Le Train potentiel Lucas Seguy

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Lucas Seguy
LE TRAIN POTENTIEL
Journal d’un voyageur
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AVANT-PROPOS
Ce train n’a ni origine ni destination particulière et
encore moins de destination finale. Une chose est
constante, il s’arrête dans une gare, prend des
voyageurs, en laisse d’autres et repart. Le temps entre
chaque gare est aléatoire, suivant une échelle
comprise entre quelques minutes et des années
entières. Chose plus surprenante, la destination du
train peut varier en fonction des wagons et
quelquefois en fonction des places. Il arrive que l’on
voie défiler deux paysages différents sur deux fenêtres
mitoyennes. Ce train est infiniment long. Les places et
les wagons sont ainsi aléatoirement numérotés par des
nombres appartenant à l’ensemble des nombres
complexes. Des voyageurs racontent que certains
wagons sont des villes entières. Les voyageurs qui se
retrouvent à bord viennent de mondes différents mais
comme moi ne savent plus comment ils sont arrivés là
et encore moins où ils se dirigent.
C’est un voyageur érudit, le professeur P. Sogol 1 ,
qui me donna un semblant d’explication sur la
possibilité de ce train : « Ce train est un train
analogue, autrement dit, une hypothèse de train. »
7

Aussi fantastique que le train puisse paraître il ne
fonctionne pas tout seul, à son bord une logistique tout
à fait commune est établie pour le bon déroulement du
voyage.
Pour assurer la restauration des voyageurs un wagonbar
et un service mobile proposent des mets et des
boissons intrigants. C’est une figure remarquable : le
gentleman P. Bartlebooth 2 qui, derrière les fourneaux,
conçoit un plat comme l’on fabrique un puzzle.
Pour prévenir et endiguer les crises de folies qui
guettent parfois les nouveaux voyageurs - le plus
souvent relatives à la traversée d’un espace non
euclidien – les employés de la société de sécurité
Quadra 3 (reconnaissables à leurs encapuchonnades
colorées) font des rondes régulières dans chaque
wagon en prenant soin d’épuiser mathématiquement le
nombre de wagons potentiels.
Pour assurer le contrôle des billets des passagers,
deux professionnels furent engagés, M. Raymond
Brousset et M. Jean-Pierre Rissel 4 . Malheureusement,
l’immensité du problème d’attribution des places face
à l’instabilité des wagons les amena tous deux à
développer une sorte de trouble obsessionnel
caractérisé par une manie compulsive du langage à
faire dériver les mots et les phrases en d’interminables
variations. Ils furent tous les deux démis de leurs
fonctions et jamais remplacés.
Pour assurer la maintenance d’un train à l’allure
inconditionnelle le chef mécanicien Bioy Adolfo
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Morello 5 veille. Aidé d’une machine de son invention,
il prend le soin d’enregistrer et de répertorier, en
fonction du wagon, l’hologramme de chaque
opération de contrôle et de changement de pièce.
Néanmoins, une rumeur plane sur l’existence plus
qu’incertaine du conducteur du train : peu voire
aucune personnes n’étant arrivées à la tête du train,
dans laquelle le mystérieux J. L. B. 6 dit-on, nous
mène je ne sais où.
L’aspect le plus plaisant de cet environnement qui se
démarque par sa potentialité, est qu’il offre une
galerie infinie de situations, à chaque fois inédites.
