Dossier de Presse - Kunstenfestivaldesarts
Dossier de Presse - Kunstenfestivaldesarts
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DOSSIER DE PRESSE
SERVICE DE PRESSE<br />
Anne-Sophie Van Neste<br />
responsable<br />
annesophie@kfda.be<br />
+ 32 (0)2 226 45 79<br />
Thomas Cardon<br />
assistant<br />
thomas@kfda.be<br />
Clémentine Piret<br />
assistante<br />
clementine@kfda.be<br />
Administration<br />
Quai du Commerce 18<br />
1000 Bruxelles<br />
CENTREDUFESTIVALCENTRUM<br />
Beursschouwburg<br />
20-28 Rue A. Orts<br />
1000 Bruxelles<br />
Infos & tickets<br />
+ 32(0)70 222 199<br />
+ 32 (0)70 222 209 (fx)
MISSION<br />
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts est un festival <strong>de</strong> créations au sein duquel <strong>de</strong>s artistes partagent leur vision<br />
personnelle du mon<strong>de</strong> avec <strong>de</strong>s spectateurs prêts à remettre en question et élargir leur champ <strong>de</strong><br />
perspectives.<br />
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts est un festival résolument urbain et cosmopolite. Nous faisons partie, chaque jour<br />
davantage, d'un réseau complexe <strong>de</strong> communautés où les concepts <strong>de</strong> nation, <strong>de</strong> langue et <strong>de</strong> culture sont<br />
relativisés, voire dépassés. La ville est l'environnement par excellence qui rend cette communauté<br />
cosmopolite visible.<br />
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts affiche à son programme <strong>de</strong>s œuvres scéniques et plastiques créées par <strong>de</strong>s<br />
artistes francophones et néerlandophones, occi<strong>de</strong>ntaux et non occi<strong>de</strong>ntaux.<br />
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts a lieu à Bruxelles, la seule ville <strong>de</strong> Belgique où les 2 plus gran<strong>de</strong>s communautés du<br />
pays cohabitent. Il réunit autour d'un même projet <strong>de</strong> nombreuses institutions tant flaman<strong>de</strong>s que<br />
francophones. Conçu fondamentalement comme un projet bilingue, il contribue à encourager le dialogue<br />
entre les communautés présentes dans la ville.<br />
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts se déroule chaque année au mois <strong>de</strong> mai, et s'étale sur trois semaines durant<br />
lesquelles <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> théâtres et <strong>de</strong> centres d'arts bruxellois lui ouvrent gracieusement leurs portes.<br />
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EDITO8<br />
À Bruxelles, certains les appellent <strong>de</strong> kunsten. Alors que d’autres les appellent les arts. Bien d’autres noms<br />
peuvent encore les désigner et dans bien <strong>de</strong>s langues différentes. Leur nature échappe et leurs contours font<br />
débat. Et chaque année un festival leur est consacré.<br />
Trois semaines durant, au mois <strong>de</strong> mai, le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts rassemble une trentaine d’œuvres d’art, scéniques<br />
et plastiques, créées aujourd’hui par <strong>de</strong>s artistes d’ici et d’ailleurs. Des œuvres nouvelles, dont bon<br />
nombre naîtront durant le festival. Des œuvres singulières <strong>de</strong>stinées à un public curieux.<br />
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts réunit une centaine d’artistes. Belges, bruxellois, venus du mon<strong>de</strong> entier. Il aime la<br />
diversité <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue et l’originalité <strong>de</strong>s langages qui les expriment. Et il s’attèle à le faire partager.<br />
Concevoir un festival international suppose que l’on cherche à valoriser les différences, tant sur un plan global<br />
que local, mais aussi à les nuancer. Celles-ci se nichent souvent là où on ne les attend pas, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s clichés,<br />
et n’excluent pas les ressemblances. Elles se négocient, peuvent constituer <strong>de</strong>s invitations au dialogue<br />
et tendre à fonctionner ensemble.<br />
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts propose un programme diversifié mais attentivement composé; il forme un tout et<br />
promet <strong>de</strong> multiples convergences. La diversité est une réalité qu’on ne doit pas nier ou empêcher dans nos sociétés<br />
aujourd’hui. Mais comment peut-on organiser <strong>de</strong>s voix singulières, comment résonnent-elles<br />
lorsqu’elles sont confrontées les unes aux autres, et que disent-elles ensemble ?<br />
En ouverture <strong>de</strong> festival, Heiner Goebbels interroge la place <strong>de</strong> l’humain, sa supériorité, son ego, sa suffisance,<br />
et imagine sa disparition. Dans Stifters Dinge, la scène, désertée par les hommes, est occupée par <strong>de</strong>s<br />
machines qui agissent seules. Chez Kris Verdonck ou le collectif Berlin, la scène <strong>de</strong>vient un espace <strong>de</strong> jeu pour<br />
<strong>de</strong>s écrans, <strong>de</strong>s robots ou pour <strong>de</strong>s images trouvées sur le net. Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts 08 est traversé par<br />
<strong>de</strong>s visions <strong>de</strong> disparition et <strong>de</strong> fin. Signe <strong>de</strong>s temps ? La fin du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la civilisation (Kris Verdonck), la<br />
fin d’un pays et d’une nation unie (Marmarinos), la fin <strong>de</strong> la nuit, la fin d’une histoire ou notre propre finitu<strong>de</strong><br />
(Catani). La fin inquiète et attire à la fois, et sa menace est aussi un moteur. La fin porte en elle l’envie <strong>de</strong> recommencer,<br />
<strong>de</strong> repartir du début. Eszter Salamon conçoit une Danse N°1, Benjamin Verdonck collectionne le<br />
déchet et construit à partir du rebut, et dans Hauts Cris, quand Vincent Dupont détruit l’espace qui le<br />
contient, il semble aussi commencer à exister. À la <strong>de</strong>struction répond le geste créatif, réaffirmé, prospectif.<br />
Beltrão et Hauert conçoivent leur pratique chorégraphique comme <strong>de</strong> possibles modèles <strong>de</strong> cohabitation. L’un<br />
organise la rencontre <strong>de</strong> corps différents et <strong>de</strong> divers langages physiques issus <strong>de</strong> la street dance. L’autre, en<br />
donnant pleine confiance au corps, décline en collectif une série d’« accords » possibles entre corps et esprit,<br />
groupe et individu, unisson et improvisation. Et à partir <strong>de</strong>s apports personnels <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> leurs interprètes,<br />
tous <strong>de</strong>ux cherchent à révéler un langage commun.<br />
Les notions <strong>de</strong> communauté et <strong>de</strong> langue tarau<strong>de</strong>nt les esprits. À partir <strong>de</strong> quand formons-nous une communauté<br />
et pourquoi ? Quels en sont les origines et les signes distinctifs ? Marmarinos met en scène un groupe<br />
<strong>de</strong> près <strong>de</strong> 200 personnes pour dire la difficulté du rattachement <strong>de</strong> l’individu à une nation… au moment où<br />
celle-ci est en train <strong>de</strong> se défaire. Ponifasio questionne l’égalité <strong>de</strong>s droits au sein d’un même pays et, dans le<br />
tableau vivant imaginé par Theys, le sentiment national s’égare dans la multiplicité <strong>de</strong> ses formulations. La<br />
langue elle-même tend à redéfinir ses contours : elle est disséquéé à l’extrême (Rousi), s’aventure au bord <strong>de</strong><br />
l’inarticulé et s’écarte <strong>de</strong>s corps (Okada), ou va se loger quelque part entre la parole et le geste, ouverte à la
pluralité <strong>de</strong>s interprétations (Yamashita).<br />
Comme chaque année, le festival investit divers lieux dans la ville et collabore avec un réseau <strong>de</strong> partenaires<br />
fidèlement engagés que nous tenons à vivement remercier. En mai 08, c’est le Beursschouwburg qui abritera<br />
le centre du festival; c’est là qu’après les spectacles, nous pourrons nous retrouver chaque soir. Et que <strong>de</strong>s arts<br />
aux kunsten, <strong>de</strong> différences en similitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> divergences en affinités, ces trois semaines <strong>de</strong> festival puissent<br />
donner lieu à d’intenses dialogues. C’est ce à quoi nous vous invitons et ce que nous vous souhaitons !<br />
Christophe Slagmuyl<strong>de</strong>r<br />
Roger Christmann<br />
& l’équipe du Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
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STAGE<br />
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EXPO<br />
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Heiner Goebbels STIFTERS DINGE<br />
Haug, Kaegi & Wetzel / Rimini Protokoll CALL CUTTA IN A BOX<br />
Kris Verdonck END<br />
Zan Yamashita IT IS WRITTEN THERE<br />
Aydin Teker HARS<br />
Amir Reza Koohestani / Mehr Theatre Group QUARTET: A JOURNEY TO NORTH<br />
Bruno Beltrão / Grupo <strong>de</strong> Rua H 3<br />
Zouzou Leyens MONELLE<br />
Lemi Ponifasio / MAU TEMPEST II<br />
Clau<strong>de</strong> Schmitz THE INNER WORLDS / LE SOUTERRAIN - LE CHÂTEAU<br />
Berlin BONANZA<br />
Thomas Hauert / ZOO ACCORDS<br />
Béla Pintér AZ ORÜLT, AZ ORVOS, A TANITVANYOK ES AZ ORDÖG<br />
Rehaan Engineer DOCTRINE (HOW TO SURVIVE UNDER SIEGE)<br />
Vincent Dupont HAUTS CRIS (MINIATURE)<br />
Michael Marmarinos / Theseum Ensemble DYING AS A COUNTRY<br />
Beatriz Catani FINALES<br />
Isabelle Dumont / Annik Leroy / Virginie Thirion REGARDING<br />
Rebekah Rousi THE LONGEST LECTURE MARATHON<br />
Toshiki Okada / chelfitsch FREETIME<br />
Ho Tzu-Nyen & Fran Borgia THE KING LEAR PROJECT - LEAR ENTERS<br />
Ho Tzu-Nyen & Fran Borgia THE KING LEAR PROJECT - DOVER CLIFF AND THE CONDITIONS OF REPRESENTATION<br />
Vincent Dupont INCANTUS<br />
Eszter Salamon DANCE N°1<br />
VA WölflL / NEUER TANZ 12/ ... IM LINKEN RÜCKSPIEGEL AUF DEM PARKPLATZ VON WOOLWORTH<br />
William Yang CHINA<br />
Noah Fisher RHETORIC MACHINE / POP ARK<br />
Dan Perjovschi DAN PERJOVSCHI. ALL OVER.<br />
Benjamin Verdonck COLLECTIE<br />
Koen Theys PATRIA (VIVE LE ROI ! VIVE LA RÉPUBLIQUE !)<br />
Annik Leroy MEINHOF.<br />
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THEATRE / MUSIC - FRANKFURT-MAIN / LAUSANNE<br />
Heiner Goebbels<br />
Heiner Goebbels (°1952, Neustadt/Weinstrasse) vit <strong>de</strong>puis 1972 à Frankfort et a étudié la sociologie et la musique.<br />
Alors qu'il se consacre à un grand nombre d'enregistrements et <strong>de</strong> concerts avec le « Sogenanntes<br />
Linksradikales Blasorchester » (76-81) et le art-rock-trio « Cassiber » (82-92), il compose <strong>de</strong>puis cette même<br />
pério<strong>de</strong> pour le Ballet <strong>de</strong> Frankfort, pour le théâtre (Hans Neuenfels, Claus Peymann, Matthias Langhoff,...)<br />
ou pour le cinéma (Helke San<strong>de</strong>r, Dubini,...).<br />
En 1997, Goebbels participe à la Documenta X et en 2000 il présente les installations sonores Timeios et Fin<br />
<strong>de</strong> soleil au Centre Pompidou.<br />
Ses compositions pour le théâtre ont par ailleurs été très régulièrement présentées en Europe, en Asie, en<br />
Australie et aux USA. Depuis 2006, il prési<strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong> Théâtre <strong>de</strong> Hessen.
STIFTERS DINGE<br />
Théâtre National <strong>de</strong> la Communauté française<br />
9, 13/05 > 20:15<br />
10/05 > 19:00 & 22:00<br />
11, 12/05 > 15:00, 19:00 & 22:00<br />
€ 15 / € 10<br />
FR > NL<br />
1h 10min<br />
Meet the artist after the second performance on 10/05<br />
Conception, musique et mise en scène: Heiner Goebbels<br />
Décors, création lumières, création vi<strong>de</strong>o: Klaus Grünberg<br />
Collaboration musicale, programmation: Hubert Machnik<br />
Création sonore: Willi Bopp (assist. Matthias Mohr)<br />
Régisseur général: Nicolas Bri<strong>de</strong>l (assist. Nicolas Pilet - Fabio Gaggetta)<br />
Direction technique: Michel Beuchat<br />
Robotique: Thierry Kaltenrie<strong>de</strong>r<br />
Lumière: Roby Carruba, Thierry Arnold<br />
Electriciens: Christophe Kehrli, Roger Monnard, David Perez<br />
Vidéo: Jérôme Vernez<br />
Son: Frédéric Morier, Stéphane Boulaz<br />
Construction Table Guitar: Erik Zollikofer<br />
Construction décor: Thomas Beimowski – Hervé Arletti – Thuy Lor Van<br />
Accessoires: Georgie Gaudier, Eric Vuille<br />
Avec la participation artistique et technique <strong>de</strong> l’équipe du Théâtre Vidy-Lausanne<br />
Présentation: Théâtre National <strong>de</strong> la Communauté française, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Théâtre Vidy-Lausanne<br />
Coproduction: spielzeit’europa - Berliner Festspiele, Le Grand Théâtre <strong>de</strong> Luxembourg, Schauspielfrankfurt,<br />
T & M – Théâtre <strong>de</strong> Genevilliers / CDN, Pour-cent culturel Migros (Zürich), Teatro Stabile di Torino<br />
Co-commissionné par Artangel (Londres)<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> Pro Helvetia - Fondation suisse pour la culture<br />
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Rien n’est plus beau qu’une scène vi<strong>de</strong> - Propos reccueilllis par Peter Lau<strong>de</strong>nbach<br />
Heiner Goebbels à propos <strong>de</strong> son installation <strong>de</strong> théâtre musical Stifters Dinge - du théâtre sans personne en<br />
scène et <strong>de</strong>s pianos sous la pluie, avec une invitation à voir et à entendre.<br />
Dans la nouvelle création <strong>de</strong> théâtre musical <strong>de</strong> Heiner Goebbels, Stifters Dinge, il n’y a personne sur scène –<br />
ni chanteurs, ni musiciens, ni comédiens – mais uniquement <strong>de</strong>s objets : <strong>de</strong>s pierres, <strong>de</strong>s bassins, <strong>de</strong>s bancs<br />
<strong>de</strong> brume, <strong>de</strong>s pianos, un vieux tableau du XVIIe siècle. Le matériau <strong>de</strong> départ est constitué notamment <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> la nature par Adalbert Stifter (Les cartons <strong>de</strong> mon arrière-grand-père). À la veille <strong>de</strong> la première<br />
berlinoise, le compositeur et inventeur <strong>de</strong> théâtre a répondu à quelques questions sur son projet.<br />
- Que se passe-t-il dans votre spectacle Stifters Dinge ? Et d’ailleurs, s’y passe-t-il quelque chose ?<br />
Je ne vous le dirai pas. Où cela nous mènerait-il ? En tout cas pas au théâtre. Car le théâtre doit toujours surprendre,<br />
éveiller la curiosité, montrer <strong>de</strong> l’inédit, <strong>de</strong> l’inconnu, une énigme, peut-être un petit miracle, on verra.<br />
- Cette soirée est-elle un concert, une installation sonore, une sorte <strong>de</strong> méditation scénique, une nouvelle<br />
forme <strong>de</strong> théâtre musical sans action ?<br />
« Everything which is not a story can be a play », disait Gertru<strong>de</strong> Stein, et je la suis volontiers car <strong>de</strong>s histoires,<br />
nous en avons déjà tous entendu tellement ! Tout le mon<strong>de</strong> en connaît <strong>de</strong> meilleures que moi. Le théâtre<br />
doit toujours se considérer comme une réalité à part entière s’il veut être <strong>de</strong> l’art, il ne doit pas croire que son<br />
rôle consiste à faire <strong>de</strong>s déclarations sur la réalité. Mais sur le fond, vous avez bien <strong>de</strong>viné : Stifters Dinge est<br />
une installation-performance avec beaucoup <strong>de</strong> sons, <strong>de</strong> voix, d’images – et avant tout une invitation à entendre<br />
et à voir.<br />
- Pourquoi, dans cette pièce sans comédien, cette performance sans performeur, prenez-vous congé <strong>de</strong> l’être<br />
humain sur scène ?<br />
Ce n’est pas mon <strong>de</strong>rnier spectacle. Et dans ma prochaine pièce <strong>de</strong> théâtre musical (avec l’Ensemble Hilliard), il<br />
y aura même sur scène <strong>de</strong>s chanteurs en chair et en os ! Ce qui m’a intéressé, c’est d’explorer jusqu’où on peut<br />
aller dans l’absence tout en stimulant – voire en optimisant – l’imagination. Au théâtre comme dans les médias,<br />
nous sommes en permanence observés, abordés, apostrophés. Nous n’avons plus guère d’espaces à découvrir<br />
par nous-mêmes. Et avec mes spectacles Eislermaterial et Eraritjaritjaka, j’ai remarqué combien le<br />
public est reconnaissant et titillé lorsque, pour une fois, le centre <strong>de</strong> la scène reste vi<strong>de</strong> pendant un moment.<br />
- Dans votre pièce, il y a <strong>de</strong>s pianos sur scène dont un, commandé par un logiciel, joue une composition <strong>de</strong><br />
Bach. Est-ce une mesure <strong>de</strong> rationalisation, un gag ou un indice laissant à penser que Jonathan Meese a fondamentalement<br />
raison lorsqu’il prétend que l’art n’a pas besoin <strong>de</strong> l’homme ?<br />
Moi-même j’ai joué du Bach. Donc ce n’est pas un gag, c’est un moment biographique – parce que ce concerto-là<br />
(mais un autre mouvement) a été mon premier et <strong>de</strong>rnier grand succès <strong>de</strong> « pianiste classique » à l’âge <strong>de</strong> quatorze<br />
ans... mais un piano qui joue tout seul peut être très touchant, en particulier lorsqu’il pleut.<br />
Mes travaux n’en ont pas moins besoin <strong>de</strong> l’homme. Des hommes. Ceux qui les font et ceux qui les reçoivent.<br />
Mes spectacles ne fonctionnent qu’à partir du moment où un public y prendre part. Chacun pour soi et <strong>de</strong>
façon sans doute beaucoup plus imaginative que nous ne le penserions a priori. Mais Stifters Dinge a, plus<br />
qu’aucun autre, besoin du public. Ce n’est qu’en étant vu que ce travail <strong>de</strong>vient une spectacle.<br />
- Qu’est-ce qu’un idylliste bie<strong>de</strong>rmeier (style littéraire du XIXe, s’opposant au romantisme par son caractère<br />
bourgeois) comme Adalbert Stifter a <strong>de</strong> particulièrement intéressant pour un compositeur qui a travaillé<br />
avec passion sur Heiner Müller, dont on sait la vision apocalyptique et l’amour <strong>de</strong>s catastrophes ?<br />
L’idylle est trompeuse. Et la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la forêt que l’on trouve dans Les cartons <strong>de</strong> mon arrière-grand-père<br />
donne même parfois l’impression que Heiner Müller l’a lue très attentivement avant d’écrire Herakles 2. Ce que<br />
Stifter a d’intéressant, c’est que les sujets et leurs actions sont en retrait par rapport à d’autres forces (par<br />
exemple les <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> tempêtes <strong>de</strong> neige et les giboulées <strong>de</strong> grêle). Bien sûr, lorsqu’on attend juste <strong>de</strong><br />
connaître la fin, on s’ennuie. Moi aussi, j’ai vécu ça à l’école. Mais quand on commence à s’intéresser à ce qui<br />
reste inconnu, et que Stifter appelle « chose », la lecture peut <strong>de</strong>venir tout à fait passionnante.<br />
Le théâtre a quand même cette tendance « psychologisante » qui consiste à réduire tous les thèmes, conflits et<br />
expériences à la relation entre <strong>de</strong>s personnages. Je crois que dans cette approche, quelque chose soit laissé <strong>de</strong><br />
côté.’il y a autre chose qui, dans cette approche, est laissé <strong>de</strong> côté.<br />
- Stifter décrit la nature. En d’autres termes : il transforme la nature en littérature. Faites-vous le chemin inverse,<br />
essayez-vous dans ce spectacle <strong>de</strong> transformer la musique, y compris les pianos qui la font naître, en<br />
quelque chose qui ressemble à la nature ?<br />
Loins <strong>de</strong> la confondre avec la réalité, je sais pertinemment bien que la scène est un espace <strong>de</strong> création artistique.<br />
Et d’expérience artistique. Mais lorsqu’on parvient à focaliser l’attention <strong>de</strong>s spectateurs sur le bruit<br />
d’une pierre qui se déplace lentement, on peut véritablement découvrir <strong>de</strong>s « choses » qui ne sont peut-être pas<br />
très éloignées d’une expérience <strong>de</strong> la nature – ou qui se découvrent ainsi autrement.<br />
- Quel rôle jouent les textes <strong>de</strong> Stifter dans cette composition spatiale et musicale ? Ont-il été le matériau <strong>de</strong><br />
départ, se sont-ils imposés en cours <strong>de</strong> travail, racontent-ils une histoire ?<br />
Certes, à un moment <strong>de</strong> la pièce, il y a un extrait d’un récit <strong>de</strong> Stifter, mais celui-ci n’est pas central. Mon projet<br />
n’était pas <strong>de</strong> mettre en scène Stifter ou ses textes. Il y a aussi d’autres textes et d’autres voix dans cet espace.<br />
Le théâtre – dans une approche conventionnelle <strong>de</strong> l’intensité et <strong>de</strong> la présence – propose le plus souvent au public<br />
<strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier, et par conséquent <strong>de</strong> voir un reflet <strong>de</strong> lui-même. Pour ma part, je cherche plutôt à susciter<br />
une rencontre avec ce qui nous est étranger, ce que nous ne connaissons pas.<br />
- La référence à Stifter est-elle une fuite volontaire hors du temps ? Et si oui, pourquoi ce besoin d’échapper<br />
parfois à la mainmise du présent sur tout le reste du temps ?<br />
Ce n’est pas vraiment une fuite. Il y a <strong>de</strong>s références très « actuelles » dans ce travail. Par ailleurs, il est effectivement<br />
« hors du temps » par le ralentissement qui suscite une attention accrue <strong>de</strong> l’oreille et <strong>de</strong> l’œil. Et que<br />
Stifter lui-même impose au lecteur, en faisant quasiment <strong>de</strong> lui le cavalier dans la forêt. On trouve parfois un<br />
genre <strong>de</strong> « real time » chez Stifter, lorsqu’il décrit un orage sur cinq pages et examine précisément le rapport<br />
entre le tonnerre et les éclairs ou les gouttes <strong>de</strong> pluie sur la vitre. Mais pour autant, ce n’est ni tranquille, ni bie<strong>de</strong>rmeier.<br />
11
- Avec <strong>de</strong>s disques comme 4 Fäuste für Hanns Eisler et <strong>de</strong>s collages sonores réalisés, par exemple, avec <strong>de</strong>s<br />
enregistrements <strong>de</strong> manifestations <strong>de</strong> squatteurs berlinois, vous avez politisé votre musique. À vos débuts<br />
<strong>de</strong> musicien sur la scène alternative <strong>de</strong> Francfort, au sein du « Sogenanntes Linksradikales Blasorchester »,<br />
vous considériez faire partie d’un mouvement politique, puis vous avez joué avec Chris Cutler dans le groupe<br />
art-punk « Cassiber ». Aujourd’hui, le Philharmonique <strong>de</strong> Berlin joue vos compositions. Est-ce la suite et<br />
l’évolution logique <strong>de</strong> vos débuts, ou plus simplement votre cheminement dans le méandre <strong>de</strong>s institutions ?<br />
Aujourd’hui encore, j’ai mes petits problèmes avec les institutions. Et je cherche à <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong>s environnements<br />
<strong>de</strong> travail utopiques, désaliénés – par exemple avec <strong>de</strong>s orchestres indépendants comme le Philharmonique <strong>de</strong><br />
Berlin ou l’Ensemble Mo<strong>de</strong>rn, ou encore au petit Théâtre <strong>de</strong> Vidy à Lausanne, qui reste souple, et où je produis<br />
quasiment tous mes spectacles <strong>de</strong>puis dix ans. Hier comme aujourd’hui, je n’ai jamais fait d’affichage politique,<br />
j’ai toujours traduit mes exigences en termes <strong>de</strong> forme <strong>de</strong> production, en structures du matériau, questions<br />
<strong>de</strong> perception, rôle du spectateur. Je ne crois cependant pas que mes pièces <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années<br />
soient apolitiques. L’enjeu pour moi n’est pas <strong>de</strong> centrer les choses sur mon interprétation du mon<strong>de</strong>, mais plutôt<br />
<strong>de</strong> révéler <strong>de</strong>s textes, <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s images qui ouvrent le regard – ce qui m’importe, c’est la polyphonie<br />
d’une production à laquelle participent beaucoup <strong>de</strong> gens, avec beaucoup <strong>de</strong> créativité. Je n’arriverais jamais à<br />
imaginer tout cela tout seul. D’ailleurs ça m’ennuierait. Je travaille <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> dix ans avec la même équipe<br />
et bien souvent, je ne connais <strong>de</strong> la prochaine production que son point <strong>de</strong> départ, les questions que je veux<br />
partager avec mon équipe et avec le public. Pas les réponses.
THEATRE - BERLIN<br />
Haug, Kaegi & Wetzel /<br />
Rimini Protokoll<br />
Helgard Haug (1969), Stefan Kaegi (1971) et Daniel Wetzel (1969) ont étudié à l’Institut für Angewandte Theaterwissenschaft<br />
(Institut <strong>de</strong>s Sciences théâtrales appliquées) <strong>de</strong> Giessen et collaborent <strong>de</strong>puis lors sous le<br />
label Rimini Protokoll (un groupe à composantes variables). Ils sont considérés comme figures <strong>de</strong> proue et<br />
créateurs du mouvement <strong>de</strong>s Nouvelles réalités théâtrales (théâtre documentaire), qui a fortement influencé<br />
la sphère du théâtre indépendant. Chaque projet se base sur une situation concrète dans un lieu précis et est<br />
ensuite développé par le biais d’un processus d’exploration intensif. Se déroulant dans cette zone indécise située<br />
entre la réalité et la fiction, leurs pièces ont su éveiller l’intérêt d’un public international. Depuis l’an<br />
2000, Rimini Protokoll fait venir son « théâtre d’experts » sur la scène et dans les espaces publics, avec <strong>de</strong>s<br />
interventions qui sont le fait d’acteurs non-professionnels, raison pour laquelle ils sont appelés « experts ».<br />
Parmi les créations du collectif, il convient <strong>de</strong> citer Shooting Bourbaki (Haug/Kaegi/Wetzel), qui a remporté<br />
le prix Impulse <strong>de</strong> Rhénanie-du-Nord-Westphalie en 2003 (la même année, l’annuaire du magazine « Theater »<br />
a salué en eux les jeunes metteurs en scène les plus prometteurs <strong>de</strong> l’année). Ensuite Deadline<br />
(Haug/Kaegi/Wetzel), présenté aux Rencontres théâtrales <strong>de</strong> Berlin <strong>de</strong> 2004, Schwarzenbergplatz<br />
(Haug/Kaegi/Wetzel), nominé en Autriche pour le prix <strong>de</strong> théâtre Nestroy et Wallenstein (Haug/Wetzel), présenté<br />
aux Rencontres théâtrales <strong>de</strong> 2006. D’une actualité brûlante, leur pièce Mnemopark (Kaegi) a reçu le<br />
prix du jury au festival Politik im freien Theater (Politique dans le théâtre indépendant), tandis que Karl<br />
Marx: Das Kapital. Erster Band a remporté le prix <strong>de</strong> dramaturgie <strong>de</strong> Mülheim en 2007. En novembre <strong>de</strong>rnier,<br />
Haug, Kaegi et Wetzel se sont également vu décerner le prix <strong>de</strong> théâtre DER FAUST en Allemagne.<br />
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CRÉATION<br />
CALL CUTTA IN A BOX<br />
Monnaie House<br />
9/05 > 12/05<br />
14/05 > 18/05<br />
20/05 > 25/05<br />
27/05 > 31/05<br />
Tuesday > Friday<br />
16:00 > 21:00<br />
Weekends<br />
14:00 > 21:00<br />
shows every hour, on the hour<br />
(booking required, call 070 / 222 199)<br />
€ 15 / € 10<br />
EN<br />
50 min<br />
Book presentation Experts of the Everyday. The Theatre of Rimini Protokoll.<br />
in the presence of Daniel Wetzel<br />
13/05 > 20:00 Passa Porta<br />
(booking required, call 02 / 226 04 54)<br />
Concept: Rimini Protokoll (Haug/Kaegi/Wetzel)<br />
Production: Rimini Apparat<br />
Coproduction: Baltic Circle Helsinki and Helsinki Festival, Camp X Copenhagen, Hebbel-Am-Ufer (Berlin), Nationaltheater<br />
Mannheim, Schauspielhaus Zürich, 104 CENT QUATRE (Paris), Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
En collaboration avec: Descon Limited (Calcutta)<br />
Avec le soutien <strong>de</strong>: Goethe Institut / Max Mueller Bhavan (Calcutta), The European Cultural Foundation and<br />
the Regieren<strong>de</strong> Bürgermeister von Berlin – Senatskanzlei – Kulturelle Angelegenheiten
An interview with Rimini Protokoll - by Barbara Van Lindt<br />
Pour <strong>de</strong>s raisons indépendantes <strong>de</strong> notre volonté, cette conversation n’a pu être traduite à ce jour.<br />
Dès qu’elle le sera, nous la mettrons à votre disposition sur notre site et dans nos programmes du<br />
soir mis à votre disposition lors <strong>de</strong>s représentations concernées.<br />
Rimini Protokoll, a theatre collective with quite a lot of experience in making projects with real people,<br />
about subjects at the top of our socio-economic agenda, really opened a call centre in Calcutta especially for<br />
this project. Are the employees actors or professional call centre employees?<br />
The people we work with have all kinds of backgrounds, and some also have call centre experience. But professional<br />
call centre employees are actors by training and <strong>de</strong>finition. We’ve been listening to them in various performances.<br />
My current favourite takes place on one floor of BNK in Calcutta. There, several New York<br />
Pizzerias have outsourced their telephone or<strong>de</strong>ring services. So the operators there – let’s call them performers<br />
for the moment – have a very very different task, much more difficult and atavistic than a European theatre<br />
performer. It is all about the satisfying the appetite of people in New York, who are hungry. So you stand next<br />
to these operators in India and you hear them asking New Yorkers if they’d like extra cheese, extra peppers,<br />
large or extra large or XXL, combined with what drink and so on. And at the close, the performer repeats the<br />
or<strong>de</strong>r, clears the bill, checks the credit card number and tells the customer in how many minutes the pizzas<br />
will be <strong>de</strong>livered in Brooklyn or Manhattan and so on. Imagine what would happen to the appetite of the customers<br />
if they began to notice that the service staff they were talking to was located in India. This would mean a<br />
very heavy portion of “extra global cheese” that would run counter their <strong>de</strong>sire for a quick pizza from around<br />
the corner. So, for the sake of both the outsourcing company and their customers, the Indian performer first of<br />
all has to make sure that his theatre of service hi<strong>de</strong>s the reality of globalisation. Actually, it could be an attraction<br />
– a free long distance call, with other things to talk about than extra cheese. My example was a pizza,<br />
but one of the growing service markets is around medical services; for example, the analysis of X-rays, the<br />
transcription of vocal prescription protocols about the medication for hospital patients and so on. All kinds of<br />
services that are being invented on the basis of the cost differential between India and the West.<br />
But this theatre of service also forces the Indian performer to hi<strong>de</strong> his i<strong>de</strong>ntity. Without constant monitoring<br />
of his theatrical performance, the Eastern performer of Western service would lose his part – that is, his job.<br />
Globalisation – let’s use this term even though it is just a new word for a much ol<strong>de</strong>r thing – implies illusion<br />
and self-betrayal on the si<strong>de</strong> of the consumer (that is, us) and this of course is connected to racism and to xenophobia.<br />
Because there’s actually no reason why the pizza should be any worse only because the information<br />
about extra cheese came via India. Anyway, it’s the Pakistani who lives next door to you who will put it in the<br />
oven.<br />
How did you find them, what were your criteria? Did your research in the call centre industry bring to light<br />
surprising insights?<br />
Our performers in this project are mostly non-actors, with a few exceptions (people who have been involved<br />
with theatre projects in Calcutta). They are stu<strong>de</strong>nts, young middle class urbanites. Pickup is at 2:30 pm Indian<br />
time, the bus takes them to the periphery of Calcutta and then they’re sitting in front of their communication<br />
units talking to theatre customers in Europe. Let’s call them the European theatre shift, because they<br />
share the same workstation landscape with the so-called Australian shift (with people trained to sell cell<br />
phones, mo<strong>de</strong>m <strong>de</strong>vices and related tariff contracts to customers in Australia – of course pretending to be loca-<br />
15
ted in Australia) – and with the American shift (selling pension and health insurance contracts to the US, pretending<br />
to be located in the US). However, there are many differences between our workers and the two other<br />
shifts. An important one is that our people don’t work un<strong>de</strong>r the pressure of sales rankings. And they are not<br />
pretending to be someone else located close to you; they’re not using fake names, but spelling their real ones.<br />
Call Cutta in a Box is the second version of a project called Call Cutta. The first version was a gui<strong>de</strong>d tour<br />
through the city: the spectator was connected to an Indian call centre employee via mobile phone and got<br />
walking directions through the city of Berlin, having the impression the person on the other si<strong>de</strong> of the<br />
world knew more about it then the spectator himself. Why did you want to <strong>de</strong>velop a second version?<br />
It was great fun and a very important experience, this walking tour project Call Cutta – we staged a first chapter<br />
in the North of Calcutta and then a second chapter in Berlin Kreuzberg. And, according to our normal way<br />
of working, after 2 months in India and 3 months in Berlin that would have been it. But these tours were very<br />
much shaped by the guiding task, conversation was rather limited because to stop walking and start talking<br />
was not really foreseen. Also, technically the connection was just not so good – it was too fragile and noisy.<br />
We asked ourselves what would happen if we reduced the complications along the way and offered the option<br />
to really talk. So we found out that it is what we nee<strong>de</strong>d to stage now for the Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts: a possibility<br />
to just talk a while.<br />
Call Cutta in a Box puts the spectator in an office room, from where he/she has a view on a part of the city.<br />
This time, the travelling happens more in the head of the spectator, doesn’t it? Or is it more about <strong>de</strong>tails<br />
this time: the view from the window on this particular square in Brussels? How different is the nature of the<br />
interaction in this second version?<br />
The whole attention has shifted from the outsi<strong>de</strong> to the insi<strong>de</strong> of this simple connection. To <strong>de</strong>aling with your<br />
imagination regarding this person you talk to. Yes, there are windows, one in Brussels and one in India. Here<br />
it’s the afternoon or early evening, there it is dark already; here you can see different things than there. But the<br />
subject of the interaction is more you. This is much riskier of course, because matters are in your hands this<br />
time; the attractions in this performance are, to a much larger extent, self-created attractions. With this performance,<br />
we also place a lot of trust in both si<strong>de</strong>s – the operator and the theatregoer – that they really will use<br />
this possibility for a dialogue, not in search of the big art behind it, but for the maybe much more simple notions<br />
of imagination, role playing, staging – unexpected emotions that happen over the phone between you and<br />
the other.<br />
It happens on another level, but very often in this play small things happen that make the experience memorable<br />
for both participants.<br />
The call centre phenomenon is part of the world of business – the exchange is based on service, it is clientoriented<br />
and it is focused on efficiency and low cost: a strictly professional interaction. Is Call Cutta in a<br />
Box the “personal” version aiming at a kind of intimacy?<br />
Yes.
Do you use this professional frame as a theatrical, fictional tool?<br />
While <strong>de</strong>veloping this play, we worked a lot on the fictional level. There were different paths available, and according<br />
to the answers that you would give, you’d enter a different level of some kind of job interview. But we<br />
learned that just the simplest indications that what the call centre performer tells you might be ma<strong>de</strong> up encourages<br />
you not believe anything he will tell you later on. For example, that the young man in the photo is<br />
him. But there is another possibility for theatricality. Theatricality, as we un<strong>de</strong>rstand it, doesn’t have to do<br />
with obvious role-playing. This is a wi<strong>de</strong>spread misun<strong>de</strong>rstanding. Theatricality is a process between me and<br />
the other while I watch him or her or it – in a state of interruption, fascination, openness – I call theatricality<br />
the process of an aesthetic experience. It’s a process of creative perception. That is why theatre is political.<br />
Are we participants playing ourselves, or fictional office employees in a fictional firm with its headquarters<br />
at the Place <strong>de</strong> la Monnaie in Brussels?<br />
No, no, you are who you are, you bring along more fiction than required.... And the company is a real one as<br />
well, Descon Limited in India. And this conversation you’re having takes place because Descon Limited – rather<br />
a small player on the software and call centre services market – is generous enough to provi<strong>de</strong> us with 15<br />
workstations including all technical equipment and maintenance services, for free. We’ve talked to bigger<br />
companies in India as well, with greater capacity, and they wanted US$100 or more per day per workstation.<br />
Descon just wanted to be mentioned. But in fact this means that every single performance is a joint venture<br />
between cultural institutions here and a company there, so we <strong>de</strong>ci<strong>de</strong>d to <strong>de</strong>clare the offices to be the offices of<br />
Descon Limited, India. You are a guest of this company during the show and they have outsourced the question<br />
of what to provi<strong>de</strong> European theatre customers with to us. And we have <strong>de</strong>veloped our own Descon corporate<br />
i<strong>de</strong>ntity, with cups and pens and so on, things Descon itself doesn’t have.<br />
And yes, the play gives you the chance to imagine being in the situation of an employee in this office. But frankly,<br />
I hate plays that tell me what to imagine about myself. I agree with the notion of an option. But then I<br />
want to refer to my instincts and my own interest. During the festival, hundreds of one-to-one conversations<br />
will take place. One-to-one, some very personal, some very distant – according to the combination of the two<br />
people who meet over the phone. Of course, the Belgian si<strong>de</strong> will be led a bit by the Indian si<strong>de</strong> – they know how<br />
to do it, and you will find out along the way.<br />
Are you providing a “theatre service” or are you creating circumstances for an interaction between two people?<br />
Yes and yes again. These are one in the same. This theatre is a service and the service is theatre. Did you ever<br />
ask yourself why the supermarket cashier smiles to you and says “thank you”?<br />
How would you <strong>de</strong>scribe the theatrical element in this project?<br />
In a standard theatre situation, I am alone in the audience, so to speak, because what strikes me – the person<br />
who attracts me and tells me something up there on stage – would be at least momentarily prevented from<br />
doing so if I were to start talking to him or her. In our project, theatricality rather floats between two people –<br />
as might happen in every phone conversation, especially when two people talk who don’t know each other. Let<br />
me ask you: What do you think, how many telephone conversations are taking place at this very moment? How<br />
many of the people speaking at the moment have never seen the person on the other end of the line (and thus<br />
17
talk to an image they have created themselves)? And how many of these talks end with the transfer of money?<br />
Or some other business result? I have no i<strong>de</strong>a about amounts, but sometimes I try to just imagine this vast<br />
ocean of business-related talking all around the globe, occurring all the time, on the one hand, and this absolute<br />
lack of communication from person to person, on the other hand. And then, how many conversations are<br />
happening at the moment between two people who don’t know each other, who are literally situated in different<br />
worlds, without any business-related reasons, and trying to just get a glimpse of who and where and<br />
what the other one might be? The better you know a person, the longer you can talk over the phone. If you had<br />
a 50-minute conversation with someone located in a call centre, what would you talk about?<br />
Call Cutta in a Box is a “copy” of an economic phenomenon of globalisation. Do you want to criticise it or<br />
question it in some way?<br />
Theatre can be a tool to create experiences that don’t fit in the standard settings of perceiving the world and<br />
its so-called or<strong>de</strong>r – be it regarding the person next door, or the i<strong>de</strong>ology of global markets. But we don’t use<br />
theatre in or<strong>de</strong>r to tell you what we criticise or what you’re supposed to criticise. We would write a pamphlet<br />
then. This play offers you an opportunity to talk to subjects on the backstage of the globalisation process.<br />
Do you want to stress the “absurdity” that comes along with it, the strong sense of displacement? Or use it<br />
as a very specific mo<strong>de</strong>l for a one-on-one interaction?<br />
Absurdity and displacement might be elements you sense – but that is up to you and not an intention of ours.<br />
They rather arise from the part of reality that we’re providing you access to. Of course, the feedback of people<br />
who “did” the play varies consi<strong>de</strong>rably. And we’re not there to prefigure what kind of experience you will have.<br />
I personally experienced both a strong sense of displacement – just plain difference – and moments of surprising<br />
closeness.<br />
We are exploring theatre as a mo<strong>de</strong>l for experience instead of representation. But what you represent and<br />
what the other represents – this is what we can play with and make experiences with, in the framework of<br />
what theatre can make happen.<br />
Do you use the format in or<strong>de</strong>r to make us conscious about the un<strong>de</strong>rlying economic structure of any artistic<br />
or theatrical event?<br />
This is nothing we have to stress, it is there and you can sense it. At the centre of the play is the possibility to<br />
use what industry provi<strong>de</strong>s us (thanks to its little helper, the military) in a way that is not consistent with the<br />
strategies of capital and its little helper – politics.
THEATRE - BRUSSEL<br />
Kris Verdonck<br />
Les différentes formations qu'a suivies Kris Verdonck (°1974) - arts visuels, architecture et théâtre - se retrouvent<br />
dans son travail : on peut situer ses créations à la frontière entre les arts plastiques et le théâtre, l'installation<br />
et la performance, la danse et l'architecture.Comme metteur en scène et plasticien, il a déjà réalisé une<br />
large variété <strong>de</strong> projets, e.a. 5, (Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts 2003), Catching Whales Is Easy (Beursschouwburg,<br />
2004), II (Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts 2005, Kaaitheater, La Bâtie) et Variatie II (Vlaams Cultuurhuis <strong>de</strong> Brakke<br />
Grond, 2006). En novembre 2007 il a réalisé l'installation théâtrale I/II/III/IIII (Vooruit, 2007).<br />
19
CRÉATION END<br />
Kaaitheater<br />
9, 10, 13/05 > 20:30<br />
11/05 > 15:00<br />
€ 15 / € 10<br />
EN > NL & FR<br />
Meet the artists after the performance on 10/05<br />
Concept & mise en scène: Kris Verdonck<br />
Texte: Basé sur <strong>de</strong>s documents et textes récents d’Alexan<strong>de</strong>r Kluge, W.G. Sebald, Curcio Malaparte, e.a.<br />
Dramaturgie: Marianne Van Kerkhoven (Kaaitheater)<br />
Avec: Claire Croizé , Carlos Pez González, Marc Iglesias, Johan Leysen, Geert Vaes, Eveline Van Bauwel<br />
Création Vidéo: Anouk De Clercq<br />
Musique: Stefaan Quix<br />
Création lumières: Luc Schaltin (Kaaitheater)<br />
Création <strong>de</strong>s costumes: Dorothée Catry, Sofie Durnez<br />
Direction technique: Herman Ven<strong>de</strong>rickx (Kaaitheater)<br />
Assistance technique: Syvain Spinoit<br />
Construction: Steven Blum, Dirk Lauwers (dna), Espeel Constructies, Hans Luyten (PlasmaMagma)<br />
Assistance production: Lotte Vaes<br />
Présentation: Kaaitheater, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Margarita Production for stilllab vzw<br />
Coproduction: Kaaitheater, Buda kunstencentrum (Kortrijk), Kunstencentrum Vooruit (Gent), Le Grand Théâtre<br />
<strong>de</strong> Luxembourg, Productiehuis Rotterdam (Rotterdamse Schouwburg), Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong>: <strong>de</strong> Vlaamse overheid, <strong>de</strong> Vlaamse Gemeenschapscommissie<br />
Remerciements à: Imal, Felix Luque<br />
Projet coproduit par: NXTSTP, avec le soutien du programme Culture <strong>de</strong> l’Union Européenne
END - Marianne van Kerkhoven<br />
1.<br />
II, le projet que le metteur en scène et plasticien Kris Verdonck réalisa dans les Studios du Kaaitheater à l’occasion<br />
<strong>de</strong> l’édition 2005 du Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts, consistait en une collection <strong>de</strong> cinq images. Trois d’entre<br />
elles – Box, Patent Human Energy et Rain – se présentaient sous forme d’ installation : une situation <strong>de</strong>stinée<br />
à être observée, un environnement dans lequel on pouvait se mouvoir. Les <strong>de</strong>ux autres – Man et Duet – se produisaient<br />
sur le mo<strong>de</strong> d’un « déroulement » : les spectateurs étaient placés <strong>de</strong> face ou sur le côté et observent à<br />
distance, à l’instar d’un public <strong>de</strong> théâtre.<br />
Le défi du nouveau projet END rési<strong>de</strong> en premier lieu dans le choix qu’a fait Kris Verdonck <strong>de</strong> se plier aux<br />
coordonnées d’une gran<strong>de</strong> salle <strong>de</strong> théâtre. Les spectateurs prennent place sur <strong>de</strong>s chaises, sur une tribune et<br />
visent frontalement « quelque chose » qui se produit sur scène. On voit défiler sur cette scène, dans une seule<br />
et même donne théâtrale, <strong>de</strong>s gens, <strong>de</strong>s objets ou <strong>de</strong>s mixtes <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. END se profile en quelque sorte sur le<br />
fil <strong>de</strong> démarcation entre installation et théâtre. Il explore la zone d’intersection où théâtre et arts plastiques<br />
viennent à convergence et où l’une et l’autre discipline réalisent chacune leur essence distincte en même<br />
temps que leur coïnci<strong>de</strong>nce paradoxale, leur « entre-prise ».<br />
La différence entre arts plastiques et théâtre ressortit intégralement au facteur Temps. Est-ce que Arts Plastiques<br />
= Espace ? Théâtre = Temps ? Lorsque les spectateurs, comme c’est le cas dans END, sont conviés dans<br />
l’espace explicite du théâtre, un infléchissement dans le traitement du temps est seul en mesure <strong>de</strong> prévenir<br />
l’i<strong>de</strong>ntification sans reste du champ scénique avec une représentation théâtrale.<br />
Installation = situation. Théâtre= déroulement, chronologie, succession d’événements. La succession <strong>de</strong>s événements<br />
requiert à quelque <strong>de</strong>gré une forme <strong>de</strong> narration. Le spectateur <strong>de</strong> théâtre est <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce<br />
exercé à remplir son office, lequel consiste à traquer les liens entre les événements, à interpréter chaque signe<br />
émis dans les limites <strong>de</strong> la scène.<br />
2.<br />
END présente par le truchement <strong>de</strong> dix figures une version possible <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers soubresauts d’une collectivité<br />
humaine. Le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> END, ce sont ces images terriblement familières dont les médias organisent<br />
le pullulement incessant : glaciers écroulés, forêts incendiées, villes inondées, animaux menacés, fléaux<br />
<strong>de</strong> la famine et <strong>de</strong> la guerre… Les figures – humaines, machines et hybri<strong>de</strong>s – se meuvent <strong>de</strong> concert d’un côté<br />
à l’autre <strong>de</strong> la scène. Fuient-ils ? Et si oui, que fuient-ils ? Ils disparaissent et reparaissent à nouveau. Ils perpétuent<br />
sans répit leur <strong>de</strong>stination circulaire.<br />
La figure qui met ce carrousel en branle, qui littéralement (sur scène) imprime au mon<strong>de</strong> son mouvement et<br />
sa rotation porte le nom <strong>de</strong> Stachanov. Ce nom renvoie au mineur d’exception Aleksj Stachanov qui, dans<br />
l’Union Soviétique <strong>de</strong>s années 1935-1940, était donné en exemple à ses camara<strong>de</strong>s ordinaires. Il aurait chargé<br />
120 tonnes <strong>de</strong> charbon en l’espace d’une seule journée, c’est-à-dire près <strong>de</strong> 17 fois les 7 tonnes prescrites par le<br />
règlement du travail. Cette prouesse notoire, qui se révéla bien <strong>de</strong>s années après avoir été une supercherie,<br />
était <strong>de</strong>stinée à doper le rythme <strong>de</strong> production dans les mines. Le Stachanov <strong>de</strong> Kris Verdonck brandit à la manière<br />
d’un Atlas la Terre entière, amorce le mécanisme et enchaîne tour sur tour. Il est cause et conséquence<br />
<strong>de</strong> la catastrophe qui survient ou survint ou surviendra. Il accompagne l’intégralité <strong>de</strong> la représentation à la<br />
manière d’une basse continue.<br />
21
Une <strong>de</strong>uxième lame <strong>de</strong> fond est constituée par l’histoire infinie du Messager, une Figure au débit <strong>de</strong> parole intarissable<br />
placée dans une cage <strong>de</strong> verre. Le messager dépêche les nouvelles regroupées par cluster ayant trait<br />
aux phénomènes inquiétants et/ou désastreux qui se produisent ou se produisirent ou se produiront sur<br />
Terre. Il est le rapporteur et le pronostiqueur, le survivant qui témoigne, le <strong>de</strong>vin aveugle, le conteur, la Cassandre<br />
historique ou l’érudit luci<strong>de</strong>, le suppôt <strong>de</strong> la transmission qui sauve l’humanité prompte à l’oubli. La<br />
parole du Messager comporte <strong>de</strong>s extraits <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> Alexan<strong>de</strong>r Kluge, Curzio Malaparte, W.G. Sebald,<br />
Lord Byron et autres mais se compose pour l’essentiel <strong>de</strong> dépêches glanées sur internet.<br />
Deux Figures non humaines, <strong>de</strong>ux événements dénaturés déterminent également pour une gran<strong>de</strong> part le<br />
contexte théâtral général, le cadre <strong>de</strong>s événements.<br />
- Une chute <strong>de</strong> neige noire quasiment ininterrompue. Cette anomalie météorologique doit être rapportée<br />
d’une part à la pollution alarmante, d’autre part à la pluie noire et contaminée <strong>de</strong> Hiroshima,<br />
<strong>de</strong> manière générale aux émanations hostiles en provenance du ciel.<br />
- Un feu dévorant se fraie continuellement un chemin sur scène. Compte tenu <strong>de</strong>s révolutions succes<br />
sives, il est difficile d’établir si le feu talonne les autres Figures ou si au contraire ce sont elles qui le<br />
poursuivent.<br />
Dans le cadre circonscrit par Stachanov, le Messager, la neige noire et le feu dévorant, se meuvent six Figures<br />
restantes :<br />
- une femme (la mère ? l’épouse ?…) traîne <strong>de</strong>rrière elle une housse mortuaire excessivement lour<strong>de</strong>.<br />
Ce grand sac, elle semble coûte que coûte vouloir l’acheminer quelque part. Mais où ?<br />
- <strong>de</strong> temps à autre, un moteur traverse la scène à tout rompre, un témoin machinal erratique qui franchit<br />
l’espace mais ne s’en affranchit pas, ce n’est en aucun cas un symbole mais un caractère éminemment<br />
réel, tangible en raison du boucan et <strong>de</strong>s fumigations qui l’escortent.<br />
- pendant ce temps – suspendu dans les airs – l’Homme-oiseau s’efforce d’achever son parcours. C’est<br />
l’homme d’affaires couard, costumé, cravaté, attaché-case sous le bras, qui cherche à échapper à la<br />
catastrophe. Profondément égaré, n’assimilant pas le fait que l’ancien mon<strong>de</strong> ordonné est définitive<br />
ment révolu, il s’échine à sauver du naufrage ce qui peut encore l’être, sa vie et ses biens, l’action<br />
naire avec ses actions.<br />
- <strong>de</strong> temps à autre, le Chœur <strong>de</strong>s Simulacres passe son chemin. Il veut mettre en gar<strong>de</strong> au sujet <strong>de</strong><br />
quelque chose qui a certainement déjà eu lieu, mais les mots qu’il articule se per<strong>de</strong>nt en altérations<br />
et distorsions numériques.<br />
- toutes amarres larguées, la Femme Musilienne hybri<strong>de</strong> erre par le chaos. C’est une mutante qui a<br />
perdu la raison et n’est plus en état <strong>de</strong> reconnaître le mon<strong>de</strong>. Elle essaie <strong>de</strong> s’adapter et en désespoir<br />
<strong>de</strong> cause ne parvient qu’à muter désespérément.<br />
- enfin il y a le Ludd qui littéralement tombe du ciel. Ned Ludd fut en 1779 le premier tisserand anglais<br />
à mettre en pièces une machine à tisser. Son coup <strong>de</strong> pied à l’ennemi industriel ne fut pas sans<br />
effet: au 19e siècle, les Luddites ou Ludds constituaient un véritable mouvement insurrectionnel<br />
dans la classe ouvrière. Dans END, le Ludd veut combattre sans armes la technologie et autres nui-
sances. Il représente l’homme d’action, le sauveur, le Quichotte candi<strong>de</strong>, mais non moins la figure héroïque<br />
du sapeur pompier new-yorkais le jour du 11 septembre 2001. Il est le seul parmi toutes les Figures<br />
à prendre à rebours la procession circulaire. Il est systématiquement battu en brèche et systématiquement<br />
il revient à la charge.<br />
Moyennant <strong>de</strong>s vidéos projetées <strong>de</strong> Anouk Declercq et <strong>de</strong>s médias interactifs, les Figures se détachent sur un<br />
paysage en mouvement, dont le climat est porté par la création sonore <strong>de</strong> Stefan Quix et les éclairages <strong>de</strong> Luc<br />
Schaltin.<br />
23
DANCE - KYOTO<br />
Zan Yamashita<br />
Né à Osaka (°1970), Zan Yamashita est chorégraphe, metteur en scène et danseur. Il commença à danser dès<br />
l'âge <strong>de</strong> 10 ans. Depuis le milieu <strong>de</strong>s années '90, il chorégraphie <strong>de</strong>s performances <strong>de</strong>stinées à <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong><br />
danseurs. Parmi ses travaux <strong>de</strong> danse les plus marquants, The Sailors présentait les intervenants sur un ra<strong>de</strong>au<br />
en mouvement, The invisible man exprimait l'idée <strong>de</strong> danse par les mots. It's just me coughing a reçu le<br />
Kyoto Art Center Theatre Award en 2004. Yamashita apparaissait dans fuga#3, à l'occasion d'une mise en<br />
scène <strong>de</strong> Shogo Ota en 2005. Il dirigea également une performance reposant sur l'improvisation, Animal<br />
Theater. Une version spéciale <strong>de</strong> It's just me coughing a été élaborée en 2007 en Thaïlan<strong>de</strong>.
