvelle Le goût âpre <strong>du</strong> kaki de Zoya Pirzad<br />

Farideh A<strong>la</strong>vi ∗<br />

Faculté des Langues étrangères, Université de Téhéran<br />

Sharareh Chavoshian ∗∗<br />

Faculté des Langues étrangères, Université de Téhéran<br />

(Date de réception: 01 Mar 2009, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

Résumé<br />

La tra<strong>du</strong>ction d’un texte dont l’espace <strong>la</strong>ngagier est porteur d’une charge<br />

traditionnelle, originaire d’une culture qui ne manifeste aucune transparence avec celle<br />

de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue cible, est une tâche difficile qui demande une attitude attentionnée, une<br />

grande patience et de profondes recherches. La nouvelle Le goût âpre <strong>du</strong> kaki (2002) de<br />

<strong>la</strong> romancière contemporaine Zoya Pirzad en est l’exemple : un texte comprenant des<br />

champs sémantiques héritiers de <strong>la</strong> culture iranienne.<br />

Cet article vise comme objet de recherche, l’étude des problèmes que le tra<strong>du</strong>cteur de<br />

<strong>la</strong> nouvelle citée ci-dessus, rencontrerait éventuellement et <strong>la</strong> proposition d’une stratégie<br />

sage, afin de conserver en même temps l’étrangeté <strong>du</strong> texte original et de pro<strong>du</strong>ire un<br />

texte lisible en <strong>la</strong>ngue cible.<br />

Mots clés: Tra<strong>du</strong>ction, Originalité, Culture, Équivalent- Sémantique.<br />

__________________________________________________________________<br />

∗ Tel: 021-61119013, Fax: 88634500, E-mail: fa<strong>la</strong>vi@ut.ac.ir<br />

∗∗ Tel: 021-61119013, Fax: 88634500, E-mail: chtch64teh@hotmail.com


78 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

«La raison des Français n’est pas <strong>la</strong> nôtre, leur<br />

espace n’est pas notre espace, leur imagination n’est<br />

pas <strong>la</strong> nôtre [...]. Ils n’ont toujours en tête que <strong>la</strong><br />

signification logique, alors que nous y mettons<br />

toujours beaucoup plus » (Humboldt, 2000, pp.27-27)<br />

Tra<strong>du</strong>ire ne se limite pas à une opération exclusivement linguistique. Du fait que<br />

<strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction permette l’accès à d’autres <strong>la</strong>ngues, elle permet, en conséquence,<br />

l’accès à d’autres cultures. On ne peut ignorer l’échange culturel considérable et<br />

l’enrichissement des <strong>la</strong>ngues qui en découlent, d’autant que le simple contact entre<br />

deux cultures — une des situations qui mettent en valeur l’importance de <strong>la</strong><br />

tra<strong>du</strong>ction — ne peut qu’être profitable à l’une et à l’autre. Pourtant aborder un<br />

texte pour un tra<strong>du</strong>cteur, c’est se demander d’abord, quelles idées ou quelles<br />

expériences l’auteur développe. Or, l’accès au monde de l’autre, à son étrangeté – à<br />

l’étranger, si l’on reprend les termes de Berman (1984) – n’est pas toujours facile à<br />

effectuer : car le sens n’est pas donné. Il est d’abord « captif <strong>dans</strong> <strong>la</strong> chose et <strong>dans</strong> le<br />

monde même ». « L’opération de tra<strong>du</strong>ction consiste à l’amener à son expression »<br />

(Merleau-Ponty, 1964, 58). De <strong>la</strong> sorte, <strong>la</strong> question suivante s’impose : les méthodes<br />

adoptées par les tra<strong>du</strong>cteurs ont-elles réussi à tra<strong>du</strong>ire <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue cible les<br />

connotations culturelles dont sont chargés les mots de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue source ? C’est pour<br />

répondre à cette question que nous avons choisi une nouvelle de Zoya Pirzad, Le<br />

goût âpre <strong>du</strong> kaki 1 , extrait <strong>du</strong> recueil Trois livres (Pirzad, 2002) -dont Comme tous<br />

les après-midi a été tra<strong>du</strong>it (Ba<strong>la</strong>ÿ, 2007). Cet article tente à exposer les problèmes<br />

que rencontrerait éventuellement un tra<strong>du</strong>cteur qui essaierait de recréer cette<br />

nouvelle en français et à proposer une stratégie raisonnable de tra<strong>du</strong>ction, pour à <strong>la</strong><br />

fois, garder <strong>la</strong> distance avec tout ce qui déforme le texte original, conserver<br />

l'originalité de l'écriture de Pirzad et pro<strong>du</strong>ire un texte lisible en français.<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Les extraits choisis de cette nouvelle sont tra<strong>du</strong>its par l'auteure <strong>du</strong> présent article.


"Tra<strong>du</strong>ction et rencontre de cultures" ... 79<br />

1- Tra<strong>du</strong>ire à partir d’un univers linguistique et culturel lointain<br />

Au XXI e sicèle, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue persane reste toujours poétique et enchantée,<br />

comprenant des sens cachés, des sous-enten<strong>du</strong>s, des allusions et des niveaux de<br />

paroles qui changent d’expressions d’une génération à l’autre. A ces caractéristiques<br />

s'ajoutent les facteurs culturels et religieux, une certaine tendance à s’exprimer par<br />

discrétion – sous le prétexte <strong>du</strong> respect d'autrui ou de <strong>la</strong> réserve – et une nostalgie<br />

qui s'associe à certains éléments <strong>du</strong> milieu de <strong>la</strong> vie. Cet amalgame est<br />

compréhensible et palpable pour <strong>la</strong> plupart des lecteurs iraniens qui lisent le texte<br />

<strong>dans</strong> sa <strong>la</strong>ngue originale – mis à part une partie de <strong>la</strong> nouvelle génération chez qui<br />

certaines de ces notions sont étrangères. On connaît le paradoxe de Montesquieu :<br />

imaginer <strong>la</strong> lecture que le persan fait des mœurs de l’homme occidental. Quel serait<br />

le compte ren<strong>du</strong> de <strong>la</strong> lecture d'un texte tra<strong>du</strong>it <strong>du</strong> persan, d'un lecteur occidental, qui<br />

parle une <strong>la</strong>ngue désenchantée, qui vit <strong>dans</strong> une société pluriculturelle gouvernée par<br />

un système <strong>la</strong>ïque et qui ne se met pas mal à l'aise <strong>dans</strong> son comportement avec les<br />

autres? Les textes tra<strong>du</strong>its ne font-ils pas, comme le dit Ricœur, « partie d’ensembles<br />

culturels à travers lesquels s’expriment des visions <strong>du</strong> monde différentes, qui<br />

d’ailleurs peuvent s’affronter à l’intérieur <strong>du</strong> même système élémentaire de<br />

découpage phonologique, lexical, syntaxique, au point de faire de ce qu’on appelle<br />

<strong>la</strong> culture nationale ou communautaire un réseau de visions <strong>du</strong> monde en<br />

compétition occulte ou ouverte » (Ricœur, 2004, 55)<br />

De <strong>sur</strong>croît, l'auteur iranien, comme tout autre auteur, manifeste une originalité<br />

<strong>dans</strong> son écriture qui, à notre sens, devrait être conservée <strong>dans</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction. Si un<br />

texte tra<strong>du</strong>it <strong>du</strong> persan en français, vise à rendre tout "à <strong>la</strong> <strong>française</strong>", non seulement<br />

il effacera les traces d'une culture et d'une façon de pensée propres à un pays<br />

étranger, mais aussi l'originalité de l'écrivain sera sacrifiée au gré de <strong>la</strong> francisation<br />

de l'écrit. Chez Zoya Pirzad on peut rencontrer d'un côté une abondance de<br />

particu<strong>la</strong>rités <strong>la</strong>ngagières et culturelles et de l'autre, une écriture féminine qui, par sa<br />

mise en scène des conversations, des sous-conversations et des mémoires d'un passé<br />

nostalgique, met en évidence <strong>la</strong> transparence qui existe entre <strong>la</strong> vie de toutes les<br />

femmes – quelque soit <strong>la</strong> couche sociale à <strong>la</strong>quelle elles appartiennent.


80 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

2- Dénotation et connotation<br />

L'espace <strong>la</strong>ngagier <strong>du</strong> goût âpre <strong>du</strong> kaki, entremêle d'une part le décor, <strong>la</strong><br />

mémoire, <strong>la</strong> nostalgie d'un passé où les illusions ne s'étaient pas encore per<strong>du</strong>es et<br />

d'autre part, <strong>la</strong> vie de tous les jours et le <strong>la</strong>ngage quotidien filtrés par <strong>la</strong> culture. Le<br />

milieu où se déroule le récit est meublé d’éléments purement iraniens, appartenant<br />

plutôt à des familles aristocratiques d’avant <strong>la</strong> révolution is<strong>la</strong>mique: bibelots,<br />

meubles, vêtements, éléments architecturaux, p<strong>la</strong>ntes vertes, noms propres,<br />

appel<strong>la</strong>tions, attitudes et comportements dont chacun est porteur d’une charge<br />

traditionnelle et rappelle au lecteur iranien un souvenir, un passé lointain. Déjà, le<br />

titre capte cette nostalgie: le kaki – arbre qui évoque un jardin entourant un bassin<br />

<strong>dans</strong> <strong>la</strong> cour d'une vieille maison en briques, habitée par les grands-parents, lieu qui<br />

a accueilli <strong>la</strong> période heureuse de l’enfance – fait de nos jours partie <strong>du</strong> passé. Les<br />

maisons sont démolies pour que les tours se dressent; les jardins cèdent <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à<br />

des pots de fleurs artificielles.<br />

Cette réminiscence est <strong>du</strong>e entièrement à l'apparition <strong>du</strong> mot "kaki", chez le<br />

lecteur iranien. Ce qui rappelle cette phrase de Nida <strong>sur</strong> le rapport entre culture et<br />

tra<strong>du</strong>ction : « les mots ne peuvent pas être compris correctement, séparés des<br />

phénomènes culturels localisés dont ils sont les symboles » (Nida, 1963, 207).<br />

L’image <strong>du</strong> "kaki" sera ré<strong>du</strong>ite chez l'Occidental qui lit le texte tra<strong>du</strong>it : d'une part,<br />

l'équivalent littéral et dénotatif <strong>du</strong> groupe de mots constituant le titre ne manifeste<br />

aucun problème apparent qui nécessiterait une c<strong>la</strong>rification, de l'autre, <strong>la</strong> connotation<br />

sera négligée sans explication supplémentaire. C'est le cas d'autres termes <strong>dans</strong> ce<br />

texte: cour pavée de gravier, travaux de plâtre et de miroir, bassin, jet d'eau, lierre,<br />

ég<strong>la</strong>ntier, narguilé, djadjim 1 , termeh 2 , broderie à <strong>la</strong> main, etc., qui appartiennent<br />

plutôt à un passé où l’espace n’était pas étreint, où <strong>la</strong> beauté était gravée <strong>sur</strong> les<br />

artisanats traditionnels. Le fait de tra<strong>du</strong>ire littéralement ces expressions, c'est de<br />

négliger leur référent et leur vérité iconique; c'est appauvrir le texte sous le prétexte<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Sorte de tapisserie brute en <strong>la</strong>ine, pro<strong>du</strong>ite <strong>sur</strong>tout <strong>dans</strong> les provinces comme le Kurdistan,<br />

Hamadan, Kermânchâh et Fars.<br />

2- Tissu traditionnel avec les motifs iraniens pdo<strong>du</strong>it <strong>sur</strong>tout à Yazd.


"Tra<strong>du</strong>ction et rencontre de cultures" ... 81<br />

de vouloir le communiquer à un lecteur étranger. Ce ne serait qu'une fausse<br />

communication; en d'autres termes, une transmission non réalisée. Toute tra<strong>du</strong>ction<br />

devrait donc en tenir compte <strong>dans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>du</strong> possible étant donné que les mots<br />

reflètent souvent un arrière p<strong>la</strong>n culturel, des « visions <strong>du</strong> monde » pour emprunter<br />

les termes de Georges Mounin.<br />

Alors comment favoriser une piste pour <strong>la</strong> réception de cet écrit dominé par <strong>la</strong><br />

culture iranienne sans qu'on veuille donner <strong>la</strong> priorité au récepteur ou décoder ce qui<br />

y est virtuellement contenu? « C’est en effet, parce qu’elle se situe au centre d’un<br />

réseau d’intentions que <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction littéraire présente un intérêt propre. » (Zuber,<br />

1995, 335). La présence des explications supplémentaires, de même, trahirait<br />

l'implicite <strong>dans</strong> le texte et le rendrait plus long. Pour éviter le rallongement dû à <strong>la</strong><br />

volonté de rendre explicite le texte et en même temps pour ne pas <strong>la</strong>isser passer<br />

inaperçue <strong>la</strong> nostalgie associée au décor, on pourrait intro<strong>du</strong>ire des notes<br />

infrapaginales qui donneraient plus d’explications au sujet des éléments significatifs<br />

mentionnés en haut. Toutefois l'intro<strong>du</strong>ction des notes rend <strong>la</strong> lecture saccadée et<br />

dérange le lecteur qui, intrigué, doit se déconcentrer pour vérifier les références ;<br />

pourtant, l'avantage est en premier lieu, de <strong>la</strong>isser le choix au lecteur de les négliger<br />

ou de les étudier et en second, de garder <strong>la</strong> distance avec cette tendance<br />

d'explicitation de ce qui est codé <strong>dans</strong> le texte original et de rallongement qui le<br />

déforme.<br />

3- Equivalent sémantique atténuant<br />

Cette nouvelle véhicule plusieurs expressions culturelles dont pour quelques-<br />

unes il est possible de trouver l'équivalent en français. Cependant ces équivalents,<br />

<strong>dans</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>du</strong> temps sont ré<strong>du</strong>cteurs <strong>dans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où ils atténuent <strong>la</strong> charge<br />

traditionnelle, religieuse ou poétique de l'expression originale. Alors <strong>la</strong> démarche <strong>du</strong><br />

tra<strong>du</strong>cteur serait de chercher l'équivalent le plus proche de l'expression et d’en<br />

vérifier <strong>la</strong> charge sémantique ; si leur poids diffère, l’équivalent français sera<br />

intro<strong>du</strong>it <strong>dans</strong> le texte tra<strong>du</strong>it, mais l'explication complémentaire se présentera <strong>dans</strong><br />

une note infrapaginale comprenant l'expression originale et sa tra<strong>du</strong>ction littérale.


82 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

C’est le cas de l'expression Khasteh Nabachid, signifiant littéralement "Que<br />

vous ne soyez pas fatigué" et ayant une charge sémantique <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>du</strong> départ<br />

qui englobe non seulement sa signification mot à mot, mais à force d’être prononcé<br />

elle s’est appropriée à un nouvel emploi qui est celui de <strong>la</strong> salutation. Dans sa<br />

tra<strong>du</strong>ction de Madame F est une femme heureuse <strong>du</strong> recueil Comme tous les après-<br />

midi, Christophe Ba<strong>la</strong>ÿ a choisi "Bonne Santé"(2007, 99) en tra<strong>du</strong>isant l'expression<br />

citée en haut: un groupe de mots français qui nous a paru incompatible avec le sens<br />

de Khasteh Nabachid.<br />

Or en persan, cette expression dont <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction en français ne saurait se<br />

confiner <strong>dans</strong> un équivalent bien précis englobe un ensemble de concepts. On se sert<br />

couramment de cette expression en tant qu’un souhait que l’on fait à quelqu’un afin<br />

qu’il continue ce qu’il fait avec plus d’énergie -sous cet angle elle pourrait être<br />

remp<strong>la</strong>cée par "bon courage"-, mais elle peut être échangée plusieurs fois au cours<br />

d'une journée entre les mêmes personnes se substituant à un "salut" ou à un<br />

"bonjour" – voire à un "au revoir" –, puisqu’elle se prononce même très tôt le matin<br />

lorsqu'il est évident que personne n'est encore fatigué. Par conséquent <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

séquence qui évoque <strong>la</strong> scène où le mari retourne de ses promenades quotidiennes de<br />

tous les après-midi: "Quand Chazdeh rentrait, <strong>la</strong> dame souriait. "Khasteh nabashi",<br />

disait-elle et glissait un verre de thé devant lui.", un "bon courage" ne serait qu’une<br />

fausse transmission. En revanche, une phrase simple et assez courante comme "pas<br />

trop fatigué", accompagnée d’une note, semble pouvoir transmettre plus précisément<br />

le sens de l’original.<br />

4- Equivalent sémantique introuvable<br />

Au cas où <strong>la</strong> charge sémantique n'existe pas <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue cible, où l’on ne peut<br />

pas se contenter à véhiculer le message <strong>dans</strong> une <strong>la</strong>ngue grammaticalement correcte,<br />

où l’écriture devient un condensé de sens qui s’amasse <strong>dans</strong> des phrases lourdes de<br />

symboles, d’implicites et de suggestions, l’absence d’une expression équivalente<br />

<strong>dans</strong> ces cas-là risque de rendre l’accès au sens ma<strong>la</strong>isé. Dès lors, le mot qui se veut<br />

gratuit, dépouillé de tout sens, n’est en fait qu’une porte ouverte <strong>sur</strong> mille et une


"Tra<strong>du</strong>ction et rencontre de cultures" ... 83<br />

interprétations, <strong>sur</strong> des suppositions infinies de sens : « Le signe phonétique, le mot<br />

sont peut-être demeurés stables puisqu’ils sont arbitraires, mais par le signifié. »<br />