Il me semblait important de garder une trace -
comme une sorte de mémoire - de ce voyage, de cette
machine, de ces espaces et des situations hors du
commun de mon monde, provoquées souvent par des
passagers extraordinaires venant des différents
mondes traversés par le train, et de décrire de la
manière la plus concise les caractéristiques de ces
mondes.
Comme je ne sais pas quand je suis arrivé dans ce
train - j’ai très vite appris que le temps était très loin
d’être une ligne continue ici et qu’il était soumis à des
lois que mon entendement peine encore à formuler -
proposer un système de datation pour ce journal me
semble illogique. Je me chargerai alors partialement
de numéroter ces différentes situations dans leur ordre
d’apparition.
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LE TRAIN POTENTIEL
Journal d’un voyageur
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Situation 1
Il fait très froid, deux hommes se couchent sur des
lits-couchettes dans une section d’un wagon. Ils ont
chacun une couche de draps et de couettes pour leur
tenir chaud. Ils s’endorment.
L’un se réveille frigorifié, il n’a plus qu’un mince
drap sur lui, il est très en colère : l’autre a une pile
énorme de draps et de couettes. Plus tard, l’autre se
réveille à son tour frigorifié et en colère : il n’a plus
qu’un mince drap sur lui alors que le premier est
enveloppé dans une pile énorme de draps et de
couettes.
Ce jeu-là se répètera durant un nombre de fois
potentiellement infini sans jamais que le jour ne se
lève.
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Situation 2
Dans un wagon, tout le monde est occupé les yeux
dans le vide ou dans leur téléphone. Après un court
arrêt dans une gare, un homme arrive et dispose des
objets ramassés çà et là en équilibre sur différentes
parties du corps de chacun d’une façon burlesque,
sans que personne ne le remarque.
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Situation 3
Une personne se réveille d’un rêve extraordinaire et
veut l’écrire. Malheureusement, elle est toujours en
train de rêver. À chaque fois qu’elle pense se réveiller
et écrire, ses notes disparaissent, jusqu’au moment où
elle se réveille réellement mais a tout oublié.
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Situation 4
Un monde où chacun a une identité temporelle
propre. Certains vivent donc leur vie en remontant
“le” cours du temps d’autres. Certains ont un temps de
vie très court, c’est-à-dire qu’ils voient la vie des
autres au ralenti. Les choix de relation entre les
personnes se font avec cette donnée-là à prendre en
compte.
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Situation 5
Un homme mange des frites à la table du wagon-bar
puis petit à petit des centaines de moineaux viennent
picorer ses frites ce qui forme un tas de moineaux.
L’homme, de manière mécanique, mange les
moineaux qui recouvrent la barquette à la place des
frites, en mordant à pleines dents et en faisant
croustiller les os et gicler le sang.
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Situation 6
Sur le quai, une femme demande à un homme qui
s’apprête à déménager dans une autre ville si elle peut
créer un double de lui en hologramme plastique qui
resterait avec elle. Elle le rassure en lui disant qu’elle
changera quelques détails comme la couleur de ses
cheveux ou de ses yeux pour qu’on ne les confonde
pas.
18

