15.07.2013 Views

La civilisation égéenne - Tome 1 - Numilog

La civilisation égéenne - Tome 1 - Numilog

La civilisation égéenne - Tome 1 - Numilog

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

(( L’ÉVOLUTION DE L’HUMANITÉ ))<br />

BIBLIOTHSQUE DE SYNTHESE HISTORIQUE


LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

*


Ouvrage publié avec le concours<br />

du Centre National des Lettres<br />

<strong>La</strong> collection (( L’Évolution de l’Humanité M<br />

a été fondée par Henri Berr


NICOLAS PLATON<br />

Professeur émérite de I 'Université de Thessalonique<br />

Professeur à l'Université de Crète<br />

LA CIVILISATION<br />

EGÉENNE<br />

*<br />

DU NÉOLITHIQUE AU BRONZE RÉCENT<br />

AM<br />

ALBIN MICHEL


Traduit du grec par l’auteur<br />

et Béatrice de Tournay<br />

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction<br />

réservés pour tous pays.<br />

@ Éditions Albin Michel 1981<br />

22, rue Huyghens, 75014 Park<br />

ISBN 2-226-01303-2


AVANT-PROPOS<br />

Outre son charme prenant, son modernisme élégant qui séduit quiconque le<br />

découvre, la <strong>civilisation</strong> crétoise a ceci de particulier qu’elle fut la première civi-<br />

lisation européenne - dépassant soudainement les diverses cultures néolithiques<br />

qui se partageaient alors cette partie du monde. Cnossos, Mycènes, puis Athè-<br />

nes, puis Rome et enfin l’Europe, en somme la <strong>civilisation</strong> occidentale : nous<br />

sommes dans le droit fil de ceux qui, il y a plus de 4 5@l ans, donnèrent une<br />

impulsion décisive aux arts et aux techniques dans la grande île.<br />

Euro pe... Ce n’est pas en vain que Zeus fit traverser la mer à cette jeune<br />

déesse, qui donna son nom à une partie du monde, et qu’il s’unit à elle à<br />

Gortys pour engendrer Minos ! Evoquer la Crète, N c’est assister au premier<br />

éveil, au premier sourire, aux premiers gestes de la jeune Europe N ; c’est revivre<br />

l’aurore de notre <strong>civilisation</strong> qui devait connaître tant d’avatars avant de changer<br />

le monde. L’aventure commença à peu près à l’époque où les pharaons élevaient<br />

les pyramides ... Huit siècles avant Hammourabi de Babylone, avant Abraham !<br />

II faut se pénétrer de cette haute antiquité des origines <strong>égéenne</strong>s pour apprécier à<br />

leur juste valeur les témoignages archéologiques qui vont être examinés dans ces<br />

pages.<br />

Cette grande <strong>civilisation</strong>, si originale, si indépendante, finalement, de tous les<br />

modèles qu’elle a pu connaître ou qu’on a voulu lui trouver, s’est épanouie dans<br />

une île de 250 kilomètres de long sur quelques dizaines de kilomètres de large,<br />

peuplée on ne sait comment par une population extrêmement douée. Ce fut un<br />

(( prodige M, préparant, et expliquant en partie, le (( miracle grec ».<br />

Certes. le sujet du présent ouvrage est plus vaste : il s’agit de la <strong>civilisation</strong><br />

<strong>égéenne</strong> dans son ensemble. Après les Crétois viennent les Mycéniens ; simulta-<br />

nément, fleurissent les cultures des Cyclades et des côtes de l’Asie - Troie.<br />

Mais nul n’ignore - malgré les tentatives de certains savants - que le foyer<br />

principal en fut la Crète, dont la puissance maritime assura le rayonnement dans<br />

le bassin égéen et sans doute au-delà. Ce fut la première N thalassocratie », plu-<br />

tôt pacifique, au moins jusqu’à l’arrivée des Achéens.<br />

(( L ’Evolution de l’Humanité », dès les premiers volumes qu’elle publia, n’est<br />

pas restée insensible à ce maillon important de la grande chaîne de l’Histoire. Il<br />

y a plus d’un demi-siècle - c’était en 1923 - que parut l’ouvrage célèbre de<br />

Gustave GLOTZ, <strong>La</strong> Civilisation <strong>égéenne</strong>. <strong>La</strong> littérature sur le sujet était encore<br />

relativement rare - la (( découverte N de cette <strong>civilisation</strong> ne date que de 19ûo<br />

- et ce livre obtint un succès mérité et durable tant en France qu’à l’étranger<br />

où il fut traduit en plusieurs langues.


4 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Plusieurs réimpressions dès les deux années suivantes s ’enrichirent de complé-<br />

ments de la main de l’auteur et déjà d’une bibliographie plus ample. Puis, en<br />

1937, la mort ayant frappé G. GLOTZ, ia nouvelle édition paraît avec une<br />

importante mise à jour rédigée par Charles PICARD. Enfin, en 1952, nous avons<br />

lancé une troisième édition, avec une seconde note additionnelle par Pierre<br />

DEMARGNE. Ces précieuses contributions de deux éminents savants ont permis<br />

une longue carrière à ces pages enthousiastes dues à un grand travailleur préma-<br />

turément disparu.<br />

Aujourd’hui, l’apport de N. PLATON pour notre nouvelle série de N L’ÉVOIU-<br />

tion de l’Humanité M n’annule pas l’ouvrage de notre premier auteur : celui-ci<br />

reste un témoignage historique, un jalon dans l’évolution de l’archéologie<br />

<strong>égéenne</strong>. Ce livre, remarquait Henri BERR, ((est une œuvre d’art en même<br />

temps que de science. C’est une résurrection du passé, en même temps que le<br />

résultat d’études scrupuleuses. C’est un tout qu’il y aurait imprudence et faute à<br />

remanier 1 ».<br />

Il fallait donc reprendre le travail sur de nouvelles bases. En effet, en un<br />

demi-siècle, le tableau que l’on peut brosser de cette <strong>civilisation</strong> s’est beaucoup<br />

élargi et a gagné en précision. Sans doute les grandes découvertes - et même les<br />

grandes options - du début, de l’époque M héroïque N de sir Arthur EVANS,<br />

conservent une valeur essentielle. Mais, maintenant, avec les retouches qui<br />

s’imposent, elles s’insèrent dans un ensemble de plus en plus cohérent et qui<br />

s’enrichit chaque année. Les progrès sont le résultat d’un travail persévérant de<br />

chercheurs originaires de plusieurs pays et spécialisés différemment, que l’on<br />

verra à l’œuvre dans les pages de cet ouvrage.<br />

Nous avons été particulièrement heureux et honorés d’obtenir la collaboration<br />

du professeur N. PLATON et nous lui témoignons toute notre reconnaissance 2.<br />

Voici ce qu’écrivait, en 1973, un historien français qui connaît bien la Crète où<br />

il a souvent séjourné et les travaux archéologiques qui y sont poursuivis :<br />

(( L’avenir dira peut-être si M. Nikolaos PLATON a fait plus qu’A. EVANS pour<br />

l’archéologie minoenne, mais, ce qui est sûr, c’est qu’en repérant enfin en 1961<br />

ce que l’on considère comme le quatrième palais de l’île, à Kat0 Zakros, il vient<br />

d’ouvrir une ère nouvelle, la quatrième, dans l’archéologie crétoise 3 ».<br />

Et, outre Zakros, que de découvertes, de responsabilités archéologiques et<br />

muséologiques, d’efforts de tous ordres ! Fouilleur passionné, certes, mais il fau-<br />

drait dire N par surcroît », car il est professeur d’université, conservateur de<br />

musées. On lui doit, entre autres choses, la remarquable réorganisation du<br />

musée d’Hérakleion, dont il fut le directeur pendant plus de vingt années, en<br />

même temps qu’éphore des Antiquités de la Crète orientale puis de l’ensemble<br />

I. Avant-propos, édition de 1937, p. XIV.<br />

2. Cette reconnaissance va aussi au professeur Georges Mourelos, grand ami de la<br />

France et du Centre international de synthèse, à qui nous devons d’avoir pu, en 1972,<br />

entrer en rapport avec le professeur Platon.<br />

3. Paul FAURE, <strong>La</strong> Vie quotidienne en Crète, Paris 1973, p. 41 et p. 23.<br />

Note. Cet ouvrage est le tome No 9 de la Bibliothèque de synthèse historique<br />

c L’lholution de l’Humanité », fondée par Henri BERR et dirigée, depuis sa mort,<br />

par le Centre international de synthese dont il fut également le créateur.


Avant-propos 5<br />

de l’île. II donna une nouvelle impulsion aux recherches et, surtout, assura<br />

l’application des méthodes archéologiques scientifiques.<br />

Nous sommes reconnaissants aux Éditions Albin Michel d’avoir accepté de<br />

publier cette œuvre importante dans notre collection, nonobstant les charges<br />

inhérentes à une telle publication. Souhaitons des lecteurs nombreux à cette pré-<br />

sentation d’une <strong>civilisation</strong> qui ne devrait laisser aucun Européen indifférent : ce<br />

serait la meilleure récompense pour l’auteur, pour l’éditeur et pour tous ceux<br />

qui, à des titres divers, se sont penchés sur la préparation de cet ouvrage.<br />

Paul CHALUS t<br />

chargé de la collection<br />

au Centre international de synthèse


PREFACE<br />

L’ouvrage de Gustave GLOTZ, <strong>La</strong> Civilisation <strong>égéenne</strong>, qui fut édité<br />

pour la première fois en 1923 dans la collection (( L’Évolution de<br />

l’Humanité u, a été, très justement, reconnu comme une œuvre véritablement<br />

éminente. C’était la première étude à présenter dans leur totalité<br />

les différents aspects et l’évolution de cette <strong>civilisation</strong> - tant sur le<br />

plan historique que sur le plan archéologique - dont la véritable<br />

découverte date des premières décennies de notre siècle. Jusqu’à I’apparition<br />

de cet ouvrage, seules avaient été publiées des études à caractère<br />

archéologique, forcément partielles, telles que celle de R. DUSSAUD, Les<br />

Civilisations préhelléniques (Paris, 1914), celle de H. BOSSERT, Alt<br />

Kreta (Berlin, 1921) ou encore celle de KAVVADIA Archéologie<br />

préhistorique (Athènes, 1909).<br />

Par la suite, et jusqu’à nos jours, aucun ouvrage n’a su traiter d’une<br />

manière synthétique le double aspect historique et archéologique de ce<br />

chapitre essentiel de l’Histoire, qu’ont considérablement enrichi les<br />

découvertes archéologiques récentes. Certes, de nombreux livres d’art<br />

admirablement illustrés, agrémentés de brefs commentaires à caractère<br />

esthétique ou archéologique, ont fait leur apparition. Dans certaines<br />

publications on trouve égaiement des renseignements succincts, quelquefois<br />

des études plus approfondies sur tel aspect de la <strong>civilisation</strong> ou tel<br />

point d’histoire.<br />

I1 n’en reste pas moins qu’il est extrêmement malaisé, sinon impossible,<br />

de suivre, à travers tous ces ouvrages, le fil complexe de l’évolution<br />

des divers aspects de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>. On peut tout au plus y<br />

trouver des renseignements sur les fouilles importantes, anciennes ou<br />

récentes, effectuées dans les différentes régions du monde égéen et les<br />

enseignements qu’on a pu en tirer.<br />

Enfin, la dernière édition de la collection (( Histoire 1) de Cambridge<br />

n’a pas réussi elle non plus, à présenter une vision synthétique telle<br />

qu’on l’aurait souhaitée, et cela d’autant moins que chacun des chapitres<br />

a été rédigé par un auteur différent.


8 LA CIVILISATION EGÉENNE<br />

Les importantes publications concernant les cités palais, les habitations,<br />

les sanctuaires, les nécropoles de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>, ainsi que<br />

les très nombreuses monographies touchant à des points précis de l’art,<br />

des techniques et de la vie quotidienne parues après la disparition du<br />

très éminent historien qu’était G. GLOTZ, représentent un apport essentiel<br />

à la science historique. Tout cela aurait dû susciter de nouvelles<br />

œuvres de synthèse permettant au public cultivé d’avoir une vision globale,<br />

mais juste et complète, de la première grande <strong>civilisation</strong> européenne.<br />

II n’en a rien été. On a donc longtemps comblé cette lacune par<br />

des rééditions du livre de GLOTZ, dont le texte, après la mort de<br />

l’auteur, fut remis à jour grâce à l’addition des chapitres rédigés par<br />

deux autres historiens de valeur, Charles PICARD et Pierre DEMARGNE.<br />

Le présent ouvrage va donc tenter de pallier l’absence d’un exposé<br />

synthétique récent. Sa rédaction m’avait été confiée dès 1973 par le<br />

directeur de la collection (( L’Évolution de l’Humanité », qui était alors<br />

également secrétaire général du Centre international de synthèse, Paul<br />

CHALUS, grâce à la chaleureuse recommandation de notre ami commun<br />

Georges MOURELOS, professeur de philosophie à l’université de Salonique,<br />

que je remercie très sincèrement. Mais, pour des raisons diverses,<br />

la rédaction et la publication en ont été retardées.<br />

Dès la signature de mon accord avec la maison d’éditions Albin<br />

Michel, Paul CHALUS a été l’âme de notre entreprise commune pour la<br />

création de l’œuvre, présidant à sa structuration adéquate et précise, se<br />

chargeant des retouches finales que l’on apporta au contenu de<br />

l’ouvrage autant qu’à son style, établissant les tables et l’index. Insister<br />

sur l’importance de sa participation à la réalisation de cette œuvre<br />

n’est, de ma part, qu’une preuve infime de ma reconnaissance. Malheureusement<br />

le Destin n’a pas voulu qu’il voie les fruits de ses peines ; la<br />

mort l’enleva au moment qu’il finissait son travail sur ce livre. II restera<br />

pour toujours l’expression de ma gratitude.<br />

II n’est pourtant pas le seul à avoir contribué à la forme définitive de<br />

cet ouvrage. Les responsables de l’édition de la collection, par exemple,<br />

et notamment Jean BOURDEAUX, ont dû surmonter bien des difficultés<br />

pour rendre ce livre agréable à consulter.<br />

Par ailleurs, son illustration devait être en rapport avec son objectif,<br />

très différent de celui d’un livre d’art. D’où le choix de reproductions<br />

utiles parce que caractéristiques, sous la forme de nombreux dessins,<br />

qui indiquent clairement l’évolution de l’ornementation des principaux<br />

objets en céramique, des représentations d’aspects importants de la vie<br />

quotidienne comme l’habillement, l’écriture, la navigation, ou encore<br />

des plans des palais minoens ou mycéniens. Enfin, plusieurs cartes


Préface 9<br />

étaient nécessaires, mentionnant les sites dont il est question dans le<br />

texte. L’ensemble de ces dessins a été réalisé - à partir de documents<br />

sélectionnés à cet effet - par Maria PLATON, archéologue, fille de<br />

l’auteur. Qu’elle reçoive ici mes profonds remerciements.<br />

<strong>La</strong> traduction du texte, d’autre part, réalisée avec un soin méticuleux<br />

sous le contrôle de l’auteur par l’archéologue Béatrice de TOURNAY,<br />

représente une performance. Grâce à sa parfaite connaissance de la langue<br />

grecque Mlle de TOURNAY a réussi en effet à traduire ce texte avec<br />

une précision toute scientifique.<br />

Enfin, ici encore, c’est à Paul CHALUS que l’on doit le réajustement<br />

définitif de l’ensemble, après les corrections suggérées par l’auteur. II .va<br />

sans dire que sans ces collaborations il aurait été impossible de faire<br />

paraître un tel ouvrage sous une forme satisfaisante.<br />

Ce livre étant conçu pour un large public cultivé mais non spécialisé,<br />

nous avons préféré renoncer aux notes en bas de page, aux renvois et<br />

autres commentaires. En revanche, une assez riche bibliographie permet<br />

de se reporter à des études plus spécialisées ou, au contraire, à des<br />

ouvrages plus généraux. Nous avons surtout eu l’ambition de fournir un<br />

exposé aussi complet que possible des aspects et de l’évolution de la<br />

<strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>, parallèlement dans ses différents domaines et à travers<br />

ses grands moments.<br />

<strong>La</strong> tradition légendaire nous ayant semblé prendre ses sources, du<br />

moins pour l’essentiel, dans des événements historiques de la préhistoire<br />

du monde égéen, nous avons fait état des mythes et des fables dans leur<br />

quasi-totalité, mais en les résumant, examinant chaque fois leur rapport<br />

éventuel avec un fait historique.<br />

Nous avons, en outre, mais d’une manière plus succincte, étudié la<br />

<strong>civilisation</strong> de l’île de Chypre, à mi-chemin entre la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong><br />

et celle de l’Orient.<br />

L’auteur a parfaitement conscience du fait que cet exposé synthétique<br />

est loin d’être exhaustif, mais pour ce faire, il aurait fallu doubler ou<br />

tripler le texte de cet ouvrage, déjà très volumineux. II pense néanmoins<br />

que, telle quelle, cette œuvre peut être utile en tant qu’introduction à<br />

l’histoire et à l’archéologie du monde égéen et reste dans la ligne de<br />

(( L’Évolution de l’Humanité )>.<br />

Enfin, comme la représentation de la vie quotidienne, intellectuelle et<br />

spirituelle d’une époque aussi lointaine ne peut avoir qu’une valeur<br />

d’hypothèse qui reste à vérifier. nous avons pris soin d’y consacrer des<br />

chapitres spéciaux, afin que soient exposées à part les données dont<br />

nous sommes certains.<br />

N. PLATON


INTRODUCTION<br />

Toutes les grandes <strong>civilisation</strong>s du monde ont eu besoin pour naître,<br />

se développer et évoluer de conditions géographiques, géologiques, cli-<br />

matiques et humaines exceptionnellement favorables et c’est de ces con-<br />

ditions que dépendent, pour une grande part, la forme qu’elles pren-<br />

nent, leur caractère et leur apport. C’est ce genre de conditions qui a<br />

aidé par exemple à dépasser le stade de la chasse et de la cueillette pour<br />

entrer dans l’économie de production, d’abord et surtout dans la région<br />

du Croissant fertile qui encadrait les vastes plaines du Proche-Orient. Et<br />

dès lors que les nouvelles méthodes de production qui facilitaient la<br />

subsistance et le progrès de l’homme s’amélioraient et se systémati-<br />

saient, on vit s’épanouir les grandes <strong>civilisation</strong>s orientales dans les plai-<br />

nes et dans les vallées des grands fleuves dont les eaux étaient exploitées<br />

par des systèmes de canalisations et de barrages. Pour que cette organi-<br />

sation réussît, il fallait développer la centralisation de la société, établir<br />

des règles et des lois et que les diverses communautés obéissent à des<br />

rois et à des gouverneurs. Les caractères des <strong>civilisation</strong>s qui se dévelop-<br />

pèrent de cette façon étaient dépendants des conditions locales aussi<br />

bien géographiques, géologiques et climatiques que de celles qui furent<br />

créées par les hommes, les différents groupes ethniques et le mélange<br />

des races. Il est superflu de parler ici en détail des <strong>civilisation</strong>s orienta-<br />

les, indienne, anatolienne, égyptienne et des circonstances variées qui<br />

ont permis leur création et leur épanouissement. Chacune d’entre elles a<br />

eu une physionomie différente, tout à fait personnelle malgré les échan-<br />

ges d’influences et les interventions étrangères. Mais l’histoire même de<br />

leur évolution prouve combien elle fut dépendante des agents locaux et<br />

de l’entourage immédiat.<br />

C’est dans des conditions analogues et en même temps fondamentale-<br />

ment différentes qu’a fleuri la <strong>civilisation</strong> dite <strong>égéenne</strong>, la première<br />

grande <strong>civilisation</strong> de l’Europe qui, justement à cause de cela, acquit un<br />

style tout à fait propre et put ouvrir la voie à toute une série de civilisa-<br />

tions méditerranéennes et même européennes qui se sont élargies jusqu’à<br />

la nouvelle <strong>civilisation</strong> européenne et mondiale que nous connaissons


12 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

aujourd’hui. Pour mieux la comprendre il nous faudra donc voir en<br />

introduction quelles furent ces conditions, et cela dès que nous aurons<br />

éclairci certains points de terminologie.<br />

Définitions<br />

<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> doit son nom au berceau où elle vit le jour,<br />

s’épanouit, mûrit, évolua et s’éteignit après une période de déclin, c’est-<br />

à-dire à la région de l’Égée, aux terres qui entourent la mer Égée et aux<br />

îles qui y sont disséminées. I1 s’agit en fait d’une famille de <strong>civilisation</strong>s<br />

avec des traits fondamentaux semblables, mais où chacune d’elles a sa<br />

personnalité propre et évolue ensuite à sa manière. Elles se sont déve-<br />

loppées dans les différentes régions de I’Égéide et ont, comme c’était<br />

normal, pris les noms de ces régions ou de leurs grands centres. Ainsi,<br />

c’est de l’Hellade continentale où elle a fleuri que la <strong>civilisation</strong> helladi-<br />

que tire son nom, nom qui est quelque peu conventionnel puisque l’Hel-<br />

lade comprend aussi les îles de la mer Égée et la Crète et qu’à l’époque<br />

préhistorique qui nous intéresse, le nom d’Hellade ne s’était imposé<br />

dans aucune région ou presque, qu’elle soit continentale ou insulaire. Le<br />

nom de <strong>civilisation</strong> cycladique vient des Cyclades, l’archipel du centre<br />

de l’Égée où elle s’est épanouie, bien qu’elle ne se soit pas limitée à ces<br />

îles mais étendue à celles qui bordent la côte sud de l’Asie Mineure -<br />

les îles du Dodécanèse -, à celles qui sont voisines de la Crète -<br />

comme Kassos et Karpathos - et à celles qui forment les Sporades du<br />

Nord - comme Skiathos, Skopélos et Alonissos -, tandis qu’elle n’est<br />

pas arrivée jusqu’aux îles qui bordent la côte de l’extrême nord de<br />

l’Asie Mineure ni aux côtes thrace et macédonienne. <strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> de<br />

l’Asie antérieure a été appelée troyenne car elle a Troie pour centre<br />

principal, le premier de toute la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> qui ait été mis au<br />

jour grâce à l’enthousiasme pour l’Antiquité de l’amateur allemand<br />

Henri Schliemann. Cette <strong>civilisation</strong> s’est répandue sur une frange<br />

côtière assez large de l’Asie Mineure du nord et dans les îles qui la bor-<br />

dent. Le terme de troyenne continue à être employé bien qu’il soit tout<br />

à fait conventionnel, car il ne serait pas opportun, après un aussi long<br />

usage, de le remplacer par un autre plus significatif.<br />

<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> crétoise - paléocrétoise plus exactement - doit son<br />

nom à son berceau principal, la grande île de Crète, où elle est née et<br />

où elle a fleuri ; il va de soi qu’elle a atteint des points du bassin médi-<br />

terranéen où se sont établies des colonies. On utilise la même dénomina-<br />

tion pour le dernier stade de son évolution, alors que s’était répandue


Introduction 13<br />

en Crète la <strong>civilisation</strong> de I’Helladique avancé ou mycénienne, et c’est<br />

tout à fait normal puisque la <strong>civilisation</strong> crétoise, en dépit de sa<br />

(( mycénisation », garda beaucoup de ses traits caractéristiques essen-<br />

tiels. <strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> helladique, à partir du moment où l’influence cré-<br />

toise commença à se faire sentir et où s’établirent peut-être des colonies<br />

crétoises, jusqu’à la catastrophe finale, est plus connue sous le nom<br />

conventionnel de <strong>civilisation</strong> mycénienne, en raison du centre principal<br />

qui brilla en tant que ville capitale du royaume, Mycènes. <strong>La</strong> décou-<br />

verte et la fouille partielle de ce site par Henri Schliemann, aussi bien<br />

que l’éclat des premières trouvailles, imposèrent cette dénomination qui<br />

était assez justifiée par le rôle de chefs que jouèrent les Mycéniens dans<br />

la guerre menée par les Achéens contre Troie. Mais aujourd’hui que, du<br />

Péloponnèse jusqu’en Thessalie, ont été découverts tant de centres bril-<br />

lants portant les traces de la <strong>civilisation</strong> de I’Helladique récent, une telle<br />

appellation s’imposerait difficilement ; mais là encore un long usage l’a<br />

consacrée. Se fondant essentiellement sur la continuité d’une civilisa-<br />

tion qui se transforma et prit une vie nouvelle sous sa forme mycé-<br />

nienne, bien des savants admirent et firent prévaloir pour une civilisa-<br />

tion commune à la Crète et au monde mycénien, le terme de <strong>civilisation</strong><br />

crétomycénienne. Ce terme ne peut toutefois englober la <strong>civilisation</strong> des<br />

époques préhistoriques plus anciennes aussi bien en Grèce continentale<br />

que dans les îles.<br />

Le premier et principal chercheur qui se soit occupé de la <strong>civilisation</strong><br />

paléocrétoise, Arthur Evans, proposa pour cette dernière le nom de civi-<br />

lisation minoenne, et ce terme a enfin totalement prévalu grâce à la<br />

grande autorité et à l’œuvre de pionnier du savant fouilleur britannique<br />

de Cnossos où Minos, célèbre dans la tradition grecque, était roi. Ce<br />

nom ne peut être considéré comme parfaitement (( réussi », d’abord<br />

parce que dans la période la plus ancienne de la <strong>civilisation</strong> paléocré-<br />

toise il n’y avait pas du tout de rois et que par conséquent Cnossos<br />

n’était pas le siège d’un royaume. Ensuite parce qu’il ne semble pas<br />

qu’après la création de royaumes dans la grande île, Cnossos ait étendu<br />

sa domination sur l’île tout entière, sauf peut-être pour une courte<br />

période à la phase finale. Enfin parce qu’on n’a pas encore réussi à<br />

savoir si Minos était un nom de roi précis, de toute une dynastie ou<br />

simplement le titre de la dignité royale comme celui de Pharaon en<br />

Égypte. Quoi qu’il en soit, le terme de <strong>civilisation</strong> minoenne a si bien<br />

été accepté et a si longtemps été employé qu’il serait très difficile<br />

aujourd’hui de l’écarter.<br />

II faudrait encore noter ici que le terme de <strong>civilisation</strong> helladique a<br />

été étendu et également attribué à la <strong>civilisation</strong> de la Grèce continentale


14 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

du nord, c’est-à-dire à l’Épire, la Macédoine et la Thrace, où la civilisa-<br />

tion apparaît pourtant comme très différente dans son caractère et quel-<br />

que peu indépendante dans son évolution. Peut-être serait-il utile de<br />

faire une distinction entre les <strong>civilisation</strong>s helladiques du nord et du<br />

sud, sinon on serait obligé de chercher des termes différents pour cha-<br />

cune d’elle.<br />

<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> s’encadre dans la <strong>civilisation</strong> méditerranéenne,<br />

puisque celle-ci embrasse toutes les <strong>civilisation</strong>s du bassin de la Méditer-<br />

ranée, comme celles de ses trois péninsules. <strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> méditerra-<br />

néenne occidentale est plus homogène et fait pendant à la <strong>civilisation</strong><br />

<strong>égéenne</strong> : elle forme, elle aussi, une famille de <strong>civilisation</strong>s - une bran-<br />

che du Mégalithique, le Paléo-ibérique et le Paléo-italique. On reconnaît<br />

toutefois bien des caractères communs entre la <strong>civilisation</strong> méditerra-<br />

néenne occidentale et la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>, ce qui montre qu’il faut<br />

rechercher des racines communes, des échanges d’influences et des infil-<br />

trations.<br />

Le cadre chronologique dans lequel s’est développée la <strong>civilisation</strong><br />

<strong>égéenne</strong> est le même que celui de l’âge du Bronze de la Méditerranée<br />

orientale. On considère aujourd’hui que la <strong>civilisation</strong> néolithique qui<br />

s’est épanouie dans les différentes régions de l’Égée et dont les caracté-<br />

ristiques prennent elles aussi des formes diverses suivant les endroits<br />

(Macédoine, Thrace, Épire, Thessalie, Grèce occidentale, Grèce centrale<br />

continentale, Péloponnèse, îles de l’Égée, Crète), n’a pas sa place dans<br />

ce cadre. I1 est utile, cependant, de l’examiner dans un chapitre prélimi-<br />

naire, puisqu’il en existe des prolongements et des survivances dans les<br />

périodes les plus anciennes de la <strong>civilisation</strong> du Bronze. I1 faut même<br />

rechercher des racines encore plus anciennes dans les longues périodes<br />

qui l’ont précédée - Mésolithique et Paléolithique - et dont on a, sur-<br />

tout ces dernières années, cherché et trouvé d’importants vestiges de<br />

<strong>civilisation</strong>. I1 y a naturellement des chercheurs qui croient à une évolu-<br />

tion ininterrompue au cours des millénaires jusqu’à l’âge du Bronze.<br />

Mais la survivance de certains éléments ne signifie pas que ne furent pas<br />

créées dans le même cadre géographique des <strong>civilisation</strong>s successives<br />

ayant chacune son caractère propre.<br />

<strong>La</strong> limite chronologique inférieure de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> est consti-<br />

tuée par la nouvelle formation du monde grec après la descente des der-<br />

nières tribus grecques - celles des Doriens et celles de la région du<br />

Nord-Ouest - où l’élément grec domine presque totalement. <strong>La</strong> science<br />

a confirmé que les premières tribus grecques descendirent et s’établirent<br />

dans les régions <strong>égéenne</strong>s au plus tard au début du IIC millénaire av. J.-C<br />

et contribuèrent à ce que la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> prenne une forme


Introduction 15<br />

nouvelle, suivant les endroits. Quelles furent ces tribus ? Cela fait tou-<br />

jours l’objet de discussions entre historiens, archéologues, linguistes et<br />

anthropologues. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas juste<br />

aujourd’hui de parler de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> comme d’une <strong>civilisation</strong><br />

exclusivement préhellénique, surtout maintenant qu’avec le déchiffre-<br />

ment de l’écriture créto-mycénienne on suit l’évolution de la langue<br />

grecque depuis sa forme la plus ancienne jusqu’aux périodes les plus<br />

avancées. Malgré tout, il reste que les éléments préhelléniques jouèrent<br />

un rôle fondamental et prépondérant dans la formation de cette<br />

<strong>civilisation</strong>.<br />

Cadre géographique de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong><br />

Peu de points de notre planète furent aussi favorables à l’éclosion et<br />

au développement de grandes <strong>civilisation</strong>s que la Méditerranée. Comme<br />

un immense lac qui s’étend d’est en ouest, elle sépare et unit à la fois<br />

trois grands mondes différents, trois continents, l’Europe, l’Asie et<br />

l’Afrique ; la première semble, avec ses trois péninsules, tendre la main<br />

aux deux autres qui paraissent, elles aussi, essayer de répondre en se<br />

tendant, se courbant, s’approchant par des excroissances et des groupes<br />

d’îles, en créant des passages qui rendent les communications plus faci-<br />

les. L’avant-bras italien, au milieu, prolongé par la Sicile et les îles voi-<br />

sines, donne l’impression d’avoir réussi à atteindre la côte d’en face, la<br />

Tunisie, et divise ainsi en deux la mer fermée, séparant la Méditerranée<br />

occidentale de la Méditerranée orientale. Ses eaux, relativement calmes,<br />

donnent de la vie aux côtes qui sont découpées comme une dentelle<br />

pour qu’elles s’en réjouissent davantage ; elles sont bienfaisantes avec<br />

leur chaleur et elles n’ont jamais connu les violents ouragans des grands<br />

océans ni les courants dangereux. Fermée comme elle l’est par trois<br />

continents dont les côtes sont différemment découpées et ayant des con-<br />

ditions climatiques variées, la Méditerranée favorise l’épanouissement<br />

d’une flore et d’une faune très riches et variées. Elle est un creuset ou<br />

des éléments raciaux très divers se mélangèrent en justes proportions<br />

pour créer une nouvelle race, la race méditerranéenne. Au lieu d’être<br />

une barrière, la mer offre des occasions d’approche, encore facilitées<br />

par les ponts que sont les îles ; on va facilement et relativement sans<br />

danger d’une côte à l’autre et l’arrière-pays communique sans grands<br />

problèmes avec la mer pour profiter de ses bienfaits. Les hommes qui<br />

s’établirent au pourtour et dans les îles de la Méditerranée se trouvèrent<br />

dès le début dans une situation avantageuse pour ce qui est du ravitail-


16 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

lement, de la subsistance, de la diffusion des idées et de la transmission<br />

de l’expérience acquise. C’est justement cette situation favorable qui va<br />

être, plus lard, la cause des revendications étrangères.<br />

Mais le principal carrefour de communications et le berceau le plus<br />

propice au développement des <strong>civilisation</strong>s a toujours été la Méditerra-<br />

née orientale et plus spécialement sa partie est, l’Égée. C’est ià que ia<br />

rencontre des trois continents se montre extrêmement effective, d’abord<br />

parce que les pays qui entourent cette partie du bassin sont justement<br />

ceux qui jouèrent le rôle essentiel dans l’évolution d’avant-garde des<br />

<strong>civilisation</strong>s dites des fleuves, la Mésopotamie, l’Égypte et l’Anatolie ;<br />

ensuite parce que deux des portes les plus importantes ou passages de<br />

continent à continent se trouvaient aux deux extrémités : au cord-est<br />

l’Hellespont et la Propontide qui menaient à la mer fermée qu’est le<br />

Pont-Euxin, région de ressources inépuisables et, au sud-est, l’isthme de<br />

Suez ; enfin parce que le découpage de la péninsule grecque et I’émiette-<br />

ment des îles entre les côtes sur une distance relativement courte invi-<br />

taient à une continuelle circulation. Les climats divers, une grande<br />

variété dans la flore et dans la faune, la rencontre de races et de civili-<br />

sations dont la fusion engendra une série de cultures nouvelles très raf-<br />

finées, au rayonnement intense, tout cela aboutit à de plus grands résul-<br />

tats qu’en Méditerranée occidentale. Mer, terre et climat constituèrent<br />

un environnement extraordinairement stimulant dans la formation des<br />

hommes, dont certains depuis des siècles et d’autres relativement récem-<br />

ment se sont trouvés installés dans cette région avantageuse de notre<br />

planète. Ils devinrent particulièrement habiles de corps et d’esprit et il<br />

était tout à fait naturel que leurs réussites dans la <strong>civilisation</strong> se soient<br />

étendues dans l’espace et dans le temps pour créer enfin la grande civili-<br />

sation européenne qui, aujourd’hui, est devenue mondiale.<br />

<strong>La</strong> terre et la mer dans I’Égéide<br />

<strong>La</strong> péninsule balkanique est un peu en biais dans le bassin oriental de<br />

la Méditerranée avec, pour colonne vertébrale, la longue chaîne du<br />

Pinde qui se prolonge dans d’autres ensembles montagneux comme<br />

l’Olympe et I’Othrys ; peu de régions de l’Europe sont si montagneuses<br />

et si découpées en petites et grandes péninsules qui dessinent entre elles<br />

d’innombrables golfes, baies et mouillages ; ce découpage est plus faible<br />

à l’ouest, en bordure de la mer Ionienne, mais à l’est, vers l’Égée, il en<br />

arrive au point d’isoler de grandes presqu’îles et de longues îles qui sont<br />

très près de la terre ferme. <strong>La</strong> partie sud de la péninsule, le Pélopon-


Introduction 17<br />

nèse, est presque détachée du tronc principal avec des golfes très pro-<br />

fonds, le golfe de Corinthe d’ouest en est et le golfe Saronique d’est en<br />

ouest. Un isthme étroit, l’isthme de Corinthe, constitue le seul lien avec<br />

le tronc de ce qui est presque une île au milieu des trois mers qui<br />

l’entourent, la mer Ionienne, la mer Égée et la mer de Crète, comme la<br />

paume d’une main aux doigts ouverts. Ses montagnes centrales -<br />

d’Arcadie et de <strong>La</strong>conie - prolongent en fait la colonne vertébrale du<br />

Pinde et, comme celle-ci, se ramifient pour donner naissance, dans tou-<br />

tes les directions, à d’autres ensembles montagneux. Les Îles de la mer<br />

Ionienne, à l’ouest, sont en fait des péninsules qui se sont détachées et<br />

les îles de Cythère et d’Anticythère, qui prolongent le cap sud du Pélo-<br />

ponnèse, sont les seuls restes du pont de terre qui reliait jadis le conti-<br />

nent à la grande île de Crète. D’autres excroissances, du côté est de la<br />

péninsule grecque, au-delà de l’Argolide et de l’Attique qui sont elles-<br />

mêmes des péninsules, de la longue île d’Eubée détachée du continent,<br />

se sont émiettées en une chaîne d’îles.<br />

Aux limites nord de l’Égée, la grande péninsule de Chalcidique se<br />

prolonge en trois presqu’îles qui sont comme des langues isolant des<br />

golfes profonds ; celles des extrémités sont à peine retenues par une fine<br />

tige qui les empêche de se séparer et de devenir des îles. Plus à l’est,<br />

l’île de Thasos s’est détachée de la côte.<br />

Au sud, l’Égée est fermée par la grande île de Crète, la cinquième<br />

par la taille des îles de la Méditerranée, qui s’étend d’est en ouest,<br />

oblongue, tandis que des chaînes d’îles la relient au tronc de la pénin-<br />

sule grecque et à l’extrémité sud-est de l’Asie Mineure. Quatre grands<br />

ensembles de montagnes - les Monts Blancs, l’Ida (Psiloritis), le Dikté<br />

central (monts du <strong>La</strong>ssithi) et le Dikté oriental (monts de Sitea) -<br />

isolent peu de grandes plaines - exception faite de la plaine de la<br />

Messara -, mais beaucoup de vallées plus ou moins larges. <strong>La</strong> côte<br />

nord, assez découpée, dessine des caps et des golfes et peu de petites<br />

îles la bordent ; la côte sud, au contraire, n’abrite presque pas de<br />

ports mais de simples mouillages, et souvent les montagnes tombent<br />

à pic dans la mer.<br />

<strong>La</strong> bordure est de l’Égée n’est pas moins déchiquetée en péninsules,<br />

caps, golfes profonds ; de véritables rangées d’îles sont si près des côtes<br />

qu’elles semblent les prolonger. Au fond des golfes, des plaines plus ou<br />

moins grandes ou de simples vallées assurent la liaison avec I’arriere-<br />

pays et, au fur et à mesure qu’on avance, ce sont de vastes étendues, de<br />

montagnes ou de plaines, qui s’isolent de l’Égée. L’un des points les<br />

plus névralgiques est la double porte - Hellespont, Propontide et Bos-<br />

phore - qui sépare la côte d’Asie de celle d’Europe. Quand on la fran-


18 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

chit, on atteint le (( Pont-Euxin N comme on appelait par euphémisme<br />

dans l’Antiquité l’actuelle Mer Noire, assez inhospitalière avec ses tem-<br />

pêtes, mais qui, pourtant, mène à des régions riches de l’Asie.<br />

L’interpénétration étroite de la terre et de la mer dans un découpage<br />

qui va jusqu’aux entrailles des chaînes montagneuses, dont les ramifica-<br />

tions vont jusqu’aux points les plus éloignés, isolant des petites régions<br />

de plaines et d’étroites vallées ; l’éparpillement dans d’innombrables îles<br />

qui sont en fait le prolongement des côtes en même temps que des<br />

ponts unissant les terres opposées, tout cela a créé une série de régions<br />

isolées à l’intérieur desquelles pouvait se développer une vie autonome<br />

dans une foule de communautés élémentaires. Ce fait a joué un grand<br />

rôle dans la forme que prirent les <strong>civilisation</strong>s de l’Égée et dans I’his-<br />

toire des peuples qui s’y installèrent. Les liens créés par les communica-<br />

tions maritimes jetèrent les bases d’une <strong>civilisation</strong> commune dans ses<br />

lignes principales, favorisèrent la vivacité de l’esprit, l’invention, une<br />

symbiose harmonieuse ; l’isolement en régions indépendantes, sur la<br />

terre ou au milieu de la mer, conduisirent au développement de I’initia-<br />

tive et des actions locales, à une émulation noble, à la concurrence, ce<br />

qui augmentait les inclinations vers la liberté et l’indépendance. Progres-<br />

sèrent davantage les hommes qui eurent de la chance et arrivèrent les<br />

premiers sur les côtes et dans les îles les plus grandes ou les plus<br />

riches ; ils profitaient davantage des bienfaits des relations avec les<br />

autres ; tout près ou plus loin, ils apercevaient d’autres côtes et, une<br />

fois sur celles-ci, d’autres encore, plus loin, qui les invitaient. <strong>La</strong> mer<br />

les appelait et ils ont appris facilement à circuler avec l’aide des cou-<br />

rants ou à contre-courant, des changements de vents et des meltems qui<br />

soufflent toujours en été. L’expérience acquise s’exprime enfin dans des<br />

expéditions maritimes systématiques, elle leur permet d’affronter le<br />

mauvais temps qui, en hiver, rend très difficiles les voyages sur des<br />

embarcations légères et mal équipées. Mais tous les marins méprisent les<br />

dangers devant les avantages qu’ils espèrent. Dans les îles et sur les<br />

côtes, la vie devient amphibie comme celle des grenouilles sur les bords<br />

d’un lac tranquille. <strong>La</strong> navigation favorise le commerce qui va en<br />

s’accroissant ; des comptoirs se transforment en colonies pour I’exploi-<br />

tation des régions proches ou lointaines. Tout concurrent sur les mers<br />

doit être neutralisé ; les thalassocraties se succèdent : crétoise, cycladi-<br />

que, mycénienne, phénicienne, grecque. Les flottes vont aussi rendre<br />

service aux peuples possesseurs de grandes <strong>civilisation</strong>s mais peu capa-<br />

bles ou peu désireux d’exploiter les mers. Ceux-ci s’intéressaient davan-<br />

tage au cabotage fluvial, à l’exploitation des canaux, aux grandes routes<br />

terrestres intercontinentales. L’Égée n’avait ni grands fleuves où l’on


Introduction 19<br />

pût naviguer, que ce fût sur des petites ou des grandes embarcations, ni<br />

systèmes de canaux - si l’on excepte les canaux d’irrigation - et elle<br />

n’a connu que des lacs, petits ou moyens, qui n’avaient pas toujours le<br />

même niveau. En hiver, la plupart des rivières se transformaient en tor-<br />

rents et les lacs en été devenaient souvent des marécages ou disparais-<br />

saient totalement. Leur rôle dans le développement de la vie et de la<br />

<strong>civilisation</strong> ne fut pas très important.<br />

Le climat et la production dans le monde égéen<br />

L’Égée fait naturellement partie de la zone tempérée et profite de ses<br />

avantages. Mais, en outre, des circonstances particulières engendrent<br />

dans cette région un climat encore plus doux et mesuré. En été, elle est<br />

rafraîchie par les brises de mer et les meltems - vents étésiens - qui<br />

soufflent continuellement, tandis qu’en hiver des courants relativement<br />

chauds, venus du sud, et une température emmagasinée par la mer lors<br />

des fréquentes apparitions du soleil, atténuent les grands froids. Cela ne<br />

veut pas dire qu’elle est totalement protégée du froid glacial du nord ni<br />

du vent brûlant de Libye, mais les moments où elle est soumise à ces<br />

attaques sont aussi rares que limités dans le temps et dans l’espace.<br />

L’inégale distribution des hautes montagnes, comme aussi l’inégale<br />

pénétration de la mer, de même que la latitude et la longitude ont créé,<br />

depuis l’origine, d’assez grandes oppositions climatiques suivant les<br />

régions et l’hypsométrie. I1 y a toujours eu des endroits où la sécheresse<br />

se prolongeait et d’autres où les chutes de pluie étaient plus abondantes.<br />

<strong>La</strong> réaction ou l’adaptation des hommes fut toujours dépendante du<br />

climat, mais les moyens de défense et de protection utilisés varient selon<br />

leur énergie ou leur indifférence flegmatique. <strong>La</strong> race et la <strong>civilisation</strong><br />

jouèrent un grand rôle mais il ne faut pas minimiser l’influence du cli-<br />

mat. Dans certains endroits, les brusques et fréquentes variations de<br />

celui-ci endurcirent et fortifièrent les corps tout en assouplissant les<br />

esprits et en les rendant capables d’invention ; dans d’autres, au con-<br />

traire, la faible amplitude des variations thermiques, la chaleur humide,<br />

l’extension des marais, favorisèrent une certaine nonchalance et paraly-<br />

sèrent toute volonté de lutte ou de réaction. En Grèce toutefois, d’une<br />

manière générale, les conditions climatiques favorisaient l’adoption d’un<br />

régime plutôt frugal qui était en même temps imposé par les circonstan-<br />

ces difficiles. Dans les régions qui ne se prêtaient pas à l’élevage du<br />

bétail, les habitants se rabattaient sans peine sur un régime végétarien et<br />

sur la consommation des produits de la mer. L’adaptation fut aussi


20 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

facile quant à l’habillement et au logement. Les hommes se vêtaient<br />

légèrement, construisaient, avec ce qu’ils avaient sous la main, des habi-<br />

tations ouvertes, ce qui leur permettait de profiter davantage d’une vie<br />

en plein air, tout en faisant des économies pour d’autres sortes de con-<br />

fort, des divertissements et aussi pour une vie artistique. <strong>La</strong> vie libre en<br />

plein air permit au corps de s’exercer de façon systématique en dévelop-<br />

pant l’athlétisme ; la pureté et la limpidité de l’atmosphère rendaient<br />

plus facilement perceptibles l’harmonie, les combinaisons de couleurs,<br />

l’opposition ombre-lumière, la netteté des contours, la sensation du<br />

rythme interne dans le mouvement des êtres vivants. Dans de telles con-<br />

ditions, il était normal qu’on vît se développer tout particulièrement<br />

l’esprit d’observation, la capacité de synthèse du cerveau, l’agilité de la<br />

pensée. Et on imaginera sans peine qu’un tel cadre était favorable à<br />

l’épanouissement de la musique, des arts graphiques et plastiques. <strong>La</strong><br />

présence sensible de l’élément divin en tant que principe créateur et<br />

architecte de l’univers, fit que l’homme lui-même devint plus facilement<br />

et plus vite créateur et architecte. Et les matériaux étaient à sa disposi-<br />

tion en abondance.<br />

Le grand problème pour un pays si petit et si pauvre en eau, en<br />

proie, l’été, à la sécheresse prolongée, et dont les plaines sont limitées,<br />

c’est la subsistance d’une population qui augmentait sans cesse et dont<br />

les exigences croissaient à mesure que la <strong>civilisation</strong> se construisait. Bien<br />

sûr, les nappes phréatiques se renouvelaient chaque hiver et la végéta-<br />

tion était celle dont la légèreté et la bonne adaptation aux endroits<br />

favorables permettaient de se maintenir et de prospérer plus facilement.<br />

Les forêts n’existaient que dans quelques régions montagneuses, dans le<br />

nord et sur quelques-unes des hauteurs du centre et du sud du pays ou<br />

des îles les plus grandes. Pour survivre les arbres et les arbustes<br />

devaient déployer de grandes racines capables de s’infiltrer même dans<br />

les anfractuosités des rochers. <strong>La</strong> végétation était très variée et dépen-<br />

dait des régions. Pour assurer leur subsistance les hommes durent éviter<br />

la monoculture. II leur fallut aussi faire preuve d’application au travail<br />

ardu, et d’esprit d’invention, mettre au point des méthodes spéciales<br />

pour augmenter le rendement, systématiser l’irrigation au moyen de<br />

canaux, de rigoles, de grands réservoirs et de puits profonds. Tout ce<br />

qui était exploitable fut exploité avec une persévérance et une patience<br />

remarquables. On mit même en valeur les pentes des montagnes couver-<br />

tes de pierraille en construisant des terrasses pour les cultures et en les<br />

soutenant par de longs murs de pierres sèches. On put ainsi cultiver<br />

bien des sortes de céréales, d’arbres fruitiers, de plantes aromatiques ou<br />

médicinales, diverses sortes de vignes et d’oliviers. Dans des conditions


Introduction 21<br />

climatiques difficiles et incertaines le stockage de produits est encore le<br />

meilleur moyen d’envisager l’avenir, qu’il soit organisé au niveau de la<br />

société ou sur le plan individuel. Toutefois, le développement de I’éle-<br />

vage migrateur, que favorisaient la variété des sois mais aussi les soins<br />

systématiques apportés par les habitants de chaque région, constituait,<br />

au même titre que l’élevage domestique, une garantie. Dans certaines<br />

régions de montagnes les gens furent forcés de rester à demi nomades,<br />

pour s’adapter aux conditions de vie des gardiens de troupeaux qui pra-<br />

tiquent la transhumance ; aujourd’hui encore, dans ces mêmes régions,<br />

on continue à avoir une double résidence, sur les hauts plateaux et dans<br />

les vallées basses et protégées. On gardait en même temps plusieurs sor-<br />

tes d’animaux, des ovins, des bovins, des porcins et des équidés. Mais<br />

les grands troupeaux de bovins et d’équidés ne purent se développer que<br />

dans des régions de plaines bien définies et relativement vastes, surtout<br />

en Thessalie, en Macédoine, en Eubée et en Argolide. Pour les animaux<br />

domestiques la préférence allait aux espèces faciles à nourrir et se repro-<br />

duisant rapidement : la volaille, les porcs, les lapins et les ovins. Malgré<br />

les difficultés qu’ils éprouvaient à les conserver, ils cherchaient toujours<br />

à avoir quelques équidés tout prêts pour les transports et les voyages.<br />

Sur les côtes et dans les îles le besoin avait développé la pêche qui était<br />

une solution aux problèmes de base du ravitaillement. Mais, en général,<br />

les populations méditerranéennes n’ont jamais tellement apprécié les<br />

produits de la mer, qui leur créaient d’autres problèmes, comme celui<br />

de la conservation. Les salaisons restèrent toujours une nourriture pour<br />

les classes les plus pauvres.<br />

Dans le monde égéen la chasse ne constituait pas une source d’appro-<br />

visionnement importante, capable d’assurer la subsistance, et cela dès la<br />

fin des grandes époques de la chasse et de la cueillette, le Paléolithique<br />

et le Mésolithique. Le petit gibier qui avait succédé aux grands animaux<br />

dangereux n’était évidemment pas rare et comportait des espèces<br />

variées. Mais leur grande dispersion et leur mode de vie ne facilitaient<br />

pas la chasse ; celle-ci était assez fatigante, supposait un entraînement et<br />

une habileté particulière qui contribuaient à en faire plutôt un délasse-<br />

ment sportif. Quelques animaux étaient davantage recherchés par les<br />

chasseurs pour leur peau ; la chasse aux animaux dangereux comme le<br />

sanglier, le chacal et le loup, qui provoquaient des ravages dans les cul-<br />

tures et dans les troupeaux - sauvages ou domestiques - demandait<br />

une organisation plus concertée qui, souvent, favorisait la promotion<br />

des participants. <strong>La</strong> capture des animaux agiles comme le cerf, le cha-<br />

mois ou la chèvre sauvage, faisait appel à des talents particuliers, met-<br />

tant en œuvre la ruse et les pièges. Les lièvres, qui constituaient le


22 LA CIVILISATION ÉCEENNE<br />

gibier le plus fréquent, étaient attrapés presque exclusivement au moyen<br />

de pièges. <strong>La</strong> chasse de certaines espèces d’oiseaux était plus facile,<br />

leurs habitudes de vie connues aidaient à leur capture ; les oiseaux des<br />

marais, des rivières, du littoral et des vallons où coulent des sources,<br />

constituaient une proie plutôt facile.<br />

Avec sa diversité incroyable de richesses végétales et minérales, le<br />

monde égéen offrait une abondance de matières premières pour I’outil-<br />

lage et la construction. Les forêts, aussi clairsemées et circonscrites<br />

qu’elles fussent, étaient plus étendues qu’aujourd’hui et fournissaient en<br />

abondance le bois d’œuvre pour les bateaux et la construction. Mais<br />

beaucoup d’autres arbres servaient à différents usages. <strong>La</strong> résine des<br />

pins s’est révélée être un matériau très utile. Depuis le début de l’âge de<br />

la Pierre, certaines régions donnaient une sorte de silex propre à la<br />

fabrication d’outils. Mais bien d’autres pierres donnaient aussi de bons<br />

résultats : trachyte, basalte, quartz, serpentine ; dans les deux dernières<br />

périodes de l’âge de la Pierre, l’obsidienne, matériau volcanique cristal-<br />

lin, provenant de volcans éteints des Cyclades et des îles du Dodéca-<br />

nèse, rendait de grands services ; elle permit de perfectionner la techni-<br />

que du débitage des lames, tandis que parallèlement, les galets de riviè-<br />

res ou de mer donnaient la possibilité de fabriquer des outils bien polis.<br />

Au début de l’âge du Métal on déploya de grands efforts pour exploi-<br />

ter des filons de cuivre relativement pauvres - comme en Eubée, en<br />

Chalcidique et en Crète - jusqu’au moment où les filons de cuivre<br />

chypriotes devinrent plus accessibles. Le manque d’étain retarda le per-<br />

fectionnement des alliages avant l’ouverture des voies commerciales qui<br />

permirent plus tard de s’en procurer. Quelques îles de l’Égée - Myti-<br />

lène par exemple - donnaient du plomb. Les métaux précieux -<br />

l’argent au <strong>La</strong>urion et l’or dans le Pangée, en Macédoine orientale -<br />

ne furent exploitables que plus tard. Des matériaux de construction tout<br />

à fait communs comme le calcaire, le schiste, l’argile, étaient abondants<br />

presque partout et le bois aidait à mieux les assembler et suppléait aux<br />

éléments indispensables. Mais c’est surtout la poterie qui profita de la<br />

présence d’argiles diverses. Enfin, les matériaux qui manquaient étaient<br />

apportés grâce aux échanges commerciaux.<br />

Fondement et bouleversements géologiques dans I’Égéide<br />

Le relief définitif de I’Égéide date de la fin du tertiaire et surtout de<br />

la période des grandes précipitations et submersions du Pliocène. Les<br />

bords des gigantesques lacs qui s’étaient constitués dans l’Égée orientale<br />

finirent par se déchiqueter aux endroits les plus vulnérables et les eaux


Introduction 23<br />

de la Méditerranée pénétrèrent dans le golfe de Corinthe ; la zone sep-<br />

tentrionale du Péloponnèse émerge et l’île d’Égine se détache. Dans le<br />

grand lac qui sépare l’Eubée de l’Asie mineure, les ensembles de Skyros<br />

et de Lesbos sont isolés. Les changements continuent, avec une vivacité<br />

moins grande mais une égale efficacité dans la première période du qua-<br />

ternaire, le Pléistocène, époque glaciaire et médio-glaciaire en Europe -<br />

il y a deux millions d’années jusqu’à dix milliers d’années avant notre<br />

ère. Les grands lacs intérieurs du Péloponnèse, de Grèce centrale et de<br />

Thessalie disparaissent et le grand lac de l’Égée du nord est unifié : à<br />

l’origine il ne communiquait pas avec la mer de Crète et puis des passa-<br />

ges s’ouvrirent entre la Crète et Cythère d’une part, entre la Crète et le<br />

Dodécanèse de l’autre ; de même l’Hellespont et la Propontide se for-<br />

mèrent en détroit. Les sommets des chaînes immergées constituèrent les<br />

Cyclades tandis que les dernières ruptures des côtes donnèrent naissance<br />

à l’Eubée, aux Sporades du nord, aux îles qui se trouvent devant l’Hel-<br />

lespont et à celles qui bordent la côte d’Asie Mineure. <strong>La</strong> configuration<br />

de ces régions n’était pas du tout stable et dépendait pour beaucoup de<br />

la formation ou de la fonte des glaciers, le niveau du bassin égéen pas-<br />

sant ainsi de 100 à 200 mètres. En Ionie cette variation du niveau<br />

donna naissance aux îles ioniennes.<br />

L’érosion et la désagrégation des montagnes de Grèce continentale ou<br />

de Crète créèrent quelques plaines fertiles. Les collines sont alors cou-<br />

vertes d’une légère végétation, qu’on retrouve aujourd’hui à travers les<br />

empreintes fossilisées de pollens et de fruits, dans les lignites de forma-<br />

tion récente ; au centre et au sud on trouvait une grande variété de<br />

plantes aromatiques et de nombreux conifères, surtout de l’espèce des<br />

pins. Le monde végétai variait évidemment suivant le climat et la posi-<br />

tion des régions, allant de la végétation semi-tropicale a la steppe ou à<br />

la toundra. <strong>La</strong> riche faune connue dans la steppe attique à l’époque<br />

précédente disparut presque complètement ; seuls quelques hippopota-<br />

mes et différentes espèces d’éléphants à très longues défenses conti-<br />

nuaient à rôder dans des régions isolées. <strong>La</strong> découverte la plus caracté-<br />

ristique, toutes proportions gardées, a été faite dans le bassin de Méga-<br />

lopolis en Arcadie : dans le lit d’un torrent on a découvert les restes<br />

d’une nombreuse faune d’éléphants, d’hippopotames, de rhinocéros des<br />

forêts, de chevaux et de cerfs, tous animaux qui vivaient dans un climat<br />

chaud semi-tropical ; en même temps on a trouvé des restes d’une autre<br />

faune de climat froid et glaciaire : des mammouths, des bisons, des rhi-<br />

nocéros velus. Les éléphants, dont les espèces ont varié suivant les épo-<br />

ques climatiques (méridionalis, antiquus et primigenius), étaient les ani-<br />

maux les plus importants.


24 LA ClVlLlSATlON ÉGÉENNE<br />

Les recherches menées dans la région de Thessalie, surtout sur les<br />

rives du Pénée, ont livré d’autres vestiges de faune, plus récents ceux-ci,<br />

appartenant à la dernière période interglaciaire et au début du glaciaire<br />

final - il y a 100 O00 à 70 O00 ans. C’était une faune capable de<br />

s’adapter aux régions à végétation mixte (boisées et tundriennes) et aux<br />

climats relativement tempérés. C’est précisément à cette époque que la<br />

présence de l’homme devient évidente, grâce, d’une part, aux outils tra-<br />

vaillés, en pierre ou en os, du Paléolithique moyen et récent, d’autre<br />

part aux premiers vestiges de squelettes du type de Néandertal comme<br />

ceux de Pétralona en Chalcidique et de Dendra à Tyrnavos. Mais nous<br />

reparlerons ailleurs des premières traces de <strong>civilisation</strong> en Grèce. I1 est<br />

normal que, dans la dernière phase de formation de la Grèce, le volca-<br />

nisme et les tremblements de terre aient joué un rôle important. Cette<br />

crise géologique dura jusqu’à l’époque de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> et<br />

influença fortement son évolution. Les volcans se trouvent en Italie<br />

méridionale et dans l’Est égéen, surtout sur les côtes et dans les îles où<br />

l’écorce terrestre est très sensible en raison des crevasses provoquées par<br />

les bouleversements tectoniques. Les volcans grecs constituent des arcs<br />

successifs, du sud au nord. L’arc le plus au sud est constitué par les<br />

volcans d’Égine, de Méthana, de Poros, de Mélos, de Kimolos, de<br />

Polyaigos, de Folégandros, de Théra, de Nissyros et de Kos. Sur un axe<br />

médian se trouvent les volcans de Troade, de Lesbos, de Chios, tandis<br />

que l’arc du nord comprend les volcans d’Oxylithos (Kymi), de Limnos,<br />

d’Imbros, de Samothrace et de Phères en Thrace. Les magmas qui<br />

s’écoulèrent constituèrent d’épaisses couches pyrigènes dont la technique<br />

humaine tira profit. Aujourd’hui tous ces volcans sont éteints, à<br />

l’exception de trois : ceux de Méthana, de Théra et de Nissyros. C’est,<br />

comme nous le verrons, le volcan de Théra - l’actuelle Santorin -<br />

dont la caldera est la plus importante du monde qui joua un rôle capi-<br />

tal. <strong>La</strong> première grande explosion qu’on puisse situer de façon scientifi-<br />

que eut lieu il y a environ vingt-cinq mille ans. Les explosions qui suivi-<br />

rent, surtout à l’époque préhistorique, eurent un retentissement impor-<br />

tant dans le déroulement de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>.<br />

L’histoire géologique de I’Égéide explique la richesse minérale des dif-<br />

férentes régions. Là où il y avait eu des couches alluviales au Pléisto-<br />

cène, des minéraux se formèrent, qui jouèrent un grand rôle dans le<br />

développement de la <strong>civilisation</strong> du pays : l’argile, le sable, le grès, les<br />

conglomérats, le tuf, l’ocre rouge et d’autres gisements sédimentaires.<br />

Les roches les plus communes dont furent constituées les chaînes de<br />

montagnes dans les périodes les plus anciennes, sont le calcaire et toutes<br />

les variétés de schistes. Dans certaines régions on trouve des gisements


Introduction 25<br />

de gypse, de gypse cristallin et de stéatite. Les divers marbres furent un<br />

élément majeur dans la construction et la décoration des surfaces : le<br />

marbre cristallin de Paros - le lychnite - d’un blanc pur, les marbres<br />

blancs du Pentélique et de l’Hymette, en Attique, ou, également en<br />

Attique, ceux de Kokkinaras et de Marathon à veines gris-noir ; les<br />

marbres tachetés et veinés de Skyros, le marbre blanc vert ou gris vert<br />

de Karystos, le marbre d’Érétrie avec des taches rougeâtres, ceux de<br />

Naxos et de Thasos blancs granuleux et beaucoup de marbres ou de<br />

pierre marbrée de différentes régions de Grèce. Les bauxites étaient<br />

exploitables par l’industrie, de même que les magnésites, les minerais<br />

sulfureux - comme la galène et le blende - et les divers minerais de<br />

fer comme l’émeri - de Naxos surtout -, la chromite, le molybdène,<br />

la pyrite de fer, les divers minerais de nickel et de manganèse. Parmi les<br />

gisements d’origine organique on pouvait exploiter en Grèce des cou-<br />

ches de houille, de lignite et de bitume. Parmi les produits des volcans,<br />

aussi bien éteints qu’en activité, quelques-uns furent très utiles : l’obsi-<br />

dienne de Mélos et celle de la petite île de Gyali près de Nissyros, la<br />

téfra et la pierre ponce du volcan de Théra (Santorin).<br />

Les hommes dans le monde égéen<br />

Quelque importantes qu’aient été la configuration du pays et<br />

l’influence de l’environnement dans la naissance et le développement de<br />

la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>, ce sont évidemment les hommes qui, par leur<br />

action et leurs déplacements, furent les promoteurs et les porteurs de<br />

cette <strong>civilisation</strong>. Les anciens Grecs se sont souvent plu à souligner,<br />

dans leurs traditions et leurs mythes, leur caractère autochtone - c’est-<br />

à-dire d’hommes installés en Grèce depuis le commencement - allant<br />

même jusqu’à soutenir qu’ils avaient été créés avec les pierres et la terre<br />

de leur pays. Mais, en même temps, ils reconnaissaient que plusieurs tri-<br />

bus nouvelles, extrêmement actives, étaient venues de l’est, du sud et du<br />

nord, pour se mêler aux éléments indigènes et constituer les nouvelles<br />

races grecques. Aujourd’hui la science a abouti à la conclusion que ces<br />

conceptions répondent en grande partie à des réalités historiques,<br />

puisqu’il est prouvé que des hommes étaient installés dans le pays<br />

depuis la nuit des temps, et, sans aucun doute, continuèrent à survivre<br />

aux périodes préhistorique, protohistorique et même historique ; il est<br />

également certain que beaucoup de tribus nouvelles s’établirent, soit de<br />

façon sporadique, soit en groupes dans la plupart des régions de Grèce.<br />

Pour en arriver là on se fonde sur toutes sortes d’éléments civilisateurs,


26 LA CIVILISATION &SENNE<br />

anthropologiques, linguistiques, ethnologiques, etc., qu’on examine en<br />

les comparant aux mêmes éléments dans d’autres régions. Naturellement<br />

la meilleure source de renseignements est toujours l’étude attentive des<br />

restes de squelettes humains, et tout particulièrement les mesures des<br />

crânes. Mais justement les recherches ont pris beaucoup de retard dans<br />

ce domaine et sont toujours restées incomplètes ; aussi les conclusions<br />

qu’on en tire sont-elles limitées et d’autant plus partielles qu’elles ne<br />

s’appuient sur aucune étude d’ensemble faite par les spécialistes des dif-<br />

férentes branches, disposant d’une vaste érudition. Le manque de maté-<br />

riel est le principal obstacle. Pour les périodes très reculées, le matériel<br />

est particulièrement rare et sporadique, et ce n’est que depuis les derniè-<br />

res décennies qu’on apporte une attention particulière aux restes<br />

humains. Pour les périodes suivantes, les squelettes auraient été infini-<br />

ment plus nombreux et mieux préservés, si les fouilleurs ne les avaient<br />

pas tant méprisés, et si des méthodes plus satisfaisantes avaient été utili-<br />

sées lorsqu’ils furent ramassés, ne serait-ce que dans des cas isolés.<br />

Dans les musées et dans les collections où il fut déposé, ce matériel fut<br />

rarement classé et inventorié comme il le fallait, si bien qu’aujourd’hui<br />

il est très difficile d’en tirer des conclusions sûres. On a surtout recueilli<br />

des crânes provenant de tombes, ainsi que quelques ossements ; le reste,<br />

comme les ossements isolés, fut considéré comme inutile et jeté.<br />

Le crâne humain le plus ancien, du type de Néandertal, trouvé dans<br />

la grotte de Pétralona en Chalcidique, fut étudié par Kokkoros et<br />

Kanellis de l’université de Thessalonique. Les principaux anthropologues<br />

à se pencher sur des fragments de squelettes égéens furent Sergi, Duck-<br />

worth, Hawes, Cipriani, Charles, Angel], Poulianos et Becker. Mais<br />

leurs études se fondèrent sur un matériel qui était loin d’être suffisant<br />

et se limitait essentiellement 4 des crânes. Les études de l’anthropologue<br />

italien A. Sergi fondées sur les mesures crâniennes furent à la base de<br />

notre connaissance d’une race qui s’étendit largement en Égée et plus<br />

largement encore dans tout le bassin méditerranéen, avec ses caractéris-<br />

tiques propres, et qu’on appela méditerranéenne. Cette race, malgré<br />

tous les mélanges qui eurent lieu dans le monde méditerranéen, continue<br />

à être représentée dans certaines régions : en Crète, en Corse, aux<br />

Baléares et surtout chez les Basques. A l’époque historique, les Ibères,<br />

les Ligures, les Libyens et une partie des Égyptiens qui ont conservé de<br />

forts, éléments protolibyens, sont des Méditerranéens. <strong>La</strong> population<br />

préhellénique de la péninsule grecque appartenait essentiellement à cette<br />

race qui a pour caractéristiques principales d’être dolicocéphale - avec<br />

un crâne qui donne l’impression d’une goutte d’eau en train de tom-<br />

ber -, d’avoir un visage ovoïde avec des yeux relativement grands, un


Introduction 21<br />

nez un peu aquilin, le bout légèrement relevé, des lèvres charnues mais<br />

fines, des cheveux frisés qui s’allongent facilement en tresses ondulées,<br />

une peau basanée, une charpente osseuse fine, des muscles souples et<br />

forts, tout en nerfs, une taille relativement moyenne entre 1,62 et<br />

1’65 mètre, enfin des membres fins et agiles. Ce type racial s’opposait<br />

fortement au type brachycéphale et robuste qui dominait en Asie<br />

Mineure. Jusqu’à présent nous n’avons pas assez de statistiques pour<br />

porter un jugement sur la répartition de la race méditerranéenne dans<br />

les différentes régions du monde égéen, par rapport aux autres éléments<br />

raciaux qui apparaissent isolés et sont soit des survivances d’anciens<br />

types autochtones, soit des infiltrations. Mais d’une manière générale on<br />

voit, en Crète par exemple, que dans les périodes les plus anciennes de<br />

l’âge du Bronze, les dolicocéphales sont nombreux par rapport aux<br />

brachycéphales qui constituent une survivance de types néolithiques ou<br />

proviennent de petites émigrations d’Asiatiques par l’intermédiaire des<br />

Cyclades du sud ; on constate aussi à une époque plus récente I’appari-<br />

tion de mésocéphales qui, sans aucun doute, proviennent du mélange<br />

des deux types précédents ; les dolicocéphales se multiplient alors que<br />

les brachycéphales sont de moins en moins nombreux ; enfin, dans les<br />

dernières périodes du Bronze, qui correspondent à l’évolution de la civi-<br />

lisation mycénienne, c’est exactement l’inverse qui se produit : les<br />

brachycéphales se multiplient alors que les mésocéphales et les dolicho-<br />

céphales diminuent jusqu’à presque disparaître à la fin, sauf dans quel-<br />

ques régions isolées de Crète orientale et de Crète occidentale. Cela<br />

n’aurait pu se produire s’il n’y avait eu de nouvelles infiltrations, évi-<br />

demment venues du nord, de brachycéphales. Les nouvelles tribus grec-<br />

ques qui arrivèrent en Crète, surtout les Doriens, semblent être brachy-<br />

céphales si l’on en juge par le fait que dans la région de Sphakia, OU il<br />

n’y eut pas de mélanges essentiels, le type brachycéphale domine encore<br />

aujourd’hui. Malgré les multiples immixtions, les Crétois d’aujourd’hui<br />

continuent d’être, dans la plupart des régions, mésocéphales.<br />

Les choses n’allèrent pas autrement dans le reste du monde égéen, sur<br />

le continent grec, dans les îles de l’Égée et de la mer Ionienne et sur la<br />

côte d’Asie mineure (les restes de squelettes furent davantage étudiés<br />

dans la région de Troie). On pouvait attendre une évolution correspon-<br />

dante en Méditerranée occidentale, surtout dans le sud de l’Italie et en<br />

Sicile. Partout on suit le remplacement progressif des dolicocéphales par<br />

les mésocéphales et les brachycéphales. Mais les choses ne se déroulèrent<br />

pas aussi simplement que Sergi et d’autres anthropologues de jadis l’ont<br />

cru. Dans les régions du moins où la recherche a pu s’appuyer sur un<br />

abondant matériel anthropologique, comme en Argolide, on a prouvé


28 LA CIVILISATION BGBENNE<br />

que le fond anthrfipologique était, dès le début, très varié et on a égale-<br />

ment mis en évidence l’apport de bien des tribus. Un fait demeure, c’est<br />

que le principal élément racial, avant la descente des tribus nordiques<br />

qui commença, elle aussi, assez tôt - peut-être dès la fin du IIP millé-<br />

naire av. J.-C. -, était celui qu’on appela méditerranéen. Mais il faut<br />

des recherches plus étendues et plus systématiques avant de pouvoir<br />

émettre des conclusions définitives sür les tribus porteuses de la civilisa-<br />

tion <strong>égéenne</strong>, par régions et par périodes.<br />

En raison des lacunes qu’on constate dans l’étude des ossements, les<br />

chercheurs ont eu recours à d’autres indications, pour compiéter les<br />

données et ils en ont trouvé surtout dans les représentations figurées<br />

laissées par les différentes branches de cette <strong>civilisation</strong>. I1 reste à savoir<br />

ce que ce genre d’indication peut apporter d’éléments positifs pour<br />

résoudre les problèmes posés par le fond racial de l’Égée. Dans beau-<br />

coup de représentations créto-mycéniennes par exemple, on voit des<br />

brachycéphales, ce qu’on n’attendrait pas d’après les données anthropo-<br />

logiques. Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’on ne projetait pas dans<br />

les représentations d’autres éléments plus conformes à la réalité comme<br />

l’agilité, la taille fine des Méditerranéens. Bien des fois ces caractéristi-<br />

ques sont quelque peu exagérées comme la taille de guêpe, l’opposition<br />

des couleurs de l’homme et de la femme, le nez souvent proéminent<br />

comme un bec d’oiseau, ou dont le bout est dressé vers le haut avec<br />

une impertinence exagérée. On a rarement rendu les marques de<br />

tatouage sur le visage ou sur le corps ; mais même dans ces cas, on ne<br />

sait pas du tout de quelle espèce il s’agit, si elles étaient piquées, sta-<br />

bles, ou simplement peintes, pour des raisons religieuses ou par coquet-<br />

terie. Les conventions de couleurs ne mettent pas en évidence des diffé-<br />

rences dans la pigmentation de la peau. Mais, quand les artisans vou-<br />

laient accentuer dans les représentations les caractéristiques des étran-<br />

gers, ils n’hésitaient pas à rendre de façon très nette les plus typiques<br />

d’entre elles, par exemple la couleur noire, les lèvres charnues et les<br />

cheveux crépus de la race négroïde. Les coiffures furent souvent rendues<br />

de façon très caractéristique, surtout dans les représentations minoennes<br />

et mycéniennes : les longues nattes, les hauts chignons, les accroche-<br />

cœur sur le front, etc. On est impressionné par les différences dans la<br />

coupe des cheveux et la manière dont les visages sont rasés suivant les<br />

régions ; ces traits sont dus tantôt à des habitudes de tribus, tantôt à<br />

des modes qui changent et évoluent sans cesse ; bien sûr, la façon de<br />

soigner les cheveux, la barbe ou la moustache est souvent en rapport<br />

avec le rang social ou la dignité. En Crète, les figures barbues ont été<br />

attribuées aux représentants de classes particulières du clergé, tandis que


Introduction 29<br />

les figures analogues dans le monde mycénien étaient presque toujours<br />

considérées comme celles des nobles qui gardaient de propos délibéré les<br />

cheveux longs - xapqxopoovrq ’Axaioi (les (( Achéens aux longs che-<br />

veux ») comme les appelle Homère. En Crète on se rasait dans toutes<br />

les classes et à peu près à toutes les époques. Est-ce un hasard si l’on<br />

rencontre tant de visages au profil grec sur des fresques mycéniennes ou<br />

bien faut-il voir en cela un rapport avec la domination totale de l’élé-<br />

ment grec à la fin de la <strong>civilisation</strong> mycénienne, alors que la langue<br />

grecque était désormais répandue, comme nous l’enseignent les tablettes<br />

des archives mycéniennes qu’on a déchiffrées ?<br />

Beaucoup ont voulu utiliser comme données essentielles, pour distin-<br />

guer les tribus originelles de la Méditerranée orientale, le peu qu’on sait<br />

sur les langues parlées dans les différentes régions, et ce que la tradition<br />

grecque nous a transmis sur les tribus qui s’établirent successivement<br />

dans la péninsule grecque. Nous parlerons de ces données dans d’autres<br />

chapitres, mais il est nécessaire de souligner ici qu’en accord avec ce<br />

que nous enseignent les spécialistes, il ne faut pas voir dans la langue<br />

un élément de base pour distinguer les populations ; pour ce qui est de<br />

la tradition ancienne, la recherche a confirmé que, bien que reposant<br />

pour l’essentiel sur la réalité historique, elle introduisit très tôt le mythe<br />

et se transforma souvent au gré des besoins politiques, sociaux ou reli-<br />

gieux. I1 faut donc, quand on utilise ce genre d’éléments, faire preuve<br />

d’une critique historique attentive, et savoir interpréter.<br />

Mythes, traditions, réminiscences historiques<br />

Les événements historiques les plus marquants, ceux qui façonnèrent<br />

les différents mondes politiques et sociaux de l’Égée, et qui contribuè-<br />

rent à l’évolution spécifique de sa <strong>civilisation</strong> jusqu’à l’aube de l’époque<br />

historique, ne laissèrent que des souvenirs flous et confus dans le<br />

monde grec. II ne pouvait en être autrement après les (( siècles obscurs ))<br />

qui suivirent le déclin et l’effondrement de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>, épo-<br />

que où s’accomplirent des changements fondamentaux dans les systèmes<br />

sociaux et politiques, dans la vie spirituelle et matérielle comme dans la<br />

religion. L’abandon total de l’écriture à cette époque ne permit pas de<br />

conserver dans des textes un quelconque lien avec un passé dont les<br />

gens se désintéressaient. Seuls les généalogies, le culte des héros et le<br />

culte des ancêtres les reliaient encore à ce passé ; même les réminiscen-<br />

ces historiques furent recouvertes par les traditions mythologiques, qui


30 LA CIVILISATION ÉGPENNE<br />

commencèrent très vite à se transformer devant les besoins nouveaux et<br />

les aspirations de chaque pays. Aujourd’hui, la science, utilisant tou-<br />

jours davantage les méthodes critiques et interprétatives, essaie à grand<br />

peine de relier les données archéologiques à ce qui reste de souvenirs<br />

historiques pour fonder la préhistoire en tant que protohistoire.<br />

On ne citera ici que les lignes essentielles des mythes et traditions<br />

locales qui se font l’écho de réminiscences historiques. Au premier rang<br />

viennent naturellement les mythes crétois dans lesquels transparaît le<br />

brillant passé de l’île. Homère souligne la position de celle-ci au milieu<br />

de la mer - le bassin oriental de la Méditerranée -, sa richesse, la<br />

densité de sa population, le mélange des races et des peuples : les<br />

Achéens, les Doriens, les Pélasges, les Étéocrétois et les Cydoniens.<br />

Naturellement, cette situation ne put exister en Crète qu’après I’établis-<br />

sement des tribus grecques dans l’île. Ailleurs l’épopée parle de ses<br />

quatre-vingt-dix ou cent villes et on souligne par là l’importance de son<br />

peuplement. Virgile, dans I’Énéide, reprend les points essentiels : la<br />

position, la population et la richesse de la Crète, et y voit le berceau<br />

des <strong>La</strong>tins qui descendent des Troyens par Anchise et Énée. <strong>La</strong> guerre<br />

de Troie est le dernier grand événement historique avant la fin de la<br />

<strong>civilisation</strong> minoenne et l’arrivée des Doriens. Idoménée, roi de Cnos-<br />

sos, chef des forces crétoises dans cette expédition, et son compagnon<br />

Mérion, étaient considérés comme les derniers descendants de la race<br />

royale de Minos. L’élément achéen, depuis longtemps installé dans l’île,<br />

se renforça sitôt après la guerre de Troie, si l’on en croit les traditions<br />

concernant la fondation de villes par Agamemnon et sa suite (comme le<br />

héraut Talthybios) au retour de la guerre : <strong>La</strong>ppa, Mycènes, Tégée et<br />

Pergame. Les représentants de la tribu dorienne qui s’installèrent en<br />

Crète voulurent souvent faire croire que leurs chefs descendaient de<br />

vieilles familles crétoises et ils fabriquèrent de fausses généalogies ; Tec-<br />

tamos, Apteros et Itôné par exemple, sont des personnages inventés à<br />

partir de noms de vieilles ou de nouvelles villes.<br />

Dans la tradition grecque, que la tradition gréco-romaine a suivie de<br />

près, le souvenir d’un âge d’or en Crète est demeuré très net : celui<br />

d’une grande <strong>civilisation</strong> qui s’est éteinte, d’une religion unique qui ont<br />

fait croire, même à l’époque hellénique tardive, que l’île était sacrée,<br />

d’une puissance maritime qui avait dominé le monde égéen continental<br />

et insulaire par une colonisation étendue. Diverses généalogies locales<br />

grecques sont liées aux généalogies crétoises, et leurs racines remontent<br />

à des dieux, des héros ou des héroïnes créés sur les noms de vieilles<br />

divinités crétoises comme Europe, Pasiphaé, Britomartis, Dictynna et<br />

Akakallis. Et nous ne sommes pas en position de savoir si les quelques


introduction 31<br />

noms conservés, des noms de rois ou de héros-chefs comme par exem-<br />

ple Minos, Rhadamanthe, Sarpédon, Lycastos, Deucalion, Katreus,<br />

Glaucos, Androgée, Idoménée, Mérion et Molos, représentent des per-<br />

sonnages historiques réellement liés aux événements qui ont été mis en<br />

rapport avec eux, ou s’ils ont été fabriqués intentionnellement. <strong>La</strong> tradi-<br />

tion concernant Minos était particulièrement vivante ; Homère le pré-<br />

sente comme &~LOT


32 LA CIVILISATION l%l?ENNE<br />

même inintelligibles, au moins pour un esprit grec. Les Grecs ne distinguèrent<br />

jamais complètement ces deux (ou plus ?) personnalités, qui<br />

pourraient bien représenter deux points de vue différents, l’un international,<br />

l’autre national, chauvin, sur une même réalité historique. De<br />

toute façon ils semblaient avoir conscience que Minos était en rapport<br />

direct avec un monde préhellénique très civilisé, mais dont ils parlaient<br />

toujours de façon vague, exactement comme ils parlaient des Pélasges,<br />

les habitants les plus anciens de leur pays.<br />

Cnossos (la capitale du royaume de Minos) était imaginée comme une<br />

grande ville avec de larges rues, et il est évident qu’ils croyaient que sa<br />

domination s’étendait sur toute l’île ainsi que sur une partie du continent<br />

helladique et des îles de l’Égée. Même s’ils ne parlaient pas<br />

d’autres royaumes, ils admettaient leur existence ; les autres personnages<br />

dont il est question et qui sont liés à Minos dont ils sont parents, Rhadamanthe,<br />

Sarpédon et Lycastos étaient associés dans la tradition à<br />

trois régions de Crète, Phaistos - Phaistos, le fondateur de la ville<br />

était lui aussi un parent de Minos -, Milatos, près de Malia, el Lycastos<br />

près de Kanli Kastelli ; ce n’est évidemment pas un hasard si on<br />

trouva, justement dans ces régions, les vestiges de palais minoens. De<br />

Minos et de Rhadamanthe on disait qu’ils avaient uni (( les ethnies de<br />

l’île sous un même commandement n. Naturellement cette unité intérieure<br />

fut la base de la célèbre paix crétoise qui rendit possible la thalassocratie<br />

et la colonisation.<br />

<strong>La</strong> répartition des tribus dans l’île, dont fait mention Homère, n’est<br />

pas nette. Strabon nous transmet des indications peu précises provenant<br />

de l’historien Staphylos - qui a peut-être vécu au début du IIIe siècle<br />

av. J.-C. - à savoir que les Doriens occupaient la partie orientale, les<br />

Étéocrétois le sud avec pour centre principal Praisos, les Achéens et les<br />

Pélasges les principales plaines. Les Cydoniens étaient installés en Crète<br />

occidentale - ’IapdQuou &


In froduction 33<br />

truit, à Cnossos - après un oracle delphique rendu à Minos, qui cher-<br />

chait à celer le scandale de la mise au monde du Minotaure par Pasi-<br />

phaé - la merveille d’architecture qu’était le labyrinthe ; c’était un<br />

bâtiment qui, par son incroyable complexité de couloirs, rendait particu-<br />

lièrement difficile à celui qui se trouvait à l’intérieur l’accès vers la sor-<br />

tie. C’est là que fut enfermé le Minotaure et qu’il vécut avant d’être<br />

exterminé par Thésée. <strong>La</strong> tradition attique parlait surtout de Dédale :<br />

par chauvinisme elle voulait qu’il fût Athénien, prisonnier à Cnossos,<br />

sous la surveillance de Minos, surveillance qu’il trompa, avec son fils<br />

Icare, en fabriquant la première machine volante du monde. Les anciens<br />

Grecs présentèrent symboliquement le labyrinthe comme un méandre<br />

très compliqué, et la Cnossos hellénique utilisait ce thème comme<br />

symbole monétaire. Thésée, après son exploit, surmonta la difficulté et<br />

réussit à sortir en utilisant une pelote de ficelle - le fameux fil<br />

d’Ariane - que lui avait donnée la fille de Minos follement éprise de<br />

lui. Les Crétois de l’époque hellénique s’acharnèrent à démentir ces tra-<br />

ditions attiques, en donnant des explications naturelles sur ie générai<br />

Tauros (Taureau) et la prison où il avait été enfermé. D’autres soute-<br />

naient que le modèle du labyrinthe crétois était la construction très<br />

complexe (douze cours et plus de trois mille appartements à l’intérieur<br />

d’une enceinte carrée) qui avait été édifiée en Egypte près du lac de<br />

Mœris dans le Fayoum par le pharaon Amenemhat III et dont nous<br />

parle Hérodote. Mais si le labyrinthe fut, à juste titre, rapproché du<br />

palais de Cnossos qui, dès sa première édification, était particulièrement<br />

complexe, c’est le labyrinthe crétois qui a priorité sur le monument<br />

égyptien construit à la fin du XIXe siècle av. J.-C. Plus tard, quand on<br />

chercha en vain à Cnossos les traces de ce monument étrange et unique,<br />

on mit le labyrinthe en rapport avec les carrières de Gortyne, particuliè-<br />

rement compliquées et vraiment labyrinthiques. Dans un autre chapitre<br />

on exposera les arguments qui étayent la correspondance exacte avec la<br />

réalité historique.<br />

Le Dédale mythique représente l’esprit créateur crétois et le mot<br />

daidah en vint à désigner la création artistique sous ses différentes for-<br />

mes ; à partir de là on forma le verbe daiddlw : exécuter des travaux<br />

divers et l’adjectif daid6kas : très varié. Pour expliquer la présence de<br />

Dédale en Crète les Athéniens imaginèrent qu’il avait tué par jalousie<br />

son neveu et apprenti Calos ou Perdix et qu’après sa condamnation par<br />

l’Aréopage il s’était réfugié secrètement en Crète, à la cour de Minos<br />

qui exploita son talent artistique. Le fait qu’il fut toujours considéré<br />

comme un grand inventeur, fabriquant les outils les plus efficaces - la<br />

scie, le compas, le tour de potier -, un architecte et urbaniste comme


34 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

seule la Crète minoenne en connut, suffit à montrer que sous son nom<br />

c’est toute la création crétoise qui est représentée. Sculpteur, mais aussi<br />

artisan très ingénieux, il fabriqua, selon la légende, la vache mécanique<br />

qui aida la reine Pasiphaé à s’unir au taureau divin. I1 fut à l’origine de<br />

statues qui respiraient et bougeaient et on lui attribuait les premières<br />

xoana ; il était donc normal qu’on donnât le nom (( d’art dédalique H<br />

au premier art des sculpteurs et statuaires grecs qui réussirent à libérer<br />

les formes et à leur donner du souffle. En tant que tisserand c’est lui<br />

qui fournit le fil à Ariane. Mais ses travaux ne furent pas limités à la<br />

Crète et à l’Attique. I1 laissa des chefs-d’œuvre partout où il demandait<br />

asile, en Italie méridionale et en Sicile par exemple. Dans la région de<br />

Mégara Hyblaia il construisit une gigantesque vasque d’où partait un<br />

fleuve qui se déversait dans la mer. Dans une grotte de la région de<br />

Sélinonte il aménagea des bains chauds avec les vapeurs de la terre. A<br />

Camicos, pour le roi Cocalos qui lui donna asile à sa cour, il construisit<br />

de merveilleuses fortifications qu’on pouvait défendre avec très peu<br />

d’hommes. Sur l’Éryx toute proche il construisit, au-dessus du préci-<br />

pice, un grand contrefort pour élargir la colline et aménager un vaste<br />

espace pour le sanctuaire d’Aphrodite Érycine. Ses créations furent célè-<br />

bres même en Sardaigne.<br />

Les rapports étroits des Crétois - non pas, bien sûr ceux de l’époque<br />

hellénique - avec la mer étaient restés si vifs dans la tradition qu’un<br />

proverbe disait : (( le Crétois ignore la mer n, en parlant de ceux qui<br />

feignent d’ignorer ce qu’ils savent très bien. Mais l’idée de thalassocra-<br />

tie naquit de la conviction que les Crétois, avec leur flotte de guerre et<br />

leur flotte marchande, avaient réussi à fonder des comptoirs commer-<br />

ciaux dans tous les points essentiels de l’Égée, qu’ils avaient délogé tous<br />

ceux qui s’adonnaient à des entreprises pirates ou qui exploitaient<br />

d’importantes sources de richesse, et qu’ils avaient établi des colonies<br />

sur une grande échelle, non seulement dans l’Égée mais aussi dans le<br />

reste du bassin méditerranéen. Minos avait chassé de l’Égée et des îles,<br />

les Lélèges et les Cariens et il avait utilisé ces derniers, plus expérimen-<br />

tés sur mer, pour ses propres bateaux. <strong>La</strong> tradition n’avait pas gardé<br />

une idée très claire du genre de bateaux qu’utilisait Minos ; on disait<br />

que pour mieux combattre les pirates il avait inventé une embarcation<br />

rapide et légère, 1’« épaktrokelès », qu’il fut le premier à construire des<br />

navires de guerre pour poursuivre Dédale réfugié en Sicile - enfrei-<br />

gnant ainsi l’accord qu’il avait conclu avec Thésée, de ne pas affréter<br />

de bateaux avec plus de cinq hommes d’équipage, à l’exception de la<br />

nef Argo qui était chargée de poursuivre les pirates. <strong>La</strong> catastrophe de<br />

cette expédition maritime, où Minos trouva la mort, assassiné par ruse


Introduction 35<br />

dans le palais même de Cocalos, roi de Camicos, mit fin à la thalasso-<br />

cratie crétoise.<br />

Les traditions concernant l’étendue de la colonisation et les expédi-<br />

tions de Minos étaient très diverses et se révélaient à travers des varian-<br />

tes locales. Elles n’allaient pas sans exagération : on ne faisait pas seule-<br />

ment état d’une thalassocratie crétoise, mais d’une domination sur la<br />

Grèce continentale. Les récits mensongers de l’ingénieux Ulysse qui se<br />

faisait passer pour un aventurier crétois exceptionnellement entreprenant<br />

sur mer, se font l’écho, même de loin, de la tactique crétoise. Ulysse<br />

raconte à Eumée (1 199 ss.), avec force détails, qu’enfant naturel d’une<br />

famille très riche et très nombreuse, il fut obligé de s’expatrier après la<br />

mort de son père : il avait été lésé dans l’héritage par ses demi-frères, il<br />

avait le caractère d’un aventurier, le goût du risque et il ne pouvait se<br />

contenter de I’oilcwqrAiq (les soins de la maison). Aussi avait-il entrepris<br />

neuf expéditions maritimes particulièrement réussies, amassant de gran-<br />

des richesses et se faisant une réputation. Son association avec Idomé-<br />

née dans la longue aventure troyenne lui ayant donné l’habitude de la<br />

guerre, revenu depuis un mois à peine il avait entrepris une autre expé-<br />

dition en Égypte, expédition qui avait tourné à la catastrophe à cause<br />

de la légèreté de ses coéquipiers ; lui-même n’avait échappé à la mort<br />

que grâce à la pitié du roi local ; il était donc resté là-bas sept ans,<br />

amassant des biens, avant d’être dupé par un Phénicien roué qui l’avait<br />

invité à le suivre dans son pays, puis en Libye, avec l’intention de l’y<br />

vendre comme esclave. Le naufrage de son bateau, frappé par la fou-<br />

dre, lui créa alors de nouveaux ennuis qui l’amenèrent finalement dans<br />

le pays des Thesprôtes où le roi Pheidon lui offrit l’hospitalité, lui dit<br />

ce qu’il savait d’Ulysse et s’occupa de son retour dans sa patrie. Mais,<br />

encore une fois, c’est tout juste s’il échappa aux mauvaises intentions<br />

de l’équipage du bateau en s’enfuyant vers Ithaque. Dans le deuxième<br />

récit mensonger (T 165 ss.) qu’Ulysse fait à sa femme Pénélope avant<br />

que celle-ci l’ait reconnu, il se présente comme fils de Deucalion et frère<br />

d’Idoménée et insiste sur le fait qu’il a généreusement accordé I’hospita-<br />

lité à Ulysse et ses compagnons en Crète. Ces récits sont très caractéris-<br />

tiques : les entreprises pacifiques devinrent très facilement des entrepri-<br />

ses pirates, les intentions réelles - l’exploitation - demeurèrent cachées<br />

derrière promesses et belles paroles et on n’était jamais sûr que les equi-<br />

pages des bateaux ne montreraient pas de dispositions de pirates ; les<br />

scrupules moraux ne pesaient guère face à la force et au danger repré-<br />

sentés par les adversaires étrangers.<br />

<strong>La</strong> tradition grecque nous fait suivre l’extension de l’État de Minos<br />

sur les îles de l’Égée et les côtes de la Méditerranée ; les principales


36 LA CIVILISATION ÉGBENNE<br />

colonies et les comptoirs commerciaux se trouvaient dans les Cyclades et<br />

les autres îles de l’Égée. Plus tard, c’est à peu près aux mêmes endroits<br />

que s’établirent les Phéniciens et leurs installations avaient un caractère<br />

analogue. Des informations postérieures confirmèrent que la première<br />

naumachie connue eut lieu pour l’occupation des Cyclades. A l’expan-<br />

sion coloniale sont liés les noms de personnages crétois connus : Minos,<br />

Rhadamanthe, Sarpédon et Glaucos. Nous rencontrons le premier dans<br />

la conquête des Cyclades. L’histoire de Dexithéa et de Minos se rap-<br />

porte à la colonisation de Kéa et du mouillage de Korissos. Après le<br />

meurtre de son fils Androgée, Minos organisa une expédition dans le<br />

golfe Saronique, aidé de bateaux qui se rassemblèrent dans différentes<br />

îles des Cyclades comme Siphnos et Anaphé ; au début, cette expédition<br />

le conduisit à l’isthme de Corinthe, position stratégique où il fit le siège<br />

de Nisa bien fortifiée ; celle-ci se rendit grâce à la traîtrise de la fille du<br />

roi Nisos, Scylla, qui, follement amoureuse de Minos, coupa pour lui<br />

une mèche des cheveux de son père qui se trouvait être le centre de sa<br />

force : cette histoire rappelle de près celle de Samson et Dalila. Mais la<br />

coalition de l’Attique et d’Égine ne put être abattue que par des trem-<br />

blements de terre et la famine qui s’ensuivit. C’est alors que fut imposé<br />

le versement d’un terrible tribut de sang, sept jeunes gens et sept jeunes<br />

filles qui devaient être envoyés tous les neuf ans au Minotaure.<br />

<strong>La</strong> colonisation la plus importante eut lieu sous le commandement du<br />

frère de Minos, Rhadamanthe, qui avait toujours gardé avec ce dernier<br />

de bonnes relations en Crète. II étendit sa domination sur les îles et sur<br />

la côte d’Asie Mineure où sa législation, d’origine divine et renouvelée<br />

par le dieu tous les neuf ans, fut spontanément acceptée. C’est là qu’il<br />

installa plus tard, comme chef, son fils Érythros. Des personnages de sa<br />

suite s’établirent dans d’autres îles : Chopion à Chios - où il répandit<br />

la culture de la vigne -, Anios à Délos - celui-ci avait pour père<br />

Staphylos et pour filles OEnotrope (ou d’après l’épopée chypriote,<br />

(=Eno), Spermô et Élaïs, noms qui personnifient les cultures qui se déve-<br />

loppèrent avec la colonisation et permirent par la suite, d’approvision-<br />

ner la flotte en route vers Troie. Andréas, fils d’Anios, colonise Andros<br />

avec l’accord de Rhadamanthe et là, il distribue à ses compagnons<br />

d’autres îles des Cyclades. Alkaios s’établit à Paros où s’étaient installés<br />

des Pélasges et des Arcadiens ; quand Héraklès visita l’île, il y trouva<br />

des descendants de Minos. L’agglomération de Minoa à Paros rappelait<br />

toujours l’installation crétoise ; on désignait du même nom Siphnos,<br />

célèbre pour ses mines d’or, et Amorgos ; peut-être un premier établis-<br />

sement parien à Thasos servait-il de prétexte pour rattacher l’île aux<br />

enfants d’Androgée. Thoas, lui, s’installa à Lemnos et l’île de Sicinos


Introduction 37<br />

fut colonisée par le fils de Thoas, Sicinos. Staphylos de Cnossos s’ins-<br />

talla à Péparéthos - devenue Skopélos - et depuis cette époque l’île<br />

devint célèbre pour ses vignes et ses excellents vins. Staphylos aban-<br />

donna Engyeus à Kyrnos - ou plutôt Kythnos, car il serait étrange<br />

qu’il s’agisse de la péninsule de Kyrnos en face de Rhodes. Les compa-<br />

gnons de Rhadamanthe arrivèrent jusqu’à Maronée en Thrace, où s’éta-<br />

blit Évanthès dont le fils Maron offrit à Ulysse le bon vin qui lui per-<br />

mit de dompter le cyclope Polyphème. Une installation crétoise à Naxos<br />

s’explique par le mythe d’Ariane, la fille de Minos, qui y fut abandon-<br />

née par Thésée qu’elle avait suivi après son exploit dans le labyrinthe de<br />

Cnossos. <strong>La</strong> tradition rattache surtout Rhadamanthe à l’Eubée (H 323)<br />

et à la Béotie ; il s’établit finalement à Ocalée, prit pour femme Alc-<br />

mène, la mère d’Héraklès, et fut enterré dans la région d’Haliarte.<br />

Selon la tradition, une autre expédition crétoise, avec pour chef<br />

Althaiménés - qui essaya par ce moyen d’échapper au parricide que<br />

l’oracle lui avait prédit -, prit pied à Rhodes où furent fondées les vil-<br />

les de Crétinia et Cameiros, ainsi qu’un sanctuaire au sommet de<br />

1’Atabyrion ; plus tard, le héros tua par erreur son père, Katreus, qui<br />

avait débarqué à Rhodes pour le chercher. Dans la région occupée par<br />

les Étéocrétois, en Crète orientale, on gardait, même à époque helléni-<br />

que, le souvenir de l’étroite parenté avec les plus anciens colons de<br />

Rhodes. Un autre courant colonisateur s’était dirigé vers la Carie et la<br />

Lycie, au nord-ouest de l’Asie mineure. Les relations de ces provinces<br />

avec la Crète et ses habitants ne furent jamais oubliées par la suite.<br />

Selon la tradition, Milétos, objet de rivalité amoureuse entre Sarpédon<br />

et Minos, fut chassé de Crète et trouva refuge en Carie où il fonda la<br />

ville qui porta son nom ; sans aucun doute, la région d’où il partit était<br />

la Milétos crétoise, près de laquelle furent découverts les restes du palais<br />

de Malia. 11 semble que c’est là qu’était établi Sarpédon, qui fut plus<br />

tard obligé de partir dans la région de Milyas - qui devint la Lycie, du<br />

nom de son descendant Lycos - parce que son frère Minos avait émis<br />

des prétentions sur sa propre région.<br />

L’avance coloniale des Crétois en Méditerranée occidentale, surtout<br />

en Sicile et en Italie méridionale, se rattache à la tradition de I’expédi-<br />

tion maritime de Minos poursuivant Dédale en fuite. Dédale s’était<br />

réfugié à Cumes près de Naples et reçut à la fin l’hospitalité de Coca-<br />

los, roi de Camicos, en Sicile. Le mythe ajoute un charmant récit : la<br />

présence de Dédale fut confirmée par la ruse du fil qui passe à travers<br />

la coquille d’un triton grâce à une fourmi. Pour empêcher la reddition<br />

du célèbre artisan, les filles du roi tuèrent Minos dans un bain très<br />

chaud. Son tombeau, près du sanctuaire d’Aphrodite, fut pendant des


38 LA CiViLiSATION ÉGÉENNE<br />

siècles un centre de cuite funéraire. Après la mort du chef, la flotte eut<br />

une fin malheureuse ; la plupart des bateaux furent brûlés par les indi-<br />

gènes et ce qui fut sauvé des équipages fut obligé de s’installer sur<br />

place ; les uns fondèrent la ville de Minoa, dans la région d’Agrigente,<br />

d’autres avancèrent à l’intérieur du pays et fortifièrent la colline<br />

d’Engyos, d’autres encore, après un naufrage en face de Iapygie, arrivè-<br />

rent en Messapie dans l’Italie méridionale et construisirent la ville<br />

d’Hyria. Sur cette base d’autres villes furent fondées. A Brindésion -<br />

aujourd’hui Brindisi - s’installèrent des Crétois venus de Cnossos avec<br />

Thésée et, plus tard, d’autres venus de Sicile. Les Parthénies de la suite<br />

de Palanthe, lui aussi d’origine crétoise, vinrent grossir le nombre des<br />

Crétois établis à Tarente. Une petite flotte qui partit de Crète et dont<br />

les bateaux devaient être offerts à Delphes - dîme du butin - avait<br />

dans l’équipage, en dehors de Crétois d’origine, des descendants des<br />

jeunes gens qui avaient suivi Thésée ; elle échoua sur les côtes d’Iapy-<br />

gie. Les habitants de ces installations prétendaient plus tard qu’ils des-<br />

cendaient des Crétois établis en Macédoine thrace, dans le pays des Bot-<br />

tiaees. Les colons d’Hydronte, en Italie méridionale, étaient Crétois et<br />

ceux qui, aux termes d’un oracle, construisirent la ville de Vienne, dans<br />

l’Isère (France) ; peut-être se rattachaient-ils aux habitants de Vienna -<br />

aujourd’hui Viannos. C’est en Italie que s’établit Idoménée, avec ce qui<br />

restait de ses équipages, après une terrible tempête ou, selon une autre<br />

tradition, après avoir été chassé par celui qui l’avait remplacé à Cnossos<br />

pendant l’expédition troyenne. Une autre tradition rapporte l’installation<br />

de Crétois et de Salentins venant d’Illyrie, après une guerre malheureuse<br />

contre les Magnétes, en Thessalie ; d’autres au contraire soutenaient que<br />

les Salentins eux-mêmes étaient venus de Lyctos, en Crète.<br />

<strong>La</strong> tradition prétend qu’on voyait dans presque toutes ces colonies les<br />

résultats d’une activité civilisatrice et religieuse.<br />

<strong>La</strong> Crète fut toujours considérée comme un lieu saint où l’on pouvait<br />

