1 Je suis le Barbare et tu es l'Enculé, un sale enculé. Jour ... - Numilog

1
Je suis le Barbare et tu es l’Enculé, un sale enculé. Jour J,
celui de ton enlèvement. Nabil, l’appât, a rendez-vous avec
le pédé. Il lui a dit : « Pas le Marais, je supporte pas, trop
de folles. » Il l’a rencontré sur Gay Romeo. Ils ont chatté
ensemble quelques jours. Il lui a fait croire au plan love. Pour
l’amadouer. Tous ces pédés feraient n’importe quoi pour
coucher avec un Arabe. Le rencard est fixé à 22 heures, au
Paris Orléans, un rade pourave des Maréchaux, aux portes
de Paname. Nabil et le pédé prennent un coca et un ice tea
au Bouquet d’Alésia, le bistro d’à côté. Ils parlent de tout
et de rien. Ils se regardent avec insistance. Si tu savais ce
qui t’attend, sale enculé. Nabil raconte qu’il habite à Sceaux
depuis deux mois. « Tu veux boire un dernier verre chez
moi ? » Il dit : « OK ! »
Une fois arrivés, ils se garent sur le parking d’un gymnase
proche de la voie rapide et du foutu appartement. Un lieu
discret. Pour donner le signal, Nabil doit prononcer le mot
« clef ». Ils marchent. Nabil repère les trois mecs que j’ai
recrutés pour l’occasion. Cachés dans un bosquet. Cagoule
sur le visage. Nabil fouille dans son sac. « Je sais pas où sont
passées mes clefs. » Il s’énerve. Ma bande de barbares saute
alors sur l’Enculé. Pendant deux putains de minutes, le pédé
hurle à la mort. Comme une gonzesse.
Mes trois gars, Smiler, Zigo et Farid te mettent par
terre. Tu es surpris. Tu te fous en boule. Ils commencent à
te castagner dur. Zigo sort sa chiée de matraque américaine
15

Barbares
pour te calmer. Il veut te montrer qui est le plus fort. Il te
cogne pour t’exploser la tête. Tu beugles toujours avec tes
cris de nénette. « Ferme ta gueule », Nabil te lance. Mais tu
ne peux pas t’arrêter. Pas te contrôler. On dirait que t’as une
putain de crise de nerfs. Comme une meuf. Tu te poses des
questions. Pourquoi t’es là ? Qui sont ces mecs ? Pourquoi
toi ? Et tu continues à te lamenter comme une tepu. On en a
raz le bol ! Alors, Nabil utilise les grands moyens et te fout
un coup de gourdin qui t’assomme. D’un coup, tu ne brailles
plus, sale tarlouze. Plus rien. Enfin, tu es calme. Pour toi,
maintenant, tout devient léger et pur, serein.
Il semble que tu te réveilles et, à ce moment-là, Smiler,
Zigo et Nabil t’embarquent dans la caisse. Tu es enfermé
dans le coffre. Tu ne sais pas où tu vas. La voiture roule. Tu
ne vois rien. On avance toujours. C’est stupide, tu sens que
tu es menotté. Mais pourquoi ?
2
Je suis le Barbare. Première nuit avec l’Enculé. Tu portes
une putain de cagoule et tes mains sont attachées. T’es
bouclé dans le coffre d’une bagnole. Tu as du mal à respirer.
Tu flippes un max. Tu as peur. J’entends tes protestations.
Où on va ? Qu’est-ce qui t’arrive, merde ? Est-ce vraiment
un rapt ? Mais pourquoi ? Personne autour de toi ne possède
de tune. À moins que ce soit un jeu. Un game stupide de
folles qui veulent te foutre les boules. Ou bien même, encore,
une vengeance. Oui c’est ça, une punition. Mais de qui ?
Pourquoi ? Non, putain, ce n’est pas possible. Ça ne peut
être qu’un malentendu. Une erreur à la con qui va bientôt
être réparée. Et toi, tu seras à nouveau libre, oui, en liberté.
Tu pourras reprendre ta petite vie tranquille et bête de PD
parisien.
16