Situation 7
Une très vieille femme lit un énorme livre qu’elle
écrit en même temps quelques pages plus loin.
19

Situation 8
Un monde déterminé par un tyran en plein rêve ; les
habitants de ce monde sont sous l’emprise de son rêve
obligés de se plier à ses fantasmes, pulsions et peurs.
Certaines fois, le rêve est lucide mais n’empêche pas
cette personne croyant être enfermée de faire
n’importe quoi.
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Situation 9
Un vagabond parcours le pays de ville en ville. Il
forme le projet de fédérer tous les clochards en un état
politique informel et rhizomatique.
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Situation 10
Un monde où un ordinateur très puissant a prédit le
futur du millénaire qui vient, d’une manière
incroyablement précise et exacte ; ce futur est aussi
rendu public. Les habitants de ce monde vivent sans
peur du futur car quoi qu’ils fassent, leur destinée est
inévitable, ils apprennent alors à vivre avec leur vie
dès le plus jeune âge.
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Situation 11
Un brouillard compact. Un chien errant aboie sur des
statues d’hommes célèbres posés sur des socles sur
une place déserte, désespéré de leurs immobilités.
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Situation 12
Une femme a changé de sexe, elle est donc homme.
Cet homme se retrouve en couple avec une femme et
ils décident d’avoir un enfant. Les progrès de la
science font que deux ovules peuvent produire un
ovule fécondé. Le couple décide de donner naissance
à deux jumeaux, l’un porté par la mère, l’autre par le
père.
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Situation 13
Des douaniers fouillent un wagon alors qu’on
s’apprête à passer une frontière. Un des douaniers
arrête quelqu’un pour fouiller ses bagages. Il trouve
son carnet de note et se met à le lire posément en
sirotant son café pendant environ une demi-heure.
Ensuite, il le questionne sur son identité, il veut savoir
où et quand il est né, qui sont ses parents, s’il a des
frères et sœurs, s’il est en couple, marié ou célibataire.
S’il aime les femmes ou les hommes ou les deux ou
rien. Quelles études il a suivi, dans quel secteur il a
travaillé. Il veut savoir où il était avant d’être ici, où il
pense être après. Ensuite, il oriente ses questions
d’une manière plus précise par rapport aux réponses
qui lui ont été données, de manière à épuiser chaque
ramification de souvenirs qu’il avait de sa vie.
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Situation 14
Une femme vivant dans une pièce de théâtre
perpétuelle et itinérante : à la fois actrice et metteur en
scène, possède le talent de faire passer les gens qu’elle
rencontre (et qui se font happer par son champ
gravitationnel théâtral) de spectateur à acteur en
restant toujours le personnage principal, romantique,
tragique et comique de son existence.
26

Situation 15
Un monde divisé en plusieurs pays, comme autant de
systèmes temporels différents. Un pays est une boucle
elliptique (changeante à chaque fois qu’arrive un
nouvel habitant). Un pays a un cours temporel qui
recule (quand on passe la frontière on rajeunit et on vit
à reculons). Un pays a un cours temporel infiniment
lent. Un autre, frontalier, a un cours temporel
infiniment rapide : une semaine de vacances passée
dans celui-ci équivaut à un millénaire dans l’autre.
27

Situation 16
Un homme est convaincu d’avoir un visage si banal
qu’il se demande comment les gens font pour le
reconnaître.
28

Situation 17
Une personne trouve la vraie vache qui rit, celle qui
existe réellement, lui accroche deux boites de Vache
qui rit aux oreilles afin de reconstituer l’ultime boite
de Vache qui rit de sa dimension (ce qui permet de
figer le temps et l’espace).
Les gens de la prochaine dimension devront à leur
tour construire la prochaine image de la Vache qui rit.
29

Situation 18
Une maison de production (une usine en apparence)
de situations spécifiques, avec des personnes aux
personnalités spécifiques qui se déroulent dans des
espaces spécifiques où l’on peut les observer avec un
regard extérieur des expériences scientifiques
démontrant des chaines de causalités. Elles agissent
comme supports de réflexion pour déterminer les
agissements futurs de chaque type d’individus.
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Situation 19
Quelqu’un, les yeux dans le vide, se rend compte que
l’évènement qu’il est en train de vivre ne provient pas
de la réalité mais de sa mémoire.
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Situation 20
Un cimetière dans une serre. C’est une serre agricole
pour les fleurs qui poussent essentiellement en se
nourrissant des morts.
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Situation 21
Une personne avérée mythomane raconte une
histoire sur une de ses amies d’enfance mythomane
qui, au collège, vers la fin de l’année, eu le courage
d’avouer qu’elle n’avait raconté que des mensonges.
La personne conclut : « mais je ne savais pas
comment réagir… si je devais me sentir trahie ou
contente qu’elle avoue enfin ce que l’on savait tous ».
33