(Steiner, 1998, 455). C'est le cas de Chazdeh qui littéralement signifie "Prince". Le<br />

mot persan Chazdeh était fréquemment prononcé pour l’appel<strong>la</strong>tion des descendants<br />

directs, voire des proches des Qadjar, remp<strong>la</strong>çant le nom ou le prénom de <strong>la</strong><br />

personne, puisqu’à l’époque pour les familles aristocratiques ce titre véhicu<strong>la</strong>it le<br />

respect et l’autorité propres aux gens de <strong>la</strong> Cour royale -<strong>dans</strong> le cas des héritiers ou<br />

des successeurs des rois il était accompagné <strong>du</strong> prénom de ces derniers. C’est <strong>la</strong><br />

raison pour <strong>la</strong>quelle le mot original est conservé mais c<strong>la</strong>rifié <strong>dans</strong> une<br />

infrapaginale :<br />

En hiver, on allumait les cheminées des pièces. La dame se mettait devant <strong>la</strong><br />

cheminée et en attendant le retour <strong>du</strong> Chazdeh, faisait de fines broderies <strong>sur</strong> des<br />

serviettes carrées en couleur. Elle tricotait des écharpes en gris, marron et bleu<br />

marine pour Chazdeh. (Pirzad, 2002, 198)<br />

De même les mots Khanoum et Khatoun signifiant tous deux "Madame",<br />

apparaissent fréquemment <strong>dans</strong> cette nouvelle. Le mot "Madame" s'emploie seul ou<br />

accompagne le nom de famille d'une dame, tandis qu'en persan les deux expressions<br />

peuvent se mettre à côté d'un prénom et s'employer si naturellement qu'on dirait que<br />

ce<strong>la</strong> fait partie <strong>du</strong> prénom de <strong>la</strong> personne. Là aussi, il vaut mieux conserver<br />

l'expression <strong>du</strong> texte original qui est d'une manière ou d'une autre, inséparable <strong>du</strong><br />

prénom de <strong>la</strong> personne. Ainsi le lecteur rencontrera-t-il plusieurs fois Aziz Khatoun<br />

et Molouk Khanoum <strong>dans</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction en français.<br />

Cependant, il faudrait tenir en considération que le personnage principal <strong>du</strong><br />

récit, dont on ne sait ni le nom ni prénom, est partout nommé Khanoum. Une<br />

appel<strong>la</strong>tion qui relève d’un comportement propre à certaines familles traditionnelles:<br />

sûrement le couple ne s’entrappe<strong>la</strong>it pas par leur prénom comme on le voit bien <strong>dans</strong><br />

les dialogues échangés entre les époux et certainement leur entourage et leurs<br />

connaissances les nommaient de <strong>la</strong> même manière ; une habitude qu’on peut<br />

toujours remarquer chez certains époux et entre enfants et parents, qui ne sont pas<br />

aristocratiques, mais au nom <strong>du</strong> respect pour l’autre appellent khanoum, <strong>la</strong> femme


84 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

ou <strong>la</strong> mère et Agha –signifiant "Monsieur"-, le mari ou le père.<br />

Quand <strong>la</strong> dixième année <strong>du</strong> mariage arriva et leur stérilité fût certaine, le mari<br />

commença petit à petit. "Madame, acceptez de <strong>la</strong> vendre et d'en acheter une plus<br />

petite."(Ibid., 197)<br />

La dame se mettait à côté de <strong>la</strong> fenêtre, fixant <strong>la</strong> cour " que Dieu bénisse son<br />

âme ! Non Chazdeh, je ne <strong>la</strong> vendrai pas."(Ibid., 198)<br />

Dans le cas de Khanoum, pour le personnage principal, on pourrait très bien<br />

accueillir le mot "dame" <strong>dans</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction, même si cette appel<strong>la</strong>tion semble être en<br />

contradiction avec l’emploi de Khanoum et Khatoun <strong>dans</strong> le cas des autres femmes<br />

de ce récit, c’est-à-dire Molouk et Aziz. La justification en est c<strong>la</strong>ir à notre sens et<br />

nous venons de l’expliquer : premièrement en raison de <strong>la</strong> différence de personnalité<br />

de l’épouse de Chazdeh avec les autres femmes <strong>dans</strong> le récit, qui se manifestent <strong>dans</strong><br />

le rôle central qu’elle joue <strong>dans</strong> le récit, son silence, sa réserve et sa manière de<br />

vivre : elle n’est pas une femme vulgaire et bavarde. Deuxièmement, le mot<br />

khanoum à son sujet, est intro<strong>du</strong>it seul et pas lié, ou comme nous venons de<br />

l’expliquer, mêlé à un prénom. De plus, <strong>la</strong> dimension sémantique de Khanoum <strong>dans</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue persane peut s’é<strong>la</strong>rgir : quand on veut évoquer les qualités d’une femme et<br />

le respect qu’elle inspire à tout le monde, on entend dire à son sujet qu’elle est<br />

vraiment khanoum, ce qui signifie qu’elle est différente et digne d’admiration et de<br />

respect. C’est <strong>la</strong> raison pour <strong>la</strong>quelle le mot "dame" pour l’épouse de Chazdeh est<br />

employé <strong>dans</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction.<br />

D'autre part, il y a certaines expressions dont l'équivalent est introuvable car<br />

elles désignent des pro<strong>du</strong>its de <strong>la</strong> région ou des spécialités indigènes – par exemple<br />

Pou<strong>la</strong>ki est une sorte de sucrerie traditionnelle, en forme d’écaille, pro<strong>du</strong>ite à<br />

Ispahan. A ce<strong>la</strong> s’ajoute l’emploi des proverbes iraniens qui soulignent d’autant plus<br />

le rôle de <strong>la</strong> culture <strong>dans</strong> <strong>la</strong> vie des personnages. On constate alors que contrairement<br />

au lecteur ordinaire, le tra<strong>du</strong>cteur ne peut pas adopter l’attitude <strong>du</strong> récepteur passif<br />

qui se <strong>la</strong>isse envahir par le texte. Il doit décomposer les unités qui se fondent <strong>dans</strong> le<br />

tissu <strong>du</strong> texte pour comprendre le rôle de l’unité <strong>dans</strong> le tout. D’où l’importance de<br />

<strong>la</strong> tâche <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur qui, selon les termes de Ricœur, « ne va pas <strong>du</strong> mot à <strong>la</strong>


"Tra<strong>du</strong>ction et rencontre de cultures" ... 85<br />

phrase, au texte, à l’ensemble culturel, mais à l’inverse : s’imprégnant par de vastes<br />

lectures de l’esprit d’une culture, le tra<strong>du</strong>cteur redescend <strong>du</strong> texte, à <strong>la</strong> phrase et au<br />

mot » (Ricœur, 2004, 56).<br />

5-L’écriture de Pirzad<br />

Pirzad brasse description, style direct, indirect, indirect libre, psycho récit et<br />

monologue intérieur –Capacité physiologique féminine qui a son référent réel, celui<br />

de pouvoir partager à <strong>la</strong> fois son attention entre différentes choses. Ses phrases sont<br />

généralement courtes et le retour aux points finaux est très fréquent ; tandis que les<br />

virgules ne sont pas nombreuses et les points-virgules pratiquement absents <strong>dans</strong> sa<br />

nouvelle:<br />

La dame s'embarrassa. La femme était petite. Portant un manteau jaune citron et<br />

des chaus<strong>sur</strong>es à hauts talons. Elle avait mis de grandes lunettes de soleil. La dame<br />

ne savait quoi faire. Rester? Se redresser? S'en aller? Elle hésita tellement que le<br />

locataire et <strong>la</strong> femme arrivèrent au kaki. L’ég<strong>la</strong>ntier était grand avec beaucoup de<br />

branches et de feuilles. L'homme dit "Ils sont encore verts. Je t'en cueille quelques-<br />

uns. Sur le rebord de <strong>la</strong> fenêtre, ils mûrissent plus vite."(Pirzad, 2002, 211)<br />

Après, les décorations se transformèrent en de gros kakis, puis encore en<br />

décorations. Ensuite en kakis. Transpirant, <strong>la</strong> dame se réveil<strong>la</strong> en <strong>sur</strong>saut. Dit à<br />

haute voix " Il faut que je les sorte! " Pendant quelques jours elle pensa comment<br />

l’expliquer au locataire. L’homme ne demanda pas d’explication. Hocha seulement<br />

<strong>la</strong> tête. Il avait l’air d’avoir compris […]. Ils fouillèrent sous les autres rosiers. Elles<br />

ne s'y trouvaient pas. Sous les ég<strong>la</strong>ntiers. Là non plus. Resta le kaki. (Ibid., 213)<br />

Une autre remarque qu'on peut faire <strong>sur</strong> l'écriture de Pirzad, c'est qu'en<br />

rapportant le dialogue, elle se contente de <strong>la</strong> ponctuation qui se présente entre les<br />

guillemets; suite aux guillemets, on ne verra aucun signe de ponctuation. Le<br />

commentaire d'un lecteur iranien de cette rencontre fréquente avec l'absence de<br />

ponctuation après les guillemets <strong>dans</strong> Le goût âpre <strong>du</strong> kaki, serait que le point qui<br />

ferme le dialogue cité, a de même, <strong>la</strong> fonction de clore <strong>la</strong> proposition principale ; par<br />

<strong>la</strong> suite, une nouvelle phrase apparaît. Toutefois, pour ne pas ébranler l’ordre <strong>du</strong>


86 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

discours en français et de pouvoir choisir entre les majuscules et les minuscules, il<br />

vaudrait mieux intro<strong>du</strong>ire <strong>la</strong> ponctuation après les guillemets et conserver celle qui<br />

clôt le dialogue rapporté ; changement qui ne défigurera pas le texte original et<br />

rendra <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction plus lisible.<br />

Une autre caractéristique de l’écriture des auteurs iraniens est l’emploi excessif<br />

de <strong>la</strong> conjonction "et", phénomène qui perturbe <strong>la</strong> logique de <strong>la</strong> syntaxe <strong>française</strong>.<br />

Le locataire était un bon auditeur. Il s'asseyait et fixait les motifs <strong>du</strong> tapis et <strong>la</strong><br />

dame lui racontait le passé. Quand <strong>la</strong> conversation tournait autour de <strong>la</strong> maison, le<br />

locataire levait <strong>la</strong> tête et regardait <strong>la</strong> dame lui parler de ses premiers jours <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

maison et depuis et longtemps après. (Ibid., 212)<br />

Molouk khanoum couvrit les jambes de <strong>la</strong> dame d’une couverture grise et fit<br />

connaissance des passagers qui étaient assis devant et derrière et à côté. (Ibid., 218)<br />

Cependant, décomposer le texte pour le recomposer selon l'ordre <strong>du</strong> discours<br />

français anéantira son originalité au gré de <strong>la</strong> pro<strong>du</strong>ction d'un bon exemp<strong>la</strong>ire <strong>du</strong><br />

français c<strong>la</strong>ssique. On pourrait conserver <strong>la</strong> même longueur de phrase et <strong>la</strong> même<br />

ponctuation tant que <strong>la</strong> syntaxe <strong>française</strong> le tolère ; au cas nécessaire, les "et" qui se<br />

succèdent seraient remp<strong>la</strong>cés par des virgules.<br />

D’autre part, chez Pirzad, il n'y a pas d'équilibre quantitatif entre les<br />

paragraphes: il y en a ceux qui sont formés à peine d'une ligne :<br />

Chaque saison de l'année, chaque année de <strong>la</strong> vie avait sa grâce et ses<br />

préoccupations. (Ibid., 198)<br />

En revanche on rencontre des paragraphes qui couvrent presque une page 1 :<br />

Les après-midi de l'été, Ibrahim arrosait <strong>la</strong> cour, <strong>sur</strong> les lits en bois étendait des<br />

djadjim et apportait le samovar. Golbanou faisait infuser <strong>du</strong> thé et jetait des jasmins<br />

<strong>dans</strong> le f<strong>la</strong>con <strong>du</strong> narguilé. Le narguilé à motifs était un souvenir <strong>du</strong> père de <strong>la</strong> dame<br />

et comme tous ses souvenirs, chers. Quand Chazdeh rentrait, <strong>la</strong> dame souriait "Pas<br />

trop fatigué", disait-elle et glissait le verre de thé devant lui. […] La dame se<br />

penchait <strong>sur</strong> le gravier et ramassait une feuille que le kaki avait détachée de soi et <strong>la</strong><br />

__________________________________________________________________<br />

1- Pour ne pas fatiguer les lecteurs et éviter le rallongement, le paragraphe cité n’est pas rapporté en<br />

entier.


tournait <strong>sur</strong> sa paume. (Ibid., 199-200)<br />

"Tra<strong>du</strong>ction et rencontre de cultures" ... 87<br />

Le texte <strong>dans</strong> son origine n'a pas une forme homogène et insister <strong>sur</strong><br />

l'égalisation des paragraphes effacera son hétérogénéité formelle –les nouvelles<br />

tra<strong>du</strong>ites en français <strong>du</strong> recueil Comme tous les après-midi (2002) <strong>du</strong> même auteur,<br />

ont été parfois soumises à ce changement de longueur de paragraphe - par exemple<br />

Madame F est une femme heureuse. Nous proposons de respecter <strong>la</strong> même longueur<br />

de paragraphe conçue par l'auteur ; ce<strong>la</strong> ne serait pas en contradiction avec<br />

l'exactitude <strong>du</strong> français de <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction et conserverait l’apparence hétérogène <strong>du</strong><br />

texte en persan.<br />

Conclusion<br />

En détruisant <strong>la</strong> signifiance <strong>du</strong> contenu, le texte tra<strong>du</strong>it sacrifierait son<br />

originalité au gré de son public. Dépouiller un texte de son étrangeté <strong>dans</strong> l'objectif<br />

de le communiquer n'est que le défigurer. Pour rester fidèle et exact, il faut garder<br />

l'esprit ouvert <strong>sur</strong> l'étrangeté. L'œuvre est le pro<strong>du</strong>it d'un polysystème dont le<br />

mécanisme et les éléments diffèrent d'une culture à l'autre. A notre sens, cette<br />

différence est à conserver <strong>dans</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction et si nécessaire, à décoder <strong>dans</strong> des<br />

notes -bien enten<strong>du</strong>, le texte sera ouvert à d'autres versions de tra<strong>du</strong>ctions qui<br />

pourraient être conçues sous d'autres angles et pro<strong>du</strong>ites en tenant compte d'autres<br />

théories de <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction.<br />

Puisqu'il n'y a pas de critères absolus de <strong>la</strong> bonne tra<strong>du</strong>ction, le tra<strong>du</strong>cteur doit<br />

éviter tout ce qui défigure l'originalité <strong>du</strong> texte et détruit le français de <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction,<br />

en prenant en considération que le français et le persan sont deux <strong>la</strong>ngues avec des<br />

constructions syntaxiques différentes, des champs sémantiques héritiers de deux<br />

cultures éloignées, des dénotations véhicu<strong>la</strong>nt des connotations cachées. Transmettre<br />

un complexe hétérogène <strong>dans</strong> une <strong>la</strong>ngue cible n’ayant aucune transparence avec <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ngue de départ demande de profondes recherches linguistiques aussi bien que<br />

culturelles. La pratique de <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction pourrait donc nous aider à voir comment<br />

nous sommes vus par d’autres peuples, à voir comment d’autres peuples se voient, et<br />

à partir de cette double compréhension, nous permettrait de nous voir et de nous


88 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

comprendre plus c<strong>la</strong>irement qu’auparavant. Tel est l’idéal <strong>du</strong> dialogue interculturel.<br />

Bibliographie<br />

BALAY, Christophe, Comme tous les après-midi, éd. Zulma, Paris, 2007.<br />

BERMAN, Antoine, L’Epreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, 1984.<br />

MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964.<br />

MOUNIN, Georges, Les problèmes théoriques de <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction, éd. Gallimard, Paris,<br />

1963.<br />

PIRZAD, Zoya, "Comme tous les après-midi", "Le goût âpre <strong>du</strong> kaki", "La veille de<br />

Pâque" in Trois livres, éd. Markaz, Téhéran, 2002 (1381).<br />

RICOEUR, Paul, Sur <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction, éd. Bayard, Paris, 2004, p.56.<br />

STEINER, George, Après Babel. Une poétique <strong>du</strong> dire et de <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction, Paris, Albin<br />

Michel, 1998.<br />

ZUBER, Roger, Les "belles infidèles » et <strong>la</strong> <strong>formation</strong> <strong>du</strong> goût c<strong>la</strong>ssique, Paris, Albin<br />

Michel, 1995.


Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 89-106 89<br />

L’analyse <strong>du</strong> discours narratif <strong>dans</strong> Haft Peykar de Nezami<br />

Mahvash Ghavimi ∗<br />

Professeur à l’Université Shahid Beheshti.<br />

Narguès Houchmande ∗∗<br />

Doctorante à l’Université Shahid Beheshti.<br />

(Date de réception: 29 Feb 2008, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

Résumé<br />

Dans cet article, nous analyserons le discours narratif <strong>dans</strong> Haft Peykar, l’œuvre de<br />

Nézami, afin d’étudier les éléments de l’acte narratif : <strong>la</strong> personne, le héros/narrateur, <strong>la</strong><br />

fonction narrative et le destinataire. On examinera ainsi <strong>la</strong> structure des récits des sept<br />

princesses et ceux des sept prisonniers, constituant deux cycles de récits <strong>dans</strong> le récit<br />

principal. Nous constaterons ainsi <strong>la</strong> variété des types et des fonctions de <strong>la</strong> narration<br />

aussi bien que <strong>la</strong> diversité des voix qui s’y rencontrent.<br />

Mots clés: Haft-Peykar, Analyse, Récit, Discours Narratif.<br />

__________________________________________________________________<br />

∗ Tel: 021-29902455, Fax: 021- 22431706, E-mail: M-Ghavimi@sbu.ac.ir<br />

∗∗ Tel: 021-77240303, Fax: 021- 22431706, E-mail: N_Hooshmand@iust.ac.ir


90 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

Haft Peykar est une épopée romanesque écrite par Nezami Gandjavi, l'un des<br />

plus grands poètes iraniens <strong>du</strong> Moyen Age (VIe/XIIIe siècle). Cet ouvrage qui fait<br />

partie des chefs-d’œuvre de <strong>la</strong> littérature c<strong>la</strong>ssique persane est connu également sous<br />

les titres de Sept Portraits (de Gastines, 2000) et Le pavillon des sept Princesses<br />

(Barry, 2000) grâce aux tra<strong>du</strong>ctions <strong>française</strong>s qui en ont été faites. Cet ouvrage en<br />

poème, riche en symboles qui met en correspondance sept corps célestes avec sept<br />

jours de <strong>la</strong> semaine et sept couleurs avec sept contrées, suggère des sens<br />

allégoriques qui font l’objet de divers commentaires.<br />

En ce qui concerne notre étude, nous envisageons d'analyser le discours narratif<br />

de cette œuvre qui, à l’instar des Mille et une nuits, comporte des récits <strong>dans</strong> les<br />

récits. En fait, l'étude <strong>du</strong> discours narratif <strong>du</strong> récit avec les formes multiples qu’il<br />

revêt (le mythe, <strong>la</strong> légende, le conte, <strong>la</strong> nouvelle, l’épopée et le roman) a éveillé des<br />

idées et des théories chez les grands critiques. Dans son étude de <strong>la</strong> structure des<br />

Mille et une nuits, Todorov considère le rapport entre le personnage et l'action et<br />

attribue à chaque nouveau personnage, le rôle que joue le nom <strong>dans</strong> une proposition<br />

principale entraînant une subordonnée re<strong>la</strong>tive. Il constate ainsi que selon le procédé<br />

d’enchâssement « chaque nouveau personnage entraîne une nouvelle histoire ».<br />

(Todorov, 1978, 38) Selon Genette on pourrait traiter le récit comme « le<br />

développement donné à une forme verbale, au sens grammatical <strong>du</strong> terme »<br />

(Genette, 1972, 75). Le temps, le mode, <strong>la</strong> voix sont des catégories empruntées à <strong>la</strong><br />

grammaire <strong>du</strong> verbe qu'il considère essentielles pour l'analyse <strong>du</strong> discours narratif<br />

<strong>dans</strong> A <strong>la</strong> Recherche <strong>du</strong> temps per<strong>du</strong>. En effet, Barthes avait affirmé, avant lui, que<br />

« le récit est une grande phrase », et on y retrouve « agrandies et transformées à sa<br />

me<strong>sur</strong>e, les principales catégories <strong>du</strong> verbe : les temps, les aspects, les modes, les<br />

personnes. »(Barthes, 1977, 12)<br />

Notre étude concerne aussi les éléments de l'acte narratif : <strong>la</strong> personne, c'est-à-<br />

dire celui qui raconte, le héros/narrateur, <strong>la</strong> fonction narrative et le destinataire pour<br />

lequel nous adoptons le mot narrataire, selon le terme employé par Genette. Nous<br />

analyserons également les niveaux de récits, les re<strong>la</strong>tions qui existent entre les


L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 91<br />

instances narratives et les narrataires et les rapports que ceux-ci entretiennent avec<br />

l’histoire racontée. Ainsi pourrons-nous déterminer <strong>la</strong> structure particulière de<br />

l’œuvre, ses procédés et le sens qui s’y attache.<br />

Mais avant tout, il est nécessaire de jeter un coup d’œil rapide <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />

composition générale de Haft Peykar pour étudier ensuite les récits des sept<br />

princesses et ceux des sept prisonniers. L’analyse des voix narratives suivra ensuite<br />

pour céder <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce aux considérations <strong>sur</strong> les types et fonctions de <strong>la</strong> narration.<br />

La composition générale de l’oeuvre<br />

Haft Peykar est un ouvrage en vers, où l’auteur décrit <strong>la</strong> vie de Bahram, fils de<br />

Yazdguerd 1 er , roi Sassanid. Après avoir consacré les premiers chapitres à <strong>la</strong> gloire<br />

de Dieu, à l’hommage au roi de Maragueh, à l’éloge <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage et de <strong>la</strong> sagesse et<br />

enfin aux conseils à son fils, l’auteur/narrateur entreprend le récit de <strong>la</strong> vie de<br />

Bahram avec le titre : Début <strong>du</strong> récit et naissance de Bahram. Ensuite, c’est <strong>la</strong><br />

légende de <strong>la</strong> construction <strong>du</strong> château de Khavarnaq, source des récits des sept<br />

princesses. Puis apparaissent les autres parties consacrées aux différentes étapes de<br />

<strong>la</strong> vie de Bahram : Il part à <strong>la</strong> chasse, il tue d’une seule flèche un lion et un onagre,<br />

il devient roi, etc.<br />

Un jour lorsqu’il se promenait <strong>dans</strong> son château de Khavarnaq, où il était élevé<br />

loin de son pays, Bahram s’arrête brusquement devant une porte qu’il n’avait pas<br />

jusqu’alors remarquée. Il <strong>la</strong> fait ouvrir et aperçoit <strong>sur</strong> les murs de <strong>la</strong> salle sept<br />

portraits de jeunes filles qui entourent un portrait central, celui d’un jeune homme.<br />

Devenu plus tard souverain de l’Iran, il se souvient <strong>du</strong> mystère des sept portraits et<br />

envoie des messagers pour demander <strong>la</strong> main de sept princesses originaires de sept<br />

royaumes <strong>du</strong> monde. Bahram construit pour elles, sept pavillons aux couleurs de<br />

sept p<strong>la</strong>nètes. Chaque jour de <strong>la</strong> semaine, l’une des princesses accueille le roi <strong>dans</strong><br />

son pavillon, qui a <strong>la</strong> même couleur que celui de ce jour 1 , et lui raconte une histoire.<br />

Les sept histoires contées par les sept princesses forment un premier cycle de récits<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Samedi, noir- dimanche, jaune- lundi,vert- mardi,rouge- mercredi,bleu- jeudi, couleur de santal,<br />

vendredi,b<strong>la</strong>nc.


92 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

<strong>dans</strong> le récit.<br />

Après le septième récit, l’auteur/narrateur re<strong>la</strong>te les autres aventures de <strong>la</strong> vie de<br />

Bahram. Oubliant ses devoirs royaux, trompé par son vizir, le roi assiste par hasard à<br />

<strong>la</strong> narration d’un berger qu’il rencontre un jour <strong>sur</strong> son chemin, puis à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie<br />

de sept prisonniers qui déposent auprès de lui leur p<strong>la</strong>inte contre le vizir. Chaque<br />

prisonnier raconte brièvement sa vie et ceci constitue le deuxième cycle des récits<br />

enc<strong>la</strong>vés <strong>dans</strong> Haft Peykar.<br />

Après avoir prêté provisoirement le discours narratif aux prisonniers, l’auteur /<br />

narrateur reprend <strong>la</strong> parole pour continuer l’histoire de <strong>la</strong> vie de Bahram jusqu’à sa<br />

mort et achève sa narration par un chapitre intitulé Fin de Bahram et sa disparition<br />

<strong>dans</strong> <strong>la</strong> grotte, suivi de <strong>la</strong> conclusion de l’ouvrage.<br />

Haft-Peykar se base ainsi <strong>sur</strong> un récit principal : <strong>la</strong> vie de Bahram, chasseur,<br />

guerrier et roi Sassanide. Au cours de <strong>la</strong> narration de cette vie – depuis <strong>la</strong> naissance<br />

jusqu’à <strong>la</strong> mort <strong>du</strong> héros- se créent au fur et à me<strong>sur</strong>e deux cycles de récits<br />

enchâssés en plus d’un récit secondaire ne faisant pas partie des deux cycles. Aussi<br />

peut-on dire que <strong>la</strong> composition générale de l’œuvre se fonde essentiellement <strong>sur</strong> le<br />

procédé d’enchâssement et de digression. Ceci étant dit, il nous faut maintenant<br />

étudier <strong>la</strong> structure <strong>du</strong> premier cycle des récits enc<strong>la</strong>vés <strong>dans</strong> Haft-Peykar.<br />

La structure des récits des sept princesses<br />

Sept princesses de sept contrées accueillent tour à tour <strong>dans</strong> leur pa<strong>la</strong>is, le roi<br />

Sassanide Bahram pour lui conter une histoire merveilleuse. Le cycle commence un<br />

samedi 1 , consacré à Saturne et finit un vendredi, jour de Vénus. Toutes les sept<br />

princesses commencent leurs récits par <strong>la</strong> prière et les vœux qu’elles adressent à<br />

Bahram. La princesse de <strong>la</strong> première contrée exprime <strong>sur</strong>tout un vœu :<br />

Tant que le monde sera, puisse le roi être en vie 2<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Selon le calendrier iranien et arabe, <strong>la</strong> semaine commence par le samedi et s’achève par le<br />

vendredi.<br />

2- Nezami, Les Sept Portraits, op.cit. p. 134.


L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 93<br />

La princesse de <strong>la</strong> deuxième contrée adresse d’abord un long éloge au roi :<br />

“O souverain de Byzance, de Chine et de Taraz,<br />

Vous qui vivifiez l’âme des monarques,<br />

Vous, gloire de <strong>la</strong> victoire, roi <strong>sur</strong> tous les rois<br />

Quiconque se détourne de votre service<br />

S’expose ce faisant à périr piétiné. (Ibid. 168)<br />

Et <strong>la</strong> princesse de <strong>la</strong> troisième contrée dit:<br />

O vous dont l’existence réjouit <strong>la</strong> mienne ;<br />

Que toutes les vies pour <strong>la</strong> vôtre soient immolées ! (Ibid. 183)<br />

Ainsi chacun des sept récits est couronné d’éloges à <strong>la</strong> gloire et à l’honneur <strong>du</strong><br />

narrataire.<br />

Une autre caractéristique commune de ces récits est l’existence d’une couleur<br />

dominante qui forme le motif, <strong>la</strong> base et le thème de <strong>la</strong> narration faite par chaque<br />

princesse qui, vêtue de <strong>la</strong> même couleur, raconte au Roi Bahram un récit riche en<br />

symboles et métaphores. Chacune des princesses exalte les beautés d’une couleur et<br />

achève son récit par une conclusion pleine de sens :<br />

La première princesse conclut :<br />

Sur le noir, <strong>la</strong> lune a splendeur et éc<strong>la</strong>t ;<br />

Noir, pour cette raison, est le dais <strong>du</strong> sultan. (Ibid. 165-166)<br />

La deuxième termine son récit par ces vers:<br />

C’est de <strong>la</strong> couleur jaune que naît <strong>la</strong> gaîté<br />

D’elle le halva au safran tient son goût. (Ibid. 182)<br />

La troisième dit:<br />

Verts atours valent mieux que jaune emblème<br />

C’est le vert qui sied au cyprès. (Ibid. 198)


94 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

La quatrième déc<strong>la</strong>re :<br />

Le rouge est un ornement magnifique ;<br />

Du rouge, le rubis tire sa valeur. (Ibid. 217)<br />

Les vers suivants font partie de l’épilogue <strong>du</strong> récit de <strong>la</strong> cinquième princesse :<br />

Soierie plus belle que d’azur<br />

Jamais le vaste éther ne trouva<br />

Quiconque devient homochrome <strong>du</strong> ciel ;<br />

En guise de pain a <strong>sur</strong> sa table le soleil. (Ibid. 247)<br />

La sixième affirme :<br />

Le santal procure le repos de l’âme<br />

L’arome <strong>du</strong> santal a <strong>la</strong> subtilité de l’âme<br />

Le santal broyé dissipe le mal de tête<br />

La fièvre <strong>du</strong> cœur et l’échauffement <strong>du</strong> foie (Ibid. 271)<br />

Enfin <strong>la</strong> septième met ainsi fin à son récit :<br />

Dans le b<strong>la</strong>nc est contenu l’éc<strong>la</strong>t <strong>du</strong> jour:<br />

C’est de b<strong>la</strong>ncheur que <strong>la</strong> lune éc<strong>la</strong>ire l’univers (Ibid. 293)<br />

Dans chacun de ces récits, enchâssés <strong>dans</strong> l’histoire de base c’est-à-dire celle de<br />

<strong>la</strong> vie de Bahram, <strong>la</strong> princesse qui assume l’acte narratif s’adresse uniquement au<br />

sultan. Pour donner quelques exemples <strong>du</strong> contenu de ces récits, rappelons que <strong>la</strong><br />

princesse de <strong>la</strong> quatrième contrée raconte l’histoire d’une princesse qui refusait <strong>la</strong><br />

main de tous ses prétendants après leur avoir posé de subtiles énigmes, puis épouse<br />

celui qui a accompli ses conditions et lui a donné des réponses appropriées. La<br />

cinquième princesse narre l’histoire d’un homme nommé Mahan qui, <strong>du</strong>pé par un<br />

soi-disant ami, est finalement abandonné par lui et se retrouve seul au milieu d’un<br />

chemin inconnu et risque d’étranges aventures. L’histoire de Kheyr (Bon) et Sharr<br />

(Mauvais), <strong>sur</strong> lequel nous reviendrons, constitue le récit de <strong>la</strong> sixième princesse.


L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 95<br />

Certains récits sont évidemment plus compliqués et présentent des exemples<br />

d’enchâssement plus intéressants. Ainsi <strong>dans</strong> le second récit, <strong>la</strong> princesse de <strong>la</strong><br />

deuxième contrée raconte l’histoire d’un roi qui est épris de sa servante tandis que<br />

celle-ci, jeune et belle, se refuse à lui. Pour lui faire avouer <strong>la</strong> cause de son<br />

indifférence et de son orgueil, le roi raconte à son tour une histoire, celle de Bilqis et<br />

Salomon qui, ayant un enfant infirme ; étaient conseillés par Gabriel qui leur<br />

recommande d’être sincères l’un envers l’autre pour que leur enfant guérisse. Nous<br />

avons donc ici deux niveaux de narration :<br />

Le narrateur Le narrataire<br />

La princesse de <strong>la</strong> deuxième contrée 1-le roi Bahram,<br />

Le roi (il raconte l’histoire de Salomon et Bilqis) 2-<strong>la</strong> servante,<br />

Comme on peut le constater, le récit de <strong>la</strong> princesse de <strong>la</strong> deuxième contrée<br />

enchâsse un autre récit, celui de Salomon et Bilqis, qui se raconte par le héros <strong>du</strong><br />

récit de <strong>la</strong> princesse. Ainsi le personnage <strong>du</strong> récit devient-il le narrateur d’un second<br />

récit.<br />

La princesse de <strong>la</strong> septième contrée raconte un récit qui a déjà été raconté par<br />

différents narrateurs : c’est <strong>la</strong> mère de <strong>la</strong> princesse qui l’a raconté mais elle l’avait<br />

enten<strong>du</strong> au cours d’un banquet où chaque conteuse devait raconter une aventure qui<br />

se rapportât à soi ou à son compagnon. Nous avons ainsi un schéma narratif un<br />

peu plus compliqué.<br />

Le narrateur le narrataire<br />

<strong>la</strong> princesse de <strong>la</strong> septième contrée 1-Roi Bahram<br />

<strong>la</strong> mère de <strong>la</strong> princesse 2-<strong>la</strong> princesse<br />

une des conteuses <strong>du</strong> banquet 3- La mère de <strong>la</strong> princesse<br />

Toutefois <strong>la</strong> structure formelle de l’enchâssement n’est jamais aussi complexe<br />

que <strong>dans</strong> le récit de <strong>la</strong> première princesse. Celle-ci se souvient d’abord de son<br />

enfance : lorsqu’elle était petite, une vieille femme pieuse vêtue de soie noire venait<br />

souvent rendre visite à sa famille. Un jour cette femme explique <strong>la</strong> cause de son


96 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

deuil, ce qui constitue un récit enchâssé <strong>dans</strong> le récit de <strong>la</strong> princesse : elle était<br />

autrefois <strong>la</strong> servante d’un grand roi toujours vêtu en noir. Celui-ci à son tour avait<br />

raconté un événement de sa vie : une fois un étranger vêtu de noir était venu le voir,<br />

le roi vou<strong>la</strong>it savoir <strong>la</strong> raison de son deuil alors l’homme s’était mis à raconter son<br />

récit et disparut ensuite, suscitant <strong>la</strong> curiosité <strong>du</strong> roi qui vou<strong>la</strong>it connaître le secret de<br />

<strong>la</strong> couleur noire <strong>dans</strong> des pays inconnus et mystérieux. Le roi raconte également ses<br />

propres aventures lors de l’enquête <strong>sur</strong> le secret de <strong>la</strong> couleur noire. Puis c’est <strong>la</strong><br />

femme pieuse, l’ancienne servante, qui reprend <strong>la</strong> parole. Aussi l’acte narratif <strong>du</strong><br />

premier récit peut être représenté schématiquement comme ci-dessous :<br />

le narrateur le narrataire<br />

<strong>la</strong> princesse de <strong>la</strong> 1 ère contrée 1-Roi Bahram,<br />