IT IS WRITTEN THERE<br />
Beursschouwburg<br />
9, 10, 11, 13/05 > 20:30<br />
12/05 > 18:00<br />
€ 15 / € 10<br />
Japanese > NL / FR<br />
1h 20min<br />
Meet the artists after the performance on 10/05<br />
Mise en scène: Zan Yamashita (assist. Chihiro Ueda)<br />
Avec: Mizuho Araki, Tenko Ima, Akiko Nishijima, Mari Fukutome, Maki Morishita<br />
Création lumière: Asako Miura<br />
Création sonore: Mitsunori Miyata<br />
Création livre: Emi Naya<br />
Présentation: Beursschouwburg, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong>: The Saison Foundation<br />
Coproduction: Kyoto Art Center<br />
25
Danser la discontinuité - Naoto Moriyama (Kyoto University of Art and Design)<br />
L’œuvre du danseur et chorégraphe Zan Yamashita, basé à Kyoto, évite l’harmonie <strong>de</strong> magnifiques mouvements<br />
<strong>de</strong> corps, pour favoriser l’art <strong>de</strong> la discontinuité. Contrairement à ses contemporains, Yamashita se sert<br />
du langage comme principal élément <strong>de</strong> perturbation <strong>de</strong> la continuité d’un spectacle et conduit son public<br />
vers un espace expérimental, où le langage et la danse peuvent se conjuguer <strong>de</strong> manière fraîche et chatoyante.<br />
Yamashita, né à Osaka en 1970, commence sa carrière <strong>de</strong> danseur en 1989. À la fin <strong>de</strong>s années 80 et au début<br />
<strong>de</strong>s années 90 s’opère une transition générationnelle dans la danse japonaise, qui voit la génération du butô<br />
passer le flambeau à ses successeurs. Tatsumi Hijikata, le fondateur prééminent <strong>de</strong> la danse japonaise<br />
d’avant-gar<strong>de</strong>, meurt au milieu <strong>de</strong>s années 80, l’année même où Saburo Teshigawara obtient le <strong>de</strong>uxième prix<br />
au Concours chorégraphique international <strong>de</strong> Bagnolet. Le butô étant <strong>de</strong>venu un genre accepté et apprécié,<br />
bon nombre <strong>de</strong> jeunes danseurs se mettent à expérimenter <strong>de</strong>s styles différents. Zan Yamashita réussit à développer<br />
son propre vocabulaire et dès le milieu <strong>de</strong>s années 90, il introduit la poésie dans ses chorégraphies.<br />
Dans une interview accordée au critique <strong>de</strong> danse Naoko Kogo, Yamashita dit : « Lorsque j’ai commencé ma<br />
carrière, le collectif Dumb Type, dont le style théâtral s’articulait autour du multimédia, était sous les feux<br />
<strong>de</strong>s projecteurs. C’est peut-être par esprit <strong>de</strong> contradiction que l’idée <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>s poèmes m’est soudain passée<br />
par la tête. »<br />
La version originale du spectacle It is written there a été interprétée pour la première fois en 2002. Puis ont<br />
suivi Invisible Man et Cough, formant ensemble une trilogie sur la danse et le langage. Avant d’entrer dans la<br />
salle où se produit It is written there – tant dans la version <strong>de</strong> 2002 que dans celle <strong>de</strong> 2008 – le public reçoit un<br />
livre <strong>de</strong> cent pages contenant <strong>de</strong>s mots, <strong>de</strong>s phrases courtes, <strong>de</strong>s diagrammes, etc. Ces notes servent <strong>de</strong> pistes<br />
et d’instructions pour les danseurs dont quatre se meuvent et dansent conformément à ce qui y est écrit. Dans<br />
Invisible Man, un « lecteur » – interprété par Yamashita en personne – lit toute la chorégraphie à voix haute<br />
aux danseurs. Dans Cough, <strong>de</strong>s poèmes haïkus sont projetés sur un écran pendant qu’un danseur (Yamashita)<br />
interprète en solo une série <strong>de</strong> mouvements connexes.<br />
Si son prénom « Zan » a une consonance qui fait penser à « zen », Yamashita n’a rien à voir avec cette philosophie.<br />
La notion du « vi<strong>de</strong> » s’insinue dans <strong>de</strong> multiples aspects <strong>de</strong> la culture japonaise traditionnelle et constitue<br />
une part essentielle <strong>de</strong> son esthétique (que l’on observe dans les tableaux et les jardins nippons<br />
traditionnels ou dans le théâtre Nô). En japonais, on réfère souvent à cette esthétique par le terme ma, qui signifie<br />
« état intermédiaire, entre-<strong>de</strong>ux ». Il est vrai qu’il y a beaucoup <strong>de</strong> blancs et <strong>de</strong> marges sur les pages du<br />
livre que le public reçoit avant le spectacle It is written there, dans lequel il y a également <strong>de</strong> longs moments<br />
<strong>de</strong> silence sur scène. Toutefois, le vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Yamashita est bien plus proche d’une sensibilité mo<strong>de</strong>rne.<br />
Ce trait stylistique est évi<strong>de</strong>nt dans Cough. Yamashita dit que l’inspiration <strong>de</strong> ce spectacle lui est venue <strong>de</strong> la<br />
poésie <strong>de</strong> Hosai Ozaki (1885-1926), l’un <strong>de</strong>s plus célèbres poètes <strong>de</strong> haïkus mo<strong>de</strong>rnes du début du XXe siècle.<br />
Le titre lui-même est une citation <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s poèmes d’Ozaki, et durant le spectacle, Yamashita projette <strong>de</strong>s<br />
haïkus du poète sur un écran. Notons qu’Ozaki appartenait au mouvement du jiyu-ritu haïku (haïku en vers libres).<br />
Ce mouvement littéraire remonte aux années 1910, lorsque le style <strong>de</strong> vie urbain a commencé à prendre<br />
racine dans la société japonaise. C’est aussi l’époque où le rythme intérieur <strong>de</strong> l’artiste individuel est mis plus<br />
en valeur que le rythme extérieur formel s’appuyant sur les règles traditionnelles. À la fin <strong>de</strong> sa vie, Ozaki a<br />
réussi à rédiger « la poésie la plus courte au mon<strong>de</strong> », exprimant la solitu<strong>de</strong> et l’état d’esprit caractéristique<br />
dans lesquels vivent les citadins mo<strong>de</strong>rnes. Yamashita partage sans aucun doute l’impression <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> que<br />
suscite en Ozaki la fragmentation <strong>de</strong> la vie quotidienne mo<strong>de</strong>rne.
Peut-on alors affirmer que Zan Yamashita est une sorte <strong>de</strong> poète lyrique mo<strong>de</strong>rne qui chante ses émotions intérieures<br />
par le biais du poème dansé ? Peut-être, mais cela dépend beaucoup du public et <strong>de</strong> sa réaction par<br />
rapport à l’œuvre. Dans ses créations récentes, Yamashita se révèle plutôt un artiste formaliste ou conceptuel<br />
qu’un poète lyrique. Le livre distribué au public avant la représentation d’It is written there sert à transmettre<br />
un sentiment <strong>de</strong> discontinuité plutôt qu’une quelconque notion <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>. Nous ne pouvons pas y reconnaître<br />
une influence brechtienne directe. L’origine <strong>de</strong> ce sentiment <strong>de</strong> discontinuité se situe plutôt dans la distance<br />
que Yamashita installe dans la pratique <strong>de</strong> la danse. Son approche formaliste <strong>de</strong> la chorégraphie interrompt le<br />
flot naturel <strong>de</strong> sentiments et fait apparaître la frontière essentielle entre la danse et la vie, ou entre l’art la vie.<br />
Comment interpréter le titre du spectacle : « est-ce écrit là ? » ? Le livre distribué au public, et publié par Yamashita<br />
lui-même, compile une sélection <strong>de</strong> notes et <strong>de</strong> mémorandums sur la chorégraphie amoncelés sur son<br />
bureau au fil <strong>de</strong>s années, <strong>de</strong>s passages <strong>de</strong> son journal intime, <strong>de</strong>s paroles <strong>de</strong> chansons populaires japonaises,<br />
etc. Selon le chorégraphe, il s’explique aussi par un inci<strong>de</strong>nt survenu lorsque ce <strong>de</strong>rnier travaillait à temps<br />
partiel : un jour, alors qu’il venait <strong>de</strong> commencer, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à son patron ce qu’il doit faire. Le patron lui répond<br />
: « C’est écrit là. Lisez cela et faites-le. ». En ce sens, It is written there est un ordre, mais nul ne peut <strong>de</strong>viner<br />
ce que cette instruction ordonne précisément, dans la mesure où il y a toujours un décalage entre ce qui<br />
est écrit et ce que l’on fait. Ainsi, on pourrait dire que cette œuvre touche <strong>de</strong> manière suggestive aux rapports<br />
<strong>de</strong> pouvoir auxquels chacun fait face, tous les jours, partout ; c’est-à-dire la relation entre celui qui intime un<br />
ordre et celui à qui il est intimé, entre celui fait danser quelqu’un et celui qui danse. Dans ce spectacle, Yamashita<br />
nous offre diverses façons <strong>de</strong> jouer avec le décalage et <strong>de</strong> bouleverser le lien social créé par tant d’ordres<br />
et d’instructions.<br />
Celui qui espère voir <strong>de</strong> la danse sublime, risque <strong>de</strong> trouver It is written there irritant et sujet à controverse.<br />
Yamashita est parfaitement conscient <strong>de</strong> ce côté provocateur. Après le spectacle, le public pourrait avoir l’impression<br />
que la danse a adopté la forme du livre qu’ils ont sur les genoux.<br />
Pour Yamashita, les oppositions entre le langage et la danse constituent une source vitale pour son art. Sur<br />
scène, il danse toujours la discontinuité, s’associant <strong>de</strong> la sorte à la réalité quotidienne <strong>de</strong> son public.<br />
27
DANCE - ISTANBUL<br />
Aydin Teker<br />
Aydin Teker<br />
D'origine turque, Aydin Teker est chorégraphe et enseigne la danse. Alors qu'elle est fraîchement diplômée au<br />
conservatoire national d'Ankara, elle <strong>de</strong>vient danseuse au sein <strong>de</strong>s ballets <strong>de</strong> l'opéra national d'Ankara. En<br />
1976, elle reçoit une bourse d'étu<strong>de</strong> à Londres puis aux USA. Elle obtient son BFA et MFA à la Tisch School of<br />
Arts of New-York University ainsi que le Diploma of A<strong>de</strong>quacy (équivalent au doctorat) en 1993 et le titre <strong>de</strong><br />
«professeur» en 2001. En 1993, elle obtient une bourse <strong>de</strong> recherche (Fulbright) et repart à New York afin d'explorer<br />
les nouvelles possibilités inspirées <strong>de</strong>s théories somatiques. Ses chorégraphies et ses travaux «in situ»<br />
ont été présentées dans un grand nombre <strong>de</strong> pays. Parmi ces différents projets, Density s'est distingué lors du<br />
22 e Zurich Theaterspektakel et sa <strong>de</strong>rnière création aKabi a été acclamée à l'occasion <strong>de</strong> plusieurs festivals <strong>de</strong><br />
renommée. Aydin Teker est actuellement membre <strong>de</strong> la section «danse mo<strong>de</strong>rne» <strong>de</strong> la Mimar Sinan Fine Arts<br />
University d'Istanbul.<br />
Ayşe Orhon<br />
Alors qu'elle professait dans le domaine musical (harpe) et sportif (natation synchonisée), Orhon a poursuivi<br />
son apprentissage par la danse et a obtenu le diplôme <strong>de</strong> la DansAka<strong>de</strong>mie/EDDC (Arnhem-Duesseldorf) en<br />
juin 2001. Cinq ans plus tôt, elle était déjà impliquée dans différents projets, ses propres chorégraphies et <strong>de</strong>s<br />
installations vidéo. Alors qu'elle est alors professeure invitée pour la danse contemporaine dans trois différentes<br />
universités d'Istanbul et au centre national <strong>de</strong> danse contemporaine d'Angers (France), elle collabore<br />
avec Aydin Teker dès 2002 et travaille également avec Emmanuelle Huynh, chorégraphe française. C'est notamment<br />
à Ayşe Orhon que l'on doit la création <strong>de</strong> la «CATI Contemporary Dance Artists Association» (2004)<br />
et <strong>de</strong> la plus récente « AMBER - Association for Process-based Arts».
HARS<br />
CRÉATION<br />
Les Brigittines<br />
10, 13, 14, 15/05 > 20:30<br />
11/05 > 18:00<br />
€ 15 / € 10<br />
50 min<br />
Meet the artists after the performance on 11/05<br />
Mise en scène: Aydin Teker<br />
Chorégraphie: Aydin Teker, Ayşe Orhon<br />
Performance: Ayşe Orhon<br />
Conseil musical: Evrim Demirel<br />
Création costumes: Ayşegül Alev<br />
Création lumières: Thomas Walgrave<br />
Présentation: Les Brigittines, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Bimeras | iDans (Istanbul)<br />
Coproduction: Festival Alkantara (Lisbonne), Biennale Bonn, Baltoscandal Festival (Rakvere), Productiehuis<br />
Rotterdam (Rotterdamse Schouwburg), Festival Culturescapes (Basel), Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Projet coproduit par NXTSTP, avec le soutien du programme Culture <strong>de</strong> l’Union Européenne<br />
29
Une relation insolite avec une harpe… - propos recueillis par Aylin Kalem<br />
Dans votre œuvre précé<strong>de</strong>nte, aKabi, la chorégraphie s’articulait autour <strong>de</strong> la relation entre le corps et <strong>de</strong>s<br />
chaussures aux talons compensés d’une hauteur exceptionnelle. Dans ce spectacle-ci, vous explorez la relation<br />
entre un corps et une harpe, cet instrument si imposant. Quel est le moteur <strong>de</strong>rrière les relations particulières<br />
aux objets que vous introduisez dans vos créations chorégraphiques ?<br />
Aydin Teker : Je pense que c’est une inclination qui me vient <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> composition que je donne à mes étudiants.<br />
Je leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’explorer l’idée d’une relation à un objet. Je sais que je n’amorce absolument pas un<br />
projet avec l’idée <strong>de</strong> créer une relation à un objet, cependant, elle est là. D’autre part, je ne considère pas la<br />
harpe comme un objet, mais plutôt comme un personnage, que je qualifierais même <strong>de</strong> très fort. J’ai le sentiment<br />
qu’Ayşe interprète un duo, pas un solo. Toutes les <strong>de</strong>ux sont engagées dans une relation mutuelle.<br />
Lorsque j’ai commencé à me servir <strong>de</strong> la harpe, j’avais un réel problème avec la beauté <strong>de</strong> l’instrument. Tout ce<br />
que j’entreprenais <strong>de</strong>venait trop beau à cause <strong>de</strong> la nature profondément esthétique <strong>de</strong> la harpe. Sa beauté me<br />
perturbait. Je crois que chaque œuvre requiert un certain laps <strong>de</strong> temps pour se révéler et nous gui<strong>de</strong>r. Je crois<br />
aussi qu’il faut pouvoir attendre que ce moment se produise. Je ne comprends pas l’idée <strong>de</strong> créer dans la précipitation,<br />
parce que je me concentre sur la recherche, sur le temps que je passe avec Ayşe au studio, sur le processus<br />
d’exploration, ce cheminement commun vers la découverte. J’aime l’idée du laboratoire, l’expérience est<br />
unique. Sans cela, l’œuvre risque <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un produit, il faut ce quelque chose qui entretient la vitalité <strong>de</strong><br />
l’œuvre.<br />
Quelle est votre méthodologie créative ?<br />
Aydin Teker : Je ne fais pas grand-chose sur le plan physique, je regar<strong>de</strong> Ayşe et je parle beaucoup. Quelqu’un<br />
m’a <strong>de</strong>mandé si j’imagine quelque chose quand je commence à créer. La réponse est non : je n’imagine absolument<br />
pas ou ne réfléchis pas à comment sera l’œuvre. Je suis juste curieuse <strong>de</strong> ce que le processus va donner.<br />
Pour cette création, je n’en avais aucune idée avant <strong>de</strong> l’entamer. J’ignorais que j’allais dépasser la beauté <strong>de</strong><br />
l’instrument.<br />
Comment avez-vous décidé <strong>de</strong> travailler avec une harpe ?<br />
Aydin Teker : J’avais déjà créé une œuvre avec une contrebasse, en Angleterre. Je savais qu’Ayşe a <strong>de</strong>s antécé<strong>de</strong>nts<br />
<strong>de</strong> harpiste et qu’elle n’avait plus touché à l’instrument <strong>de</strong>puis très longtemps. Au cours <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong> nos<br />
conversations, l’idée <strong>de</strong> nous servir <strong>de</strong> la harpe a surgi. C’était un moment important. Puis, je suis allée à Paris<br />
et j’ai rapporté cet instrument immense, en ne pensant plus au projet. J’ai d’ailleurs fait pareil pour les chaussures<br />
d’aKabi : dès que j’en ai eu l’idée, je me suis mise à les chercher. Je n’ai pas perdu <strong>de</strong> temps à me poser <strong>de</strong>s<br />
questions qui commencent par « Et si… ». Lorsque nous avons eu la harpe, nous ne bénéficions pas <strong>de</strong>s conditions<br />
<strong>de</strong> travail actuelles. Nous cherchions un studio. Transporter la harpe partout où nous allions était une<br />
tâche extraordinairement laborieuse. Un jour, nous marchions dans les ruelles étroites d’Istiklal, et Ayse portait<br />
la harpe. Nous sommes tombées sur l’un <strong>de</strong> ses jeunes amis qui s’est proposé <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r. Lorsqu’il s’est<br />
rendu compte <strong>de</strong> la lour<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l’instrument, il s’est littéralement enfui. Nous avons travaillé dans <strong>de</strong>s conditions<br />
difficiles. Finalement, nous avons trouvé un studio, mais il y faisait tellement chaud que les cor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la<br />
harpe n’arrêtaient pas <strong>de</strong> se briser. La motivation pour continuer, malgré tout, me venait <strong>de</strong> la curiosité que je<br />
ressentais par rapport à l’évolution <strong>de</strong> notre relation à l’instrument. Par ailleurs, cet instrument nous a permis<br />
<strong>de</strong> découvrir nos limites respectives. C’est un processus exaltant. Cela fait à présent près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans que
nous travaillons à ce projet.<br />
Au début, je trouvais qu’Ayşe, qui est à la fois musicienne et danseuse, <strong>de</strong>vait jouer <strong>de</strong> l’instrument. J’ai toutefois<br />
pris conscience que je ne pouvais pas « imposer qu’il y ait ceci et qu’il y ait cela » dans le spectacle. C’est<br />
l’œuvre elle-même qui déci<strong>de</strong> ce qui est nécessaire : voilà ce que j’ai fini par comprendre avec le temps. Je sais<br />
aussi que si je n’inclus pas un problème ou un obstacle, le spectacle n’ira nulle part.<br />
En général, dans vos œuvres, le problème ou l’obstacle est d’ordre physique. Vous ne vous penchez pas sur les<br />
problèmes <strong>de</strong> la société ou sur <strong>de</strong>s messages politiques.<br />
Aydin Teker : Si j’avais un message à transmettre, je le formulerais, je n’en ferais pas un spectacle. Ce que je recherche<br />
réellement, c’est à dépasser l’esthétique et les limites physiques. Nous savons ce que nous avons déjà<br />
et ce qui est considéré comme beau. Je cherche ce qui est au-<strong>de</strong>là.<br />
La relation à l’objet que vous établissez, tant dans aKabi que dans harS, transforme le corps. Les objets <strong>de</strong>viennent<br />
une extension du corps. Dans ce sens, votre approche est quasi technologique.<br />
Aydin Teker : C’est exact. Bien que je ne parte pas <strong>de</strong> cette idée, j’y aboutis d’une façon ou d’une autre. Pour<br />
qu’un corps s’adapte à <strong>de</strong> nouvelles extensions, il lui faut développer une certaine technique. Il faut que le<br />
corps soit puissant, que le système nerveux perçoive les nouvelles conditions, et que la personne accepte ce<br />
nouvel état.<br />
Quel genre d’expérience avez-vous vécue dans votre relation à la harpe, pas en tant que musicienne au sens<br />
conventionnel du terme, mais en tant que danseuse/musicienne ? Comment cette expérience a-t-elle changé<br />
votre perception ?<br />
Ayşe Orhon : J’ai commencé ma formation musicale très jeune, mais je ne me suis jamais considérée comme<br />
une musicienne. Dès le début du projet, j’ai dit à Aydin Teker que je ne suis pas musicienne. Cependant, j’ai<br />
changé d’avis <strong>de</strong>puis lors. Tout au long du projet, il m’a fallu me souvenir et développer ce que j’avais appris au<br />
cours <strong>de</strong> ma formation musicale. Je crois que la musique et la danse se ressemblent dans la mesure où les<br />
<strong>de</strong>ux disciplines s’adressent au corps et à l’esprit, et suivent une même voie en matière d’expression, l’une sous<br />
la forme <strong>de</strong> sons, l’autre sous la forme <strong>de</strong> mouvements. Dans ce projet, les <strong>de</strong>ux courants coexistent. Au début,<br />
j’étais très douce avec la harpe, j’avais peur qu’elle ne tombe et ne se casse. Mais au fur et à mesure, je me suis<br />
familiarisée avec sa dimension et son poids et j’ai commencé à mieux comprendre son langage. Moins j’avais<br />
peur, plus je découvrais son potentiel. Ce fut néanmoins un long chemin pour en arriver là. Être côte à côte et<br />
face à face avec cet instrument dont j’ai joué pendant <strong>de</strong>s années, assise sur une chaise, a suscité en moi la curiosité<br />
d’établir avec lui différentes formes <strong>de</strong> relation. Je me posais beaucoup <strong>de</strong> questions, par exemple, suisje<br />
capable <strong>de</strong> la soulever ? Que se passerait-il si je la renversais ? Est-ce qu’elle pourrait me contenir ? Chaque<br />
curiosité m’a menée à <strong>de</strong> nouvelles idées et à <strong>de</strong> nouveaux problèmes. La patience et l’attention d’Aydin Teker<br />
sont très précieuses pour moi. Je suis d’un naturel plutôt impatient, je veux réaliser mes désirs ou ses suggestions<br />
<strong>de</strong> manière spontanée, mais ce n’est pas la métho<strong>de</strong> à suivre. Il faut y travailler avec beaucoup <strong>de</strong> précautions<br />
et <strong>de</strong> façon systématique.<br />
Quel effet physique vous a fait le développement <strong>de</strong> votre virtuosité dans la manipulation <strong>de</strong> cet instrument<br />
lourd et massif ?<br />
Ayşe Orhon : Sur scène, nous sommes comme <strong>de</strong>ux rivales. Plus qu’une personne qui maîtrise les mouvements<br />
31
que je suis tenue d’exécuter, je suis plutôt comme quelqu’un qui tente d’exister dans cette rivalité. Peut-être estce<br />
ce genre <strong>de</strong> compétition qui révèle tous ces matières « virtuoses ».<br />
Quel était votre rôle en tant que danseuse dans ce processus <strong>de</strong> création ?<br />
Ayşe Orhon : J’occupais une position contradictoire. J’ai une formation <strong>de</strong> chorégraphe plutôt que <strong>de</strong> danseuse.<br />
Le premier projet auquel j’ai travaillé avec Aydin Teker s’intitulait Density. J’étais censée apprendre le rôle<br />
dansé par Kelly Knox. C’était une expérience intéressante pour moi, je n’avais pas l’habitu<strong>de</strong> d’apprendre un<br />
rôle déjà établi. Cependant, ce type <strong>de</strong> processus <strong>de</strong> création est plus complexe. La signature chorégraphique<br />
appartient à Aydin Teker, mais en même temps, je ne suis pas le genre <strong>de</strong> personne qui fait tout ce qu’on lui dit.<br />
Mettons que je suis plutôt quelqu’un qui produit le non-dit. Je ne peux m’empêcher d’exprimer mes pensées et<br />
mes désirs. Mais nous étions à trois pendant les répétitions. Aydin Teker esquissait un pas, je le développais,<br />
et puis la harpe posait un autre pas sur la voie <strong>de</strong> la création.
THEATRE - TEHRAN<br />
Amir Reza Koohestani /<br />
Mehr Theatre Group<br />
Amir Reza Koohestani (°1978) entame sa carrière artistique dès l'âge <strong>de</strong> 16 ans, lorsqu'il écrit <strong>de</strong>s nouvelles<br />
dans un journal local <strong>de</strong> Shiraz. Après avoir suivi <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> mise en scène et <strong>de</strong> cinéma et après <strong>de</strong>ux films<br />
avortés, Koohestani écrit sa première pièce an 1999: And the Day Never Came. L'année suivante, il écrit et<br />
met en scène The Murmuring Tales, nominé pour 5 awards (mise en scène, écriture, rôles masculin et féminin,<br />
meilleure pièce) lors du prestigieux festival international <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> Fadjr en Iran.<br />
Deux ans plus tard, sa troisième création Dance on Glasses figure parmi les pièces les plus acclamées et<br />
controversées <strong>de</strong> celles qui furent jouées en Iran. [...] Quand elle fut montrée au Theater <strong>de</strong>s Welt à Bonn en<br />
Allemagne, elle fut très favorablement accueillie par le public et la critique. Amid the Clouds, coproduite à<br />
l'occasion <strong>de</strong> festivals européens tels que les Weiner Festwochen ou le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts, traitait <strong>de</strong> l'immigration<br />
d'Iraniens vers l'Europe et a été présentée dans plus <strong>de</strong> 20 villes en Europe.<br />
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QUARTET : A JOURNEY TO NORTH<br />
KVS-BOX<br />
11, 12, 14, 15, 17/05 > 20:30<br />
16/05 > 22:00<br />
€ 15 / € 10<br />
Farsi > NL / FR<br />
1h 20min<br />
Meet the artists after the performance on 12/05<br />
Texte: Amir Reza Koohestani, Mahin Sadri<br />
Mise en scène / Création décors & costumes / Création lumières: Amir Reza Koohestani<br />
Avec: Attila Pessyani, Mohammad Hassan Madjooni, Baran Kosari, Mahin Sadri<br />
Création sonore: Ankido Darash<br />
Vidéo: Hesam Noorani<br />
Directeur <strong>de</strong> production: Mohammad Reza Hosseinza<strong>de</strong>h (assist.)<br />
Production: Mehr Theatre Group<br />
Coproduction: Wiener Festwochen, Festival TheaterFormen (Braunschweig), Holland Festival (Amsterdam),<br />
Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong>: Dramatic Arts Centre (Tehran)
Amir Reza Koohestani et Quartet: A Journey to North - Mahin Sadri<br />
Métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail<br />
Amir Reza Koohestani a comme caractéristique <strong>de</strong> remettre sans cesse son ouvrage sur le métier, au risque <strong>de</strong><br />
réduire au désespoir tous ses collaborateurs – qu’ils soient producteurs, acteurs ou techniciens. En effet, à<br />
tout moment, il est susceptible <strong>de</strong> rejeter toute la structure <strong>de</strong> la pièce qu’il est en train <strong>de</strong> monter et <strong>de</strong> repartir<br />
<strong>de</strong> zéro.<br />
Koohestani commence ses répétitions alors qu’il dispose seulement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois monologues ; la suite du<br />
texte prend forme au fil <strong>de</strong>s répétitions. Une fois le texte complet, l’auteur se penche <strong>de</strong> nouveau sur les monologues<br />
initiaux et réécrit les scènes. Dans un premier temps, les acteurs ne connaissent donc que le début <strong>de</strong><br />
la pièce et ignorent quelle tournure elle va prendre. De ce fait, ils doivent sans cesse revoir leur façon <strong>de</strong><br />
concevoir les personnages en fonction du développement ultérieur <strong>de</strong> l’action.<br />
Les répétitions se déroulent dans un silence absolu. Koohestani ne coupe jamais les acteurs et les laisse répéter<br />
au moins une scène entière sans interruption. Pendant ce temps, il note ses critiques éventuelles et, à la<br />
fin <strong>de</strong> la répétition, il en discute en tête-à-tête avec chaque comédien. Le silence et la concentration caractérisent<br />
ses répétitions à un point tel que l’on pourrait les comparer à une cérémonie religieuse.<br />
Antécé<strong>de</strong>nts historiques du théâtre contemporain iranien<br />
De nos jours, en Iran plus qu’ailleurs, le régime politique régente la vie culturelle et artistique. Pendant son<br />
règne, Mohamad Reza Shah fit financer le Festival <strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> Chiraz principalement avec <strong>de</strong>s fonds publics.<br />
La plupart <strong>de</strong>s grands metteurs en scène <strong>de</strong> l’époque, tels que Brook, Grotowski et Wilson, y présentèrent <strong>de</strong>s<br />
spectacles dont les coûts <strong>de</strong> production élevés furent pris en charge par l’État iranien. Le shah voulait ainsi<br />
donner <strong>de</strong> la société iranienne l’image d’une société mo<strong>de</strong>rne et développée. Mais le public iranien <strong>de</strong> l’époque<br />
n’acceptait et n’appréciait que les formes théâtrales traditionnelles comme le « tazieh » (représentation du<br />
martyre d’Hussein) et le « siah bâzi » (sorte <strong>de</strong> commedia <strong>de</strong>ll’arte à l’iranienne).<br />
Jusque-là, les œuvres <strong>de</strong> dramaturges occi<strong>de</strong>ntaux tels que Shakespeare, Tchekhov ou Ibsen étaient le plus<br />
souvent montées dans <strong>de</strong>s traductions médiocres dues à <strong>de</strong>s étudiants iraniens ayant séjourné à l’étranger.<br />
De plus, elles étaient interprétées par <strong>de</strong>s troupes qui ignoraient les <strong>de</strong>rnières avancées dans le domaine du<br />
théâtre. C’est alors que la cour du shah impose le théâtre d’avant-gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années 1960 à la communauté<br />
artistique du pays. De ce fait, le théâtre <strong>de</strong>vient une forme artistique réservée à une certaine élite intellectuelle.<br />
Et, tandis que l’État apportait son soutien à <strong>de</strong> nombreuses productions avant-gardistes et<br />
expérimentales, <strong>de</strong>s troupes indépendantes – marxistes et opposées au shah – bravaient la censure sévère et<br />
présentaient <strong>de</strong>s pièces très engagées et contestataires.<br />
La révolution iranienne <strong>de</strong> 1979 frappe le mon<strong>de</strong> culturel <strong>de</strong> nombreuses interdictions. Dans le chaos <strong>de</strong> la révolution,<br />
les artistes soutenus par l’État pendant le règne du shah sont poursuivis en tant que royalistes, tandis<br />
que ceux qui avaient lutté contre le régime en raison <strong>de</strong> leurs convictions marxistes, le sont également,<br />
accusés d’être communistes et athées. La plupart <strong>de</strong>s artistes qui échappent à la prison déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> fuir l’Iran<br />
ou d’en finir avec la vie, ne supportant plus la guerre ou la pression psychique que le régime exerçait alors sur<br />
eux.<br />
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Vient ensuite la guerre contre l’Irak et l’embargo économique américain, pério<strong>de</strong> pendant laquelle l’Iran ne<br />
dispose plus <strong>de</strong> fonds à consacrer à la culture. Au début <strong>de</strong>s années 1980, le théâtre iranien est d’abord et<br />
avant tout un outil <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> religieuse. L’État apporte son soutien à <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong>stinés à toucher le<br />
plus possible <strong>de</strong> spectateurs. Pour contourner la censure, les rares écrivains et metteurs en scène indépendants<br />
travaillent à <strong>de</strong>s pièces aux sujets mythologiques ou symboliques, à mille lieues <strong>de</strong>s préoccupations<br />
quotidiennes <strong>de</strong>s Iraniens aux prises avec huit ans <strong>de</strong> guerre. La population était alors trop préoccupée par sa<br />
propre subsistance pour s’intéresser au théâtre ; les artistes du théâtre se tournent quant à eux vers le cinéma,<br />
domaine dans lequel ils pouvaient au moins satisfaire leurs besoins financiers.<br />
Neuf ans après la fin <strong>de</strong> la guerre, en 1997, Mohamad Khatami est élu prési<strong>de</strong>nt. Il entre dans l’arène politique<br />
sous la <strong>de</strong>vise « construction culturelle et démocratie » et réhabilite la culture et la civilisation <strong>de</strong> l’ancienne<br />
Perse. Depuis la révolution, l’État avait entièrement désavoué cette civilisation qu’il considérait comme un héritage<br />
du régime précé<strong>de</strong>nt, en raison <strong>de</strong> son instrumentalisation par le shah. Lorsque Khatami accè<strong>de</strong> au<br />
pouvoir, les artistes du théâtre retrouvent le chemin <strong>de</strong>s salles <strong>de</strong> spectacle, le poids <strong>de</strong> la censure diminue<br />
fortement, et les sujets symboliques et mythologiques <strong>de</strong>s spectacles sont remplacés par <strong>de</strong>s thèmes liés aux<br />
préoccupations quotidiennes <strong>de</strong> la population iranienne. De nombreuses nouvelles troupes <strong>de</strong> théâtre voient<br />
le jour, parmi lesquelles le Mehr Theatre Group <strong>de</strong> Chiraz.<br />
Le Mehr Theatre Group propose à l’époque une vision du théâtre sensiblement différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s critiques<br />
et du milieu théâtral <strong>de</strong> Chiraz, ville située à quelque 900 kilomètres au sud <strong>de</strong> Téhéran. Lors <strong>de</strong> ses répétitions,<br />
il accordait beaucoup d’importance au silence, à la concentration et à l’analyse du jeu d’acteurs dans le<br />
cinéma occi<strong>de</strong>ntal <strong>de</strong>s années 1960 et 1970 (en raison <strong>de</strong>s différents embargos politiques et économiques, la<br />
troupe disposait seulement <strong>de</strong> copies illégales <strong>de</strong> films contestataires réalisés par <strong>de</strong>s cinéastes européens et<br />
américains <strong>de</strong> ces années-là – Martin Scorsese, Ingmar Bergman et Andrzej Wajda). Comme ses membres<br />
étaient jeunes, inexpérimentés et éloignés <strong>de</strong>s tendances théâtrales en vogue dans la capitale, la compagnie<br />
développe son propre style, qui apparaît dès ses premiers spectacles. Pendant une année, un théâtre bien<br />
équipé <strong>de</strong> Chiraz est d’ailleurs mis gratuitement à sa disposition.<br />
Œuvre théâtrale <strong>de</strong> Koohestani<br />
Comme beaucoup <strong>de</strong> spectacles du Mehr Theatre Group, la première pièce d’Amir Reza Koohestani, The Murmuring<br />
Tales (1999), est mise en scène <strong>de</strong> manière réaliste. (Certains membres <strong>de</strong> la compagnie allaient se distancier<br />
d’une telle approche par la suite.) Dans ses créations ultérieures, le réalisme <strong>de</strong> l’action contraste avec<br />
le surréalisme du décor et du texte.<br />
La scénographie est un élément clé dans le travail <strong>de</strong> Koohestani. La plupart du temps, il ébauche le décor<br />
avant même <strong>de</strong> commencer à écrire le texte. Dans Dance on Glasses (2001), une pièce sur la relation entre un<br />
garçon et une fille, il installe les acteurs aux <strong>de</strong>ux extrémités d’une table <strong>de</strong> quatre mètres <strong>de</strong> long, mettant<br />
ainsi en évi<strong>de</strong>nce l’impossibilité d’une réelle communication entre eux. Dans cette pièce, l’auteur cherche à<br />
créer <strong>de</strong>s personnages et <strong>de</strong>s dialogues en adéquation avec l’immobilité et le silence qu’il veut installer sur<br />
scène. Pendant la représentation, les spectateurs, à l’instar <strong>de</strong>s personnages, sont répartis suivant leur sexe<br />
en <strong>de</strong>ux groupes placés face à face. Si ces <strong>de</strong>ux groupes peuvent sembler complémentaires, ils sont incapables<br />
<strong>de</strong> communiquer entre eux. Lors <strong>de</strong>s représentations <strong>de</strong> Koohestani, les spectateurs sont installés près <strong>de</strong> la<br />
scène, ce qui leur permet d’entendre les acteurs chuchoter : ils se retrouvent ainsi dans la position <strong>de</strong> voyeurs<br />
en train d’épier la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s personnages. C’est particulièrement perceptible dans Dance on Glasses, Recent<br />
Experiences et Quartet.
Le thème <strong>de</strong> l’incommunicabilité est abordé selon d’autres perspectives dans les pièces plus récentes <strong>de</strong> Koohestani.<br />
Dans Einzelzimmer (2006), une mère et son fils parlent <strong>de</strong> leur relation difficile, mais aucun d’eux ne<br />
peut entendre ce que dit l’autre. Lorsque les personnages <strong>de</strong> la pièce Amid the Clouds (2005) désirent exprimer<br />
leurs pensées et sentiments secrets, ils se détournent <strong>de</strong> l’acteur assis en face d’eux et s’adressent au public.<br />
Dans Dry Blood and Fresh Vegetables (2007), longue conversation téléphonique ininterrompue entre une<br />
mère et sa fille, les personnages passent l’un à côté <strong>de</strong> l’autre sans se voir. Si les protagonistes restent généralement<br />
assis dans les spectacles d’Amir, ceux <strong>de</strong> cette pièce sont sans cesse en mouvement. Dans Dance on<br />
Glasses et Quartet, l’immobilité <strong>de</strong>s personnages fait allusion au sentiment <strong>de</strong> honte qu’ils partagent. Ils ne<br />
sont pas contraints <strong>de</strong> rester assis, il leur manque sans doute la force <strong>de</strong> se lever.<br />
Amir écrit <strong>de</strong>s textes très réalistes. Il n’essaie pas d’impressionner le public par un langage châtié, mais recourt<br />
plutôt à la langue <strong>de</strong> tous les jours et fait même exprès d’écrire <strong>de</strong>s phrases incorrectes. En préparant<br />
Quartet, par exemple, il a <strong>de</strong> temps à autre modifié les dialogues car il les trouvait trop parfaits, trop corrects<br />
ou trop nets.<br />
De plus amples informations sur Quartet: A Journey to North seront bientôt disponibles sur notre<br />
site www.kfda.be.<br />
37
DANCE - RIO DE JANEIRO<br />
Bruno Beltrão /<br />
Grupo <strong>de</strong> Rua<br />
Le « Grupo <strong>de</strong> Rua » a été fondé en 1996 à Rio <strong>de</strong> Janeiro sous l'impulsion du chorégraphe Bruno Beltrão qui a<br />
marqué un lien entre le hip hop et la danse contemporaine. Si à ses débuts le vocabulaire scénique <strong>de</strong> la compagnie<br />
se limite aux «street dances», bien vite prédomine la volonté <strong>de</strong> voir converger les cultures populaire<br />
et académique. En 2002, GR débute une carrière internationale, programmé dans d'importants festivals et<br />
salles <strong>de</strong> spectacle <strong>de</strong> renommée mondiale.<br />
Leur <strong>de</strong>rnier projet H 2 a été coproduit par 7 institutions européennes et festivals : Springdance Festival, Tanzhaus,<br />
Hebbel Theater, le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts, les Wiener Festwochen, le Festival d'Automne et la Ferme du<br />
Buisson. Par cette production Beltrão a été nommé « chorégraphe émergent <strong>de</strong> l'année » par le magazine Ballettanz,<br />
une <strong>de</strong>s publications européennes les plus réputées en matière <strong>de</strong> danse.
H3 CRÉATION<br />
La Raffinerie<br />
12, 13, 15, 16, 18/05 > 20:30<br />
17/05 > 22:00<br />
€ 15 / € 10<br />
Meet the artists after the performance on 13/05<br />
Mise en scène: Bruno Beltrão (assist. Ugo Alexandre)<br />
Chorégraphie: Bruno Beltrão<br />
Avec: Bruno Duarte, Bruno Williams, Charlie Felix, Danilo Pereira, Eduardo Hermanson, Filipi <strong>de</strong> Moraes,<br />
Kristiano Gonçalves, Luiz Claudio Souza<br />
Producteur exécutif: Mariana Beltrão<br />
Présentation: La Raffinerie – Charleroi/Danses, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Grupo <strong>de</strong> Rua (Rio <strong>de</strong> Janeiro)<br />
Coproduction: Festival d’Automne à Paris / Ferme du Buisson (Marne-la-Vallée), Le Grand Théâtre <strong>de</strong> Luxembourg,<br />
International Arts Festival, Salamanca 2008 – Junta <strong>de</strong> Castilla y León, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec la collaboration <strong>de</strong> Hebbel-Am-Ufer (Berlin)<br />
39
Quand le déplacement <strong>de</strong>vient un nouvel horizon - Nayse Lopez<br />
Le nouveau spectacle audacieux <strong>de</strong> Bruno Beltrão, H3, est une poursuite du questionnement soulevé dans son<br />
spectacle précé<strong>de</strong>nt, le très applaudi H2.<br />
Dans H2, Bruno Beltrão a découvert un moyen <strong>de</strong> mettre en mouvement le vocabulaire du hip-hop, d’habitu<strong>de</strong><br />
immobile. En tant que suite, H3 introduit un flux continu <strong>de</strong> corps. Ce n’est là qu’un <strong>de</strong>s divers aspects par lesquels<br />
le nouveau spectacle <strong>de</strong> Bruno Beltrão et son Grupo <strong>de</strong> Rua peut être considéré comme la suite <strong>de</strong> H2. H3<br />
propose une nouvelle série <strong>de</strong> questions qui émerge <strong>de</strong>s scènes et <strong>de</strong>s gestes <strong>de</strong> l’œuvre précé<strong>de</strong>nte. Dans H3,<br />
Beltrão fait preuve d’une approche plus complexe <strong>de</strong> la chorégraphie, qui annonce <strong>de</strong> nouvelles influences. Au<br />
cours <strong>de</strong> la première semaine d’avril, par un magnifique après-midi ensoleillé, Beltrão et ses danseurs sont<br />
réunis dans sa ville natale, à une <strong>de</strong>mi-heure en voiture <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong> Janeiro, pour répéter les scènes et mettre au<br />
point la version définitive du spectacle, dont la première aura lieu le 12 mai prochain dans le cadre du Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
08. Le studio est cerné par une ligne horizontale et une rangée <strong>de</strong> fenêtres à travers lesquelles<br />
différents carrés <strong>de</strong> lumière filtrent sur le sol en béton. « Je pense recréer la même ambiance sur<br />
scène, » dit-il, « juste cette atmosphère et la ban<strong>de</strong> sonore. Un décor fidèle à ce que nous faisons, à l’environnement<br />
original <strong>de</strong> cette création. » Contrairement à d’autres compagnies <strong>de</strong> hip-hop, Beltrão et GR n’essaient<br />
pas <strong>de</strong> porter la rue à la scène. Leur objectif est <strong>de</strong> porter à la scène leur vocabulaire et la nouvelle série <strong>de</strong><br />
questions que celui-ci pose à la danse contemporaine. H3 est une hypothèse en mouvement.<br />
Commençons par la question du flux. H2 s’achevait sur une scène où tous les danseurs exploraient les limites<br />
<strong>de</strong> l’espace scénique. Chaque moment <strong>de</strong> H2 reflétait un sens <strong>de</strong> l’espace délimité, partagé entre « en scène » et<br />
« hors scène ». Cette fois-ci, il y a à nouveau un espace scénique et un espace hors <strong>de</strong> la scène, mais les corps<br />
traversent les frontières <strong>de</strong> façon bien moins formelle, quasi en flottant. À d’autres moments, un duo ou un<br />
trio se dissout et les danseurs continuent leur chemin. Au bout d’un moment, ces trajectoires scéniques tracent<br />
une sorte <strong>de</strong> carte complexe. Pour le hip-hop, un vocabulaire hautement territorial est une approche subversive<br />
<strong>de</strong> l’espace.<br />
Le sol lui-même est quasi un danseur dans H3. Il y a neuf hommes sur scène. Le spectacle présente une approche<br />
différente et plus directe <strong>de</strong> la chute et <strong>de</strong> la gravitation, reflétant la recherche effectuée par Beltrão et<br />
sa compagnie pour cette création : comment innover le rapport au sol dans le hip-hop et la danse contemporaine.<br />
Le résultat est vibrant et inattendu : les danseurs maîtrisent bien mieux leurs mouvements, mais retiennent<br />
l’énergie explosive <strong>de</strong> la rue. Dans certains duos, on croit même reconnaître <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong><br />
jambes et du torse inspirés <strong>de</strong> la capoeira, ce qui est à la fois surprenant et compréhensible, dans la mesure<br />
où, au Brésil, la plupart <strong>de</strong>s danses urbaines tirent leurs origines <strong>de</strong> la capoeira.<br />
En matière d’images, Beltrão a choisi d’explorer, ou plutôt <strong>de</strong> décomposer quelques mouvements propres au<br />
hip-hop. Le «little ball» par exemple : se rouler par terre est le premier mouvement sur le sol qu’un danseur <strong>de</strong><br />
hip-hop est amené à exécuter. Beltrão s’en sert pour établir un nouveau tracé sur le sol. La course arrière, un<br />
mouvement hétérodoxe pour une danse historiquement frontale, revient sur plusieurs mo<strong>de</strong>s et joue un rôle<br />
central dans la présentation <strong>de</strong>s corps hautement entraînés <strong>de</strong>s danseurs, à partir d’une autre perspective.<br />
Mais les danseurs eux-mêmes sont initiés à une nouvelle perspective dans H3. Une perspective difficile, fort<br />
étrangère au hip-hop : l’interaction avec un autre corps.<br />
H3, composé <strong>de</strong> bon nombre <strong>de</strong> duos et <strong>de</strong> trios, pose la question suivante : comment gérer le contact physique<br />
dans le cadre du hip-hop, danse solitaire par excellence ? À l’instar du ballet, le hip-hop exige <strong>de</strong> la virtuosité :
une succession d’activités neuromotrices doit être exécutée en à peine quelques secon<strong>de</strong>s. Cela a donné un vocabulaire<br />
dans lequel le corps <strong>de</strong> l’autre danseur est, au mieux, un soutien (ce qui, encore une fois, ne diffère<br />
pas tant du ballet). Dans H3, Beltrão étudie la potentialité d’un contact véritable, d’un pas-<strong>de</strong>-<strong>de</strong>ux véritable en<br />
style hip-hop. Le résultat n’est pas toujours parfait, mais Beltrão n’est pas en quête <strong>de</strong> solution idéale. H3 soulève<br />
alors une nouvelle question : comment amener ces danseurs à prendre conscience du corps <strong>de</strong> l’autre et à<br />
s’appuyer sur lui ? Peuvent-ils accepter que le corps d’un autre puisse et doive modifier leur propre performance<br />
?<br />
Le contact physique est un tabou dans le hip-hop et un cliché dans la danse contemporaine. Entre les <strong>de</strong>ux,<br />
pouvons-nous, en tant que public, repérer et sentir un rapport avec le contact établi sur scène par les hommes<br />
qui interprètent H3 ? Que recherchons-nous ? Le contact peut-il, paradoxalement, être un mur <strong>de</strong> séparation ?<br />
Dans H2, Beltrão a transformé un baiser provocateur entre <strong>de</strong>ux hommes en un jalon politique et artistique<br />
dans le hip-hop. Cette rencontre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux corps concernait la transgression d’une barrière culturelle. Cette<br />
fois, Beltrão propose au hip-hop d’adopter le contact en tant qu’outil, mais <strong>de</strong> façon distincte du contact dans<br />
l’improvisation ou dans d’autres techniques <strong>de</strong> danse. Il n’offre cependant pas <strong>de</strong> réponses définitives.<br />
Au même titre que d’autres spectacles <strong>de</strong> Beltrão, H3 est une expérience particulière. Dans son brassage <strong>de</strong> références,<br />
l’art contemporain rencontre la street dance. Bien qu’il soit l’un <strong>de</strong>s jeunes artistes les plus importants<br />
du Brésil, Beltrão et sa compagnie ne survivent que grâce à <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s étrangères ; jusqu’à présent ils<br />
n’ont bénéficié d’aucun soutien financier, ni <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s autorités publiques ni du secteur privé. Les danseurs<br />
sont issus du mon<strong>de</strong> du hip-hop et <strong>de</strong> la street dance et ne partagent pas <strong>de</strong> formation artistique commune.<br />
Ils sont toutefois encouragés à lire et à établir un rapport entre leur art et la théorie et l’analyse du<br />
mouvement. Pendant les répétitions, <strong>de</strong>s photocopies <strong>de</strong> textes <strong>de</strong> Laban et <strong>de</strong> Bergson sont disposées sur la<br />
table. Des livres, <strong>de</strong>s enregistrements en format mp3 et en vidéo sont disponibles. Beltrão a l’esprit d’un DJ,<br />
une caractéristique typique <strong>de</strong> sa génération.<br />
Préparant sa nouvelle première, Beltrão (28 ans) discute avec les garçons du rythme <strong>de</strong> certains trios, s’énerve<br />
à propos d’une scène <strong>de</strong> groupe qui n’est pas aboutie. Il est honnête et m’avoue qu’il a du mal à mettre au point<br />
la ban<strong>de</strong> sonore. Après un autre après-midi d’exercices physiques intenses, les danseurs s’assoient à côté <strong>de</strong><br />
moi et me parlent <strong>de</strong>s difficultés du spectacle. Tandis que Beltrão et son assistant sont en pleine discussion,<br />
certains danseurs ramassent leurs affaires et se préparent à partir pendant qu’un groupe <strong>de</strong> musiciens s’installe<br />
dans un coin. La salle <strong>de</strong> répétition qu’ils louent pour la journée se transforme en salle <strong>de</strong> bal le soir.<br />
Lorsqu’ils quittent la salle, j’imagine la soirée et les couples qui viendront danser tout à l’heure. En conduisant<br />
sur l’immense pont qui sépare et relie nos villes, je pense au flux <strong>de</strong>s corps et à la structure que Beltrão<br />
propose dans ce spectacle, et je ne peux m’empêcher <strong>de</strong> penser à quel point danser ensemble peut être problématique.<br />
41
THEATRE - BRUXELLES<br />
Zouzou Leyens<br />
Zouzou Leyens est metteure en scène et scénographe. Après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> scénographie à La Cambre et l'EN-<br />
SAV, elle se lance en tant que conceptrice <strong>de</strong> décors et <strong>de</strong> costumes dans le théâtre, la danse et le cinéma. En<br />
1997, elle saisit l'opportunité qui lui est offerte d'enseigner la scénographie au Maroc. La rencontre d'une culture<br />
différente et jusqu'alors inconnue pour elle, sera décisive pour la suite <strong>de</strong> son parcours artistique. Avec<br />
Catherine Bernad et Didier Escole, elle fon<strong>de</strong> la Cie Transatlantique, à Rabat, où elle anime parallèlement un<br />
atelier pour comédiens professionnels et amateurs pendant un an. Revenue en Belgique, Zouzou Leyens crée<br />
le spectacle Un Sapin chez les Ivanov (2001), un projet réunissant <strong>de</strong>s comédiens belges et marocains.En mai<br />
2004, le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts a présenté In the Forest is a Monster, dans lequel elle se penche sur la notion<br />
d'exil à partir <strong>de</strong> diverses perspectives.
CRÉATION<br />
MONELLE<br />
Théâtre Les Tanneurs<br />
13, 14, 15, 16/05 > 20:30<br />
17/05 > 18:00<br />
€ 15 / € 10<br />
FR > NL<br />
Meet the artists after the performance on 14/05<br />
Conception et mise en scène: Zouzou Leyens (assist. Dir. Guillemette Laurent)<br />
Avec: Cécile Bournay, Marie Bos, Yoann Demichelis, Didier Escole, Eva Dubar, Ma<strong>de</strong>leine Fonteyn<br />
Interprétation musicale: Miquel Casaponsa<br />
Création costumes: Catherine Bernad<br />
Création lumières: Reynaldo Ramperssad<br />
Création sonore: Aernoudt Jacobs<br />
Images, mannequins, objets scéniques: Thierry Gillet<br />
Scénographie: Raphaël Rubbens<br />
Présentation: Théâtre Les Tanneurs, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Cie TransatlantiK en rési<strong>de</strong>nce au Théâtre Les Tanneurs<br />
Coproduction: Théâtre Les Tanneurs, Kunstenfesival<strong>de</strong>sarts<br />
43
Quelques questions pour abor<strong>de</strong>r le travail <strong>de</strong> Zouzou Leyens - Bruno Tackels<br />
Il y a une constante dans votre travail : faire du théâtre avec <strong>de</strong>s mots qui ne proviennent pas du théâtre.<br />
Vous semblez, au théâtre, vous méfier <strong>de</strong> tous les effets <strong>de</strong> théâtre (du moins tous les effets <strong>de</strong> théâtralité).<br />
D’où vient cette méfiance ? Et comment lutter contre le retour du théâtral ?<br />
Je cherche à construire le plateau à partir <strong>de</strong>s mots, d’une langue, d’une musicalité. Et, à travers l’écriture scénique,<br />
je tente <strong>de</strong> rendre tangible la part qui me semble fondamentale <strong>de</strong> la littérature, la relation entre le fond<br />
et la forme. J’essaie <strong>de</strong> trouver une équivalence entre l’écriture scénique et la forme que les auteurs donnent à<br />
leurs textes. Les textes que je choisis ont chacun une construction forte, avec un sens intrinsèque. Ce sont les<br />
mots qui gui<strong>de</strong>nt toute la recherche. Ensuite le texte peut se dissoudre sur le plateau et disparaître pour laisser<br />
la place à ce qui le porte, les corps, le temps, une tension. Bien que partant <strong>de</strong>s mots, je ne crois pas m’inscrire<br />
dans une tradition théâtrale. Souvent je me méfie <strong>de</strong> ce que je sais ou peux <strong>de</strong>viner. J’ai besoin qu’un<br />
spectacle m’emmène là où je crois ne pouvoir jamais aller toute seule. Je crois que je ne supporte pas tout cerner,<br />
il faut qu’il y ait un ailleurs, un hors plateau, un hors-champ sensitif. Il faut que la pensée continue au-<strong>de</strong>là<br />
du spectacle.<br />
Votre travail semble partir d’une écriture qui trouve son origine sur la scène. On a le sentiment très fort que<br />
c’est <strong>de</strong> cette écriture <strong>de</strong> plateau que naît la narration. Et non l’inverse, qui est la règle commune : le spectacle<br />
naît très majoritairement <strong>de</strong> la source littéraire ou est construit à partir d’une fable pré-écrite. Vous retrouvez-vous<br />
dans cette notion d’écriture <strong>de</strong> plateau ?<br />
Toute mon approche du théâtre part d’un désir d’interroger les sensations, d’où peut jaillir la compréhension,<br />
et non l’inverse. Je cherche à toucher le vif <strong>de</strong> la perception. Je tente <strong>de</strong> ne jamais me laisser aller à l’explication<br />
mais <strong>de</strong> toucher du bout <strong>de</strong>s mots, du bout <strong>de</strong>s yeux et <strong>de</strong>s oreilles, ce qui me parvient comme sentiment fort à<br />
la lecture d’un texte. Et ce n’est jamais l’histoire seule mais la façon dont elle est racontée. Les histoires humaines<br />
me bouleversent pour ce qu’elles sont, dans les interviews, dans les documentaires. Mais dans la fiction,<br />
il s’agit <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s formes pour soulever le réel.<br />
J’aime cette expression « écrire le plateau ». Elle correspond à mes préoccupations : tenter <strong>de</strong> trouver une équivalence<br />
sur le plateau à l’acte d’écriture pour l’écrivain qui occupe sa feuille <strong>de</strong> ses mots.<br />
Quand on part d’une matière non théâtrale, comme pour votre projet actuel (vous faites passer au théâtre Le<br />
Livre <strong>de</strong> Monelle <strong>de</strong> Marcel Schwob), comment s’y prend-on ? Y a-t-il une métho<strong>de</strong> ?<br />
Je travaille beaucoup en amont du spectacle, par couches successives. Le travail commence par <strong>de</strong>s lectures et<br />
<strong>de</strong>s recherches très larges. Avec Catherine Bernad, nous nous lançons dans une quête <strong>de</strong> textes, d’images, <strong>de</strong><br />
films qui ouvrent l’imaginaire. Ici, j’ai convoqué mon équipe régulièrement sur <strong>de</strong>s petits « laboratoires » <strong>de</strong> recherche,<br />
<strong>de</strong>puis plus d’un an. Nous n’abordons le texte <strong>de</strong> front que très tardivement. J’entame <strong>de</strong>s petites recherches<br />
sur tous les aspects du plateau en même temps, sauf le texte. Je tente alors <strong>de</strong> trouver l’univers propre<br />
au texte avant <strong>de</strong> m’y confronter dans les mots. C’est comme un travail en périphérie. Et <strong>de</strong> couche en couche,<br />
on s’approche <strong>de</strong> ce qui sera le centre. Alors le texte apparaît. Étrangement, c’est toujours à travers un travail<br />
sur le corps et les sons que je commence mes mises en scènes.<br />
Ici, nous avons tenté <strong>de</strong> comprendre <strong>de</strong> l’intérieur le projet <strong>de</strong> Schwob, qui se révèle être aussi une sorte <strong>de</strong> manifeste<br />
sur l’acte <strong>de</strong> création : « rien n’est nouveau en ce mon<strong>de</strong> que les formes. Mais il faut détruire les formes<br />
», « car toute création vient <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction », « Ne fais point <strong>de</strong> liaisons entre les choses ».<br />
Ce texte comporte au moins trois niveaux <strong>de</strong> lecture.