Situation 22
Un monde où chaque jour de l’année serait dans un
ordre aléatoire incluant le climat de ce jour-là. Par
exemple, à un jour de neige le 5 février pourra
potentiellement succéder une forte chaleur un 15 août.
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Situation 23
Un espace modulable d’entraînement pour
développement intellectuel de kangourous arboricoles
à base de structures abstraites symbolisant un concept
à apprendre. Le but étant, pour le kangourou, à travers
ces sortes de jeux, de résoudre des problèmes en
échange de nourritures pour, petit à petit, acquérir le
niveau de conscience d’un être humain et la parole qui
vient avec.
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Situation 24
Un monde où les personnes ont des projecteurs à la
place des yeux. Certaines fois leurs projections se
superposent et se mélangent lorsqu’ils regardent dans
la même direction.
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Situation 25
Un monde de joueurs d’échecs qui ne font rien car ils
réfléchissent et ont 10 4 coups d’avance. Quand
quelqu’un fait par miracle une action, le monde
s’ébranle quelques minutes puis replonge dans un
calme absolu.
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Situation 26
Un monde où la vie des gens finit quand ils ont
expérimenté toutes les possibilités que leur offrait leur
existence.
38

Situation 27
Un monde où chacun possède un visage à plusieurs
facettes flottantes. Un visage vague de fantômes de
soi-même (ceux que l’on a été). Un visage flottant
dans son identité, les lignes de l’être dans l’épiderme
– comme les lignes de vie d’un tronc d’arbre coupé en
deux.
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Situation 28
Quelqu’un achète dans un magasin de déco de jardin
une statue en plâtre d'un homme à échelle 1 qui reste
dans son jardin. Il prend l’habitude d’observer chaque
soir la statue depuis sa fenêtre. Une nuit, hors de lui, il
sort et éclate la tête de la statue avec une masse et
dissémine les parties en les enterrant dans son jardin.
40

Situation 29
Une ville où les rues sont en dérivation ou plutôt
comme sur un terrain mouvant fonctionnant comme
une surface de Rubik’s Cube mise à plat.
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Situation 30
Un soir, dans le wagon restaurant, des amis font un
dîner festif. L’un d’eux se met à jouer avec une
matière molle et malléable, avec une texture de tissu.
Il modèle une sorte de boule, il lui ajoute des pattes et
soudain elle prend vie et se met à se balader sur la
table. Tout le monde est ravi et y va de sa
participation : « Ajoute lui une tête! Une queue! Des
poils! Des grandes oreilles! » et la créature se
transforme, tout le monde est très excité, la créature
semble paniquée. « Fais-la parler! » et la créature
pousse des petits cris de souffrance.
Le lendemain tous attablés, personne ne semble
bouger. Petit à petit, des membres, des organes de leur
corps se rétractent et le corps tend à n’être qu’une
boule. On aperçoit la créature, d’apparence humaine
maintenant, qui dirige les opérations.
Quelqu’un avait dû faire le souhait (pour terminer la
transformation) qu’elle puisse à son tour, à l’image de
son créateur, opérer d’elle-même des transformations.
42

Situation 31
Un monde où les habitants ont une jambe plus courte
que l’autre. Le monde étant une sorte de vallée sous la
forme d’un cône inversé, les habitants sont contraints
de circuler dans une seule direction (déterminée par la
jambe atrophiée) et ne peuvent faire demi-tour sous
peine de tomber. Les habitants riches vivent ainsi près
du centre de la vallée car ils peuvent rentrer chez eux
plus rapidement. Certaines personnes (les plus
pauvres donc) vivant au plus haut de la vallée, devant
faire le tour du monde pour retrouver leur maison,
famille et amis.
43

Situation 32
Quelqu’un condamné par une espèce de sortilège à
revivre la même journée jour après jour, se lie
d’amitié avec quelqu’un atteint d’une amnésie qui
dure une journée.
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Situation 33
Une personne, au moment de mourir dans un
accident de voiture, repasse toute sa vie dans son
cerveau et du coup la revit jusqu’au moment où elle
revit sa mort. A ce moment-là, elle revit le moment où
elle repasse sa vie dans son cerveau du coup elle
rerevit sa vie.
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Situation 34
Un monde où la seule nourriture tolérée par notre
corps est celle produite la même année que notre
naissance.
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Situation 35
Des scientifiques et ingénieurs réussissent à créer
l’ultime miroir : celui qui à la fois reflète la lumière
sans aucune déformation et à la fois corrige les
déformations liées à la vue et aux affects de
l’utilisateur. Les personnes l’utilisant fréquemment se
rendent alors compte de la monstruosité ou bien de la
fadeur des reflets de miroirs normaux.
47