- encore à l’époque classique - puiser des forces particulièrement effi-<br />

caces, surtout dans le domaine des connaissances occultes ou suprater-<br />

restres. On croyait d’origine crétoise le célèbre magicien et devin<br />

Mélampous, qui exerça surtout en Messénie et en Argolide, et le purifi-<br />

cateur et devin Carmanor, qui travailla en Crète occidentale et dans<br />

la région de Tmôlos en Asie Mineure. Les Athéniens eurent recours<br />

au théosophe Épiménides pour purifier leur ville du crime de Cylon ;<br />

d’après la tradition, il avait été initié aux mystères crétois dans la grotte<br />

de l’Ida, là où, plus tard, fut initié Pythagore. Euripide, dans son<br />

œuvre Les Crétois, présente la danse des prêtres crétois célébrant des<br />

mystères de type dionysiaque dans la crypte d’un sanctuaire où un pilier


Introduction 39<br />

en cyprès soutenait des poutres entrecroisées taillées avec une hache en<br />

bronze. On pouvait, pensait-on, puiser sur la terre sacrée de Crète les<br />

leçons essentielles pour établir une législation d’origine divine, puisque<br />

c’est là que ses rois - Minos et Rhadamanthe - avaient reçu leurs<br />

lois, directement du dieu, dans des grottes ou au sommet de très hautes<br />

montagnes, comme d’autres Moïse. Où, ailleurs, Lycurgue de Sparte<br />

aurait-il pu acquérir son savoir législatif ?<br />

Mais les Crétois, même à l’époque hellénique, racontaient sur les<br />

dieux des choses étranges que les autres Grecs ne pouvaient pas croire.<br />

De là venait leur réputation de menteurs, comme le reconnaissait Épi-<br />

ménidès lui-même et comme Callimaque, le grammairien d’Alexandrie,<br />

le répétait dans son élégie bien connue : (( Les Crétois sont des men-<br />

teurs, puisqu’ils ont inventé pour toi, ô dieu souverain, un tombeau ;<br />

mais toi tu n’as jamais été mort : tu es immortel pour l’éternité. H<br />

En fait, Zeus Crétagène - résultant d’un syncrétisme entre le jeune<br />

dieu minoen et le Zeus grec - ne ressemblait pas du tout au dieu<br />

suprême de l’Olympe, immortel et tout-puissant, à la volonté inflexible<br />

et qui, d’un signe de tête, ébranlait les cieux ; pour qu’il naquît sans<br />

que son père Cronos l’avalât comme ses autres frères, il fallut que sa<br />

mère Rhéa fît preuve de ruse et le remplaçât par une pierre emmaillo-<br />

tée ; sa mère le cacha ensuite dans la grotte du Dikté où il grandit et<br />

fut nourri du lait de la chèvre Amalthée. Une autre tradition situait sa<br />

naissance dans la grotte de l’Ida où les Courètes couvrirent ses pleurs<br />

par le bruit de leur danse armée et où les abeilles assurèrent sa nourri-<br />

ture. Même à l’époque grecque on pouvait voir dans cette grotte le sang<br />

de sa naissance couler de très haut, d’un endroit difficilement accessi-<br />

ble, et on faisait face au trône dressé qui attendait son apparition<br />

impromptue. On le présentait comme le Grand Kouros, qui revenait<br />

chaque année avec sa suite de Courètes, apporter sur terre fertilité et<br />

prospérité. En fait ce dieu n’était pas immortel ; il mourait chaque<br />

année et renaissait au printemps ; sa mort était accompagnée de lamen-<br />

tations et de plaintes, sa résurrection de manifestations de joie et d’allé-<br />

gresse, très semblables à celles qui se déroulaient en Syro-Phénicie et,<br />

plus tard, en Basse Égypte pour Adonis. L’hymne de Zeus Diktaios<br />

trouvé à Palaikastro, en Crète orientale, nous fait part des croyances et<br />

des doctrines relatives au jeune dieu, croyances qui se maintinrent<br />

jusqu’à l’époque grecque tardive. Velchanos, une autre forme du jeune<br />

dieu, fut rattaché d l’arbre sacré et à l’oiseau du soleil ; à époque grec-<br />

que il recevait encore un culte dans les régions de Phaistos, Gortyne et<br />

Cydonia (si le nom du village d’Aichania ou Falchania, d’où vient le<br />

nom moderne de la ville de Chania - <strong>La</strong> Canée - est à mettre en rap-


40 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

port avec ce dieu). Le jeune taureau fut relié, dans les mythes crétois,<br />

aux hiérogamies d’Europe et de Pasiphaé, mère et femme de Minos : le<br />

taureau tout blanc sort de la mer à la prière de Minos qui, pourtant,<br />

préfère l’envoyer rejoindre ses troupeaux de Gortyne plutôt que de le<br />

sacrifier. Poséidon le punit en inspirant un amour contre nature à la<br />

reine Pasiphaé qui, avec l’aide de la vache mécanique de Dédale, réussit<br />

à s’unir au dieu-animal. Dans le cas d’Europe - la princesse phéni-<br />

cienne sœur de Cadmos -, Zeus-taureau réalise le rapt en Crète et la<br />

hiérogamie s’accomplit sous le platane toujours vert de Gortyne. Les<br />

mythologues virent dans Pasiphaé et Europe - fille de Téléphassa, la<br />

déesse qui brille de loin - des manifestations de la déesse lunaire :<br />

Pasiphaé la (( pleine lune », Europe la sombre, la (( lune en croissant N ;<br />

et dans l’union avec le taureau ils virent l’union du soleil et de la lune.<br />

En Crète on rendit un culte particulier à Rhéa - qui fut plus tard rap-<br />

prochée de la mère des montagnes, la Cybèle d’Asie Mineure - et à<br />

Eileithyia. <strong>La</strong> première, considérée comme une Titanide, femme de Cro-<br />

nos, était en rapport avec les grottes et leurs cultes bruyants ; c’est<br />

d’ailleurs dans l’une des grottes de Crète qu’elle cacha son nouveau-né.<br />

On pense que son nom est la transformation d’ha : la Terre. Peut-être<br />

le centre de son culte était-il I’Omphalion pédion de Thénais, dans la<br />

région d’Amnisos ; c’est là, selon la tradition, que tomba le cordon<br />

ombilical de Zeus nouveau-né lors de son transport vers Lyctos et le<br />

mont Aigaton. C’est elle-même qui, par l’empreinte de ses mains, créa<br />

les Dactyles dont les noms - Kelmis, Akmon, Dannameneus - et<br />

l’activité étaient liés à la métallurgie du cuivre, au même titre que ceux<br />

des Telchines qui, venus de Rhodes, s’installèrent en Crète et continuè-<br />

rent à travailler le cuivre sous la protection de la déesse. Eileithyia aussi<br />

fut particulièrement honorée en Crète et reçut un culte dans des grottes<br />

- celles d’Amnisos et d’Inatos par exemple - en tant que protectrice<br />

de la fécondité, de l’accouchement et de la maternité.<br />

D’autres divinités crétoises, dont les noms étaient bizarres pour les<br />

Grecs, comme Ariane, Acacallis, Britomartis et Dictynna étaient, à<br />

l’époque grecque, mi-déesses mi-héroïnes. <strong>La</strong> première, fille de Minos et<br />

de Pasiphaé, dont le nom signifie : toute pure (nduayq), est connue<br />

pour son aventure avec Thésée ; elle garda son caractère de déesse à<br />

Naxos (en liaison avec Dionysos), en Attique (en liaison avec Bacchus)<br />

et à Chypre où elle fut identifiée à Aphrodite. Acacallis, elle aussi fille<br />

de Pasiphaé, eut une liaison amoureuse avec Apollon à Tarra, dans le<br />

sud-ouest de la Crète, et fut exilée par son père Minos en Libye, où son<br />

fils Garamante devint le chef des Garamantes, peuplade pacifique.<br />

Dictynna fut identifiée à Britomartis mais il semble qu’au début il se


Introduction 41<br />

soit agi de deux dinivités différentes. Elles sont toutes deux des formes<br />

de l’Artémis chasseresse. Britomartis - son nom, d’après le diction-<br />

naire des idiomes d’Hésychius, signifiait (( douce vierge », sens que<br />

confirme l’auteur latin Solinus - était l’objet de l’amour passionné de<br />

Minos qui la poursuivait sur les hautes montagnes et sur les côtes de<br />

Crète ; pour lui échapper, elle fut obligée de sauter dans la mer d’un<br />

rocher abrupt ; des pêcheurs la ramassèrent avec leurs filets et depuis<br />

lors - ainsi dit le mythe - elle prit le nom de Dictynna. Mais ce nom<br />

n’était sûrement pas sans rapport avec le toponyme préhellénique<br />

Dikté )) que nous rencontrons en Crète centrale et orientale. Hors de<br />

Crète, Britomartis-Dictynna a été identifiée avec la déesse d’Égine<br />

Aphaia. Britomartis avait un caractère lunaire, et il semble qu’à<br />

Gortyne elle était liée ou identifiée à Europe ; c’est elle qui, selon les<br />

spécialistes, figure sur les monnaies de Gortyne, assise sur un arbre.<br />

Un autre dieu ou démon était adoré en Crète sous le nom de Talos,<br />

nom qui, d’après les lexicographes, signifiait Hélios. On ne doit pas le<br />

confondre avec l’élève et rival de Dédale, Talos ou Calos. D’après le<br />

mythe le Talos crétois était un géant de bronze, à tête de taureau pour<br />

certains, qui avait été donné par Zeus à Minos pour son service ; cer-<br />

tains pensaient que c’était Héphaistos qui l’avait fabriqué en Sardaigne<br />

et qu’il avait une seule veine du cou au talon ; un clou de bronze main-<br />

tenait le sang à cet endroit et c’était là son point faible. I1 faisait trois<br />

fois par jour le tour de l’île d’est en ouest et, tel un cyclope, lançait des<br />

rochers gigantesques sur tout étranger indésirable qui approchait l’île.<br />

Quand les habitants de Sardaigne voulurent approcher pour le ramener<br />

dans leur île, il se chauffa et les brûla en éclatant d’un rire (< sardoni-<br />

que P. Apollodore, dans ses Argonautiques, décrit l’aventure qu’eurent<br />

avec lui les Argonautes et sa mort inattendue de la main de Poïas. Des<br />

fêtes étranges se déroulaient en Crète, encore à l’époque classique, à<br />

Ellotia en Gortynie et sur le fleuve Théren, dans la région de Cnossos,<br />

où l’on célébrait l’hiérogamie du couple divin et où l’on baignait leurs<br />

statues. Des fêtes bruyantes et orgiastiques avaient lieu dans les grottes<br />

sacrées et sur les montagnes. <strong>La</strong> prylis et la pyrrhique, danses crétoises<br />

armées et particulièrement vives, se sont quelque peu perpétuées dans<br />

les danses crétoises d’aujourd’hui. <strong>La</strong> tradition du double tombeau de<br />

Minos à Camicos en Sicile, garde un souvenir de la dignité sacerdotale<br />

des Minoens ; ce tombeau était à étage et comportait un sanctuaire<br />

d’Aphrodite en haut et une chambre funéraire au sous-sol. Anios était<br />

roi-prêtre de l’île sacrée de Délos, et Virgile décrit les danses orgiasti-<br />

ques que les Crétois et les Dryopes exécutaient autour de l’autel d’Apol-<br />

ion ; c’était peut-être le même autel (( à cornes D que celui autour


42 LA CIVILISATION ÉGËENNE<br />

duquel les jeunes gens de la suite de Thésée dansèrent le (( géranos B,<br />

dont les méandres rappelaient les détours des couloirs du labyrinthe.<br />

Dans les mythes et les traditions du reste de la Grèce continentale et<br />

insulaire, on aperçoit très clairement ce qui est lié à l’expansion de la<br />

<strong>civilisation</strong> crétoise et aux fermentations intérieures, surtout du début de<br />

l’époque mycénienne, jusqu’à la descente et à l’établissement dans le<br />

pays des dernières tribus grecques. Au contraire, très peu d’éléments<br />

peuvent être rattachés aux périodes préhistoriques plus anciennes, l’âge<br />

de la Pierre, du Bronze ancien et du Bronze moyen. Les noyaux de ces<br />

mythes et de ces traditions évoquent pour la plupart les grands centres<br />

mycéniens du Péloponnèse (Argolide, <strong>La</strong>conie, Messénie et Triphylie,<br />

Élide, Arcadie), de la Grèce continentale (Attique, Béotie et Étolie-<br />

Acarnanie) et de la Grèce centrale (surtout la basse Thessalie et la<br />

Phthiotide). Les mythes caractéristiques et les traditions se font plus<br />

rares en montant vers le Nord, tout comme les centres mycéniens d’ail-<br />

leurs. Mais il faut souligner que tout sanctuaire grec connu se rattachait<br />

à la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> par des mythes et des traditions. <strong>La</strong> religion<br />

crétomycénienne marqua de son sceau les mythes sacrés.<br />

Ceux de l’Argolide arrivent les premiers et c’est normal puisque c’est<br />

là que fleurirent les centres mycéniens les plus importants. Dans la<br />

plaine d’Argolide, qui souffrait tant de la sécheresse, c’est le fleuve-<br />

torrent Inachos qui était la principale source de vie ; il était donc natu-<br />

rel qu’il fût considéré comme un chef de génos. Arbitre dans la dispute<br />

entre Héra et Poséidon pour la possession du pays, il prit le parti de la<br />

première qui devint ainsi la déesse protectrice. Mais la fille d’lnachos,<br />

Io, devint la rivale d’Héra et fut, pour cela, métamorphosée en génisse ;<br />

Argos fut désigné pour être son gardien aux innombrables yeux. Elle<br />

fut délivrée par Hermès qui réussit avec peine à tuer Argos et prit alors<br />

le nom d’Argéiphontès. Peut-être ce mythe avait-il pour base des con-<br />

ceptions religieuses et un culte du ciel, davantage soulignés dans les<br />

courses d’Io, conséquence de la vengeance d’Héra. Elle alla des régions<br />

hyperboréennes en Asie Mineure, en Syro-Phénicie et jusqu’en Égypte<br />

où elle reprit sa forme humaine. C’était une façon de lier l’histoire<br />

mythique de l’Argolide avec le pays du Nil. Avec son fils Épaphos -<br />

qui fut rapproché d’Apis - elle émigre en basse Égypte, les Courètes<br />

n’ayant pas réussi à faire disparaître le nouveau-né ; la recherche de<br />

l’enfant par sa mère, jusqu’à Byblos en Phénicie, est analogue à I’his-<br />

toire d’Osiris qu’Isis trouva à Byblos dans une colonne en bois du<br />

palais. Le lien avec l’Égypte paraît encore plus étroit dans le mythe de<br />

Danaos et de ses filles, les Danaïdes ; Danaos s’était disputé avec son<br />

frère Égyptos pour la possession du royaume d’Égypte. Enfin, il partit


Introduction 43<br />

pour la Grèce, traversant le Dodécanèse, pour éviter l’union de ses cin-<br />

quante filles avec les cinquante fils de son frère ; son installation en<br />

Argolide fut pacifique grâce à la complaisance du roi local, Gélanor ;<br />

les Pélasges, habitants du pays, s’assimilèrent avec les Danaens, de qui<br />

ils apprirent les Thesmophories. <strong>La</strong> terrible sécheresse que, par ven-<br />

geance, provoqua Poséidon, obligea les Danaïdes à aller chercher de<br />

l’eau à des sources lointaines et isolées ; près de l’une d’elles - dans la<br />

région de Lerne - eut lieu l’union du dieu et de la Danaïde Amy-<br />

moné ; les fils d’Égyptos obligèrent les Danaïdes à les épouser après un<br />

long siège d’Argos, mais ils trouvèrent la mort par ruse, la nuit même<br />

de leurs noces ; seul Lyncée échappa à la mort grâce à Hypermnestre.<br />

Aux Enfers, les Danaïdes furent condamnées pour leur impiété à puiser<br />

sans cesse de l’eau pour remplir des jarres sans fond. Le fils d’Amy-<br />

moné et de Poséidon, Nauplios, construisit la ville qui porte son nom.<br />

Les descendants de Lyncée et de la Danaïde Hypermnestre, les deux<br />

frères Proetos et Acrisios, se disputèrent la possession d’Argos et de la<br />

plaine d’Argolide. Le premier est obligé de s’enfuir en Lycie, y épouse<br />

la reine Antéia ou Sthénébée et, avec l’aide de son beau-père Iobatès,<br />

revient en Argolide et s’empare de Tirynthe, qu’il fortifie avec l’aide<br />

des Cyclopes venus avec lui de Lycie. <strong>La</strong> vie de Proetos fut troublée<br />

par l’histoire de sa femme et de Bellérophon - très comparable à celle<br />

de Joseph et de la femme de Putiphar - et par la nymphomanie de ses<br />

filles, finalement soignées par la purification de Mélampous qui exigea<br />

des compensations. <strong>La</strong> famille royale des Perséides est liée aux premiers<br />

rois d’Argos par le mythe de Danaé et de Persée. Pour échapper à ce<br />

que lui avait révélé un oracle delphique - qu’il serait détrôné et tué<br />

par son petit-fils - Acrisios enferma sa fille Danaé dans une chambre<br />

de bronze ; malgré tout, elle réussit à se faire féconder par la pluie d’or<br />

de Zeus ; la mère et le nouveau-né - il s’agit de Persée - furent<br />

enfermés dans un coffre qui fut jeté à la mer et échoua sur le rivage de<br />

l’île de Sériphos ; suivent les travaux de Persée qui lui furent imposés<br />

par le roi local Polydectès : il revint, emportant la tête de Gorgone -<br />

Méduse - qui pétrifie celui qui lui fait face. Sur la côte phénicienne il<br />

libéra d’un monstre marin Andromède, fille du roi Céphée et de Cassio-<br />

pée. Ainsi Danaé et Persée revinrent à Argos mais Acrisios partit chez<br />

les Pélasges de Thessalie pour échapper à l’accomplissement de l’oracle ;<br />

celui-ci se réalisa malgré tout, par accident, lors des jeux funèbres aux-<br />

quels Persée avait pris part en Thessalie. Rongé de remords, le héros est<br />

obligé d’échanger le trône d’Argos contre celui de Tirynthe qu’occupait<br />

le fils de Proetos, Mégapenthès. A partir de Tirynthe il étendit sa domi-<br />

nation sur les régions de Midéa et de Mycènes qu’il fortifia de façon


44 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

imposante. <strong>La</strong> dynastie des Perséides, par Électryon et Amphytrion,<br />

arriva jusqu’à Héraclès et ses descendants, toujours avec Tirynthe pour<br />

centre. Mais à Mycènes, une autre dynastie prit très vite le pouvoir, la<br />

dynastie des Pélopides, connue dans la tradition pour sa force et la ter-<br />

rible malédiction qui pesait sur elle et la mêla à de terribles catastro-<br />

phes. Ses aventures alimentèrent grandement la tragédie grecque anti-<br />

que. Le pouvoir de droit divin fut successivement, d’après Homère,<br />

entre les mains de grands chefs, comme Pélops, Atrée, Thyeste et Aga-<br />

memnon.<br />

D’après la tradition, la dynastie venait de Lydie, en Asie Mineure,<br />

par son roi Tantale ; c’est lui qui fut à l’origine de la malédiction<br />

divine : par orgueil il voulut acquérir des apanages divins, en dérobant<br />

l’ambroisie et le nectar des dieux et, pis encore, il humilia les dieux en<br />

leur servant, au cours d’un banquet, de la viande qui n’était autre que<br />

son propre fils, Pélops, massacré par lui. On connaît bien la punition<br />

que ce crime lui valut aux Enfers. Pélops, ressuscité par les dieux,<br />

gagne, grâce à un combat de chars en Élide, la princesse Hippodamie<br />

- fille du roi OEnomaos - et le royaume, mais non sans ruse. Du<br />

mariage de sa fille Nicippé (ou Archippé) avec le Mycénien Sthénélos<br />

naquit Eurysthée, dont les oncles étaient donc Atrée et Thyeste. Ces<br />

derniers montèrent chacun à leur tour sur le trône et furent les premiers<br />

représentants de la dynastie des Pélopides. Eurysthée, connu pour les<br />

travaux qu’il imposa à Héraclès, entra en conflit avec l’Attique et les<br />

Héraclides et y trouva la mort. C’est alors que le peuple de Mycènes<br />

choisit Atrée pour roi, Atrée qui avait été désigné par Eurysthée pour le<br />

remplacer ; là commence la haine effrénée entre les deux frères. Le lien<br />

illégitime de la femme d’Atrée, Aéropé - fille du Crétois Katreus ou<br />

de Minos -, avec Thyeste, servit de prétexte à l’exil de ce dernier qui,<br />

visiblement, attendait le royaume. Toutefois, la colère d’Atrée ne se<br />

calme pas pour autant : il noie Aéropé et, à son frère qui revient en<br />

suppliant, il donne à manger ses propres enfants (« repas de Thyeste D).<br />

Finalement Thyeste devint maître du trône, après le meurtre de son<br />

frère Atrée par son fils Égisthe, mais il est lui-même détrôné par le fils<br />

d’Atrée, Agamemnon. Atrée s’était révélé comme un chef puissant et on<br />

montrait sur la route qui monte à l’acropole de Mycènes un grand bâti-<br />

ment en pierre où il mettait son trésor. Mais le pouvoir d’Agamemnon<br />

s’étendit aussi sur Corinthe et Aigialia, et sur des villes indépendantes<br />

entre la <strong>La</strong>conie et la Messénie. II prit pour femme Clytemnestre - fille<br />

de Tyndare, roi de Sparte - qui, sans cesse, complotait avec son neveu<br />

Égisthe pour le chasser du trône. Le prétexte fut trouvé dans la longue<br />

absence du roi à la guerre de Troie, malgré l’avertissement des dieux ;


Introduction 45<br />

Égisthe monta sur le trône prenant illégalement pour femme Clytemnes-<br />

tre, qui avait bien des raisons de haïr son véritable époux. Agamemnon<br />

fut tué à son retour par le couple illégitime, en même temps que Cas-<br />

sandre et le reste de sa suite. Le meurtre eut lieu quand il prenait son<br />

bain, par ruse. <strong>La</strong> tradition locale mycénienne parlait des tombeaux du<br />

roi et de sa suite qui se trouvaient sur l’acropole de Mycènes, tandis<br />

que les tombeaux des (( condamnables P - Égisthe et Clytemnestre qui,<br />

plus tard, furent tués par le propre fils d’Agamemnon, Oreste, et par sa<br />

fille, Électre - étaient en dehors de l’enceinte. Égisthe resta sept ans<br />

sur le trône. Le matricide d’Oreste fit qu’il ne put monter sur le trône<br />

que bien des années plus tard ; la poursuite des Érinyes fut implacable<br />

et le conduisit à la folie ; il ne fut tranquille qu’après la proclamation<br />

de son innocence par l’Aréopage d’Athènes et l’apaisement des Érinyes<br />

auxquelles on rendit alors un culte sous le nom de Semnais et d’Eumé-<br />

nides.<br />

Pendant tout ce temps, c’est le fils d’Égisthe, Alétès qui occupait illé-<br />

galement le trône de Mycènes avant d’être tué, lui aussi, par Oreste.<br />

C’est Tisaménos, qui lui succéda, fils d’Oreste et d’Hermione, la fille de<br />

Ménélas, sa cousine. Tisaménos fut finalement chassé par les Héraclides<br />

et s’enfuit en Achaïe.<br />

Si les dynasties Perséide et Pélopide étaient étroitement liées à Mycè-<br />

nes, les Héraclides, eux, eurent pour centre principal Tirynthe. Le père<br />

d’Héraclès avait été exilé par Sthénélos son oncle, alors roi de Mycènes<br />

et de Tirynthe, pour le meurtre involontaire du roi Electryon ; Amphy-<br />

trion et sa femme, Alcmène, se réfugièrent donc à Thèbes où naquit,<br />

après une substitution de Zeus, Héraclès ; une ruse d’Héra fit que celui-<br />

ci, au lieu d’hériter du trône de Mycènes, fut réduit à se soumettre aux<br />

volontés d’Eurysthée lequel prit la place qui revenait de droit à Héra-<br />

clès. Tout bébé celui-ci montra sa force en étouffant les serpents qui<br />

assaillaient son berceau ; mais sa vigueur se développa sous toutes les<br />

formes grâces à une éducation appropriée et à des exercices ; il com-<br />

mença ses exploits très jeune, en exterminant le lion du Cithéron et la<br />

bête féroce de Teumessos, il se montra très fécond en s’unissant aux<br />

cinquante Thespiades. En vainquant les Minyens, il délivra les Thébains<br />

de la sujétion et inonda le lac Copaïs en obstruant les canaux de déver-<br />

sement. Un peu après, il vainquit le roi d’Eubée et se conduit très dure-<br />

ment envers lui ; aussi Héra le jeta-t-elle dans une terrible folie qui<br />

l’amena à tuer ses propres enfants qu’il avait eus de Mégara, et deux<br />

enfants de son frère Iphiclès. Pour expier ses crimes, il exécuta les tra-<br />

vaux que lui imposait Eurysthée.<br />

Le cadre dans lequel se déroulèrent les travaux - en partant de


46 LA CIVILISATION BGEENNE<br />

Tirynthe - fut d’abord le Péloponnèse : le lion de Némée dans la<br />

région de Cléonai en Argolide, l’hydre de Lerne dans la région des<br />

marais, la biche de Cérynie dans les montagnes d’Arcadie, le sanglier<br />

d’Érymanthe en Arcadie - épisode relié aux Centaures de la montagne<br />

Pholoé -, le nettoyage des écuries d’Augias en Élide - qu’il réalisa<br />

avec le concours des fleuves Alphée et Pénée -, les oiseaux dangereux<br />

du lac Stymphale, le taureau furieux de Crète dans la région de Mycè-<br />

nes. Puis les travaux eurent lieu dans des régions éloignées, réelles ou<br />

imaginaires : les chevaux sauvages de Diomède, roi des Vistones en<br />

Thrace, l’acquisition de la ceinture de l’Amazone Hippolyte dans la<br />

région de Thémiscyra, sur le Pont-Euxin, le troupeau du triple Géryon<br />

dans l’île imaginaire d’Érythie, en face de la ville réelle de Tartessos,<br />

dans la péninsule Ibérique - épisode qui fut relié à une foule de cour-<br />

ses d’Héraclès dans différentes régions de la Méditerranée -, le rapt<br />

des pommes des Hespérides dans la région imaginaire d’Atlas, qui prêta<br />

son concours à Héraclès ; enfin il vainquit Cerbère, gardien de l’Hadès<br />

dont l’entrée se trouvait, croyait-on, dans une grotte du cap Tenare en<br />

<strong>La</strong>conie.<br />

Mais d’autres exploits d’Héraclès ont eu la forme d’expéditions dans<br />

des pays proches ou lointains, toujours avec des résultats extraordinai-<br />

res. Souvent ils étaient combinés avec des travaux exécutés pour des<br />

héroïnes. I1 se mesura à l’arc avec Eurytos pour Iolé ; il fut vainqueur<br />

mais Eurytos se moqua de lui et le héros tua, plus tard, son fils Iphi-<br />

tos ; plus tard encore, il lança une expédition contre CEchalie et contre<br />

Pylos, parce que le roi Nélée avait refusé de le purifier du meurtre et<br />

parce que son fils, Nestor, avait aidé les Éléens dans l’expédition qu’il<br />

avait lancée contre eux. En <strong>La</strong>conie, avec l’aide du roi de Tégée,<br />

Céphée, il voulut punir les enfants du roi Hippocoon. Héraclès eut<br />

d’Auge, la sœur de Céphée, un fils, Télèphe. Le mythe de Télèphe se<br />

rattache à une installation arcadienne en Mysie. Une autre expédition<br />

d’Héraclès à Pleuron en Étolo-Acarnanie, pour la conquête de Déjanire<br />

cette fois, met le héros aux prises avec le dieu-fleuve tout-puissant<br />

Achéloos. Son expédition à Troie avait comme but de libérer d’un<br />

monstre la fille du roi local <strong>La</strong>omédon, Hésioné ; ce roi viola l’accord<br />

qu’ils avaient conclu à ce sujet et la conquête de la ville s’ensuivit.<br />

L’épisode de son esclavage chez la reine de Lydie, Omphale, fut consi-<br />

déré comme une sorte de purification pour le meurtre d’Iphitos. Dans<br />

la région d’Éphèse, en Asie Mineure, le héros dompta les Ceriopes-<br />

singes. Parmi ses dernières luttes on citera celle contre les Dryopes du<br />

Parnasse, le duel avec le fils d’Arès, Cycnos, à Phthia et la lutte à<br />

CEchalie pour la conquête d’Iolé. C’est la, sur le mont Oeta de Trachis,


Introduction 41<br />

que le héros trouva la mort, en revêtant la tunique teinte dans le sang<br />

du Centaure Nessos, que Déjanire, jalouse, lui avait envoyée et qu’il<br />

prit pour un philtre d’amour. <strong>La</strong> partie immortelle de l’âme d’Héraclès<br />

reçut l’apothéose après sa mort, et le héros fut accueilli triomphalement<br />

dans l’Olympe.<br />

D’après la tradition, les descendants d’Héraclès furent chassés<br />

d’Argolide, de Béotie et de la région de Trachis ; après de longues cour-<br />

ses errantes, ils furent accueillis en Attique par le roi Démophon ; ceci<br />

provoqua une guerre avec les Mycéniens d’Eurysthée et celui-ci y trouva<br />

une mort tragique. Les différentes tentatives des Héraclides pour se<br />

réinstaller en Argolide ne réussirent qu’après trois générations ; ils<br />

revinrent grâce à l’aide des Doriens, sous le commandement de Témé-<br />

nos, de Cresphontès et des frères jumeaux Proclès et Eurysthénès et<br />

sous la conduite de I’Étolien Oxylos ; ils passèrent dans le Péloponnèse<br />

par le golfe de Corinthe. Le dernier roi de Mycènes, Tisaménos, fut<br />

exterminé et le Péloponnèse fut finalement partagé en quatre par les<br />

chefs.<br />

Les mythes corinthiens se rattachent autant au monde éolien de 1730-<br />

lie, la Béotie et la Thessalie qu’à l’Argolide ou la Lycie (Asie Mineure).<br />

Le chef de génos, Sisyphe, est présenté dans la tradition mythique<br />

comme l’homme le plus rusé du monde et son descendant, Ulysse,<br />

hérita de cette ingéniosité par l’intermédiaire d’Anticlée, la fille d’un<br />

autre homme rusé, renommé pour ses vols, Autolycos. C’est dans la<br />

région de Corinthe que s’exerça la plus grande partie de son activité<br />

jusqu’à l’isthme tout proche, mais ses perspectives s’étendaient jusqu’en<br />

Thessalie. Ayant dénoncé l’union de Zeus et d’Égine, il fut condamné<br />

dans les Enfers au supplice que l’on sait. De son fils Claucos - qu’il<br />

ne faut pas confondre avec Glaucos le fils de Minos - naquit Belléro-<br />

phon, principal héros de Corinthe mais que ses exploits relièrent à la<br />

Lycie ; Proitos l’envoya au roi de ce pays, Iobatès, porteur (( de signes<br />

funestes tracés sur un pli fermé B, pour qu’il fût exterminé ; après<br />

l’accusation calomnieuse de sa femme Antéia ou Sthénobée, Iobatès<br />

préféra lui confier des missions dangereuses : l’extermination de la Chi-<br />

mère - ce monstre bizarre qui était à la fois chèvre, lion et serpent -<br />

qu’il réussit, pensait-on, grâce à l’aide de Pégase, puis une expédition<br />

contre le peuple sauvage des Solymes.<br />

Les mythes laconiens et messéniens se rattachent étroitement aux<br />

mythes des autres régions du Péloponnèse. En <strong>La</strong>conie on considérait<br />

que le chef de génos indigène, père de I’Eurotas, était Lélex ; Amyclas<br />

et Hyacinthos sont ses petits-fils et personnifient le grand centre mycé-<br />

nien d’Amyclae et le jeune dieu Hyacinthos. Autre descendant de Lélex,


48 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Périérès prit pour femme la fille de Persée, Gorgophoné, et de celle-ci<br />

naquirent les autres rois de <strong>La</strong>conie et de Messénie : Hippocoon,<br />

Tyndare, Apharée et Leucippos. Le rapt des Leucippides par les Dioscu-<br />

res - les enfants de Tyndare, Castor et Pollux - témoigne de la riva-<br />

lité dynastique des deux régions pourtant voisines ; mais les Dioscures<br />

collaborent souvent avec les Apharides, Idas et Lyncée, à des enlève-<br />

ments de troupeaux dans l’Arcadie toute proche ; mais ils en arrivent à<br />

un antagonisme mortel. Le mythe de l’alternance de Castor et Polux<br />

aux Enfers est né, à ce qu’il semble, de conceptions religieuses. Leurs<br />

sœur Hélène, née de Léda par un œuf, comme les Dioscures - puisque<br />

le dieu s’était métamorphosé en cygne - fut enlevée par Thésée et<br />

devint la cause d’expéditions en Attique, avec les Dioscures pour chefs,<br />

qui devinrent plus tard protecteurs des jeux et des voyageurs. <strong>La</strong> belle<br />

Hélène servit aussi de prétexte à la longue expédition des Achéens con-<br />

tre Troie puisqu’elle se laissa enlever par Pâris. Son mari, le roi de<br />

Sparte Ménélas, fils d’Atrée et frère d’Agamemnon, continua à régner,<br />

même après la guerre, avec à ses côtés Hélène, toujours belle, à qui il<br />

avait pardonné. Après sa mort, celle-ci reçut l’apothéose et devint une<br />

divinité lunaire et de la végétation (a dendritès H).<br />

En Messénie - qui resta sans roi après la chute des Apharides -<br />

c’est Nestor, le fils de Nélée, qui prit en main le pouvoir royal. Nélée<br />

appartenait à la tribu des Minyens et vint de la région de Pagasai, en<br />

basse Thessalie, coloniser Pylos ; il entra - comme nous l’avons vu -<br />

en conflit avec Héraklès et Pylos fut détruite, puis reconstruite. Nestor<br />

étendit son pouvoir sur toute la Messénie, la Triphylie et la région de<br />

l’Alphée ; il régna pendant trois générations et prit part à la guerre de<br />

Troie. A son retour il garda son royaume pendant des années encore,<br />

jusqu’à ce que son fils, Pisistratos, lui succédât. Avec la descente des<br />

Héraclides son pouvoir passa aux mains de Cresphontès.<br />

Les traditions mythiques du Péloponnèse ont des liaisons avec les tra-<br />

ditions de la Grèce centrale et en particulier l’Attique, la Béotie, I’Éto-<br />

lie, l’Acarnanie, les régions de Phtia et du golfe de Pagasai.<br />

En Attique - Actique comme on l’appelait autrefois - Cécrops, le<br />

premier roi autochtone, croyait-on, avait arbitré la querelle entre Poséi-<br />

don et Athéna pour la domination et la protection du pays. Les signes<br />

de leur puissance divine, l’olivier sauvage et les traces du trident, étaient<br />

visibles sur l’Acropole, à l’Érechthéion. C’est d’Athéna que la ville<br />

principale prit son nom. Les successeurs de Cécrops furent Cranaos,<br />

Amphictyon et Érichthonios. Le fils de ce dernier, Pandion, est connu<br />

pour la triste histoire de ses filles, Procné et Philomèle qui, pour venger<br />

le viol commis par Térée, roi de Thrace allié, sur sa belle-sœur, tuèrent


introduction 49<br />

et lui offrirent à manger le propre fils qu’il avait eu de Procné, Itys.<br />

Des deux fils de Pandion, Boutés devint sacrificateur, l’autre, Érechthée<br />

succéda à son père et devint roi ; il combattit durement les Éleusiniens<br />

dont le chef était son neveu Eumolpos ; c’est pourquoi il fut exterminé<br />

par le père d’Eumolpos, Poséidon. Fils d’Apollon par la fille d’crech-<br />

thée, Créüse, Ion est à l’origine des Ioniens. L’autre fille d’Érechthée,<br />

Oreithyie, fut enlevée par Borée. Enfin, la troisième fille, Chioné, était<br />

la mère d’Eumolpos. Les successeurs d’Érechthée furent Cécrops II et<br />

Pandion II ; ce dernier fut chassé du trône par les enfants de Métion -<br />

autre fils d’Érechthée - et c’est ainsi qu’il devint roi de Mégare. Ses<br />

quatre enfants, Égée, Pallas, Nisos et Lycos, réussirent à récupérer le<br />

pays ; ils se le partagèrent et donnèrent la plus grande part a l’aîné,<br />

Égée, même si plus tard ils luttèrent contre lui.<br />

Après deux mariages sans enfants, Égée eut un garçon de la fille du<br />

roi Pitthée, Aithra, à Trézène. Mais beaucoup pensaient que la nuit<br />

même des noces, Aithra avait été unie à Poséidon et que le fils de ce<br />

dernier était Thésée. Pour reconnaître son fils, Égée mit sous un rocher<br />

très lourd une épée et une paire de sandales que le jeune homme pour-<br />

rait récupérer quand il serait devenu majeur. Les principaux exploits de<br />

Thésée se déroulèrent lors de sa marche harassante et périlleuse vers<br />

Athènes, en suivant les côtes nord de l’Argolide et de Corinthie et les<br />

difficiles passages de Mégaride. I1 extermina ainsi Périphétès à la mas-<br />

sue de bronze, dans la région d’Épidaure, et Sinis Pityokamptès (« qui<br />

courbe les pins ») à l’isthme de Corinthe ; il tua la truie sauvage de<br />

Crommyon, dans la région d’Isthmia et le dangereux Scyron sur un ver-<br />

sant abrupt de Mégaride (aujourd’hui Kaki Skala) ; dans la région<br />

d’Éleusis il vainquit à la lutte Cercyon et tua le dangereux bandit<br />

Damastès ou Procuste, sur le lit même où celui-ci essayait d’allonger les<br />

voyageurs. Avant de le reconnaître, son père Égée l’envoya exterminer<br />

le gigantesque taureau crétois de Marathon, sur le conseil de sa femme,<br />

Médée ; la reconnaissance eut finalement lieu grâce à l’épée que le héros<br />

leva contre son père lorsque - toujours sur le conseil de Médée - il<br />

voulut l’empoisonner.<br />

Bien des années auparavant, l’Attique était tombée sous la domina-<br />

tion de Minos et obligée de payer, tous les neuf ans, un terrible tribut<br />

de sang : sept jeunes gens et sept jeunes filles étaient envoyés pour lut-<br />

ter contre le Minotaure et, fatalement, succombaient dans le labyrinthe.<br />

Le prétexte de l’assujettissement avait été le meurtre du fils de Minos,<br />

Androgée, vainqueur aux jeux panathénaïques. D’autres pensaient qu’il<br />

avait été tué en luttant contre le taureau de Marathon. Thésée arriva à<br />

Athènes au moment où l’on préparait le tribut pour la Crète et il


50 LA CIVILISATION ÉGBENNE<br />

demanda à être l’un des jeunes gens qui s’apprêtaient à partir. I1 a déjà<br />

été question de l’exploit du héros en Crète. L’abandon d’Ariane dans<br />

l’île de Dia - que beaucoup assimilèrent à Naxos - se rattachait au<br />

cuite local de la déesse Ariane, associé à celui de Dionysos. A Délos les<br />

jeunes gens libérés dansèrent, autour d’un autel à cornes, la danse<br />

(( géranos ». Le suicide dramatique d’Égée, du haut du rocher de<br />

l’Acropole, était expliqué dans le mythe par l’erreur de Thésée qui avait<br />

oublié de changer les voiles noires du bateau et d’arborer les blanches.<br />

C’est ainsi que Thésée devint roi d’Attique ; il se disputa tout de suite<br />

avec les Pallantides, réussit à les exterminer et à devenir ainsi roi de<br />

toute la région. Suivirent ses combats au pays des Amazones, la capti-<br />

vité d’Antiopé et l’expédition des Amazones en Attique où Antiopé fut<br />

tuée en combattant aux côtés de son mari. Thésée eut alors de nou-<br />

veaux rapports avec la Crète et prit pour femme la fille de Minos, Phè-<br />

dre, de laquelle il eut Acamas et Démophon, alors qu’Antiopé lui avait<br />

donné Hippolyte. L’amour illégitime de Phèdre pour son beau-fils eut<br />

pour tragique conséquence la mort des deux amants. Une gigantesque<br />

vague fit s’emballer les chevaux du char d’Hippolyte et Phèdre, rongée<br />

de remords, se pendit. L’amitié de Thésée et du <strong>La</strong>pithe Pirithoos<br />

remontait à la lutte qu’ils avaient menée ensemble contre les Centaures,<br />

qui s’étaient manifestés lors du mariage de Pirithoos avec Déidamie, en<br />

Thessalie ; cette amitié se fortifia lors du rapt de la belle Hélène, qu’ils<br />

emmenèrent de Sparte à Aphidna, en Attique, et lors de l’entreprise<br />

téméraire de l’enlèvement de Perséphone pour Pirithoos ; mais ils restè-<br />

rent prisonniers aux Enfers, d’où Thésée seul fut délivré par Héraclès.<br />

<strong>La</strong> fin du héros attique fut tragique : exilé par le roi Ménesthée - un<br />

descendant d’Érechthée -, il se réfugia à Scyros, chez le roi des Dolo-<br />

pes, Lycomède, qui finalement le précipita traîtreusement dans un<br />

gouffre.<br />

Un autre mythe attique se rattachait au roi local du dème d’Icarie,<br />

Icarios ; il fut tué par des paysans ivres à qui il avait donné du vin non<br />

coupé ; son chien, Maera, conduisit au tombeau sa fille Érigoné, qui se<br />

pendit de chagrin au pin qui ombrageait la tombe. C’est alors qu’on<br />

institua la fête d’Aiora où l’on suspendait des petites figurines en terre<br />

cuite représentant Érigoné, aux branches des arbres.<br />

Si les mythes béotiens sont si bien connus c’est qu’ils ont constitué les<br />

sujets de la tragédie grecque. Ici encore, c’est un étranger, Cadmos -<br />

un Phénicien cette fois - qui est à l’origine de la famille. Cadmos<br />

avait été envoyé par son père, le roi Agénor, pour chercher et ramener<br />

Europe que Zeus-taureau avait enlevée. Un oracle delphique l’amena à<br />

s’installer là où une vache sacrée serait couchée, épuisée de fatigue ;


Introduction 51<br />

c’est ainsi que fut construite la Cadmée, qui prit ensuite le nom de Thèbes.<br />

En tuant le dragon qui gardait la source d’Arès et en semant les<br />

dents du monstre, Cadmos assura le nouveau peuplement des Spartoi<br />

(hommes semés) accru d’étrangers. Les dieux assistèrent au mariage du<br />

héros avec Harmonie et le collier d’or qui fut donné par Héphaistos en<br />

cadeau fut à l’origine de beaucoup de maux pour la ville. De ses filles<br />

Sémélé, Autonoé, ho et Agavé naquirent le dieu Dionysos, Actéon,<br />

Mélicerte ou Palaemon et Penthée ; son fils Polydoros engendre la<br />

dynastie des <strong>La</strong>bdacides. Dionysos, embryon, fut sauvé alors que Zeus<br />

frappait de ses foudres Sémélé et 1 palais de Cadmos. Actéon trouva<br />

.e<br />

une mort pitoyable à Orchomène : 11 fut dévoré par les chiens de chasse<br />

de la déesse Artémis qu’il avait regardée alors qu’elle se baignait nue.<br />

Mélicerte se noya du haut des rochers d’lsthmia - en même temps que<br />

sa mère Ino - victime de la colère de son père, Athamas. Enfin Pen-<br />

thée, roi de Thèbes, fut mis en pièces par les Ménades et sa propre<br />

mère, Agavé, parce qu’il avait interdit le culte de Dionysos. Cadmos<br />

passa les dernières années de sa vie en Illyrie où il fut proclamé roi ;<br />

c’est ainsi qu’avec son plus jeune fils, Polydoros, la dynastie des <strong>La</strong>b-<br />

dacides prit le pouvoir à Thèbes. <strong>La</strong> tutelle des fils mineurs de <strong>La</strong>bda-<br />

cos et de <strong>La</strong>ios fut exercée par le grand-père du premier, Nyctée et<br />

ensuite par son frère, Lycos. De la fille de Nyctée, Antiopé, naquirent<br />

Amphion et Zéthos qui vengèrent leur mère des humiliations que Lycos<br />

lui avait fait subir en liant sa femme, Dircé, sur un taureau sauvage, et<br />

en tuant le tuteur injuste. Le royaume revint ainsi provisoirement aux<br />

deux frères qui restèrent célèbres pour l’importante fortification de la<br />

Cadmée. On connaît la triste histoire de la mort des Niobides par les<br />

flèches d’Apollon et de sa sœur Artémis, à cause des fanfaronnades de<br />

leur mère Niobé, la femme d’Amphion. Après la mort des deux frères<br />

le trône revint aux mains des <strong>La</strong>bdacides. <strong>La</strong>ïos prit pour femme Épi-<br />

casté ou Jocaste et l’oracle fatal fut accompli lorsque son fils (1Edipe<br />

devint involontairement parricide et épousa - comme récompense de<br />

l’extermination du Sphinx qui tyranisait si durement la région de Thèbes<br />

- sa propre mère. Dans la tragédie grecque cette impiété eut de terri-<br />

bles conséquences : l’aveuglement que s’inflige ûEdipe et son exil volon-<br />

taire en Attique. Par malheur, les enfants du pauvre roi, Étéocle et<br />

Polynice, provoquèrent par leur rivalité la guerre des Sept contre Thè-<br />

bes qui n’eut aucun résultat et se termina par le duel tragique des deux<br />

frères, qui périrent ensemble. Tous les chefs, excepté le devin Amphia-<br />

raos, moururent dans le combat ; le royaume passa ainsi aux mains de<br />

Créon, frère d’Épicasté. <strong>La</strong> fille d’CEdipe, Antigone, fut punie de mort<br />

pour avoir enterré son frère Polynice malgré l’interdiction de Créon.


52 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Dix ans après eut lieu l’expédition vengeresse des Épigones avec pour<br />

chef le fils d’hphiaraos, Alcméon, et cette fois elle se termina par un<br />

succès : Thèbes fut détruite et l’on n’en parla plus dans la préhistoire.<br />

Orchomène est aussi le centre d’un grand royaume auquel la tradition<br />

mythique fait référence ; le chef de famille, le roi Minyas - parent des<br />

Minyens de basse Thessalie - est connu pour ses grands travaux de<br />

dérivation en Copaïde et son célèbre (( trésor ». Ses trois filles pour<br />

avoir refusé de prendre part aux orgies dionysiaques, furent réduites à<br />

la folie et mirent en pièces Hippasos, fils de l’une d’elles, Leucippé.<br />

Orchomène avait assujetti Thèbes et on a vu plus haut comment cette<br />

dernière s’est libérée du tribut grâce à l’intervention d’Héraclès contre<br />

les intendants du roi Erginos. C’est au roi Athamas que se rattache<br />

l’histoire de la toison d’or D, prétexte de l’expédition des Argonautes :<br />

sa deuxième femme, la fille de Cadmos, Ino, torturait les enfants qu’il<br />

avait eus de Néphélé, Phrixos et Hellé. Des intrigues de la marâtre con-<br />

duisirent Athamas, à la suite d’un oracle, à sacrifier son fils Phrixos sur<br />

le mont <strong>La</strong>phystoos ; mais au dernier moment, la victime fut remplacée<br />

par un bélier à toison dorée ; les deux enfants partirent sur son dos, en<br />

direction de la Colchide, sur le Pont-Euxin ; mais seul Phrixos y arriva,<br />

sa sœur Hellé se noya dans l’Hellespont ; celui-ci sacrifia le bélier et<br />

consacra sa peau dans le bois sacré. Le roi Athamas, par l’intervention<br />

d’Héra, sombra dans la folie : il tira à l’arc sur son fils Léarchos et le<br />

tua ; selon d’autres il devint fou pour avoir caché dans son palais, avec<br />

l’aide de sa femme Ino, Dionysos nouveau-né. A la fin il fut réduit au<br />

vagabondage dans la région qui prit le nom d’Athamanie, en basse<br />

Thessalie.<br />

Dans ce pays, dans la région de Iolcos, sur le golfe de Pagasai,<br />

régnait Pélias, fils de Tyro, elle-même fille de Salmonée. Son frère<br />

jumeau, Nélée, fut obligé de fuir sa patrie dès qu’il eût construit<br />

Néléia, en face de Iolcos ; il fonda Pylos. Jason était le neveu de Pélias<br />

par Aeson fils de Tyro ; il avait des droits sur le trône parce que son<br />

père avait régné avant d’être chassé par Pélias. Ce dernier, pour proté-<br />

ger son trône de Jason - (< à une seule sandale », d’après l’oracle -<br />

qui le revendiquait, l’envoya chercher la toison d’or au pays d’Aeétès.<br />

C’est ainsi que se prépara l’expédition connue sous le nom d’(( expédi-<br />

tion des Argonautes », du nom de la nef Argo, nef extraordinairement<br />

rapide. A cette aventure prirent part les héros les plus connus de cette<br />

époque : Héraclès, Thésée, les Dioscures, les Apharides, les enfants de<br />

Borée, Pélée, Méléagre, Atalante, etc. Ils acceptèrent l’hospitalité des<br />

femmes de Lemnos qui gouvernaient l’île ; en Propontide ils débarquè-<br />

rent Héraclès ; à Salmydessos, en Thrace, ils reçurent les conseils dont


In traduction 53<br />

ils avaient besoin en échange de leur sauvetage des Harpies ; ils passè-<br />

rent entre les Symplégades (les Rochers qui-se-heurtent) après avoir testé<br />

avec un pigeon le temps qui s’écoulait entre deux heurts des rochers. En<br />

Colchide, Jason fut obligé de semer les dents du dragon dans un champ<br />

qu’il labourerait avec une paire de taureaux aux pieds d’airain ; des<br />

dents naquirent des guerriers qui s’entretuèrent ; Médée l’aida dans cet<br />

exploit avec des breuvages magiques, comme elle l’aida à prendre la toi-<br />

son d’or qu’un dragon vigilant gardait ; au retour Argo fut pourchassée<br />

par Aeétès mais elle lui échappa grâce au crime de Médée qui jeta à la<br />

mer les membres de son frère. Les autres aventures des Argonautes rap-<br />

pellent les aventures d’Ulysse. De retour à Iolcos, on donna la toison<br />

d’or à Pélias qui avait succédé à Aeson. Jason se vengea de Pélias en<br />

poussant ses filles - les Péliades -, grâce au breuvage magique de<br />

Médée, à mettre en pièces leur père, sous prétexte de le rajeunir. Jason<br />

et Médée furent exilés à Corinthe où le héros, ses enfants et Glaucé -<br />

qui allait devenir sa femme - furent exterminés par la magicienne qui<br />

enrageait de jalousie. Finalement Médée devint la femme d’Égée et con-<br />

tinua avec lui son activité malfaisante. Acaste succéda à Pélias et sa<br />

sœur Alceste devint célèbre pour son attachement - jusqu’à la mort -<br />

à son mari Admète, roi de Phères en Thessalie.<br />

Le conflit entre les Centaures du Pélion et les <strong>La</strong>pithes de la région<br />

de l’Ossa est encore un épisode très connu de la mythologie thessa-<br />

lienne ; tout commença aux noces du roi lapithe Pirithoos pendant les-<br />

quelles les Centaures se comportèrent grossièrement ; ils ne furent bat-<br />

tus que par l’intervention de Thésée, ami intime de Pirithoos, comme<br />

nous l’avons vu.<br />

Les mythes de la région de Phthie et de Magnésie sont également<br />

intéressants. Du roi d’Égine, Éaque, naquirent Pélée et Télamon ; le<br />

premier devint roi de Phthie, le second de Salamine ; tous deux assassi-<br />

nèrent leur demi-frère Phocos. L’aventure de Pélée avec la femme<br />

d’Acaste, Astydamie, lui provoqua des ennuis avec les Centaures du<br />

Pélion où l’envoya le mari jaloux ; voilà pourquoi le héros conquit Iol-<br />

cos et unit ce royaume à Phthie. De son brillant mariage avec la néréide<br />

Thétis, Pélée eut Achille, le célèbre héros de la guerre de Troie.<br />

L’Étolie (Grèce occidentale) est encore une région féconde en mythes.<br />

Les centres principaux en sont Calydon et Pleuron. Le roi de Calydon,<br />

CEnée, eut d’Althée beaucoup d’enfants dont Déjanire - qui devint la<br />

femme d’Héraclès - et Méléagre qui avait la réputation d’être invulné-<br />

rable et un guerrier invincible ; c’est lui qui fut le chef de la chasse au<br />

dangereux sanglier de Calydon à laquelle prirent part de nombreux<br />

héros, dont Atalante. Méléagre se disputa pour la peau de l’animal avec


54 LA CIVILISATION GGGENNE<br />

ses oncles, les fils de Thestios, qu’il extermina ; Althée, qui en fut pei-<br />

née, jeta au feu le tison duquel dépendait la vie de son mari et il fut<br />

mortellement blessé dans la lutte contre les Courètes qui assiégèrent<br />

Calydon. Atalante, la première jeune fille qui se distingua à la chasse et<br />

à la course, avait une origine arcadienne ; à la course elle ne fut battue<br />

que par Mélanion, grâce à l’artifice des pommes d’or ; c’est ainsi qu’il<br />

devint son mari.<br />

CEnée, d’une deuxième femme, Périboea, eut Tydée qui, exilé à<br />

Argos pour le meurtre d’un parent, s’y établit définitivement et eut<br />

pour fils Diomède. Tydée se distingua dans l’expédition des Sept contre<br />

Thèbes, Diomède dans la lutte des Épigones et dans la guerre de Troie.<br />

C’est au nord de l’Olympe, en Piérie, qu’étaient localisés les mythes<br />

du musicien Orphée : hommes et animaux étaient charmés et apaisés<br />

par le son de sa musique divine ; on le jugea donc indispensable dans<br />

l’expédition des Argonautes. Même le dieu des Enfers, Pluton, fut<br />

attendri par sa lyre ; il lui permit de ramener sa femme, Eurydice,<br />

morte jeune d’une morsure de serpent. I1 fut finalement mis en pièces<br />

par des femmes en furie et ses restes furent ensevelis par les Muses. On<br />

lui attribua des enseignements qui constituèrent le noyau du culte des<br />

mystères. Un autre héros thrace, de la région du Strymon, Rhésos, est<br />

très connu pour sa participation à la guerre de Troie - du côté troyen<br />

- et ses fameux chevaux entièrement blancs. I1 y eut d’autres Thraces<br />

fameux comme poètes : Philamon et son fils Thamyris, Eumolpos et<br />

son fils Musée.<br />

C’est peut-être la guerre de Troie qui excita le plus l’imagination et<br />

elle trouva une expression unique dans la poésie. Les phases et épisodes<br />

en sont décrits dans différents poèmes qui forment tout un cycle. Le<br />

point de départ de cette guerre fut la pomme d’or portant l’inscription<br />

(( à la meilleure D jetée par Bris aux noces de Thétis et de Pélée ; le<br />

jugement des trois déesses par Pâris eut pour conséquence immédiate<br />

l’enlèvement de la belle Hélène par le prince troyen. L’expédition puni-<br />

tive de tous les Achéens, sous le commandement d’Agamemnon, roi de<br />

Mycènes, fut organisée à la suite du serment que les héros grecs avaient<br />

prêté à Tyndare. Le premier débarquement eut lieu, par erreur, en<br />

Teuthranie où régnait Télèphe ; ce dernier accepta de conduire la flotte<br />

au bon endroit dès qu’il fut guéri des blessures qu’Achille lui avait pro-<br />

voquées ; la flotte partit d’Aulis. Après les premiers affrontements, la<br />

guerre dura encore neuf ans et les Achéens furent obligés de vivre du<br />

produit de leurs incursions dans des régions voisines - comme la Thèbe<br />

troyenne et Chrysé. Le partage du butin constitua toujours un objet de<br />

rivalité et Achille se considéra comme terriblement humilié lorsque


In troduction 55<br />

qu’Agamemnon, général en chef, lui prit Chryséide ; c’est alors qu’il se<br />

retira du combat. Cet épisode et ses conséquences font le sujet de<br />

l’Iliade d’Homère. Le héros ne reprit place dans la bataille que lorsque<br />

Patrocle, son ami intime, eut été tué ; il le vengea en tuant Hector. <strong>La</strong><br />

suite est racontée dans une épopée, I’Éthiopide, où l’intervention des<br />

Amazones dans le camp troyen se trouve compromise par le meurtre de<br />

leur reine, Penthésilée, tuée par Achille ; l’aide des Éthiopiens fut aussi<br />

de courte durée car Achille - toujours lui - tua leur roi, Memnon.<br />

Finalement le fils de Pélée fut tué par Pâris et son corps récupéré grâce<br />

à l’héroïsme d’Ajax et d’Ulysse. <strong>La</strong> suite - le suicide dramatique<br />

d’Ajax à cause des armes d’Achille, le meurtre de Pâris par Philoctète<br />

qu‘on amena de Lemnos pour ses armes, le rapt du Palladion par<br />

Ulysse et Palamède et la ruse du Cheval de bois - est racontée dans la<br />

Petite Ifiade. Enfin l’llioupersis rapportait la prise de Troie et les scènes<br />

dramatiques qui la suivirent, tandis que les aventures du retour des<br />

Achéens constituent le sujet des Nostoi et de l’odyssée d’Homère. Les<br />

événements qui suivirent le retour d’Ulysse dans sa patrie, la guerre<br />

pour le compte des Thesprôtes, la lutte contre son propre fils, l’enfant<br />

de Circé, Télégonos, sa mort tragique et les aventures de sa famille sont<br />

racontés dans la Télégonie.<br />

II ne fait aucun doute que les mythes les plus importants se formèrent<br />

au cours de la première période de la <strong>civilisation</strong> grecque, celle qu’on<br />

appelle géométrique, orientalisante et archaïque. Toutefois on dirait que<br />

leur source principale est l’époque préhistorique, et surtout l’époque<br />

créto-mycénienne. Ce sont les centres les plus importants de l’époque<br />

qui sont rattachés à ces mythes, et les Grecs eux-mêmes firent remonter<br />

leurs héros à l’époque créto-mycénienne. Cela est tout à fait visible dans<br />

les généalogies, mais aussi dans les chroniques qui se réfèrent à l’époque<br />

et aux listes des anciens rois. Bien sûr dans les mythes on fit entrer des<br />

interprétations de toponymes, des éléments de relations entre les grands<br />

centres, des conceptions chauvines et une foule d’éléments religieux dont<br />

la plupart étaient des réminiscences ou des survivances de vieilles<br />

croyances ou des bribes - désormais incompréhensibles - de cultes ou<br />

de fêtes anciennes. <strong>La</strong> pensée philosophique grecque donna une expres-<br />

sion particulière au symbolisme, et la plupart des mythes purent ainsi<br />

être expliqués de plusieurs façons. Les mystères, qui s’étaient beaucoup<br />

propagés dans les classes populaires, les enrichirent et multiplièrent leurs<br />

interprétations. Les explications rationalistes que beaucoup, vieux ou<br />

jeunes, voulurent leur donner enregistrèrent un grand succès. Une fois<br />

créés, les mythes s’enrichirent tant et si bien par l’imagination fertile du<br />

peuple qu’il est maintenant difficile pour qui que ce soit d’en rechercher


56 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

les éléments originels. L’Orient et l’Égypte influencèrent sûrement beau-<br />

coup leur création et leur développement ; aussi une étude comparative<br />

des mythes des différents points du monde antique fut-elle toujours<br />

utile. Une grande partie d’entre eux passa dans les traditions et les con-<br />

tes du peuple grec et c’est pourquoi l’hagiographie apporta une aide<br />

efficace dans l’interprétation et la compréhension des mythes.<br />

De toute façon il s’agit d’un chapitre très important qu’il ne serait<br />

pas du tout opportun d’ignorer quand on traite de l’histoire générale de<br />

la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> et voilà pourquoi on a jugé nécessaire de donner<br />

ce bref aperçu des mythes et traditions grecs.<br />

Brève rétrospective des recherches archéologiques dans le monde égéen<br />

L’archéologie de la préhistoire <strong>égéenne</strong> a à peine plus de cent ans.<br />

Avant 1870, des connaissances non systématiques, dues au hasard, se<br />

fondaient sur des notions succinctes et pas toujours précises, rassem-<br />

blées et transmises par des voyageurs. Pausanias est l’un des plus<br />

anciens - IIC siècle ap. J.-C. - et parmi les plus importants. Dans tou-<br />

tes ces informations on distingue mal les événements historiques des<br />

mythes et on y trouve difficilement une interprétation satisfaisante et<br />

une datation des ruines conservées. D’autres témoignages épars, chez les<br />

écrivains anciens ou plus modernes, se fondent sur la tradition et ne se<br />

réfèrent qu’accidentellement aux découvertes archéologiques fortuites,<br />

elles aussi interprétées par la tradition et le mythe - le tombeau d’Alc-<br />

mène à Haliarte en Béotie, les restes de Thésée à Skyros, la découverte<br />

à Cnossos de la Chronique de Diktys, croyait-on, pour la guerre de<br />

Troie, etc.<br />

En 1870 la recherche archéologique entre dans une ère nouvelle,<br />

d’amateurisme au début, puis plus scientifique et plus systématique. On<br />

sait quelle place y occupe la personnalité de l’Allemand Henri Schlie-<br />

mann. Ses biographes - Emil Ludwig surtout - nous ont donné une<br />

très bonne idée de son enthousiasme pour l’Antiquité, de son imagina-<br />

tion fertile et de sa conviction profonde que la tradition mythique et<br />

épique se faisait l’écho de faits réels et que les sites importants pou-<br />

vaient être retrouvés par une recherche intuitive. Doté d’une volonté<br />

unique et de rares capacités d’assimilation, de l’épicier qu’il était il réus-<br />

sit à devenir un riche commerçant et enfin un chercheur archéologique<br />

infatigable, à l’esprit aventurier sans aucun doute, mais dont les résul-<br />

tats - il faut l’avouer - surprirent le monde entier. Des 1868 Schlie-<br />

mann avait fait de la prospection à Ithaque, sur l’acropole de Mycènes<br />

et sur la colline d’Hissarlik, près de l’Hellespont ; il acquit la certitude


Introduction 57<br />

que c’était là que se trouvait la Troie d’Homère. Faisant face à toutes<br />

sortes de difficultés, il rechercha - au cours de trois campagnes succes-<br />

sives de 1870 à 1873 - les murs et la ville d’Ilion ainsi que les palais<br />

de Priam, en creusant de grandes tranchées sur la colline. Les ruines<br />

mises au jour étaient variées et particulièrement complexes puisqu’elles<br />

correspondaient à sept villes successives et à une foule de périodes et de<br />

phases. Les méthodes qu’il appliqua étaient fort dangereuses : il n’hésita<br />

pas à détruire ce qui, à ses yeux, ne représentait pas la ville de Priam ;<br />

il était sûr que les murs de la deuxième ville (dans l’ordre) étaient ceux<br />

qui avaient résisté à dix ans de siège ; il reconnut les portes Skaiès et<br />

lorsque, tout à coup, on découvrit un important trésor de bijoux d’or et<br />

de précieuses haches de pierre, trésor enfoui à l’extérieur d’un des<br />

angles du mur d’enceinte, visiblement dans des circonstances exception-<br />

nelles, il n’eut plus aucun doute : c’était le trésor de Priam. <strong>La</strong> fuite de<br />

ce trésor hors de Turquie, grâce à la complicité de sa femme, Sophie,<br />

amena obligatoirement l’interruption temporaire de la fouille. Ses pre-<br />

mières publications furent accueillies avec beaucoup de scepticisme par<br />

les savants et une violente critique s’éleva contre lui. Son autorité<br />

n’augmenta que lorsqu’il enregistra de nouveaux succès à Mycènes où<br />

furent découverts, en 1876. les trésors uniques des tombes royales, à<br />

l’intérieur de l’acropole. Même alors, bien sûr, les critiques ne manquè-<br />

rent pas sur les interprétations qui furent données et sur la datation des<br />

trouvailles - époque d’Agamemnon. L’Éphore Stamatakis, représentant<br />

de l’État grec sur les fouilles, critiqua ses méthodes, ce qui lui occa-<br />

sionna des difficultés supplémentaires, particulièrement dans la fouille<br />

de la tombe à tholos - G de Clytemnestre », comme il l’appela - assu-<br />

mée par sa femme, relativement ignorante en la matière. Dans I’inter-<br />

valle, Schliemann entreprit d’autres recherches, d’abord et surtout à<br />

Orchomène où il fouilla le trésor de Minyas.<br />

Les vives critiques, sans cesse émises sur les résultats obtenus à Troie,<br />

l’obligèrent à y recommencer les fouilles - à partir de 1879 - avec,<br />

pour associés, Burnouf d’abord, puis l’architecte Dorpfeld, infatigable<br />

chercheur. Grâce à eux, les méthodes s’améliorèrent et la stratigraphie<br />

des différents habitats s’éclaircit quelque peu. En 1884, le nouveau livre<br />

de Schliemann, Troja, engendra de nouvelles discussions ; dans I’inter-<br />

valle il fouilla Tirynthe, en association avec Dorpfeld - dans les années<br />

1884-1885 - puis tenta de commencer la fouille de Cnossos, en rache-<br />

tant la colline où Minos Kalokairinos avait trouvé des ruines et fait une<br />

petite fouille ; mais les négociations avec le propriétaire turc échouèrent<br />

et Schliemann fut obligé d’abandonner ses nouveaux et audacieux pro-<br />

jets. C’est en 1890, pour la dernière fois, qu’il reprit la fouille de


58 LA CIVILISATION EGÉENNE<br />

Troie ; il mourut à la fin de la même année. Son associé, Dorpfeld,<br />

continua à formuler bien des réserves sur les interprétations de Schlie-<br />

mann quant aux villes de Troie. Grâce à l’argent que lui donnait<br />

Sophie, il poursuivit les recherches jusqu’en 1894 et découvrit ainsi la<br />

sixième ville de Troie qui, encore assez récemment, était considérée par<br />

les savants comme la ville que prirent les Achéens sous le commande-<br />

ment d’Agamemnon. Le travail de Schliemann à Mycènes fut continué<br />

par l’archéologue grec Christos Tsountas, qui chercha le palais, et<br />

fouilla la partie est de l’acropoie, la (( Maison à colonnes ». C’est<br />

encore lui qui découvrit la nécropole mycénienne autour de l’acropole,<br />

qui mit au jour les riches sépultures royales dans la tombe à tholos de<br />

Vaphio en <strong>La</strong>conie et qui fouilla, dans les Cyclades, de nombreuses<br />

tombes du Cycladique Ancien. Plus tard, il se pencha sur les grands<br />

centres néolithiques de Sesklo et de Dimini, en Thessalie. Entre 1870 et<br />

1900 les fouilles se multiplièrent et devinrent plus systématiques, surtout<br />

lors de la découverte de monuments funéraires comme la tombe à tho-<br />

los de Ménidi - 1880 - et des tombeaux taillés dans le rocher de la<br />

région de Ialyssos (Rhodes), fouillés par l’Italien Billiotti. On trouva de<br />

la céramique mycénienne en abondance dans divers points de Grèce et<br />

d’ailleurs - en Égypte, en Syro-Phénicie ; l’étude comparative réussit<br />

pour la première fois à établir un classement chronologique plus précis.<br />

Bien sûr une céramique comme celle qui fut trouvée à Théra sous la<br />

cendre volcanique - dès avant les fouilles de Schliemann - ne pouvait<br />

être située chronologiquement même si elle donnait l’impression d’avoir<br />

précédé la céramique mycénienne courante. Le livre de Tsountas sur la<br />

<strong>civilisation</strong> mycénienne - 1890 - systématisa quelque peu les connais-<br />

sances et posa les problèmes d’une façon plus précise.<br />

Les centres cycladiques attirèrent tout particulièrement l’attention des<br />

chercheurs : les îles d’Amorgos, Paros, Naxos et Syros où de nombreux<br />

tombeaux furent découverts et fouillés - mais pas de façon systémati-<br />

que -, quelques habitats comme ceux de Chalandriani à Syros et<br />

d’Haghios Andréas à Siphnos. <strong>La</strong> fouille la plus systématique des<br />

Cyclades - vers la fin du siècle - fut celle de Phylakopi de Mélos, ce<br />

grand centre de production de l’obsidienne. Les objets de l’habitat prin-<br />

cipal rappelaient ceux qui avaient été trouvés par hasard en Crète.<br />

<strong>La</strong> Crète retint très tôt l’attention des voyageurs et des premiers cher-<br />

cheurs. Son soi livrait sans cesse d’importants trésors et il s’avéra néces-<br />

saire que le (( Syllogue pour l’Éducation )) d’Héraklion s’occupât systé-<br />

matiquement de les rassembler et de les sauvegarder, sous la direction<br />

de ceux qui devinrent plus tard les premiers directeurs du musée<br />

d’Héraklion et Éphores des Antiquités, Joseph Hazzidakis et Stéphanos


Introduction 59<br />

Xanthoudidès. A Cnossos, l’amateur Minos Kalokairinos, trouva,<br />

en 1878, les premiers magasins du palais encore enseveli ; les jarres<br />

furent distribuées entre différents musées, grecs et étrangers, mais la<br />

plupart d’entre elles furent détruites lors de la révolution de 1897. Nous<br />

avons vu plus haut les efforts déployés par Schliemann pour racheter la<br />

colline de Cnossos et commencer les fouilles ; les tentatives du viceconsul<br />

américain Stillmann et de Joubin, membre de l’École française<br />

d’archéologie, tombèrent également à l’eau. C’est en 1894 qu’Arthur<br />

Evans visita pour la première fois la Crète ; son intention était de<br />

résoudre - en rassemblant des documents et en faisant lui-même des<br />

recherches - le mystère de l’écriture dite préphénicienne qui, d’après<br />

lui, avait été utilisée avec des signes hiéroglyphiques sur des prismes<br />

gravés crétois. II espérait trouver des textes gravés en commençant des<br />

fouilles à Cnossos et c’est dans ce but qu’il entreprit des négociations<br />

avec l’agha turc, propriétaire du site, négociations qui faillirent échouer,<br />

elles aussi, en raison de la mauvaise foi de ce dernier. Dans l’intervalle,<br />

Evans fit davantage connaissance avec la Crète, voyagea, et étudia les<br />

objets de la Collection du Syllogue : une collection de vases de Camarés,<br />

les trouvailles de la tombe à tholos d’Haghios Onouphrios dans la<br />

région de Phaistos et les nombreux vases et sarcophages récoltés en<br />

divers endroits de Crète. A la même époque - de 1890 à 1900 - on<br />

discutait beaucoup sur l’origine de la <strong>civilisation</strong> mycénienne ; certains<br />

lui donnaient une provenance orientale, pour la plupart phénicienne -<br />

comme Pottier et Helbig -, d’autres, occidentale - comme Salomon<br />

Reinach. <strong>La</strong> réponse fut donnée par les recherches systématiques qui<br />

purent commencer en Crète dès que l’île fut proclamée autonome, à la<br />

fin du XIXC siècle.<br />

Durant les cinq premières années - de 1900 à 1905 -, Evans fouilla<br />

à peu près tout le palais de Cnossos. Mais ses recherches ne se limitèrent<br />

pas là ; dans les années qui suivirent, et jusqu’en 1930, il les étendit<br />

tout autour du palais, dans les cimetières, et fit des études stratigraphiques<br />

pour mettre au clair l’histoire de la Cnossos minoenne. On<br />

prouva alors que les racines de la <strong>civilisation</strong> mycénienne devaient être<br />

recherchées en Crète même, que des rapports étroits existaient entre la<br />

Crète et les Cyclades et que c’est la Crète qui avait créé les plus anciens<br />

systèmes d’écriture en Europe. <strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> qui se révélait ainsi était,<br />

bien sûr, la première grande <strong>civilisation</strong> de l’Europe, elle avait un caractère<br />

propre malgré toutes les influences égyptiennes et orientales. <strong>La</strong><br />

publication de l’ouvrage monumental de Sir Arthur Evans - The<br />

Palace of Minos, 1921-1935 - présente une sorte d’encyclopédie générale<br />

de la <strong>civilisation</strong> créto-mycénienne.


60 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

En même temps qu’Evans, la mission italienne, représentée principale-<br />

ment par F. Halbherr et L. Pernier, fouilla les centres minoens de<br />

Phaistos et d’Haghia Triada et se pencha sur la <strong>civilisation</strong> minoenne de<br />

la plaine de la Messara. Des membres de l’École anglaise d’archéologie<br />

à Athènes - comme Hogarth, Myres, Bosanquet, Dawkins - fouillè-<br />

rent partiellement les habitats de Cnossos, du <strong>La</strong>ssithi - Plati - et de<br />

l’extrémité orientale de l’île - Praisos, Palaikastro et Zakro -, des<br />

grottes sacrées - la grotte de Psychro que beaucoup identifièrent au<br />

Diktaion Antron, et celle de Camarès - et des sanctuaires de sommets<br />

- Petsofa. Des missions universitaires américaines explorèrent parallèle-<br />

ment des centres importants de l’isthme de Hiérapétra - Gournia, Vas-<br />

siliki -, des habitats des monts de Siteia - Kavousi et Vrokastro -,<br />

des établissements et des nécropoles sur les côtes du golfe de Miram-<br />

bello - Sphoungaras, Pachyammos - et les îles de Mochlos et Pseira.<br />

Enfin, les archéologues crétois Hazzidakis et Xanthoudidès fouillèrent<br />

les habitats et les nécropoles de Gournès, Pyrgos, Anopolis, Tylissos,<br />

Nirou Chani, les bords et les hauteurs autour de la plaine de la Mes-<br />

Sara, les grottes sacrées d’Arkalochori et d’Eileithyia à Amnisos et le<br />

sanctuaire de sommet près de Chamaizi. Ces recherches furent conti-<br />

nuées jusqu’à la Première Guerre mondiale et pendant celle-ci.<br />

Dans le même temps, en Grèce continentale, les fouilles se multi-<br />

pliaient et les connaissances de la <strong>civilisation</strong> helladique augmentaient et<br />

se systématisaient. En Thessalie les fouilles et les prospections des<br />

archéologues Tsountas et Arvanitopoulos, Wace et Thompson, mirent<br />

au jour des éléments fondamentaux pour la connaissance de la civilisa-<br />

tion néolithique locale. En Grèce centrale et dans le Péloponnèse eurent<br />

lieu des investigations sporadiques mais les connaissances sont devenues<br />

plus systématiques et, grâce à l’archéologie crétoise, elles se rangent<br />

dans des systèmes chronologiques plus précis. Blegen et Wace jouèrent<br />

un rôle capital dans cette systématisation. Le premier étudia les vestiges<br />

de la région de Corinthe, d’Éphyre (Korakou) et de Gonia. A Mycènes<br />

on fit plus d’études isolées que de travaux systématiques et l’Allemand<br />

Rodenwaldt publia en monographie la frise en fresque du mégaron du<br />

palais. Des recherches plus organisées furent effectuées sur l’acropole de<br />

Tirynthe par des membres de l’École archéologique allemande. Des<br />

membres de l’École française d’archéologie avancèrent les recherches<br />

isolées sur i’Aspis à Argos. Les fouilles en <strong>La</strong>conie, surtout au Méné-<br />

laion de Sparte, à Géraki - Geronthrae - et à Cythère, sont égale-<br />

ment sporadiques. Dans la région de Pylos et de Kakovatos en Triphy-<br />

lie, Dorpfeld mit au jour et fouilla des tombes à tholos et des restes<br />

d’habitats mycéniens.


Introduction 61<br />

En Attique, on releva un certain nombre de vestiges, autour de<br />

l’acropole d’Athènes, à Éleusis, dans la Mésogée - surtout à Spata et à<br />

Markopoulo - et dans l’île de Salamine. Mais nulle part on n’effectua<br />

de fouilles systématiques. Près de Chalcis, en Eubée, Papavassiliou<br />

releva et publia beaucoup de tombeaux mycéniens. A Thèbes, en Béotie,<br />

le palais de Cadmos fut découvert par Kéramopoulos qui fouilla aussi<br />

beaucoup de cimetières mycéniens. Bien des vestiges préhistoriques<br />

furent décelés près de Chéronée par Sotiriadis et à Orchomène par les<br />

Allemands ; ils dataient surtout de l’époque néolithique et des premières<br />

périodes de 1’Helladique. Des vestiges analogues furent repérés par Soti-<br />

riadis à Haghia Marina et à Élatée - Drachmani - en Phocide. Les<br />

fouilles de Stratos en Étolie ont révélé des restes helladiques. Dans les<br />

îles Ioniennes, Dorpfeld, à la recherche de l’Ithaque d’Ulysse, fouilla<br />

l’île de Leucade et Ithaque, tandis que les archéologues grecs Kavvadias<br />

et Kyparissis exploraient des cimetières mycéniens à Céphalonie.<br />

Dans le nord du pays, les recherches - sauf en ce qui concerne la<br />

Thessalie néolithique - furent encore plus sporadiques. Des tombes à<br />

tholos mycéniennes furent découvertes à Kapakli près de Vol0 et à<br />

Dimini, et on releva des restes de 1’Helladique ancien et mycéniens sur<br />

différents tertres. En Macédoine, les recherches furent effectuées sous<br />

forme de prospection par des savants des forces alliées françaises et<br />

anglaises, en campagne lors de la Première Guerre mondiale ; ils pros-<br />

pectèrent quelques-uns des tertres macédoniens ; c’est Heurtley qui<br />

systématisa dans une certaine mesure les connaissances sur cette région<br />

dans son livre sur la Macédoine préhistorique qu’il publia bien des<br />

années plus tard, en 1939.<br />

A cette époque de la recherche, l’étude comparative jeta les bases<br />

d’une chronologie relative et d’une chronologie absolue. <strong>La</strong> grande<br />

autorité d’Evans fit que la chronologie crétoise servit de base aux chro-<br />

nologies helladique et cycladique. Ce sont surtout les remarques de Ble-<br />

gen sur la céramique d’Éphyre et celles de Wace, un peu plus tard, à<br />

Mycènes, qui permirent de diviser la <strong>civilisation</strong> helladique en périodes<br />

et en phases. En même temps la chronologie cycladique s’éclaircissait<br />

aussi. De toute façon, du début du xxc siècle à la fin de la Première<br />

Guerre mondiale, les conceptions pan-crétoises d’Evans dominèrent<br />

d’une manière générale la recherche préhistorique du monde égéen, sou-<br />

tenant que la Crète est à l’origine de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> et joua un<br />

rôle primordial dans sa formation.<br />

Dans l’entre-deux-guerres - de 1920 à 1940 - la recherche en Grèce<br />

s’étendit et se systématisa ; bien des savants rivalisèrent de zèle mais la<br />

Crète n’occupe plus la même place. Evans poursuivit ses fouilles a


62 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Cnossos, autour du palais et dans les nécropoles, mais les trouvailles ne<br />

sont plus aussi émouvantes. Les dernières explorations du savant, la<br />

Tombe royale sud - qui fut malheureusement trouvée pillée - et la<br />

Maison du prêtre de cette tombe, firent, bien sûr, impression, mais<br />

davantage par l’architecture que par les trouvailles. Pour pouvoir conti-<br />

nuer à écrire son livre, Evans céda les droits qu’il avait sur la fouille de<br />

Cnossos à l’École britannique qui continua l’exploration aux alentours<br />

du palais de façon plus systématique, de même que dans la ville et les<br />

cimetières minoens. Entre temps le Palais fut reconstitué par Evans et à<br />

un tel degré qu’il provoqua les critiques des archéologues et des criti-<br />

ques d’art. Mais le plus important est qu’avec ces travaux on réussit à<br />

sauvegarder les ruines et à les rendre intelligibles à un large public cul-<br />

tivé.<br />

A Phaistos et à Haghia Triada, Pernier et sa collègue L. Banti, ne<br />

firent que des petits travaux en vue de préparer les publications définiti-<br />

ves. Cela ne fut fait que pour Phaistos, Haghia Triada n’est encore pas<br />

publiée. Un travail plus organisé fut effectué dans le troisième palais,<br />

celui de Malia, à quarante kilomètres à peu près à l’est d’Héraklion, en<br />

bordure de mer ; c’est là que depuis 1915, Joseph Hazzidakis avait<br />

découvert et commencé à fouiller l’important ensemble architecturai. Le<br />

manque de moyens et la maladie l’obligèrent à accepter la collaboration<br />

de l’École française d’archéologie qui, aujourd’hui encore, fouille non<br />

seulement le palais mais une grande partie de la ville et de ses cimetiè-<br />

res. Parmi les chercheurs les plus importants on citera Charbonneaux,<br />

Chapouthier, Demargne, Gallet de Santerre, Van Effenterre, Poursat,<br />

Pelon. Xanthoudidès continua à fouiller les tombes à tholos de la Mes-<br />

Sara et en fit un important ouvrage. Son successeur, Marinatos - de<br />

1928 a 1933 -, fouilla des habitations du Minoen moyen et des tombes<br />

à tholos dans la Messara, le petit port minoen d’Haghioi Théodoroi<br />

près du mégaron de Nirou, la grotte d’Eileithyia et des maisons minoen-<br />

nes à Amnisos ; avec l’aide de I’épimélète Platon, il explora la grotte<br />

sacrée d’Arkalochori où furent trouvés les fameux dépôts de haches et<br />

d’épées en cuivre, argent et or. <strong>La</strong> construction et la réorganisation du<br />

musée d’Héraklion fut une réussite d’importance ; il devint ainsi le<br />

deuxième musée de Grèce par la taille et par l’intérêt.<br />

Sur le continent grec eurent lieu des recherches plus organisées, qui<br />

éclaircirent beaucoup le problème de l’évolution de la <strong>civilisation</strong> hella-<br />

dique et prouvèrent davantage son indépendance, même à l’époque<br />

mycénienne. Goldman fouilla Eutrésis en Béotie, on effectua des tra-<br />

vaux complémentaires au Cadméion de Thèbes, on mit au jour beau-<br />

coup de tombeaux près de l’Acropole et de l’Agora d’Athènes ; dans le


Introduction 63<br />

Péloponnèse, Wace effectua de nouvelles recherches à Mycènes, Blegen<br />

dans les agglomérations de Zygouriès et de Némée ainsi que dans les<br />

cimetières de Prosymna ; la mission suédoise - avec Persson - explora<br />

les établissements de Midéa et d’Asiné ; Persson découvrit les tombes<br />

royales et princières si importantes de Midéa et de Dendra. A Tirynthe<br />

l’École allemande continua les recherches avec Karo et K. Müller ;<br />

enfin, des membres de l’École française d’archéologie travaillèrent sur<br />

les acropoles d’Argos. Aux confins de la Messénie et de l’Arcadie, Val-<br />

min et d’autres représentants de la Mission suédoise mirent au jour<br />

l’établissement de Malthi et fouillèrent des tombes à tholos à Bondia,<br />

tandis que Kourouniotis fouillait la tombe à tholos d’osmanaga à Pylos<br />

et, avec Blegen, commençait l’exploration du palais de Pylos sur I’acro-<br />

pole d’Englianos. En Achaïe, Kyparissis releva toute une série de cime-<br />

tières mycéniens et c’est Marinatos qui fouilla des nécropoles de cette<br />

époque à Céphalonie.<br />

Dans le nord, en Thessalie, en Macédoine, en Épire et en Thrace les<br />

sites préhistoriques furent presque totalement négligés. A Troie, au con-<br />

traire, une mission universitaire américaine, sous la direction de Blegen,<br />

recommença les recherches et réussit à éclaircir de nombreux problèmes,<br />

dont celui de la Troie homérique qui, on en est sûr maintenant, est la<br />

ville VI1 A.<br />

Dans les Cyclades, les fouilles de cette période sont sans importance<br />

mais dans les îles du Dodécanèse, à Rhodes et à Kos, des membres de<br />

l’École italienne mirent au jour un grand nombre de cimetières mycé-<br />

niens.<br />

A Chypre, Porphyrios Dikaios et la Mission suédoise fouillèrent des<br />

sites de l’âge de la Pierre et de l’âge du Bronze dont Khirokitia et<br />

Sotira ; mais il ne fait pas de doute que la fouille la plus importante fut<br />

celle commencée par le Français Ci. Schaeffer à Enkomi ; il y découvrit<br />

un important établissement mycénien. C’est lui qui avait exploré<br />

d’importants centres syro-phéniciens - Ugarit et son port, Minet el<br />

Beida -, très influencés par la <strong>civilisation</strong> créto-mycénienne. <strong>La</strong> conti-<br />

nuation des recherches à Byblos et, plus tard, la découverte et la fouille<br />

de Mari sur le Moyen-Euphrate par Parrot, donnèrent nombre d’indica-<br />

tions nouvelles sur le large rayonnement de la <strong>civilisation</strong> créto-<br />

mycénienne en Orient. D’autre part, la mise au jour de nouveaux sites<br />

hittites et louvites - Alishar, Alaça Hüyük - posa le problème des<br />

relations de l’Anatolie avec l’État d’Achiyawa dont il était question<br />

dans les archives hittites. Des vestiges mycéniens dans la région de Milet<br />

constituèrent une base de discussion.<br />

Naturellement, durant la Deuxième Guerre mondiale, les fouilles ne


64 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

furent que fantomatiques ; certaines, illégales, étaient pratiquées par des<br />

archéologues enrôlés dans les armées d’occupation, surtout les Alle-<br />

mands en Crète, qui fouillèrent à Cnossos, à Monastiraki (nome de<br />

Réthymno), dans la région de <strong>La</strong> Sude et de <strong>La</strong> Canée (Crète occidenta-<br />

le) et explorèrent la tombe à tholos d’Apésokari dans la Messara. A la<br />

fin de la guerre, les recherches archéologiques reprirent dans tout le<br />

monde égéen, plus organisées cette fois et plus systématiques, utilisant<br />

les nouvelles méthodes dues au progrès de la technologie. On ne pourra<br />

voir ici que les fouilles importantes, dans leurs grandes lignes. Après la<br />

guerre on s’occupa tout d’abord de réparer les dommages causés sur les<br />

sites archéologiques et dans les musées. <strong>La</strong> sortie des trésors de leurs<br />

cachettes pour les exposer fut l’occasion d’une réorganisation radicale<br />

des musées et les collections préhistoriques furent présentées sous une<br />

autre forme. Le musée d’Héraklion, surtout, fut plus que doublé et sa<br />

réorganisation par les directeurs Platon et Alexiou permit d’exposer de<br />

façon satisfaisante les antiquités préhistoriques.<br />

Les nouvelles découvertes en Crète éclairèrent d’un jour nouveau les<br />

problèmes de la <strong>civilisation</strong> néolithique ; la stratigraphie de Cnossos,<br />

pénétrant jusqu’au rocher, permit à John Evans d’en reconnaître la lon-<br />

gue évolution depuis la fin du VII‘ millénaire av. J.-C. ; des bâtiments<br />

et des tombes du Néolithique moyen furent fouillés à Katsamba, région<br />

du port de Cnossos, par Alexiou et à Gortyne par des membres de<br />

l’École italienne ; mais c’est surtout la fouille de couches subnéolithi-<br />

ques à Phaistos par Doro Levi qui se révéla intéressante au même titre<br />

que la découverte d’un dépotoir important à Fourni (Mirambello) par<br />

Platon. Les phases les plus anciennes de la <strong>civilisation</strong> minoenne devin-<br />

rent plus claires grâce aux fouilles de Kyparissi par Alexiou, de tombes<br />

à tholos à Lébéna et dans les Astéroussia, et grâce aussi aux découver-<br />

tes de Levi dans les couches les plus profondes des palais de Phaistos.<br />

Hood explora des dépôts et des bâtiments sous le palais et les maisons<br />

du Minoen moyen de Cnossos ; Platon, des enceintes sépulcrales, des<br />

abris sous roche, des grottes et des tombes à tholos des régions de<br />

Viannos, Myrsiné, Praisos, Marônia et Zakro (Siteia) ; Davaras fouilla<br />

des tombes à tholos dans la Messara, des bâtiments à Chamaizi, des<br />

cimetières - Haghia Photia et Mochlos (Siteia) -, et enfin, Warren et<br />

d’autres membres de l’École anglaise, l’agglomération Minoen ancien de<br />

Myrtos. Bien des vestiges prépalatiaux furent également repérés en Crete<br />

occidentale par Tzédakis. Toutes ces recherches mirent en lumière la<br />

succession des phases de la <strong>civilisation</strong> minoenne prépalatiale et on<br />

essaya de résoudre les problèmes complexes de la chronologie. Celle-ci<br />

fut l’objet de bien des discussions quand Doro Levi, partant de ses nou-


Introduction 65<br />

velles découvertes à Phaistos, contesta l’existence même de la <strong>civilisation</strong><br />

prépalatiale .<br />

Les recherches effectuées dans les sanctuaires de sommets, principale-<br />

ment par les archéologues grecs Platon, Alexiou, Davaras, Karetsou<br />

furent importantes ; elles mirent au jour plus de trente centres de culte<br />

utilisés de la fin de l’époque prépalatiale à la fin des premiers palais.<br />

Les plus importants se sont révélés être les sanctuaires du Iouktas, de<br />

Maza (Kalo Chorio), de Kophinas, de Piskoképhaio, de Petsofa -<br />

fouilles complémentaires -, de Traostalos (Siteia) et de Vrysinas<br />

(région de Réthymnon). Un sanctuaire de campagne Minoen moyen fut<br />

fouillé dans la région de Rousses (Chondros Viannou) par Platon. Pen-<br />

dant ce temps, le Français Paul Faure repérait, dans toute la Crète, un<br />

grand nombre de sanctuaires de sommets semblables et beaucoup de<br />

grottes de culte.<br />

Les fouilles de l’École britannique à Cnossos - qui se poursuivent<br />

encore aujourd’hui - se sont révélées intéressantes. Les principaux<br />

fouilleurs furent Hutchinson, Hood et Popham. Des fouilles stratigra-<br />

phiques dans le palais et dans des maisons près du palais, de même que<br />

sur les hauteurs voisines, la fouille de la région non explorée au-delà du<br />

Petit Palais et celle d’autres cimetières, eurent des résultats uniques. <strong>La</strong><br />

découverte des tombes à tholos de Téké à Képhala, de deux autres entre<br />

Cnossos et Héraklion et sur la colline de Gypsadès, fut essentielle.<br />

Mais les fouilles de Doro Levi et de ses collègues de l’École italienne<br />

à Phaistos même et tout autour, se révélèrent de loin les plus importan-<br />

tes. II s’agissait surtout d’une étude stratigraphique, grandement facili-<br />

tée par le fait que les couches profondes étaient restées intactes sous<br />

une épaisse couche de mortier qui fut coulée après les catastrophes et<br />

avant la reconstruction par les habitants de Phaistos. C’est ainsi que fut<br />

mise au jour une très riche céramique du style de Camarès, polychrome,<br />

et d’autres objets uniques par leur technique, qui appartenaient à diffé-<br />

rentes périodes des anciens palais. <strong>La</strong> découverte de maisons sur les<br />

pentes de la colline et dans les régions voisines - comme Patrikiès -<br />

mirent davantage en lumière et multiplièrent les résultats. Des tombes à<br />

tholos, dans la région de Kamilari, non loin d’Haghia Triada, se ran-<br />

gent entre les tombes à tholos de la Messara et la nouvelle série de tom-<br />

bes à tholos de la région de Cnossos. <strong>La</strong> question de l’origine des tom-<br />

bes à tholos monumentales mycéniennes semblait ainsi être résolue. Les<br />

découvertes de Phaistos expliquèrent égaiement bien des problèmes con-<br />

cernant l’évolution des nouveaux palais, les catastrophes successives et<br />

la <strong>civilisation</strong> minoenne postpalatiale. Doro Levi étendit ses recherches<br />

jusqu’d la région de Gortyne où - près du village de Mitroplis - il


66 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

découvrit une importante ferme minoenne de l’époque des nouveaux<br />

palais et qui était liée à un sanctuaire postpalatial.<br />

A Malia, l’École française continua ses recherches tant avec ses<br />

anciens membres - Chapouthier et Demargne - qu’avec d’autres, plus<br />

jeunes - Gallet de Santerre, Dessenne, Deshayes, Van Effenterre et<br />

Mme Amouretti, Poursat et Pelon et, dernièrement, Godard et Olivier.<br />

C’est ainsi que furent mis au jour l’ensemble constitué par la crypte et<br />

l’agora nord-ouest du Palais, d’importants quartiers de la ville<br />

minoenne, des sanctuaires et des ateliers comme un grand nombre de<br />

tombes dans les nécropoles. Le quatrième palais minoen fut découvert à<br />

Zakro et fouillé, en même temps qu’une partie de la ville marchande<br />

minoenne, par Platon et ses assistants ; la partie principale du palais,<br />

celle où se trouvaient les salles de culte, était intacte et avait préservé de<br />

grands trésors : vases en pierre et en céramique et objets de métal. A la<br />

Gorge des Morts on explora des grottes funéraires (Davaras) et à Epano<br />

Zakro une ferme importante (Sakellarakis). Des fermes minoennes<br />

furent mises au jour par le même fouilleur (Platon) près de Piskoké-<br />

phalo, à Zou, à Achladia (Siteia) et à Prophitis Ilias dans la région de<br />

Praisos. L’École britannique reprit ses recherches à Palaikastro, très<br />

endommagé par la guerre. Dans le Mirambello on fouilla des nécro-<br />

poles : l’École française à Olonte et Platon à Krista.<br />

En Crète centrale, à Vathypétro, Sp. Marinatos fouilla une impor-<br />

tante ferme de l’époque des Nouveaux Palais, pourvue d’installations<br />

agricoles et industrielles. A Tylissos, Platon réalisa des fouilles complé-<br />

mentaires, profitant des travaux de restauration et de consolidation des<br />

villas minoennes. A Archanès, Sakellarakis commença l’exploration<br />

d’un vaste bâtiment et il n’est pas exclu qu’il s’agisse là du palais d’été<br />

des rois de Cnossos ; sur la colline de Phourni, il mit au jour des tom-<br />

bes à tholos - la chambre de l’une d’elles, inviolée, était riche en<br />

mobilier funéraire - ainsi que d’autres enceintes sépulcrales, apparte-<br />

nant aux époques prépalatiale, protopalatiale, néopalatiale et postpala-<br />

tiale. Dans les ports minoens d’Amnisos et de Katsamba, Alexiou<br />

fouilla divers habitats minoens et à Katsamba un cimetière très impor-<br />

tant de la fin de l’époque des nouveaux palais. Des tombes isolées et de<br />

vastes nécropoles furent trouvées en bien des endroits de Crète centrale<br />

par des archéologues grecs et étrangers. Les sarcophages de terre cuite<br />

- déposés au musée d’Héraklion et dans diverses collections de pro-<br />

vince - dépassent les deux cents. Parmi ceux-ci on citera les sarcopha-<br />

ges - comportant des représentations variées - d’Episkopi (Hiérapé-<br />

tra). d’Arméni (Réthymno) et de Dramia (Apokoronou). <strong>La</strong> découverte<br />

de nombreux vestiges minoens en Crète occidentale, aussi bien dans le


Introduction 67<br />

nome de Réthymno que dans celui de <strong>La</strong> Canée, a une importance par-<br />

ticulière ; il a été prouvé que sur l’acropole de cette dernière -<br />

aujourd’hui Kastelli - il y avait un important habitat minoen, mais la<br />

fouille - par Tzédakis Papapostolou et les membres de la Mission sué-<br />

doise - est rendue difficile par le fait que les maisons de la ville<br />

moderne sont bâties au-dessus des ruines. <strong>La</strong> découverte d’archives,<br />

sous forme de tablettes en linéaire A, dans cet habitat, apporta des élé-<br />

ments nouveaux qui viennent compléter ce qu’on savait déjà par les<br />

archives de Crète centrale (Phaistos, Haghia Triada, Cnossos, Archanès,<br />

Tylissos) et de Crète orientale (Zakro et Palaikastro).<br />

Des restes postpalatiaux furent trouvés en divers endroits de Crète<br />

centrale et orientale, en particulier à Tylissos, Cnossos, Phaistos,<br />

Képhali (Chondros Viannou) et Palaikastro. Dans l’habitat subminoen<br />

de Karphi (<strong>La</strong>ssithi), qu’avaient exploré Pendlebury et ses assistants,<br />

peu avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, les recherches ne<br />

purent être poursuivies : le principal fouilleur fut tué dans le combat<br />

que livrèrent les Allemands pour occuper la Crète, en 1941.<br />

En Grèce continentale, les principaux centres mycéniens constituèrent<br />

encore la base de la recherche. A Mycènes on découvrit et on fouilla -<br />

surtout Papadimitriou et Mylonas - le deuxième péribole des tombes<br />

royales, juste à l’extérieur de l’acropole. Des fouilles complémentaires<br />

furent réalisées dans les grandes tombes à tholos par les mêmes savants.<br />

Des ensembles de maisons minoennes furent fouillés à l’extérieur de<br />

l’acropole par Wace, Taylour, Papadimitriou, Deïlaki, Verdélis, Petsas<br />

et Mylonas. Ce dernier procéda à des fouilles systématiques sur I’acro-<br />

pole pour étudier la date du mur d’enceinte ; il effectua des fouilles<br />

complémentaires dans certaines parties du palais, des sanctuaires et des<br />

maisons ; Lord Taylour réalisa des fouilles semblables, sur une plus<br />

petite échelle. D’importantes figurines et des fresques furent mises au<br />

jour. A Tirynthe, l’Institut archéologique allemand et l’Éphore Verdélis<br />

découvrirent des éléments importants, surtout sur l’acropole basse -<br />

ainsi les galeries conduisant aux citernes et des bâtiments de l’agglomé-<br />

ration, à l’extérieur de l’acropole. Toute une série d’acropoles et des<br />

portions d’établissements furent explorées par de nombreux archéolo-<br />

gues en Argolide et à Corinthe, comme à la Deiras d’Argos, à Nauplie,<br />

à Myloi, à Prosymna, à Solygeion, etc. Les découvertes de l’Américain<br />

Caskey et de ses assistants à Lerne sont d’une importance particulière ;<br />

il mit au jour la fameuse a Maison des Tuiles n et fouilla des bâtiments<br />

appartenant aux périodes et phases les plus anciennes de la <strong>civilisation</strong><br />

helladique. Les recherches de Broneer et de ses assistants à Isthmia<br />

révélèrent d’importants vestiges de fortifications destinées probablement


68 LA CIVILISATION EGÉENNE<br />

à assurer la sécurité du Péloponnèse à l’époque mycénienne. En Cynu-<br />

rie, Romaios découvrit des tombes à tholos et des tombes taillées dans<br />

le rocher tendre. En <strong>La</strong>conie, ce sont surtout des Britanniques et des<br />

Grecs qui mirent au jour une fouie d’éléments inconnus, principalement<br />

des sanctuaires et des nécropoles, mais ils ne réussirent pas à découvrir<br />

les principaux centres mycéniens. En Arcadie, les recherches furent plus<br />

isolées.<br />

Au contraire, en Messénie et en Triphylie, les résultats furent sensa-<br />

tionnels. Blegen et ses assistants découvrirent le palais de Pylos sur la<br />

colline d’Englianos, ainsi que des monuments funéraires et des habitats.<br />

Sp. Marinatos étendit ses recherches sur les régions de Pylos et de<br />

Triphylie, trouva toute une lignée de tombes à tholos - à Koryphas-<br />

sion, Tragana, Myrsinochori, Koukounara et Péristéria -, des cimetiè-<br />

res entiers (Volimidia) et des restes d’habitats (Mouriatada). D’autres<br />

bâtiments importants et des cimetières proviennent des récentes recher-<br />

ches de Papathanassopoulos et de Parlama. En Élide et en Achaïe les<br />

découvertes les plus importantes furent faites dans des habitats et des<br />

cimetières mycéniens - par les archéologues Zapheiropoulos, Yialouris,<br />

Mastrokostas et Parlama -, dans la région de l’Alphée, à Samikon,<br />

Olympie, Dymé, Aigion.<br />

En Attique, Théocharis explora des installations du Néolithique et de<br />

I’Helladique Ancien sur les côtes - à Néa Makri et à Raphina - et<br />

Mylonas à Haghios Kosmas ; ce dernier fouilla égaiement les cimetières<br />

Helladique moyen et Helladique récent d’Éleusis. L’étude des fortifica-<br />

tions et des restes mycéniens de l’Acropole d’Athènes fut réalisée par<br />

lakovidès qui fouilla aussi, à fond, le cimetière mycénien récent de<br />

Pérati. Beaucoup de tombes mycéniennes, des dépôts et des restes de<br />

bâtiments furent encore découverts sur les pentes de l’acropole (Platon)<br />

et sur l’Agora (École américaine). Des fouilles complémentaires, très<br />

productives, eurent lieu dans la tombe à tholos de Marathon, sous la<br />

conduite de Papadimitriou qui mit égaiement au jour des vestiges plus<br />

anciens à Brauron et dans la grotte du Parnès.<br />

En Béotie, bien que les fouilles aient été limitées, on découvrit des<br />

éléments nouveaux, particulièrement importants. A Thèbes les archéolo-<br />

gues Platon, Touloupa, Syméonoglou, Spyropoulos et Démakopoulou<br />

explorèrent des parties nouvelles du palais de Cadmos et de ses ateliers.<br />

Le trésor des cylindres-sceaux orientaux prouva que la tradition concer-<br />

nant les rapports avec la Phénicie reposait sur des bases historiques ;<br />

d’importants tombeaux-hérôa furent découverts par Spyropoulos et des<br />

sections des murs de Cadmée par Touloupa. A Orchomène, des indices<br />

sur l’existence d’un palais ont amené à de nouvelles fouilles pour le


Introduction 69<br />

mettre à jour (Spyropoulos). Sur l’acropole de Gla les recherches furent<br />

poursuivies - par Threpsiadès - pour découvrir les portes de l’enceinte<br />

et de l’agora mycénienne. En bien des endroits de Béotie on explora des<br />

cimetières mycéniens, par exemple à Kallithéa de Tanagra - où fut<br />

découverte, lors des recherches de Spyropoulos, toute une série de sar-<br />

cophages historiés -, aux environs de Thèbes etc. On trouva de nom-<br />

breux vestiges du Néolithique, de I’Helladique ancien et de I’Helladique<br />

moyen, des ruines et des cimetières mycéniens, dans différentes régions<br />

de Phocide et de Locride.<br />

L’Étolie-Acarnanie fut explorée de façon plus systématique qu’aux<br />

époques précédentes. Mastrokostas fouilla toute une série de tombes à<br />

tholos mycéniennes, des cimetières mycéniens et des restes d’habitats.<br />

Plus au nord, dans la région du golfe de Pagasai, les restes mycéniens<br />

se multiplièrent et les recherches de Théocharis rendirent plus probable<br />

la découverte d’un grand palais à Iolkos. Des cimetières mycéniens<br />

furent trouvés dans bien des régions de Thessalie - fouillés par<br />

Mme Théocharis et d’autres archéologues. Mais les résultats les plus<br />

importants proviennent des fouilles de Théocharis dans les établisse-<br />

ments néolithiques de Thessalie - ses fouilles complémentaires à Sesklo<br />

furent fondamentales ; ils furent complétés par les recherches des<br />

archéologues allemands, surtout Milojcic et ses assistants dans la région<br />

du Péneios-Argissa Magoula, etc. <strong>La</strong> découverte de restes paléolithiques<br />

et mésolithiques fut essentielle.<br />

En Macédoine, en Épire et en Thrace, la fouille des vestiges préhisto-<br />

riques continua à être isolée et pour la plupart les découvertes furent<br />

accidentelles. Les résultats les plus notables proviennent des habitats<br />

néolithiques - de Néa Nicomédia, de Servia et de Dikili-Tash en Macé-<br />

doine -, d’établissements paléolithiques - grottes et abris d’Épire, sur-<br />

tout fouillés par Higgs et ses assistants -, de vestiges mycéniens, plutôt<br />

maigres - Parga, Éphyre et Kalpaki en Épire -, qu’explora Dakaris.<br />

Dans les Cyclades les recherches furent plus systématiques que précé-<br />

demment. A Saliagos et à Kéa, J. Evans, Renfrew et Caskey, découvri-<br />

rent pour la première fois des vestiges néolithiques. Caskey fouilla<br />

l’importante agglomération d’Haghia Irini au golfe de Koressos à Kéa<br />

et rendit plus clairs ses rapports avec la Crète. <strong>La</strong> découverte d’un tem-<br />

ple avec des idoles en terre cuite intéressantes par leur taille et leur<br />

style, apporta beaucoup à nos connaissances de la religion créto-<br />

mycénienne. Théra, explorée par Marinatos est un exemple caractéristi-<br />

que des installations créto-cycladiques ; la découverte de fresques portant<br />

des thèmes de la vie coloniale et des expéditions navales fut parti-<br />

culièrement importante. De nouveaux cimetières du Cycladique ancien


70 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />

furent découverts dans les îles dé Syros, Naxos, Paros, Despotikos,<br />

Siphnos etc., de même que des portions d’habitats du Cycladique<br />

moyen par Zapheiropoulos, Mme Zapheiropoulos, Condoléon et Dou-<br />

mas, à Naxos et Paros. A Délos, sous l’Artémision, Gallet de Santerre<br />

trouva un trésor d’objets d’or et d’ivoire ; d’autres vestiges mycéniens<br />

furent étudiés dans la région du sanctuaire du Cynthe. A Cythère, Hux-<br />

ley et ses collaborateurs fouillèrent les restes d’installations minoennes<br />

successives. Dans les Sporades du Nord, bien que les recherches aient<br />

été limitées, on mit au jour des vestiges importants, surtout à Skopélos<br />

- où, même avant la dernière guerre mondiale, Platon avait trouvé une<br />

tombe royale (à Staphylos) -, à Skyros et à Alonissos (surtout par<br />

Théocharis). Enfin, dans bien des îles du Dodécanèse - à Rhodes, à<br />

Kos, à Kalymnos et à Karpathos -, on fouilla de nouveaux cimetières<br />

mycéniens et on étudia des portions d’agglomérations mycéniennes.<br />

A Chypre la recherche se poursuivit brillamment à Enkomi. <strong>La</strong> Mis-<br />

sion suédoise (Astrom, Sjoqvist, etc.) explora de nombreux sites néoli-<br />

thiques, du Bronze ancien et du Bronze moyen, les Anglais Cattling et<br />

Stubbings systématisèrent l’étude de la métallurgie et de la céramique ;<br />

Karagheorgis, par d’autres recherches, éclaircit bien des problèmes de<br />

l’évolution de la <strong>civilisation</strong> chypriote.<br />

Les récentes fouilles réalisées par des représentants des écoles archéo-<br />

logiques étrangères, dans les couches préhistoriques d’importants centres<br />

de l’Asie antérieure - Milet, Smyrne, Iasos - mirent en lumière les<br />

rapports de cette région avec les Cyclades et, plus tard, avec la civilisa-<br />

tion créto-mycénienne. On étudia des variantes de la <strong>civilisation</strong><br />

troyenne dans des centres côtiers d’Asie Mineure et des îles voisines.<br />

Les recherches d’avant-guerre et plus modernes à Poliochni (Limnos)<br />

furent publiées par l’École italienne - surtout Brea - et les fouilles<br />

britanniques - surtout Hood - à Chios et de l’École allemande à<br />

Samos apportèrent des éléments nouveaux.<br />

Le déchiffrement du Linéaire B, en 1952, par les savants britanniques<br />

Ventris et Chadwick, marqua une étape importante dans notre connais-<br />

sance du monde créto-mycénien. Malgré les opinions contraires, formu-<br />

lées de façon quelque peu violente par bien des savants - Beattie,<br />

Brice, Grumach, etc. - le déchiffrement peut être considéré comme un<br />

fait, même si la plupart des textes soulèvent des problèmes. <strong>La</strong> décou-<br />

verte et l’étude de nouvelles tablettes de Pylos, Mycènes, Thèbes et<br />

d’autres sites et l’étude exhaustive du matériel déjà connu de Pylos et<br />

Cnossos, semble confirmer les résultats du début. Mais, dans son<br />

ensemble, le problème de la langue et de l’écriture créto-mycénienne<br />

doit faire l’objet d’un chapitre spécial.