La dame pieuse (l’ancienne servante d’un roi) 2-<strong>la</strong> première princesse petite<br />

Le roi (il raconte sa rencontre avec l’étranger) 3- La dame pieuse<br />

L’étranger 4-Le roi<br />

Le roi (<strong>la</strong> découverte <strong>du</strong> secret de <strong>la</strong> couleur noire) 5- La dame pieuse<br />

Puis <strong>la</strong> dame pieuse reprend <strong>la</strong> parole et <strong>la</strong> princesse de <strong>la</strong> première contrée<br />

conclut et met fin au récit.<br />

Bien que nous ne l’ayons pas signalé ci-dessus, il ne faut pas oublier qu’au<br />

premier degré de tous ces schémas se tient aussi un narrateur omniscient et<br />

omniprésent qui raconte <strong>la</strong> vie de Bahram, même si le foisonnement des récits<br />

secondaires tend parfois à effacer sa voix. Les sept récits achevés, on sort <strong>du</strong> monde<br />

de <strong>la</strong> fiction des princesses et l’auteur/narrateur continue à raconter les autres<br />

aventures <strong>du</strong> protagoniste.<br />

Les récits des sept prisonniers<br />

En fait, Bahram oublie peu à peu ses devoirs royaux, son vizir le trompe,<br />

opprime le peuple et incite les troupes chinoises à attaquer l’Iran. Un jour étant à <strong>la</strong><br />

chasse, Bahram rencontre <strong>sur</strong> sa route un berger qui avait pen<strong>du</strong> son chien aux<br />

branches d’un arbre. Il lui en demande <strong>la</strong> cause, le berger lui répond :


Beau jeune homme, répondit le vieil<strong>la</strong>rd,<br />

L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 97<br />

Je vous dirai, point par point, ce qui s’est passé (Ibid. 303-304)<br />

Et il dévoile le complot <strong>du</strong> chien <strong>du</strong> troupeau et d’un loup des environs contre<br />

les moutons. Par ce court récit, le berger avertit en fait Bahram et l’encourage à<br />

punir les traîtres.<br />

Quiconque envers le coupable n’agit ainsi<br />

Personne <strong>sur</strong> lui ne saurait app<strong>la</strong>udir (Ibid. 306)<br />

Bahram saisit le sens de l’allusion et se hâte vers <strong>la</strong> ville où il se rend compte<br />

que beaucoup de malheureux sont emprisonnés soi-disant sous l’ordre <strong>du</strong> roi tandis<br />

que son vizir feint <strong>la</strong> clémence. Pour rendre justice à tous ceux qui étaient soumis<br />

aux oppressions de ce dernier, il désigne sept d’entre eux et se met en devoir<br />

d’écouter leurs p<strong>la</strong>intes. Chaque prisonnier raconte alors sa vie et le roi Bahram<br />

assiste ainsi à sept récits, cette fois, racontés par sept prisonniers.<br />

Ce qui est <strong>sur</strong>tout remarquable, c’est que <strong>la</strong> disposition des narrateurs<br />

correspond ici à <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée de leur emprisonnement, de sorte que le premier opprimé<br />

est emprisonné depuis un an :<br />

Voici un an qu’il m’a jeté en prison<br />

La face <strong>du</strong> roi m’est le plus heureux augure (Ibid. 310)<br />

Le deuxième depuis deux ans :<br />

Il me fit avec cruauté jeter en prison<br />

Deux ans, pour le moins, se sont écoulés depuis. (Ibid. 311)<br />

Le troisième depuis trois ans :<br />

‘Voici trois ans que je suis aux liens<br />

Mais j’ai vu le visage <strong>du</strong> roi et suis satisfait.’ (Ibid. 313)<br />

Le quatrième depuis quatre ans:


98 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Voici quatre années que par tyrannie<br />

Il me tient, innocent, en cet abaissement. (Ibid. 314)<br />

Le cinquième depuis cinq ans :<br />

Voici cinq ans, que je suis en cette geôle,<br />

Retenu éloigné de maison et foyer. (Ibid. 316)<br />

Le sixième depuis six ans:<br />

Six ans voici, que dis-je, davantage,<br />

Que je suis le cœur <strong>la</strong>céré et l’âme en sang. (Ibid. 318)<br />

Et enfin le septième depuis sept ans:<br />

Voici sept ans qu’à cette meule il m’astreint<br />

Les deux pieds par l’entrave traversés. (Ibid. 319)<br />

L’ensemble des histoires racontées par les prisonniers constitue en fait un<br />

deuxième cycle de récits <strong>dans</strong> le récit, parallèle au premier. Mais bien qu’ici aussi<br />

nous ayons sept personnages devenant à leur tour des narrateurs, il faut remarquer<br />

tout d’abord que chaque prisonnier raconte un seul récit ne comprenant qu’un seul<br />

niveau. De plus, ces récits sont souvent courts et réalistes contrairement à ceux des<br />

princesses qui sont longs et parfois fantastiques ou merveilleux. Par ailleurs, le titre<br />

de l’ouvrage – Haft Peykar – comme l’ont remarqué les critiques et les tra<strong>du</strong>cteurs,<br />

semble renvoyer plutôt aux héroïnes et aux corps célestes et non pas aux<br />

prisonniers. 1 Enfin <strong>du</strong> point de vue <strong>du</strong> type et de <strong>la</strong> fonction de <strong>la</strong> narration, il existe<br />

des différences entre ces deux cycles de récits, comme nous le verrons <strong>dans</strong> les<br />

parties consacrées à ces questions.<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Sur l’importance <strong>du</strong> chiffre « sept » (haft) et sa signification, voir Dr. Mohammad Moïn,<br />

l’Analyse de Haft Peykar (en persan), édition Moïn, 1384(2005).


L’étude des voix narratives<br />

L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 99<br />

Dans l’étude de <strong>la</strong> structure de Haft Peykar, nous avons vu que cet ouvrage est<br />

constitué des récits enchâssant d’autres récits, ce qui permet au personnage <strong>du</strong> récit<br />

<strong>du</strong> premier niveau d’adopter le rôle de narrateur d’un autre récit. Ce fait, tout en<br />

pro<strong>du</strong>isant différents niveaux de narration, peut également créer diverses voix<br />

narratives.<br />

Chaque princesse devient par exemple le narrateur d’un récit qui englobe<br />

souvent d’autres narrateurs. Les récits les plus compliqués ont plusieurs narrateurs.<br />

Dans le récit de <strong>la</strong> septième princesse, comme on l’a vu, c’est <strong>la</strong> mère de celle-ci<br />

qui raconte le récit qu’elle a elle-même enten<strong>du</strong> au cours d’un banquet. Ce récit a<br />

donc plusieurs conteurs : <strong>la</strong> princesse, sa mère et l’une des personnes qui a assisté<br />

au banquet. Ce récit implique également divers narrataires qui sont respectivement<br />

Bahram, <strong>la</strong> princesse, <strong>la</strong> mère de <strong>la</strong> princesse.<br />

Outre ces cas, où l’on assiste directement à <strong>la</strong> narration des personnages des<br />

récits enchâssés <strong>dans</strong> certains autres, les personnages assument encore le rôle <strong>du</strong><br />

narrateur mais ils content leur récit d’une manière virtuelle et indirecte : Mahan, le<br />

héros <strong>du</strong> cinquième récit, raconte ses aventures – sa rencontre avec les monstres et<br />

les mauvais esprits ainsi que les multiples dangers qu’il a affrontés – aux gens qu’il<br />

rencontre <strong>sur</strong> son chemin. Bien sûr, ici, nous ne sommes pas témoins de <strong>la</strong> narration<br />

mais apprenons que le personnage devient à son tour narrateur :<br />

Quand Mahan, pour son sou<strong>la</strong>gement,<br />

Vit au vieil homme parler si conciliant,<br />

Il l’instruit de son aventure<br />

Et des malheurs qui lui étaient advenus. (Ibid. 232)<br />

De même, lorsqu’il est sauvé par Khezr, il regagne son pays, retrouve ses amis<br />

vêtus en bleu 1 en signe de deuil pour lui et leur raconte alors ses aventures :<br />

__________________________________________________________________<br />

1- La même couleur qu’on a attribuée à jeudi le cinquième jour où <strong>la</strong> cinquième princesse a <strong>la</strong><br />

charge de conter son récit.


100 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Tout ce qu’il avait vu ; <strong>du</strong> début à <strong>la</strong> fin<br />

Il rapporta, en entier, à ses amis. (Ibid. 246)<br />

Dans le sixième récit, comme <strong>dans</strong> le précédent, une partie de l’histoire se<br />

raconte une fois par <strong>la</strong> sixième princesse et une autre fois, de façon virtuelle, par le<br />

héros <strong>du</strong> récit. Il s’agit là de deux jeunes hommes, l’un nommé Bon (Kheyr), l’autre<br />

Mauvais (Sharr) qui deviennent par hasard des compagnons de route. Devenu<br />

aveugle et abandonné par ‘Mauvais’, ‘Bon’ sera sauvé par une famille à qui il<br />

raconte ses aventures :<br />

Bon ne cacha pas l’histoire de Mauvais,<br />

Ce qui lui était arrivé, bon et mauvais, il dit tout : (Ibid. 259)<br />

Dans le troisième récit, on assiste encore à une répétition virtuelle de l’histoire<br />

qui est déjà racontée par <strong>la</strong> princesse et se reprend par Bashr, le héros <strong>du</strong> récit qui<br />

aconte ses aventures pour <strong>la</strong> femme de Malikha, son compagnon de route. 1<br />

Quand Bashr eut re<strong>la</strong>té tout ce qu’il avait vu<br />

Et tout ce que, de cet impie, il avait enten<strong>du</strong>;<br />

Il ajouta : il s’est noyé, longue vie à toi!<br />

Son lieu est <strong>la</strong> tombe, que cette demeure soit le tien! (Ibid. 195)<br />

Ainsi les narrateurs se multiplient au cours de l’ouvrage de sorte qu’il devient<br />

__________________________________________________________________<br />

1- Puisque notre objectif est plutôt l’analyse <strong>du</strong> discours narratif, nous avons évité ici de repro<strong>du</strong>ire<br />

le contenu de ce récit plein de sens. Mais pour éc<strong>la</strong>irer le processus de <strong>la</strong> répétition, il faut rappeler<br />

que Bashr avait aperçu un jour <strong>sur</strong> son chemin une femme dont il était tombé amoureux.<br />

Apprenant qu’elle était mariée, il entreprend le pèlerinage à Jérusalem pour faire pénitence. Au<br />

retour de son voyage, il fait route avec un homme nommé Malikha, savant mais malhonnête. Après<br />

une longue marche <strong>dans</strong> le désert, ils arrivent <strong>dans</strong> une oasis et y voient un bassin. Malikha<br />

manifeste le désir d’y prendre un bain malgré l’insistance de Bashr de ne pas souiller l’eau.<br />

L’attente de celui-ci pour que son compagnon prenne son bain se prolonge: il trouve enfin Malikha<br />

noyé <strong>dans</strong> le bassin qui était en fait le bord d’un puit profond. Il continue sa route pour chercher les<br />

parents de Malikha et leur remettre les affaires <strong>du</strong> défunt. En trouvant <strong>la</strong> maison de Malikha, il se<br />

voit accueilli par l’épouse <strong>du</strong> défunt, en qui il reconnaît <strong>la</strong> femme qu’il avait aimée et lui raconte<br />

ses aventures.


L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 101<br />

parfois difficile de distinguer <strong>la</strong> voix qui domine à tel ou tel moment de l’intrigue.<br />

Ceci se remarque <strong>sur</strong>tout lors des commentaires <strong>sur</strong> les différentes couleurs où se<br />

confondent les voix narratives :<br />

Sur le noir, <strong>la</strong> nature a splendeur et éc<strong>la</strong>t,<br />

Noir, pour cette raison est le dais <strong>du</strong> sultan. (…)<br />

Sept couleurs s’étagent sous les sept trônes ;<br />

Au-dessus <strong>du</strong> noir il n’est pas de couleur. (Ibid. 165-166)<br />

Est-ce là une affirmation de <strong>la</strong> femme pieuse, de <strong>la</strong> première princesse qui<br />

raconte le récit ou de l’auteur/narrateur ?<br />

Quoi qu’il en soit à cette multitude de voix narratives correspond naturellement<br />

des narrataires très nombreux. Aussi peut-on dire que <strong>dans</strong> Haft Peykar tout<br />

personnage apparaissant est soit narrateur soit narrataire, parfois les deux à <strong>la</strong> fois.<br />

Mais à travers ce foisonnement de voix narratives, on distingue différents types et<br />

fonctions de narration qui dépendent de <strong>la</strong> présence ou de l’absence <strong>du</strong> narrateur<br />

<strong>dans</strong> son récit et <strong>du</strong> but que poursuit l’acte narratif en question.<br />

Types et fonctions de <strong>la</strong> narration<br />

Dans tout ouvrage qui comporte des récits enc<strong>la</strong>vés, il existe une re<strong>la</strong>tion qui<br />

unit le second récit au premier <strong>dans</strong> lequel il a été inséré. Le second récit sert parfois<br />

d’explication, d’autre fois il cherche à convaincre et à persuader, et finalement il<br />

peut assumer simplement une fonction de distraction. Ces différentes sortes de<br />

re<strong>la</strong>tions entre les récits représentent trois types de fonctions que Genette a nommés<br />

respectivement, causalité directe, re<strong>la</strong>tion thématique et re<strong>la</strong>tion de distraction<br />

(Genette, 1972). Dans Haft Peykar, les récits des sept princesses ont pour rôle<br />

principal celui de distraire : c’est Bahram qui pour se divertir, demande à chaque<br />

princesse de raconter un récit. Mais cette narration a également une fonction<br />

explicative, étant donné qu’elle s’achève par un commentaire <strong>sur</strong> <strong>la</strong> couleur préférée<br />

de <strong>la</strong> narratrice et cherche à révéler le secret de cette couleur.<br />

En outre, on peut attribuer d’autres fonctions à certains récits. Dans le deuxième


102 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

récit par exemple, on distingue une re<strong>la</strong>tion thématique entre les trois récits<br />

enc<strong>la</strong>vés. D’ailleurs, on pourrait signaler une certaine ressemb<strong>la</strong>nce entre les trois<br />

couples : <strong>la</strong> princesse et le roi Bahram, le roi <strong>du</strong> récit et <strong>la</strong> servante et finalement<br />

Salomon et Bilqis. Le roi Bahram en écoutant l’histoire et <strong>la</strong> princesse en <strong>la</strong><br />

racontant, semblent s’identifier respectivement aux personnages des récits<br />

secondaires. De même, <strong>dans</strong> le récit de <strong>la</strong> première princesse, c’est <strong>la</strong> couleur noire<br />

qui relie toutes les aventures racontées par les divers narrateurs.<br />

Le récit <strong>du</strong> berger qui explique à Bahram <strong>la</strong> cause de <strong>la</strong> punition de son chien et<br />

ceux des prisonniers racontant <strong>la</strong> cause de leur emprisonnement possèdent une<br />

fonction explicative.<br />

De plus, <strong>dans</strong> le récit de <strong>la</strong> quatrième princesse, on découvre des points<br />

communs entre <strong>la</strong> vie de Bahram et celle de <strong>la</strong> princesse <strong>du</strong> récit secondaire.<br />

Comparons ces quelques vers:<br />

A propos de <strong>la</strong> vie de Bahram<br />

Les observateurs de <strong>la</strong> sphère signifièrent<br />

Que cet héritier, qui si beau visage avait,<br />

En hâte fût con<strong>du</strong>it de Perse en Arabie<br />

Pour là-bas, être élevé parmi les Arabes<br />

(...)<br />

Ainsi le père soucieux de <strong>la</strong> vie de son fils,<br />

Par affection l’éloigna de lui<br />

(...)<br />

Il lui faudrait, pour se bien développer<br />

un édifice dont le faîte touchât le ciel<br />

A cette altitude, par <strong>la</strong> brise <strong>du</strong> nord protégé,<br />

Il pourrait ailes et plumes déployer (Ibid. 45-46)<br />

A propos de <strong>la</strong> vie de <strong>la</strong> belle princesse :


La jeune fille, beauté à <strong>la</strong> réclusion vouée,<br />

Quand des prétendants vit <strong>la</strong> menace,<br />

Chercha alentour une montagne haute,<br />

Eloignée autant que le ciel, de l’outrage.<br />

Dessous, elle ordonna qu’on bâtît une forteresse:<br />

Du cœur <strong>du</strong> mont, eût-on dit, un mont <strong>sur</strong>gissait<br />