Situation 36
Un monde où la fragmentation du temps en
secondes/minutes/heures se fait en fonction du temps
de jour et du temps de nuit par journée pour qu’il y ait
douze heures de jour et douze heures de nuit toute
l’année. Ainsi les journées d’hiver l’horloge tourne
plus vite le jour que la nuit et l’été plus vite la nuit que
le jour. Cela dans l’optique d’accorder la vie des
habitants à la lumière du soleil.
48

Situation 37
Un monde où il y a une culture (au sens culturel) des
bactéries, on apprend à l’enfant à les reconnaître, on
s'en sert en médecine générale. En parallèle, il y a
aussi une culture des opinions : comment elles se
transmettent, comment elles se diffusent.
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Situation 38
Quelqu'un coule du fer dans sa cavité nasale,
l’utilisant ainsi comme un moule. Il découvre que
l'objet moulé est une clé qui permet d'ouvrir toutes les
portes.
50

Situation 39
Un monde où chaque conscience change toutes les
nuits de corps. Chaque conscience a sa propre
mémoire et en changeant de corps, accède à une
mémoire supplémentaire - historique - du corps.
Il existe des compagnies payantes de transport de
consciences pour pouvoir se retrouver dans des corps
plus éloignés sur le monde au moment du changement
de corps.
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Situation 40
Quelqu’un scie une branche d’arbre mais, au
moment où la branche se désolidarise de l’arbre, elle
s’envole ou plutôt devrai-je dire l’univers bascule, car
c’était cette branche même qui empêchait le monde de
tomber et non l’inverse.
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Situation 41
Un musée où dans chaque pièce il faut adopter un
comportement particulier au risque de se faire tuer par
une armada d’horribles pièges mécaniques. Chaque
pièce induit un comportement spécifique.
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Situation 42
Tous les jours, un homme se réveille malgré lui en
train de travailler dans un champ de patates. La nuit
les évènements du rêve qu’il fait le ramènent toujours
en train de travailler dans ce champ de patates. Et
toujours il s’éveille lentement et progressivement et se
rend compte que son rêve est malheureusement la
réalité.
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Situation 43
Un monde très évolué de purs esprits, dont on a
connaissance qu’en traduisant les signaux binaires
d’un robinet qui fuit goutte à goutte.
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Situation 44
Une vieille femme paniquée s’arrête devant une
rangée de sièges et sollicite l’aide d’un homme. Elle
lui raconte qu’elle vient juste de se faire agresser et
voler. L’homme reconnaît cette femme bien connue
du train comme une folle qui raconte toujours la
même histoire. Il va tenter de l’amener au-delà des
limites de son histoire en posant des questions bien
ciblées et bien réfléchies pour essayer de comprendre
et de faire exister le monde possible et imaginaire
dans lequel a eu lieu cet évènement.
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Situation 45
Des parents scientifiques créent deux cellules
fécondées jumelles in vitro. Ils en congèlent une. Par
un protocole ils font naître un jumeau aujourd’hui et
l’autre - à partir de la cellule congelée - dans cent ans.
Le deuxième jumeau naîtra avec comme moyen de
comparaison toute la vie de son frère.
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Situation 46
Un monde où les individus sont informatisés donc
supposément immortels. La technologie qui les
informatise s’améliorant au fil des années fait que leur
degré de complexité varie d’individus basiques (de
première génération) à très complexes tendant vers le
réel jusqu’à le dépasser pour les dernières générations,
en des individus pouvant évoluer avec encore plus de
complexité que les individus d’origine.
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SITUATION 47
59