On peut le lire <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue (manifeste <strong>de</strong> l’acte <strong>de</strong> création, ici l’écriture).<br />
Ou du point <strong>de</strong> vue du narrateur qui, à <strong>de</strong> multiples reprises, tente <strong>de</strong> convoquer l’image <strong>de</strong> Monelle, la disparue,<br />
la déjà-morte, qui se dissout dans son souvenir. Ou encore du point <strong>de</strong> vue du féminin, du <strong>de</strong>venir petite<br />
fille, <strong>de</strong> l’enfance comme figure emblématique <strong>de</strong> la perte. Tout cela je le sentais, mais ne l’avais pas encore déchiffré.<br />
Chaque partie étant inscrite dans un genre littéraire différent, nous nous y sommes glissés instinctivement.<br />
Pour « les paroles <strong>de</strong> Monelle » (première partie), avec Marie et Miquel, nous avons abordé ce long «<br />
poème » musicalement, cherchant à toucher la musicalité <strong>de</strong> chaque passage. D’autre part, j’ai <strong>de</strong>mandé à Miquel<br />
d’être, avec sa musique, celui qui écoute, celui qui reçoit le texte. Avec Thierry Gillet, qui travaille sur le<br />
plan <strong>de</strong>s images avec moi, nous nous sommes amusés à nous laisser aller à <strong>de</strong>s rêveries monelliques. Nous<br />
avons réalisé une série <strong>de</strong> petits films que nous inspirait l’univers <strong>de</strong> Monelle. Ils seront à peine visibles sur le<br />
plateau mais ont été déterminant dans mon approche <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> à la limite du fantastique que sont les<br />
contes. J’ai choisi <strong>de</strong> confier le « rôle » du narrateur, qui porte toute la troisième partie, à Yoann, qui est danseur.<br />
Je voulais abor<strong>de</strong>r à partir du corps ce personnage masculin qui tente <strong>de</strong> raconter Monelle.<br />
Il s’est <strong>de</strong>ssiné <strong>de</strong> plus en plus clairement que l’ensemble <strong>de</strong> ce texte portait en lui ce que j’appelle pompeusement<br />
« l’esthétique <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction » : <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la parole par elle-même (dans la première partie), <strong>de</strong>struction<br />
<strong>de</strong> la narration dans les contes (secon<strong>de</strong> partie), <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la représentation <strong>de</strong> Monelle dans la<br />
troisième partie. Je tente à travers chaque partie <strong>de</strong> déconstruire la forme pour faire jaillir quelque chose <strong>de</strong><br />
nouveau, <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la sensation.<br />
Parlant du diptyque en cours (le travail sur Marcel Schwob associé à une recherche autour <strong>de</strong> Gilles <strong>de</strong> Rais<br />
et <strong>de</strong> la figure du petit Poucet), vous évoquez comme titre générique : La Perte <strong>de</strong> l’enfance. Que faut-il entendre<br />
par là ?<br />
Ces <strong>de</strong>ux projets parlent <strong>de</strong> l’enfance et du moment <strong>de</strong> sa perte. L’enfance est un lieu <strong>de</strong> passage nécessaire qui<br />
détient en elle la force <strong>de</strong> tous les possibles. C’est aussi ce qui nous rattache à notre naissance. Nous avons<br />
tous plus ou moins conscience <strong>de</strong> l’enjeu <strong>de</strong> ce passage obligé qu’est l’enfance, et la peur <strong>de</strong> la perdre nous<br />
amène à la rejouer, interminablement, comme se rejouent les légen<strong>de</strong>s et autres récits fondateurs.<br />
Dans le Livre <strong>de</strong> Monelle, le narrateur part à la recherche <strong>de</strong> l’être aimé, au féminin. Cet être féminin, il lui<br />
donne les caractères <strong>de</strong> l’enfant et <strong>de</strong> la femme. Ce n’est pas une femme-enfant. Il s’agit <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong><br />
beaucoup plus subtil que ça… On pourrait le nommer « le <strong>de</strong>venir petite fille », cela ressemble à une libération.<br />
L’auteur-narrateur, en ayant perdu Monelle, a peut-être perdu sa propre enfance et en convoquant Monelle, il<br />
convoque sa propre enfance qui le libérera d’elle-même. Acceptant le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> Monelle, c’est le <strong>de</strong>uil d’une part<br />
<strong>de</strong> lui-même qu’il accepte. On ne peut s’attar<strong>de</strong>r dans son enfance parce qu’on y « étoufferait », mais nous pouvons<br />
la convoquer momentanément pour affronter une part du réel qui semble invivable.<br />
En la rejouant, nous la perdons, et cela à l’infini.<br />
Dans Le livre <strong>de</strong> Monelle <strong>de</strong> Marcel Schwob, outre cette question <strong>de</strong> l’enfance, ce qui apparaît immédiatement<br />
est la perte <strong>de</strong> l’être aimé, l’impossibilité <strong>de</strong> conserver l’amour, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’instant éternel (que seule la littérature<br />
peut sauver). Comment traduire ce cruel constat au théâtre, en évitant le piège du pathos, mais<br />
aussi celui <strong>de</strong> la froi<strong>de</strong> analyse clinique ?<br />
La perte <strong>de</strong> l’être aimé est le point central <strong>de</strong> ce texte et donc <strong>de</strong> mes préoccupations sur ce travail.<br />
Schwob a écrit ce texte après la mort <strong>de</strong> sa jeune fiancée. Monelle est une figure, au sens où elle se rattache à<br />
tout un ensemble <strong>de</strong> figures féminines <strong>de</strong> la littérature ; <strong>de</strong> Dostoïevki à <strong>de</strong> Quincey : la figure <strong>de</strong> l’être aimé, à<br />
jamais perdu.<br />
Il lui donne une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> formes – elle n’apparaît pas <strong>de</strong>ux fois la même. Il n’y a pas <strong>de</strong> réel personnage<br />
45
Monelle, et donc pas <strong>de</strong> psychologie possible non plus. Il en fait une figure, emblématique, mais plus il tente <strong>de</strong><br />
la cerner, <strong>de</strong> la toucher, plus elle lui échappe et se dissout. Plus il l’idéalise et plus elle disparaît jusqu’à ne <strong>de</strong>venir<br />
qu’une voix.<br />
Sur le plateau, je cherche à toucher l’incapacité du narrateur à redonner vie à la figure <strong>de</strong> Monelle. Plus il s’essaie<br />
à retrouver le souvenir d’elle et plus son incarnation se dissout. Le « narrateur » tente <strong>de</strong> redonner vie au<br />
corps « vidé » <strong>de</strong> la fillette. Lorsqu’il y parvient, elle lui échappe encore une fois. Finalement, il tente, une <strong>de</strong>rnière<br />
fois, à travers son propre corps, <strong>de</strong> retrouver le souvenir <strong>de</strong> Monelle. Il aura fait le trajet jusqu’à lui-même<br />
et pourra se libérer du souvenir <strong>de</strong> Monelle, qui l’enfermait dans une répétition infinie.<br />
Il y a échec mais aussi libération. C’est un double mouvement. Un élan vital.
THEATRE - AUCKLAND<br />
Lemi Ponifasio / MAU<br />
Lemi Ponifasio est né dans le village <strong>de</strong> Lano, dans les îles <strong>de</strong> Samoa où il est considéré comme un chef respecté.<br />
Il assure le développement <strong>de</strong>s arts Pacifiques, <strong>de</strong> la danse et du théâtre. C'est en Nouvelle-Zélan<strong>de</strong>, où<br />
il a étudié la philosophie et la politique, qu'il s'est pour la première fois essayé aux performances. Il a eu l'occasion<br />
<strong>de</strong> s'adonner au ballet et à la danse contemporaine avant <strong>de</strong> se consacrer pleinement à la création <strong>de</strong><br />
danse. Chorégraphe provocateur et inspiré, il insuffle à la danse un univers habité d'humains, d'oiseaux, <strong>de</strong><br />
dieux, <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-dieux, <strong>de</strong> chants, d'animaux et d'ancêtres. Aux frontières <strong>de</strong> la danse, du théâtre, <strong>de</strong> la déclamation<br />
et <strong>de</strong>s arts visuels, ses performances revêtent un caractère rituel marqué. Ponifasio fon<strong>de</strong> MAU en<br />
1995, une compagnie ainsi dénommée pour faire référence au mouvement indépendantiste éponyme et ainsi<br />
rappeler la révolution. Ponifasio multiplie les collaborations dans la région du Pacifique avec artistes, navigateurs,<br />
prêtres, architectes et villages. Il présente régulièrement ses créations à l'occasion <strong>de</strong> festivals internationaux<br />
<strong>de</strong> premier ordre tels que la Biennale <strong>de</strong> Venise, le Holland Festival, le Vienna Festival, l'A<strong>de</strong>lai<strong>de</strong><br />
Festival et le Theater Der Welt.<br />
47
TEMPEST II<br />
KVS-BOL<br />
15, 16, 17/05 > 20:00<br />
€ 15 / € 10<br />
EN > NL / FR<br />
1h 30 min<br />
CRÉATION<br />
Meet the artists after the performance on 16/05<br />
Symposium<br />
Suspension of Civil Rights KVS-TOP 17/05 > 15:00<br />
Concept, mise en scène et décor: Lemi Ponifasio<br />
Création lumières: Helen Todd<br />
Avec: Ensemble MAU<br />
Présentation: KVS, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: MAU (Auckland)<br />
Avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Creative New Zealand
TEMPEST II<br />
Tempest II est le troisième volet <strong>de</strong> la trilogie <strong>de</strong> Lemi Ponifasio qui inclut Paradise et Requiem.<br />
Dans Tempest II, Ponifasio abor<strong>de</strong> la question <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme et du pouvoir <strong>de</strong> l’Etat. Il met en scène le<br />
réfugié Ahmed Zaoui qui fut incarcéré pendant quatre ans - et sans le moindre procès - dans une prison <strong>de</strong><br />
haute sécurité en Nouvelle Zélan<strong>de</strong> ainsi que Tame Iti, un activiste vétéran Maori. Le 15 octobre 2007, la police<br />
effectua <strong>de</strong>s raids anti-terroristes dans sa communauté à Ruatoki. Tame Iti a été arrêté puis libéré sous caution.<br />
Tempest II est une pièce <strong>de</strong> théâtre qui se porte en direction <strong>de</strong> l’œuvre shakespearienne, mais ne constitue<br />
pas à proprement parler une interprétation ou une adaptation <strong>de</strong> celle-ci. Tempest II résulte davantage d’une<br />
collision entre la géographie insulaire <strong>de</strong> la pièce et les essais politiques du philosophe contemporain Giorgio<br />
Agamben, qui allègue dans l’époque contemporaine une suspension du droit et une régularisation <strong>de</strong> l’état<br />
d’exception, en vertu duquel la condition citoyenne à tout moment peut basculer dans l’in-condition du détenu<br />
et où l’organisation urbaine est transitive à celle du camp.<br />
Tempest II est une audition théâtrale dans <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> détention et <strong>de</strong> perte <strong>de</strong>s droits souverains. Tempest<br />
II a pour langage la danse et son éloquence manifeste la résurrection d’une voix indigène dans la narration<br />
<strong>de</strong>s conditions changeantes du droit politique - <strong>de</strong> l’équipée scientifique affectée à observer le transfert<br />
<strong>de</strong> Vénus coïncidant avec la conquête coloniale jusqu’à l’actuelle géopolitique du Pacifique réfléchissant la<br />
communauté globalisée <strong>de</strong> l’après 11 septembre.<br />
Tempest II est interprété par MAU, une compagnie d’acteurs qui viennent <strong>de</strong> l’autre côté du Pacifique. L’espace<br />
<strong>de</strong> jeu <strong>de</strong> Tempest réfracte l’espace <strong>de</strong> la transparence, <strong>de</strong> la lumière, du rapport humain où rien n’est arrêté,<br />
où la négociation est toujours en cours.<br />
Vous trouverez <strong>de</strong> plus amples informations prochaînement sur notre site www.kfda.be<br />
49
THEATRE - BRUXELLES<br />
Clau<strong>de</strong> Schmitz<br />
Clau<strong>de</strong> Schmitz (°1979) est diplômé <strong>de</strong> l'Institut National Supérieur <strong>de</strong>s Arts du Spectacle et vit et travaille à<br />
Bruxelles. Depuis 2001, il oriente son travail <strong>de</strong> théâtre vers <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong> création dont il <strong>de</strong>vient progressivement<br />
l'auteur et le metteur en scène. Son écriture se développe autour <strong>de</strong> partitions scéniques et d'indications<br />
visuelles extrêmement précises (scénographie, lumière, déplacements), chaque spectacle faisant<br />
écho au précé<strong>de</strong>nt. Parmi les collaborateurs réguliers <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Schmitz, on retrouve, notamment, les interprètes<br />
Arié Man<strong>de</strong>lbaum et Fabien Dehasseler, le compositeur Thomas Turine, les scénographes Estelle Rullier<br />
et Raphaël Rubbens et la dramaturge Sabine Durand. En 2001, il réalise le workshop Choc Matière V à<br />
partir du texte éponyme <strong>de</strong> Gilles Duvivier. Puis, il crée successivement Red M.u.d.h I (2003) & II (2004). En<br />
2006, il écrit et met en scène Amerika, un constat poétique du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'après 11 septembre. Ce spectacle est<br />
créé en Gran<strong>de</strong> Halle aux Halles <strong>de</strong> Schaerbeek, dans le cadre du festival « Les Giboulées ».
THE INNER WORLDS / LE SOUTERRAIN - LE CHÂTEAU<br />
Halles <strong>de</strong> Schaerbeek<br />
Palais <strong>de</strong>s Beaux-Arts<br />
16, 17, 18, 19 & 20/05 > 20:00<br />
€ 15 / € 10<br />
FR > NL<br />
First part 1h 15 min<br />
(Break 1h15 min, we provi<strong>de</strong> a shuttle between the two venues)<br />
Second Part 1h15 min<br />
Meet the artists after the performance on 17/05<br />
CRÉATION<br />
Texte: Clau<strong>de</strong> Schmitz (assist. Monica Gomez)<br />
Mise en scène: Clau<strong>de</strong> Schmitz (assist. Edith Bertholet, appr. Carla Python)<br />
Concept: Clau<strong>de</strong> Schmitz<br />
Avec: Sandrine Blancke, Fabien Dehasseler, Victor Dubien, Bruce Ellison, Alexandre Man<strong>de</strong>lbaum, Arié Man<strong>de</strong>lbaum,<br />
Pierre Palmi<br />
Direction Technique: Fred Op <strong>de</strong> Beeck<br />
Scénographie, lumières et accessoires: Estelle Rullier & Raphaël Rubbens<br />
Musique et son: Thomas Turine<br />
Costumes: Marie-Frédérique Fillon<br />
Vidéo: Gaël Cleinov<br />
Maquillage: Rebecca Flores<br />
Maître-chien: Marguerite Aymon<br />
Présentation: Les Halles <strong>de</strong>s Schaerbeek, BOZAR, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Les Halles <strong>de</strong> Schaerbeek<br />
Coproduction: BOZAR, Théâtre National <strong>de</strong> la Communauté française, Le Ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> Bruxelles, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
En partenariat avec Les Brigittines, Théâtre Marni<br />
Avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Groupov, le Service Théâtre <strong>de</strong> la Communauté française Wallonie-Bruxelles<br />
51
Un spectacle plongé dans un océan d’histoires. propos recueillis par Elke Van Campenhout<br />
Dans The Inner Worlds, Clau<strong>de</strong> Schmitz crée un double univers : Le Château et Le Souterrain sont <strong>de</strong>s univers<br />
littéralement parallèles. L’un se situe à Bozar, l’autre aux Halles <strong>de</strong> Schaerbeek. Entre les <strong>de</strong>ux lieux, le<br />
Héros se fraye un chemin à travers ses obsessions : les images qui le poursuivent, les souvenirs qui le hantent.<br />
Pourquoi avez-vous opté pour une séparation explicite <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> représentation pour The Inner Worlds ?<br />
Dès le début, c’était une évi<strong>de</strong>nce pour moi : il fallait que l’histoire se déroule dans <strong>de</strong>ux lieux distincts. Je<br />
voulais que le public vive le voyage mental du Héros <strong>de</strong> manière littérale, concrète et physique. Le Château se<br />
situe à Bozar, parce que le hall d’entrée m’a d’emblée inspiré pour la scénographie.<br />
Les <strong>de</strong>ux espaces sont formellement très différents aussi. Dans Le Souterrain (qui se situe en <strong>de</strong>ssous du château),<br />
tout se déroule en boucle, les scènes se répètent, le public perd prise sur le temps, qui lui impose sa propre<br />
logique. Dans Le Château tout est clair et limpi<strong>de</strong>, la lumière est uniforme tout au long, il n’y a donc pas<br />
vraiment <strong>de</strong> temps ou <strong>de</strong> durée. Dans Le Souterrain il fait sombre, les objets et les personnages ne cessent<br />
d’apparaître et <strong>de</strong> disparaître en fonction d’une logique singulière. J’y fais principalement usage <strong>de</strong> la répétition<br />
et <strong>de</strong> l’intensification. Dans Le Château, je suis la structure classique <strong>de</strong>s trois actes : c’est entièrement<br />
transparent. Et ces <strong>de</strong>ux histoires avancent au fond chronologiquement en parallèle.<br />
The Inner Worlds renferme bon nombre <strong>de</strong> réminiscences d’autres récits, <strong>de</strong> contes et <strong>de</strong> mythes. Par ailleurs,<br />
<strong>de</strong>s échos <strong>de</strong> votre spectacle précé<strong>de</strong>nt, Amerika, surgissent aussi. Comment les intégrez-vous dans<br />
votre œuvre ?<br />
Dans ma pratique, une création découle toujours <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte. C’est aussi le cas pour ce spectacle : lorsque<br />
je travaillais à mon spectacle précé<strong>de</strong>nt, Amerika, <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong>s images, <strong>de</strong>s sentiments, <strong>de</strong>s bribes <strong>de</strong> scènes<br />
ont émergé, sans présenter <strong>de</strong> logique ou <strong>de</strong> cohérence interne apparente. D’autre part, je sentais au fond <strong>de</strong><br />
moi qu’il y avait quand même une cohésion, comme les pièces d’un puzzle qu’il faut recomposer pour pouvoir<br />
raconter une histoire. Je sais bien que ce n’est pas forcément vrai, mais cette fois-ci, tous les éléments que<br />
j’avais en tête paraissaient reliés par une simple dramaturgie d’associations.<br />
Les personnages et les lieux sont nés <strong>de</strong> mes intuitions personnelles, parfois <strong>de</strong> ma propre histoire. Mais il ne<br />
s’agit pas d’une autobiographie psychologique ou d’un portrait narcissique. La plupart <strong>de</strong>s thèmes et éléments<br />
narratifs sont glanés dans une mémoire culturelle commune : les mythes et les contes. Il y a <strong>de</strong>s références<br />
à Orphée, à Alice, à la structure <strong>de</strong>s contes, à toutes sortes <strong>de</strong> choses qui m’ont été transmises quand<br />
j’étais enfant.<br />
D’où vous vient votre intérêt pour les histoires partagées ?<br />
C’est très étrange, ces histoires apparaissent dans mes pièces sans crier gare : le petit Chaperon rouge, Dionysos,<br />
De Drie Sleutels 1 (les trois clés), qui reviennent dans tant <strong>de</strong> contes. J’ignore pourquoi. Il y a un chien <strong>de</strong><br />
gar<strong>de</strong> dans ma pièce, on pourrait y voir Cerbère qui gar<strong>de</strong> l’entrée <strong>de</strong> l’Hadès, mais établir ce lien n’est pas indispensable<br />
à la compréhension.<br />
Je crois que nous partageons une histoire universelle. Peut-être pas réellement universelle, car notre culture<br />
occi<strong>de</strong>ntale est assez spécifique, mais à l’intérieur <strong>de</strong> cet espace culturel, nous partageons <strong>de</strong> très nombreuses<br />
affinités : nous sommes obnubilés par la perte <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> l’innocence, nous avons peur <strong>de</strong>
l’obscurité. Ce genre d’histoires interpelle la plupart <strong>de</strong>s gens et va bien au-<strong>de</strong>là d’une histoire strictement<br />
personnelle.<br />
Votre spectacle suggère en même temps un message contemporain, une lecture bien plus politique <strong>de</strong>s événements.<br />
Oui, mais le grand récit n’est venu que par la suite. C’est alors que j’ai compris que les obsessions du Héros<br />
étaient celles <strong>de</strong>s idéologies occi<strong>de</strong>ntales et <strong>de</strong> l’Histoire du XXe siècle. Mais c’est une grille <strong>de</strong> lecture qui<br />
transcen<strong>de</strong> le spectacle, qui ne correspond pas fatalement à son sujet initial. Prenez Arié (Arié Man<strong>de</strong>lbaum),<br />
il incarne un roi qui, avec son fils Alexandre (Alexandre Man<strong>de</strong>lbaum), part en quête d’une terre à lui. L’agent<br />
immobilier qui leur vend le château est états-unien. Dans un premier temps, la référence à la « Terre promise »<br />
n’était pas un choix conscient, ces éléments se sont insinués petit à petit dans le récit.<br />
Vous dites vous-même qu’il y a un lien évi<strong>de</strong>nt entre vos différents spectacles, et vous travaillez souvent avec<br />
les mêmes comédiens. Dans quelle mesure avez-vous besoin <strong>de</strong> ce contexte <strong>de</strong> juxtaposition ?<br />
Je ne crée pas à partir d’un concept, je ne détermine pas à l’avance le sujet <strong>de</strong> mes spectacles. Je réagis toujours<br />
au spectacle précé<strong>de</strong>nt, chaque production est une réaction à ce qui l’a précédée. Si les comédiens reviennent<br />
régulièrement, ce n’est pas par principe <strong>de</strong> fidélité aux personnes avec lesquelles je travaille, mais<br />
parce que <strong>de</strong> spectacle en spectacle, ils continuent à mo<strong>de</strong>ler le rôle qu’ils jouent, à construire un personnage<br />
qui ne s’épuise pas. Arié Man<strong>de</strong>lbaum n’est pas un comédien « professionnel », mais ce n’est pas la raison pour<br />
laquelle je suis si attaché à lui. Au fil <strong>de</strong>s spectacles, on constate clairement qu’il a quelque chose à exprimer,<br />
quelque chose qui se transforme d’une création à l’autre. Chaque personnage répond au précé<strong>de</strong>nt ; il les<br />
construit dans une dramaturgie filée longuement qui évolue par-<strong>de</strong>là les pièces. En somme, il suit une dramaturgie<br />
qui lui est propre, avec laquelle j’interagis à mon tour.<br />
Autre exemple, le Héros <strong>de</strong> ce spectacle est le même comédien (Fabien Dehasseler) que celui qui interprétait le<br />
fils dans Amerika : le seul survivant d’une famille dont tous les membres ont péri dans les caves <strong>de</strong> la maison.<br />
Il reste seul avec ses obsessions, et c’est précisément ce comédien qui joue le Héros <strong>de</strong> cette histoire-ci. Il y a<br />
un lien évi<strong>de</strong>nt.<br />
Votre œuvre témoigne aussi d’une écriture très personnelle. Comment créez-vous ce langage théâtral ?<br />
J’écris mes pièces à partir d’objets ou d’images, pas comme <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> théâtre. J’écris <strong>de</strong>s spectacles qui ne<br />
se composent pas exclusivement <strong>de</strong> textes, mais <strong>de</strong> corps, <strong>de</strong> sensations, d’objets…<br />
Mon écriture est celle d’une partition. L’histoire naît <strong>de</strong> la rencontre d’éléments très disparates, et je considère<br />
le texte comme un matériau, au même titre que les autres matériaux. Je m’inspire d’images et <strong>de</strong> souvenirs.<br />
Dans le jardin du Château, il y a <strong>de</strong>s palmiers : on pourrait y voir un clin d’œil à l’installation <strong>de</strong><br />
Broodthaers 2 dans laquelle le désert était une métaphore du dénuement intellectuel. Le Château est peut-être<br />
aussi un espace vi<strong>de</strong>, stérile, ou rien ne peut éclore. Mais ce ne sont là que <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> puzzle, <strong>de</strong>s échos élitaires<br />
dont on peut parfaitement se passer, sans pour autant passer à côté du spectacle.<br />
L’histoire que l’on raconte évolue toujours à partir du contexte <strong>de</strong> toutes les autres histoires que l’on connaît.<br />
Ce n’en est qu’une version particulière. J’ai assimilé l’histoire <strong>de</strong> Broodthaers et je l’ai conjuguée à d’autres<br />
histoires. Voilà le contexte à partir duquel je crée mes spectacles.<br />
1 Première partie <strong>de</strong> la trilogie Het Huis met <strong>de</strong> Trapgevel (la maison au pignon à redans) <strong>de</strong> J. van <strong>de</strong>r Molen, publiée en 1965 aux Éditions<br />
Stam-Robijns N.V., Culemborg-Cologne.<br />
2 Un Jardin d’Hiver, Marcel Broodthaers, création au PBA en 1974<br />
53
PERFORMANCE / FILM - ANTWERPEN<br />
Berlin<br />
C'est en 2003 que Berlin (Bart Baele, Caroline Rochlitz et Yves Degryse - Anvers) entreprend sa série Holocène<br />
(du nom <strong>de</strong> l'ère géologique actuelle). C'est toujours une ville qui <strong>de</strong>vient le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s projets qui la<br />
constituent. Berlin prend comme point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s recherches approfondies et choisit ensuite le(s) meilleur(s)<br />
supports pour transposer ce qu'elles leur livrent. Le groupe fait appel à différents intervenants issus<br />
du milieu artistique ou académique et distille <strong>de</strong> leurs témoignages d'intrigants portraits urbains. Ce qui en<br />
décante est ensuite présenté, en Belgique ou à l'étranger, par le biais <strong>de</strong> différents canaux : salles <strong>de</strong> spectacles,<br />
lieux d'exposition, festivals,...L'épiso<strong>de</strong>-pilote <strong>de</strong> la série Holocène était consacré à Jérusalem et fut présenté<br />
en 2004. Holocène 2 - Iqualuit (2005), à la lisière du documentaire et <strong>de</strong> la fiction, fut le résultat d'un<br />
mois <strong>de</strong> tournage dans l'Arctique. Holocène 3 - Bonanza est un portrait filmé du plus petit village du Colorado.
BONANZA<br />
Beursschouwburg<br />
17, 18/05 > 16:00, 18:00 & 20:00<br />
19/05 > 20:00<br />
€ 15 / € 10<br />
EN > NL/FR<br />
1h 30min<br />
Meet the artists after the second performance on 18/05<br />
En raison <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong> complexité technique, la nouvelle création du collectif Berlin, Moscow, est reportée à<br />
l'an prochain . En guise d'avant-goût, et pour vous ai<strong>de</strong>r à patienter jusqu'en mai 2009, le festival présente<br />
cette année leur spectacle Bonanza. Ce troisième volet du cycle Holocène a été accueilli avec enthousiasme<br />
par la presse et par le public lors <strong>de</strong> sa création l'an <strong>de</strong>rnier. Si vous n'avez pas encore eu l'occasion <strong>de</strong> voir<br />
Bonanza, c'est le moment !<br />
Concept: Berlin (Bart Baele, Yves Degryse, Caroline Rochlitz)<br />
Photographie: Bart Baele, Nico Leunen<br />
Son: Tom De With<br />
Montage: Bart Baele<br />
Ban<strong>de</strong> son & mixage: Peter Van Laerhoven<br />
Recherches: Berlin / Nico Leunen<br />
Graphisme: Gerjo Van Dam<br />
Maquette: Koen De Ceuleneer<br />
Conseiller décor: Tom Van <strong>de</strong> Ou<strong>de</strong>weetering<br />
Catering: Kim Troubleyn, Véronique Batens<br />
Surtitrages: Sofie Benoot<br />
Développement software: Frank Lanssens<br />
Electronique: Dadaelectronics<br />
Comptablité: Koen Huygebaert<br />
Photographie plateau: Kim Troubleyn<br />
Prises <strong>de</strong> vues aériennes: Saguache Ranger District<br />
Présentation: Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts, Beursschouwburg<br />
Production: Berlin<br />
Coproduction: STUK (Leuven), KVS (Brussel), Vooruit (Gent)<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> Vlaams Audiovisueel Fonds, Stad Antwerpen, Flan<strong>de</strong>rs Image<br />
Projet coproduit par: NXTSTP, avec le soutien du programme Culture <strong>de</strong> l’Union Européenne<br />
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Au sujet <strong>de</strong>s villes, petites et gran<strong>de</strong>s - Propos recueillis par Pieter T’Jonck<br />
Bart Baele, Caroline Rochlitz et Yves Degryse forment <strong>de</strong>puis 2003 l’ensemble Berlin. Quel autre terme<br />
qu’ensemble appliquerait-on à un groupe <strong>de</strong> créateurs <strong>de</strong> théâtre qui se consacre à la réalisation <strong>de</strong> films documentaires,<br />
les projette dans <strong>de</strong>s théâtres et met ces projections soigneusement en scène ? De tous les artistes<br />
qui, à l’heure actuelle, explorent la frontière entre les divers médias, Berlin a opéré la transition la<br />
plus radicale d’un média à un autre, et non sans brio. Il faut aussi souligner qu’à la différence <strong>de</strong> la plupart<br />
<strong>de</strong>s ensembles, Berlin enchaîne les spectacles en poursuivant un plan bien défini, intitulé Holoceen (holocène),<br />
une référence à l’ère géologique actuelle. « On a choisi un espace temporel assez étendu, histoire <strong>de</strong> se<br />
donner <strong>de</strong> la marge. », ricane Bart Baele. Comme le trahissent le nom du groupe et le site internet (www.berlinberlin.be),<br />
le cycle Holoceen s’articule autour <strong>de</strong> villes contemporaines. Mais pas n’importe quelles villes.<br />
Et le projet ne se limitera peut-être pas aux villes.<br />
C : « Le premier projet était celui <strong>de</strong>s villes. Mais après cela, nous continuerons peut-être avec un cycle autour<br />
<strong>de</strong>s rivières. »<br />
Y : « Nous avons choisi le nom <strong>de</strong> Berlin tant pour le passé fascinant <strong>de</strong> la ville que pour le rôle central qu’elle<br />
assume dans l’Europe actuelle. Que l’on se tourne vers le passé ou vers l’avenir, elle <strong>de</strong>meure une ville d’envergure.<br />
Plus que n’importe quelle autre gran<strong>de</strong> métropole, comme Paris par exemple, Berlin donne l’impression<br />
d’être une ville en pleine effervescence. »<br />
B : « Ceci dit, il ne s’agit pas toujours <strong>de</strong> se pencher sur <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s villes. Après Jerusalem, notre premier projet,<br />
nous avons choisi Iqaluit, la capitale <strong>de</strong> la nation Inuit au Canada. Une ville quasi inaccessible dans le<br />
Grand Nord, avec à peine 6 000 habitants, tellement coupée du mon<strong>de</strong> par la neige et la glace qu’il faut tout y<br />
acheminer par avion. »<br />
C : « En ce moment, nous préparons un film sur la ville <strong>de</strong> Bonanza, officiellement la plus petite ville <strong>de</strong> l’État<br />
du Colorado. Elle ne compte que sept habitants, mais entre eux règne une telle discor<strong>de</strong> qu’ils n’ont <strong>de</strong> cesse<br />
<strong>de</strong> s’envoyer en prison pour <strong>de</strong>s futilités. Le paradis s’est transformé en enfer. Cela paraît incompréhensible,<br />
jusqu’à ce que l’un <strong>de</strong>s habitants remarque, en passant, que c’est partout pareil. »<br />
Y : « Dans une gran<strong>de</strong> ville, il est plus facile d’échapper au conflit. À Bonanza, c’est impossible. Au désir ar<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> créer quelque chose se greffe d’emblée le désir, tout aussi ar<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong> tout sabor<strong>de</strong>r. « C’est la nature humaine<br />
», dit l’homme. C’est très reconnaissable, même si à Bonanza, cela atteint <strong>de</strong>s proportions grotesques. »<br />
C : « On peut dire la même chose <strong>de</strong> Jérusalem : toutes les lignes <strong>de</strong> ruptures imaginables, entre tradition et<br />
mo<strong>de</strong>rnité, entre religions, entre Israéliens et Palestiniens y convergent, ce qui rend la situation inextricable.»<br />
B : « Le fil conducteur du projet est le choix <strong>de</strong> villes avec une problématique propre. Si les problématiques diffèrent<br />
<strong>de</strong> ville en ville, le conflit représente la constante. À Jérusalem, trois gran<strong>de</strong>s religions s’affrontent. Iqaluit<br />
a l’ambition <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une gran<strong>de</strong> ville, mais sa situation géographique rend cette option quasi<br />
impossible. Et à Bonanza, sept personnes ne parviennent pas à cohabiter pacifiquement. »<br />
Y : « En réunissant ces portraits, nous espérons faire apparaître accessoirement l’image d’un moment dans le<br />
temps, le temps présent dans l’holocène. »
METHODE DE TRAVAIL<br />
Comment se documenter ? La métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> Berlin est assez simple. Pour préparer un reportage, ils<br />
commencent par établir un maximum <strong>de</strong> contacts sur place. Mais ils ébauchent également un story-board ou<br />
un synopsis. Il s’agit avant tout d’une liste d’éléments à faire entrer en ligne <strong>de</strong> compte. Le fil rouge <strong>de</strong> ce synopsis<br />
est une fiction imaginée auparavant. Cependant, la compagnie n’hésite pas à abandonner la fiction si<br />
la réalité la dépasse. Ce fut le cas pour Jerusalem et pour Bonanza.<br />
C : « Souvent, l’idée <strong>de</strong> départ débouche sur quelque chose <strong>de</strong> différent. »<br />
Y : « La réalité <strong>de</strong> la petite ville <strong>de</strong> Bonanza est apparue bien plus extrême que nous n’avions pu l’imaginer. »<br />
C : « Nous avions été prévenus que l’une <strong>de</strong>s habitantes <strong>de</strong> la ville, Mary, refuserait toute collaboration. Notre<br />
solution consistait à installer un habitant fictif dans l’une <strong>de</strong>s maisons vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong> faire dialoguer<br />
ce comédien avec les autres habitants. Puis, la femme a soudain changé d’avis et accepté <strong>de</strong> participer. Du<br />
coup, le projet couvrait toute la ville. »<br />
B : « Bon nombre <strong>de</strong> scènes tournées à Iqaluit, à l’hôtel et au café par exemple, ont été mises en scène. Nous<br />
l’avions prévu ainsi. Par contre, nous n’avons pas mis en scène le spectacle interminable <strong>de</strong>s habitants essayant<br />
<strong>de</strong> mettre à l’eau un bateau et y parvenant péniblement parce qu’ils s’enlisent. Cette scène donne une<br />
idée précise du rythme <strong>de</strong> la ville. »<br />
Y : « Iqaluit est porté par une histoire, un texte d’Ivo Michiels qui raconte la relation fictive entre Vinnie Karetak,<br />
un habitant d’Iqaluit, et Caroline. Nous avons mis en scène les conversations téléphoniques qui, sur les<br />
planches, se jouent en direct. Cette fiction permet <strong>de</strong> montrer la curiosité que suscite un(e) Occi<strong>de</strong>ntal(e) auprès<br />
d’un peuple comme les Inuits et véhicule par ailleurs l’idée qu’il serait possible d’y entamer une toute<br />
nouvelle vie. On comprend d’emblée que cette idée effleure tout autant leurs esprits. La fiction est donc un<br />
moyen d’exposer la réalité <strong>de</strong> cette ville isolée et impossible. »<br />
Le choix d’Ivo Michiels est curieux : il n’incarne pas précisément l’auteur « branché » du moment. Quelle affinités<br />
avez-vous avec lui ?<br />
B : « Nous connaissons bien son œuvre, il connaît bien le cinéma en tant que média. Il dit <strong>de</strong> lui-même qu’il<br />
était un zappeur avant la lettre. Son écriture est particulièrement filmique et musicale, sans doute parce qu’il<br />
parle à voix haute en écrivant. Ivo Michiels vous laisse aussi une gran<strong>de</strong> liberté dans l’approche <strong>de</strong> son œuvre.<br />
Quand André Delvaux lui a <strong>de</strong>mandé un scénario <strong>de</strong> film, il a fini par écrire un livre. Il pensait que ce serait<br />
plus utile pour Delvaux. (N.D.L.R. : Ivo Michiels a travaillé à <strong>de</strong>ux reprises avec André Delvaux : il a d’abord<br />
écrit le scénario du film Avec Dieric Bouts, dont il a publié le texte en 1975, en tant que “compte rendu”. Puis<br />
est venu le scénario <strong>de</strong> Femme entre chien et loup, que Michiels a ensuite adapté pour le qui porte le même<br />
nom( nl : Een tuin tussen hond en wolf). Michiels trouve qu’il faut “zapper” son œuvre au lieu <strong>de</strong> la suivre à la<br />
lettre. »<br />
Y : Je crois que ça le rendrait très nerveux qu’on le suive mot à mot.<br />
57
ETHIQUE…<br />
Jerusalem est un film impressionnant. Trois écrans diffusent <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> la ville qui se démentent, se renforcent<br />
et se commentent. Des moines franciscains expliquent les disputes territoriales complexes dans<br />
l’église du Saint-Sépulcre ; <strong>de</strong> jeunes Palestiniens crient leur colère envers les Israéliens. Ceux-ci apparaissent<br />
à l’écran <strong>de</strong>vant le Mur <strong>de</strong>s Lamentations, à l’occasion <strong>de</strong> fêtes religieuses importantes, dans <strong>de</strong>s interviews<br />
plus circonspectes. Les journalistes étrangers personnifient le mon<strong>de</strong> extérieur, abasourdi, et donnent<br />
leur vision <strong>de</strong> la ville. Par intervalles, on voit <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> la vie quotidienne qui suit son cours, malgré l’angoisse<br />
et le terrorisme. Parmi les images les plus poignantes du film, il y a la discussion entre Mike Swirsky,<br />
professeur juif, et Munir Nusiebeh, étudiant palestinien. Le premier fulmine contre le terrorisme palestinien,<br />
le second dénonce les violences israéliennes. En tant que spectateur, on a le sentiment que les <strong>de</strong>ux interlocuteurs<br />
ont à la fois tort et raison. Néanmoins, aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ne peut se résoudre à montrer un tant<br />
soit peu <strong>de</strong> compréhension pour le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’autre. La conversation aboutit à un affrontement à<br />
l’usure qui est brutalement interrompu. Comment réunit-on ce matériel visuel ? Comment avez-vous pu<br />
convaincre les gens <strong>de</strong> se montrer sous ce jour ?<br />
Y : « Nous interviewons longuement les gens. Nous ne sommes pas en quête <strong>de</strong> la déclaration fracassante,<br />
nous laissons parler les gens. Meïr Shalev s’en est rendu compte pendant notre entretien. Il nous a dit : “Les<br />
Européens écoutent ce qu’on a à dire, les Américains atten<strong>de</strong>nt la petite phrase dont ils peuvent se servir<br />
comme formule accrocheuse.” Nous avons accumulé plus <strong>de</strong> 120 heures d’interviews filmées. Beaucoup trop<br />
pour un film <strong>de</strong> trois heures, même projeté sur trois écrans. Il nous a donc fallu beaucoup couper, mais nous<br />
avons veillé à ce que toutes les citations soient maintenues dans leur contexte exact. »<br />
B : « Nous nous imposons une éthique au carré. »<br />
Y : « Que les gens s’effraient à la vue du résultat final ne nous pose pas <strong>de</strong> problème, mais ne voulons à aucun<br />
prix qu’ils se sentent offensés ou abusés. Dans un premier temps, Mike Swirsky ne voulait pas que nous utilisions<br />
son interview. Après une discussion <strong>de</strong> fond sur les raisons <strong>de</strong> la projeter, il a fini par cé<strong>de</strong>r. Il a compris<br />
le choix du contenu, même si je présume qu’il n’était pas enchanté <strong>de</strong> cet entretien qui n’a abouti à rien. »<br />
B : « Dans ce genre <strong>de</strong> discussions, on sent si l’on va pouvoir s’en servir ou non. Le critère est le suivant : est-ce<br />
qu’après-coup, la personne pourra faire face à ce qu’elle a dit ? C’est une différence majeure avec les interviews<br />
télévisées. Les gens n’ont souvent aucune prise sur ce qu’on fait <strong>de</strong> leurs déclarations. Alors que nous avons<br />
permis à Mike et à Munir <strong>de</strong> déterminer eux-mêmes les conditions <strong>de</strong> leur entretien. S’ils ont choisi <strong>de</strong> dépasser<br />
cette limite pendant la discussion, c’est une décision qui leur incombe. »<br />
… ET ESTHETIQUE<br />
La transition vers un genre mal-aimé comme le documentaire qu’ont opérée ces trois créateurs <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong>meure<br />
frappante. À moins que cette transition ne soit pas aussi intégrale que ça ?<br />
B : « Nous présentons ces documentaires dans <strong>de</strong>s salles <strong>de</strong> théâtre. C’est une nuance importante. Nous<br />
jouons avec les co<strong>de</strong>s essentiels du théâtre. Le public arrive à une heure précise, s’installe, regar<strong>de</strong>, et sort à<br />
une heure fixée d’avance en reprenant le même chemin qu’en entrant. Exactement comme pour un spectacle<br />
<strong>de</strong> théâtre. »
Y : « À Witte <strong>de</strong> With, à Rotterdam, nous avons tenté <strong>de</strong> faire autrement, mais ça n’a pas marché. Le théâtre<br />
offre un contexte qui permet <strong>de</strong> filmer certaines choses d’une façon particulière. Iqaluit commence par un<br />
plan <strong>de</strong> la ville extrêmement long, couvert par <strong>de</strong>s voix off. Impossible <strong>de</strong> faire cela pour un documentaire télévisé,<br />
les spectateurs zapperaient immédiatement. Tandis qu’au théâtre, le public est prêt à prendre son<br />
temps. »<br />
B : « Dans chaque ville, nous cherchons ce qu’elle a <strong>de</strong> captivant en particulier. Ce n’est qu’ensuite que nous<br />
partons en quête <strong>de</strong>s moyens les plus appropriés pour le transposer en œuvre scénique. Le sujet détermine le<br />
média que nous utilisons, même si le cinéma <strong>de</strong>meure central. On peut toujours monter et présenter le film<br />
différemment. »<br />
C : « Pour Jerusalem, nous avons travaillé avec trois écrans, pour Bonanza, avec cinq. Chaque écran présente<br />
un “foyer” ; il y a sept habitants dans la ville, dont <strong>de</strong>ux couples. Iqaluit, quant à lui, est projeté sur un seul<br />
écran. Mais ce film est lié à l’action en direct sur la scène, à savoir la conversation téléphonique avec le comédien<br />
amateur Vinnie Karetak. Le choix du dispositif et <strong>de</strong>s médias dépend donc <strong>de</strong> la ville. »<br />
Y : « Il en va <strong>de</strong> même pour la présentation. Jerusalem ne requiert presque rien, si ce n’est une petite tribune<br />
où le public prend place. Dans Bonanza, une maquette <strong>de</strong> la ville, toute en cuivre et mesurant sept mètres sur<br />
trois, est suspendue au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s écrans. Le cuivre renvoie au déclin <strong>de</strong> la ville. On y a d’abord extrait <strong>de</strong> l’or,<br />
puis <strong>de</strong> l’argent et finalement du cuivre. À chaque fois, l’exploitation s’avérait non rentable et tout le mon<strong>de</strong> levait<br />
le camp. Le terme bonanza est d’ailleurs <strong>de</strong> l’argot états-unien pour “aubaine”, “coup <strong>de</strong> chance”. La légen<strong>de</strong><br />
veut qu’à la première pépite découverte, quelqu’un se soit écrié : “It’s a bonanza !” ».<br />
C : « La question est toujours : comment offrir l’image la plus fidèle d’une réalité spécifique ? »<br />
Y : « On nous dit souvent que la particularité d’une œuvre comme Jerusalem est que le spectateur prend<br />
conscience <strong>de</strong> la complexité inimaginable <strong>de</strong> cette ville. Les reportages télévisés n’y parviennent pas. Voilà apparemment<br />
la différence. »<br />
59
DANCE / BRUSSEL<br />
Thomas Hauert / ZOO<br />
D'origine suisse alleman<strong>de</strong>, Thomas Hauert (°1967) vit et travaille à Bruxelles. Il rejoint Rosas où il participe<br />
à la création <strong>de</strong> spectacles <strong>de</strong> la compagnie entre 1991 et 1994; il travaille avec Gonnie Heggen, David Zambrano<br />
et Pierre Droulers. En 1997, après la création du solo Hobokendans, il fon<strong>de</strong> ZOO et initie le projet<br />
Cows in Space, (Dans in Kortrijk, 1998) une pièce pour cinq danseurs. Cette chorégraphie obtient le prix d'Auteur<br />
et le prix Jan Fabre aux Rencontres Chorégraphiques Internationales <strong>de</strong> Seine-Saint-Denis (Bagnolet,<br />
1998). Avec la même équipe <strong>de</strong> danseurs, il crée Pop-up Songbook (Springdance, 1999), Jetzt (Luzerntanz,<br />
2000), Verosimile (Journée <strong>de</strong> la Danse Suisse, 2002).<br />
Thomas Hauert reçoit le" Prix Suisse <strong>de</strong> danse et <strong>de</strong> chorégraphie 2005" pour modify (Julidans, 2004) décerné<br />
par ProTanz au spectacle le plus singulier dans le domaine <strong>de</strong> la danse contemporaine.<br />
En parallèle à son travail <strong>de</strong> création, Thomas Hauert dirige régulièrement <strong>de</strong>s ateliers et chorégraphie Ha<br />
Mais dans le cadre d'Alma Txina au Mozambique.
ACCORDS<br />
Kaaitheater<br />
17, 20, 21/05 > 20:30<br />
18/05 > 18:00<br />
€ 15 / € 10<br />
Meet the artists after the performance on 18/05<br />
Concept & mise en scène: Thomas Hauert<br />
Avec & par: Thomas Hauert, Martin Kilvady, Sara Ludi, Chrysa Parkinson, Zoë Poluch, Mat Voorter, Samantha<br />
van Wissen<br />
Création lumières & scénographie: Jan Van Gijsel<br />
Création sonore et musique originale: Peter Van Hoesen<br />
Costumes: OWN<br />
Présentation: Kaaitheater, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: ZOO<br />
Coproduction: Kaaitheater, PACT – Zollverein (Essen), Festival Alkantara (Lisbonne), Mercat <strong>de</strong> les Flors (Barcelone),<br />
Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> Vlaamse Overheid, Vlaamse Gemeenschapscommissie, Pro Helvetia, Ein Kulturengagement<br />
<strong>de</strong>s Lotteriefonds <strong>de</strong>s Kantons Solothurn<br />
Project co-produced by NXTSTP, with the support of the Culture Programme of the European Union.<br />
61
A propos d’Accords - Denis Laurent<br />
Accords est un spectacle autonome pour 7 danseurs. Exceptionnellement pour le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts, Thomas<br />
Hauert propose une soirée qui adjoint à Accords <strong>de</strong>s parties <strong>de</strong> la pièce 12/8 qu’il a créée en novembre 2007<br />
avec 20 étudiants <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> danse PARTS à Bruxelles.<br />
Le travail chorégraphique <strong>de</strong> ZOO se développe d’abord à partir d’une recherche fondamentale sur le mouvement. A<br />
l’incitation <strong>de</strong> Thomas Hauert, les danseurs entreprennent <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s inscrites dans leur corps. Dans<br />
un esprit <strong>de</strong> recherche ludique, ils explorent la plus gran<strong>de</strong> diversité possible <strong>de</strong> formes, <strong>de</strong> rythmes, <strong>de</strong> qualités,<br />
d’interactions avec l’espace et avec les forces extérieures.<br />
Une <strong>de</strong>s principales métho<strong>de</strong>s utilisées pour ouvrir les possibilités <strong>de</strong> mouvement est l’improvisation, perçue<br />
comme un moyen <strong>de</strong> libérer le potentiel du corps <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> l’esprit. Non une improvisation totalement libre,<br />
car un corps sans contrainte tendrait à emprunter ses chemins usuels, mais une improvisation dirigée, une improvisation<br />
dans laquelle <strong>de</strong>s tâches, <strong>de</strong>s règles, <strong>de</strong>s forces sont imposées pour bousculer les conditionnements du<br />
danseur. L’improvisation permet <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s mouvements complexes qui impliquent tellement <strong>de</strong> facteurs qu’il<br />
serait impossible <strong>de</strong> les répéter ou <strong>de</strong>s les écrire.<br />
Il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong> déconstruire, <strong>de</strong> casser les formes et les co<strong>de</strong>s, mais plutôt d’atteindre le <strong>de</strong>gré zéro<br />
du corps pour construire en prenant l’anatomie comme base. Car, après s’être temporairement extirpés <strong>de</strong>s schémas<br />
habituels <strong>de</strong> mouvement, les danseurs <strong>de</strong> ZOO s’efforcent d’inscrire <strong>de</strong> nouveaux paramètres dans leur corps.<br />
Les principes sont pratiqués, encore et encore, pour qu’en puissent être développées toutes les possibilités et les<br />
subtilités. Pour atteindre, en quelque sorte, une nouvelle virtuosité.<br />
Dépassant l’échelon individuel, ZOO développe aussi un travail sur le groupe, sur le « corps » composé par l’ensemble<br />
<strong>de</strong>s danseurs – on pourrait dire « le corps social ». Si l’exploration du corps individuel tend vers l’expression <strong>de</strong><br />
la diversité, le travail sur le groupe tend vers la cohésion, la communication, le lien. Thomas Hauert coordonne les<br />
corps <strong>de</strong>s danseurs par différents moyens d’organisation du temps et <strong>de</strong> l’espace. Au fil <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> ZOO, ces<br />
principes <strong>de</strong> coordination du groupe sont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong> plus en plus flexibles et réactifs, privilégiant un ordre garanti<br />
par la confiance que chaque danseur place en les autres plutôt que par l’autorité d’un chorégraphe.<br />
Un ordre basé sur la confiance<br />
L’idée <strong>de</strong> confiance, centrale dans le projet chorégraphique <strong>de</strong> ZOO, se traduit aussi dans la structure et le processus<br />
<strong>de</strong> travail <strong>de</strong> la compagnie. ZOO est une compagnie où chaque danseur apporte sa propre créativité au groupe.<br />
Où chaque danseur est libre mais aussi responsable. La structure n’est pas pour autant horizontale : aux réalités<br />
individuelles <strong>de</strong> chacun se superpose une réalité partagée, celle proposée par Thomas Hauert. Et cette confiance<br />
commune dans la proposition initiale est essentielle au projet : elle permet d’accepter le chaos apparent du processus.<br />
L’inconfort que génère l’absence d’une autorité conventionnelle <strong>de</strong>vient confort quand on accepte le fait qu’on<br />
ne peut pas tout contrôler et que le lâcher prise permet d’atteindre une complexité bien plus riche que ce que la<br />
raison consciente pourrait gérer.<br />
Dans les spectacles <strong>de</strong> ZOO, la danse est le plus souvent abstraite en ceci qu’elle est un pur travail sur le corps et le<br />
mouvement. Elle n’a pas <strong>de</strong> dimension narrative ou figurative. Pourtant, les spectateurs ne la ressentent pas<br />
comme abstraite. C’est que si elle n’illustre rien, elle propose un modèle qui est, lui, potentiellement riche <strong>de</strong> sens.<br />
Le projet artistique apparaît comme une micro-utopie, une vision alternative <strong>de</strong> l’homme, du pouvoir et <strong>de</strong> la société.