Elle s’excusa, et à son père demanda<br />

Qu’il lui permit de se préparer au départ.<br />

Le père, plein de tendresse, à cet éloignement,<br />

L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 103<br />

Quoiqu’il souffrît donna son consentement: (Ibid. 201-202)<br />

Les éléments communs soulignés <strong>dans</strong> les vers qui concernent respectivement<br />

l’histoire de <strong>la</strong> vie de Bahram, contée au début de l’ouvrage par l’auteur/narrateur,<br />

et celle de <strong>la</strong> princesse <strong>du</strong> récit sont repro<strong>du</strong>its ci-dessous en deux colonnes afin de<br />

mieux saisir les points identiques :<br />

Bahram l’héroïne <strong>du</strong> récit<br />

1-Si beau visage 1-Beauté à <strong>la</strong> réclusion vouée<br />

2-Fût con<strong>du</strong>it de Perse en Arabie 2-Se préparer au départ<br />

3-Le père (……) par affection l’éloigna de lui 3-Le père, plein de tendresse, à<br />

cet éloignement……<br />

4-Il lui faudrait (….) un édifice dont le faîte 4-(….) qu’on bâtit une forteresse<br />

touchât le ciel <strong>du</strong> cœur <strong>du</strong> mont, eut-on dit, un<br />

mont <strong>sur</strong>gissait.<br />

Ces éléments communs entre une partie de <strong>la</strong> vie de l’héroïne <strong>du</strong> récit et celle <strong>du</strong><br />

narrataire, c’est-à-dire Bahram, incitent probablement celui-ci à porter plus<br />

d’attention à l’un des plus beaux récits, plein de sens et d’allégorie, des sept<br />

princesses.<br />

On doit noter également que selon l’absence ou <strong>la</strong> présence <strong>du</strong> narrateur <strong>dans</strong><br />

l’histoire qu’il conte, on distingue deux types de récit qui se nomment


104 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

respectivement hétérodiégétique et homodiégétique. Dans Haft Peykar, les sept<br />

princesses n’ont presque aucun rôle <strong>dans</strong> les récits qu’elles racontent et ceux-ci sont<br />

donc hétérodiégétiques. Au contraire les récits des prisonniers sont tous<br />

homodiégétiques et de plus autodiégétiques puisqu’ils sont toujours les héros des<br />

aventures qu’ils re<strong>la</strong>tent. Rappelons aussi que <strong>la</strong> fonction de distraction est absente<br />

ici : les prisonniers se p<strong>la</strong>ignent des crimes <strong>du</strong> vizir et le roi Bahram les écoute pour<br />

faire régner <strong>la</strong> justice. Notons enfin que l’auteur/narrateur de Haft-Peykar n’est<br />

pas le héros de son récit, mais qu’il assume parfois le rôle d’observateur et de<br />

témoin.<br />

Mais quelle est <strong>la</strong> fonction <strong>du</strong> discours de cet auteur/narrateur ? Comme nous le<br />

savons, le discours <strong>du</strong> narrateur peut assumer plusieurs fonctions : fonction<br />

narrative, fonction de régie, fonction testimoniale, fonction phatique et fonction<br />

idéologique. Parmi ces fonctions que Genette distingue (Genette, 1972), <strong>la</strong> fonction<br />

narrative, c'est-à-dire celle qui consiste à raconter l’histoire, occupe évidemment <strong>la</strong><br />

première p<strong>la</strong>ce <strong>dans</strong> Haft Peykar. Mais à côté de cette fonction primordiale, les<br />

fonctions testimoniale et idéologique y sont également remarquables. En effet, au<br />

début de l’ouvrage, lorsque Nezami signale le rapport qu’il entretient avec l’histoire<br />

qu’il raconte, c’est <strong>la</strong> fonction testimoniale, ou « émotive » selon le terme de<br />

Jakobson, qui domine puisque l’auteur /narrateur précise que l’histoire revêt pour lui<br />

un aspect intellectuel et moral :<br />

O Nezami ; fuis cette roseraie<br />

Dont <strong>la</strong> rose devient épine, épine acérée.<br />

Malgré pareille magnificence, cette demeure éphémère<br />

Vois comment Bahram, pour finir dût quitter ! (Nezami ; Les Sept Portraits,<br />

op.cit. 132)<br />

Toutefois <strong>la</strong> fonction idéologique joue ici un rôle plus important. Cette fonction<br />

s’affirme par les interventions directes ou indirectes <strong>du</strong> narrateur à l’égard de<br />

l’histoire, interventions qui prennent souvent une forme didactique. Ainsi, par<br />

exemple l’auteur/narrateur souligne, après <strong>la</strong> rencontre <strong>du</strong> roi et <strong>du</strong> berger, les


devoirs royaux et <strong>la</strong> portée <strong>du</strong> récit <strong>du</strong> berger.<br />

Le roi Bahram, de ces paroles éloquentes,<br />

Tira en secret avertissement pour soi-même<br />

Elles étaient l’allusion; il comprit.<br />

Il mangea quelque chose, puis se hâta vers <strong>la</strong> ville<br />

Il se disait à part soi: « De ce vieux berger<br />

L’analyse <strong>du</strong> discours narratif Dans ... 105<br />

J’apprends le devoir d’un roi; ô précieuse leçon! » (Ibid. 306)<br />

Conclusion<br />

L’étude <strong>du</strong> discours narratif de Haft Peykar nous a ainsi mené à constater <strong>la</strong><br />

variété des types et des fonctions de <strong>la</strong> narration aussi bien que <strong>la</strong> diversité des voix<br />

qui s’y rencontrent. Nous avons pu observer également <strong>la</strong> structure générale de<br />

l’œuvre, constituée d’un long prologue et de l’histoire de <strong>la</strong> vie de Bahram. Celle-ci<br />

comprend deux cycles de récits et un récit intermédiaire qui sert à les relier, avant de<br />

se terminer par un discours philosophique <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie et <strong>la</strong> mort. Aussi l’enchâssement<br />

se révèle-t-il comme le procédé narratif le plus utilisé <strong>dans</strong> l’œuvre et sa<br />

signification interne ne doit pas nous échapper.<br />

En effet, il semblerait que Nezami en re<strong>la</strong>tant deux cycles de récits oppose en<br />

réalité deux mondes : le monde imaginaire et le monde réel. Le premier empreint de<br />

beauté et de grâce et le second plein de cruauté et d’injustice. Or le passage de l’un à<br />

l’autre s’effectue par un récit emblématique où l’enchâssement arrive à son apogée<br />

par une sorte d’auto-enchâssement : le récit <strong>du</strong> berger est en fait l’image des<br />

aventures de Bahram en même temps que <strong>la</strong> base <strong>du</strong> développement ultérieur de<br />

l’intrigue. Le point culminant <strong>du</strong> procédé narratif coïncide ainsi avec le réveil de <strong>la</strong><br />

conscience <strong>du</strong> prince et sa rencontre avec <strong>la</strong> réalité.<br />

Bibliographie<br />

Barthes 1977 : Barthes, R., ‘Intro<strong>du</strong>ction à l’analyse structurale des récits’, Poétique <strong>du</strong><br />

récit, Seuil, Paris, 1977.


106 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Gastines de 2000 : Nezami, Les Sept Portraits, tra<strong>du</strong>it par Isabelle de Gastines, librairie<br />

Arthème Fayard, Paris, 2000.<br />

Genette 1972 : Genette, G., Figures III, Seuil, Paris, 1972.<br />

Moïn, Mohammad, l’Analyse de Haft Peykar (en persan), édition Moïn, 1384(2005).<br />

Nezami, Haft Peykar (en persan), avec <strong>la</strong> correction de Dr. Barat Zandjani ; Presse<br />

université de Téhéran ; Téhéran 1373(1994).<br />

Todorov 1978 : Todorov, T., Poétique de <strong>la</strong> prose, Seuil, Pais, 1978.


Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 107-119 107<br />

Particu<strong>la</strong>rités de l’apprentissage des apprenants a<strong>du</strong>ltes des<br />

<strong>la</strong>ngues étrangères<br />

Mahmoud Reza Gashmardi ∗<br />

Maître-assistant au Département de Français, Faculté des Langues Etrangères,<br />

Université d’Ispahan, Iran<br />

(Date de réception: 03 Feb 2008, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

Résumé<br />

Depuis les nouvelles méthodologies, les didacticiens/méthodologues considèrent<br />

l’apprenant comme le centre d’intérêt <strong>dans</strong> le processus de l’enseignement/apprentissage.<br />

Dans chaque domaine disciplinaire, les enseignants doivent faire une attention<br />

particulière aux particu<strong>la</strong>rités des sujets apprenants. En général, si nous voulons diviser<br />

les apprenants en différents groupes, une partie des apprenants des <strong>la</strong>ngues étrangères<br />

sont les a<strong>du</strong>ltes, soit <strong>dans</strong> le cadre universitaire (enseignement formel), soit <strong>dans</strong> les<br />

instituts des <strong>la</strong>ngues (enseignement informel). On définit les a<strong>du</strong>ltes selon des points de<br />

vue légal, social, psychologique. C’est <strong>la</strong> notion psychologique qui nous intéresse et<br />

concerne directement <strong>la</strong> didactique des <strong>la</strong>ngues étrangères. Il va sans dire que les<br />

caractéristiques des a<strong>du</strong>ltes apprenant une <strong>la</strong>ngue étrangère ne peuvent pas être tout à fait<br />

différentes de celles des autres a<strong>du</strong>ltes <strong>dans</strong> les autres situations d’apprentissage. Si nous<br />

réussissons à connaître les particu<strong>la</strong>rités des apprenants a<strong>du</strong>ltes, nous serons en me<strong>sur</strong>e<br />

de comprendre le processus de leur apprentissage. Ainsi dire, nous nous efforcerons <strong>dans</strong><br />

un premier temps d’expliquer les différentes définitions d’a<strong>du</strong>lte, et, <strong>dans</strong> un deuxième<br />

temps, d’aborder les particu<strong>la</strong>rités de l’apprentissage des apprenants a<strong>du</strong>ltes.<br />

Mots-clés: Didactique des Langues Étrangères, Psycholinguistique, Méthodologie,<br />

Apprenant A<strong>du</strong>lte, Enseignement, Apprentissage.<br />

__________________________________________________________________<br />

∗ Tel: 0311-7932101, Fax: 0311-6687391, E-mail: gashmardi@hotmail.com


108 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

Domaine multidimensionnel et pluridisciplinaire, <strong>la</strong> didactique des <strong>la</strong>ngues<br />

étrangères peut être étudiée selon des points de vue différents. Selon les pédagogues,<br />

un acte é<strong>du</strong>catif peut se composer de trois axes principaux : le savoir, le professeur<br />

et l’élève. N’étant pas conforme aux exigences de l’enseignement/apprentissage<br />

d’une <strong>la</strong>ngue étrangère, ce triangle s’adapte aux nécessités de situations didactiques :<br />

le professeur, l’élève et <strong>la</strong> méthode (Girard, 1972: 11). Chacun de ces éléments peut<br />

constituer un aspect particulier <strong>du</strong> processus de l'enseignement/apprentissage de<br />

<strong>la</strong>ngue étrangère. Depuis quelques décennies, on assiste à l'apparition d'une nouvelle<br />

approche qui consiste en "l'inversion d'une pédagogie de l’enseignement à une<br />

pédagogie de l'apprentissage" (Roulet, 1976, p. 58). Ceci veut dire qu'un élément de<br />

cette tripartition attire plus l'attention des chercheurs : le sujet apprenant. Les<br />

chercheurs/didacticiens s'intéressent à déceler les mécanismes de l'appropriation de<br />

savoirs et de connaissances par l'apprenant, soit enfant, soit adolescent et a<strong>du</strong>lte.<br />

Une recherche qui veut étudier le sujet apprenant a<strong>du</strong>lte peut concerner plusieurs<br />

domaines, comme les sciences de l'é<strong>du</strong>cation et <strong>la</strong> psychologie.<br />

De nombreux enseignants se posent de temps en temps <strong>la</strong> question : pourquoi<br />

certains étudiants ne font aucun effort pour apprendre, mais en revanche, certains<br />

d’autres le font avec persévérance. En ce qui concerne <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse de <strong>la</strong>ngue étrangère,<br />

nous pensons que cette question s’impose davantage. Les apprenants a<strong>du</strong>ltes sont<br />

démotivés vis-à-vis de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue étrangère qu’ils ont choisie d’étudier, pour<br />

différentes raisons, nous en citons quelques unes : image confuse <strong>du</strong> pays et des<br />

natifs de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue étrangère en question, méthodes inintéressantes, mauvaise<br />

méthodologie appliquée par le professeur, manque de motivation, faute de<br />

débouché, etc. Nous pouvons ajouter une autre raison : non respect des<br />

caractéristiques des apprenants a<strong>du</strong>ltes.<br />

L’apprenant est, depuis les pédagogies de l’é<strong>du</strong>cation nouvelle (qui ont<br />

commencé à se développer dès le début <strong>du</strong> XX e siècle), l’élément clé de tout<br />

enseignement. L’apprenant intervient <strong>dans</strong> l’enseignement, le subit et le modifie en<br />

fonction de ses caractéristiques physiques, psychologiques et intellectuelles.


Particu<strong>la</strong>rités de l’apprentissage des ... 109<br />

L’apprentissage est un processus continu de croissance et de développement pour<br />

l’a<strong>du</strong>lte. Son point de départ, en ce qui concerne son apprentissage, est fait<br />

d’expériences et d’acquis divers. La motivation à apprendre est très forte chez<br />

l’a<strong>du</strong>lte. Il a de très grandes attentes à l’égard de l’apprentissage. Chez l’a<strong>du</strong>lte,<br />

l’apprentissage est en compétition avec d’autres intérêts. L’a<strong>du</strong>lte a sa propre<br />

conception de l’apprentissage. On ne doit pas se <strong>sur</strong>prendre <strong>du</strong> fait que les<br />

caractéristiques des a<strong>du</strong>ltes aient des implications <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nature de l’enseignement<br />

qui leur est destiné.<br />

La première question que les enseignants doivent se poser <strong>dans</strong> un cours de<br />

<strong>la</strong>ngue dispensé aux a<strong>du</strong>ltes, consiste à en trouver une définition à travers <strong>la</strong><br />

personnalité et les caractéristiques des a<strong>du</strong>ltes, puisque “<strong>la</strong> notion d’a<strong>du</strong>lte est au<br />

coeur d’un débat épistémologique compliqué, parce que <strong>la</strong> charge idéologique qui<br />

pèse <strong>sur</strong> elle dénature l’objet disciplinaire ou l’asservit à des fonctions sociétales”.<br />

(Dominicé, 2003: 40). La notion d’a<strong>du</strong>lte se différencie d’une société à l’autre, et les<br />

idées sont partagées <strong>sur</strong> sa définition.<br />

Vu que l’apprenant est le centre d’intérêt <strong>du</strong> processus de l’enseignement<br />

/apprentissage, en général, et de <strong>la</strong> didactique des <strong>la</strong>ngues étrangères, en particulier,<br />

et que les particu<strong>la</strong>rités des apprenants a<strong>du</strong>ltes des <strong>la</strong>ngues étrangères ne peuvent pas<br />

être différentes par rapport aux autres apprenants a<strong>du</strong>ltes <strong>dans</strong> d’autres situations<br />

d’apprentissage, nous nous efforcerons de définir d’abord les différentes définitions<br />

d’a<strong>du</strong>lte, et, puis, de préciser les particu<strong>la</strong>rités d’apprentissage des a<strong>du</strong>ltes qui<br />

doivent être tenues en compte <strong>dans</strong> toute sorte d’enseignement dispensé aux<br />

apprenants a<strong>du</strong>ltes, soit <strong>dans</strong> le cadre universitaire, soit <strong>dans</strong> tout autre situation<br />

d’enseignement concernant les apprenants a<strong>du</strong>ltes. La connaissance des<br />

particu<strong>la</strong>rités des apprenants a<strong>du</strong>ltes nous aide à mieux comprendre le processus de<br />

leur apprentissage.<br />

Comment peut-on définir <strong>la</strong> notion d’a<strong>du</strong>lte<br />

L’a<strong>du</strong>lte ici est accompagné d’autonomie et de responsabilité ; l’opposition<br />

entre l’enfant et l’a<strong>du</strong>lte met l’accent <strong>sur</strong> <strong>la</strong> désco<strong>la</strong>risation : éviter les situations de


110 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

dépendance concernant des contenus, des méthodes, des objectifs d’apprentissage, et<br />

même l’enseignant.<br />

L’a<strong>du</strong>lte est, d’après un point de vue dynamique, une personne ayant accédé à <strong>la</strong><br />

maturité et à l’autonomie (v. Bourgain, 1979: 25-27.). La maturité est un concept<br />

ambigu, mais il n’est pas rare que des prescriptions andragogiques en <strong>formation</strong> des<br />

a<strong>du</strong>ltes retiennent <strong>la</strong> notion de maturité comme un facteur essentiel à prendre en<br />

considération. La maturité reflète une notion d’achèvement, car “l’a<strong>du</strong>lte est mûr,<br />

son développement affectif, mental, sensori-moteur, moteur et sexuel est achevé”<br />

(Goguelin, 1994: 40). Selon A. Léon, <strong>la</strong> maturité est une conquête progressive qui<br />

s’inscrit <strong>dans</strong> le cadre général de l’adaptation de l’homme à son milieu” (Léon,<br />

1971: 65). Il existe des critères divers pour définir <strong>la</strong> maturité, pourtant “<strong>la</strong><br />

théorisation de <strong>la</strong> maturité en stades pose le problème de <strong>la</strong> grande variabilité inter et<br />

intra/indivi<strong>du</strong>elle à un âge considéré. La maturité est un fait global qui concerne<br />

toute <strong>la</strong> personne et qui repose en définition <strong>sur</strong> un jugement de valeur.<br />

