Perspektive 2016 September
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TEMPS FORT<br />
Travail et chômage<br />
Frédéric de Coninck<br />
Sociologue<br />
Église protestante<br />
mennonite<br />
Villeneuve-Le-Comte<br />
(France)<br />
Est-ce que les privilégiés<br />
sont ceux qui ont du travail<br />
ou ceux qui chôment ?<br />
Travail et chômage : qui nous donne de la val<br />
Avant de penser salaire, le travail confère une reconnaissance sociale. Mais est-ce la seule<br />
source de reconnaissance ? Frédéric de Coninck propose une réflexion qui englobe toutes<br />
les activités, et pas seulement celles qui sont rémunérées. Celles qui concernent « notre<br />
mission » : c’est accomplir une tâche qui en vaut la peine. Un beau projet !<br />
Il est intéressant d’observer comment<br />
Jésus a utilisé une situation<br />
de travail ordinaire de son temps<br />
pour construire la parabole des ouvriers<br />
loués à différentes heures de<br />
la journée, que l’on trouve au début<br />
du chapitre 20 de l’évangile de Matthieu<br />
(Mt 20.1-16). Cette parabole,<br />
assurément, nous parle de la grâce<br />
de Dieu, mais sa proximité troublante<br />
avec des réactions que l’on<br />
peut connaitre dans le champ du<br />
travail et du chômage me semble<br />
digne d’intérêt.<br />
On se trouve donc sur la place<br />
d’un village, et un propriétaire terrien<br />
vient louer des personnes à<br />
la journée pour travailler dans sa<br />
vigne. Dans des pays où le salariat<br />
est moins structuré qu’en Europe,<br />
ce genre de scène est toujours d’actualité<br />
et cela arrive même dans nos<br />
contrées, au travers d’agences d’intérim<br />
ou pour du travail non déclaré.<br />
À partir de ce moment se pose<br />
une question : est-ce que les privilégiés<br />
sont ceux qui ont du travail<br />
ou bien ceux qui chôment ? Est-ce<br />
que ceux qui ont travaillé depuis le<br />
Photo : Frédéric de Coninck<br />
matin sont plus méritants que ceux<br />
qui ont attendu toute la journée sans<br />
savoir s’ils trouveraient ou non du<br />
travail ? Les ouvriers recrutés à la fin<br />
de la journée ne sont pas présentés<br />
comme des tire-au-flanc. Le maitre<br />
s’étonne : « Pourquoi êtes-vous<br />
restés là tout le jour, sans travail ?<br />
C’est que, lui disent-ils, personne ne<br />
nous a embauchés » (v. 6-7).<br />
Le travail : un vécu toujours<br />
ambivalent<br />
J’ai fait l’exercice de demander à<br />
des personnes de se mettre à la<br />
place d’un des acteurs de la parabole<br />
et de raconter l’histoire depuis<br />
ce point de vue particulier. Le clivage<br />
est immédiat. Ceux qui représentent<br />
les ouvriers qui ont travaillé toute<br />
la journée sont choqués. Et ceux<br />
qui jouent le rôle des ouvriers qui<br />
ont attendu du travail tout le jour<br />
disent que les autres ne se rendent<br />
pas compte des angoisses qu’ils ont<br />
endurées.<br />
De fait, le travail est une réalité<br />
fondamentalement ambigüe. Il<br />
comporte toujours des frustrations.<br />
Les subordonnés se plaignent de leur<br />
chef. Ils se plaignent des contraintes<br />
qu’on leur impose. Ils pensent qu’on<br />
ne les laisse pas faire un travail correct<br />
ou qu’on leur demande l’impossible.<br />
Les chefs se plaignent de leurs<br />
subordonnés qui n’appliquent pas<br />
les consignes, ne comprennent pas<br />
les enjeux auxquels s’affronte leur<br />
employeur et n’en font pas suffisamment.<br />
Les travailleurs indépendants<br />
trouvent que leurs clients payent mal<br />
et sont trop exigeants. Et les clients<br />
se plaignent du service insuffisant<br />
qui leur est délivré.<br />
Mais d’un autre côté il y a pire<br />
que de travailler : c’est d’être au chômage.<br />
Les personnes qui ne trouvent<br />
pas à s’employer se sentent dévalorisées.<br />
Nul ne leur reconnait d’utilité.<br />
Elles sont rejetées et laissées de<br />
côté dans un monde sans pitié qui<br />
les laisse sur le bord de la route. Il<br />
y a des alertes récurrentes sur des<br />
situations de travail qui conduisent<br />
des salariés au suicide. Mais les<br />
chômeurs se suicident plus que les<br />
salariés de n’importe quelle entreprise.<br />
Et même lorsqu’ils ne vont<br />
pas jusqu’à de telles extrémités, leur<br />
santé se dégrade, comme de nombreuses<br />
enquêtes, effectuées dans des<br />
pays différents, en témoignent.<br />
Cela nous rend attentifs au fait<br />
que l’acte de travail est associé à des<br />
émotions très profondes. On attend<br />
beaucoup du travail. Les agriculteurs<br />
d’autrefois labouraient d’abord pour<br />
leur survie. Mais, dans les sociétés<br />
modernes où la division du travail a<br />
explosé et où on se trouve fortement<br />
interdépendants les uns des autres,<br />
une grande partie de la reconnaissance<br />
sociale passe par le travail. On<br />
attend de l’autre qu’il apprécie notre<br />
travail, qu’il nous félicite, qu’il utilise<br />
ce que nous avons produit. On<br />
met beaucoup de soi dans une tâche.<br />
Et cela vaut aussi pour le bénévolat.<br />
Tous ceux qui produisent un bien ou<br />
un service se remettent au jugement<br />
des autres. Le résultat est souvent<br />
douloureux.<br />
Un recentrage sur l’essentiel<br />
On oublie parfois le contexte de<br />
cette parabole, du fait qu’elle se<br />
situe au début d’un chapitre. Mais<br />
juste avant, il y a l’épisode de la rencontre<br />
avec le jeune homme riche<br />
qui attache trop de valeur à ses<br />
biens. Et puis il y a l’interrogation<br />
marquée d’angoisse de Pierre : « Eh<br />
bien ! nous, nous avons tout laissé<br />
et nous t’avons suivi. Qu’en sera-til<br />
donc pour nous ? » (Mt 19.27).<br />
Cela valait-il la peine de répondre à<br />
l’appel de Jésus ?<br />
Ce que dit la parabole est que<br />
l’essentiel est d’être appelé par<br />
quelqu’un, par le maitre de la vigne,<br />
par Dieu, qui nous confie une mission.<br />
Ce que cette mission nous<br />
rapporte, ce qu’elle nous fait perdre<br />
est secondaire. Ceux qui ne se souviennent,<br />
à la fin de la journée, que<br />
de leur peine n’ont-ils pas perdu ,<br />
16<br />
Perspective septembre <strong>2016</strong>