Les systèmes chronologiques.<br />

Chronologie relative et chronologie absolue<br />

Dès le début des découvertes, on essaya de situer chronologiquement<br />

les vestiges de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> - non sans difficultés et quelque-<br />

fois arbitrairement - et de constituer un système plausible pour repla-<br />

cer dans le temps son évolution. De par ses préjugés, Schliemann s’est<br />

trouvé dans l’impossibilité, aussi bien à Troie qu’à Mycènes, d’avancer<br />

des rapprochement sûrs et de donner des dates, même approximatives.<br />

Presque jusqu’à la fin, il soutint que c’était la deuxième ville de Troie<br />

qui était celle de Priam et que les rois morts de l’acropole de Mycènes<br />

étaient Agamemnon et son entourage ; mais, là encore, mettant de côté<br />

la tradition grecque et tout rapprochement avec des données orientales<br />

et égyptiennes précisément datées, il donna d’incroyables chronologies.<br />

Seul Dorpfeld, qui l’assista par la suite, mit un peu d’ordre dans tout<br />

cela. Toutefois, les archéologues des années 1870-1889 continuaient à<br />

discuter, mais en vain, la chronologie des trouvailles préhistoriques sui-<br />

vant la qualification qu’ils leur donnaient ; certains les dataient de la<br />

deuxième moitié du IIC millénaire av. J.-C., d’autres du premier tiers du<br />

1“ millénaire. Ce n’est qu’après les premiers rapprochements - faits en<br />

1890 par l’égyptologue Flinders Petrie - entre des groupes de vases<br />

mycéniens trouvés dans le Fayoum et à Kahoun, et des scarabées prove-<br />

nant des tombes de Mycènes, qu’on eut une base plus sûre pour une<br />

chronologie absolue de la <strong>civilisation</strong> mycénienne qui, dès lors, fut con-<br />

sidérée comme parallèle à celle du Nouvel-Empire en Égypte.<br />

Les recherches systématiques d’Evans à Cnossos, commencées en<br />

1900, constituèrent une autre base pour une chronologie aussi bien rela-<br />

tive qu’absolue. Les remarques stratigraphiques favorisèrent celle-là,<br />

tandis que la deuxième s’appuyait davantage sur les comparaisons entre<br />

la <strong>civilisation</strong> minoenne et les <strong>civilisation</strong>s égyptienne et orientale. A<br />

partir de la céramique, le savant anglais isola les périodes qui précédè-<br />

rent la céramique mycénienne et, dans la dernière d’entre elles, il distin-<br />

gua des degrés dans l’évolution qui se rattachaient, les uns à l’époque<br />

des Nouveaux Palais, les autres à l’époque qui suivit leur destruction. I1<br />

se confirma que la céramique polychrome de Camarès avait surtout<br />

fleuri à l’époque des Premiers Palais et que cette période avait été pré-<br />

cédée d’une autre, très longue - croyait-il -, dont les phases se distin-<br />

guaient par las styles céramiques. <strong>La</strong> chronologie basse fixée pour<br />

l’Égypte par Edouard Meyer - 1904 et 1907 - expliqua plus facile-<br />

ment les correspondances entre les objets minoens trouvés en Égypte et<br />

les objets égyptiens trouvés en Crète et dans le monde mycénien ; ce fut


72 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

la base d’un système chronologique, finalement proposé par Evans au<br />

Congrès archéologique international d’Athènes, en 1905. Influencé par<br />

la tradition, il choisit une subdivision en périodes, fondée sur le chiffre<br />

neuf - 3 x 3 -, qu’il désigna du nom de Minoen ancien, Minoen<br />

moyen et Minoen récent, comportant chacune trois phases. Pour les<br />

trois phases de la première période il admit, à l’origine, des dates assez<br />

hautes - 3400-2800, 2800-2400 et 2400-2100 - mais, plus tard, il des-<br />

cendit le début de deux siècles. Ce système chronologique fut générale-<br />

ment admis et utilisé jusqu’à ces dernières décennies, même si on effec-<br />

tua quelques changements pour les périodes les plus anciennes. Ces<br />

changements apparurent nécessaires après des réadaptations dans les<br />

systèmes égyptiens et orientaux : des périodes intermédiaires, sombres et<br />

troublées - en Égypte, entre l’Ancien et le Moyen-Empire et entre le<br />

Moyen et le Nouvel-Empire -, furent réduites ou considérées comme<br />

parallèles. Un peu avant la Deuxième Guerre mondiale, Pendlebury con-<br />

tinuait à soutenir le système chronologique d’Evans, avec de très petites<br />

variantes :<br />

Minoen ancien :<br />

I 3000-2800 II 2800-2500 III 250-2200<br />

Minoen moyen :<br />

1 2200-2000 II 2000-1780 III 1780-1580<br />

Minoen récent :<br />

1 1580-1450 II 1450-1400 III 1400-1180<br />

Subminoen :<br />

1180-1 100<br />

G. Glotz, suivant de près Evans, admettait ces chronologies :<br />

Minoen ancien :<br />

I 3000-2800 II 2800-2400 III 2400-2100<br />

Minoen moyen :<br />

I 2100-1900 II 1900-1750 III 1750-1580<br />

Minoen récent :<br />

I 1580-1450 II 1450-1400 III 1400-1200<br />

P. Demargne, dans une note liminaire de l’édition de 1952 du livre de<br />

Glotz, résuma les nouvelles données chronologiques : toutes les phases<br />

ne se correspondent pas exactement dans les différentes régions de Crète<br />

et dans certains endroits quelques-unes d’entre elles ne sont pas du tout<br />

représentées. Le Minoen ancien III a commencé plus tôt en Crète orien-


Introduction 73<br />

tale où le Minoen moyen II et le Minoen récent II sont, pour ainsi dire,<br />

inexistants. Le palais de Phaistos n’a pas connu les phases initiales du<br />

Minoen moyen et existait encore à une époque avancée du Minoen<br />

moyen III. I1 souligna également qu’une chronologie raccourcie s’imposait<br />

après l’abaissement de la chronologie orientale - avec Hammourabi<br />

dans la deuxième moitié du XIX~ siècle ou, selon d’autres, dans la<br />

première ou la deuxième moitié du XVIII‘ siècle. De très justes remarques<br />

sur des parallèles égyptiens et certaines réadaptations dans<br />

l’ancienne chronologie égyptienne conduisirent à un abaissement général<br />

de la première chronologie crétoise. Des changements s’imposèrent également<br />

dans les différentes phases de la <strong>civilisation</strong> Minoen récentmycénienne,<br />

sur la base de nouveaux parallèles égyptiens et orientaux,<br />

même si ces changements aboutissaient à une opposition avec les chronologies<br />

fournies par la tradition grecque - la chronologie d’Ératosthène<br />

sur la guerre de Troie par exemple.<br />

Depuis 1950, Fr. Matz - suivi de près par Milojcic -, partant des<br />

modifications de la chronologie égyptienne par Stock et de la chronologie<br />

orientale par Ungnad, admit la chronologie suivante :<br />

Minoen ancien :<br />

I 2600-2300 II 2300-2150 III 2150-2000<br />

Minoen moyen :<br />

I 2000-1900 IIA 1900-1800 IIB 1800-1700 III 1700-1570<br />

Minoen récent :<br />

IA 1570-1500<br />

Subminoen :<br />

1150-1050<br />

IB-II 1500-1425 III 1425-1 150<br />

R. Hutchinson, après bien des hésitations, admit les chronologies sui-<br />

vantes :<br />

Minoen ancien :<br />

I 2500-2400 I1 2400-2100 III 2100-1950<br />

Minoen moyen :<br />

I 1950-1830 II 1830-1750 111 1750-1550<br />

Minoen récent :<br />

I 1550-1450 II 1450-1400 III 1400-1050<br />

Subminoen :<br />

1050-970


74 LA CIVILISATION ÉC~ENNE<br />

A partir des nouvelles découvertes et des synchronismes avec l’Égypte et<br />

l’Orient - provenant surtout des couches archéologiques de Cnossos,<br />

Phaistos, Lébéna et Katsamba -, certains changements furent proposés<br />

par Hood, Levi et Alexiou ; 2600 fut admis comme point de départ de<br />

la <strong>civilisation</strong> minoenne ; la limite entre le Minoen ancien et le Minoen<br />

moyen fut descendue aux environs de 2000 et le début du Minoen<br />

moyen IB fixé en 1900 ; la fin du Minoen moyen II fut située vers<br />

1700, la limite entre le Minoen récent IA et le Minoen récent IB aux<br />

alentours de 1500 et la fin des Nouveaux Palais, à Cnossos - après les<br />

recherches céramologiques de Popham - vers 1380 ou 1370 ; de toute<br />

façon, il fut confirmé que l’apogée de la céramique du Style du Palais<br />

tombait dans la deuxième moitié du xvc siècle - d’après une amphore<br />

en albâtre, inscrite, de Thouthmosis 111, trouvée par Alexiou à Kat-<br />

samba.<br />

Très tôt, bien des savants remarquèrent les faiblesses du système<br />

chronologique d’Evans qui se fondait presqu’exclusivement sur I’évolu-<br />

tion des styles céramiques ; ces styles pouvaient pourtant se développer<br />

parallèlement, être absents ou rester en retard par conservatisme, dans<br />

certaines régions. Le découpage en périodes et en phases ne s’appuyait<br />

pas sur les grands faits historiques qui, par des catastrophes vastes et<br />

subites, apportaient des changements dans l’évolution. D’autre part, on<br />

remarquait une tendance à la systématisation rythmique qui ne devait<br />

normalement pas correspondre à l’évolution historique. Malgré la<br />

grande autorité d’Evans, son système chronologique fut, très vite, sévè-<br />

rement critiqué sans qu’un autre fût proposé pour autant. Divers élé-<br />

ments, surtout céramologiques, semblent aller à l’encontre des données<br />

d’Evans. Ces difficultés étaient d’autant plus importantes qu’il y avait<br />

encore de grandes failles dans la distinction et la succession des divers<br />

styles de Camarès. Joseph Hazzidakis par exemple, soutenait que des<br />

vases du Minoen ancien se trouvaient dans les mêmes couches que des<br />

vases du style de Camarès qu’on considérait comme Minoen moyen.<br />

N. Aberg dans son livre Früheisenzeitliche und bronzezeitliche<br />

Chronologie (I 932-1933) contesta la base même de la chronologie<br />

d’Evans, soutenant que bien des styles étaient contemporains, que chan-<br />

gement ne signifiait pas toujours évolution et que par conséquent on ne<br />

pouvait considérer que trois périodes : prépalatiale, période de Camarès<br />

et Minoen récent ; il ajouta que dans les deux premiers divers styles<br />

coexistaient qu’Evans avait fait se succéder. Pendlebury essaya de<br />

démolir ses arguments en résumant dans son ouvrage Archaeology of<br />

Crete (I 939)’ les données stratigraphiques sûres d’Evans. <strong>La</strong> critique


Introduction 75<br />

d’Aberg, cependant, contribua à préciser la distinction des différents<br />

styles céramiques et à rechercher entre eux des liens.<br />

<strong>La</strong> principale contestation de la valeur du système chronologique<br />

d’Evans fut faite par Doro Levi, après de nouvelles et longues recher-<br />

ches, surtout stratigraphiques, qu’il assuma à Phaistos ; sur la base de<br />

ses découvertes importantes dans des couches scellées de la région des<br />

palais, il arriva à la conclusion qu’après l’époque néolithique il y eut<br />

une période intermédiaire, relativement brève, de caractère tout à fait<br />

transitoire, jusqu’au début de la <strong>civilisation</strong> des Anciens Palais ; celle-ci<br />

évolua en trois phases successives. Suivirent les phases - pas très faci-<br />

les à distinguer - de la <strong>civilisation</strong> des Nouveaux Palais et, ensuite, la<br />

<strong>civilisation</strong> postpalatiale qui prit presque un caractère mycénien. Les<br />

phases des Anciens Palais à Phaistos sont représentées par des com-<br />

plexes de construction successifs et chaque niveau s’est trouvé scellé par<br />

le mortier des fondations du complexe suivant. Au contraire, à l’époque<br />

néopalatiaie, les reconstructions ont été faites a peu près au même<br />

niveau et la distinction des phases se révéla particulièrement difficile.<br />

D’après Levi, Evans reconnut des couches qui n’existaient pas et lia à<br />

des époques différentes des styles céramiques dont la plupart eurent une<br />

évolution parallèle, certains en dehors de la région de Cnossos. En<br />

1960. Levi résuma ses résultats dans le tableau chronologique suivant :<br />

Période Chalcolithique : - 2000<br />

- Prépalatiale (brève) : 2000.1850<br />

- Protopalatiale la, b et II : 1850-1700<br />

- Protopalatiale III : 1700-1550<br />

Minoen récent a et b (?) : 1550-1400<br />

Mycénien : 1400-1 100<br />

Les points de vue de Levi ne furent pas admis dans leur ensemble ; on<br />

critiqua l’interprétation des découvertes (Platon, Matz, Hood, Fiandra).<br />

En 1958 fut proposé - au vc Congrès préhistorique international de<br />

Hambourg -, par N. Platon, le nouveau système chronologique qui<br />

commença alors à être plus généralement appliqué. I1 est fondé, d’une<br />

part, sur les grandes coupures qui engendrèrent - par des catastrophes<br />

étendues et des reconstructions - les phases et les périodes historiques<br />

et, de l’autre, sur le fait que le caractère pris par la <strong>civilisation</strong> à ces<br />

époques dépendait, pour une grande part, du rôle joué par les palais en<br />

tant que centres de rayonnement. Cette base était déjà admise par


76 LA CIVILISATION GGÉENNE<br />

Aberg et elle le fut, plus tard, par Doro Levi ; mais les théories radicales<br />

de ces savants ne laissaient pas de place à une application plus systématique.<br />

Le système qui fut finalement proposé est le suivant :<br />

Prépalatial (subnéolithique) :<br />

I 2600-2400 II 2400-2100 III 2100-1900<br />

Paléopalatial :<br />

I 1900-1830 II 1830-1750 III 1750-1700<br />

Néopalatial :<br />

I 1700-1600 II 1600-1500 III 1500-1450 IV 1450-1380<br />

(il Cnossos)<br />

Postpalatial :<br />

I 1380-1320 II 1320-1220 III 1220-1120<br />

Subminoen :<br />

1120-1050<br />

Les divers savants ne furent évidemment pas totalement d’accord sur les<br />

chronologies absolues ni sur les limites de chaque période et de chaque<br />

phase ; mais le système fut admis dans son ensemble par la plupart<br />

d’entre eux. Certains continuaient à soutenir des chronologies très hau-<br />

tes - avec pour début 3000 ou 2800 - ou très basses - la fin allant<br />

jusqu’à 950 ou 900. <strong>La</strong> correspondance entre les périodes et les phases<br />

du tableau ci-dessus et celles d’Evans est la suivante :<br />

Prépalatial (subnéolithique) :<br />

I =MAI II = MA II II1 = MA III-MM IA<br />

Paléopalatial :<br />

I = MM IB II = MM IIA I11 = MM IIB<br />

Néopalatial :<br />

I = MM III II = MR IA III = MR IB IV = MR II-<br />

MRIIIAI<br />

Postpalatial :<br />

I = MR 111 A2 II = MR IIIB III = MR IIIC<br />

Subminoen :<br />

Subminoen


Introduction 77<br />

A partir du système chronologique d’Evans on a fabriqué les chronolo-<br />

gies des autres grandes régions de Grèce continentale et des îles. Pour la<br />

première, on a distingué trois périodes principales dont chacune se sub-<br />

divise en trois phases : Helladique ancien I, II, III, Helladique moyen 1,<br />

II, III, Helladique récent I, II, III. Cette dernière période correspond<br />

au développement et à l’extension de la <strong>civilisation</strong> mycénienne et elle<br />

est également divisée en trois phases : Mycénien ancien, moyen et<br />

récent. <strong>La</strong> correspondance avec les périodes et les phases de la civilisa-<br />

tion minoenne est presque parfaite, même si, au début, on crut que la<br />

<strong>civilisation</strong> de I’Helladique ancien I, II et III était quelque peu en retard<br />

sur la <strong>civilisation</strong> minoenne. Les études de Blegen et Wace apportèrent<br />

beaucoup pour une division plus précise en phases et sous-phases ;<br />

Furumark et Kantor éclaircirent encore davantage les choses. En accord<br />

avec les dernières théories, la chronologie helladique pourrait se résumer<br />

ainsi :<br />

Helladique ancien :<br />

I 2600-2400 II 2400-2100 III 2100-1900<br />

Helladique moyen :<br />

1-11 1900-1700 III 1700-1600<br />

Helladique récent :<br />

I 1600-1500 II 1500-1380 III A 1380-1320<br />

(Myc. ancien) (Myc. moyen) III B 1320-1220<br />

111 c 1220-1120<br />

Submycénien :<br />

1 120- 1050<br />

Les rapports étroits entre les Cyclades et la Crète nous permettent de<br />

déterminer des périodes et des phases, et ces correspondances deviennent<br />

encore plus sûres si on les rapproche des périodes et phases Helladiques<br />

correspondantes. A partir de là on pourrait proposer le tableau sui-<br />

vant :


78 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Cycladique ancien :<br />

I 2600-2400 II 2400-2100 III 2100-1900<br />

Cycladique moyen :<br />

1-11 1900-1700 III 1700-1600<br />

Cycladique récent :<br />

I 1600-1500 II 1500-1380 III 1380-1 120<br />

(M. R. A, B, C)<br />

Cycladique submycénien :<br />

1120-1050<br />

Tous les savants ne sont encore pas d’accord avec ces chronologies<br />

absolues ; Renfrew - un de ceux qui se sont penchés le plus récemment<br />

sur la question - croit que le Cycladique ancien I précède quelque peu<br />

le Minoen ancien I et que la chronologie absolue des phases les plus<br />

anciennes de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> est plus haute que celle qui a été<br />

admise par la plupart des savants ; il voudrait en fixer le commence-<br />

ment au début du ille millénaire av. J.-C.<br />

Les correspondances plus précises avec le système chronologique de la<br />

<strong>civilisation</strong> troyenne sont discutables ; il y a des rapprochements a faire<br />

avec le Bronze ancien de Cilicie, daté de façon assez sûre par les don-<br />

nées égyptiennes et orientales. Mais, là aussi, il y a des différences de<br />

vues, surtout entre Mellaart et Melinck :<br />

Bronze ancien Mellaart ( 1962) Melinck (1965)<br />

I Troie I Kum Tépé<br />

It Troie II Troie I<br />

IIIA Troie III Troie II<br />

IIIB Troie IV Troie III-IV<br />

Les correspondances les plus plausibles de la chronologie troyenne<br />

avec les chronologies cycladique et helladique sont les suivantes :<br />

Troie I :<br />

Cycladique ancien I et début II<br />

Helladique ancien I et début II<br />

Troie II :<br />

Fin du Cycladique ancien II<br />

Fin de I’Helladique ancien II


Troie III :<br />

Passage du Cycladique ancien 11 au 111<br />

Passage de I’Helladique ancien II au III<br />

Troie IV-V :<br />

Cycladique ancien III<br />

Helladique ancien III<br />

introduction 79<br />

Troie VI :<br />

Cycladique moyen, début du Cycladique récent<br />

Helladique moyen, début de I’Helladique récent<br />

Troie VI1 A :<br />

Cycladique récent III<br />

Helladique récent III A et début B.<br />

A Chypre la chronologie fut établie à partir des coordinations entre<br />

l’Orient et l’Égypte d’une part, et du reste de la chronologie <strong>égéenne</strong> de<br />

l’autre. Karagheorgis a donné - en 1968 - le tableau suivant, fondé à<br />

la fois sur les anciens tableaux de Dikaios et de la Mission suédoise et<br />

sur les nouveaux points de vue concernant le Bronze récent à Chypre :<br />

Chalcolithique :<br />

I 3000-2500 II 2500-2300<br />

Bronze ancien :<br />

I 2300-2200 II 2200-2100 III 2100-2000<br />

Bronze moyen :<br />

I 2000-1600<br />

Bronze récent :<br />

IA 1600-1450 IB 1450-1400<br />

IIA 1400-1300 IIB 1300-1230<br />

IIIA 1230-1190 IIIB 1190-1150 IIIC 1150-1050<br />

Peut-être ce système nécessite-t-il quelque révision quant aux chronolo-<br />

gies absolues et à la dénomination des phases du Bronze récent qu’il<br />

faudrait, pour des raisons pratiques, adapter davantage à la chronologie<br />

mycénienne du reste du monde égéen.<br />

En Grèce du nord - Macédoine, Thrace, Épire - on a établi des<br />

systèmes chronologiques analogues à ceux de Grèce du sud ; mais la


80 LA CIVILISATION ECiÉENNE<br />

longue durée de la <strong>civilisation</strong> néolithique et du Chalcolithique là-bas,<br />

demanderait une terminologie différente et une subdivision en périodes<br />

et phases.<br />

II est clair que la chronologie absolue a des faiblesses et n’est pas<br />

sûre, tout au moins en ce qui concerne les périodes et les phases les<br />

plus anciennes. Voilà pourquoi il y a toujours des désaccords sur les<br />

propositions des savants. C’est la raison pour laquelle on accueillit avec<br />

soulagement l’application des méthodes physiques - principalement le<br />

Carbone 14 et la dendrochronologie - pour fixer certaines chronologies<br />

absolues sur lesquelles se fondent d’autres chronologies relatives. Mal-<br />

heureusement, les résultats, dans bien des cas, furent contradictoires et<br />

pas toujours logiques ; peut-être est-ce dû à des imperfections de la<br />

méthode ou à des erreurs dépendant du prélèvement des échantillons.<br />

En fait les savants accueillirent ces résultats avec précaution et scepti-<br />

cisme et ne les utilisèrent qu’accessoirement, au moins pour les périodes<br />

relativement récentes de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>.<br />

Nous donnons comme exemple ici quelques-unes de ces chronologies<br />

telles que les a formulées Renfrew dans le tableau de son livre The<br />

Emergence of Civilisation, Londres 1972 :<br />

Grottes de Crète<br />

Myrtos<br />

Myrtos<br />

Myrîos<br />

Phaistos<br />

Palaikastro<br />

Képhala (Kéa)<br />

Eutrésis<br />

Eutrésis<br />

Lerne<br />

Lerne<br />

Lerne<br />

Lerne<br />

Lerne<br />

Emborio IV Chios<br />

Argissa<br />

Argissa<br />

Fin Néolithique<br />

Minoen ancien II<br />

Minoen ancien II<br />

Minoen ancien II<br />

Minoen moyen<br />

Minoen moyen III<br />

Néolithique récent<br />

Cycladique<br />

Helladique ancien I<br />

Helladique ancien II<br />

Helladique ancien II<br />

Helladique ancien II<br />

Helladique ancien III<br />

Helladique moyen<br />

Helladique moyen<br />

Troie I<br />

Néolithique ancien III<br />

Néolithique moyen<br />

2550 f 300<br />

2192 f 80<br />

1855 f 85<br />

1785 2 80<br />

1525 f 120<br />

1500 t 75<br />

2876 f 56<br />

2496 f 69<br />

2262 f 56<br />

2120 f 65<br />

2031 f 64<br />

1919 f 53<br />

1798 f 108<br />

1568 f 51<br />

2025 f 92<br />

2110 f 80<br />

2050 2 70


introduction 81<br />

En gros, on remarque que les chronologies des périodes les plus ancien-<br />

nes semblent très basses par rapport à celles qui furent constituées sur<br />

la base de critères historiques sûrs. Semblent également basses, les chro-<br />

nologies des périodes les plus récentes comme par exemple la couche de<br />

destruction de Zakro et de Théra (xirre et xivC siècles av. J.-C.). Pour<br />

les périodes intermédiaires les chronologies paraissent plus en accord<br />

avec les données historiques.<br />

Certains historiens, sur la foi des tableaux généalogiques anciens, fon-<br />

dés sur la tradition mythologique, essayèrent d’insérer certains faits liés<br />

avec les personnages de ces généalogies dans les différentes périodes et<br />

phases de l’époque mycénienne. Le système semble fonctionner de<br />

manière assez satisfaisante, malgré les confusions provenant des change-<br />

ments ultérieurs dans ces généalogies qui créèrent bien des difficultés<br />

dans l’harmonisation des données. En tout cas, cela nécessite un long et<br />

pénible travail de critique sur les traditions jusqu’à ce que soit davan-<br />

tage éclairci leur fondement historique.


PREMIERE PARTIE<br />

LA CIVILISATION NÉOLITHIQUE


LA CIVILISATION NÉOLITHIQUE<br />

précurseur de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong><br />

Dans le monde égéen, la recherche de vestiges remontant au début de<br />

l’âge de la Pierre - Paléolithique ancien et moyen - est relativement<br />

récente et date surtout de l’après-guerre. Les grandes différences climati-<br />

ques à l’origine des époques glaciaires et interglaciaires du Pléistocène<br />

ancien - sans doute plus tempérées que dans l’Europe centrale ou sep-<br />

tentrionale -, avaient engendré des conditions de vie relativement plus<br />

favorables à une économie de chasse et de cueillette en rapport avec la<br />

faune et la flore qui changeaient à chaque fois. Malheureusement, nous<br />

sommes très mal renseignés sur les stades les plus anciens de cette adap-<br />

tation. Du matériel technologique de l’homme du Paléolithique ancien<br />

nous n’avons que deux ou trois outils du type coup de poing de la<br />

période acheuléenne ; le plus caractéristique d’entre eux provient de<br />

Palaikastro dans la région de Vermio, non loin de Kozani.<br />

Des restes - beaucoup plus caractéristiques - d’outils en silex et en<br />

os furent découverts dans des couches argileuses bien précises de la<br />

région du Pénée - surtout à Argissa Magoula par Milojcic - et dans<br />

la région de Paramythia - principalement dans des grottes et des abris<br />

sous roche par Higgs et ses collègues. Les outils en pierre taillée appar-<br />

tenaient, pour ia plupart, au Paléolithique moyen, période connue sous<br />

le nom de Moustérien ; la technique des outils est Levallois-<br />

Moustérienne et leur type les ferait dater de 80 O00 à 50 O00 ans. Dans<br />

ces deux régions on a trouvé, dans des couches supérieures, des outils<br />

de l’Aurignacien, phase la plus ancienne du Paléolithique récent ; les<br />

outils en os présentent une facture grossière. De si pauvres vestiges peu-<br />

vent difficilement nous renseigner sur le type de vie, mais bien des indi-<br />

ces montrent que l’homme du Paléolithique moyen appartenait au type<br />

de Néanderthal et celui du Paléolithique récent, au type de l’Homo<br />

sapiens déjà développé. Un important fragment de crâne, se rattachant<br />

au premier type, fut même trouvé dans une grotte de la région de<br />

Pétralona en Chalcidique et étudié par les spécialistes Kokkoros et


cr',<br />

Fig. 1. - Formes de vases de l'époque néolithique : a, ancienne ;<br />

be, moyenne ; f-o. récente.


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 87<br />

Kanellis de l’université de Thessalonique. D’autres restes, moins impor-<br />

tants, furent mis au jour dans la grotte de Seïdi, en Copaïde, par<br />

Stampfuss ; ils datent du Paléolithique récent et représentent assez bien<br />

la technique des lames ; d’autres semblables proviennent d’Argolide<br />

(Hermioni, grotte Ulbrich de Némée et caverne Franchti d’Hermioni),<br />

d’Élide (Kastro Tornese) et dernièrement des régions d’ Amalias du<br />

Katakôlon, en Élide. Dans ces deux dernières régions les restes les plus<br />

importants dataient du Paléolithique moyen. <strong>La</strong> découverte de peintures<br />

murales du Paléolithique Récent dans des grottes de Thessalie n’est pas<br />

confirmée et des savants discutent l’authenticité d’une petite tablette en<br />

schiste portant la représentation d’un cheval.<br />

I1 s’avéra encore plus difficile de retrouver les restes de la technologie<br />

humaine - et de déterminer par ià le mode de vie - dans le monde<br />

égéen au début de la nouvelle période chaude, connue sous le nom de<br />

Mésolithique. Les récentes découvertes de la caverne Franchti en Argo-<br />

lide, montrèrent une continuité des dernières étapes du Paléolithique<br />

récent au Mésolithique et au Néolithique ancien ; on suit ainsi le chan-<br />

gement de vie dans une région côtière de la Grèce du Sud. On voit le<br />

passage de la technique du débitage leptolithique à celle des microlithes,<br />

de la chasse des petits animaux à la pêche et les balbutiements de I’éco-<br />

nomie de production. C’est au même stade de <strong>civilisation</strong> qu’appartien-<br />

nent, sans aucun doute, les établissements de l’Isthme, de la Mégaride,<br />

que Marcovitch avait explorés bien avant. Le résultat de ses recherches<br />

- qui furent imparfaitement publiées - avait alors été fortement con-<br />

testé. Plus tard, des collections de microlithes en silex et en obsidienne<br />

furent constituées dans les îles Ioniennes, à Céphalonie et à Zacynthe,<br />

et il fut difficile de leur fixer une chronologie précise. De nouvelles<br />

trouvailles, à Sidari sur la côte nord de Corfou et dans la région du lac<br />

Boebé (Karla) en Thessalie, furent reconnues comme mésolithiques,<br />

mais avec un caractère épipaléolithique. D’une manière générale on a<br />

l’impression que le Mésolithique n’eut pas la même durée dans toutes<br />

les régions de Grèce et qu’il fut plutôt bref là où la <strong>civilisation</strong> néolithi-<br />

que naquit très tôt. <strong>La</strong> technologie des microlithes présente des variétés<br />

plutôt atypiques. Dernièrement, Théocharis découvrit d’autres installa-<br />

tions mésolithiques dans les Sporades du Nord. Malheureusement on<br />

sait peu de choses sur de plus vastes installations ou sur le mode de vie<br />

et on en connaît encore moins sur les progrès réalisés dans le domaine<br />

intellectuel et spirituel qui, si l’on en juge par la suite, ne devaient pas<br />

être insignifiants. Les recherches commencées sur les berges du lac<br />

Yliki, en Béotie, n’ont pas encore été publiées mais il semble que les<br />

résultats soient d’importance.


m<br />

rn<br />

. ._.. .. :. .:.:.e<br />

U<br />

V<br />

k t<br />

Fig. 2. - Motifs décoratifs de l'époque néolithique : a-c, ancienne ;<br />

d-p, moyenne ; q-t, récente ; u-x, époque nhlithique crétoise.<br />

O<br />

P<br />

x


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 89<br />

<strong>La</strong> transition du Mésolithique au Néolithique dans le monde égéen<br />

présuppose l’existence de facteurs particulièrement favorables qui per-<br />

mettent à l’homme de passer du stade chasse-cueillette - dans lequel il<br />

est maintenant plus habile - au stade de production. Peut-être qu’en<br />

Orient, dans le Croissant fertile, ce passage à une économie de produc-<br />

tion - choisir les plantes et domestiquer les animaux - a eu lieu plus<br />

tôt, peut-être vers la fin du IXe millénaire av. J.-C., à une époque donc<br />

où dans le monde égéen la <strong>civilisation</strong> se trouvait encore à un stade épi-<br />

paléolithique ou mésolithique. En effet, cette région englobait les pentes<br />

des montagnes qui bénéficiaient d’un climat favorable, de la présence<br />

d’une flore et d’une faune en plein développement, et qui bordaient les<br />

grands déserts et les plaines de Mésopotamie. Mais il semble prouvé<br />

maintenant que dans le monde méditerranéen, on ne tarda pas à faire<br />

les premiers pas vers le nouveau mode de vie que Gordon Childe carac-<br />

térisa peut-être très audacieusement de (( révolutionnaire ». Théocharis a<br />

eu raison d’insister sur le fait que ce changement important se réalisa de<br />

façon relativement indépendante dans les différentes régions favorisées,<br />

parmi lesquelles se trouve le monde égéen.<br />

L’évolution passa, sans aucun doute, par un premier stade transitoire,<br />

assez long, sur lequel, malheureusement, nous ne sommes pas assez ren-<br />

seignés. <strong>La</strong> Thessalie surtout, avec ses plaines alluviales, possédait des<br />

qualités qui conduirent très vite à des installations plus sédentaires, con-<br />

sécutives à l’extension d’un début de culture et d’élevage. Les premiers<br />

stades ne nous sont connus que par des recherches relativement récen-<br />

tes, qui ne remontent pas au-delà d’une génération. Bien qu’il l’ait<br />

théoriquement admise, Tsountas n’avait pas distingué d’évolution précé-<br />

dant celle qu’on pourrait qualifier de (( classique >) et qu’on appela la<br />

Civilisation de Sesklo. Les fouilles de Wace et Thompson - qui suivi-<br />

rent à Tsangli, Tzani Magoula et à Zérélia - ne mirent au jour que la<br />

phase classique N de Sesklo et on resta ainsi avec l’impression que la<br />

<strong>civilisation</strong> n’était représentée que par deux phases. Les recherches systé-<br />

matiques de Milojcic à Argissa et de Théocharis à Sesklo éclaircirent<br />

l’ensemble de l’évolution néolithique en Thessalie ; et elles furent com-<br />

plétées par d’autres fouilles un peu partout. Les conclusions peuvent<br />

être résumées comme suit :


Le Néolithique ancien<br />

Le Néolithique ancien, sur la base de résultats chronologiques obtenus<br />

par la méthode du Carbone 14, pourrait être daté du VIP et du<br />

VIe millénaire av. J.-C. <strong>La</strong> phase première ne connut pas la production<br />

de céramique, aussi la qualifie-t-on de Précéramique. Au Néolithique<br />

ancien - des vestiges furent découverts dans les couches très profondes<br />

d’Argissa et de Sesklo - la population était installée dans des cabanes<br />

en matériaux périssables, construites dans des tranchées de forme ellipti-<br />

que ou carrée aux angles arrondis ; l’image de cet habitat est complétée<br />

par des fosses pour le stockage des grains, des trous pour maintenir les<br />

poteaux, des sols de terre battue ou couverts de cailloux, des restes de<br />

foyers ; les céréales et les légumes secs carbonisés, les ossements d’ani-<br />

maux témoignent de la production des divers aliments, tandis que les<br />

microlithes et le travail de l’os prouvent la continuation - avec des<br />

améliorations - de l’ancienne technologie. Peut-être y eut-il des tentati-<br />

ves malheureuses de fabrication de vases ouverts, grossiers et mal cuits.<br />

A partir de la, l’évolution du Néolithique ancien en Thessalie suit<br />

celle de la céramique qui devient le critère le plus important pour distin-<br />

guer les différentes phases ; certains savants la classèrent en Protocéra-<br />

mique, Proto-sesklo et Pré-sesklo. Mais la succession des styles cérami-<br />

ques n’est pas la même dans toutes les régions de Thessalie, dans cer-<br />

tains endroits ils évoluent même parallèlement. I1 est certain qu’au<br />

début c’est la céramique monochrome qui a dominé, plus ou moins bien<br />

polie, et que dans cette phase les progrès dans le domaine de l’habitat<br />

ne furent pas bien importants. Les chronologies par la méthode du Car-<br />

bone 14 témoignent que le passage était déjà réalisé dans les derniers<br />

siècles du VIIe millénaire av. J.-C. Au début du millénaire suivant, la<br />

céramique peinte et la céramique sombre incisée ont fait leur apparition<br />

mais elles ne sont pas partout au même stade de développement et elles<br />

n’ont pas les mêmes styles. A Néa Nikomédia, où abondent les vases<br />

incisés - que certains pensent caractéristiques de la troisième phase, le<br />

Pré-Sesklo - les chronologies par le Carbone 14 sont très hautes, aux<br />

environs de 6200 av. J.-C. et donc très discutées ; mais, de toute façon,<br />

elles montrent l’apparition précoce de tous les styles céramiques. Bien<br />

sûr, la décoration peinte se limite à de simples motifs géométriques et à<br />

des dessins qui semblent dus au hasard. Petit à petit pourtant, des<br />

ustensiles plus riches, particulièrement soignés dans leur décoration et<br />

dans leur forme, font leur apparition. Certains, monochromes, présen-<br />

tent des décorations plastiques de visages humains et de formes anima-<br />

les. Ils prennent quelquefois eux-mêmes une forme plastique.


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 91<br />

Mais c’est le progrès réalisé relativement brusquement, dans I’organi-<br />

sation et la structure des habitats, qui prend une importance particu-<br />

lière. I1 y a bien des indices sur le développement de bourgades dont les<br />

constructions entourent un édifice central, plus grand, comme par exem-<br />

ple à Néa-Nikomédia dans la région d’Aliakmon et à Sesklo - quoique<br />

dans cette dernière les recherches n’aient mis au jour qu’une partie de<br />

la bourgade, visiblement très grande. Ces habitats, avec leurs construc-<br />

tions isolées à une ou deux pièces, diffèrent fondamentalement des habi-<br />

tats serrés de l’Orient, dont les bâtiments ont de nombreuses pièces.<br />

Certaines de ces constructions ont des fondations en pierre tandis que le<br />

reste est en pisé compact que, pour protéger, on recouvre à l’extérieur<br />

de plaques de pierre. Ailleurs nous avons des bâtiments avec des murs<br />

épais de briques crues soutenus par des poteaux. A Néa-Nikomédia la<br />

plupart des habitats ont leurs fondations dans des fossés et les murs en<br />

pisé étaient soutenus par des rangées de poteaux. Un grand bâtiment<br />

oblong est divisé en deux appartements.<br />

Des progrès dans le domaine économique furent, sans aucun doute,<br />

réalisés ; l’agriculture et l’élevage produisaient de façon plus systémati-<br />

que, mais la base ne changeait pas beaucoup ; l’économie reposait sur<br />

les deux et devint plus complexe. II est clair que les produits avaient<br />

commencé à circuler davantage et que l’on importait des matériaux de<br />

première nécessité, comme l’obsidienne des Cyclades. On ne peut for-<br />

muler que des hypothèses sur la société. <strong>La</strong> (( maison )> devient la cel-<br />

iule de base où la famille trouve refuge et où elle a emmagasiné des<br />

provisions ; la stabilité dans la bourgade favorise le développement de<br />

liens élémentaires qui assurent l’équilibre et permettent à tous les habi-<br />

tants de coexister ; il ne fait pas de doute que l’économie familiale<br />

accrut l’importance du rôle de la femme ; on s’assurait ainsi une cer-<br />

taine autonomie. De tels progrès permirent de prendre soin des faibles,<br />

les personnes âgées, les enfants, qui participaient d’une façon auxiliaire<br />

au travail. I1 n’est pas possible de confirmer que les conditions étaient<br />

déjà favorables à l’établissement d’un commandement social. <strong>La</strong> place<br />

centrale qu’occupe le grand bâtiment de Néa-Nikomédia conduisit les<br />

fouilleurs à l’admettre.<br />

Le grand problème reste de savoir si on avait formulé des croyances<br />

personnelles ou communes suffisamment systématisées pour constituer la<br />

base d’une religion, ou des conceptions sur la vie après la mort. Les<br />

éléments dont nous disposons en ce domaine ne sont pas suffisants.<br />

Dans ces habitats, la présence de figurines, faites de terre cuite ou de<br />

pierre, ne nous renseigne pas beaucoup sur les conceptions religieuses<br />

existantes. Bien sûr, on a beaucoup parié d’une déesse-mère, maîtresse


92 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />

de la fécondité de la terre, de l’homme et peut-être des animaux. Mais,<br />

après les études de Leroi-Gourhan et d’autres savants sur les figurines<br />

paléolithiques, il faut réviser l’interprétation de ces figurines corpulen-<br />

tes, des femmes pour la plupart, dont les signes de fécondité sont<br />

accentués. G. Chourmouziadis souligna que les figurines - qui ne<br />

représentent pas seulement des femmes mais aussi des hommes-maîtres<br />

et des animaux-serviteurs - constituent l’expression d’un souhait très<br />

marqué dans toutes sortes de réussites, surtout dans le cadre de la<br />

fécondité. L’accentuation des membres, des traits du visage, leur renfor-<br />

cement par des éléments plastiques rajoutés, expriment l’intensité des<br />

aspirations humaines qui peuvent être schématisées, symbolisées ; elles<br />

seront, plus tard, rendues de façon abstraite.<br />

Dans le centre et le sud de la Grèce, l’évolution suit les mêmes lignes<br />

de base, avec des particularités et des variantes locales, plus faciles à<br />

distinguer dans la céramique ; celle des Sporades du Nord est plus pro-<br />

che de la thessalienne. A Haghios Petros (Alonissos) la céramique et les<br />

figurines ressemblent à celles de la Thessalie orientale (deuxième phase).<br />

<strong>La</strong> céramique monochrome de Skyros paraît plus ancienne. Mais de ces<br />

centres, très peu de choses sont conservées, le reste fut immergé lors du<br />

relèvement du niveau de la mer.<br />

Au centre de la Grèce orientale, l’évolution telle qu’elle a été recon-<br />

nue surtout à Élatée, à Chéronée et à Orchomène (Béotie), à Alai et à<br />

Néa-Makri (Attique), a suivi une voie très semblable : la céramique<br />

monochrome progresse et continue avec un polissage plus fini - le<br />

polissage noir est caractéristique - puis avec un vernis primitif<br />

(Urfirniss). Quand la céramique peinte fait son apparition, elle reste<br />

linéaire et ses sujets sont très simples. <strong>La</strong> céramique incisée remplace<br />

ensuite la céramique estampée et c’est à Néa-Makri qu’apparaît une<br />

simple variante de la céramique estampée - linéaire avec un remplis-<br />

sage blanc. Peut-être cette variante continua-t-elle également au Néoli-<br />

thique moyen. Dans le Péloponnèse, la céramique monochrome, dont<br />

on fait jouer la couleur - rainbow, variegated - est suivie par la céra-<br />

mique peinte simple, rare au début, tandis que la céramique incisée est<br />

presque totalement absente. Les principaux centres dont la stratigraphie<br />

fut étudiée minutieusement sont Némée et Lerne en Argolido-Corinthie.<br />

Les habitats sont assez étendus : à Néa-Makri, en bordure du golfe<br />

d’Eubée, ils s’étendent sur un plateau proche de la mer, et atteignent<br />

plusieurs centaines de mètres ; à Corinthe, à un niveau assez élevé, mais<br />

pas très loin de la mer. Une petite maquette en terre cuite, provenant<br />

de Chéronée - analogue à celles de Thessalie (Karditsa, Krannona, Sté-<br />

phanoviki) - représente un bâtiment d’une seule pièce avec des murs


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 93<br />

inclinés, un toit à double pente, une cheminée et des fenêtres carrées.<br />

Les coutumes funéraires dans cette région - comme plus au nord -<br />

varient suivant les endroits, mais la plupart des exemples proviennent de<br />

grottes - Franchti (Porto-Chéli) - ou d’abris. On connaît peu d’exem-<br />

ples de Chéronée, d’Élatée, de Lerne, d’Hagiorgitika (Arcadie). Pour ce<br />

qui est des figurines, on a remarqué qu’elles suivent les caractéristiques<br />

générales qu’on a rencontrées dans le Nord. Mais il n’est pas toujours<br />

facile de distinguer les figurines du Néolithique ancien de celles du Néo-<br />

lithique moyen. C’est pour cette raison que nous les examinerons toutes<br />

ensemble.<br />

Le Néolithique moyen<br />

Le Néolithique moyen est la période la plus connue, grâce aux<br />

anciennes fouilles de Tsountas, Thompson et Wace ; ces données furent<br />

complétées et éclaircies par de nouvelles recherches qui prouvèrent qu’il<br />

n’y a pas de coupure fondamentale entre le Néolithique ancien et le<br />

Néolithique moyen, mais un développement normal qui s’est poursuivi<br />

pendant toute la durée du Vc millénaire. En général on y voit l’apogée<br />

de la <strong>civilisation</strong> néolithique. Mais nos critères, plutôt typologiques,<br />

sont fondés sur l’évolution extraordinaire de la céramique qui est main-<br />

tenant davantage représentée par la céramique peinte. Dans le travail de<br />

la pierre on remarque une plus grande variété dans les types d’outils qui<br />

deviennent des macrolithes et une grande utilisation de l’obsidienne. On<br />

assiste visiblement à une transformation interne où les formes s’amélio-<br />

rent et se stabilisent. Mais beaucoup pensent que ces changements sont<br />

dus à des déplacements de population, à l’installation de gens venus<br />

d’Orient ; autrement les correspondances qu’on remarque entre les deux<br />

mondes devraient être considérées comme purement accidentelles.<br />

Certains des centres les plus importants furent fondés à cette époque<br />

- Tzani Magoula, Tsangli, Zérélia - mais la plupart de ces agglomé-<br />

rations datant du Néolithique ancien, s’agrandirent et eurent une vie<br />

plus active. Avec la stabilisation et la création d’un ordre social nou-<br />

veau se crée une sorte de (( koiné n qui va d’Aliakmon à la région du<br />

Spercheios. Bien sûr, on ne peut confirmer sans de plus amples recher-<br />

ches l’homogénéité dans la construction, même si elle semble très proba-<br />

ble. Le seul habitat qui fut fouillé sur une grande étendue est celui de<br />

Sesklo, qui aurait atteint une surface de sept à dix hectares, dépassant<br />

de beaucoup l’étroite acropole de Kastraki. 11 est maintenant assuré<br />

qu’on fit des travaux défensifs sur cette acropole : un mur à l’ouest, un


94 LA CIVILISATION ÉGBENNE<br />

mur de soutènement, un péribole intérieur et un fossé d’isolement. Ces<br />

fortifications n’avaient qu’un caractère défensif car les murs ne dépas-<br />

saient pas un mètre d’épaisseur. De semblables mesures de protection<br />

avaient été prises dans d’autres centres, comme cela a été confirmé par<br />

des fouilles partielles. Les bâtiments à l’intérieur et à l’extérieur de<br />

l’acropole continuèrent à être simples, orientés de la même façon avec,<br />

entre eux, d’étroits passages. Un bâtiment plus évolué avec deux vastes<br />

pièces inégales et un vestibule ouvert sur le devant, fut caractérisé<br />

comme un


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 95<br />

coup plus grands ou même des meubles et, comme nous l’avons vu, des<br />

maisons, sont également intéressants. Des fusaïoles, des bobines, des<br />

projectiles de fronde, avaient des destinations diverses, purement prati-<br />

ques. II n’a pas été prouvé que les objets baptisés autels, tables à<br />

offrandes, etc., répondaient à des besoins religieux.<br />

Dans la vallée du Spercheios, à Lianokladi, par exemple, la cérami-<br />

que présente des variantes intéressantes et une nouvelle technique qu’on<br />

appelle (( grattée H parce qu’en grattant correctement l’enduit on obtient<br />

un décor de faisceaux de lignes. Cette technique n’est pas inconnue<br />

dans d’autres régions du nord du pays - Aliakmon en Macédoine du<br />

Nord (Servia).<br />

En Grèce orientale l’évolution n’est pas très différente. A Élatée, à<br />

Chéronée, à Orchomène nous pouvons mettre le développement de la<br />

céramique en parallèle avec celui de la Thessalie ; à cette différence près<br />

qu’ici la technique, la forme et le décor font preuve de beaucoup de<br />

conservatisme. Le linéaire et le géométrique tendent à dominer. Vers la<br />

fin commence à se répandre la technique d’Urfirniss avec son vernis<br />

brillant caractéristique et des variantes dans le répertoire des décors et<br />

dans la typologie des vases. L’Attique et l’Eubée évoluèrent suivant la<br />

même voie mais la céramique n’y est pas aussi représentative. I1 semble<br />

que cette région joue le rôle d’intermédiaire entre le Sud (Péloponnèse)<br />

d’une part, le Centre et le Nord de l’autre.<br />

Dans le Péloponnèse, des centres de I’Argolido-Corinthie ont été<br />

explorés plus à fond : Corinthe, Lerne et la caverne Franchti. Dans<br />

l’architecture et dans la concentration les différences avec le nord du<br />

pays ne sont pas très importantes. Mais, dans la céramique, l’élément<br />

de base est la domination de 1’ Urfirniss avec des formes très caractéris-<br />

tiques et un décor d’impressions qui donne un résultat esthétique par-<br />

fait. Ce décor s’est propagé sans aucun doute du Sud vers le Nord mais<br />

on ne sait pas d’où il provient, puisque les poteries de Tell Halaf ne<br />

semblent pas correspondre au point de vue dates. <strong>La</strong> décoration est sur-<br />

tout dans ies tons sombres, mais les vases rouges ne sont pas rares qui<br />

rappellent de près les exemplaires thessaliens. Pour le décor les triangles<br />

grillés et les losanges, les lignes en zigzags successives, les croisés sont<br />

très courants. A la fin, on a en même temps des vases monochromes<br />

gris ou noirs. Dans les autres régions du Péloponnèse la recherche n’est<br />

pas suffisamment avancée pour qu’on puisse suivre de façon précise le<br />

développement du Néolithique moyen.<br />

On a remarqué que la plupart des établissements grecs de cette épo-<br />

que furent détruits brusquement et présentent bien des signes d’une<br />

catastrophe totale due à l’incendie. II reste à savoir si ces catastrophes


96 LA ClVILISATION &&ENNE<br />

sont contemporaines puiqu’il est vrai que, dans certains de ces habitats,<br />

on a des stades transitoires vers le Néolithique récent. Dans peu de cen-<br />

tres le passage au Néolithique récent se fait de façon progressive, sans<br />

destruction.<br />

Dans la plastique - dont le développement est à peu près semblable<br />

dans toute la Grèce - la vieille tradition se poursuit, mais les caracté-<br />

ristiques des formes féminines corpulentes sont encore accentuées et les<br />

figurines des (( maîtresses du logis )) assises se multiplient. Les traits du<br />

visage sont souvent exagérés, les grosses jambes des femmes sont<br />

repliées dans une attitude de relâchement, les cous dressés ; les hommes,<br />

bien portants, sont assis, tout droits sur leurs sièges et des jeunes filles<br />

sont en attitude d’attention. Quelques petites figurines de pierre ou<br />

d’os, qu’on attachait au cou, étaient utilisées comme amulettes. Des<br />

décors en forme de méandres, semblables à ceux qu’on trouve en céra-<br />

mique, ont été rendus sur des sceaux de pierre ou de terre cuite. Les<br />

outils en pierre, polis, sont plus typés et les lames d’obsidienne et de<br />

silex plus variées et souvent longues.<br />

Si nous ne savons pas beaucoup de choses concernant les structures<br />

sociales, on peut du moins affirmer qu’un progrès important était réa-<br />

lisé puisqu’il y avait de grandes bourgades qui présupposent une bonne<br />

organisation. A Sesklo, par exemple, les habitants devaient dépasser les<br />

trois mille et, naturellement, il fallait qu’ils pussent résoudre un certain<br />

nombre de problèmes pour que la coexistence soit harmonieuse. Les<br />

hauteurs devaient être occupées par ceux qui assumaient la conduite<br />

générale mais qui n’étaient, bien sûr, pas encore des toparques ; en cas<br />

de danger, les gens se rassemblaient autour d’eux et se protégeaient der-<br />

rière les enceintes et les périboles de défense ou les fossés. Le niveau de<br />

vie s’était, sans aucun doute, élevé, mais on ne peut évidemment pas<br />

parler de vie aisée. I1 restait peu de temps pour le divertissement mais<br />

beaucoup s’adonnaient à des travaux où ils pouvaient exprimer leur<br />

penchant artistique. Bien que les archéologues - à partir de la cérami-<br />

que ou d’autres trouvailles - attribuent à certaines constructions le rôle<br />

d’ateliers, il reste toujours problématique de parler d’une quelconque<br />

organisation systématique du travail. L’artisanat s’était spécialisé et la<br />

production dépassait les besoins locaux ; en outre, il est sûr que le<br />

superflu était proposé, par l’intermédiaire d’artisans-voyageurs, dans des<br />

endroits qui se trouvaient parfois à une assez grande distance. C’est, du<br />

moins, ce que semble témoigner la propagation d’articles qui sont iden-<br />

tifiés comme appartenant à des ateliers précis. A la fin de la période<br />

commencent à s’exercer des influences venues de très loin et on se<br />

demande si ces infiltrations annoncent déjà le changement, relativement


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 97<br />

brusque, qui se réalise au début du Néolithique récent. On discute la<br />

date de ce changement ; certains pensent qu’il commence au moins qua-<br />

tre siècles avant la fin du Ve millénaire. D’autres, au contraire, le<br />

situent beaucoup plus tard.<br />

Le Néolithique récent<br />

Si la fin du Néolithique moyen est surtout due à de grands déplace-<br />

ments de population et à l’installation de nouvelles tribus, il faut suppo-<br />

ser que ceux-ci n’impliquèrent pas l’anéantissement des habitants établis<br />

depuis longtemps, puisqu’on en retrouve les manifestations dans tout<br />

l’espace helladique. De toute façon, le remplacement de l’ancienne<br />

population par une nouvelle se fit inégalement, suivant les régions et les<br />

sites. Jadis on voulait faire coïncider le Néolithique récent, du moins en<br />

ce qui concerne la Thessalie, avec la <strong>civilisation</strong> de Dimini dont l’exem-<br />

ple le plus représentatif fut étudié pour la première fois par Tsountas<br />

sur l’acropole basse de Dimini, non loin de Volos. Aujourd’hui nous<br />

savons que cette <strong>civilisation</strong> ne comprend qu’une seule phase et qu’elle<br />

est limitée dans l’espace à la Thessalie du Sud-Est. II est maintenant<br />

clair que la caractéristique principale du Néolithique récent est une nou-<br />

velle organisation, plus large, qui brise une tradition séculaire et qui se<br />

manifeste par une grande diversité, encore plus sensible dans les diffé-<br />

rents styles céramiques. Leur coexistence avec la céramique tradition-<br />

nelle dans les centres où l’élément ancien a persisté, ne signifie pas qu’il<br />

n’y a pas eu de changement fondamental dans ces régions, comportant,<br />

sans aucun doute, l’installation de nouveaux éléments, étrangers ceux-ci.<br />

Le grand problème est leur provenance : en fait on remarque que les<br />

changements fondamentaux sont les mêmes, aussi bien en Anatolie que<br />

dans le Nord des Balkans - surtout dans les régions danubiennes - et<br />

nous sommes en mesure de suivre une évolution correspondante dans les<br />

divers styles céramiques, laquelle ne peut être due au hasard. Mais, du<br />

moins pour l’instant, il est très difficile de voir la direction des courants<br />

et leurs entrecroisements, même si nous pouvons affirmer qu’en général<br />

le rythme de la circulation de ces courants a été accentué.<br />

Une caractéristique de la céramique est la prédominance de styles aux<br />

couleurs sombres ou usant d’une décoration d’argile incisée, polie ou<br />

mate. D’un point de vue esthétique, cette céramique semble, du moins<br />

au début, être en retard ou barbare par rapport aux beaux styles du<br />

Néolithique moyen. Mais il est clair que beaucoup d’éléments nouveaux<br />

vivifiants apparaissent qui vont exercer une influence importante sur


98 LA CIVILISATION GGEENNE<br />

l’évolution ultérieure. En Anatolie et en Asie antérieure les différences<br />

de la céramique du Chalcolithique récent et du début de la <strong>civilisation</strong><br />

du Bronze sont tout à fait concordantes.<br />

Encore une fois c’est la Thessalie, mieux explorée, qui nous donne les<br />

principales caractéristiques de la nouvelle évolution, même si à l’avenir<br />

il n’est pas exclu d’en apprendre davantage en Macédoine Orientale et<br />

en Thrace - c’est du moins ce que laissent entrevoir les nouvelles fouil-<br />

les de Paradimi, Dikili-Tash et Sitagroi (Photoleivos). Au début on voit<br />

une certaine homogénéité dans la céramique, qui s’étend sur presque<br />

tout le pays ; c’est ce que Weinberg a qualifié de


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 99<br />

variantes qui rappellent davantage celles de la <strong>civilisation</strong> de Dimini -<br />

par exemple un décor noir sur fond rouge, marron sur rougeâtre, etc.<br />

Une variante à décor de graphite est plus largement répandue en Macé-<br />

doine. Dans le sud de la Macédoine un polymorphisme de styles unit le<br />

Néolithique moyen au Néolithique récent de la région - par exemple à<br />

Servia.<br />

En Thessalie, Milojcic donna aux premières phases du Néolithique<br />

récent les noms des sites où il les reconnut pour la première fois : pha-<br />

ses Tsangli et Arapi avec une céramique monochrome et une autre au<br />

décor incisé ou ondulé en forme de ride (ripple), mais aussi une cérami-<br />

que peinte polychrome ; elles conservent en héritage bien des éléments<br />

des styles de Sesklo. Ensuite les céramiques a peinture mate se générali-<br />

sent et leur diffusion atteint les régions les plus au sud, comme le Mani<br />

de la <strong>La</strong>conie. Certains voient dans cette céramique une parenté avec<br />

celle d’El Obeid en Orient et, naturellement, il n’est pas exclu qu’un<br />

lien de <strong>civilisation</strong> ait passé les ponts que constituent les îles de l’Égée.<br />

On a égaiement remarqué des liens avec l’Anatolie où, très tôt, on a<br />

des types de bâtiments en forme de mégaron comme à Beyie Sultan.<br />

Mais il est difficile de savoir s’ils peuvent être mis directement en rap-<br />

port avec l’apparition des constructions en forme de mégaron de Thes-<br />

salie orientale (Visviki Magoula et Dimini). <strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> de Dimini<br />

donne l’impression d’une renaissance plus radicale, surtout dans les for-<br />

mes d’habitats et la décoration céramique, mais elle est, comme nous<br />

l’avons dit, limitée dans le temps et dans l’espace. L’établissement de<br />

Dimini, depuis que Tsountas l’a fouillé en 1903, est resté l’exemple le<br />

plus caractéristique et le plus impressionnant.<br />

On remarquera particulièrement l’étrange art de fortification de<br />

i’acropole, relativement basse, de Dimini qui, avec les nouvelles fouilles,<br />

trouva des parallèles exacts sur l’acropole de Sesklo ; toutes deux appar-<br />

tiennent à ia même phase néolithique. Cinq ou six périboles successifs et<br />

ellipsoïdaux, mais assez irréguliers et pas toujours complétés totalement<br />

donnent l’idée d’une défense développée compte tenu de l’époque et des<br />

moyens limités dont on disposait. Derrière ces périboles les défenseurs<br />

ne pouvaient que se dissimuler et guetter les adversaires obligés de pas-<br />

ser entre les murailles successives et par d’étroits passages surveillés. Les<br />

constructions entre ces périboles étaient des abris pour la garde, ou des<br />

refuges pour la population, et aussi des magasins qui stockaient les pro-<br />

visions indispensables. Les habitations étaient des obstacles à la pénétra-<br />

tion de l’ennemi. Les ouvertures des murs, peu nombreuses, ne se cor-<br />

respondaient pas toujours de mur en mur. Entre certains de ces murs<br />

étaient ménagés d’étroits couloirs qui permettaient à la garde de circu-


100 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

ler. L’espace central de l’acropole n’était pas très grand et le bâtiment<br />

principal - le mégaron - était étroitement appliqué contre le mur de<br />

péribole intérieur. Ce mégaron s’ouvrait sur une vaste place, tandis que,<br />

aux côtés du péribole même, des constructions médiocres abritaient les<br />

hommes qui constituaient l’entourage direct du chef. Le mégaron était<br />

constitué d’une pièce ouverte - avec deux supports intermédiaires entre<br />

les parastades des extrémités -, de la pièce principale avec le foyer et<br />

les supports du toit - qui devait être à double pente - et d’une pièce<br />

à l’arrière qui s’appuyait et s’ajustait au péribole - une sorte d’appen-<br />

tis destiné au stockage et aux usages secondaires. <strong>La</strong> disposition archi-<br />

tecturale des fortifications et des bâtiments de Sesklo, bien que les élé-<br />

ments n’en soient pas aussi bien conservés, était semblable ; le péribole<br />

semble avoir été triple et renforcé dans la partie la plus facile a atta-<br />

quer. Le mégaron est de même type mais avec une pièce supplémentaire<br />

à l’arrière, de largeur différente et avec une entrée séparée donnant sur<br />

l’extérieur. A Visviki Magoula, près de Velestino, le mégaron atteignait<br />

trente mètres de long, c’est-à-dire qu’il était aussi grand que celui de<br />

Tirynthe. Ce mégaron semble plus ancien que les autres si bien qu’il<br />

n’est pas nécessaire d’admettre le synchronisme avec les mégara de la<br />

première ville de Troie qui datent du début de 1’Age du Bronze. Ni à<br />

Dimini ni à Sesklo on n’a confirmé l’étendue du site autour de I’acro-<br />

pole fortifiée, mais on sait de façon sûre qu’il y avait pas mal de bâti-<br />

ments. A partir de ces éléments on a procédé à des représentations ; le<br />

mégaron de Sesklo était beaucoup plus important, mais il s’est moins<br />

bien conservé : une partie fut emportée sur la pente en même temps que<br />

la plus grande partie des périboles extérieurs.<br />

<strong>La</strong> céramique de Dimini est bien connue même si, dans la réalité -<br />

puisqu’elle est limitée dans l’espace et dans le temps -, elle n’a pas<br />

l’importance du reste de la céramique du Néolithique récent. De la<br />

vieille tradition néolithique elle a conservé les éléments géométriques<br />

comme les motifs en damier, les escaliers et les décors en méandre. Le<br />

développement du nouvel élément que constitue la spire a donné au<br />

style de Dimini un ton tout à fait à part ; ce qui est le plus caractéristi-<br />

que, c’est l’organisation même de la décoration sur la surface du vase :<br />

les parties tectoniques sont soulignées par des cadres et des oppositions<br />

directes de décors ; le grillage - incision dense sur la céramique incisée<br />

-, l’enchaînement et la coupure des zones et des cadres ne trouve des<br />

parallèles que dans la céramique à bandes (Bandkeramik) des régions<br />

danubiennes et à un point tel qu’on ne peut croire que les styles de ces<br />

deux régions ont été créés indépendamment l’un de l’autre. D’ailleurs<br />

on remarque aussi d’étroites correspondances dans les formes des vases


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 101<br />

et dans la technique : l’écuelle conique dont la lèvre est recourbée, le<br />

fruitier, les supports pyramidaux, les passoires, un type de vases<br />

amphoroïdes avec de larges anses en ruban et, dans la céramique incisée,<br />

les brocs à panse lenticulaire et au col conique, etc., se développèrent<br />

dans les deux régions.<br />

Jusqu’à maintenant on n’a pas de preuves certaines de la présence<br />

d’objets de bronze dans la phase pure de Dimini ; mais dans celle qui<br />

suit, cette présence ne fait plus de doute, même si l’habitat et la constitution<br />

sociale restent identiques. II s’agit surtout des phases que Milojcic<br />

a baptisées (( de <strong>La</strong>rissa >) et G de Rachmani >>. Dans la première la<br />

céramique est noire, polie, avec un léger décor blanc, quelquefois incisé,<br />

fait au polissoir ou plastique. Nous savons très peu de chose sur les<br />

autres manifestations de la <strong>civilisation</strong>, la construction, les coutumes<br />

funéraires, la plastique liée au développement des conceptions religieuses.<br />

Peut-être futelle influencée par l’Ouest de l’Asie Mineure chalcolithique,<br />

où on trouve des formes de vases semblables, visiblement dérivées<br />

de modèles en métal. Dans la phase suivante - celle de Rachmani<br />

- on est en présence d’une céramique caractéristique monochrome sur<br />

la surface de laquelle sont imposées des couleurs faites d’une pâte crue,<br />

très sensible et aisément effaçable et par conséquent très mal conservée.<br />

Cette céramique est largement diffusée, puisqu’on la trouve du Nord<br />

jusque dans le Péloponnèse et les Cyclades. Elle correspond peut-être<br />

aussi à la céramique du Néolithique récent de Crète, connue surtout à<br />

Phaistos, polie et avec une couleur surajoutée. Le décor est géométrique,<br />

accompagné par des spires simplifiées intercalées entre les autres<br />

motifs. Les outils en cuivre trouvés par Tsountas à Sesklo et par Sotiriades<br />

à Drackmani-Élatée, comme aussi à Chéronée, doivent provenir<br />

de couches de cette phase. En Thrace cette phase correspond à la troisième<br />

phase de Sitagroi.<br />

On a l’impression que l’essentiel des rapports se faisait par mer et<br />

c’est pourquoi les établissements côtiers qui représentent la phase de<br />

Rachmani sont si nombreux. Dans la construction on notera I’apparition<br />

de bâtiments simples qui se terminent en abside et annoncent peutêtre<br />

les bâtiments à abside qui commencent à se propager au milieu de<br />

I’Helladique ancien dans le Centre et le Sud de la Grèce. Les exemples<br />

caractéristiques en Thessalie furent trouvés à Rachmani et à Pyrassos.<br />

On pariera ci-dessous des figurines très particulières. Le passage à l’âge<br />

du Bronze se fait de façon insensible et - cela est prouvé du moins<br />

pour la Thessalie - aucune catastrophe importante n’est intervenue.<br />

Bien des gens voient un parallèle entre la phase de Rachmani et certaines<br />

phases avancées de la <strong>civilisation</strong> du Bronze ancien dans le Sud.


102 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Les recherches au centre de la Grèce et au sud ne furent pas assez<br />

systématiques pour pouvoir suivre l’évolution du Néolithique récent.<br />

Dans les Cyclades ce n’est que dans les dernières décennies qu’on com-<br />

mença quelque peu à en distinguer les lignes générales. Malgré tout, on<br />

sent que c’est le Sud qui a joué un rôle important dans la formation et<br />

la diffusion de certains des aspects de cette <strong>civilisation</strong>. Les phases tou-<br />

tefois n’en sont pas aussi claires que dans le Nord. De toute façon, on<br />

suit sans peine l’apparition et la diffusion de la céramique mate avec un<br />

décor quelque peu statique et géométrique, ressemblant, comme on l’a<br />

noté plus haut, à celui du Nord, mais, à ce qu’il semble, beaucoup plus<br />

conservateur. Du moins, on ne voit pas dans le Sud de développement<br />

polychrome correspondant au décor de Dimini, malgré l’existence de<br />

variantes polychromes (en Argolide par exemple). On trouve souvent<br />

des exemplaires correspondant aux styles céramiques du Néolithique<br />

récent dans des grottes - Alépotrypa dans le Mani, la grotte de Pan à<br />

Marathon, la grotte de Saint-Nicolas à Astakos, etc. Cela ne veut évi-<br />

demment pas dire que les principales installations étaient dans des grot-<br />

tes. Des constructions faisant partie d’habitats importants fureni explo-<br />

rées à Élatée, à Corinthe, à Lerne, et si les recherches s’étaient étendues<br />

aux régions où beaucoup de vestiges furent repérés en surface, on en<br />

saurait davantage sur l’architecture domestique de l’époque.<br />

Dans les Cyclades, les recherches, bien que limitées à deux ou trois<br />

points, furent systématiques et les résultats complètent quelque peu nos<br />

connaissances sur les relations qu’elles avaient avec la Grèce continen-<br />

tale et les côtes d’orient. L’habitat de Saliagos à Antiparos a montré<br />

qu’on y sentit très tôt le besoin de s’assurer une sécurité en construisant<br />

un péribole fortifié qui, sans aucun doute, ouvrit la voie aux fortifica-<br />

tions du Cycladique ancien. D’après la céramique comme d’après les<br />

chronologies fournies par la méthode du Carbone 14, l’habitat appar-<br />

tient à la phase initiale du Néolithique récent. Nous pouvons suivre<br />

l’évolution ultérieure dans d’autres îles, comme Kéa, Naxos et - dans<br />

le golfe Saronique - Égine. A Képhala de Kéa les fouilles de Caskey<br />

mirent en lumière un habitat et le cimetière correspondant, avec des<br />

tombes à cistes. II s’agit d’une phase de caractère subnéolithique qui<br />

forme la transition entre le Néolithique et les premières périodes du<br />

Bronze. A partir de là on peut davantage apprécier les survivances qui<br />

jouèrent un rôle important dans la genèse de la première <strong>civilisation</strong> du<br />

Bronze dans cette région essentielle des îles de la mer Égée.<br />

On pourrait résumer de la façon suivante l’évolution de la plastique<br />

et du travail de la pierre au Néolithique récent : on continue à fabriquer<br />

des figurines de caractère naturaliste, aussi bien féminines que masculi-


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 103<br />

nes, debout ou assises, mais leur caractère religieux - en rapport avec<br />

la fertilité - est maintenant davantage exprimé. Ainsi avons-nous par<br />

exemple la courotrophe assise de Sesklo et la figurine assise ityphallique<br />

de la région de <strong>La</strong>rissa ; la plupart du temps, les figurines nous sont<br />

parvenues à l’état fragmentaire - corps, tête ou membres seulement.<br />

Mais, même dans ce cas en les rapprochant, on peut distinguer et clas-<br />

ser les types. Certains éléments des têtes ont pu être rendus de façon<br />

plastique tandis que d’autres n’étaient que peints ; c’est ce qui explique<br />

l’étrange expression que prennent des têtes comme celle de Corinthe ;<br />

d’autres fois, les têtes ont pris une expression marquée par l’incision<br />

exagérée des yeux ou de la bouche ; on exagérait aussi la largeur ou la<br />

hauteur de la tête elle-même ou du cou, comme à Dikili-Tash. <strong>La</strong> tech-<br />

nique et le décor des vases sont souvent transposés aux figurines dans la<br />

phase de Dimini, certaines sont totalement schématisées - surtout celles<br />

qui sont en marbre - et semblent annoncer les idoles en violon cycladi-<br />

ques. Dans ces figurines les signes de fécondité sont rendus de façon<br />

tout à fait symbolique : schématisation exagérée et suppression de tout<br />

ce qui ne contribue pas à l’expression de l’idée religieuse. Bien des tra-<br />

ces de la peinture qui complétait leur aspect sont conservées. Cette sché-<br />

matisation se poursuit dans la phase de Rachmani, où on a souvent ce<br />

qu’on appelle des acrolithes ; la tête en pierre, schématique, le plus sou-<br />

vent de forme conique, s’adapte sur un corps conventionnel en terre<br />

cuite - et sans doute parfois en bois, même si seules des traces nous en<br />

sont parvenues. Un exemplaire en pierre, en forme de croix, provenant<br />

de Sakalar, dans la région de <strong>La</strong>rissa, conserve un décor de spires qui<br />

rappellent celles de Dimini.<br />

Nous ne connaissons pas bien les figurines plastiques du Centre et du<br />

Sud. Si la koré debout de Lerne appartient réellement à des couches du<br />

Néolithique récent cela signifie que la vieille tradition du Néolithique<br />

moyen s’est conservée presque intacte. 11 est toujours difficile de classer<br />

dans le temps les figurines féminines obèses provenant d’Attique, de<br />

<strong>La</strong>conie et des Cyclades. Elles perpétuent sans aucun doute une très<br />

vieille tradition mais, en même temps, elles semblent annoncer des types<br />

du début de 1’Age du Bronze. Cela est très clair pour les figurines de<br />

Saliagos même si elles ne datent pas de la phase finale du Néolithique<br />

récent.


Crète et Chypre<br />

<strong>La</strong> Crète et Chypre sont deux régions du monde égéen qui devaient<br />

être examinées à part, parce qu’elles évoluèrent de façon indépendante.<br />

Bien sûr il y a toujours des points communs, des échanges et des paral-<br />

lèles dans les étapes les plus importantes du développement qui sont en<br />

outre fixées par les chronologies absolues fondées sur la méthode du<br />

Carbone 14. Mais les différences sont essentielles.<br />

I1 est certain que la Crète fut habitée au Mésolithique même si, nulle<br />

part, on n’a retrouvé d’habitats ou même de simples constructions. Des<br />

gravures rupestres dans un abri sous roche de la région de Sphakia,<br />

portant des représentations symboliques et des animaux divers, surtout<br />

des fauves, appartiennent peut-être à cette époque. <strong>La</strong> fouille la plus<br />

systématique, celle qui fut exécutée dans la cour centrale du palais de<br />

Cnossos par John Evans, montra que dans la deuxième moitié du vile<br />

millénaire av. J.-C. une installation de type campement, avec des caba-<br />

nes provisoires et qui ne connaissait pas la céramique ou, du moins, ne<br />

l’utilisait pas, reflétait une <strong>civilisation</strong> très simple fondée sur une écono-<br />

mie agricole élémentaire. Celle-ci, fondée sur la culture des mêmes pro-<br />

duits que dans le Nord et le Centre de la Grèce et sur l’élevage des<br />

mêmes espèces d’animaux à peu près, n’atteignit pas un stade aussi<br />

avancé qu’en Thessalie. Entre cette phase précéramique et le Néolithique<br />

ancien il doit s’être écoulé un assez long laps de temps, autrement on<br />

n’expliquerait pas la présence dans les couches qui se trouvent juste au-<br />

dessus de céramique, d’objets en pierre et de constructions désormais<br />

très évoluées. Cette phase correspond au Néolithique ancien et au Néoli-<br />

thique moyen du reste de la Grèce ; peut-être la dernière partie de celui-<br />

ci (II) est-elle parallèle au début du Néolithique récent des autres<br />

régions. <strong>La</strong> stratigraphie de Cnossos nous permet de distinguer des habi-<br />

tats successifs dans la phase I ; il est maintenant prouvé que la plupart<br />

de ceux-ci avaient pris une grande extension et qu’ils avaient connu une<br />

forme simple d’urbanisme - orientation unique des maisons rectangu-<br />

laires, relativement petites, et étroits passages entre elles. <strong>La</strong> construc-<br />

tion était simple, avec des murs en pisé cardé et, plus tard, en briques<br />

crues, sur des soubassements peu élevés en pierre ; à un certain moment<br />

ils avaient même réussi à utiliser des briques cuites, mais cette technique<br />

évoluée ne se maintint pas longtemps. <strong>La</strong> plupart des maisons avaient<br />

une pièce principale et une secondaire. Les sols étaient en terre battue et<br />

on utilisait des dallages pour certaines parties des cours. Les foyers<br />

étaient le plus souvent placés dans des fosses (bothroi) creusées à I’inté-


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 1 O5<br />

rieur de la maison ou dans la cour. Les toits horizontaux étaient en<br />

branchages ou en bois et recouverts de terre glaise. Dans les stades les<br />

plus avancés il y avait aussi des placards, des niches, des banquettes<br />

basses, des fosses pour le stockage des produits et, aux ouvertures, des<br />

encadrements en bois. On utilisait beaucoup la céramique, de la cérami-<br />

que commune, mais aussi en grande partie de la céramique particulière-<br />

ment soignée - surface monochrome polie, plus ou moins imprégnée<br />

de fumée et tachetée. Les vases ont des formes variées, même si la plu-<br />

part sont simples, et ils sont souvent pourvus d’excroissances fourchues<br />

ou de protubérances perforées servant d’anses. I1 n’est pas rare que le<br />

décor soit géométrique, incisé ou pointillé, rempli de matière blanche<br />

pour qu’on le distingue, et il arrive fréquemment qu’on ait un rendu<br />

plastique de bandes et de protubérances. <strong>La</strong> technique des figurines<br />

comme leur décoration ne diffère pas fondamentalement : sont accen-<br />

tuées les parties qui indiquent la fécondité tandis que les autres sont<br />

négligées ou atrophiées ; la plupart de ces figurines sont féminines.<br />

Quand elles sont en pierre - marbre ou stéatite - elles sont très sim-<br />

plifiées, avec une exception pourtant, une remarquable figurine en mar-<br />

bre, représentant une forme masculine debout et dont l’anatomie est<br />

rendue par des moyens plastiques ; son attitude est très expressive, les<br />

mains croisées sur la poitrine. Elle provient de l’une des couches les<br />

plus basses de l’habitat néolithique de Cnossos. Deux figurines furent<br />

trouvées dans une fosse pleine de cendres, ce qui fit penser à quelque<br />

rite religieux, En même temps, on utilisait des figurines de quadrupèdes<br />

et d’oiseaux. Les autres objets - simples bijoux, outils polis, objets en<br />

os - ne sont pas très différents de ceux qui furent trouvés dans le reste<br />

de la Grèce.<br />

Dans la phase II, qui fut visiblement plus courte, l’évolution suivit le<br />

même processus, sans grands changements. L’habitat de Cnossos s’éten-<br />

dit : des petites constructions, dont certaines avaient davantage de piè-<br />

ces, mais que nous connaissons incomplètement. Dans la céramique la<br />

technique s’améliora mais les formes des vases ne changèrent pas sensi-<br />

blement, même si les vases tripodes et les vases globulaires aplatis sont<br />

maintenant plus nombreux. Les décors incisés sont beaucoup plus systé-<br />

matisés, mais pas très réguliers, tandis que la technique de l’incision est<br />

en décadence. Les outils en pierre sont variés, mais on utilise beaucoup<br />

les objets en os. Dans les figurines, pas de progrès essentiels, mais on<br />

néglige les figurines de pierre. Fusaïoles, poids de tissage, bobines,<br />

navettes, tous en terre cuite, montrent que l’industrie textile à fait de<br />

grands progrès. C’est peut-être à cette phase et à la suivante - le Néo-<br />

lithique moyen - qu’appartiennent des habitats dont on trouva les ves-


106 LA CIVILISATION EGÉENNE<br />

tiges sur une hauteur de la région de Katsamba, non loin du cimetière<br />

minoen récent du port de Cnossos, et sur l’acropole de Gortyne.<br />

Le Néolithique moyen ne semble pas remonter au-delà de 3800 av.<br />

J.-C. et cela signifie qu’il a commencé quand le Néolithique récent,<br />

dans le reste de la Grèce, était déjà en plein développement. Mais il<br />

faut souligner ici que les correspondances dans la chronologie absolue<br />

sont bien loin d’être indiscutables. Beaucoup considèrent qu’en Crète<br />

cette période est transitoire, relativement brève, ne dépassant pas trois<br />

siècles. A Cnossos un niveau d’habitation seulement a été repéré. Mais<br />

il faut avouer qu’on sait fort peu de choses de cet habitat, puisque seul<br />

le dixième en a tté fouillé. Les progrès dans la construction et dans<br />

l’architecture sont importants et, pour la première fois, on peut parler<br />

de bâtiments à plusieurs pièces, avec des dispositions internes bien adap-<br />

tées à un niveau de vie plus élevé. A la suite des maisons on construi-<br />

sait des enclos pour les animaux domestiques. C’est à cette période<br />

qu’appartient, semble-t-il, la maison de Katsamba. Dans la céramique le<br />

développement suit la même direction, mais la technique, les formes et<br />

la décoration sont plus finies. Un progrès particulier fut réalisé dans les<br />

ustensiles de cuisine, comme les réchauds avec des ouvertures rectangu-<br />

laires sur les côtés, les cuillers à pot, les cruches, etc. Le décor incisé<br />

était fait avec beaucoup de soin, traçant une sorte de ride (ripple), tan-<br />

tôt dense et fine, tantôt large, alors que la céramique pointillée et la<br />

céramique plastique sont devenues rares ; le polissage était très soigné et<br />

souvent la minceur des parois était telle qu’on pourrait les qualifier de<br />

(( coquilles d’œuf N. Les céramiques flammées et les vases grossiers exis-<br />

tent naturellement toujours. Des petits progrès ont été réalisés dans la<br />

technologie des petits objets, mais dans la plastique on remarque une<br />

certaine négligence.<br />

Pour le Néolithique récent nos informations proviennent d’à peu près<br />

toute la Crète ; mais à Cnossos ces couches ont été presque totalement<br />

détruites sauf dans une petite partie, au sud de la cour centrale du<br />

palais ; à Phaistos, au contraire, elles sont préservées sur une grande<br />

étendue, mais elles représentent peut-être la phase finale, celle qu’on<br />

pourrait aussi caractériser de subnéolithique. Le début de la période est<br />

le plus souvent fixé au milieu du millénaire av. J.-C. et sa durée<br />

dépend naturellement de la date assignée à la <strong>civilisation</strong> paléocrétoise<br />

ou minoenne. On ne connaît pas beaucoup d’habitats, mais des outils<br />

néolithiques en pierre, un peu de céramique et même parfois des figuri-<br />

nes, proviennent de plusieurs endroits. Certains de ces sites sont des<br />

grottes dans les régions montagneuses du <strong>La</strong>ssithi et les monts de Siteia,<br />

ou se trouvent au pied des Montagnes Blanches ou dans la région de


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique I07<br />

1’Akrotiri. On a même trouvé des vestiges dans des îles isolées, comme<br />

Gavdos.<br />

A. Evans a exploré deux maisons de l’habitat de Cnossos, fouille que<br />

compléta J. Evans dernièrement ; il trouva même des vestiges au-delà de<br />

la voie dite royale. Sa grande étendue est ainsi confirmée et, en même<br />

temps, sa population qui devait dépasser le millier d’habitants. <strong>La</strong> mai-<br />

son à plusieurs pièces est maintenant caractéristique, et on pouvait<br />

l’agrandir, sans aucun doute, continuellement suivant les besoins. Les<br />

pièces étaient forcément petites en dehors d’une ou deux pièces princi-<br />

pales qui servaient de salles de séjour ; dehors, des espaces non couverts<br />

ou des courettes permettaient de vivre en plein air quand les conditions<br />

atmosphériques le permettaient. <strong>La</strong> présence de foyers fixes à l’intérieur<br />

des bâtiments ne signifie pas qu’on cherchait à s’adapter à un climat<br />

relativement rude ; ils répondaient bien davantage à des besoins culinai-<br />

res. L’orientation générale des bâtiments reste la même, et on la<br />

retrouve à l’âge du Bronze. Outre Cnossos, les chercheurs portèrent une<br />

attention particulière aux constructions simples dont le mur extérieur<br />

revient vers l’intérieur créant ainsi deux espaces inégaux - ce système a<br />

été caractérisé par les fouilleurs anglais de bur and ben ; l’exemple le<br />

plus caractéristique fut trouvé sur le plateau de Siteia, près de Magassa.<br />

De cette maison proviennent plus de vingt haches de pierre à un seul<br />

tranchant, polies ; peut-être la fabrication de tels outils était-elle la prin-<br />

cipale occupation des habitants : de certains endroits du plateau et des<br />

régions proches, comme Zakro, proviennent plus d’une centaine de ces<br />

outils. A Phaistos les installations étaient, semble-t-il, de simples caba-<br />

nes circulaires, elliptiques ou même rectangulaires.<br />

En Crète, au Néolithique récent, la céramique est beaucoup plus<br />

variée qu’auparavant, mais elle n’est pas toujours supérieure par la<br />

technique, les formes ou le décor. On dirait que les habitants de cette<br />

époque ont essayé des techniques diverses qu’ils abandonnaient parfois<br />

sans les perfectionner ou qu’ils utilisaient au contraire avec obstination<br />

et conservatisme. C’est peut-être à ces tentatives qu’on doit le dévelop-<br />

pement futur des styles céramiques en Crète. Doro Levi - qui aboutit<br />

à la conclusion que la phase prépalatiale de la <strong>civilisation</strong> minoenne, de<br />

très courte durée, ne fut que transitoire - trouve des rapports étroits<br />

entre ces expériences néolithiques et les styles prépalatiaux évolués.<br />

D’autres accordent moins d’importance à ce lien et font intervenir,<br />

durant cette période - longue pour eux - des styles intermédiaires<br />

polychromes. Naturellement l’évolution du très vieux style des vases<br />

monochromes polis, non décorés ou incisés, les céramiques pointillées


108 LA CIVILISATION ÉGPENNE<br />

ou en décoration plastique se poursuivent. On décore moins, mainte-<br />

nant, et le dessin est plus irrégulier et libre ; le décor en ride (ripple) a<br />

cessé d’être utilisé. Dans une phase relativement avancée, un décor<br />

apparaît avec une couleur épaisse, rajoutée, qui rappelle les Crusted de<br />

la phase de Rachmani, en Grèce continentale ; on utilisait des ocres<br />

diverses pour réaliser d’intéressants systèmes décoratifs, comme le mon-<br />

trèrent les recherches très précises de Doro Levi à Phaistos où cette<br />

technique fut étudiée pour la première fois. Pour les ustensiles mono-<br />

chromes, on provoquait pendant la cuisson une oxydation irrégulière, ce<br />

qui donnait des taches sur la surface du vase ; cette technique annonce<br />

le style de Vassiliki du Bronze ancien. Malgré la plus grande variété des<br />

formes - beaucoup de vases sont maintenant de forme fermée - on<br />

continue à aimer les ustensiles en forme de bassines et d’écuelles. Dans<br />

la céramique d’usage courant, la surface demeure sans enduit et sans<br />

polissage, mais elle est souvent grattée au moyen d’un gros chiffon<br />

passé sur le vase avant cuisson, alors qu’il était encore humide. Dans<br />

les grottes de Crète on rencontre toutes ces variétés mais les vases<br />

monochromes abondent - grotte d’Eileithyia dans la région d’Amnisos,<br />

grotte de Trapéza dans les monts du <strong>La</strong>ssithi, Koumarospilo en Crète<br />

occidentale. Aussi bien à Cnossos qu’à Phaistos on remarque d’autres<br />

techniques qui annoncent les styles de Pyrgos et d’Haghios Onou-<br />

phrios ; ces techniques se sont développées à une époque où avait déjà<br />

commencé la phase dite subnéolithique. <strong>La</strong> première laissait les vases<br />

s’imprégner de fumée dans l’atmosphère réductrice d’un four fermé ; les<br />

vases devenaient alors gris ou noirs ; souvent, avant de les décorer de<br />

faisceaux de lignes on les polissait légèrement. <strong>La</strong> deuxième appliquait<br />

un décor peint sur la surface naturelle des vases qui, grâce à une prépa-<br />

ration adéquate de l’argile et à une bonne cuisson, prenait une couleur<br />

relativement claire, dans les tons rougeâtres ou ocre rouge ; on voit<br />

aisément que c’est cette technique qui évolua plus tard pour donner le<br />

style d’Haghios Onouphrios. Malheureusement, nous avons trop peu de<br />

fragments pour apprécier la diversité des formes de ces vases.<br />

<strong>La</strong> plastique adoptait des techniques semblables, mais il n’y a pas de<br />

figurines d’hommes ou d’animaux qui soient impressionnantes par leur<br />

forme, leur décoration ou leur technique ; seules quelques-unes ont une<br />

stratigraphie sûre. II est incorrect de situer dans cette période - comme<br />

cela fut fait par certains chercheurs - l’importante figurine de Kalo<br />

Chorio dans la région de Hiérapétra, qui appartenait jadis à la collec-<br />

tion Giamalakis et qui se trouve maintenant au Musée d’Héraklion. Elle<br />

représente une femme obèse, assise, jambes croisées ; elle avait un décor<br />

sobre incisé et même un poli brillant. Les tessons de la région sont tous


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 109<br />

de la deuxième phase du Néolithique ancien et du Néolithique moyen.<br />

Mais il n’y a pas eu de recherche scientifique systématique sur place.<br />

En ce qui concerne le travail de la pierre la technique persévère dans<br />

les anciennes formes de haches à un seul tranchant, de marteaux et de<br />

massues, mais elles ne sont plus rares ; en général les matériaux sont<br />

plus variés et les formes différentes, comme les dimensions. On fabrique<br />

toujours beaucoup d’outils en os, aussi bien que des petits noyaux ou<br />

des lames d’obsidienne. On affectionne les bijoux en coquille - surtout<br />

d’huîtres - et en vertèbres de grands poissons. Peut-être servaient-ils<br />

aussi de monnaie d’échange. Dans des couches du Néolithique récent, à<br />

Cnossos, on a trouvé quelques fragments de vases de pierre, importés<br />

d’Égypte, datant des époques prédynastique ou protodynastique ; avec<br />

ceux-ci fut mise au jour une hache de bronze qui est le plus ancien outil<br />

de bronze crétois. On pourrait donc en conclure qu’à Cnossos le Néoli-<br />

thique dura jusqu’à la première apparition de la <strong>civilisation</strong> du Bronze,<br />

à l’époque protodynastique égyptienne. Malheureusement ces éléments<br />

ne proviennent pas de couches tout à fait intactes. Toutefois, sans<br />

doute, les couches originales devaient appartenir au subnéolithique.<br />

Dans certaines régions de Crète - malheureusement peu nombreuses<br />

- on mit au jour des ensembles néolithiques qui, par leurs styles et<br />

leur typologie, pourraient être caractérisés comme subnéolithiques,<br />

même à un degré supérieur à ce que l’on classe comme subnéolithique à<br />

Phaistos. On ne peut pas encore dire si cette phase subnéolithique se<br />

limitait à certaines régions, ou si elle a été créée par des restes de popu-<br />

lation néolithique qui continuaient à produire quand, dans d’autres<br />

régions, la <strong>civilisation</strong> du Bronze avait commencé ; enfin, cette phase<br />

aurait pu constituer un stade transitoire entre le véritable Néolithique et<br />

le Bronze. <strong>La</strong> première solution serait considérée comme la plus natu-<br />

relle si on ne remarquait pas l’existence du Subnéolithique justement<br />

dans les centres où la <strong>civilisation</strong> du Bronze ancien était apparue très<br />

tôt - comme c’est le cas dans cette région du palais de Cnossos et<br />

dans la grotte d’Eileithyia qui était, elle aussi, cnossienne. Sous le<br />

palais, on a découvert un dépotoir profond en forme de puits, ou la<br />

céramique des couches les plus anciennes donne l’impression d’être sub-<br />

néolithique. Dans la grotte d’Eileithyia on a trouvé de la céramique -<br />

malheureusement non située stratigraphiquement - très semblable à<br />

celle du dépotoir de Partira, avec des écuelles polies qui présentent sou-<br />

vent à la lèvre des excroissances en forme de cornes. Dans la même<br />

grotte, certains ustensiles en forme de cruches doivent appartenir à la<br />

même phase, car ils ont des parallèles dans le dépôt de Fourni. Le<br />

dépotoir de Partira fut constitué sous un abri sous roche ; il contenait


110 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

des ustensiles comparables aux écuelles grises avec des protubérances<br />

perforées et deux saillies en forme de cornes à la lèvre. Le décor était<br />

fait au polissoir, le plus souvent à l’intérieur des vases ouverts, suivant<br />

des systèmes de lignes brisées et de petits cercles. A Fourni, dans le<br />

Mirambello, en Crète orientale, on a trouvé un dépôt très profond en<br />

forme de puits ; peut-être s’agissait-il vraiment d’un puits où l’on venait<br />

chercher l’eau, car la plupart des ustensiles qui y furent trouvés étaient<br />

adaptés à cet usage : des cruches au col cylindrique ou conique avec<br />

deux protubérances perforées près de la lèvre. Le Subnéolithique n’est<br />

pas inconnu non plus en Crète occidentale ; des trouvailles comparables<br />

proviennent de Trypa tou Mameloukou, de Périvolia (Kydonia) et de<br />

Myloniana.<br />

L’étroit rapport entre certaines caractéristiques du Subnéolithique et<br />

les éléments qui survivront en Crète dans les premières périodes du<br />

Bronze ancien montrent que, malgré le grand changement qui se produi-<br />

sit avec le début de la <strong>civilisation</strong> minoenne, la population néolithique<br />

continua à manifester sa présence de façon assez vive et pendant long-<br />

temps.<br />

Le Néolithique de l’autre grande île de l’Est égéen, Chypre, ne se<br />

développe pas moins indépendamment. Peut-être le voisinage du sud de<br />

l’Asie antérieure contribua-t-il à ce que la <strong>civilisation</strong> y prît un ton spé-<br />

cifique avec beaucoup d’éléments chalcolithiques orientaux, mais elle se<br />

transforma au cours de son évolution sous l’influence du cycle oriental<br />

lui-même. Les fouilles de la mission suéàoise, conduite par Gjerstadt,<br />

réussirent à suivre cette évolution dans différentes régions du Nord de<br />

l’île - Pétra tou Limniti, <strong>La</strong>pithos, Kythréa - d’autres explorations<br />

menées surtout par Porphyrios Dikaios dans le Sud - Khirokitia,<br />

Sotira et Kalavassos - en complétèrent l’image. A partir des résultats<br />

de ces recherches on peut considérer comme certain que le Néolithique<br />

dura longtemps - au moins trois millénaires - et que le stade le plus<br />

ancien était préceramique avec une économie agricole correspondant à<br />

celle de la Grèce continentale et de la Crète. Même si l’on n’a pas<br />

trouvé de vestiges plus anciens - du Paléolithique ou du Mésolithique<br />

- on peut être certain que l’île était également habitée dès cette époque<br />

et que la recherche ultérieure en fera connaître les vestiges, comme cela<br />

s’est produit récemment pour le reste de la Grèce.<br />

<strong>La</strong> phase précéramique est surtout représentée à Pétra tou Limniti et<br />

à Khirokitia (à sa première période) ; elle est datée par le Carbone 14<br />

du début du VIc millénaire av. J.-C. et, à ce qu’il semble, dura jusqu’à<br />

la fin de celui-ci. Malheureusement les chronologies données par le Car-<br />

bone 14 pour la deuxieme phase néolithique de Khirokitia et d’ailleurs


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 111<br />

sont très basses - après le milieu du IV‘ millénaire av. J.-C. Ainsi on a<br />

l’impression qu’entre la phase précéramique et le début du Néolithique<br />

proprement dit on a un vide d’au moins un millénaire et demi ; mais<br />

cette constatation peut être due au fait qu’on n’a pas réalisé assez de<br />

fouilles ; à Trouli, dans le Nord de l’île, la <strong>civilisation</strong> paraît intermé-<br />

diaire, mais malheureusement on n’a là aucune certitude.<br />

L’habitat de Khirokitia est situé sur la pente d’une colline, pas très<br />

haute, qui borde le petit ruisseau de Maroni. II y avait, semble-t-il, de<br />

l’eau potable en abondance grâce aux sources voisines et la terre de la<br />

région devait être fertile. 11 a été prouvé par de nombreuses meules, des<br />

faucilles aux dents de silex, des enclos de pierres sèches et beaucoup<br />

d’ossements d’animaux domestiques, qu’on y menait largement une vie<br />

agricole simple ; la chasse complétait l’alimentation. Presque toutes les<br />

habitations étaient de forme circulaire avec des murs inclinés. Elles res-<br />

semblaient visiblement à de grandes ruches, et elles avaient des murs en<br />

briques crues posés sur de hauts soubassements de pierre. Les plus gran-<br />

des atteignaient dix mètres de diamètre. Si les foyers étaient dans les<br />

habitations - et il y a de forts indices pour cela - il devait y avoir au<br />

sommet une ouverture pour que la fumée puisse s’échapper. Dans les<br />

maisons les plus importantes il y avait une sorte de mezzanine dont les<br />

supports étaient en pierre et auquel on accédait par une échelle en bois.<br />

Parfois on construisait des annexes à l’extérieur, peut-être pour les<br />

besoins de la cuisine ou pour le travail. Les cours étaient encloses, ce<br />

qui isolait les ensembles. L’habitat de Khirokitia existait encore dans la<br />

deuxième phase néolithique, la principale, mais nous connaissons mieux<br />

cette dernière par les habitats de Sotira et de Kalavassos. <strong>La</strong> céramique<br />

qui est en usage à cette période est la céramique dite (( peignée )) (à<br />

cause de la décoration au peigne de la surface). Les constructions<br />

étaient beaucoup plus petites, le plus souvent de simples cabanes dont la<br />

partie inférieure était enfoncée dans la roche tendre. A Sotira, l’habitat<br />

est situé au sommet d’une colline et ses constructions sont beaucoup<br />

plus variées que les cabanes circulaires de Kalavassos, puisqu’elles sont<br />

tantôt circulaires, tantôt elliptiques, tantôt rectangulaires avec les angles<br />

arrondis. Les morts étaient enterrés dans un cimetière voisin, tandis<br />

qu’à Khirokitia ils l’étaient entre les maisons. Les vases les plus habi-<br />

tuels étaient les cruches et les coupes avec un bec marqué. Souvent leur<br />

surface peignée a un enduit sombre à demi brillant. Mais les beaux<br />

vases de pierre au décor en barbotine ou rayé et aux formes variées, qui<br />

étaient si courants dans la période précéramique n’étaient plus en<br />

usage ; il n’y avait plus, non plus, les robustes figurines de pierre, quel-<br />

que peu schématiques, qui surprennent à une époque aussi ancienne.


