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L'Art et l'inceste : Sarabande d'Ingmar Bergman Art and Incest ...

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322<br />

condamnation sans paroles de l’actrice désormais mu<strong>et</strong>te, mais qu<strong>and</strong> on change de fréquence,<br />

la musique de Bach semble transformer son visage <strong>et</strong> elle paraît au bord de la parole. Dehors<br />

le jour tombe, mais le visage de Liv Ullman, au fur <strong>et</strong> à mesure que la lumière diminue,<br />

semble s’éclairer de l’intérieur. C’est comme si le soupçon qui pèse sur le langage s’avérait<br />

infondé qu<strong>and</strong> il s’agit de la musique. Doit-on conclure que l’art de <strong>Bergman</strong> préférerait<br />

aborder les questions majeures qu’il se pose de façon abstraite comme le fait la musique de<br />

Bach 12 ?<br />

Kierkegaard avançait une hypothèse qui ne cesse de hanter l’univers de <strong>Bergman</strong> : « Si le<br />

démoniaque est un destin, il peut alors arriver à tout le monde. » ([17], p. 124). La référence<br />

au philosophe est explicite dans une scène centrale de <strong>Sarab<strong>and</strong>e</strong>. Henrik va voir son père<br />

qu’il trouve dans sa bibliothèque, lieu assez surréaliste où le vieil homme semble déjà dans<br />

l’au-delà, enseveli dans un tombeau tapissé de livres. Assis à une table surélevée comme un<br />

autel, il lit Kierkegaard, Ou bien…ou bien. Dans l’œuvre de <strong>Bergman</strong>, le pessimisme sartrien<br />

est marié à celui de Kierkegaard : l’homme est prédestiné, c’est-à-dire agi, comme une marionn<strong>et</strong>te.<br />

5. Liens de parenté<br />

N. Blake / L’évolution psychiatrique 72 (2007) 313–324<br />

Dans Les Fraises sauvages (1957), le protagoniste est un vieil homme qui après avoir rendu<br />

visite à sa mère presque centenaire, se rend compte qu’il a été incapable d’amour en raison de<br />

sa culpabilité envers c<strong>et</strong>te femme indifférente <strong>et</strong> incapable d’amour elle-même. La froideur <strong>et</strong><br />

le détachement de la mère ont empoisonné la vie du fils ; même s’il a pu avoir un gr<strong>and</strong> succès<br />

dans sa profession, il n’a jamais réussi ses rapports affectifs. La crainte que lui inspire c<strong>et</strong>te<br />

mère terrifiante d’indifférence est compensée par sa cruauté quasi inconsciente envers toutes<br />

les autres femmes de sa vie. Tout se passe comme si, en raison de sa peur d’elle ou de son<br />

besoin d’elle, le fils avait réprimé la colère que sa mère lui inspire. En revanche, une identification<br />

à sa froideur <strong>et</strong> son obsession s’est mise en place. Devenu adulte, le fils s’est comporté<br />

envers toutes les femmes de sa vie comme si elles étaient sa mère pour qui les relations intimes<br />

étaient impensables, à la fois répugnantes <strong>et</strong> menaçantes.<br />

Le Johann de <strong>Sarab<strong>and</strong>e</strong> ressemble d’une certaine manière au héros Les Fraises sauvages.<br />

On est frappé par le fait que <strong>Bergman</strong> revient à c<strong>et</strong>te figure de l’homme si âgé, une cinquantaine<br />

d’années plus tard qu<strong>and</strong> il a lui-même l’âge de son protagoniste. Visiblement, c<strong>et</strong>te image ne le<br />

lâche pas. Johann était homme à femmes, à plusieurs femmes, à au moins deux, l’épouse <strong>et</strong> la<br />

maîtresse, mais ces dyades étaient temporaires <strong>et</strong> se succédaient. (On résiste mal à la tentation<br />

de penser à la biographie de <strong>Bergman</strong> avec ses six mariages, nombreuses liaisons longues <strong>et</strong><br />

neuf enfants) 13 . Marianne, se confie à Karin qui lui dem<strong>and</strong>e quelle sorte d’homme était son<br />

gr<strong>and</strong>-père ; plus de 30 ans après, c<strong>et</strong>te épouse blessée est encore outrée au souvenir de ses trahisons<br />

avec des « traînées ». Freud aurait pu lui expliquer l’impératif qu’éprouve c<strong>et</strong>te structure<br />

masculine de dissocier l’érotique de la tendresse. Au tout début du film, Johann rapporte à<br />

Marianne le mot de son ami pasteur qui définit une bonne relation comme faite de deux<br />

paramètres : « une bonne camaraderie <strong>et</strong> une solide sexualité, » <strong>et</strong> il ajoute « Personne ne peut<br />

contredire le fait que toi <strong>et</strong> moi avons été bons camarades » ([5], p. 29). Autant dire que la<br />

12<br />

L’argument fait écho à celui de Simon, ([16], p. 253).<br />

13<br />

«J’ai plusieurs enfants que je connais à peine ou pas du tout. Mes échecs humains sont remarquables » ([18], p.<br />

29).

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