Après avoir visité ce dernier monde et être retourné
dans le train, je trouve à ma place une personne me
ressemblant trait pour trait.
Alors que le train repart, nous nous dévisageons
mutuellement et nous nous présentons. Il apparaît que
nous sommes chacun le double de l’autre. Chose plus
singulière, je m’aperçois en regardant autour de moi
que chacun est en présence de son double et que la
société Quadra – bien qu’ayant doublée ses effectifs -
a beaucoup de mal à contenir l’agitation. Nous
remarquons aussi que son journal à lui est bien plus
rempli que le mien. En combinant ces indices avec
son expérience du train, mon double m’expose une
série d’hypothèses sur la cause potentielle de notre
rencontre et sur ce qu’il pense être la vraie raison de
ce train.
Hypothèse A
Du fait que mon journal s’arrête à la situation n°46 et
que le sien - identique jusque-là - continue bien après,
il déduit que - jusque-là - nous étions la même
personne mais à des temps différents, lui le futur de
mon présent.
L’aléatoire ultime des destinations du train, faisant
qu’il navigue à travers les espaces et les époques,
n’aurait pas empêché le train de retourner au même
endroit au même moment, fusionnant ainsi avec son
60

intégrité passée.
Le fait que les passagers n’étaient pas forcément au
même endroit que leurs doubles dans le train au
moment de la fusion aurait donc permis leur
rencontre. Si cette hypothèse était valide, certains
voyageurs malchanceux auraient fusionné de manière
irrégulière avec une autre personne (ou leur double) se
trouvant au même endroit, ce qui aurait bien sûr été
terrible. Mais cela n’était pas le cas et compromettait
cette hypothèse.
Hypothèse B
La seconde possibilité est que ce voyage et ce train
soient une sorte d’image ou même une projection d’un
monde plus complexe.
Un disque est une projection d’une sphère (un espace
tridimensionnel) sur une surface plane (un espace
bidimensionnel). Un même objet tridimensionnel peut
ainsi avoir plusieurs projections sur une même
surface. De la même manière, ce voyage serait la
projection d’un « voyage » de dimension supérieure et
le fait que nous nous retrouvions avec notre double
serait dû à la superposition légèrement décalée de
deux projections différentes du même « voyage » de
dimension supérieure.
---------
61

Entendant ceci, je me dis que le temps
supplémentaire qu’aurait passé mon double dans le
train aurait quelque peu ébréché la rationalité qui
constitue la base de mon esprit.
Hypothèse C
Sa dernière hypothèse va encore plus loin que les
conjectures précédentes et c’est de loin l’hypothèse la
plus délirante : le voyage que nous faisons serait le
rêve d’une entité de dimension supérieure.
Cela rejoindrait l’explication du professeur P. Sogol
qui supposait que le train existe en tant qu’analogie, a
fortiori liée à une volonté de représentation qui
échapperait à nous autres voyageurs. Les mondes
visités et les différentes situations dans le train
seraient déterminés par des opérations tout à fait
communes dans les rêves : condensation des
représentations, déplacement constant de l’intérêt du
rêveur dans la fuite du train et figurations d’états
émotionnels incarnés par les différents voyageurs.
Si cette hypothèse est vraie, la seule et unique
manière d’interagir avec cette entité sera la
suggestion. La suggestion mènera à un changement du
cours du rêve. Le problème étant la méconnaissance
de la suggestibilité de l’entité.
On peut penser, par ailleurs, que suggérer au détour
62

d’une conversation qui semble au premier abord
plutôt anodine, la visite prochaine d’un monde qui
nierait jusqu’à l’existence même du train potentiel,
pourrait générer un tel paradoxe que l’entité se
réveillera, et nous percevrons l’espace de l’instant de
semi-éveil qui précèdera notre destruction, la
dimension dont nous sommes la projection !
Quelques instants après l’exposition de cette dernière
hypothèse, le train ralentit. Il semble avoir atteint la
prochaine gare.
Lucas SEGUY
63