Le rapport à la musique<br />
Depuis Cows in Space en 1998, la musique joue un rôle essentiel dans le travail <strong>de</strong> ZOO, tant comme générateur<br />
<strong>de</strong> mouvement que comme principe organisateur du groupe. Thomas Hauert perçoit la musique comme<br />
du mouvement en soi, une activité physique riche d’enseignement pour le danseur, une source d’énergie. La<br />
musique peut être utilisée comme un moteur pour produire du mouvement, comme un paramètre extérieur<br />
permettant <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s qualités <strong>de</strong> mouvement inattendues. Les dynamiques, les harmonies, les mélodies,<br />
les contrepoints, mais aussi l’expérience corporelle et sensuelle <strong>de</strong> l’interprétation vocale ou instrumentale,<br />
peuvent être interprétés physiquement par le danseur, traduits, amplifiés ou détournés dans son corps.<br />
Passant <strong>de</strong> l’échelle individuelle à l’échelle collective, les diverses caractéristiques <strong>de</strong> la musique proposent<br />
également <strong>de</strong>s principes d’organisation temporelle qui permettent <strong>de</strong> coordonner le groupe. Enfin, pour le<br />
spectateur, la musique apporte une dimension dramatique, une « coloration », qui peut renforcer ou troubler<br />
la perception <strong>de</strong> ce qui se déroule sur scène.<br />
Au cours du temps, ZOO a exploré un ensemble varié et original <strong>de</strong> rapports à la musique. Les danseurs ont<br />
utilisé tantôt <strong>de</strong>s partitions, tantôt <strong>de</strong>s interprétations spécifiques <strong>de</strong> ces partitions. Tantôt <strong>de</strong>s pièces chantées,<br />
tantôt <strong>de</strong>s pièces instrumentales. Tantôt <strong>de</strong>s solos, tantôt <strong>de</strong>s partitions à plusieurs voix ou à plusieurs<br />
instruments. Dans certains cas, la musique utilisée pendant les répétitions pour créer le mouvement est aussi<br />
donnée à entendre sur scène. Dans d’autres cas, elle a été intériorisée par les danseurs et inscrite dans leur<br />
corps, le mouvement qu’elle a inspiré étant présenté sur scène en silence ou même sur une tout autre musique.<br />
Dans Common Senses (2003), par exemple, Thomas Hauert a utilisé un chœur d’Anton Bruckner comme « partition<br />
» pour une improvisation <strong>de</strong> groupe. Les dix danseurs ont appris et intériorisé leur voix respective, à<br />
partir <strong>de</strong> laquelle ils improvisent en silence sur scène. Le but n’est pas <strong>de</strong> rendre visible cette pièce <strong>de</strong> musique,<br />
mais plutôt d’utiliser son expérience pour créer <strong>de</strong> la danse. La partition permet d’unifier le groupe,<br />
mais il s’agit d’un principe organisateur laissant une marge <strong>de</strong> liberté, puisque chaque danseur propose une<br />
interprétation personnelle <strong>de</strong> la musique. Certaines scènes <strong>de</strong> modify (2004) développent ce principe, mais<br />
chaque danseur suit cette fois un instrument <strong>de</strong> la Water Music <strong>de</strong> Haen<strong>de</strong>l, que le spectateur entend simultanément.<br />
Le chant est très accessible pour un danseur, pense Thomas Hauert, car il n’engage que le corps, mais la musique<br />
instrumentale est elle aussi mouvement. Pour Jetzt (2000), Thomas Hauert a choisi <strong>de</strong> travailler sur la<br />
musique <strong>de</strong> Thelonious Monk, un pianiste <strong>de</strong> jazz dont le jeu très « mouvementé » multiplie les suspensions,<br />
les accélérations, les ralentis, les détours, les contre-pieds…<br />
Dans Pop-Up Songbook, Do You Believe in Gravity, Do You Trust the Pilot? (2001), Verosimile (2002), More or<br />
Less Sad Songs (2005) et Walking Oscar (2006), les danseurs ont également été amenés à eux-mêmes chanter,<br />
jouer d’un instrument ou écrire <strong>de</strong> la musique, expériences qui leur ont permis d’enrichir et <strong>de</strong> raffiner leurs<br />
mo<strong>de</strong>s d’interprétation physique <strong>de</strong> la musique.<br />
Accords<br />
Pour sa nouvelle création, Thomas Hauert a décidé <strong>de</strong> créer un spectacle qui poursuit son travail sur le corps<br />
et le mouvement en se concentrant plus spécifiquement sur la relation entre la danse et la musique. Partant<br />
<strong>de</strong> principes abordés dans <strong>de</strong>s pièces antérieures <strong>de</strong> ZOO, les danseurs ont entrepris d’explorer <strong>de</strong> nouveaux<br />
paramètres qui les ont progressivement menés vers <strong>de</strong>s territoires inédits.<br />
63
Une étape importante dans le processus <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> Thomas Hauert a été une pièce créée pour et avec 20<br />
étudiants <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière année <strong>de</strong> l’école bruxelloise PARTS en novembre 2007 : 12/8. Comme Common Senses,<br />
ce projet est basé sur l’utilisation d’une partition comme moyen d’unifier un groupe. La musique (que les<br />
spectateurs n’enten<strong>de</strong>nt pas) est 12 por 8 d’Alejandro Sanz. Les étudiants ont appris un arrangement a capella<br />
<strong>de</strong> cette chanson pop musicalement très complexe, caractérisée par une signature temporelle en 12/8e combinant<br />
<strong>de</strong>s rythmes binaire et ternaire. Sur scène, ils suivent mentalement leur voix et communiquent entre eux<br />
grâce au mouvement pour rester synchrones. Pour Accords, Thomas Hauert a continué à développer <strong>de</strong>s principes<br />
chorégraphiques à partir <strong>de</strong> la musique polyrythmique. Les danseurs <strong>de</strong> ZOO ont ainsi notamment créé<br />
<strong>de</strong>s solos où plusieurs voix <strong>de</strong> rythmes différents sont traduites dans plusieurs parties d’un même corps, à la<br />
façon d’un pianiste qui joue simultanément plusieurs lignes sur son clavier.<br />
Un autre principe développé dans Accords est celui <strong>de</strong>s « unissons improvisés ». Introduit pour la première<br />
fois dans une scène <strong>de</strong> puzzled (2007), il fait naître le mouvement <strong>de</strong> l’écoute « entre » les danseurs plutôt que<br />
<strong>de</strong> la décision préalable d’un seul individu. Quoique réalisé dans un unisson qui laisse supposer qu’il a été<br />
écrit, le mouvement y est improvisé à l’intérieur <strong>de</strong> règles du jeu prédéfinies. Le statut <strong>de</strong> « lea<strong>de</strong>r » passe<br />
constamment d’un danseur à l’autre. Les mouvements, les initiatives, les impulsions <strong>de</strong> chacun sont instantanément<br />
reprises et transformées par les autres. Ce processus <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux danseurs d’engager en permanence<br />
une écoute et une concentration totales. D’être, aussi, à tout moment responsables. Personne ne<br />
contrôle le mouvement mais, en même temps, chacun participe à la création <strong>de</strong> celui-ci.<br />
Si le travail sur la musique polyrythmique juxtapose, à l’intérieur d’un groupe ou d’un corps, plusieurs mélodies<br />
participant d’un même arrangement, les unissons improvisés font voir au spectateur une ligne continue<br />
<strong>de</strong> mouvement. Pourtant, l’initiative voyageant constamment entre les danseurs, qui apportent chacun une<br />
écoute et une impulsion différentes, cette ligne peut au cours du temps en venir à refléter <strong>de</strong>s motifs différents<br />
dans la musique. Les danseurs sont aussi libres <strong>de</strong> se diviser temporairement du groupe. La ligne principale<br />
se subdivise alors en plusieurs lignes qui restent pourtant liées entre elles en cela qu’elles traduisent la<br />
même musique. Le spectateur voit la musique voyager à travers le groupe, le mouvement <strong>de</strong> son œil associant<br />
les mouvements physiques avec les événements audibles dans la musique. On pourrait faire un parallèle avec<br />
le mouvement du vent lisible dans le balancement <strong>de</strong> milliers d’épis <strong>de</strong> blé ou encore avec les enseignes lumineuses<br />
LED sur lesquelles on voit un texte défiler là où il n’y a en fait que <strong>de</strong>s points clignotants.<br />
Danse et musique, une association classique, première même… Le spectateur <strong>de</strong> Accords pourrait penser qu’il<br />
lui est donné <strong>de</strong> voir une chorégraphie écrite sur <strong>de</strong> la musique. Car les danseurs <strong>de</strong> ZOO tentent <strong>de</strong> se rapprocher<br />
au maximum <strong>de</strong> la précision <strong>de</strong> l’écriture. Et cependant, le processus <strong>de</strong> création du mouvement s’avère<br />
ici radicalement différent. Il s’agit d’un processus « démocratique », basé sur la liberté individuelle et l’attention<br />
permanente à l’autre. Un processus qui vise à obtenir une complexité chorégraphique dépassant celle<br />
d’une pièce écrite. Thomas Hauert fait le pari <strong>de</strong> l’intelligence intuitive du corps et du groupe.
THEATRE - BUDAPEST<br />
Béla Pintér<br />
Béla Pintér (°1970, Budapest) dirige <strong>de</strong>puis 1997 sa compagnie <strong>de</strong> théâtre, pour laquelle il met en scène <strong>de</strong>s<br />
pièces basées sur ses propres textes et dans lesquelles il intervient en tant qu'acteur. Pintér apporte au théâtre<br />
hongrois sa personnalité d'autodidacte, nourrie d'une créativité débordante et sensible. Depuis 1998, Pintér<br />
présente une nouvelle production chaque année: Hospital-Bakony (un voyage d'une heure dans la tête<br />
d'un jeune homme que la perte <strong>de</strong> son père alcoolique a rendu dépressif), The Gate to Nowhere, Drink and<br />
die...En 2001, sa compagnie gagne la reconnaissance internationale ; par la combinaison <strong>de</strong> différents styles<br />
musicaux, Pintér est parvenu à créer un nouveau langage théâtral, notamment pour Peasant Opera et Dievouchka.<br />
En 2002, Béla Pintér a été récompensé par le Jászai Mari Award, le plus important <strong>de</strong>s prix hongrois<br />
réservés au théâtre, le Örkény István Dramatist Award (2002), et le Fehér György Reward (2007). Pintér s'est<br />
également vu attributer <strong>de</strong>s prix en tant que metteur en scène (le Népszabadság Meteor Award en 2000, le<br />
Soros Award en 2002).<br />
65
AZ ORÜLT, AZ ORVOS, A TANITVANYOK ES AZ ORDÖG<br />
Théâtre 140<br />
19, 20, 21, 22, 23/05 > 20:30<br />
€ 15 / € 10<br />
HUN > NL / FR<br />
1h 20min<br />
Meet the artists after the performance on 20/05<br />
Texte & concept: Béla Pintér<br />
Dramaturgie: Éva Enyedi<br />
Mise en scène: Béla Pintér, (assist. Szilvia Matók, Andrea Pass)<br />
Avec: Hella Roszik, Éva Enyedi, László Quitt, Katalin Szilágyi, Szabolcs Thuróczy, Zsófia Szamosi, Zoltán<br />
Frie<strong>de</strong>nthal, Béla Pintér<br />
Musique: Ferenc Darvas on the basis of works of Allegri, Mozart, Pergolesi<br />
Musiciens: Gergö Sipos, Marcell Vámos (cello), György Póta, Péter Császár, Péter Ács (b)<br />
Adaptation musicale: Antal Kéménczy<br />
Création costumes: Mari Bene<strong>de</strong>k, Júlia Kiss (assist.)<br />
Création décors: Gábor Tamás<br />
Lumières: Zoltán Vida<br />
Son: János Rembeczki<br />
Masque: Dániel Kovács<br />
Professeur <strong>de</strong> chant: Bea Berecz<br />
Présentation: Théâtre 140, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Remerciements à: The National Cultural Fund (Hongrie), Ministry of Education and Culture, BudapestPortal,<br />
Theatre Szkéné (Budapest)
La Folle, le Docteur, les Disciples et le Diable - Szilvia Mátok<br />
Les répétitions <strong>de</strong> notre performance intitulée The Madwoman, the Doctor, the Disciples and the Devil ont débuté<br />
en juin 2007. Le titre provisoire alors donné à la performance était Élo kenyér (Living bread). La première<br />
a eu lieu le 1 octobre 2007, en début <strong>de</strong> saison.<br />
Concept artistique<br />
L ‘histoire <strong>de</strong> Jésus compte parmi les lieux communs les plus fondamentaux, les plus influents <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong><br />
l’humanité. Matière ou mémoire première, incontournable et inépuisable, tant pour les artistes que pour leurs<br />
publics. La réflexion sur le <strong>de</strong>stin comme tel saisit une majorité d’artistes à une certaine étape <strong>de</strong> leur existence<br />
et généralement plus d’une fois..<br />
Dans l’art <strong>de</strong> Béla Pinter, les lieux communs religieux et profanes jouent un rôle <strong>de</strong> premier plan – qu’il<br />
s’agisse d’événements isolés renvoyant à une époque donnée ou d’événements à coloration folklorique qui se<br />
perpétuent <strong>de</strong> nos jours tels que rituels mo<strong>de</strong>rnes, coutumes ou célébrations. (Le catholicisme et sa liturgie,<br />
par exemple, ont à plusieurs reprises inspiré ses performances). La question <strong>de</strong> savoir pourquoi ce moment en<br />
particulier a été choisi pour l’adaptation <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Jésus n’est pas énigmatique <strong>de</strong> part en part. Les ébranlements<br />
<strong>de</strong> l’inspiration sont variés. Dans notre cas, ce fut la rencontre avec une peinture. 1<br />
Dans les peintures religieuses du Moyen-âge, les personnages qui entourent le Christ accusent les traits <strong>de</strong>s<br />
contemporains du peintre, leur vêture trahit la mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’époque, tandis que les paysages du pays natal tapissent<br />
le fond du tableau.<br />
Ce n’est pas d’aujourd’hui que le metteur en scène Béla Pinter s’interroge sur la possibilité d’acclimater la licence<br />
figurative dans les Beaux-arts à l’événement théâtral. A l’occasion <strong>de</strong> notre invitation l’an passé à<br />
Bruxelles, nous avons eu la chance <strong>de</strong> voir Le Recensement à Bethlehem <strong>de</strong> Bruegel, une œuvre qui comporte<br />
en son centre Marie assise à dos d’âne et alentour <strong>de</strong>s personnages typiquement XVIème siècle se détachant<br />
sur un paysage neigeux flamand.<br />
Ce tableau a nourri à la source le concept <strong>de</strong> notre performance. Comment l’histoire <strong>de</strong> Jésus se déploieraitelle<br />
dans la Hongrie actuelle ? Quid si le divin enfant ne venait pas au mon<strong>de</strong> dans une étable à Bethlehem<br />
mais dans le garage d’un hôtel dans une petite province hongroise ? Si les rois mages <strong>de</strong> l’Orient étaient <strong>de</strong>s<br />
Japonais débarquant à l’aéroport et s’enquérant <strong>de</strong> Jésus non pas auprès d’Héro<strong>de</strong> mais du maire <strong>de</strong> ladite<br />
bourga<strong>de</strong> ? Si l’enfant ne faisait pas montre d’une science prodigieuse dans la religion juive mais dans la catholique,<br />
finissant par la critiquer vertement, en retour <strong>de</strong> quoi il ne serait pas déféré <strong>de</strong>vant les tribunaux<br />
mais incarcéré dans un asile psychiatrique où les aliénés, en infraction sur les consignes <strong>de</strong>s infirmières, le<br />
mettraient en pièces. Enfin, dans le souci <strong>de</strong> transposer l’outrage ressenti par les pharisiens <strong>de</strong>vant l’un <strong>de</strong>s<br />
leurs se proclamant fils <strong>de</strong> dieu, imaginez que notre héros soit une femme persuadée d’être la fille <strong>de</strong> dieu, la<br />
fille unique du seigneur, <strong>de</strong> qui elle procè<strong>de</strong> absolument.<br />
Outre la peinture <strong>de</strong> Bruegel, c’est le chef-d’œuvre <strong>de</strong> Boulgakov, Le maître et Marguerite, qui a constitué une<br />
référence centrale pour l’auteur du spectacle (Un personnage clé dans la pièce, le psychiatre qui évalue l’état<br />
<strong>de</strong> santé mental <strong>de</strong> la femme-messie, est une transposition du Pilate du roman. 2 )<br />
En octobre 2007, Béla Pintér a déjà écrit dix pièces et réalisé dix spectacles, tous inédits, comportant une intrigue<br />
originale et autonome. L’exploitation d’œuvres littéraires en guise <strong>de</strong> matériau brut a déjà été mise à<br />
l’épreuve à différentes reprises ; Hospital-Bakony est basé sur le roman <strong>de</strong> Béla Hamvas Carnaval ; Arva Csillag<br />
s’origine dans le ‘Oblomov’ <strong>de</strong> Gontcharov, enfin Dievouchka repose sur une documentation historiogra-<br />
67
phique <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Guerre Mondiale. Ces souches ou sources ne déterminent cependant que certaines portions<br />
ou strates du spectacle et sont tournées chaque fois sous un autre jour, <strong>de</strong> manière à refléter une problématique<br />
d’aujourd’hui qui affecte l’auteur personnellement et directement.<br />
A mesure que la pièce se déploie, même les motifs les plus familiers sont au bout du compte pris dans un tourbillon<br />
<strong>de</strong> tours, <strong>de</strong> tournures, d’où ils ressortent absolument méconnaissables et saisissants. Le ressort du<br />
nouveau, <strong>de</strong> l’inouï est tendu jusqu’à l’extrême limite <strong>de</strong> la pièce. Dans The Madwoman, cette « excitation garantie<br />
» ne dépend pas tant <strong>de</strong> quelque originalité narrative que <strong>de</strong> l’effet percutant <strong>de</strong> l’adaptation, le cadre<br />
mo<strong>de</strong>rne, les options spécifiques du jeu <strong>de</strong>s acteurs. L’intrigue et son dénouement étant en la circonstance<br />
connus <strong>de</strong> tous, nous avons décidé <strong>de</strong> porter l’accent sur les moyens, les outils et les modalités <strong>de</strong> la narration.<br />
Narration<br />
Dans notre spectacle, nous avons recours à la narration directe comme aux flashbacks. Avant que le protagoniste<br />
guérisse le docteur, <strong>de</strong>s images du présent et du passé affluent comme <strong>de</strong>s fragments <strong>de</strong> puzzle. Dans la<br />
pratique théâtrale, il peut s’avérer nuisible pour l’impact dramatique <strong>de</strong> mettre la narration au centre. Le pôle<br />
<strong>de</strong> l’ « ici et maintenant » peut s’en trouver désaimanté et neutralisé, en sorte qu’il <strong>de</strong>vient impossible <strong>de</strong> vivre<br />
l’intensité du moment présent. Nous nous sommes par conséquent efforcés <strong>de</strong> construire un équilibre entre<br />
éléments dramatiques et éléments narratifs. A cette fin, nous avons fait usage <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux procédés élémentaires:<br />
la musique et l’humour.<br />
Certains épiso<strong>de</strong>s ou détails sont communiqués au spectateur par le truchement <strong>de</strong> chœurs ou d’arias. Le<br />
phrasé musical (surtout pour ce qui concerne les chœurs) affecte quelque peu la compréhension et le transfert<br />
d’informations précises, il exerce en revanche un indubitable ascendant émotionnel et sensuel. La musique<br />
composée par Ferenc Danvas, inspirée principalement <strong>de</strong>s œuvres sacrales <strong>de</strong> Mozart (Requiem) et du<br />
Stabat Mater <strong>de</strong> Pergolèse, reconduit une duplicité adéquate à son objet. Sur un premier versant, elle sollicite<br />
à l’instar <strong>de</strong> l’histoire elle-même la recognition familière du spectateur et l’escorte en pays connu, tandis que<br />
sur l’autre versant elle opère en contraste avec la facture contemporaine et profane du spectacle.<br />
Synopsis<br />
Un soir <strong>de</strong> Noël, <strong>de</strong>ux étranges femmes d’affaires venues d’Extrême Orient se ren<strong>de</strong>nt chez le maire d’une petite<br />
ville rurale. Nullement préoccupées <strong>de</strong> buziness, elles s’enquièrent au sujet d’un enfant censé naître en ce<br />
jour et en cette bourga<strong>de</strong> d’extrême désolation. La seule chose qu’elles préten<strong>de</strong>nt savoir au sujet <strong>de</strong> cette enfant<br />
est « qu’elle changera la face du mon<strong>de</strong> ». Le maire, qui anticipait <strong>de</strong> juteux investissements nippons et<br />
par conséquent aigri jusqu’à l’os, non seulement ne leur prête aucune assistance, il va jusqu’à souhaiter leur<br />
mort avec celle du nouveau-né. Pendant ce temps, une fille répondant au nom <strong>de</strong> Edina Maté est née dans le<br />
garage d’un hôtel quelque peu isolé <strong>de</strong> la localité. La véritable mère est inconnue, dans la mesure où celle qui a<br />
mis l’enfant au mon<strong>de</strong> est une mère porteuse n’ayant jamais rencontré sa commanditaire.<br />
C’est ainsi que dans cet esprit juvénile et bourgeonnant vint à se développer la conviction que sa mère mystérieuse<br />
n’était autre que le Tout Puissant. Elle tiendra cependant cette croyance secrète jusqu’à l’âge <strong>de</strong> vingt<br />
ans. Menant une vie <strong>de</strong>s plus ordinaires auprès <strong>de</strong> ses parents adoptifs, elle ne se distingue <strong>de</strong> ses pairs que<br />
par sa connaissance par cœur <strong>de</strong> la bible. A l’âge <strong>de</strong> vingt ans, subitement, elle divulgue l’étrange théorie sur<br />
sa provenance, accomplit <strong>de</strong>s miracles et attire autour d’elle plusieurs disciples. Elle annonce, en outre, une<br />
révolution imminente dans la polarité <strong>de</strong>s genres et que la direction du mon<strong>de</strong>, jusqu’ici aux mains <strong>de</strong>s<br />
hommes, est sur le point <strong>de</strong> revenir aux femmes. Au <strong>de</strong>spotisme masculin agressif et insidieux va succé<strong>de</strong>r le
ègne féminin <strong>de</strong> la paix. L’institution ecclésiastique fait mauvaise grâce aux prêches d’Edina, qui constituent<br />
une critique radicale <strong>de</strong> l’hégémonie masculine dans les ordres catholiques. La popularité d’Edina ne<br />
cessant <strong>de</strong> croître - elle ira jusqu’à tenir un discours d’une redoutable efficacité retransmis par la chaîne télé<br />
Kanizsa - les autorités religieuses déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la faire incarcérer en milieu asilaire. Cependant, lorsque Edina<br />
se retrouve face au mé<strong>de</strong>cin qui était préposé à l’expertise <strong>de</strong> son état mental, l’histoire prend un tournant<br />
boulgakovien. Edina guérit le mé<strong>de</strong>cin d’un mal réputé incurable, en retour <strong>de</strong> quoi il choisit <strong>de</strong> la déclarer<br />
saine d’esprit et ainsi <strong>de</strong> lui rendre la liberté. Il sera cependant amené ultérieurement, à l’instar du Pilate <strong>de</strong><br />
Boulgakov, à prendre une décision en toute lâcheté : il la fait interner dans une institution malfamée dans<br />
l’arrière pays. Dans cet hôpital psychiatrique, qui est le véritable lieu du calvaire, surviendra le dénouement<br />
ultime <strong>de</strong> la pièce. Les pensionnaires mala<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’institut, qui au <strong>de</strong>meurant voient en Edina leur Messie,<br />
dans un accès <strong>de</strong> rage collective et à l’insu <strong>de</strong>s infirmières, vont finir par pendre la protagoniste. L’événement<br />
est abondamment relayé par la presse à scandale, d’autant plus que le corps <strong>de</strong> la victime a disparu. La police<br />
présume que le corps aurait été ravi par les premiers disciples d’Edina. Plus tard, dans tout le pays circulera la<br />
rumeur selon laquelle Edina a ressuscité.<br />
Extrait <strong>de</strong> presse<br />
Tamás Jászay – Criticai Lapok<br />
« … Une dramaturgie percutante fourmillant <strong>de</strong> bonds saisissants et généralement hilarants dans<br />
l’espace et le temps, dont il s’avère par la suite – en dépit <strong>de</strong>s digressions fréquentes et apparemment<br />
fortuites – qu’ils vont droit au but ; une stratégie dialogique abondante en surprises et sursauts ; le<br />
langage le plus prosaïque et le plus fragmenté porté à la scène, un chemin <strong>de</strong> croix semé en mosaïques<br />
qui se marie bien avec le Sprechgesang (ironique dans ses effets) et l’accompagnement musical<br />
live qui interprète et infléchit la pièce tout en charriant une représentation très sensuelle du<br />
contexte. »<br />
1 Le péril <strong>de</strong> la féminisation étant incessamment exploité dans la presse tabloïd et la « vie <strong>de</strong> Jésus » servant régulièrement <strong>de</strong> motif à un<br />
livre ou film à sensations, on pourrait simplement en conclure que les <strong>de</strong>ux thématiques sont « dans le vent ». Il me semble par conséquent<br />
utile <strong>de</strong> préciser que notre spectacle ne s’inspire en rien <strong>de</strong>s succès <strong>de</strong> librairie Da Vinci Co<strong>de</strong> et La fille <strong>de</strong> Dieu.<br />
2. La figure Boulgakovienne <strong>de</strong> Pilate, complètement recréée par l’auteur, exerce un ascendant bien plus profond sur le lectorat mo<strong>de</strong>rne<br />
que sa contrepartie dans les Evangiles. Quant à Mathieu Lévi, le disciple qui ne cesse d’ennuyer Jésus et d’interpréter ses actes <strong>de</strong> travers,<br />
il constitue probablement une force <strong>de</strong> dissuasion à l’encontre <strong>de</strong> quiconque souhaiterait raconter l’histoire <strong>de</strong> Jésus.<br />
69
THEATRE - MUMBAI<br />
Rehaan Engineer<br />
Rehaan Engineer (°1976n Nainital, In<strong>de</strong>), est diplômé <strong>de</strong> la Royal Aca<strong>de</strong>my of Dramatic Arts <strong>de</strong> Londres. Il est<br />
acteur, metteur en scène et co-fondateur <strong>de</strong> The Industrial Theater. Depuis la création <strong>de</strong> cette compagnie en<br />
2001 à Mumbai, Rehaan Engineer est actif dans les milieux du théâtre et du cinéma. Chacune <strong>de</strong>s productions<br />
auxquelles il a participé ont été louées par les critiques et les spectateurs : A Suitable Boy, Agamemnon<br />
en 2001; Manifestly False, Hayavadana en 2002; The Mrichhakatikaa, 8, Kaspar, Sexual Perversity in Chicago<br />
en 2003; The Maids, Molly Sweeney, Clogged Arteries, The Trestle at Pope Lick Creek en 2004 et Ursula<br />
en 2005.
DOCTRINE (HOW TO SURVIVE UNDER SIEGE)<br />
Beursschouwburg<br />
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26/05 > 21:00<br />
€ 15 / € 10<br />
EN, NL, FR > no subtitles<br />
Meet the artists after the performance on 21/05<br />
Concept & Mise en scène: Rehaan Engineer<br />
Avec: Imogen Butler-Cole, Nick Brown, Tom De Hoog, Dominique Roodthooft<br />
Musique: Andrew Charity<br />
Présentation: Beursschouwburg, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
CRÉATION<br />
71
Doctrine [How to survive un<strong>de</strong>r siege] - Bram De Cock<br />
Le metteur en scène et acteur indien Rehaan Engineer conçut au long <strong>de</strong>s sept <strong>de</strong>rnières années pas moins <strong>de</strong><br />
vingt projets <strong>de</strong> théâtre, aussi bien du théâtre à textes que <strong>de</strong>s installations vidéo et <strong>de</strong>s performances. Il se<br />
produit <strong>de</strong> surcroît occasionnellement en qualité d’acteur au théâtre et au cinéma. En 2001, aux côtés du metteur<br />
en scène Nadir Khan et du réalisateur Pushan Kripalani, il fonda dans leur port d’attache Mumbai (Bombay)<br />
le collectif The Industrial Theatre. Bombay, une métropole <strong>de</strong> 13 millions d’âmes, une ville portuaire<br />
effervescente et le centre <strong>de</strong>s flux capitalistes et <strong>de</strong>s plans <strong>de</strong> croissance du sous-continent indien.<br />
Sur le site web du collectif, leur mission, en réponse au sentiment d’urgence, est formulée <strong>de</strong> la façon suivante:<br />
Mumbai, we thought, faced a serious shortage of theatre spaces.<br />
Theatrical work in the city, we felt, was being handicapped by the constraints of over-familiar and<br />
over-used venues.<br />
We started the Industrial Theatre Co. to discover and popularize alternative spaces for theatre in<br />
Mumbai.<br />
Before too long, we discovered how complicated the dynamics of getting people to frequent exciting<br />
new spaces really are.<br />
And quickly moved back to using theatres.<br />
Today we'll work anywhere.<br />
Au principe <strong>de</strong> « The Industrial Theatre », faut-il également lier une aspiration à transgresser les frontières<br />
du lieu théâtral classique, mais plus globalement, il est question d’une quête <strong>de</strong>s enjeux et potentialités d’un<br />
idiome théâtral contemporain. Probablement un tantinet trop avant-gardiste au goût du public moyen indien,<br />
qui n’est pas prêt à bou<strong>de</strong>r les gradins fastueusement ornés et les salles <strong>de</strong> cinéma Bollywood en échange<br />
d’une excursion théâtrale dans une galerie d’art ou un local industriel.<br />
L’innovation formelle poursuivie par Engineer & co est dans le vent et est hybri<strong>de</strong>. En d’autres termes, un<br />
théâtre multimédia qui s’efforce <strong>de</strong> concilier le théâtre <strong>de</strong> texte, la vidéo, la pièce radiophonique, le court métrage,<br />
la performance et la musique. La signature inimitable résulte du choix soigné <strong>de</strong>s textes issus <strong>de</strong> la littérature<br />
dramaturgique et/ou universelle (généralement anglo-saxonne), une troupe d’acteurs virtuoses, une<br />
combinaison habile <strong>de</strong> film et <strong>de</strong> vidéo live, une musique originale, une scénographie minimale et la force<br />
plastique <strong>de</strong>s éclairages dépouillés.<br />
Doctrine [How to survive un<strong>de</strong>r siege], le spectacle monté par Engineer à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du Kunstensfestival<strong>de</strong>sarts,<br />
est à nouveau basé sur l’assemblage et la confrontation <strong>de</strong> textes issus <strong>de</strong> différentes époques et traditions.<br />
L’objectif est <strong>de</strong> mettre au jour <strong>de</strong>s rapports et <strong>de</strong>s intérêts communs, ou à tout le moins <strong>de</strong> dégager un<br />
carrefour où les idées et les approches respectives puissent se croiser, <strong>de</strong> manière à créer un champ traversé<br />
<strong>de</strong> tensions qui jette aussi un éclairage sur la thématique initiale. Les relations mutuelles sont par conséquent<br />
plutôt d’ordre thématique, intuitif ou poétique que strictement narratives.<br />
Engineer avait déjà précé<strong>de</strong>mment eu recoursaux techniques du collage, notamment dans Manifestly False<br />
(2002) inspiré <strong>de</strong> l’œuvre du dramaturge britannique contemporain Howard Barker et du poète sanscrit du<br />
12ème siècle Jayvada, dans Blackbird 13 (2005), un montage <strong>de</strong> textes qui inclut le philosophe autrichien Ludwig<br />
Wittgenstein et le poète Wallace Stevens ainsi que dans Visible Mass: A Meghadutam scrapbook (2007),<br />
où l’épopée sanscrite <strong>de</strong> datation imprécise Meghadutam <strong>de</strong> Kalidasa côtoie l’œuvre du poète américain Jorie<br />
Graham. Les projets d’Engineer procè<strong>de</strong>nt donc chaque fois d’un mouvement dialectique. Le rapprochement<br />
<strong>de</strong>s lointains engendre paradoxes et lignes <strong>de</strong> fracture qui font ressortir le soubassement constitué par <strong>de</strong>s
forces et idées antagoniques, dans leur rapport à quelque thématique générique (la sexualité, l’amour, le désir,<br />
la transcendance, l’indicible).<br />
Le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> Doctrine est le traité militaire Comment survivre à un état <strong>de</strong> siège, composé au 4ème<br />
siècle avant JC par le stratège grec Aeneas Tacticus. Un manuel pratique comprenant <strong>de</strong>s recommandations<br />
avisées pour défendre la ville assiégée. D’autre part, Engineer trouva une impulsion dans la remarque faite<br />
par l’écrivain et critique d’art britannique John Berger dans l’introduction <strong>de</strong> son livre And Our Faces, My<br />
Heart, Brief as Photos (1984) : Part one is about time. Part two is about space. Lue en sens inverse, cette <strong>de</strong>vise<br />
révèle un principe structurant <strong>de</strong> la représentation, où le partage <strong>de</strong> l’espace, puis le partage <strong>de</strong> la durée,<br />
le rassemblement <strong>de</strong>s acteurs et du public, ont valeur constitutive. La plume et le regard <strong>de</strong> Berger témoignent<br />
d’une acuité exceptionnelle quant aux détails <strong>de</strong> l’existence quotidienne et les épreuves marquantes <strong>de</strong><br />
notre vie, que l’on peut opposer aux vécus plus anodins qui ne font que nous effleurer. D’autres sources textuelles<br />
interviennent secondairement, par exemple les cahiers <strong>de</strong> guerre d’une femme <strong>de</strong> Beyrouth et les<br />
âpres fragments <strong>de</strong> théâtre du dramaturge américain Richard Foreman. Ce sont <strong>de</strong>s textes ouverts et dynamiques<br />
que l’on peut librement consulter sur internet.<br />
Outre la valeur historique du texte <strong>de</strong> Tacitus, c’est surtout la portée métaphorique <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> « siège » qui<br />
est prépondérante. Le terme mobilise un spectre <strong>de</strong> connotations politiques, morales et psychologiques, qui<br />
dépassent le contexte militaire d’origine. Il s’en faut <strong>de</strong> peu que l’expérience théâtrale elle-même apparaisse<br />
comme une forme <strong>de</strong> siège, le péril mis à part. Spectateurs et acteurs sont temporairement acculés dans un<br />
espace clos, à cette différence près que le spectateur y a cette fois librement consenti. En tout état <strong>de</strong> cause, la<br />
promotion du « siège » comme paradigme <strong>de</strong> l’expérience théâtrale entraîne une série <strong>de</strong> conséquences intéressantes<br />
tant pour les acteurs que pour le public.<br />
Exception faite <strong>de</strong> l’anxiété et <strong>de</strong>s troubles psychologiques pouvant résulter d’une réelle situation <strong>de</strong> siège, le<br />
traitement théâtral porte avant tout sur la manière dont chacun s’inscrit dans une communauté et affronte<br />
une situation temporairement immuable et inexorable.<br />
Les perspectives sur la notion <strong>de</strong> « siège » sont nombreuses. La signification historique peut être rapportée à<br />
l’actualité et aux innombrables régions meurtries où quotidiennement tombent <strong>de</strong>s victimes innocentes et assiégées.<br />
Par ailleurs, pour Engineer le siège renvoie également à une forme <strong>de</strong> résistance dans les limites <strong>de</strong><br />
la représentation : résistance entre acteurs ou entre acteurs et public. D’un point <strong>de</strong> vue sémantique, le terme<br />
<strong>de</strong> « résistance » porte sur la nature et le contenu du transfert d’information, bref sur la recherche <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> communication limpi<strong>de</strong>s ou obstrués.<br />
Doctrine est une représentation plurilingue, ce qui ouvre <strong>de</strong>rechef <strong>de</strong>s perspectives dramaturgiques. Quatre<br />
acteurs, respectivement anglophone, francophone, néerlandophone et indien partagent la scène. Chacun s’exprime<br />
dans sa langue. Compte tenu <strong>de</strong> l’auditoire, généralement bruxellois et bilingue, les textes flamand et<br />
français font davantage que strictement se doubler et se traduire.<br />
Certains textes sont dits dans les trois langues tandis que d’autres ne sont énoncés que dans une langue à la<br />
fois. Le transfert <strong>de</strong> l’information d’une langue à l’autre – ou à l’inverse, la rétention <strong>de</strong> l’information dans une<br />
seule langue – alimente aussi jusqu’à un certain point et dans son espèce une tension dramatique.<br />
La nature <strong>de</strong>s textes octroie par ailleurs une certaine licence <strong>de</strong> jeu aux acteurs. Engineer ne s’intéresse pas à<br />
<strong>de</strong>s personnages compacts et minutieusement délimités, mais à une libre fluence <strong>de</strong> jeu et non-jeu. En fonction<br />
<strong>de</strong> leurs propres intérêts ou expériences, les acteurs peuvent infléchir les textes. Sporadiquement, un<br />
semblant <strong>de</strong> personnage officie comme tel, mais à d’autres moments, les acteurs sont réduits à <strong>de</strong> simples<br />
passeurs d’informations, commentent l’action à distance, ou se défont <strong>de</strong> l’enveloppe du rôle et ne sont plus<br />
qu’eux-mêmes.<br />
73
Enfin, Doctrine ménage un espace non négligeable à la vidéo et au public. Engineer, qui est familier <strong>de</strong>s installations<br />
vidéo, intègre à nouveau du matériel vidéo <strong>de</strong> provenance diverse dans le spectacle. La combinaison<br />
du présent absolu <strong>de</strong> l’expérience théâtrale avec les formes narratives plus spectrales du film et <strong>de</strong> la vidéo,<br />
leur maniement propre <strong>de</strong> la présence et <strong>de</strong> l’absence, ouvre <strong>de</strong>s perspectives inédites. Sur ce point, Doctrine<br />
est plus radical que ses prédécesseurs. Les spectateurs, et par extension quiconque le souhaite, ont l’opportunité<br />
avant le début du spectacle <strong>de</strong> se filmer dans une cabine équipée d’une caméra et spécialement conçue à<br />
cet effet. Ce matériau visuel est ultérieurement réinjecté dans le spectacle, ce qui conduit à une confrontation<br />
pour le moins inusitée entre le spectateur et sa doublure. Un théâtre réfléchissant qui ne laissera personne indifférent.<br />
Mais également un théâtre <strong>de</strong> la transparence qui s’attache à divulguer le processus <strong>de</strong> fabrication<br />
et à résorber la coupure entre acteur et spectateur.
DANCE - PARIS<br />
Vincent Dupont<br />
Vincent Dupont (°1964) est comédien et metteur en scène. Il a travaillé entre autres avec les metteurs en<br />
scène Hubert Colas et Antoine Caubet, les chorégraphes Georges Appaix et Boris Charmatz. Il crée Le Verdict<br />
en 1999 et (Dikromatik) en 2003. A l'occasion <strong>de</strong> Jachères Improvisations en 2001, les danseurs évoluent<br />
muets au loin, alors que la voix du chorégraphe est retransmise au spectateur au moyen d'un casque individuel.<br />
En octobre 2005, Vincent Dupont explore dans Hauts cris (miniatures) le phénomène du cri. L'environnement<br />
sonore dans lequel il plonge son public aux Laboratoires d'Aubervilliers incite le spectateur à<br />
concentrer sans relâche son regard et son écoute, lors d'une expérience esthétique et émotionnelle intense.<br />
La force du travail <strong>de</strong> Vincent Dupont est <strong>de</strong> composer avec diverses disciplines (danse, musique, théâtre) une<br />
dramaturgie <strong>de</strong> la sensation nourrie par les jeux d'éclairage, la sonorisation <strong>de</strong>s déplacements d'objets, les<br />
distorsions du souffle et <strong>de</strong> la voix allant <strong>de</strong> la cacophonie à l'euphonie, les mouvements lents et progressifs<br />
du danseur composant <strong>de</strong>s unités temporelles qui s'équilibrent dans l'espace <strong>de</strong> la scène...<br />
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HAUTS CRIS (MINIATURE)<br />
Halles <strong>de</strong> Schaerbeek<br />
21, 22, 23/05 > 20:00<br />
€ 15 / € 10<br />
€ 20 / € 15 combitickets: Hauts Cris (miniature) + Incantus<br />
50 min<br />
Meet the artists after the performance on 22/05<br />
Texte: Agrippa d’Aubigné<br />
Mise en scène: Vincent Dupont (assist. Myriam Lebreton)<br />
Avec: Vincent Dupont<br />
Son: Thierry Balasse<br />
Création lumières: Yves Godin<br />
Création décor: Boris Jean<br />
Entraînement voix: Valérie Joly<br />
Présentation: Les Halles <strong>de</strong> Schaerbeek, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: J’y pense souvent (…)<br />
Coproduction: Les Laboratoires d’Aubervilliers, Centre national <strong>de</strong> danse contemporaine Angers, Centre chorégraphique<br />
national <strong>de</strong> Caen, Centre chorégraphique national du Havre, Centre chorégraphique national <strong>de</strong><br />
Tours<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> La DRAC Île-<strong>de</strong>-France - Ministère <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> la Communication, le conseil général<br />
<strong>de</strong> Seine St-Denis, DICREAM-Centre national <strong>de</strong> la Cinématographie (Paris)
Cris et chuchotements [perspectives] - Guillaume Désanges<br />
Perspective : science géométrique qui se propose <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s formes et <strong>de</strong> déterminer les proportions<br />
relatives <strong>de</strong>s éléments composant un spectacle réel ou imaginaire considéré d’un point fixe.<br />
(Source : encyclopédie Larousse).<br />
Situation : un danseur seul dans l’intérieur d’une salle à manger aux dimensions légèrement réduites.<br />
Surexposition lumineuse blanche sur paysage domestique.<br />
Il rampe sur le sol et les meubles. Grogne. Crie.<br />
Des capteurs sonores, vraisemblablement implantés dans le décor et sur son corps, prolongent chaque mouvement,<br />
chaque frottement, chacune <strong>de</strong> ses expirations en un vacarme assourdissant. Effroi. Ces infimes captations,<br />
via un traitement acoustique en direct, agissent comme une excessive caisse <strong>de</strong> résonance. Amplifient<br />
le son. Le grossissent. L’enflent.<br />
Alors, paradoxes. Un murmure assourdissant. Une lenteur dévastatrice. Une fureur <strong>de</strong> l’immobilité. Une expression<br />
inaudible. Un gron<strong>de</strong>ment contenu qui s’épanche.<br />
En un in<strong>de</strong>scriptible fracas sonore, mais avec <strong>de</strong>s gestes méthodiques et déterminés, le danseur finira par<br />
vi<strong>de</strong>r le décor <strong>de</strong> ses objets. Casser et découper à la tronçonneuse cet intérieur étouffant. En fera tomber les<br />
murs. L’anéantira. Puis, s’avancera doucement vers un tronc d’arbre placé sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène. Tapera<br />
<strong>de</strong>ssus avec un morceau <strong>de</strong> bois, déclenchant en sous-titres une projection désynchronisée <strong>de</strong> vers d’Agrippa<br />
d’Aubigné sur le tronc.<br />
Figure singulière dans le champ chorégraphique contemporain, Vincent Dupont, qui fut comédien avant<br />
d’être danseur pour d’autres, crée <strong>de</strong>s pièces très peu dansées, presque statiques, où les mouvements <strong>de</strong> corps,<br />
parfois quasi imperceptibles, travaillent à traduire l’énergie d’une tension interne à la scène. Une concentration<br />
<strong>de</strong> type magnétique. D’ailleurs, s’il élabore chacun <strong>de</strong> ses spectacles à partir <strong>de</strong> sources littéraires, c’est<br />
dans un même rapport plus dynamique que littéral au texte.<br />
Sous la forme d’une causalité invisible, ses emprunts aux poètes Christophe Tarkos ou Agrippa d’Aubigné ne<br />
sont jamais illustratifs, pas plus que <strong>de</strong>s prétextes à la danse.<br />
Sous-tendus, inaudibles, ils fon<strong>de</strong>nt un soubassement stylistique rythmique, au travail scénique. À travers<br />
l’exemple <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux spectacles – Jachères improvisations, et surtout Hauts Cris (miniature) créé aux Laboratoires<br />
d’Aubervilliers en octobre 2005 – je voudrais ici, en considérant principalement sa pratique <strong>de</strong> positionnement<br />
<strong>de</strong>s corps au sein <strong>de</strong> dispositifs optiques complexes et fortement connotés, montrer comment la<br />
radicalité formelle du chorégraphe est en elle-même vecteur d’un discours en actes sur l’histoire <strong>de</strong>s formes<br />
(notamment la question <strong>de</strong> la perspective), tendant à mettre en crise la présence physique au sein <strong>de</strong> la représentation<br />
artistique.<br />
Au premier abord, le travail chorégraphique <strong>de</strong> Vincent Dupont apparaît essentiellement visuel. On dirait plus<br />
précisément : pictural. Les gestes <strong>de</strong>s danseurs, minimaux, d’une lenteur si radicale qu’elle frise l’immobilisme,<br />
arrêtent un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> représentation figé, <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la composition plus que <strong>de</strong> l’animation. Véritables<br />
personnages <strong>de</strong> tableaux posés, les <strong>de</strong>ux protagonistes <strong>de</strong> Jachères improvisations, particulièrement,<br />
immobiles dans un intérieur contemporain fidèlement reconstitué sur la scène, concourent à une iconographie<br />
à priori plus proche <strong>de</strong> la peinture ou <strong>de</strong> la photographie qu’à <strong>de</strong> l’« art vivant ». Infimes modifications<br />
<strong>de</strong>s équilibres. Lent morphing gestuel. De fait, les spectacles <strong>de</strong> Dupont « font image ». Une tendance pictorialiste<br />
volontairement appuyée par un travail sensible et déterminant sur le décor, la lumière et le son.<br />
Les scénographies <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong> Dupont, élaborées et réalisées avec soin, en étroite collaboration avec<br />
l’artiste Boris Jean, composent ainsi <strong>de</strong> véritables installations montées sur la scène, disposant symbolique-<br />
77
ment un cadre redoublant celui du plateau <strong>de</strong> théâtre. Un cadre qui focalise le regard et semble projeter l’action<br />
sur une surface plane. Les proportions <strong>de</strong> cette ouverture unique sur la scène circonscrivent d’ailleurs un<br />
regard <strong>de</strong> type panoramique, suivant un modèle autant cinématographique (type écran 16/9e ou cinémascope)<br />
que pictural. Une exposition bien déterminée qui contraint le spectacle dans une unité <strong>de</strong> temps, <strong>de</strong> lieu et<br />
d’action ; mais contraint aussi bien les corps <strong>de</strong>s interprètes, les expose, les conditionne en tant que motifs.<br />
Dans Hauts Cris, le personnage éprouve d’ailleurs physiquement ce cadre, tentant manifestement d’en sortir,<br />
<strong>de</strong> jouer les passe-murailles. En vain. Point <strong>de</strong> fuite possible. Le travail tout aussi remarquable <strong>de</strong> la lumière,<br />
extrêmement précis quoique très simple, atteste d’une même recherche vers une iconographie <strong>de</strong> type classique.<br />
Clair-obscur pour Jachères. Sfumato pour Hauts Cris. À la fois puissante et diffuse, la lumière surexpose les<br />
scènes tout en les aplanissant, les déréalise. À tel point qu’un spectateur, incrédule mais fasciné par l’efficacité<br />
illusionniste <strong>de</strong> ces effets minimaux, put se faire en lui-même cette réflexion, pendant les dix premières<br />
minutes <strong>de</strong> Jachères : « C’est incroyable ce qu’on fait aujourd’hui avec la vidéo ! ».<br />
3D Reform. Hologrammes. Le son, enfin, n’est pas pour rien dans ce trouble perceptif <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong> Dupont.<br />
Puissant, amplifié électroniquement, modifié en direct par le musicien Thierry Balasse (autre fertile<br />
collaboration) et diffusé <strong>de</strong> manière pénétrante, il surexpose acoustiquement l’ensemble, achevant <strong>de</strong> transformer<br />
cette réalité physique et matérielle <strong>de</strong> la scène en bouleversantes apparitions spectrales.<br />
Ce caractère éminemment plastique <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Vincent Dupont n’est d’ailleurs pas sans références multiples,<br />
que l’on peut puiser dans une histoire récente <strong>de</strong>s arts visuels. Si dans Jachères la luminosité, les tonalités<br />
chromatiques et le choix même du sujet rappellent les toiles d’Edward Hopper, les photographies «<br />
chau<strong>de</strong>s » <strong>de</strong> Nan Goldin, voire une ambiance côte-Ouest-américaine à la David Lynch ; c’est plus vers un climat<br />
froid, vers les intérieurs neutres et insaisissables d’un Balthus ou d’un Vilhelm Hammerschoi que penche<br />
Hauts Cris. Subtilement, par ailleurs, Dupont associe à l’intérieur <strong>de</strong> son cadre plusieurs champs picturaux,<br />
jouant notamment sur la superposition <strong>de</strong> motifs figuratifs et abstraits. Dans Jachères, c’est un pan <strong>de</strong> lumière<br />
vive sur une paroi colorée qui vient contraster avec la figuration globalement très réaliste <strong>de</strong> la scène.<br />
Dans Hauts Cris, c’est un écran <strong>de</strong> lumière diaphane, pratiqué au fond du décor, qui opère comme un<br />
<strong>de</strong>uxième niveau <strong>de</strong> projection. Présence surplombante du monochome dans la scène <strong>de</strong> genre.<br />
Ces interventions appuyées, parions-le, ne sont pas uniquement formelles. Ni gratuites. Aiguisant une contradiction<br />
fondamentale entre le matérialisme d’une partie du décor (<strong>de</strong>s intérieurs propres et immaculés, étrangement<br />
familiers) et l’évanescence <strong>de</strong>s mouvements et <strong>de</strong>s corps, elles travaillent une question théâtrale<br />
décisive : comment corps et objets se trouvent pris en tenailles entre l’abstraction <strong>de</strong> leur signifié (déréalisation<br />
<strong>de</strong>s formes par la lumière et le son) et le réalisme exacerbé <strong>de</strong> leur facture (réification extrême par les<br />
mêmes procédés). Une tension fondamentale entre immanence et transcendance, qui génère certainement<br />
cette forte dramatisation psychologique <strong>de</strong> la scène figée, dans Hauts Cris comme dans Jachères, renvoyant<br />
au caractère onirique (employé en peinture – chez les surréalistes, notamment – mais aussi au cinéma) <strong>de</strong> la<br />
confusion obtenue par une extrême netteté.