112 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

<strong>La</strong> raison de la destruction des habitats néolithiques de Chypre est<br />

inconnue. Peut-être est-ce l’installation de nouvelles tribus, celles qui<br />

commencèrent à exploiter systématiquement le bronze dans l’île et<br />

étaient porteuses de la <strong>civilisation</strong> dite du Bronze. Cela a dû se passer<br />

au début du IIIe millénaire av. J.-C.<br />

Organisation économique et sociale<br />

II serait utile de résumer ici les indications concernant l’organisation<br />

de la vie économique et sociale et les conceptions sur la vie, la religion<br />

et la mort, autant que cela est possible - même à très grands traits -<br />

d’après les vestiges reconnus comme cultuels ou funéraires qui ont pré-<br />

valu, avec bien des variantes, mais dont la base est assez semblable<br />

dans tout le monde néolithique égéen. On a déjà parlé de certains des<br />

éléments qui se rattachent à une région particulière. Dans ce domaine<br />

beaucoup de choses ont été apportées par les chercheurs - surtout<br />

Théocharis, Milojcic, le couple Renfrew, John Evans, etc. Le premier,<br />

dans son ouvrage L’Aube de la préhistoire thessalienne, 1967 (en grec),<br />

a montré que le passage du stade chasse-cueillette à l’économie de pro-<br />

duction s’est fait progressivement et que dans une période intermédiaire<br />

l’économie avait un caractère mixte. <strong>La</strong> chasse du petit gibier, qui était<br />

prédominante dans les stades avancés du Mésolithique, continua au<br />

début du Néolithique, surtout dans la phase précéramique. <strong>La</strong> pêche<br />

jouait toujours un rôle essentiel dans la nourriture, comme l’ont prouvé<br />

les recherches - surtout dans la caverne Franchti. On ne sait pas d’où<br />

viennent les premières leçons de culture de céréales et autres produits.<br />

On n’a pas besoin d’admettre un grand mouvement de population,<br />

comme l’a très justement fait remarquer Théocharis ; une installation<br />

sporadique d’éléments venus d’Orient n’est, bien sûr, pas impensable et<br />

cela semble se confirmer du moins pour les Cyclades, la Crète et<br />

Chypre.. Mais le facteur fondamental du changement a révolutionnaire ))<br />

fut la diffusion d’une région à l’autre de nouvelles idées de base, sur-<br />

tout là où ies conditions se prêtaient au changement d’économie. Le<br />

défrichage de grandes étendues couvertes d’arbres et d’arbustes, qui<br />

devinrent ainsi des terrains aptes à la culture et des pâturages, se fit,<br />

comme c’était normal, à un rythme relativement lent. Les forêts se<br />

réduisirent de plus en plus jusqu’à ne plus exister que dans les régions<br />

où on les trouve encore aujourd’hui. A cette époque-là elles étaient<br />

beaucoup plus riches en espèces d’arbres ; maintenant c’est le pin -<br />

depuis l’espèce qu’on trouve en forêt jusqu’à l’arbre commun - et le


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 113<br />

pin pignon, qui prédominent ; dans les régions montagneuses, c’est sur-<br />

tout le sapin, ie chêne et le châtaignier. Dénudée, la terre, sur de gran-<br />

des étendues, fut entraînée vers la mer par l’érosion, mais dans certai-<br />

nes régions closes, elle constitua des plaines assez fertiles. Les forma-<br />

tions calcaires étaient favorables au développement d’une flore alcaline.<br />

Les hommes devaient lutter durement pour résoudre le problème de leur<br />

alimentation. Aussi avaient-ils toujours besoin de s’assurer, grâce à<br />

l’élevage, à la chasse au petit gibier, à la pêche et à la cueillette des<br />

fruits, une réserve de nourriture. <strong>La</strong> répartition des habitats néolithiques<br />

en Grèce montre que les régions cultivées étaient les mêmes qu’au-<br />

jourd’hui.<br />

Les céréales qu’on produisit en premier furent les différentes variétés<br />

du blé primigène et de l’orge, cette dernière surtout là où le terrain plus<br />

rude et plus sec l’imposait. Les légumes secs complétaient l’alimentation<br />

et quand on réussit à améliorer les arbres fruitiers, les vergers constituè-<br />

rent une sécurité saisonnière. L’investigation - grâce aux restes qui<br />

furent découverts - nous a appris beaucoup de choses sur l’alimenta-<br />

tion, végétale ou animale, mais il faut avouer que, puisque l’intérêt<br />

porté à ce genre de choses est très récent, nos connaissances sont plutôt<br />

limitées. L’étude des outils agraires, des ustensiles pour préparer et gar-<br />

der la nourriture, des silos et des fosses utilisés pour le stockage, n’a<br />

pas pris l’ampleur qu’elle aurait dû, mais elle nous a, malgré tout,<br />

appris beaucoup de choses sur la vie de l’époque. Si on pense au man-<br />

que d’expérience et d’organisation dans la production et que l’on consi-<br />

dère que ces hommes constituaient alors réellement l’avant-garde, on<br />

peut être étonné des progrès importants qui furent réalisés. Malgré<br />

l’évolution qui s’est faite jusqu’à aujourd’hui, on peut être surpris de<br />

constater que, dans bien des régions de Grèce, on continue à utiliser les<br />

méthodes primitives de culture et d’élevage. En les examinant de près le<br />

chercheur pourrait trouver une réponse à bien des points d’interrogation<br />

dans l’étude des éléments découverts dans les habitats néolithiques. <strong>La</strong><br />

charrue en bois, le brûlis, la herse aux dents de silex, le battage réalise<br />

par le piétinement des animaux, les cultures mixtes n’en sont que quel-<br />

ques exemples. Les mortiers et les moulins à bras continuent à être utili-<br />

sés dans bien des régions. Les graines, les légumes secs, les noyaux ou<br />

les restes de fruits carbonisés fournissent les principaux témoignages sur<br />

les différents produits cultivés. Dans bien des cas, ils constituaient de<br />

véritables amas sur les sols ou dans les fosses utilisées pour leur sto-<br />

ckage. Bien sûr, la carbonisation change leur aspect, mais ces change-<br />

ments sont connus et il n’est pas difficile de reconstituer leur état origi-<br />

nel. Dans certains cas ils n’ont été étudiés que par les empreintes qu’ils


114 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

ont laissées dans l’argile et dont on peut faire des moulages, ou bien<br />

encore par leurs fossiles dans des briques crues ou des enduits. L’identi-<br />

fication des espèces est faite par des spécialistes paléo-botanistes.<br />

L’étude des pollens fossilisés ramassés dans les lagunes forme une<br />

source de connaissances sérieuse. Quatre régions surtout nous rensei-<br />

gnent sur les premières cultures, ce sont : la Macédoine occidentale, la<br />

Thessalie, l’Argolide et la Crète. Le blé dicoccum et monococcum était<br />

le plus répandu, le blé en grain sextuple au contraire était rare (surtout<br />

à Cnossos). En même temps on cultivait l’orge distique et l’orge hexas-<br />

tique et, sporadiquement, le millet et l’avoine. Parmi les légumes secs<br />

on cultivait les lentilles et les pois. <strong>La</strong> cueillette de fruits sauvages, frais<br />

ou secs, a aussi été confirmée. Mais les cultures étaient beaucoup plus<br />

variées au Néolithique moyen qu’au Néolithique ancien et la production<br />

augmenta sensiblement, même si les céréales et les légumes secs conti-<br />

nuaient à être les mêmes, à part le blé dur qu’on rencontre maintenant<br />

de façon sporadique. Bien des informations nous proviennent des nou-<br />

velles fouilles de Sitagroi et d’habitats du Néolithique ancien de Thessa-<br />

lie, tandis que nous avons très peu d’exemples provenant des habitats<br />

du Néolithique moyen. Les remarques sur les pépins sont importantes<br />

pour le passage de la vigne sauvage à la vigne commune. Et pour le<br />

Néolithique récent on a suivi les cultures aussi bien en Thessalie qu’ail-<br />

leurs. En ce temps-là on préférait le blé dicoccum et l’orge hexastique.<br />

Aux légumes secs on ajouta les haricots et les fèves ; parmi les fruits on<br />

a beaucoup de figues et d’amandes, mais en même temps on cueillait les<br />

poires sauvages, les pistaches, les glands ... Dans la Grèce du Sud, les<br />

Cyclades et la Crète, les études des produits cultivés et recueillis ont été<br />

très limitées, mais elles ont donné à peu pres les mêmes résultats.<br />

Comme on l’a déjà noté, dans les régions les plus sèches la culture de<br />

l’orge était beaucoup plus étendue que celle du blé. De toute façon, les<br />

vergers ne furent pas nombreux jusqu’à la fin du Néolithique, même si<br />

on cueillait beaucoup de fruits différents.<br />

En ce qui concerne la pratique et la diffusion de l’élevage au Néo-<br />

lithique, nos connaissances se sont beaucoup multipliées ces dernières<br />

années bien qu’on n’ait pas beaucoup d’éléments provenant de fouilles<br />

qui permettent de formuler des conclusions statistiques tout à fait sûres.<br />

II est certain que dans le monde égéen aussi la domestication avait com-<br />

mencé au Mésolithique ; le besoin de réserves permanentes de bétail<br />

pour la nourriture fit que les hommes ne comptaient pas seulement sur<br />

le rendement aléatoire de la chasse et de la pêche. On peut suivre la<br />

domestication des animaux à partir des os qui s’amoncelaient dans les<br />

habitats, aussi bien dans leurs espèces que dans certains changements de


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 115<br />

la charpente osseuse, dus justement à cette domestication : par exemple<br />

les dents et les os de la face, les cornes, les extrémités et le bassin. Dans<br />

certains cas même, on peut voir les conséquences de cette domestication<br />

dans la charpente osseuse d’une époque à l’autre. Dans l’ensemble des<br />

ossements d’animaux domestiques on remarque la surabondance des<br />

femelles.<br />

Dans les régions helladiques la domestication des animaux est un fait<br />

depuis le milieu du VIP millénaire av. J.-C. ; elle provient à la fois des<br />

Balkans et de l’évolution locale par adaptation. Jusqu’à maintenant on<br />

n’a pas prouvé l’existence d’ovins sauvages dans le Sud de la péninsule<br />

balkanique ; on peut donc penser qu’ils proviennent de la région du<br />

Croissant fertile ; les bovins viennent peut-être des plateaux anatoliens.<br />

Mais une partie d’entre eux semble s’être naturalisée en Thessalie et<br />

c’est peut-être là que commencèrent les captures et les jeux de taureaux<br />

de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>. Les sangliers vivaient depuis longtemps dans<br />

le Nord de la Grèce et il est normal qu’en sortent les porcs, si impor-<br />

tants dans les habitats néolithiques. Mais les ovins demeurent toujours<br />

la nourriture de base puisqu’ils dépassent 80 pour 100 de l’ensemble des<br />

animaux et cela peut-être parce que leur domestication date de plus<br />

longtemps. II est curieux que sur presque toute l’étendue du monde néo-<br />

lithique grec ce soit presque toujours les mêmes proportions d’animaux<br />

qui aient prédominé à chaque époque. Au fur et à mesure que la popu-<br />

lation du pays augmentait, le besoin grandissait de produire et de con-<br />

server des animaux ; ils en arrivèrent ainsi à domestiquer localement<br />

toutes les espèces existant à l’état sauvage ; les troupeaux augmentaient<br />

sans cesse et, à la fin, les porcs et les bovins commencèrent à avoir plus<br />

d’importance que les ovins. Le rapport en viande débitée de ces derniers<br />

descendit à 20 pour 100, tandis que celui des bovins augmenta de 70<br />

pour 100, puisque chaque animal de grande taille donnait beaucoup<br />

plus de viande. Pourtant l’élevage des petits animaux se maintint assez<br />

élevé dans des régions qui n’étaient pas très propices aux grands trou-<br />

peaux de bovins. <strong>La</strong> pêche venait compléter la nourriture dans les<br />

régions où elle était possible.<br />

Dans la dernière période néolithique, dans le Nord du moins, I’éle-<br />

vage des porcs devint la principale source d’approvisionnement en<br />

viande et cela est peut-être dû à des conditions climatiques différentes.<br />

Les petites reconstitutions d’animaux en argile, même très vite faites et<br />

qui ne respectent pas toujours la nature, nous aident à compléter nos<br />

connaissances sur l’évolution de leur aspect extérieur : ils devenaient<br />

plus petits, même comparés à ceux d’aujourd’hui. II est étrange que Le<br />

mouton ait conserve, pendant la plus grande partie du Néolithique, des


116 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

cornes développées et enroulées ; on se serait attendu à ce que la muta-<br />

tion se fît très tôt dans le monde égéen ; or, on ne remarque la dispari-<br />

tion des cornes que chez les femelles à partir du Néolithique moyen.<br />

Les chèvres, en général, étaient plus grandes que les moutons et leurs<br />

cornes rappellent les yatagans, au moins au Néolithique ancien. Plus<br />

tard les cornes sont tournées vers l’extérieur. Les porcs, eux aussi, sont<br />

grands et généralement bien nourris ; ils se distinguent très facilement<br />

des sangliers, même s’ils ont gardé de ceux-ci bien des éléments caracté-<br />

ristiques. Leurs défenses n’atteignent que le tiers de la longueur de cel-<br />

les des sangliers. Les bovins conservaient beaucoup des caractéristiques<br />

des bisons, surtout au début du Néolithique. Mais il y avait des varian-<br />

tes dans les cornes - longues ou courtes - et dans la taille - grands,<br />

petits, nains. En ce qui concerne l’utilisation des divers animaux par<br />

l’homme nous constatons - par les restes, les représentations, les sous-<br />

produits - que dans un laps de temps très court les différentes formes<br />

d’exploitation des animaux se développèrent. Les différences sont sur-<br />

tout quantitatives et varient d’une période à l’autre. Les animaux qui<br />

n’étaient pas d’un bon rapport - en dehors de la viande - étaient tués<br />

relativement jeunes comme le prouvent les comparaisons entre animaux<br />

jeunes et vieux. Quelques porcs sont gardés vieux, le faible pourcentage<br />

restant était suffisant à leur reproduction normale. L’homme utilisa<br />

relativement très tard la vache pour son lait ; c’est relativement tard<br />

également qu’il exploita les bœufs pour tirer les charrettes. Le lait était<br />

surtout produit par les chèvres et les brebis. Les éléments dont nous dis-<br />

posons montrent, en revanche, qu’on utilisa relativement tôt la laine des<br />

moutons pour les matelas et les tissus. Le chien, en tant que compa-<br />

gnon de l’homme et aide pour la chasse, n’était utilisé qu’accidentelle-<br />

ment ; au fur et à mesure que la chasse se faisait plus rare on éprouvait<br />

moins le besoin d’avoir des chiens, jusqu’à ce qu’on comprît combien<br />

certaines espèces étaient précieuses pour la garde des troupeaux.<br />

En ce qui concerne les autres occupations des hommes de l’époque<br />

néolithique nous ne sommes pas bien informés ; mais il est sûr qu’elles<br />

n’étaient pas encore assez systématiques pour qu’on puisse parler de<br />

commerce, de navigation, de métiers techniques ou de l’art pour l’art. I1<br />

serait également inexact de voir dans l’économie néolithique une écono-<br />

mie purement agreste. Très tôt l’homme réussit à subvenir à ses besoins<br />

propres et à ceux de sa famille en développant ses dons de créateur ;<br />

mais il est clair - puisqu’il y eut très tôt des sociétés organisées - que<br />

les plus capables et les plus doués d’entre leurs membres rendaient ser-<br />

vice à une communauté toujours plus étendue en produisant un certain<br />

type d’objets, bien sûr avec des compensations ; et cette production


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 117<br />

dépassa bientôt de beaucoup les limites de l’habitat auquel ils apparte-<br />

naient. A ce stade des échanges on pourrait parier sinon de commerce,<br />

du moins de rapports de type commercial. Les artisans qui voyageaient,<br />

temporairement le plus souvent, devaient alors être un phénomène cou-<br />

rant ; et ceux-ci ne se contentaient pas de transporter leurs produits,<br />

puisqu’ils pouvaient s’installer provisoirement dans d’autres habitats et<br />

fabriquer sur place de nouveaux objets. Pour la céramique cela est con-<br />

firmé par le fait qu’on reconnaît ies productions de certains ateliers<br />

locaux, mais utilisant les argiles du pays. <strong>La</strong> diffusion de thèmes déco-<br />

ratifs, des techniques, des formes, a dû se faire de cette façon, surtout<br />

en ce qui concerne les tissus et les vases. I1 n’est pas très difficile de<br />

suivre ce genre d’évolution de période en période.<br />

Le matériau le plus recherché et qu’on importa est l’obsidienne, cette<br />

lave cristalline qui se débite facilement en lames, très utiles dans le tra-<br />

vail du bois par exemple ; aujourd’hui nous savons qu’on la trouve<br />

dans trois îles de l’Égée dont les volcans étaient depuis longtemps<br />

éteints ; ce sont Mélos - sur les sites de Nychia et Ménégaki, non loin<br />

de Phylakopi -, Antiparos et l’île de Gyali pres de Nissyros. Dans les<br />

habitats néolithiques, l’obsidienne se trouve toujours sous forme de<br />

noyaux ou de lames, elle provient de Mélos et on la trouve très tôt<br />

puisqu’elle est présente dans presque toutes les couches précéramiques.<br />

Mais, aujourd’hui nous avons la certitude que l’obsidienne de Mélos<br />

était déjà importée en Grèce au Mésolithique. L’origine de cette obsi-<br />

dienne fut confirmée par l’analyse au spectroscope et par l’étude de la<br />

fragmentation et de l’activité des neutrons. Le transport de ce matériau<br />

à partir d’une île de l’Égée implique le développement d’une navigation,<br />

aussi simple soit-elle, et une technique de fabrication - et ceci déjà au<br />

Mésolithique. Nous ne saurons peut-être jamais si les premières embar-<br />

cations qui assuraient le transport étaient des troncs simples creusés ou<br />

s’ils étaient coupés et attachés pour former des radeaux. Mais il peut<br />

être considéré comme certain que ces embarcations se perfectionnèrent<br />

avec le temps, puisque au début de l’âge du Bronze les îles possèdent<br />

toute une flotte de bateaux bien finis. Mélos n’a commencé à être habi-<br />

tée qu’au Néolithique récent. C’est donc sur une île déserte au début<br />

qu’on recueillait le précieux matériau. Mais sur le continent, il devait<br />

circuler, comme don ou comme moyen d’échange le plus souvent sous<br />

forme de noyaux.<br />

Parmi les autres matériaux qui circulaient déjà, on citera les galets de<br />

rivière et de mer, les belles pierres qu’on apportait là où il n’y en avait<br />

pas sur place, l’émeri de Naxos pour polir les outils qu’on fabriquait<br />

avec ces pierres, les marbres des Cyclades pour les figurines et les usten-


118 LA ClVILISATlON ÉGÉENNE<br />

siles - même si on trouvait des pierres marbrées sur place -, des<br />

matériaux plutôt rares pour les meules - des roches ignées grenues -<br />

et peut-être la pierre ponce. Des coquillages percés, utilisés comme<br />

bijoux, coupés en bracelets ou en lanières courbes, des vertèbres de<br />

poissons percées pour laisser passer les fils, allaient très loin, au-delà<br />

des Balkans, surtout au Néolithique récent. L’ethnographie nous montre<br />

que ce type d’échanges se faisait dans des sortes de rassemblements<br />

rituels, à caractère quelque peu magique. C’est du moins ce qui se passe<br />

aujourd’hui dans les îles de Polynésie et chez les indigènes d’Australie.<br />

Le fait de porter beaucoup de bijoux en coquilles spécifiques donnait<br />

sans doute un certain prestige qui était peut-être lié à une distinction<br />

sociale.<br />

En ce qui concerne le Néolithique récent, nous sommes presque sûrs<br />

que la montée de certains ateliers avait entraîné une forme de spécialisa-<br />

tion qu’on pourrait qualifier de professionnelle. <strong>La</strong> production plus<br />

systématique de produits bien définis, par des artisans expérimentés,<br />

demandait beaucoup de temps et il était normal que ces hommes<br />

essaient de se libérer des soucis de la vie agricole et de vivre de ce qu’ils<br />

pouvaient gagner en proposant leur production. Même si dans ce<br />

domaine nous avons encore beaucoup à apprendre, on peut considérer<br />

comme certaines les spécialisations concernant le tissage, la vannerie, la<br />

fabrication des vases, la sculpture de figurines, le travail de la pierre et<br />

la fabrication des bijoux. En même temps, il devait s’être créé une<br />

classe de vendeurs et de marins. Malgré toutes les difficultés pour con-<br />

naître ies produits périssables - tissage et vannerie par exemple - la<br />

recherche a aussi à rassembler des éléments, grâce à l’imitation de<br />

décors sur des matériaux plus durables et aux empreintes que certains<br />

de ces articles ont laissées, et encore davantage aux outils qu’ils nécessi-<br />

taient et qui ont été conservés. <strong>La</strong> plupart des empreintes de tissus et de<br />

paniers nous viennent de Sitagroi et de Néa-Nikomédia et datent du<br />

VIe millénaire. Parmi les instruments du tissage, les plus courants<br />

étaient les fusaïoles, les poids, les navettes et les bobines. En ce qui<br />

concerne la céramique, en dehors des nombreux vases conservés, nous<br />

en connaissons la technique par l’analyse des éléments de base ; malheu-<br />

reusement jusqu’à ce jour on n’a retrouvé qu’un seul four de potier -<br />

à Sitagroi - mais nous pouvons en reconstituer la forme, dans ses<br />

grandes lignes, et l’évolution ; des études et des expériences ont permis<br />

de retrouver comment on préparait les vases néolithiques et on voit<br />

comment on acquérait rapidement du métier et combien de nouvelles<br />

méthodes furent découvertes grâce à de patientes expériences.<br />

Dans les dernières phases, comme nous l’avons vu, le métal était


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 119<br />

connu et importé de régions qui, depuis longtemps, étaient parvenues au<br />

stade transitoire où à celui du Bronze ancien. I1 reste à savoir si, à<br />

l’époque néolithique, on essaya de fondre et de couler des objets en<br />

bronze. Cela impliquait de grands progrès pour construire, non pas de<br />

simples fours fermés mais des hauts fourneaux ; toutefois il n’y a<br />

aucune indication importante sur leur existence avant l’âge du Bronze.<br />

Bien sûr, il y avait certaines prédispositions puisqu’on laissait des vases<br />

en atmosphère réductrice avec arrivée d’air contrôlée à des températures<br />

qui devaient dépasser, en certaines circonstances, les 1 O00 degrés. Bien<br />

des savants pensent qu’il y a des indices - comme à Sitagroi - de<br />

l’existence de simples creusets, destinés à la fonte du cuivre. Mais cela<br />

ne suffirait pas à fabriquer des outils en cuivre comme ceux qui furent<br />

trouvés dans les couches du Néolithique récent. Ce n’est qu’après 3000<br />

av. J.-C. que des progrès essentiels sont réalisés, c’est-à-dire dans la<br />

période transitoire vers l’âge du métal. Il faut noter ici que, dans ce<br />

domaine, les chercheurs ne sont pas du tout d’accord ; beaucoup<br />

d’entre eux pensent qu’à partir du Néolithique récent, non seulement on<br />

fabriquait des outils en cuivre - comme ceux qui furent trouvés à Pef-<br />

kakia de Volos par exemple -, mais qu’on confectionnait aussi de<br />

beaux bijoux d’orfèvrerie et d’admirables vases en or, comme ceux qui<br />

furent achetés par le musée Bénaki et qui proviendraient d’Eubée ; leurs<br />

formes et leur décoration rappellent en effet de près la production néo-<br />

lithique.<br />

Vie intellectuelle et spirituelle<br />

Si nous sommes aussi peu renseignés sur la vie matérielle dans le<br />

monde égéen à l’époque néolithique, on comprendra facilement que<br />

nous sachions incomparablement moins de choses concernant la vie spi-<br />

rituelle et intellectuelle ; les conclusions auxquelles la science est arrivée<br />

ont été formulées comme des hypothèses qui demandent confirmation.<br />

Nous ne pouvons par exemple rien savoir de certain sur les conceptions<br />

religieuses - pour autant que les croyances aient déjà été organisées en<br />

un système qui puisse être qualifié de religion. Cela semble très douteux<br />

pour les époques les plus anciennes. I1 est peut-être incorrect de parler<br />

d’une déesse-mère-terre ou d’une déesse de la fécondité qui recevait un<br />

culte particulier. Mais les nombreuses figurines aux caractères de fécon-<br />

dités accentués et les divers petits animaux en terre cuite, en pierre ou<br />

en os. montrent qu’on avait le sens de la fécondité et de la force capa-<br />

ble d’assurer la conservation de la vie ; on croyait aussi qu’on pouvait


120 LA CIVILISATION GGÉENNE<br />

s’assurer ses faveurs par des méthodes magiques en la représentant et en<br />

réitérant le rite par l’intermédiaire de symboles.<br />

Mais il est un domaine où nous aurions pu être mieux renseignés -<br />

car il touche aux vestiges matériels provenant de coutumes funéraires<br />

- c’est celui des croyances sur la mort, mystère fondamental de l’exis-<br />

tence. Ces angoisses humaines, on le sait, virent le jour très tôt, peut-<br />

être avant le Paléolithique moyen, quand on a commencé à se soucier<br />

davantage de la sépulture des morts. On essayait de neutraliser les phé-<br />

nomènes qui accompagnaient la mort par des moyens magiques et on<br />

prit très tôt des mesures pour se libérer, autant que cela était possible,<br />

des peurs qu’engendraient ces phénomènes, par des pratiques de carac-<br />

tère magique qui, peu à peu, évoluèrent en coutumes funéraires. Et il<br />

était normal qu’elles fussent différentes suivant les régions, les époques,<br />

le genre de vie et le caractère de la tribu. Nous ne pouvons aujourd’hui<br />

déceler qu’à un degré minime ces rites funéraires, d’autant plus que les<br />

plus importants des lieux de sépultures nous échappent encore. Les ves-<br />

tiges du monde égéen que nous connaissons et qui remontent au Néoli-<br />

thique sont incomparablement moins nombreux que ceux de l’âge du<br />

Bronze, même si le Néolithique a duré bien plus longtemps. En outre, il<br />

est impossible, à partir des coutumes funéraires, de formuler des con-<br />

clusions sur les conceptions métaphysiques - la survie de l’âme et son<br />

destin après la mort. II ne faut pas tirer de conclusions par analogie à<br />

partir des périodes très avancées pour lesquelles nous avons des élé-<br />

ments plus positifs - le culte des ancêtres et la croyance dans la possi-<br />

bilité pour les morts d’intervenir dans l’existence des vivants. I1 est dif-<br />

ficile de deviner si certaines des coutumes - par exemple l’addition<br />

d’ocre rouge, le dépôt de viandes et autres aliments, la protection du<br />

cadavre par des pierres et des plaques - avaient pour but de lui fournir<br />

ce qui lui manquait ou de l’empêcher de nuire par des cajoleries ou<br />

divers obstacles.<br />

Les plus anciennes sépultures du monde égéen, qui remontent au<br />

Mésolithique, furent trouvées dans la caverne Franchti en Argolide ; les<br />

squelettes étaient dans des fosses peu profondes, creusées dans le sol de<br />

la grotte, recouverts de nombreuses pierres. Mais on ne remarque pas<br />

sur place d’autres coutumes funéraires. Beaucoup de sépultures de la<br />

phase précéramique furent découvertes en Thessalie, en Crète, à<br />

Chypre, mais le plus souvent sous le sol des maisons ; les squelettes<br />

avaient les genoux repliés sur la poitrine et de lourdes pierres proté-<br />

geaient la sépulture. A Khirokitia (Chypre) les enfants étaient enterrés<br />

de cette manière ; les sépultures contenaient des ustensiles en terre cuite,<br />

brisés et, dans le cas des femmes, des bijoux.


<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique 121<br />

Dans les principales phases du Néolithique, on créa pour les adultes<br />

des cimetières à part mais peu d’entre eux furent mis au jour - à<br />

Sotira (Chypre), Katsamba (Héraklion, Crète), Hagiorgitika (Arcadie)<br />

etc. Toutefois on ne cessa jamais d’enterrer les nouveau-nés sous le sol<br />

des maisons, entre les murs de maisons voisines ou dans des grottes<br />

habitées. Dans le détail, les coutumes funéraires étaient un peu différen-<br />

tes d’un endroit à l’autre. Dans les mêmes cimetières on utilisait diver-<br />

ses formes de sépultures : dans des fosses, dans des ustensiles en forme<br />

de marmites, dans des cavités entourées de pierres, etc. Ces groupes de<br />

sépultures ne prennent pas beaucoup de place et il reste à savoir s’ils<br />

méritent le nom de cimetières. Le plus grand en étendue est celui de<br />

Soufli Magoula, en Thessalie, même si une petite partie seulement en<br />

fut fouillée. I1 s’agit surtout de sépultures dans des vases en terre cuite<br />

qui étaient posés dans des fosses. Parmi les sépultures les plus organi-<br />

sées dans des grottes, il faut noter celles de la grotte de Diros dans le<br />

Mani en <strong>La</strong>conie, les sépultures dans des cavités en forme de grotte,<br />

près de l’habitat néolithique de Katsamba d’Héraklion, et celles de la<br />

petite grotte de Prosymna en Argolide. <strong>La</strong>, des restes de squelettes brû-<br />

lés doivent être associés à un rite funéraire précis. Beaucoup plus fré-<br />

quentes étaient les sépultures isolées. L’un des exemples importants les<br />

plus anciens, est la sépulture contenant trois morts, une femme et deux<br />

enfants, qui fut trouvée près de l’habitat néolithique de Néa-Nikomédia<br />

en Macédoine occidentale et qui date du Néolithique ancien. A Servia,<br />

en Macédoine, on a trouvé une tombe de femme, entourée de pierres,<br />

qui appartenait au Néolithique récent. II est très curieux que, jusqu’à ce<br />

jour, la Thessalie ait donné si peu d’exemples de tombes ; cela doit être<br />

dû à la recherche, mais peut-être aussi à des coutumes funéraires qui<br />

portaient à la dispersion des tombes ou à leur dissimulation. Les exem-<br />

ples les plus intéressants, très simples aussi, proviennent de Prodromos<br />

(Karditsa) et de Képhalovrysso (Trikala). Le premier, qui contenait les<br />

restes de douze squelettes, semble avoir été plutôt un ossuaire du Néo-<br />

lithique ancien. Les exemples de Béotie sont tout aussi rares et isolés. A<br />

Chéronée un exemple constitue peut-être la première sépulture avec<br />

accumulation de terre au-dessus de la fosse du mort, qui était recouvert<br />

d’une couche de cendres avec des vases brisés et des outils. Comme un<br />

deuxième mort, jeune celui-ci, fut trouve enterre à côté, le fouilleur<br />

émit l’hypothèse que c’était un serviteur qui a suivi son maître dans le<br />

tombeau ; toutefois, les indices ne sont pas suffisants pour permettre<br />

une telle interprétation. A Élatée nous avons la sépulture d’un enfant<br />

dans l’habitat. Nous ne possédons pas assez d’éléments sur les sépultu-<br />

res néolithiques de la grotte de Pan à Marathon, ni sur celles de la


122 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

région de l’Agora d’Athènes. Les sépultures du Néolithique ancien de la<br />

caverne Franchti en Argolide, comme celle d’une femme à Lerne,<br />

étaient simples et sans mobilier funéraire. Les sépultures de la grotte<br />

d’Alépotrypa, dans le Mani, sont relativement isolées, mais une seule<br />

d’entre elles fut trouvée intacte, avec, dans sa fosse, un bothros enduit<br />

de glaise, plein de pierres, et des traces d’incinération.<br />

Les conclusions ci-dessus ne témoignent évidemment pas de quelque<br />

attention systématique portée aux morts. Toutes les tombes sont très<br />

limitées pour des raisons d’économie ; les tombes à fosse sont simple-<br />

ment creusées et le mort y est placé recroquevillé pour prendre moins de<br />

place ; l’ensevelissement dans un récipient, peut-être pratiqué lui aussi<br />

pour des raisons d’économie, est un phénomène courant, utilisé parallè-<br />

lement pour les enfants. Plus complexes étaient les tombes entourées de<br />

pierre et les petits tombeaux qui manifestent un souci plus systématique.<br />

Pour ceux-ci le plan circulaire est de règle. L’organisation de lieux desti-<br />

nés au repos des défunts manquait encore et ce qu’on appelle cimetière<br />

présente un grand désordre et témoigne d’une certaine précipitation. On<br />

n’a que des hypothèses sur les rites élémentaires et l’application de cou-<br />

tumes stables. Une certaine attention était sans aucun doute portée aux<br />

morts, mais on approvisionnait rarement la tombe d’ustensiles indispen-<br />

sables contenant de la nourriture. Souvent les ossements étaient disper-<br />

sés pour permettre des inhumations ultérieures et peut-être est-ce là la<br />

cause du transfert en ossuaire constaté à Prodromos. I1 semble qu’on<br />

avait fréquemment l’habitude d’ajouter des pierres pour assurer la pro-<br />

tection ou soutenir la tête ou les membres du mort, parfois - comme à<br />

Néa-Nikomédia - de fermer la bouche avec un galet. Mais la plupart<br />

des coutumes dépendaient, semble-t-il, de l’intention personnelle de la<br />

famille du mort et de ceux qui appartenaient au même génos.<br />

Bien sûr, les recherches futures ont encore beaucoup à nous appren-<br />

dre dans ce domaine relativement vierge, en rapport avec le monde spi-<br />

rituel et intellectuel des habitants du monde égéen au Néolithique.


DEUXIÈME PAR TIE<br />

LE BRONZE ANCIEN


Le passage du Néolithique à l’âge du Bronze est considéré par cer-<br />

tains comme progressif et lent, par d’autres, au contraire, comme radi-<br />

cal et presque abrupt. Si l’on suit l’ancienne théorie de la longue durée<br />

de la première phase du Bronze - quatre ou cinq siècles -, la pre-<br />

mière hypothèse est justifiée. Selon la chronologie réduite, la première<br />

phase aurait duré à peine deux siècles, laps de temps qu’on considère à<br />

juste titre comme très bref, si l’on pense aux importants changements<br />

réalisés dans tous les domaines, et surtout si on le compare à la longue<br />

durée de la <strong>civilisation</strong> néolithique. Trois interprétations ont été propo-<br />

sées pour expliquer la naissance de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> ; chacune<br />

d’entre elles s’est appuyée sur des arguments qui sont, d’après leurs<br />

adeptes, irréfutables.<br />

1. <strong>La</strong> théorie des émigrations. Les changements radicaux dans la civi-<br />

lisation sont dus à l’installation d’éléments étrangers - à la suite d’une<br />

ou de plusieurs émigrations successives -, venus d’une ou de plusieurs<br />

régions d’Asie antérieure ou d’Afrique du Nord ; ce ne sont pas seule-<br />

ment le travail du métal et de nouvelles techniques qui firent ainsi leur<br />

apparition, mais c’est le caractère fondamental de la <strong>civilisation</strong> qui fut<br />

radicalement transformé, et cela sur presque toute l’étendue du monde<br />

égéen. Les porteurs de la <strong>civilisation</strong> appartiendraient à une race diffé-<br />

rente, caractérisée maintenant comme méditerranéenne, et qui auraient<br />

parlé des variantes d’une langue dont le caractère n’est pas encore indo-<br />

européen, langue qui laissa des traces dans les toponymes et dans le<br />

vocabulaire des mots de <strong>civilisation</strong> ; les adeptes de cette théorie ont<br />

recherché les origines de ce peuple et de cette langue en Asie et en Afri-<br />

que, d’où ils croyaient qu’ont émigré les porteurs de la nouvelle civilisa-<br />

tion. Haley et Blegen, dans un article de 1928, montrèrent la répartition<br />

des toponymes préhistoriques dans le monde égéen, et essayèrent de<br />

prouver que ces toponymes remontaient aux premiers émigrés, au début<br />

de l’âge du Bronze, bien avant la descente des tribus grecques primiti-


126 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

ves, vers la fin du 111‘ millénaire av. J.-C., porteurs de nouveaux élé-<br />

ments de <strong>civilisation</strong>, comme, par exemple, la céramique minyenne.<br />

Bien sûr, tous les adeptes de la théorie de l’émigration n’étaient pas<br />

d’accord sur la région d’où partirent les émigrés. Ceux qui soutenaient<br />

l’origine nordique - à partir de la comparaison entre la <strong>civilisation</strong><br />

Helladique ancien et celle du Nord des Balkans (<strong>civilisation</strong> de Baden<br />

ou de la céramique cordée) - furent moins nombreux. Le Bulgare<br />

Georgiev y rechercha les racines de ceux qui étaient, pour lui, les Proto-<br />

indo-européens égéens. Mais en fait, les éléments de la <strong>civilisation</strong><br />

<strong>égéenne</strong> primitive qui se rattachent au Nord sont peu nombreux et il<br />

paraît impossible qu’il y ait eu très tôt des émigrations à partir de cette<br />

région. D’autres - comme Arthur Evans -, se fondant sur des ressem-<br />

blances fondamentales entre la Crète minoenne et l’Afrique du Nord<br />

protolibyenne - comme les constructions à tholos, le pagne des hom-<br />

mes avec le protège-sexe (afdaioûBAaS) et les nattes des cheveux -, cru-<br />

rent qu’elles n’auraient pu exister sans une installation protolibyenne<br />

massive dans le Sud de la Crète. Des anthropologues essayèrent de ren-<br />

forcer ce point de vue en apportant leurs données. D’autres, comme<br />

Weinberg, soutinrent relativement récemment que l’émigration avait pu<br />

se faire à partir de la Syrie-Palestine, puisque des ressemblances assez<br />

importantes étaient constatées entre le début de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> et<br />

la <strong>civilisation</strong> de la région de Gassul. Les ressemblances qui furent<br />

notées sont indéniables - surtout dans la céramique, la décoration et<br />

les coutumes funéraires -, mais on ne peut pas exclure qu’elles soient<br />

le résultat d’une influence ou d’une transmission d’une région à l’autre.<br />

Plus nombreux sont les savants qui soutiennent l’origine anatolienne de<br />

cette émigration. Evans, lui-même, a également admis ce courant pour<br />

la Crète, venu de différentes régions d’Anatolie ; il fournissait même<br />

des arguments anthropologiques - le type dit a arménien )) - et reli-<br />

gieux - le culte de la déesse-mère, la Terre. En 1964, Caskey donna<br />

des précisions : le courant provenait du Nord-Ouest de l’Asie Mineure<br />

et de l’Est de la Thrace-Macédoine et il se répandit beaucoup plus lar-<br />

gement dans la Grèce insulaire et continentale qu’en Crète, mais par<br />

vagues successives, chacune avec sa propre destination. <strong>La</strong> même chose<br />

fut soutenue par Vermeule et, avec de plus grandes réserves, par Gor-<br />

don Childe, qui voyait davantage de courants et des adaptations locales<br />

indépendantes. <strong>La</strong> théorie de l’émigration a, sans aucun doute, beau-<br />

coup de points faibles, d’abord parce qu’elle est très absolue sur<br />

l’apport des nouveaux venus et qu’elle sous-estime ce qui existait déjà<br />

sur place ; et puis elle met partout à égalité l’importance et la forme de<br />

la nouvelle adaptation. I1 est certain que bien des éléments essentiels


Le Bronze ancien 127<br />

nous manquent encore pour pouvoir finalement dire quelle sorte d’émi-<br />

gration il y eut et à quel degré, quand, exactement et comment, et dans<br />

quelles circonstances. Les autres théories nous donnent des solutions<br />

plus positives.<br />

2. <strong>La</strong> théorie des influences. Soutenue par beaucoup de savants, elle<br />

prétend que la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> est le résultat de l’influence des civili-<br />

sations orientale et égyptienne qui se trouvaient à un niveau élevé ; bien<br />

sûr, ces influences ne furent pas niées par les partisans des autres théo-<br />

ries, mais ceux-ci n’y virent pas les facteurs essentiels d’une nouvelle<br />

création. <strong>La</strong> théorie de la diffusion de la <strong>civilisation</strong> par des influences,<br />

avec ou sans intermédiaires, résout certaines des difficultés engendrées<br />

par la théorie de l’émigration, mais elle en fait naître d’autres, non<br />

moins sérieuses. Gordon Childe fut pendant longtemps son principal<br />

défenseur. II disait que les progrès extraordinaires réalisés par les civili-<br />

sations des grands fleuves furent à l’origine d’une diffusion secondaire<br />

dans les régions limitrophes, dont la plus importante fut le monde<br />

égéen. <strong>La</strong> diffusion ne se limita pas là, mais, grâce à d’autres influen-<br />

ces, gagna une troisième région, plus éloignée ; par conséquent, aucune<br />

des <strong>civilisation</strong>s périphériques ne peut être considérée comme originale.<br />

Bien des gens suivirent Childe là-dessus mais, malgré tout, cette théorie<br />

ne prévalut pas, car il fut prouvé que les principales <strong>civilisation</strong>s péri-<br />

phériques se développèrent de façon autonome et acquirent chacune un<br />

caractère propre.<br />

3. <strong>La</strong> théorie de l’évolution. Elle soutient que la naissance de la civi-<br />

lisation <strong>égéenne</strong> est le résultat d’une longue évolution qui se fit progres-<br />

sivement et qui, malgré des influences orientale et égyptienne et de très<br />

faibles infiltrations de peuples avoisinants, est la suite de la très vieille<br />

<strong>civilisation</strong> qui, lentement, mais sans cesse plus rapidement, se déve-<br />

loppa dans le monde égéen. Voilà pourquoi cette <strong>civilisation</strong> a un carac-<br />

tère original, unitaire pour tout le monde égéen, quoique riche en<br />

variantes locales. Comme principaux adeptes de cette théorie se sont fait<br />

connaître récemment Théocharis et Renfrew ; tous deux, bien sûr,<br />

reconnaissent l’apport des autres facteurs : une émigration plutôt limitée<br />

et, jusqu’à un certain point, l’influence, avec ou sans intermédiaires,<br />

des grandes <strong>civilisation</strong>s limitrophes, naturellement à des degrés diffé-<br />

rents et d’une manière autre pour chaque région. Renfrew soutient que<br />

l’évolution locale s’explique de façon satisfaisante par l’échange<br />

d’influences entre les différents systèmes et sous-systèmes de la civilisa-<br />

tion et par l’effet multiplicatif (multiplier Effect) des divers facteurs


128 LA CIVILISATION ÉGPENNE<br />

qui, peu à peu, se développèrent dans les régions du monde égéen, sur-<br />

tout au cours du IIIe millénaire av. J.-C. Les progrès graduels et ies<br />

innovations bienfaisantes dans chaque domaine - production, technolo-<br />

gie, organisation sociale et économico-commerciale, aptitudes intellec-<br />

tuelles, facultés symboliques et projections spirituelles - furent réalisés<br />

sous le contrôle de forces équilibrantes alternativement négatives et posi-<br />

tives (positive and negative Feedback), mais le plus souvent grâce à des<br />

échanges stimulateurs qui eurent des effets multiplicateurs sur le pian<br />

global et élargirent la zone d’influence. Le principe essentiel du progrès<br />

est, certes, le pouvoir de l’homme de s’adapter à son environnement,<br />

mais aussi et surtout le pouvoir de transformer cet environnement de<br />

manière à arriver plus aisément à ses fins. Et le degré de culture comme<br />

la richesse augmentent sans cesse plus rapidement par la création de<br />

nouveaux systèmes et sous-systèmes qui structurent de plus en plus fine-<br />

ment l’activité dans tous les domaines. I1 n’est pas rare qu’il y ait une<br />

stagnation dans l’évolution d’une culture quand de nouveaux facteurs<br />

de <strong>civilisation</strong> ne trouvent pas un terrain favorable à leur développe-<br />

ment dynamique. C’est ainsi que la métallurgie tarda beaucoup, en<br />

Orient, à constituer un élément de base et régulateur des échanges,<br />

tandis que dans le monde égéen l’évolution se fit rapidement dès<br />

qu’arrivèrent les premiers enseignements. L’effet multiplicateur entraî-<br />

nant le progrès en chaîne dans les différents systèmes et sous-systèmes,<br />

il se produisit dans la <strong>civilisation</strong> ce que Gordon Childe nomma (( révo-<br />

lution », c’est-à-dire un passage abrupt d’un niveau à un autre beau-<br />

coup plus évolué, qui peut apparaître comme surprenant.<br />

Ces théories ont donné lieu, on l’a vu, avec des arguments plus ou<br />

moins convaincants, à trois interprétations de la naissance et des débuts<br />

de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>. Mais elles sont toutes trois unilatérales, car,<br />

comme cela a été prouvé, tous les facteurs - immigration, influences,<br />

apports locaux - jouèrent un rôle presque égal. Aussi, dans l’exposé<br />

qui suit, a-t-on préféré étudier les éléments fondamentaux de la civilisa-<br />

tion de chacun des membres de la famille <strong>égéenne</strong> aux époques les plus<br />

importantes et sous leur aspect le plus caractéristique, en recherchant à<br />

chaque occasion quel est le mode d’explication le plus rationnel d’après<br />

les éléments dont nous disposons. A la fin de chaque chapitre sera ten-<br />

tée une synthèse qui ne peut avoir d’autre caractère que celui d’un<br />

ensemble d’hypothèses scientifiques attendant une confirmation future.<br />

II va de soi que nos sources - qui proviennent de la recherche<br />

archéologique et de divers autres éléments fondés, pour une part, sur la<br />

tradition - sont très inégales et différentes de caractère, suivant I’épo-<br />

que et l’endroit. En générai, elles sont plus éparses, plus floues, voire


Le Bronze ancien I29<br />

incertaines pour les époques les plus anciennes, les régions plus périphé-<br />

riques et celles où la recherche fut plus sporadique ou demeura insuffi-<br />

sante. Elles deviennent plus denses et plus assurées pour l’apogée de la<br />

<strong>civilisation</strong>, époque pour laquelle les fouilles ont donné de nombreux<br />

éléments et la tradition épique ou mythologico-historique laisse entrevoir<br />

des faits historiques. Pour les phases finales, des renseignements impor-<br />

tants ont été ajoutés récemment, grâce au déchiffrement des archives en<br />

écriture dite a linéaire B ».


CHAPITRE PREMIER<br />

LE BRONZE ANCIEN EN CRÈTE<br />

(Civilisation prépalatiale)<br />

Architecture domestique et architecture funéraire<br />

I1 est clair que nous manquons de connaissances sur la structure et<br />

l’architecture des habitats de la première phase prépalatiale. Quelques<br />

maigres vestiges de maisons, constituées de simples pièces rectangulaires,<br />

toujours peu nombreuses et disposées de façon irrégulière, furent décou-<br />

vertes dans la petite île (alors presqu’île) de Mochlos, sous le palais de<br />

Cnossos - sous le dallage de la cour ouest, la plus basse, du premier<br />

palais - et de Phaistos - sous le péristyle de l’aile ouest du deuxième<br />

palais - à Hellenès (Amaril ; quelques restes furent trouvés en surface<br />

près de Mélidoni (Mylopotamos) et trois constructions simples sur une<br />

hauteur - Dembla -, au pied des Montagnes Blanches, en Crète occi-<br />

dentale. <strong>La</strong> rareté des maisons découvertes ne signifie pas du tout que<br />

les premiers habitants du début de l’âge du Bronze s’abritaient surtout<br />

dans des grottes - même si des installations de ce type furent mises au<br />

jour dans toute la Crète. Cela est surtout dû au fait que les fouilles ont<br />

été insuffisantes et aussi à ce que dans les endroits qui ont continué<br />

d’être habités, les vestiges disparurent lors du nivellement ou furent<br />

recouverts par d’autres constructions. Cela s’est produit aussi bien sur<br />

la colline de Cnossos qu’à Phaistos. Le dépotoir en forme de puits<br />

trouvé à Cnossos, par exemple, et qui contenait en abondance des<br />

ustensiles de la première phase prépalatiale, est la preuve de l’existence<br />

d’un habitat ; à Phaistos, les couches furent coupées et seuls quelques<br />

vestiges demeurèrent tandis que d’autres disparurent sous les construc-<br />

tions protopalatiales et néopalatiales. Ce qui fut sauvé pourrait toutefois<br />

être caractérisé, en raison de sa forme encore simple et primitive,<br />

comme subnéolithique. Les premiers enclos funéraires, découverts sur-<br />

tout dans des cimetières de Crète orientale - Patéma et Lénika (Palai-


132 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

kastro) et peut-être Mochlos - ont la même forme simple. Tantôt ils<br />

imitent les constructions du type but and ben - où le mur extérieur<br />

tourne vers l’intérieur -, connu depuis la fin du Néolithique, tantôt ce<br />

sont des constructions rectangulaires avec des divisions intérieures paral-<br />

lèles, sans entrée principale. Cela prouve qu’ils n’avaient pas de toit et<br />

qu’après chaque sépulture ils étaient recouverts de terre. Les murs exté-<br />

rieurs n’étaient pas hauts et les divisions intérieures devaient être encore<br />

plus basses. En même temps, en Crète centrale, on commençait à cons-<br />

truire des monuments funéraires circulaires en forme de tholos, selon le<br />

système dit (( en encorbellement )) : chaque rangée de pierres se trouve<br />

en saillie par rapport à la précédente et la voûte est assurée au sommet<br />

par une a clé », sous forme d’une plaque très large. Au début, le dia-<br />

mètre du cercle n’était pas grand et les entrées, étroites et basses,<br />

avaient des piliers faits de grosses pierres superposées ; peut-être<br />

commença-t-on dès cette phase à construire des tombes à tholos d’un<br />

diamètre beaucoup plus grand, avec de grands piliers monolithiques, un<br />

lourd linteau soulagé au-dessus par un espace vide ou rempli de petites<br />

pierres encadrées de plus grandes. <strong>La</strong> plupart de ces tombes furent trou-<br />

vées au pied des hauteurs, sur le pourtour de la grande plaine du Sud<br />

de la Crète centrale, la Messara, mais aussi dans certains passages entre<br />

les chaînes de montagnes environnantes, surtout les Astéroussia (Kophi-<br />

nas) qui fermaient la plaine au sud, et encore dans les endroits débou-<br />

chant vers la mer, comme dans la rade de Lébéna, aujourd’hui Lenda.<br />

Les fouilles systématiques qu’y mena Alexiou prouvèrent l’utilisation de<br />

tombes du type à tholos dès la première phase protopalatiale. D’autres<br />

chercheurs montrèrent que des tombes à tholos de la Messara, qu’on<br />

avait crues postérieures, dataient également de cette époque. Plus tard,<br />

Branigan poussa tellement les choses qu’il put attribuer à cette phase<br />

vingt-deux tombes à tholos. De toute façon celles-ci, qui furent utilisées<br />

pendant très longtemps, doivent être datées à partir des objets les plus<br />

anciens déposés en tant que mobilier funéraire, même s’ils sont peu<br />

nombreux ou fragmentaires, puisque bien souvent les tombes étaient<br />

nettoyées pour permettre des inhumations ultérieures. Des tombes à tho-<br />

los, beaucoup plus petites et plus basses, limitées intérieurement, et en<br />

cela assez semblables aux petites tombes en encorbellement protocycladi-<br />

ques, étaient en usage au nord de la Crète centrale ; l’une, dans la<br />

région de Krassi, au pied des monts du <strong>La</strong>ssithi, du côté nord, fut<br />

fouillée par Marinatos ; il semble toutefois qu’il y en ait eu d’autres<br />

dans la même région.<br />

On utilisait en même temps, pour les sépultures, des petites grottes<br />

naturelles, ou des cavités qu’on taillait en forme de grottes ou d’abris


Le Bronze ancien 133<br />

sous roche ; pour les premières on citera les grottes de la Gorge des<br />

Morts et Mavro avlaki (le Canal noir) de Zakro, celles de Trapéza (<strong>La</strong>s-<br />

sithi), d’Eileithyia (Amnisos), d’Hellen&, de Platyvola sur les hauteurs<br />

nord, au pied des Montagnes Blanches ; aux deuxièmes appartiennent la<br />

petite grotte de Miamou, les cavités ou crevasses de Sphoungaras, près<br />

de Gournia, et une grotte artificielle dans la région d’Anopolis ; enfin<br />

on classera dans la troisième catégorie, celle des abris taillés, les tom-<br />

beaux de Pyrgos (Anopolis) et les abris sous roche de Partira - lieu-dit<br />

Vitsilia -, Kanli Kastelli - lieu-dit Kyparissi -, Haghios Nikolaos<br />

(Palaikastro) et Haghia Photia. C’est à Haghia Photia qu’on découvrit<br />

et qu’on fouilla un vaste cimetière contenant des petites tombes taillées<br />

en forme de grottes, pourvues d’une entrée étroite murée de pierres ou<br />

fermée de plaques, et une petite antichambre qui constitue une sorte de<br />

(( dromos )) élémentaire.<br />

Bien des gens recherchèrent les racines de la structure funéraire dans<br />

les premières formes du Néolithique, aussi bien sur place qu’à I’étran-<br />

ger. Les constructions voûtées d’Orient et de Chypre - Khirokitia -<br />

sont très éloignées dans le temps, mais il se peut qu’il y ait dans cette<br />

région les anneaux intermédiaires correspondant aux constructions à<br />

coupole du cycle protolibyen ; ces dernières poursuivirent leur évolution<br />

parallèlement à l’apparition et à l’évolution des constructions à coupole<br />

en Crète. Dans cette zone de l’extérieur, il n’est pas difficile de retrou-<br />

ver des éléments analogues aux tombes crétoises, des grottes naturelles<br />

ou artificielles, des abris sous roche ou bien des crevasses, utilisés pour<br />

les sépultures. Mais il est plus normal de considérer que leurs racines se<br />

trouvent en Crète même, à l’époque néolithique. Ainsi que nous l’avons<br />

vu, même des formes de maisons - type but and ben par exemple -<br />

étaient utilisées comme modèles pour des enclos funéraires de l’époque<br />

prépalatiale.<br />

Dans la deuxième phase prépalatiale la structure et la technique des<br />

constructions réalisèrent des progrès importants et, pour la premiere<br />

fois, nous pouvons suivre l’organisation de maisons assez grandes et la<br />

construction de bâtiments qui, jusqu’à un certain point, annoncent<br />

l’évolution de la grande architecture protopalatiale. Visiblement, les pro-<br />

grès ne se firent pas sans un renforcement de l’élément humain indigène<br />

par des éléments raciaux provenant des pays environnants. Nous voyons<br />

la population augmenter surtout par la multiplication et le développe-<br />

ment des cimetières, principalement en Crète orientale, dans la Messara<br />

et au Sud de la Crète centrale. II faut souligner que la plupart des habi-<br />

tats auxquels correspondent ces cimetières n’ont jusqu’à aujourd’hui été<br />

ni découverts ni à plus forte raison explorés. Toutefois des vestiges


134 LA CIVILISATION EGÉENNE<br />

épars ont été trouvés, et en assez grand nombre, dans les régions où,<br />

plus tard, se développèrent les grands centres, mais ils ne suffisent pas à<br />

nous renseigner, même dans les grandes lignes, sur la forme des habi-<br />

tats. De tels vestiges furent, par exemple, découverts à Zakro, Palaikas-<br />

tro, Mochlos, Pseira, Gournia, etc. Ces habitats Continuèrent leur vie<br />

dans la période suivante, à ce qu’il semble, après un certain renouvelle-<br />

ment des bâtiments. Le seul qui fut exploré systématiquement et mis au<br />

jour sur presque toute sa surface, est celui de Myrtos (Hiérapétra) -<br />

lieu-dit Phournou Korphi -, situé sur un versant de la montagne qui<br />

donne sur la mer libyque, au pied des Monts du <strong>La</strong>ssithi. C’est une ins-<br />

tallation d’éleveurs-agriculteurs mais qui présente aussi une industrie<br />

locale - plastique, tissage et, sans aucun doute, vannerie. II s’agit d’un<br />

village dont les maisons, disposées irrégulièrement, constituent un com-<br />

plexe labyrinthique avec, quelquefois, des impasses entre certaines<br />

d’entre elles ; toutes étaient à un seul étage, construites avec peu de<br />

soin, de pierres presque brutes mais portant quelquefois un enduit de<br />

couleur rouge ou marron. Souvent, des murs de brique crue complé-<br />

taient les bâtiments. Peut-être les murs extérieurs des maisons du pour-<br />

tour se continuaient-ils dans un mur d’enceinte, lui aussi irrégulier,<br />

comportant très peu d’ouvertures, qui pouvaient être facilement fermées<br />

par une grande porte en bois. L’un des bâtiments, dans la région la<br />

plus élevée, était utilisé comme sanctuaire ainsi que le montre une figu-<br />

rine de terre cuite très caractéristique, placée sur une sorte d’autel. On<br />

ne connaît pas l’usage d’un vaste bâtiment à abside, au bout du village,<br />

mais il n’est pas exclu qu’il ait également un caractère religieux. Les<br />

fouilleurs croient qu’il fut construit après l’incendie et l’abandon du vil-<br />

lage. Certains des bâtiments étaient, semble-t-il, des ateliers : l’un d’eux<br />

comportait une vasque pourvue d’un déversoir et de conduits d’évacua-<br />

tion ; il était peut-être utilisé comme installation de teinture ; un autre<br />

devait être un atelier de potier, si l’on en juge d’après toute une série<br />

de tours assez primitifs.<br />

Le système de constructions trouvé au début des grandes fouilles de<br />

Seager a Vassiliki (Hiérapétra), non loin de Gournia, complétées par de<br />

nouvelles explorations - menées par Zoés - appartenait, cela est<br />

prouvé, à un important habitat dont la plus grande partie fut détruite.<br />

Le bâtiment principal, au sommet de la colline, est particulièrement<br />

intéressant ; il était constitué à l’origine de deux ensembles de plusieurs<br />

pièces, disposés en angle droit, de façon à ménager un espace qui,<br />

dallé, constituait une cour. L’appareil des murs était compact et soi-<br />

gné ; au-dessus de soubassements en pierre, reposaient des murs de bri-<br />

ques crues, renforcés tout autour par des piliers de bois et des poutres.


Le Bronze ancien 135<br />

Un enduit rouge épais, protégeait le fragile noyau des murs et l’incendie<br />

qui détruisit finalement l’installation renforça les murs en les cuisant ;<br />

ils furent ainsi trouvés en bon état. II ne s’agit pas, comme on l’a<br />

d’abord pensé, d’une seule, mais de plusieurs maisons qui étaient liées<br />

entre elles. Un long couloir facilitait la communication intérieure. II<br />

semble que le système n’était pas à un seul étage et avait la possibilité<br />

de s’agrandir dans les deux sens et sur le côté, à l’extérieur du large<br />

mur principal de façade. Les murs furent reconstruits dans la phase sui-<br />

vante et les agrandissements se poursuivirent également dans la période<br />

transitoire vers le Protopalatial (le MM IA d’Evans). Peu de gens pen-<br />

sent aujourd’hui - puisque la multiplicité et l’agrandissement de la<br />

construction sont prouvés - que c’était la maison d’un toparque et<br />

encore moins qu’elle ouvre directement la voie aux palais crétois dont<br />

les ailes se développent autour d’une cour centrale. De toute façon, il<br />

est sûr que l’architecture avait atteint un degré de développement tel<br />

qu’elle était capable de créer des constructions bien organisées et soli-<br />

des, répondant à un système général d’urbanisme. Malheureusement,<br />

nous ne sommes guère en position de suivre son évolution dans la phase<br />

suivante, la troisième phase prépalatiale dont la dernière partie est tran-<br />

sitoire vers le Protopalatial. Dans cette période s’accomplirent les pro-<br />

grès qui aboutirent à l’architecture des palais. On peut l’imaginer à par-<br />

tir des vestiges isolés qui furent découverts, la plupart sous les bâti-<br />

ments des grands centres, même si ces vestiges, fragmentaires, restés<br />

indéfinis sous les constructions postérieures et la plupart non publiés, ne<br />

peuvent nous donner une image d’ensemble. En dehors des limites des<br />

palais de Cnossos, Phaistos, Malia où il était facile de rechercher des<br />

vestiges dans les couches plus anciennes, on a découvert beaucoup de<br />

restes de maisons qui constituaient des ensembles confus et labyrinthi-<br />

ques ; ils couvraient à l’origine le sommet et les pentes des collines ou<br />

occupaient une surface dont une partie fut prise par le palais, après des<br />

nivellements plus ou moins importants. A Malia, tout un quartier fut<br />

mis au jour, juste au Sud du palais ; à Phaistos on trouva des ensem-<br />

bles de maisons en bien des endroits sur les versants de la colline -<br />

Haghia Photini, Chalara, Phalandra - et quelques-uns étaient isolés<br />

dans les collines suivantes, comme Paterikiès ou Haghia Triada ; à<br />

Cnossos, sous la cour ouest, on découvrit d’intéressantes maisons -<br />

l’une avec des enduits sur les sols, un petit escalier et un bothros cultuel<br />

ou foyer sacré, au milieu de la pièce ; ces maisons ont été considérées<br />

comme protopaiatiales par Evans et Pendiebury, mais il est clair<br />

qu’elles appartiennent à la dernière phase de la <strong>civilisation</strong> prépaiatiale,<br />

puisqu’elles ont fourni de la céramique MM IA. C’est à la même phase


136 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

qu’appartiennent le bâtiment aux deux colonnes monolithiques trouvé<br />

sur le versant oriental, juste en dehors du palais, et plus au sud, deux<br />

constructions très bizarres, taillées dans le rocher, en forme de ruche<br />

voûtée ; celle qui se trouve immédiatement sous la porte sud du palais<br />

fut mieux explorée parce que sa voûte ne s’était pas écroulée ; on<br />

démontra qu’à l’extérieur de la chambre taillée descendait une galerie<br />

tournante avec des marches qui, par endroits, communiquait avec la<br />

chambre principale par des fenêtres arquées. Evans les appela des hypo-<br />

gées, mais leur destination reste mystérieuse, même si on a proposé d’y<br />

voir des silos à blé : à cette époque il n’y avait pas de palais et donc<br />

pas de pouvoir centralisé qui aurait pu organiser de gigantesques silos<br />

dans des souterrains plutôt impropres à cet usage. Parmi les habitats<br />

prépalatiaux de la Messara, les seuls qui aient été partiellement fouillés<br />

sont ceux de Koumassa et d’Apésokari où on retrouve le même système<br />

d’habitations agglomérées.<br />

D’un point de vue architectural, le bâtiment le plus important fut<br />

découvert sur un haut sommet - Souvloto Mouri -, dans la région de<br />

Chamaizi, en Crète orientale. Xanthoudidès y vit la demeure d’un gou-<br />

verneur, mais le site, sa forme particulière, la découverte de nombreuses<br />

figurines tout autour, montrent qu’il s’agit plutôt d’un sanctuaire de<br />

sommet. I1 existait bien sûr des sanctuaires de ce genre sur d’autres<br />

sommets, mais ils avaient une forme différente : c’était des construc-<br />

tions aux pieces rectangulaires, avec parfois des terrasses successives, et<br />

entourées d’un péribole extérieur, comme le sanctuaire du Iouktas, la<br />

montagne sacrée de Cnossos, et d’autres sanctuaires tels que Petsofa<br />

dans la région de Palaikastro, Kophinas, Christos dans les Astéroussia,<br />

etc. Beaucoup d’entre eux furent totalement remaniés dans la première<br />

phase néopalatiale, au MM III. Dernièrement, le bâtiment de Chamaizi<br />

fut exploré plus systématiquement par Davaras, qui n’accepta finale-<br />

ment pas l’interprétation du sanctuaire : il s’aperçut que, sous celui-ci,<br />

il y avait eu jadis à la fois des constructions de même forme (elliptique)<br />

et d’autres relevant d’un système à angles droits. L’étrange disposition<br />

des pièces - en rayon autour d’un espace central à ciel ouvert -,<br />

encloses dans une enceinte de forme elliptique, fut interprétée par la<br />

plupart de ceux qui étudièrent la question comme une adaptation à la<br />

forme elliptique du sommet nivelé de la colline. Mais cela ne corres-<br />

pond pas à la réalité puisque à l’extérieur du bâtiment il reste un grand<br />

espace libre qui n’est pas elliptique. I1 n’est pas exclu que cette forme<br />

ait un rapport avec l’usage cultuel du bâtiment : au centre on a une<br />

sorte de dépotoir légèrement voûté, caractérisé comme un puits mais<br />

dont la construction montre qu’il ne s’agissait ni d’un puits ni d’une


Le Bronze ancien 137<br />

citerne. Il est incorrect de voir dans ce bâtiment une forme qui annonce<br />

celle des premiers palais. L’espace central est dallé sur deux niveaux et<br />

le dépotoir se trouve au niveau le plus élevé ; il est équipé d’un système<br />

d’évacuation qui ne pouvait desservir ni la cour ni les installations péri-<br />

phériques.<br />

Bien qu’elle ait beaucoup de rapports avec l’architecture domestique,<br />

l’architecture funéraire évolua suivant une direction propre. Les enclos<br />

rectangulaires les plus simples, en Crète orientale surtout, suivent en<br />

général les mêmes règles mais se compliquent, aussi bien dans le déve-<br />

loppement du type but and ben, que dans les formes plus élaborées<br />

avec des divisions parallèles intérieures. A Kastri et à Lénika (Palaikas-<br />

tro) on continue à utiliser les anciens enclos mais on en édifie de nou-<br />

veaux, aussi bien dans la deuxième que dans la troisième phase -<br />

comme à Patéma et Sarantari. Souvent les compartiments parallèles<br />

sont encore divisés par des murs permettant ou non la communication.<br />

Le grand enclos funéraire près de Tourtouli (Siteia) est de ce type. Des<br />

centaines de morts furent enterrés dans quelques-uns de ces enclos.<br />

Dans le cimetière de Mochlos, situé en grande partie sur le versant<br />

abrupt de l’île d’aujourd’hui, de petits enclos, comprenant d’un à cinq<br />

compartiments furent construits sous un abri rocheux ou dans des cavi-<br />

tés de rocher. <strong>La</strong> plupart datent de la deuxième phase, mais quelques-<br />

uns continuèrent à être utilisés dans la phase suivante aussi bien que<br />

dans la phase transitoire vers le Protopalatial. Des sépultures isolées<br />

continuèrent à y exister au Protopalatial et dans la première phase néo-<br />

palatiale. Les enclos rectangulaires, avec leurs divisions internes,<br />

n’étaient pas inconnus en Crète centrale, quoiqu’on les rencontre plus<br />

rarement, mais ils ne remontent qu’à la dernière phase protopalatiale.<br />

Le plus connu se trouve au lieu-dit Chrysolakkos à Malia, aux confins<br />

de la Crète orientale et de la Crète centrale ; c’est aussi le plus impor-<br />

tant de tous ; il ne cessa d’être utilisé jusqu’à la première phase néopa-<br />

latiale, mais de moins en moins. Son utilisation continue occasionna des<br />

changements importants dans les divisions des compartiments qui, au<br />

début du moins, ne semblent pas communiquer. Les façades étaient fai-<br />

tes de grandes pierres et, aux endroits les plus importants, elles se<br />

basaient sur de grands orthostates. C’est peut-être en cet endroit que ce<br />

système fut employé pour la première fois - comme Shaw l’a reconnu<br />

- système qui fut de règle ensuite dans les façades des premiers et des<br />

seconds palais. On verra ailleurs la restauration ultérieure de ce bâti-<br />

ment pour une meilleure adaptation au culte funéraire. D’autres enclos<br />

intéressants, eux aussi de la phase finale du Prépalatial, furent mis au<br />

jour à Gournès (Pédiada) et sur la colline de Phourni à Archanès. Ils


138 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

sont plus petits et divisés, par des murs parallèles et perpendiculaires, en<br />

compartiments, eux aussi moins nombreux.<br />

Mais les créations les plus importantes de l’architecture funéraire,<br />

dont beaucoup prirent réellement une forme monumentale, sont les<br />

tombes à tholos ; leur diamètre intérieur varie de 3 à 13 mètres et leurs<br />

murs ont une épaisseur de 1,50 à 2,80 mètres. Les savants ont beaucoup<br />

discuté pour savoir s’il s’agissait ou non de véritables coupoles. Cer-<br />

tains - comme Marinatos - soutenaient qu’il était impossible qu’elles<br />

aient été couvertes d’une voûte, du moins les plus grandes : il n’y avait<br />

pas suffisamment de pierres tombées a l’intérieur ni de clés de voûtes et<br />

la construction se faisait le plus souvent dans une pierre impropre à la<br />

voûte. Ces mêmes savants ne voulaient pas voir dans ce qu’ils considé-<br />

raient comme des enclos circulaires des précurseurs des tombes à tholos<br />

mycéniennes, car il manquait des intermédiaires dans l’évolution. Mais<br />

ces arguments furent démolis sur tous les points : on mit au jour des<br />

tombes qui contenaient la plupart des pierres nécessaires pour compléter<br />

la voûte ; dans deux ou trois cas on trouva même des pierres qui consti-<br />

tuaient très vraisemblablement la clé de voûte ; on découvrit des tombes<br />

où les matériaux étaient tombés suivant des anneaux concentriques ;<br />

dans beaucoup de tombes les murs étaient conservés sur une hauteur où<br />

la construction en encorbellement était très visible ; dans une tombe de<br />

la région d’Hodigitria, - Mégalos Skinos - dans les Astéroussia, les<br />

murs étaient préservés sur 4,30 mètres de haut, c’est-à-dire un peu au-<br />

dessous du sommet et l’inclinaison du mur était très nette ; on trouva<br />

des intermédiaires du MM II (Gypsadès, Cnossos), du MM IIIA (Kami-<br />

lari, Haghia Triada) du MM IIIB (Képhali et Tékès entre Héraklion et<br />

Cnossos, deux tombes à tholos), tous plus anciens que les tombes mycé-<br />

niennes ; la pierre s’avéra adéquate pour la coupole, elle était en forme<br />

de plaques. II est facile de comprendre pourquoi une grande partie des<br />

matériaux avaient disparu : ces endroits étaient considérés comme des<br />

carrières de matériaux de construction tout prêts. S’il fallait déduire la<br />

hauteur des bâtiments des matériaux tombés à l’intérieur, on aboutirait<br />

à la conclusion qu’aucune construction en Crète ne possédait d’étage.<br />

<strong>La</strong> plupart des tombes à tholos furent bâties dans la première et la<br />

deuxième phase prépalatiale ; toutefois certaines le furent dans la troi-<br />

sième tandis qu’il y en a très peu de la phase transitoire finale -<br />

comme celle de Vorou par exemple -, époque où ce type était en déca-<br />

dence. Ce n’est que plus tard, au début de l’époque néopalatiale qu’on<br />

essaya de faire de la tombe à tholos une construction monumentale, qui<br />

annonce les tombes mycéniennes. Au début, quelques-unes des tombes à<br />

tholos n’étaient pas tout à fait complètes : l’arrière était taillé dans la


Le Bronze ancien 139<br />

pente de la colline. Elles devaient être recouvertes de terre et l’ensemble<br />

donnait l’impression d’un petit tumulus. II n’était pas rare que le tumu-<br />

lus fût enclos par un mur bas, un mur de soutènement. L’entrée restait<br />

relativement basse et était souvent plus profonde que la paroi de la<br />

chambre. Les montants monolithiques ou construits de grandes pierres<br />

et le linteau, lourd et épais, étaient presque de règle ; là où les entrées<br />

ont été conservées sur une assez grande hauteur on voit qu’on avait pris<br />

des mesures pour soulager le linteau et, dans un ou deux cas on recon-<br />

naît la forme primitive d’un triangle de décharge. Les entrées étaient<br />

presque toujours à l’est et cela, sans aucun doute, était fonction des<br />

croyances et des coutumes funéraires de l’époque. Dans bien des cas, il<br />

y avait des antichambres rectangulaires ; plus rarement les tombes com-<br />

portaient à l’extérieur plusieurs chambres dont la chambre centrale, la<br />

plus vaste, était utilisée pour le culte des morts comme le montrèrent<br />

certaines installations interprétées comme des autels. Un bon exemple en<br />

fut trouvé dans la tombe d’Apésokari. Sur les parois extérieures de ces<br />

tombeaux, on a remarqué des plaques en saillie par endroits, à des hau-<br />

teurs différentes ; elles aidaient à la construction de la voûte. 11 n’était<br />

pas rare qu’il y ait à l’extérieur des tombes et collés à celles-ci, des<br />

enclos plus ou moins grands destinés à être utilisés quand les tombes<br />

étaient surchargées : certains de ces compartiments étaient exclusivement<br />

utilisés pour le dépôt du mobilier ou des offrandes dans le culte des<br />

morts, comme le prouva la foule d’ustensiles et autres objets qui y<br />

furent trouvés,<br />

Ce type de monuments funéraires est presque inconnu en Crète orien-<br />

tale. <strong>La</strong> seule exception est la tombe à tholos de Myrsiné (Siteia) qui<br />

date, elle aussi, de la phase finale du Prépalatial. 95 pour 100 d’entre<br />

eux furent découverts en bordure de la grande plaine de la Messara ou<br />

dans les défilés de montagnes qui l’entourent du côté de la mer ou vers<br />

l’intérieur. On a des indices sur l’existence de tombes à tholos au pied<br />

des Monts du <strong>La</strong>ssithi, au sud - région de Viannos - et près de Cnos-<br />

sos où les fouilles récentes de Phourni (Archanès) mirent au jour deux<br />

tombes à tholos à côté d’enclos funéraires rectangulaires ; elles semblent<br />

appartenir à la deuxième et au début de la troisième phase prépalatiale.<br />

Dans certaines des tombes à tholos de la période finale les sepultures se<br />

faisaient dans des jarres et dans des petits sarcophages de terre cuite<br />

aussi bien que sur le sol. On enterrait de la même façon dans les abris<br />

sous roche ou les cavités formant de petites grottes ou encore sur des<br />

plages où les sarcophages et :es jarres étaient enfoncés dans le sable.<br />

Vers la fin de la période prépalatiale, on préférait les sépultures indivi-<br />

duelles, même si on continuait à les grouper dans des cimetières.


Les diverses branches de l’artisanat<br />

Dès le début de la deuxième phase prépalatiale, les différentes bran-<br />

ches de l’artisanat se développent de façon relativement indépendante,<br />

ce qui prouve les progrès sensibles réalisés dans la division du travail<br />

par la spécialisation. L’expérience acquise - grâce à une longue évolu-<br />

tion et aux enseignements apportés dans l’île par de nouvelles installa-<br />

tions de colons venus de l’Est et du Sud, aussi bien qu’aux influences<br />

qui se répandent maintenant très rapidement en raison du développe-<br />

ment de la navigation et du commerce extérieur - est alors mise en<br />

valeur par une classe particulière, industrielle qui, elle aussi, est divisée<br />

en catégories d’artisans, spécialisés dans les différentes branches de la<br />

production. Cette expérience se transmettait de génération en généra-<br />

tion, à l’intérieur des familles elles-mêmes, ou par apprentissage à<br />

d’autres individus des groupes locaux. Nous sommes peu renseignés sur<br />

ces branches de l’artisanat et ses créations, et d’une façon qui n’est pas<br />

proportionnelle à leur importance, car elle dépend des restes qui nous<br />

sont parvenus et, par conséquent, de leur résistance ; on n’a ainsi pres-<br />

que rien conservé de la vannerie, du tissage, du travail du bois, etc.<br />

Dans une certaine mesure, c’est par l’influence que ces techniques ont<br />

exercé sur d’autres qui utilisaient des matériaux plus résistants -<br />

l’argile, la pierre, le métal, l’os - que nous sommes renseignés. Et ces<br />

informaticns sont d’autant plus complètes que ces techniques étaient<br />

plus imitatives.<br />

C’est la fabrication des vases et leur décoration qui sont les mieux<br />

connues puisque les ustensiles en argile ant toujours été les plus répan-<br />

dus et les mieux conservés, même s’ils se brisaient facilement et souvent<br />

s’éparpillaient. Les ustensiles en pierre étaient encore plus résistants et<br />

la science aurait pu, à partir de ceux-ci, suivre l’évolution si, en raison<br />

de leur caractère, on n’avait pas gardé avec tant de conservatisme les<br />

modèles anciens et si l’on avait été sûr qu’ils représentaient avec la<br />

même densité toutes les phases qui se sont succédé. Les objets en métal<br />

offrent les mêmes particularités, mais leur conservation est plus aléa-<br />

toire ; les plus sensibles et ceux qui se sont trouvés dans les plus mau-<br />

vaises conditions ont été détruits par l’oxydation ou fortement altérés ;<br />

d’autres furent refondus et transformés ou leur métal utilisé à d’autres<br />

fins ; ceux qui étaient en métal précieux furent très fréquemment déro-<br />

bés ; il n’est donc pas possible de suivre tous les stades de leur évolu-<br />

tion.<br />

Relativement peu d’objets élaborés furent trouvés dans les habitats,<br />

en dehors des produits céramiques, souvent fragmentaires et dispersés.


Le Bronze ancien 141<br />

L’habitude de placer des objets d’usage quotidien près des morts dans<br />

les tombes sauva beaucoup d’ustensiles, d’armes, de bijoux, etc., et les<br />

garda en relatif bon état. Les sanctuaires ont donné de nombreux objets<br />

qui sont, pour la plupart, des ustensiles rituels, des figurines et des<br />

symboles, des ex-voto. Ces derniers sont innombrables dans les dépôts<br />

qui se trouvent à l’intérieur des sanctuaires ou tout près de ceux-ci. Eux<br />

aussi nous apprennent des choses sur les différentes branches de I’artisa-<br />

nat, mais en même temps éclairent la vie religieuse. Autrement dit, à<br />

travers les productions artisanales nous entrevoyons la vie sociale, politi-<br />

que, économique, privée et le monde spirituel et intellectuel tel qu’il a<br />

évolué pendant les différentes périodes et phases de la <strong>civilisation</strong>.<br />

<strong>La</strong> céramique<br />

Dans la phase initiale de la <strong>civilisation</strong> prépalatiale la céramique<br />

conserve beaucoup de ses traits essentiels, aussi bien dans la forme des<br />

vases que dans leur technique et leur décoration, et cela a conduit bien<br />

des savants à en caractériser une partie comme subnéolithique. Mais ce<br />

caractère subnéolithique est fondamentalement différent de celui qui l’a<br />

précédé puisque à la fois la forme des vases et leur décoration ont<br />

acquis une autre force d’expression. Le Style d’Haghios Nikolaos par<br />

exemple - qui doit son nom au site (près de Palaikastro) où furent<br />

trouvés les premiers vases représentatifs - garde la technique enfumée<br />

et des nuances gris-noir, mais présente maintenant des formes dynami-<br />

ques : des pyxides et des cruches au col cylindrique avec un couvercle<br />

bien adapté, des gobelets à une anse et des vases globulaires presque<br />

sans décor. On croirait qu’elles imitent des ustensiles faits de bois et de<br />

peau. Ce style est également connu en Crète centrale, avec quelques<br />

variantes. <strong>La</strong> technique subnéolithique des vases polis, rougeâtres ou<br />

marron, avec une décoration épaisse qui s’efface facilement, est conti-<br />

nuée dans le Style de Lébéna qui doit son nom aux premiers ustensiles<br />

représentatifs qui furent trouvés dans des tombes a tholos de la région<br />

de Lébéna (Crète centrale, sud) ; il paraît relativement répandu dans<br />

presque toute la Crète et les vases sont de formes variées, souvent auda-<br />

cieuses et originales, comme une grande cruche en forme de pyxide pro-<br />

venant de Lébéna même, avec un couvercle cylindrique et des anses très<br />

développées, comme des ailerons ; quand il y a décoration, elle est faite<br />

d’une couleur blanchâtre et de motifs simples, géométriques, relative-<br />

ment fins. <strong>La</strong> technique subnéolithique qui créa des ustensiles noirs,<br />

enfumés et qui utilisait un décor au polissoir, évolue maintenant dans le


142 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Style de Pyrgos dont la technique est presque analogue, les courbes<br />

audacieuses et énergiques, la plus importante étant la coupe biconique<br />

aux parois présentant une tension dynamique ; elles sont aussi quelque-<br />

fois ondulées et portent un décor au polissoir qui imite parfois si fidèle-<br />

ment les traces du bois qu’on peut être sûr que les modèles étaient en<br />

bois. <strong>La</strong> plupart des spécimens représentatifs viennent du nord de la<br />

Crète centrale, où se trouvent les tombes qui fournirent les premiers<br />

exemplaires. En même temps que ces vases on a découvert de nombreux<br />

ustensiles, également enfumés, mais de différentes nuances, qui suivaient<br />

des modèles cycladiques, comme les pyxides sphériques - à col étroit<br />

conique et protubérances perforées en guise d’anses -, les pyxides ellip-<br />

tiques ou cylindriques et rondes, les kernoi doubles ou multiples montés<br />

sur un pied fin, plus ou moins haut, presque tous incisés, au décor plus<br />

ou moins dense fait de systèmes de lignes parallèles et opposées, de<br />

bandes brisées, etc. Ces ustensiles sont très proches de ceux du Style de<br />

Pélos dans les Cyclades, qui remonte égaiement à la première phase.<br />

Certains pensent qu’il s’agit d’importations, quoique les particularités<br />

semblent prouver qu’il s’agit d’une production locale. Enfin un autre<br />

style, le Style d’hlaghios Onouphrios, est la suite de la technique néoli-<br />

thique utilisant une décoration de groupes de lignes, rouge ou marron,<br />

sur le fond clair des vases qui étaient cuits dans des fours, avec une<br />

bonne oxydation, et à ce qu’il semble, fermés. Les premiers ustensiles<br />

connus proviennent d’une tombe à tholos de la région de Phaistos, sur<br />

le site d’Haghios Onouphrios qui, malheureusement, fut pillée et totaie-<br />

ment détruite quelques années avant que ne commencent les grandes<br />

fouilles crétoises. <strong>La</strong> différence avec les ustensiles subnéolithiques est<br />

que les vases d’Haghios Onouphrios sont très dynamiques, aussi bien<br />

dans la forme que dans la décoration ; la forme la plus commune est la<br />

petite cruche au long bec dressé vers le haut, avec une panse globulaire<br />

et la base ronde ; mais bien d’autres formes, comme I’askos, le tonneau<br />

miniature, les vases doubles ou multiples, I’amphorisque, le baquet, etc.,<br />

avaient un grand succès. Dans la décoration, les groupes de lignes et les<br />

lignes croisées ou formant des triangles antithétiques rendirent toujours<br />

très bien l’impression du tressage de la paille et des paniers. Les meil-<br />

leurs exemples nous viennent de Pyrgos, Kyparissi et Lébéna. Un autre<br />

style, fondé sur l’oxydation irrégulière, peut être considéré comme le<br />

Style précurseur de Vassiliki. Et ce sont exactement ces deux derniers<br />

styles qui se perfectionnent et se présentent sous une forme presque<br />

nouvelle, dans la deuxième phase prépalatiale.<br />

Le Style de Kournassa peut être considéré comme l’évolution immé-<br />

diate du style d’Haghios Onouphrios. I1 doit son nom aux tombes à


Fig. 3. - Formes de vases de la période prépalatiale minoenne :<br />

a-h, phase I ; i-I, phase II ; m-p, phase 111.


144 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

tholos de Koumassa, où furent trouvés quelques-uns des exemplaires les<br />

plus caractéristiques ; mais des vases appartenant à ce style furent<br />

découverts dans toute la Crète. Bien des savants ont eu des difficultés à<br />

distinguer les deux styles, mais une recherche typologique plus précise et<br />

la séparation des différents groupes confirma les caractéristiques de cha-<br />

cun d’eux. Dans le style de Koumassa, la technique s’est beaucoup amé-<br />

liorée, aussi bien dans le nettoyage de l’argile, dans la cuisson, que dans<br />

l’enduit brillant caractéristique. <strong>La</strong> couleur du vernis de la décoration<br />

tendait à la fin vers le marron foncé et le noir. Les formes des vases<br />

sont beaucoup plus variées et plus dynamiques, avec une distribution<br />

plus organique des différentes parties et une meilleure assise. <strong>La</strong> tombe<br />

de Pyrgos a fourni quelques vases caractéristiques de la transition entre<br />

les deux phases, comme celui qui est en forme de lébès, monté sur un<br />

pied conique, avec des protubérances doubles, perforées, en guise<br />

d’anses ; il est décoré d’une résille très dense qui recouvre toute la<br />

panse. Et ce sont justement les triangles en résille, les losanges, les<br />

papillons faits de doubles triangles qui sont les motifs favoris de cette<br />

décoration, comme les longs triangles faits de lignes qui convergent vers<br />

le bas. Les formes des vases présentent une assez grande variété de cru-<br />

ches et d’amphores, d’écuelles, de bassins, de baquets, d’outres, de ker-<br />

noi multiples, etc.<br />

Mais le style qui prévaut totalement, tout spécialement en Crète<br />

orientale, c’est le Style de Vassiliki qui présente maintenant une audace<br />

particulière dans les formes, une technique extraordinaire, qui permet<br />

d’obtenir des effets décoratifs effectués par une admirable exploitation<br />

de la technique. Les formes ouvragées des vases vont jusqu’à l’exagéra-<br />

tion ; les cruches sont plus hautes, avec col et bec tendus ; les théières<br />

comportent un déversoir très long qui devient un bec ouvert ; sa signifi-<br />

cation en tant que bec d’oiseau est soulignée par deux petites protubé-<br />

rances qui sont comme des yeux ; en même temps que ces théières, on<br />

trouve des pots à lait et des tasses semi-globulaires montées sur un pied<br />

bas ; mais les formes les plus bizarres sont celles en forme de seau et<br />

les ustensiles avec des ouvertures sur les côtés. <strong>La</strong> technique, malgré son<br />

caractère primitif - elle s’adapte à des ustensiles faits à la main, aux<br />

parois épaisses - a perfectionné l’enduit et la cuisson, inégalement ali-<br />

mentée en oxygène ; c’est à cela exclusivement qu’est due la décoration<br />

de belles taches - les ustensiles sont caractérisés comme (( flammés ))<br />

(motled Ware) - qu’on dirige, grâce à des moyens qui nous sont<br />

encore inconnus, de façon à produire des effets particuliers de taches<br />

serpentiformes ou mouchetées. Les ustensiles les plus importants furent<br />

trouvés à Vassiliki - d’où vient le nom du style -, dans le cimetière


a<br />

e<br />

J<br />

Fig. 4. - Motifs décoratifs de l’époque prépalatiale minoenne : a-] et I-n,<br />

phases 1-11 ; k, o-t, phase III ; u-y, phase transitoire.<br />

C<br />

B<br />

e


146 LA ClVlLISATlON ÉGÉENNE<br />

d’Haghia Photia (Siteia), à Gournia et à Myrtos (Hiérapétra). I1 n’est<br />

pas vrai que ce style ne fut utilisé qu’en Crète orientale ; des variantes<br />

proviennent de Malia, Cnossos, Arkalochori - dans la grotte sacrée -<br />

et même de Crète occidentale (grotte de Platyvola, <strong>La</strong> Canée).<br />

Le Style de Lébéna est, d’une certaine façon, en décadence mais à<br />

Lébéna et dans les tombes de la Messara on a trouvé des ustensiles à<br />

fond rougeâtre ou tirant sur le marron, et décor blanchâtre fin, varié<br />

maintenant, qui se situent dans l’évolution de ce style.<br />

L’évolution du Style d’hlaghios Nikolaos présente davantage d’inté-<br />

rêt ; il est, sans aucun doute, influencé par les Cyclades ; l’incision est<br />

maintenant très dense et fondée non seulement sur les systèmes alternés<br />

de raies mais sur les demi-cercles concentriques et les lignes ondulées<br />

superposées, incisées sur la surface de l’argile grise ; la principale forme<br />

est la pyxide globulaire ou globulaire aplatie avec couvercle plat ; elle<br />

est également utilisée dans le cas de kernoi doubles ou triples, le plus<br />

souvent sur un pied conique ; parfois les pyxides sont cylindriques et<br />

peuvent reposer sur trois petits pieds bas ; le décor usuel, toujours<br />

incisé, est fait de lignes obliques incisées, disposées en bandes, ou bien<br />

il est pointillé, fait à la brosse. Dans la même phase, on rencontre éga-<br />

lement des ustensiles représentant des objets divers : deux barques, l’une<br />

de Mochlos et l’autre de Palaikastro, et un objet curieux, en forme de<br />

doubles cornes, un peu courbes, dans lequel certains voient le précur-<br />

seur du symbole religieux bien connu, qui commence à être fréquent<br />

dans une forme tectonique à partir de la phase suivante. En même<br />

temps que les ustensiles dans les styles qu’on vient de voir, on a mainte-<br />

nant fréquemment des vases d’usage courant, surtout culinaire, certains<br />

sans enduit, dont le ton général est celui de l’argile ; d’autres portent<br />

un enduit monochrome ; on en a trouvé en abondance dans les habitats<br />

- comme à Myrtos -, dans la grotte de Trapéza (<strong>La</strong>ssithi) et dans de<br />

nombreuses tombes. Des lampes simples, qui ressemblent à de petites<br />

écuelles à bec, de grands plateaux circulaires en terre cuite qui étaient<br />

utilisés comme tours de potiers, des grilles pour brochettes, etc., peu-<br />

vent être rangés dans la même catégorie. Quelques savants datèrent de<br />

cette phase certains ustensiles curieux qui, malgré toutes les discussions<br />

sur leur usage, n’ont pas encore trouvé d’interprétation satisfaisante : ce<br />

sont ceux qui ressemblent à des couvercles en forme de roue avec une<br />

anse cylindrique concave ou convexe au sommet. Leur interprétation<br />

comme couvercles de marmites ne peut être juste, puisqu’on n’a jamais<br />

trouvé les ustensiles qu’ils étaient censés recouvrir. Ils ont un parallèle<br />

contemporain, semble-t-il, dans les ustensiles en forme de (( poêles à<br />

frire N des Cyclades - quelques-uns des plus anciens furent égaiement


Le Bronze ancien 147<br />

trouvés en Crète - à cette différence près que ces derniers ont une anse<br />

sur le côté et sont, pour la plupart, décorés. A ce qu’il semble, ces<br />

ustensiles crétois devaient avoir un rôle cultuel, comme les poêles cycla-<br />

diques, mais nous ne pouvons savoir lequel. Les exemplaires crétois<br />

commencèrent à être utilisés à l’époque de transition entre la première<br />

et la deuxième phase, puisque certains d’entre eux proviennent des tom-<br />

bes de Pyrgos (Anopolis) ; ils étaient répandus partout car on en a<br />

trouvé à Mochlos, dans la grotte de Trapéza, à Myrtos et dans les grot-<br />

tes de Crète occidentale.<br />

Durant la troisième phase de la <strong>civilisation</strong> prépalatiale, les styles<br />

céramiques continuent ceux qui les ont précédé. Le style au décor som-<br />

bre sur fond naturel (dark on light) n’a pas de nom spécial mais il est<br />

la suite du style de Koumassa et, naturellement, présente des variantes<br />

locales. En dehors des anciennes formes de vases, on en utilise beau-<br />

coup d’autres et il y a bien des cas où se présentent des formes impré-<br />

vues, pour une grande part plastiques, d’animaux, de divinités, de<br />

symboles, etc., que nous verrons dans un chapitre spécial. Mais le style<br />

principal est le Nouveau Style de Vassiliki qui doit, encore une fois, son<br />

nom à l’habitat de Vassiliki (Hiérapétra) où se poursuit le style flammé<br />

qui se répand grandement en Crète orientale, sans pour autant être<br />

inconnu en Crète centrale et en Crète occidentale où il offre des varian-<br />

tes. Les premiers exemplaires de Crète orientale font leur apparition a<br />

la fin de la phase précédente, puisque quelques vases de ce style furent<br />

trouvés avec des ustensiles du style principal de Vassiliki, comme par<br />

exemple dans la grotte de Maronia (Siteia). <strong>La</strong> technique a quelque peu<br />

changé : le fond est rarement oxydé par endroits de façon à être<br />

flammé, mais il reste noir et, au-dessus, on distingue mieux l’addition<br />

du décor qui est maintenant fait d’une épaisse couleur d’ocre blanchâ-<br />

tre ; il semble donc que ce soit le décor blanc sur fond sombre qui<br />

domine (light on dark), alors qu’en réalité le décor inverse reste parallè-<br />

lement en usage. Beaucoup plus importante est la différence dans le<br />

type de décoration : maintenant les motifs sont plus libres et ont pour<br />

base la torsade, la spirale, l’enroulement et les bandes ondulées suspen-<br />

dues comme des guirlandes. Les décors en S et les spires continues sont<br />

les plus courants. On a souvent aussi des disques et des demi-cercles<br />

sectionnés et des triangles joints de façon à donner un papillon schéma-<br />

tisé ; ce motif était utilisé dans la technique inverse de la phase précé-<br />

dente. II est caractéristique que, dans certains cas - peu nombreux -,<br />

ces motifs deviennent des animaux par adjonction de têtes et de mem-<br />

bres. Les formes des vases appartiennent aux mêmes catégories : cru-<br />

ches, théières, tasses, mais ne sont plus aussi audacieuses ; le bec est


148 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

moins dressé, l’embouchure moins projetée, le pied fait séparément, etc.<br />

Dans la région de Malia, qui est à la jonction de la Crète orientale et<br />

de la Crète centrale, ce style est très usité, alors qu’il se fait très rare en<br />

Crète centrale, si rare que certains chercheurs y nièrent l’existence du<br />

Minoen ancien III - c’est-à-dire de la phase à laquelle se rattache ce<br />

style en particulier -, parce qu’ils crurent que celui-ci avait évolué en<br />

même temps que le plus ancien style de Camarès, qu’on datait jadis du<br />

MM IA. En général, on doit admettre que la dernière phase prépalatiale<br />

offre une évolution de styles assez longue, mais pas homogène dans<br />

toute la Crète. En Crète orientale, le Nouveau Style de Vassiliki arrive<br />

finalement à un stade qu’on pourrait caractériser de précurseur du Style<br />

de Camarès, mais avec un caractère oriental ; des ustensiles de ce style<br />

furent trouvés à Vassiliki, avec des (( pots à lait >) caractéristiques et des<br />

cruches à décor bichrome light on dark ; les motifs sont rendus dans<br />

des couleurs blanc de craie et orange ou rougeâtre ; ce sont des pois-<br />

sons schématisés et des fleurs de safran ; on a l’impression d’une<br />

polychromie. A ce stade, à l’extrémité de la Crète orientale - région de<br />

Palaikastro et de Zakro -, des ateliers locaux produisaient des tasses,<br />

des cruches, des assiettes et des écuelles avec un décor tout blanc ; un<br />

modele en terre cuite d’un char à quatre roues appartient à cette catégo-<br />

rie ; peut-être également les rhytons plastiques en forme de protomé de<br />

divinité, provenant de Mochlos et de la nécropole de Malia. A un stade<br />

encore plus avancé - qui correspond sans aucun doute au MM IA pré-<br />

palatial de Crète centrale et qui est représenté par des couches très pré-<br />

cises à Palaikastro, Zakro, Mochlos, Gournia et Malia -, appartien-<br />

nent des styles locaux qui représentent le Premier Style de Camares<br />

oriental. Ces styles évoluent sans solution de continuité vers le principal<br />

style de Camarès oriental et, naturellement, présentent les mêmes carac-<br />

téristiques : une polychromie développée mais en même temps très con-<br />

servatrice, un très fin décor blanc qui alterne avec ies motifs principaux,<br />

toujours purement décoratifs, en rouge ou blanc ; les formes des vases<br />

sont surtout des écuelles, des petits plats, des petits vases à bec ponté<br />

- cruches ou bols -, une grande variété de gobelets et de tasses aux<br />

formes usuelles, le gobelet haut sans anse (Tumbler), la coupe à étages,<br />

etc. Des gobelets et coupes basses prouvent que le style inverse se pour-<br />

suit, surtout sur les grands vases et sur les ustensiles de cuisine.<br />

En Crète centrale, le Nouveau Style de Vassiliki est rare dans le nord<br />

et pas du tout représenté dans la plaine de la Messara, bien que les<br />

tombes à tholos aient été utilisées presque sans interruption durant la<br />

plus grande partie de la période prépalatiale ; cela signifie clairement<br />

que dans la troisième phase il y avait d’autres styles locaux ; mais l’évo-


Le Bronze ancien I49<br />

lution générale semble être la même : au début, vases dark on light et<br />

light on dark, toujours à décor fin, mouvementé, et dans une couleur<br />

blanche, beaucoup plus délicate et plus sensible que celle de Crète orien-<br />

tale. Le large bol à deux anses et goulot décoré de fines bandes blan-<br />

ches et de motifs blancs en S est caractéristique. Ensuite apparaît une<br />

timide polychromie qui s’applique à des motifs très simples ; les ustensi-<br />

les annoncent le Style de Camarès ; parmi ceux-ci on remarque les peti-<br />

tes écuelles, les cruchons, les bols à déversoir ponté et un type de cru-<br />

che basse, dont la partie supérieure est conique et dont le goulot rappelle un<br />

cou et un bec d’oiseau. Beaucoup de vases de ce type furent trouvés<br />

dans les tombes à coupole de la Messara, dans des couches qui se trou-<br />

vent juste au-dessous du premier palais de Phaistos, enfin dans un petit<br />

habitat, Patérikiès, entre Phaistos et Haghia Triada. Les deux petites<br />

tombes à tholos de Voroù, qui remontent à la fin de la période prépala-<br />

tiale, ont donné des spécimens représentatifs des ustensiles les plus cou-<br />

rants dans cette phase : des jarres à (( coulures », sur lesquelles la cou-<br />

leur était appliquée à l’éponge, des petits pithoi à décor de cordons, des<br />

jarres miniatures avec des rangées d’anses et un décor peint, fait de<br />

motifs géométriques, etc. Les sarcophages sont aussi en terre cuite, tou-<br />

jours petits, de forme elliptique, circulaire ou rectangulaire, et il n’est<br />

pas rare qu’ils aient des anses arquées ou se terminant par des boules<br />

aplaties. Les sarcophages de la phase précédente n’étaient pas très diffé-<br />

rents, alors que plus tôt encore, dans la première phase, ils étaient ellip-<br />

tiques oblongs, tres bas et souvent pourvus d’anses constituées par des<br />

protubérances perforées.<br />

Dans le nord de la Crète centrale, durant la troisième phase, domi-<br />

nent des styles assez semblables au Nouveau Style de Vassiliki, dont la<br />

technique, les formes et le décor light on dark sont très proches, mais<br />

où la couleur de base est plus blanche, les motifs décoratifs plus variés<br />

- surtout la spire - et les formes des vases ouvrent la voie à la grande<br />

variété de ceux qui précèdent la céramique de Camarès ; des vases<br />

appartenant à ces catégories ont été trouvés dans les enclos funéraires<br />

de Gournès (Pédiados), dans les plus anciens vestiges de l’habitat de<br />

Tylissos et à Cnossos dans les couches qui sont sous les derniers<br />

niveaux protopalatiaux avec le style précurseur du Protopalatial. En<br />

même temps que les vases light on dark, on a trouvé des ustensiles où<br />

se continue le vieux style des résilles de triangles, des papillons, des<br />

lignes courbes parallèles, sur un fond clair ; les ustensiles communs sont<br />

monochromes, décorés de motifs de cordons ou de a coulures H appli-<br />

quées à l’éponge. <strong>La</strong> céramique de la troisième phase avancée du<br />