En tant que facteur ambigu, <strong>la</strong> maturité peut faire allusion au vieillissement<br />

entraînant l’idée d’une diminution des facultés intellectuelles et de <strong>la</strong> souplesse<br />

adaptive, qu’il présente un concept paradoxal, comme le constate A. Léon : “une<br />

valorisation par accumu<strong>la</strong>tion : les personnes âgées ont plus d’expériences, de<br />

sagesse ; une valorisation par diminution : les personnes âgées ont moins d’illusion,<br />

moins d’impatience, moins d’obligations ; une dévalorisation par accumu<strong>la</strong>tion<br />

d’expériences malheureuses, de chocs, de traumatismes ; une dévalorisation par<br />

diminution des capacités, des intérêts, des motivations”(Léon, 1971: 65). Comme le<br />

passage d’un état à l’autre, <strong>la</strong> maturité exprime parfois l’idée de seuil, l’apparition<br />

de capacités nouvelles. Selon <strong>la</strong> tradition philosophique et sous l’influence d’une<br />

certaine représentation biologique, <strong>la</strong> maturité désigne un moment précis et décisif :<br />

être a<strong>du</strong>lte, c’est atteindre <strong>la</strong> ligne de crête entre <strong>la</strong> croissance et le déclin.<br />

Une autre description d’a<strong>du</strong>lte porte <strong>sur</strong> <strong>la</strong> périodisation de <strong>la</strong> vie humaine et <strong>sur</strong><br />

<strong>la</strong> détermination de l’âge. Les idées ne sont pas unanimes, et <strong>la</strong> variété des opinions<br />

<strong>la</strong>isse à entendre que l’âge à partir <strong>du</strong>quel l’homme devient a<strong>du</strong>lte est re<strong>la</strong>tif.<br />

D’après un point de vue statistique, comme le déc<strong>la</strong>re R. Mucchielli, “nous appelons


Particu<strong>la</strong>rités de l’apprentissage des ... 111<br />

a<strong>du</strong>ltes, les hommes et les femmes qui ont plus de 23 ans et qui sont entrés <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

vie professionnelle, assumant des rôles sociaux actifs et des responsabilités<br />

familiales, ayant déjà une expérience directe de l’existence” (Mucchielli, 2006: 10).<br />

Pour certains, l’âge a<strong>du</strong>lte peut débuter à 21ans, et pour d’autres, “toute personne<br />

âgée d’au moins 16 ans et ayant quitté l’école” (Legendre, 2006: 437).<br />

Biologiquement, nous devenons a<strong>du</strong>ltes lorsque nous sommes aptes à pro<strong>du</strong>ire un<br />

autre être humain.<br />

L’âge a<strong>du</strong>lte est arbitrairement définit par <strong>la</strong> loi. Elle confère à l’a<strong>du</strong>lte légal un<br />

certain nombre de capacités nouvelles. Lorsque nous avons légalement le droit de<br />

voter, de passer notre permis de con<strong>du</strong>ire, nous sommes juridiquement a<strong>du</strong>ltes ;<br />

“chez Kant, l’a<strong>du</strong>lte est défini à partir <strong>du</strong> modèle juridique de <strong>la</strong> majorité : être<br />

a<strong>du</strong>lte, c’est avoir atteint son indépendance affective et intellectuelle, indépendance<br />

qu’il dépend à nous de perdre, de maintenir ou d’accroître” (Danvers, 1992: 23).<br />

On peut être reconnu a<strong>du</strong>lte, aux yeux de <strong>la</strong> société, lorsque l’on se met à<br />

travailler, à voter, lorsqu'on se marie, et que l’on “a eu et (...) a des responsabilités,<br />

<strong>dans</strong> le cadre de son travail, vis-à-vis de sa famille. La notion de but à atteindre est<br />

plus c<strong>la</strong>ire chez lui que chez l’enfant. Il sait que son avenir dépend de lui-même, il a<br />

des projets, des objectifs. Le concept de réussite, en particulier sociale et socio-<br />

économique, est assez vivement ressenti” (Goguelin, 1994: 41).<br />

Les psychologues peuvent apporter de multiples réponses à des questions<br />

didactiques et andragogiques. L’étude des fonctions psychologiques cherche à<br />

élucider quelques grands mécanismes <strong>du</strong> fonctionnement humain : <strong>la</strong> sensation et <strong>la</strong><br />

perception, l’apprentissage, <strong>la</strong> mémoire, les activités intellectuelles, <strong>la</strong> motivation,<br />

etc. Selon M. Knowles, “nous devenons psychologiquement des a<strong>du</strong>ltes lorsque<br />

nous avons nous-mêmes pris conscience que nous sommes responsables de nos vies<br />

et que nous devons nous autogérer” (Knowles, 1995: 69).<br />

Les particu<strong>la</strong>rités psychologiques des apprenants a<strong>du</strong>ltes<br />

Le concept de soi chez l’a<strong>du</strong>lte est généralement plus défini et plus c<strong>la</strong>ir que<br />

chez l’enfant. L’a<strong>du</strong>lte sait ce qu’il veut et ses décisions sont c<strong>la</strong>ires. Il possède un


112 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

bagage de connaissances et de savoir-faire (un vécu) important. Tenir compte des<br />

capacités de l’apprenant a<strong>du</strong>lte, c’est reconnaître ses forces et ses faiblesses.<br />

L’apprenant a<strong>du</strong>lte est le seul à vraiment savoir si l’enseignement reçu répond à ses<br />

besoins. Normalement, une <strong>formation</strong> sera jugée utile ou appropriée <strong>dans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e<br />

où il lui est possible de <strong>la</strong> mettre en pratique ou si elle répond aux questions qu’il se<br />

pose.<br />

En règle générale, il a une image de soi qui est acquise de manières diverses, et<br />

qui est en évolution constante. En guise d'exemple, les paroles des parents et <strong>la</strong><br />

façon dont ils traitent leur enfant constituent une partie de son concept de soi.<br />

L'enseignant et les camarades de c<strong>la</strong>sse influent et parfois modifient, <strong>du</strong>rant cette<br />

période, l'image de soi. Pendant l'enfance et les années sco<strong>la</strong>ires, il existe des<br />

phrases qui sont ancrées <strong>dans</strong> <strong>la</strong> mémoire des enfants, des phrases comme : "tu es<br />

paresseux", "tu es fort en math", etc. En revanche, chez les a<strong>du</strong>ltes, ce sont les amis,<br />

les collègues et les jugements de leur entourage qui influent <strong>sur</strong> l’idéal qu’ils ont<br />

d’eux-mêmes.<br />

L'opinion que chaque indivi<strong>du</strong> a de lui-même, l'image qu'il a en tête de lui-<br />

même <strong>dans</strong> des situations diverses et caractéristiques et les qualifications qu'il<br />

s'attribue sont, en somme, le concept qu'il a de lui-même. Le concept de soi, c'est<br />

une particu<strong>la</strong>rité très importante des a<strong>du</strong>ltes dont il faut tenir compte <strong>dans</strong><br />

l’enseignement des <strong>la</strong>ngues étrangères pour pouvoir créer des climats motivants et<br />

sécurisants. L'a<strong>du</strong>lte qui a dépassé l'âge de <strong>la</strong> puberté, qui a mené une vie<br />

indépendante, qui a participé à diverses activités sociales, qui a assumé des<br />

responsabilités économiques et professionnelles, etc., s'approprie un concept<br />

particulier de soi. Il connaît bien, en général, ses propres points forts et faibles.<br />

Le concept et l'image de soi se renforcent ou s'affaiblissent au fil des années.<br />

L’enfant, en raison d'expériences restreintes et d’activités sociales limitées, possède<br />

une image de soi qui se modifie facilement au fur et à me<strong>sur</strong>e que l'âge augmente.<br />

Après <strong>la</strong> rentrée à l'école, ses échanges et re<strong>la</strong>tions sociaux s'é<strong>la</strong>rgissent, il fréquente<br />

ses camarades de c<strong>la</strong>sse, ses enseignants et les responsables de l'école. L'enfant<br />

obtient plus d'in<strong>formation</strong>s précises, <strong>dans</strong> ses rencontres, <strong>sur</strong> ses capacités mentales,


Particu<strong>la</strong>rités de l’apprentissage des ... 113<br />

physiques et sociales. Après avoir terminé ses études, il entre de plus en plus <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

société, occupe un emploi et se marie. Les réussites et les défauts, <strong>dans</strong> chaque<br />

étape, rendent faibles ou forts l'image et le concept qu'il a construit de lui-même.<br />

Si le comportement de l'enseignant, <strong>la</strong> méthodologie, le contenu des méthodes,<br />

l'ambiance, le climat é<strong>du</strong>catif et tous les autres facteurs qui interviennent <strong>dans</strong><br />

l’enseignement des a<strong>du</strong>ltes sont différents et contre l'image qu'il s’est faite de lui-<br />

même, il se peut que ceci engendre <strong>la</strong> démotivation et <strong>la</strong> dépression chez lui. Le<br />

refus de participer et l'abandon des cours par les a<strong>du</strong>ltes <strong>dans</strong> les programmes<br />

é<strong>du</strong>catifs interprètent une partie de leur système de défense vis-à-vis de l'agression<br />

qui menace leur image et concept de soi. Ce bouleversement psychologique se<br />

manifeste très nettement <strong>dans</strong> le cours de <strong>la</strong>ngue étrangère par le refus de participer<br />

à <strong>la</strong> conversation et à des exercices de répétitions en groupe.<br />

Les caractéristiques de l’apprentissage de l’apprenant a<strong>du</strong>lte<br />

La connaissance des particu<strong>la</strong>rités des apprenants a<strong>du</strong>ltes aide les enseignants de<br />

<strong>la</strong>ngue étrangère à mieux connaître leur public, et à mieux choisir <strong>la</strong> méthode et les<br />

manuels. Si nous acceptons que l’apprenant est le centre de tout processus de<br />

l’enseignement /apprentissage, comme les didacticiens/méthodologues le confirment<br />

depuis quelques décennies, nous n’avons qu’à chercher à comprendre leurs<br />

particu<strong>la</strong>rités qui sont identiques pour tous les apprenants a<strong>du</strong>ltes, soit ceux qui<br />

apprennent une <strong>la</strong>ngue étrangère et ceux qui étudient une autre discipline, soit <strong>dans</strong><br />

une situation formelle (par exemple <strong>dans</strong> le cadre universitaire) où <strong>dans</strong> une<br />

situation informelle (comme les centres de <strong>formation</strong> et les instituts privés). Dans le<br />

domaine de <strong>la</strong> didactique des <strong>la</strong>ngues étrangères, il se peut que certaines<br />

particu<strong>la</strong>rités soient plus présentes que d’autres. Il convient de rappeler que, comme<br />

nous l’avons signalé précédemment, les particu<strong>la</strong>rités psychologiques des<br />

apprenants a<strong>du</strong>ltes concernent davantage <strong>la</strong> didactique des <strong>la</strong>ngues étrangères. D’où<br />

<strong>la</strong> raison de notre concertation <strong>sur</strong> les particu<strong>la</strong>rités psychologiques des apprenants<br />

a<strong>du</strong>ltes.


114 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

La volonté d’apprendre chez les apprenants a<strong>du</strong>ltes<br />

Les a<strong>du</strong>ltes veulent une orientation contextualisatrice qui peut les aider à<br />

acquérir des connaissances concernant des situations réelles. Chez l’a<strong>du</strong>lte, <strong>la</strong><br />

volonté d’apprendre sera forte si <strong>la</strong> <strong>formation</strong> correspond à ses besoins. Pour<br />

Houssaye, deux conditions doivent être respectées pour que les élèves soient<br />

motivés : “<strong>la</strong> première est que <strong>la</strong> situation d’apprentissage ait un sens, <strong>la</strong> seconde<br />

qu’elle comporte une certaine nouveauté” (Houssaye, 2007: 231).<br />

Lorsqu’un apprenant sait que c’est par l’intermédiaire de ses études ou de son<br />

diplôme qu’il peut obtenir une situation sociale meilleure ou un gain matériel, faire<br />

des études constitue effectivement une source forte de motivation. Il accepte mieux<br />

un savoir quand il y a un intérêt ou une attirance. On peut dire que <strong>la</strong> notion de but à<br />

atteindre est plus c<strong>la</strong>ire chez l’a<strong>du</strong>lte que chez l'enfant. L'a<strong>du</strong>lte a déjà passé son<br />

é<strong>du</strong>cation sco<strong>la</strong>ire, et il est en me<strong>sur</strong>e de se dessiner les objectifs plus réalistes pour<br />

son avenir et pour toute sa vie.<br />

En ce qui concerne <strong>la</strong> didactique des <strong>la</strong>ngues étrangères, il ne faut pas oublier<br />

qu’un apprenant a<strong>du</strong>lte a besoin d'une utilisation déterminée d'une <strong>la</strong>ngue étrangère,<br />

et que, pour lui, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue n'existe pas en soi. Il semble que l'apprenant a<strong>du</strong>lte<br />

possède, <strong>dans</strong> <strong>la</strong> situation homoglotte, un objectif immédiat de l'apprentissage de<br />

<strong>la</strong>ngue étrangère, par contre, <strong>dans</strong> une situation hétéroglotte, un objectif médiat et<br />

lointain (voir Porquier, 1984, 1994, 1995).<br />

Dans le cas d'acquisition de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue maternelle, le but est de <strong>la</strong> découvrir et de<br />

l'utiliser pour entrer en contact avec les autres membres de son entourage. Mais,<br />

contrairement à l'acquisition de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue maternelle par enfant, l'apprentissage<br />

d’une <strong>la</strong>ngue étrangère par l’a<strong>du</strong>lte présente des particu<strong>la</strong>rités délicates.<br />

Premièrement, il a déjà acquis convenablement sa <strong>la</strong>ngue maternelle, et,<br />

deuxièmement, son identité culturelle/sociale s'est déjà forgée depuis des années. La<br />

difficulté est c<strong>la</strong>ire et nette. Cette identité culturelle/sociale fait partie désormais de<br />

son identité indivi<strong>du</strong>elle. Il s'efforce de l'épargner de toute atteinte, et lorsqu'il veut<br />

apprendre une <strong>la</strong>ngue étrangère, dès qu'il sent que cette identité, même par erreur ou<br />

mauvaise conscience, serait en danger, il se défend. Ce sentiment de menace pour


Particu<strong>la</strong>rités de l’apprentissage des ... 115<br />

son identité, vraie ou fausse, entrave et freine son processus d'apprentissage de<br />

<strong>la</strong>ngue étrangère. L'enfant apprend plus facilement une <strong>la</strong>ngue étrangère, car il craint<br />

moins de perdre son identité culturelle/sociale qu'il n'a d'ailleurs pas encore<br />

complètement acquise<br />

Les a<strong>du</strong>ltes ont besoin de savoir pourquoi ils doivent apprendre quelque chose<br />

avant d’entreprendre une <strong>formation</strong>. Lorsque les a<strong>du</strong>ltes prennent l’initiative de faire<br />

une <strong>formation</strong>, ils se consacrent à faire le compte des avantages qu’elle leur<br />

apportera et des conséquences qu'entraînerait un abandon. Le premier devoir de<br />

l’enseignant est d’aider l’apprenant à prendre conscience de son besoin d’apprendre.<br />

L’un des rôles fondamentaux de l’enseignant est d’expliquer aux apprenants que <strong>la</strong><br />

<strong>formation</strong> vise à améliorer leur efficacité et leur qualité de vie.<br />

Les apprenants a<strong>du</strong>ltes ont conscience d’être responsables de leurs propres<br />

décisions et de leur vie. Lorsqu’ils en sont conscients, se développe en eux un<br />

profond besoin psychologique d’être vus et considérés par les autres comme des<br />

indivi<strong>du</strong>s capables de s’autogérer. Ils n’admettent pas les situations où ils sentent<br />

que les autres leur imposent leur volonté. Pourtant, dès l’instant où ils s’engagent<br />

<strong>dans</strong> une activité marquée <strong>du</strong> signe é<strong>du</strong>cation, <strong>formation</strong> ou autre synonyme, ils<br />

retrouvent le conditionnement de leur expérience sco<strong>la</strong>ire antérieure, ils retombent<br />

<strong>dans</strong> un état de dépendance. Le risque est alors de supposer que cette attitude répond<br />

à un réel besoin et de commencer à les traiter comme des enfants, car nous pouvons<br />

générer ainsi chez eux un conflit entre leur modèle intellectuel — l’apprenant est un<br />

être dépendant — et leur besoin psychologique plus profond, et peut-être<br />

subconscient, de s’autogérer. Et <strong>dans</strong> <strong>la</strong> plupart des cas, une personne en proie à un<br />

conflit psychologique cherche à échapper à <strong>la</strong> situation qui en est à l’origine — il est<br />

probable que ce soit partiellement <strong>la</strong> cause <strong>du</strong> fort taux d'abandons <strong>dans</strong> beaucoup<br />

d’enseignements libres pour a<strong>du</strong>ltes, par exemple <strong>dans</strong> les instituts de <strong>la</strong>ngues.<br />

Lorsque nous prenons conscience de ce problème, nous devons nous efforcer de<br />

créer des <strong>formation</strong>s au cours desquelles les enseignants aident les apprenants<br />

a<strong>du</strong>ltes à passer <strong>du</strong> stade de l’apprenant dépendant à celui de l’apprenant autogéré.<br />

Les apprenants a<strong>du</strong>ltes arrivent <strong>dans</strong> une <strong>formation</strong> avec plus d’expériences que