THEATRE - ATHENS<br />
Michael Marmarinos /<br />
Theseum Ensemble<br />
Michael Marmarinos est né à Athènes et a étudié la biologie et le théâtre [...]. En 1983, il fon<strong>de</strong> le « Diplous<br />
Eros theatre ensemble » qui est rapi<strong>de</strong>ment soutenu par le Ministère <strong>de</strong> la Culture. Après une série <strong>de</strong> bouleversements<br />
internes, le groupe est récemment rebaptisé « Theseum Ensemble », une appellation qui sous-entend<br />
la synthèse conceptuelle du Théâtre et du Musée.<br />
En tant qu'acteur, il participe à la majeure partie <strong>de</strong>s créations du « Diplous Eros ensemble » et incarne <strong>de</strong>s<br />
rôles importants sous la direction <strong>de</strong> Roula Pateraki, Yannis Houvardas, Antonis Antipas, Ploutarhos Kaitatzis,<br />
Spiros Evangelatos,..., dans <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Koltes, Euripi<strong>de</strong>s , Daggermann...<br />
On le retrouve aussi <strong>de</strong>vant les caméras <strong>de</strong> L. Papastathis, Y. Corras, T. Spetsiotis, N. Triandafillidis, S. Theodoraki,<br />
C. Aristopoylos. Par ailleurs, il a pris part à un grand nombre <strong>de</strong> workshops, <strong>de</strong> symposiums et <strong>de</strong><br />
congrès partout dans le mon<strong>de</strong>.<br />
79
DYING AS A COUNTRY<br />
Tour & Taxis<br />
22, 23, 24/05 > 21:30<br />
€ 15 / € 10<br />
GRE > NL / FR<br />
2h<br />
Meet the artists after the performance on 23/05<br />
Texte: Dimitris Dimitriadis<br />
Mise en scène: Michael Marmarinos (assist. Myrto Pervolaraki, Sofia Filonos)<br />
Dramaturgie: Michael Marmarinos, Myrto Pervolaraki<br />
Avec: Mrs. Beba Blans, Nikos Alexiou, Giorgos Ziovas, Yannis Ntalianis, Theodora Tzimou, Mrs. Smaro Gaitanidou,<br />
Kim Soo-Jin, Adrian Frieling, Petros Alatzas, Ilias Algaer, Rena Andreadaki, Melina Apostolidou, Mariska<br />
Arvanitidi, Giorgos Vrondos, Margarita Kalkou, Roza Kaloudi, Virginia Katsouna, Ilan Manouach,<br />
Tilemachos Mousas, Alexandra Pavlidou, Vasilis Spiropoulos, Anastasia E<strong>de</strong>n, Aris Tsaousis, Lambros Filippou,<br />
Rena Fourtouni, Mr. Michalis Chatiris<br />
(et Mr. Dimitris Dimitriadis)<br />
Création décors: Kenny MacLellan<br />
Création costumes: Dora Lelouda<br />
Musique: Dimitris Kamarotos<br />
Danse: Valia Papachristou<br />
Mise en scène (film): Stathis Athanasiou<br />
Création Lumières: Yannis Drakoularakos<br />
Création sonore: Studio 19<br />
Opérateur son: Vassilis Boukis<br />
Présentation: Tour & Taxis, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Theseum Ensemble, Hellenic Festival (Athens)<br />
Relations publiques: Virginia Katsouna<br />
Administration: Rena Fourtouni<br />
Directeur administratif: Eleni Petassi<br />
Producteur: Manolis Sardis-PRO4 (assist. Afroditi Christodoulou-PRO4)<br />
Remerciements à: Stefanie Carp (Wiener Festwochen)
Mourir en pays - Michael Marmarinos<br />
Qu’est-ce qu’un pays ?<br />
À quel moment un pays meurt-il ?<br />
Le titre <strong>de</strong> ce texte contemporain/biblique reconduit un hurlement. Un hurlement <strong>de</strong> vie et d’espoir à l’encontre<br />
<strong>de</strong> la catastrophe émergente. Un hurlement qui comprend le rire, le désespoir, l’ironie, la joie au cœur, l’insurrection<br />
et le silence – tout ce qui constitue la vie en un temps <strong>de</strong> crise. Le hurlement <strong>de</strong> l’individu, sublimé<br />
par le collectif.<br />
Un pays est essentiellement composé <strong>de</strong> gens. Et en temps <strong>de</strong> crise, leur activité principale consiste à attendre.<br />
Attendre <strong>de</strong>vient le propre <strong>de</strong>s mortels. Des tâches rudimentaires <strong>de</strong> la vie quotidienne aux quêtes existentielles<br />
les plus profon<strong>de</strong>s, ils font le pied <strong>de</strong> grue. Une longue file humaine <strong>de</strong> citadins authentiques, issus<br />
<strong>de</strong> diverses familles sociales, politiques et nationales, en attente <strong>de</strong> pouvoir émettre un souhait, une prière,<br />
une prévision, une revendication, un couinement. Hurlements solitaires d’existences fragiles dispersées dans<br />
la gran<strong>de</strong> ville, à l’ombre <strong>de</strong>s grands événements.<br />
Ces gens composent le Chœur d’une Tragédie informelle, égarée dans la ville mo<strong>de</strong>rne. Le Chœur préfigure<br />
<strong>de</strong>s formes contemporaines dans le théâtre et la vie quotidienne; c’est un corps pourvu <strong>de</strong> qualités inouïes,<br />
apte à produire du texte, du chaos, <strong>de</strong> l’histoire et <strong>de</strong> la politique.<br />
Dying as a country - projet pour un roman - Michel Volkovitch<br />
note du traducteur<br />
L’Histoire <strong>de</strong> la littérature est jalonnée, <strong>de</strong> loin en loin, par quelques œuvres solitaires, qu'une perfection dans<br />
le désespoir ou l'horreur fait briller comme <strong>de</strong>s diamants noirs. Dying as a country appartient à cette impressionnante<br />
famille. Peut-on plonger plus loin que ce livre dans les bas-fonds <strong>de</strong> l'homme ? La mort physique et<br />
spirituelle d'un pays vaincu y est la figure d'une autre mort plus radicale, celle <strong>de</strong> toutes les valeurs humaines<br />
et <strong>de</strong> l'homme lui-même. On n'a même pas la consolation d'espérer un mon<strong>de</strong> meilleur à venir, dans cette humanité<br />
désormais stérile où les femmes ne peuvent plus faire d'enfants.<br />
Les livres, quoi qu'en disent leurs auteurs, sont toujours plus lourds d'autobiographie qu'il n'y paraît.<br />
Il serait difficile <strong>de</strong> ne pas voir ici, dans ce cri <strong>de</strong> haine contre un pays pourri jusqu'à la moelle, écrasé par<br />
l'Église et l'armée, un reflet <strong>de</strong> la Grèce telle que Dimitriadis l'a connue, sous la dictature <strong>de</strong>s Colonels, par<br />
exemple — même si ce portrait, publié en 1978, à un moment où la Grèce respire un peu après <strong>de</strong>s années <strong>de</strong><br />
tragédie, est tout sauf un compte rendu réaliste <strong>de</strong>s événements d'alors. Mais à cette lecture historique, si légitime<br />
soit-elle, il convient d’en superposer une autre, plus universelle. On a l'impression d'être ici face à un<br />
tableau complet <strong>de</strong> toutes les perversions et subversions, <strong>de</strong> toutes les formes <strong>de</strong> folie (hystérie et schizophrénie<br />
en tête), d'une synthèse <strong>de</strong>s maux <strong>de</strong> toutes les époques passées, présentes et à venir...<br />
Si l'auteur n'a pas vécu directement, suppose-t-on, les atrocités qu'il raconte, on sent qu'il lui a fallu, pour les<br />
imaginer, autant d'intuition que d'invention. Tout, dans ce récit frénétique, sonne vrai, à commencer par ce<br />
grotesque carnaval, cette allégresse <strong>de</strong> danse macabre dont il est parcouru. Car le tragique pur est un luxe<br />
pour nantis <strong>de</strong> la douleur, toute débâcle est un flot mêlé, tout désastre charrie ses jouissances cachées.<br />
Redoutable sujet — pour l'auteur d'abord. Il y faut une maîtrise dans l'écriture, et la jubilation qu'elle suscite<br />
chez le lecteur, pour que ce¬lui-ci avale tant d'amertume sans recracher. On reste sans voix <strong>de</strong>vant la maturité<br />
du jeune Di¬mitriàdis, qui faisait là ses débuts. On est surtout saisi <strong>de</strong> découvrir en lui un virtuose non seulement<br />
du déchaînement, du bruit et <strong>de</strong> la fureur, mais aussi <strong>de</strong> l'implicite, du <strong>de</strong>mi-mot, <strong>de</strong> l'infime détail qui<br />
tue. Comme ces guillemets entourant la partie finale où s'élève une voix disant « je », qui repoussent le « je » à<br />
81
distance, dans le passé, le dévitalisent, l'anéantissent avec la sûreté d'une guillotine. Ou ces crevasses d'allure<br />
sismique un peu partout, à savoir les points <strong>de</strong> suspension marquant <strong>de</strong> prétendues coupures, qui font que ce<br />
roman, l'un <strong>de</strong>s plus courts qui soient, <strong>de</strong>vient du même coup virtuellement très long, au point d'allier à la fascination<br />
<strong>de</strong> la fulgurance un peu <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l'infini.<br />
Et surtout, entre les coupures, il y a ces phrases démesurées, épuisées dès le départ et inépuisables, tendues,<br />
au bord <strong>de</strong> la rupture, comme tirées d'un instrument <strong>de</strong> musique mené à l'extrême limite <strong>de</strong> ses possibilités.<br />
On suit leur progression, à ces phrases, comme si c'était une aventure. S'il y a un héros dans ce livre apparemment<br />
sans personnage, c'est sans doute le langage, les mots, dont on exalte ici le pouvoir, capables qu'ils sont<br />
<strong>de</strong> « brûler la langue à jamais ». Et plus précisément la langue grecque, dont on voit défiler, comme dans un<br />
fleuve en crue, <strong>de</strong>s débris arrachés à toute son histoire, à tous ses registres — sans que l'on sache s'il s'agit là,<br />
comme l'annonce le texte, d'un ultime feu d'artifice avant sa disparition, ou au contraire, d'une démonstration<br />
<strong>de</strong> richesse et <strong>de</strong> vie renouvelées.<br />
Avec Dying as a country, Dimitriàdis se retrouvait d'un coup non loin <strong>de</strong> son compatriote, l'immense Georges<br />
Cheimonas, dans le petit cercle <strong>de</strong>s grands visionnaires. Également poète et dramaturge, il n'a publié <strong>de</strong>puis<br />
qu'un seul livre <strong>de</strong> fiction — ce qui ne veut pas dire qu'il ait dit là son <strong>de</strong>rnier mot... On rêve à ce qui se prépare.<br />
(…)
THEATRE - LA PLATA<br />
Beatriz Catani<br />
Dramaturge, metteur en scène, actrice et professeur <strong>de</strong> théâtre, Beatriz Catani est licenciée en Histoire à<br />
l'UNLP (La Plata National University) et a bénéficié <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> R. Bartís, P. Audivert, R. Szuchmacher, entre<br />
autres.<br />
Elle a écrit et mis en scène Cuerpos Aban<strong>de</strong>rados (1998), et fut invitée aux Wiener Festwochen (Vienne, 2001),<br />
au Festival <strong>de</strong> Buenos Aires (2001), au Porto Alegre Em Cena (Brésil, 2001), au Theater <strong>de</strong>r Welt (Allemagne,<br />
2002). Le Teatro <strong>de</strong>l Pueblo a accueilli Ojos <strong>de</strong> ciervo rumanos en coproduction avec le Theaterformen d'Hannovre<br />
et le Teatro San Martín <strong>de</strong> Buenos Aires. Cette production a également été présentée à Bruxelles à l'occasion<br />
du Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts en 2003, mais aussi au Festival <strong>de</strong>s Amériques (Montréal, 2003) et au<br />
Culturgest (Lisbonne, 2004). Batriz Catani a été récompensée par <strong>de</strong> nombreux prix nationaux et son travail<br />
littéraire a fait l'objet <strong>de</strong> publications dans son pays, mais aussi en Allemagne et en Espagne et a été traduit<br />
dans plusieurs langues.<br />
83
FINALES<br />
Théâtre L’L<br />
23, 24, 27, 28, 29, 30, 31/05 > 20:30<br />
25/05 > 15:00<br />
€ 15 / € 10<br />
ESP > NL / FR<br />
2h 30min<br />
Meet the artists after the performance on 24/05<br />
Mise en scène, Dramaturgie: Beatriz Catani<br />
Assistant mise en scène: Guido Ronconi<br />
Avec: Magdalena Arau, Maria Amelia Pena, Julieta Ranno, Matías Vertiz, Sonia Stelman<br />
Présentation: Théâtre <strong>de</strong> L’L, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong>: Instituto Nacional <strong>de</strong> Teatro y Fondo Nacional <strong>de</strong> las Artes<br />
Présentation: Théâtre L’L, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Supported by El Instituto Nacional <strong>de</strong> Teatro y <strong>de</strong>l Fondo Nacional <strong>de</strong> las Artes
À propos <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> Finales, un spectacle <strong>de</strong> Beatriz Catani<br />
Alejandro Cruz - La Nacion, le 27 octobre 2007<br />
Finales, la <strong>de</strong>rnière création en date <strong>de</strong> Beatriz Catani, est une machinerie scénique qui se compose <strong>de</strong> multiples<br />
strates <strong>de</strong> signification. La première du spectacle a eu lieu dans sa ville natale <strong>de</strong> La Plata, dans un théâtre<br />
qui date <strong>de</strong> 1889. Un édifice néoclassique au passé glorieux, qui <strong>de</strong>vra peut-être bientôt fermer ses portes<br />
par manque <strong>de</strong> moyens. La maison n’est pas soutenue par les pouvoirs publics et ne survit que grâce aux efforts<br />
d’une poignée <strong>de</strong> collaborateurs.<br />
La première du nouveau spectacle <strong>de</strong> Beatriz Catani, l’une <strong>de</strong>s voix les plus intelligentes et les plus talentueuses<br />
du théâtre argentin, se déroule dans le hall du théâtre. Dans cet espace sobre sont disposés <strong>de</strong>s fauteuils<br />
usés, datant <strong>de</strong>s années 70, dans lesquels un petit nombre <strong>de</strong> spectateurs peut prendre place. Quatre<br />
comédiens plongent le public dans une soirée émouvante, pleine d’événements inattendus qui se succè<strong>de</strong>nt à<br />
un train d’enfer.<br />
L’histoire commence quand l’un d’entre eux écrase un cancrelat sur les escaliers, pendant qu’Amelia écoute<br />
une version plage <strong>de</strong> la marche <strong>de</strong> Perón 1 sur son bala<strong>de</strong>ur (j’ai vu le spectacle un 17 octobre , ce qui donnait<br />
une dimension encore plus mélancolique à la scène). L’histoire s’achève quand la même comédienne constate<br />
que le cancrelat est mort, qu’après tant <strong>de</strong> pérégrinations, cet insecte, dont on sait qu’il peut survivre à <strong>de</strong>s<br />
guerres bactériologiques, a fini par mourir. La comédienne (l’alter ego <strong>de</strong> Catani ?) fige le jeu à plusieurs reprises<br />
et s’écrie : « Atten<strong>de</strong>z, réfléchissons ». Chaque fois que l’histoire prend une tournure définitive, elle propose<br />
une nouvelle piste permettant d’imaginer une autre situation. Ainsi se tisse un texte qui produit une<br />
impression quasi chaotique, fragmentaire et confuse. En insistant sur le qualificatif « quasi », car cette composition<br />
complexe porte l’empreinte <strong>de</strong> Catani. L’auteure <strong>de</strong> pièces telles que Los muertos, Cuerpos aban<strong>de</strong>rados<br />
et Los 8 <strong>de</strong> Julio veille à ce que tout s’imbrique parfaitement.<br />
Derrière cette approche <strong>de</strong> la réalité se cache son obsession, sa volonté maniaque <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s mécanismes<br />
logiques pouvant ordonner son propre discours, et son intention évi<strong>de</strong>nte que chaque mot claque, rebondisse<br />
et se diffuse dans le corps <strong>de</strong>s comédiens et dans l’espace.<br />
Conformément à ces lignes <strong>de</strong> force, les corps <strong>de</strong>s comédiens (Magdalena Arau, María Amelia Pena, Julieta<br />
Rano et Matías Vértiz) traduisent les accents, les intonations, les silences et les cris. Jusqu’au moment où le<br />
sacré cancrelat rend son <strong>de</strong>rnier souffle et que les comédiens s’abandonnent à <strong>de</strong>s considérations sur le bonheur,<br />
la joie, la douleur et la volatilité <strong>de</strong> nos états d’âme.<br />
La transition<br />
Outre les situations elles-mêmes, c’est surtout cette longue transition vers la fin qui est d’un humour désarmant,<br />
tout en laissant <strong>de</strong> la place à la réflexion… au milieu <strong>de</strong>s corps sautillants, courants et dansants <strong>de</strong>s comédiens.<br />
« Quelqu’un sait-il ce qui se passe ? » <strong>de</strong>man<strong>de</strong> Julieta, un peu abasourdie. Magdalena déci<strong>de</strong> (« je déci<strong>de</strong>rai »<br />
corrige-t-elle) que désormais, elle parlera toujours au futur, parce que l’on ne peut plus rien changer au passé.<br />
Matías, quant à lui, déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> se plonger dans la lecture, même si plus tard, il prend conscience que ce n’est<br />
pas vraiment sa tasse <strong>de</strong> thé. Tant pis.<br />
1 Le 9 octobre 1945, le colonel Juan Perón est arrêté par ses adversaires au sein du gouvernement. Le 17 octobre 1945, il est libéré sous la<br />
pression <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> masse populaires organisées par les syndicats, en particulier par le syndicat ouvrier Confe<strong>de</strong>ración General<br />
<strong>de</strong> Trabajo. Cette date du 17 octobre, connue sous le nom <strong>de</strong> Día <strong>de</strong> la Lealtad (le jour <strong>de</strong> la loyauté) est encore commémorée jusqu’aujourd’hui.<br />
85
« Atten<strong>de</strong>z, réfléchissons », propose Amelia. Une <strong>de</strong>mi-heure avant la fin du spectacle, elle fait remarquer qu’il<br />
y a « trop d’émotions, faisons une pause. » À la suite <strong>de</strong> quoi, tout le mon<strong>de</strong> s’installe dans les fauteuils usés<br />
pour souffler un peu, pendant qu’un membre <strong>de</strong> la production sert du thé et <strong>de</strong>s biscuits à l’assistance. Nous<br />
restons assis ainsi pendant un moment, dans le silence absolu, bien calés dans nos fauteuils, et nous fixons le<br />
vi<strong>de</strong>. De l’une ou l’autre manière, nous nous retrouvons tous ensemble, spectateurs et comédiens, au beau milieu<br />
d’une nuit d’insomnie, alors qu’un cancrelat se meurt et que quatre personnages méditent sur le fini et<br />
l’infini, jusqu’à parvenir, presque sans crier gare, la fin <strong>de</strong> Finales.
PERFORMANCE / INSTALLATION - BRUXELLES<br />
Isabelle Dumont / Annik Leroy /<br />
Virginie Thirion<br />
Isabelle Dumont<br />
Après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> littérature, Isabelle Dumont se tourne vers le théâtre, la danse contemporaine et le chant.<br />
Depuis 1986, elle travaille comme actrice - récemment dans les spectacles d'Ingrid von Wantoch Rekowski (Le<br />
Tango <strong>de</strong>s centaures ; Marguerite, l'âne et le diable ; In h-moll). En 2007, elle a pris part à la création <strong>de</strong> L'Européenne<br />
<strong>de</strong> David Lescot, mise en scène par Charlie Degotte. Elle développe également ses propres projets, e.a.<br />
<strong>de</strong>s solos (en 2004 Entrer dans le siècle, monologue mis en scène par Virginie Thirion, en 2006 Petit salon baroque<br />
créé pour le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts).<br />
Parallèlement, Isabelle Dumont travaille <strong>de</strong>puis 1998 comme rédactrice, pour le Théâtre National jusqu'en<br />
2003, ensuite ponctuellement pour le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts et le Théâtre <strong>de</strong> la Monnaie.<br />
Annik Leroy<br />
Cinéaste, photographe, professeur à l'ERG (Ecole <strong>de</strong> Recherche Graphique), Annik Leroy vit et travaille à<br />
Bruxelles. En 1981, elle réalise un long-métrage en noir et blanc, In <strong>de</strong>r Dämmerstun<strong>de</strong> Berlin. En 1999, son<br />
long-métrage Vers la mer obtient divers prix internationaux. En 2000 , elle réalise le court-métrage<br />
ffff+ppppp en collaboration avec l'ensemble <strong>de</strong> musique contemporaine Q-O2 et, en 2005, le documentaire Cell<br />
719, présenté aux Festivals <strong>de</strong> Rotterdam et d'Amsterdam.<br />
Des expositions photographiques et installations vidéo s'ajoutent à sa filmographie : Isolés, Ici (2003-2004,<br />
Tournai, Bruxelles), (Psycho) Zerreisswolf (2005-2006, Ou<strong>de</strong>naar<strong>de</strong>, Bruxelles), Lieber wütend als traurig<br />
(2006, Bruxelles, 2007, Berlin).<br />
Virginie Thirion<br />
Après une licence en psychologie à Dijon, Virginie Thirion s'installe à Bruxelles pour suivre les cours <strong>de</strong> l'IN-<br />
SAS, section jeu. Aujourd'hui c'est en Belgique qu'elle vit et travaille comme actrice mais aussi et surtout<br />
comme auteure et metteure en scène.<br />
Elle a créé plusieurs <strong>de</strong> ses textes : Zéphira, les pieds dans la poussière, Manon-45kg-7000m 2 et récemment<br />
Rentrez vos poules... avec Alexandre Trocki au Théâtre Varia (Prix du théâtre 2007). Elle a également mis en<br />
scène Boxe <strong>de</strong> Jean-Marie Piemme au Théâtre National en 2006. Son <strong>de</strong>rnier texte, Ecris que tu m'embrasses<br />
a obtenu Prix <strong>de</strong>s metteurs en scène CED-WB et a été primé aux Journées Théâtrales <strong>de</strong> Lyon 2006.<br />
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CRÉATION<br />
REGARDING<br />
La Raffinerie<br />
25/05 > 18:00<br />
23, 24, 25, 26, 30, 31/05 > 20:00<br />
31/05 > 22:00<br />
€ 15 / € 10<br />
FR > NL<br />
1h 15min<br />
Meet the artists after the performance on 24/05<br />
MEINHOF., the Annik Leroy installations, are presented before and after Regarding.<br />
Concept & Réalisation: Isabelle Dumont, Annik Leroy, Virginie Thirion<br />
Caméra: Annik Leroy<br />
Montage: Julie Morel<br />
Son: Marie Vermeiren<br />
Assistance digitale: Benoit Bruwier<br />
Présentation: La Raffinerie / Charleroi-Danses, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong>: Les Halles <strong>de</strong> Schaerbeek
La place du spectateur dans Regarding<br />
Isabelle Dumont, Pierre-Philippe Hofmann<br />
Le recours au médium photographique pour traiter <strong>de</strong> la guerre débute vers le milieu du XIXe siècle : alors que<br />
Roger Fenton livre à cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Crimée que la distance et le caractère posé ren<strong>de</strong>nt<br />
acceptable — d’une part retenu par les possibilités techniques liées au matériel photographique <strong>de</strong><br />
l’époque mais également tempéré par le souci <strong>de</strong> satisfaire au mieux les intentions politiques du pays dont il<br />
honorait la comman<strong>de</strong> — les images <strong>de</strong> Mathew Brady, couvrant alors la guerre <strong>de</strong> Sécession, prennent déjà<br />
une tournure plus dramatique, osant pour la première fois représenter le corps sans vie <strong>de</strong>s victimes.<br />
Dans Regarding the pain of others (Devant la douleur <strong>de</strong>s autres, éd. Christian Bourgeois, 2003), incisive réflexion<br />
sur les images <strong>de</strong> guerre dont s’inspire le projet Regarding, l’essayiste engagée qu’est Susan Sontag<br />
s’intéresse à la couverture médiatique <strong>de</strong>s désastres plus récents transcendés par une iconographie avi<strong>de</strong>,<br />
participant volontiers à une incessante surenchère <strong>de</strong> sensationnalisme. La Secon<strong>de</strong> guerre mondiale, la<br />
guerre du Vietnam, la guerre du Golfe, les événements new-yorkais du 11 septembre ont drainé un flot impressionnant<br />
d’images dont certaines, telles <strong>de</strong> véritables pétrifications <strong>de</strong> la réalité, ont durablement marqué la<br />
mémoire collective.<br />
En même temps que ces images <strong>de</strong> la douleur <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus éprouvantes, elles semblent non seulement<br />
se banaliser mais plus encore susciter un intérêt inconditionnel. Cette <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la cruauté n’a-telle<br />
pas pour conséquence d’immuniser les spectateurs contre la violence ou, au contraire, <strong>de</strong> les y inciter ? La<br />
perception <strong>de</strong> la réalité est-elle érodée par le barrage quotidien <strong>de</strong>s images ? Que signifie se sentir concerné<br />
par les souffrances <strong>de</strong>s gens dans <strong>de</strong>s zones <strong>de</strong> conflit lointaines? Quelle est la signification politique et<br />
éthique <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> la guerre, <strong>de</strong> la violence, <strong>de</strong> la souffrance ? Puisque <strong>de</strong> telles images n’arrêtent en rien la<br />
barbarie, que faire d’elles, que faire <strong>de</strong>vant elles ?<br />
C’est précisément autour <strong>de</strong> ces questions que s’articule la démarche d’Isabelle Dumont, d’Annik Leroy et <strong>de</strong><br />
Virginie Thirion, toutes trois issues <strong>de</strong> pratiques artistiques et <strong>de</strong> parcours différents.<br />
Si le travail <strong>de</strong> photographe et <strong>de</strong> cinéaste d’Annik Leroy l’a révélée par la réalisation <strong>de</strong> différents films,<br />
parmi lequels les longs-métrages In <strong>de</strong>r Dämmerstun<strong>de</strong> Berlin <strong>de</strong> l’aube à la nuit (1981), Vers la mer (1999) ou<br />
plus récemment par <strong>de</strong>s expositions présentant tantôt ses photographies, tantôt ses installations vidéo, la<br />
production <strong>de</strong> ses partenaires est plus attachée à la scène. Les activités d’Isabelle Dumont, <strong>de</strong> formation littéraire,<br />
oscillent entre l’écriture, le théâtre, la danse contemporaine et le chant ; Virginie Thirion est actrice, auteure<br />
et metteure en scène.<br />
Pour Regarding, à la fois installation et performance, elles ont fait le choix délicat <strong>de</strong> permettre le dialogue, la<br />
surimpression <strong>de</strong> trois mo<strong>de</strong>s narratifs distincts. L’articulation du dispositif permet une vision nourrie <strong>de</strong><br />
points <strong>de</strong> vue multiples, avec pour principe <strong>de</strong> casser les logiques spectaculaires… Ainsi, les images d’Annik<br />
Leroy privilégient la durée, la répétition, l’insistance, se soustraient au « choc <strong>de</strong>s photos ». Projetées dans<br />
l’espace, elles le déstructurent autant qu’elles focalisent l’attention. Le travail sonore développé en contrepoint<br />
brouille les repères, ouvre <strong>de</strong>s espaces hors champ. De son côté, Virginie Thirion signe un texte qui <strong>de</strong>vient<br />
la trame verbale d’une image mentale qui se révèle peu à peu en nous, <strong>de</strong>scription minutieuse ouvrant<br />
sur toutes les pensées, sur toutes les interrogations possibles. Une photographie. Mieux encore, un acte photographique.<br />
Une <strong>de</strong>scription précise, obsessionnelle, qui explore et interroge chaque détail. Elle n’en finit<br />
pas, elle est abyssale, elle concourt à créer une certaine forme d’inconfort en procédant par accumulation. Par<br />
89
ce subtil retournement, nous ne sommes plus <strong>de</strong> simples regar<strong>de</strong>urs, nous prenons part à l’œuvre, <strong>de</strong>venons le<br />
photographe d’une image telles celles que Susan Sontag décrit dans ses livres, sans jamais cé<strong>de</strong>r à la tentation<br />
<strong>de</strong> nous en livrer <strong>de</strong> reproduction. D’une tout autre manière, Isabelle Dumont déci<strong>de</strong>, par son action scénique,<br />
d’opérer à sa manière la « reconstitution » d’un corps victime <strong>de</strong> la guerre, dans un lent travestissement<br />
qui exhibe le simulacre <strong>de</strong> l’illusion théâtrale et sa vaine tentative d’i<strong>de</strong>ntification. Car la guerre reste inimaginable,<br />
donc irreprésentable… Une tension surgit toutefois à mesure que le corps vivant et préservé <strong>de</strong>vient<br />
corps mort et malmené, inutile, abandonné, questionnant le spectateur sur son impuissance face à la guerre<br />
et ses atrocités.<br />
Si le caractère instantané <strong>de</strong> la photographie cè<strong>de</strong> place à la réflexion, c’est aussi parce que l’œuvre ne vit pas<br />
pour elle seule. Nourries d’images si proches et distantes à la fois, les trois artistes, dont le sujet <strong>de</strong> la guerre<br />
avait déjà balisé le parcours <strong>de</strong> chacune, ambitionnent <strong>de</strong> marquer leur public, <strong>de</strong> le sensibiliser à une lecture<br />
plus analytique et éthique.<br />
« Laissons les images atroces nous hanter. Même si elles ne sont que <strong>de</strong>s emblèmes, qui ne peuvent<br />
rendre compte <strong>de</strong> toute la réalité à laquelle elles renvoient, elles n’en accomplissent pas moins une<br />
fonction vitale. Car elles disent ce que les humains sont capables d’infliger à d’autres humains, ce<br />
pourquoi ils peuvent se porter volontaires, avec enthousiasme, sûrs <strong>de</strong> leur bon droit. »<br />
(Susan Sontag, Devant la douleur <strong>de</strong>s autres, p. 123)<br />
Les questions posées par Regarding tentent <strong>de</strong> dépasser les clivages entre la fascination et le dégoût, l’émotion<br />
et l’indifférence. Elles tentent avant tout d’éveiller la conscience et la responsabilité d’être <strong>de</strong>vant ces<br />
images… face à ceux qui sont <strong>de</strong>dans. Cette réflexion <strong>de</strong>vient expérience.
PERFORMANCE - ADELAIDE / JYVÄSKYLÄ<br />
Rebekah Rousi<br />
Actuellement installée en Finlan<strong>de</strong>, Rebekah Rousi est d'origine australienne. C'est en 1998 qu'elle débute sa<br />
carrière artistique en commençant à exposer. Alors qu'elle s'interéssait principalement aux techniques d'impression,<br />
Rebekah Rousi a été amenée à la performance par la nécessité d'incorporer à sa démarche plus <strong>de</strong><br />
vulnérabilité et <strong>de</strong> spontanéité, <strong>de</strong>ux notions qui lui semblaient impossible <strong>de</strong> conjuguer sans l'implication<br />
plus directe <strong>de</strong> son corps. Depuis plus <strong>de</strong> quatre ans, à côté <strong>de</strong> son intérêt ininterrompu pour la photographie<br />
d'architecture et l'impression, elle a développé un projet intitulé The Researcher. Contre toute attente, c'est<br />
pour <strong>de</strong>s espaces académiques qu'il a été conçu, du local <strong>de</strong> classe à la salle <strong>de</strong> conférence. De la sorte elle ne<br />
se heurte plus aux limites imposées mais les dépasse délibérément. Parmi ses autres projets, The Longuest<br />
Lecture Marathon, repose sur l'idée d'épuiser les possibilités d'une présentation Powerpoint.<br />
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THE LONGEST LECTURE MARATHON<br />
Erasmushogeschool<br />
23/05 > 19:00-22:00<br />
24/05 > 10:00-22:00<br />
25/05 > 10:00-22:00<br />
free entrance<br />
EN > no subtitles<br />
During the performance the audience can wan<strong>de</strong>r in and out of the classroom<br />
Avec et <strong>de</strong> Rebekah Rousi<br />
Présentation: Erasmushogeschool Campus Dansaert, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Remerciements à Gregg Whelan, Maija Eränen, Johanna Tukkanen, R2 Rousi, The Pitmans and Rousis
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts rencontre Rebekah Rousi<br />
propos recueillis par Barbara Van Lindt<br />
Vous avez reçu une formation en arts graphiques et en « cultural studies ». Vous avez travaillé dans les arts<br />
graphiques, vous avez enseigné l’anglais et à présent vous avez créé votre première performance. Par quel<br />
cheminement ? Pourquoi faire une performance live ?<br />
En fait, mon travail artistique est et a toujours été très hybri<strong>de</strong>. Bien que j’aie accompli mes premiers pas dans<br />
la peinture, j’ai exercé et exposé en tant que graveur/photographe/graphiste et joué plusieurs pièces en Australie<br />
– ANTI 1 fut ma première performance en Europe. Je le perçois comme un tout solidaire, le lien fût-il confus.<br />
J’ai d’abord cherché à m’exprimer en peignant, ce qui m’a menée à la gravure et la photo (essentiellement <strong>de</strong>s<br />
espaces architecturaux). Je me suis rendue compte que la photographie réalisait mes objectifs plus directement.<br />
Le <strong>de</strong>ssin est quasiment un produit dérivé émotionnel <strong>de</strong> la pensée qui gui<strong>de</strong> mes gravures et mes photos,<br />
et la performance est la tisseran<strong>de</strong> qui les traverse tous. Ma présence a toujours fait partie intégrante<br />
même <strong>de</strong> mon travail en 2D, et j’ai toujours été – à ma gran<strong>de</strong> honte – du genre à aimer « disserter » interminablement<br />
au sujet du contenu <strong>de</strong> mes œuvres. Je crois que l’aspect le plus hardi pour moi n’était pas la performance<br />
mais le fait <strong>de</strong> lâcher mon filet <strong>de</strong> sécurité – les œuvres en 2D. Je suppose qu’en un sens, c’est<br />
exactement ce en quoi consiste PowerPoint. Ensuite, outre le fait que ça rapporte <strong>de</strong> l’argent (ha-ha), je regar<strong>de</strong><br />
l’enseignement <strong>de</strong> l’anglais, et l’enseignement en général, comme une continuation <strong>de</strong> la performance par d’autres<br />
moyens. Mes exposés peuvent fluctuer <strong>de</strong> l’extrêmement terre-à-terre au franchement absur<strong>de</strong> – ainsi que<br />
je l’ai vu faire par d’autres enseignants.<br />
Pourquoi avez-vous opté pour un marathon ? Pourquoi cette « forme endurante » ? Vous inscrivez-vous dans<br />
cette tradition <strong>de</strong> la performance qui cherche à outrepasser les limites <strong>de</strong> l’exploit physique ?<br />
Je crois que l’université est un marathon. C’est proprement marathonien <strong>de</strong> surveiller qui aura le plus d’audience,<br />
le plus <strong>de</strong> publications, le plus <strong>de</strong> qualifications et qui sera le plus fréquemment cité. À mes yeux, l’université<br />
est pure endurance ; il s’agit d’une épreuve <strong>de</strong>stinée à voir qui sera capable <strong>de</strong> surpasser ses<br />
condisciples et <strong>de</strong> briller par l’utilisation <strong>de</strong> citations. Il s’agit donc également d’une épreuve pour déterminer<br />
qui, au sein <strong>de</strong> l’audience, parviendra à tenir le plus longtemps. Les mêmes arguments et théories circulent inchangés<br />
<strong>de</strong>puis au moins l’époque <strong>de</strong>s Lumières, avec la possibilité toutefois d’ajouter quelques noms – mais<br />
ces <strong>de</strong>rniers également appartiennent à l’essoufflant débat <strong>de</strong> « longue haleine ». J’ai été très clairement influencée<br />
par <strong>de</strong>ux artistes / groupes particuliers – Lone Twin et Domenico <strong>de</strong> Clario – pour ce qui est d’assouplir<br />
les frontières à force d’endurance. J’ai vu Lone Twin jouer Sledge Hammer Songs au National Review of<br />
Live Arts (Midland, 2005) et j’ai été complètement abasourdie. Je ne parvenais pas à comprendre comment leur<br />
rituel <strong>de</strong> déclamation, <strong>de</strong> costumes et <strong>de</strong> mouvements (et plus encore) pouvait traîner en longueur à ce point, et<br />
en tant que public, il m’était impossible <strong>de</strong> décrocher. Peu importait le ridicule, il fallait tout simplement que je<br />
sois là et vive la pièce avec eux. J’ai été en contact <strong>de</strong>s années durant avec <strong>de</strong> Clario et j’ai vu la panoplie <strong>de</strong> ses<br />
pièces – les « au long cours » ou autres. Il a une manière <strong>de</strong> disséquer le banal et d’évincer le « raffiné ». Par<br />
exemple, à plusieurs occasions il a « tapé » <strong>de</strong>s poèmes sur un clavier <strong>de</strong> piano, parfois une nuit entière.<br />
Vous avez choisi <strong>de</strong> produire The Longest Lecture Marathon dans un établissement pédagogique et non dans<br />
un théâtre. Pourquoi ?<br />
Cela pourrait se faire dans un théâtre – mais ce serait alors une pièce <strong>de</strong> théâtre. J’ai choisi un établissement<br />
pédagogique parce que c’est un exposé. Je suis là pour instruire, ou le lieu est là pour m’instruire, ou peut-être<br />
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l’instruction a-t-elle besoin qu’on lui fasse la leçon. Chaque édifice a sa fonction incorporée, même si ces fonctions<br />
changent au cours du temps. Quand <strong>de</strong>s gens se ren<strong>de</strong>nt au théâtre, ils ont un comportement déterminé,<br />
<strong>de</strong>s attentes spécifiques – ils veulent être divertis, choqués ou émerveillés. Quand ils se ren<strong>de</strong>nt dans une école,<br />
ce réseau <strong>de</strong> comportements et d’attentes n’est pas le même – ils vont probablement veiller à être ponctuels,<br />
discrets, appliqués et la plupart du temps ils s’atten<strong>de</strong>nt à un apprentissage, une qualification, voire un ennui<br />
mortel. C’est ce sel particulier <strong>de</strong> l’environnement scolaire qui relever le contenu <strong>de</strong> mon propos.<br />
Votre exposé est constitué <strong>de</strong> démonstrations existantes <strong>de</strong> PowerPoint. Où les avez-vous trouvées ? Les<br />
avez-vous sélectionnées sur base <strong>de</strong> certains critères ?<br />
L’essentiel ou les idées directrices en vue <strong>de</strong> l’essentiel proviennent <strong>de</strong> ma propre expérience d’enseignante, en<br />
particulier celle qui a trait à l’apprentissage à vie, et en partie aussi <strong>de</strong> mes recherches post-doctorales en «<br />
cultural studies ». Les diapositives <strong>de</strong> PowerPoint ont été glanées un peu partout, précisément en vue d’illustrer<br />
le règne <strong>de</strong> l’uniformité dans le mo<strong>de</strong> d’application <strong>de</strong>s théories. Mais j’ai introduit dans les images certaines<br />
modifications subtiles en vue <strong>de</strong> consoli<strong>de</strong>r l’ensemble, d’exaspérer certains traits et <strong>de</strong> les rendre plus<br />
conformes à The Researcher.<br />
Dans votre exposé, vous parlez <strong>de</strong> la formation permanente, du « lifelong learning ». Ce phénomène ne nous<br />
est pas très familier, pouvez-vous nous dire ce qui a motivé ce choix et ce que vous en pensez ?<br />
Le mot pour « chômage » à l’ère <strong>de</strong> l’information ? Bon… « lifelong learning» est utilisé couramment, en particulier<br />
dans le secteur <strong>de</strong>s affaires, du social et <strong>de</strong> l’éducation en Finlan<strong>de</strong> (et dans toute l’Union européenne).<br />
D’après la Commission européenne (Education and Training, 2007), ce terme recouvre « l’instruction à <strong>de</strong>s fins<br />
personnelles, civiques et sociales ainsi qu’à <strong>de</strong>s fins professionnelles ». Ce principe épouse l’apprentissage<br />
dans toutes sortes <strong>de</strong> contextes et rapporté à toutes sortes d’objectifs, et à ce jour l’Union européenne a consacré<br />
à ce déconcertant <strong>de</strong>ssein plus <strong>de</strong> 2 millions d’euros. Comme l’appellation le laisse entendre, il s’agit <strong>de</strong> vanter<br />
l’apprentissage à tous âges – y compris les adultes consentants et jusqu’aux vieillards passionnés.<br />
Je considère l’instruction – et l’opportunité d’acquérir <strong>de</strong>s connaissances – comme un privilège, un droit humain<br />
fondamental qui n’est pas partout réalisé. En tant qu’humains, nous n’avons jamais fini d’apprendre. La<br />
poursuite d’un programme d’instruction auprès <strong>de</strong> personnes adultes leur procure sans aucun doute <strong>de</strong>s expériences<br />
pertinentes, <strong>de</strong>s opportunités d’ascension sociale et peut-être <strong>de</strong>s perspectives <strong>de</strong> carrière. Ce que je<br />
crains, c’est l’embourbement dans les sables piégés <strong>de</strong>s jargons, <strong>de</strong>s titres, <strong>de</strong>s théorisations… À peine sont-ils<br />
venus à bout d’une formation, prêts à tâter du travail, qu’ils se découvrent une lacune dirimante et réintègrent<br />
la nouvelle classe où on leur servira – à l’assaisonnement près – ce qu’ils ont déjà ingurgité l’année précé<strong>de</strong>nte.<br />
Croyez-vous en l’éducation ?<br />
Instruction ou éducation sont <strong>de</strong>s termes dont tout le mon<strong>de</strong> a besoin, fût-ce pour les couronner <strong>de</strong> guillemets.<br />
Ils ont toujours joué un rôle stratégique dans <strong>de</strong>s dispositifs socio-politiques, où ils masquaient <strong>de</strong>s pratiques<br />
d’asservissement et <strong>de</strong> conditionnement. Quoi qu’il en soit, mon travail n’est pas porté sur ce point. Je crois en<br />
l’étu<strong>de</strong> et considère que dans la société contemporaine, l’instruction est un instrument <strong>de</strong> survie économique<br />
et sociale – en plus d’être un privilège. Simplement je m’interroge – non sans inquiétu<strong>de</strong> – quant à l’ampleur du<br />
fossé qui sépare l’instruction dans le sens d’une plate-forme du savoir et l’instruction dans le sens d’un labyrinthe<br />
diabolique où certains ne pourront jamais entrer tandis que d’autres ne parviendront jamais à en sortir.<br />
1 ANTI Festival à Kuopio, Finlan<strong>de</strong>, Septembre 2007, où a été présentée la première <strong>de</strong> The Longest Lecture Marathon.
THEATRE - TOKYO<br />
Toshiki Okada / chelfitsch<br />
Toshiki Okada (°1973) est nouvelliste mais est également auteur et metteur en scène pour le théâtre. On lui<br />
doit la création <strong>de</strong> la compagnie "chelfitsch" en 1997. Ses créations portent la marque d'une méthodologie emblématique<br />
: il mêle un usage populaire <strong>de</strong> la langue japonaise à une chorégraphie marquée par la corporalité<br />
"bruyante" <strong>de</strong>s acteurs. Si Five Days in March (2004) remporte le 49e Kishida Drama Award en 2005, c'est que<br />
le jury en a apprécié la teneur <strong>de</strong>s questions posées autour du discours théâtral mais également la richesse<br />
<strong>de</strong>s idées qui ont permis à l'auteur <strong>de</strong> transposer son mécontentement en une œuvre d'art. Sa façon <strong>de</strong> mettre<br />
les corps en mouvement, souvent calquée sur une gestualité exacerbée, forcent les comparaisons à la danse.<br />
C'est peut-être une <strong>de</strong>s raisons qui mène le projet Air-Conditioner à la finale du "Toyota Choreography Award<br />
2005: Discover the Choreographer for Next Generation". En septembre 2005, Okada remporte le "Yokohama<br />
Cultural Award/Yokohama Award for Art and Cultural Encouragement". Un an plus tard, ll représente son<br />
pays lors du "Stuecke'06/International Literature project in the course of the Football World Cup 2006" et <strong>de</strong>vient<br />
directeur <strong>de</strong> l'édition 2006-07 du festival d'art dramatique "Summit" au Komaba Agoga Theater.<br />
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FREETIME<br />
Beursschouwburg<br />
24, 25, 31/05 > 18:00<br />
27, 28, 29, 30/05 > 22:30<br />
€ 15 / € 10<br />
Japanese > FR / NL<br />
Meet the artists after the performance on 25/05<br />
Texte, concept & mise en scène: Toshiki Okada<br />
Avec: Tomomitsu Adachi, Mari Ando, Saho Ito, Kei Nanba, Taichi Yamagata, Luchino Yamazaki<br />
Création Décor: Torafu Architects Inc.<br />
Musique: Atsuhiro Koizumi<br />
Création lumières: Tomomi Ohira<br />
Création sonore: Norimasa Ushikawa<br />
Présentation: Beursschouwburg, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: chelfitsch<br />
Coproduction: Wiener Festwochen, Festival d’Automne à Paris, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong>: Japan Arts Fund & The Saison Foundation<br />
Remerciements à: Yokohama Arts Platform, Steep Slope Studio, Kitakyushu Performing Arts Center, Super<br />
Deluxe
Un entretien avec Toshiki Okada -<br />
propos recueillis par Ryohei Nakajima le 16 février 2008 (au terme <strong>de</strong> la 1 è répétition intégrale)<br />
Votre <strong>de</strong>rnier projet, Freetime, est une co-production internationale qui réunit <strong>de</strong>s festivals à Bruxelles,<br />
Vienne et Paris. Quelles ont été les réactions à Five Days in March lors <strong>de</strong> votre tournée européenne l’an <strong>de</strong>rnier<br />
?<br />
Okada : En premier lieu, je suis convaincu que dès les premiers moments <strong>de</strong> la pièce, même ceux qui ne comprennent<br />
pas le japonais percevront qu’il y a un décrochage entre les gestes et les discours <strong>de</strong>s acteurs. Les<br />
<strong>de</strong>ux évoluent clairement dans <strong>de</strong>ux directions divergentes. L’étape suivante repose sur un mouvement réflexif<br />
<strong>de</strong> l’auditoire, du type « ces acteurs sur scène, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, gesticulent en dépit du bon sens, mais à la réflexion,<br />
ne sont-ce pas les mouvements que - jusqu’à un certain point - nous accomplissons quotidiennement ?<br />
» Je pense que <strong>de</strong> cette confrontation naît un <strong>de</strong>s éléments essentiels du spectacle. L’an passé, quand la pièce a<br />
été montrée à Paris et à Bruxelles, cet enjeu minimal a été gran<strong>de</strong>ment satisfait et nous avons été très bien accueillis,<br />
à moins que l’on ne doive ce succès qu’ la qualité <strong>de</strong>s traductions et à l’ouverture d’esprit et la bienveillance<br />
<strong>de</strong> l’auditoire. J’ignore comment cela se déroulerait pour <strong>de</strong>s pièces autres que Five Days in March, mais<br />
j’ai tendance à penser que rien n’est impossible – j’ai pu m’en aviser personnellement et les réactions furent<br />
très enthousiastes.<br />
Riche <strong>de</strong> ce succès, vous revenez à présent avec le très attendu Freetime. On m’a dit que vous avez commencé<br />
à y travailler en octobre <strong>de</strong> l’année passée.<br />
C’est exact. Au commencement, j’ai donné à lire à plusieurs acteurs les fragments <strong>de</strong> texte que j’avais écrits.<br />
Nous avons mis cette formule à l’épreuve à Kitakyushu et l’avons ensuite amendée au vu du résultat, en portant<br />
l’attention sur le moindre détail. Si vous parvenez à mettre sur papier une trame serrée, un scénario qui<br />
court du début à la fin, alors cette trame servira jusqu’à un certain point <strong>de</strong> charpente pour l’ensemble. Mais je<br />
me suis engagé dans une voie opposée, l’écriture <strong>de</strong> fragments sans unité <strong>de</strong> structure.<br />
Est-ce que cela est lié à un <strong>de</strong>ssein central <strong>de</strong> votre production ?<br />
Dans la mesure où les choses les plus intéressantes proviennent <strong>de</strong>s répétitions, j’ai pris conscience que je<br />
voulais travailler avec une structure lâche. Si la charpente est trop rigi<strong>de</strong>, même <strong>de</strong> très peu, vous êtes susceptible<br />
<strong>de</strong> refouler <strong>de</strong>s éléments extrêmement intéressants parce que la structure n’est pas propice à leur intégration.<br />
J’ai donc opté pour un texte dépourvu <strong>de</strong> toute structure. En travaillant dans cette voie, il faut cependant<br />
s’accor<strong>de</strong>r un maximum <strong>de</strong> temps.<br />
Le thème <strong>de</strong> votre travail est donc la « liberté ». Pouvez-vous nous dire ce qui vous a incité à faire ce choix ?<br />
Au fond, cela provient du fait que j’ai réalisé jusqu’ici <strong>de</strong> nombreux projets. J’ai choisi <strong>de</strong> poursuivre dans la lignée<br />
thématique <strong>de</strong> Enjoy, <strong>de</strong> telle sorte que la liberté s’est imposée comme motif. La réalisation l’an <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong><br />
Cascando, la pièce <strong>de</strong> Beckett, a également constitué une expérience favorable. Je songeais par exemple à la «<br />
politique ». Quand vous parlez <strong>de</strong> politique, vous associez ce mot à une locution du type « Que pensez-vous <strong>de</strong><br />
tel ou tel problème ? ». Cascando est une pièce qui prend pour sujet le vécu <strong>de</strong> quelqu’un qui ne fait absolument<br />
rien – est-ce que cela n’est pas en un sens très politique ?<br />
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Voulez-vous dire que la vie d’une personne totalement inactive n’est pas nécessairement apolitique ?<br />
Je dis que la passivité n’est pas apolitique. La passivité ne consiste pas à sortir <strong>de</strong> la politique et n’est pas plus<br />
périphérique que le fait d’être en activité. En d’autres termes, il est question <strong>de</strong> chacun d’entre nous traversant<br />
l’existence heure après heure – comment déci<strong>de</strong>r ou ne pas déci<strong>de</strong>r, comment avoir décidé ou <strong>de</strong>meurer indécis<br />
? Dans la mesure où la politique influe en ce point, elle agit <strong>de</strong> manière considérable sur chacun d’entre nous.<br />
Où que nous soyons sur terre, nous restons une société surveillée.Nous vivons à échelle planétaire dans une<br />
société surveillée. Le Capital s’insinue dans les recoins <strong>de</strong> notre existence et nous ne pouvons fuir nulle part.<br />
Les constats <strong>de</strong> ce type sont aujourd’hui légion. Par exemple, il est <strong>de</strong>venu difficile <strong>de</strong> savourer un moment <strong>de</strong><br />
loisir sans être submergé par <strong>de</strong>s annonces publicitaires. J’imagine les protestations, « laissez-nous respirer,<br />
cela ne s’apparente en rien à du loisir ou à du temps libre ». Peut-être ont-ils raison. Mais en dépit <strong>de</strong> tout cela,<br />
je crois qu’il y a <strong>de</strong> la liberté dans cette vie. Il y a en moi une conviction résolue qui ne veut pas en démordre.<br />
Il ne s’agit donc pas <strong>de</strong> savoir si on est libre ou pas ; il est plutôt question d’une gradation – <strong>de</strong> quelle quantité<br />
<strong>de</strong> liberté dispose-t-on ?<br />
En effet. Quelqu’un pourrait émettre la critique suivante : « c’est le propre d’un mauvais perdant <strong>de</strong> tirer<br />
quelque satisfaction frelatée d’un ersatz <strong>de</strong> liberté à la seule fin d’être en mesure <strong>de</strong> supporter ce mon<strong>de</strong> essentiellement<br />
servile, où la liberté est nulle et non avenue ». C’est peut-être le cas, il m’arrive d’y songer, mais dans<br />
le même temps, je crois qu’il est tout à fait légitime d’appeler cela « liberté », je crois même que jusqu’à un certain<br />
point, il serait illégitime <strong>de</strong> ne pas le faire.<br />
Koizumi Atsuhiro, membre du groupe Sangatsu, (March) dont la chanson avait été intégrée à Five Days in<br />
March, est cette fois seul en charge <strong>de</strong> la musique.<br />
J’ai beaucoup aimé son premier album, March. Depuis quelque temps déjà, je souhaitais vaguement abor<strong>de</strong>r<br />
dans mon travail la guerre en Irak. N’ayant aucun titre à l’esprit, j’étais en train d’écouter la chanson Five<br />
Days <strong>de</strong> March et décidai <strong>de</strong> raconter l’histoire <strong>de</strong> quelqu’un qui passe cinq jours d’affilée dans un « love hotel »<br />
à partir du 21 mars, c’est à dire le début <strong>de</strong> la guerre en Irak. J’ai conservé le titre tel quel (rires).<br />
Je suis surprise d’apprendre que votre premier choix a porté sur la musique et que la pièce et le titre sont en<br />
quelque sorte <strong>de</strong>s ajouts ultérieurs, d’autant que le dispositif <strong>de</strong> la pièce s’accordait parfaitement avec la<br />
chanson, que l’utilisation <strong>de</strong> la musique était dénuée <strong>de</strong> toute affectation.<br />
J’étais vraiment touché par cette chanson ; elle n’a donc posé aucun problème. Bien sûr, il est encore plus jouissif,<br />
comme cela se passe cette fois-ci, d’avoir pu associer Koizumi dès le départ et <strong>de</strong> travailler avec lui à mesure<br />
que la pièce s’élabore.<br />
D’après vous, quelle fonction remplit la musique dans les productions <strong>de</strong> la compagnie chelfitsch ?<br />
Je crois en la nécessité et l’efficacité <strong>de</strong> la musique pour ce qui est <strong>de</strong> déployer un espace où les mots n’ont pas<br />
cours. De mon point <strong>de</strong> vue, il est ruineux <strong>de</strong> recourir à la musique lorsqu’une image cherche son épanouissement<br />
à travers la parole et la mobilité <strong>de</strong>s acteurs. Cela revient à peu près à assaisonner vigoureusement un<br />
plat cuisiné qui est d’ores et déjà exquis. Un tel supplément musical revient purement et simplement à du gâchis.<br />
Je veux que les acteurs sur scène s’approprient l’espace <strong>de</strong> jeu à plusieurs niveaux et que la musique<br />
agisse par surcroît, dans une dimension qui lui est propre. Si l’inci<strong>de</strong>nce du son suscite une bouffée d’émotions
par-<strong>de</strong>là l’imagerie que développe le jeu <strong>de</strong>s acteurs, alors vous ferez probablement l’expérience d’un enchantement<br />
ineffable.<br />
Par ailleurs, une scénographie signée TORAFU est un superbe atout. Outre la reconstitution d’un restaurant<br />
familial, le dispositif semble solliciter une série <strong>de</strong> mouvements corporels intéressants <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s acteurs.<br />
Dans mon dialogue avec TORAFU, nous avons parlé <strong>de</strong>s choses qui m’ont préoccupé <strong>de</strong>rnièrement, par exemple<br />
comment dans la représentation théâtrale, quelle que soit votre approche <strong>de</strong> la mimesis (l’imitation <strong>de</strong> la<br />
réalité), vous ne parvenez jamais au bout du compte à une restitution parfaite d’un objet ; à l’inverse, si vous<br />
vous efforcez <strong>de</strong> dénaturer cet objet et <strong>de</strong> prendre le plus sérieusement du mon<strong>de</strong> le contre-pied <strong>de</strong> la mimesis,<br />
le résultat est tout aussi décevant. C’est dans le sillage <strong>de</strong> ces réflexions que nous avons abouti au dispositif<br />
qui est sous vos yeux. Ces types sont <strong>de</strong>s génies ! (rires)<br />
Jusqu’ici, vos projets ne comportaient pas réellement <strong>de</strong> « dispositif scénique ». De ce point <strong>de</strong> vue, ce projet<br />
tranche avec les précé<strong>de</strong>nts. Est-ce que cela reflète une évolution dans votre conception dramaturgique ?<br />
Dans Five Days in March, par exemple, il n’y avait pas <strong>de</strong> scénographie. C’était un plateau dépouillé où les acteurs<br />
s’avançaient et parlaient à tour <strong>de</strong> rôle, nourrissant un continuel on-dit. J’ai pensé que quelque chose <strong>de</strong> bien en résulterait.<br />
Mais Freetime se présente différemment. Bien qu’il y ait <strong>de</strong>s tables et <strong>de</strong>s chaises, jusqu’à cinquante centimètres<br />
du sol tout est gommé. Ce que nous avons, c’est une imitation imparfaite d’un restaurant familial, mais<br />
j’aime précisément cette perfection <strong>de</strong> l’imperfection. Nous avons mis sur pied un dispositif qui exclut toute i<strong>de</strong>ntification<br />
spontanée avec les gens dans le restaurant. Cela contribue à l’honnêteté <strong>de</strong> la performance. C’est un dispositif<br />
réellement admirable.<br />
Le dispositif feint ingénieusement un état <strong>de</strong> suspension dans les airs. Cela intensifie ce sentiment particulier<br />
qu’éveillent vos acteurs sur scène, dont le jeu n’est à proprement parler ni celui <strong>de</strong> personnages ni <strong>de</strong> narrateurs.<br />
Lorsque nous nous livrons à une réflexion sérieuse au sujet <strong>de</strong> Freetime, nous levons une série <strong>de</strong> questions telles<br />
que « Qu’est-ce que cela signifie pour un acteur <strong>de</strong> jouer un rôle ou <strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier à un personnage donné ? », ou «<br />
Comment quelqu’un assume-t-il un certain type d’impossibilité sur scène ? ». Vous savez, cela affranchit considérablement<br />
les acteurs lorsque dès l’abord, ils n’entretiennent plus la moindre illusion sur la possibilité d’incarner leurs<br />
personnages à la perfection. C’est très libérateur, même si ce genre <strong>de</strong> liberté est parfois très contraignant pour les<br />
acteurs.<br />
Votre métho<strong>de</strong> semble plai<strong>de</strong>r pour une inclusion <strong>de</strong> la voie ouverte par Stanislavski, où l’action est vécue, dans la<br />
voie didactique <strong>de</strong> Brecht, où l’action est racontée. À moins que vous vous acheminiez vers une synthèse dialectique<br />
qui subsume ces <strong>de</strong>ux voies prétendument antagoniques.<br />
En effet, je suis porté à croire que c’est tout à fait possible. Je n’ignore pas la différence entre dire qu’on fait quelque<br />
chose et le faire pour <strong>de</strong> bon. Je reconnais au passage que je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong>s acteurs. Mais, vous savez, la nature<br />
<strong>de</strong> la représentation est une question primordiale pour un dramaturge. Si vous êtes parvenu à éluci<strong>de</strong>r cela<br />
jusqu’au bout, vous êtes à peu près assuré d’avoir résolu l’énigme du Théâtre en tant que tel. Pour l’heure, écrire et<br />
réaliser cette pièce me plonge dans l’euphorie, précisément parce que cela me donne l’opportunité <strong>de</strong> dévisager cette<br />
énigme <strong>de</strong> front.<br />
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THEATRE - SINGAPORE<br />
Ho Tzu-Nyen & Fran Borgia<br />
Ho Tzu-Nyen<br />
Né à Singapour, Ho Tzu-Nyen est un artiste plasticien et réalisateur. Son premier projet, intitulé Utama -<br />
Every Name in History is I (2003) est un film-installation qui a été montré dans <strong>de</strong>s expositions et <strong>de</strong>s festivals<br />
tels que la 26ème Biennale <strong>de</strong> Sao Paulo (2004), la 3ème Triennale d'Art Asiatique <strong>de</strong> Fukuoka, avant<br />
d'être présentée en 2006 sous forme <strong>de</strong> lecture/performance au Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts (2006). En 2005, il<br />
écrit et réalise ‘4X4 - Episo<strong>de</strong>s of Singapore Art', une hybridation singulière <strong>de</strong> film d'art, d'essai vidéo et<br />
d'éléments dramatiques, qui a été diffusée pendant 4 semaines sur une chaîne <strong>de</strong> la télévision publique à Singapour.<br />
La <strong>de</strong>rnière diffusion en date eut lieu en Allemagne, au ZKM (2007). En 2006, la Biennale inaugurale<br />
<strong>de</strong> Singapour lui passa comman<strong>de</strong> pour réaliser The Bohemian Rhapsody Project, un film qui a <strong>de</strong>puis été<br />
montré dans <strong>de</strong>s festivals tels que le 53ème Festival du Court Métrage <strong>de</strong> Oberhausen et la 30ème édition du<br />
Festival du Film <strong>de</strong> Clermont-Ferrand. Il réalise actuellement son premier long métrage Here.<br />
Fran Borgia<br />
Né dans le sud <strong>de</strong> l'Espagne, Fran Borgia a étudié le cinéma à Londres, Barcelone et Singapour. Parmi ses réalisations,<br />
il faut compter Asia (2004) et Para Asia (2007). Ces films ont connu une diffusion à échelle internationale,<br />
relayée par <strong>de</strong>s festivals en France, au Portugal, en Espagne, au Canada, au Japon et à Singapour. En<br />
2006/2007, il produit et co-réalise avec Ho Tzu-Nyen les première et <strong>de</strong>uxième parties <strong>de</strong> King Lear - The Avoidance<br />
of Love, un mixte d'audition live, <strong>de</strong> projection <strong>de</strong> film, <strong>de</strong> conférence et <strong>de</strong> performance théâtrale. Les<br />
troisième et quatrième parties <strong>de</strong> The King Lear Project seront présentées au Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts et au<br />
Singapore Art Festival en 2008. Fran est le fondateur <strong>de</strong> Akanga Film Asia, une maison <strong>de</strong> production indépendante<br />
déjà primée et basée à Singapour.