Barbares
Aux bruits qui t’entourent, aux échos de la circulation
qui te parviennent, tu t’imagines sur le périph, tu te dis que
tu dois être dans une voiture haute. Tu ne sais pas en fait.
Tu es complètement paumé et seul. On écoute Tru Life, de
Block Music, sur le lecteur de CD. D’un instant à l’autre, ta
pauvre existence a basculé en enfer. Quinze minutes passent.
Tu étouffes dans ce putain de coffre. Tu ne peux pas bouger.
Tu commences à paniquer. Qu’est-ce qu’ils vont faire de toi,
tu demandes. Tu dis : « Où je suis ? »
La voiture descend dans le parking. Tu es arrivé dans ta
turne, Enculé. Tu te questionnes sur ce qui se trame. Aucune
explication. Tu ne peux pas connaître les réponses. Il n’y a
pas de solutions. C’est foutu ! Bien dans la merde. Ta cagoule
t’empêche de respirer. Smiler, Zigo et Nabil ne te parlent pas.
Ils te font sortir de force de la caisse. Tu montes quelques
marches. Ils te fourguent dans un ascenseur. Combien
d’étages ? Tu ne sais pas. Ça se passe trop vite. Mes gars te
poussent. Tu te retrouves dans ce que tu entrevois être un
appart. Puis une petite piaule. Un taudis. Ta taule, Enculé.
Ton putain de trou.
3
Je suis le Barbare. Après t’avoir enlevé, j’envoie des mails
à tes vieux pour les faire raquer. Bande de cons ! Je fous des
photos de toi avec mes messages. Sur la première, tu as les
yeux bandés avec du scotch, tu tiens le Parisien du jour. On
ne devine aucune trace de coup, mais on ne voit pas ton corps
en entier. Au début des transactions, je menace même de te
couper un doigt.
17

Barbares
Message à ton père : « C’est pas une plaisanterie. Vous
avez été désigné par votre fils. Vous devez vous tenir prêt
à votre domicile à partir de jeudi midi avec la rançon. Vous
suivrez ensuite nos instructions données par téléphone. Ne
prévenez en aucun cas la police. Nous la repèrerons très
vite ! »
Le lendemain, je téléphone et réclame 450 000 euros
pour ta libération. Avec une autre preuve : une photo de toi,
envoyée par le NET, revolver sur la tempe, la gueule toujours
entourée de scotch.
4
Je suis le Barbare. Tu es sonné, paumé, tu es l’Enculé. Tu
as du mal à répondre à toutes tes questions. Tu ne connais
rien des enlèvements et des effets de l’enfermement. Tu as
peur. Il existe pourtant une règle essentielle : dès les premiers
instants, un prisonnier décide s’il préfère vivre ou mourir.
C’est à ce moment capital que tu vas devoir trancher sans
même en avoir conscience. Certains gars ont le goût de se
battre. D’autres s’enlisent dans le désespoir. Toi, de quel côté
penches-tu ? Tu veux tenir sans te battre. Un choix totalement
instinctif qui prend ses racines au plus profond de toi.
Non, Enculé, tu n’as rien manqué. Ni ce bel Arabe
rencontré sur Gay Romeo, ni ce rendez-vous avec lui. Tu
n’as pas effacé la scène où tu lui as donné ton numéro de
téléphone. Tu n’as pas perdu de vue ce rade miteux où tu as
bu un coca-cola avec lui, suivi de cette ballade romantique.
Tu n’as pas oublié quand trois hommes te sont tombés dessus
et t’ont roué de coups.
Tu ne te plains pas. Tu décides de collaborer à ce que
tu penses constituer ta survie. Un tournant important. Ton
18