116 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

les jeunes. Le simple fait d’avoir vécu plus longtemps leur a permis d’accumuler des<br />

expériences. D’une part, <strong>dans</strong> tous les groupes d’a<strong>du</strong>ltes, les différences<br />

indivi<strong>du</strong>elles sont plus fortes que <strong>dans</strong> un groupe de jeunes, et que les groupes sont<br />

plus hétérogènes — que ce soit à propos de <strong>la</strong> culture, <strong>du</strong> style d’apprentissage, de <strong>la</strong><br />

motivation, des besoins, des centres d’intérêts et des objectifs. C’est pourquoi<br />

l’enseignement des a<strong>du</strong>ltes met fortement l’accent <strong>sur</strong> <strong>la</strong> personnalisation des<br />

stratégies d’enseignement et d’apprentissage. D’autre part, ce<strong>la</strong> implique que <strong>dans</strong><br />

de nombreuses <strong>formation</strong>s, ce sont les a<strong>du</strong>ltes eux-mêmes qui constituent <strong>la</strong> plus<br />

riche ressource de l’apprentissage; ce qui explique pourquoi les enseignants pour<br />

a<strong>du</strong>ltes préfèrent les méthodes expérimentales aux méthodes d’enseignement<br />

c<strong>la</strong>ssiques, ainsi que les activités d’échange. Ces méthodes expérimentales qu’on<br />

peut utiliser <strong>dans</strong> les c<strong>la</strong>sses de <strong>la</strong>ngue étrangère, se nourrissent de l’expérience des<br />

apprenants, par exemple, <strong>la</strong> discussion de groupe, les exercices de simu<strong>la</strong>tion, les<br />

exercices de résolution de problème, et les méthodes appliquées.<br />

Les a<strong>du</strong>ltes sont prêts à apprendre si les connaissances et les compétences leur<br />

permettent de mieux affronter des situations réelles. Le meilleur moyen d’y arriver<br />

est d’associer <strong>la</strong> progression des étapes successives <strong>du</strong> développement aux besoins<br />

de développement. Ce<strong>la</strong> signifie qu’il est primordial que <strong>la</strong> <strong>formation</strong> coïncide<br />

parfaitement <strong>dans</strong> le temps avec ces besoins de développement. Il ne faut néanmoins<br />

pas se contenter d’attendre passivement que cette volonté se manifeste d’elle-même.<br />

Il est en effet possible de <strong>la</strong> stimuler à l’aide d’exercices de simu<strong>la</strong>tion et d’autres<br />

méthodes.<br />

Contrairement aux enfants et aux adolescents, dont l’apprentissage est orienté<br />

autour <strong>du</strong> sujet (<strong>du</strong> moins à l’école), les a<strong>du</strong>ltes orientent leur apprentissage autour<br />

de <strong>la</strong> vie (ou d’une tâche, d’un problème). Ils sont disposés à investir de l’énergie<br />

pour apprendre s’ils estiment que ce<strong>la</strong> les aidera à affronter des tâches et à résoudre<br />

des problèmes qu’ils rencontrent <strong>dans</strong> leur vie quotidienne. De plus, ils assimilent<br />

d’autant mieux les connaissances, les compétences, les valeurs et les attitudes que<br />

celles-ci sont présentées <strong>dans</strong> le contexte de leur mise en application à des situations<br />

réelles.


Particu<strong>la</strong>rités de l’apprentissage des ... 117<br />

Si les a<strong>du</strong>ltes sont sensibles à des motivations extérieures (meilleurs emplois et<br />

sa<strong>la</strong>ires, promotion et autres), ce sont leurs pressions intérieures qui sont le plus<br />

grand facteur de motivation (désir d’accroître sa satisfaction personnelle, estime de<br />

soi, qualité de vie, et autres). Tout a<strong>du</strong>lte est normalement motivé pour progresser et<br />

se développer, mais cette motivation est souvent bloquée par des obstacles tels<br />

qu’un concept négatif de sa qualité d’étudiant, l’absence d’occasions et de<br />

ressources, les contraintes temporelles et les programmes qui ne tiennent pas compte<br />

des principes fondamentaux de <strong>la</strong> <strong>formation</strong> des a<strong>du</strong>ltes.<br />

Les apprenants a<strong>du</strong>ltes sont plus réalistes que les enfants, et <strong>sur</strong>tout <strong>dans</strong> le<br />

domaine de l'enseignement/apprentissage. Les enfants dépassent parfois les limites<br />

de leur capacité et essayent d'accomplir des choses étant en dehors de leurs moyens ;<br />

tandis que les a<strong>du</strong>ltes évaluent d'abord leur possibilité et ensuite, ils refusent<br />

d’effectuer ce qui leur paraît difficilement être accessible ou irréalisable. Ceci a trait<br />

à ce fait que <strong>la</strong> motivation de l'enfant paraît moins stable et <strong>du</strong>rable que celle de<br />

l'a<strong>du</strong>lte.<br />

Conclusion<br />

Un apprenant doit avoir l’ensemble ou une partie de ces facteurs pour qu’il soit<br />

considéré comme a<strong>du</strong>lte. Les caractéristiques de l’a<strong>du</strong>lte peuvent <strong>dans</strong> quelques cas<br />

être re<strong>la</strong>tives. Il faut tenir compte de tous ces éléments susmentionnés ; nous<br />

sommes pourtant vraisemb<strong>la</strong>blement confrontés à des problèmes d’ordre<br />

psychologique pour définir un apprenant a<strong>du</strong>lte. Tout ce<strong>la</strong> peut signifier, à notre<br />

avis, que nous devenons a<strong>du</strong>ltes, en ce qui concerne notre propos, lorsque nous<br />

avons fini les études secondaires et l’adolescence. Etant admis <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tivité <strong>du</strong> début<br />

de l’âge a<strong>du</strong>lte, pour nous, un indivi<strong>du</strong> atteignant l’âge de 18 ans est grosso modo<br />

arrivé à se doter d’une personnalité stable ayant une évolution lente, d’une<br />

motivation non confuse pour son avenir, d’une maturité biologique complète, de<br />

droit légal d’autonomie et de responsabilités socio-économiques. Nous appelons<br />

a<strong>du</strong>lte celui qui possède ces particu<strong>la</strong>rités.<br />

Lorsque les étudiants entrent à l’université, ils possèdent une maturité


118 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

biologique complète, ils ont une motivation presque forte pour créer un avenir<br />

meilleur, ont acquis les droits légaux et sociaux et une personnalité constituée. Les<br />

étudiants des <strong>la</strong>ngues étrangères <strong>dans</strong> les universités sont donc les apprenants<br />

a<strong>du</strong>ltes. Pour bien enseigner aux apprenants a<strong>du</strong>ltes des <strong>la</strong>ngues étrangères, et pour<br />

qu’ils puissent avoir un processus d’apprentissage réussi, il vaut mieux que les<br />

enseignants prennent en compte leurs particu<strong>la</strong>rités. Pour un professeur de <strong>la</strong>ngue<br />

étrangère, les compétences linguistique, phonétique, sont aussi importantes que sa<br />

connaissance en psychologie et en psycholinguistique. Dans <strong>la</strong> <strong>formation</strong> des futurs<br />

enseignants, il est souhaitable de signaler les caractéristiques des apprenants a<strong>du</strong>ltes.<br />

Il convient donc de nous demander si nous traitons les étudiants comme les<br />

apprenants a<strong>du</strong>ltes.<br />

Bibliographie<br />

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Editions E.S.F.


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visés", in <strong>Etude</strong>s de Linguistiques Appliquée, n° 21.


Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, Special Issue, French, 2009, pp. 121-132 121<br />

Nīmā Yušig et les poètes modernes français (Alfred de Vigny<br />

et Paul Éluard)<br />

Majid-Yousefi Behzadi ∗<br />

Maître-assistant à <strong>la</strong> faculté des <strong>la</strong>ngues étrangères de l'Université d'Ispahan<br />

(Date de réception: 03 Feb 2008, date d'acceptation: 05 Feb 2009)<br />

Résumé<br />

Cette recherche a pour objet d'étudier l'influence de <strong>la</strong> poésie <strong>française</strong> <strong>sur</strong> Nīmā<br />

Yušig qui subit <strong>dans</strong> sa carrière poétique l'inspiration d'Alfred de Vigny et de Paul<br />

Éluard. "Ressemb<strong>la</strong>nce" et "Imitation" sont deux termes essentiels pour trouver <strong>la</strong><br />

délicatesse de l'esprit français <strong>dans</strong> <strong>la</strong> création des "vers libres" <strong>du</strong> poète persan. Il ne<br />

s'agira évidemment pas pour nous <strong>dans</strong> les limites de cette recherche, d'évoquer un<br />

processus spécifique de <strong>la</strong> comparaison, mais plutôt de rendre compte des traits<br />

communs sous forme d'une approche thématique notamment en ce qui concerne<br />

l'apparition des idées croisées. Nous verrons ainsi à quel point et selon quel principe <strong>la</strong><br />

réflexion des poètes français a entrainé le perfectionnement de <strong>la</strong> similitude.<br />

Mots-clés: Nīmā Yušig, Imitation, Influence, Paul Éluard, Inspiration Française, Alfred<br />

de Vigny.<br />

__________________________________________________________________<br />

∗ Tel: 021-66515462, Fax: 021-66515462, E-mail: Majid_Yousefibehzadi1@yahoo.fr


122 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

1. Intro<strong>du</strong>ction<br />

L'un des traits caractéristiques de <strong>la</strong> poésie moderne persane est inscrit <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

démarche fondamentale des poètes qui ont mené à <strong>la</strong> création leurs réflexions<br />

poétiques <strong>dans</strong> un esprit libre et autonome. Cette poésie a subi l'influence de poètes<br />

français comme Alfred de Vigny et Paul Éluard au moment où Nīmā Yušig (1897-<br />

1959) découvre <strong>la</strong> France comme une contrée révé<strong>la</strong>trice. Certes, l'épanouissement<br />

poétique de Nīmā avait pris une bonne tournure <strong>sur</strong> <strong>la</strong> voie <strong>du</strong> développement des<br />

"vers libres" en Iran, car il formu<strong>la</strong>it une sorte de contemp<strong>la</strong>tion nouvelle à <strong>la</strong> poésie<br />

persane.<br />

La prise en compte progressive de <strong>la</strong> poésie persane et l'acceptation <strong>du</strong> principe<br />

de l'imitation ont naturellement attiré notre regard <strong>sur</strong> le fait qu'il serait<br />

indispensable de présenter une approche littéraire <strong>sur</strong> l'originalité et <strong>la</strong> diversité de<br />

poèmes inspirés de Nīmā. Cette particu<strong>la</strong>rité nous aidera à mettre en évidence les<br />

sentiments partagés de Nīmā vis-à-vis de ses poètes favoris <strong>dans</strong> l'idée de faire un<br />

parcours thématique <strong>sur</strong> le motif de sa création poétique. Le romantisme et le<br />

<strong>sur</strong>réalisme exercent <strong>sur</strong> Nīmā un goût raffiné qui devient le pivot de son évolution<br />

notamment quand il veut à son exemple se transformer en démiurge et exprimer<br />

grâce au <strong>la</strong>ngage poétique une réalité transcendante. A cet égard, nous examinerons<br />

sous l'effet de l'imitation poétique les attraits fascinants de <strong>la</strong> poésie <strong>française</strong> de<br />

manière à les montrer <strong>dans</strong> les poèmes de Nīmā comme des symboles présentant une<br />

simi<strong>la</strong>rité d'éc<strong>la</strong>t avec ceux d'Alfred de Vigny et de Paul Éluard. En s'inspirant des<br />

poètes français, Nīmā Yušig évoque non seulement leur beauté exotique, mais il<br />

trouve plutôt une ouverture d'esprit à <strong>la</strong>quelle il s'attache profondément. L'exemple<br />

de l'imitation et de ressemb<strong>la</strong>nce prouvent que le regard particulier de Nīmā <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />

France provient d'une lecture passionnée, conçue comme un modèle de l'influence<br />

poétique. Tentons d'étudier également cette influence et d'en mieux découvrir l'esprit<br />

évolutif de Nīmā avec modestie.<br />

2. Préa<strong>la</strong>bles<br />

Pour une meilleure appréciation <strong>du</strong> parcours poétique de Nīmā, révélé <strong>dans</strong>


Nīmā Yušig et les poètes modernes français ... 123<br />

l'histoire de <strong>la</strong> poésie, il est possible de remonter à <strong>la</strong> jeunesse de ce dernier. Ce<br />

parcours préparant <strong>la</strong> prise en considération d'une sensibilité qui montre évidemment<br />

l'affinement et <strong>la</strong> souplesse <strong>du</strong> poète persan. Nīmā Yušig fit ses études <strong>dans</strong> les<br />

années difficiles de <strong>la</strong> vie politique de l'Iran qui coïncida avec <strong>la</strong> montée de <strong>la</strong><br />

Première Guerre Mondiale. Il connut un grand intérêt pour <strong>la</strong> littérature <strong>française</strong>,<br />

ayant étudié le français dès sa jeunesse comme le précise Franciszek Machalski <strong>dans</strong><br />

son fameux livre La littérature de l'Iran contemporain (éd. Wroc<strong>la</strong>w) : "A l'âge de<br />

douze ans, Nīmā s'établit avec sa famille à Téhéran, où il fréquenta tout d'abord<br />

l'école primaire de Hayat-e gavid et ensuite l'école secondaire de Saint- Louis. C'est<br />

ici qu'il apprit le français, ce qui eut une influence considérable <strong>sur</strong> <strong>la</strong> direction de<br />

son activité poétique" (F. Machalski: 160). Le poète dit lui-même à ce propos : " La<br />

connaissance d'une <strong>la</strong>ngue étrangère présentait à mes yeux des routes nouvelles."<br />

(Ibid: 166).<br />

A cet égard, il faut citer le jugement de Machalski qui affirme effectivement le<br />

lien <strong>du</strong> poète avec <strong>la</strong> poésie <strong>française</strong> : "La voie <strong>du</strong> développement de Nīmā Yušig<br />

comme poète mène de l'égotisme romantique, à travers un réalisme social et<br />

altruiste, jusqu'au symbolisme et au <strong>sur</strong>réalisme" (Idem). Partant de ce point de vue,<br />

on peut me<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> condition de <strong>la</strong> poésie <strong>française</strong> à <strong>la</strong> création de nouveaux<br />

poèmes de Nīmā par le biais d'une empreinte profonde révélée <strong>sur</strong> l'art de ce<br />

dernier.<br />

Il faut dire que c'est avec Nīmā que commença <strong>la</strong> période d'une<br />

occidentalisation accélérée de <strong>la</strong> poésie persane. Le succès de Nīmā fut si immense<br />

que ses adversaires appellent cette période : "L'époque de <strong>la</strong> littérature <strong>française</strong> en<br />

<strong>la</strong>ngue persane" (F. Machalski: 166).<br />

La pro<strong>du</strong>ction littéraire de Nīmā se fit <strong>du</strong>rant <strong>la</strong> première guerre mondiale de<br />

1914 à 1922. Parmi les poèmes écrits <strong>du</strong>rant cette période, Afsāneh (le conte)<br />

apparaît comme un célèbre recueil où Nīmā composa des vers émotionnels<br />

consacrés aux souvenirs de sa jeunesse. Ainsi, Afsāneh de Nīmā, poème publié en<br />

1922 est un pas en avant <strong>dans</strong> <strong>la</strong> voie de <strong>la</strong> modernisation de <strong>la</strong> poésie persane.<br />

La mobilité de Nīmā <strong>dans</strong> l'espace européen <strong>dans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où elle répondait


124 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

aux exigences de <strong>la</strong> nouvelle génération, est un cheminement vers <strong>la</strong> progression des<br />

idées reçues chez les poètes français.<br />

3. L'influence d'Alfred de Vigny<br />

Alfred de Vigny semble être un bon révé<strong>la</strong>teur pour Nīmā qui le con<strong>du</strong>it par <strong>la</strong><br />

suite à composer des vers émotionnels sans rythme (vazn) et sans rime (kâfiyeh).<br />

C'est pourquoi le poète persan s'éloigne des règles c<strong>la</strong>ssiques <strong>dans</strong> le but de<br />

moderniser <strong>la</strong> poésie persane sous forme d'un nouveau <strong>la</strong>ngage qu'est le bon goût.<br />

"Si le sens ou le contexte de l'œuvre pénètre profondément <strong>dans</strong> l'esprit de<br />

l'homme et émeut son imagination, c'est déjà de <strong>la</strong> poésie qui n'a pas besoin d'être<br />

ornée par le rythme et <strong>la</strong> rime" (Machalski, 1967: 162). C'est en ces termes que<br />

Nīmā présente <strong>la</strong> poésie <strong>française</strong> à ses lecteurs, car il estime que pour se<br />

familiariser avec le peuple, il faut tout de même un esprit libre et une âme pure. C'est<br />

pourquoi le poète persan s'adonne à <strong>la</strong> réserve poétique de France et pour ainsi dire<br />

il est apte à distinguer les limites de <strong>la</strong> poésie ancienne. Cette réserve est une source<br />

inspiratrice pour ceux qui ont éprouvé le dépassement <strong>du</strong> cadre traditionnel. En<br />

outre, <strong>du</strong>rant les trois ou quatre premières années de sa carrière littéraire, (de 1920 à<br />

1924) Nīmā se débat <strong>dans</strong> les sombres avenues <strong>du</strong> pessimisme d'Alfred de Vigny<br />

dont <strong>la</strong> littérature romantique était alors fortement imprégnée. Comme <strong>la</strong> plupart des<br />

poètes romantiques, il est hanté par <strong>la</strong> mé<strong>la</strong>ncolie et par <strong>la</strong> pitié. Il se <strong>la</strong>isse gagner<br />

par leur "mal <strong>du</strong> siècle" <strong>dans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où il prend le sens de <strong>la</strong> solitude morale.<br />