THE KING LEAR PROJECT - Lear Enters<br />
KVS-BOL<br />
24/05 > 20:00<br />
€ 15 / € 10<br />
€ 20 / € 15 combitickets: THE KING LEAR PROJECT - Lear Enters + Dover Cliff<br />
English > no subtiles<br />
1h 20min<br />
CRÉATION<br />
Texte, mise en scène, concept: Ho Tzu-Nyen<br />
Assistant mise en scène, production: Fran Borgia<br />
Avec: Paul Rae, Kaylene Tan, Elizabeth Tan, Remesh Panicker, Gerald Chew, K. Rajagopal, Tan Kheng Hua,<br />
Janice Koh, Shu An Oon, Crispian Chan,…<br />
Création décors: James Page<br />
Création sonore: Jeffrey Yue<br />
Création costumes: Hay<strong>de</strong>n Ng<br />
Direction technique: Evelyn Chia<br />
Direction plateau: Lu Huen<br />
Création lumières: Andy Lim<br />
Présentation: KVS, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production vidéo: Akanga Film Asia (Singapore)<br />
Co-commissionné par Singapore Art Festival 2008<br />
Remerciements à The Substantion – A Home for the Arts, The Esplana<strong>de</strong> Co. Ltd.<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> The National Arts Council (Singapore)<br />
101
CRÉATION<br />
THE KING LEAR PROJECT<br />
Dover Cliff and the Conditions of Representation<br />
KVS-BOL<br />
25/05 > 20:00<br />
€ 15 / € 10<br />
€ 20 / € 15 combitickets: THE KING LEAR PROJECT - Lear Enters + Dover Cliff<br />
English > no subtiles<br />
1h 20min<br />
Meet the artist after the performance<br />
Texte, mise en scène, concept: Ho Tzu-Nyen<br />
Assistant mise en scène, production: Fran Borgia<br />
Avec: Paul Rae, Kaylene Tan, Elizabeth Tan, Remesh Panicker, Gerald Chew, K. Rajagopal, Tan Kheng Hua,<br />
Janice Koh, Shu An Oon, Crispian Chan,…<br />
Création décors: James Page<br />
Création sonore: Jeffrey Yue<br />
Création costumes: Hay<strong>de</strong>n Ng<br />
Direction technique: Evelyn Chia<br />
Direction plateau: Lu Huen<br />
Création lumières: Andy Lim<br />
Présentation: KVS, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production vidéo: Akanga Film Asia (Singapore)<br />
Co-commissionné par Singapore Art Festival 2008<br />
Remerciements à The Substantion – A Home for the Arts, The Esplana<strong>de</strong> Co. Ltd.<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> The National Arts Council (Singapore)
L’impossible Lear - Lee Weng Choy s’entretient avec Ho Tzu-Nyen [*]<br />
En guise d’introduction, je pourrais peut-être donner quelques éléments d’information à propos <strong>de</strong> votre premier<br />
projet autour <strong>de</strong> Lear. Au début <strong>de</strong> l’année 2007, vous avez codirigé, avec votre collaborateur Fran Borgia,<br />
Lear – The Avoidance of Love, un spectacle qui relève <strong>de</strong> l’audition en direct, du tournage <strong>de</strong> film, <strong>de</strong> la<br />
lecture et du théâtre. Le projet a été conçu comme un film, mais présenté comme une pièce <strong>de</strong> théâtre. En<br />
montant le spectacle, vous avez <strong>de</strong>mandé à vos acteurs <strong>de</strong> se rendre au théâtre et <strong>de</strong> se préparer à passer une<br />
audition pour certains rôles dans Lear. Voilà à quoi se résumaient leurs instructions. Il n’y a pas eu beaucoup<br />
<strong>de</strong> discussions et encore moins <strong>de</strong> répétitions <strong>de</strong> ce qui pourrait se dérouler concrètement pendant la<br />
performance. D’une part, on obtient un spectacle <strong>de</strong> théâtre dans lequel <strong>de</strong>s acteurs jouent à passer une audition<br />
pour le tournage d’un film <strong>de</strong> Lear, et d’autre part, il n’y a pas <strong>de</strong> tournage « réel ». L’audition est le spectacle,<br />
qui, à la différence <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s auditions, se déroule en public. Et c’est précisément cela qui a été<br />
filmé. Pas <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> prise.<br />
Au début du spectacle, la première actrice appelée à passer l’audition, Janice Koh, prononce le discours que la<br />
fille aînée <strong>de</strong> Lear, Goneril, adresse au roi. Il fait partie <strong>de</strong> la célèbre scène dans laquelle Lear convoque tout<br />
le mon<strong>de</strong> à la cour et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ses filles, avant <strong>de</strong> leur cé<strong>de</strong>r son royaume, <strong>de</strong> lui déclarer leur amour. Janice<br />
fait un tabac. Les acteurs qui jouent le « producteur » et le « metteur en scène » du film lui disent à quel point<br />
c’était splendi<strong>de</strong>. C’était tellement bien qu’ils aimeraient le réentendre, dit exactement <strong>de</strong> la même façon. Janice<br />
accepte et à la satisfaction générale, elle redit avec brio le texte, en reproduisant quasi à l’i<strong>de</strong>ntique sa<br />
première performance. Ce qui arrive à Janice, n’arrive pas vraiment aux autres acteurs qui passent l’audition,<br />
on ne leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas <strong>de</strong> réitérer sur-le-champ leur performance – mais ce même texte est dit si souvent<br />
et <strong>de</strong> manières si différentes qu’en assistant au spectacle, on ne compte plus le nombre <strong>de</strong> fois qu’on<br />
entend les discours <strong>de</strong>s trois filles <strong>de</strong> Lear, Goneril, Régane et Cordélia.<br />
Mais The Avoidance of Love est plus qu’une répétition <strong>de</strong> Lear – l’une <strong>de</strong>s pièces les plus jouées <strong>de</strong> l’histoire<br />
du théâtre – ou un spectacle sur la répétition, ou encore un spectacle sur la répétition impossible à reproduire<br />
(étant donné que les acteurs ne peuvent pas reproduire leur ignorance du déroulement du<br />
spectacle/film). Le spectacle est également une répétition du célèbre essai sur Lear du philosophe Stanley<br />
Cavell. En fait, le titre, The Avoidance of Love (Le déni d’amour), est repris <strong>de</strong> l’essai <strong>de</strong> Cavell . Et le personnage<br />
du producteur, interprété par le créateur et théoricien <strong>de</strong> théâtre Paul Rae, consacre beaucoup <strong>de</strong> temps<br />
à expliquer les arguments <strong>de</strong> Cavell.<br />
Venons-en aux nouveaux projets. Ce n’est pas juste un Lear <strong>de</strong> plus, mais une série <strong>de</strong> projets, dont vous avez<br />
intitulé chaque volet, à l’instar d’Avoidance, d’après un essai important sur la pièce.<br />
Pour moi, Lear est une étu<strong>de</strong> approfondie <strong>de</strong> la signification <strong>de</strong> « l’interprétation » et du « jeu d’acteur ». C’est<br />
une œuvre introspective qui, comme vous le savez, est une forme d’art qui m’attire. Les trois chapitres <strong>de</strong> ce que<br />
nous appelons The Lear Project portent chacun le titre d’un essai <strong>de</strong> référence sur Lear, parce que nous estimons<br />
qu’aujourd’hui, il est tout aussi intéressant <strong>de</strong> mettre en scène une version <strong>de</strong> la pièce qu’un essai sur<br />
Lear. Au même titre qu’Avoidance, qui met en scène une audition pour les rôles <strong>de</strong>s trois filles <strong>de</strong> Lear, les trois<br />
chapitres <strong>de</strong> The Lear Project sont conçus pour s’articuler autour du texte <strong>de</strong> Lear, plutôt que pour interpréter<br />
la pièce <strong>de</strong> manière directe. D’où un déploiement <strong>de</strong> situations d’interprétation qui accompagnent la présentation<br />
« proprement dite » d’une pièce – je pense à <strong>de</strong>s situations comme les auditions, les répétitions, les discussions<br />
après le spectacle, etc. On pourrait dire que toutes ces situations remplacent la pièce en tant que telle.<br />
* Note : Ceci n’est pas une interview réelle <strong>de</strong> Ho Tzu-Nyen : j’ai concocté un dialogue en m’inspirant <strong>de</strong> diverses interviews <strong>de</strong><br />
Tzu-Nyen et <strong>de</strong> textes qu’il m’a remis. J’ai limité mes inventions au strict minimum. Tzu-Nyen et moi avons pensé que cela pourrait<br />
constituer une manière appropriée <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> The Lear Project : simuler un entretien par le biais du texte au lieu d’une interview<br />
« classique ».<br />
103
C’est l’une <strong>de</strong> vos stratégies récurrentes : substituer le making of <strong>de</strong> la pièce à la pièce elle-même. En outre,<br />
on pourrait presque dire que cette pièce <strong>de</strong> référence est remplacée par <strong>de</strong>s essais <strong>de</strong> référence. Cette fois-ci,<br />
vous l’abor<strong>de</strong>z à partir <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux angles : non seulement le processus <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la pièce remplace la pièce,<br />
mais les « commentaires sur » la pièce la remplacent aussi.<br />
La première partie, Lear – Lear Enters, s’inspire d’un essai du même nom <strong>de</strong> Marvin Rosenberg qui traite <strong>de</strong>s<br />
interprétations légendaires <strong>de</strong> King Lear par certains <strong>de</strong>s plus grands talents <strong>de</strong> la scène théâtrale. Puis vient<br />
Lear – Dover Cliff and the Conditions of Representation, également inspiré d’un essai éponyme écrit par Jonathan<br />
Goldberg. Cet essai est considéré comme l’une <strong>de</strong>s plus importantes lectures poststructuralistes sur les<br />
limites <strong>de</strong> la représentation <strong>de</strong> Lear. Et pour terminer, Lear – The Lear Universe s’inspire d’un essai du grand<br />
spécialiste <strong>de</strong> Shakespeare, Wilson Knight. Dans cet essai, Knight tente <strong>de</strong> brosser un tableau métaphysique<br />
harmonieux <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong> Lear.<br />
Que signifie « aujourd’hui, il est tout aussi intéressant <strong>de</strong> mettre en scène une version <strong>de</strong> la pièce qu’un essai<br />
sur Lear » ? À moins que vous ne vouliez dire l’inverse ? À savoir qu’il est tout aussi intéressant <strong>de</strong> mettre en<br />
scène un essai sur Lear que la pièce elle-même. On dirait qu’il est quasi impossible d’encore mettre en scène<br />
Lear ; tout un chacun envisageant cette tâche doit se sentir comme un personnage <strong>de</strong> Beckett : que reste-t-il<br />
à dire ? Bien entendu, chez Beckett, ce « rien <strong>de</strong> neuf à dire » n’empêche jamais quiconque <strong>de</strong> continuer à l’infini,<br />
comme si ce « rien <strong>de</strong> neuf » était la condition même du discours. Une nouvelle mise en scène <strong>de</strong> Lear est<br />
une tâche intimidante : on ne peut que répéter ce qui a déjà été dit.<br />
Si l’on voit le Bar<strong>de</strong> comme Platon – au sujet duquel Alfred North Whitehead disait : « la caractérisation générale<br />
la plus sûre <strong>de</strong> la tradition philosophique européenne est qu’elle consiste en une série <strong>de</strong> notes <strong>de</strong> bas<br />
<strong>de</strong> page à Platon » –, porter Shakespeare à la scène, encore et toujours, reviendrait à se condamner à ne plus<br />
faire que <strong>de</strong> simples commentaires sur lui. Si tel est le cas, pourquoi ne pas rendre le commentaire explicite ?<br />
Et faire <strong>de</strong>s pièces sur les commentaires <strong>de</strong> Shakespeare.<br />
Les savants, les historiens et les critiques qui m’intéressent le plus sont ceux dont je sens qu’ils reconstruisent<br />
en profon<strong>de</strong>ur les objets qu’ils expliquent. Aux interprétations fortes, il manque toujours une « marque » –<br />
ou plus spécifiquement, elles lui passent outre. Ce qui m’intéresse dans l’interprétation, c’est précisément cet<br />
écart, une interprétation qui ouvre <strong>de</strong>s horizons et offre <strong>de</strong> nouvelles possibilités.<br />
Y a-t-il un public pour ce théâtre ?<br />
Je voudrais étendre les limites <strong>de</strong> ce que signifie « faire du théâtre », « être du domaine théâtral ». J’aimerais<br />
aussi diffuser certaines intelligences savantes ou critiques à une sphère publique plus large, pour les sauver<br />
<strong>de</strong> la spécialisation académique. Mais laissez-moi d’emblée mettre les points sur les i : je ne crois pas que l’art<br />
ou l’histoire littéraire, la théorie et la critique « en tant que tels » aient besoin d’un secours quelconque. Je crois<br />
plutôt que toutes ces disciplines sont plus complexes et plus sophistiquées que jamais. Elles se portent probablement<br />
bien mieux que moi… [...rires].<br />
Mais là où je vis et travaille, à Singapour, ces formes d’intelligence sont à peine répandues dans la « diffusion<br />
ciblée » du mon<strong>de</strong> universitaire, sans parler <strong>de</strong> la diffusion « publique », où elles sont quasi inexistantes.<br />
Un ami, directeur <strong>de</strong> théâtre à Bruxelles, a un jour dit : « Peu importe que l’on n’aime pas le théâtre, ce qui<br />
compte c’est que le théâtre nous aime ». Il paraphrasait Godard qui a dit quelque chose d’analogue sur le cinéma.<br />
Mon ami voulait dire que cela n’a pas d’importance si quelqu’un du public n’aime pas le théâtre qu’il ou
elle trouve « difficile ». Il importe bien plus que le théâtre contemporain apprécie tellement ses spectateurs,<br />
qu’il les considère comme assez intelligents et disposés à s’engager dans une conversation profon<strong>de</strong> avec lui.<br />
Et à la question, qui peut porter Lear à la scène ? Qui peut jouer Lear ? Je peux imaginer les publics et les<br />
commentateurs européens s’attacher à la question d’un acteur asiatique interprétant Lear. Bien qu’à mon<br />
avis ce ne soit pas le sujet le plus intéressant à abor<strong>de</strong>r.<br />
J’ai bien entendu réfléchi à cette question : faire appel à <strong>de</strong>s acteurs « asiatiques » ; mais comme vous, ce n’est<br />
pas le sujet qui m’intéresse le plus dans ce projet. J’assume pleinement d’être <strong>de</strong> Singapour et c’est <strong>de</strong> là que je<br />
travaille, mais ce que j’ai à dire va bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> mon i<strong>de</strong>ntité singapourienne.<br />
Parlons en particulier <strong>de</strong>s parties 1 et 2 <strong>de</strong> The King Lear Project, que vous présentez cette année au Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts.<br />
À l’instar d’Avoidance, la distribution et l’équipe <strong>de</strong> Project sont réduites au minimum, et autour d’elles graviteront<br />
certaines icônes théâtrales <strong>de</strong> Singapour qui « seront <strong>de</strong> passage » à chaque représentation. De même<br />
que dans Avoidance, encore, aucune représentation ne peut être reproduite à l’i<strong>de</strong>ntique, bien qu’elles soient<br />
toutes soigneusement imbriquées dans un tournage « en direct ». Donc, et toujours comme dans Avoidance,<br />
chaque représentation <strong>de</strong> Project jouira d’une secon<strong>de</strong> vie sous la forme d’un film.<br />
La première partie, Lear Enters, sera une audition pour le rôle du roi Lear à laquelle participeront trois <strong>de</strong>s<br />
acteurs masculins les plus connus <strong>de</strong> Singapour. Chacun fera son entrée à la première scène <strong>de</strong> la pièce, dans<br />
laquelle il jouera avec une distribution fixe. Chacun <strong>de</strong> leurs mots et <strong>de</strong> leurs gestes sera sujet au regard<br />
scrutateur, à l’analyse et au jugement le plus rigoureux, amplifiés par la puissance <strong>de</strong>s gros plans, <strong>de</strong>s ralentis<br />
et les arrêts sur images que permet la vidéo. L’un <strong>de</strong> ces trois Lear sera sélectionné pour interpréter la<br />
<strong>de</strong>uxième partie avec l’équipe permanente (le metteur en scène, le producteur et l’assistant).<br />
La <strong>de</strong>uxième partie, Dover Cliff and the Conditions of Representation, adoptera la forme d’une répétition et<br />
d’une présentation-discussion avec les créateurs multimédias <strong>de</strong> la pièce. La structure du spectacle autour <strong>de</strong><br />
trois scènes souvent considérées comme « imprésentables » entraîne un affrontement entre les scénographes,<br />
le producteur et le metteur en scène. Ils déci<strong>de</strong>nt finalement <strong>de</strong> créer trois décors différents pour les trois<br />
scènes dites « impossibles ».<br />
Vu dans son ensemble, le Project est une analyse approfondie non seulement du texte <strong>de</strong> Lear, mais <strong>de</strong>s limites<br />
et <strong>de</strong>s frontières du théâtre. Nous espérons que Lear Enters sera compris tant comme un moyen <strong>de</strong> présenter<br />
l’intelligence et le professionnalisme <strong>de</strong>s plus grands talents <strong>de</strong> la scène singapourienne – je le dis sans ironie<br />
aucune – que comme un exercice d’entraînement <strong>de</strong> l’attention perceptive du public aux plus infimes subtilités<br />
du jeu d’acteur. Dover Cliff est un moyen <strong>de</strong> se pencher non seulement sur les thèmes profonds <strong>de</strong> l’aveuglement,<br />
l’introspection et la représentation dans le texte, mais aussi sur l’infrastructure concrète <strong>de</strong> chaque<br />
spectacle : le son, le décor et la lumière, ainsi que les équipes invisibles, responsables <strong>de</strong> leur fonctionnement.<br />
Biographie <strong>de</strong> l’auteur :<br />
LEE Weng Choy est critique d’art, codirecteur artistique du Substation Arts Centre à Singapour et l’actuel prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Singapore Section<br />
of the International Association of Art Critics (AICA Sg).<br />
105
DANCE -PARIS<br />
Vincent Dupont<br />
Vincent Dupont (°1964) est comédien et metteur en scène. Il a travaillé entre autres avec les metteurs en<br />
scène Hubert Colas et Antoine Caubet, les chorégraphes Georges Appaix et Boris Charmatz. Il crée Le Verdict<br />
en 1999 et (Dikromatik) en 2003. A l'occasion <strong>de</strong> Jachères Improvisations en 2001, les danseurs évoluent<br />
muets au loin, alors que la voix du chorégraphe est retransmise au spectateur au moyen d'un casque individuel.<br />
En octobre 2005, Vincent Dupont explore dans Hauts cris (miniatures) le phénomène du cri. L'environnement<br />
sonore dans lequel il plonge son public aux Laboratoires d'Aubervilliers incite le spectateur à<br />
concentrer sans relâche son regard et son écoute, lors d'une expérience esthétique et émotionnelle intense.<br />
La force du travail <strong>de</strong> Vincent Dupont est <strong>de</strong> composer avec diverses disciplines (danse, musique, théâtre) une<br />
dramaturgie <strong>de</strong> la sensation nourrie par les jeux d'éclairage, la sonorisation <strong>de</strong>s déplacements d'objets, les<br />
distorsions du souffle et <strong>de</strong> la voix allant <strong>de</strong> la cacophonie à l'euphonie, les mouvements lents et progressifs<br />
du danseur composant <strong>de</strong>s unités temporelles qui s'équilibrent dans l'espace <strong>de</strong> la scène...
INCANTUS<br />
Halles <strong>de</strong> Schaerbeek<br />
25, 26, 27/05 > 20:00<br />
€ 15 / € 10<br />
€ 20 / € 15 combitickets: Hauts Cris (miniature) + Incantus<br />
1h 5min<br />
Meet the artists after the performance on 26/05<br />
Texte: Agrippa d’Aubigné<br />
Mise en scène: Vincent Dupont (assist. Myriam Lebreton)<br />
Avec: Olivia Grandville, Werner Hirsch, Manuel Valla<strong>de</strong><br />
Musique: Raphaëlle Latini, Vincent Dupont, Thierry Balasse<br />
Création décor: Boris Jean<br />
Son: Thierry Balasse<br />
Création lumières: Yves Godin, Armando Menicacci<br />
Entraînement voix: Valérie Joly<br />
Présentation: Les Halles <strong>de</strong> Schaerbeek, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: J’y pense souvent (…)<br />
Coproduction: Les Laboratoires d’Aubervilliers, Centre national <strong>de</strong> danse contemporaine Angers, Centre chorégraphique<br />
national <strong>de</strong> Caen, Centre chorégraphique natuional du Havre, Centre chorégraphique national <strong>de</strong><br />
Tours<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> La DRAC Île-<strong>de</strong>-France - Ministère <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> la Communication, le conseil général<br />
<strong>de</strong> Seine St-Denis, DICREAM-Centre national <strong>de</strong> la Cinématographie (Paris)<br />
107
Incantus, à propos <strong>de</strong> la création<br />
Vincent Dupont (conception du projet chorégraphique) - Octobre 2007<br />
propos recueillis par le Journal <strong>de</strong>s Laboratoires (d’Aubervilliers)<br />
Quels sont les axes <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> Jachères improvisations 1 et Hauts cris (miniature) 2 que tu poursuis avec<br />
Incantus ? Quels sont ceux que tu laisses <strong>de</strong> côté ? Pourquoi as-tu fait ces choix ?<br />
1- Jachères improvisations (2001) travaille sur les notions <strong>de</strong> rapprochement et d’éloignement, <strong>de</strong> présence et d’absence : <strong>de</strong>ux interprètes,<br />
esquissant <strong>de</strong>s mouvements à peine perceptibles, évoluent du fond <strong>de</strong> la scène dans un décor d’appartement jusqu’à une extrême<br />
proximité avec le public ; une double transmission sonore dans la salle et via <strong>de</strong>s casques audio diffuse les improvisations vocales <strong>de</strong><br />
Vincent Dupont et les sons électroniques <strong>de</strong> Thierry Balasse.<br />
2- Hauts Cris (miniature) (2005), s’articule autour d’un travail sonore principalement généré par la captation <strong>de</strong>s mouvements du danseur<br />
(Vincent Dupont) et du cri qui accompagne son lent déplacement dans un espace exigu qu’il finira par faire voler en éclat.<br />
Avec Incantus, je poursuis mes recherches sur le rapport du son avec le corps et j’ai aussi envie que le projet<br />
approfondisse un rapport entre le corps et la lumière : voir comment <strong>de</strong>s connexions peuvent se produire <strong>de</strong><br />
façon plus précise que je n’aie pu le tenter jusqu’à présent. Cette connexion du mouvement et <strong>de</strong> la lumière doit<br />
permettre à certains moments pour le danseur <strong>de</strong> choisir l’instant où il entre dans la lumière comme celui où il<br />
déci<strong>de</strong> d’en sortir, et d’investir cet espace entre les <strong>de</strong>ux en jouant sur une variation d’intensité. J’ai également<br />
l’impression <strong>de</strong> poursuivre les tentatives engagées dans Jachères improvisations et dans Hauts cris en recherchant<br />
une connexion physique, une sorte <strong>de</strong> matérialité <strong>de</strong> la lumière. Dans Hauts Cris, la lumière était présente<br />
mais <strong>de</strong> façon moins déterminée, moins volontaire.<br />
Je ne pense pas en revanche avoir abandonné <strong>de</strong>s axes <strong>de</strong> recherche développés dans mes précé<strong>de</strong>nts travaux,<br />
j’ai plutôt l’impression d’être dans la continuité. La façon <strong>de</strong> penser le décor a peut être évolué : dans Incantus,<br />
j’essaie <strong>de</strong> placer le corps dans un espace plus vaste où la définition <strong>de</strong> décor est réduite au minimum. Je ne<br />
parlerais pas d’une disparition du décor mais d’une réduction car on ne peut jamais totalement le faire disparaître,<br />
il y a toujours un espace du plateau. Je ne me débarrasse donc pas du décor, je suis juste dans un autre<br />
rapport d’espace.<br />
Le traitement du décor dans Incantus n’est-il pas toutefois nettement plus abstrait que dans Jachères improvisations<br />
ou Hauts Cris (miniature), où l’espace <strong>de</strong> représentation était cadré dans un décor figuratif ?<br />
Je pensais effectivement me détacher du décor mais je suis revenu à une évi<strong>de</strong>nce : sur Incantus, j’ai besoin <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux espaces distincts, l’espace <strong>de</strong> profération, du son, <strong>de</strong> l’incantation, ce que j’imagine être « le proscenium<br />
», et l’espace du plateau. J’ai donc, au fur et à mesure <strong>de</strong> l’avancement du travail, dû définir ces espaces,<br />
d’abord en <strong>de</strong>scendant une frise assez bas, puis en ajoutant <strong>de</strong>s pendrillons à l’italienne sur les côtés pour que<br />
les danseurs puissent intégrer l’espace en « bord cadre ».<br />
Quelle place occupent les nouvelles technologies dans ton écriture chorégraphique ?<br />
Je ne veux pas m’empêcher d’utiliser <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> pointe mais j’essaie toujours <strong>de</strong> les réduire au plus simple. Il<br />
est difficile <strong>de</strong> considérer les nouvelles technologies comme un objet au même titre que le reste, leur simplification<br />
en est peut-être même leur force. Pour chaque création, j’essaie <strong>de</strong> rêver un spectacle, <strong>de</strong> matérialiser, avec
<strong>de</strong>s corps dans un espace, grâce à certains traitements <strong>de</strong> la lumière et du son, une sensation qui n’est ni la<br />
réalité, ni tout à fait un rêve. Le moment d’une semi-conscience. J’essaie <strong>de</strong> restituer une permanence à ces<br />
images, <strong>de</strong> recouvrer cette force, cette énergie. Je tente, en partant du corps et en le décalant légèrement, <strong>de</strong><br />
trouver un « filtre » qui permettrait <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce un rapport au mouvement qui soit lié à mon émotion.<br />
Ce procédé m’a amené sur Incantus à me poser énormément <strong>de</strong> questions sur la vitesse du mouvement, et plus<br />
précisément sur les variations <strong>de</strong> vitesse lente, <strong>de</strong> décélération et d’accélération du corps. J’avais par ailleurs<br />
envie <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce la fragilité <strong>de</strong> la présence sur scène. Je me suis dit également que l’exploitation du<br />
son, <strong>de</strong> la musique, pourrait ai<strong>de</strong>r les interprètes à trouver la force nécessaire pour se présenter sur le plateau,<br />
qu’une incantation leur permettrait d’avoir une charge suffisante pour être vraiment présents.<br />
Lors d’une discussion avec Claudia Triozzi, publiée dans un précé<strong>de</strong>nt numéro du Journal <strong>de</strong>s Laboratoires,<br />
tu expliques la difficulté <strong>de</strong> travailler le son et l’image simultanément et <strong>de</strong> les faire coexister sans une prédominance<br />
<strong>de</strong> l’un sur l’autre. Dans Incantus comment procè<strong>de</strong>s-tu pour maintenir un équilibre entre les différents<br />
éléments?<br />
C’est la raison pour laquelle nous sommes obligés <strong>de</strong> tout jouer en live, y compris le son et la lumière. Nous<br />
pourrions tenter <strong>de</strong> diffuser <strong>de</strong>s enregistrements et d’écrire une conduite lumière précise mais nous savons<br />
que ça ne fonctionnera pas aussi bien. Nous pouvons en revanche choisir préalablement <strong>de</strong>s « matières» mais<br />
il est nécessaire qu’à partir <strong>de</strong> ces choix pré-établis, nous puissions continuer à improviser pour rester dans<br />
l’énergie du direct. Il faut que tous les interprètes sur scène, à la lumière, au son, soient sur la même focale, que<br />
le travail <strong>de</strong> chacun converge. Je l’ai vérifié sur Jachères improvisations, et plus personnellement sur Hauts<br />
Cris : l’interprétation en direct du son et <strong>de</strong> la lumière <strong>de</strong>man<strong>de</strong> plus <strong>de</strong> travail, mais quand l’ensemble fonctionne,<br />
le résultat est nettement plus puissant et donc vivant.<br />
Le travail que tu développes sur la voix vient-il <strong>de</strong> ta formation d’acteur ?<br />
Certainement, cependant je me suis écarté <strong>de</strong> mon métier <strong>de</strong> comédien car j’étais <strong>de</strong> plus en plus en décalage<br />
avec certaines personnes dans leur façon d’abor<strong>de</strong>r la parole sur scène. Ma rencontre avec la danse a été un<br />
choc essentiel qui m’a plus encore détaché du mot comme enjeu principal <strong>de</strong> l’acte scénique pour m’emmener<br />
vers un travail plus proche <strong>de</strong> la musique et du son que <strong>de</strong> la narration et du dialogue, et surtout plus proche<br />
<strong>de</strong>s corps. J’ai commencé à travailler ma voix avec un transformateur sur lequel sont stockés une cinquantaine<br />
d’effets, que je peux faire varier en direct. Je m’amuse à transformer ma voix pour l’écouter à travers différents<br />
espaces, filtres, distances ou déformations.<br />
Puis j’ai rencontré le texte <strong>de</strong> Christophe Tarkos intitulé Donne. Cette écriture essentiellement sonore, jamais<br />
narrative, mais qui parvient malgré tout à suivre un fil, m’a encouragé à continuer dans ce sens.<br />
109
Thierry Balasse, (réalisation sonore) - Novembre 2007<br />
La sensation <strong>de</strong> convoquer <strong>de</strong>s fantômes<br />
« Le son, c’est l’âme secrète <strong>de</strong>s choses, se communiquant sans se livrer et pénétrant dans notre conscience<br />
sans en subir la loi ». Cette phrase me suit <strong>de</strong>puis quelques années dans mon travail.<br />
C’est Jean Jaurès qui nous propose cette approche du sonore, le député que nos politiciens s’arrachent, en oubliant<br />
sans doute <strong>de</strong> simplement le lire…<br />
Laisser venir l’âme secrète <strong>de</strong>s choses…<br />
Utiliser les systèmes informatiques, les mémoires, les systèmes <strong>de</strong> cadrage, mais accepter la perte <strong>de</strong> contrôle,<br />
profiter <strong>de</strong> cette présence originelle <strong>de</strong> la voix dé-réalisée <strong>de</strong> Vincent, <strong>de</strong>s platines <strong>de</strong> Raphaëlle, dont le travail<br />
renoue avec l’implication concrète (sans abstraction préalable, sans idée préconçue), <strong>de</strong>s musiques électroacoustiques<br />
<strong>de</strong> Pierre Schaeffer et Pierre Henry… Les machines sont utilisées ainsi non seulement dans ce<br />
qu’elles imposent, mais surtout dans ce qu’elles proposent… Et pour une fois, accepter <strong>de</strong> ne pas tout contrôler…<br />
Accepter que les éléments mis en place par les trois musiciens laissent apparaître <strong>de</strong>s espaces sonores<br />
parallèles, comme dans les mon<strong>de</strong>s imaginés par Philip K. Dick… Et même, « refuser » ce trio musical pour<br />
continuer le travail initié avec Jachères et prolongé avec Hauts Cris (miniature) <strong>de</strong> relation avec la lumière et<br />
le mouvement, en y incluant finalement les âmes-danseurs qui nous livrent un feed-back, un larsen <strong>de</strong> nos incantations<br />
et les modifient encore.<br />
Les fantômes ne seront pas que visuels, ils apparaîtront parfois également dans nos sons, sans que nous puissions<br />
dire d’où ils viennent, qui les a fait naître…<br />
Et revenir à mes propres sources par les percussions, qui portent l’incantation vers la transe…<br />
Valérie Joly, (travail <strong>de</strong> la voix) - Octobre 2007<br />
Incantus sonne dans son titre comme une incantation. Une incantation, c’est indissociable du mot « chant ».<br />
C’est là que mon oreille se pose au creux <strong>de</strong> la salle. Essayer <strong>de</strong> faire naître quelque chose <strong>de</strong> l’acte <strong>de</strong> représentation.<br />
Une sorte <strong>de</strong> rituel, mo<strong>de</strong>rne, mêlé aux voix anciennes qui le traversent.<br />
Pour faire jaillir les voix premières, celles <strong>de</strong>s origines, qui sour<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la terre pour se relier aux énergies<br />
d’un autre espace, plus large.<br />
Se référant à un temps où corps et voix étaient liés, et où l’acteur, tel un passeur, ouvrait une cérémonie offerte<br />
et partagée par tous.<br />
Une mort et une renaissance, le renouveau et l’extinction <strong>de</strong>s souffles, tomber et se relever, trouver les objets<br />
du « sacrifice », les chanter, invoquer les puissances, et laisser s’élever les sons surgis <strong>de</strong>s corps, du murmure<br />
à la harangue, afin <strong>de</strong> résonner plus profond lors <strong>de</strong> cette cérémonie <strong>de</strong>s temps d’aujourd’hui.<br />
Un discours où nous pouvons nous reconnaître. Là où leurs bouches sont sans cesse au bord d’être sans voix,<br />
les voix continuent <strong>de</strong> s’élever pour renaître <strong>de</strong> leurs cendres.
DANCE - BUDAPEST / BERLIN<br />
Eszter Salamon<br />
Après une formation en danse classique à l'Académie nationale <strong>de</strong> danse <strong>de</strong> Budapest, Eszter Salamon s'installe<br />
en France où elle travaille avec divers chorégraphes (1992-2000).<br />
En 2001, elle signe son solo What a Body You Have, Honey et collabore avec Xavier Le Roy pour réaliser Giszelle,<br />
présenté au Festival d'Avignon. Suit, en 2002, sur invitation <strong>de</strong> la Comédie <strong>de</strong> Clermont-Ferrand, Woman<br />
Inc.©, un spectacle réunissant dix-huit femmes entre 7 et 74 ans.<br />
En 2004, Salamon est artiste en rési<strong>de</strong>nce au Po<strong>de</strong>wil TanzWerkstatt <strong>de</strong> Berlin, où elle crée Reproduction.<br />
Elle est aussi lauréate <strong>de</strong> la bourse « Villa Médicis hors les murs ».<br />
En 2005, la première version <strong>de</strong> Magyar Tàncok est présentée au festival « Les Intranquilles » <strong>de</strong> Lyon ; parallèlement,<br />
Eszter Salamon conçoit une mise en scène sur la musique <strong>de</strong> Karim Haddad dans le cadre <strong>de</strong> Seven<br />
attemped escapes from Silence, un projet du Staatsoper unter <strong>de</strong>n Lin<strong>de</strong>n <strong>de</strong> Berlin. La première <strong>de</strong> Nvsbl est<br />
créée au Choreographisches Zentrum, Pact Zollverein d'Essen en 2006.<br />
111
DANCE N°1<br />
Kaaitheaterstudio’s<br />
27, 28, 29, 30/05 > 20:30<br />
31/05 > 18:00<br />
€ 15 / € 10<br />
CRÉATION<br />
Meet the artsists after the performance on 28/05<br />
Concept: Eszter Salamon<br />
Chorégraphie & danse: Christine De Smedt, Eszter Salamon<br />
Création Lumières: Sylvie Garot<br />
Décors & costumes: Christine Rebet<br />
Direction <strong>de</strong> la production & organisation: Alexandra Wellensiek<br />
Présentation: Kaaitheater, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Coproduction: Hebbel-Am-Ufer (Berlin), Choreographisches Zentrum - Pact Zollverein (Essen), Les Spectacles<br />
Vivants (Paris),steirischer herbst festival (Graz), Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> Hauptstadtkulturfonds (Berlin)<br />
Remerciements à Les Brigittines, La Raffinerie / Charleroi-Danses, Kunstencentrum Vooruit (Gent)<br />
Projet coproduit par NXTSTP, avec le soutien du programme Culture <strong>de</strong> l’Union Européenne
Il n’y a pas <strong>de</strong> réponses simples<br />
Un portrait <strong>de</strong> la chorégraphe Eszter Salamon - Elisabeth Nehring<br />
Son nom prête souvent à confusion, il en existe <strong>de</strong> nombreuses variantes fantaisistes. Régulièrement, <strong>de</strong>s lettres<br />
intruses se glissent dans son prénom ESZTER, à moins qu’on ne change une voyelle à son patronyme,<br />
SALAMON, pour en faire une <strong>de</strong>scendante du roi biblique. Pourtant, celle qui porte ce nom aux belles sonorités<br />
est une femme sans ambiguités. Après avoir passé sa jeunesse à l’Académie nationale <strong>de</strong> danse <strong>de</strong> Budapest,<br />
elle arrive à Paris à l’âge <strong>de</strong> 19 ans et déci<strong>de</strong> qu’elle ne danserait plus jamais ! Gamine, sa mère lui avait<br />
enseigné <strong>de</strong>s danses folkloriques hongroises. Se révélant douée, la petite Eszter fut envoyée dans la capitale<br />
pour y suivre <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> danse classique. « Je ne sais pas si c’est vraiment une mauvaise école », dit-elle aujourd’hui,<br />
« mais en tout cas, elle ne me convenait pas. » De nombreuses années plus tard, elle essayait encore<br />
tous les jours d’extirper <strong>de</strong> son corps le souvenir <strong>de</strong> cet entraînement rigoureux, s’efforçant à chaque pas<br />
d’éviter <strong>de</strong> tourner les pieds vers l’extérieur ; il lui fallait effacer toute trace <strong>de</strong> sa formation <strong>de</strong> ballet classique.<br />
Pourtant, elle continue – un peu par hasard, et se remet à danser pour divers chorégraphes en France, redécouvrant<br />
ainsi le langage du corps. Une libération, qui n’avait rien <strong>de</strong> spectaculaire et s’est faite progressivement.<br />
En 2001, <strong>de</strong>ux solos décisifs voient le jour dans le cadre <strong>de</strong> son travail. Tout d’abord Giszelle, qui passe en<br />
revue toutes les poses et positions <strong>de</strong> notre histoire culturelle, un spectacle créé en collaboration avec Xavier<br />
le Roy, à qui elle restera étroitement liée sur le plan personnel et artistique. Elle signe également What a body<br />
you have, honey, pièce inspirée d’un duo avec Brenda Edwards et premier volet d’une trilogie qui n’était pas<br />
programmée, mais qu’elle a découverte a posteriori dans son travail. Tout comme la réalisation collective Reproduction<br />
et le quatuor Nvsbl, What a body you have, honey fait partie <strong>de</strong> ses projets <strong>de</strong> recherche sur la réception<br />
et la reproduction du mouvement, la hiérarchie du regard, la transformation <strong>de</strong>s corps et leur<br />
perception. Et ce sont là les thèmes majeurs <strong>de</strong> la chorégraphe Eszter Salamon.<br />
Dans What a body you have, honey, elle dissimule longuement son corps, l’empaquetant complètement – au<br />
milieu d’une scène blanche – dans un épais costume blanc matelassé, se transformant en une créature dont on<br />
<strong>de</strong>vine encore les proportions humaines, mais asexuée, sans la moindre carnation, sans <strong>de</strong>vant ni <strong>de</strong>rrière,<br />
échappant à toute tentative <strong>de</strong> classification. Même quand finalement elle « sort <strong>de</strong> son cocon », qu’elle se débarrasse<br />
<strong>de</strong> son costume comme un serpent le ferait <strong>de</strong> sa vieille peau, certains thèmes restent bien présents :<br />
le fait <strong>de</strong> camoufler <strong>de</strong>s phénomènes aussi manifestes que l’« être-danseuse », l’« être-femme » et l’« êtreblanche<br />
» et d’essayer d’éviter les i<strong>de</strong>ntifications figées, et donc <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un objet. Jamais elle ne répond au<br />
regard du public, toujours son corps et son visage restent tournés vers le fond <strong>de</strong> la scène. Qu’est-ce qui fait du<br />
corps humain un corps sexué, et <strong>de</strong> quelle façon échafaudons-nous <strong>de</strong>s catégories pour percevoir ce corps ?<br />
Comment ai-je envie, moi danseuse, <strong>de</strong> me présenter sur scène, comment puis-je changer d’i<strong>de</strong>ntités et passer<br />
<strong>de</strong> l’une à l’autre sans être cataloguée ? Autant <strong>de</strong> questions qui sous-ten<strong>de</strong>nt cette création. Qui sont évoquées<br />
sans obtenir <strong>de</strong> réponse définitive.<br />
Les thèmes abordés dans le solo What a body you have, honey – qu’Eszter Salamon appelle aussi un « striptease<br />
comique » – annoncent déjà les productions suivantes. Car dans Reproduction aussi, toute classification<br />
évi<strong>de</strong>nte est rejetée. Au moyen <strong>de</strong> barbes peintes sur le visage, <strong>de</strong> perruques et <strong>de</strong> costumes assez laids, les<br />
huit danseurs se transforment en créatures hybri<strong>de</strong>s oscillant entre le masculin et le féminin. Pourtant, l’idée<br />
<strong>de</strong> la métamorphose <strong>de</strong> l’enveloppe physique en « i<strong>de</strong>ntités intermédiaires » ne viendra que plus tard. Le point<br />
<strong>de</strong> départ <strong>de</strong> la première production collective d’Eszter Salamon se trouvait en effet dans les images du Kama<br />
Sutra. Traduire les représentations d’une érotique généralement hétérosexuelle en séquences <strong>de</strong> mouvements<br />
flui<strong>de</strong>s, casser les hiérarchies sexuelles, changer les positions comme la distribution <strong>de</strong>s rôles, continuellement<br />
et en un seul flux, telles sont quelques-unes <strong>de</strong>s idées sous-jacentes à cette pièce.<br />
113
Comme toujours, la chorégraphe ne se voit pas, avec Reproduction, isolée <strong>de</strong> tout ce que l’histoire <strong>de</strong> la danse<br />
et la danse contemporaine produisent comme images et représentations mentales. Dans une longue partie <strong>de</strong><br />
la pièce, à la différence <strong>de</strong> la danse classique où les rôles sont clairement définis, les drag kings se rencontrent<br />
dans <strong>de</strong>s duos changeant sans cesse, parcourent les positions <strong>de</strong> l’amour charnel sans jamais s’arrêter,<br />
inspirent puis expirent profondément dans le corps du partenaire, endossant dans ce flux ininterrompu tantôt<br />
le rôle <strong>de</strong> l’homme, tantôt celui <strong>de</strong> la femme, et donnant l’impression <strong>de</strong> ne reconnaître le haut et le bas que<br />
comme position dans l’espace et non comme répartition <strong>de</strong>s pouvoirs entre êtres humains. « Certains diraient<br />
que j’ai à nouveau chaussé mes lunettes du genre », confesse-t-elle, « mais tout ce que je veux, c’est questionner<br />
les racines <strong>de</strong>s représentations désuètes, hystériques et conventionnelles <strong>de</strong>s femmes sur scène, qui se<br />
perpétuent également dans la danse contemporaine. » Malgré la constatation que les clichés continuent<br />
d’exister et d’être reproduits sans relâche, Eszter Salamon ne se laisse pas tenter par <strong>de</strong>s déclarations féministes<br />
simplistes. « Tout est un peu plus complexe et compliqué, dans la société comme dans la pièce, qu’on ne<br />
pourrait le résumer en une phrase. Il y a évi<strong>de</strong>mment divers facteurs qui déterminent les rapports <strong>de</strong> force<br />
entre les êtres humains dans la société et dans l’économie. » Elle insiste sur les différences entre les diverses<br />
positions du féminisme : « Beaucoup <strong>de</strong> gens se battent pour plus <strong>de</strong> droits et pour l’égalité <strong>de</strong>s femmes. Mais<br />
cela revient en même temps à admettre et accepter une i<strong>de</strong>ntité bien définie. Alors que dans Reproduction,<br />
j’essaie plutôt <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités multiples. » Ce qu’elle recherche, ce n’est pas un banal renversement <strong>de</strong>s<br />
rapports <strong>de</strong> force, qui cimenterait à son tour <strong>de</strong> nouvelles représentations i<strong>de</strong>ntitaires, mais la mise en place<br />
<strong>de</strong> marges <strong>de</strong> liberté pour la perception <strong>de</strong> soi-même. Et c’est pourquoi elle ne se borne pas à parler d’« i<strong>de</strong>ntités<br />
multiples » à propos <strong>de</strong> Reproduction, mais aussi <strong>de</strong> possibilités d’ « interprétations multiples ».<br />
Celles-ci sont tout aussi pertinentes pour Nvsbl. La <strong>de</strong>rnière pièce <strong>de</strong> la trilogie, dont le titre est une variante<br />
amputée du mot « invisible », thématise essentiellement le rôle du spectateur et <strong>de</strong> son regard. Rôles positifs et<br />
négatifs : parmi les différents niveaux <strong>de</strong> réflexion, on y retrouve aussi bien le plaisir du mouvement, <strong>de</strong> la<br />
danse et du spectacle que cette hiérarchie entre interprète et spectateur qu’institue le regard. D’une longue<br />
phase d’obscurité émergent peu à peu quatre personnages. Ils se meuvent presque imperceptiblement, il faut<br />
un certain temps pour qu’on perçoive leurs mouvements et les changements <strong>de</strong> postures. « On pourrait penser<br />
qu’il ne se passe pas grand-chose sur scène », explique Eszter Salamon, « mais ce n’est pas vrai. Les danseurs<br />
font quantité <strong>de</strong> mouvements ; seulement on ne les perçoit pas tous. Nous n’avons pas travaillé sur l’idée <strong>de</strong> la<br />
lenteur, car alors ce serait impossible <strong>de</strong> danser cette pièce. Et pour moi, c’est vraiment une chorégraphie. »<br />
Alors que dans Reproduction la référence au thème <strong>de</strong> la sexualité garantit un « effet <strong>de</strong> reconnaissance » global,<br />
Eszter Salamon veut éviter ce processus <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong> schémas connus dans Nvsbl. Il faut que le<br />
spectateur puisse regar<strong>de</strong>r et percevoir ce qui se passe et y réfléchir, mais sans vouloir le rattacher à quelque<br />
chose <strong>de</strong> connu. « Évi<strong>de</strong>mment, on ne peut pas totalement éviter la reconnaissance, pas plus que l’acte <strong>de</strong> représentation,<br />
quand on montre quelque chose dans un temps et un espace donnés. C’est pourquoi, à mes yeux,<br />
cette pièce traite d’une sorte <strong>de</strong> ‘crise <strong>de</strong> la représentation’. J’essaie d’abolir la hiérarchie <strong>de</strong> l’espace, du temps<br />
et du mouvement, et <strong>de</strong> rendre visible par le mouvement ce qui se passe dans la conscience <strong>de</strong>s danseurs. »<br />
L’interrogation <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> la « représentation » est également au cœur <strong>de</strong> la pièce Magyar Tàncok, où la chorégraphe,<br />
dans le cadre d’une lecture-démonstration, inscrit <strong>de</strong>s danses folkloriques hongroises dans un<br />
contexte contemporain. Pendant <strong>de</strong> longues années, Eszter Salamon ne s’était plus intéressée au savoir que sa<br />
mère lui avait transmis en matière <strong>de</strong> danse, laissant <strong>de</strong>rrière elle cette pério<strong>de</strong> qui appartenait à son enfance<br />
et son adolescence. Jusqu’à ce qu’un voyage dans son pays natal fasse renaître son intérêt et qu’elle se replonge<br />
dans cet univers avec sa mère. Aussi peut-on considérer comme un acte <strong>de</strong> réconciliation avec l’héritage traditionnel<br />
le fait que les danses et les musiques folkloriques soient interprétés par elle-même, sa mère et parfois<br />
aussi <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> sa famille. Mais au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ça, ils constituent surtout la base <strong>de</strong> nouvelles questions sur<br />
l’i<strong>de</strong>ntité, les rôles attribués aux <strong>de</strong>ux sexes ainsi que les formes et les catégories <strong>de</strong> la représentation.
Avec cette pièce très personnelle, Eszter Salamon renoue à nouveau avec les principaux thèmes <strong>de</strong> son travail<br />
qui, qu’elle qu’en soit la forme, ont toujours pour elle une portée politique. Sur ce plan, la chorégraphe peu encline<br />
aux réponses simplistes et aux déclarations à l’emporte-pièce n’hésite pas une secon<strong>de</strong> : « Rien que le<br />
fait <strong>de</strong> faire monter <strong>de</strong>s danseurs sur scène implique déjà une dimension politique. Et cette dimension n’apparaît<br />
pas seulement quand on travaille avec <strong>de</strong>s enfants, ou <strong>de</strong>s gens qui vivent dans les banlieues ou les quartiers<br />
pauvres », explique-t-elle alors que sa voix à l’accent un peu dur et perçant se fait très résolue. « C’est<br />
impossible d’occulter cela. On présente tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s gens sur la scène, on leur dit ce qu’ils doivent faire ;<br />
on crée une forme <strong>de</strong> représentation avec la danse – la chose en soi est déjà un acte socio-politique. »<br />
115
PERFORMANCE - DÜSSELDORF<br />
VA Wölfl / NEUER TANZ<br />
Après avoir étudié la peinture à Salzburg avec Oskar Kokoschka, VA Wölfl suit les cours <strong>de</strong> photographie<br />
d'Otto Steinert et <strong>de</strong> Willi Fleckhaus à la Folkwang Hochschule d' Aix-la-Chapelle. C'est en 1972 que VA Wölf<br />
débute sa carrière en tant qu'artiste freelance. Dix années plus tard, il est récompensé à La Haye par le World<br />
Wi<strong>de</strong> Vi<strong>de</strong>o-Award", puis par „The First German Producer`s Prize for Choreography" (1995) et le prix <strong>de</strong> la critique<br />
pour la danse en 2006. Depuis 2007, il fait partie <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> l’”Aka<strong>de</strong>mie <strong>de</strong>r Künste” <strong>de</strong> Berlin.