MA HIA, qui s’est continuée à l’époque des premiers palais, nous est


150 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

beaucoup mieux connue grâce à la recherche systématique. Une grande<br />

partie des groupes et des ensembles de la céramique du Style précurseur<br />

du Style de Camarès provient de l’habitat prépalatial de Cnossos dont<br />

des vestiges ont été conservés sous le dallage de la cour ouest et, par<br />

endroits, sur les pentes de la colline, là où la construction du premier<br />

palais ne les a pas coupées. Un dépôt profond, en forme de puits, qui<br />

fut ouvert jusqu’aux couches néolithiques, dans la région de l’aile ouest<br />

du palais et qui est connu sous le nom de dépôt de Vat Room (la pièce<br />

des bassins qui constituait une partie de la sacristie du sanctuaire cen-<br />

trai), a également donné de la céramique caractéristique de cette phase.<br />

Dans les maisons et dans le dépôt, on trouva à peu près la même céra-<br />

mique qui appartient aussi bien au Style précurseur du Style de Cama-<br />

rés qu’à la suite du style au décor sombre sur le fond naturel du vase.<br />

Les formes des vases qu’on affectionne sont les cruches dont le col et le<br />

bec ne sont pas très développés, les vases en forme de bois à déversoir<br />

ponté ou à simple bec, les coupes coniques sans anses, les coupes en<br />

forme de coquetiers, les vases en forme d’outre et des objets très<br />

curieux, en forme de cloches, avec deux petites cornes et une anse<br />

arquée dans la partie supérieure. Ces derniers avaient, sans aucun<br />

doute, un usage cultuel. En light on dark le décor est plutôt maigre : de<br />

simples bandes, des rosaces en forme de roues, des taches et, sur les<br />

coupes, une large bande blanche ou rouge sous la lèvre. Dans les exem-<br />

plaires plus avancés, la polychromie est plus vive et commence à s’unir<br />

à la formation croûteuse ou en barbotine de la surface du vase. Dans<br />

les coupes basses à une anse, des bandes parallèles, verticales ou hori-<br />

zontales, et des lignes brisées, alternent en couleurs, souvent encadrées<br />

d’arcs. Dans certains ustensiles, des rangées de points forment des systè-<br />

mes, mais, en même temps, on utilise des groupes de lignes courbes.<br />

Les tons de rouge qu’on préfère tendent maintenant vers l’orange et le<br />

lie de vin. Les motifs du décor dark on light sont, en général, plus sim-<br />

ples : bandes, points, touffes de lignes, motifs de papillons avec des<br />

triangles en résille, etc. Dans le bâtiment aux colonnes monolithes, sur<br />

le versant orientai de la colline, on a trouvé un vase plastique poly-<br />

chrome en forme de pigeon. Dans les centres provinciaux, à l’extérieur<br />

de Cnossos - comme Tylissos, Gournès, Prassa, etc. -, la céramique<br />

relève des types les plus simples et la décoration est élémentaire ; fré-<br />

quents sont les coupes coniques, les gobelets en forme de coquetiers, les<br />

petites cruches à coi bas et petit bec, les petites amphores, les coupes à<br />

une anse cylindrique ou étagées, une sorte d’aryballe-cruche à coi coni-<br />

que et décor en résille incisé, des vases en forme de bols à bec verseur<br />

ponté et des objets cultuels en forme de cloche. Des ustensiles plus rele-


Le Bronze ancien 151<br />

vés - d’élégantes cruches de forme métallique, quelques-unes à décor<br />

polychrome, quelquefois végétal, dont les couleurs alternent, des vases<br />

où sont liés le décor polychrome et le décor croûté - sont peut-être<br />

importés de plus grands centres. A Malia. la céramique de cette phase<br />

se situe entre celle de la Crète orientale et le Style précurseur du Cama-<br />

rès centrai, avec, en même temps, des variantes locales du dark on<br />

light. En règle générale, il faut bien connaître la typologie et les décors<br />

des vases, ainsi que l’évolution de la technique, pour pouvoir distinguer<br />

sans se tromper la céramique de cette phase de celle des phases précé-<br />

dente et suivante. Beaucoup de confusions sur l’évolution des périodes<br />

et des phases des <strong>civilisation</strong>s prépalatiale et protopalatiale proviennent<br />

de déterminations fausses, établies même par des chercheurs notables. II<br />

faut faire particulièrement attention pour distinguer la céramique des<br />

deux phases qu’Evans a caractérisées comme MM IA et MM IB, car<br />

l’une appartient à la fin du Prépalatial et l’autre au début du Protopa-<br />

latial.<br />

<strong>La</strong> plastique<br />

Une partie de la plastique est étroitement liée à la céramique, car cer-<br />

tains vases prennent, plus ou moins grossièrement, la forme d’hommes,<br />

d’animaux ou d’objets déterminés, tantôt par fantaisie, tantôt pour des<br />

raisons religieuses. Cette tendance s’est manifestée, mais à un faible<br />

degré, dès la première phase. A Lébéna, par exemple on a trouvé des<br />

vases, des outres, en forme de canard et un petit ustensile en forme de<br />

barque. Dans la deuxième phase, des bustes de la divinité constituaient<br />

des objets cultuels, comme à Koumassa avec les serpents et à Myrtos<br />

avec une aiguière dans les bras ; en même temps apparaissent des<br />

rhytons en forme d’animaux. Ces derniers devinrent encore plus fré-<br />

quents dans la troisième phase, surtout dans la plaine de la Messara ;<br />

on a représenté des taureaux - avec des petits acrobates ou des chas-<br />

seurs grimpés sur les cornes de l’animal (deux exemples, de Koumassa<br />

et de Porti), ou sans ceux-ci -, divers oiseaux, dont certains avec leurs<br />

petits (comme à Koumassa, où ils attendent, bec ouvert, d’être nourris),<br />

d’autres triples, comme dans le vase qui appartenait jadis à la collection<br />

Giamalakis, un pigeon de Cnossos dans le Premier Style de Camarès -,<br />

des bustes de divinités qui pressent leurs seins pour en faire couler le<br />

lait, dans un style blanc sur fond sombre, provenant de la Crète orien-<br />

tale (de Mochlos et Malia). Deux ustensiles, de Palaikastro et de Moch-<br />

los, ont pris une forme de barque, tandis qu’un autre, Lui aussi de<br />

Palaikastro, a la forme d’un char à quatre roues. Nous avons vu les


152 LA CIVlLlSATlON ÉGÉENNE<br />

objets plastiques en forme de cloches, peut-être des masques couronnés<br />

par des cornes sacrées et, entre celles-ci, le disque solaire ; quelques<br />

savants ont pensé que c’était des idoles, tandis que d’autres ont préféré<br />

y voir des ex-votos en forme de robes. D’autres ustensiles avaient des<br />

figures plastiques appliquées siir leur surface intérieure ou extérieure,<br />

surtout des animaux. Toute une série d’écuelles, de Palaikastro et de<br />

Zakros, ont ainsi des petits animaux plastiques à l’intérieur, quadrupè-<br />

des ou oiseaux. Une écuelle de Palaikastro présente, à l’intérieur, tout<br />

un troupeau - de bovins à ce qu’il semble - accompagné de son<br />

vacher et des chiens. Un certain réalisme règne dans ces rendus plasti-<br />

ques, même s’ils demeurent fortement schématiques et décoratifs.<br />

Un plus grand souffle réaliste se distingue dans la lignée principale<br />

des figurines qui commencent à apparaître, d’autant plus que se généra-<br />

lisent les ex-votos dans les sanctuaires de sommets, les dépôts des sanc-<br />

tuaires et les grottes. Quelques figurines de terre cuite isolées, remontant<br />

aux premières phases, sont primitives et grossières mais, dans la der-<br />

nière phase, le besoin de s’adapter au culte des sanctuaires a favorisé le<br />

développement de l’art plastique. Beaucoup d’entre elles étaient égale-<br />

ment déposées dans des tombes, ce qui montre qu’assez tôt on y recher-<br />

cha la protection divine. Dans les tombes de la Messara, dans les der-<br />

niers enclos funéraires et dans des dépôts, on rencontre relativement<br />

beaucoup d’exemples de figurines humaines - hommes et femmes -,<br />

mais aussi animales. Parmi ces dernières, on distingue un bouquetin de<br />

Porti, représenté très librement, qui tourne, inquiet, la tête vers<br />

l’arrière. <strong>La</strong> plupart des figurines proviennent des sanctuaires de som-<br />

mets, où on les dédiait à la divinité en les jetant dans des grands feux.<br />

<strong>La</strong> série la plus connue provient du sanctuaire de Petsofa (Palaikastro).<br />

Ce sont, en grand nombre, des figurines d’adorants et d’adorantes et<br />

divers petits animaux. I1 serait difficile d’affirmer que dans cette série,<br />

comme dans la plupart de celles qui proviennent de sanctuaires de som-<br />

mets - Traostalos (Zakros), Chamaizi, Maza (Kalo Chorio), Kophinas,<br />

Iouktas, Vrysinas (région de Réthymno), etc. -, les phases protopala-<br />

tiales ne sont pas représentées ; en raison du conservatisme, les mêmes<br />

types demeurèrent en usage bien des siècles, aussi longtemps que ces<br />

sanctuaires furent en activité. C’est la raison pour laquelle on parlera<br />

ici, en général, des ex-voto plastiques des sanctuaires de sommets, sauf<br />

de ceux dont l’appartenance à des périodes plus récentes ne fait pas de<br />

doute. Aujourd’hui, relativement peu de figurines ont été conservées<br />

entières et celles qui ont gardé leurs couleurs sont encore moins nom-<br />

breuses ; elles suivent surtout le style contemporain, précurseur du style<br />

de Camarès et, très rarement, le dark on fight. Les plus grandes et les


Le Bronze ancien 153<br />

plus impressionnantes d’entre elles proviennent du sanctuaire - bâti-<br />

ment elliptique - de Chamaizi ; ce sont trois figurines, deux masculi-<br />

nes et une troisième féminine portant une jupe avec des plis sur le côté,<br />

en attitude de prière. Les figurines masculines de Petsofa sont plus peti-<br />

tes, mais, pour la plupart, mieux faites : leur attitude de prière est plus<br />

caractéristique, le rendu du pagne et, dans certains cas du poignard<br />

accroché à la ceinture, plus exact. Les parties nues, conformément aux<br />

conventions qui ont prévalu dès le début, étaient peintes en rouge et les<br />

pagnes, couteaux, bijoux, le plus souvent en blanc ; la plupart d’entre<br />

elles avaient une main sur la poitrine et l’autre sur le front, pour le<br />

cacher. Les figurines de femmes étaient encore plus impressionnantes<br />

avec leurs robes très caractéristiques qui montrent qu’elles suivaient déjà<br />

des modes différentes : corsages, cols Médicis, jupes cloches à crinoline,<br />

avec des ceintures dont les extrémités pendaient librement, et des coiffu-<br />

res qui prenaient souvent la forme des chapeaux a bretons )) français.<br />

Dans d’autres régions, l’allure des hommes et des femmes avait quelque<br />

chose de plus provincial ; toutefois, dans les figurines féminines on voit<br />

presque partout le souci de suivre les diverses modes, particulièrement<br />

dans les jupes avec des plis, des volants et des bandes sur les côtés, des<br />

franges et panaches, etc. Dans certains cas, les figurines masculines<br />

étaient assises sur des tabourets et les femmes, debout derrière des para-<br />

pets ou des cloisons du sanctuaire. I1 était de règle que la couleur des<br />

chairs des figurines féminines fût blanche. Les traits du visage, en<br />

dehors du nez, étaient rarement rendus de façon plastique ; la couleur<br />

sombre qui en traduisait les détails sur le rouge ou le blanc, est rare-<br />

ment conservée. Pour que les figurines masculines tiennent droites, on<br />

les dressait sur des bases en forme de plaques. En dehors de petites<br />

figurines d’adorants, il y avait, semble-t-il, des figurines beaucoup plus<br />

grandes, des divinités peut-être. C’est ce qu’on a conclu des fragments<br />

importants de visages, qui furent mis au jour à Petsofa et dans d’autres<br />

sanctuaires. Dans l’un de ces visages - provenant de Petsofa - les<br />

traits ont été fidèlement rendus et de façon plastique. A Petsofa sur-<br />

tout, mais aussi dans d’autres sanctuaires, comme celui de Maza, on a<br />

trouvé beaucoup de membres humains en terre cuite, qui étaient fabri-<br />

qués séparément, pour servir d’ex-voto, comme on en a encore I’habi-<br />

tude aujourd’hui ; ils remerciaient sans doute la divinité d’être interve-<br />

nue dans la guérison ou demandaient son intercession ; dans nombre<br />

d’entre eux est encore visible le trou par lequel on les suspendait dans le<br />

sanctuaire ; en dehors des bras et des jambes, on a des fragments de<br />

poitrine, de la taille, des fesses, de la région pubienne, etc. Certains<br />

semblent déformés par la maladie - des pieds paraissent souffrir de


154 LA CIVILISATION EGÉENNE<br />

gangrène ou d’éléphantiasis. Des moitiés de corps, divisés dans la lon-<br />

gueur, témoignent peut-être de la guérison d’une hémiplégie (il s’agit<br />

toujours de la partie droite). Les figurines d’animaux, le plus souvent<br />

de petite taille, sont abondantes et représentent de nombreuses catégo-<br />

ries ; certaines d’entre elles étaient des offrandes et remplaçaient des<br />

sacrifices ; d’autres avaient été dédiées pour implorer la protection de la<br />

divinité ; d’autres encore - comme les fouines et les coléoptères<br />

rhinocéros oryctes - pour neutraliser leur action destructrice. Le rendu,<br />

quoique grossier et très général, soulignait souvent la vivacité et l’agilité<br />

des animaux. Pour ces figurines animales aussi on utilisait le décor<br />

peint, qui n’était presque jamais en accord avec la nature, mais<br />

employait les couleurs du premier style de Camarès ou le décor linéaire<br />

dark on light. A Kroussonas, en Crète centrale, on a découvert - mal-<br />

heureusement fragmentaire, alors qu’il semble qu’il y ait eu jadis tout<br />

l’animal - un taureau gigantesque en terre cuite qui, selon toute vrai-<br />

semblance, appartenait à un sanctuaire de sommet et datait de la fin de<br />

la période prépalatiale ; le taureau devait représenter le dieu lui-même et<br />

constituer un objet de culte. Ce serait le plus grand objet plastique<br />

connu dans le monde égéen. Malheureusement, l’état fragmentaire de<br />

l’objet ne permet pas de considérer comme sûrs sa datation et son<br />

caractère.<br />

Des figurines plastiques provenant du dépôt de Gournes, de l’habitat<br />

prépalatial-paléopalatial de Tylissos et des maisons prépalatiales de<br />

Cnossos, montrent qu’on suivait partout les mêmes lignes générales<br />

mais qu’il existait des variantes locales ; une figurine féminine de Gour-<br />

nés, par exemple, a la même allure, avec sa robe, que les dames de Pet-<br />

sofa, mais la technique est dark on fight. Une petite tête de femme - a<br />

ce qu’il semble d’après la couleur blanche -, provenant de Cnossos,<br />

porte une coiffure particulière et l’expression de son visage est étrange.<br />

Des têtes de figurines provenant de Tylissos nous montrent des femmes<br />

portant des chapeaux particulièrement excentriques ; dans les visages, le<br />

nez est fortement marqué et les yeux faits de pastilles rajoutées.<br />

<strong>La</strong> sculpture sur pierre<br />

En même temps que la plastique se développe la sculpture sur pierre,<br />

mais elle suit sa propre voie en raison de la dureté du matériau et des<br />

grandes influences venues de l’extérieur. Des figurines en schiste, pres-<br />

que sans forme, assez grandes, avaient été déposées dans la tombe de<br />

Pyrgos, qui remonte à la première phase. Des figurines primitives, en


Le Bronze ancien 155<br />

marbre, qui rappellent les idoles cycladiques de la première phase et<br />

d’autres qui continuent, à ce qu’il semble, les figurines en pierre sub-<br />

néolithiques, proviennent des tombes à tholos de la Messara ; la pre-<br />

mière phase est également représentée dans ces tombes, à Haghios<br />

Onouphrios par exemple. Les formes primitives se poursuivent dans la<br />

deuxième phase, mais, cette fois, elles semblent influencées par les très<br />

anciennes formes égyptiennes-protolibyques, comme celles de Nagada ;<br />

si réellement une influence s’est exercée, c’est sans aucun doute par<br />

l’intermédiaire d’autres formes qui demeurent encore aujourd’hui incon-<br />

nues. Ces figurines ont un visage triangulaire, la partie inférieure du<br />

corps, ou tout le corps, triangulaire allongé et pas d’extrémités. Les<br />

tombes à tholos de Porti, Koumassa, Platanos et Haghia Triada en ont<br />

fourni des exemples. Dans la phase suivante, ces formes sont plus réa-<br />

listes, surtout en ce qui concerne les traits du visage. Une figurine en<br />

pierre de Platanos avait, à ce qu’il semble, des extrémités rajoutées arti-<br />

culées et les traits du visage étaient fortement exprimés. Une figurine de<br />

la tombe à tholos d’Haghia Triada est faite d’une belle pierre, peut-être<br />

de l’albâtre veiné ; c’est une femme - la partie inférieure montre une<br />

jupe - avec les bras croisés sur la poitrine et les traits du visage rendus<br />

normalement. Nous dirons quelques mots des figurines cycladiques qui<br />

furent trouvées en grand nombre dans des tombes de la Messara, mais<br />

aussi dans des tombes du nord de la Crète centrale ; certaines sont, sans<br />

aucun doute, importées, car elles sont en tout point semblables - à la<br />

fois dans le type et dans le matériau - à celles qui furent trouvées dans<br />

les Cyclades, surtout dans la phase Syros-Amorgos. Mais certaines<br />

d’entre elles, qui diffèrent sensiblement ou dont les matériaux n’étaient<br />

pas du tout usités dans les Cyclades - comme la stéatite ou l’ivoire -<br />

étaient des imitations. I1 ne fait pas de doute qu’elles sont de la<br />

deuxième phase, mais quelques-unes continuèrent à être utilisées dans la<br />

première partie de la troisième phase, comme l’a prouvé la découverte<br />

de figurines de ce type dans la tombe à tholos d’&chan&, où seule la<br />

troisième phase, selon le fouilleur, est représentée ; mais il faut noter<br />

que presque toutes y furent trouvées à l’état fragmentaire. Dans deux<br />

cas - figurines de Koumassa et d’Haghios Onouphrios - des trous<br />

avaient été faits pour réunir la tête au corps à la suite d’une cassure,<br />

méthode qui n’est pas inconnue dans les Cyclades. Un groupe de figuri-<br />

nes caractéristique - accompagné de poignards triangulaires renforcés<br />

- fut trouvé dans la région de Tékè (Héraklion) ; il comportait une<br />

figurine masculine, assise sur un tabouret, et deux petites figurines<br />

jumelles en stéatite sur une base commune. Les figurines les plus avan-<br />

cées dans le temps et le type, proviennent des tombes de Platanos et de


156 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Porti, dans la Messara : l’une est masculine, rendue de façon réaliste,<br />

en attitude de prière, deux sont féminines, quelque peu schématisées,<br />

mais elles portent la jupe bouffante et le corsage à col Médicis.<br />

I1 existe également - mais rarement - des figures sculptées sur des<br />

ustensiles en pierre, comme par exemple sur le couvercle de deux pyxi-<br />

des, l’une provenant de l’île de Mochlos, l’autre, presque entière, de la<br />

tombe de la Gorge des morts à Zakro ; le type général de ces ustensiles,<br />

avec des incisions denses, disposées dans des systèmes de triangles, est<br />

cycladique, mais il semble qu’ils aient été fabriqués en Crète. Sur le<br />

couvercle, un chien est couché, qui sert d’anse ; le rendu réaliste de<br />

l’animal, sa disposition ornementale dans la décoration de caractère<br />

géométrique et sa destination pratique sont admirablement liés.<br />

Les vases et les outils en pierre<br />

I1 est à se demander si l’on peut attribuer à la première phase des<br />

ustensiles en pierre, sauf peut-être quelques vases de type cycladique -<br />

comme celui de la veilleuse », vase globulaire monté sur pied, avec un<br />

col conique et des protubérances perforées pour permettre la suspension<br />

-, et la pyxide cylindrique à couvercle. Mais ces vases devaient être<br />

importés des Cyclades plutôt que produits localement. Dans les deux<br />

phases qui suivent, on a une foule de vases de pierre, très variés dans<br />

les formes, les matériaux, les décors et la technique. Leur grand nombre<br />

est dû à l’habitude de les placer auprès des morts, comme mobilier<br />

funéraire, et la plupart d’entre eux proviennent des enclos funéraires de<br />

Crète orientale et de Crète centrale mais surtout des tombes à coupole.<br />

On ne peut avoir de ceux-ci qu’une idée générale à partir du livre de<br />

Xanthoudidès - qui a publié les tombes à coupole de la Messara - et<br />

du livre systématique de Warren sur les vases de pierre minoens. Ce<br />

n’est que par l’étude des prototypes, au musée d’Héraklion, qu’on peut<br />

concevoir toute leur valeur esthétique, fondée sur le choix attentif du<br />

matériau, la mise en valeur de sa texture - veines, taches, cristaux,<br />

etc. -, le dynamisme des formes, la bonne adaptation à un usage précis,<br />

etc. Quelques-uns - et ils appartiennent à la catégorie qu’on pourrait<br />

appeler créto-cycladique -, faits en chlorite ou en schiste, utilisaient<br />

beaucoup la décoration incisée ou en bas-relief, sur la totalité ou une<br />

partie de la surface - systèmes de lignes serrées parallèles, de spires<br />

liées en filets et de demi-cercles. Ce sont surtout des pyxides, souvent<br />

cylindriques - on a déjà vu deux d’entre elles à propos de leur décora-<br />

tion plastique -, biconiques : la plus intéressante provient de Maronia


Le Bronze ancien 157<br />

(Siteia) et est décorée de systèmes de spires étagées, etc. D’autres usten-<br />

siles incisés appartiennent à des catégories quelque peu différentes, ce<br />

sont les (( étuis à aiguilles H et des vases particuliers en forme de kernoi<br />

doubles ou multiples, tantôt rectangulaires, tantôt elliptiques ; ils<br />

avaient de deux à six cavités cylindriques et étaient utilisés pour offrir<br />

au mort, ou placer à côté de lui, des produits solides et liquides. Le<br />

décor incisé, fait de systèmes géométriques, rectilignes ou courbes, était<br />

souvent associé à des matières colorées incrustées dans des petites cavi-<br />

tés rondes. Ces ustensiles étaient particulièrement fréquents dans la Mes-<br />

Sara, au cours de la dernière phase prépalatiale.<br />

<strong>La</strong> série de vases de pierre la plus extraordinaire, pour la variété des<br />

formes et des pierres utilisées, provient du cimetière de Mochlos et<br />

appartient, surtout, à la deuxième phase. Ils sont taillés dans toutes les<br />

espèces de marbres, l’albâtre, les brèches polychromes, de bonnes quali-<br />

tés de stéatite, la chlorite, la serpentine, le gabbro, la diorite, etc. Nulle<br />

part ailleurs on n’a mieux mis en valeur les veines - qui souvent tour-<br />

nent ou sont disposées horizontalement ou obliquement - et le poli des<br />

vases monochromes. Quant aux formes, en dehors des simples bols, des<br />

petites bassines, des pyxides, des cruchons, des petites amphores, des<br />

coupes, etc., quelques-unes apparaissent dont la fabrication était très<br />

difficile - comme les petites théieres, les vases verseurs à bec ponté, les<br />

vases oblongs tronconiques à couvercle ou ceux qui imitaient des formes<br />

égyptiennes (une est en forme de poulie, avec des disques saillants au-<br />

dessus et au-dessous). C’est à partir de ce genre de vases, qui se trou-<br />

vent en Égypte dans des tombeaux de la Dynastie, que les savants<br />

ont essayé d’établir des synchronismes de façon à mieux classer chrono-<br />

logiquement la deuxième phase prépalatiale.<br />

Les vases de pierre de la phase finale ne présentent pas la même<br />

variété ; les vases funéraires sont réduits à certaines catégories, presque<br />

stéréotypées - nids d’oiseaux, vases cylindriques et kernoi en forme de<br />

salières. Leur répétition monotone est atténuée pour certains d’entre eux<br />

par un décor d’incisions et d’ornements de matières colorées incrustées.<br />

Certes, quelques-uns se distinguent pour leur forme, la merveilleuse<br />

mise en valeur du matériau et, quelquefois, la décoration originale. On<br />

fabriquait encore certains outils de pierre comme des broyeurs, des<br />

pilons, des pierres à aiguiser, des petits marteaux, etc. Les fines lames<br />

d’obsidienne, quelques-unes d’une excellente qualité, à demi transparen-<br />

tes et légèrement fumées, montrent combien ce matériau continuait à<br />

avoir un usage pratique.


<strong>La</strong> métallurgie<br />

L’importation et l’utilisation du métal - cuivre, plomb, métaux pré-<br />

cieux (or et argent) -- constituèrent, il est vrai, un pas décisif dans<br />

l’évolution de la <strong>civilisation</strong>, au cours de la première phase prépalatiale.<br />

Mais on a du mal à suivre les progrès réalisés dans cette phase, parce<br />

que les spécimens sont peu nombreux et pas toujours datés de façon<br />

certaine. Au début le métal était rare, aussi l’utilisait-on avec parcimonie<br />

et, à chaque fois, on le refondait pour fabriquer de nouveaux outils,<br />

armes et ustensiles. 11 est certain qu’à l’origine le cuivre était utilisé sous<br />

une forme presque pure, sans arsenic ni étain, ce qui avait pour effet de<br />

le rendre assez impropre à la confection d’armes ou d’outils ; il est sûr<br />

aussi que pendant assez longtemps, on utilisa en même temps des objets<br />

de pierre, presque de mêmes formes connues depuis l’époque néolithi-<br />

que. Toutefois, dans presque tous les ensembles représentatifs de la pre-<br />

mière phase - Pyrgos, Haghios Nikolaos, Kyparissi, Krassi, Lébéna,<br />

Salami, etc. -, on a trouvé, si peu que ce soit, des outils et des armes<br />

en cuivre, aussi bien que des bijoux en argent et en or, et quelques-uns<br />

en plomb ; cela prouve que l’utilisation du métal n’était alors pas aussi<br />

rare que l’ont cru certains chercheurs. Bien sûr, ces objets de métal<br />

peuvent dater de la fin de la phase, peut-être même, pour certains, du<br />

début de la suivante. Les poignards courts triangulaires, en cuivre pur<br />

et donc presque tous fléchis, provenant de la tombe à tholos de Kou-<br />

massa, sont à juste titre considérés comme faisant partie des plus<br />

anciens ; deux ou trois clous dans le talon, servaient à consolider le<br />

manche. Mais en même temps, on utilisait le type de poignard triangu-<br />

laire oblong, comme l’ont montré les exemples de Krassi, Pyrgos, Kypa-<br />

rissi et Haghios Onouphrios. Dans ces derniers, la lame est renforcée<br />

par un large dos. Peut-être utilisait-on dès cette époque des tranchets<br />

pour le cuir, des alênes, des pinces à lame double, etc. Une étrange<br />

lame de poignard ou de lance, d’Haghios Onouphrios, se termine par<br />

deux pointes.<br />

Mais dans les deuxième et troisième phases, le travail du métal réalise<br />

des progrès significatifs qu’il est facile de suivre dans les ensembles des<br />

tombes à coupole, des enclos funéraires et des tombes sous abris de<br />

roche. Les deux types de poignards triangulaires, court et long, ont<br />

maintenant une forme très artistique et le deuxième devient plus efficace<br />

avec les nervures - une ou davantage - au milieu de la longueur de la<br />

lame, qui la renforcent ; les plus réussis, faits d’un bon alliage de cuivre<br />

et d’étain ou d’arsenic, appartiennent à la dernière phase prépalatiale.<br />

Certains - armes de luxe - sont même en argent, comme quelques


Le Bronze ancien I59<br />

exemplaires de Koumassa, de Platanos et un de Galana Chorakia (Vian-<br />

nos). De beaux exemples de poignards en cuivre proviennent des tombes<br />

de Koumassa et de Platanos, ainsi que du cimetière de Mochlos. Aucun<br />

d’eux, bien que des traces en aient été trouvées, n’a conservé son manche<br />

qui était en bois. Au contraire, d’élégants petits tranchets pour le cuir<br />

ont gardé leur manche en ivoire, comme un exemplaire qui provient de<br />

la grotte de Trapéza. Des lames en forme de langues, qui s’élargissent<br />

et se terminent en fil droit étaient peut-être des rasoirs. A Koumassa on<br />

a également trouvé un outil muni de dents, peut-être une petite scie. II<br />

y avait deux sortes de pinces, différentes sortes d’alênes, d’épingles, de<br />

petits ciseaux, etc. I1 est caractéristique que les doubles haches apparu-<br />

rent alors pour la première fois ; elles sont faites de lames de cuivre ou<br />

de plomb et sont, sans aucune doute, des symboles religieux ; on en a<br />

trouvé dans la tombe à coupole de Platanos et dans une des tombes de<br />

Mochlos.<br />

Dans l’élaboration des bijoux le progrès de la métallurgie fut tout<br />

aussi important. Mais le travail de l’argent qui, à ce qu’il semble, était<br />

florissant dans la première phase, recule maintenant devant la technique<br />

de l’orfèvrerie, qui connaît toutes les méthodes pour travailler le métal<br />

précieux et produire d’élégants bijoux : le laminage en feuilles minces,<br />

la coupe en diverses formes, le repoussé et l’incision pour rendre des<br />

décorations variées, le filigrane, le fin grènetis - technique particulière-<br />

ment difficile qui consiste à coller les petits grains sur la surface des<br />

lames d’or - et enfin la soudure qui permettait de fabriquer des<br />

bijoux, non pas en or massif, mais creux à l’intérieur, pour économiser<br />

le métal. Les meilleurs exemples de bijoux en or furent trouvés dans les<br />

tombes de Mochlos - la plupart de la deuxième phase - et dans les<br />

tombes à coupole de la Messara - surtout de la troisieme phase. Ils<br />

avaient servi d’ornements aux morts : diadèmes sur le front ou orne-<br />

ments de cheveux, certains avec un décor de grènetis ou incisé de sim-<br />

ples motifs géométriques, d’animaux ou d’yeux ; des épingles en forme<br />

de fleurs variées (surtout des marguerites) - l’une d’elles avec une très<br />

petite tête humaine -, de différentes sortes, qui sont suspendues par de<br />

très fines chaînettes, d’une technique merveilleuse qui rappelle la techni-<br />

que actuelle, quelquefois en forme de cœur, de feuille de lierre, de<br />

calice de fleur, etc. ; certaines d’entre elles avaient, sans aucun doute,<br />

une signification magique, comme les seins de la tombe d’Haghios<br />

Onouphrios ; des séries complètes de colliers, dont les perles sont bico-<br />

niques, cylindriques ou sphériques, ornées de décors variés imprimés, au<br />

repoussé, de grènetis ou en filigrane ; d’autres bandes d’or devaient être<br />

utilisées pour décorer le bord des robes et étaient cousues sur le tissu.


160 LA CIVILISATION GGÉENNE<br />

On a l’impression que la plupart des bijoux trouvés dans le mobilier<br />

funéraire n’ont été fabriqués que pour remplacer de véritables bijoux en<br />

or massif. On a surtout cette impression en voyant les bijoux de che-<br />

veux, les bracelets et les bagues fabriqués en feuilles d’or fin. Peut-être<br />

que beaucoup des bijoux en argent furent détruits sans laisser de traces.<br />

<strong>La</strong> valeur décorative des bijoux en or se trouvait augmentée par leur<br />

association avec d’autres, en cristal et en pierres polychromes variées,<br />

précieuses ou semi-précieuses.<br />

Autres branches de f ’artisanat<br />

En dehors des métaux précieux, l’art des bijoux utilisait des maté-<br />

riaux variés, le plus souvent des pierres, dures ou tendres, mais toujours<br />

intéressantes pour leur couleur ; la grande variété de leurs formes et des<br />

décors incisés ou sculptés donnait a ces bijoux beaucoup de charme. Les<br />

colliers surtout fournissaient l’occasion d’associer toutes sortes de perles<br />

et de composer des bijoux intéressants. Malheureusement, nous ne som-<br />

mes pas toujours en position de les reconstituer surtout dans le cas des<br />

colliers, dont les perles furent trouvées éparpillées autour des membres<br />

des morts qu’ils avaient ornés, et il n’y a pas de représentation - alors<br />

qu’il en existera plus tard - pour nous aider. Les morts les plus pau-<br />

vres étaient parés de bijoux en pierres plus communes - stéatites diver-<br />

ses, chlorites, calcaires, schistes -, et les colliers étaient faits de perles<br />

en amandes, sphériques, discoïdes ou en forme de gouttes. Les plus<br />

riches possédaient de beaux colliers en cristal de roche, sardoine,<br />

améthyste, agate et faïence ; les perles étaient très variées de formes et<br />

il ne fait pas de doute que l’ensemble était attrayant.<br />

<strong>La</strong> glyptique constituait une branche de l’art des bijoux, même si le<br />

but des sceaux n’était pas purement décoratif ; celui-ci s’alliait à leur<br />

usage pratique qui était d’assurer l’inviolabilité des lieux et des objets,<br />

et d’ajouter une garantie personnelle, correspondant à celle que donna<br />

plus tard la signature. Quelques-uns des chercheurs croient que dans la<br />

première phase on n’utilisait pas de sceaux ; mais nous en connaissons<br />

aujourd’hui beaucoup qui appartiennent a des ensembles de la première<br />

phase - Krassi, Lébéna, la grotte de Trapéza, etc. -, dans d’autres<br />

cas nous le supposons en raison du style. En général il s’agit de sceaux<br />

de formes plastiques (pieds humains, bouteilles) ou de formes qui<br />

annoncent les sceaux cylindriques-tronconiques ; leurs motifs incisés<br />

sont toujours géométriques : des résilles, des angles, des croix, etc. Les<br />

matériaux utilisés étaient, comme dans les phases suivantes, la stéatite,


Le Bronze ancien 161<br />

l’ivoire et l’os. Mais à partir de la deuxième phase, on rencontre des<br />

sceaux de différentes formes, même plastiques, et les motifs décoratifs,<br />

en même temps que les simples motifs géométriques, s’enrichissent et se<br />

diversifient ; dans la troisième phase, il deviennent mouvementés et sou-<br />

vent représentatifs. <strong>La</strong> forme cylindrique ou pseudo-cylindrique est la<br />

plus employée ; les deux surfaces gravées sont le sommet et la base. <strong>La</strong><br />

plupart en ivoire, ils sont presque tous pourvus de trous par où pas-<br />

saient les fils pour les suspendre. On en trouva beaucoup dans les tom-<br />

bes à coupole de la Messara, mais il y en avait également dans des tom-<br />

bes de Mochlos et des enclos funéraires, comme celui de Phourni à<br />

Archanès. Les plus évolués présentent fréquemment des séries d’ani-<br />

maux, le plus souvent des lions, des araignées et des scorpions qui sont<br />

disposés en motifs tournoyants ; les représentations d’êtres humains ne<br />

sont pas très rares et, dans certains cas, on les voit vaquer à leurs occu-<br />

pations, chasser des animaux, ou en attitude d’adoration. C’est sur les<br />

sceaux qu’on a les plus anciennes scènes minoennes, aussi la glyptique<br />

présente-t-elle un intérêt tout particulier. Parmi les motifs décoratifs, les<br />

entrelacs, les décors qui se répètent à l’infini - comme les méandres et<br />

les résilles spiralés - ceux qui annoncent les motifs mouvants du style<br />

de Camarès en céramique, etc., sont très intéressants. Les motifs qui<br />

ont des parallèles dans l’Égypte des V‘, VIc et XIe dynasties, sont<br />

importants pour fixer la chronologie absolue ; ce sont les thèmes anti-<br />

thétiques avec des lions et autres animaux, des cynocéphales affrontés,<br />

des combinaisons de motifs en S, etc. Des sceaux en forme de boutons<br />

ont leurs correspondants en Orient et en Anatolie, d’autres en Égypte.<br />

Mais la plupart des formes furent créées indépendamment. Tournées ou<br />

plastiques, beaucoup d’entre elles n’ont pas de parallèles à l’étranger et<br />

sont charmantes ; nous citerons deux sceaux en forme de singe assis sur<br />

une sphère, provenant de la grotte de Trapéza, un exemplaire provenant<br />

de la tombe à coupole de Koumassa en forme de femme, un autre en<br />

forme de lion déchirant un homme, provenant de la tombe à coupole<br />

de Marathoképhalo et de celle de Kalathiana, d’autres des tombes à cou-<br />

pole de Platanos, en forme de tête de porc ou de bœuf allongé, des<br />

tombes à coupole d’Haghia Triada, de Kalathiana et de la grotte de<br />

Maronia, représentant des têtes d’animaux, un sceau de Koumassa en<br />

forme de colombe qui couvre ses petits de son aile pour les protéger, un<br />

autre d’Haghios Onouphrios, en forme de pigeon sur une hauteur et<br />

enfin quelques-uns d’autres régions, en forme de patte ou de sabot<br />

d’animaux, surtout de taureau. Certains de ces sceaux commencent à<br />

prendre la forme des bagues-cachets et, vers la fin de la période, est né<br />

le prisme à trois faces qui permet l’élaboration de trois sujets, et qui est


162 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

peut-être le premier pas vers l’écriture hiéroglyphique. Sur l’un d’eux -<br />

qui provient de Kalo Chorio (Pédiada) - les représentations ont été<br />

gravées de façon très primitive, ce qui le fit soupçonner par Evans<br />

d’appartenir à la phase initiale. On a beaucoup de sceaux en forme de<br />

scarabées, surtout dans les tombes de la Messara et les enclos funéraires<br />

de Gournès ; ils prouvent la grande influence exercée par l’Égypte. Un<br />

scarabée portant la représentation de Ta-Urt, déesse du Nil, qui pro-<br />

vient de la tombe à coupole de Platanos, est un objet d’importation.<br />

Mais Frankfort croyait que les influences syriennes ont été beaucoup<br />

plus importantes et que de nombreux sceaux crétois, en forme d’ani-<br />

maux, ont eu des modèles syriens et non égyptiens.<br />

Les autres branches de l’artisanat, qui utilisaient des matières périssa-<br />

bles comme le bois, la paille, le tissu, des pâtes diverses, etc. ont laissé<br />

peu de traces et nous ne les connaissons que par l’intermédiaire de leurs<br />

imitations en matériaux plus durables - l’argile, la pierre, le métal -<br />

et par les influences que leurs décors ont exercées sur le reste de la pro-<br />

duction.<br />

Image générale de la vie économique, sociale, politique, religieuse et<br />

individuelle à 1 ’époque prépalatiale<br />

Les éléments dont nous disposons pour une synthèse, même générale,<br />

de l’évolution historique et de la vie sous ses différentes formes à l’épo-<br />

que prépalatiale, sont loin d’être suffisants ; il va de soi que la tentative<br />

que nous ferons en ce domaine aura un caractère hypothétique qui<br />

devra être corrigé et complété au fur et à mesure des découvertes. Les<br />

groupes humains qui arrivèrent d’Anatolie, de Syrie-Palestine et d’Afri-<br />

que du Nord protolibyenne n’étaient pas très nombreux ; vu leur niveau<br />

de <strong>civilisation</strong> relativement élevé et la précieuse expérience qu’ils<br />

avaient, surtout dans le travail du métal, ils ne rencontrèrent pas de<br />

résistance importante de la part de la population locale néolithique qui<br />

avait commencé à voir l’importance des nouvelles méthodes technologi-<br />

ques. <strong>La</strong> première phase fut donc une période d’adaptation et d’assimi-<br />

lation progressive ou, plus exactement, de fusion des deux éléments.<br />

C’est de là, vraisemblablement, que provient le caractère subnéolithique<br />

de la première phase. II ne fait pas de doute qu’au début de la<br />

deuxième, les éléments étrangers devinrent plus nombreux et exercèrent<br />

une plus grande influence ; autrement on n’expliquerait pas le progrès<br />

soudain et l’apparition à cette époque de nombreux éléments nouveaux<br />

qui, comme nous le verrons, se diffusent largement dans tout le monde


Le Bronze ancien 163<br />

égéen. C’est alors que les communications avec les régions périphéri-<br />

ques, mais surtout à l’intérieur du monde égéen, se font plus fréquen-<br />

tes ; divers courants se croisent et, en même temps, les influences<br />

venues de l’Est et du Sud se multiplient. Le mode de vie s’organise sur<br />

de nouvelles bases et se développe désormais rapidement, au fur et à<br />

mesure que les enseignements portent leurs fruits et que l’expérience<br />

s’accroît. Malheureusement, il nous est très difficile de suivre l’évolution<br />

historique, puisque nous en ignorons les événements essentiels. 11 n’est<br />

pas facile d’expliquer les raisons qui provoquèrent l’abandon ou la des-<br />

truction des anciens habitats et la naissance de nouveaux, plus grands et<br />

mieux organisés, aux mêmes endroits ou ailleurs. 11 ne fait pas de doute<br />

que la tendance qu’avaient les différents groupes à s’assurer des moyens<br />

d’existence meilleurs, dans des circonstances difficiles, a dû provoquer<br />

des rivalités qui ont abouti à des affrontements, sinon à des guerres ;<br />

certaines catastrophes en ont résulté. Mais d’autres, importantes et bru-<br />

tales, furent également provoquées par des tremblements de terre : la<br />

crise géologique que nous voyons se poursuivre dans les périodes sui-<br />

vantes avait déjà commencé. En même temps, des catastrophes isolées<br />

étaient dues au hasard, à des ouragans ou à des glissements de terrain,<br />

etc. Entre la deuxième et la troisième phase, une catastrophe assez éten-<br />

due provoqua la disparition ou la destruction de bien des habitats, dont<br />

certains furent reconstruits à la même place et d’autres ailleurs. Les dif-<br />

ficultés d’adaptation à de nouvelles conditions, dans le but d’assurer un<br />

niveau de vie un peu plus élevé, en améliorant les moyens de produc-<br />

tion, le rendement de la terre et des animaux, de subvenir aux besoins<br />

élémentaires par des échanges et le transport à partir de distances plus<br />

grandes étaient si nombreuses que les progrès dans l’organisation<br />

sociale, politique, religieuse ne furent pas importants dans la première<br />

phase.<br />

Le travail du métal ne s’était pas beaucoup développé et l’importation<br />

des matières premières se limitait au strict nécessaire. L’installation con-<br />

tinuait à se faire par groupes, par familles qui, en s’entraidant, réussis-<br />

saient à assurer leur subsistance. Mais à partir de la deuxième phase, le<br />

développement d’habitats très peuplés, qui dépassaient les limites de<br />

simples bourgades, montre que la vie urbaine avait désormais commencé<br />

à s’organiser. <strong>La</strong> situation des habitats et les diverses formes de déve-<br />

loppement prouvent que la vie économique n’était pas la même partout.<br />

Dans les régions de cultures et d’élevage, comme la grande plaine de la<br />

Messara et les versants des chaînes de montagnes, les habitants conti-<br />

nuaient à s’adonner activement à l’agriculture tout en fabriquant les<br />

produits de base comme la céramique et les tissus. Mais dans d’autres,


164 LA CIVILISATION CGBENNE<br />

aux points importants qui menaient à la mer ou contrôlaient les passa-<br />

ges d’une mer à l’autre - comme les îles de Mochlos et Pseira, de<br />

l’isthme de Hiérapétra (Vassiliki), des rades de l’extrémité est de la<br />

Crète (Haghia Photia, Palaikastro et Zakro), des franges côtières (Kats-<br />

amba, Lenda, Kalois Limenes et peut-être Kommos dans la région de<br />

Phaistos) - les habitants se livraient surtout au commerce avec le<br />

monde égéen et le monde civilisé qui l’entourait. Les petites maquettes<br />

de bateaux qu’on rencontre dans les tombes et qui font partie du mobi-<br />

lier funéraire, ne représentent pas des bateaux à plusieurs rangs de<br />

rames ou à voiles, mais tout de même ils montrent l’évolution des<br />

moyens de navigation, tout autant que certaines représentations sur<br />

sceaux ; ces dernières, malgré une grande simplification et le rendement<br />

conventionnel, présentent des bateaux tout aussi évolués que les bateaux<br />

cycladiques dont nous possédons de nombreuses figurations. De toute<br />

façon, on y voit beaucoup de rames, des haubans et des voiles, des<br />

proues hautes, des poupes basses, des plats-bords protégés et, à<br />

l’arrière, des poutres ou des éperons saillants. Ces habitats vivaient de<br />

la pêche et quelques-uns des bateaux devaient être des bateaux de<br />

pêche. Mais les sources de revenus les plus importantes étaient sans<br />

aucun doute le commerce et les transports maritimes, souvent à de<br />

grandes distances et pour lesquels on utilisait de plus grands bateaux.<br />

L’enrichissement rapide des marchands-navigateurs est visible dans le<br />

mobilier funéraire des tombes de Mochlos : beaucoup d’or et de pierres<br />

précieuses. Dans ce type d’habitats, l’artisanat local était également<br />

développé, comme le prouvent les outils, en métal ou en pierre, utilisés<br />

par divers corps de métiers - menuisiers, maçons, tailleurs de pierres,<br />

tanneurs, tisserands, etc. Mais on n’a pas retrouvé d’ateliers spéciaux<br />

équipés de ces outils, ni de magasins qui offraient les produits. Le tra-<br />

vail et le petit commerce se faisaient, à ce qu’il semble, à l’intérieur<br />

même des maisons, comme c’est encore le cas - ou plutôt comme<br />

c’était encore le cas il y a quelques années - dans les villages de mon-<br />

tagnes crétois. I1 est clair que le travail était partagé entre ceux qui<br />

avaient acquis une expérience particulière, expérience qui se transmet-<br />

tait, comme c’était normal, de père en fils et de mère en fille.<br />

Cette division de travail constituait, sans aucun doute, une base ferme<br />

dans l’organisation de la vie sociale. Les petits génos s’agrandissaient<br />

sans cesse par des alliances. C’est du moins ce qui ressort de l’utilisa-<br />

tion - surtout dans la riche région agricole de la plaine de la Messara<br />

- de grandes tombes à coupole où des centaines de personnes étaient<br />

inhumées et qui appartenaient, selon toute probabilité, à des génos dif-<br />

férents. Le mobilier funéraire de ces tombes prouve que la classe des


Le Bronze ancien 165<br />

cultivateurs était assez riche et qu’en dehors de l’agriculture et de I’éle-<br />

vage ils s’adonnaient à des travaux divers relevant de la manufacture<br />

domestique. Les paysans, les éleveurs, les différentes catégories d’arti-<br />

sans, les marchands et les marins devaient être organisés en classes ; il<br />

devait sans doute exister aussi une classe qui s’occupait des travaux<br />

d’utilité publique et avait un pouvoir administratif ; enfin, une autre<br />

commençait à prendre une forme particulière et, un peu plus tard, elle<br />

renfermera tous les degrés de la hiérarchie sacerdotale. I1 est très dou-<br />

teux qu’une classe de guerriers se soit déjà formée ; en cas de besoin,<br />

chacun des habitants était capable de se défendre contre un danger<br />

éventuel, le plus souvent intérieur, mais peut-être aussi dû aux invasions<br />

pirates sur les côtes. II est caractéristique qu’aucune bourgade, même au<br />

bord de la mer, n’était fortifiée et que les gens ne cherchaient pas parti-<br />

culièrement à se mettre en sécurité dans des endroits naturellement forti-<br />

fiés. Aucun habitat ne fut construit sur une haute acropole ni dans une<br />

région de montagne difficile d’accès. Cela prouve qu’il n’y avait pas<br />

encore eu de dangers importants à affronter ; c’est pour cette raison<br />

d’ailleurs que les armes étaient fort rares. II ne semble pas - du moins<br />

cela n’est pas sensible dans cette forme d’habitats - qu’il y ait eu une<br />

classe d’esclaves, provenant des prisonniers de guerre ou résultant de la<br />

piraterie organisée et d’achats d’hommes dans des pays capables de<br />

fournir ce genre de marchandise à bas prix.<br />

En ce qui concerne la vie politique nous sommes fort peu renseignés.<br />

I1 ne fait pas de doute que les chefs des grandes familles devaient jouer<br />

un rôle dans l’organisation d’une certaine administration, mais celle-ci<br />

devait toujours garder un caractère local et se limiter à résoudre les pro-<br />

blèmes essentiels. Ces chefs avaient-ils des liens entre eux et avaient-ils<br />

mis sur pied une forme de collaboration de façon à assurer une coexis-<br />

tence pacifique ? Cela ne peut que faire l’objet de simples hypothèses.<br />

Beaucoup de savants avaient pensé que, dans la deuxième phase du<br />

moins, il devait exister des gouverneurs dont le pouvoir s’étendait sur<br />

des régions plus vastes. Ils y voyaient un argument dans l’installation<br />

importante de Vassiliki (Hiérapétra) qui donne l’impression d’être le<br />

petit palais d’un gouverneur et annoncerait les grands palais.<br />

Aujourd’hui cela ne semble pas probable puisque les recherches plus<br />

récentes, menées par Zoés, montrèrent que l’ensemble était constitué<br />

d’une série de bâtiments plus petits, pas très différents de ceux qui<br />

furent découverts dans d’autres habitats. Même dans la troisième phase,<br />

on ne peut admettre que des installations comme celle du sommet Souv-<br />

loto Mouri, près de Chamaizi, avec le vaste bâtiment elliptique à plu-<br />

sieurs pièces, aient pu être la demeure d’un gouverneur, puisqu’il est


166 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

presque sûr qu’il s’agit d’un sanctuaire de sommets. Cependant, dans le<br />

stade final, des bâtiments de ce genre peuvent avoir également été utili-<br />

sés pour loger des prêtres dont le pouvoir n’était pas seulement religieux<br />

mais civil. I1 n’est pas exclu donc que de ce genre de chefs soient sortis<br />

les rois dont les palais étaient à la fois des centres religieux et poiiti-<br />

ques, aussi bien que les habitations de leur famille. On ne peut croire<br />

que la concentration des pouvoirs dans les mains du roi, complètement<br />

réalisée au début de la période suivante, se soit faite sans étapes. Nous<br />

sommes encore moins renseignés, naturellement, sur l’organisation hié-<br />

rarchique des dignitaires et des employés qui devaient constituer les<br />

rouages, même élémentaires, du pouvoir politique des gouverneurs.<br />

Les informations sur la vie religieuse sont également limitées puisque<br />

nous ne pouvons être renseignés que par le matériel restant sous forme<br />

de figurines, de symboles, d’ex-voto, d’ustensiles rituels, etc. et par la<br />

configuration et l’arrangement des lieux de culte. Nous ne savons pres-<br />

que rien sur la première phase, quoique certains lieux de culte nous<br />

soient connus - les grottes d’Eileithyia à Amnisos, de Trapéza dans le<br />

<strong>La</strong>ssithi, d’hkalochori (Pédiada), etc. - où furent trouvés des ustensi-<br />

les rituels en assez grand nombre et quelques symboles. Des figurines<br />

tout à fait primitives furent mises au jour dans la tombe de Pyrgos,<br />

mais, à partir de la deuxième phase, la vie religieuse s’organise : on ren-<br />

contre les premiers sanctuaires à l’intérieur des habitats - à Myrtos par<br />

exemple -, nous trouvons des figurines désormais formées représentant<br />

des divinités - comme l’a hydrophore D de Myrtos - et des adorants.<br />

Des symboles apparaissent assez souvent - des doubles haches et une<br />

forme qui annonce les cornes sacrées (Mochlos) -, mais surtout on a<br />

des ustensiles destinés à l’accomplissement des rites et aux offrandes,<br />

comme les kernoi avec leurs multiples réservoirs. Dès que des offrandes<br />

à caractère quelque peu religieux et rituel accompagnent les morts dans<br />

les tombes, nous y rencontrons aussi les ustensiles adéquats, ainsi que<br />

des figurines et des symboles ; comme nous l’avons vu, des figurines de<br />

type cycladique constituaient souvent une partie du mobilier funéraire.<br />

<strong>La</strong> vie religieuse devint plus active dans la troisième phase, surtout<br />

vers la fin de celle-ci, puisque c’est alors que furent organisés la plupart<br />

des sanctuaires de sommets. Les diverses offrandes, les symboles, les<br />

ustensiles rituels qui y furent trouvés - on en a vu beaucoup dans les<br />

pages précédentes - témoignent des conceptions religieuses de l’époque.<br />

Les objets de culte provenant de tombes de Crète orientale et de Crète<br />

centrale en complètent l’image. Même si la vie religieuse ne se fondait<br />

pas encore sur un système tout a fait développé, il est clair que les con-<br />

ceptions de base étaient déjà formées et que c’est à elles que se sont


Le Bronze ancien 167<br />

adaptés les lieux de culte avec leurs installations, le rituel et les symbo-<br />

les. Nous avons ainsi des sanctuaires de sommets destinés à des divinités<br />

de caractère probablement céleste, des sanctuaires domestiques et de<br />

plein air voués à la déesse terrestre qui avait peut-être déjà pris la<br />

forme de la déesse-mère et de la potnia tbérôn (maîtresse des animaux),<br />

des sanctuaires souterrains dans des grottes, réservés aux manifestations<br />

des divinités chthoniennes. Dans les sanctuaires de sommets, il a été<br />

confirmé que les rites s’accompagnaient de l’allumage de grands feux<br />

dans lesquels on jetait les figurines, les ex-voto et beaucoup des ustensi-<br />

les à offrandes. On croyait que la divinité céleste pouvait intercéder<br />

dans les guérisons, comme l’ont montré les ex-voto de terre cuite - de<br />

Petsofa par exemple. Nous avons des représentations de la déesse-mère<br />

dans les ustensiles à offrandes du type des rhytons : la déesse en buste<br />

presse ses seins pour qu’en sorte le lait, source de vie, dont ces ustensi-<br />

les étaient remplis. D’autres rhytons avaient pris la forme des animaux<br />

sacrés, surtout les taureaux, et sur quelques-uns d’entre eux, nous avons<br />

vu que sont représentées les premières captures de taureaux avec des<br />

petits chasseurs grimpés sur les cornes des animaux. Partant du fait que<br />

les formes féminines dominent totalement dans le panthéon minoen, et<br />

cela déjà depuis l’époque prépalatiale, certains chercheurs sont arrivés à<br />

la conclusion que l’organisation sociale était matriarcale, mais cela n’est<br />

pas sûr du tout. Dans la troisième phase, les kernoi, en tant que vases à<br />

offrandes, sont beaucoup plus nombreux et ils accompagnent fréquem-<br />

ment les morts dans leur tombe - nous avons vu les kernoi à pied et<br />

ceux qui sont en forme de salières. C’est d’ailleurs dans les tombes<br />

qu’on trouve le plus de rhytons plastiques représentant des divinités et<br />

des animaux sacrés. Dans les vestibules des tombes à coupole on a mis<br />

au jour des installations indiquant qu’ils étaient utilisés comme des sor-<br />

tes de sanctuaires pour un culte des morts.<br />

Nos connaissances sur la vie privée sont également limitées, surtout<br />

dans la phase initiale. Les vestiges des bâtiments et les objets qui furent<br />

trouvés à l’intérieur de ceux-ci sont trop peu nombreux pour nous aider<br />

à nous former une idée, aussi générale soit-elle. Que la vie ait été très<br />

primitive et que la plupart des gens aient vécu dans des grottes et se<br />

soient vêtus de peaux, c’est là pure hypothèse. Peut-être que des éle-<br />

veurs et de pauvres cultivateurs continuaient encore à vivre de cette<br />

façon. Le haut niveau de la production artistique, les indices que nous<br />

possédons sur le travail des métaux et même des métaux précieux, ainsi<br />

que la densité des échanges avec les Cyclades, montrent que la vie indi-<br />

viduelle ne devait pas être si élémentaire et sans doute ne se limitait-elle<br />

pas au seul fait de résoudre les problèmes fondamentaux de la subsis-


168 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

tance et de l’habitat. Mais dans la deuxième phase, et surtout dans la<br />

troisième, la vie individuelle est devenue très variée et a atteint un<br />

niveau relativement élevé. Les maisons des paysans, des éleveurs et des<br />

pauvres artisans sont, bien sûr, limitées au point de vue place et con-<br />

fort ; mais l’espace ouvert, tout autour, était utilisé après un aménage-<br />

ment spécial (souvent un dallage) ; c’est là qu’ils passaient la plus<br />

grande partie de leur vie, ce que le climat crétois facilitait. Ce n’était<br />

pas la même chose dans les classes plus élevées qui disposaient de mai-<br />

sons à plusieurs pièces, quelquefois à étage, bien organisées de façon à<br />

s’adapter à une vie relativement aisée. Certaines pièces étaient consa-<br />

crées au travail, d’autres au séjour ; en dehors de celles-ci, il y avait des<br />

espaces assez vastes, souvent dallés, des cours.<br />

Dès cette époque, le vêtement, aussi bien masculin que féminin, a<br />

déjà toutes les caractéristiques que nous lui verrons ensuite, à l’apogée<br />

de la <strong>civilisation</strong>. L’homme veut avoir le corps libre ; aussi le simple<br />

pagne lui suffit-il, noué correctement ou accompagné d’un protège-sexe.<br />

Mais même dans ce vêtement si simple on remarque une tendance à<br />

l’élégance ; la taille est exagérément serrée pour donner souplesse et agi-<br />

lité. Le pagne est coupé et drapé de façon à avoir un beau contour ; le<br />

protège-sexe devient, lui aussi, élaboré. Le couteau qui se trouvait sou-<br />

vent à la taille donnait une allure brave et fière. Pour se protéger du<br />

froid, ils n’avaient qu’à jeter sur eux un manteau - une sorte de cape<br />

- court ou long, en poils d’animaux ou en gros tissu. Les nombreuses<br />

figurines en terre cuite, en pierre ou en os, nous montrent bien cette<br />

mode. Elles nous renseignent aussi sur la mode féminine, beaucoup plus<br />

élaborée et plus variée. On dirait que le vêtement suivait des modes qui<br />

changeaient avec le lieu et l’époque ; il est clair que ces modes ne se<br />

fondaient jamais sur l’enroulement, le drapé ou le maintien d’un tissu,<br />

grand ou petit, comme à l’époque hellénique, mais sur une préparation<br />

convenable, l’assemblage des différentes parties, la couture et la bonne<br />

adaptation au corps, comme cela se fait dans la mode européenne et<br />

universelle actuelle. <strong>La</strong> tendance à libérer la partie supérieure du corps<br />

sous le climat semi-tropical de l’île et peut-être aussi le besoin de souli-<br />

gner les éléments de la fécondité, font que le corps est nu au-dessus de<br />

la taille ou couvert d’un corsage ouvert sur le devant, fait de telle façon<br />

qu’il montre et soutienne en même temps les seins, tandis que souvent<br />

l’arrière monte assez haut pour former une sorte de col Médicis qui<br />

encadre le cou tout blanc. Mais dans le vêtement féminin c’est la jupe<br />

qui donne un ton particulier ; elle est souvent longue, descend sous les<br />

chevilles - a maxi >) - et bouffante comme une cloche jusqu’à donner<br />

une impression de crinoline ; ailleurs - toujours longues - elles sont


Le Bronze ancien 169<br />

plates devant et en cloche derrière et comportent souvent des plis sur les<br />

côtés. Une ceinture serrait la taille et ses extrémités pendaient librement<br />

devant, simples ou avec des glands. I1 n’était pas rare que les bordures<br />

de la jupe portassent des franges et, dès le début, apparurent tout<br />

autour des sortes de volants. Ces robes étaient souvent en tissus poly-<br />

chromes ou portaient des broderies et des bandes verticales ou obliques,<br />

cousues dessus. C’est du moins à cette conclusion qu’on arrive en regar-<br />

dant certaines figurines féminines en terre cuite - surtout de Petsofa -<br />

dont la décoration annonce le style de Camarès. Beaucoup ont voulu<br />

voir dans la nudité de la partie supérieure du corps féminin un usage<br />

religieux, adapté à la nature de la divinité en tant que déesse-mère ;<br />

mais une telle acceptation n’est pas nécessaire puisque pour le travail,<br />

aussi bien à l’extérieur que dans la maison, la nudité, sous le chaud cli-<br />

mat de Crète, était naturelle pour les hommes comme pour les femmes.<br />

Cela n’exclut pas que la nudité ait été de règle dans certains rites, ce<br />

qui est confirmé aux époques ultérieures. <strong>La</strong> robe courte n’était pas rare<br />

non plus pour les femmes qui travaillent. Comme les hommes, pour<br />

affronter le froid, les femmes portaient une sorte de manteau qui res-<br />

semblait à une pèlerine.<br />

Pour les hommes comme pour les femmes, la tête restait souvent<br />

nue ; il était donc nécessaire d’apporter un soin particulier aux cheveux<br />

ondulés ou frisés naturellement, que les hommes portaient souvent<br />

courts ; mais ils les laissaient pousser parfois et les tressaient. Les fem-<br />

mes s’occupaient bien davantage de leurs coiffures qui suivaient, elles<br />

aussi, certaines modes ; les chignons n’étaient pas rares, ni les accroche-<br />

cœur sur le front ; on voit aussi des tresses bien soignées, des cheveux<br />

noués avec des rubans. Mais il était beaucoup plus fréquent qu’elles<br />

portassent des chapeaux, une sorte de pétase qui, on l’a vu, rappelle la<br />

coiffure bretonne française, ou des toques basses, des bérets, des résilles<br />

etc. Quand les hommes portaient une coiffure, ils lui donnaient la<br />

forme du simple béret ou du foulard enroulé autour de la tête, comme<br />

les Crétois d’aujourd’hui. Dans les figurines, en terre cuite ou autres, il<br />

n’est pas toujours facile de distinguer la forme des chaussures. On<br />

reconnaît, tant pour les hommes que pour les femmes, des souliers, bas<br />

ou hauts, tout blancs, pour la marche - ou encore des sandales. I1<br />

était fréquent que les pieds fussent nus, et cela était sans doute la règle<br />

pour la maison ; cela explique pourquoi les enduits des sois tenaient<br />

assez longtemps.<br />

I1 n’est pas utile de reparler ici des bijoux puisqu’il en a été question<br />

dans les paragraphes consacrés à l’art et à la technique. Ce qui est<br />

caractéristique, c’est que dès le début les deux sexes en utilisaient beau-


170 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

coup, mais, naturellement, les femmes en plus grande quantité et plus<br />

variés. Comme nous l’avons vu les bijoux ne se limitaient pas à orner<br />

les cheveux, le cou, les mains, les pieds, mais on décorait aussi les vête-<br />

ments avec des rubans, des bandes, des épingles, des pendentifs, etc.<br />

Nous n’avons pas d’indications sur les boucles d’oreilles de la période<br />

prépalatiale, mais il est possible que les simples chaînons qu’on trouve<br />

souvent aient servi à cet usage.<br />

<strong>La</strong> solution apportée aux problèmes vitaux a dû laisser très tôt la<br />

possibilité d’un délassement qui agrémenterait la vie et donnerait du<br />

courage pour poursuivre une voie qui, malgré tout, restait pleine de<br />

tourments et de peines. Malheureusement, nous ne sommes pas en posi-<br />

tion de reconstituer les formes de ces (( récréations )) même si, a partir<br />

de quelques éléments, nous pouvons savoir que la plupart étaient liées à<br />

la vie religieuse ; dans des représentations de sceaux prépalatiaux on<br />

peut reconnaître des danseurs et des chanteurs, des instruments de musi-<br />

que comme la lyre, des acrobates et les premiers jeux de taureaux.<br />

Ceux-ci, comme cela a été prouvé par l’évolution ultérieure, avaient un<br />

caractère rituel ; nous en avons vu les premiers exemples dans des<br />

ustensiles plastiques de la catégorie des rhytons, des vases de libation.<br />

D’autre part, le charme avec lequel sont représentées les premières<br />

scènes de chasse, toujours sur des sceaux, montre que ce n’était pas<br />

seulement un moyen de subsistance, mais aussi un exercice agréable. On<br />

s’adonnait avec plaisir à la capture des animaux agiles, comme le bou-<br />

quetin ou le cerf ; la chasse aux pigeons sauvages, aux oiseaux aquati-<br />

ques présupposait le développement d’une technique particulière qui<br />

constituait la base d’un délassement. D’autres jeux, statiques cette fois,<br />

jeux de patience et de combinaisons mentales aussi bien que jeux de<br />

hasard, avaient commencé à se développer, comme le montrent des<br />

représentations sur des sceaux prépalatiaux où des hommes jouent sur<br />

un échiquier ; cela est confirmé par la découverte des premiers dés.<br />

Peut-être que des sceaux à six et huit faces, comportant des représenta-<br />

tions, étaient utilisés dans des jeux ; un sceau très bizarre, provenant de<br />

Phourni (Archanès), fait de quatre cubes accolés et d’une tige, avec, en<br />

tout, quatorze surfaces à sceaux, a sûrement un autre but.<br />

Des coutumes concernant les événements les plus importants - nais-<br />

sance, mariage, décès, réussites, etc. - nous ne savons malheureuse-<br />

ment que ce que permettent d’en savoir les vestiges qui sont en rapport<br />

avec eux, surtout les rites funéraires. Ces derniers se sont conservés sans<br />

grand changement, aussi en parlera-t-on dans les chapitres consacrés<br />

aux périodes suivantes. On verra également alors le développement de la<br />

langue et de l’écriture qui constitua la base d’une évolution beaucoup


Le Bronze ancien 171<br />

plus rapide, aussi bien dans la <strong>civilisation</strong> intellectuelle que matérielle.<br />

Aujourd’hui on est sûr, malgré l’insuffisance des éléments dont on dis-<br />

pose, que dans ce domaine des progrès essentiels ont déjà été réalisés à<br />

l’époque prépalatiale. Le lien étroit avec le monde civilisé de l’Orient et<br />

du Sud - qui avait connu bien plus tôt les progrès liés à l’expression<br />

tres précise de la pensée par la parole et l’écriture - y a beaucoup con-<br />

tribué.


CHAPITRE II<br />

LE BRONZE ANCIEN DANS LES CYCLADES<br />

(Civilisation du Cycladique ancien)<br />

Architecture domestique et architecture funéraire<br />

<strong>La</strong> recherche a été si sporadique et si peu systématique dans les<br />

Cyclades que bien des éléments demeurent encore aujourd’hui indéter-<br />

minés et qu’il est toujours difficile de suivre l’évolution, surtout en ce<br />

qui concerne l’architecture domestique et funéraire. <strong>La</strong> seule fouille<br />

systématique, celle de Phylakopi de Mélos, est très ancienne et n’a été<br />

complétée que récemment ; d’autres - à Paros, Naxos, Syros, Kéros et<br />

Kéa - ont donné des résultats qui n’expliquent que certaines phases,<br />

ou des formes qui ne sont pas purement cycladiques. Aussi des différen-<br />

ces de points de vue fondamentales existent-elles encore entre les<br />

archéologues spécialistes de la région. Ils ont distingué des groupes<br />

représentatifs de <strong>civilisation</strong>s - comme celui de Pélos-Grotta, de Kéros-<br />

Syros, de Phylakopi I - surtout à partir de la céramique, des vases de<br />

pierre et des figurines, mais ils ne sont pas tombés d’accord sur leurs<br />

chronologies. <strong>La</strong> plupart d’entre eux ont reconnu que la <strong>civilisation</strong> de<br />

Pélos-Grotta est la première et que celle de Phylakopi I a suivi le<br />

groupe de Syros-Kéros ; d’autres ont pensé que cette succession n’est<br />

pas valable pour toute les îles des Cyclades. Mais les correspondances<br />

crétoises ont prouvé que dans les grandes lignes c’est ainsi que la civili-<br />

sation a évolué.<br />

En ce qui concerne la première phase, les éléments que nous possé-<br />

dons sur les habitats sont fort peu nombreux : une partie à Phylakopi,<br />

d’autres épars à Grotta (Naxos), qui furent mis au jour par Kontoléon ;<br />

des bothroi profonds - peut-être des restes d’un habitat disparu - ont<br />

été découverts par Tsountas a Amorgos de même que des restes indéter-<br />

minés à Naxos, mis au jour par Doumas. Les vestiges de tombes sont


174 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

beaucoup plus nombreux à Pélos (Mélos), à Haghioi Anargyroi<br />

(Naxos), Akrotiraki (Siphnos) et An0 Kouphonissi. Malheureusement,<br />

ils ne permettent pas de se faire une idée du genre d’établissements aux-<br />

quels ils correspondaient. Nous n’avons pas d’informations exactes sur<br />

les maisons, ayant des murs droits ou courbes, qu’a fouillées Tsountas<br />

à Pyrgos (Paros). A Despotiko, Zaphiropoulos a mis au jour une sorte<br />

de mur de fortification, mais il n’a pas été confirmé qu’il appartient à<br />

la première phase. L’emplacement des différents cimetières datant de<br />

cette phase préjuge, bien sûr, de la présence d’habitats qui n’ont toute-<br />

fois pas été localisés ou explorés. En règle générale, il semble qu’ils<br />

étaient situés près de la mer, le plus souvent sur une langue de terre peu<br />

élevée, et que les cimetières étaient du même côté ou en face. Les cons-<br />

tructions de pierres sèches ont été détruites et les pierres entraînées sur<br />

les pentes ou transformées en tas informes.<br />

De la deuxième phase - celle de Kéros-Syros - l’habitat le mieux<br />

connu est celui de Kastri à Chalandriani (Syros), exploré par Tsountas ;<br />

Fischer et Bossert ont effectué des fouilles complémentaires au sommet<br />

de la colline qui tombe à pic dans la mer ; un mur de fortification pro-<br />

tégeait au nord cet habitat déjà naturellement fortifié. Les cimetières se<br />

trouvaient sur la pente d’en face. Peut-être Kastri n’était-il qu’un lieu<br />

de refuge pour les gens qui habitaient autour. Des recherches complé-<br />

mentaires sont nécessaires pour pouvoir connaître l’étendue exacte de<br />

cet établissement. Le mur était renforcé par six bastions semi-circulaires<br />

dont certains étaient accessibles de l’intérieur ; l’un d’eux comportait<br />

une sortie, une espèce de porte secondaire, alors que des ouvertures<br />

étroites servaient d’entrée sur le reste du mur. Ce dernier était protégé<br />

par une sorte de mur d’avant-poste construit pas très loin des bastions.<br />

Mur et bastions avaient été bâtis en pierres sèches, pas très grades. De<br />

petites maisons, souvent à deux pièces, remplissaient l’espace intérieur<br />

qui devait être étroit, les unes accolées au mur, les autres détachées, et<br />

la circulation entre celles-ci se faisait par d’étroits passages. Trois foyers<br />

ont été trouvés ainsi que des vestiges d’un four métallurgique. Une ins-<br />

tallation plus petite, une espèce de forteresse, a été explorée par Dou-<br />

mas à Panermos (Naxos) ; elle était enclose dans une enceinte compor-<br />

tant des saillants qu’on utilisait comme bastions ; elle n’avait qu’une<br />

seule entrée et à l’intérieur se trouvaient quelques maisons de forme<br />

irrégulière qui se suivaient. Une grande quantité de pierres rondes, en<br />

tas, à l’extérieur de la porte, montre peut-être qu’on tâchait de repous-<br />

ser toute attaque avec des frondes. Dans les petites îles de Kouphonissi<br />

et Kéros, non loin de Naxos, on a trouvé d’autres vestiges de petits


Le Bronze ancien 175<br />

habitats, de même que sur un rocher - Daskalio -, tout près, dans la<br />

mer, qui était peut-être jadis relié à Kéros. En dehors d’une habitation<br />

rectangulaire trouvée à Daskalio, les autres vestiges de bourgades, dans<br />

ces îles, étaient très confus. II faut noter la petite installation, très inté-<br />

ressante, sur la montagne sacrée de Délos, le Cynthe ; malgré les boule-<br />

versements qu’a subis l’île par la suite, il est clair que ce petit habitat<br />

était fortifié et contrôlait le port voisin. I1 ne devait pas avoir un carac-<br />

tère très différent des habitats de Chalandriani et de Panermos. Peut-<br />

être devons-nous ranger dans cette phase, quoiqu’il n’y ait pas de preu-<br />

ves chronologiques sûres, une installation à Korphi t’Aroniou (Naxos),<br />

connue pour les figures-graffiti sur pierre qui y ont été découverts.<br />

Les vestiges les plus caractéristiques de la troisjeme phase ont été mis<br />

au jour à Phylakopi (Mélos) - c’est de là que vient le nom de la<br />

phase : Phylakopi I ; ils sont bien stratigraphiés sous l’habitat de Phyla-<br />

kopi II qui appartient au Bronze moyen. D’après les fouilleurs le carac-<br />

tère de l’habitat ne différerait pas fondamentalement de celui de la<br />

deuxième ville ; c’est peut-être le seul qui ait pris la forme d’une vérita-<br />

ble ville et cela est, sans aucun doute, dû a la prospérité du commerce<br />

de l’obsidienne. I1 dépassait les 180 mètres de long et n’était peut-être<br />

pas beaucoup plus petit que les agglomérations qui ont succédé. Le plus<br />

probable est qu’il n’était pas protégé par un mur de fortification, mais<br />

les maisons sur le pourtour étaient si près les unes des autres, l’arrière<br />

tourné vers l’extérieur, qu’elles formaient une zone presque continue.<br />

Les petites rues qui séparaient les ensembles de maisons étaient étroites<br />

et en pente, pas très différentes des caldérims des villages cycladiques<br />

d’aujourd’hui. Mais, contrairement aux autres habitats irréguliers, ces<br />

petites rues préservaient une forme primitive d’un système d’urbanisme<br />

rectiligne avec des croisements.<br />

C’est encore à cette phase qu’appartient l’habitat de Paroikia (Paros),<br />

lui aussi sur une colline peu élevée, près de la mer, mais nous n’en<br />

avons pas une image plus précise, pas plus que de ses contemporains de<br />

Siphnos et de Naxos ; les habitats de Mykonos, d’htiparos, d’Amor-<br />

gos et de Théra - d’où proviennent de nombreux objets représentatifs<br />

de cette phase - nous sont encore mal connus. Les vestiges d’habitats<br />

d’Haghia Irini (Kéa) et de Kastraki (Cythère), ont davantage de rap-<br />

ports avec le Bronze ancien Helladique ou bien représentent une forme<br />

helladico-cycladique où l’élément helladique domine ; ils le doivent sans<br />

aucun doute à la proximité du continent grec et aux relations qu’ils<br />

avaient avec celui-ci.


176 LA CIVILISATION %BENNE<br />

L’architecture funéraire est particulièrement intéressante et beaucoup<br />

mieux connue que l’architecture domestique ; nous pouvons en suivre<br />

l’évolution dès le début de la première phase - celle de Pélos-Grotta -<br />

grâce à la coutume qui était alors en vigueur de mettre les morts à<br />

l’abri dans des tombes groupées en cimetières et dans lesquelles les<br />

accompagnait l’indispensable mobilier funéraire. Leur protection était<br />

assurée par des plaques tout autour et par le fait qu’à l’extérieur leur<br />

présence était fort peu témoignée. Aussi, bien des tombes demeurèrent-<br />

elles inviolées pendant des millénaires et ce n’est qu’aux siècles derniers<br />

qu’elles commencèrent à être pillées dans un but lucratif. <strong>La</strong> dépréda-<br />

tion qui s’ensuivit eut des conséquences désastreuses pour la science qui<br />

fut ainsi privée de nombreux enseignements. Les efforts systématiques<br />

du Service archéologique et les recherches, qui ont pris un caractère<br />

plus organisé, ont sauvé bien des éléments et éclairci l’évolution de<br />

l’architecture funéraire. C’est ainsi qu’on connaît les tombes à cistes<br />

dont une grande partie remonte à la première phase, tandis que des pre-<br />

miers cimetières nous n’avons que deux types, ceux de Mélos et de<br />

Naxos. Les tombes sont triangulaires ou trapézoïdales, faites de plaques<br />

verticales et d’autres placées horizontalement comme couverture. Les<br />

plus grands cimetières se composaient d’une cinquantaine de tombes, à<br />

deux ou trois mètres les unes des autres. A Haghioi Arnargyroi (Naxos)<br />

on a également mis au jour un enclos. Les plus petits cimetières - les<br />

plus nombreux - comportaient une ou deux dizaines de tombes ; dans<br />

certains cas - par exemple à Despotiko - elles étaient disséminées en<br />

petits groupes. <strong>La</strong> plupart des tombes étaient individuelles, mais il y en<br />

avait à deux étages séparés par une dalle horizontale, pour pouvoir<br />

enterrer davantage de morts dont seul le dernier était à l’étage supé-<br />

rieur, tandis qu’on amassait en bas les ossements des autres. Le type<br />

trapézoïdal répondait à un souci d’économie en s’adaptant à la forme<br />

du cadavre qu’on enterrait sur le côté, en position repliée. L’une des<br />

parois de la tombe était parfois remplacée par un mur construit en pier-<br />

res sèches ; il est rare que les sols aient été recouverts d’une autre dalle.<br />

On n’a pas remarqué d’orientation particulière. L’origine de ce type de<br />

tombes ne peut être considérée de façon certaine comme anatolienne,<br />

car les tombes à ciste qui furent trouvées en Anatolie ne semblent pas<br />

plus anciennes ; mais les fouilles récentes de Iasos (Carie) et d’ailleurs,<br />

montrèrent que certains éléments ont des racines très anciennes et il est<br />

naturel de supposer que ces types furent transplantés lors des premières<br />

émigrations dans les Cyclades à partir des côtes voisines. En outre, nous<br />

trouvons en Anatolie des formes qui annoncent d’autres manifestations<br />

de la <strong>civilisation</strong>.


Le Bronze ancien 177<br />

Dans la deuxième phase, beaucoup des cimetières anciens ont conti-<br />

nué à être utilisés, comme le montre le mobilier funéraire qui appartient<br />

au groupe Kéros-Syros, surtout dans les îles de Siphnos et Naxos. A<br />

cette époque, il ne fait pas de doute que les cimetières s’agrandissent et<br />

sont composés de plusieurs dizaines et quelquefois de centaines de tom-<br />

bes. Le cimetière de Chalandriani avait plus de cinq cents tombes et à<br />

Amorgos, où le système des groupes de tombes se poursuivait, chaque<br />

groupe comportait plus de vingt tombes. De nombreux cimetières, tout<br />

à fait nouveaux, correspondaient à des bourgades nouvellement cons-<br />

truites. Les tombes doubles, bien que plus rares maintenant, conti-<br />

nuaient à être utilisées, surtout à Siphnos. Des tombes de la deuxième<br />

phase furent découvertes dans la plupart des îles des Cyclades et Tsoun-<br />

tas les avait divisées en deux catégories, les tombes rectangulaires et les<br />

tombes circulaires en encorbellement, bien qu’il y ait eu des formes<br />

intermédiaires. Elles se caractérisaient par leur petite taille - le plus<br />

souvent c’était une chambre d’à peine 1,5 mètre - et la fausse entrée<br />

qu’on bouchait avec des pierres. Cette entrée n’avait pas une impor-<br />

tance particulière puisque la plupart des tombes ne servaient que pour<br />

une seule sépulture. Beaucoup étaient couvertes d’une fausse voûte, très<br />

basse, qui se terminait par une dalle. Ce type, originaire de Syros, se<br />

rencontre dans d’autres îles, comme Siphnos, Naxos et Mykonos, et la<br />

position du mort est toujours la même : sur le côté gauche, les membres<br />

repliés ; le mobilier funéraire était placé aux deux extrémités, mais il<br />

faisait défaut chez les plus pauvres. Ce qui distingue ces tombes de cel-<br />

les de la phase de Pélos-Grotta c’est la bâtisse de pierres sèches et la<br />

fausse voûte. Un type précurseur a été mis au jour à Képhala de Kéa<br />

mais ces tombes étaient destinées à davantage de morts et, en règle<br />

générale, dépourvues d’entrée. Peut-être y avait4 d’autres formes qui<br />

annoncent la suite de l’évolution, encore inconnues à ce jour.<br />

Dans la troisième phase - celle de Phylakopi I - les formes des<br />

tombes ne sont pas bien connues partout. Toutefois, ce sont les petites<br />

tombes taillées dans la roche tendre qui sont habituelles, avec une petite<br />

chambre et un vestibule élémentaire, qui prenait souvent une forme de<br />

puits par où on faisait descendre le corps ; l’entrée étroite était bouchée<br />

par des pierres sèches. Ce type de construction se retrouve, un peu<br />

développé, à I’Helladique moyen. Dans les îles du nord, on continuait<br />

peut-être à avoir des tombes du type de celles de la phase précédente, et<br />

à Kéa des tombes dont les formes étaient usuelles sur le continent.<br />

Après la découverte en Crète de cimetières de petites tombes taillées -<br />

comme celui d’Haghia Photia (Siteia) -, plus anciens que ceux des<br />

Cyclades, on est presque sûr que c’est de là que vint l’influence, à


178 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

moins qu’il ne faille rechercher une autre région, en dehors de l’Égée,<br />

qui soit à l’origine des tombes taillées de ces deux régions <strong>égéenne</strong>s.<br />

Les diverses branches de l’artisanat<br />

Le développement des diverses branches de l’artisanat est dû, dans les<br />

Cyclades aussi, à l’introduction du métal et à l’installation de nouveaux<br />

éléments qui se trouvaient à un stade de <strong>civilisation</strong> assez avancé.<br />

L’adaptation aux conditions locales, la fusion avec les éléments plus<br />

anciens de la <strong>civilisation</strong> néolithique, l’exploitation de matériaux d’exel-<br />

lente qualité et les déplacements qui se sont intensifiés avec le besoin de<br />

communiquer par mer, ont contribué au développement rapide de la<br />

<strong>civilisation</strong>, qui a acquis un caractère propre, et à l’épanouissement des<br />

différentes branches de la technologie et de l’artisanat. Comme en<br />

Crète, le premier stade de l’adaptation - qui se fit progressivement -<br />

est marqué par des hésitations et a gardé un certain caractère subnéoli-<br />

thique ; la deuxième phase n’aurait pu exister si elle n’avait été renfor-<br />

cée par de nouvelles installations et davantage d’influences extérieures,<br />

surtout de la Crète ; enfin la dernière phase, qui fait preuve de liens<br />

encore plus étroits avec les régions voisines, commence à prendre un<br />

caractère de <strong>civilisation</strong> urbaine tandis que les premières tribus venues<br />

du nord et du nord-est s’infiltrent en Grèce. L’évolution de l’artisanat<br />

dans les trois phases qui se succèdent est plus facile à suivre par les<br />

méthodes stratigraphiques et par la typologie que par ce qu’on peut voir<br />

de l’architecture et de la bâtisse. Et si le matériel découvert dans les<br />

habitats n’est pas jugé suffisant pour nous donner une idée générale de<br />

cette évolution, on a le mobilier funéraire, si abondant - même s’il<br />

n’est pas toujours bien localisé en raison des pillages - qui la complète<br />

de façon assez satisfaisante ; mais il faut savoir qu’il demeurera forcé-<br />

ment un vide, dû à la disparition complète des matériaux périssables et<br />

à la réutilisation d’autres plus précieux, comme les différents métaux.<br />

<strong>La</strong> céramique<br />

Les produits céramiques les plus anciens conservaient bien des carac-<br />

téristiques de la technologie néolithique ; ils étaient faits à la main<br />

d’une argile relativement impure ; c’étaient des formes ouvertes -<br />

comme le skyphos semi-globulaire avec des protubérances perforées ser-<br />

vant d’anses -, dont la lèvre était souvent un peu retournée ou renfor-


Le Bronze ancien 179<br />

cée, et comportant une décoration élémentaire de bandes en reliefs et<br />

d’arêtes de poisson incisées, rarement un polissage ou un vernis éiémen-<br />

taire, presque toujours enfumées - ce qui présuppose l’utilisation de<br />

fours ouverts. Des récipients plus grands prenaient la forme de petites<br />

jarres à l’épaule arrondie et à la lèvre légèrement retournée ou plate.<br />

Quelques-unes, plus ouvertes, comportaient des trous de suspension. Les<br />

marmites, avec ou sans pieds, étaient des ustensiles de cuisine habituels.<br />

Des vases plus fermés furent bientôt créés, qui prenaient la forme de<br />

pyxides globulaires, cylindriques ou elliptiques, avec ou sans couvercle ;<br />

certaines de ces formes acquirent un col conique qui se rétrécissait vers<br />

le haut et se terminait en une lèvre retournée ou plate ; l’un des types,<br />

monté sur un pied conique, aboutit à la naissance de la (( veilleuse )) ;<br />

la décoration incisée de ces ustensiles - toujours enfumés - se fit plus<br />

serrée, se systématisa en bandes verticales et horizontales de lignes den-<br />

ses formant des dessins géométriques simples, de lignes parallèles ou<br />

sécantes, de triangles, de lignes convergentes ou divergentes, d’arêtes de<br />

poisson, etc. Les groupes les plus anciens furent trouvés à Pélos<br />

(Mélos), à <strong>La</strong>kkoudès et à Grotta (Naxos) ; les plus récents à Plastira et<br />

à Kampos (Paros). Dans ces derniers apparaît une forme nouvelle, par-<br />

ticulière, ia (( poêle )) à anse de forme rectangulaire, précurseur des<br />

a poêles à frire )) si caractéristiques de la <strong>civilisation</strong> de Kéros-Syros.<br />

C’est sur celles-ci et sur des ustensiles d’autres formes qu’on trouve les<br />

premières spires estampées et libres, liées ou non entre elles. A Amor-<br />

Bos, on suit presque tous les stades de cette évolution. Nous rappelle-<br />

rons ici que c’est dans les groupes les plus anciens qu’on trouve les<br />

premières figurines schématisées en marbre, dans les plus récents les<br />

premières figurines anthropomorphes, comme, par exemple, dans les<br />

groupes de Plastira. <strong>La</strong> plupart des cimetières ont donné des ensembles<br />

intéressants et représentatifs d’ustensiles en terre cuite plus ou moins<br />

évolués. Les plus anciens se rapprochent de certaines catégories d’usten-<br />

siles de la <strong>civilisation</strong> de Kum-Tépé I ; certains traits communs aux plus<br />

évolués rappellent la céramique de la première ville de Troie et celle de<br />

la première phase de I’Helladique ancien - Eutrésis - aussi bien que<br />

celle de la première phase de Crète (Pyrgos, Haghios Onouphrios). Ces<br />

rapports aident à situer chronologiquement l’évolution des différentes<br />

régions de l’Égée, mais permettent aussi de rechercher des racines. Des<br />

correspondances avec la céramique des couches VI11 et Vil d'Emporia<br />

(Chios) facilitent la recherche des premiers comptoirs de la côte d’Asie<br />

Mineure, surtout dans la région de Yortan et de Iasos (Carie). Mais la<br />

céramique cycladique semble avoir évolué de façon assez indépendante,<br />

comme les autres branches de l’artisanat d’ailleurs.


Fig. 5. - Formes de vases de la période du Cycladique ancien :<br />

ad, phase I (Pélos-Grotta) ;<br />

e-I, phase II (Syros-Kéros) ;<br />

m-o, phase III (Phylakopi).


Le Bronze ancien 181<br />

Dans la deuxième phase - bien que la céramique suive, pour une<br />

grande part, les modèles anciens en les réadaptant avec des lignes plus<br />

dynamiques -, on remarque une tendance au rajeunissement : des for-<br />

mes nouvelles se développent sous l’influence de types qu’on choisit<br />

dans les régions périphériques. Si la saucière », avec son bec verseur<br />

proéminent et son pied, est une invention helladique, ce qui n’est pas<br />

sûr du tout, l’adaptation de cet ustensile par les Cyclades lui a donné<br />

un caractère et une expression propres. Le vernis le recouvrait rarement<br />

complètement ; des zones, ou même toute la surface, étaient décorées de<br />

motifs géométriques dark on fight ; dans un cas on a réuni trois de ces<br />

ustensiles sur une base commune de façon à former une sorte de ker-<br />

nos. Les kernoi sont d’ailleurs nés de l’association de récipients, comme<br />

en Crète. <strong>La</strong> a veilleuse », le gobelet, l’écuelle, le skyphos, la coupe, la<br />

pyxide globulaire ou globulaire aplatie mais rarement cylindrique, ont<br />

pris une allure beaucoup plus dynamique et sont décorés d’une incision<br />

fine et serrée qui commence à utiliser des motifs curvilignes, surtout des<br />

demi-cercles alternés. I1 est clair que le développement de la métallurgie<br />

a influencé les formes des vases de terre cuite. Certaines proviennent de<br />

la région de Troie - comme le gobelet à deux anses en arche, le<br />

(( dépas amphikypellon D de Schliemann - et de Crète - la cruche.<br />

Mais la forme la plus caractéristique, et en même temps la plus étrange,<br />

est la (( poêle à frire )) qui s’est développée en un disque encerclé de<br />

parois cylindriques un peu obliques, avec une anse en fourche ; les prin-<br />

cipaux ateliers qui créèrent et firent évoluer ce type se trouvaient à<br />

Syros ; c’est sur les (( poêles à frire H de cette île que nous trouvons<br />

également la décoration la plus intéressante : des réseaux de spires liées<br />

les unes aux autres - ou de spires estampées - avec des motifs au<br />

centre - souvent une étoile avec beaucoup de rayons triangulaires -<br />

et, vers l’anse, le triangle pubien ; dans de rares cas, à l’intérieur du<br />

réseau de spires, étaient figurés de longs bateaux à plusieurs rames. <strong>La</strong><br />

destination de ces ustensiles demeure inconnue, mais elle n’était de tou-<br />

tes façons pas culinaire ; peut-être faut-il la mettre en rapport avec le<br />

rituel religieux. En général, les ustensiles sont enfumés, soigneusement<br />

vernis et polis. Dans la décoration les cercles concentriques remplacent<br />

souvent les spires estampées. Autre forme nouvelle, I’askos globulaire<br />

aplati dont l’embouchure est en forme de bec d’oiseau et l’anse en<br />

arche au-dessus, souvent décoré d’incisions ou d’impressions. De rares<br />

ustensiles à décoration incisée prennent la forme de quadrupèdes.<br />

L’existence d’ateliers locaux dans les différentes îles explique le grand<br />

nombre de variantes. Nous suivons une évolution et des variantes paral-<br />

lèles dans les autres branches de l’artisanat : la petite sculpture, le tra-


182 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

vail de la pierre (vases et outils), le travail du métal et la fabrication des<br />

bijoux. On remarque une vive interpénétration avec la Crète et le conti-<br />

nent grec, surtout la zone côtière orientale ; certains savants ont carac-<br />

térisé l’infiltration cycladique de kykladische Stdrung et ses éléments<br />

sont à la base de la coordination entre les différentes périodes du<br />

monde égéen.<br />

<strong>La</strong> céramique de la troisième phase suit une voie identique quant à<br />

l’évolution des deux types essentiels : la céramique sombre incisée et la<br />

céramique peinte en dark on light et en light on dark ; la première ville<br />

de Phylakopi a fourni les exemples les plus caractéristiques, mais<br />

d’autres bourgades et des cimetières de tombes taillées ont complété<br />

l’image. Dans les pyxides incisées la forme Caractéristique est conique et<br />

se rétrécit vers le haut. Les couvercles sont coniques et bas. Les askoi<br />

(outres) incisés sont désormais plus élevés, avec l’embouchure placée<br />

plus haut et l’anse atrophiée. On les a qualifiés de (( canards ». Un<br />

askos avec un bec long sur le côté, peint celui-ci, provenant de Phyla-<br />

kopi, rappelle un scarabée. Des kernoi montés sur un support portant<br />

des pyxides globulaires décorées simplement évoquent des exemples cré-<br />

tois. Les ustensiles à enduit monochrome brillant sont assez nombreux ;<br />

certains annoncent la céramique minyenne de la période suivante. Le<br />

style dark on light évolue à peu près comme en Crète mais on sent<br />

encore la tradition cycladique ancienne, comme dans les cruches dont le<br />

bec est légèrement renversé vers l’arrière. <strong>La</strong> décoration est simple, géo-<br />

métrique, mais a utilisé très tôt les motifs curvilignes ; le vernis est bril-<br />

lant et rappelle I’llrfirniss helladique. Vers la fin de la période, la cou-<br />

leur devient mate et le brillant de la surface des vases cesse d’être soi-<br />

gné. L’apparition de formes qui annoncent les ustensiles aux couleurs<br />

mates du Cycladique moyen et du Mésohelladique - comme les<br />

skyphoi et les bassines au contour angulaire, les jarres dont le centre de<br />

gravité est bas, etc. - montre que l’infiltration des éléments nouveaux<br />

qui ont façonné la <strong>civilisation</strong> du Bronze moyen avait déjà commencé.<br />

On est surpris par la grande variété des kernoi qui, vers la fin, sont for-<br />

més de nombreux petits récipients de formes variées disposés sur plu-<br />

sieurs rangées. C’est encore Phylakopi qui a donné les exemples les plus<br />

impressionnants. Très peu d’ustensiles ont pris une forme plastique. Le<br />

style light on dark se développe parallèlement, sur des formes quelque<br />

peu différentes ; il utilise une décoration blanche, presque crayeuse, sur<br />

un fond sombre de différents tons, mais presque jamais noir. I1 est clair<br />

qu’il y a des échanges avec les styles correspondants de la troisième<br />

phase en Crète et sur le continent grec. Ces parallèles, comme les<br />

échanges d’influences qu’on remarque entre les autres styles, aident à


Le Bronze ancien 183<br />

fixer les synchronismes entre les différentes régions de l’Égée. D’autres<br />

correspondances, comme celle des askoi (( canards D permettent de voir<br />

le synchronisme avec la quatrième ville de Troie et, en général, avec la<br />

troisième période du Bronze ancien en Anatolie.<br />

Dans les Cyclades - au contraire des autres régions <strong>égéenne</strong>s - la<br />

plastique n’a pour ainsi dire fait aucun progrès. I1 y a très peu d’usten-<br />

siles plastiques, puisque ne peuvent être considérés comme tels les<br />

(( canards D et les cruches dont le col est renversé comme celui d’un<br />

oiseau : un ours qui tient une tasse, de Chalandriani, un rhyton en<br />

forme de chien (?) d’Amorgos, une prochoé en tête de cheval (?) de<br />

Phylakopi ; il n’y a pas de figurines plastiques indépendantes ; cela ne<br />

peut être dû à l’absence de conceptions religieuses évoluées puisque<br />

nous avons des figurines en pierre - même si elles sont limitées à une<br />

seule espèce. Peut-être le développement très précoce de la sculpture sur<br />

pierre et la grande facilité de s’approvisionner en marbre de qualité ont-<br />

ils abouti à négliger la plastique.<br />

L’artisanat des ustensiles et des outils en pierre<br />

Peu de régions de l’Égée ont à offrir une telle variété de pierres de<br />

choix - surtout de marbres - que les Cyclades ; le marbre de Paros,<br />

blanc avec de petits cristaux, les marbres monochromes ou veinés des<br />

différentes îles, les variétés de schistes et de pierres de constitution géo-<br />

logique variée, offrent de grandes possibilités aux artisans qui cherchent<br />

à réaliser des articles plus durables, utiles dans la vie terrestre et dans<br />

celle de l’au-delà. Parmi ces pierres, quelques-unes - comme le<br />

trachyte et l’émeri - facilitaient le travail d’un matériau dur parce<br />

qu’elles étaient plus dures que lui. Quelques savants soutiennent que les<br />

ustensiles de pierre ont ouvert la voie à l’évolution des vases de terre<br />

cuite et que les formes essentielles et caractéristiques ont d’abord été<br />

créées en pierre. Il ne semble pas que cela soit juste puisque ces formes,<br />

en grande partie du moins, semblent céramiques. I1 est de fait que<br />

beaucoup de types ont leurs correspondants exacts en pierre, à cette dif-<br />

férence près que ces derniers sont simplifiés, sobres ; il est visible que<br />

les difficultés posées par la dureté du matériau ont été très heureuse-<br />

ment résolues dans ces exemplaires. Avec le temps les artisans sont<br />

devenus très habiles et ont cherché à profiter des progrès et des ensei-<br />

gnements venus des autres régions, et surtout de Crète. Pour certains<br />

produits on ne sait même pas toujours où se trouve la priorité, de la<br />

Crète ou des Cyclades.


184 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Dans la première phase, la plupart des ustensiles sont en marbre<br />

blanc et leurs formes se limitent à quelques types : l’écuelle, le gobelet,<br />

le petit baquet, la petite jarre, la (( veilleuse H et la pyxide basse cylin-<br />

drique dont la base et le couvercle dépassent tout autour. Dans la<br />

deuxième phase, la variétéi des types et des matériaux s’accroît, le<br />

contour des ustensiles devient beaucoup plus dynamique, on exploite<br />

toutes les ressources du matériau - comme en Crète - et enfin on<br />

ajoute, dans bien des cas, un décor extrêmement soigné ; celui-ci est<br />

dense et il n’est pas rare qu’il couvre toute la surface d’un réseau<br />

d’incisions ou de reliefs. Ces derniers s’appliquent le plus souvent à des<br />

ustensiles en schiste, vert ou grisâtre, et en chlorite. Les vases qui déri-<br />

vent de l’ancienne (( veilleuse D oat acquis un contour particulièrement<br />

élancé, comme par exemple le bel ustensile de Naxos. Les coupes, les<br />

gobelets, les skyphoi - à bec ou sans bec - sont également très dyna-<br />

miques. Des vases lenticulaires, avec ou sans pied, étaient utilisés pour<br />

la toilette ; un autre, provenant de Paros, est tout à fait charmant avec<br />

sa cuvette peu profonde et ses trois protubérances cylindriques comme<br />

des anses ; c’était peut-être une lampe. Des vases du type des saucières<br />

et des saladiers étaient fréquents, tout autant que d’autres qui rappellent<br />

des coupes sur pied à panse globulaire ou conique. Des tasses avec qua-<br />

tre longues excroissances à la lèvre évoquent les exemplaires crétois de<br />

Mochlos. Mais ce sont les ustensiles en marbre veiné ou tacheté qui<br />

prennent la forme de coupes, de cruches, de théières, etc., qui sont les<br />

plus proches des vases crétois. Quelques Ustensiles rectangulaires, ou<br />

allongés en forme de barques, étaient utilisés pour broyer des couleurs<br />

et certains d’entre eux ont été exportés jusqu’en Crète. Sont caractéristi-<br />

ques les pyxides en schiste ou en chlorite de forme elliptique, circulaire<br />

ou rectangulaire aux angles arrondis, dont la surface est couverte d’un<br />

réseau de spires ou de doubles spires reliées, antithétiques. L’une de ces<br />

pyxides, provenant de Mélos - aujourd’hui au musée de Münich - a<br />

la forme d’un kernos avec sept silos autour d’un espace libre, le tout<br />

enclos dans un péribole, visiblement accessible par un porche. Nous ne<br />

pouvons conclure de la forme de cet ustensile - qui semble rituel -<br />

qu’une telle architecture existait dans les habitats. Des savants ont sup-<br />

posé que les pyxides incisées en schiste qui ont été trouvées en Crète<br />

sont des importations cycladiques. Mais le fait que dans trois au moins<br />

de ces exemplaires il y ait par-dessus des animaux sculptés - des chiens<br />

- rend cette hypothèse improbable.<br />

Dans la troisième phase, les ustensiles en pierre sont devenus très<br />

rares et il y en a très peu qui proviennent d’ensembles stratigraphiés des<br />

habitats ou des petites tombes taillées des cimetières qui leur correspon-


Le Bronze ancien 185<br />

daient. Quelques formes de la deuxième phase sont encore fabriquées,<br />

mais ce n’est pas la typologie qui nous permet de les distinguer des pré-<br />

cédentes. Ainsi, si l’on considère que la plupart des objets cycladiques<br />

proviennent de fouilles clandestines ou que nous sommes mai informés<br />

sur les circonstances de leur découverte, il faut reconnaître qu’on se<br />

trouve dans l’impossibilité de distinguer combien et lesquels d’entre eux<br />

appartiennent à cette phase. Mais de toute façon, ils sont peu nom-<br />

breux. <strong>La</strong> raison en est, sans aucun doute, la grande prospérité des ate-<br />

liers céramiques et les nouvelles habitudes qui découlent de l’évolution<br />

de la vie.<br />

I1 est encore plus difficile de suivre la technologie des outils en pierre<br />

et leur évolution par phases ; dans les habitats, on en a découvert très<br />

peu et on n’avait pas l’habitude de placer des outils de pierre dans les<br />

tombes comme mobilier funéraire. Les plus fréquents étaient les lames<br />

et les noyaux d’obsidienne. Comme on l’a vu, la prospérité des habitats<br />

de Mélos est due à ce matériau. Bien des noyaux coniques, qui restaient<br />

après le débitage des lames, étaient utilisés comme broyeurs ou petits<br />

pilons. Mais les meilleurs broyeurs ou pilons étaient faits de pierres<br />

dures comme le trachyte ou le granit ; ils ont pris une forme conique,<br />

conoïde ou de quille et nous en trouvons des parallèles dans toutes les<br />

régions de l’Égée. Les meules - grandes pierres concaves ou creusées<br />

- étaient en trachyte et en calcaire dur. Quelques pierres à aiguiser, en<br />

émeri de Naxos, avaient une forme parallélépipédique ou allongée ; des<br />

outils plus petits, en même matériau, servaient comme polissoirs des<br />

ustensiles et des outils de pierre.<br />

<strong>La</strong> sculpture sur pierre<br />

<strong>La</strong> sculpture sur pierre a ses racines profondes à l’époque néolithique<br />

et nous avons vu des figurines de marbre - dont l’expression est à la<br />

fois conventionnelle et réaliste - qui appartiennent peut-être à la<br />

période qui précède directement la première époque du Bronze. Et bien<br />

sûr, la présence dans les Cyclades d’un beau matériau, approprié, le<br />

marbre blanc, souvent cristallin, ne suffit pas à expliquer l’avancement<br />

de cette technique qui constitue l’une des Caractéristiques essentielles de<br />

la <strong>civilisation</strong> cycladique. Sans aucun doute, ce progrès est à mettre en<br />

rapport avec les conceptions de la vie sociale et religieuse et un essai<br />

d’interprétation des figurines ne peut aboutir si on n’éclaircit pas ces<br />

conceptions. Cela fera l’objet d’un chapitre spécial.