Barbares
existence va basculer. Tu sais bien que si tu résistes, tu
es mort. Que si tu t’effondres, tu seras brisé, sale Enculé.
Tu penches apparemment du côté des Barbares, nous qui
contrôlons dorénavant ta vie. Tu prends notre parti.
Aucune récrimination. Absence de révolte. Tu dors
quelques heures. Enfin, tu t’y efforces. Tu te réveilles.
Pâteux. Tu as froid. Totalement désorienté. Où crèches-tu ?
Pendant quelques brefs instants, tu t’imagines chez toi, dans
ton lit, ou bien même dans la maison de tes parents, dans ta
chambre d’enfant. Une chaîne enroulée à ton cou te relie au
radiateur comme un chien à sa niche. Il n’est pas question
que tu t’évades.
Tu tentes de décrire mentalement, pour toi-même, ce
qui se passe. Une façon de garder la situation en main, de
t’accrocher à quelques bribes de la réalité. Combien de
Barbares ? Tu essayes de compter. Trois hommes cagoulés
se sont jetés sur toi. Oui, ce doit être trois. Et puis, il y
avait le bel Arabe bien sûr, celui qui t’a dragué, celui qui
t’a donné rendez-vous pour ce traquenard. L’enlèvement
était parfaitement organisé. Le gang a agi avec une précision
quasi militaire. Que va-t-on foutre de toi ? Tu te le demandes
bien.
5
Je suis le chef. Et toi, c’est ton premier jour de mitard,
Enculé. Tu essayes de te raccrocher à un putain de truc,
mais il n’y a rien ! Tu voudrais avoir confiance en cette taule
pourrie, mais ta seule réalité, aujourd’hui, c’est moi. Voilà,
t’es mon otage. Je dis. Le gang t’a kidnappé. Je suis le chef
des Barbares. Tu dois obéir. Tu comprends ça ? Si tout se
passe bien, ça ne va pas durer longtemps. Ta famille va
raquer. Personne ne te fera de mal.
19

Barbares
Tu te sens rassuré. Une putain de monnaie d’échange. Tu
ne vas pas mourir tout de suite. Pas maintenant. Non, bien sûr.
Te voici soulagé.
Je retrouve Fabrice sur le terrain de boules. Je dis : « Les
locaux sont occupés, il y a quelqu’un là-haut, il faut être
super discret. » Fabrice pige alors que j’ai soulevé un keum.
Je lui précise que j’ai demandé une rançon. Fabrice a peur. Il
se rend à l’appart. Il te voit. Seul. Allongé sur le sol dans la
chambre du F2. Menotté par-devant. Les pieds attachés par
du ruban adhésif argenté. Total momifié. Il n’aperçoit que
ton pif qui dépasse. Il se les mouille et laisse des consignes à
Jérôme pour que les mecs ne dégueulassent pas trop la piaule
et qu’ils effacent bien toutes les traces.
Fabrice a fini ses études en cinquième. À 27 ans, il est
SDF et vit tantôt chez Priscilla, la mère de ses deux filles,
tantôt au domicile de sa sœur. Il est allé en cabane pour vol
de voitures et trafic de shit. Il a travaillé un temps dans une
imprimerie de Montreuil, depuis il touche les Assedic. Je l’ai
rencontré dix ans plus tôt. C’est un copain d’adolescence.
Pas de business.
Smiler continue ses deals et ses marottes : jeu en réseau,
zik, basket. Il fume quatre à cinq joints par jour. Il connaît un
gardien d’immeuble qui lui refile une cave pour entreposer
son matos. Quand je lui parle du rapt, il sent le coup foireux
mais finalement il marche dans l’affaire. Il en a trop marre de
manger aux Restos du cœur. Je lui promets trois mille euros.
La violence des mots fait partie de notre monde. Elle
s’incruste au bahut. Où se forgent nos langages assassins ?
Cette barbarie verbale du quotidien qui conduit certains —
et pas les plus fragiles, au contraire — au passage à l’acte.
20