12 / ...IM LINKEN RÜCKSPIEGEL AUF DEM PARKPLATZ VON<br />
WOOLWORTH edition 3, 4 + 5 / 12<br />
Kaaitheater<br />
27, 28, 29/05 > 20:30<br />
€ 15 / € 10<br />
1h 30min<br />
Meet the artists after the performance on 28/05<br />
Chorégraphie: VA Wölfl<br />
Avec: Izaskun Abrego Olano, Armin Biermann, Alfonso Bordi, Gerald Butolen, Nicholas Mansfield, Senem<br />
Gökçe Ogultekin, Edgar Sandoval Díaz, Judith Wilhelm, Susanna Keye, Peter Bellinghausen, Alexan<strong>de</strong>r Collatz,<br />
Jürgen Grohnert, Thomas Schnei<strong>de</strong>r, Daniel Poensgen, Stefanie Kusenberg, VA Wölfl<br />
Présentation: Kaaitheater, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: NEUER TANZ<br />
Co-commissionné par PACT Zollverein – Choreographisches Zentrum NRW presented by the RuhrTriennale<br />
2007<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> The Minister Presi<strong>de</strong>nt of the state of North Rhine-Westphalia, the City of Düsseldorf, the<br />
Kunststiftung NRW, the Kulturstiftung <strong>de</strong>s Bun<strong>de</strong>s (Berlin), the Kunst- und Kulturstiftung of Sparkasse Düsseldorf,<br />
Rico Design in Brakel, Stiftung Schloss & Park Benrath (Düsseldorf)<br />
117
Portrait du chorégraphe VA Wölfl et <strong>de</strong> sa compagnie NEUER TANZ<br />
Nicole Strecker<br />
Avec VA Wölfl, on ne peut tabler sur rien et encore moins sur ses titres. 12/ ...Im Linken Rückspiegel auf <strong>de</strong>m<br />
Parkplatz von Woolworth est le titre déconcertant et ludique du spectacle que VA Wölfl et sa compagnie présentent<br />
dans le cadre du Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts 08. Dès le milieu <strong>de</strong>s années 80, VA Wölfl élit domicile à<br />
Düsseldorf où il s’installe, avec sa compagnie NEUER TANZ, dans les étables du Château Benrath. Issu du<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s arts plastiques, il aime appeler ses danseurs <strong>de</strong>s « acteurs plasticiens ». Wölfl a étudié la peinture<br />
chez Oskar Kokoschka et la photographie chez Otto Steiner. Dans son nouveau spectacle, les danseurs sont<br />
avant tout <strong>de</strong>s chanteurs. Nicole Strecker a assisté à une répétition et s’est entretenue avec lui.<br />
« Qu’avons-nous à faire <strong>de</strong> la liberté ? Donnez-nous <strong>de</strong> l’argent ! », fredonnent les chanteurs. Le synthétiseur<br />
résonne. Seuls les battements retentissent trop fort, avec trop <strong>de</strong> monotonie. Sur la scène <strong>de</strong> la compagnie<br />
NEUER TANZ, c’est l’heure d’écouter la radio. Quelqu’un a sélectionné une chaîne <strong>de</strong>stinée aux soldats qui<br />
diffuse <strong>de</strong>s annonces, en anglais « chewing-gum » que personne ne comprend, et <strong>de</strong>s rengaines. Du bien-être<br />
pour l’éternité.<br />
C’est une véritable chaîne <strong>de</strong>stinée aux soldats – comme la BFBS 1 <strong>de</strong>s forces anglaises, où l’on entend régulièrement<br />
que <strong>de</strong>s soldats sont morts au combat et que leurs familles en ont déjà été informées. L’annonce est suivie<br />
à tous les coups d’un morceau <strong>de</strong> rock ’n roll ou <strong>de</strong> pop… À première vue, c’est <strong>de</strong> la comédie burlesque, mais<br />
ne vous fiez pas aux apparences, car ce ne l’est vraiment pas. Cette chaîne pour soldats est fraîche et quand on<br />
aime l’écouter, peu importe ce qu’on y dit.<br />
« NEUER TANZ s’attaque à la pop » est le slogan <strong>de</strong> cette pièce : les danseurs se sont transformés en chanteurs<br />
et en musiciens, et se sont installés à la batterie, au thérémine, se sont emparés <strong>de</strong> guitares électriques<br />
et ont même converti un broyeur à papier en instrument. On chante en play-back et en direct, parfois le résultat<br />
est magnifique, parfois les performeurs, sagement alignés comme <strong>de</strong>s marionnettes, se pincent le nez<br />
d’un geste élégant <strong>de</strong> la main et piaillent avec <strong>de</strong>s voix <strong>de</strong> Mickey Mouse ou prononcent les consonnes <strong>de</strong>s<br />
textes avec tant d’exagération que ça pétara<strong>de</strong> et grince <strong>de</strong> tous les côtés.<br />
En somme, nous faisons une pièce <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> pour la guerre. Nous montons pour ainsi dire un spectacle<br />
<strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> pour notre Occi<strong>de</strong>nt bien-aimé et nos garçons au front : les États-Unis, le Royaume-Uni, la<br />
France, la Pologne et même l’Allemagne y ont envoyé <strong>de</strong>s troupes. De la propagan<strong>de</strong> pour la guerre, pas pour la<br />
paix. Tout le mon<strong>de</strong> n’a que le mot paix à la bouche, mais à y regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus près, ça ne rime à rien.<br />
VA Wölfl aime provoquer, il est en effet l’un <strong>de</strong>s rares véritables briseurs <strong>de</strong> tabous géniaux <strong>de</strong> l’univers théâtral<br />
: ses propos ne sont pas radicaux, mais d’un anarchisme espiègle. Chez lui, on voit un violoniste fracasser<br />
son instrument contre le sol, comme un musicien rock le ferait avec sa guitare électrique. Le précieux<br />
instrument glisse le long <strong>de</strong> la scène, et l’on s’étonne à quel point nous nous sentons encore heurtés par ce<br />
sacrilège. Quand on voit enfin <strong>de</strong> la danse, elle est très simple, élémentaire même, car VA Wölfl et sa compagnie<br />
ont travaillé dur : 14 jours <strong>de</strong> recherche pour trouver les pires mouvements.<br />
Les gens disent toujours : « C’est bien, mais peut mieux faire. » On entend ça sans cesse. « Cette voiture est<br />
bien construite, on ne pourrait pas faire mieux. Les freins sont bons, mais nous pouvons encore les améliorer.<br />
» Pourquoi ne dit-on pas : « Les freins sont excellents, mais nous pourrions les rendre moins bons. » ? Dans<br />
l’industrie, il faut toujours que tout soit parfaitement au point, mais pas dans l’art. On dirait que dans l’art, le<br />
1 British Forces Broadcasting Services
frein peut être défectueux.<br />
VA Wölfl rit <strong>de</strong> ses propres propos. À chacune <strong>de</strong> ses phrases, il aimerait ajouter l’appendice : « ou peut-être<br />
pas », ou bien « ça ne rime à rien ». Il se sent <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce mal à l’aise dans le rôle <strong>de</strong> prophète <strong>de</strong> l’art. Il<br />
a étudié la peinture et pratique la chorégraphie avec une approche <strong>de</strong> plasticien : en premier lieu en tant que<br />
travail dans son atelier, qu’il n’entreprend pas coûte que coûte en vue <strong>de</strong> créer un spectacle. Pour lui, la scène<br />
est un atelier, elle n’est pas un espace <strong>de</strong> communication ni un lieu pour <strong>de</strong>s symboles qui requièrent forcément<br />
un exégète, un public averti.<br />
Faire <strong>de</strong>s choses, <strong>de</strong>s choses que l’on regar<strong>de</strong> pendant une heure et dont on sort sans qu’une histoire ait été racontée,<br />
et sans message. Je ne cherche pas à persua<strong>de</strong>r. Bien sûr que je suis contre la guerre et la maltraitance<br />
<strong>de</strong>s enfants… mais je trouverais très étrange qu’il me faille encore le dire. C’est comme quand un politicien<br />
nous assure qu’il est pour la paix. Je me dis toujours : bravo, c’est formidable !<br />
VA Wölfl ne tient pas à transmettre <strong>de</strong> message ou <strong>de</strong> thème au public, mais il tient absolument à ce que ce<br />
<strong>de</strong>rnier per<strong>de</strong> bien son temps. Voilà qui est bien trop mo<strong>de</strong>ste comme ambition pour cette nouvelle production<br />
dans laquelle l’obsession du bien-être est persiflée avec brio. Les danseurs se meuvent avec une précision<br />
militaire, parfaitement à l’unisson, et qu’ils jouent <strong>de</strong> la guitare pendant <strong>de</strong> longues minutes toute en<br />
faisant <strong>de</strong>s pointes, qu’ils enjambent les claviers comme <strong>de</strong>s barmaids lascives ou qu’ils fassent ronronner le<br />
microphone sur leur crâne : ils restent <strong>de</strong> glace. Face à leur flegme, un bombar<strong>de</strong>ment acoustique émotionnel<br />
fait rage, <strong>de</strong>s bruits d’hélicoptères font trembler chaque siège <strong>de</strong> la salle, <strong>de</strong>s chansons sentimentales <strong>de</strong>s<br />
années 80 vous anesthésient le cerveau. On pourrait fondre, si nos oreilles n’étaient pas régulièrement incommodées<br />
par <strong>de</strong>s bruits aigus. Et si un ri<strong>de</strong>au d’ossements, qui avance lentement du côté vers l’avant <strong>de</strong> la<br />
scène, ne nous coupait la vue <strong>de</strong>s animateurs radio. Vers la fin du spectacle, les créateurs <strong>de</strong> sons placi<strong>de</strong>s se<br />
per<strong>de</strong>nt dans une séquence sonore déclinante ; ils se cognent les cou<strong>de</strong>s, les poings et la tranche <strong>de</strong> la main<br />
avec gran<strong>de</strong> tendresse, comme s’ils voulaient imiter les saluts masculins rituels. Dépeuplement sur le front<br />
<strong>de</strong> l’atmosphère, gran<strong>de</strong> tristesse sur fond <strong>de</strong> mensonges : l’émission <strong>de</strong> radio que VA Wölfl met en scène<br />
d’une main <strong>de</strong> maître dévoile ce qu’elle est en réalité : un requiem qui n’a fait que se déguiser en chanson pop.<br />
119
LECTURE / PERFORMANCE - SYDNEY<br />
William Yang<br />
William Yang, Chinois d'origine, est né en Australie. Cette particularité est présente dans une bonne part <strong>de</strong><br />
sa production artistique dans laquelle il mêle, <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 15 ans, la photographie, la vidéo et <strong>de</strong>s performances<br />
auxquelles il participe. En 2002, un programme d'échange culturel l'a conduit à l'Académie <strong>de</strong> Théâtre<br />
<strong>de</strong> Shanghai. Il y présenta Friends of Dorothy , à l'occasion d'un forum qui s'averrait être la première<br />
discussion publique en Chine sur le thème <strong>de</strong> l'homosexualité. Perpétuelles oscillations entre le documentaire<br />
social et une approche plus personnelle, ses projets, tels que Sadness, Shadows, Blood Links et plus récemment<br />
Objects of Meditation sont fréquemment présentés en Australie et à l'étranger.
CHINA<br />
Théatre 140<br />
28, 29, 30, 31/05 > 20:30<br />
€ 15 / € 10<br />
EN > NL / FR<br />
1h 30min<br />
Meet the artist after the performance on 29/05<br />
Texte & images: William Yang<br />
Musicien: Nicholas Ng<br />
Présentation: Théâtre 140, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Performing Lines<br />
CHINA was <strong>de</strong>veloped with the assistance of the Australian Government through the Australia Council, its<br />
arts funding and advisory body and with the support of the A<strong>de</strong>lai<strong>de</strong> Festival Centre Trust and the Australian<br />
National University.<br />
121
Image et Performance - Jacqueline Lo<br />
William Yang est sans doute l’artiste australien d’origine asiatique le plus connu actuellement dans le domaine<br />
théâtral. Au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières décennies, il a invariablement exploré la question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité,<br />
qu’il présente sous la forme générale du symbole familier <strong>de</strong> la vie quotidienne dans les banlieues australiennes<br />
: la projection <strong>de</strong> diapositives. Son théâtre est une expression artistique unique, un mélange <strong>de</strong><br />
contes, <strong>de</strong> photographies documentaires, d’histoires <strong>de</strong> famille et <strong>de</strong> commentaires sociaux. Yang est né en<br />
Australie dans une famille d’origine chinoise. Il appartient à la troisième génération d’immigrants et a grandi<br />
dans le Nord du Queensland où, aux dires <strong>de</strong> tous, il a passé une enfance typiquement australienne, « dans le<br />
bush ». Toutefois, son origine et sa sexualité ont toujours fait <strong>de</strong> lui un personnage en marge. En tant qu’homosexuel<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>scendance chinoise, Yang a conscience d’avoir à faire face à une double négation : n’être ni<br />
blanc, ni hétérosexuel. Le théâtre lui a permis d’affirmer qu’il est à la fois australien et asiatique 1 .<br />
Yang abor<strong>de</strong> la relation entre la nation d’accueil et la diaspora en attirant l’attention sur la manière dont la<br />
race et le sexe sont codifiés dans une rhétorique nationaliste tant visuelle que performative. Des œuvres telles<br />
que Sadness (1992), Blood Links (1999), Shadows (2002) et China (2007) déstabilisent les visions nationalistes<br />
en résistant à toute façon singulière ou figée <strong>de</strong> lire l’Histoire, qu’il soit question <strong>de</strong> la diaspora ou <strong>de</strong> la<br />
nation. Aux mains <strong>de</strong> Yang, « l’intervisualité » génère un tableau matriciel complexe d’observations <strong>de</strong>s relations,<br />
à partir <strong>de</strong> perspectives multiples, <strong>de</strong> croisements culturels et d’approches intertextuelles. Ses performances,<br />
dans lesquelles il témoigne d’une conscience <strong>de</strong> soi en se positionnant à la fois à l’intérieur et en<br />
<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la nation, mettent en exergue sa complexité, qui résulte <strong>de</strong> l’Histoire et <strong>de</strong> la politique, non <strong>de</strong> la biologie.<br />
La diaspora est censée offrir une pluralité <strong>de</strong> visions et <strong>de</strong> voix, et par conséquent « une conscience <strong>de</strong>s dimensions<br />
simultanées » (Said, 1984, 170-172). Comme l’indique Iain Chambers : « Venir d’un ailleurs, <strong>de</strong> “làbas”<br />
et non “d’ici”, et ainsi être simultanément “à l’intérieur” et “à l’extérieur” <strong>de</strong> la situation en cours,<br />
signifie vivre à la croisée <strong>de</strong>s histoires et <strong>de</strong>s souvenirs, faire l’expérience à la fois <strong>de</strong> leur dispersion préliminaire<br />
et <strong>de</strong> leur transposition ultérieure dans <strong>de</strong>s dispositions nouvelles et plus étendues, le long <strong>de</strong> routes<br />
convergentes. » (1994, 6).<br />
Les conceptions orthodoxes <strong>de</strong> la diaspora, qui valorisent les liens du sang et la parenté, et prônent la théologie<br />
du retour à une mère patrie d’origine, ou chimérique, sont remises en question par <strong>de</strong>s critiques poststructuralistes<br />
récentes qui mettent en avant leurs hypothèses essentialistes et puristes <strong>de</strong> la nation. Loin d’être<br />
une copie inauthentique ou contaminée <strong>de</strong> la patrie perdue, la diaspora se redéfinit aujourd’hui comme une<br />
source <strong>de</strong> différences productives, caractérisée par l’hybridité, la créolisation et le syncrétisme. Alors que<br />
cette reconfiguration n’ignore pas le potentiel <strong>de</strong> retour en force au sein <strong>de</strong> la diaspora tant d’anciennes que<br />
<strong>de</strong> nouvelles formes d’essentialisme ethnique, <strong>de</strong> nationalisme et même <strong>de</strong> fanatisme, la déconstruction à l’ordre<br />
du jour promet d’ouvrir <strong>de</strong> nouveaux espaces pour l’articulation d’épistémologies et d’ontologies diasporiques<br />
différentes.<br />
Le champ interdisciplinaire <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la diaspora a incité <strong>de</strong> nombreux érudits <strong>de</strong> l’ère postcoloniale à se<br />
pencher sur cette littérature et cette culture. Cependant, l’accent mis sur la matière écrite et les textes littéraires<br />
porte souvent à négliger quelque peu la portée <strong>de</strong> l’expression visuelle ou performative, bien que l’analyse<br />
<strong>de</strong>s mobilités repose la plupart du temps sur la convergence <strong>de</strong> distinctions visuelles entre « race » et<br />
État-nation, culture et ethnicité. En d’autres termes, les particularités communes <strong>de</strong> la diaspora se rapportent<br />
autant aux indicateurs visuels ou performatifs <strong>de</strong> la différence – les co<strong>de</strong>s qui permettent <strong>de</strong> voir ou d’être vu<br />
1 Pour plus <strong>de</strong> détails au sujet <strong>de</strong> théâtre australien asiatique en général et le théâtre <strong>de</strong> William Yang en particulier, voir Gilbert and Lo,<br />
2007.
<strong>de</strong> manière particulière – qu’aux origines religieuses, ethniques ou nationales communes (Matthews 2002).<br />
Comment <strong>de</strong>s formes diasporiques d’art visuel et <strong>de</strong> spectacle vivant pourraient-elles défier les visions hégémoniques<br />
<strong>de</strong> la nation ? Nicholas Mirzoeff affirme que la Nation occi<strong>de</strong>ntale encourage, en tant que communauté<br />
imaginaire, une puissante rhétorique visuelle <strong>de</strong> la nationalité qui s’appuie sur le site géographique, les<br />
monuments et les symboles (2000, 2). Une « visualité » nationaliste opère à partir d’une perspective centrale <strong>de</strong><br />
rationalisme cartésien qui consoli<strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification du spectateur avec le lieu d’autorité, <strong>de</strong> présence et <strong>de</strong> possession<br />
(généralement sexué et racialisé).<br />
Par contraste, les visualités diasporiques sont censées se caractériser par une vision polycentrique, dans laquelle<br />
le visuel se situe « entre individus, communautés et cultures, dans un processus d’interaction dialogique<br />
» (Shohat and Stam 1998, 46). Le point <strong>de</strong> vue multiple transcen<strong>de</strong> la perspective centrale, en quête «<br />
d’un angle prospectif, transculturel et transitif, à partir duquel observer et être vu ». (Mirzoeff 2000, 6). Cette<br />
visualité dialogique, que Mirzoeff appelle « l’intervisualité » dans la mesure où elle opère par le biais « <strong>de</strong><br />
mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> visualité interactifs et interdépendants », est fort présente dans l’œuvre <strong>de</strong> Yang.<br />
Plutôt qu’une finalité, l’ethnicité est pour Yang à la fois un processus et une lutte. Son voyage en sinitu<strong>de</strong> peut<br />
être interprété comme un mouvement allant <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification à la contre-i<strong>de</strong>ntification, et puis à la dési<strong>de</strong>ntification<br />
confuse. L’enfance, mentionnée dans l’Image 1, le moment où Yang a pris conscience <strong>de</strong> son attribution<br />
sociale en tant que Chinois dans l’Australie blanche <strong>de</strong>s années 40 et 50, représente une rupture<br />
symbolique, un vécu somatisé <strong>de</strong> violence, d’altérité et d’âpreté. En conséquence, le jeune adulte a cherché une<br />
contre-i<strong>de</strong>ntification à la malédiction d’être Chinois. Il est significatif que ce soit l’apparence, et plus précisément<br />
les marques physiques d’altérité raciale qui aient empêché Yang <strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier pleinement à un citoyen<br />
australien. De la même façon, la contre-i<strong>de</strong>ntification avec la sinitu<strong>de</strong> indique « qu’être Chinois suscitait <strong>de</strong>s<br />
sentiments négatifs » chez Yang (Yang 1996, 65). Le combat i<strong>de</strong>ntitaire était en outre exacerbé par l’orientation<br />
sexuelle, à une époque où être asiatique et gay était résolument très peu australien. Beaucoup diraient que<br />
c’est toujours le cas.<br />
Le parcours d’autonativisation <strong>de</strong> Yang est étroitement lié au mouvement <strong>de</strong> libération gay : « J’ai embrassé ma<br />
sinitu<strong>de</strong> comme une étape dans une crise i<strong>de</strong>ntitaire. (Je vois dans ce processus beaucoup d’analogies avec mon<br />
premier processus i<strong>de</strong>ntitaire, lorsque je me suis affirmé publiquement en tant qu’homosexuel) ». (Yang 2007).<br />
Yang a souvent évoqué le fait qu’il lui a fallu accepter d’être Chinois avant <strong>de</strong> pouvoir assumer son désir <strong>de</strong> partenaires<br />
asiatiques. Ses monologues sont particulièrement intéressants : ils mettent en avant les imbrications<br />
<strong>de</strong> race, <strong>de</strong> sexe et d’orientation sexuelle qui constituent l’ethnicité ; la performance d’ethnicité suscite un processus<br />
<strong>de</strong> décolonisation raciale et sexuelle qui comporte une reterritorialisation affective permettant d’aboutir<br />
à <strong>de</strong>s formes différentes <strong>de</strong> construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />
Les œuvres <strong>de</strong> Yang sont plurivoques et intervisuelles : elles jouent avec <strong>de</strong> multiples langages, angles <strong>de</strong> vues<br />
et relations. D’une part, elles paraissent essentialiser la sinitu<strong>de</strong> comme une chose innée, que « les Chinois »<br />
adoptent instinctivement et que la diaspora ne peut qu’imiter <strong>de</strong> manière imparfaite. D’autre part, l’organisation<br />
<strong>de</strong> ses spectacles tend à représenter une contre-logique qui rappelle ce que Raymond Williams (1969) appelle<br />
« la structure <strong>de</strong>s sentiments », conditionnée par l’Histoire et activement incarnée par <strong>de</strong>s sujets<br />
humains. Ses spectacles sont <strong>de</strong>s voyages à travers divers paysages émotionnels d’intimité, <strong>de</strong> reconnaissance,<br />
d’incompréhension et d’aliénation. Tous évoquent le sujet diasporique <strong>de</strong> la relation troublée tant à la terre<br />
d’accueil qu’à la patrie d’origine. Il démontre que « se sentir » Chinois et/ou Australien n’est pas inné, ce n’est<br />
pas uniquement déterminé par le sang, mais par une forme <strong>de</strong> pratique, qui à son tour, mène à <strong>de</strong>s formes particulières<br />
d’incarnation et <strong>de</strong> sociabilité.<br />
123
Références<br />
Chambers, Iain. 1994, Migrancy, Culture, I<strong>de</strong>ntity. London & NY: Rouletdge.<br />
Gilbert, Helen and Lo, Jacqueline. 2007, Performance and Cosmopolitics: Cross-cultural Transaction s in Australasia.<br />
London: Palgrave Macmillan.<br />
Matthews, Julie. 2002 “Deconstructing the Visual: The Diasporic Hybridity of Asian and Eurasian Female<br />
Images” Intersections issue 8, October.<br />
http://wwwsshe.murdoch.edu.au/intersections/issue8/matthews.htmlDownloa<strong>de</strong>d 7/08/2007.<br />
Mirzoeff, Nicholas. 2000, “Introduction: The Multiple Viewpoint: Diasporic Visual Cultures.” In Nicholas Mirzoeff<br />
(ed.), Diaspora and Visual Culture: Representing Africans and Jews London & NY: Rouletdge.<br />
Said, Edward. 1984, “Reflections on Exile.” Granta 13: 159-72.<br />
Shohat, Ella and Stam, Robert. 1998, “Narrativizing Visual Culture: Towards a Polycentric Aesthetics,” in Nicholas<br />
Mirzoeff (ed.), The Visual Culture Rea<strong>de</strong>r, London & NY: Rouletdge.<br />
Williams, Raymond. 1969, Drama from Ibsen to Brecht, NY: Oxford UP.<br />
Yang, William. 1996, Sadness, Sydney: Allen & Unwin.<br />
2007, Program Notes to China, Sydney: Performance Space. March.
INSTALLATION - NEW YORK<br />
Noah Fischer<br />
Originaire <strong>de</strong> la baie <strong>de</strong> San Francisco, Noah Fisher est à présent établie à New York.<br />
Il crée <strong>de</strong>s installations lo-tech en 4 dimensions, travaille avec <strong>de</strong>s metteurs en scène <strong>de</strong> théâtre et <strong>de</strong>s musiciens,<br />
sans oublier la peinture et la photographie auxquelles il se consacre également. Diplômé <strong>de</strong> la Rho<strong>de</strong><br />
Island School of Design en 1999 puis <strong>de</strong> la Columbia University en 2004, il bénéficie <strong>de</strong> la bourse d'échange<br />
Fullbright et, dès son retour <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong>, présente sa première exposition solo à NY : Rhetoric Machine (Oliver<br />
Kamm Gallery). Pendant trois ans, Fischer entame une collaboration ininterrompue en tant qu'auteur,<br />
concepteur et acteur avec la compagnie théâtrale andcompany&co. En résulteront Little Red (Play): Herstory<br />
(kfda07), Time Republic (sterischer herbst festival).<br />
125
RHETORIC MACHINE / POP ARK<br />
La Centrale électrique<br />
vernissage 9/05 > 18:00<br />
10/05-01/06<br />
wednesday, friday, saturday & sunday 11:00 > 18:00<br />
thursday 11:00 >20:00<br />
€ 5<br />
Pop Ark runs every 30 minutes<br />
CRÉATION<br />
RHETORIC MACHINE<br />
Concept & installation: Noah Fischer<br />
Composition sonore: Noah Fischer<br />
Mixage audio: Graeme White<br />
Remerciements à Oliver Kamm Gallery, Douglas Repetto, Jon Kessler<br />
POP ARK<br />
Concept: Noah Fischer<br />
Dramaturgie: Gregoire Paultre<br />
Composition sonore: Noah Fischer, Gregoire Paultre, Ronnie Bass<br />
Création <strong>de</strong>s oeuvres d’art: Prem Makeig<br />
Remerciements à andcompany&Co. (Nicola Nord, Alex Karschnia, Sascha Sulimma) featured Youtube vloggers,<br />
Al Gore, Bill Cosby, KVS<br />
Présentation: La Centrale électrique / De Elektriciteitscentrale, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Coproduction: steirischer herbst festival (Graz), Productiehuis Rotterdam (Rotterdamse Schouwburg)
Du 10 au 19 mars, le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts a communiqué par e-mail avec Noah Fischer. Les textes ci-<strong>de</strong>ssous<br />
sont <strong>de</strong>s passages <strong>de</strong> cet échange. Il y est question <strong>de</strong> Rhetoric Machine ainsi que <strong>de</strong> Pop Ark.<br />
Dans les premiers jours, les courriels se penchent sur le type <strong>de</strong> rhétorique que Fischer applique à Rhetoric Machine<br />
et à Pop Ark. Les premiers passages commencent par les considérations <strong>de</strong> Fischer : peut-il être question<br />
<strong>de</strong> rhétorique dans l’art, et si oui, <strong>de</strong> quelle rhétorique ? Ensuite, il analyse dans quelle mesure la manière dont<br />
on parle <strong>de</strong> liberté, est elle-même être libre. Puis Fischer s’étend sur la signification <strong>de</strong> l’électricité dans son<br />
œuvre. Et pour finir, il réfléchit au caractère performatif <strong>de</strong>s machines qu’il construit.<br />
Le 15-mars-08 à 07:41 Noah Fischer a écrit :<br />
Cher Lars,<br />
Oui, la liberté est un excellent thème et j’espère qu’Ark nous y emmènera, bien que je ne<br />
puisse pas garantir un trajet tout en douceur…<br />
Je suis d’accord avec vous/toi sur le paradoxe <strong>de</strong> la liberté dans la rhétorique politique.<br />
Ici, aux États-Unis, « liberté » est <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce notre mot préféré, mais il a été entièrement<br />
dénaturé. Dans mes recherches pour Rhetoric Machine j’ai écouté beaucoup, beaucoup<br />
<strong>de</strong> discours prési<strong>de</strong>ntiels et j’y ai trouvé un schéma très paramétré où se <strong>de</strong>ssinent un chemin<br />
vers la liberté et le <strong>de</strong>stin utopique <strong>de</strong>s Américains (et <strong>de</strong>s populations en général).<br />
Malheureusement, le chemin présente toujours un obstacle, il y a toujours quelqu’un qui fait<br />
barrage à la liberté. Une <strong>de</strong>rnière guerre, et nous serons enfin libre…<br />
Je sais que travailler sur ce thème semble lourd et ardu. Ce n’est pas le même état d’esprit<br />
que les « clavardages » en direct ou les interviews dans Little Red. Ceux-ci indiquent, comme<br />
tu le dis, une voie vers un nouvel usage du langage – peut-être une nouvelle rhétorique – qui<br />
ne serait pas aussi chargé d’histoire politique. Voilà qui est rafraîchissant. Mais vu ce<br />
qu’a suscité le fait <strong>de</strong> voir notre gouvernement, l’héritage <strong>de</strong>s États-Unis et la situation<br />
globale imploser au cours <strong>de</strong>s 8 <strong>de</strong>rnières années – une expérience réellement étrange et cauchemar<strong>de</strong>sque,<br />
un tunnel obscur, en somme –, j’ai senti qu’il fallait créer cette œuvre. Parfois,<br />
il faut pouvoir « fourrer son nez dans le caca ». C’est pour cela que j’aime lire Kafka<br />
: une sorte <strong>de</strong> mausolée à la stupidité humaine en forme <strong>de</strong> Galerie <strong>de</strong>s Glaces. Voilà ce qu’il<br />
faut construire et c’est ce qu’est Rhetoric Machine. Ceci dit, au bout du compte Rhetoric Machine<br />
s’est révélé une histoire d’amour (troublée) et je crois que si on peut le voir, on<br />
comprend vraiment l’œuvre.<br />
Pop Ark ne prend pas vraiment la même orientation. Les <strong>de</strong>ux œuvres sont fortement liées à la<br />
culture <strong>de</strong> masse et au langage persuasif, mais comme je le mentionnais dans un mail précé<strong>de</strong>nt,<br />
après Rhetoric Machine, j’ai voulu me distancier <strong>de</strong> la critique pure <strong>de</strong> « l’homme » ou<br />
<strong>de</strong>s grands symboles institutionnels. Al Gore est en effet très bien entraîné à la mimique,<br />
mais dans cette œuvre, à force <strong>de</strong> parler pour ne rien dire et <strong>de</strong> singer une rhétorique – bien<br />
que hautement personnelle – parfaitement formatée pour les médias , il détonne par rapport à<br />
un sentiment nouveau et plus libre. Je me suis inspiré <strong>de</strong>s gamins qui ont grandi avec l’internet<br />
comme un état <strong>de</strong> fait, et s’expriment, font <strong>de</strong>s montages, introduisent du son et com-<br />
127
muniquent en réseau avec leurs spectateurs sur leurs vidéoblogues. Ils semblent avoir trouvé<br />
une liberté (encore ce mot !) dans l’œil du cyclone <strong>de</strong>s médias commerciaux et superficiels.<br />
Il faut savoir que j’ai grandi en Californie, dans un monastère bouddhiste, inspiré du modèle<br />
traditionnel japonais. Un lieu magnifique et très serein, près <strong>de</strong> l’océan Pacifique. Les rési<strong>de</strong>nts<br />
méditaient et se soignaient, <strong>de</strong>s gens bien, mais il y avait peut-être un problème :<br />
pour désigner le mon<strong>de</strong> extérieur, on disait « le mon<strong>de</strong> réel ».<br />
À l’origine <strong>de</strong> ma pratique, il y a donc l’idée <strong>de</strong> faire face à la mer<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> réel, en<br />
tant que célébration/<strong>de</strong>voir d’y vivre. Quand je dis « faire face », j’entends « en faire <strong>de</strong><br />
l’art » : mélanger <strong>de</strong> l’électricité très visible, qui est un composant invisible mais fondamental<br />
dans la société, avec <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> la peinture (les signifiants <strong>de</strong> l’art), du son,<br />
<strong>de</strong>s structures narratives, etc. pour générer une expérience qui relève entièrement du mon<strong>de</strong><br />
réel (merdique), mais qui d’une manière ou d’une autre, le réorganise en expression artistique.<br />
C’est très laborieux, ce qui veut dire que je suis obligé <strong>de</strong> passer beaucoup <strong>de</strong> temps<br />
dans mon atelier – au lieu <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’auto-stop sur une route <strong>de</strong> l’Ouest – mais en étant<br />
occupé à ça, les choses, le temps et l’état du mon<strong>de</strong> tel qu’il est me procurent un plaisir<br />
simple, que je peux partager.<br />
Rhetoric Machine est réellement ce que ça évoque : une machine à rhétorique. On pourrait dire<br />
que cette machine montre quelque chose qui se rapproche <strong>de</strong> l’essai multimédia. Avec Pop Ark,<br />
je ne peux pas dire ce que je montre juste en indiquant – c’est plus simple que ça – que<br />
c’est un grand vaisseau, une arche. Ce qui est excitant avec Ark, c’est que l’arche est en<br />
voyage.<br />
Noah<br />
Le 15-mars-08 à 19:59 lars kwakkenbos a écrit :<br />
Bonjour Noah,<br />
Merci beaucoup pour ta réponse.<br />
Pourrais-tu m’en dire un peu plus sur l’électricité que tu évoques, et établir un lien avec<br />
la façon dont tu t’en sers dans ton œuvre ? Tu parles d’électricité invisible dans la société,<br />
alors que ton œuvre se caractérise par une même sorte d’élément <strong>de</strong> base, appelé électricité,<br />
qui pourrait tout relier. Comment cela fonctionne-t-il dans l’œuvre Rhetoric Machine<br />
et dans l’œuvre Pop Ark ? Comment l’électricité peut-elle contribuer à réorganiser la réalité<br />
(en l’utilisant pour créer <strong>de</strong> l’art) ?<br />
Lars
Le 17-mars-08 à 07:23 Noah Fischer a écrit :<br />
Bonjour Lars,<br />
Voici quelques réflexions sur l’électricité dans mon œuvre.<br />
L’un <strong>de</strong>s privilèges d’être artiste est, je crois, <strong>de</strong> pouvoir mettre en lumière <strong>de</strong>s choses<br />
courantes. Il ne faut même rien faire – il suffit <strong>de</strong> les introduire dans un contexte artistique,<br />
ce qui peut être un lieu <strong>de</strong> débats et <strong>de</strong> conscience sensorielle, intellectuelle et<br />
historique aiguë. Mais je préfère adopter une position plus active.<br />
J’aimerais beaucoup mettre en lumière l’électricité. C’est <strong>de</strong> la lumière, <strong>de</strong> la chaleur, <strong>de</strong><br />
l’énergie, et <strong>de</strong> la politique dans sa forme la plus pure. C’est l’énergie dont nous dépendons.<br />
Pourtant, pendant <strong>de</strong>s générations, on nous a appris à nous en méfier, à laisser ça aux<br />
spécialistes, ou à trouver ça ennuyeux même si les niveaux <strong>de</strong> consommation augmentent en permanence.<br />
À l’instar <strong>de</strong>s feux <strong>de</strong> signalisation, ou <strong>de</strong> l’écran d’ordinateur <strong>de</strong>vant lequel il<br />
nous faut rester assis à longueur <strong>de</strong> journée, l’électricité exerce un certain contrôle sur<br />
nos existences, mais nous n’en avons plus conscience.<br />
Je crée <strong>de</strong>s œuvres sur l’électricité, donc j’utilise <strong>de</strong> l’électricité. Je n’ai vraiment pas<br />
le choix. Même si je faisais <strong>de</strong>s huiles sur toiles, ou <strong>de</strong>s sculptures éphémères en sable, un<br />
réseau électrique apparaîtrait à l’horizon. Telle est la société occi<strong>de</strong>ntale. J’ai choisi <strong>de</strong><br />
me servir activement <strong>de</strong> cette énergie dans mon œuvre et, comme nous l’avons déjà dit, <strong>de</strong> développer<br />
ma pensée à l’intérieur <strong>de</strong> cette œuvre électrique en vue <strong>de</strong> créer <strong>de</strong> nouvelles<br />
formes. Que dire <strong>de</strong> ces formes ? Eh bien, l’électricité a <strong>de</strong>s lois qui les déterminent. Si on<br />
touche certains câbles, on reçoit une décharge – une sensation forte dont j’ai fait l’expérience<br />
à plusieurs reprises. L’électricité est soit totalement allumée, soit totalement<br />
éteinte, pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-mesure. C’est réel ! Et puis, quand j’ai commencé à travailler avec <strong>de</strong><br />
la lumière et <strong>de</strong>s moteurs, cela m’a procuré <strong>de</strong> la liberté : j’ai évité <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un « bon<br />
électricien » et <strong>de</strong> canaliser cette énergie dans un réseau, au lieu <strong>de</strong> ça, je cherche à préserver<br />
un aspect <strong>de</strong> l’énergie brute qui m’a fasciné dès le départ.<br />
Il n’y a pas <strong>de</strong> haute technologie dans mon œuvre, au contraire, elle est plutôt lo-tech. Mais<br />
je me penche <strong>de</strong> plus en plus sur l’ordinateur, qui est soit un cerveau électronique, soit un<br />
miroir. Les ordinateurs portables (qui apparaissent dans Pop Ark), les iPod, les iPhone, et<br />
autres objets <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus petits, et on nous encourage à nous soucier<br />
<strong>de</strong> moins en moins <strong>de</strong> l’énergie électrique, mais à penser à l’expérience, aux réseaux,<br />
aux émotions, aux connectivités, aux options… Mais ne soyons pas dupes, l’électricité a toujours<br />
quelque chose <strong>de</strong> brut, <strong>de</strong> primitif, <strong>de</strong> dangereux et <strong>de</strong> beau, qui est peut-être le reflet<br />
<strong>de</strong> l’esprit humain. Derrière l’ordinateur portable, il y a cette chose primitive que<br />
j’aimerais révéler à travers mon art.<br />
Dans Pop Ark, j’ai construit <strong>de</strong>s boîtes <strong>de</strong> commutation, qui ressemblent à <strong>de</strong>s ordinateurs<br />
portables, dans lesquelles je fais passer toute l’électricité <strong>de</strong> l’installation. Il y aura un<br />
grand poteau et <strong>de</strong>s lignes électriques qui parcourront l’espace. L’installation est gérée –<br />
comme Rhetoric Machine – par un grand tambour <strong>de</strong> comman<strong>de</strong> couvert <strong>de</strong> câbles électriques, bap-<br />
129
tisé « Gore-Bot » et qui fonctionne comme une boîte à musique. Une petite puce électronique<br />
pourrait tout aussi bien assurer les comman<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’installation, mais je veux exposer<br />
l’électricité au grand jour. Cette machine ressemble peut-être à une antiquité, mais à New<br />
York, il y a sur chaque feu <strong>de</strong> signalisation une boîte métallique qui remplit la même fonction.<br />
Noah<br />
Le 17-mars-08 à 6:31 lars kwakkenbos a écrit :<br />
Bonjour Noah,<br />
Ce qui me fascine en premier lieu dans ta réponse, c’est ta conscience <strong>de</strong> la présence physique<br />
<strong>de</strong> l’électricité – capable <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong> la chaleur et du courant mais pouvant également<br />
être nuisible – et par conséquent <strong>de</strong> son rapport à nos sens et à notre corps. Peux-tu<br />
étayer cela ?<br />
La secon<strong>de</strong> chose qui me fascine est ton assertion : le caractère primitif, la dangerosité et<br />
la beauté <strong>de</strong> l’électricité reflètent peut-être le caractère primitif, la dangerosité et la<br />
beauté <strong>de</strong> l’esprit humain. Transformes-tu tes machines en métaphores pour <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> pensée<br />
ou <strong>de</strong>s sensations ?<br />
Lars<br />
Le 18-mars-08 à 08:54 Noah Fischer a écrit :<br />
Cher Lars,<br />
L’électricité est une expérience physique et, comme je l’ai mentionné, on en prend conscience<br />
quand on reçoit une bonne décharge. Je ne la considère pas comme quelque chose <strong>de</strong> nuisible –<br />
interagir avec <strong>de</strong> l’énergie pure est une expérience très étrange, mais intéressante. À New<br />
York, Times Square est un lieu <strong>de</strong> forte concentration <strong>de</strong> lumières et <strong>de</strong> communications électriques.<br />
Quand je suis à proximité, je réagis intensément aux champs électriques. D’habitu<strong>de</strong>,<br />
je me mets à fredonner <strong>de</strong>s chansons populaires – je ne peux pas <strong>de</strong>meurer silencieux, à moins<br />
que je ne fredonne pour atteindre le silence – comme si l’esprit voulait compenser une charge<br />
négative.<br />
À ta secon<strong>de</strong> question : j’établissais un lien entre le cerveau et l’ordinateur et démontrais<br />
qu’il y a en effet quelque chose <strong>de</strong> primitif dans les <strong>de</strong>ux, malgré leur apparence <strong>de</strong> systèmes<br />
opérationnels bien organisés. J’imagine que c’est l’arbre qui cache la forêt. La manière dont<br />
nous utilisons l’électricité dans la vie sociale – fournie par <strong>de</strong> grands générateurs qui<br />
fonctionnent au charbon, à l’eau ou à l’énergie nucléaire, elle passe par <strong>de</strong>s transformateurs<br />
qui la réduisent à <strong>de</strong>s tensions domestiques <strong>de</strong> 110 ou 220 volts pour être distribuée dans nos<br />
appartements et finalement pénétrer, à basse intensité, dans nos ordinateurs portables dans<br />
lesquels circule <strong>de</strong> l’information – est très proche <strong>de</strong> l’anatomie humaine : du système nerveux<br />
ou <strong>de</strong> la circulation sanguine. Nous semblons avoir créé un monstre gigantesque assoiffé
d’électricité, mais en général nous n’en voyons qu’un aspect minime – l’économiseur d’écran<br />
par exemple. J’aime me concentrer sur la situation globale, ce qui est dangereux (ça ne répond<br />
pas à l’esprit <strong>de</strong> l’iPod). C’est aussi la question sur laquelle porte – ou <strong>de</strong>vrait porter<br />
– la discussion autour du réchauffement global : apprendre à faire marche arrière. Mais<br />
ce n’est pas qu’un exercice intellectuel, il faut s’impliquer. Je préconise donc <strong>de</strong> démonter<br />
<strong>de</strong>s appareils électriques pour voir comment ils fonctionnent. Tu pourrais même recevoir une<br />
décharge.<br />
Percevoir le caractère primitif, la dangerosité et la beauté <strong>de</strong>s humains fonctionne à peu<br />
près <strong>de</strong> la même manière. On peut lire les journaux, avoir <strong>de</strong>s discussions <strong>de</strong> fond avec <strong>de</strong>s<br />
amis intelligents, prendre le thé et partager un bon repas et penser que tout va bien et<br />
qu’au bout du compte, la civilisation l’emportera. Mais la réponse n’est pas si évi<strong>de</strong>nte. Actuellement,<br />
il y a une violence et une injustice dans le mon<strong>de</strong> qui défient toute logique.<br />
Nous avons <strong>de</strong> la chance <strong>de</strong> ne pas en être victimes pour le moment. Il faut également faire<br />
marche arrière par rapport à ça ; il faut s’engager davantage dans la compréhension <strong>de</strong> l’expérience<br />
humaine à ce niveau.<br />
Noah<br />
Si l’électricité semble si proche du genre humain, c’est parce que nous avons appris à l’exploiter.<br />
Et puis, la civilisation humaine a volé en éclats.<br />
131
VISUAL ART - BUCHAREST<br />
Dan Perjovschi<br />
Dan Perjovischi (°1961) est un artiste plasticien vivant et travaillant à Bucarest. Fusionnant volontiers les<br />
techniques du <strong>de</strong>ssin et du graffiti, il n'hésite pas à utiliser les murs <strong>de</strong>s musées ou d'espaces culturels pour<br />
exprimer son art. Ses interventions commentent le contexte politique, social ou culturel <strong>de</strong> notre temps. Par<br />
sa participation aux activités éditoriales du magazine culturel Revista 22, Perjovschi a joué un rôle important<br />
dans l'évolution <strong>de</strong> la société civile roumaine. Il a par ailleurs stimulé l'échange entre les artistes nationaux<br />
et internationaux. En 1999, il présentait rEst à la 48e Biennale <strong>de</strong> Venise et l'an <strong>de</strong>rnier, Project 85 complétait<br />
la programmation du Moma à New York.<br />
Un grand nombre <strong>de</strong> distinctions et <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nces a également rythmé sa carrière.
DAN PERJOVSCHI. ALL OVER.<br />
Wiels<br />
Artist in resi<strong>de</strong>nce<br />
9-15/05<br />
(open to the public)<br />
Exhibition<br />
16/05-1/06<br />
Wednesday, Thursday, Friday, Saturday: 12:00 > 19:00<br />
Sunday: 11:00 > 17:00<br />
Concept & réalisation: Dan Perjovschi<br />
CRÉATION<br />
Présentation: Wiels, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Avec le soutien du Centre Roumain d'Information à Bruxelles<br />
Courtesy: Gregor Podnar Gallery<br />
En collaboration avec Le Soir, De Morgen<br />
Remerciements à: Lia Perjovschi<br />
133
Correspondance mail avec Dan Perjovschi<br />
Birgit Kristiansen architecte et directrice <strong>de</strong> projets à Zebra Media, Arhus.<br />
Cher Dan Perjovschi<br />
J’ai vu votre exposition au Brandts Kunsthal à O<strong>de</strong>nse. Ma première réaction fut <strong>de</strong> surprise. Vos œuvres ne<br />
sont pas accrochées dans les espaces d’exposition comme celles <strong>de</strong>s autres artistes, mais se trouvent dans la<br />
cage d’escalier, réparties sur trois étages. Vos œuvres artistiques n’ont pas été encadrées mais peintes au<br />
feutre à même les murs et on peindra par-<strong>de</strong>ssus d’ici la prochaine exposition. Ma réaction suivante fut<br />
d’amusement. Dans votre jeu avec les lignes, je suis captivée par l’ingéniosité et l’humour <strong>de</strong> vos <strong>de</strong>ssins. Et<br />
finalement je me trouve forcée d’adopter une position ou à tout le moins <strong>de</strong> réfléchir aux nombreux paradoxes<br />
<strong>de</strong> la vie et du mon<strong>de</strong>.<br />
Comment êtes-vous parvenu à con<strong>de</strong>nser votre message en si peu <strong>de</strong> traits ? Est-ce que vous travaillez à la<br />
manière d’un <strong>de</strong>signer, réduisant l’expression au plus essentiel ? Pouvez-vous en dire plus sur votre métho<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> travail ?<br />
Chère Birgit Kristiansen, ce que vous voyez à présent sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’expression frontale, simple et précise, est<br />
l’aboutissement d’un long processus. Près <strong>de</strong> quinze ans. De formation académique, ma peinture a par la suite<br />
évolué vers un art né <strong>de</strong> mon opposition à la conception académique contre le concept académique. Par la suite,<br />
la société a muté si radicalement et la vie est <strong>de</strong>venue si excitante qu’aucune forme d’expression artistique<br />
dont je puisse avoir connaissance n’était plus en mesure <strong>de</strong> rivaliser. Je creuse en amont et me souviens du<br />
temps où en qualité d’écolier je m’étais acquis une gran<strong>de</strong> popularité auprès <strong>de</strong> mes camara<strong>de</strong>s en croquant les<br />
professeurs. C’était une communication à l’état pur, sans artifice esthétique. J’ai jugé que cette pratique était<br />
pertinente et je l’approfondis.<br />
J’ai contracté un emploi dans un hebdomadaire politiquement engagé. Cela a forgé ma conception du <strong>de</strong>ssin. Il<br />
me fallait « illustrer » un texte sophistiqué avec une simple image, et l’image <strong>de</strong>vait également valoir par ellemême.<br />
Les textes comme les images s’enracinaient dans une réalité immédiate et abordaient <strong>de</strong>s questions qui<br />
importaient à tous. C’est exactement ce que je fais maintenant. Vous pouvez imaginer <strong>de</strong>rrière chacun <strong>de</strong> mes<br />
<strong>de</strong>ssins un texte analytique et percutant… Des textes qui parlent <strong>de</strong> nous.<br />
Et en effet, je retire tout le superflu, je <strong>de</strong>ssine comme si j’étais novice, je <strong>de</strong>ssine à la hâte, pas le temps pour<br />
les détails, la ligne est sale mais cinglante. Ma pratique engage un espace <strong>de</strong> liberté et <strong>de</strong> mobilité maximales.<br />
Je travaille avec <strong>de</strong>s marqueurs indélébiles. Mes projets sont temporaires.<br />
Nombre <strong>de</strong> vos <strong>de</strong>ssins – à moins que « graffitis » soit plus judicieux – portent sur l’artiste ou sur les conditions<br />
<strong>de</strong> l’art. Par exemple Sponsor – directeur – curateur – artiste. Diriez-vous que l’artiste est brimé par le<br />
sponsor et le curateur ou plutôt que l’artiste trace personnellement les limites et pratique l’autocensure ?<br />
Quel regard portez-vous sur le rôle <strong>de</strong> l’art et <strong>de</strong> l’artiste dans la société ?<br />
J’inclus systématiquement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins sur le statut <strong>de</strong>s artistes et l’état <strong>de</strong> la scène artistique. Je suis un artiste<br />
– je travaille sur les « cadres » <strong>de</strong> l’institution artistique. Aujourd’hui l’art et les artistes subissent les assauts<br />
du marché. Les gens vont à la Biennale <strong>de</strong> Venise pour acheter <strong>de</strong> l’art, les artistes y participent pour<br />
vendre <strong>de</strong> l’art. La plupart <strong>de</strong>s institutions artistiques ont connu <strong>de</strong>s restrictions <strong>de</strong> budget et sont sommées<br />
<strong>de</strong> concevoir <strong>de</strong>s projets pour les masses. Aucun artiste n’est limité si il/elle ne souhaite pas l’être. J’ai un <strong>de</strong>ssin<br />
qui dit : « les sponsors sont mauvais, les directeurs sont mauvais, les curateurs sont mauvais, les artistes<br />
sont bons ». Ma cible immédiate, ce sont les artistes qui se prennent pour le centre du mon<strong>de</strong>.<br />
Je m’intéresse à tous les éléments du système. Mes projets sont très appréciés du personnel du musée où je tra-
vaille, du coup je m’entretiens beaucoup avec ces gens et croyez-le ou non, ils ont une vision différente <strong>de</strong> l’art.<br />
Je crois que l’art mérite <strong>de</strong> figurer au journal du soir, au même titre que la politique, la météo et le sport. En tant<br />
que citoyen <strong>de</strong> mon pays et citoyen du mon<strong>de</strong> j’émets <strong>de</strong>s avis plus intéressants sur ce pays et sur le mon<strong>de</strong><br />
que la majorité <strong>de</strong>s politiciens.<br />
Je crois par conséquent en un rôle actif <strong>de</strong>s artistes et <strong>de</strong> l’art dans la société. L’art et les artistes ne <strong>de</strong>vraient<br />
pas être cantonnés aux divertissements du week-end. Le loisir, l’industrie culturelle ou quelque autre notion<br />
inepte moyennant laquelle la société libérale essaie <strong>de</strong> cloisonner la créativité et la libre expression.<br />
Et à ce propos, je ne fais pas du cartoon et du graffiti, je fais du cartoon et du graffiti intellectuels.<br />
Vous affirmez que l’industrie culturelle emprisonne la créativité et l’expression libre – pouvez-vous l’étayer<br />
par <strong>de</strong>s exemples concrets ?<br />
La carte postale <strong>de</strong> l’œuvre d’art <strong>de</strong>vient plus intéressante que l’œuvre d’art. Restaurants et cafétérias envahissent<br />
l’espace du musée. On croirait qu’ils font <strong>de</strong>s rétrospectives Monet juste pour avoir <strong>de</strong> belles impressions<br />
sur parapluies… Regar<strong>de</strong>z ce qu’ils ont infligé à Van Gogh. Tôt ou tard ils vendront <strong>de</strong>s oreilles tranchées en<br />
latex… Le grand nombre pensera que Documenta est un bon événement dans la mesure où il n’enregistre pas<br />
<strong>de</strong> déficits.<br />
Votre formation artistique s’est faite dans la Roumanie communiste. Je présume que vous n’avez pas été<br />
formé à l’observation satirique, politique et acerbe que vous pratiquez aujourd’hui. En quoi a consisté votre<br />
formation générale et comment la situez-vous par rapport à votre activité artistique actuelle ?<br />
On m’a appris à peindre ce que les Français appellent « nature morte ». La Roumanie communiste était une nature<br />
morte. J’ai été formé au silence, au mensonge, à l’euphémisme, à l’obéissance. J’ai été formé à croire que<br />
l’art n’a rien à voir avec la société dans laquelle je vis, que l’expression plastique transcen<strong>de</strong> le quotidien et<br />
qu’elle a pour vocation <strong>de</strong> servir les idéaux les plus hauts, tels que la glorification du chef. Foutaises ! N’allez<br />
pas croire que tout était plongé dans la nuit obtuse. La société totalitaire ainsi que ma formation comportaient<br />
tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s percées <strong>de</strong> lumière. Mais le tableau général était sinistre et intellectuellement misérable.<br />
Je suis aujourd’hui l’antithèse exacte <strong>de</strong> ce qu’ils souhaitaient que je <strong>de</strong>vienne (mes anciens professeurs sont<br />
horrifiés par ce que je produis). Le communisme représentait une agression immédiate <strong>de</strong> mon entité physique<br />
et psychologique. J’ai traversé l’épreuve presque in<strong>de</strong>mne. Je l’ai emporté. Paradoxalement, aujourd’hui je dois<br />
résister à une popularité excessive, ne pas me laisser happer dans l’engrenage du marketing et <strong>de</strong> l’industrie,<br />
la machination prodigieuse <strong>de</strong> l’argent.<br />
C’est pourquoi il faut que mes projets soient effacés au terme <strong>de</strong> l’exposition.<br />
Certains <strong>de</strong> vos <strong>de</strong>ssins portent sur l’Union européenne et l’Europe occi<strong>de</strong>ntale. Quels enjeux pointent selon<br />
vous dans les rapports entre l’Est et l’Ouest <strong>de</strong> l’Europe ?<br />
Les relations Est-Ouest se maintiennent, mais d’autres axes sont également importants (Nord-Sud). L’Europe<br />
est un système à mixité maximale et si vous questionnez un Norvégien au sujet <strong>de</strong> l’histoire, la culture ou la<br />
vie en Macédoine, la réponse sera au mieux stéréotypée ou approximative.<br />
La Norvège n’est pas membre <strong>de</strong> l’Union et la Macédoine est un état indépendant post-yougoslave et une province<br />
en Grèce – c’est pourquoi la dénomination officielle <strong>de</strong> la Macédoine est FYROM (Former Yugoslav Republic<br />
of Macedonia / Ancienne République Yougoslave <strong>de</strong> Macédoine), le seul État dont le nom comporte le mot «<br />
ancien ».<br />
C’est intéressant, non ? Un pays comme la Suisse, non membre, situé au cœur <strong>de</strong> l’Union européenne ? Vous<br />
135
voyez, cela excè<strong>de</strong> la polarité Est-Ouest mais du fait que je suis originaire <strong>de</strong> l’Est et que j’y vis encore, les gens<br />
imaginent que toutes mes pensées sont tournées vers l’Est. Ce n’est pas le cas. Dans mes paroles et mes <strong>de</strong>ssins,<br />
il est aussi bien question <strong>de</strong> vous, les Danois. Je peux vous parler <strong>de</strong>s défis que <strong>de</strong>vra relever le Danemark<br />
<strong>de</strong> l’après caricatures <strong>de</strong> Mahomet.<br />
Vous travaillez sur <strong>de</strong>s sujets d’une portée universelle, pouvant être compris par tous, et vous recourez également<br />
à <strong>de</strong>s symboles d’une portée universelle – en tout cas pour nous en Occi<strong>de</strong>nt. Avez-vous jamais fait l’expérience<br />
d’une opacité locale <strong>de</strong> vos <strong>de</strong>ssins ? Autrement dit, y a-t-il <strong>de</strong>s symboles qui dérogent à cette règle<br />
d’universalité ?<br />
J’appartiens au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt. Nous conduisons les mêmes voitures, nous utilisons les mêmes cartes <strong>de</strong><br />
crédit et nous rêvons tous d’un séjour ensoleillé à Ibiza, n’est-ce pas ? Les symboles auxquels je recours sont<br />
les symboles <strong>de</strong> « notre » mon<strong>de</strong> et ils sont opératoires à Chypre, en Turquie aussi bien que dans les Émirats<br />
arabes. J’ai hérité d’un mon<strong>de</strong> globalisé et <strong>de</strong> la révolution informatique. Bien sûr, il y a <strong>de</strong>s choses ou <strong>de</strong>s symboles<br />
qui peuvent n’avoir qu’une portée locale. Je m’efforce <strong>de</strong> les dénicher mais ce n’est pas une priorité absolue.<br />
Je travaille pour le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> MTV, Google et McDonalds. La mo<strong>de</strong>rnité-merdonité planétaire. Mais je<br />
travaille aussi pour le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’humain, <strong>de</strong> l’amour, <strong>de</strong> l’amitié et <strong>de</strong> l’intelligence.<br />
– Y a-t-il <strong>de</strong>s sujets que vous n’êtes pas disposé à traiter ? Par exemple, lorsque vous exposez aux États-Unis,<br />
<strong>de</strong>s tabous tels que le handicap, la sexualité ou la religion.<br />
Si vous observez le mur que j’ai au MoMA, vous serez surprise <strong>de</strong>s commentaires acerbes qu’il comporte sur<br />
les États-Unis. Je jouis d’une liberté totale, ce qui signifie également responsabilité totale. Je me renseigne généralement<br />
sur les zones à risque, les limites <strong>de</strong> l’outrage. Je dois connaître le territoire avant d’essayer <strong>de</strong><br />
l’élargir. Mon but n’est pas <strong>de</strong> créer l’esclandre. Je ne cherche pas l’attention <strong>de</strong>s médias. Mes révolutions se<br />
produisent dans l’esprit <strong>de</strong> chaque spectateur à l’instant où éclate son rire. Je n’ai nulle intention <strong>de</strong> mettre le<br />
curateur ou l’institution qui m’accueille sous pression. Croyez-le ou non, je paie mes impôts.<br />
C’est pourquoi je fais <strong>de</strong>s caricatures qui ont une facture <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins. Ça permet d’aller un peu plus loin. Mais<br />
quand je <strong>de</strong>ssine dans <strong>de</strong>s espaces publics, murs extérieurs, halls d’entrée ou cages d’escaliers comme au<br />
Brandts, je suis un peu plus pru<strong>de</strong>nt. Les gens n’ont pas le choix, ils doivent côtoyer ou affronter mes <strong>de</strong>ssins,<br />
donc je me sens responsable.<br />
Je ne crois pas qu’on puisse être plus radical avec un langage qui exclut la pornographie et l’agressivité.<br />
À la Biennale <strong>de</strong> Moscou, j’ai <strong>de</strong>mandé ceux que je <strong>de</strong>vais épargner et ils m’ont répondu l’Église orthodoxe.<br />
Alors j’ai foutu la paix au Bon Dieu.<br />
– Votre arme, c’est l’humour ou le marqueur au laser ?<br />
Je ne le considère pas comme une arme mais comme une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> pensée. Je <strong>de</strong>ssine le mon<strong>de</strong> en vue <strong>de</strong> le<br />
comprendre. Je le fais avec humour parce que c’est dans ma nature et observer les réactions <strong>de</strong>s gens est dans<br />
la nature <strong>de</strong> chacun.<br />
– Qu’est-ce qui vous inspire – le <strong>de</strong>ssin ou le message ? Est-ce le jeu <strong>de</strong>s lignes qui vous souffle le message ou<br />
à l’inverse, un message précis que vous vous efforcez ensuite <strong>de</strong> traduire en image ?<br />
Pour chaque <strong>de</strong>ssin que vous voyez sur le mur il y en a une cinquantaine dans mon carnet <strong>de</strong> croquis. Je ne<br />
suis pas spontané. Je <strong>de</strong>ssine beaucoup avant <strong>de</strong> trouver l’expression adéquate. Le moteur c’est le message. Je
lis beaucoup <strong>de</strong> journaux, je regar<strong>de</strong> la télé, j’observe, je discute. Toute l’information que j’accumule, je la transforme<br />
en images. Ensuite je sélectionne et je transfère sur les murs. Je retouche <strong>de</strong> vieux <strong>de</strong>ssins, je modifie<br />
parfois le texte, je produis <strong>de</strong> nouvelles combinaisons, etc. Le processus change en fonction du contexte. C’est<br />
une péripétie longue, complexe et épuisante. Mais j’en savoure chaque secon<strong>de</strong>.<br />
137
VISUAL ART - ANTWERPEN<br />
Benjamin Verdonck<br />
Benjamin Verdonck (°1972), qui vit et travaille à Anvers, est tant reconnu pour ses nombreuses pièces <strong>de</strong> théâtre<br />
jouées en Belgique et hors <strong>de</strong> non frontières, que pour ses actions / installations dans l'espace public.<br />
Après sa formation dans la section théâtrale du Conservatoire d'Anvers, il <strong>de</strong>vient acteur au sein <strong>de</strong> différentes<br />
troupes ( De Tijd, Zui<strong>de</strong>lijk Toneel, Hollandia, Het Paleis). Il s'est ensuite lié temporairement aux compagnies<br />
comme «Walpurgis», «Dito'Dito», «Dood Paard»,... et se consacre parallèlement à d'autres projets,<br />
notamment le théâtre musical avec «Think of One» et Valentine Kempynck.Il s'est peu à peu libéré <strong>de</strong>s<br />
contraintes traditionnelles du théâtre pour s'intéresser davantage à la forme théâtrale. C'est ainsi qu'en<br />
2000, il mène <strong>de</strong>ux projets similaires sur la St Jans Plein à Anvers et la place Bara à Bruxelles; il installe une<br />
hutte à sept mètres du sol et y habite <strong>de</strong>ux semaines, prêt à converser avec les passants.