186 LA CIVILISATION ÉGBENNE<br />

Dans la première phase - celle de Pélos-Grotta - la plupart des<br />

figurines sont du type (( en violon H : un long cou sans tête et des pro-<br />

jections inégales sur les côtés, dans une forme élémentaire de bras et de<br />

hanches ; toutes sont plates, sans rendu des détails ; il y a beaucoup de<br />

types parallèles et dans quelques-uns on distingue une tête élémentaire,<br />

tandis que d’autres n’ont pour ainsi dire pas de forme. I1 est à noter<br />

qu’à Haghios Onouphrios, en Crète, on a trouvé des figurines qui imi-<br />

tent les figurines cycladiques, avec un corps élémentaire et une tête où<br />

se distingue déjà la saillie du nez. Dans cette catégorie, l’expression est<br />

purement symbolique. On avait déjà commencé à fabriquer ce genre de<br />

figurines à l’époque néolithique, comme le prouvent les trouvailles de<br />

Saliagos et celles de la <strong>civilisation</strong> de Dimini, si celles-ci ne correspon-<br />

dent pas en vérité aux premières phases de la <strong>civilisation</strong> cycladique, de<br />

sorte qu’une importation des Cyclades n’est pas exclue. Aujourd’hui il<br />

semble très probable que la production de figurines anthropomorphes<br />

avait commencé en même temps que les figurines schématisées en vio-<br />

lon, même si les extrémités étaient atrophiées. Vers la fin de la phase, le<br />

type anthropomorphe développé était créé, comme le montrent les figu-<br />

rines de Plastiras (Paros) et Louros (Naxos) - ces dernières avec les<br />

extrémités supérieures atrophiées. Ce sont des figurines féminines nues,<br />

en forme de planches, dont les extrémités inférieures sont tendues et le<br />

triangle pubien quelquefois incisé.<br />

Les figurines schématiques n’ont pas cessé d’être fabriquées dans la<br />

phase suivante - celle de Kéros-Syros - mais elles sont rares et plus<br />

jamais en violon. Ce sont les figurines anthropomorphes qui sont en<br />

usage et qui se présentent avec de nombreuses variantes locales et typo-<br />

logiques. Très peu d’entre elles ont été trouvées dans des habitats, chose<br />

qui ne veut pas dire, évidemment, qu’elles y étaient rares, mais que le;<br />

tombes, comme cela était normal, en ont conservé bien davantage. Dans<br />

la deuxième phase, ces figurines ont évolué, malgré tout le conserva-<br />

tisme des types ; peut-être certaines d’entre elles ont-elles continué à être<br />

fabriquées au début de la troisième phase, mais elles sont beaucoup plus<br />

rares et à une époque plus avancée elles disparaissent complètement, si<br />

l’on fait exception de quelques-unes qui sont beaucoup plus réalistes.<br />

Des groupes locaux, avec la tête en forme de fer à cheval ou de poire et<br />

des bras atrophiés - dans l’un des cas sans bras ni jambes -, furent<br />

trouvés à Naxos. C’est peut-être de cette île également que provient une<br />

figurine de 1’Ashmolean Museum (Oxford) au cou très long, aux bras<br />

croisés atrophiés, avec un chapeau conique et de grosses jambes.<br />

Quelques-unes, dont le visage est rendu de façon plus réaliste, avec les<br />

doigts des mains croisées visibles, semblent plus avancées. Les plus


Le Bronze ancien 187<br />

grandes séries viennent d’ Amorgos et portent souvent des incisions sur<br />

les mains croisées, le ventre et les parties génitales ; le visage plat est<br />

légèrement rejeté vers l’arrière. Souvent les seins sont gonflés. Ce type,<br />

quelque peu oblong, se retrouve à Naxos ; il y a des variantes égale-<br />

ment dans d’autres îles comme Paros, Ios, Antiparos, Syros, Kéros, etc.<br />

<strong>La</strong> chronologie de beaucoup d’entre elles a été confirmée par le mobi-<br />

lier funéraire des tombes qui appartenait à la phase de Syros-Kéros.<br />

Dans ces tombes on a trouvé des séries entières. Leur datation aide à<br />

fixer la chronologie de beaucoup d’autres figurines qui proviennent de<br />

trouvailles fortuites ou de pillages de tombes.<br />

Des types comparables, mais qui se terminent en triangle dans le bas<br />

et de format relativement petit, se rencontrent en Crète, quoique des<br />

exemplaires de ce genre ne sont pas inconnus dans les Cyclades, et<br />

constituent peut-être une variante locale. Comme matériau la Crète utili-<br />

sait aussi, quoique rarement, la stéatite et elle adaptait le type à des<br />

figurines doubles ou assises sur un escabeau ; maintenant de tels exem-<br />

ples sont connus dans les Cyclades. Des figurines de grande taille, mais<br />

de même type, ont été mises au jour à Amorgos (environ 1’50 mètre) et<br />

ailleurs (à peu près 0,70 mètre), mais la découverte de grandes têtes -<br />

maintenant aux musées du Louvre et d’Athènes (de 9 à 35 centimètres)<br />

- montrent qu’elles n’étaient pas si rares. Les figurines masculines<br />

étaient très rares et quelques-unes d’entre elles représentent des membres<br />

du sacerdoce ou des dignitaires - qui portent une ceinture en diagonale<br />

sur la poitrine et un protège-sexe - et des musiciens, debout ou assis.<br />

Cette dernière catégorie n’était jadis connue que de Kéros avec deux<br />

exemples : un joueur de harpe assis et un joueur de double flûte<br />

debout ; elle nous est maintenant connue par des exemplaires provenant<br />

d’autres îles, de Théra et du cap Krios en Carie. Une autre figurine<br />

assise, de la collection Goulandris, offre un gobelet, peut-être à liba-<br />

tion. Deux ou trois figurines donnent l’impression d’être hermaphrodi-<br />

tes. Des figurines avec un enfant sur la tête ou dans les bras représen-<br />

tent peut-être une déesse courotrophe. De toute façon, la conception de<br />

la maternité existe puisqu’on a également des exemples de femmes<br />

enceintes. Quelques figurines ont gardé des traces de couleur, surtout du<br />

rouge, et il semble que la couleur complétait dans bien des cas les<br />

caractéristiques du visage qui n’étaient pas rendues plastiquement. II y a<br />

des cas où la couleur représentait des bijoux - colliers, rubans - et<br />

même des grains de beauté. Ces couleurs devaient être à l’encaustique,<br />

mais, malgré tout, la plupart d’entre elles ont disparu sans laisser de<br />

traces. Dans bien des cas, les figurines qui s’étaient brisées aux endroits<br />

les plus fragiles - surtout le cou - avaient été réparées en reliant les


188 LA CIVILISATION GGÉENNE<br />

morceaux (on a des petits trous). Nous ne savons pas si, en même<br />

temps que les figurines au corps entier, il n’y avait pas des acrolithes<br />

dont le reste du corps était en bois ou autre matériau périssable. Une<br />

telle possibilité semble vraisemblable par le fait que quelques-unes des<br />

têtes étaient planes sous le cou.<br />

En conclusion, on peut dire que, de l’avis général, les figurines<br />

cycladiques ont été des œuvres d’art importantes, puisqu’elles ont<br />

réussi, avec des moyens très simples, à exprimer des conceptions esthéti-<br />

ques, sociales et religieuses par l’abstraction et la synthèse des éléments<br />

essentiels. Beaucoup d’entre elles rappellent des créations de la sculpture<br />

moderne. Le seul défaut est la répétition caractéristique commune dans<br />

des systèmes où restent immuables les conceptions de base sur la divi-<br />

nité, l’homme et le mystère de sa vie.<br />

On est surpris que la sculpture ne se soit pas du tout préoccupée de<br />

rendre des formes animales, pas plus d’ailleurs que la plastique ; les rai-<br />

sons doivent être les mêmes dans les deux cas et tenir des conceptions<br />

socio-religieuses.<br />

<strong>La</strong> métallurgie<br />

Comme en Crète et dans les autres régions du monde égéen, I’impor-<br />

tation et l’utilisation du métal - qui ont entraîné le développement de<br />

l’industrie locale - ont été les raisons essentielles du passage de la civi-<br />

lisation à un nouveau stade de son évolution. Et pourtant, ici comme<br />

ailleurs, les traces des progrès de la métallurgie sont fort peu nombreu-<br />

ses en ce qui concerne la première phase. C’est l’Asie antérieure qui a<br />

été la principale source des connaissances technologiques, et au premier<br />

rang l’Anatolie où la métallurgie s’était développée très tôt. Bien sûr,<br />

des expériences avaient été tentées dans des contextes néolithiques -<br />

comme à Sitagroi (Photoleivos) en Macédoine orientale, à Néa-<br />

Nikomédia en Macédoine centrale, peut-être aussi dans des centres thes-<br />

saliens et à Képhala de Kéa, dans les Cyclades. Mais ce n’est que dans<br />

la première phase du Bronze ancien qu’on peut vraiment parler de<br />

l’existence d’une métallurgie dans les Cyclades, quoique nous n’ayons,<br />

jusqu’à présent, que peu d’indications sur l’existence de fourneaux à<br />

métaux dans les îles, - un tel fourneau a été trouvé à Chalandriani, un<br />

autre en Égine -, et que les objets de bronze soient fort peu nombreux<br />

- comme par exemple les perçoirs en bronze des tombes de Louros<br />

(Naxos).<br />

Même dans la deuxième phase - celle de Kéros-Syros - les objets


Le Bronze ancien 189<br />

de bronze sont peu nombreux, en comparaison avec la Crète. Sans<br />

aucun doute, la rareté du métal faisait qu’on le refondait. Dans les îles,<br />

il n’y avait que de pauvres filons de métal ; on a trouvé de I’azurite à<br />

Naxos et des scories de cuivre à Paros, Syros et Mélos. Pour préparer<br />

le bronze, on faisait des alliages avec de l’étain, plus souvent qu’en<br />

Crète à ce qu’il semble ; mais dans les deux régions on rencontrait des<br />

difficultés dans l’approvisionnement en minerai. Aussi remplaçait-on<br />

souvent l’étain par de l’arsenic, que ce soit dans les Cyclades ou en<br />

Crète. Plus tard, quand l’approvisionnement était devenu plus facile, les<br />

alliages étaient normalement faits avec de l’étain. Le bronze était indis-<br />

pensable pour fabriquer des armes et des outils résistants. C’est dans la<br />

deuxième phase qu’on rencontre les premières matrices en schiste dans<br />

lesquelles on coulait ces outils et ces armes ; elles proviennent de Cha-<br />

landriani et étaient destinées à des haches et des ciseaux. Peut-être y<br />

avait-il sur place un four qui a disparu, parce que dans la même pièce<br />

on a trouvé de nombreux outils de bronze, d’os et de pierre, apparte-<br />

nant sans aucun doute à un artisan spécialisé dans le travail du métal,<br />

et peut-être aussi dans d’autres industries. L’existence de récipients faits<br />

de barres de métal et de diadèmes en métal prouve qu’on avait appris<br />

très tôt les techniques du laminage et du clouage, aussi bien que celle de<br />

la soudure. Parallèlement au cuivre, on exploitait de pauvres filons d’or<br />

dans les îles - Siphnos par exemple - et on extrayait l’argent, par des<br />

méthodes spéciales, des minerais de plomb. Le travail du plomb était<br />

plus facile parce qu’il fond à basse température. Des poids de plomb<br />

ont été trouvés à Kéa et à Phylakopi ; ce métal était moins utilisé pour<br />

les bijoux que pour les poids de filets, les soudures, les balles de<br />

fronde, etc. Trois maquettes de bateaux en plomb ont été trouvées dans<br />

une tombe de Naxos. L’argent, lui, était employé pour les bijoux -<br />

épingles, diadèmes, bracelets, serre-cheveux. L’or, si abondamment uti-<br />

lisé - toutes proportions gardées - en Crète, en Asie Mineure et dans<br />

les îles voisines, est rare dans les Cyclades et on ne le trouve que pour<br />

de très petits bijoux. Mais peut-être ce métal précieux, si rare dans les<br />

pauvres habitats de pêcheurs, était4 refondu pour prendre chaque fois<br />

de nouvelles formes. Dans les diadèmes en argent on utilisait une déco-<br />

ration pointillée et incisée ; les repoussés sont presque inconnus dans les<br />

Cyclades à cette époque.<br />

Le soudain progrès réalisé dans la métallurgie au début de la<br />

deuxième phase doit être dû aux mêmes causes que celles qui ont amené<br />

un progrès général dans presque toutes les branches de l’artisanat. Mais<br />

cette métallurgie a été à l’origine d’un progrès encore plus grand, puis-<br />

que c’est grâce à elle que s’est perfectionné l’outillage technologique. I1


190 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

en a été de même dans toutes les régions de l’Égée. Ce qui est caracté-<br />

ristique c’est le développement subit des armes ; il montre qu’on éprou-<br />

vait davantage le besoin de se défendre, et peut-être même d’attaquer, à<br />

une époque où la richesse qu’on amassait dans les villes s’accroissait et<br />

devait être à l’abri des incursions, pirates ou autres ; c’est pour cette<br />

raison égaiement que se sont développées les fortifications. <strong>La</strong> princi-<br />

pale arme est le poignard qui, comme en Crète, est tantôt court, tantôt<br />

plus long avec le dos renforcé, grâce à un épaississement de la partie<br />

médiane ou bien à des nervures simples, doubles ou triples qu’on trouve<br />

sur les deux faces. Peut-être le poignard vient-il d’Asie antérieure ; dans<br />

la région de Troie comme dans les îles voisines, on utilise cette arme<br />

depuis le début de ]’Age du Bronze ; nous le trouvons - comme nous<br />

le verrons - dans la première ville de Troie et dans les premiers habi-<br />

tats des îles voisines - Lémnos, Lesbos, etc. Mais maintenant les<br />

Cyclades développent leur propre poignard, en même temps que la<br />

Crète qui, à ce qu’il semble, a fait preuve d’une légère antériorité. A<br />

part le renforcement du dos, on assure le manche - de bois la plupart<br />

du temps - au moyen de deux ou trois petits clous, plantés dans le<br />

talon de la lame. Des lames de poignards cycladiques ont été trouvées<br />

en Crète - à Tékès (Héraklion) - avec des figurines cycladiques. II ne<br />

fait pas de doute que c’est à la fin de la série - c’est-à-dire à la fin de<br />

la troisième phase, si l’on juge d’après les parallèles crétois -<br />

qu’appartiennent les poignards plus longs, au dos plus large, avec trois<br />

clous alignés à l’extrémité du talon. Les poignards les plus longs annon-<br />

cent les premières épées, au dos très marqué, qui sont nées à la fin de<br />

la période suivante.<br />

<strong>La</strong> deuxième arme, par l’importance, est la lance. On la distingue du<br />

poignard triangulaire par le fait qu’elle a souvent deux longues fentes<br />

sur le talon ou aux deux tiers - rarement à la moitié - de la lame,<br />

sans aucun doute pour fixer la longue hampe ; dans des cas plus rares,<br />

les fentes sont remplacées par quatre petits trous. <strong>La</strong> fixation de la<br />

hampe est quelquefois facilitée par la présence d’une sorte de tige en<br />

saillie sur le talon de la lame, légèrement recourbée à l’extrémité ; si elle<br />

est assez longue, elle peut suffire à fixer la hampe, et toute la lame se<br />

continue jusqu’au talon sans coupure, sans fentes ni trous ; on trouve<br />

ce type en Anatolie - première ville de Troie - et à Chypre, mais des<br />

variantes en sont connues dans les Cyclades. Les lames de lance tantôt<br />

ont un dos, tantôt n’en ont pas. Dans le type aux quatre petits trous le<br />

dos est très large.<br />

On est surpris de ne pas trouver de pointes de flèches dans les Cycla-<br />

des au Cycladique ancien ; cela ne veut évidemment pas dire qu’on ne


Le Bronze ancien 191<br />

se servait pas de l’arc, mais simplement que les pointes étaient encore<br />

en pierre et, le plus souvent, en obsidienne.<br />

Les outils de métal sont comparables à ceux qu’on trouve en Crète à<br />

la même époque, mais pas aussi variés dans leurs espèces et dans leurs<br />

formes. On a souvent trouvé des ensembles d’outils de métal, sans<br />

aucun doute des instruments d’artisans spécialisés ; mais il n’est pas<br />

rare qu’on ait trouvé, mêlées à ceux-ci, quelques armes - poignards ou<br />

lances. De tels ensembles ont été mis au jour : à Kythnos - le plus<br />

grand de tous comportait des haches plates, des herminettes, des<br />

ciseaux, etc., le tout pesant à peu près sept kilos -, à Chalandriani<br />

(Syros) - des ciseaux, des perçoirs, une scie - et des ensembles plus<br />

petits à Naxos. <strong>La</strong> plupart des outils de bronze ont été trouvés disper-<br />

sés, mêlés à d’autres objets, et surtout dans des tombes. Les principales<br />

catégories d’objets de bronze sont : les haches - la plupart planes, avec<br />

un trou d’emmanchement -, les herminettes, les ciseaux larges ou<br />

étroits, les spatules, les tranchets, les couteaux - à un ou à deux tran-<br />

chants, droits ou en forme de faucille -, les perçoirs et les aiguilles, les<br />

poinçons et les trépans, les grattoirs, les rasoirs, les pinces, les hame-<br />

çons, divers objets décoratifs, comme les épingles - dont la tête porte<br />

des spires, des oiseaux ou des cruches -, les bracelets, les bagues, les<br />

anneaux, les serre-cheveux, les diadèmes - l’un d’eux, de Chalandriani,<br />

porte un décor martelé et pointillé, d’animaux et de symboles -, les<br />

pendeloques, les colliers, les boucles d’oreilles (pas tout à fait sûr), etc.<br />

L’imitation en terre cuite de modèles en métal, prouve que ceux-ci ne<br />

devaient pas être aussi rares qu’on l’a cru, qu’ils aient été en metal cou-<br />

rant ou précieux. Si l’on en a trouvé si peu, cela est, sans conteste, dû<br />

au fait que ces ustensiles étaient refondus et le métal utilisé à des fins<br />

identiques ou différentes. De ceux qui nous sont parvenus, la plupart<br />

sont des tasses sans anses et des gobelets à décor cannelé ou incisé ; le<br />

plus grand nombre d’entre eux provient d’horgos. Les gobelets à une<br />

anse sont également fréquents ; un gobelet sur pied haut - calice - en<br />

argent, a été trouvé dans une tombe d’Amorgos. Le gobelet décoré de<br />

triangles du Metropolitan Museum (New York) semble cycladique. Une<br />

petite cruche en argent, toute pliée, a été trouvée à Naxos. On ne sait<br />

pas si on fabriquait des récipients en or dans les Cyclades ; ce n’est pas<br />

totalement exclu puisque de tels vases, d’une forme cycladique, sont<br />

connus en Eubée.


Les autres branches de l’artisanat<br />

il peut être considéré comme certain que dans les Cyclades, comme<br />

en Crète, se sont développées d’autres branches de l’artisanat, même si<br />

les éléments dont nous disposons à ce sujet sont très pauvres, surtout en<br />

raison de la disparition des matériaux périssables - tissage, broderie,<br />

vannerie, confection de filets, etc. Seuls quelques témoignages sont res-<br />

tés, comme les fusaïoles, les pesons, les poids de tissage, les peignes de<br />

métier, les navettes, les hameçons, etc. et, encore une fois, pas aussi<br />

abondants qu’en Crète, chose qui ne saurait surprendre si l’on pense à<br />

l’étendue des destructions qui se sont abattues sur les petites îles. On a<br />

conservé davantage de vestiges de la parure et de la technique d’orne-<br />

mentation ; il a été question plus haut des ustensiles, objets, ornements<br />

et instruments qui étaient faits en terre cuite, pierre et métal. Les pedes<br />

de colliers sont assez nombreuses, la plupart en pierres communes, en<br />

terre cuite et en palte de verre ; avec le temps, on s’est mis à les confec-<br />

tionner dans des matériaux meilleurs, pierres semi-précieuses - surtout<br />

la sardoine et le cristal de roche - et métal - cuivre, argent, plomb et<br />

très rarement or. Des pendentifs en pierres communes, plus tard en<br />

pierres plus précieuses et en métal, étaient très simples de forme. Quel-<br />

quefois les perles, comme les pendentifs, prenaient la forme d’oiseaux<br />

ou de petits vases. Peut-être quelques-unes de ces pendeloques étaient-<br />

elles des amulettes. On ne fabriquait pas beaucoup d’objets en os, mais<br />

quelques-uns sont caractéristiques - comme les épingles avec les<br />

oiseaux et les tubes à décoration géométrique incisée, peut-être destinés<br />

à contenir diverses matières colorantes. Des coquilles d’huîtres servaient<br />

de bijoux, petites boîtes, pendeloques, perles, etc.<br />

Image générale de la vie économique, sociale, politique, religieuse et<br />

individuelle<br />

L’adaptation des nouveaux éléments raciaux qui se sont installés dans<br />

les Cyclades, et leur assimilation progressive à la population clairsemée<br />

qui était sur place depuis l’époque néolithique, ne se sont pas faites au<br />

même rythme et au même degré qu’en Crète. <strong>La</strong> vie économique a dû<br />

évoluer quelque peu différemment. <strong>La</strong> terre n’était pas suffisamment<br />

fertile pour que l’économie agricole se développât de façon systémati-<br />

que : la culture des céréales - d’abord et surtout l’orge -, des légumi-<br />

neuses, des arbres de jardin et fruitiers, est restée limitée. Nous ne


Le Bronze ancien 193<br />

savons pas si on avait commencé à cultiver la vigne, mais on peut pen-<br />

ser qu’elle était au moins aussi développée qu’en Crète et sur les côtes<br />

de l’Attique. I1 en est de même de l’olivier ; quelques ustensiles ont été<br />

caractérisés comme étant des lampes. Il s’avérait nécessaire de se tour-<br />

ner vers la mer, et c’est ce que prouvent les habitats situés sur les côtes<br />

ou à des endroits d’où l’on pouvait surveiller la mer. <strong>La</strong> pêche devait<br />

constituer une importante ressource. Des hameçons et des poids de filets<br />

ont été trouvés en assez grand nombre. Bien des bateaux représentés, ou<br />

dont nous avons les maquettes, doivent avoir été utilisés dans ce but.<br />

II ne s’est évidemment pas développé de grand élevage ; les monta-<br />

gnes, pauvres en végétation, devaient pouvoir nourrir des chèvres, mais<br />

il n’y avait pas de grands pâturages pour d’autres animaux, et surtout<br />

pas des bovins. D’une manière générale, l’économie locale ne pouvait<br />

subvenir aux besoins d’une population qui n’était pas dense, bien sûr,<br />

mais éparpillée dans toutes les îles. I1 fallait chercher des ressources au<br />

dehors, et le commerce - grand commerce ou commerce de transit -<br />

devait jouer dès cette époque un rôle capital. C’est le superflu qui<br />

devait servir de moyen d’échange : les produits manufacturés - ceux<br />

qu’on a vus dans les différentes branches de l’artisanat -, les matières<br />

premières rares en dehors des Cyclades - l’obsidienne, les marbres,<br />

l’émeri, le plomb et l’argent, et peut-être le cuivre au début. Le fait<br />

qu’on ait trouvé ailleurs des objets manufacturés cycladiques et des<br />

noyaux de matériaux des Cyclades, est la preuve de l’existence de ce<br />

commerce d’exportation. Les figurines, surtout, étaient très recherchées,<br />

de même que les ustensiles en marbre, les poignards de bronze et cer-<br />

tains des beaux récipients de terre cuite. 11 ne semble pas probable qu’il<br />

y ait eu des stockages systématiques comme en Crète ou sur le continent<br />

grec ; l’interprétation du kernos en chlorite de Phylakopi comme un<br />

modèle de silo à grains demeure toujours douteuse. <strong>La</strong> spécialisation<br />

artisanale devait être développé au Cycladique Ancien, mais toujours<br />

liée à l’économie domestique et il ne faut pas chercher des ateliers et<br />

des magasins spéciaux, propres à la fabrication et au commerce, puis-<br />

que de telles installations n’existaient même pas en Crète ; seuls les ate-<br />

liers de céramique et les fours devaient être fréquents dans les plus<br />

grands centres, peut-être aussi des installations métallurgiques, comme à<br />

Syros et à Naxos. I1 n’est pas facile d’affirmer qu’il y avait des artisans<br />

itinérants - des marbriers en particulier - comme l’a supposé Patricia<br />

Preziosi ; et le fait que certains produits semblent provenir d’un seul<br />

atelier ne suffit pas. Peut-être certains artisans étaient-ils enterrés avec<br />

leurs outils ou avec des articles de leur production ; cela expliquerait la<br />

découverte de nombreux objets de métal ou de marbre dans des tombes.


194 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Dans les Cyclades, les principaux moyens de transport étaient les<br />

bateaux de toute espèce - de commerce, de pêche, de navigation -,<br />

certains à voiles, d’autres à rames, et la plupart combinant ces deux<br />

moyens. On est surpris de voir que dans les Cyclades, il y ait eu si tôt<br />

des bateaux aussi longs et comportant tant de rames. Ils étaient souvent<br />

représentés sur les ustensiles en forme de a poêles à frire N de la phase<br />

de Syros-Kéros : une proue très haute, presque verticale mais avec une<br />

forte courbure - qui a souvent comme emblème un poisson et un<br />

ruban à franges qui pend -, une coque très longue, légèrement courbe<br />

et souvent décorée de bandes qui aboutissent a une poupe basse, quel-<br />

quefois recourbée au sommet avec, à l’extrémité, un éperon qui sort à<br />

peine de l’eau ; peut-être cela aidait-il les hommes d’équipage à embar-<br />

quer et à débarquer, si l’on en juge d’après l’évolution ultérieure. Les<br />

nombreuses rames étaient représentées par de petites lignes très serrées,<br />

de chaque côté ; dans certains cas, une rame plus grande, à l’arrière,<br />

servait de gouvernail. De tels bateaux devaient pouvoir assurer la<br />

grande navigation et voyager facilement vers l’Égypte et les côtes anato-<br />

liennes et syro-phéniciennes. Des modèles de bateaux en plomb, prove-<br />

nant d’une tombe de Naxos, nous donnent une image encore plus pré-<br />

cise. Ces bateaux pouvaient également s’adonner à la piraterie sur les<br />

côtes voisines ; c’est là pure hypothèse, mais qui ne semble pas invrai-<br />

semblable si l’on se rappelle ce que dit Thucydide des coups portés aux<br />

pirates cycladiques par la flotte de Minos - quoique cela se rapporte à<br />

une époque postérieure. Ces embarcations devaient comporter quelque<br />

armement mais il serait vain de chercher de véritables bateaux de<br />

guerre.<br />

A partir de l’organisation de la vie économique, nous pouvons for-<br />

muler quelques conclusions d’ordre général sur la vie sociale au Cycladi-<br />

que ancien. Très simple au début, elle est devenue complexe, surtout à<br />

cause de la spécialisation artisanale. L’organisation en génos et familles<br />

s’est affaiblie dans les Cyclades plus rapidement qu’en Crète. C’est du<br />

moins ce qu’on déduit de l’organisation des groupes d’individus dans les<br />

agglomérations, mais surtout de l’individualisation des tombes. On ne<br />

trouve pas de tombes communes comme en Crète, même pas dans la<br />

toute première phase. Une économie rurale pauvre ne conduisait pas à<br />

la collaboration de groupes nombreux ni aux alliances familiales ; la<br />

famille, même dans son acception la plus large, était en mesure<br />

d’affronter les difficultés de la vie quotidienne ; le recours à la mer a<br />

été source d’individualisme, aussi longtemps qu’on n’a pas essayé de<br />

former de plus grandes entreprises de navigation ou de commerce. Les<br />

grandes embarcations, toutefois, faisaient peut-être appel à la collabora-


Le Bronze ancien 195<br />

tion de plusieurs familles, ou à des individus de familles différentes. Les<br />

classes sociales - paysans, éleveurs, artisans et ouvriers, pêcheurs, navi-<br />

gateurs, commerçants - devaient être distinctes, mais pas aussi nette-<br />

ment qu’en Crète, et bien des gens devaient appartenir en même temps<br />

à plusieurs catégories sociales. On se demande si l’on peut parler de<br />

classes de guerriers et de prêtres : la défense n’était ni organisée ni con-<br />

fiée à une catégorie spéciale ; la religion non plus n’était pas systémati-<br />

sée à ce point. Du moins il n’existe pas d’éléments qui militent en<br />

faveur d’une telle interprétation. I1 est également très douteux qu’il y ait<br />

déjà eu une classe dirigeante. Peut-être des gens qui avaient réussi dans<br />

le commerce, l’industrie ou quelque autre spécialité, occupaient-ils une<br />

place particulière dans la communauté et exerçaient-ils une sorte de<br />

direction. Les liens de génos, même relâchés, devaient continuer à jouer<br />

un rôle dans le choix de ceux qui étaient les plus capables ou qui, par<br />

la richesse ou l’habileté, avaient acquis un pouvoir particulier.<br />

C’est de cela, sans aucun doute, que dépendait l’organisation poliri-<br />

que, qui devait demeurer simple et élémentaire. Nulle part on n’a<br />

trouvé d’installations qui prouvaient l’existence de toparques ou de<br />

chefs de plus vastes communautés. On ne voit pas de traces d’un quel-<br />

conque mécanisme politique compliqué avec une hiérarchie de dignitai-<br />

res et des agents d’une administration qui s’étendrait sur plusieurs îles<br />

et s’appuierait sur une bureaucratie. L’ensemble d’empreintes de sceaux<br />

de Lerne témoignerait peut-être d’un tel système si on arrivait a prouver<br />

qu’il est de provenance cycladique. Mais alors même on pourrait suppo-<br />

ser qu’il résulte de transactions commerciales organisées, lesquelles, bien<br />

sûr, ne sont pas à exclure. Aujourd’hui encore, des entreprises pour la<br />

pêche des poissons et des éponges dans certaines îles du Dodécanèse, et<br />

ailleurs pour le commerce de transit, s’organisent sans l’intervention de<br />

l’administration politique. Et puisque dans les Cyclades on ne voit pas<br />

d’évolution rapide vers l’organisation de véritables Etats ou royaumes,<br />

comme en Crète, il faut en conclure que l’administration a continué<br />

pendant longtemps à avoir un caractère élémentaire. Aussi n’a-t-elle pas<br />

créé de grands obstacles à l’infiltration commerciale progressive des<br />

puissances qui se trouvaient tout autour comme la Crète, le continent<br />

grec et les Etats de l’Asie antérieure. Les relations commerciales très<br />

intenses ont joué le rôle de relations politiques et ce sont elles qui, plus<br />

tard, ont contribué à l’installation de colons étrangers ; au début, ce<br />

n’était que de simples comptoirs. Au fur et à mesure que les richesses<br />

s’amoncelaient grâce aux progrès commerciaux, il devait naître une cer-<br />

taine tendance à un gouvernement ploutocratique ; mais il ne semble<br />

pas probable qu’il se soit créé avant le Cycladique moyen. Aussi riches


196 LA CiViLlSATiON BGBENNE<br />

que paraissent les mobiliers funéraires de certaines tombes, ils ne pré-<br />

sentent rien qui puisse les caractériser comme appartenant à des chefs<br />

ou à des dignitaires politiques. Dans leur ensemble, ils restaient toujours<br />

simples. Bien sûr, on distingue facilement les tombes des riches de celles<br />

des pauvres par la quantité et la qualité des objets funéraires, mais il<br />

serait difficile de reconnaître une aristocratie par de tels signes exté-<br />

rieurs.<br />

Si les signes matériels sont loin d’être suffisants pour que nous puis-<br />

sions nous faire une idée de la vie religieuse en Crète, dans les Cyclades<br />

- où l’on n’a pour dire pas mis au jour de lieux de culte et où les<br />

agglomérations ont été trouvées détruites dans la plupart des cas - cela<br />

semble plus impossible encore. En effet, le mobilier funéraire est seul à<br />

pouvoir nous renseigner quelque peu sur les croyances religieuses en<br />

relation avec la vie de l’au-delà, et les coutumes funéraires ne sont<br />

qu’un aspect de la religion. 11 serait donc dangereux de tirer des argu-<br />

ments ex silentio. Malgré tout, on pourrait affirmer, presque sans hési-<br />

ter, qu’au début de l’âge du Bronze, les habitants des Cyclades n’étaient<br />

pas très religieux. Les difficultés de la vie devaient absorber toutes leurs<br />

pensées et ils devaient attendre l’intercession des puissances divines plu-<br />

tôt dans les dangers de la mer que pour subvenir aux besoins de leur<br />

pauvre vie sur la terre ferme. De toute façon, ils n’avaient pas grand<br />

chose à attendre de la fertilité de la terre et des animaux domestiques<br />

qu’ils élevaient. Le sentiment de la présence des puissances divines<br />

devait demeurer suffisamment imprécis pour pouvoir être exprimé par<br />

un symbolisme très simple. Quelques symboles, quelques formes sté-<br />

réotypées, assez abstraites, suffisaient. <strong>La</strong> magie s’était beaucoup affai-<br />

blie et ils n’en attendaient pas grand-chose ; on peut en distinguer quel-<br />

ques restes dans certaines amulettes.<br />

Les symboles qu’on utilisait dans les Cyclades ne sont certainement<br />

pas tous religieux, mais nous ne sommes pas capables de les distinguer<br />

dans tout les cas ; le poisson, par exemple, placé à l’extrémité de la<br />

proue ou comme emblème des bateaux cyladiques, n’avait peut-être<br />

qu’une signification métaphorique liée à la mer ; mais il pouvait avoir<br />

acquis un pouvoir de protection. Les petits oiseaux, sur les épingles ou<br />

comme pendeloques, n’étaient peut-être pas de simples ornements ; là<br />

où l’on peut en distinguer l’espèce, ce sont des pigeons et nous savons<br />

quel rôle a joué cet oiseau dans la religion <strong>égéenne</strong> ; un plat en marbre<br />

avec toute une rangée d’oiseaux, provenant de Kéros, devait être utilisé<br />

dans un but cultuel ; sans doute la tendance à donner aux ustensiles une<br />

forme d’oiseau ou comportant des éléments d’oiseau n’était-elle pas<br />

dépourvue d’intention religieuse. Les petites cruches au sommet des


Le Bronze ancien 197<br />

épingles n’auraient peut-être pas de raison d’être si elles ne rappelaient<br />

des offrandes liquides faites à la divinité. Mais là où le symbolisme<br />

apparaît très clairement, c’est sur les ustensiles en forme de (( poêles à<br />

frire », qui sont surtout Caractéristiques de la <strong>civilisation</strong> de Kéros-<br />

Syros. Les étoiles aux branches multiples, au milieu, les spires reliées et<br />

les filets de spires qui ornent la surface, quelquefois remplis de systèmes<br />

de cercles concentriques, et surtout le symbolisme du triangle pubien de<br />

la femme au départ de l’anse, ne peuvent pas ne pas avoir une signifi-<br />

cation religieuse. Peut-être le rituel religieux pourrait-il donner une<br />

interprétation à ces étranges ustensiles qui n’ont pu trouver d’autre<br />

explication plausible - véritables poêles, couvercles ou miroirs qu’on<br />

remplirait d’eau ? II semble que l’une d’elles fut représentée sur une<br />

bande diadème d’argent provenant de Syros, avec des symboles en<br />

forme de roue en étoile, de quadrupèdes et d’êtres ailés en forme<br />

d’oiseaux qui rappellent de près les idoles mycéniennes de terre cuite en<br />

iy. C’est ce qui prouve la signification symbolique et rituelle de ces<br />

(( poêles a frire ». Le triangle pubien, avec les autres éléments de la<br />

fécondité, est rendu sur la plupart des figurines cycladiques, mais aussi<br />

sur quelques ustensiles qui ont pris - certes rarement - la forme d’un<br />

corps de femme, comme un exemplaire, de Naxos peut-être, de la phase<br />

de Pélos-Grotta, sur lequel les protubérances en anses se prolongent,<br />

formant des mains qui tiennent les seins. Parmi les symboles, le cycle<br />

astral est souvent présent : soleil, lune, étoiles, puissances célestes sous<br />

forme d’oiseaux ou d’idoles ailées ; sans doute exprimait-on les puissan-<br />

ces divines terrestres avec les quadrupèdes, et les divinités de la fertilité<br />

pourvues des éléments essentiels de la fécondité féminine. On ne sait<br />

pas encore si les puissances chthoniennes étaient elles aussi symbolisées,<br />

mais cela n’est pas invraisemblable. Du moins les trois sphères de la<br />

présence divine semblent être en relations étroites, puisque très souvent<br />

leurs symboles sont combinés et les principaux objets de culte - usten-<br />

siles, symboles, idoles - se retrouvent dans des tombes. Les doubles<br />

haches plates qui s’y trouvent quelquefois ne suffisent pas à prouver<br />

que ce symbole était aussi essentiel et aussi fréquent qu’en Crète. Peut-<br />

être l’a-t-on accueilli sous l’influence de la Crète, si l’on en juge d’après<br />

les quelques exemples de haches de bronze qui, de par leur fabrication,<br />

n’ont pas pu être de simples outils.<br />

Mais les facteurs essentiels de la religiosité cycladique ont certaine-<br />

ment été les étranges figurines, en marbre pour la plupart. Le type de la<br />

femme nue avec les mains jointes ou croisées sous la poitrine et les jam-<br />

bes tendues vers le bas, est si courant qu’il ne peut pas ne pas avoir<br />

une signification religieuse particulière. Tout d’abord il continue des


198 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

types plus anciens, de l’époque néolithique, ces idoles féminines en mar-<br />

bre qui avaient incontestablement une signification religieuse. Ensuite,<br />

l’expression de la fécondité est très nette et encore soulignée par<br />

d’autres types de femmes enceintes ou courotrophes. <strong>La</strong> rareté des for-<br />

mes masculines ne contredirait pas l’acception religieuse des figurines ;<br />

elles auraient pu représenter des adorants ou constituer des expressions<br />

d’un jeune dieu, comme en Crète. L’existence de grandes figurines de<br />

marbre serait en faveur de l’hypothèse que la déesse de la fécondité elle-<br />

même, protectrice de l’homme en général, était souvent représentée.<br />

Mais, comme l’a montré la Crète, la taille n’a pas grande importance.<br />

<strong>La</strong> distinction entre la divinité et ses adorants ne devait pas être très<br />

nette non plus ; la notion de fécondité, protectrice de la vie et, symboli-<br />

quement, de la vie après la mort, était traduite dans les figurines, sans<br />

que l’on puisse savoir si c’est la divinité elle-même qui est représentée<br />

ou sa puissance incarnée dans I’adorante nue. Nous avons vu que c’est<br />

cette opinion un peu floue qui a dû être retenue pour l’époque néolithi-<br />

que. Les figurines schématisées en violon, et d’autres plutôt informes,<br />

expriment la même conception et on les trouve dans le cycle insulaire,<br />

aussi bien à l’époque néolithique qu’au Bronze Ancien. Les autres expli-<br />

cations qui ont été données, à savoir que ce sont des jouets d’enfants<br />

- des poupées - ou des compagnes pour les hommes - des concubi-<br />

nes - ont été démenties par les faits puisqu’on ne les trouve pas seule-<br />

ment dans des tombes d’enfants ou d’hommes. Et même si on en avait<br />

trouvé beaucoup dans des tombes d’enfants, cela voudrait simplement<br />

dire qu’on croyait que ces êtres délicats, enlevés si tôt à la vie, avaient<br />

davantage besoin des puissances divines si maternelles. I1 est invraisem-<br />

blable que de telles figurines aient accompagné les défunts dans leur<br />

tombe tout simplement parce que c’étaient là des objets qu’ils<br />

aimaient ; mais même s’il en était ainsi, le problème des croyances res-<br />

terait inchangé, car ces figurines ne seraient devenues chères aux adultes<br />

que grâce à leur puissance de protection et, dans ce cas, pour les<br />

enfants elles n’auraient pas été de simples jouets. Les figures en marbre<br />

de musiciens - joueurs de harpe et de flûte - ne devaient pas être là<br />

pour le simple divertissement du défunt ; dans ce cas-là, la coutume de<br />

les fabriquer et de les déposer dans les tombes aurait été beaucoup plus<br />

répandue ; elles devaient symboliser l’enchantement de la musique<br />

rituelle, tel celui de la musique d’Orphée, pour le monde souterrain. <strong>La</strong><br />

figurine qui offre une coupe, celle de la collection Goulandris, apporte<br />

une preuve supplémentaire de la signification religieuse des figurines<br />

cycladiques.<br />

Nous ne savons vraiment rien des lieux de culte : les habitats sont


Le Bronze ancien 199<br />

mal conservés et les habitudes cultuelles n’avaient sûrement pas besoin<br />

d’endroits privilégiés comme les sommets des montagnes, les grottes<br />

naturelles, les sources, etc. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y avait<br />

pas des lieux réservés au culte. A Korphi t’Aroniou (Naxos), Doumas a<br />

mis au jour, sous le rocher, un enclos semi-circulaire en pierres sèches,<br />

comportant une entrée et, plus haut, au sommet, une partie d’une cons-<br />

truction rectangulaire ; il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un sanctuaire,<br />

puisque c’est de là que vient une série de plaques irrégulières avec des<br />

représentations assez primitives de quadrupèdes - bovins et cerfs - et<br />

d’hommes qui accompagnent les animaux ou luttent avec eux, et font<br />

des gestes. Malheureusement, ces plaques n’ont pas été trouvées à leur<br />

place originelle, elles avaient été remployées dans les murs de pierres<br />

sèches plus récents, des contreforts pour la plupart. Nous ne pouvons<br />

donc pas être sûrs de leur signification ; avaient-elles des rapports avec<br />

le cuite ou bien ont-elles été fabriquées dans leurs moments de loisir par<br />

les gens qui habitaient provisoirement et de façon primitive autour du<br />

sommet ? Les broyeurs de pierre, les meules et les tas de coquillages ne<br />

résolvent pas le problème, car on en trouve aussi bien dans les sanctuai-<br />

res que dans les habitats. Les scènes qui sont reproduites ont été inter-<br />

prétées comme des scènes de chasse et des transports d’animaux et<br />

d’hommes sur des bateaux ; on a vu, dans une représentation d’hommes<br />

faisant des gestes, une danse. Mais la nature des représentations ne peut<br />

pas être fixée de façon plus précise puisque les occupations dans les<br />

champs ou sur la mer pouvaient se dérouler sous la protection de la<br />

divinité, et la danse être un acte rituel. Dans une autre région de<br />

Naxos, la même méthode avait été utilisée pour représenter des serpents<br />

sur des plaques. Graziosi a donné une interprétation religieuse à des<br />

représentations analogues d’Afrique du Nord. Peut-être serait4 plus<br />

juste de donner à de telles représentations une signification magico-<br />

religieuse, et c’est d’ailleurs ce qu’admet celui qui les a trouvées. Les<br />

tessons de vases et les représentations de bateaux dont les types sont<br />

connus par les ustensiles cycladiques militent en faveur du classement<br />

chronologique de ces plaques dans le Cycladique ancien.<br />

C’est de Naxos égaiement que proviennent la plupart des plaques por-<br />

tant des spires incisées et des cavités disposées en spires, qui ont été<br />

caractérisées par beaucoup de gens comme des kernoi destinés aux<br />

offrandes de panspermia. D’assez nombreux kernoi de ce type sont<br />

connus en Crète, disposés en spires, en méandres, en cercles, etc., mais<br />

tous sont d’époque ultérieure.<br />

En ce qui concerne le rituel religieux, on ne pourra pas dire grand-<br />

chose, quoiqu’il ne soit pas difficile, dans certains cas, de voir à quoi


200 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

servaient les ustensiles en rapport avec lui. On a déjà parlé des kernoi<br />

et décrit certains types ; ils étaient destinés à des offrandes multiples, de<br />

liquides et de solides. Si les kernoi pour les offrandes de panspermia<br />

avaient le même usage qu’en Crète, les cavités auraient été employées<br />

pour mettre des spécimens représentatifs des diverses productions. Dans<br />

les ustensiles qui avaient la forme d’une déesse de la fécondité, il est<br />

normal d’admettre qu’on faisait des offrandes de lait, si on leur com-<br />

pare les formes plastiques maternelles des rhytons crétois. Si la figurine<br />

assise à la coupe de la collection Goulandris représente une divinité, on<br />

a là un parallèle aux offrandes faites à la divinité ou à la prêtresse qui<br />

la représente, et qui ont été figurées plus tard sur les fresques minoen-<br />

nes et sur les bagues en or créto-mycéniennes. On peut considérer<br />

comme certain qu’il y avait aussi des ustensiles d’un type particulier,<br />

destinés aux offrandes rituelles, à l’encens, à l’éclairage des sanctuaires,<br />

etc. Ce qui est difficile, c’est de distinguer ces ustensiles, à moins qu’on<br />

ne soit aidé par des éléments annexes, comme dans le cas du plat avec<br />

les petits oiseaux. On a déjà parlé de la musique rituelle lorsqu’il a été<br />

question des figurines de musiciens, et de la danse religieuse relative-<br />

ment aux représentations sur plaques. On préjugerait mal des façons de<br />

prier et de supplier à partir des figurines cycladiques ; le croisement des<br />

bras sur la poitrine pourrait avoir une signification autre que celle de la<br />

concentration respectueuse, et au tout début du Cycladique nous<br />

n’avons pas de figurines plastiques aux bras tendus vers l’avant ou vers<br />

le haut, ou d’autres qui portent la main au front comme en Crète.<br />

Nous ne sommes pas en position de savoir s’il faut donner une signi-<br />

fication religieuse aux vases plastiques comme celui de l’ours qui tient<br />

devant lui un baquet. Un potier pourrait l’avoir fabriqué dans un esprit<br />

humoristique. Mais l’ustensile pourrait avoir été destiné à offrir du miel<br />

à la divinité.<br />

I1 n’est pas facile de distinguer les coutumes funéraires en rapport<br />

avec les croyances religieuses. I1 y avait sûrement, dans les Cyclades,<br />

des conceptions analogues à celles qu’on trouve dans le reste du monde<br />

égéen, et c’est à elles qu’on doit la coutume du mobilier funéraire, des<br />

offrandes et du dépôt des figurines pour assurer la protection des puis-<br />

sances divines. Mais puisqu’il a été question de l’architecture funéraire,<br />

des différents cimetières, du genre de mobilier funéraire, des mesures de<br />

protection des morts, il n’est pas nécessaire de décrire ici en détail les<br />

coutumes funéraires, d’autant plus que la plupart d’entre elles n’ont<br />

laissé aucune trace ou seulement des traces imprécises.<br />

De la vie privée des habitants du Cycladique ancien, nous ne pouvons<br />

deviner que les lignes et les directions générales, utilisant moins les don-


Le Bronze ancien 20 1<br />

nées que nous ont fournies les recherches dans les habitats que celles<br />

qui découlent de l’étude du mobilier funéraire. En général, les maisons<br />

étaient petites et incommodes, les espaces libres devant et autour, limi-<br />

tés. L’existence quotidienne, avec tous ses soucis, ne devait pas être très<br />

agréable et aurait été assez monotone s’il n’y avait pas eu la vie en<br />

plein air - nous avons vu les scènes de chasse sur les plaques de Kor-<br />

phi t’Aroniou - et la présence de la mer, avec ses côtes et les bateaux<br />

qui permettaient de voyager facilement. Tout cela, qui contribuait gran-<br />

dement à assurer l’existence, offrait en même temps une distraction. <strong>La</strong><br />

vie religieuse aussi, avec ses rites variés, donnait des occasions de se<br />

divertir, qui s’accompagnaient de chants, de musique et de danses ; les<br />

célébrations les plus officielles devaient être des spectacles dont les<br />

détails nous sont inconnus. Au fur et à mesure que se développait la<br />

société, on devait s’occuper davantage de son apparence extérieure. Les<br />

vêtements ne devaient pas uniquement protéger du froid et de la cha-<br />

leur, ils devaient aussi être de bon goût. Mais dans ce domaine nous<br />

sommes très mal renseignés par le fait que les représentations qui nous<br />

auraient montré des hommes dans leur vie de tous les jours sont très<br />

rares et que les figurines, dans leur ensemble, sont représentées nues.<br />

Les quelques exceptions - figurines masculines pour la plupart - ne<br />

peuvent combler le vide ; nous avons noté celles qui portaient des<br />

pagnes, des cache-sexe, une bande oblique sur la poitrine, et qui ne sont<br />

pas très différentes des figurines crétoises. Nous ne sommes pas mieux<br />

informés sur la coiffure ni sur les chaussures. <strong>La</strong> tête et les pieds nus<br />

devaient sûrement être plus fréquents qu’en Crète. Cependant, on pour-<br />

rait s’attendre à ce que la tête ait été protégée par un chapeau de paille<br />

et les pieds par des sandales légères ou des guêtres. Et pour protéger<br />

davantage le corps, il devait y avoir des manteaux, paletots ou capes,<br />

comparables à la cape que porte l’ours du vase plastique de Chalan-<br />

driani .<br />

Quant aux bijoux de matières diverses, ornements pour la tête, le<br />

cou, les vêtements, les mains et peut-être même les pieds, nous en avons<br />

parlé dans le développement des diverses branches de l’artisanat. A par-<br />

tir de divers objets - comme les palettes et les broyeurs de couleurs,<br />

les tuyaux à couleurs en os, les boîtes à fards -, il est clair qu’on utili-<br />

sait la couleur pour compléter la parure. L’adjonction de grains de<br />

beauté, confirmée par les figurines de marbre qui ont conservé une par-<br />

tie de leur coloration, était un reste d’une coutume très ancienne, celle<br />

du tatouage. Toutefois, nous n’avons pas d’indices d’un marquage plus<br />

stable qui se serait fait par piqûres. Les sceaux qui auraient servi à<br />

estamper le corps, divers objets, et l’argile - si courants en Crète, et


202 LA CIVILISATION ÉCÉENNE<br />

un peu moins sur le continent grec - sont très rares dans les Cyclades.<br />

II semble donc peu probable que les empreintes de sceaux de Lerne<br />

aient appartenu à des objets venus des Cyclades et scellés par des mar-<br />

chands locaux.<br />

Les informations, plutôt pauvres, que nous possédons sur la vie au<br />

Cycladique ancien donnent une idée de l’évolution générale de la civili-<br />

sation dans ses premiers stades, mais elles ne suffisent pas pour que<br />

nous puissions avoir une vue d’ensemble de l’évolution historique à une<br />

époque qui, pour nous, reste dépourvue d’événements. L’installation de<br />

nouveaux éléments raciaux qui apportaient les changements de base de<br />

la <strong>civilisation</strong>, a dû être l’événement fondamental ; on pourrait la con-<br />

trôler plus précisément à partir des données anthropologiques qui pro-<br />

viennent de mesures et de remarques sur ies crânes et autres parties des<br />

squelettes, et aussi à partir des ressemblances dans les faits de civilisa-<br />

tion avec les régions d’où partirent les émigrations. Malheureusement,<br />

les informations dans ce domaine sont rares, mais depuis peu elles se<br />

multiplient. Sur la côte d’Asie Mineure on a remarqué d’étroites ressem-<br />

blances dans la céramique, la construction des tombes, le développe-<br />

ment de la métallurgie, etc., comme par exemple à Troie, à Yortan, à<br />

Jasos en Carie. Mais dans ces régions, la tradition ancienne croyait que<br />

c’étaient les Lelèges - ce nom leur a été donné d’après leur langue<br />

étrange qui ressemblait à un claquement de lek-lek comme celui des<br />

cigognes - qui s’étaient installés, dont les éléments avaient constitué le<br />

plus ancien peuplement des Cyclades. On pourrait comparer les squelet-<br />

tes des deux régions, mais jusqu’à présent les études dans ce domaine<br />

ont été très limitées et non concluantes. Un autre élément serait l’étude<br />

comparative des toponymes préhistoriques des deux régions qui se<br />

reconnaissent par leurs terminaisons en -ûos, -dos, -vûos et +do


Le Bronze ancien 203<br />

Miffenium B.C. II y a souligné à ce sujet l’importance de la piraterie et<br />

l’insécurité relative dans l’Égée, et surtout dans les Cyclades. Les habi-<br />

tats côtiers des Cyclades devaient souffrir, et pas peu, d’incursions subi-<br />

tes dont nous ignorons l’étendue et l’importance, justement à cause de<br />

leur soudaineté. Mais il est très probable que les Cyclades ont constitué<br />

des repaires de pirates, moins importants plus tard - sans qu’ils dispa-<br />

raissent jamais totalement - grâce à l’action de la flotte crétoise,<br />

comme l’a admis, en accord avec les traditions anciennes, l’historien<br />

Thucydide. D’une manière générale, il faut reconnaître : une phase ini-<br />

tiale au cours de laquelle les premières installations se sont faites pacifi-<br />

quement, par des infiltrations ; puis une période d’assimilation ; une<br />

deuxième phase au début de laquelle il y a eu un renforcement des cou-<br />

rants d’émigration, l’élément local néolithique se trouvant complètement<br />

absorbé ; la forme de la <strong>civilisation</strong> est alors rajeunie par une nouvelle<br />

adaptation à la vie. Dans la phase finale, il y a eu encore de plus gran-<br />

des fermentations avec l’infiltration commerciale crétoise et continen-<br />

taie, mais peut-être aussi grâce à une installation plus systématique de<br />

groupes humains étrangers, aussi bien des marchands crétois que des<br />

premiers éléments de nouveaux émigrants, venus du Nord, peut-être à<br />

caractère indo-européen. Mais ce cadre historique reste très général,<br />

indéfini et hypothétique pour une grande part, au point où se trouve<br />

aujourd’hui la recherche.


CHAPITRE III<br />

LE BRONZE ANCIEN EN GRÈCE<br />

(Helladique ancien)<br />

On a caractérisé la <strong>civilisation</strong> qui s’est développée au début de l’âge<br />

du Bronze, en Grèce continentale, de <strong>civilisation</strong> protohelladique, même<br />

si le terme d’Helladique aurait pu englober également les îles et la<br />

Crète ; mais pour ces dernières une terminologie avait été mise au point<br />

de sorte que cette définition ne peut s’appliquer qu’au continent ; au<br />

début on n’a pas séparé le Nord du Sud, parce qu’on pensait que I’évo-<br />

lution avait été à peu près la même sur tout le continent grec. Mais<br />

maintenant il apparaît clairement que cela ne correspond pas à la réa-<br />

lité : dans le Nord, la <strong>civilisation</strong> a longtemps gardé un caractère sub-<br />

néolithique avec des traits propres et, à l’époque suivante, l’infiltration<br />

créto-mycénienne a été très faible. I1 ne serait pas utile de créer un<br />

terme particulier pour la <strong>civilisation</strong> du Nord - celle qui s’étend sur<br />

l’Épire, la Thessalie, la Macédoine et la Thrace -, le terme d’Helladi-<br />

que ne pouvant se limiter seulement à la partie sud du pays. I1 paraît<br />

donc préférable de voir séparément la <strong>civilisation</strong> helladique du Sud et<br />

celte du Nord, et de diviser chacune d’elle en grandes périodes : Hella-<br />

dique ancien, moyen et récent. Naturellement, il y a des régions inter-<br />

médiaires qui se caractérisent par des formes mixtes, et d’autres qui se<br />

partagent, quoique géographiquement unies, entre le Nord et le Sud.<br />

Mais ces régions-là, il est préférable de les traiter séparément.<br />

Dans le sud du continent grec, on remarque, à peu près à la même<br />

époque qu’en Crète et dans les Cyclades, le réveil et le renouvellement<br />

de la <strong>civilisation</strong> par de nouvelles créations, au début de l’époque où,<br />

pour la première fois, le métal - surtout le cuivre - commence à se<br />

propager assez généralement, et la métallurgie à suivre son évolution<br />

propre. II est donc normal que les changements dans la technique et<br />

dans le mode de vie suivent, en gros, les mêmes directions. L’évolution<br />

n’aurait pu se faire sans des échanges d’influences entre les trois régions


206 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

principales et sans relations avec le Nord, l’Anatolie et le Sud. Les<br />

contacts avec l’Ouest se sont un peu relâchés et touchent davantage la<br />

partie occidentale du continent grec.<br />

I. GRÈCE DU SUD<br />

Architecture domestique et architecture funéraire<br />

Dans la première phase - à laquelle certains donnent le nom<br />

d’Eutrésis -, les constructions étaient, à ce qu’il semble, très simples,<br />

comprenant une pièce principale et une autre qui servait de vestibule ; à<br />

Eutrésis (Béotie), on a mis au jour la maison la plus caractéristique,<br />

ainsi que d’autres, incomplètes. Dans une autre bourgade, à Vouliagméni<br />

de Pérachora, un fragment d’enceinte a été conservé ; il a été plus<br />

tard remplacé par un rempart revêtu de pierres sur ses deux faces. A<br />

Eutrésis, une construction circulaire simple était peut-être un sanctuaire,<br />

si l’on en juge par le fait qu’elle comportait, en son centre, une sorte<br />

de bothros en forme de puits, qu’on a baptisé<br />

chasma ».<br />

Dans la deuxième phase - plus connue sous les noms de Korakou et<br />

de Lerne -, les habitats ont grandi et se sont systématisés. Ils nous<br />

sont beaucoup mieux connus, à la fois en Grèce continentale de l’Est et<br />

dans le Péloponnèse. A Eutrésis, nous suivons l’évolution des construc-<br />

tions par la stratigraphie. On y a découvert une série de maisons iso-<br />

lées, séparées par d’étroites ruelles et bordées par des espaces libres et<br />

nivelés, destinés à la vie en plein air. Les maisons sont beaucoup mieux<br />

construites, même si leur pian reste très simple. L’une d’elles est consti-<br />

tuée de deux pièces de largeur inégale, la première étant une continua-<br />

tion du vestibule. Le foyer bas, semi-circulaire - une sorte de cheminée<br />

- et deux ou trois bothroi répondaient aux besoins domestiques les<br />

plus élémentaires. Certains auteurs ont soutenu que l’un des édifices -<br />

Maison L - servait de sanctuaire, parce qu’il se dressait près d’une<br />

grande cavité conique qui se trouvait à peu près au même endroit que le<br />

a chasma )) du bâtiment circulaire antérieur. Tout récemment, un habi-<br />

tat a été mis au jour à Litharés, sur le lac Yliki, en Béotie ; il est cons-<br />

titué de rangées de maisons très simples, accolées, les rangées étant<br />

séparées par d’étroites ruelles. Des vestiges d’habitats ont égaiement été<br />

découverts à Kirrha en Phocide, et à Orchomène en Béotie ; dans ce


Le Bronze ancien 207<br />

dernier, il y avait des constructions intéressantes, toutes rondes, évidem-<br />

ment des cabanes, sur des murs de fondation en pierre.<br />

En Attique, davantage de bourgades nous sont connues : à Haghios<br />

Kosmas - le cap Kolias des Grecs anciens -, à Askitario de Raphina<br />

et dans l’île d’Égine. A Haghios Kosmas, l’habitat se trouve sur une<br />

petite langue de terre qui s’avance dans la mer ; les maisons - qui sont<br />

accolées - sont constituées de deux à quatre pièces communicantes ; de<br />

petites cours donnent sur des ruelles étroites, souvent dallées ou couver-<br />

tes de galets. Les maisons devaient avoir un toit plat, légèrement en<br />

pente pour évacuer les eaux de pluie. Des foyers, des bothroi et des<br />

banquettes, répondaient aux besoins. A la fin de la phase, l’habitat a<br />

été détruit de façon violente, par un incendie. L’habitat de Raphina n’a<br />

pas été entièrement fouillé ; il se trouve sur une hauteur, en bordure du<br />

golfe d’Eubée, et une partie a été entraînée dans la mer. II avait,<br />

semble-t-il, le même aspect serré que celui d’Haghios Kosmas, à cette<br />

différence près qu’il présentait une sorte de fortification. A Égine, le<br />

bourg, orienté au Sud, était une véritable ville, fortifiée elle aussi, sur le<br />

cap Kolona. Malheureusement, seule une petite partie en a été fouillée<br />

et il n’y a pas eu de publication systématique. Quant à l’habitat de Dra-<br />

mési - l’antique Hyria, sur le golfe d’Eubée -, nous ne le connaissons<br />

que par la céramique. Mais en face, sur la côte d’Eubée, sur le cap<br />

Manika, au Nord de Chalcis, l’habitat constituait une véritable ville qui<br />

était fortifiée. On y note un caractère plutôt cycladique, comme d’ail-<br />

leurs celui d’Haghios Kosmas.<br />

Dans le Péloponnèse, les habitats étaient plus nombreux et, la plupart<br />

du temps, vastes - surtout en Corinthie et en Argolide. Mais nous ne<br />

savons pas bien la forme qu’avaient prise la plupart d’entre eux -<br />

Corinthe, Gonia, Phlionte, Némée, Cléonai. Nous sont beaucoup mieux<br />

connus, parce qu’explorés de façon systématique, les habitats d’Éphyre-<br />

Korakou, Zygouriès, Asiné et Lerne. Ils sont constitués de blocs com-<br />

pacts de maisons situés sur les collines basses, en des points favorables.<br />

Des ruelles étroites, pas toujours droites, passent entre les maisons qui,<br />

bien que faites de pièces rectangulaires, ont rarement un plan régulier.<br />

On essaie pourtant, cela est visible, que la pièce principale soit plus spa-<br />

cieuse et plus régulière ; il n’est pas rare qu’elle ait un foyer au centre.<br />

Des pièces secondaires avaient été ajoutées, surtout sur le long côté des<br />

maisons. I1 est possible que des supports en bois aient soutenu le toit<br />

plat, légèrement penté. Quelques maisons donnaient sur des avant-cours,<br />

mais leur orientation dépendait surtout de la position de la maison dans<br />

le groupe. Il ne semble pas qu’il y ait eu des pièces réservées au<br />

stockage.


208 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />

A Lerne l’habitat était construit sur une petite hauteur, près d’une<br />

source. Des études stratigraphiques ont permis de distinguer les villes<br />

successives, et par conséquent les bâtiments appartenant à la deuxième<br />

phase. L’installation s’est faite après nivellement - les vestiges de la<br />

première phase ont peut-être disparu à ce moment-là - et mise en<br />

sûreté par la construction d’un mur d’enceinte. Celui-ci était double,<br />

avec des compartiments entre les deux parois et des tours semi-<br />

circulaires qui avançaient en saillie par endroits et comportaient une<br />

petite pièce pour les gardes ; les tours étaient faites d’assises de lourdes<br />

pierres, posées obliquement et dont la direction changeait d’une assise à<br />

l’autre - comme des arêtes de poisson ; on retrouve d’ailleurs cette<br />

technique dans les maisons. Les bâtiments étaient relativement grands.<br />

L’un d’eux - au centre -, très grand, est connu comme la (( Maison<br />

des Tuiles ». <strong>La</strong> construction serrée, en blocs, n’était pas très courante<br />

ici. Ces bâtiments avaient été sans cesse détruits et reconstruits. <strong>La</strong><br />

G Maison des Tuiles )) - qui doit son nom aux innombrables tuiles du<br />

toit penté tombées à l’intérieur - est la plus importante de toutes les<br />

constructions de I’Helladique ancien. De plan rectangulaire, avec de<br />

gros murs extérieurs, elle mesurait 12 x 25 mètres et était constituée de<br />

trois pièces principales, trois vestibules, deux ou trois petites pièces ser-<br />

vant de magasins et deux couloirs latéraux abritant des escaliers - dont<br />

les marches étaient en bois - menant à l’étage. L’entrée principale était<br />

à l’est, mais il y avait une entrée secondaire sur chacune des faces. Les<br />

murs, même les murs extérieurs, étaient en brique crue, protégés par des<br />

enduits compacts, et bâtis sur de hautes fondations en pierre. L’enca-<br />

drement des portes était en bois, et de grosses poutres se croisaient,<br />

semble-t-il, à l’intérieur des murs. Bien des hypothèses ont été émises<br />

quant à la destination du bâtiment ; certaines reposent sur les nombreu-<br />

ses empreintes sur argile trouvées à l’intérieur et sur les banquettes exté-<br />

rieures qui sont peut-être la preuve de rassemblements en plein air. Ces<br />

banquettes pouvaient être protégées par le toit à double pente qui<br />

dépassait. Ce bâtiment, comme les autres de la fin de la deuxième<br />

phase, a été détruit par un grand incendie. Rappelons à ce propos que<br />

ce phénomène se remarque dans les bâtiments de la plupart des bourga-<br />

des de la deuxième phase, tandis que d’autres habitats semblent simple-<br />

ment avoir été abandonnés.<br />

Sur l’acropole de Tirynthe, il s’est révélé impossible de mener des<br />

recherches sous le palais mycénien. Toutefois, on a découvert l’existence<br />

d’un immense bâtiment circulaire, d’environ 29 mètres de diamètre,<br />

dont l’épaisseur du mur extérieur est triple de celle du mur de la (( Mai-<br />

son des Tuiles ». Le cercle extérieur semble être formé de petites rampes


Le Bronze ancien 209<br />

à degrés, mais il y avait un deuxième et un troisième anneau intérieurs.<br />

Nous n’en connaissons ni le plan général - était41 à voûte ou simple-<br />

ment cylindrique ? ou bien était-ce une tour à escalier extérieur ? - ni<br />

la destination. Certains ont pensé qu’il devait s’agir d’un silo, analogue<br />

aux (( hypogées )) de Cnossos.<br />

Les vestiges d’Helladique ancien de <strong>La</strong>conie n’ont pas été explorés de<br />

façon systématique, mais la céramique montre que quelques-uns d’entre<br />

eux, au moins, remontent à la deuxième phase. Nous savons davantage<br />

de l’habitat d’Haghiogeorgitika, situé à la frontière de l’Argolide et des<br />

plateaux d’Arcadie ; mais les bâtiments ne nous sont pas bien connus.<br />

Nous sommes mieux renseignés sur les bâtiments du Péloponnèse occi-<br />

dental, tels que ceux de Malthi, sur les hauteurs qui descendent vers la<br />

Messénie, et ceux de la région d’Akovitika, tout près de Kalamata. A<br />

Malthi - fouillée largement par les Suédois -, l’habitat protohelladi-<br />

que a totalement changé lors de l’installation mésohelladique. L’établis-<br />

sement était situé sur une colline rocheuse qui contrôlait d’importants<br />

passages. I1 n’y a pas eu de nivellement et les maisons, construites sur<br />

un terrain rude, ont particulièrement souffert de l’érosion. Les bâti-<br />

ments ont été trouvés disloqués, mais il semble que le système suivi était<br />

celui de la construction serrée, avec des blocs de maisons irréguliers.<br />

Quelques sections d’un mur de fortification remontent à cette époque. I1<br />

semble que l’un des bâtiments se terminant en abside à l’une des extré-<br />

mités appartienne à la fin de la deuxième phase ; cela confirmerait la<br />

datation du bâtiment à abside de Thèbes dont il sera question ci-<br />

dessous.<br />

Les bâtiments de l’habitat d’Akovitika, récemment exploré par des<br />

archéologues grecs, se trouvent presque dans l’eau d’un affluent du<br />

Nédon. Ils offrent des types très semblables à ceux de Lerne, en forme<br />

de mégaron avec des couloirs latéraux et des petites pièces-magasins, des<br />

murs de brique crue sur des fondations de pierre, mais pas aussi fortes<br />

ni aussi bien construites. Des plaques de schiste proviennent sûrement<br />

du toit ; des petites marches de pierre constituaient peut-être le début<br />

d’un escalier en bois. Quelques parois étaient soutenues par un mur<br />

extérieur, peut-être un contrefort. L’un des bâtiments, qui n’a pas été<br />

conservé en entier, dépassait peut-être, en longueur (36 mètres en tout),<br />

la (( Maison des Tuiles )) de Lerne et avait à peu près la même largeur<br />

(12 mètres). Les ressemblances avec des habitats d’Argolide semblent<br />

montrer des relations directes entre les deux. I1 est plus difficile de<br />

savoir positivement si ce type de maison avait une parenté avec les<br />

mégara de la deuxième ville de Troie ; ces derniers s’appuient sur un


210 LA ClVILlSATlON ÉGÉENNE<br />

principe de base différent et ne présentent pas de couloirs latéraux avec<br />

des petits compartiments.<br />

Dans la zone côtière d’Achaïe et d’Élide, les vestiges sont très pauvres<br />

et nous ne savons presque rien de la forme des bâtiments dans les pre-<br />

mières phases de I’Helladique.<br />

Dans la troisième phase - caractérisée par certains comme phase de<br />

Tirynthe - bien des bourgs ont été rajeunis et de nouveaux ont été<br />

construits ; mais, dans l’ensemble, l’habitat du sud du continent grec ne<br />

semble pas avoir été aussi dense que dans la phase précédente. Beau-<br />

coup de sites ne nous sont connus que par des vestiges en surface. <strong>La</strong><br />

<strong>civilisation</strong> semble varier plus d’une région à l’autre que dans les phases<br />

précédentes. Mais on n’a pas trouvé de restes architecturaux quelque<br />

peu intéressants dans toutes les régions. A Eutrésis, en Béotie, les bâti-<br />

ments continuent à être isolés et beaucoup adoptent encore le type<br />

mégaroïde, souvent plus oblong et un peu évolué - avec, par exemple,<br />

un support centrai en brique crue en forme de colonne. A Orchomène,<br />

des maisons avec l’une des extrémités terminée en abside succèdent aux<br />

maisons circulaires ; il est clair que c’est ce type qui est maintenant le<br />

type principal. Mais un bâtiment très grand, à abside, avec des murs de<br />

fondations épais et bien construits, est apparu - en partie seulement -<br />

sous le palais de Cadmos à Thèbes ; il a dû être construit, si l’on en<br />

juge par la céramique et les outils de bronze qui y ont été trouvés, à la<br />

fin de la période précédente, mais continuait à exister dans la troisième<br />

phase. L’abside était séparée de la pièce principale par un mur.<br />

En Attique, l’habitat d’Haghios Kosmas ne semble plus avoir été<br />

habité - quoi qu’en dise le fouilleur - puisqu’il a été complètement<br />

détruit par un incendie à la fin de la phase précédente. Au contraire, le<br />

grand habitat d’Égine existe encore ; mais il serait très difficile de dis-<br />

tinguer les maisons qui ont été construites pour la première fois dans<br />

cette phase. Nous connaissons mieux l’architecture et la construction en<br />

Attique et en Eubée, grâce à l’habitat de Lefkandi, situé entre Chalcis<br />

et Érétrie. Les bâtiments datent du début de la phase, comme le prouve<br />

la céramique ; mais ils ne sont pas très caractéristiques.<br />

Nous sommes mieux renseignés sur l’architecture du Péloponnèse<br />

dans la troisième phase, grâce à l’habitat de Lerne où il est clair qu’il y<br />

eut une nouvelle installation. Les nouveaux habitants ont formé, au-<br />

dessus de la


Le Bronze ancien 21 1<br />

le foyer, et un vestibule ouvert ; l’abside servait d’appentis. Deux sup-<br />

ports en bois, dans le vestibule, constituaient une sorte de propylon.<br />

Plusieurs maisons se sont succédé au même endroit, et elles étaient pres-<br />

que toutes de même type. I1 n’y a pas eu de fortification systématique<br />

et l’ancien mur d’enceinte a été abandonné. <strong>La</strong> fin de l’habitat n’est pas<br />

due à une catastrophe, mais à de nouvelles installations.<br />

A Asiné et à Zygouriès, les bâtiments de la troisième phase ont dis-<br />

paru à cause de l’érosion. Corinthe a été désertée. A Tirynthe nous<br />

avons une abondante céramique, mais on distingue difficilement les ves-<br />

tiges de la troisième phase sous le palais mycénien.<br />

En <strong>La</strong>conie, en Arcadie et dans le Péloponnèse occidental - y com-<br />

pris la côte du golfe de Corinthe -, les vestiges architecturaux de la<br />

troisième phase sont pauvres et douteux. A Malthi, des bâtiments à<br />

abside appartenaient sans aucun doute à cette phase ; ils ont été suivis,<br />

à une époque postérieure, de bâtiments semblables, et il est difficile de<br />

distinguer les uns et les autres. A Olympie, lors de la construction du<br />

nouveau musée, on a mis au jour un foyer circulaire dallé, entouré d’un<br />

anneau de pierres, mais on ne sait pas s’il faisait partie d’une maison<br />

de cette phase ou si c’était un foyer en plein air à destination religieuse.<br />

Quant à l’architecture funéraire, les éléments dont nous disposons<br />

sont fort peu nombreux, et pas toujours clairs. Nous ne connaissons<br />

presque pas de tombes remontant à la première phase. Pour les deux<br />

phases suivantes, nous avons des éléments sur les cimetières et le type<br />

des tombes. A Kirrha, en Phocide, on a trouvé une sépulture d’enfant<br />

dans une jarre. En Béotie, à Thébes, il y a des exemples de sépultures<br />

sous le sol des maisons, et ce sont des sépultures d’adultes. A Litharés,<br />

sur le lac Yliki, le cimetière correspondant à l’habitat était constitué de<br />

très petites tombes circulaires ou irrégulières, taillées dans le roc, avec<br />

une entrée élémentaire. En Attique, les cimetières les mieux connus sont<br />

ceux d’Haghios Kosmas et de Marathon. Dans le premier, les tombes<br />

sont de type cycladique, faites de dalles verticales, ou des petites tombes<br />

construites, avec fausse voûte et entrée symbolique. Dans la région de<br />

Marathon, au lieu-dit Tsépi, on a mis au jour un important cimetière<br />

comprenant au moins cinq rangées de tombes séparées par d’étroits pas-<br />

sages. Elles étaient faites de petites dalles dressées, couvertes d’autres<br />

plaques plus grandes ; chacune d’elle présentait une entrée élémentaire,<br />

fermée par une fine dalle verticale ; elles remontent au début de la<br />

deuxième phase et sont la preuve évidente d’une influence cycladique,<br />

aussi bien dans la forme des tombes que dans le mobilier funéraire. Sur<br />

la côte en face, en Eubée, le cimetière de l’établissement de Manika<br />

était constitué, en grande partie, de tombes comprenant une petite


6<br />

Fig. 6. - Formes de vases de la période du Bronze ancien :<br />

a-d, Egéen de l’Est (troyen) ;<br />

e-I, Helladique, phases 1-11 ;<br />

m-o. Helladique. phase III.


Le Bronze ancien 213<br />

chambre taillée, régulière ou non, accessible par une tranchée verticale ;<br />

la plupart d’entre elles sont de la troisième phase. On ne sait toujours<br />

pas la forme de la tombe d’où proviendraient les deux vases en or de<br />

type protocycladique du musée Bénaki. Quelques savants les considèrent<br />

comme néolithiques.<br />

Dans le Péloponnèse, les formes des tombes sont variées : une tombe<br />

taillée de Corinthe, à deux chambres accessibles par une tranchée verti-<br />

cale commune, date de la deuxième phase. Elle rappelle une tombe tail-<br />

lée subnéolithique qui a été trouvée à l’Agora d’Athènes. Ces tombes ne<br />

sont pas sans rapport avec les tombes taillées cycladiques de la troisième<br />

phase, comme celles de Phylakopi. Les tombes du cimetière de Zygou-<br />

riès sont moins profondément creusées ; chacune d’elles est souvent des-<br />

tinée à plusieurs défunts, peut-être appartenant à la même famille. Mais<br />

dans d’autres régions d’Argolide et de <strong>La</strong>conie - comme à Haghios<br />

Stéphanos - il était fréquent, même dans la deuxième phase, d’enterrer<br />

les enfants et les adultes sous le sol des maisons, comme nous l’avons<br />

vu en Béotie ; pour les enfants la sépulture en jarre n’était pas rare non<br />

plus. A Haghios Stéphanos, on a découvert des tombes en forme de<br />

ciste, sans aucun doute d’influence cycladique. Les quelques tombes qui<br />

ont été trouvées à Malthi, en Messénie, ne sont pas attribuées de façon<br />

certaine à I’Helladique ancien. Nous savons très peu de chose de<br />

l’architecture funéraire du Péloponnèse occidental. Une tombe à ciste<br />

avec des dalles, qui a été trouvée en Élide semble très ancienne. Les<br />

deux vases qui étaient à l’intérieur la dateraient de la première phase.<br />

<strong>La</strong> céramique<br />

Même si dans le sud du continent grec les styles céramiques qui fleu-<br />

rissaient à 1’Helladique ancien étaient variés et différents de ceux des<br />

autres régions de l’Égée, on peut voir une certaine correspondance dans<br />

leur évolution. Dans la première phase - la phase d’Eutrésis - comme<br />

cela a été prouvé à Eutrésis d’abord, puis dans bien des centres contem-<br />

porains, la céramique a un caractère fortement subnéolithique avec ses<br />

ustensiles vernis rouge, brillants, mais dont le vernis est plus clair, et en<br />

même temps des vases plus grossiers, d’usage courant ; la cruche, le<br />

gobelet à une anse, les skyphoi simples et les petites jarres sont les for-<br />

mes les plus fréquentes. Les petites bassines à deux anses, à bandes rou-<br />

ges, ne sont pas rares. Parallèlement, on trouve des ustensiles en argile<br />

sombre, décorés d’incisions ou d’impressions géométriques simples,<br />

emplies de matière blanche. I1 existe égaiement une sorte de saucière >)


Lli<br />

U<br />

P<br />

f<br />

Fig. 7. - Motifs décoratifs de I’Heliadique ancien et<br />

du Cycladique ancien, phases I-III.<br />

C<br />

’k<br />

5


Le Bronze ancien 215<br />

primitive, qui devient le type essentiel de la phase suivante. Des ustensi-<br />

les appartenant aux styles que nous venons de voir ont été trouvés éga-<br />

lement dans d’autres régions : à Orchomène, à Kirrha, à Litharés sur le<br />

lac Yliki, à Dramési-Hyria, à Marathon, à Vouliagméni de Pérachora et<br />

dans le Péloponnèse à Corinthe, Gonia, Zygouriès, Asiné, Aséa, en<br />

Élide, au mur de Dymé, etc.<br />

<strong>La</strong> céramique de la deuxième phase - celle de Korakou - est beau-<br />

coup plus caractéristique, plus soignée du point de vue technique, et les<br />

formes des vases sont dynamiques. Les parois s’affinent et le vernis<br />

brille ; les ustensiles sont caractérisés comme relevant de la technique<br />

Urfirniss. Les formes les plus fréquentes sont la cruche à col fin et<br />

long, I’askos (l’outre), les petits gobelets à pied, les pyxides basses et la<br />

(< saucière >) au bec long comme celui d’un oiseau, avec une anse en<br />

arche sur la panse arrondie à l’arrière. Encore une fois, Eutrésis a<br />

donné des exemples très caractéristiques. A Orchomène est représenté le<br />

(( dépas amphikypellon N troyen qu’on rencontre également dans les<br />

Cyclades. Askitario de Raphina a fourni une céramique caractéristique ;<br />

les cimetières de Manika et Lefkandi, en Eubée, ont donné des vases<br />

illustrant le passage de la deuxième à la troisième phase. Cette cérami-<br />

que a des rapports avec celle de Troie et du Sud-Ouest de l’Asie<br />

mineure - Iasos, Yortan, etc. - <strong>La</strong> céramique d’Haghios Kosmas est<br />

un mélange d’éléments protohelladiques et cycladiques, comme celle<br />

qu’on trouve dans les îles voisines, Kéa et Égine par exemple. <strong>La</strong> céra-<br />

mique de la côte attique - comme celle de Marathon - fait également<br />

preuve d’influences cycladiques.<br />

Dans le Péloponnèse, la céramique de la deuxième phase ne varie pas<br />

beaucoup ; Korakou et Lerne, bien stratigraphiés, ont fourni les exem-<br />

ples les plus caractéristiques ; on distingue beaucoup de ressemblances,<br />

aussi bien dans les formes que dans la décoration, entre les vases<br />

Urfirniss et une certaine catégorie de vases de la phase de Syros-Kéros<br />

dans les Cyclades. Certains vases sont recouverts d’un vernis épais et<br />

brillant, d’autres d’un vernis fin, léger, d’autres encore n’ont pas du<br />

tout d’enduit. De toutes façons, la décoration peinte est rare. Les jar-<br />

res, ovoïdes, portent souvent des bandes qui sont fréquemment décorées<br />

au moyen de cylindres-sceaux. Sur les autres sites du Péloponnèse orien-<br />

tal et dans une partie du Péloponnèse central, la céramique est analo-<br />

gue. A l’ouest, au contraire, bien que quelques-uns des vases essentiels<br />

soient en usage, on trouve une céramique nettement influencée par celle<br />

de l’Adriatique, de couleur sombre et incisée.<br />

Dans la troisième phase, la céramique renaît, comme en Crète et dans<br />

les Cyclades : en même temps que des vases portant un décor dark on


216 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

fight, apparaissent des vases avec le décor inverse, un décor fight on<br />

dark, fait d’une couleur blanche légère sur le fond sombre ou brun<br />

foncé ; les exemplaires les plus caractéristiques de ce style ont été trou-<br />

vés à Haghia Marina, en Phocide, qui lui a donné son nom ; les formes<br />

les plus communes sont la cruche pansue, un vase amphoroïde qui<br />

s’élargit vers le bas - le (( tankard n - les tasses à deux anses, des<br />

petites coupes, les bols à deux anses et les outres ; les motifs décoratifs<br />

sont souvent en résille - bandes de losanges continus, ou méandres.<br />

Ces motifs ne sont pas rares non plus en dark on fight ; dans ce style<br />

les formes de vases sont un peu différentes : on a souvent la cruche à<br />

bec, les bols à deux anses, les hauts gobelets à deux anses, etc. Thèbes,<br />

Orchomène et Chéronée ont donné des exemples intéressants dans les<br />

deux styles. Les petites jarres ont des formes nouvelles. Quelques cru-<br />

ches, influencées par celles des Cyclades, ont le col renversé vers<br />

l’arrière. En Attique et à Égine, cette phase n’est pas représentée par<br />

une céramique tellement caractéristique. Mais en Eubée, aussi bien dans<br />

le cimetière de Manika que dans l’établissement de Lefkandi, nous<br />

avons une céramique très représentative, qui suit sa voie propre. Des<br />

cruches au bec coupé sur le côté, et d’autres ustensiles incisés, rappel-<br />

lent des exemplaires de la quatrième ville de Troie et d’autres d’Iasos.<br />

Quelques-uns sont faits au tour, qui commence à être utilisé. Une céra-<br />

mique parallèle a été trouvée à Haghia Irini de Kéa.<br />

Dans le Péloponnèse, c’est Tirynthe qui a donné la céramique la plus<br />

caractéristique de la troisième phase, et c’est pour cela qu’elle a pris ce<br />

nom. Mais c’est encore une fois à Lerne qu’elle a été le mieux étudiée,<br />

parce que les données stratigraphiques y sont plus sûres. Les formes les<br />

plus caractéristiques sont ici les (( tankards », les bois à deux anses dont<br />

la lèvre est tournée vers l’extérieur, les petites jarres à embouchure<br />

s’ouvrant graduellement. On constate que des ustensiles sont faits au<br />

tour et qu’en même temps apparaît un style précurseur des vases<br />

minyens, et cela est important ; ici encore la décoration habituelle conti-<br />

nue en dark on fight et fight on dark et les motifs sont analogues à<br />

ceux de Phocide et de Béotie. 11 y a aussi des vases incisés et d’autres<br />

avec des cordons rajoutés. On rencontre également des ustensiles impor-<br />

tés des îles et de la côte d’Asie Mineure. Des hameçons en terre cuite,<br />

en forme d’ancre, sont caractéristiques de la période. Une céramique<br />

analogue a été trouvée sur bien d’autres sites du Péloponnèse oriental,<br />

et un peu moins en <strong>La</strong>conie. Dans le Péloponnèse occidental, la cérami-<br />

que de la troisième phase présente davantage d’éléments précurseurs du<br />

minyen et en même temps l’influence de la céramique adriatique se<br />

poursuit. Dans bien des cas il est difficile de dire si on est en présence


Le Bronze ancien 217<br />

de céramique de la troisième phase de I’Helladique ancien ou au début<br />

de I’Helladique moyen, surtout quand elle provient de tombeaux à<br />

tumulus.<br />

Plastique et sculpture sur pierre<br />

I1 est curieux qu’à l’époque de I’Helladique ancien l’artisanat du Sud<br />

du contient grec se soit fort peu adonné à la représentation des formes.<br />

Cela tient peut-être à la faible inclination religieuse des gens, mais sans<br />

doute aussi à d’autres raisons de nature sociale. Quelques figurines de<br />

terre cuite restent très grossières, avec un visage élémentaire en forme<br />

de bec, des vêtements presque sans forme et un décor inorganisé, fait<br />

de lignes simples, incisées ou peintes. On a très peu de figurines de<br />

pierre ; elles sont grossières, de forme conique. On trouve quelques<br />

figurines d’animaux en terre cuite. Les gens accueillaient volontiers les<br />

éléments étrangers et ils introduisaient des figurines cycladiques qu’ils<br />

copiaient peut-être dans les pierres locales ; ils utilisaient aussi des<br />

ustensiles cycladiques de formes plastiques ou bien ils les reproduisaient<br />

d’une manière plutôt rude.<br />

Le travail de la pierre. Vases et outils<br />

Dans les diverses phases et sur toute l’étendue de la <strong>civilisation</strong> proto-<br />

helladique du Sud du continent, l’artisanat n’a pas fait preuve d’inclina-<br />

tion particulière pour la fabrication d’ustensiles et d’outils. Quelques<br />

petites bassines toutes simples, des petites auges et des écuelles ne mon-<br />

trent pas une habileté extraordinaire ; un gobelet du type du (< dépas ))<br />

troyen, trouvé à Tirynthe, peut très bien avoir été importé. Parmi les<br />

outils de pierre, les meilleurs sont des broyeurs et des pilons. Les mor-<br />

tiers sont très fréquents, les noyaux et les lames d’obsidienne très utili-<br />

sés. Sur la côte attique et sur celle de l’Eubée, on trouve des ustensiles<br />

et des outils de type cycladique, et l’obsidienne y est encore davantage<br />

employée.<br />

<strong>La</strong> métallurgie<br />

Peu de doutes restent que l’introduction sur le continent de la nou-<br />

velle technique du métal a constitué le facteur essentiel de l’évolution de<br />

la <strong>civilisation</strong> et lui a donné sa forme propre, comme cela a été le cas


218 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

dans le reste du monde égéen. On remarque même une évolution analo-<br />

gue de cette branche de l’artisanat : dans la phase initiale les premiers<br />

essais, mais pas encore avec les alliages convenables, dans la deuxième<br />

un certain perfectionnement et l’application à des usages pratiques com-<br />

binés à des aspirations esthétiques ; dans la troisième, l’évolution se<br />

poursuit avec des affinements, mais aussi une certaine standardisation<br />

qui aidait à la commercialisation. Malgré ces progrès importants, relati-<br />

vement peu d’objets de métal ont été conservés, et cela pour les mêmes<br />

raisons que dans les autres régions : le métal était rare et précieux, et<br />

les objets en bronze recherchés pour être fondus et prendre des formes<br />

nouvelles. <strong>La</strong> technologie devait être à peu près la même partout. Mais<br />

nous en ignorons encore bien des détails. Heureusement, nous avons<br />

maintenant des exemples de fourneaux provenant d’Eutrésis, quoiqu’ils<br />

datent de I’Helladique moyen. A ce qu’il semble, ce sont en réalité des<br />

fours à céramique, mais qui pouvaient atteindre, grâce à des conduits<br />

d’air appropriés et bien contrôlés, une température supérieure à<br />

1 100 degrés et une atmosphère réductrice, capables de faire fondre les<br />

métaux. On suppose encore que les enseignements de la métallurgie sont<br />

venus du Nord des Balkans et d’Anatolie, en passant par les îles de<br />

l’Est de l’Égée, puisque ces régions avaient acquis les connaissances sur<br />

le travail du métal dès l’époque chalcolithique (Sitagroi en Macédoine<br />

orientale, centres de Bulgarie et de Roumanie, Beyce Sultan et Can<br />

Hasan), L’habitat de Raphina a présenté bien des indices d’une métal-<br />

lurgie locale. Dans la première phase, les objets en cuivre sont particu-<br />

lièrement rares : un ciseau plat a été trouvé dans une maison d’Eutrésis.<br />

Mais la deuxième phase est représentée par de petits trésors d’outils,<br />

comme ceux d’Eutrésis et de Thèbes, qui contiennent des haches plates,<br />

des ciseaux, des haches avec un trou d’emmanchement et des herminet-<br />

tes. Ailleurs, on a trouvé des poignards à dos renforcé, avec deux ou<br />

trois petits trous pour des clous au talon, et même des pointes de lances<br />

cycladiques avec les deux fentes caractéristiques à une certaine distance<br />

du talon. Des couteaux tout simples, des poignards, des spatules, des<br />

perçoirs et des tranchets ont également été découverts. Des objets de<br />

toilette et des petits bijoux, pas seulement en bronze, mais aussi en<br />

argent et en or, accompagnaient les morts dans les tombes - à Haghios<br />

Kosmas, Marathon et Manika en Eubée. Des épingles cycladiques avec<br />

la double spire ont été trouvées à Zygouriès. Un trésor de bijoux en or,<br />

arrivé au musée de Berlin, qui provenait du Péloponnèse et qui a mal-<br />

heureusement été perdu avant d’avoir été publié, contenait des bijoux<br />

comparables à ceux de Troie et de Poliochni de Lémnos.<br />

Mais les objets les plus importants sont les ustensiles en métal, quel-


Le Bronze ancien 219<br />

quefois en métal précieux. Ils ne devaient pas être aussi rares qu’on le<br />

croit, puisqu’ils ont exercé une grande influence sur les vases de terre<br />

cuite, surtout dans la deuxième phase. <strong>La</strong> très belle cruche d’Orcho-<br />

mène, si dynamique, est un exemple classique de l’imitation d’un<br />

modèle métallique, aussi bien par sa forme que par l’éclat du vernis.<br />

On peut dire la même chose des a saucières )) à la forme audacieuse,<br />

comme celle de Raphina. <strong>La</strong> a saucière >) en or du Louvre, qui provien-<br />

drait d’Héraia en Arcadie occidentale, est un peu moins dynamique.<br />

Deux petits vases en or - un skyphos globulaire sans anse avec un<br />

petit coi cylindrique, et une cruche globulaire aplatie sans anse, à large<br />

embouchure, tous deux visiblement fabriqués par le même artisan, déco-<br />

rés de petits sillons brisés ou convergents, sont aujourd’hui au musée<br />

Bénaki ; ils proviennent probablement d’une tombe d’Eubée. II y a eu<br />

des savants pour les croire - injustement - néolithiques et d’autres<br />

pour mettre en doute leur authenticité. Ils semblent toutefois vraiment<br />

de 1’Helladique ancien, influencés par les Cyclades.<br />

Autres branches de l’artisanat<br />

Nous avons la certitude que, dans le Sud du continent, bien d’autres<br />

techniques se sont développées dans les trois premières phases du<br />

Bronze ancien, fondées sur le travail de divers matériaux, comme dans<br />

les Cyclades ou en Crète. Mais il nous est encore difficile de nous en<br />

faire une image un peu complète, non seulement parce que beaucoup de<br />

spécimens ont disparu, ne laissant que d’infimes vestiges, mais aussi<br />

parce que ces techniques reposaient sur des matériaux encore plus péris-<br />

sables et que le cycle figuré est beaucoup plus pauvre ; nous n’avons<br />

donc qu’une petite idée de tout cela. L’art de la parure, quand il n’uti-<br />

lisait pas des matériaux durables comme l’argile, la pierre et le métal,<br />

employait des matières qui ont disparu très facilement, mais il semble<br />

que la production n’a jamais dépassé ce qui était nécessaire a orner le<br />

corps ou à décorer les vêtements. Dans la deuxième phase les bijoux se<br />

diversifient et les perles des colliers, comme les accessoires, sont en<br />

matières diverses - argile, pierre, métal commun ou précieux, pâtes.<br />

Un pendentif en pierre verte, provenant d’Asiné, ressemble a un très<br />

petit skyphos crétois, avec son décor de spires gravées. Des amulettes en<br />

forme de pied ont été trouvées à Haghios Kosmas et à Zygouriès. On<br />

fabriquait des épingles en argent de type cycladique, et elles avaient un<br />

usage identique. En rapport avec le tissage, on a les poids de terre<br />

cuite, les fusaïoles, les bobines, peut-être aussi les ancres en argile. On a


220 LA CIVILISATION EGÉENNE<br />

très peu d’outils et de bijoux en os et en ivoire ; ce sont souvent des<br />

spatules, des poinçons, des petits ciseaux, etc. Dans les régions où se<br />

manifeste l’influence des Cyclades on retrouve les petits tubes à couleurs<br />

en os. Dans une couche de la troisième phase à Lerne, on a mis au jour<br />

une petite tablette en os, qui allait en se rétrécissant, décorée sur l’une<br />

des faces de sortes de petites bosses hémisphériques, semblables à celles<br />

qui ont été trouvées dans la région de Troie, aussi bien que dans la<br />

zone où fleurissait la <strong>civilisation</strong> mégalithique de la Méditerranée occi-<br />

dentale. Tout à fait caractéristiques, un pommeau de poignard en ivoire<br />

a été trouvé à Zygouriès et des agrafes en os, au même endroit et à<br />

Lerne.<br />

On constaterait que la glyptique était particulièrement prospère, si on<br />

était sûr que les nombreuses empreintes de sceaux - c’est-à-dire les<br />

impressions sur argile - de Lerne ont été faites avec des sceaux locaux.<br />

Malheureusement, nous n’en avons aucune preuve et, au contraire, la<br />

plupart des indices tendent à faire croire que ces cachets scellaient des<br />

écrits, des paquets ou des petits vases envoyés d’ailleurs. Les très rares<br />

sceaux qui ont été trouvés - l’un à Haghios Kosmas, l’autre à Asiné et<br />

le troisième à Raphina - aussi bien qu’un ou deux exemplaires en terre<br />

cuite provenant de Zygouriès, ont été considérés comme importés de<br />

Crète ou des Cyclades. En revanche, des sceaux locaux, très probable-<br />

ment en bois, étaient utilisés par les céramistes fabricants de jarres,<br />

pour imprimer des décors sur des bandes. Ces sceaux avaient le plus<br />

souvent une forme cylindrique de manière que les décors soient rendus<br />

de façon continue, comme ceux qu’on trouve, par exemple, sur des jar-<br />

res de Lerne, de Zygouriès et de Tirynthe : des spires où se combinent<br />

des quadrupèdes schématisés, le tout exécuté avec le même sceau. Tout<br />

autour du foyer cultuel d’un bâtiment de Lerne, un décor de chevrons<br />

et de triangles avait été imprimé avec des sceaux de ce type. Mais les<br />

empreintes de Lerne ont été faites avec des sceaux en pierre ou en<br />

ivoire, gravés de décors très variés qui rappellent de près, sans toutefois<br />

présenter de parallèles étroits, les décors des premiers sceaux crétois.<br />

Les motifs sont fondés sur les rosaces, les méandres complexes, les<br />

ornements à rayons, triquètres et quadriquètres, etc. mais quelques-uns,<br />

comme les quatre spires reliées, les motifs à enroulements et à circonvo-<br />

lutions, rappellent de très près les motifs crétois. I1 est faux de dire que<br />

les décors des sceaux de Lerne sont statiques, tandis que ceux de Crète<br />

sont dynamiques ; on trouve des motifs relevant des deux types dans les<br />

deux régions. Mais on assiste au même phénomène dans les Cyclades et<br />

ces sceaux pourraient être attribués à cette région, si on connaissait<br />

davantage la glyptique cycladique. Au point où en sont les choses


1. Vase néolithique de Sesklo.<br />

2. Bassin néolithique du style Dimini.


3. Gobelet biconique du style Pyrgos.— 4. Cruche du style Haghios Onoufrios.


5. Vase plastique en forme d'oiseau provenant de Koumassa (Messara).


6. Tête d'idole cycladique en marbre provenant d'Amorgos.


7. Amphore en<br />

« Urfirnis » cle<br />

l'Helladique ancien,<br />

phase II. provenant<br />

d'Orchomenos<br />

(Béotie).<br />

8. « Saucière » de<br />

l'Helladique ancien,<br />

phase II, provenant<br />

de Raphina (Attique).


9. Amphore à couvercle de<br />

la <strong>civilisation</strong> dite troyenne<br />

(fin du III e millénaire<br />

av. J.-C.) provenant de<br />

Poliochni (Lemnos).<br />

10. Bijoux en or de la <strong>civilisation</strong> dite<br />

troyenne (3e millénaire av. J.-C.) provenant<br />

de Poliochni (Lemnos).


11. Petite jarre du style de Camarès provenant de Phaistos.


12. Petite jarre du style de Camarès<br />

provenant de Phaistos.


13. Cruche du style de Camarès<br />

(motifs en rotation) provenant de<br />

Phaistos. — 14. Tasse du style de<br />

Camarès (coquille d'œuf) provenant<br />

de Phaistos. — 15. Vue générale<br />

vers la cour centrale et l'aile occidentale<br />

du Palais de Cnossos. —<br />

16. Vue sur les Propylées du Palais<br />

de Cnossos.


17. - 18. Deux vues<br />

du grand escalier et<br />

du portique à colonnes<br />

du Palais de<br />

Cnossos.