Barbares
L’école, laboratoire de la haine. Objectif : déshumaniser
l’autre. Un verbe qui exprime d’abord la destruction. La fille
représente une « pute », une « salope », une « taspé ».
Un jour, un des nôtres va plus loin en s’adressant à une
adulte, son enseignante enceinte, à qui il déclare : « J’vais te
lécher la chatte, ça va te faire descendre ton chiard. » Celui qui
a brûlé vive Sohane dans un local à poubelles parce qu’elle
avait osé dire « non » a été applaudi par ses supporteurs lors
de la reconstitution. Le but final consiste à réduire l’humain
à l’état de chose.
6
Je suis le cerveau des Barbares, vingt-cinq ans, black
de Côte d’Ivoire. Le chef ! Calculateur, méchant, cynique
et manipulateur. Je fais peur. Très. Tout le monde sait dans
la cité qu’il ne faut pas me baiser. Sinon, c’est chaud. J’ai
quitté l’école assez tôt. Ça me gonflait. Je ne suivais pas. Je
ne pensais qu’aux conneries que je pourrais faire avec les
copains. J’imaginais déjà la putain de force qu’on pourrait
avoir en formant une bande. J’ai tout appris en parlant avec
des vieux. Je veux la révolution. Foutez-moi le bordel,
putain ! Je me suis entouré de jeunes total largués. Ils ont fui
le bahut et sont en pleine galère pour la plupart. Une vraie
tribu. Je hais les culs blancs et leur système de bourge que
j’emmerde. Ce sont des colons qui nous traitent comme des
esclaves. Et puis, surtout, je déteste les pédés.
Je suis bourré de pèse que j’aime flamber n’importe
comment. Croyant non pratiquant. Pas militant. Je n’appelle
pas au djihad. Je n’ai pas constitué le Gang des Barbares
autour d’un truc religieux ou politique.
Je suis dur et froid. Rien à foutre de ce que pensent ou
ressentent les autres. Les autres, c’est de la merde ! Ma plus
21

Barbares
grande qualité est de n’éprouver aucune culpabilité. Jamais.
Rock and roll !
Je suis né à Belleville le 2 août 1980. Cheveux rasés,
noirs, je porte le plus souvent un bouc et une barbe de
plusieurs jours. Enfant, je reste à Belleville, avec mes vieux.
Mes darons travaillent tous les deux comme des oufs. Ils
élèvent six lardons. Je suis le troisième. Aujourd’hui, mes
frères et sœurs ont tous un boulot et sont bien intégrés dans
le système. Pas moi.
Ado, je fréquente le collège Joliot-Curie. En classe, je ne
me fais pas spécialement remarquer. À l’époque, je suis un
garçon plutôt calme. Un élève moyen.
Je grandis d’abord à l’ombre de mon père. Et surtout de
ma mère, Fatouma, femme de ménage qui sait pas lire et
écrire. Elle me donne vachement d’affection. Elle prend ma
défense quand je vais en cabane. Lorsqu’elle vient me rendre
visite, c’est en vraie mater africaine. Super digne ! Prête à
tout pour protéger son petiot.
Après cette école de merde, j’entame une formation de
plombier au lycée pro Jean Monnet, à Montrouge. Je me fais
chier grave. On ne m’y voit pas souvent. Des gosses qui ont
des trajectoires à la con, il en passe dans ces bahuts. Moi,
on ne me remarque toujours pas. Je joue le jeune tranquille.
Discret et timide, je suis pas très sportif. Ensuite, ça tourne
en eau de boudin. Jusqu’à la taule.
7
Le gang n’en est pas à son coup d’essai. On a déjà racketté
des médecins et des personnalités en 2004. Avant, en 2002,
on fait chanter des chefs d’entreprise au nom d’un pseudo
groupuscule palestinien. Mais la bande n’est pas une clique
d’extrémistes. Non. Les Barbares sont un putain de mélange
22