Dans cette perspective, le pessimisme de Vigny révèle à Nīmā Yušig le pouvoir<br />

de confiance en soi si bien qu'il se fortifie contre les vicissitudes de son temps. Car<br />

pour lui, l'homme est prisonnier <strong>du</strong> destin sans avoir recours à ses efforts pour<br />

obtenir un résultat considérable. L'effet d'une telle idée se voit <strong>dans</strong> un poème outré<br />

de Nīmā :<br />

Ô mon cœur, ô mon cœur, ô mon cœur !<br />

Pauvre, brisé, fidèle !<br />

Avec toute ta bonté, ta force et tes aspirations


Que m'as-tu apporté finalement<br />

A part les <strong>la</strong>rmes <strong>sur</strong> mon triste visage !...<br />

Nīmā Yušig et les poètes modernes français ... 125<br />

Ceci révèle <strong>la</strong> chimère qui le persécutera <strong>du</strong>rant sa vie entière et qui en fin de<br />

compte ne lui montre que ses sentiments envers des choses vécues- premier et<br />

malheureux amour, amertume, impression de solitude. On y voit ainsi une période<br />

de crise mentale <strong>dans</strong> <strong>la</strong>quelle Nīmā se trouve en face de son amante, Safûra, fille<br />

d'une tribu montagnarde qui refuse de l'épouser pour ne pas s'installer <strong>dans</strong> une<br />

grande ville. Cette première désillusion et l'échec qu'a subi son amour remplirent le<br />

poète de pessimisme, mais donnèrent une première impulsion à son activité<br />

poétique.<br />

Il faut dire que <strong>la</strong> poésie <strong>française</strong> romantique a eu sans nul doute une influence<br />

décisive <strong>sur</strong> les origines d'Afsāneh de Nīmā. Ceci apparaît <strong>dans</strong> l'atmosphère<br />

générale et <strong>dans</strong> le climat de ses sentiments ainsi que <strong>dans</strong> les tableaux poétiques.<br />

Afsāneh, par exemple, personnification de <strong>la</strong> tristesse et de <strong>la</strong> mé<strong>la</strong>ncolie, assise <strong>sur</strong><br />

un tombeau et pleurant des <strong>la</strong>rmes de sang, un luth <strong>dans</strong> une main et une coupe <strong>dans</strong><br />

l'autre est, peut-être, <strong>la</strong> réminiscence lointaine de l'Eloa <strong>du</strong> poème d'Alfred de<br />

Vigny.<br />

Ô conte, ô conte, ô conte !<br />

Je suis un bouclier pour tes flèches !<br />

Ô guérison <strong>du</strong> cœur, remède pour <strong>la</strong> douleur<br />

Compagne des pleurs <strong>dans</strong> <strong>la</strong> nuit<br />

Que fais-tu de moi, tourmenté ?<br />

Ainsi, les poèmes <strong>du</strong> temps de <strong>la</strong> jeunesse de Nīmā Yušig, tels que Ây šab (ô<br />

nuit) sont pleins de pessimisme, de tristesse, et de misanthropie qui lui ont valu <strong>la</strong><br />

dénomination de "sombre pessimiste" :<br />

Ô nuit lugubre, terrible !<br />

Combien de temps vas-tu tourmenter mon âme ?<br />

Arrache plutôt mes yeux


126 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Ou ôte le voile de ton visage (ô nuit).<br />

Le sens de cette allégorie s'annonce <strong>dans</strong> l'idée que le poète emporté par <strong>la</strong><br />

tourmente de <strong>la</strong> vie est un humain qui se trouve <strong>dans</strong> une solitude afin de se consoler<br />

par lui-même. Le pessimisme de Nīmā comme le pessimisme d'Alfred de Vigny ne<br />

se limite pas toutefois à <strong>la</strong> seule condition <strong>du</strong> poète mais il s'étend à l'humanité<br />

entière. Ce pessimisme est en lutte perpétuelle contre <strong>la</strong> misère et l'ignorance et ne<br />

possède que deux certitudes ; <strong>la</strong> souffrance et <strong>la</strong> mort. En effet, le puissant souffle de<br />

Vigny fait apparaître le sens de l'indifférence humaine, tel qu'il pourrait figurer <strong>dans</strong><br />

le poème intitulé Ay, âdamâ (ô, hommes !) de Nīmā :<br />

Ô hommes assis <strong>sur</strong> le bord, qui vous amusez et qui riez-<br />

Un homme se noie <strong>dans</strong> l'eau !<br />

Il bat l'eau des mains et des pieds<br />

Dans <strong>la</strong> mer démontée, sombre et profonde, comme vous le savez.<br />

Ce morceau de poème de Nīmā éveille le problème de l'indifférence tel qu'il est<br />

apparu chez de Vigny, car tous deux ont voulu s'engager pour le bonheur humain.<br />

Dans ces poèmes, l'usage abondant des symboles comme "l'eau", "<strong>la</strong> mer", évoque<br />

principalement l'immense ab<strong>sur</strong>dité de l'image d'une mer agitée. De plus, ce symbole<br />

de l'ab<strong>sur</strong>dité devient grandement sévère sous <strong>la</strong> plume de Nīmā jusqu'à ce qu'il se<br />

présente comme le pur et le franc défenseur des opprimés tyrannisés par le<br />

despotisme en Iran. Ainsi, c'est par le <strong>la</strong>ngage poétique que Nīmā va s'emparer de <strong>la</strong><br />

réalité afin de se montrer opposant à toute injustice sociale. Celle-ci prend un sens<br />

légitime au moment où Nīmā se sert des symboles pour se sou<strong>la</strong>ger de l'oppression<br />

mentale qui pourrait ravager son pays natal. Ces indications précieuses montrent en<br />

effet <strong>la</strong> carrière romanesque de Nīmā qui débute sous le patronage de Vigny. Les<br />

points simi<strong>la</strong>ires existant <strong>dans</strong> cette entreprise justifient c<strong>la</strong>irement les lectures<br />

antérieures de Nīmā <strong>sur</strong> l'écrivain français. Il advient qu'un fait social, une donnée<br />

poétique englobée de créations multiples dont Afsāneh et Eloa désignent une<br />

floraison rayonnement versifiée. Sous cet angle, on peut mettre en résonance les


Nīmā Yušig et les poètes modernes français ... 127<br />

symboles de poèmes de Nīmā issus d'un unique modèle de Paul Éluard auquel une<br />

influence féconde paraît encore dominante.<br />

4. L''influence de Paul Éluard<br />

Pour Nīmā, <strong>la</strong> découverte des symboles <strong>dans</strong> les poèmes de Paul Éluard fut une<br />

démarche créative pour perfectionner ses idées sociales sous forme de vers<br />

popu<strong>la</strong>ires. Puisque ces deux poètes vont protéger leur peuple de toute menace<br />

causée par <strong>la</strong> guerre ou l'injustice. Les symboles les plus importants <strong>dans</strong> l'œuvre<br />

d'Éluard et de Nīmā sont "<strong>la</strong> nuit", le "désert", "<strong>la</strong> lumière" et "l'oiseau". La nuit et<br />

tout ce qui évoque l'obscurité et l'absence de <strong>la</strong> lumière sont courants <strong>dans</strong> l'œuvre<br />

de Nīmā, car il essaie de dénoncer <strong>la</strong> tyrannie et de montrer <strong>la</strong> condition de <strong>la</strong> société<br />

iranienne :<br />

"Il fait nuit, une nuit brumeuse, et le sol est pâle.<br />

Du f<strong>la</strong>nc de <strong>la</strong> montagne, le vent, jeune pousse de nuages, galope vers<br />

moi :<br />

Cette nuit est comme un corps gonflé, dressé <strong>dans</strong> <strong>la</strong> chaleur. C'est<br />

pourquoi<br />

L'homme égaré ne trouve pas son chemin…" (Il fait nuit)<br />

La nuit étouffante et effrayante, symbole de <strong>la</strong> tyrannie, domine le sol (c'est-à-<br />

dire de l'Iran), tout pâli de peur. C'est à cause de <strong>la</strong> nuit et de <strong>la</strong> tyrannie, obscure et<br />

chaude, encombrant tout l'espace, que l'homme ne peut pas retourner vers le chemin<br />

<strong>du</strong> salut. De même, pendant les deux guerres mondiales et le règne de <strong>la</strong> terreur,<br />

Éluard ne voit que <strong>la</strong> nuit, c'est, en effet, le règne de "<strong>la</strong> nuit" et des "ténèbres". Cette<br />

nuit provocante marque <strong>dans</strong> l'esprit de Paul Éluard à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> peur et <strong>la</strong> crainte.<br />

Cette nuit-là, comment pourrait-on l'oublier<br />

Les ténèbres étaient descen<strong>du</strong>es <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre (…)<br />

Tout un troupeau de loups<br />

Pour hurler à <strong>la</strong> mort


128 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Et pour nous faire hurler à l'horreur de <strong>la</strong> mort.<br />

(Paul Éluard- Nuits, 1967: 287)<br />

La nuit, comme le terme le plus usité <strong>dans</strong> l'œuvre de Nīmā, c'est le symbole de<br />

<strong>la</strong> douleur et <strong>du</strong> règne de l'injustice.<br />

"Mon malheur ne finit pas et toi, ô nuit<br />

Tu ne finis jamais"<br />

Pour Nīmā comme pour Paul Éluard, <strong>la</strong> notion de nuit va au- delà de <strong>la</strong> réalité,<br />

car elle justifie à <strong>la</strong> fois leur mécontentement et leur désespoir causés par les<br />

événements sociaux et politiques. Le désert, comme <strong>la</strong> nuit marque <strong>la</strong> présence de<br />

l'ennemi, mais c'est aussi le signe de l'anéantissement comme le dit Paul Éluard :<br />

Brusquement c'est le désert<br />

Et je me perds <strong>dans</strong> le soir<br />

L'ennemi s'est révélé<br />

(Les armes de <strong>la</strong> douleur, II, 1967: 1226)<br />

Chez Nīmā aussi, le désert marque les mêmes choses ;<br />

La cloche sonne […] <strong>dans</strong> le chemin qui aboutit au désert,<br />

Dans les tombes des yeux, par les regards tous morts ;<br />

[…] [<strong>la</strong> cloche sonne et réveille les morts].<br />

(Cloche, 1967: 344).<br />

La présence de <strong>la</strong> lumière <strong>dans</strong> les poèmes <strong>du</strong> poète français élimine l'obscurité<br />

et les ténèbres causées par les horreurs de <strong>la</strong> nuit. Puisque <strong>la</strong> lumière sous forme d'un<br />

jour c<strong>la</strong>ir annonce l'espoir et <strong>la</strong> victoire <strong>sur</strong> l'ennemi. Elle est également le signe<br />

glorieux de <strong>la</strong> justice. De son côté, Éluard se voit passionné par <strong>la</strong> lumière et le jour ;<br />

"…En vérité, <strong>la</strong> lumière toujours n'éblouit"<br />

(Les dessous d'une vie, 1967: 202)


Nīmā Yušig et les poètes modernes français ... 129<br />

Chez Éluard, <strong>la</strong> lumière est liée à <strong>la</strong> justice et au bonheur.<br />

Nous le voulons aujourd'hui<br />

Que le bonheur soit <strong>la</strong> lumière<br />

Au fond des yeux et au fond <strong>du</strong> cœur<br />

Et <strong>la</strong> justice <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terre<br />

(Au rendez-vous allemand, "Gabriel Péri", 1967: 1262)<br />

On voit aussi les mêmes sentiments <strong>dans</strong> les poèmes de Nīmā où le jour<br />

s'oppose à <strong>la</strong> nuit :<br />

"Dresse-toi avec ton courage et ton espoir,<br />

Rend b<strong>la</strong>nche ta nuit, tout comme le jour"<br />

(Courage, 1967: 117)<br />

Certes, pour Nīmā après <strong>la</strong> nuit ténèbre, il y a le jour qui rayonne <strong>sur</strong> l'espérance<br />

et le bonheur humain. Quant à l'oiseau, il joue un rôle essentiel <strong>dans</strong> l'œuvre des<br />

deux poètes, car ils se trouvent <strong>dans</strong> une situation défavorable comme des oiseaux<br />

enfermés <strong>dans</strong> une cage qui désirent s'en échapper et voler <strong>dans</strong> l'immense ciel de <strong>la</strong><br />

liberté.<br />

L'enthousiasme d'Éluard pour l'oiseau est attesté par le message de <strong>la</strong> victoire<br />

qui annonce l'arrivée <strong>du</strong> matin et le départ de <strong>la</strong> nuit :<br />

C'est le matin, petit matin, premier message :<br />

Voilà, le coq vient de pousser son cri fatal!<br />

Notre cœur s'éc<strong>la</strong>ire et <strong>la</strong> nuit s'en va.<br />

La lumière n'est pas encore à l'horizon,<br />

Mais elle apparaîtra.<br />

(Grèce ma rose de raison, "le dernier chant", 1967: 288)<br />

De même, <strong>la</strong> trace d'un tel enthousiasme se trouve <strong>dans</strong> l'œuvre de Nīmā où<br />

l'oiseau paraît soit maléfique et porteur <strong>du</strong> malheur (comme le hibou, le corbeau,…)<br />

soit bénéfique et porteur <strong>du</strong> bonheur et de <strong>la</strong> victoire (oiseau d'Amen, le coq, …)


130 Pazhuhesh-e Zabanha-ye Khareji, No. 53, 2009<br />

Dans cette perspective, le poète se sent emprisonné par l'injustice, comme un<br />

oiseau <strong>dans</strong> sa cage étroite, Nīmā désire s'en libérer et voler <strong>dans</strong> le ciel de <strong>la</strong> liberté.<br />

En rapprochant des masses sociales, Nīmā compose des vers libres <strong>sur</strong> une parole<br />

d'espérance et de foi, jaillis semble-t-il des couches profondes de son être : "Si j'étais<br />

un oiseau qui pouvait voler librement ! ", mais il est un oiseau blessé :<br />

"L’oiseau qui chante mieux que les autres,<br />

Car il est plus blessé qu'eux, c'est moi (…).<br />

(La vie et l'art de Nima, Sirous Tahbaz, 1967: 47)<br />

Pour Nīmā, l'oiseau est ainsi l'annonciateur <strong>du</strong> bonheur et <strong>du</strong> matin.<br />

"Cocorico ! La nuit aveugle, tout désespéré s’enfuit secrètement <strong>du</strong><br />

pays, qui au seuil <strong>du</strong> jour, va sortir de l'obscurité. Cocorico (...)<br />

Ce faisant, il adopte un message solennel : "Cocorico ! (…) le matin arrive,<br />

ainsi, le Coq chante …" (Nīmā, Cocorico, œuvres complètes, 1967: 420)<br />

Malgré un regard <strong>sur</strong> les poètes français, les extraits des recueils des vers de<br />

Nīmā revalorisent l'héritage national qui ne reniera pas ces données intégrées à<br />

l'écriture des temps modernes, de nos jours. La création poétique de Nīmā est vue<br />

seulement <strong>dans</strong> l'inspiration romantique et <strong>sur</strong>réaliste, il faudra dorénavant mettre en<br />

lumière l'influence d'Arthur Rimbaud et de Sully-Prudhomme afin de répandre <strong>la</strong><br />

nouveauté <strong>du</strong> poète persan pleinement. Sur le modèle des études en poésie, les vers<br />

proposés ici étaient des textes simi<strong>la</strong>ires qui as<strong>sur</strong>ent alors le mécanisme de <strong>la</strong><br />

comparaison.<br />

5. Conclusion<br />

Ces traits caractéristiques des poètes français montrent bien qu'il y a eu une<br />

influence considérable <strong>sur</strong> Nīmā dont <strong>la</strong> rénovation de <strong>la</strong> poésie persane témoigne<br />

manifestement.<br />

Désormais, l'étude poétique s'adapte à <strong>la</strong> comparaison, à <strong>la</strong> nouvelle exigence de<br />

<strong>la</strong> littérature d’où peut <strong>sur</strong>gir à tout moment <strong>la</strong> nécessité d'un rapprochement


Nīmā Yušig et les poètes modernes français ... 131<br />

réciproque. Le rapport simi<strong>la</strong>ire entre les poèmes compte autant que les poèmes eux-<br />

mêmes. Comme <strong>dans</strong> chaque composition, les ressemb<strong>la</strong>nces attirent plus que<br />

l'intérêt capital. En intro<strong>du</strong>isant les différents thèmes sociaux, Nīmā donne à <strong>la</strong><br />

poésie persane un nouveau sens et se présente à l'instar des poètes français, le porte-<br />

parole des opprimés et des négligents. Il résulte de tout ce<strong>la</strong> que <strong>la</strong> France est non<br />

seulement capable d'apporter à Nīmā, aux heures tragiques de son destin, son art<br />

poétique (pessimisme ou optimisme) ou encore <strong>la</strong> richesse sé<strong>du</strong>isante de ses secrets<br />

culturels, mais aussi un regain de vie spirituelle. L'exemple de Nīmā est là pour le<br />

prouver.<br />

Bibliographie<br />

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Couprie, A. Du symbolisme au <strong>sur</strong>réalisme Hatier, Paris, 1985.<br />

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Ducros, D., Lecture et analyse <strong>du</strong> poème A. Colin, 1996.<br />

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Jacques J. P., Poésie Éluard, Paris, Hatier, 1989.<br />

Linares, S., Intro<strong>du</strong>ction à <strong>la</strong> poésie, Nathan Université, 2000.<br />

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