Le Bronze ancien 22 1<br />

actuellement, il nous serait très difficile de nous prononcer de façon<br />

catégorique sur la provenance et de choisir entre la Crète et les Cyclades<br />

: pour la première, nous savons très peu de choses de la glyptique<br />

de la deuxième phase qui correspond à la deuxième phase protohelladique<br />

de Lerne ; quant aux Cyclades, très peu de sceaux ont été conservés.<br />

<strong>La</strong> grande majorité des sceaux crétois appartient à la troisième<br />

phase. Les empreintes de Lerne ont été trouvées dans deux dépôts ; l’un<br />

a été découvert dans un bâtiment brûlé, contemporain de la phase finale<br />

du mur d’enceinte, et comprenait une centaine d’empreintes ; le<br />

deuxième provient d’une petite pièce, ne communiquant qu’avec l’extérieur,<br />

de la


222 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

traces de moût. Bien des empreintes de sceaux de Lerne devaient avoir<br />

servi à sceller des amphores ou autres récipients contenant du vin. Les<br />

très petits gobelets - qui ont été baptisés de façon révélatrice a petits<br />

verres à ouzo )) - devaient être destinés aux alcools. Le grand nombre<br />

de coupes et de tasses témoigne de l’abondance du vin, et des savants,<br />

qui cherchaient une explication à l’usage très répandu des vases du type<br />

des (< saucières D, ont cru qu’on les employait pour boire le vin plus<br />

aisément. Bien sûr, il serait difficile de déduire d’après la seule forme<br />

des ustensiles quelle sorte de liquide ils contenaient. Les cruches et les<br />

outres, du moins, devaient servir à beaucoup de choses. Mais les gobe-<br />

lets en or et les coupes en argent ne devaient pas être destinés simple-<br />

ment à l’eau ou à l’huile. En ce qui concerne la culture de l’olivier,<br />

nous n’avons, pour cette époque, que quelques indices : des noyaux<br />

d’olives et des lampes. Mais les relations étroites avec les Cyclades lais-<br />

sent peu de doute que cette culture était assez répandue. Parmi les<br />

arbres fruitiers, c’est le figuier qui était le plus fréquent, à ce qu’il sem-<br />

ble d’après les fruits carbonisés découverts.<br />

L’élevage a continué à évoluer dans la direction suivie à l’époque<br />

néolithique avec une grande efficacité. II était beaucoup plus facile<br />

d’avoir de grands troupeaux d’ovins que des troupeaux de bovins qui,<br />

obligatoirement, restaient limités aux vallées les plus larges et aux<br />

régions de plaines. On élevait des porcs près des habitations. Les statis-<br />

tiques qui se fondent sur les ossements d’animaux et les restes de matiè-<br />

res animales sont encore très pauvres pour qu’on puisse se faire une<br />

idée plus précise de l’apport de l’élevage et des produits de l’élevage<br />

dans l’alimentation de la population des villes. Peut-être certains usten-<br />

siles en passoire étaient-ils destinés à égoutter des fromages. I1 ne sem-<br />

ble pas que les produits de la mer aient été particulièrement appréciés<br />

dans ces villages méditerranéens. Seuls les habitats côtiers, surtout ceux<br />

qui se trouvaient dans des zones influencées par les habitants des Cycla-<br />

des - et avaient peut-être été fondés par eux - nous ont fourni des<br />

preuves que la pêche et les huîtres faisaient partie de l’alimentation. Les<br />

animaux fournissaient les matières premières de l’artisanat domestique<br />

- tissage, travail du cuir, travail de l’os, coupe et couture des vête-<br />

ments, etc. ; on a déjà parlé de l’équipement technique, des outils et<br />

des matières premières. Les bois de cerfs quelquefois, et les dents de<br />

sangliers, servaient à la confection d’objets. On devait les avoir capturés<br />

à la chasse mais nous ne savons rien de l’art cynégétique, en dehors de<br />

quelques lances de chasse qui ont été conserv&s.<br />

Le commerce entre régions qui proposait les produits trop abondants<br />

et apportait ce qui manquait ou était en quantité insuffisante, devait


Le Bronze ancien 223<br />

prendre la forme de simples échanges entre producteurs. I1 n’est pas<br />

nécessaire de supposer l’existence d’une catégorie spéciale de marchands,<br />

excepté peut-être sur les côtes où l’on s’adonnait davantage à l’importa-<br />

tion des matières premières et des produits étrangers et à l’exportation<br />

du surplus de la production et des produits travaillés. Ce commerce<br />

d’importation et d’exportation devait pouvoir se faire également avec les<br />

bateaux cycladiques et crétois, plus aptes que les bateaux du pays - de<br />

toute façon peu nombreux - à franchir de grandes distances. II ne fait<br />

pas de doute que la partie occidentale du monde helladique ancien avait<br />

des relations commerciales avec la Méditerranée occidentale, surtout<br />

avec l’Adriatique, l’Italie méridionale et la Sicile, puisque les échanges<br />

d’influences sont très nets, et d’abord dans la céramique. Au contraire,<br />

la partie orientale est tournée vers les îles de l’Égée, la Crète et, encore<br />

plus loin, vers la côte anatolienne, la région syro-phénicienne, Chypre<br />

et, un peu moins, vers l’Égypte. Peut-être le continent grec<br />

s’approvisionnait41 en certains métaux - comme le cuivre, l’ivoire, l’or<br />

et l’argent -, par l’intermédiaire des Cyclades et de la Crète. Mais il<br />

devait pouvoir se fournir directement en obsidienne - qui semble exclu-<br />

sivement provenir de Mélos -, sauf si celle-ci venait en même temps<br />

que les autres produits cycladiques, dans les bateaux des îles, comme<br />

cela se faisait sans doute dans les régions d’influence cycladique. Les<br />

marbres cycladiques étaient importés comme matière première, mais pas<br />

en grandes quantités à ce qu’il semble. L’exportation de produits tra-<br />

vaillés portait surtout sur la céramique puisqu’on en trouve, et surtout<br />

du type des a saucières », dans les Cyclades. <strong>La</strong> kykiadische Storung<br />

était la conséquence d’un commerce d’importation relativement étendu à<br />

partir des Cyclades. I1 est toutefois malaisé de suivre les importations<br />

faites à partir de la côte anatolienne. Et il est encore plus difficile de<br />

voir les importations et les exportations avec la Crète ; on a d’abord<br />

cru qu’elles étaient très rares ; récemment, on a appris que la Crète<br />

occidentale du moins faisait venir des objets du continent, comme des<br />

Cyclades d’ailleurs, et que des objets crétois, même dispersés, arrivaient<br />

- surtout dans la troisième phase - jusqu’au continent. A Lerne on a<br />

trouvé des skyphoi à becs pontés, caractéristiques du MM IA, c’est-à-<br />

dire de la fin de la phase protocrétoise. A Cythère on a mis au jour des<br />

vestiges d’un comptoir commercial crétois, daté de la deuxième phase.<br />

Les empreintes de sceaux de Lerne sont peut-être la meilleure preuve<br />

d’un commerce vivant avec la Crète ou les Cyclades.<br />

Malheureusement, nous savons fort peu de choses des moyens de<br />

communication sur terre et sur mer. Nous ne savons presque rien des<br />

réseaux routiers ni des embarcations de commerce ou de pêche. On peut


224 LA CIVILISATION &&ENNE<br />

supposer - mais ce n’est là qu’une hypothèse - que les enseignements<br />

de la Crète et des Cyclades dans ce domaine, avaient porté leurs fruits<br />

sur le continent. <strong>La</strong> vie sociale a également évolué sur la base de classes<br />

séparées nées de la spécialisation, de la prédominance des nouvelles<br />

techniques et du besoin de s’adapter aux conditions de l’environnement.<br />

Cette évolution n’a pas dû être tout à fait la même qu’en Crète et dans<br />

les Cyclades, puisque les conditions et le support néolithique étaient dif-<br />

férents. L’importance nouvelle prise par l’agriculture et l’élevage a dû<br />

avoir pour conséquence que les agriculteurs et les éleveurs ont constitué<br />

les classes sociales fondamentales. I1 ne devait exister des classes de<br />

marchands et de navigateurs que dans les régions côtières. Les dangers<br />

intérieurs et extérieurs n’étant pas très importants, il aurait été superflu<br />

d’avoir des classes spéciales chargées de la défense, militaires ou flotte<br />

de guerre. Les éléments nouveaux se sont installés le plus souvent paci-<br />

fiquement, en s’infiltrant, et les catastrophes de la fin de la deuxième<br />

période ont dû être soudaines, quoique certaines fortifications montrent<br />

que des mesures avaient été prises pour pouvoir se défendre en cas<br />

d’attaque. Nous avons encore moins d’indices sur l’existence d’une<br />

classe religieuse qui semble plutôt improbable, car les gens ne semblent<br />

pas avoir été très religieux. Jusqu’à quel point les anciennes familles et<br />

les génos ont-ils survécu, nous ne sommes pas en mesure de le savoir ;<br />

on peut toutefois supposer qu’avec le temps ils se soient affaiblis, aient<br />

cessé de jouer un rôle important. Les différentes classes sociales ont dû<br />

être indépendantes très tôt ; ce n’est que dans l’artisanat que les secrets<br />

techniques devaient se transmettre de père en fils et rester au même<br />

génos, mais il n’est pas sûr que les artisans aient constitué une classe à<br />

part. L’artisanat domestique était pratiqué par tous, et l’expérience<br />

jouait un rôle essentiel dans les progrès accomplis ; quand il était néces-<br />

saire de produire sur une plus grande échelle, comme c’était le cas de la<br />

céramique et de la métallurgie, il devait y avoir des artisans spécialisés.<br />

II ne fait guère de doute que les céramistes allaient d’un endroit à<br />

l’autre fabriquer et vendre sur place leurs ustensiles de terre cuite, sur-<br />

tout les grands, comme le faisaient encore les potiers jusqu’à une épo-<br />

que récente. C’est du moins ce que laisse supposer la découverte de jar-<br />

res portant comme décor la même empreinte de sceau, et qui ont été<br />

trouvées dans différentes régions, éloignées les unes des autres.<br />

<strong>La</strong> vie politique devait à peine commencer à se développer, peut-être<br />

sans organisation systématique d’une hiérarchie d’administrateurs. Cer-<br />

tains voient dans l’existence de grands bâtiments, à Lerne et à Akovi-<br />

tika en Messénie, des indices d’une organisation politique ; de telles<br />

constructions devaient répondre à des buts précis, plus politiques que


Le Bronze ancien 225<br />

religieux, puisque le niveau de la religiosité était bas. Ils ont considéré<br />

que la découverte du dépôt d’empreintes de Lerne, précisément à l’inté-<br />

rieur de la a Maison des Tuiles B, prouvait l’existence d’archives qui<br />

constituaient le début d’une bureaucratie. Mais un autre dépôt<br />

d’empreintes a été mis au jour à Lerne, dans un bâtiment tout simple,<br />

et il est beaucoup plus probable qu’elles aient eu des fins commerciales.<br />

On ne peut toutefois pas nier que des bâtiments, si grands et si bien<br />

organisés, étaient très vraisemblablement utilisés pour des rassemble-<br />

ments à caractère politique ; peut-être étaient-ils la résidence de gouver-<br />

neurs qui avaient entre leurs mains des pouvoirs divers, sous forme de<br />

contrôle. Le pouvoir religieux pouvait également être détenu par le<br />

même personnage ou le même organisme. Nous sommes là en pleine<br />

hypothèse. <strong>La</strong> concentration de richesses pouvait exercer une influence<br />

pour la promotion de certains personnages, et celle-ci était plus facile<br />

dans des régions qui se trouvaient près de la mer, comme Lerne sur le<br />

golfe de Nauplie et Akovitika sur le golfe de Kalamata.<br />

Quant à la vie religieuse, nous ne pouvons encore recourir qu’à des<br />

hypothèses d’ordre général : les objets qui ont quelque rapport avec les<br />

conceptions religieuses sont rares, et très peu nombreux également les<br />

lieux de culte découverts. I1 est clair que la religiosité est restée à un<br />

niveau très bas. I1 ne nous est pas possible de nous faire une idée quel-<br />

conque des croyances fondamentales à partir d’éléments comme le<br />

(( chasma n d’Eutrésis ou le grand foyer circulaire en terre cuite avec un<br />

évidement central en forme de double hache, qui a été mis au jour dans<br />

le bâtiment BG de Lerne ; nous ne connaissons même pas leur véritable<br />

usage. I1 n’est pas exclu que les foyers des maisons aient été considérés<br />

comme l’endroit où se trouvaient rassemblés les pouvoirs de la divinité<br />

protectrice de la famille ; cette croyance est en effet restée profondé-<br />

ment enracinée jusqu’à l’époque mycénienne, où cela est prouvé histori-<br />

quement. I1 n’est pas sûr que le foyer circulaire d’Olympie était sacré.<br />

Nous n’avons pas véritablement de sanctuaires de I’Helladique ancien<br />

dans le Sud du continent, pas même de symboles liés à certaines<br />

conceptions religieuses. Il n’est pas du tout certain que l’évidement en<br />

forme de double hache ait eu un rapport avec le symbole minoen. Les<br />

(( poêles à frire )> qui étaient importées des Cyclades, et même les quel-<br />

ques idoles cycladiques qui les accompagnaient, devaient avoir perdu<br />

leur signification première ; on pensait peut-être simplement qu’elles<br />

avaient un pouvoir protecteur, plutôt magique. On se demande si, sur le<br />

continent, des ustensiles plastiques zoomorphes de technique cycladique<br />

étaient utilisés dans un but rituel ; on n’a pas reconnu d’autres ustensi-


226 LA ClViLiSATlON ÉGCENNE<br />

les qui auraient été employés, ou auraient eu des chances d’être<br />

employés, dans le culte.<br />

Les coutumes funéraires sont naturellement nées de croyances relati-<br />

ves à la vie après la mort ; mais nous n’avons aucune raison de les met-<br />

tre en rapport avec des conceptions religieuses précises. Les éléments<br />

dont nous disposons sont évidemment loin d’être suffisants pour que<br />

nous puissions en juger. Les sépultures de I’Helladique ancien connues<br />

à ce jour se limitent à quelques dizaines, et la plupart des exemples pro-<br />

viennent de régions sous influence cycladique - et où il y avait peut-<br />

être des installations cycladiques - comme Haghios Kosmas, Marathon<br />

et Manika. Ailleurs, les sépultures étaient dans de simples fosses, sous<br />

le sol, dans des anfractuosités de rochers ou dans des petits pithoi. I1 a<br />

déjà été question de certaines formes construites. Nous avons vu que le<br />

tombeau à tumulus sur un fond de pierre a commencé à se répandre à<br />

la fin de I’Helladique ancien et constitue le reflet de nouvelles coutu-<br />

mes, venues avec les éléments nordiques qui s’infiltraient dans le pays.<br />

Quelques ustensiles de terre cuite, toujours peu nombreux, accompa-<br />

gnaient les morts. Là où le mobilier funéraire était plus varié, on<br />

remarque une infiltration cycladique. Les quelques figurines grossières<br />

en terre cuite ou en pierre n’ont pas toujours été trouvées dans des<br />

tombes. Un objet bétylique, phallique selon certains savants, a été<br />

découvert à Eutrésis ; son usage demeure malgré tout énigmatique. Les<br />

indices sont réellement trop pauvres pour qu’on puisse se faire une idée<br />

des conceptions religieuses, de toute façon faibles.<br />

En ce qui concerne la vie privée il serait inutile d’en dire autre chose<br />

que ce qu’on peut déduire, de façon à peu près sûre, des divers articles<br />

de l’artisanat ; mais il en a déjà été question. L’arrangement de la plu-<br />

part des maisons est très rudimentaire et leur équipement relativement<br />

pauvre. <strong>La</strong> vie devait être très simple, avec un confort tout à fait élé-<br />

mentaire, sans beaucoup de possibilités de loisirs. Les habitants profi-<br />

taient des petits espaces ouverts, des banquettes des murs extérieurs, des<br />

parvis des maisons, pour se reposer des soucis d’une vie pénible. Les<br />

installations côtières avaient une vie plus aisée, moins monotone, qui<br />

accueillait davantage les éléments venus des régions voisines. Partout la<br />

vie familiale avait pour centre le foyer, surtout pendant les longues<br />

nuits d’hiver. L’art n’étant pas très figuratif, il serait très difficile de<br />

parler des vêtements, des coiffures, des chaussures que portaient les<br />

hommes, les femmes et les enfants. Normalement, tout cela devait être<br />

adapté à un climat plus rude, continental, et à une vie plutôt rurale.<br />

Toutefois, en même temps que d’autres agréments, les îles avaient dû


Le Bronze ancien 221<br />

faire parvenir des habitudes vestimentaires, surtout sur les côtes. Mais<br />

tout cela n’est que pure hypothèse.<br />

II. GRÈCE DU NORD<br />

<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique s’est prolongée dans bien des régions de<br />

Grèce septentrionale et de Grèce centrale, à l’époque où la <strong>civilisation</strong><br />

du Bronze était déjà bien avancée en Grèce méridionale ; beaucoup des<br />

éléments néolithiques essentiels ont été conservés ; la <strong>civilisation</strong> du<br />

Bronze du Sud et de l’Est a eu de la difficulté à pénétrer ; tout cela a<br />

eu pour conséquence une <strong>civilisation</strong> du Bronze différente dans le Nord,<br />

qui a varié suivant la situation, les liens et les échanges commerciaux<br />

avec les régions voisines. II faut avouer que les recherches n’ont pas été<br />

aussi importantes - sauf en Thessalie - et que celles qui ont été effec-<br />

tuées ont été fort peu publiées. <strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> a évolué dans un laps de<br />

temps plus court et d’une manière plus rude parce qu’elle a été emprun-<br />

tée ; on en distingue difficilement les phases qui semblent plus limitées.<br />

Les chercheurs ne sont pas d’accord sur la correspondance des phases<br />

de la fin du Néolithique dans le Nord avec les premières phases de la<br />

<strong>civilisation</strong> du Bronze ancien méridional. Beaucoup d’entre eux croient<br />

que les derniers stades du Néolithique ont précédé la phase initiale du<br />

Bronze du Sud, puisqu’ils se trouvent dans des couches au-dessous en<br />

Béotie-Phocide et en Argolido-Corinthie. D’autres, au contraire, font<br />

remarquer que beaucoup d’objets de bronze caractéristiques de I’Hella-<br />

dique ancien ont été mis au jour dans les dernières couches néolithi-<br />

ques, et que les figurines en marbre schématiques ne sont pas rares dans<br />

les couches du Néolithique récent, principalement en Thessalie. On<br />

retrouve les constructions en forme de mégaron, plus connues dans la<br />

<strong>civilisation</strong> de Dimini, transplantées dès les premières phases de I’Hetla-<br />

dique ancien du Sud. Sylvia Benton a particulièrement insisté sur les<br />

correspondances entre la <strong>civilisation</strong> de Dimini et certains éléments<br />

cycladiques comme les figurines, les spires, etc., qui appartiennent à la<br />

phase de Kéros-Syros. Le synchronisme serait alors au niveau de la<br />

deuxième phase de 1’Helladique ancien du Sud. Milojcic a admis que les<br />

dernières phases néolithiques, connues sous les noms de <strong>La</strong>rissa et<br />

Rachmani, étaient contemporaines des phases de la <strong>civilisation</strong> Helladi-<br />

que ancien du Sud. On pourrait dire de même du Néolithique macédo-


228 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

nien, qui offre de la céramique à décor peint ou incisé fondé sur la<br />

spire et le méandre - Olynthe, Dikili-Tash et Sitagroi-Photoleivos.<br />

En Thessalie, à Argissa, Milojcic a distingué trois niveaux dans le<br />

Bronze ancien : les Thessalique I, II et III. Le premier présente une<br />

céramique brillante, composée de skyphoi ouverts avec des protubéran-<br />

ces perforées en guise d’anses, des coupes à anses hautes et des ustensi-<br />

les à décor cordé ; c’est cette phase que French a reliée à la deuxième<br />

phase de I’Helladique ancien du Sud. Le deuxième se caractérise par des<br />

coupes profondes à deux anses, semblables à celles de la <strong>civilisation</strong> de<br />

Baden en Europe centrale, et d’autres en Urfirniss ; Milojcic l’a mis en<br />

rapport avec la fin de la phase de Korakou. Enfin le troisième, avec des<br />

bols à lèvre en forme de T et des coupes à anses hautes, Urfirniss, et<br />

des ancres en terre cuite caractéristiques qui correspondent à la phase de<br />

Tirynthe et à la troisième ville de Troie. <strong>La</strong> succession serait donc la<br />

même dans le Nord et dans le Sud mais, dans le premier cas, de plus<br />

courte durée. Des habitats ont été reconnus mais leur exploration a été<br />

retardée : les couches sont très épaisses parce que les murs en brique<br />

crue se sont dissous, et la fouille s’est révélée très coûteuse. Dans la<br />

région de <strong>La</strong>rissa, les murs étaient en pisé ou en brique crue et il y<br />

avait des encadrements de bois à l’entrée ; il n’y a pas eu de plans de<br />

maisons publiés. Dans les rapports on confirme l’existence de nombreu-<br />

ses couches qui se sont succédé. Plus au sud, à Tzani Magoula, à Thè-<br />

bes Phthiotides et à Zérélia, des ustensiles vernis apparaissent encore<br />

assez tard et l’importation de vases du style d’Haghia Marina - light<br />

on dark - prouve que ces couches sont contemporaines de la troisième<br />

phase de I’Helladique ancien du Sud. Quelques figurines debout, com-<br />

munes, grossières, en terre cuite, et une autre petite, ithyphallique<br />

assise, ont gardé des caractères des figurines néolithiques. Dans la vallée<br />

du Spercheios à Lianokladi, la dernière phase du Bronze ancien a des<br />

analogies plus étroites avec la première période de I’Helladique ancien<br />

du Sud. Une maison aux murs droits mais aux angles irréguliers montre<br />

peut-être comme la construction est restée élémentaire. Des ustensiles en<br />

Urfirniss local, et d’autres à décoration géométrique simple, en light on<br />

dark mat, vases qui annoncent la céramique minyenne, prouvent que<br />

nous nous trouvons à la fin de la période. Une grande partie de la céra-<br />

mique rappelle en effet celle de la phase de Tirynthe. Peut-être la vie a-<br />

t-elle continué sur place à l’époque mésohelladique sans solution de<br />

continuité.<br />

En Macédoine et en Thrace, des vestiges de PHelladique ancien ont<br />

été mis au jour, sur quelques sites seulement, en suivant les méthodes<br />

stratigraphiques. D’autres n’ont été que repérés. D’une manière générale


Le Bronze ancien 229<br />

nous n’avons pas une image très nette de l’ensemble de l’évolution.<br />

Dans son livre sur la Macédoine préhistorique (1939), Heurtley a ras-<br />

semblé les informations générales connues alors. Depuis, les recherches<br />

se sont poursuivies de façon irrégulière, dans les vallées de 1’Axios et<br />

d’Haliakmon, dans le bassin de <strong>La</strong>ngada, sur les côtes de Chalcidique,<br />

dans la région du Pangée - Dikili-Tash, Sitagroi, Polystylo - et un<br />

peu moins à l’est, en Thrace.<br />

A Kritsana, en Chalcidique, on a relevé six niveaux d’habitations suc-<br />

cessifs, du début du Bronze, mais dans les premiers on trouve encore<br />

beaucoup de tessons néolithiques alors que d’autres témoignent de rela-<br />

tions avec la première ville de Troie et ressemblent à la céramique de la<br />

phase d’Eutrésis. Les objets en bronze y sont encore très rares, et ce<br />

sont surtout des agrafes. Dans les couches moyennes on a découvert des<br />

vases plus fermés - des bois globulaires à petite embouchure qui por-<br />

tent des traces de tour, des cruches à bec haut, des coupes et des vases<br />

en forme d’outres - peut-être parallèles à ceux de la deuxième phase<br />

du Sud. Toutefois, on ne trouve pas la forme caractéristique de la<br />

G saucière >). Dans les dernières couches, des bols à lèvre en forme de<br />

T, des vases à anses hautes en nœud, et rarement des tessons peints du<br />

style de Tirynthe, correspondent à la troisième phase de 1’Helladique<br />

ancien du Sud. I1 est clair qu’en Macédoine, la première phase présente<br />

davantage de caractères néolithiques ; puis les deux suivantes évoluent<br />

de façon un peu conservatrice et subissent des influences diverses, du<br />

Nord, de l’Est et du Sud. Il est difficile, du moins actuellement, de dis-<br />

tinguer clairement les trois phases. L’évolution semble continue, sans<br />

grandes catastrophes intermédiaires. <strong>La</strong> précoce et singulière apparition<br />

des ancres en terre cuite est peut-être la preuve de leur provenance nor-<br />

dique.<br />

Les outils de pierre - haches, marteaux et massues - conservent<br />

bien des aspects des outils néolithiques. Des flèches en silex à base<br />

concave ont été découvertes dans les dernières couches, comme dans le<br />

Sud. Mais on est surpris que les outils et les armes de métal soient<br />

encore si rares. Seules les épingles et les agrafes sont plus fréquentes.<br />

Les bijoux en métal précieux sont extrêmement rares ; à Saratsi, une<br />

boucle serre-cheveux en or toute simple a été mise au jour.<br />

A Sitagroi, en Macédoine orientale - aujourd’hui Photoleivos - on<br />

a effectué une étude stratigraphique très sérieuse. Des cinq phases, seu-<br />

les les phases IV et V, qui se subdivisent en deux phases secondaires,<br />

peuvent être considérées comme représentatives de l’évolution du début<br />

de l’âge du Bronze. Là aussi, il semble que la <strong>civilisation</strong> néolithique se<br />

soit continuée durant une partie de la phase IV, qui paraît contempo-


230 LA CIVILISATION ÉGBENNE<br />

raine de la <strong>civilisation</strong> d’Eutrésis. Dans cette phase, la céramique est<br />

sombre et brillante, sans autre décor ; des skyphoi plats à anses hautes<br />

ont également été trouvés plus au sud. De simples agrafes et un<br />

hameçon de bronze appartiennent aussi à cette phase. C’est à la phase<br />

suivante - la phase Va - qu’appartient la (( Maison brûlée », cons-<br />

truite en pisé, avec des rangées de poteaux comme supports, en forme<br />

de mégaron avec l’une des extrémités en abside ; cette abside formait un<br />

appentis, séparé de la pièce principale par une cloison. <strong>La</strong> céramique de<br />

cette maison avait un décor incisé, ou plus exactement cannelé, comme<br />

celle d’Europe centrale ; des ustensiles à impression cordée y ont égale-<br />

ment été trouvés, ainsi que quelques autres qui rappellent la première<br />

céramique troyenne. Une maison oblongue, construite de la même<br />

façon, appartient à la phase suivante, Vb. Elle contenait beaucoup<br />

d’ustensiles de stockage, de nombreux bols à anses tubulaires, et des<br />

gobelets à une anse. Quelques outils en bronze et en pierre avec des<br />

trous d’emmanchement sont la preuve des progrès réalisés ; une belle<br />

hache de pierre se termine en tête de félin. On ne sait pas si la vie s’est<br />

prolongée à Sitagroi jusqu’à la fin de I’Helladique ancien. A Dikili-Tash<br />

les premières couches de PHelladique ancien sont plutôt confuses.<br />

En résumé, on peut dire que les premiers éléments de 1’Helladique<br />

ancien ont d’abord atteint les côtes macédonienne et thrace, puis ont<br />

continué lentement vers l’intérieur, en suivant les vallées des fleuves,<br />

sans pouvoir chasser l’élément néolithique local qui a continué à évo-<br />

luer, faiblement influencé par le début de la <strong>civilisation</strong> du Bronze. Là<br />

où il y eut des installations, c’est qu’elles ont profité de sites déserts ou<br />

peu habités, des buttes (toumbès), qui ont été facilement repérées<br />

comme sites d’habitats préhistoriques. I1 y en avait un sur la butte<br />

d’kioupolis - l’ancienne Vardarotsa - et on y a fait quelques sonda-<br />

ges.<br />

Il serait bien difficile de parler de vie sociale organisée, de vie politi-<br />

que ou religieuse ; les éléments sur lesquels on pourrait s’appuyer sont<br />

très peu nombreux et vagues ; la vie économique était fondée sur I’agri-<br />

culture et il ne devait pas s’être développé de commerce systématique.<br />

<strong>La</strong> vie privée se contentait de répondre aux besoins élémentaires ; il ne<br />

fait pas de doute que la vie était très difficile et ne laissait ni le temps<br />

ni les moyens de se délasser. Le niveau restait bas, cela se voit d’après<br />

les habitats et leur équipement primitif. On dirait que le niveau de la<br />

<strong>civilisation</strong> a même baissé par rapport à celui du Néolithique récent.<br />

Dernièrement sont apparus des éléments positifs concernant l’utilisation<br />

du cheval - Equus cabaiius - qu’on ne trouve pas aussi tôt en Anato-<br />

lie ni dans le Sud du continent. Mais on ne sait toujours pas jusqu’à


Le Bronze ancien 23 1<br />

quel point ni comment on l’utilisait, et si c’est du Nord qu’il s’est infil-<br />

tré jusqu’en Grèce continentale à une époque ultérieure.<br />

Au Nord-Ouest helladique, il est encore plus difficile de se faire une<br />

idée de la <strong>civilisation</strong> du Bronze ancien. Les recherches ont été rares et<br />

très sporadiques, et donc très peu publiées ; les éléments varient d’une<br />

région à l’autre, montrant tantôt des ressemblances avec le cycle méri-<br />

dional, tantôt présentant d’indéniables influences de l’Adriatique et de<br />

la Macédoine. Très peu de choses nous sont connues de 1’Étolo-<br />

Acarnanie, et la céramique helladique d’Épire est difficilement classa-<br />

ble ; nous ne sommes donc pas sûr de reconnaître ce qui appartient à<br />

PHelladique ancien ; il semble que la plupart des vases soient mésohel-<br />

ladiques ; ils proviennent en grande partie de la région de Dodone.<br />

Nous sommes mieux informés sur l’évolution de la <strong>civilisation</strong> dans<br />

les Îles ioniennes, surtout Leucade et Ithaque, et un peu moins concer-<br />

nant la Céphalonie et l’île voisine de Meganissi ; Corfou garde davan-<br />

tage un caractère subnéolithique. Les tremblements de terre très fré-<br />

quents et violents dans les Îles ioniennes ont beaucoup contribué à<br />

détruire les sites protohelladiques ; l’habitude de niveler les sols en rem-<br />

plissant les failles avec les pierres des murs tombés n’a pas laissé beau-<br />

coup de vestiges. A Pélikata (Ithaque), on a trouvé une céramique qui<br />

rappelle dans ses grandes lignes - technique, forme, décor - celle des<br />

deux phases d’Eutrésis et de Tirynthe ; dans les niveaux supérieurs on a<br />

mis au jour une céramique, précurseur du minyen. I1 est clair que les<br />

installations d’Ithaque étaient influencées par la <strong>civilisation</strong> du Pélopon-<br />

nèse du Nord-Est. A Leucade, la persévérance de Dorpfeld, qui voulait<br />

y voir l’Ithaque homérique, aboutit à la découverte de précieux éléments<br />

de la fin du Bronze ancien et du début de la période suivante. I1 s’agis-<br />

sait surtout de vestiges de cimetières, dans la plaine de Nidri, sur la<br />

côte orientale. Le cimetière le plus ancien contenait trente-trois tumuli<br />

sur une base discoïde en pierre, à l’intérieur desquels il y avait des sor-<br />

tes de petites cistes dans lesquelles on déposait les morts. Le fouilleur a<br />

cru qu’avant l’enterrement, les corps étaient brûlés sur la surface<br />

empierrée et que les os étaient rassemblés et placés dans les cistes du<br />

socle ou dans la terre accumulée où étaient également dissimulés des<br />

pithoi funéraires. Mais la crémation n’a pas non plus été confirmée<br />

dans les tumuli de Marathon. Le diamètre de ces derniers allait de 2,70<br />

à 9’60 mètres ; on en a trouvé de semblables en Messénie, qui appar-<br />

tiennent sans aucun doute au mésohelladique, comme ceux de Marathon<br />

d’ailleurs. Cela fait qu’on n’est pas absolument sûr que les tumuli de<br />

Nidri datent de la dernière phase de 1’Helladique ancien. Les quelques<br />

bijoux d’or et d’argent, des lames de bronze, des outils et un hameçon,


232 LA CiViLlSATlON BGPENNE<br />

des pointes de flèches en silex et des lames d’obsidienne, qui ont surtout<br />

été trouvés sur des foyers ne sont pas très caractéristiques et ne permet-<br />

tent pas une datation précise. II est vrai qu’une partie de la céramique<br />

rappelle des phases de I’Helladique ancien et plus particulièrement de la<br />

deuxième. Mais d’autres ustensiles, peu nombreux cette fois, évoquent<br />

des exemplaires mésohelladiques et on est donc en droit de soupçonner<br />

qu’à Leucade se sont mêlés des éléments de I’Helladique ancien épirotes<br />

provenant du Péloponnèse et d’Attique, après que se furent installés<br />

dans ces régions les nouveaux éléments raciaux mésohelladiques. D’autre<br />

part, il est clair qu’il y a eu infiltration d’éléments de <strong>civilisation</strong> à par-<br />

tir de l’Adriatique, comme cela a été le cas pour presque tout l’Ouest<br />

de la Grèce méridionale et centrale. Un poignard à manche doré est<br />

décoré de spires de type cycladique. I1 est normal qu’il y ait eu des con-<br />

tacts, par des bateaux qui faisaient le tour du Péloponnèse, avec les îles<br />

et la côte orientale de l’Égée, et ceux-ci ont laissé des traces sous forme<br />

d’objets importés. Des poignards triangulaires, avec un dos et deux ou<br />

quatre trous dans le talon, des pointes de lances avec les fentes habi-<br />

tuelles, de simples couteaux, des forets, des tranchets prouvent la persis-<br />

tance d’une tradition cycladique. D’autres groupes de tombes de Leu-<br />

cade semblent plus récents et appartiennent nettement à I’Helladique<br />

moyen.<br />

II est clair que tout le Nord de la Grèce et les îles ioniennes deman-<br />

dent encore une longue exploration systématique, pour que puisse être<br />

étudiée l’évolution des différentes branches de l’artisanat, des types<br />

d’habitats et de la vie sous ses différentes formes. Et aussi pour qu’on<br />

puisse suivre, même sous une forme très générale, l’évolution historique<br />

avec les installations diverses et les déplacements des différentes tribus<br />

préhistoriques et les courants qui se sont croisés. Même les éléments que<br />

nous possédons actuellement ont besoin d’être étudiés et classés plus<br />

systématiquement.


CHAPITRE IV<br />

LE BRONZE ANCIEN DANS L’EST ÉGÉEN<br />

(Civilisation prototroyenne)<br />

Troie est le premier site du monde égéen à avoir été fouillé, même si<br />

cela a été fait par un amateur et, pourrait-on dire, de façon antiscienti-<br />

fique ; Henri Schliemann, homme enthousiaste et d’imagination fertile,<br />

a persisté jusqu’à sa mort à reconnaître la Troie homérique dans les rui-<br />

nes de l’habitat du Bronze ancien. Depuis, on a appris bien des choses<br />

sur la <strong>civilisation</strong> de l’est de l’Égée - la côte ouest de l’Asie Mineure et<br />

les îles voisines. Des recherches systématiques ont prouvé que cette<br />

région relève indubitablement de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> et qu’elle a évo-<br />

lué de façon comparable. <strong>La</strong> région du Sud-Est s’est révélée également<br />

très importante lors de recherches récentes, dont les résultats d’ensemble<br />

n’ont malheureusement pas encore été publiés. D’après ce que nous en<br />

savons, la forme de la <strong>civilisation</strong> varie d’une région à l’autre et le Sud<br />

semble avoir des relations beaucoup plus étroites avec la <strong>civilisation</strong><br />

cycladique. Signalons un fait très important : c’est dans cette région<br />

qu’on trouve quelques-unes des racines de la <strong>civilisation</strong> du reste du<br />

monde égéen ; c’est là que la métallurgie a commencé à se développer ;<br />

une longue période chalcolithique y a précédé 1’Age du Bronze. L’évolu-<br />

tion essentielle ne s’est pas réalisée seulement dans les centres de la côte<br />

et de l’arrière-pays - Troie, Yortan, Kum-Tépé, Iasos, etc. - mais<br />

aussi dans les habitats des îles voisines - Poliochni de Lémnos, Thermi<br />

de Lesbos, Emporio de Chios, et un peu moins à I’Héraion de Samos.<br />

Les centres côtiers se trouvaient en contact avec d’autres centres d’Ana-<br />

tolie, plus à l’intérieur - Kusura, Semayük et Beyce Sultan - qui,<br />

bien sûr. n’appartiennent pas à la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>.


Architecture domestique et architecture funéraire<br />

A Troie, le site principal, où tant de villes se sont succédé sur la<br />

petite colline d’Hissarlik - dernière hauteur de la chaîne de montagnes<br />

qui se termine par la petite plaine du Scamandre - les recherches de<br />

Schliemann, de Dorpfeld, des Américains Blegen, Caskey, etc., ont eu<br />

du mal à distinguer les différentes couches et à éclaircir au moins les<br />

grandes lignes de l’évolution. Parmi les neuf niveaux qui ont finalement<br />

été considérés comme principaux, seules les villes I à V appartiennent<br />

au Bronze ancien. Le site avait été choisi de façon à pouvoir contrôler<br />

les passages terrestres d’est en ouest, et maritimes du Pont-Euxin à la<br />

mer Égée, par l’Hellespont. Dès le début, il y a eu des fortifications et<br />

des grands bâtiments ont été construits, ce qui prouve l’importance de<br />

cet habitat. I1 est toutefois clair qu’une grande partie de la population,<br />

particulièrement au début, habitait tout autour et ne se réfugiait sur<br />

l’acropole qu’en cas de besoin. <strong>La</strong> colline tombait à pic au nord, tandis<br />

qu’au sud elle était reliée aux collines voisines par un étroit passage, et<br />

plus facilement accessible ; l’enceinte n’avait pas besoin de tours au<br />

nord alors qu’elle en comptait sur les autres côtés où se trouvaient les<br />

portes. Le péribole de la première ville avait à peu près cent mètres de<br />

diamètre ; pas beaucoup plus grand dans la deuxième ville, il était<br />

mieux construit, plus solidement : des angles brisés à l’ouest consti-<br />

tuaient des bastions et près du premier angle il y avait une poterne. Une<br />

longue rampe menait à la porte secondaire où se formait une sorte de<br />

dipylon entre des murs parallèles ; mais c’est sur le côté sud, après des<br />

angles saillants comme des bastions, que se trouvait la porte principale,<br />

avec un dipylon mieux fait, entre deux murs parallèles formant deux<br />

vestibules assez larges devant et derrière ; le côté est était pourvu de<br />

tours carrées. Le mur avait une épaisseur de cinq à dix mètres dans sa<br />

partie inférieure, se réduisant en haut avec l’inclinaison ; la courtine<br />

avait de trois à quatre mètres de large. Le mur est conservé<br />

aujourd’hui, en certains endroits, sur une hauteur de vingt-huit mètres,<br />

mais la partie supérieure était sans aucun doute en briques crues et<br />

devait comporter des créceaux au sommet. Un peu à l’intérieur, à envi-<br />

ron douze mètres de la grande porte, il y avait un autre propylon, plus<br />

petit mais de forme identique au premier, qui constituait l’entrée de la<br />

cour devant le mégaron principal. Ce dernier dominait les autres bâti-<br />

ments placés symétriquement de chaque côté, et dont un ou deux<br />

étaient eux aussi en forme de mégaron. Le mégaron principal n’est mal-<br />

heureusement pas conservé en entier mais, grand et imposant comme il<br />

était, avec son toit en terrasse, il devait se voir de loin quand on arri-


Le Bronze ancien 235<br />

vait de la côte ; il atteignait 10 x 20 métres et était construit en briques<br />

crues sur des socles en pierre. Le vestibule (I’aithorisa) était carré, tout<br />

ouvert devant et sans colonnes. <strong>La</strong> salle principale n’avait pas non plus<br />

de supports intérieurs autour du foyer circulaire qui se trouvait presque<br />

au centre et avait un diamètre de quatre mètres. I1 y avait des armatu-<br />

res en bois dans les murs, les embrasures et le toit plat. Le crépi des<br />

murs était en argile fine. <strong>La</strong> ville précédente - celle de Troie I - com-<br />

portait un mégaron semblable, orienté différemment, plus petit et moins<br />

bien fini ; mais les bâtiments de cette ville ont été fortement endomma-<br />

gés par le fouilleur lui-même qui ne s’intéressait qu’à la ville de Priam.<br />

Au contraire de la première, la deuxième ville donne l’impression<br />

qu’elle devait être le siège d’un toparque puissant ou d’un roi qui exer-<br />

çait un pouvoir centralisé et un contrôle sur les communications routiè-<br />

res et maritimes. Cette impression fut affermie par la découverte d’un<br />

trésor d’objets en or, bronze et pierre, à l’extérieur d’un angle du mur,<br />

peut-être caché là lors de la catastrophe finale.<br />

Les fortifications des trois villes qui ont suivi - Troie III, IV et V -<br />

sont intéressantes, mais elles ne donnent pas l’impression de force et de<br />

recherche d’une sécurité absolue ; les constructions ont été en grande<br />

partie détruites par la grande tranchée ouverte par Schliemann, mais<br />

elles n’étaient pas aussi importantes que les mégara de la deuxième ville.<br />

A Lémnos, les couches II et III de l’habitat correspondent à Troie I<br />

mais, sous celles-ci, on a reconnu des couches plus anciennes apparte-<br />

nant à un village rural, avec des cabanes ellipsoïdales. Poliochni II tou-<br />

tefois est devenue une bourgade fortifiée d’environ deux cents mètres de<br />

long, constituée par des ensembles de maisons disposées en plusieurs<br />

blocs. Dans la phase suivante, il y a peu de changements. Même dans la<br />

phase IV - qui correspond à Troie II, du moins en partie - l’habitat<br />

est pauvre et ne peut se comparer à la ville de Troie ; la phase suivante<br />

de Poliochni V a duré assez longtemps et semble correspondre à la fin<br />

de Troie II et à Troie III-IV ; après une solution de continuité, la phase<br />

VI de Poliochni semble correspondre à Troie V. Toutefois, ces distinc-<br />

tions sont fondées sur la céramique trouvée par secteurs et elles ne nous<br />

donnent pas une image complète du renouvellement continuel de cette<br />

importante bourgade. Le trésor de Poliochni comporte des ressemblan-<br />

ces assez étroites avec celui de Troie Il.<br />

Les habitats du Bronze ancien mis au jour à Thermi (Lesbos) repré-<br />

sentent cinq couches successives, connues sous les noms de Thermi I-V,<br />

et correspondant à Troie I et au commencement de Troie II. A Thermi<br />

III il existe un mur de fortification et l’habitat rural pacifique est rem-<br />

placé par une ville avec des ensembles de maisons très denses, que sépa-


236 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

rent des ruelles ; dans bien des cas leurs ramifications sont simplement<br />

des impasses. L’habitat change de caractère et devient un établissement<br />

urbain, comme à Poliochni. Les murs se renforcent de bastions placés à<br />

de petites distances les uns des autres, et reliés aux murs principaux par<br />

des murs qui isolent de petits compartiments intérieurs. Les portes,<br />

étroits passages, sont protégées par des murs latéraux. Dans les phases<br />

suivantes, l’habitat est resté simple et, avec ses constructions oblongues<br />

et serrées, il nous donne une image intense de la vie à cette époque.<br />

A Emporio de Chios, les résultats des fouilles n’ont finalement pas<br />

été publiés. Les couches les plus anciennes correspondent à Troie I, les<br />

couches suivantes à Troie II, avec pourtant des caractères archaïques du<br />

début de la <strong>civilisation</strong> troyenne. Ici aussi on a adopté la construction<br />

serrée.<br />

L’habitat de 1’Héraion de Samos est né à peu près à l’époque de<br />

Troie II et les couches I-V ne correspondent pas seulement à Troie II,<br />

mais aussi aux villes suivantes (III-V). L’impression générale est que cet<br />

habitat se rattache davantage à la Carie et, dans une certaine mesure<br />

aux Cyclades, qu’aux îles du Nord et à Troie. C’est ce qui est apparu<br />

après les recherches relativement récentes menées à Iasos en Carie par<br />

Doro Levi. Malheureusement, ces fouilles se sont surtout limitées aux<br />

cimetières et nous avons appris peu de choses sur l’habitat, de même<br />

que sur Müskebi dans la péninsule d’Halicarnasse.<br />

Les cimetières des sites intérieurs - Yortan, Kusura et Karatas-<br />

Semayük - sont plus connus (surtout par des fouilles clandestines) que<br />

les bourgs ; toutefois, la céramique et les autres trouvailles nous permet-<br />

tent de conclure que la <strong>civilisation</strong> de cette région se situe à mi-chemin<br />

entre celle du monde égéen et celle de l’Anatolie centrale. Des rappro-<br />

chements ont permis de dater les habitats des époques Troie I-IV.<br />

Pour ce qui est de l’architecture funéraire, la région de Troie et des<br />

îles voisines nous renseigne fort peu. Pour le début, nous ne connais-<br />

sons pas de sépultures, excepté celles d’enfants dans des jarres, placées<br />

dans les maisons ou entre les maisons, comme à Poliochni IV. A<br />

Troie II on ne connaît que des sépultures d’adultes, individuelles et isolées,<br />

pas de cimetières organisés. I1 en est de même dans les îles voisines.<br />

Dans la phase finale, qui correspond à Troie III-V, nous ne savons rien<br />

de plus. Mais le vide dans le domaine de l’architecture funéraire est un<br />

peu comblé pour l’Asie Mineure du Nord-Ouest par les recherches de<br />

Iasos et, pour la région de Yortan par les recherches non systématiques<br />

et en grande partie clandestines. L’important cimetière de Iasos renfer-<br />

mait des tombes à ciste, faites de grandes dalles et utilisées pour une ou<br />

plusieurs sépultures, souvent accompagnées d’un mobilier funéraire très


Le Bronze ancien 237<br />

simple - des ustensiles en terre cuite ou en pierre et, plus rarement,<br />

des objets de bronze. Les rapports étroits entre ces tombes et celles des<br />

Cyclades sont admis par tous. Les trouvailles céramiques permettent de<br />

les dater des époques de Troie I et II ; on n’a pas trouvé d’objets<br />

datant de la phase finale du Bronze ancien.<br />

Dans la région de Yortan on a mis au jour davantage de cimetières<br />

dont les tombes ont été pillées par intervalle. <strong>La</strong> plupart des sépultures<br />

se faisaient en jarre et les corps étaient placés en position contractée.<br />

Les tombes à ciste avec des dalles verticales y sont plus rares. Le mobi-<br />

lier funéraire - surtout des vases de terre cuite - prouve que, là aussi,<br />

les cimetières étaient utilisés à l’époque qui correspond aux villes de<br />

Troie I et Troie II. Certains pensent qu’on avait commencé à les utiliser<br />

avant et il y a des formes de vases et d’objets métalliques qui font pen-<br />

ser qu’ils étaient encore en usage au début de la troisième phase du<br />

Bronze ancien. Le cimetière de Kusura, près d’ Afion-Karahisar, était<br />

semblable. Un autre cimetière, près de Karatas-Semayük, en Lycie, a<br />

surtout donné des sépultures en jarres. Le carbone 14 le met contempo-<br />

rain de la fin de Troie I et du début de Troie II. Mais la céramique<br />

montre qu’il a été en usage jusqu’à l’époque de Troie IV, c’est-à-dire<br />

au milieu de la phase finale du Bronze ancien.<br />

Les différentes branches de 1 ’artisanat<br />

Dans l’Est égéen, les différentes branches de l’artisanat se sont beau-<br />

coup développées, quoique à un rythme plus lent et de manière plus<br />

conservatrice que dans les Cyclades, la Crète ou le Sud du continent<br />

grec. Cela est en accord avec la nature et l’esprit de l’Orient. C’est le<br />

métal qui a constitué le facteur de base du développement, et surtout le<br />

travail du cuivre qui continuait une tradition très ancienne remontant au<br />

début du Chalcolithique. Malheureusement, le pillage des habitats lors<br />

de leur destruction, la rareté des cimetières explorés de façon systémati-<br />

que, la pauvreté du matériel funéraire déposé, ont fait que nous ne<br />

sommes pas assez renseignés sur les différentes branches de l’artisanat,<br />

et surtout sur celles qui laissent toujours très peu de traces parce que les<br />

matières utilisées sont périssables. Heureusement, la mise au jour de tré-<br />

sors royaux à Troie et à Poliochni est venue compléter, pour une<br />

grande part, le vide laissé par les autres informations. Toutefois, il fau-<br />

dra des recherches plus vastes et plus systématiques pour que nous puis-<br />

sions nous faire une idée relativement satisfaisante de l’évolution de<br />

l’art et de l’artisanat au Bronze ancien.


<strong>La</strong> céramique<br />

Pour le Bronze ancien de la région de Troie, la céramique la plus<br />

ancienne provient de l’habitat de Kum-Tépé, près de Troie. Elle a un<br />

caractère nettement subnéolithique et l’ustensile le plus typique est le<br />

bol ouvert, à lèvre épaisse tournée vers l’intérieur avec, en guise<br />

d’anses, des protubérances cylindriques ; dès le début, on rencontre des<br />

décors géométriques faits au polissoir. <strong>La</strong> surface de l’argile sombre est<br />

soigneusement polie. A Troie I la céramique, presque toujours lourde,<br />

utilise très peu de formes : le bol dont la lèvre fait un angle vers I’inté-<br />

rieur, avec des anses cylindriques perforées sur la lèvre, et la cruche à<br />

bec tronqué oblique. Ce genre de céramique reste monochrome et pres-<br />

que sans autre décor, sauf l’incision vers la fin de la période ; un décor<br />

blanc sur fond sombre fait timidement son apparition. Les autres for-<br />

mes sont : les bols à pied et les bols à parois courbes.<br />

A Poliochni, une phase plus ancienne que celle de Troie I a donné<br />

une céramique lourde, ouverte et polie, tandis que celle qui est contem-<br />

poraine de Troie I est assez semblable à celle-ci, comme d’ailleurs à<br />

Thermi de Lesbos.<br />

<strong>La</strong> céramique de Troie II, quoique monotone avec ses ustensiles de<br />

couleur sombre, polis, présente une plus grande variété de formes qui<br />

évoluent, elles aussi, tout au long de l’histoire de la ville. Avec le<br />

temps, les ustensiles deviennent de couleur plus claire, souvent marron<br />

clair et feu. Vers le milieu de la phase, certains d’entre eux - les bols à<br />

lèvre retournée - sont faits au tour, et c’est alors qu’apparaît la forme<br />

très particulière du gobelet conique avec les deux grandes anses en arche<br />

que Schliemann a baptisé (( dépas amphikypellon ». Les cruches acquiè-<br />

rent une forme audacieuse : panse ovoïde et bec haut ; des cruchons à<br />

panse globulaire et col cylindrique sont souvent décorés en relief des<br />

caractéristiques du visage humain, de seins et d’un nombril discoïde.<br />

Des excroissances servant d’anses se tournent vers le haut, comme des<br />

bras. Les bols courbes, à une ou deux anses, sont fréquents. L’influence<br />

des ustensiles métalliques est très nette. Quelques vases prennent nette-<br />

ment une forme plastique, comme un cruchon anthropomorphe aux<br />

mains duquel sont suspendus un bol ou des outres en forme de quadru-<br />

pèdes et d’oiseaux. I1 n’est pas rare qu’on assemble plusieurs récipients<br />

qui prennent parfois la forme d’un kernos. Quand il y a décor, c’est<br />

toujours un décor incisé ou en relief, et il se limite à des motifs géomé-<br />

triques simples. Les vases de type ancien survivent dans l’usage courant,<br />

comme les pyxides globulaires et cylindriques, les marmites tripodes, les<br />

cruches, etc.


Le Bronze ancien 239<br />

A Thermi de Lesbos, des ustensiles de couleur sombre, polis, aussi<br />

bien que certaines cruches à ailerons, se trouvent au début de Troie II ;<br />

certains archéologues les croient plus anciens. Le (( dépas H n’existe pas<br />

alors qu’on le trouve à Poliochni V ; mais la céramique de Poliochni IV<br />

et V - correspondant à Troie II - est beaucoup plus conservatrice,<br />

même si elle offre des formes plus élégantes comme les coupes, les bols<br />

et les cruches. <strong>La</strong> céramique d'Emporia de Chios semble encore plus<br />

conservatrice ; elle rappelle par bien des points celle de la période précé-<br />

dente à Troie. A I’Héraion de Samos elle présente beaucoup de parallè-<br />

les avec celle de la deuxième ville de Troie - (( dépas amphikypellon n,<br />

cruches à bec, gobelets à deux anses - mais, en même temps, elle se<br />

rattache aux Cyclades et a la Carie par certains traits.<br />

Dans la phase qui correspond à Troie III-V - dernière phase du<br />

Bronze ancien - la céramique a sensiblement changé et elle a surtout<br />

perdu le dynamisme qu’elle avait dans la deuxième phase, quoiqu’elle<br />

marche sur les traces de cette dernière. L’impression d’ensemble est une<br />

impression de continuité et de conservatisme, et il y a de nombreux cas<br />

où on hésiterait à classer la céramique dans cette phase si l’on s’en<br />

tenait aux caractéristiques morphologiques et techniques. Mais on ne<br />

peut toutefois s’empêcher de reconnaître de la grâce - aussi recherchés<br />

qu’ils soient - aux récipients en forme de cruchons à couvercle cylin-<br />

drique et anses hautes en ailerons, dont Troie et Poliochni nous ont<br />

donné de beaux exemples.<br />

<strong>La</strong> céramique de la région de Iasos est étrange ; les ustensiles de cou-<br />

leur sombre, polis, avec deux exemples comportant un décor blanc géo-<br />

métrique, semblent être de l’époque de Troie I, tandis que d’autres,<br />

comme ceux en forme de gourdes qui ont des anses du type


<strong>La</strong> plastique et la petite sculpture<br />

Dans l’artisanat de l’Est égéen, le modelage et la petite sculpture ne<br />

se distinguent pas particulièrement. Comme dans les Cyclades et le con-<br />

tinent grec, il ne semble pas qu’il y ait eu une religiosité qui aurait<br />

donné l’élan à ces techniques ; et les croyances concernant la vie après<br />

la mort n’ont pas poussé à la confection de figurines comme dans les<br />

Cyclades et les régions qui se trouvaient sous influence cycladique. Mais<br />

des conceptions très anciennes avaient cristallisé certains types qu’on<br />

répétait de façon presque stéréotypée, exactement comme cela s’était<br />

passé dans les îles pendant la première phase et dans le centre et le nord<br />

du continent grec au Néolithique récent. On ne peut affirmer que ce<br />

sont ces conceptions qui ont contribué à donner un aspect humain à<br />

certains types de vases et à la confection de vases plastiques en forme<br />

de quadrupèdes et d’oiseaux.<br />

Des figurines grossières en terre cuite, humaines et animales, étaient<br />

utilisées dès la première ville de Troie et on les rencontre dans les cou-<br />

ches les plus anciennes de Thermi (Lesbos). Certaines d’entre elles sont<br />

plates, comme ailées, et de grosses incisions rendent les traits du visage<br />

et les caractéristiques du corps. Les figurines de pierre sont du type en<br />

violon sans détails, ou bien avec un rendu élémentaire des traits du<br />

visage. On en connaît de semblables à Kusura et à Beyce Sultan, ces<br />

dernières ayant un long cou et pas de tête.<br />

Le travail de la pierre. Vases et outils<br />

Le grand effort fait sur la céramique a conduit à l’abandon général<br />

de la technique des vases de pierre. Si l’on fait exception d’ustensiles<br />

très communs comme les auges, les pilons, les petites bassines, etc. on<br />

ne trouve pas de vases de pierre faits avec art, sauf en Carie ; à lasos,<br />

par exemple, on a découvert dans les tombes quelques vases en marbre<br />

très comparables à ceux de la première phase des Cyclades, celle de<br />

Pélos-Grotta ; et les rapports entre les deux sont évidents.<br />

Toutefois, les outils de pierre étaient beaucoup plus utilisés que dans<br />

les autres régions du monde égéen et l’on voit par là combien la tradi-<br />

tion néolithique et chalcolithique des outils en pierre s’est maintenue.<br />

Leur utilisation se prolonge dans toutes les phases et presque sur toute<br />

la côte et les îles voisines. Les herminettes avec un trou pour assurer<br />

I’emmanchement ou simplement un évidement de chaque côté, sont<br />

caractéristiques. Les quatre haches-herminettes en néphrite et en lapis-


Le Bronze ancien 24 1<br />

lazuli qui ont été trouvées en même temps que les objets d’or du trésor<br />

connu sous le nom de (( Trésor de Priam », daté de la fin de Troie II,<br />

sont merveilleusement travaillées. <strong>La</strong> partie centrale est décorée<br />

d’anneaux en relief, de bandes de points et de lignes incisées serrées ;<br />

l’extrémité se termine en hache à un seul tranchant, asymétrique. <strong>La</strong><br />

forme, très dynamique, rappelle des outils semblables trouvés à Kurgan,<br />

en Russie méridionale. Et il n’est pas sûr qu’elles n’aient pas été impor-<br />

tées de là.<br />

D’autres outils sont très petits, faits en silex et en obsidienne. Ils rap-<br />

pellent ceux de la <strong>civilisation</strong> microlithique du Paléolithique récent et du<br />

Mésolithique, et d’autres du Néolithique acéramique. Ce sont des cou-<br />

teaux, des ciseaux, des tranchets, des petites scies, des grattoirs, etc.<br />

<strong>La</strong> métallurgie<br />

Dans l’Est égéen non plus, on ne remarque guère de progrès dans<br />

l’art du métal au cours de la première phase. I1 faut toutefois admettre<br />

qu’il était plus effectif que dans les autres régions de l’Égée, Crète com-<br />

prise. L’important c’est qu’il a été confirmé que c’est là qu’ont com-<br />

mencé les premières expériences d’alliages appropriés et résistants, puis-<br />

que les sources d’étain étaient plus facilement accessibles. Quelques<br />

trouvailles en bronze - épingles, aiguilles, anneaux, simples lames de<br />

couteaux - proviennent de Troie I. Des petites lames de poignards ont<br />

également été trouvées dans les plus anciens bourgs de Poliochni et de<br />

Thermi. C’est dans ce dernier qu’a été découverte la première broche en<br />

bronze contenant une assez grande proportion d’étain. Thermi a égale-<br />

ment fourni le plus ancien moule, en argile cette fois, destiné à la fabri-<br />

cation de poignards avec un dos, tandis que des moules en pierre, plus<br />

avancés dans le temps, ont été découverts à Poliochni et à Troie II.<br />

C’est dans la première phase de Poliochni qu’est attestée la plus<br />

ancienne tentative de fabrication d’outils selon la technique de la cire<br />

perdue, si l’on en juge d’après les restes d’un moule en terre cuite,<br />

brisé, qui était destiné à une hache avec trou d’emmanchement. <strong>La</strong><br />

continuation de cette technique est confirmée par une petite figurine en<br />

bronze, provenant du trésor K de Troie. Les multiples objets de bronze<br />

qui ont été trouvés dans le grand a Trésor de Priam >) aussi bien que<br />

dans des trésors contemporains, découverts dans la deuxième ville de<br />

Troie, témoignent de l’évolution des différentes techniques de la métal-<br />

lurgie du bronze - laminage, soudure, clouage, martelage, etc. Le pre-


242 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

mier de ces trésors, en dehors des objets en or, a fourni un assez grand<br />

nombre de vases de bronze - Iébès, gobelets, cruches, etc. - et<br />

d’innombrables ciseaux, lames de couteaux et haches à un seul tran-<br />

chant. Le trésor K se composait exclusivement d’objets de bronze -<br />

haches étroites, poignards de type simple, un couteau à lame recourbée<br />

et une bague obtenue par découpage ; en même temps, on a trouvé une<br />

figurine de bronze. Des ustensiles et des outils en bronze - poignards,<br />

lances, haches, couteaux, ciseaux - proviennent d’autres trésors de la<br />

même ville qui, à ce qu’il semble, appartenaient au chef.<br />

En dehors des bronzes, le (( Trésor de Priam )) contenait aussi trois<br />

ustensiles en or - deux coupes profondes sans anses dont la surface<br />

était légèrement martelée, et une sorte de saucière à deux becs avec<br />

deux grandes oreilles en arches -, un en électrum (mélange d’or et<br />

d’argent) et douze en argent.<br />

C’est de ces trésors de Troie II et d’un célèbre trésor, provenant de la<br />

ville de Poliochni contemporaine, que nous avons les principaux rensei-<br />

gnements sur l’art des bijoux du début du Bronze dans l’Est égéen. Très<br />

peu de bijoux, en bronze, en argent, en or et en plomb, ont été mis au<br />

jour dans les habitats de la première phase de Troie, Poliochni ou<br />

Thermi. Ce sont surtout de simples anneaux, des broches et des épin-<br />

gles, des boucles pour les cheveux, etc. Mais dans la deuxième phase les<br />

bijoux se diversifient et sont, dans bien des cas, très réussis ; ils utilisent<br />

les méthodes de la métallurgie - laminage, martelage, soudure,<br />

repoussé, ainsi que le filigrane et le grènetis. Le fait que beaucoup de<br />

ces bijoux fassent partie de trésors royaux ou princiers prouve que cer-<br />

tains d’entre eux devaient être ce que l’époque pouvait produire de<br />

mieux. Le trésor bien connu dit (( de Priam )) à Troie, en contenait<br />

d’admirables et dignes de rois. En même temps on a trouvé six lingots<br />

(pélanos) oblongs d’argent non travaillé. Les bijoux en or doivent être<br />

des bijoux de femmes : trois diadèmes dont deux comportaient des chaî-<br />

nes de pendeloques, qui se terminaient par des feuilles découpées en<br />

forme de figurines féminines, quatre boucles d’oreilles courbées comme<br />

des petits paniers et environ une cinquantaine d’anneaux tout simples,<br />

quatre bracelets en or et une trentaine de perles et petites pendeloques.<br />

Le grènetis qui décorait certains de ces bijoux, était utilisé pour la pre-<br />

mière fois ; c’était une technique très difficile parce qu’il fallait, lors du<br />

collage, maintenir la température des petites boules microscopiques avec<br />

un grain de charbon. C’est presque en même temps, nous l’avons vu,<br />

que cette technique a fait son apparition en Crète. Peut-être une puis-<br />

sance magique ou une croyance en une protection divine étaient-elles<br />

liées à certains de ces bijoux qui ne sont pas les seuls connus. D’autres


Le Bronze ancien 243<br />

trésors, provenant de Troie, en ont fourni de semblables et dans l’un<br />

d’eux - le trésor O - on a trouvé deux épingles en or décorées de<br />

rosaces, de spires et d’une série de petites cruches sur une base rectan-<br />

gulaire, qui appartenaient peut-être au même ensemble de bijoux<br />

royaux. Dans les autres régions, le trésor de bijoux qui ressemble le<br />

plus aux troyens provient d’un bâtiment de Poliochni, contemporain de<br />

la fin de Troie II. Les bijoux les plus importants étaient une épingle<br />

avec, à la tête, des oiseaux antithétiques et des spires, des boucles<br />

d’oreilles à pendants en chaîne et des boucles d’oreilles comme celles de<br />

Troie, avec des lames taillées en forme de femme, des bracelets-<br />

anneaux, des boutons et des perles de colliers. Beaucoup de ces bijoux<br />

de l’Est égéen présentent une étroite parenté avec ceux des Cyclades,<br />

surtout ceux qui sont en argent - épingles avec des petites cruches, des<br />

spires ou des oiseaux, et des pendeloques à quatre spires.<br />

Ce n’est peut-être pas un hasard si dans toutes les régions de l’Égée<br />

l’art des bijoux est si prospère au cours de la deuxième phase du<br />

Bronze ancien. Dans la dernière phase de l’Est égéen, les progrès dans<br />

ce domaine se poursuivent, comme l’ont prouvé les bijoux isolés ; mais<br />

la floraison est passée, à moins que le hasard mette derechef au jour<br />

des trésors semblables à ceux de l’époque précédente.<br />

Les autres branches de l’artisanat<br />

Comme dans les autres régions du monde égéen, nos informations sur<br />

les autres branches de l’artisanat sont limitées, particulièrement en ce<br />

qui concerne celles qui utilisent des matériaux périssables. En dehors du<br />

métal, on employait d’autres matériaux pour confectionner des objets<br />

de parure, des matériaux communs et d’autres précieux ou semi-<br />

précieux. Des perles de terre cuite, faïence, pâte de verre, sardoine, cris-<br />

tal de roche et ambre, ajoutaient à la variété des colliers. Dans le trésor<br />

de Troie qui a fourni les quatre splendides haches de pierre, il y avait<br />

des morceaux de cristal de roche et des objets façonnés, comme<br />

quarante-cinq disques, peut-être des ornements de ceintures. Le trésor<br />

M contenait un objet en faïence, peut-être une anse. Des pommeaux de<br />

poignards avaient été fabriqués en cristal de roche, en faïence ou en<br />

ivoire. C’est peut-être de manches de poignards que proviennent des<br />

petites plaquettes allongées qui se rétrécissent vers le bas et qui sont<br />

décorées de disques ciselés. <strong>La</strong> première importation d’ambre de la<br />

région de la Baltique joue un rôle important. Les sceaux, surtout en<br />

terre cuite, destinés à l’estampage, sont fort peu nombreux, et la plu-


244 LA CIVILISATlON ÉGPENNE<br />

part d’entre eux proviennent de Troade. <strong>La</strong> glyptique, en tant que tech-<br />

nique, ne semble pas être particulièrement développée.<br />

Quant au tissage, les innombrables fusaïoles en terre cuite à décora-<br />

tion gravée, quelques poids de tissage en terre cuite et des tissus carbo-<br />

nisés, ne sont que des indications relativement pauvres. L’absence de<br />

représentations et d’idoles habilement faites nous ôte la possibilité de<br />

connaître les vêtements, les coiffures et les chaussures. De même nous<br />

ne savons rien, ou presque rien, de techniques comme la vannerie, le<br />

tressage de la paille ou des fils, la confection des filets, etc. Bien sûr, il<br />

ne fait pas de doute qu’elles étaient toutes relativement développées,<br />

mais on peut considérer comme certain qu’elles n’ont pas dépassé le<br />

stade de la manufacture domestique.<br />

Image générale de la vie économique, sociale, politique, religieuse<br />

et privée<br />

C’est une économie mixte, agricole et industrielle, desservie par un<br />

commerce organisé, qui constituait sans aucun doute la base de la vie<br />

économique dans les principaux centres de l’Est égéen. Le choix des<br />

sites dépendait pour une grande part de ce que pouvait apporter cette<br />

combinaison. <strong>La</strong> culture de la terre disponible est devenue intensive,<br />

mais il est étrange que dans des régions comme celle de Troie, le blé ait<br />

été préféré à l’orge, alors que dans presque toutes les régions du monde<br />

égéen c’était le contraire. Les restes carbonisés de céréales, légumineuses<br />

et fruits, trouvés dans les jarres et les silos nous auraient donné bien<br />

des indications sur les diverses cultures si on y avait porté plus d’atten-<br />

tion. Malheureusement, il est très rare qu’ils aient été mis de côté et<br />

analysés. On essaie de tirer des conclusions sur la culture de la vigne et<br />

l’utilisation du vin, à partir des ustensiles particuliers comme, par exem-<br />

ple, le (( dépas amphikypellon )) ou d’autres gobelets, souvent en métal.<br />

Quant à la culture de l’olivier, les éléments dont nous disposons sont<br />

encore moins nombreux ; il n’y a pas eu de lampes reconnues de façon<br />

certaine comme telles, et on distinguerait très difficilement les ustensiles<br />

destinés à l’huile. <strong>La</strong> zone la plus au nord n’a pas un climat propice à<br />

une telle culture, quoique des îles comme Lémnos et Lesbos produisent<br />

un peu d’olives. Le Sud-Est - comme aujourd’hui d’ailleurs - présen-<br />

tait des conditions beaucoup plus favorables, et les relations qu’il avait<br />

avec les Cyclades laissent peu de doute sur le fait que la culture de l’oli-<br />

vier était assez répandue.<br />

Les restes d’ossements, de dents et de cornes d’animaux, prouvent


Le Bronze ancien 245<br />

qu’on s’adonnait en même temps à l’élevage et qu’il s’agissait essentiel-<br />

lement des mêmes espèces ; dans la plaine du Scamandre, les vallées des<br />

autres fleuves et les plaines des îles, il devait y avoir des troupeaux de<br />

bovins. <strong>La</strong> tradition hellénique postérieure a fait du roi Priam un<br />

vacher. Toutefois, cela vaudrait la peine de se consacrer à une étude<br />

plus systématique des squelettes d’animaux, pour avoir des données sta-<br />

tistiques plus sûres. II ne fait pas de doute que la chasse, comme la<br />

pêche, complétaient l’alimentation, mais nos informations ne sont pas<br />

très positives, mis à part quelques restes d’os et des instruments de<br />

chasse et de pêche comme des harpons et des hameçons. En ce qui<br />

concerne la période finale des villes III-V de Troie, Blegen a enregistré<br />

un changement radical du mode de subsistance avec la chasse, à partir<br />

des innombrables ossements et bois de cerf et de daim.<br />

Nous avons déjà dit un mot de l’importance du rôle joué par la<br />

métallurgie - celle du cuivre surtout - dans le changement et I’organi-<br />

sation de la vie ; on a vu que la fabrication des alliages avait commencé<br />

très tôt et que cela avait permis que les outils et ustensiles de bronze<br />

soient si répandus dans la deuxième phase. II est désormais considéré<br />

comme certain que ce n’était pas les montagnes d’Europe centrale - la<br />

Silésie - ni la péninsule Ibérique, ni les îles Cassitérides en Angleterre<br />

qui constituaient la principale source d’étain, mais les montagnes centra-<br />

les d’Anatolie. C’est ce qui explique la grande proportion d’étain conte-<br />

nue dans les objets en bronze de l’Est égéen, et la découverte d’un<br />

anneau en étain pur à Thermi de Lesbos. L’arsenic destiné à remplacer,<br />

dans les alliages. l’étain toujours rare, se retrouve dans les outils en<br />

bronze de l’Est égéen, mais en plus petite proportion que dans les<br />

Cyclades. Les preuves d’une production locale à Thermi et à Poliochni<br />

ne suffisent pas pour déduire que le métal des îles pouvait alimenter le<br />

commerce. Toutefois, les trésors de Troade ont fourni tant d’ustensiles<br />

et d’outils en bronze qu’on a l’impression que cette industrie aurait pu<br />

approvisionner les autres régions du monde égéen. Les lingots d’argent<br />

du (< Trésor de Priam )) n’étaient peut-être pas exclusivement destinés à<br />

la production locale.<br />

Les produits céramiques n’étaient pas d’assez bonne qualité pour être<br />

exportés. Des exemples isolés de G dépas amphikypellon )) et autres for-<br />

mes troyennes, trouvés dans les Cyclades ou sur le continent, étaient<br />

essentiellement des imitations. Si l’on a présentes à l’esprit la situation et<br />

la forme des habitats de la côte et des îles, on peut considérer comme<br />

certain que le commerce - importation, exportation, transit - était<br />

fort développé. Malgré tout ce qui a pu être écrit pour prouver le con-<br />

traire, le site de Troie, sur les Dardanelles, trouverait difficilement une


246 LA CIVILISATION GGÉENNE<br />

justification en dehors du contrôle des routes commerciales, terrestres et<br />

maritimes, sur l’étroite bande de terre qui sépare l’Europe de l’Asie.<br />

Nous avons vu que la pénétration de la <strong>civilisation</strong> de I’Helladique<br />

ancien, à partir de la côte vers le Nord du continent grec, s’est faite de<br />

l’Est égéen et plus particulièrement de la Troade. L’importation massive<br />

d’obsidienne de Mélos confirme les relations commerciales avec les<br />

Cyclades, relations qui sont d’ailleurs prouvées par bien d’autres échan-<br />

ges d’influences. Au contraire, les trouvailles archéologiques n’ont pas<br />

révélé de contacts directs avec la Crète, sauf en ce qui concerne certai-<br />

nes idées et expériences, dont les racines sont plutôt en Anatolie propre-<br />

ment dite que dans l’Est égéen. Les liens commerciaux de cette région<br />

avec le reste du monde égéen semblent se relâcher lors de la deuxième<br />

phase et il est clair que cela est dû aux progrès de l’indépendance et à<br />

l’infiltration de nouveaux éléments venus du Nord. Malheureusement,<br />

nous ne pouvons presque rien dire du développement et de l’évolution<br />

de la navigation et des types d’embarcations.<br />

Quant à la vie sociale, on peut considérer comme certain qu’elle a<br />

beaucoup hérité de l’époque chalcolithique, mais qu’elle n’a pas pris la<br />

même forme dans les différentes régions - Troade, côte sud-est, îles du<br />

nord et du sud, et région intermédiaire vers l’Anatolie proprement dite.<br />

Cela est clair d’après les types d’habitats et d’après les indications que<br />

nous possédons sur la division et la spécialisation des différentes bran-<br />

ches de l’artisanat, comme sur la circulation des produits. A Troie, la<br />

classe des cultivateurs et des éleveurs habite en dehors de l’acropole,<br />

mais ce n’est pas le cas dans les îles ni dans les régions davantage liées<br />

à la mer, ni non plus dans la zone centrale rivée à la terre - Yortan et<br />

Kusura ou Karatas-Semayük. <strong>La</strong> spécialisation n’a abouti à la création<br />

de classes d’artisans que dans les grands centres comme Troie ; toute-<br />

fois, cette classe ne devait pas englober les artisans qui travaillaient à la<br />

maison. <strong>La</strong> classe des ouvriers devait se composer surtout de bronziers,<br />

d’orfèvres et de potiers. <strong>La</strong> circulation par mer des matières premières<br />

et des produits finis devait être assurée par des marchands et des navi-<br />

gateurs qui, sans aucun doute, profitaient des progrès réalisés dans les<br />

autres régions du monde égéen. Pour les transports par terre, il devait<br />

exister des transporteurs qui commerçaient eux-mêmes en grande partie.<br />

L’arrière-pays et Chypre devaient fournir les matières premières, les<br />

minerais et autres matériaux rares. L’or arrivait certainement par I’inter-<br />

médiaire de ceux qui se trouvaient plus directement en contact avec la<br />

principale source, la Nubie. <strong>La</strong> grande influence de la Russie méridio-<br />

nale et de la <strong>civilisation</strong> de Kurgan, ou des importations depuis ces<br />

régions, sont très nettes dans les haches de pierres fines d’un des trésors


Le Bronze ancien 241<br />

de Troie. Mais cela ne prouve évidemment pas que les marchands sui-<br />

vaient de très longues routes, autour du Pont-Euxin et au-delà du Cau-<br />

case, pour arriver jusque-là ; une telle hypothèse impliquerait I’organisa-<br />

tion d’une classe de marchands voyageant très loin. Le besoin de se<br />

défendre, dont témoignent les enceintes, ne présuppose pas forcément<br />

l’existence d’une classe de guerriers et il semble tout à fait impensable<br />

qu’il y ait eu une force guerrière maritime et, par conséquent, des gens<br />

spécialisés dans ce domaine. Dans toutes les régions du monde égéen<br />

devaient régner les mêmes règles d’autodéfense des marchands et des<br />

navigateurs.<br />

II semble également incroyable, d’après ce que nous ont appris les<br />

établissements et les cimetières, que la société ait été organisée en gran-<br />

des familles et génos, du moins à une époque avancée.<br />

De même, l’existence d’une classe sacerdotale semble invraisemblable<br />

et il y a fort peu d’indications sur la religion sans doute socialement<br />

peu développée. Les figurines de terre cuite et de pierre, grossières et<br />

schématisées, sont liées à l’adoration de puissances peu définies, qui<br />

protègent les maisons, et quelquefois les morts dans leurs tombes. On<br />

n’a pas retrouvé de sanctuaires ni de lieux qui témoignent de rites parti-<br />

culiers et les ustensiles qui pourraient être considérés comme ayant servi<br />

dans certains rites - comme en Crète ou dans les Cyclades - sont fort<br />

peu nombreux. C’est là la preuve que la vie religieuse est restée à un<br />

stade élémentaire. <strong>La</strong> plupart des indications proviennent des trésors de<br />

Troie et de Poliochni qui sont en relation directe avec la classe diri-<br />

geante. On pourrait en conclure que les rois et les toparques devaient<br />

être aussi des chefs religieux, et certains des emblèmes comme les diadè-<br />

mes et les haches-herminettes, soulignaient ce pouvoir spécial. Mais c’est<br />

que justement nous sommes très mal renseignés sur la vie politique dans<br />

les différentes régions de l’Est égéen, et il ne faut pas nous laisser<br />

entraîner par le fait que certains des trésors ont été qualifiés de royaux<br />

(à Troie le trésor si incorrectement baptisé (( Trésor de Priam n par<br />

Schliemann). Sans doute, des mégara comme ceux de la première et de<br />

la deuxième ville de Troie devaient être destinés au chef ou au topar-<br />

que. I1 n’est toutefois pas facile d’affirmer que ce dernier avait des pou-<br />

voirs absolus qu’on pourrait caractériser de royaux, quoique cela ne<br />

semble pas totalement improbable à partir du moment où l’Égée orien-<br />

tale se trouvait sous l’influence de pays où régnaient des rois depuis<br />

longtemps. On peut encore moins parler d’une quelconque organisation<br />

hiérarchique dans l’administration politique, pour laquelle nous n’avons,<br />

jusque maintenant, presque aucun élément.<br />

I1 serait prématuré de dire plus de choses de la vie privée que ce que


248 LA CIVILISATION EGEENNE<br />

nous avons vu à partir du matériel qui nous est parvenu. <strong>La</strong> vie indivi-<br />

duelle variait d’une région à l’autre et les soucis absorbaient la plus<br />

grande partie du temps. Les divertissements et récréations devaient être<br />

limités et ils nous sont presque totalement inconnus. Enfin, répétons-le,<br />

nous ne connaissons à peu près rien, à part les bijoux, concernant<br />

l’aspect extérieur des habitants.<br />

II est, évidemment, difficile, sinon impossible, de tracer un dia-<br />

gramme historique, aussi général soit-il, car les événements, en l’absence<br />

d’écrits et d’une tradition quelconque, demeurent obscurs. Nous ne sui-<br />

vons que la succession des villes et des bourgs, après des catastrophes<br />

dont nous ignorons la cause. Des couches d’incendie très épaisses ont<br />

été mises au jour dans les ruines de Troie II, tandis que les catastrophes<br />

des autres niveaux de Troie, au début de l’âge du Bronze, ont eu beau-<br />

coup moins d’ampleur. I1 n’est pas facile de situer les catastrophes des<br />

autres habitats, dans les îles et sur la côte sud-ouest, quoique la cérami-<br />

que nous aide à distinguer les phases. Il est encore plus difficile d’éta-<br />

blir des synchronismes avec les <strong>civilisation</strong>s du début du Bronze en<br />

Crète, avec le Cycladique ancien et I’Helladique ancien ; il y a bien des<br />

éléments qui nous permettent de croire que les trois phases principales<br />

sont à peu près contemporaines partout, et situées en chronologie abso-<br />

lue, entre 2600 et 2100 av. J.-C. 11 est à remarquer que le facteur fon-<br />

damental de la <strong>civilisation</strong> de l’Est égéen n’a pas radicalement changé<br />

pendant toute la durée du Bronze ancien ; la meilleure preuve semble<br />

être l’uniformité de la céramique dans ses caractères généraux. I1 ne<br />

paraît pas, d’après les objets mis au jour, y avoir eu d’installations<br />

importantes de nouveaux groupes humains dans cette région ; cepen-<br />

dant, les grandes catastrophes, l’abandon total de certains sites -<br />

comme Thermi après le début de la deuxième phase et Poliochni avant<br />

la fin de la troisième - restent inexpliqués si l’on n’admet pas des<br />

invasions dévastatrices ou des grands bouleversements géologiques.<br />

D’une manière générale, on pense que Troie II a été conquise par des<br />

ennemis et que, lors de la prise de la ville, plusieurs trésors ont été<br />

cachés par les habitants ou par les pillards. Mais les luttes mettaient<br />

peut-être aux prises des tribus parentales, et après les destructions les<br />

habitants revenaient et reconstruisaient leurs villes. A Poliochni, après<br />

un abandon provisoire, l’habitat a été reconstruit sous une forme sem-<br />

blable (Poliochni VI). Thermi et Emporio de Chios sont abandonnées<br />

avant la fin de la deuxième phase tandis que le bourg de I’Héraion est<br />

rebâti chaque fois en même temps que les villes I-V de Troie. Yortan<br />

semble avoir continué à vivre, peut-être avec des interruptions, jusqu’à<br />

l’époque de Troie III, tandis que Kusura et Iasos ne sont pas allées au-


Le Bronze ancien 249<br />

delà de Troie II. Les habitats de Karatas-Semayük ont vécu plus long-<br />

temps. Mais bien des points restent encore obscurs et il faudra beau-<br />

coup d’investigations nouvelles et systématiques pour les éclaircir. 11 est<br />

nécessaire de procéder à des études anthropologiques complémentaires<br />

pour pouvoir fixer les types raciaux. Mais les éléments dont nous dispo-<br />

sons actuellement suffisent à affirmer qu’ils appartiennent à la branche<br />

qualifiée de (< méditerranéenne », de laquelle relèvent également les<br />

autres porteurs de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>. Ce facteur change, ou du<br />

moins varie, en se mélangeant après la catastrophe de Troie V et la fon-<br />

dation de Troie VI. C’est alors qu’apparaît également dans l’Est égéen<br />

un élément racial qui va constituer le facteur essentiel de la <strong>civilisation</strong><br />

mésohelladique.<br />

A ces remarques d’ordre général, il faut en ajouter d’autres sur la<br />

langue méditerranéenne dont Kretschmer, Fick, Blegen-Haley, etc., ont<br />

reconnu des bribes dans des toponymes du monde égéen proprement dit<br />

comme dans la zone côtière de l’Est. Mais nous en parlerons dans un<br />

chapitre à part.


TROISIÈME PAR TIE<br />

LE BRONZE MOYEN


II ne fait pas de doute que, dans le monde égéen, un peu après le<br />

début du deuxième millénaire av. J.-C., ont pris place des événements<br />

historiques d’une importance particulière et très étendus, dont le contre-<br />

coup est visible dans l’évolution de toutes les régions de la <strong>civilisation</strong><br />

<strong>égéenne</strong> - Crète, Cyclades, Sud et Nord du continent, Est égéen. I1 y a<br />

eu presque partout de grandes catastrophes, des éléments nouveaux se<br />

sont installés, la société et la politique ont bénéficié d’importantes réor-<br />

ganisations, de grands progrès ont été effectués dans la technologie. Le<br />

monde des idées a été fondamentalement renouvelé et cela a entraîné<br />

des vues nouvelles dans le domaine de la transmission des connaissances<br />

et des informations par la parole et l’écriture, dans le domaine religieux<br />

et, plus généralement, dans la conception du monde. L’évolution de la<br />

technologie du métal a exercé une influence particulière : maintenant,<br />

on produit davantage d’ustensiles, d’outils, d’armes, d’objets de petite<br />

plastique, etc. et, sans aucun doute, dans des ateliers spécialisés qui ont<br />

dépassé l’industrie toute simple. Les échanges se font sous forme de<br />

grand commerce et cela nécessite des ports, des comptoirs, des colonies<br />

ou autres installations à caractère commercial. Toutes les régions du<br />

monde égéen n’ont pas pris également part à ce mouvement. Bien des<br />

éléments humains qui ont atteint des régions où la <strong>civilisation</strong> était déjà<br />

très avancée sont restés relativement isolés jusqu’à ce qu’ils aient réussi<br />

à s’adapter en assimilant une partie de cette <strong>civilisation</strong>. D’autre part,<br />

ces éléments eux-mêmes, grâce à leur force, ont pu donner un nouvel<br />

élan à l’évolution de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> par leur influence directe<br />

ou, plus souvent, seulement indirectement.<br />

I1 est impossible de reconstituer de façon sûre la nouvelle forme que<br />

prend alors cette <strong>civilisation</strong> seulement à partir des vestiges matériels qui<br />

nous sont parvenus. Nous la devinons mais nous n’avons pas beaucoup<br />

de renseignements positifs sur elle. Bien des savants pensent que les<br />

changements se sont réalisés grâce à une évolution lente et progressive,<br />

et même insensible dans certaines régions. Mais tous sont d’accord pour


254 LA CIVILISATION ÉCÉENNE<br />

caractériser cette période comme Bronze moyen et donnent par là une<br />

importance particulière au développement de la technologie du métal,<br />

primordial dans la vie. I1 faut suivre séparément l’évolution de chaque<br />

région, à partir des éléments qui nous sont fournis par la recherche<br />

archéologique et résumer - comme cela a été fait dans les chapitres<br />

concernant le développement de la <strong>civilisation</strong> du Bronze ancien - en<br />

essayant de recomposer ces éléments sur la vie et l’histoire des hommes.<br />

Cette époque sera séparée de la suivante par d’autres changements<br />

importants - certains plus importants même - qui accompagneront les<br />

différents stades d’un grand ébranlement géologique du monde égéen.<br />

<strong>La</strong> restauration conduira à de nouvelles créations, vitales, et à l’apogée<br />

de la <strong>civilisation</strong>, de sorte qu’on ne peut douter qu’une nouvelle époque<br />

commencera avec le Bronze récent. Le problème sera de savoir si ce<br />

renouvellement a eu lieu en même temps dans toutes les régions où s’il<br />

s’est fait dans un intervalle de temps ne dépassant pas le siècle, mais à<br />

un moment différent pour chaque endroit. Les dissensions des savants<br />

portent sur la phase intermédiaire, de 1700 à 1600 av. J.-C. Mais si l’on<br />

admet que les raisons de ce changement sont communes, les conséquen-<br />

ces peuvent s’être manifestées tout de suite ou un peu plus tard et il<br />

n’est pas exclu que cette période transitoire ait duré plus d’un siècle. Le<br />

problème chronologique sera examiné pour chaque région séparément.


-<br />

CHAPITRE PREMIER<br />

LE BRONZE MOYEN EN CRÈTE<br />

(Civilisation minoenne protopalatiale)<br />

L’évolution de la <strong>civilisation</strong>, si brillante en Crète au Bronze ancien,<br />

était due, comme nous l’avons vu, au caractère dynamique des nou-<br />

veaux éléments raciaux qui se sont installés dans l’île avant le milieu du<br />

IIIe millénaire, à une bonne organisation sociale et politique qui a con-<br />

duit à la prospérité et à une vie aisée, aux progrès techniques et intellec-<br />

tuels qui se sont entre-temps réalisés, grâce au dynamisme des porteurs<br />

de la nouvelle <strong>civilisation</strong>. Cette évolution, de plus en plus rapide, mon-<br />

trait que la Crète atteindrait très vite un haut degré de <strong>civilisation</strong> et<br />

qu’il suffisait pour cela de conditions favorables, c’est-à-dire une orga-<br />

nisation et un contrôle plus centralisateur des forces. Les progrès impor-<br />

tants effectués dans les différents domaines de l’art et du mode de vie<br />

annonçaient l’évolution future. Comme cela a été confirmé, le stade de<br />

l’éclosion de la <strong>civilisation</strong> des palais en Crète a été assez long, et a très<br />

certainement dépassé un demi-millénaire ; il est passé, on l’a vu, par<br />

différentes étapes qui n’ont pas été courtes. Le Dr Doro Levi, au con-<br />

traire, a soutenu que la période qui s’étend entre le Néolithique et la<br />

construction des premiers palais a été très brève et n’a pas duré plus<br />

d’un siècle ou, tout au plus, un siècle et demi, et que dans ce laps de<br />

temps, la <strong>civilisation</strong> n’avait qu’un caractère transitoire.. .<br />

Les événements qui ont abouti au changement de système social et<br />

politique, et à la construction des premiers palais, demeurent inconnus,<br />

et nous ne pouvons formuler là-dessus que des hypothèses. I1 est de fait<br />

que sur les sites où ont été construits les premiers palais, les habitats<br />

anciens ont continué leur vie jusqu’à la fin de la troisième phase prépa-<br />

latiale, époque où la céramique se trouvait au stade de son évolution<br />

qu’Evans a caractérisé comme Minoen moyen I A (MM I A). Des mai-<br />

sons mises au jour sous la cour et les pièces des premiers palais de<br />

Cnossos, Phaistos, Malia et Zakro, appartenaient pour une grande part


256 LA ClVlLlSATlON ÉGÉENNE<br />

à cette phase, et il en était de même des vestiges architecturaux décou-<br />

verts sous les autres constructions protopalatiales en Crète centrale et en<br />

Crète orientale. Le style de Camarès était déjà né mais pas encore<br />

arrivé à son apogée. <strong>La</strong> plupart des sanctuaires de sommet, les princi-<br />

paux sanctuaires de grottes et les autres lieux de culte en plein air,<br />

étaient fréquentés depuis plus d’un siècle déjà quand on a construit les<br />

grands palais, et il va de soi qu’ils n’ont pas cessé de fonctionner même<br />

si le culte qui y était pratiqué - du moins dans la plupart d’entre eux<br />

- s’est plutôt affaibli, puisque de nouveaux sanctuaires ont été cons-<br />

truits dans les maisons ou dans les palais.<br />

Avec la construction des premiers palais, le rythme de l’évolution de<br />

la <strong>civilisation</strong> change et son caractère se transforme sous l’influence des<br />

grands centres palatiaux. Aussi sa qualification de <strong>civilisation</strong> protopala-<br />

tiale peut-elle être considérée comme heureuse. Le centre de gravité se<br />

déplace de Crète orientale en Crète centrale. Aujourd’hui on est sûr que<br />

la <strong>civilisation</strong> s’est étendue sur une plus grande échelle, et qu’elle a<br />

même atteint la Crète occidentale. Mais l’évolution générale ne s’est pas<br />

faite sans troubles. Des catastrophes géologiques sont intervenues qui<br />

ont détruit les villes et les palais, et les reconstructions ont donné<br />

I’occasiofi d’un renouvellement de la vie et de l’art. C’est ce qui expli-<br />

que les phases successives reconnues dans cette évolution et dont les<br />

principales semblent avoir été au nombre de trois. <strong>La</strong> subdivision en<br />

sous-phases n’a pu se faire qu’à partir de l’évolution céramique, mais il<br />

ne serait pas sage de l’étendre aux autres manifestations de la civilisa-<br />

tion. Quant à la céramique, il est préférable de distinguer pour chaque<br />

phase, l’ancienne, la moyenne et la récente, sans autres subdivisions.<br />

Une catastrophe très étendue a frappé - aux environs de 1700 croit-<br />

on - toutes les villes et les centres palatiaux. Presque aucun habitat<br />

n’est resté debout et la destruction a été si radicale que dans très peu<br />

d’endroits on a décidé de reconstruire ou de réparer les bâtiments en<br />

ruines. Beaucoup de sites ont été abandonnés et, là où les habitats ont<br />

continué leur vie, on a construit sur d’autres plans et presque toujours<br />

à un autre niveau. Ce renouvellement radical nous amène à distinguer<br />

les bâtiments de l’époque protopalatiale de ceux de l’époque néopala-<br />

tiale. Les destructions précédentes avaient eu beaucoup moins d’ampleur<br />

et, à chaque fois, les bâtiments avaient été restaurés, sans grands chan-<br />

gements de plans ou de niveau. II semble toutefois que les causes de ces<br />

catastrophes aient été les mêmes, toujours sismiques, si l’on en juge par<br />

leur étendue et par le fait qu’on n’a aucun élément pour supposer une<br />

invasion ennemie. <strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> évolue sans solution de continuité, tou-<br />

jours dans la même voie. Par ailleurs on a bien des indices qui tendent


Le Bronze moyen 257<br />

à prouver que de terribles tremblements de terre ont secoué la Crète de<br />

temps en temps. II est clair que l’île traversait à l’époque une très<br />

grande crise géologique qui se prolongea encore dans les siècles sui-<br />

vants. Des statistiques ont établi que la Crète - surtout la Crète cen-<br />

trale et la Crète orientale - est secouée chaque siècle par deux ou trois<br />

forts tremblements de terre ; mais leurs conséquences ne sont pas aussi<br />

graves sur toute l’étendue de l’île, certaines régions sont plus vulnéra-<br />

bles que d’autres. Les fouilleurs des palais et autres grandes construc-<br />

tions des habitats minoens n’ont pas eu tout de suite l’idée que les<br />

causes des destructions pouvaient être géologiques ; ils auraient pu<br />

examiner avec plus d’attention la disposition des ruines qu’ils mettaient<br />

au jour : la manière dont sont tombés les murs, les cloisons, les étages<br />

supérieurs, la dispersion des matériaux peuvent révéler beaucoup de choses,<br />

au même titre que les mesures prises par les gens pour protéger, autant<br />

que faire se peut, les constructions et les habitants. Enfin, il faut noter<br />

qu’il est rare qu’on ait découvert les restes de victimes. Cela est dû à<br />

deux raisons principales : les phénomènes annonciateurs qui incitent les<br />

habitants à s’éloigner ou à prendre des précautions, et le fait que les<br />

victimes ont été recherchées par les leurs pour qu’elles soient inhumées ;<br />

les coutumes de cette époque donnaient une importance particulière à<br />

cette nécessité.<br />

L ’architecture et la construction<br />

Les fouilles des bâtiments protopalatiaux ont obligatoirement été épi-<br />

sodiques et incomplètes. Les premiers chercheurs portaient toute leur<br />

attention sur la découverte des palais et des villas, et beaucoup moins<br />

sur les bourgades ou les constructions isolées, maisons grossières ou rus-<br />

tiques. D’autre part, les bâtiments néopalatiaux ou postpalatiaux ont<br />

recouvert les plus anciens qui sont restés inaccessibles ou, quand on<br />

mettait au jour certaines parties d’entre eux, on préférait ne pas sacri-<br />

fier, pour les découvrir totalement, les vestiges mieux conservés des épo-<br />

ques postérieures. En outre, comme les murs des bâtiments les plus<br />

anciens appartenaient à des périodes et à des phases différentes, leur<br />

découverte partielle engendrait la confusion et il est très rare qu’ils aient<br />

été photographiés, relevés et étudiés. Mais sous les palais, ces vestiges<br />

s’étaient révélés particulièrement importants et il a été possible de met-<br />

tre au jour les parties qui se trouvaient dans des endroits où il n’y a<br />

pas eu de constructions postérieures, et de les laisser visibles. Seuls les<br />

chercheurs modernes - surtout dans les dernières décennies - ont saisi


258 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

l’importance de l’étude des couches anciennes pour comprendre I’évolu-<br />

tion de la <strong>civilisation</strong> et, à grand-peine et à force de sacrifices, ils ont<br />

avancé dans la découverte des vestiges des périodes anciennes. Malgré<br />

tout, nos connaissances demeurent incomplètes et puisque jusqu’à<br />

aujourd’hui il n’y a pas eu de traité général et systématique, nous avons<br />

jugé préférable de ne parler ici que des résultats principaux.<br />

Les anciens palais<br />

A Cnossos, le site de l’ancien palais, sur la colline de Képhala, n’a<br />

pas été choisi exprès, il a simplement succédé à l’habitat prépalatial qui<br />

s’étageait sur les pentes ; il était cependant bien adapté, car il contrôlait<br />

les passages qui, de la zone de plaine de l’Héraklion d’aujourd’hui -<br />

où se trouvaient les ports de Cnossos -, menaient aux vallées situées<br />

au sud et aux petites plaines qui constituent maintenant l’éparchie de<br />

Pédiada. Toutefois, il était dominé à peu près de tous côtés par des colli-<br />

nes beaucoup plus élevées et ne pouvait donc être considéré, de par sa<br />

nature, comme fortifié. Mais on n’a jamais essayé, même au début, de<br />

le fortifier en faisant des travaux spéciaux ; seul un haut mur<br />

d’enceinte, ou plutôt un mur de contrefort, entourait le sommet qui<br />

avait été nivelé pour recevoir le palais ; ce mur retenait les terres de la<br />

cour extérieure (occidentale). Les maisons prépalatiales à l’intérieur du<br />

mur d’enceinte furent remblayées pour construire la cour dallée et celles<br />

qui se trouvaient à l’extérieur détruites ou remblayées lorsqu’elles<br />

gênaient. Une longue rampe, une voie inclinée dallée, fut construite au<br />

sud-ouest de la cour de façon que celle-ci fût accessible de la route qui<br />

passait en bas, sur le versant ouest de la colline. Le dallage le plus<br />

ancien de cette cour se distingue sous le dallage postérieur - protopala-<br />

tial lui aussi - sur le bord sud. On ne sait pas si les trois vastes dépôts<br />

circulaires (koulourès) revêtus de pierre à l’intérieur avaient été cons-<br />

truits dès le début. Cela semble probable puisque la plupart de ces<br />

dépôts, découverts à Cnossos ou ailleurs, remontent au MM I A et au<br />

MM I B. Le péribole et la cour - et par conséquent tout l’ancien<br />

palais - ont été bâtis au début du MM I B - c’est-à-dire vers 1900<br />

av. J.-C. - après que les maisons du MM I A eurent été recouvertes.<br />

Le dallage de la cour occidentale tel qu’il est conservé aujourd’hui,<br />

appartient, semble-t-il, à la deuxième phase paléopalatiale - MM II A.<br />

I1 est fait de très grandes dalles irrégulières, disposées comme un caldé-<br />

rim ; entre elles, les joints assez larges étaient peut-être bouchés avec un<br />

stuc. En bien des points on y distingue des traces de réfection datant de


Le Bronze moyen 259<br />

l’époque néopalatiale. Le mur d’enceinte se courbait peu à peu vers<br />

l’ouest pour rejoindre I’enclos rectangulaire d’une autre cour dallée, qui<br />

se trouvait à un niveau inférieur à celui de la cour occidentale, à<br />

l’endroit où, plus tard, fut construit le théâtre. Les deux cours étaient<br />

reliées par une rangée de larges gradins. Des passages rectilignes, formés<br />

de grandes dalles rectangulaires, menaient du haut de la rampe à<br />

l’entrée occidentale, et de celle-ci à la cour nord ; une diagonale consti-<br />

tuait un raccourci entre la rampe et cette dernière.<br />

Evans a commis la grande erreur de croire que la façade occidentale<br />

du palais qui était conservée, avec les grands orthostates et leur socle en<br />

saillie, appartenait au premier palais. I1 aurait dû se fonder davantage<br />

sur le fait que la céramique qui sortait du remblai entre les orthostates<br />

et la rangée arrière des plaques du mur de cette façade, était presque<br />

exclusivement MM III - première phase néopalatiale. Des recherches<br />

complémentaires effectuées récemment par Hood ont prouvé que cette<br />

façade fait partie du deuxième palais. Mais Evans, en suivant la direc-<br />

tion première du passage dallé et la rangée de grandes dalles contiguës<br />

qui constituaient le pavage de la cour et qui s’incurvaient vers I’inté-<br />

rieur, a déterminé, avec perspicacité, que l’entrée ouest primitive menait<br />

directement à la cour centrale dans sa partie sud-ouest. A partir de cette<br />

courbure et d’une autre dans l’ensemble qui est devenu, par la suite, la<br />

région de la Salle du trône, il a bâti son étrange théorie des (( îlots ))<br />

(insulae) : le premier palais aurait été constitué de blocs rectangulaires<br />

fermés et indépendants, certains avec des angles arrondis, qui laissaient<br />

entre eux des passages non couverts. Disposés autour de la grande cour<br />

centrale rectangulaire, ils auraient été réunis plus tard pour donner le<br />

pian de base du palais. D’après lui cette unification se serait réalisée dès<br />

la deuxième phase protopalatiale. Cette acception d’Evans n’est étayée<br />

par aucun élément sûr mais l’évolution des autres palais la rend totale-<br />

ment improbable. <strong>La</strong> rangée de grandes plaques incurvées de l’angle<br />

sud-ouest de la cour occidentale prouve que la façade primitive ne sui-<br />

vait pas exactement la même ligne que celle du nouveau palais ; mais<br />

on peut considérer comme certain que les principales sections de<br />

l’ancien palais étaient très comparables à celles du nouveau. L’ensemble<br />

primitif des magasins ouest devait être séparé par le long couloir nord-<br />

sud de l’ensemble du sanctuaire qui, sur ses deux côtés, nord et sud,<br />

devait comporter des couloirs vers la cour centrale. Malheureusement, la<br />

refonte qui a eu lieu lors de la construction du nouveau palais ne nous<br />

permet pas de connaître la forme des compartiments intérieurs. Les sou-<br />

terrains des magasins ne semblent pas dater de l’époque protopalatiale,<br />

comme le croyait Evans, pas plus que les cryptes à piliers rectangulai-


260 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

res. En ce qui concerne la région de la Salle du trône, il y a eu un tel<br />

changement à l’époque néopalatiale qu’il n’est pas facile de reconnaître<br />

ce qui est prépalatial. Quand l’aile occidentale a été construite pour la<br />

première fois, les couches plus anciennes ont été fortement entamées et<br />

les restes néolithiques sont arrivés presque en surface ; aussi trouve-t-on,<br />

sur une grande étendue, des restes néolithiques à une très faible profon-<br />

deur. II n’est resté qu’un seul des dépôts en puits prépalatiaux sous<br />

l’entrée d’une des pièces (sacristies) qui bordent les cryptes, et connu<br />

sous le nom de Vat Room. <strong>La</strong> seule partie de l’aile occidentale qui ait<br />

gardé les éléments essentiels de sa forme initiale, ce sont les a celliers n<br />

(keep), que borde le passage primitif de l’entrée nord. C’est un ensem-<br />

ble de celliers profonds, sans ouverture extérieure, et qui ne communi-<br />

quent pas entre eux ; ils n’étaient évidemment accessibles que par des<br />

trappes et des escaliers de bois ; au-dessus il y avait d’autres pièces, sur-<br />

tout des magasins, à ce qu’il semble d’après les jarres qui ont été trou-<br />

vées sur les sols. On ne sait pas s’il y avait des pièces réservées aux gar-<br />

des qui contrôlaient l’étroit passage.<br />

I1 est peut-être possible de suivre les lignes principales des murs exté-<br />

rieurs nord et sud du palais, aussi bien que celles des murs qui séparent<br />

les secteurs, mais leur élucidation demande une étude complémentaire.<br />

<strong>La</strong> cour centrale existait, mais elle n’avait pas exactement le plan rec-<br />

tangulaire qu’elle a pris par la suite ; elle comportait des angles sortant<br />

et rentrant sur le côté est. Le dallage rectangulaire, conservé partielle-<br />

ment, est néopalatial.<br />

Davantage de vestiges sont conservés dans l’aile orientale, malgré les<br />

remaniements néopalatiaux. Suivant le versant oriental, le plus abrupt<br />

de la colline, des niveaux successifs ont été constitués, qui avançaient<br />

toujours plus profondément d’ouest en est. Du premier nous avons peu<br />

de vestiges sous le sol des magasins royaux postérieurs, à peu près au<br />

milieu de l’ensemble. Nous ne savons pas quelle forme avait prise la<br />

partie la plus au nord - là où, par la suite, on a construit les apparte-<br />

ments de service - ni la partie la plus au sud - là où on a bâti plus<br />

tard le grand escalier et les pièces de la chapelle royale. Sur le sol<br />

recouvert d’un enduit, qu’on a trouvé sous le sol des magasins royaux<br />

avec les jarres des médailles, on a découvert, faite en stuc, une sorte de<br />

vasque circulaire peu profonde avec une alvéole centrale et un large<br />

rebord, installation qui rappelle de près le bothros de la maison prépa-<br />

latiale sous un des a koulourès D de la cour occidentale. Au niveau de<br />

la terrasse médiane, qui est soutenue par un contrefort épais, sont con-<br />

servés des compartiments profonds, encore une fois sans entrée ni com-<br />

munication entre eux, accessibles peut-être par des trappes avec des


Le Bronze moyen 26 1<br />

escaliers de bois ; ils étaient utilisés comme celliers des appartements<br />

plus vastes qui avaient été bâtis au-dessus. Cet endroit est connu comme<br />

(( lieu des poids de tissages )) - loom-weight area - en raison des très<br />

nombreux pesons qui se trouvaient dans la partie supérieure des celliers.<br />

Plus en profondeur, on a découvert des magasins avec des petites jarres<br />

polychromes, des maquettes en argile d’un sanctuaire en miniature et de<br />

menus objets en faïence. Plus au nord, sous le sol de ce qui est devenu<br />

le (( Corridor du jeu d’échecs D, on a mis au jour un important système<br />

de canalisations en terre cuite qui, d’après les affirmations d’Evans,<br />

existait déjà dans le premier palais. Mais les ensembles nord et sud de<br />

la terrasse médiane ont été bouleversés par les constructions néopalatia-<br />

les. Enfin, sur la troisième et dernière terrasse, la plus basse de toutes,<br />

on avait bâti, du nord au sud, les ateliers de poterie du style de Cama-<br />

rès, des magasins de jarres géantes, d’autres contenant de grands vases<br />

et, encore plus au sud, les appartements royaux dont seuls sont conser-<br />

vés les murs extérieurs, les sols pavés du type caldérim qui ont été mis<br />

au jour sous les sois des appartements royaux postérieurs, et un dépôt<br />

profond en forme de puits, sous le soi du portique du mégaron royal<br />

néopalatial. I1 y a, indubitablement, d’autres vestiges, mais ils deman-<br />

dent des recherches supplémentaires. Un fourneau métallurgique, en<br />

forme de fer à cheval, muni de quatre tuyères, a été découvert un peu<br />

plus loin, au sud du bâtiment prépalatial aux piliers monolithes ; il<br />

remonte, semble-t-il, à l’époque protopalatiale.<br />

A Phaistos, davantage de vestiges du premier palais ont été mis au<br />

jour, et cela est dû, d’abord à la recherche plus systématique menée<br />

jadis par L. Pernier et dans les dernières décennies par Doro Levi,<br />

ensuite au fait que l’aile occidentale de ce palais s’avançait en dehors de<br />

la façade du nouveau, se trouvant en partie sous la nouvelle cour occi-<br />

dentale. <strong>La</strong> situation du palais, sur une colline qui est la première d’une<br />

chaîne qui sépare la petite plaine de Tymbaki de la grande plaine de la<br />

Messara, est particulièrement bien choisie. De là on contrôlait la seule<br />

porte de la Messara donnant sur la mer. I1 y avait eu, d’ailleurs, exacte-<br />

ment au même endroit, un habitat néolithique, puis un autre du Minoen<br />

prépalatial. Le sommet de la colline a été nivelé pour recevoir le palais,<br />

mais ce nivellement s’est fait en terrasses successives où l’on a construit<br />

les différents quartiers du grand bâtiment. D’après les éléments dont<br />

nous disposons, il aurait été un peu plus grand que le deuxième palais,<br />

avec environ 9 200 mètres carrés, alors que celui de Cnossos était plus<br />

du double, atteignant presque les 20 O00 mètres carrés.<br />

<strong>La</strong> plupart des vestiges de l’ancien palais ont été trouvés sous une<br />

couche très compacte de tuiles et de stuc, qui avait été coulée par les


262 LA CIVILISATION 6GeENNE<br />

constructeurs du nouveau palais, afin de donner une solide assise au<br />

nouveau bâtiment et à sa cour occidentale. Cela a abouti à sceller litté-<br />

ralement les couches anciennes, et à les préserver jusqu’à l’époque des<br />

fouilles. Pernier a mis au jour ce qui bordait les cours supérieures et<br />

une partie de ce qui se trouvait sous les propylées du nouveau palais ;<br />

Levi les couches successives des bâtiments qui bordaient la cour la plus<br />

basse, et bien d’autres parties sous les sols du nouveau bâtiment. C’est<br />

ainsi qu’ont été découverts, dans la cour nord la plus haute, un grand<br />

dallage avec une sorte de véranda - portique peu profond soutenu par<br />

des colonnes, devant un mur de soutènement ; dans la cour occidentale<br />

du milieu, une belle façade avec de grands orthostates sur un socle en<br />

saillie. Trois pièces d’une chapelle, derrière la façade, communiquaient<br />

directement avec la cour dallée ; elles étaient équipées de bancs, d’une<br />

table à offrandes encaissée dans le sol et d’ustensiles rituels. De petites<br />

pièces annexes, destinées au culte, avaient été construites à l’extérieur de<br />

la façade. Des magasins et des ateliers ont été découverts, qui lon-<br />

geaient les pièces du sanctuaire. Peut-être la rangée de magasins, liés<br />

entre eux par un petit corridor trouvé sous le grand propylée du nou-<br />

veau palais, constituait-elle la suite du système de magasins du sanc-<br />

tuaire. L’arrangement de la cour occidentale s’est révélé très important,<br />

avec une construction destinée aux spectacles sur le côté nord, consti-<br />

tuée d’une série de gradins très larges avec un mur au fond qui servait<br />

de contrefort à la cour nord. De longs passages dallés menaient de la<br />

porte ouest à la partie supérieure des gradins où était peut-être placé le<br />

trône du roi pour qu’il suive le spectacle qui se déroulait dans la cour<br />

ouest. I1 y avait quatre dépôts circulaires, analogues aux


Le Bronze moyen 263<br />

le propylée avec la colonne médiane, les pièces destinées au portier, et<br />

le corridor contigu qui conduisait à la cour centrale originale, dont le<br />

niveau, semble-t-il, était un peu plus haut que celui de la cour qui l’a<br />

suivie ; les pièces qui ont été découvertes sous les sols du portique bor-<br />

daient cette cour à l’origine.<br />

Les découvertes de Levi dans la région sud-ouest, devant la façade du<br />

nouveau palais, ont été étonnantes. A cet endroit ont été mis au jour,<br />

presque à leur place, trois couches superposées de bâtiments, chacune<br />

comprenant des rangées de pièces remplies d’ustensiles, la plupart du<br />

style polychrome de Camarès. Le plan architectonique variait légèrement<br />

d’une couche à l’autre. Le bâtiment le plus bas, avait une façade<br />

d’orthostates et différentes entrées, simples ou avec des marches, vers<br />

les appartements intérieurs, dont la plupart étaient des magasins. Le<br />

bâtiment du rez-de-chaussée, comme ceux des couches supérieures,<br />

contenait des bancs, des placards encastrés dans le mur, des niches, des<br />

cloisons et de petites clôtures. Des escaliers menaient aux étages. Une<br />

cour dallée à peu près à huit mètres sous le niveau de la cour occiden-<br />

tale moyenne s’étendait devant la façade à orthostates. Un comparti-<br />

ment, plutôt petit, au rez-de-chaussée, dont le soi était couvert d’une<br />

fresque avec un intéressant motif décoratif, devait être le sanctuaire, si<br />

l’on en juge par les ustensiles rituels qui y ont été trouvés. Une rampe<br />

dallée montait, dessinant deux virages pour contourner un complexe<br />

clos qualifié de bastion, vers la cour centrale. I1 est donc clair que<br />

l’ancien palais a été construit à plusieurs étages sur les terrasses de la<br />

colline, qui communiquaient entre elles.<br />

Levi a préféré considérer que les trois complexes successifs et super-<br />

posés représentaient trois palais construits chaque fois à un niveau supé-<br />

rieur, après que le précédent eut été remblayé. Chaque couche devrait<br />

donc représenter une période déterminée que le fouilleur a caractérisée<br />

comme première, deuxième et troisième phase ; lorsqu’on a découvert,<br />

dans le bâtiment du bas, des sols plus anciens avec un autre type de<br />

céramique - de la phase d’Haghia Photini - la première phase a été<br />

subdivisée en deux sous-phases A et B. il a toutefois été prouvé que<br />

cette interprétation pourrait ne pas correspondre à la réalité, puisque la<br />

céramique des trois couches était exactement la même et que bien des<br />

fragments de vases des couches supérieures se recollaient à ceux trouvés<br />

dans la couche la plus basse. I1 semble improbable aussi qu’à chaque<br />

fois on ait remblayé et rempli de tuiles et de ciment. I1 a été démontré<br />

que la rampe unissait les terrasses dans trois périodes différentes. <strong>La</strong><br />

seule interprétation possible est que les constructions qui ont été trou-<br />

vées ne représentent que la phase finale du protopalatial et constituent


264 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

les étages du même bâtiment qui a traversé trois phases différentes et a<br />

été, à chaque fois, reconstruit et remanié. A la première phase appar-<br />

tiendraient les sols ies plus bas, du MM I B, et c’est à celle-ci que cor-<br />

respond la céramique du style d’Haghia Photini. Les deux autres phases<br />

sont MM II A et MM II B, comme à Cnossos. A cette dernière appar-<br />

tient la plus grande partie des vases qui ont été trouvés et qui corres-<br />

pondent exactement à ceux que Pernier a mis au jour dans la cour occi-<br />

dentale médiane. On sait qu’à Cnossos, dans le nouveau palais, on a<br />

découvert des étages restés en place, exactement comme à Phaistos. Levi<br />

a admis que les fouilles de Pernier représentent la troisième phase,<br />

laquelle pourtant se caractérise ailleurs par de la céramique MM III.<br />

A Malia, les fouilleurs de l’École française d’Archéologie ont cru -<br />

et continuent de croire - que l’essentiel du complexe palatial tel qu’il a<br />

été mis au jour, remonte à l’époque protopalatiale. On aurait donc dans<br />

cette région le seul premier palais sauvé dans son ensemble. Malheureu-<br />

sement, les faits ne confirment pas une telle acception. Juste à cet<br />

endroit, il y avait jadis un habitat prépalatial dont les vestiges ont été<br />

découverts dans les couches les plus profondes du palais, mais qui<br />

dépassent les limites de ce dernier à l’ouest et au sud. I1 est clair que les<br />

dallages de la cour ouest et des principales routes qui mènent au palais<br />

sont protopalatiaux et, comme à Cnossos et à Phaistos, ils sont sillon-<br />

nés de passages recouverts de dalles rectangulaires, des sortes de passa-<br />

ges de processions qui mènent aux portes et traversent les routes princi-<br />

pales. Sur les bords du dallage de la cour ouest on distingue les fonda-<br />

tions de la façade du premier palais ; toutefois, le quartier le plus<br />

important de celui-ci a été mis au jour dans la région nord-ouest à<br />

l’endroit où, plus tard, s’étendaient - à ce qu’il semble - les jardins<br />

du nouveau palais, devant les appartements royaux ; cela a permis une<br />

fouille en profondeur qui a mis en lumière bien des pièces et une sorte<br />

de petit portique angulaire avec des bases de colonnes cylindriques.<br />

Mais la partie fouillée est trop petite pour qu’on puisse en tirer des<br />

conclusions sur la forme générale du premier palais dont on a trouvé<br />

quelques éléments dans des sondages sous les sols du deuxième palais.<br />

Une jarre gigantesque protopalatiale, comparable à celles de Cnossos et<br />

de Phaistos, a été trouvée en bordure de la petite partie fouillée. I1 a<br />

été démontré que des sols plus bas, la plupart recouverts d’un enduit,<br />

des magasins avec des vases collecteurs, les colonnes de la cour centrale<br />

sont des restes, non pas du premier palais mais de la première phase<br />

néopalatiale (MM III). C’est dans ces couches qu’ont été trouvés les<br />

célèbres épées de Malia et le sceptre en forme de léopard qui ont été<br />

abusivement considérés comme protopalatiaux.