64

Quelques notes sur les personnages secondaires…
65

66

Le nom des employés du train est un clin d’œil à
quelques auteurs qui ont, entre autres, influencé ce
train et ma pratique artistique. Je tiens à les présenter
brièvement mais officiellement :
1. P. Sogol est le double de Pierre Sogol le guide de
l’expédition vers l’inaccessible Mont Analogue dans
l’œuvre de René Daumal (éditions Gallimard, 1981).
Roman d’aventures alpines non euclidiennes -
refusant de considérer la ligne droite comme le plus
court chemin d’un point à un autre - il offre la seul
méthode valable d’appréhension du train potentiel:
l’analogie «qui comme l’alpinisme, est une activité
d’approche, d’approximation de son objet mais pas
nécessairement par la voie la plus directe» (Le Grand
Jeu en mouvement: actes du colloque de Reims, 2007,
Olivier Penot-Lacassagne, Emmanuel Rubio).
2. P. Bartlebooth est le double de Percival Bartlebooth
figure centrale et alter ego de George Perec dans La
Vie mode d’emploi (éditions Hachette, 1978). La
vertigineuse construction, les nombreuses mises en
abyme et les jeux de miroir de cet œuvre ont bien
quelques rapports avec ce train.
3. La société Quadra est le double des quatre figures
encapuchonnées de la pièce télévisé Quadrat I + II de
67

Samuel Beckett (1981). Figures qui parcourent un
carré et ses diagonales, épuisant mathématiquement
toutes les possibilités de déplacements entre les quatre
sommets de ce carré. Une tentative d’épuisement
similaire se retrouve dans certains mondes et dans la
marche du train lui-même.
4. Jean-Pierre Rissel et Raymond Brousset sont les
doubles de Jean-Pierre Brisset et Raymond Roussel.
La démarche pataphysiquolinguistique de Jean-Pierre
Brisset comme recherche d’axiome cosmologique
ainsi que le procédé Rousselien de débridage de
l’écriture et de l’imagination ont sans doute dévié
quelques trajectoires du train (Jean-Pierre Brisset :
Œuvres complètes, Les Presses du réel, 2004 ; Raymond
Roussel : Locus Solus, Gallimard, 1963 - Impressions
d’Afrique, Flammarion, 2005 - Comment j’ai écrit certains
de mes livres, Jean-Jacques Pauvret Editeur, 1963).
5. Bioy Adolfo Morello est la synthèse entre Adolfo
Bioy Casares et le savant Morel dont celui-là est
l’auteur de celui-ci dans L’Invention de Morel (Robert
Laffont, 1973, pour la traduction française). Morel est
l’inventeur d’une machine qui enregistre la vie de ses
sujets puis diffuse cet enregistrement en boucle pour
l’éternité sur une île mystérieuse. Les voyageurs du
train ont gardé de cette histoire une certaine tendance
à hésiter entre être et représenter.
68

6. J. L. B. est le double de Jorge Luis Borges. Les
mondes qu’il traverse portent souvent un
questionnement sur l’infini, sur la réalité, sur
l’ubiquité, sur l’identité, sur les labyrinthes… ce qui
en fait le parfait conducteur potentiel du train potentiel
(Fictions, Gallimard, 1956 et 1965, pour la traduction
française - L’Aleph, Gallimard, 1967, pour la traduction
française - Le Livre de sable, Gallimard, 1978, pour la
traduction française).
69

70

Avant-propos 7
LE TRAIN POTENTIEL Journal d’un voyageur 11
Quelques notes sur les personnages secondaires… 65
71

72

Remerciements :
P. Oudard
M. Daniel
C. Cavallin Carlut
D. Barbas
A. Vincent
H. Dinër
H. Walsdorff
P.-H. Trapy
C. et J.-P. Seguy
73

74

75

76