CRÉATION<br />
COLLECTIE<br />
Wiels<br />
10/05 - 1/06<br />
Wednesday, Thursday, Friday, Saturday: 12:00 > 19:00<br />
Sunday: 11:00 > 17:00<br />
Concept: Benjamin Verdonck<br />
Présentation: Wiels, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Remerciements à Ulrike Lindmayr & Valentine Kempynck<br />
Avec le soutien <strong>de</strong> Toneelhuis (Antwerpen), KVS (Brussels), Campo (Gent)<br />
139
A propos <strong>de</strong> Collectie - propos recueillis par Lars Kwakkenbos<br />
Benjamin Verdonck est performeur et dramaturge, mais à l’occasion du Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts 08 il présente<br />
une collection d’objets qu’il a rassemblés au fil <strong>de</strong>s ans. Dans l’entretien qui suit, il rend compte <strong>de</strong> la<br />
substance <strong>de</strong> l’exposition et s’explique sur ce que signifie pour lui le fait d’exposer. Cet entretien a eu lieu le<br />
17 mars 2008. À cette date, Benjamin Verdonck avait pour la première fois réuni et disposé la totalité <strong>de</strong>s objets<br />
<strong>de</strong> cette collection dans son atelier à Anvers, avant <strong>de</strong> les acheminer à Bruxelles.<br />
Il y a ici <strong>de</strong>s gants, <strong>de</strong>s ron<strong>de</strong>lles, <strong>de</strong>s ballons <strong>de</strong> foot dégonflés, <strong>de</strong>s ficelles suspendues à une étagère… comment<br />
ces collections ont-elles vu le jour ?<br />
Je n’ai jamais collectionné <strong>de</strong>s objets dans l’intention <strong>de</strong> les exposer. La plupart <strong>de</strong>s collections que tu vois ici<br />
se sont en quelque sorte développées organiquement. Sur un rebord <strong>de</strong> fenêtre, et quand ce rebord débordait, je<br />
rangeais le tout dans une boîte. Ça fait près d’une quinzaine d’années par exemple que je ramasse <strong>de</strong>s ron<strong>de</strong>lles.<br />
À la longue je ne savais plus d’où elles provenaient. Par la suite, chaque fois que j’en trouvais une, j’annotais<br />
systématiquement où et quand ça s’était produit et ce à quoi je pensais.<br />
Ces ron<strong>de</strong>lles ont déjà fait du chemin. Je les ai un jour intégrées dans une représentation en collaboration avec<br />
David Bové, autour d’un roman <strong>de</strong> Georges Perec daté <strong>de</strong> 1975 et intitulé W ou le souvenir d’enfance. C’est un<br />
roman en <strong>de</strong>ux volets qui, pour une part, décrit minutieusement une île mythique appelée W et, d’autre part,<br />
comporte un certain nombre <strong>de</strong> souvenirs d’enfance <strong>de</strong> prime abord fortuits. Pendant la représentation, je déclinais<br />
l’histoire <strong>de</strong> l’île W et interférais avec les bouts <strong>de</strong> mémoire personnelle qui figuraient sur les cartons<br />
signalétiques attachés aux ron<strong>de</strong>lles.<br />
Il y en a un sacré nombre. Où les trouves-tu ?<br />
Dans la rue. Tout vient <strong>de</strong> la rue. Bon nombre <strong>de</strong> ces objets ont été laissés à l’abandon parce que jugés sans<br />
usage ou sans valeur. Des emballages, par exemple, qui ont pour office d’inciter à la vente, mais une fois le produit<br />
déballé ou consommé, l’emballage est totalement superflu.<br />
Est-ce que tu vas à la recherche <strong>de</strong> ces objets ?<br />
Non. Pas du tout. Je voudrais bien partir un ou <strong>de</strong>ux ans au Mexique et ramasser <strong>de</strong>s gants pour voir si, là<br />
aussi, il y a cette hégémonie <strong>de</strong>s bleus, mais le fond <strong>de</strong> l’affaire pour moi c’est avant tout la promena<strong>de</strong>.<br />
Depuis combien <strong>de</strong> temps collectionnes-tu ces objets ?<br />
Ma première collection date <strong>de</strong> quand j’avais une douzaine d’années, j’ai conservé <strong>de</strong>s années durant dans une<br />
gran<strong>de</strong> boîte toutes ces émanations précieuses <strong>de</strong> ma personne, ongles, cheveux, etc… mais un jour est venu où<br />
j’ai jeté toute la boîte.<br />
Ensuite j’ai commencé à collectionner <strong>de</strong>s choses différentes. À La Condition Publique à Roubaix et au Nieuwpoorttheater<br />
à Gand, où j’ai été accueilli comme artiste rési<strong>de</strong>nt en 2004 et 2005, j’ai utilisé pour la première<br />
fois mes collections, mais c’était chaque fois dans le cadre du théâtre ou <strong>de</strong> la performance. La première fois<br />
que j’ai montré quelque chose dans un espace pour plasticiens, c’était en 2007 au MuHKA à Anvers, à l’occasion<br />
<strong>de</strong> l’exposition The Projection Project. J’y ai exposé une maquette et <strong>de</strong> la documentation sur le projet<br />
BOOT <strong>de</strong> 2006, une sorte <strong>de</strong> version contemporaine <strong>de</strong> l’Arche <strong>de</strong> Noé que je voulais construire sur la Place<br />
Roosevelt à Anvers.
Toutes ces collections sont pour moi avant tout un moyen <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> l’ordre. Je suis un grand admirateur <strong>de</strong><br />
Georges Perec. J’avais déjà le nez dans ces paramètres <strong>de</strong> classification du mon<strong>de</strong>, mais Perec m’a appris à les<br />
voir autrement. Tu fais quatre fois ceci (il bouge quatre fois le pied gauche) ou trois fois cela (puis trois fois le<br />
pied droit), rien ne t’en empêche ! J’ai toujours été attiré par ce type <strong>de</strong> jeux, et c’est quelque chose que je retrouve<br />
chez Perec.<br />
On peut considérer que ces paramètres sont aléatoires, mais en l’occurrence ils génèrent <strong>de</strong>s règles, et l’art<br />
pour moi a partie liée aux règles d’un jeu. Le théâtre et l’art, c’est tracer <strong>de</strong>s lignes. Bon, quelle est la situation ?<br />
Qu’est-ce que je veux faire ? Je veux travailler dans l’espace public, bien, alors je dois faire ça d’abord, ça ensuite…<br />
Tu circonscris l’espace du chantier et après seulement tu peux réfléchir. Cette délimitation est purement<br />
arbitraire, mais elle est chargée d’affect.<br />
Ces objets seront tout simplement exposés. Tu ne vas rien pouvoir en faire.<br />
Ah ! Parce que tu croyais que je passe mon temps à jouer avec ? (rires) J’accumule ces choses <strong>de</strong>puis longtemps,<br />
je les range et je les mets <strong>de</strong> côté, et à un moment donné je me suis dit, après tout, ça me soulagerait <strong>de</strong> pouvoir<br />
m’en débarrasser. D’un autre côté, tout ça est truffé d’émotion, <strong>de</strong>s objets dont le récit du « quand » et du « comment<br />
» m’est <strong>de</strong>venu très familier. Je regar<strong>de</strong> cette exposition comme une invitation à jouer.<br />
Je vais exposer <strong>de</strong>s fragments <strong>de</strong> ce que j’entasse et <strong>de</strong> ce qui m’inspire dans mon travail <strong>de</strong> performeur et <strong>de</strong><br />
dramaturge. La maquette <strong>de</strong> BOOT et les 99 couples qui l’habiteront seront là, et je vais aussi dévoiler la maquette<br />
d’un autre projet que j’aimerais réaliser l’an prochain. J’ai par ailleurs construit <strong>de</strong>s maisonnettes, mais<br />
c’est tout autre chose, <strong>de</strong> manière générale, il s’agit d’objets trouvés.<br />
Le tout constitue une sorte d’édification urbaine mentale. Ces objets sont pour moi <strong>de</strong>s incitations à faire<br />
quelque chose, à se maintenir dans la vie ou simplement à être attentif. Ce sont <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> paramètres. Je<br />
songe aussi aux Situationnistes et à l’invention <strong>de</strong>s promena<strong>de</strong>s psychogéographiques. Il s’agissait au fond<br />
d’une forme d’excursion automatique, où l’impulsion spontanée sert <strong>de</strong> boussole. Cela vaut également pour<br />
mes collections : elles archivent les mo<strong>de</strong>s selon lesquels je me fraie un chemin.<br />
Est-ce une sorte <strong>de</strong> documentation sur une manière <strong>de</strong> faire ?<br />
Oui, mais ce n’est pas exhaustif. Mon travail théâtral n’intervient ici que dans l’histoire <strong>de</strong> ces ron<strong>de</strong>lles ; pour<br />
le reste, je conçois tout ça comme une facette <strong>de</strong> l’aire <strong>de</strong> jeux bariolée dans laquelle je peux me mouvoir (il fait<br />
mine <strong>de</strong> chercher autour <strong>de</strong> lui, agitant les bras, et rit). Ce sont <strong>de</strong>s choses qui m’occupent et je suis content <strong>de</strong><br />
pouvoir les partager avec d’autres.<br />
Comment ce travail se rapporte-t-il à ton travail dramaturgique ?<br />
Je suis formé au théâtre, j’ai suivi <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s à cette fin et au fil <strong>de</strong>s ans je me suis approprié un métier. Je peux<br />
parfaitement expliquer ce que j’ai tenté <strong>de</strong> faire avec quelle pièce et comment les pièces se rapportent les unes<br />
aux autres. Ce travail est en revanche plus aléatoire, parce qu’il est émergent, et c’est seulement maintenant<br />
que j’en déchiffre quelque chose et que je réfléchis à ce que signifie d’exposer une œuvre <strong>de</strong> plasticien. Ces <strong>de</strong>rnières<br />
années, j’ai beaucoup exploré et lu, bref le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’art ne m’est pas étranger, mais ma propre position<br />
dans cette sphère est encore incertaine.<br />
Ces questions pourraient aussi bien porter sur ton travail au théâtre.<br />
Peut-être. Mais pour moi, un espace blanc ou un espace noir, c’est très différent.<br />
141
La différence tient-elle à l’espace même ou au fait que c’est un espace dans quel l’artiste n’est généralement<br />
pas en mouvement ?<br />
Évi<strong>de</strong>mment. Il s’agit <strong>de</strong> quelque chose qu’on a créé et qu’on ne vit pas dans l’instant. Willy Thomas et moi<br />
avons réalisé un petit livre sur Global Anatomy, un spectacle en collaboration qui date <strong>de</strong> l’an passé. Je tenais<br />
à ce qu’il y ait ce livre, indépendamment du spectacle. Les images <strong>de</strong>vaient être suffisamment bonnes parler<br />
d’elles-mêmes, mais elles avaient du mal à se distancier du contexte théâtral, ne fût-ce que parce qu’elles<br />
avaient été prises dans un lieu plongé dans l’obscurité.<br />
Le travail que tu présentes au Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts, quant à lui, va figurer dans un espace sobre et blanc,<br />
tout à fait adapté à <strong>de</strong>s images qui, en un sens, seront autonomes ?<br />
Ce travail va d’abord être monté au Wiels, où je disposerai d’un atelier pour l’exposer. Cet atelier a un caractère<br />
intime. J’espère que d’ici le lancement <strong>de</strong> l’exposition, je pourrai y travailler encore quelques jours, laisser croître<br />
les choses.<br />
Tu voudrais aussi y vivre ?<br />
Non. Ça, je le ferai davantage en septembre dans la galerie anversoise LLS 387, où je montrerai le même travail<br />
dans un réel environnement d’atelier. J’ai l’intention <strong>de</strong> passer <strong>de</strong>ux mois dans l’espace même, et je construirai<br />
également quelque chose dans le jardin contigu.<br />
Ce qui va se passer au Wiels équivaut à une ouverture d’archives. Que les espaces d’exposition soient <strong>de</strong>s ateliers<br />
me convient plutôt bien. Peut-être qu’un tel atelier me permet davantage d’étaler les choses comme elles<br />
sont ici, posées à terre. Dans une gran<strong>de</strong> salle parfaitement récurée, j’aurais dû aussi préméditer l’organisation<br />
et l’agencement dans l’espace. D’abord je veux montrer les choses et ensuite seulement observer dans quel<br />
sens elles cristallisent.<br />
Les ateliers comportent aussi <strong>de</strong>s coins, <strong>de</strong>s recoins, et je crois que ça va favoriser le cheminement mental. Le<br />
plus beau, c’est quand il y a <strong>de</strong>s fils qui traversent les ron<strong>de</strong>lles.<br />
Tu disais que tu ne ferais pas <strong>de</strong> composition ?<br />
(rires)<br />
Pour conclure. La plupart <strong>de</strong>s objets que tu vas montrer proviennent d’un milieu urbain. L’an prochain, tu vas<br />
travailler toute une année dans l’espace public. Peux-tu nous expliquer ce que tu vas faire et comment cela se<br />
rapporte à ton exposition imminente ?<br />
Du 3 janvier 2009 au 2 janvier 2010, je veux me consacrer à un travail qui s’intitule Kalen<strong>de</strong>r (calendrier). Une<br />
année durant, je veux à nouveau explorer la puissance et la fonction du théâtre dans l’espace public. J’ai entrepris<br />
un certain nombre d’actions les années précé<strong>de</strong>ntes, mais elles sortaient du cadre d’un travail bien organisé.<br />
Je veux exploiter les jours fériés actuels pour réitérer certaines <strong>de</strong> ces actions et en inventer <strong>de</strong> nouvelles,<br />
et j’espère qu’il en naîtra <strong>de</strong>s fables qui seront ultérieurement transmises. Le contexte urbain est à cet égard<br />
très important pour moi, je songe par exemple à <strong>de</strong>s actions au Meir à Anvers ou à la rue Neuve à Bruxelles.<br />
Il y a évi<strong>de</strong>mment une gran<strong>de</strong> différence entre ce projet et l’exposition, mais il est néanmoins chaque fois ques-
tion <strong>de</strong> petites choses qu’on trouve dans la ville. La plupart <strong>de</strong> ces actions seront mo<strong>de</strong>stes et sans protocole<br />
d’annonce. Pour ma part, j’ai le sentiment <strong>de</strong> m’emparer du même matériau : <strong>de</strong>s petits objets trouvés que je<br />
range dans un autre ordre pour engendrer du nouveau. Ce ne sont ici qu’objets <strong>de</strong> pacotille, emballages, déchets,<br />
et ces actions seront également <strong>de</strong>s suppléments inutiles à la masse humaine.<br />
Là tu ramasses <strong>de</strong>s choses, ici tu les restitues à la ville. N’y a-t-il pas un mouvement d’aller-retour ?<br />
Pas consciemment, mais peut-être. C’est effectivement une belle pensée. Il y aura donc d’une part les choses<br />
que je montre, et d’autre part celles ¬que je fais.<br />
143
INSTALLATION - BRUSSEL<br />
Koen Theys<br />
Koen Theys (°1963) est un pionnier <strong>de</strong> l'art vidéo belge. Depuis le début <strong>de</strong>s années 80, il travaille à une œuvre<br />
qui est <strong>de</strong>venue entre-temps impressionnante et a été montrée dans le mon<strong>de</strong> entier, <strong>de</strong> la Russie aux USA, du<br />
Japon à pratiquement toute l'Europe. Ses œuvres ont notamment été acquises par le S.M.A.K. à Gand, le Museum<br />
of Mo<strong>de</strong>rn Art à New York, le Centre Georges Pompidou à Paris et le Museum of Contemporary Art à<br />
Seoul. En 2009, une rétrospective lui sera consacrée au SMAK à Gand, exposition qui fera ensuite le tour <strong>de</strong><br />
plusieurs musées en Europe et en Asie. Le travail <strong>de</strong> Koen Theys est souvent réalisé en <strong>de</strong>ux phases. Dans une<br />
première phase une mise en scène théâtrale est réalisée, servant <strong>de</strong> point <strong>de</strong> départ à un enregistrement<br />
vidéo, présenté dans un second temps comme création vidéo à part entière. C'est ainsi qu'en 2005, il réalisa<br />
The Vanitas Record, une installation gigantesque composée <strong>de</strong> milliers d'objets et basée sur les fameuses vanités<br />
<strong>de</strong>s 17e et 18e siècles.
PATRIA (Vive le roi ! Vive la république !)<br />
Place <strong>de</strong>s Martyrs<br />
10/05 > 22:00<br />
1h 30min<br />
Meet the artist on 16/05 at 22:00 (Beursschouwburg)<br />
Screenings of The Vanitas Record (2005)<br />
NL > FR<br />
The Many Things Show (2007)<br />
EN > no subtitles<br />
16/05 > 18:00, 19:30 & 21:00<br />
Filmlounge at Beursschouwburg<br />
Concept: Koen Theys<br />
Directeur <strong>de</strong> production: Bert Leysen<br />
Création Lumière: Rutger Debraban<strong>de</strong>r<br />
Création sonore: Johan Van<strong>de</strong>rmaelen<br />
Présentation: Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Coproduction: Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
En collaboration avec la police fédérale belge, KVS, Transquinquennal<br />
Remerciements à la Ville <strong>de</strong> Bruxelles, Les Brigittines<br />
145
Le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts s’entretient avec Koen Theys<br />
Propos recueillis par Barbara Van Lindt<br />
Dans ton travail, tu fais souvent référence explicite ou implicite à <strong>de</strong>s genres, <strong>de</strong>s œuvres et <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong><br />
l’histoire <strong>de</strong> l’art. S’agit-il d’une confrontation délibérée ?<br />
Oui, je crois que la confrontation entre un genre traditionnel et une problématique actuelle est <strong>de</strong> nature à mettre<br />
cette problématique en évi<strong>de</strong>nce. Il ne s’agit donc pas d’une nostalgie <strong>de</strong> l’antique, mais davantage d’une<br />
stratégie <strong>de</strong> mise au jour <strong>de</strong>s conflits qui traversent l’art et la culture d’aujourd’hui. Dans Vanitasrecord (2005)<br />
par exemple, j’ai confronté les peintures <strong>de</strong> vanités du XVIIe siècle avec le concept <strong>de</strong> Société du spectacle tel<br />
qu’il a été élaboré par Guy Debord 1 . Le résultat fut la plus gran<strong>de</strong> peinture <strong>de</strong> vanités au mon<strong>de</strong>, 25 mètres <strong>de</strong><br />
long, 12 mètres <strong>de</strong> large et 4 mètres <strong>de</strong> haut, comprenant notamment <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> crânes mortuaires et <strong>de</strong><br />
bougies, 20 tonnes <strong>de</strong> livres et 21.000 escargots vivants. Dans The Many Things Show (2007), le point <strong>de</strong> départ<br />
est plus récent : c’est le texte Art After Philosophy <strong>de</strong> Joseph Kosuth 2 . Ce splendi<strong>de</strong> essai, qui entreprend<br />
sur un mo<strong>de</strong> wittgensteinien <strong>de</strong> délimiter les frontières du champ <strong>de</strong> l’art, je l’ai illustré au moyen <strong>de</strong>s choses<br />
les plus disparates que je pouvais glaner sur internet. De prime abord, ces images ne se situaient aucunement<br />
à l’intérieur du champ théorisé par Kosuth, mais ce nouveau contexte avait justement pour effet <strong>de</strong> les y acclimater.<br />
Elles étayent le texte tout en le réfutant. C’est une confrontation entre un texte sur l’art qui compte<br />
parmi les plus mo<strong>de</strong>rnistes d’une part, et un flux insensé d’images postmo<strong>de</strong>rnes d’autre part, et ils se complètent<br />
parfaitement. Dans PATRIA (Vive le roi ! Vive la république !), la création que je présente au Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts,<br />
j’ai cherché à mettre l’idée <strong>de</strong> tableau historique 3 à l’épreuve <strong>de</strong> ce qu’on appelle <strong>de</strong>puis Fukuyama<br />
« la post-histoire ». Dans son livre <strong>de</strong> 1989 sur La fin <strong>de</strong> l’histoire, Fukuyama avance que la prédiction hégélienne<br />
sur la dissolution <strong>de</strong>s idéologies s’est réalisée. Après les défaites successives du fascisme et du communisme,<br />
le capitalisme parlementaire et libéral semble avoir emporté la mise. La politique néolibérale belge<br />
aussi bien qu’internationale <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières années prend idéologiquement appui sur cet ouvrage. Je ne souhaite<br />
pas divulguer dès à présent la nature <strong>de</strong> l’interprétation que j’en propose, mais il y aura un lien avec les actes<br />
<strong>de</strong> bravoure démocratique que sont le compromis et le statu quo.<br />
PATRIA (Vive le roi ! Vive la république !) est le troisième travail où tu t’inspires <strong>de</strong> la tradition du tableau vivant<br />
et <strong>de</strong> la nature morte. D’où vient cet attrait ?<br />
Ce sont bien sûr précisément les choses qu’on estimerait inadaptées pour la création d’un film. Mais c’est par<br />
l’immobilité <strong>de</strong> l’ensemble que le moindre mouvement <strong>de</strong>vient un événement. Dans une nature morte ou un tableau<br />
vivant, on peut concentrer toute une histoire sans <strong>de</strong>voir procé<strong>de</strong>r narrativement. En tant qu’artiste<br />
plasticien, je cherche à créer l’image qui contient toute la tension que d’autres ne peuvent susciter qu’en mobilisant<br />
un long récit. Hitchcock disait <strong>de</strong> ses films qu’ils ne comportaient chaque fois qu’une ou <strong>de</strong>ux images<br />
dignes d’intérêt. Le reste, c’était du remplissage <strong>de</strong> pellicule pour attirer le public dans les salles. Moi aussi je<br />
m’intéresse à cette image rare, mais sans autre forme <strong>de</strong> remplissage, une image qui <strong>de</strong>nsifie le regard.<br />
Ces « tableaux vivants filmés » connaissent généralement <strong>de</strong>ux vies : une première comme installation live,<br />
une secon<strong>de</strong> comme installation ou film vidéo. Quel est le lien entre ces <strong>de</strong>ux étapes ? La vidéo est-elle un<br />
format pratique pour donner une postérité au tableau ? À moins que le projet central soit la vidéo et que le tableau<br />
live ne soit qu’une opportunité <strong>de</strong> faire plaisir au public. Les <strong>de</strong>ux formats sont-ils autonomes ou l’un<br />
découle-t-il <strong>de</strong> l’autre ?
Je les considère comme <strong>de</strong>s œuvres autonomes, caractéristiques et distinctes. Par ailleurs, il n’est pas rare que<br />
le travail compte plus d’étapes que les <strong>de</strong>ux que vous citez. Il y a par exemple les esquisses et les maquettes<br />
préparatoires, et en aval <strong>de</strong>s montages photo. Ma manière <strong>de</strong> filmer appelle généralement – pas toujours – <strong>de</strong>s<br />
environnements qui peuvent donner lieu à une installation ou une performance. La tension et la concentration<br />
requises pour une seule représentation publique engendrent une plus-value qui, selon moi, ne subsisterait pas<br />
si les répétitions et les enregistrements se faisaient en studio ou si la nature morte n’était qu’une pièce <strong>de</strong><br />
décor. Dans le cas <strong>de</strong> Vanitasrecord, par exemple, il était essentiel <strong>de</strong> pouvoir intégrer dans la vidéo <strong>de</strong>s commentaires<br />
ou <strong>de</strong>s entretiens portant sur l’exposition. Dans Meeting Willian Wilson (2003), c’est le public présent<br />
pendant le happening qui figurait dans la vidéo, affublé d’un nouveau rôle. Quant à PATRIA (Vive le roi !<br />
Vive la république !), il m’est précieux d’un point <strong>de</strong> vue symbolique que l’événement se déroule à la Place <strong>de</strong>s<br />
Martyrs à Bruxelles, même si les chances sont maigres que ce lieu soit i<strong>de</strong>ntifiable sur la vidéo. Le happening<br />
est mis en scène en fonction du public aussi bien qu’en fonction <strong>de</strong> la caméra, laquelle filme d’une manière spécifique,<br />
avec <strong>de</strong>s accents et une dramaturgie propres. Les vidéos ne sont donc pas <strong>de</strong> simples enregistrements<br />
<strong>de</strong>s performances ou happenings, et ces <strong>de</strong>rniers sont davantage que <strong>de</strong>s dispositifs scéniques prêts à être filmés.<br />
Tu as toujours affirmé que PATRIA (Vive le roi ! Vive la république !) n’était pas conçu comme un état <strong>de</strong>s<br />
lieux <strong>de</strong> la crise politique belge, même si la Place <strong>de</strong>s Martyrs renvoie à la naissance <strong>de</strong> la nation et peut illustrer<br />
sa division interne. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces références évi<strong>de</strong>ntes, y a-t-il une dimension plus universelle ?<br />
Comme Vanitasrecord, malgré ses quantités <strong>de</strong> crânes, escargots et chan<strong>de</strong>lles éteintes, n’entendait pas amener<br />
le public à méditer sur le caractère éphémère <strong>de</strong> la vie, <strong>de</strong> même ce travail ne cherche pas à énoncer un avis<br />
en faveur ou en défaveur <strong>de</strong> la scission du royaume. Dans tout pays, démocratique ou non, coexistent diverses<br />
tendances et opinions sur la marche à suivre. Les forces révolutionnaires ou réactionnaires, ou internationalistes<br />
ou nationalistes sont <strong>de</strong> tout lieu et <strong>de</strong> tout temps. La valeur d’actualité d’une telle œuvre n’est donc pas<br />
géographiquement confinée à la seule Belgique et se vérifierait peu ou prou en n’importe quel pays au mon<strong>de</strong>.<br />
Pour moi, les motifs épinglés tels que la Flandre, la Wallonie, la Belgique, etc. sont <strong>de</strong> pures abstractions, tout<br />
comme socialisme, capitalisme, communisme ou internationalisme. Toutes les idéologies possibles sont passées<br />
en revue. Ce sont les éléments clichés constitutifs du tableau historique, comme les arbres et le ciel le sont<br />
dans un paysage. Cette création conviendrait donc n’importe où sur terre. La question qui m’a guidé pour ce<br />
travail est plutôt celle-ci : à quoi ressemblerait une œuvre ou une peinture historique dans une société néolibérale<br />
à l’heure <strong>de</strong> la post-histoire ?<br />
1 La Société du Spectacle, Guy Debord, 1973<br />
2 L’artiste américain Joseph Kosuth est né en 1945 dans l’Ohio. Il compte parmi les représentants les plus importants <strong>de</strong> l’art conceptuel<br />
dans les années 60 et 70.<br />
3 Un tableau historique est un tableau qui illustre un épiso<strong>de</strong> biblique, mythologique ou historique. Généralement c’est un tableau <strong>de</strong><br />
grand format, où figurent plusieurs personnages. A dater <strong>de</strong> la Renaissance, ce genre fut considéré comme le plus éminent. Ce privilège<br />
<strong>de</strong> rang se poursuivit jusque vers la fin du 19ème siècle.<br />
147
INSTALLATION - BRUXELLES<br />
Annik Leroy<br />
Cinéaste, photographe, professeur à l'ERG (Ecole <strong>de</strong> Recherche Graphique), Annik Leroy vit et travaille à<br />
Bruxelles. En 1981, elle réalise un long-métrage en noir et blanc, In <strong>de</strong>r Dämmerstun<strong>de</strong> Berlin <strong>de</strong> l’aube à la<br />
nuit. En 1999, son long-métrage Vers la mer obtient divers prix internationaux. En 2000 , elle réalise le courtmétrage<br />
ffff+ppppp en collaboration avec l'ensemble <strong>de</strong> musique contemporaine Q-O2 et, en 2005, le documentaire<br />
Cell 719, présenté aux Festivals <strong>de</strong> Rotterdam et d'Amsterdam. Des expositions photographiques et<br />
installations vidéo s'ajoutent à sa filmographie : Isolés, Ici (2003-2004, Tournai, Bruxelles), (Psycho) Zerreisswolf<br />
(2005-2006, Ou<strong>de</strong>naar<strong>de</strong>, Bruxelles), Lieber wütend als traurig (2006, Bruxelles, 2007, Berlin).
MEINHOF.<br />
La Raffinerie<br />
23, 26, 30/05 > 17:00-19:00<br />
24, 31/05 > 14:00-19:00<br />
25/05 > 14:00-17:00<br />
(free entrance)<br />
Concept & Réalisation: Annik Leroy<br />
Caméra: Annik Leroy<br />
Montage: Julie Morel<br />
Son: Marie Vermeiren<br />
Assistance digitale: Benoit Bruwier<br />
Présentation: La Raffinerie / Charleroi-Danses, Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts<br />
Production: Annik Leroy<br />
149
À propos <strong>de</strong> MEINHOF. - Pieter Van Bogaert<br />
L’histoire est connue. À la charnière <strong>de</strong>s années 60 et 70, la République fédérale d’Allemagne est aux prises<br />
avec la Rote Armee Fraktion, la RAF. En 1968, Andreas Baa<strong>de</strong>r et Gudrun Ensslin font sauter leurs premières<br />
bombes dans <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s surfaces à Francfort. En 1970, Ulrike Meinhof – jusque-là une respectable journaliste<br />
<strong>de</strong> gauche – ai<strong>de</strong> Baa<strong>de</strong>r à s’éva<strong>de</strong>r d’une prison berlinoise ; <strong>de</strong>puis, la RAF est connue sous le nom <strong>de</strong><br />
Ban<strong>de</strong> Baa<strong>de</strong>r-Meinhof. En 1972, Meinhof elle-même est incarcérée à la prison <strong>de</strong> Köln-Ossendorf. Quatre ans<br />
plus tard, en 1976, elle est retrouvée morte dans une cellule <strong>de</strong> l’établissement hautement sécurisé <strong>de</strong> Stuttgart-Stammheim.<br />
L’histoire est connue... et pourtant, elle ne s’arrête pas en 1976 avec la mort <strong>de</strong> Meinhof. Ni en 1977 avec les<br />
décès <strong>de</strong> Baa<strong>de</strong>r et Ensslin. Et pas davantage en 1998 avec le communiqué officiel <strong>de</strong> dissolution <strong>de</strong> la RAF<br />
adressé à l’agence Reuters. Malgré sa courte existence, la RAF connaît <strong>de</strong>s prolongements jusqu’à la fin du<br />
XXe siècle (et au-<strong>de</strong>là). Et ce qui préoccupe la mémoire collective finit immanquablement par s’introduire<br />
dans le champ <strong>de</strong> l’art. L’exposition RAF <strong>de</strong> 2005 à Berlin en fut la brillante illustration. Des œuvres d’artistes<br />
allemands consacrés tels que Gerard Richter et Joseph Beuys, mais aussi d’artistes étrangers <strong>de</strong> la génération<br />
suivante tels que Johan Grimonprez et Bruce LaBruce, y attestaient l’impact <strong>de</strong> la RAF sur l’art et sur l’époque.<br />
Annick Leroy ne figurait pas dans cette exposition controversée. Elle n’en était alors qu’au tout début <strong>de</strong> sa<br />
propre trilogie. Par ailleurs, il est peu probable que son MEINHOF. eut pu convenir dans le contexte d’un événement<br />
d’envergure sous-titré Zur Vorstellung <strong>de</strong>s Terrors. Annik Leroy ne met pas en scène la terreur, elle<br />
traite <strong>de</strong> ses conséquences mais aussi <strong>de</strong> ses antécé<strong>de</strong>nts. Son approche est à la fois périphérique et issue <strong>de</strong><br />
l’intérieur. Cela explique peut-être pourquoi cette artiste, âgée <strong>de</strong> vingt ans à l’incarcération <strong>de</strong> Meinhof, a attendu<br />
une trentaine d’années avant <strong>de</strong> pouvoir se saisir <strong>de</strong>s événements et les intégrer dans un travail. Cela<br />
explique <strong>de</strong> surcroît pourquoi une telle œuvre est toujours pertinente aujourd’hui.<br />
Il s’agit donc moins d’un travail sur la RAF que sur les événements qui ont favorisé son émergence. L’œuvre ne<br />
s’intéresse pas aux aspects spectaculaires du terrorisme, mais à sa psychologie. Elle ne traite pas du réseau<br />
terroriste, mais <strong>de</strong> l’individu qui se cache <strong>de</strong>rrière. MEINHOF. est un travail personnel, intimiste et surtout<br />
poignant. Chaque partie du travail s’inspire d’une facette différente <strong>de</strong> cette personnalité difficilement sondable.<br />
Les sentiments <strong>de</strong> la détenue se découvrent par le truchement d’une lettre écrite <strong>de</strong>puis la funeste cellule<br />
([Psycho]Zerreiswolf, 2005). Le versant maternel est exploré dans la correspondance avec ses filles jumelles<br />
(Lieber Wütend als Traurig, 2006). Et enfin la femme : la journaliste en tant que figure publique et politique<br />
(Unheimlich Schwer/Politisch, 2007).<br />
MEINHOF.est un montage <strong>de</strong> fragments. Textes dits et écrits, images vidéo et projections se réfléchissent et<br />
se complètent. L’œuvre scrute l’intimité, l’humanité et la force <strong>de</strong> conviction sous l’épaisse chape <strong>de</strong> notoriété<br />
qui a toujours occulté l’individu Meinhof : avant, pendant et après son incarcération. À cette fin, Annik Leroy<br />
procè<strong>de</strong> avec économie. Ses images vidéo sont statiques comme une geôle. Elles sont lentes, comme l’isolement.<br />
Presque noires, comme l’Histoire. Il arrive cependant qu’une lueur les parcoure, tel le rayon d’un pharepoursuite<br />
qui disparaît aussitôt.<br />
On dirait que les installations s’éclaircissent à mesure que le processus <strong>de</strong> formation évolue; une formation<br />
en cours qui se donne à lire comme une transformation progressive. En 2005, le premier état <strong>de</strong> la trilogie<br />
n’offre presque rien à voir. La vidéo Cell 719 en constitue le centre. L’image noire est occasionnellement traversée<br />
par un cône lumineux, comme celui d’un phare <strong>de</strong> voiture ou <strong>de</strong> navire ; à l’avant-plan, le sol sur lequel
nous nous tenons semble se transformer en rive d’un cours d’eau en crue. Ce qu’on éprouve est <strong>de</strong> l’ordre du<br />
voyage, bien qu’on ne perçoive ni silhouettes ni paysages. Un voyage les yeux presque clos, à bord d’un véhicule<br />
sans pare-brise, sans horizon. Les mots les plus importants dans cette partie sont « as if ». Comme si on<br />
<strong>de</strong>vait entrer dans la peau d’un autre.<br />
Cette trilogie installe d’emblée un inconfort, aussi inconfortable que le sujet. L’artiste reconstitue pour le<br />
spectateur d’aujourd’hui un environnement aussi éprouvant que celui <strong>de</strong> la détenue et <strong>de</strong> la société qu’elle<br />
prenait pour cible. Les images obscures sont avares <strong>de</strong> divulgation. Le dispositif est sobre, strict, sévère et par<br />
conséquent avoisine la perfection. Le crépitement <strong>de</strong>s projecteurs dans le dos du spectateur est perturbant.<br />
Une rumeur entêtante et oppressante. Un crissement qui brise toute intimité. Un bruit irritant qui rend fou.<br />
Le même bruit, la même technique, sont repris dans chaque nouvelle partie <strong>de</strong> l’œuvre. Les projecteurs (l’effet<br />
est obtenu sans le secours <strong>de</strong> la vidéo – Annik Leroy semble opter pour <strong>de</strong>s techniques du temps <strong>de</strong> Meinhof)<br />
sèment les mots qui composent sur le mur les titres <strong>de</strong>s parties respectives. Des mots incisés à même la pellicule<br />
et qui ren<strong>de</strong>nt une image nerveuse, jamais statique, comme les écritures grattées sur la paroi d’une cellule.<br />
Des mots éprouvés, éprouvants, comme le sont les textes ou le <strong>de</strong>ssin taillé à coups <strong>de</strong> lame sur le mur.<br />
C’est une copie <strong>de</strong> cette unique image datée <strong>de</strong> 1973, où Ulrike Meinhof apparaît dans ses frusques <strong>de</strong> détenue<br />
à Cologne : en tablier gris, le cheveu ras, le regard agressif fixé droit <strong>de</strong>vant et les mains sur la tête (Est-ce<br />
qu’elle renonce ? Réfléchit ? S’absente). La photo originale d’où cette image est tirée a été prise à son insu et<br />
est <strong>de</strong>venue une icône. Une personne réduite à une image, reproduite <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> fois <strong>de</strong>puis 1973. L’image<br />
n’apparaît qu’à l’issue du parcours, avant la sortie. Recopiée au feutre sur un mur, gran<strong>de</strong>ur nature, comme<br />
une émanation ou une empreinte <strong>de</strong> la véritable Meinhof.<br />
De même que MEINHOF.fut longtemps réduite à une seule image, Annik Leroy restreint son mon<strong>de</strong> à une cellule<br />
; sa vie à un choix. Comme tout un chacun, elle commence par considérer l’image publique <strong>de</strong> Meinhof, à<br />
laquelle elle restitue progressivement ses détails et ses éclats dispersés. Chaque nouvelle partie pénètre plus<br />
profondément dans l’individu et son temps. À chaque étape, les images gagnent également en précision. L’édifice,<br />
la fenêtre, les diverses nuances <strong>de</strong> gris dans Lieber Wütend als Traurig (2006) créent ce qu’on pourrait<br />
qualifier <strong>de</strong> white-out, contrastant avec le quasi-black-out qui caractérise la première partie. Trois écrans dispensent<br />
chaque fois l’image et son pendant, comme une capture en miroir du rapport épistolaire entre la mère<br />
et ses <strong>de</strong>ux jumelles. Le bruit du stylo qui court sur le papier, un toussotement ou un soupir évoquent la mère<br />
– une femme, le dos au mur.<br />
C’est ce mur qui constitue l’image dans Unheimlich Schwer/Politisch (2007).<br />
Des fragments d’entretiens, datant <strong>de</strong> 1966-69, <strong>de</strong> la Meinhof journaliste et politisée, exhument d’autres facettes<br />
<strong>de</strong> l’époque et <strong>de</strong> la personne. La partie la plus légère, la plus précise et la plus claire <strong>de</strong> la trilogie se révèle<br />
après-coup aussi comme la plus poignante. Il y est question <strong>de</strong> la liberté qui fait défaut. Les libertés<br />
instituées : celles <strong>de</strong> l’Etat, <strong>de</strong> la presse, <strong>de</strong> la femme… Elles apparaissent sur un arrière-plan <strong>de</strong> mur avec un<br />
bout <strong>de</strong> ciel et un bruit d’hélicoptère. Trop <strong>de</strong> mur, trop peu <strong>de</strong> ciel, trop <strong>de</strong> contrôle. Tout comme la <strong>de</strong>uxième<br />
image <strong>de</strong> cette troisième partie : la détenue (on n’i<strong>de</strong>ntifie pas la personne mais le tablier du <strong>de</strong>ssin, <strong>de</strong>ux ans<br />
plus tôt), mains sur les genoux, détendue, épaules contre le mur. Le cadre est trop petit pour contenir la tête.<br />
Le résultat est d’une légèreté poignante, d’un quelconque oppressant.<br />
Ces images construisent bout à bout <strong>de</strong>s espaces impossibles. Tout comme le bloc constitué par l’artiste et<br />
son sujet, il ne reste au spectateur pas d’autre issue que <strong>de</strong> s’en saisir comme un sort partagé. Comme la résultante<br />
d’un choix volontaire, artistique et politique. Comme <strong>de</strong>s oubliettes réservées à d’obscures réflexions.<br />
151
RESIDENCE & REFLECTION<br />
Cette année encore, le Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts, en collaboration avec Bains ::Connective, le Vlaams Theater<br />
Instituut et APT invite <strong>de</strong>s artistes venus <strong>de</strong>s quatre coins du mon<strong>de</strong> à suivre le festival <strong>de</strong> près. Dix jours durant,<br />
en compagnie <strong>de</strong> quelques-uns <strong>de</strong> leurs collègues belges, ils s’immergent dans les salles <strong>de</strong> spectacle et<br />
sont les spectateurs d’une sélection <strong>de</strong> projets présentés dans le cadre du festival. Autour d’une table, ils partageront<br />
leurs réflexions, observations et points <strong>de</strong> vue critiques, au départ <strong>de</strong> ce qu’ils auront observés ici ensemble,<br />
mais aussi <strong>de</strong> ce qu’ils expérimentent individuellement dans leurs pratiques et contextes respectifs.<br />
Par le biais du projet Resi<strong>de</strong>nce and reflection, le festival désire ouvrir un espace au sein duquel différents<br />
contextes culturels, convictions politiques, réflexions éthiques ou champs esthétiques sont mis en regard les<br />
un <strong>de</strong>s autres. Ou comment la confrontation <strong>de</strong> différents regards portés sur les spectacles présentés en ce<br />
mois <strong>de</strong> mai élargit et nuance notre perception <strong>de</strong> la pratique artistique contemporaine, <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> l’artiste<br />
dans la société et, qui sait, <strong>de</strong> la vie.<br />
Artistes invités:<br />
Fahmi Fadzil (MY), Zuleikha Allana (IN), Ismail Fayed (EG), Hans Bryssinck (B), Clément Laloy (B), Rehaan Engineer<br />
(IN), Sujata Goel (B), Olivier Hespel (B), Mla<strong>de</strong>n Alexiev (BG), Virginie Strubbe (B), Lars Kwakkenbos (B)<br />
liens utiles:<br />
www.bains.be<br />
www.popok.org<br />
www.vti.be
RÉFLEXIONS<br />
Communauté<br />
La billetterie du Kunstenfestival<strong>de</strong>sarts opère <strong>de</strong>puis un serveur aux Pays-Bas. Celui qui comman<strong>de</strong> une<br />
pizza à New York peut avoir - sans s'en rendre compte - un interlocuteur qui se trouve en In<strong>de</strong>, malgré l'accent<br />
new yorkais irréprochable et la conversation sur le temps qu'il fait au bord <strong>de</strong> l'Hudson. La mondialisation<br />
est un fait accompli. Pourtant, selon toute apparence, nous avons besoin <strong>de</strong> lieux concrets. Quand une<br />
chaîne <strong>de</strong> radio veut créer sa propre « communauté », elle n'opère pas uniquement à partir <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s, elle organise<br />
<strong>de</strong>s événements en public ou elle ouvre un café.<br />
Depuis longtemps, nos univers <strong>de</strong> vie ne se bornent plus à un village, une ville ou un pays. Pour ceux qui surfent<br />
sur le net et disposent du bon passeport, distances et frontières ne signifient plus grand-chose. Par ailleurs,<br />
chaque individu installé <strong>de</strong>vant son ordinateur se trouve bel et bien dans un village ou une ville, dans<br />
un pays. Chacun habite quelque part, vient <strong>de</strong> quelque part et est la lignée <strong>de</strong> quelqu'un. L'endroit où l'on grandit<br />
marque nos existences et contribue à lui donner une signification. Tout un chacun appartient à une communauté<br />
« objective ».<br />
D'autre part, chacun choisit ses communautés. Les idées, les choix et les goûts réunissent les gens. Une i<strong>de</strong>ntité<br />
se constitue par le biais <strong>de</strong> contacts avec les autres. Ces contacts peuvent s'établir sur internet ou par l'intermédiaire<br />
d'autres médias, mais l'existence <strong>de</strong> plusieurs communautés implique toujours que les gens qui<br />
en font partie se rencontrent physiquement. Que ce soit au bistrot, dans une salle <strong>de</strong> réunion ou un lieu <strong>de</strong><br />
culte.<br />
De nombreuses communautés se reconnaissent dans un « lieu concret ». Dans une ville, ces communautés se<br />
croisent dans l'espace public - places, rues, marchés, parcs - où leurs contours sont mis au défi, repensés et re<strong>de</strong>ssinés.<br />
Chaque ville accueille d'innombrables communautés qui se sont formées ailleurs sur la planète. Et les défis<br />
d'une société pluraliste y sont sans doute les plus manifestes. L'espace public d'une ville est souvent fragile : il<br />
est parfois mal entretenu, cédé au secteur privé ou souffre d'un manque <strong>de</strong> sécurité. Mais il est particulièrement<br />
précieux en tant que baromètre <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> vie d'une société.<br />
Il y a un <strong>de</strong>mi-siècle, la philosophe alleman<strong>de</strong> Hannah Arendt comparait le domaine public à une table. « Dans<br />
le mon<strong>de</strong>, la vie commune signifie par essence qu'entre ceux qui l'habitent se trouve tout un univers <strong>de</strong><br />
choses, à l'instar d'une table qui se trouve entre ceux qui y ont pris place ; comme tout autre intermédiaire, le<br />
mon<strong>de</strong> à la fois relie et sépare les hommes. » écrivait-elle en 1958. En pleine mondialisation, cette image <strong>de</strong><br />
table autour <strong>de</strong> laquelle chacun peut venir s'asseoir <strong>de</strong>meure une métaphore puissante du domaine public au<br />
sein d'une société pluraliste. Une table se trouve toujours quelque part, elle peut être en désordre et les gens<br />
qui y ont pris place peuvent être très différents les uns <strong>de</strong>s autres - et ils ne sont pas tenus <strong>de</strong> tout y raconter -,<br />
mais sans cette table, le mon<strong>de</strong> ne serait plus un mon<strong>de</strong>. Il <strong>de</strong>viendrait invisible et inouï.<br />
153
Festival <strong>de</strong> langages<br />
La scène permet que s'y déroulent <strong>de</strong>s choses qui ne se produisent pas dans le mon<strong>de</strong> réel, mais qui néanmoins<br />
lui donnent une signification.<br />
Un mon<strong>de</strong> suppose la communication, la communication est langage et le langage est action. L'art est le lieu<br />
où la communication peut être vécue comme une expérience, et c'est en cela que l'art contribue à l'existence<br />
d'une société ouverte.<br />
Une œuvre d'art peut se rapporter à <strong>de</strong>s thèmes sociaux ou politiques concrets. En les relatant ou en les représentant,<br />
l'art permet à ces thèmes d'être perçus différemment. Ce que l'on connaissait apparaît alors sous un<br />
autre jour.<br />
Un langage sert aussi à décrire ce que l'on ne (re)connaît pas encore. Le langage d'une œuvre d'art est autonome,<br />
et lui permet ainsi <strong>de</strong> présenter un mon<strong>de</strong> idéal, un mon<strong>de</strong> en pleine mutation ou un mon<strong>de</strong> intérieur.<br />
Celui qui crée un langage veut aussi créer un territoire commun. Le public peut être issu <strong>de</strong> communautés différentes,<br />
dont les idées divergent, mais lorsqu'il se réunit face à une œuvre d'art, celle-ci s'adresse à chacun.<br />
Dans un mélange détonant <strong>de</strong> corps, d'objets, d'images, <strong>de</strong> paroles, <strong>de</strong> sentiments, d'émotions, d'idées et <strong>de</strong> silences,<br />
un festival fait germer la conscience qu'il est possible <strong>de</strong> parler et d'écouter en présence <strong>de</strong>s autres. Un<br />
festival réunit <strong>de</strong>s personnes, tout simplement pour voir et écouter <strong>de</strong> l'art, et dans les espaces mentaux et<br />
physiques qui naissent <strong>de</strong> cette expérience, la parole même prend tout son sens.
La fin vs. le début<br />
Les médias nous transmettent <strong>de</strong> bien mauvaises nouvelles : terrorisme, armes, guerres, un mon<strong>de</strong> dont la<br />
fin approche... Le plus grand défi <strong>de</strong> notre époque est peut-être <strong>de</strong> ne pas sombrer dans le fatalisme.<br />
Une fin imminente est un début impérieux. Les grands récits sur l'homme et l'univers supposent un horizon<br />
dans le temps et dans l'espace - un horizon qui se <strong>de</strong>ssine d'autant mieux sur fond <strong>de</strong> catastrophe menaçante.<br />
Aujourd'hui, l'être humain se trouve face à un défi qui porte sur la survie même <strong>de</strong> l'humanité. Le problème<br />
écologique requiert un nouveau grand récit, qui ne s'appuiera peu-être plus sur l'émancipation ou le progrès,<br />
mais <strong>de</strong>vra avoir une portée plus universelle que tout autre récit.<br />
L'humanité se reconnaît à la lumière d'une catastrophe mondiale. La menace d'un cataclysme écologique ou<br />
d'une véritable apocalypse peut générer plus <strong>de</strong> cohésion. Ce n'est qu'au moyen d'une mondialisation s'étendant<br />
bien au-<strong>de</strong>là du seul marché libre, <strong>de</strong> l'internet et <strong>de</strong> la lutte contre le terrorisme que nous pourrons assumer<br />
la responsabilité <strong>de</strong> notre planète.<br />
Une journée d'hiver tempérée peut dorénavant être vécue comme la conséquence <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> l'homme. Ce<br />
que nous réservent les forces aveugles <strong>de</strong> la nature va souvent <strong>de</strong> pair avec la conscience embarrassante <strong>de</strong><br />
notre responsabilité. Si, autrefois, la nature était l'antithèse <strong>de</strong> l'œuvre humaine, elle <strong>de</strong>vient aujourd'hui le<br />
projet <strong>de</strong> l'humanité : celle-ci <strong>de</strong>vra sauver la nature si elle tient à sa propre survie.<br />
Les nouvelles catastrophiques exhortent l'être humain à plus <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie. Les artistes en témoignent et remettent<br />
en question la hiérarchie entre l'homme et les choses. Ils créent, par exemple, <strong>de</strong>s univers dans lesquels<br />
ils font parler les choses : au lieu d'êtres humains, ce sont <strong>de</strong>s ordinateurs ou <strong>de</strong>s robots qui montent sur<br />
les planches. Les danseurs questionnent la hiérarchie entre le corps et l'esprit : à l'écoute <strong>de</strong> leur corps, ils en<br />
font un outil <strong>de</strong> réflexion.<br />
Les mauvaises nouvelles incitent aujourd'hui les gens à faire preuve d'un idéalisme qui dépasse les dogmes.<br />
Créer une œuvre d'art implique toujours un début. Un artiste crée : c'est un(e) idéaliste sans dogmes.<br />
Une œuvre d'art ne se borne pas au seul constat, mais propose, à partir <strong>de</strong> la perspective personnelle <strong>de</strong> l'artiste,<br />
quelque chose en échange. L'artiste peut aussi chercher <strong>de</strong>s manières et <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> narration ou <strong>de</strong><br />
représentation d'une catastrophe : comment la regar<strong>de</strong>r en face, sans que sa vue ne vous coupe la parole ?<br />
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CREDITS<br />
Collaborateurs<br />
Christophe Slagmuyl<strong>de</strong>r<br />
directeur artistique<br />
Roger Christmann<br />
directeur financier<br />
Barbara Van Lindt<br />
collaboratrice programmation<br />
Hil<strong>de</strong> Maes<br />
collaboratrice à l'administration<br />
Tine Declerck<br />
secrétariat programmation<br />
Anne-Sophie Van Neste<br />
presse & R.P<br />
Veerle Van<strong>de</strong>rleen<br />
publications<br />
Sophie Alexandre<br />
responsable production<br />
Anneleen Mahy<br />
collaboratrice production<br />
Marc Dewit<br />
directeur technique<br />
Merce<strong>de</strong>s Cubas<br />
logistique<br />
Collaborateurs Temporaires<br />
Thomas Cardon <strong>de</strong> Lichtbuer,<br />
Pierre Philippe Hofmann, Wenke<br />
Minne, Laurent Lallemand<br />
collaborateurs communication<br />
Lars Kwakkenbos<br />
collaborateur dramaturgie<br />
Eva Wilsens, Katrien Van <strong>de</strong>n<br />
Bran<strong>de</strong><br />
assistantes production<br />
Pierre Willems, Ilse Van Essche<br />
collaborateurs technique<br />
Erwin Carlier<br />
responsable billetterie<br />
Fabienne Wilkin, Ellen Ronsmans,<br />
Ecaterina Vidick<br />
collaboratrices billetterie<br />
Mathil<strong>de</strong> Maillard, Clémentine<br />
Piret, Evy Van Calbergh<br />
bénévoles - stagiaires<br />
Collaborateurs Externes<br />
Bouchra Liemlahi / Art Consult<br />
comptabilité<br />
Erik Borgman / Werkhuis !<br />
traductions simultanées<br />
Jérôme Franck / Bureau 347<br />
web <strong>de</strong>sign<br />
Pieter Jelle De Brue / Statik<br />
web <strong>de</strong>velopment<br />
Françoise Meulemans / Ticketing<br />
Software Benelux<br />
système <strong>de</strong> billetterie<br />
Bob J. Ward / MD + M<br />
informatique<br />
Régie Mobile pour la Culture<br />
assistante plateau<br />
Casier & Fieuws<br />
graphisme<br />
Drukkerij Sint-Joris<br />
impression<br />
Brigitte Brisbois, Daniel Franco,<br />
Isabelle Grynberg, Alain Kinsella,<br />
Muriel Weiss<br />
traduction dossier <strong>de</strong> presse<br />
Conseil d'Administration<br />
Marion Hänsel, Geert van Istendael<br />
prési<strong>de</strong>nts<br />
Damien Levie<br />
trésorier<br />
Herman Croux<br />
secrétaire<br />
Olivier Alsteens, Eric Antonis, Paul<br />
Aron, Jean-François Gerard, Paul<br />
Goossens, Diane Hennebert, Stefan<br />
Hertmans, Anne Hislaire, Frie<br />
Leysen, François Schuiten, An van.<br />
Dien<strong>de</strong>ren, Els Witte<br />
membres