Le Bronze moyen 265<br />

II ne fait pas de doute, toutefois, que le complexe mis au jour au<br />

nord-ouest du grand palais et qualifié par les fouilleurs d’a agora D fut<br />

fondé à l’époque protopalatiale. I1 s’agit d’un très grand espace ouvert,<br />

une sorte de place, de 30 x 40 mètres, fermé tout autour par un mur<br />

haut et épais, sur lequel on pouvait monter grâce à de petites échelles<br />

placées à intervalles dans l’épaisseur du mur. Les entrées étaient grandes<br />

et larges. Plus tard, cet espace a été remanié ; on a démoli certaines<br />

parties du mur et construit des sortes de loggias, un portique latéral en<br />

angle et un grand et vaste enclos, peut-être indispensable à son bon<br />

fonctionnement ; encore plus tard, diverses constructions ont été ajou-<br />

tées. De toute façon, une série de cryptes semi-souterraines, avec des<br />

sols recouverts d’enduits et des banquettes contre les murs, semble<br />

contemporaine de l’édifice primitif ; cet ensemble a conduit à supposer<br />

des réunions de sages faisant partie de l’entourage du roi. Le principal<br />

fouilleur, Van Effenterre, est allé jusqu’à supposer qu’il s’agissait d’une<br />

a agora H où se rassemblaient le peuple et le sénat D, détenant un<br />

pouvoir oligarchique qui limitait celui du roi. Une série de magasins et<br />

d’endroits peut-être utiles à la préparation de la nourriture, ont fait<br />

penser à des repas pris en commun, et peut-être à caractère religieux.<br />

Ces hypothèses ne peuvent être discutées que dans les chapitres relatifs<br />

à l’organisation de la vie sociale, politique et religieuse. Ce qui est sûr<br />

c’est qu’il s’agit d’un complexe très important, dépendant du premier<br />

palais mais qui a continué à fonctionner, après quelques modifications,<br />

dans la plus ancienne phase des nouveaux palais.<br />

Le palais de Malia - le nom préhistorique demeure inconnu bien<br />

qu’on ait proposé celui de Tarmaros, d’où viendrait, d’après Marinatos,<br />

le toponyme actuel de Darmaros, et Milatos nom qui, pour d’autres, a<br />

été déplacé vers l’est à l’époque hellénique, dans la région de la Milatos<br />

d’aujourd’hui - contrôlait et dominait la zone côtière qui s’étend de la<br />

région de Cnossos jusqu’au golfe de Mirambello, au pied des monts du<br />

Dikté, aujourd’hui monts du <strong>La</strong>ssithi. Le port se trouvait un peu plus à<br />

l’ouest, dans un des petits mouillages où l’on a mis au jour des maisons<br />

protopalatiales et néopalatiales.<br />

Au début on pensait que dans la région de Zakro aucun palais<br />

n’avait précédé la fondation par Cnossos d’un port qui aurait été un<br />

centre commercial du palais, vers la fin de la première période néopala-<br />

tiale, soit vers 1600 av. J.-C. Les recherches récentes ont prouvé qu’ici<br />

aussi, il y avait eu un palais dès l’époque protopalatiale et, tout autour,<br />

une ville commerçante prospère. Le mouillage de Zakro est le plus pro-<br />

tégé de toute la Crète orientale, refuge des navires qui auraient souhaité<br />

s’assurer une communication plus directe avec l’Égypte, l’Orient et


266 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Chypre, et exercer un certain contrôle sur les étroits passages entre la<br />

mer de Libye et l’Égée, comme aussi sur les îles de Kasos et de Karpa-<br />

thos. L’intérieur du pays, élément vital qui devait être contrôlé par<br />

le palais, consistait en des terres arables limitées et découpées entre<br />

les monts de Siteia ; il semble toutefois que le but essentiel était le<br />

commerce.<br />

Parallèlement à la longue rue du port qui arrivait un peu obliquement<br />

dans l’étroite vallée entre les deux collines - nord-est et sud-ouest -<br />

où l’on a édifié le palais, on a construit sur trois niveaux successifs qui<br />

s’abaissaient vers le sud, un secteur du palais, mi-magasins mi-ateliers ;<br />

une série de vastes pièces dallées, aux murs compacts, constituait,<br />

semble-t-il, un système de magasins qui communiquaient par un petit<br />

escalier avec les pièces plus petites de la terrasse médiane et avec les ate-<br />

liers plus spacieux des zones centrale et supérieure. Dans un enclos assez<br />

large, à côté de la Route du port, on avait construit un haut fourneau<br />

en forme de fer à cheval pour fondre les métaux, muni de quatre longs<br />

conduits d’air qui augmentaient la température jusqu’au point néces-<br />

saire.<br />

Au-delà d’un certain point, le palais suivait un autre axe qui n’est pas<br />

différent de celui du nouveau palais. C’est ce qu’a démontré la direc-<br />

tion des murs protopalatiaux qui ont été mis au jour sous les sols des<br />

pièces des ailes est et ouest du nouveau palais, un angle qui semble se<br />

projeter plus loin que la façade sud de l’aile occidentale, mais surtout la<br />

direction de la cour centrale dont les sols - de deux phases succes-<br />

sives - ont été découverts presque intacts à une profondeur de<br />

0,50 mètre, sous le sol de la cour du deuxième palais. <strong>La</strong> cour primitive<br />

était plus longue et plus large que celle qui l’a suivie.<br />

Au point où en sont les recherches actuelles, il est très difficile de se<br />

faire une idée assez complète et claire de l’ancien palais qu’on semble<br />

avoir essayé de réutiliser après sa destruction en le restaurant et en<br />

rehaussant les sois. I1 y a donc eu une période transitoire, puis il a été<br />

remblayé vers la fin de la première période néopalatiale, aux environs<br />

de 1600 av. J.-C. - cela est prouvé par la céramique du remblai -<br />

pour construire le palais dans une forme tout à fait nouvelle et à un<br />

niveau plus élevé.<br />

Les habitats protopalatiaux<br />

<strong>La</strong> fouille des palais a tellement occupé les chercheurs qu’ils ont<br />

accordé très peu de temps à l’investigation des habitats protopalatiaux


Le Bronze moyen 267<br />

qui s’étendaient tout autour, ou constituaient des centres indépendants<br />

dans d’autres régions. Aujourd’hui nous connaissons quelques maisons<br />

près de la route royale de Cnossos, des vestiges dans la région qui<br />

borde le palais de Malia - l’importante maison Mu semble appartenir<br />

à la plus ancienne phase néopalatiale -, parmi lesquels des restes d’un<br />

atelier de sceaux, quelques ruines de maisons sur les pentes des collines<br />

de Phaistos et Zakro, une maison au lieu-dit Stou Koussé au sud de<br />

Phaistos, des vestiges d’habitats à Apésokari et Koumassa, un vaste<br />

complexe à Monastiraki dans l’éparchie d’ Amari (Réthymnon), rapide-<br />

ment fouillé pendant la dernière guerre par des archéologues allemands<br />

enrôlés, et caractérisé par eux comme un petit palais, enfin des restes<br />

isolés dans différentes régions de Crète centrale, orientale et occidentale.<br />

Sur les sanctuaires de sommets, on a construit des bâtiments, mais la<br />

plupart paraissent appartenir à la première phase néopalatiale. Malheu-<br />

reusement, très peu de choses ont été publiées quant à l’architecture de<br />

ces vestiges et il n’est donc pas possible aujourd’hui de se faire une<br />

idée, même générale, des habitats protopalatiaux. Bien sûr, des progrès<br />

ont été marqués depuis l’époque prépalatiale et l’architecture des palais<br />

a eu une certaine influence sur cette évolution. <strong>La</strong> construction s’est<br />

particulièrement améliorée : elle utilise des matériaux plus choisis, les<br />

dispose avec plus de soin, particulièrement dans les ouvertures ; elle<br />

incorpore systématiquement des chaînages de bois dans les murs, ce qui<br />

leur donne l’élasticité nécessaire à la neutralisation des effets des trem-<br />

blements de terre ; elle recouvre les murs d’une épaisse couche de terre<br />

glaise, surtout quand il s’agit de très grandes pierres grossièrement tail-<br />

lées ; elle soigne davantage les enduits des murs et des sols ; elle utilise<br />

assez souvent des bases rectangulaires pour les piliers, hautes et cylindri-<br />

ques pour les colonnes. Dans les régions des palais, ou le gypse avait<br />

été utilisé relativement abondamment dans les palais, il n’est pas totale-<br />

ment absent des simples maisons ; ailleurs, comme à Malia et à Zakro,<br />

il est remplacé - pas fréquemment - par des matériaux moins décora-<br />

tifs comme le poros et I’ammouda, ou par des pierres dures pour les<br />

seuils et les linteaux, comme le titanite. Les remarques d’Evans sur les<br />

différences entre la construction protopalatiale et celle des nouveaux<br />

palais : la forme, la hauteur et les matériaux utilisés pour les bases de<br />

colonnes, la forme des sols de type mosaïque », les différentes sortes<br />

de chaînages et l’épaisseur de la couche d’argile, etc., ne semblent pas<br />

totalement convaincantes. <strong>La</strong> plupart d’entre elles s’appliquent à la pre-<br />

mière phase néopalatiale, dont certains bâtiments ont été considérés par<br />

le savant britannique comme protopalatiaux. Quant à ce qu’on appelle<br />


268 LA CIVILiSATlON ÉGÉENNE<br />

décoration d’un coffret, elle ne constitue plus un indice de la construc-<br />

tion protopalatiale, puisqu’il a été prouvé qu’elle date de la première<br />

phase des nouveaux palais. Simplement, cette phase a gardé beaucoup<br />

de choses de l’héritage protopalatial.<br />

<strong>La</strong> manière de construire est toujours la même : constructions serrées,<br />

blocs irréguliers étendus comprenant beaucoup de maisons séparées par<br />

des ruelles dallées, parfois sans issue. Quand le terrain est en pente, ces<br />

petites rues deviennent des escaliers. II y avait des maisons isolées, gros-<br />

sièrement construites, ou au contraire, des résidences de riches proprié-<br />

taires fonciers ou de toparques, presque indépendants du roi ; il semble<br />

que l’on ait un cas semblable à Monastiraki d’Amari : on croirait<br />

qu’il s’agit d’un petit palais comportant de nombreuses installations à<br />

caractère agricole.<br />

Quant aux travaux publics, nous en parlerons dans le chapitre sur la<br />

vie économique.<br />

L’architecture funéraire<br />

Le conservatisme qui a toujours existé dans les coutumes funéraires et<br />

la forme des monuments a contribué à ce que l’architecture funéraire se<br />

poursuive presque sans changements. Les anciens enclos rectangulaires<br />

et les tombes à tholos continuent à être utilisés pendant un certain<br />

temps, après qu’on ait ajouté aux premiers des murs de séparation inté-<br />

rieurs et de nouvelles chambres à l’extérieur des secondes. Bien des tho-<br />

loi étaient débarrassées afin de faire de la place pour de nouvelles sépul-<br />

tures. Mais il est certain qu’on n’a pas cessé de construire de nouveaux<br />

monuments funéraires de même forme, même s’ils étaient de dimensions<br />

plus réduites ; pourtant, à la fin de la période protopalatiale apparais-<br />

sent quelques grandes tombes à coupole comme celle de Gypsadès et<br />

peut-être les plus grandes tholoi du lieu-dit Kamilari, dans la région<br />

d’Haghia Triada. <strong>La</strong> plus grande d’entre elles, avec un diamètre de<br />

onze mètres, avait été construite - d’après Doro Levi qui l’a fouillée<br />

- à l’époque des anciens palais, mais elle a surtout été utilisée pour des<br />

sépultures de la première phase néopalatiale. Les fouilleurs français ont<br />

admis que la principale utilisation du grand enclos funéraire de Chryso-<br />

lakkos à Malia date des anciens palais et c’est à cette période qu’ils<br />

attribuent les très belles offrandes funéraires en or qui y ont été trou-<br />

vées. Bien que ce dernier point de vue ne semble pas être justifié, il ne<br />

faut pas méconnaître l’importance d’un tel ensemble funéraire à cette<br />

époque.


Le Bronze moyen 269<br />

Le penchant pour les sépultures isolées ou les tombes familiales<br />

- résultat d’un changement fondamental dans la société - a eu pour<br />

effet de multiplier les sépultures en sarcophages et dans des jarres,<br />

qu’on enfouissait dans le sable sur les côtes, dans des cavités, dans des<br />

anfractuosités de rochers, ou bien encore dans des petites grottes natu-<br />

relles qu’on commençait à transformer, en les taillant, en chambres arti-<br />

ficielles. Nous avons vu que cette tendance s’était déjà manifestée dans<br />

les dernières phases prépalatiaies, aussi utilisait-on de petits sarcophages<br />

de terre cuite et des jarres dans des enclos et des tombes à coupole. Des<br />

cimetières entiers commencent à se former dans des petites grottes,<br />

naturelles ou artificielles, sur les pentes de la colline du Prophète Élie<br />

- cimetieres de Mavrospilio et de Prophitis Elias - et de la colline de<br />

Monastiriako Kephali à Cnossos, à la Gorge des Morts (Zakro), dans<br />

les grottes artificielles de Poros (Héraklion), de la région de Mathia<br />

(Pédiada), etc. Tous ces cimetières comme ceux des plages de<br />

Pachyammos et de Makryialo en Crète orientale, n’ont pas cessé d’être<br />

utilisés dans la première période des nouveaux palais. Dans celle-ci tou-<br />

tefois, les tombes en grottes se transforment en chambres taillées.<br />

Les différentes branches de l’artisanat<br />

A la fin de la période prépalatiale, la spécialisation technique était un<br />

fait ; l’expérience était systématisée, l’apprentissage spécialisé et la pro-<br />

duction réglée par les demandes intérieures et extérieures. C’est alors<br />

que la naissance des grands centres palatiaux, qui se chargent d’exercer<br />

un contrôle régulateur à une échelle beaucoup plus grande - création<br />

d’ateliers dans le palais qui produisent des articles d’une haute qua-<br />

lité -, fait progresser les différentes branches de l’artisanat de façon<br />

importante, et très rapidement ; c’est ce qu’ont prouvé les produits finis<br />

qui ont été trouvés dans les palais, aussi bien que leur circulation,<br />

d’abord dans le rayon d’action des centres, puis dans une zone beau-<br />

coup plus étendue qui dépassait les limites de la Crète et atteignait les<br />

marchés des grands États civilisés de l’Orient et l’Égypte.<br />

Les ateliers qui ont été mis au jour dans tous les grands palais cré-<br />

tois, mais aussi dans des bâtiments dépendant de ceux-ci et dans les<br />

résidences des toparques, dans les fermes et même dans les habitats,<br />

témoignent des activités des palais et de leur influence sur l’entourage<br />

immédiat. <strong>La</strong> découverte de hauts fourneaux autour des palais prouve<br />

que la métallurgie du bronze était en partie contrôlée par eux. Dans le<br />

palais de Cnossos, les ateliers de potiers occupaient un espace assez


270 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

large ; ce sont eux qui fabriquaient les très beaux vases du style de<br />

Camarès. On reconnaît facilement la production palatiale d’après le<br />

caractère des vases, propre à chaque palais. I1 y a des savants qui sont<br />

ailés jusqu’à croire que la céramique MM IIA et MM IIB ne représente<br />

pas des époques précises mais des styles tout à fait propres au palais,<br />

qui se sont développés en même temps que d’autres productions qui,<br />

elles, ont conservé le caractère des vases MM IA et B, exactement<br />

comme plus tard, le style connu comme G Style du palais )) a évolué<br />

parallèlement à la céramique MR IA et B. Bien sûr, la production pala-<br />

tiale est toujours demeurée à un niveau plus élevé que celle des centres<br />

non paiatiaux ; mais on n’a pas de preuves que ces centres produisaient<br />

de la céramique de styles différents ; la céramique palatiale a eu un<br />

vaste rayon d’action ; elle a fourni les modèles et donné des directives à<br />

la céramique locale.<br />

<strong>La</strong> découverte, à côté du palais de Malia, d’un atelier de sceaux a<br />

illustré le développement de cette branche de l’artisanat. II ne fait aucun<br />

doute que les palais abritaient divers ateliers de vases de pierre et<br />

d’outils, puisque des progrès caractéristiques ont été enregistrés dans ce<br />

domaine. Mais ce sont les industries de la faïence, de l’ivoire, du cristal<br />

de roche, du lapis-lazuli, de la pâte de verre, etc., qui se sont surtout<br />

développées ; il n’était pas rare que ces matières soient associées à des<br />

métaux précieux dans la bijouterie et la marqueterie.<br />

<strong>La</strong> céramique<br />

Quand les palais se sont construits et que ce sont constitués les pre-<br />

miers centres palatiaux, la céramique avait déjà fait d’importants pro-<br />

grès dans les domaines de la technique, de la forme et de la décoration.<br />

Le tour lent avait été remplacé par un autre, rapide ; le soin apporté à<br />

la préparation de l’argile de façon qu’elle ne craque pas pendant la<br />

cuisson et qu’elle s’adapte à des vases à parois minces, avait atteint un<br />

point tout à fait enviable ; les vernis utilisés avaient acquis la stabilité et<br />

le brillant indispensables ; la technique des couleurs, ajoutées sur un<br />

fond sombre, avait atteint une telle perfection qu’il était possible<br />

d’obtenir un effet polychrome très réussi. <strong>La</strong> première phase du style de<br />

Camarès était déjà passée - celle qui est connue comme MM IA -<br />

lorsqu’on a fondé les palais et, comme nous l’avons vu, les maisons<br />

prépalatiales sous les cours et les sols des premiers palais appartenaient<br />

à cette phase. <strong>La</strong> céramique de la grotte sacrée de Camarès, sur la<br />

pente d’un des sommets de l’Ida, ne comportait que très peu de vases


Le Bronze moyen 27 1<br />

de cette époque ; les beaux vases polychromes qui ont donné le nom au<br />

style, dataient de l’apogée de l’époque des anciens palais c’est-à-dire du<br />

MM IIA et du MM IIB ; au contraire, très peu d’exemplaires du style<br />

light on dark - dans lesquels on remarque une très nette tendance au<br />

réalisme - semblent être du début de la première phase des nouveaux<br />

palais, soit du MM IIIA.<br />

<strong>La</strong> céramique MM IB est connue par quelques dépôts en forme de<br />

puits protopalatiaux de Cnossos, et beaucoup mieux par les couches les<br />

plus profondes du palais de Phaistos et de certaines maisons sur la col-<br />

line, dans la région d’Haghia Photini, d’où elle tire son nom de (( style<br />

d’Haghia Photini D. Cette phase est également représentée par les plus<br />

récentes des tombes à coupole de la Messara - Platanos, Porti, Vorou,<br />

Haghia Triada, etc. Les vases en barbotine et le style des crustacés<br />

- barnacle work -, qui étaient apparus vers la fin de la phase de<br />

Camarès prépalatiale, sont alors très courants et allient merveilleusement<br />

la décoration polychrome aux motifs rendus par la technique de la bar-<br />

botine et des crustacés. <strong>La</strong> tombe à coupole d’Haghia Triada, la maison<br />

d’Haghia Photini et les couches les plus anciennes du premier palais de<br />

Phaistos ont donné les exemples les plus intéressants, où se combinent<br />

sujets décoratifs curvilignes et rectilignes. Les tons du rouge changent et<br />

deviennent plus chauds, si on les compare à l’orange et au lie-de-vin qui<br />

dominaient dans la phase précédente. Des vases à bec ponté, à panse<br />

biconique, des coupes larges coniques, des tasses relativement profondes<br />

à lèvre à peine tournée, des cruches globulaires à une ou trois anses,<br />

d’autres hautes ovoïdes, des coupes à fruits hautes à pied creux, des<br />

aiguières et des petites jarres avec de nombreuses petites anses, des<br />

petits cruchons coniques dont le bec rappelle celui d’un oiseau, des cou-<br />

pes étagées, d’autres hautes et sans anses du type N tumbler », telles<br />

sont les formes les plus communes. En dehors du décor à barbotine et<br />

(( crustacé », on combine souvent les creux et les bosses, les cannelures<br />

droites ou obliques, les appliques en relief, et il n’est pas rare que la<br />

lèvre et les parois soient ondulées, évidemment sous l’influence des<br />

modèles métalliques. Dans les tasses apparaissent, toujours sous<br />

l’influence des ustensiles métalliques, les premières (( coquilles d’œuf »,<br />

souvent décorées de motifs blancs très fins sur un fond noir brillant.<br />

D’une région à l’autre les formes des vases et leur décoration varient et<br />

celui qui est un peu spécialiste distingue facilement ceux qui proviennent<br />

de Crète orientale de ceux qui sont des régions de Cnossos et de Phais-<br />

tos ou de la plaine de la Messara. En général, les larges bandes qui font<br />

le tour des vases sont fréquentes, ainsi que d’autres en forme de guir-<br />

landes, les systèmes de lignes brisées, les bandes de points et d’orne-


212 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

ments en S qui se tortillent, les rosaces avec des croix ou des rayons<br />

ayant des disques à leur extrémité, les rangées de disques liés, les décors<br />

fusiformes qui se transforment facilement en feuilles, poissons, coquilla-<br />

ges, les diverses sortes de branches, etc. Souvent les couleurs de ces<br />

décors alternent du blanc au rouge, et cette alternance est presque de<br />

règle en Crète orientale. Là, les coupes étagées et les gobelets du type<br />

N tumbler N sont les formes les plus habituelles. Le style de Camarès<br />

MM IB, en Crète orientale, s’est enrichi de nouveaux éléments décora-<br />

tifs et de nouvelles formes, souvent très réussies, ainsi que dans les deux<br />

périodes suivantes - MM IIA et MM IIB ; les formes principales -<br />

cruches, bols à bec ponté, gobelets coniques hauts ou bas, sans anses<br />

(type N tumbler M), tasses, coupes à fruits, etc. continuent, mais leur<br />

décoration est souvent très riche, fondée sur les branches alternées, les<br />

spires liées et les rosaces, les chaînes de feuilles ou de branches qui<br />

tournoient, les systèmes - plus riches maintenant - de disques joints<br />

pour former des chaînes souvent doubles, les panaches en tourbillon,<br />

etc. Beaucoup de vases qui imitent les ustensiles de métal avec leurs<br />

parois ondulées, les anses en ruban pliées ou surélevées, les surfaces<br />

rayées, les parois incurvées, les bases moulurées, etc., sont les représen-<br />

tants de l’apogée du style de Camarès oriental. Les canthares simples ou<br />

à double courbure, avec des anses surélevées et un décor de feuilles de<br />

lierre ou de branches sont parmi les plus caractéristiques. Toutefois, il<br />

n’y a pas encore eu d’étude systématique de cette belle céramique proto-<br />

palatiale de Crète orientale, fondée sur les résultats des nouvelles<br />

fouilles.<br />

Dans la région de Malia, la céramique protopalatiale est très conser-<br />

vatrice et garde, jusqu’à la fin, de nombreux éléments des phases prépa-<br />

latiales et des premières phases protopalatiales ; aussi la subdivision en<br />

phases est-elle difficile, d’autant plus que la stratigraphie n’aide pas<br />

beaucoup. Dans le palais, les maisons et les nécropoles, on a mis au<br />

jour quelques ustensiles très intéressants, dont certains rappellent ceux<br />

de Crète orientale, d’autres des vases des régions de Cnossos et de<br />

Phaistos. Parmi ces derniers, ceux qui proviennent de la grande maison<br />

Mu pourraient être importés. Un petit nombre de vases aux formes<br />

métalliques provenants de l’îlot Christos présentent un intérêt tout parti-<br />

culier ; d’autres, avec des rosaces en relief, proviennent de Chrysolak-<br />

kos ; un vase du même endroit offre d’étranges formes féminines inci-<br />

sées ; enfin, un ustensile d’usage pratique - une bassine à deux étages,<br />

avec une passoire et un bec, pour égoutter le liquide - a un décor<br />

polychrome. Des vases, admirables de forme et de décor, avec des orne-<br />

ments blancs très fins, comme une broderie, sur le fond sombre, tou-


O<br />

Fig. 8. - Formes de vases de la période protopalatiale minoenne.<br />

e


274 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />

jours du même bâtiment Mu, doivent dater du début de la période sui-<br />

vante, la première phase néopalatiale (MM MA). <strong>La</strong> céramique des<br />

deux dernières phases protopalatiales, trouvée dans les palais de Cnos-<br />

sos et de Phaistos, est bien supérieure par la technique, les formes et le<br />

décor ; c’est la céramique de l’apogée des ateliers palatiaux. <strong>La</strong> distinc-<br />

tion des deux stades - MM IIA et MM IIB - n’est pas facile à faire<br />

sans critères stratigraphiques. Les éléments stylistiques qu’a donnés<br />

Evans ne sont pas du tout sûrs et à Phaistos, bien que la céramique ait<br />

été trouvée dans des couches scellées, comme nous l’avons vu, il y a des<br />

divergences d’opinions sur le caractère de la succession des couches. Si<br />

la céramique des sols appartient presque exclusivement à la phase finale,<br />

la céramique de la phase précédente sera pour une grande part celle qui<br />

a été trouvée dans le remblayage des pièces. Cela semble très probable,<br />

parce qu’on constate la même chose à Cnossos où les plus belles des<br />

coquilles d’œuf proviennent des remblais et de la région des ateliers<br />

nord-est, qui ne semblent plus avoir été en usage dans la phase finale<br />

du protopalatial. De toute façon on examinera ici les deux dernières<br />

phases ensemble.<br />

<strong>La</strong> céramique découverte dans les trois couches successives de Phais-<br />

tos est particulièrement abondante et riche ; Cnossos aussi avait fourni<br />

de magnifiques vases de Camarès. <strong>La</strong> diversité des formes de vases est<br />

inimaginable : coupes, gobelets, skyphoi, cruches, écuelles, hydries,<br />

stamnoi, aiguières, petits pithoi, etc. Même de très grands vases -<br />

pithoi et jarres - sont décorés dans ce style. Chaque ustensile a sa pro-<br />

pre personnalité et, quoique les motifs décoratifs se répètent souvent,<br />

les combinaisons sont innombrables et leur adaptation à la surface<br />

courbe du vase, en dépit des anses et des becs, est parfaitement réussie.<br />

On est particulièrement surpris par l’effort fourni pour imiter les vases<br />

de métal et c’est à cela qu’on doit les (( coquilles d’œuf )) faites de sim-<br />

ple argile et qu’on ne peut vraiment pas reproduire. Certains d’entre<br />

eux sont décorés en relief estampé de coquillages, de spires, de petites<br />

fleurs, etc. Bien que l’échelle des couleurs soit réduite, fondée sur diffé-<br />

rents tons de rouge et sur le blanc, on croit avoir affaire à une poly-<br />

chromie extraordinaire ; à cette impression contribuent la force et la<br />

mobilité des motifs décoratifs qui paraissent tournoyer, se tordre,<br />

s’enrouler, se propager par vagues, s’étaler dans toutes les directions,<br />

sans limites. Les éléments de base de la décoration sont : la spire, la<br />

rosace et la ligne ondulée ; mais d’autres qui viennent s’ajouter tout<br />

autour - en forme de feuilles ou d’ailerons - font croire à des ten-<br />

dances centripètes et centrifuges et l’impression d’ensemble est vraiment<br />

kaléidoscopique ; les réseaux de spires et d’autres motifs qui s’étendent


m n<br />

Fig. 9. - Motifs décoratifs de la période protopalatiale<br />

minoenne (style de Camarès).<br />

5 T


276 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

à l’infini et qui, suivant la courbure de la surface, s’ouvrent ou se rétré-<br />

cissent, donnent l’impression d’éléments vivants et cela explique les<br />

motifs animaux ou végétaux qui viennent s’ajouter si aisément aux spi-<br />

res ou aux méandres. Les motifs décoratifs se laissent souvent aller au<br />

naturalisme pour devenir poulpe, nautile ou poisson, différentes espèces<br />

de fleurs, de branches, même des quadrupèdes et, très rarement, des<br />

formes humaines tout à fait schématisées. En même temps le contraire<br />

se produit : une idée réaliste se transforme en motif décoratif comme,<br />

par exemple, le poisson pris à l’hameçon sur un beau petit pithos de<br />

Phaistos où l’ornement devient une rosace ; ou bien des femmes qui<br />

dansent autour d’une idole : la schématisation est telle qu’il ne reste que<br />

des lignes dansantes, qui ornent merveilleusement l’intérieur d’une<br />

écuelle ou une coupe à fruits de Phaistos. Comme nous l’avons vu, la<br />

tendance à reproduire les animaux marins a abouti à la naissance d’un<br />

style qui n’a pas cessé d’être représenté, mais avec beaucoup plus de<br />

discrétion. Toutefois, on rencontre encore plus souvent de petits ani-<br />

maux plastiques collés sur les parois, la lèvre ou le bec du vase ; sur<br />

certains, tout un ensemble plastique a été rendu - crabes, huîtres,<br />

petits rochers, mollusques - si réalistes qu’au début ils ont été pris<br />

pour des fossiles. Une partie de la décoration, surtout dans le cas des<br />

tasses a coquilles d’œuf », rend en peinture les décors au repoussé des<br />

vases métalliques - peut-être en or ou en argent -, si l’on en juge<br />

d’après ceux qui semblent importés de Crète et qui ont été trouvés à<br />

Byblos en Phénicie et à Tod en Égypte ; ces derniers datent d’Ameneh-<br />

met II (1929-1895 av. J.-C.). Quelques-uns des beaux vases comme<br />

l’importante coupe à fruits à décor extrêmement compliqué, le cratère,<br />

décoré autour du pied de fleurs en relief, et la cruche qui complète le<br />

service, tous de Phaistos, sont des ustensiles de la table royale. D’autres<br />

récipients, simplement d’usage culinaire - comme ceux qui ont un filtre<br />

à l’intérieur, les marmites, les râpes à fromage toujours avec une saillie<br />

pourvue de dents à l’intérieur pour râper le fromage - ont été décorés<br />

avec soin dans le style de Camarès. Quelques ustensiles semblent très<br />

étranges de forme et leur usage n’est pas sûr ; certains ressemblent à<br />

des cages pour les oiseaux, mais il s’agirait plutôt d’ustensiles destinés à<br />

protéger les lampes à huile lors du transport ; d’autres étaient peut-être<br />

des épinétra », qu’on plaçait sur le genou pour filer la laine ; il y en<br />

a qui semblent avoir été destinés à exciter la flamme par l’arrivée d’air<br />

jusqu’à ce que le métal puisse fondre (buses) ; enfin des plateaux, avec<br />

de nombreux trous tout autour, servaient peut-être à transporter un ser-<br />

vice de petites coupes.<br />

En même temps que les ustensiles communs, on en a découvert beau-


Le Bronze moyen 277<br />

coup d’autres de formes plastiques, destinés, sans aucun doute, au<br />

rituel. Ils continuent la vieille lignée des rhytons plastiques en forme<br />

d’animal sacré - taureau, cerf, chèvre sauvage ou autre animai ; mais<br />

c’est alors que, parallèlement aux animaux entiers décorés dans le style<br />

de Camarès, toujours avec des trous pour mettre et laisser s’écouler le<br />

liquide des libations, apparaissent les premiers rhytons en forme de tête<br />

d’animal sacré, taureau le plus souvent. De beaux exemples ont été<br />

trouvés à Phaistos.<br />

En même temps que les ustensiles du style de Camarès, il continue à<br />

y en avoir dans les anciens styles, décorés d’une couleur sombre sur le<br />

fond clair - dark on right -, particulièrement les grands vases avec de<br />

larges bandes superposées ; les petites jarres et les stamnoi sont souvent<br />

décorés de cette façon et les disques liés en réseaux par des courbes sont<br />

parmi les motifs les plus répandus. Les plus grandes jarres, à panse<br />

souvent globulaire ou ovoïde, col à peine marqué et lèvre arrondie, sont<br />

décorées de cordes, de cercles ou d’étoiles, toujours en relief et pourvus<br />

de nombreuses rangées de petites anses en arches, indispensables pour<br />

attacher le pithos à chaque transport. Dans les magasins royaux de<br />

Cnossos, on a trouvé des pithoi géants. On a vu que beaucoup de jarres<br />

- surtout de celles à ouverture béante (type de ) faites à l’éponge ou de réseaux de disques.<br />

<strong>La</strong> plastique<br />

<strong>La</strong> tendance particulière à combiner des ustensiles rituels en terre<br />

cuite avec des animaux sacrés, en rapport avec la divinité, a abouti à<br />

l’association de la céramique et de la plastique dans la production<br />

d’ustensiles dont nous avons parlé rapidement. Toutefois, des figurines,<br />

adorants et animaux votifs qui avaient été dédiés en grand nombre dans<br />

les sanctuaires de plein air, les sanctuaires de sommets, les grottes<br />

sacrées, les sanctuaires domestiques et palatiaux, relativement peu ont<br />

été sauvés qui appartiennent aux trois périodes de la <strong>civilisation</strong> des pre-<br />

miers palais. Cela est dû au tournant ou au changement fondamental<br />

du cuite dans les sanctuaires de plein air et les grottes, et à la dépréda-


278 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

tion des centres protopalatiaux. Mais il y en a assez de conservés pour<br />

nous permettre de connaître les progrès de la plastique. Parmi les figuri-<br />

nes qui ont été trouvées dans les sanctuaires de sommets - et qui se<br />

multiplient avec les recherches - il est difficile de distinguer de façon<br />

certaine celles qui appartiennent à l’époque des premiers palais ; il faut<br />

davantage s’appuyer sur la typologie et la stylistique et, dans ces domai-<br />

nes, l’étude n’a pas tellement avancé. Les belles figurines de Piskoké-<br />

phalo datent de la période suivante, la premiere phase néopalatiale ; à<br />

Petsofa, à Kalo Chorio - lieu-dit Maza -, à Kophinas dans les Asté-<br />

roussia, on a mis au jour des figurines qui, par leur forme et leur style,<br />

devraient être paléopalatiales, si on les compare à d’autres qui ont été<br />

découvertes dans certaines couches des anciens palais. Les figurines<br />

féminines présentent les nouvelles modes vestimentaires - corsages<br />

caractéristiques, jupes du type à crinoline, cols droits (Médicis), ceintu-<br />

res dont les extrémités tombent devant et se terminent quelquefois par<br />

des nœuds, et chapeaux bretons >), bérets, toques, etc. I1 n’est pas<br />

rare que la décoration soit en Camarès polychrome. Des exemples<br />

caractéristiques ont été trouvés dans les tombes les plus récentes de la<br />

Messara, dans des enclos funéraires, des maisons protopalatiales, dans<br />

des couches des anciens palais de Phaistos et Cnossos. Souvent c’est la<br />

partie inférieure du corps, ou les têtes avec leurs coiffures caractéristi-<br />

ques qui sont conservées. Des exemples proviennent de Tylissos, gros-<br />

siers dans leur exécution, mais très intéressants pour les détails des coif-<br />

fures. I1 est encore plus difficile de distinguer les figurines masculines et<br />

animales qui datent des premiers palais. Quelques figurines masculines<br />

des plus soignées, portant souvent un pagne rendu avec une attention<br />

toute particulière et une dague à la taille, seraient de cette période. I1 ne<br />

fait pas de doute que les modèles de sanctuaires en terre cuite trouvés<br />

dans la région des celliers avec les poids de tissage - loom weigbt area<br />

- dans le palais de Cnossos, sont protopalatiales ; elles représentent en<br />

miniature le sanctuaire avec ses trois colonnes, les autels avec les dou-<br />

bles cornes, l’enclos de l’arbre sacré, le palanquin de la divinité ou de<br />

sa prêtresse. Les étranges figurines en cloche ou représentant des mas-<br />

ques ne sont plus en usage ; toutefois, une de celles-ci très réussie en<br />

faïence, faite avec beaucoup de soin, quoique schématique, trouvée au<br />

dépôt protopalatial de Poros (Héraklion), montre qu’on n’avait pas<br />

totalement cessé de les dédicacer dans les sanctuaires. I1 est encore diffi-<br />

cile de dater avec précision des objets comme ceux de Palaikastro, Zak-<br />

ros et Mochlos, en forme de barques - celle de Zakros a un passager<br />

sur la poupe - ou de charrette à quatre roues. Les récentes et nombreu-<br />

ses découvertes du sanctuaire du Iouktas remontent, pour une grande


Le Bronze moyen 279<br />

part, aux premiers palais, quoique cela n’ait pas été confirmé stratigra-<br />

phiquement.<br />

<strong>La</strong> sculpture des vases et les outils en pierre<br />

<strong>La</strong> prospérité de la décoration polychrome de Camarès et la produc-<br />

tion de vases remarquables eurent pour conséquence le délaissement<br />

relatif de la fabrication des vases de pierre. Bien sûr, le travail de la<br />

pierre continuait à être d’un niveau élevé, comme le prouvent quelques<br />

objets de pierre d’excellente fabrication et très esthétiques de forme,<br />

comme par exemple les tables d’offrandes trouvées dans le sanctuaire<br />

du palais de Phaistos, avec de fines incrustations polychromes ou des<br />

incisions dessinant des oiseaux. Un kernos du même endroit, avec deux<br />

rangées de vases cylindriques, d’autres kernoi plus simples, de forme<br />

rectangulaire ou elliptique, comme des salières, provenant des tombes à<br />

coupole de la Messara, décorés, eux aussi, d’incisions et d’éléments<br />

incrustés, des vases en nids d’oiseau ou en forme de mortiers, des petits<br />

vases à offrandes qui prennent souvent la forme de calices de fleurs,<br />

des petits récipients de formes très réussies, difficiles à faire, avec anses<br />

fines et becs pontés ou tubulaires, des lampes à une, deux ou même<br />

plusieurs mèches, de petits skyphoi fabriqués dans des brèches dures,<br />

avec de belles veines rouges ou des taches blanches, etc., prouvent que<br />

le travail de la pierre à l’époque protopalatiale n’a rien à envier aux<br />

autres techniques. Le matériau, bien choisi, constituait toujours un élé-<br />

ment important de la décoration, comme le montrent leurs nombreuses<br />

imitations en terre cuite qui rendent les veines polychromes et la ponc-<br />

tuation blanche.<br />

En même temps on fabrique des outils de pierre en très grand nom-<br />

bre et leurs formes sont esthétiques, même s’ils sont d’utilisation cou-<br />

rante - broyeurs, pilons, spatules, pierres à aiguiser, etc. II se peut que<br />

d’élégantes massues sphériques soient également de cette époque. On a<br />

trouvé beaucoup d’ustensiles et d’outils de pierre dans les plus récentes<br />

des tombes à coupole de la Messara et dans quelques enclos funéraires.<br />

De nombreuses figurines humaines et animales étaient en pierre, mais<br />

il est toujours difficile de distinguer celles qui appartiennent aux anciens<br />

palais ; le petit adorant en stéatite de la tombe à tholos de Porti semble<br />

protopaiatial, de même que la figurine aux membres articulés de la<br />

tombe à coupole de Platanos et les petites adorantes des tombes de<br />

Koumassa et Haghia Triada.


<strong>La</strong> glyptique et les bijoux<br />

Le penchant des Minoens pour la glyptique était apparu dès le début<br />

de l’époque prépalatiale et nous avons déjà observé son évolution<br />

depuis la deuxième phase prépalatiale dans les matériaux tendres comme<br />

la stéatite ou l’ivoire. Essayant de créer des types de sceaux individuels,<br />

les graveurs ont élaboré artistiquement de nombreux motifs décoratifs et<br />

sont allés jusqu’aux figuratifs, utilisant habilement le cycle animal et le<br />

cycle humain. On pouvait s’attendre à ce que la glyptique évolue et<br />

acquière une force nouvelle avec la construction des premiers palais qui<br />

entraînait l’organisation d’une bureaucratie et d’une hiérarchie ; le con-<br />

trôle du commerce par le palais a favorisé la multiplication et I’amélio-<br />

ration qualitative des sceaux. En même temps, les formes se sont adap-<br />

tées ; le cylindre-sceau est devenu rare et l’on préféra les formes qui<br />

permettaient d’utiliser toutes les faces et qui pouvaient se porter en<br />

bijoux. Le prisme aux surfaces courtes, arrondies ou elliptiques, adapté<br />

aux idéogrammes, n’était plus apte à recevoir de plus grandes inscrip-<br />

tions qui traduisaient le nom, les titres ou les fonctions de celui qui le<br />

possédait. C’est ainsi que, parallèlement aux longs prismes à trois faces,<br />

commencent à apparaître les prismes à quatre faces et, plus rarement<br />

davantage (jusqu’à huit). On a souvent des disques biconvexes gravés<br />

sur les deux faces. Toutefois, ce sont les sceaux en forme de bouton à<br />

tige perforée et les cachets à tige haute tournée - (( signets )) - qui<br />

ont le plus progressé. Certains sont de véritables chefs-d’œuvre de<br />

sculpture - ceux qui s’ouvrent comme des calices de fleurs ou ceux<br />

dont les tiges sont faites d’anneaux ou présentent des facettes comme<br />

un cristal. Le matériau bien choisi, souvent dur - pierres précieuses ou<br />

semi-précieuses : agate, améthyste, cristal de roche, hématite, jaspe, brè-<br />

che polychrome, météorite, calcédoine, etc. - permet de bien tailler et<br />

de rendre avec une précision calligraphique signes hiéroglyphiques et<br />

autres représentations. Les signes hiéroglyphiques ne sont essentiellement<br />

que de petites images, gravées en négatif pour que l’impression soit<br />

positive. Les représentations deviennent naturalistes et ont un charme<br />

particulier. Les plus anciennes - peut-être de la fin de l’époque prépa-<br />

latiale - gardent un caractère archaïque, comme la représentation d’un<br />

couple avec son chien sur un demi-cylindre en ivoire. Mais certaines<br />

d’entre elles, qui ont été taillées dans des pierres précieuses, sont incom-<br />

parables, par la vie qui en émane, leur élégance, leur charme. On citera<br />

les représentations de chèvres sauvages poursuivies par des chiens ; un<br />

chamois a escaladé le rocher et, de là, en sécurité, il nargue son chas-<br />

seur qui aboie vainement en bas ; des oiseaux perchés sur des branches


Le Bronze moyen 28 1<br />

gazouillent et d’autres volent librement ; on représente aussi des paysa-<br />

ges marins avec une grande variété d’êtres ; des dauphins jouent sur les<br />

vagues. Le cycle des représentations se serait beaucoup élargi s’il s’était<br />

confirmé que les empreintes sur argile provenant de ce qu’on appelle le<br />

M dépôt hiéroglyphique N (Hieroglyphic Deposit) du palais de Cnossos,<br />

étaient bien protopalatiales comme l’avait cru Evans ; mais il semble<br />

être prouvé qu’elles datent du début de l’époque des nouveaux palais,<br />

même si bien des types sont protopalatiaux. Parmi ceux-ci, il y a des<br />

empreintes avec des hiéroglyphes mentionnant, semble-t-il, des titres<br />

royaux, qui s’accompagnent d’autres types donnant les portraits, à ce<br />

qu’il semble, du roi et de son héritier. Nombre d’idéogrammes sont en<br />

rapport avec les occupations ou les fonctions des possesseurs des<br />

sceaux ; une empreinte d’un musicien de la cour comporte deux lyres,<br />

en dehors des symboles de la cour ; des sceaux de céramistes présentent<br />

des potiers en train de travailler, le four et les vases ; des chasseurs<br />

poursuivent des animaux domestiques ou sauvages. Même des sceaux en<br />

or ou en argent, en forme de prisme ou de cachets à tige, étaient utili-<br />

sés. Les scarabées égyptiens et les cylindres orientaux ont influencé quel-<br />

ques sceaux minoens protopaiatiaux, qui ont imité leurs formes ; ils<br />

offrent toutefois des représentations de caractère minoen. A Phaistos on<br />

a mis au jour un dépôt d’empreintes de sceaux protopalatiaux très<br />

importants ; il présente la preuve que des motifs qu’on avait considérés<br />

comme néopalatiaux - des groupes antithétiques ou des êtres surnatu-<br />

rels et démoniaques - étaient en usage très tôt. <strong>La</strong> découverte d’un<br />

atelier de sceaux près du palais de Malia a été essentielle pour une<br />

connaissance plus précise de la glyptique des anciens palais ; on y a<br />

trouvé les matériaux, les outils, les déchets, des sceaux à moitié ou com-<br />

plètement achevés, pas moins de dix douzaines ; la plupart d’entre eux<br />

étaient des prismes a trois faces, en stéatite ; mais on a aussi trouvé des<br />

sceaux d’autres formes et quelques-uns en pierres dures. Cet atelier<br />

remonterait au début des premiers palais.<br />

<strong>La</strong> gravure s’est égaiement beaucoup occupée, comme à l’époque pré-<br />

palatiaie, des bijoux ; on fabriquait divers pendeloques, pendentifs,<br />

amulettes, perles, têtes de broches et d’épingles, bracelets, etc., en pier-<br />

res diverses, tendres ou dures, précieuses ou semi-précieuses. Les formes<br />

sont extrêmement variées mais pas très différentes de celles de l’époque<br />

prépalatiale, à cette différence près qu’on utilise davantage les pierres<br />

plus dures, qu’on recherche des effets de polychromie en combinant les<br />

matériaux, et que les formes deviennent plus plastiques et souvent natu-<br />

ralistes. On trouve fréquemment des pendeloques de colliers en forme<br />

de tête de taureau. L’orfèvrerie, qui utilise des métaux et alliages pré-


282 LA CIVILISATION &&ENNE<br />

cieux - or, argent et électrum (mélange des deux premiers) - aboutit à<br />

la confection de bijoux plus variés et plus précieux.<br />

<strong>La</strong> métallurgie<br />

Certains bijoux en or - pendeloques, pendentifs, perles de colliers,<br />

épingles, diadèmes, broches, boucles d’oreilles, etc. - et particulière-<br />

ment ceux qui proviennent des nécropoles de Malia, Mochlos - mais<br />

pas les plus anciennes -, de quelques-unes des tombes de la Messara,<br />

et des cimetières de Cnossos (Mavrospilio et Prophitis Elias) ont été<br />

considérés comme datant des premiers palais. Parmi ceux-ci, se distin-<br />

gue l’ensemble des bijoux en or de Chrysolakkos à Malia, dont l’exa-<br />

men attentif a amené le savant anglais Higgins, à admettre que le trésor<br />

du British Museum, connu sous le nom de trésor d’Égine, est de l’épo-<br />

que des premiers palais et provient de Chrysolakkos. Les épées et poi-<br />

gnards de Malia avec des manches en or, qui proviennent des sois les<br />

plus anciens des palais et du quartier Mu, ont été également considérés<br />

comme protopalatiaux. Puisqu’il a été prouvé que la plupart de ces<br />

objets datent, en fait, du début des nouveaux palais, nous en parlerons<br />

dans le chapitre correspondant. Mais on peut affirmer que l’époque<br />

protopalatiale a connu le développement de l’orfèvrerie, aussi bien en ce<br />

qui concerne les bijoux que les armes et les récipients. Très peu de ces<br />

objets toutefois nous sont parvenus et ceci en raison du pillage des<br />

palais, des nécropoles et des autres installations des anciens palais. Les<br />

Minoens eux-mêmes, devançant les catastrophes, ont emporté et caché<br />

dans des endroits inconnus des bijoux et ustensiles en métaux précieux,<br />

qui ont été plus tard refondus et ont pris de nouvelles formes. Les<br />

modèles métalliques des belles coupes et des tasses de Camarès, des bols<br />

et cruches à bec ponté n’ont pas été retrouvés à part un ou deux exem-<br />

ples isolés - comme une coupe étagée en argent de Gournia - ou<br />

quelques-uns de ceux qui ont été envoyés à l’étranger comme cadeaux.<br />

On a déjà parlé des ustensiles de Byblos en Phénicie et de Tod en<br />

Égypte. Toutefois, quelques ustensiles de bronze, des outils et des<br />

armes, ont été conservés. Leurs formes sont traditionnelles mais quel-<br />

ques armes ont été fabriquées plus solidement et plus artistiquement ;<br />

c’est le cas de haches à double tranchant, de pointes de lances, de poi-<br />

gnards avec trois clous au talon et dos renforcé, etc.<br />

<strong>La</strong> découverte d’une série de moules en schiste pour haches, ciseaux,<br />

miroirs, etc., dans les couches les plus profondes du palais de Malia<br />

(protopalatiales) a été particulièrement importante. Dans le cas de


Le Bronze moyen 283<br />

haches à double tranchant, ces moules étaient faits en deux parties avec,<br />

autour, des encoches pour les réunir et des petits évidements au bord<br />

pour laisser couler le métal.<br />

Les autres branches de l’artisanat<br />

Si nous savons si peu de chose sur I’évolution des autres branches de<br />

l’artisanat à l’époque des premiers palais, il est facile de comprendre<br />

pourquoi : certains matériaux étaient fragiles - comme l’ivoire, la<br />

faïence, la pâte de verre - ou périssables comme le bois, le cuir, la<br />

paille, les textiles, etc. Ces matériaux étaient utilisés pour les bijoux, la<br />

marqueterie, la tabletterie, la menuiserie, la boissellerie, la vannerie,<br />

l’habillement, les industries du cuir, etc. Des fragments d’ivoire, de cris-<br />

tal de roche, de faïence nous sont parvenus qui faisaient partie de cof-<br />

frets et de meubles incrustés qui, eux, hélas, ont disparu. De nombreux<br />

objets votifs, des jouets, des ustensiles de toilette, etc., étaient en matiè-<br />

res périssables, et nous n’en retrouvons que des éléments de décoration.<br />

<strong>La</strong> (( mosaïque de la ville B, faite de plaquettes de faïence, a été incor-<br />

rectement datée, par Evans et d’autres, du protopalatial. II y a égale-<br />

ment beaucoup de petites pendeloques de forme plastique et des têtes<br />

d’épingles en cristal. Mais la pâte de verre, bon marché, commençait à<br />

remplacer la faïence, le lapis-lazuli et le cristal de roche.<br />

Quant aux tissus et aux broderies, nous ne les connaissons que par<br />

l’intermédiaire d’objets plastiques - en particulier les figurines fémini-<br />

nes, qui rendent les dessins des vêtements et des chapeaux. Les<br />

nombreux pesons de tissage trouvés dans presque tous les bâtiments<br />

protopalatiaux nous informent sur les métiers avec les fils tendus verti-<br />

calement ; la plupart de ces poids sont cubiques, parallélépipédiques,<br />

pyramidaux, en fer à cheval et, plus rarement, discoïdes biconvexes. De<br />

la vannerie nous n’avons que quelques imitations peintes ou en relief,<br />

en céramique.<br />

Image générale de la vie économique, sociale,<br />

politique, religieuse et privée<br />

Au point où en sont actuellement les recherches on ne peut tracer<br />

qu’un cadre très général, à l’intérieur duquel l’évolution historique et la<br />

vie s’articulent de façon hypothétique. Les événements qui ont conduit<br />

à la concentration des pouvoirs entre les mains des rois et, par là, à


284 LA CIVILISATION ÉGBENNE<br />

l’édification des premiers centres palatiaux, demeurent inconnus. 11 est<br />

clair que le fait était en préparation depuis longtemps, et l’on voit assez<br />

nettement, au cours de la dernière période prépalatiale, qu’un change-<br />

ment radical se prépare. Mais on ne peut considérer comme une coïnci-<br />

dence le fait que dans presque tous les points du monde égéen se réali-<br />

sent de tels changements, et que partout commence une nouvelle époque<br />

qu’on appelle le Bronze moyen. Peut-être la raison principale est-elle<br />

l’infiltration d’un élément nouveau qui, en s’installant, a provoqué cette<br />

mutation et, en Crète, l’obligation de recourir à l’organisation d’un<br />

pouvoir central pour affronter un danger éventuel. Certes, le danger<br />

était encore loin, si l’agresseur n’avait pas les moyens de venir à bout<br />

d’une force qui, très tôt, grâce à ses bateaux, se partageait avec les<br />

Cyclades la domination de la mer. Plus tard le danger se précisera et se<br />

fera plus imminent ; il sera normal que le continent grec succombe le<br />

premier. Le monde insulaire commencera par être un concurrent com-<br />

mercial, alors que le continent se réorganisera sous ses nouveaux maî-<br />

tres. <strong>La</strong> Crète devra prendre des mesures, resserrer ses comptoirs com-<br />

merciaux dans les îles et, sans aucun doute, prendre des initiatives pour<br />

bâtir une grande force maritime. <strong>La</strong> contre-attaque aurait vraisemblable-<br />

ment pleinement réussi si le monde égéen, et plus particulièrement la<br />

Crète, n’avait été dévastée par une série de catastrophes sismiques qui<br />

l’ont obligée à concentrer ses forces pour rétablir et réorganiser les villes.<br />

Les centres palatiaux, situés aux endroits clés dans les régions vitales<br />

de l’île, ont pris dès le début l’initiative de l’organisation générale, dont<br />

les premiers moteurs furent, sans aucun doute, d’ordre économique. On<br />

est impressionné de voir ces centres se constituer dans l’île tout entière<br />

et qu’en même temps, il y ait eu des installations de type féodal - des<br />

fermes ayant le caractère de sièges de toparques. Les vestiges, même peu<br />

nombreux des palais mis au jour, montrent qu’ils ont été les principaux<br />

centres d’organisation de la vie et que c’est à partir de ceux-ci que la<br />

<strong>civilisation</strong> a rayonné tout à l’entour. Bien que leurs plans diffèrent<br />

fondamentalement de ceux des nouveaux palais, on remarque aisément<br />

que, pour la première fois, on se trouve en présence de constructions<br />

conçues pour répondre aux besoins très complexes des chefs qui étaient<br />

les organisateurs de la vie sociale, politique, économique et religieuse.<br />

Dès le début on a le sentiment d’une hiérarchie : rois, toparques, chefs<br />

de bourgades. Le palais de Cnossos était, dès sa première édification,<br />

beaucoup plus grand et beaucoup plus complexe que les autres palais et<br />

cela est lié au fait que son roi était reconnu comme primus inter pares.<br />

I1 est difficile de se faire une idée de la vie sociale d’après le seul<br />

matériel qui nous est parvenu. Toutefois l’organisation des palais, la


Le Bronze moyen 285<br />

transformation des habitats, les grands changements intervenus dans les<br />

nécropoles et les coutumes funéraires, nous permettent de déduire que<br />

les vieux génos étaient presque complètement démembrés et qu’on se<br />

trouve dès maintenant en présence des classes qui devaient façonner la<br />

vie et le cours de l’histoire tels qu’on pourra les suivre à l’époque des<br />

nouveaux palais : magistrats, nobles, prêtres et prêtresses, artisans, mar-<br />

chands et navigateurs, agriculteurs et éleveurs, enfin ceux qui étaient<br />

chargés du maintien de l’ordre et de la sécurité. <strong>La</strong> spécialisation était<br />

sans doute arrivée à un stade assez avancé et des ateliers avaient été<br />

créés à l’intérieur et à l’extérieur des palais ; mais l’essentiel de la pro-<br />

duction venait des palais et servait de modèle aux autres centres. I1 y<br />

avait toujours des différences entre les classes et il est certain que les<br />

plus basses d’entre elles avaient à peiner pour pourvoir à leur existence.<br />

<strong>La</strong> plupart des maisons continuent à être étroitement compartimentées<br />

et serrées les unes contre les autres. Les nobles et les dignitaires habi-<br />

taient à l’intérieur des palais, ou dans des maisons relativement confor-<br />

tables situées tout près. Les villas et les fermes essayaient d’imiter les<br />

palais tout en s’adaptant aux besoins locaux. Nulle part on n’a mis au<br />

jour des groupes de cabanes ou d’autres constructions médiocres qui<br />

auraient été destinés aux esclaves ; nous ne sommes même pas sûrs qu’il<br />

y ait eu une classe d’esclaves : il aurait été très difficile qu’elle subsiste<br />

dans les conditions de vie de l’époque. II devait y avoir des gens au ser-<br />

vice des seigneurs, ceux-ci leur assurant en échange la subsistance. <strong>La</strong><br />

vie était pacifique et, jusque maintenant, on n’a pas eu la preuve que<br />

les catastrophes qui se sont abattues sur les villes et les habitats, les<br />

palais et les grands établissements, aient été provoquées par des ennemis<br />

intérieurs ou extérieurs. Les villes sont demeurées non fortifiées. <strong>La</strong><br />

(( paix minoenne D, la pax minoica légendaire, date du début de l’épo-<br />

que des premiers palais. Et pourtant, les centres les plus importants<br />

étaient devenus très riches et devaient, sans aucun doute, exciter la con-<br />

voitise de leurs voisins. On ne sait pas de façon sûre si la richesse indi-<br />

viduelle s’était également développée et se trouvait entre les mains d’une<br />

classe qui aurait pu constituer une opposition à l’intérieur du pays. De<br />

toute façon, il aurait été impossible que cette paix se maintienne s’il n’y<br />

avait eu une force maritime organisée et un contrôle systématique des<br />

mers qui neutralisaient à temps les offensives pirates. On ignore si ce<br />

que rapporte Thucydide - neutralisation des pirates de la mer Égée par<br />

Minos et sa thalassocratie - remonte à une époque aussi reculée que<br />

celle des anciens palais. Mais il est de fait que les Crétois ont pénétré<br />

dans les Cyclades en établissant des comptoirs commerciaux, et en fon-<br />

dant peut-être les premières colonies.


286 LA ClVlLlSATlON ÉGÉENNE<br />

II nous est encore plus difficile d’apprendre quoi que ce soit de<br />

l’organisation de la vie politique. Les caractéristiques fondamentales des<br />

palais minoens ne semblent pas avoir changé, radicalement du moins,<br />

entre l’époque des premiers palais et celle des seconds. L’institution des<br />

rois en tant que chefs suprêmes semble se confirmer. Leur titre n’est<br />

pas connu quoique Evans insistait à voir dans le nom légendaire de<br />

Minos un titre plutôt que le nom de certains rois de Cnossos. Les trois<br />

portraits sur des empreintes des sceaux du Hieroglyphic Deposit ont<br />

permis d’identifier des personnages de la famille royale de Cnossos,<br />

dont les titres étaient fournis par des inscriptions hiéroglyphiques,<br />

imprimées par d’autres sceaux, sur les mêmes fragments d’argile. Le roi<br />

se distingue par le diadème qui entoure ses cheveux frisés. Les symboles<br />

du titre royal sont le chat sauvage - ou seulement la tête -, le trident<br />

et le signe du trône. D’autres inscriptions hiéroglyphiques se rapportent<br />

a des individus qui appartiennent à la plus haute hiérarchie royale. I1 a<br />

été question du sceau du chef-musicien de la cour ; d’autres étaient<br />

peut-être ceux du haut clergé. Le développement de la bureaucratie,<br />

s’accompagnant du progrès de l’écriture hiéroglyphique, est dû à l’orga-<br />

nisation d’une administration centralisée dans les palais. Les archives de<br />

rondelles en argile et de barres inscrites - qui constituaient plutôt des<br />

étiquettes des boîtes contenant les véritables archives dont le texte était<br />

écrit sur des matériaux périssables (papyrus, parchemin ou feuilles de<br />

palmiers), dont des spécimens ont été découverts dans les palais de<br />

Cnossos, de Phaistos et de Malia - ont été datées, par Evans et<br />

d’autres fouilleurs, de l’époque protopalatiale. On a parlé de l’évolution<br />

d’un système linéaire a issu )) de l’écriture hiéroglyphique, dès le début<br />

de l’époque des premiers palais. Toutefois, la plupart de ces documents<br />

inscrits sur argile sont de la première phase des seconds palais, comme<br />

il a été démontré. Cela n’exclut pas l’existence de documents semblables<br />

dans la période des premiers palais, période où il y a tant d’empreintes<br />

de sceaux, d’autant plus qu’on a la preuve, à Phaistos, du développe-<br />

ment d’un système d’écriture protolinéaire datant de cette époque. Les<br />

sceaux en argile trouvés ensemble scellaient, à ce qu’il semble, des peti-<br />

tes boîtes, des portes et des petits récipients dont le contenu était pré-<br />

cieux. <strong>La</strong> décoration de ces sceaux s’est avérée extrêmement riche et la<br />

variation dans les types - qui portent souvent des représentations figu-<br />

rées -, montre un souci d’assurer un contrôle total de la part du<br />

palais. Malheureusement, tout ce qui avait été écrit sur des matériaux<br />

périssables et qui devait, en grande partie, constituer le contenu des boî-<br />

tes, a été perdu.<br />

Van Effenterre, dans l’étude du complexe nord-ouest - dit de


Le Bronze moyen 287<br />

l’Agora - de Malia, est arrivé à la conclusion que le régime politique<br />

était fondé sur la limitation de l’absolutisme royal par l’assemblée du<br />

peuple et une sorte de sénat, conseil aristocratique qui avait peut-être<br />

aussi un caractère religieux. Mais, comme on verra, le type architectural<br />

de cet ensemble est susceptible d’une autre interprétation.<br />

Un des éléments de base de l’organisation politique est, sans aucun<br />

doute, le lien étroit avec la vie religieuse. Dans les anciens palais on a<br />

eu la preuve, non seulement qu’ils abritaient les sanctuaires les plus<br />

importants, mais encore que les rois détenaient un pouvoir religieux ; ils<br />

étaient peut-être, dès lors, des représentants de la divinité qui avait le<br />

palais pour résidence principale. Cela signifierait qu’on est en présence<br />

d’un début de gouvernement théocratique pour lequel les éléments abon-<br />

dent à l’époque des nouveaux palais. Comme, dans les deuxièmes<br />

palais, les pièces destinées au culte se trouvent surtout dans l’aile occi-<br />

dentale, et sont directement en communication avec les magasins, il<br />

nous est donc facile d’admettre que les produits stockés étaient sous le<br />

contrôle de la divinité elle-même et de ses représentants sur la terre, les<br />

rois, qui étaient en même temps grands prêtres. Les innombrables jarres<br />

devaient être remplies chaque année grâce aux (( prémices n, offrandes<br />

que les citoyens prélevaient sur leurs récoltes agricoles. <strong>La</strong> vie religieuse<br />

était donc étroitement liée a la vie sociale et politique de même que,<br />

cela va de soi, à la vie économique, puisqu’elle contrôlait les produc-<br />

tions, et à la vie privée. <strong>La</strong> dangereuse méthode qui consiste à mettre<br />

en rapport avec la religion tout ce qui est inconnu et inexplicable a<br />

conduit de nombreux fouilleurs à se montrer prudents dans les interpré-<br />

tations qu’ils donnent à des éléments qui, à première vue, pourraient<br />

être caractérisés comme sacrés ou cultuels. Toutefois on est certain -<br />

d’après l’évolution qui a été la sienne - que la religion a joué un rôle<br />

très important et il est tout à fait normal que beaucoup de vestiges en<br />

témoignent. Quoique les éléments en notre possession ne soient pas suf-<br />

fisants pour que nous puissions nous faire une idée complète du système<br />

des croyances et de la manière dont elles fonctionnaient, on a le senti-<br />

ment que, pour la première fois, ce système est complet et prend une<br />

forme stable, sous la conduite dogmatique du clergé du palais. Les figu-<br />

rines, les effigies, les symboles, les ustensiles rituels, l’arrangement des<br />

lieux de culte, nous permettent de comprendre que, dès lors, les formes<br />

essentielles des divinités et la manière de leur rendre un culte étaient<br />

désormais fixées, telles que nous les rencontrons à l’époque suivante.<br />

Aussi est-il superflu de les étudier ici. Rappelons simplement I’impor-<br />

tance du rôle joué par les sanctuaires palatiaux, et que c’est autour de<br />

ceux-ci que se sont organisés les principaux rites ; ces derniers ont


288 LA CIVILISATION ÉGI~ENNE<br />

influencé de façon fondamentale l’architecture d’importantes sections<br />

des palais - les cours centrales et occidentales et leurs façades, les pre-<br />

miers théâtres, lieux essentiellement rituels. Nous avons vu qu’à côté du<br />

palais de Malia a été édifiée et aménagée la première esplanade cons-<br />

truite pour un but spécifique ; l’explication la plus probable est qu’elle<br />

était destinée aux tauromachies et autres cérémonies publiques religieu-<br />

ses ; nous avons vu aussi que dans les palais de Cnossos et de Phaistos<br />

des lieux correspondants avaient été organisés, en bordure de la cour<br />

occidentale. D’autre part, des ensembles de petites maquettes en terre<br />

cuite comme ceux du palais de Cnossos nous renseignent sur les disposi-<br />

tions et les éléments essentiels des lieux de culte palatiaux : les autels,<br />

les sanctuaires aux trois colonnes, les enclos d’arbres sacrés, les palan-<br />

quins pour le transport des membres du clergé, etc. Ce qui est caracté-<br />

ristique, c’est la manifestation de la présence divine sous la forme<br />

d’oiseaux qui étaient représentés perchés sur les colonnes sacrées. Les<br />

symboles les plus importants - double hache, double corne, bucrane,<br />

peut-être aussi la croix - dont nous connaissons des formes primitives<br />

dès l’époque prépalatiale, prennent maintenant la forme qu’ils garderont<br />

même à l’époque post-minoenne. I1 reste toujours le problème de savoir<br />

quelles influences extérieures - Orient, Anatolie, Égypte - se sont<br />

exercées pour donner leur forme finale à la doctrine et aux rites de la<br />

religion minoenne. Les éléments dont nous disposons pour en juger<br />

sont, pour l’instant, encore insuffisants.<br />

Dans le développement de la vie économique, la construction des<br />

palais a été un facteur fondamental ; ce sont eux qui ont joué un rôle<br />

régulateur avec les ateliers royaux, le prodigieux stockage dans les<br />

magasins, le contrôle bureaucratique. Alexiou a soutenu, présentant de<br />

forts arguments à l’appui, que le commerce en Crète est resté essentiel-<br />

lement palatial. Le contrôle royal était à même de régler la production<br />

suivant les demandes intérieures et extérieures, d’importer des matières<br />

premières, d’assurer l’amélioration de la qualité. Les produits exportés<br />

vers l’Égypte ou l’Orient - cadeaux ou échanges - sont mentionnés<br />

dans les archives locales et on en a retrouvé des spécimens dans des tré-<br />

sors d’ex-voto ensevelis dans les sanctuaires, le mobilier funéraire, ou<br />

parmi les ustensiles des ouvriers qui ont travaillé à l’édification des<br />

pyramides et autres monuments funéraires en Égypte. Le problème des<br />

relations de la Crète avec le monde extérieur a préoccupé bien des spé-<br />

cialistes dont certains - comme Pendlebury pour l’Égypte et Frankfort<br />

pour la Mésopotamie - ont publié des objets (scarabées et cylindres<br />

orientaux) qui étaient importés en Crète, alors que Flinders Petrie et


Le Bronze moyen 289<br />

d’autres ont fait connaître la céramique minoenne trouvée à Abydos,<br />

Harageh, Kahun et Illahun en Égypte.<br />

Aujourd’hui nous connaissons bien davantage d’exemples d’objets<br />

importés d’Orient et d’Égypte en Crète, et exportés de Crète en Méso-<br />

potamie, en Syro-Phénicie, en Anatolie, à Chypre et en Égypte. C’est<br />

sur cette base que se sont appuyées les chronologies des différentes<br />

périodes de l’histoire minoenne. Des scarabées de la xue dynastie trou-<br />

vés à Gournès, dans une tombe à tholos de Platanos, dans une autre de<br />

Lébéna, dans des annexes de la tombe à coupole d’Haghia Triada, dans<br />

les grottes de Trapéza et de Psychro, etc., des cylindres comme celui<br />

d’Hammourabi dans la tombe à tholos B de Platanos, etc., ont énormé-<br />

ment aidé à fixer les chronologies. D’autres objets importés - une tête<br />

en pierre mésopotamienne trouvée à Cnossos - ont soulevé des diffi-<br />

cultés : cet objet pouvait difficilement être descendu en dessous de 2130<br />

av. J.-C. mais trouve des parallèles plutôt au milieu du llle millénaire<br />

av. J.-C. On a mis en doute à la fois la date et la couche ou a été trou-<br />

vée une petite statue en diorite portant l’inscription Ab - Nub - Mes -<br />

Wazet - User, sous le dallage de la cour centrale du palais de Cnossos.<br />

User a peut-être été envoyé comme ambassadeur à Cnossos au début de<br />

l’époque des premiers palais. Quelques mentions ont été faites dans des<br />

écrits du palais de Mari sur l’Euphrate à propos d’objets des Kaptaru<br />

qu’on identifie avec les Kephti = Crétois des inscriptions égyptiennes.<br />

D’autres savants, et tout d’abord Evans, naturellement, ont recherché<br />

les échanges d’influences dans les motifs décoratifs, dans les formes<br />

plastiques et architecturales, dans les plus anciennes fresques, etc. Les<br />

échanges entre l’Anatolie et la Crète sont bien moins importants, quoi-<br />

que bon nombre de savants aient voulu rechercher dans cette région les<br />

modèles des palais et les racines de la religion minoenne. Palmer et<br />

Huxley ont admis une immigration louvite dans le monde égéen, vers la<br />

fin de l’époque prépalatiale, et ont attribué à ce fait la forme nouvelle<br />

que prit ensuite la <strong>civilisation</strong>.<br />

<strong>La</strong> présence de tant d’objets crétois dans l’entourage des cours orien-<br />

tales et égyptiennes nous ferait croire à l’existence d’une sorte de diplo-<br />

matie, avec des ambassadeurs qui auraient été chargés de missions parti-<br />

culières et qui auraient apporté des cadeaux, non sans attendre quelque<br />

chose en retour. C’est plus tard que nous apprenons l’existence de cette<br />

diplomatie, grâce à la correspondance officielle trouvée aussi bien en<br />

Orient qu’en Égypte, grâce aussi aux représentations dans les tombes<br />

des dignitaires du Nouvel-Empire. Toutefois, la présence en Égypte des<br />

Kephti - transporteurs de bois pour les sarcophages et les construc-<br />

tions, et aussi d’aromates et autres matières nécessaires à I’embaume-


290 LA CIVILISATION ÉGkENNE<br />

ment, et guérisseurs -, est égaiement connue par des textes du Moyen-<br />

Empire, contemporains des anciens palais de Crète. Evans a soutenu<br />

que dès l’époque protopalatiale, les Minoens s’étaient installés dans le<br />

delta du Nil, et plus précisément dans la région de la petite île de Pha-<br />

ros, qui était un port à eux, naturellement avec l’autorisation des Égyp-<br />

tiens, pour faciliter leur commerce ; cette hypothèse s’est trouvée étayée<br />

par la découverte de vestiges de travaux minoens avec dallages et des<br />

tessons protopalatiaux. I1 est difficile de vérifier ces informations de<br />

même que d’autres concernant des installations sur la côte phénicienne<br />

en des endroits biens choisis, comparables à celles des ports<br />

(( jumeaux )) de Tyr et de Sidon ; il est fait état de vestiges de caractère<br />

minoen à Ugarit - la Ras-Shamra d’aujourd’hui - et dans le port de<br />

Minet-el-Beida. On peut également rappeler la découverte du trésor des<br />

vases d’argent minoens à Byblos.<br />

Sur les ports minoens de Crète nous ne sommes pas assez renseignés<br />

du fait qu’une partie des côtes nord et ouest de l’île est immergée.<br />

Evans a parié de quelques installations minoennes de cette époque dans<br />

la région d’Héraklion, et a cherché à prouver qu’il n’était pas difficile<br />

de situer les ports de Phaistos dans les régions de Matala et Kommos.<br />

Le Pr J. Shaw a entrepris des recherches systématiques sur ce dernier<br />

site. Les emplacements des ports sont choisis avec soin et il ne fait pas<br />

de doute que les Minoens s’étaient installés dès l’époque protopalatiale<br />

dans la profonde baie de Souda, considéré aujourd’hui comme le port<br />

méditerranéen le plus important. Une tradition - qui n’est malheureu-<br />

sement connue que par des sources postérieures - veut qu’une ville<br />

(« Wlcania ») ait été fondée par Minos dans cette région et ce n’est pas<br />

un hasard si ce nom est lié avec le lieu-dit Alchania dont il est question<br />

dans une inscription grecque de la région de Souda ; Ai Cania, <strong>La</strong><br />

Cania, Cania, <strong>La</strong> Canée d’aujourd’hui, ville voisine du port où ont été<br />

mis au jour bien des vestiges de l’époque des premiers palais. Les<br />

recherches ont permis de découvrir d’autres installations minoennes de<br />

cette période dans les îles de Cythère, Kéa, Mélos, Théra et Rhodes<br />

(Trianda), et même peut-être Égine, si le trésor du même nom provient<br />

réellement de cette île. Les fouilles à venir révéleront sans aucun doute<br />

bien davantage de vestiges de ces (( comptoirs D commerciaux protopala-<br />

tiaux. Alors que les îles recèlent beaucoup de traces des liens commer-<br />

ciaux avec la Crète, on n’a, au contraire, rien trouvé de correspondant<br />

sur le continent grec, si l’on excepte quelques vases de Camarès isolés,<br />

en Argolide - Lerne - ou quelques poteries mésohelladiques récem-<br />

ment mises au jour en Crète occidentale. <strong>La</strong> raison en est peut-être une<br />

opposition raciale rendant, dès ce moment, les échanges impossibles.


Le Bronze moyen 29 1<br />

Schachermeyr a émis l’idée que les palais de Crète étaient les princi-<br />

paux centres d’échanges des produits, avant que ne se répande toute<br />

forme monétaire. L’intervention du palais, certes, facilitait grandement<br />

ces échanges, en particulier dans le cas de produits dont il n’était pas<br />

facile de fixer la valeur ; il va de soi que les actes bureaucratiques<br />

étaient alors indispensables. En Orient, les maisons sacrées ont souvent<br />

joué ce rôle ; les palais minoens étaient, sur une plus grande échelle,<br />

des demeures de ce type, qui disposaient de prodigieux dépôts d’offran-<br />

des, des prémices et des revenus des propriétés sacrées. Les archives en<br />

hiéroglyphique faisaient état d’échanges de ce type et c’est à eux que les<br />

systèmes d’écriture doivent leur développement. Les échanges privés se<br />

poursuivaient mais exerçaient sans doute un rôle bien moindre dans le<br />

développement du commerce principal. Les intendances qui codifiaient<br />

les prix et les correspondances des produits - véritables chambres de<br />

commerce - étaient, à ce qu’il semble, les palais, dont le contrôle<br />

devait s’exercer sur toute la région. C’est d’eux que devaient dépendre les<br />

transactions commerciales de grande échelle à l’étranger, l’importation<br />

et l’exportation. Cela ne devait évidemment pas empêcher les gens de<br />

s’adonner au petit commerce et de pratiquer les échanges habituels. Le<br />

commerce du cuivre et des métaux précieux ne semble pas encore avoir<br />

pris beaucoup d’importance; les métaux ne constituent pas dès ce<br />

moment le moyen d’échange qui sera la base de la monnaie. Les talents<br />

de cuivre, comme ceux que nous trouvons à l’époque des nouveaux<br />

palais, ne semblent pas encore être en circulation.<br />

Les produits principaux de la Crète, qui remplissaient les jarres des<br />

magasins royaux et privés, étaient à peu près les mêmes qu’au-<br />

jourd’hui : l’huile, le vin, les différentes espèces de blé, les Iégu-<br />

mes secs, les cultures maraîchères, les fruits ; dans certains cas, de gran-<br />

des jarres étaient nécessaires dont la fabrication, la conservation et le<br />

transport posaient bien des problèmes. On est surpris du nombre des<br />

magasins et des pithoi. <strong>La</strong> grande activité des ateliers - et en particu-<br />

lier ceux de céramique - est due à la nécessité d’affronter la produc-<br />

tion et la circulation de ces produits, mais aussi d’aider efficacement à<br />

la préparation des aliments, des boissons et des autres biens de consom-<br />

mation. <strong>La</strong> production n’était pas exclusivement destinée à la consom-<br />

mation intérieure, mais devait pourvoir à l’exportation en échange de<br />

matériaux et de matières premières qui manquaient dans l’île. C’est<br />

pour cette raison qu’on fabriquait tellement de produits artistiques de<br />

haute qualité qui, sans aucun doute, devaient être très prisés sur les<br />

marchés étrangers. <strong>La</strong> disparition quasi totale de produits manufacturés<br />

comme les objets en métal, en bois, les tissus et les broderies, la vanne-


292 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

rie, etc., nous empêche de nous faire une idée précise des plus impor-<br />

tants des produits d’exportation, qui ne nous sont connus que par des<br />

exemples isolés, et par les influences qu’ils ont exercées sur les arts de<br />

l’étranger. D’autre part, la disparition des archives sur matériaux fragi-<br />

les nous a privés des renseignements concernant leur description et leur<br />

nombre. Les exemples de la glyptique ne comblent que fort peu le vide<br />

de nos connaissances concernant l’économie protopalatiale.<br />

Nous savons malheureusement fort peu de choses de l’économie agri-<br />

cole à l’époque des premiers palais, très peu d’habitats ruraux ayant été<br />

fouillés jusqu’à présent. 11 ne fait pas de doute que le sol était bien plus<br />

fertile qu’aujourd’hui et cela parce qu’il pleuvait davantage et qu’il y<br />

avait plus de terre arable, celle-ci n’ayant pas encore été entraînée vers<br />

la mer. Toutefois nous ne savons pas comment on rendait les champs<br />

plus productifs ni exactement comment on les cultivait, même si bien<br />

des outils nous sont connus. Nous ignorons jusqu’à quel point était<br />

développée l’irrigation, puisque nous ne pouvons préciser la chronologie<br />

du système de canaux du plateau du <strong>La</strong>ssithi. Les exportations de bois<br />

vers l’Égypte prouvent qu’on exploitait déjà les richesses de la forêt,<br />

quoiqu’une partie des cèdres soit vraisemblablement venue du Liban,<br />

transportée par les bateaux crétois. On voit aussi le rôle joué par le bois<br />

inséré dans les murs et l’usage qu’il en est fait - il s’agit de cyprès le<br />

plus souvent - dans les embrasures, les colonnes et les plafonds. Bien<br />

que nous ne soyons pas suffisamment informés sur la mise en valeur<br />

des jardins et des vergers, nous pouvons penser qu’on cultivait les<br />

arbres et les fleurs suivants : figuier, grenadier, cognassier, poirier,<br />

pommier, lis, narcisses, roses, pavots, tulipes, safran (crocus), etc., les<br />

plantes aromatiques, myrte, thym, sauge, etc. Les plantes de Crète<br />

devaient être très recherchées et certaines utilisées dans un but thérapeu-<br />

tique. <strong>La</strong> plupart des conclusions tirées à ce sujet proviennent des repré-<br />

sentations sur des sceaux, sur des vases, de quelques restes carbonisés et<br />

de mentions qui en sont faites dans des textes égyptiens.<br />

Le développement de l’élevage évoluait parallèlement et les espèces<br />

d’animaux qu’on gardait systématiquement étaient précisément celles qui<br />

ont constitué la base de l’élevage du début à la fin des temps minoens,<br />

c’est-à-dire les ovins, les bovins et les porcs. Nous en trouvons des<br />

représentations dans les signes hiéroglyphiques et les différents idéo-<br />

grammes, sur les sceaux et les empreintes de sceaux, et beaucoup<br />

d’ossements ont été mis au jour ; il n’y a toutefois pas eu d’études<br />

systématiques sur la question. A la chasse - les chiens bien exercés<br />

aidaient beaucoup - les principaux animaux étaient la chèvre sauvage,<br />

le cerf, le lièvre, le sanglier, les canards sauvages, les perdrix et bien


Le Bronze moyen 293<br />

d’autres oiseaux. Les taureaux sauvages - peut-être de l’espèce Bos pri-<br />

migenius - vivaient librement, et il n’était pas simple de les capturer<br />

pour les tauromachies devenues un concours athlétique important. Pour<br />

les transports, semble-t-il, on utilisait les ânes et les bœufs, mais on<br />

n’avait pas encore importé le cheval et par conséquent le mulet était<br />

inconnu.<br />

Le monde marin jouait, sans aucun doute, un rôle important dans la<br />

nourriture à l’époque des premiers palais, et la pêche devait être une<br />

des principales occupations, comme le montrent les représentations de<br />

poissons et d’autres produits de la mer, les plombs de filets, les ancres,<br />

les harpons et autres instruments, aussi bien que les restes de grosses<br />

vertèbres de poisson. Toutefois, nous ne savons pas jusqu’à quel point<br />

il y avait des pêches organisées dans des régions riches en poissons.<br />

L’usage des éponges a été confirmé : elles étaient utilisées dans la déco-<br />

ration des vases, rnais nous ne sommes pas renseignés sur la pêche des<br />

éponges, pas plus d’ailleurs que sur la cueillette des murex, quoiqu’on<br />

ait trouvé des tas de coquillages à pourpre percés, à Kouphonissi en<br />

Crète orientale, mêlés à des tessons des premiers palais.<br />

Evans a daté de cette époque la construction des grandes voies dallées<br />

dont on a retrouvé des traces en différents points de Crète centrale, sur-<br />

tout dans la région de Cnossos et dans les défilés vers la plaine de la<br />

Messara. Cette datation semble très vraisemblable si l’on pense que les<br />

principales voies dallées autour des palais sont de cette époque, et que<br />

c’est également à ce moment-là qu’on a construit le grand viaduc avec<br />

ses gigantesques ouvertures à arcades et gradins entre les piliers dans sa<br />

partie inférieure ; ce pont menait à la route qui conduisait à la porte<br />

sud du palais de Cnossos. Là où on a retracé des vestiges de postes de<br />

garde sur les routes et des petits travaux techniques - ponts, soutène-<br />

ments - la date des fondations semble remonter au début de l’époque<br />

protopalatiale. On a déjà parlé des charrettes à quatre roues.<br />

Les représentations de bateaux à rames ou à voiles sur des sceaux<br />

continuent d’exister à l’époque protopalatiale et étaient également utili-<br />

sées comme idéogrammes. Toutefois ces figurations simples ne suffisent<br />

pas à nous donner une idée précise de la flotte marchande qui, en cas<br />

de besoin, pouvait protéger également l’île des incursions pirates. Le<br />

développement de cette flotte à l’époque des nouveaux palais montre<br />

qu’il faut en rechercher les stades intermédiaires au protopalatial. Les<br />

quelques représentations dont nous disposons, et peut-être aussi les<br />

modèles en terre cuite, nous montrent une proue haute, tandis que la<br />

poupe est basse avec une sorte d’éperon à l’arrière. Les bateaux avaient<br />

deux et trois voiles et ont acquis une sécurité supplémentaire grâce aux


294 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

longues rangées de rames. Des rames plus grandes, isolées, étaient utili-<br />

sées comme gouvernail ; de lourdes pierres perforées au milieu ou à<br />

l’extrémité servaient d’ancres. Des grandes embarcations à larges cales<br />

transportaient les marchandises ; elles ne devaient pas avoir de pont,<br />

comme celles, plus légères, qui étaient destinées aux passagers. I1 n’a<br />

pas été prouvé qu’il existait des navires spécialement équipés pour le<br />

combat ; les bateaux de commerce pouvaient transformer leur équipe-<br />

ment et servir à cette fin en cas de besoin.<br />

L’insuffisance de nos connaissances relatives aux habitations et à leur<br />

équipement - sauf en ce qui concerne les ustensiles en céramique - ne<br />

nous rendent pas facile la description même dans ses grandes lignes de<br />

la vie privée à l’époque des premiers palais. Le cycle des représentations<br />

est presque limité à la glyptique dont les motifs essentiels sont décora-<br />

tifs ou épigraphiques. On peut davantage parler de la vie du palais et<br />

des loisirs des classes les plus élevées de la société, divertissements qui<br />

se trouvaient liés aux cérémonies religieuses. En ce qui concerne I’ameu-<br />

blement, nous savons peu de choses - formes des trônes, des sièges,<br />

des tabourets ; les bancs construits, les couchettes en forme de ban-<br />

quette plate, les niches, placards et armoires bâtis, complétaient large-<br />

ment l’ameublement de bois qui ne devait pourtant pas faire défaut.<br />

L’apparence soignée des femmes et des hommes - malgré la grande<br />

simplicité de leur vêtement - prouve que le niveau de vie à l’intérieur<br />

de la maison, mais aussi dans les rapports publics et sociaux, s’était<br />

sensiblement élevé ; bien qu’on n’ait pas mis au jour les pièces les plus<br />

importantes dans lesquelles on demeurait - séparées pour les hommes<br />

et pour les femmes - on devine, d’après les divers ustensiles ménagers<br />

et les objets de toilette, qu’il devait y avoir un certain confort, pas très<br />

éloigné de celui de l’époque des nouveaux palais. On a eu l’occasion de<br />

voir les vêtements et la mode - féminine surtout - dans l’étude de la<br />

plastique. Les enduits sur les sols des différentes pièces nous montrent<br />

que les gens circulaient pieds nus, mais des chaussures hautes- comme<br />

les mt/3&Ata N crétois d’aujourd’hui - et des sandales légères étaient<br />

portées à l’extérieur.<br />

Les divertissements étaient liés pour une grande part aux cérémonies<br />

religieuses ; les tauromachies étaient sans doute aussi saisissantes<br />

qu’elles le sont aujourd’hui en Espagne ou au Mexique. Les cérémonies<br />

les plus importantes - processions, offrandes sur les autels, sacrifices<br />

de taureaux, danses et manifestations athlétiques - prenaient place<br />

dans les cours des palais et dans des lieux spécifiques comme le com-<br />

plexe nord-ouest - la prétendue (( agora B - du palais de Malia ; sur<br />

des sceaux sont représentés succinctement quelques-uns de ces exercices


Le Bronze moyen 295<br />

athlétiques et de ces fêtes : acrobates avec des cerceaux, peut-être aussi<br />

avec des épées, et lutteurs. Les sceaux nous montrent également des<br />

jeux de dés et on en a retrouvé des fragments dans les fouilles, de<br />

même que des dés et des récipients destinés à les jeter, aussi bien à<br />

Cnossos qu’à Phaistos. C’est dommage qu’il n’y ait pas encore de<br />

représentations sur des fresques et que la céramique soit si pauvre en<br />

figurations ; on apprendrait beaucoup grâce à elles, comme ce sera le<br />

cas à l’époque des seconds palais.<br />

Les événements historiques de l’époque protopalatiale sont évidem-<br />

ment impossibles à reconstituer même dans leurs lignes générales ; il ne<br />

semble pas qu’il y ait eu des troubles politiques ou militaires, et l’on<br />

pense que cette période de deux cents ou deux cent cinquante ans a été<br />

pacifique, sans grands affrontements intérieurs ou extérieurs. Seuls les<br />

bouleversements géologiques ont provoqué des coupures brusques dans<br />

le déroulement normal de la vie, mais il semble qu’ils aient été source<br />

d’un nouvel élan puisqu’il a été nécessaire de reconstruire chaque fois<br />

les centres palatiaux détruits et les autres habitats. <strong>La</strong> dernière des<br />

catastrophes, vers 1700 av. J.-C., a été plus générale et plus radicale, et<br />

il a fallu tout refaire. C’est en vain que des savants ont voulu I’attri-<br />

buer à d’autres causes, comme une invasion brusque venue de I’exté-<br />

rieur. Ces ennemis ne pouvaient être ni sur le continent grec ni dans le<br />

monde insulaire égéen et l’histoire ne connaît pas l’existence d’ennemis<br />

venus de l’extérieur ; quand bien même cela aurait été, les envahisseurs<br />

pénétrant dans les régions les plus isolées et les plus difficiles d’accès de<br />

l’île, mettant le pays à sac et se retirant, auraient dû laisser des traces<br />

très précises ; or on n’en retrouve nulle part, et particulièrement en<br />

Crète où l’on remarque au contraire l’évolution continue de la même<br />

<strong>civilisation</strong>. L’arrivée des Louvites du sud-ouest de l’Anatolie ne repose<br />

sur aucun élément réel et les arguments linguistiques avancés par les<br />

défenseurs de cette hypothèse se sont révélés sans fondements.


CHAPITRE II<br />

LE BRONZE MOYEN DANS LES CYCLADES<br />

(Cycladique moyen)<br />

Dans le monde insulaire du Sud de l’Égée, la fin du protocycladique<br />

marque un changement, pas aussi radical ni brusque qu’en Crète, mais<br />

aussi général, et avec des résultats importants que nous ne sommes tou-<br />

tefois pas en mesure d’apprécier dans toute leur étendue par le fait que<br />

les recherches systématiques ont très peu progressé et aussi que les prin-<br />

cipaux vestiges ont été recouverts par des installations postérieures, au<br />

Cycladique récent. II reste que presque tous les habitats protocycladi-<br />

ques de quelque importance ont été détruits ou abandonnés, à peu près<br />

au moment où, en Crète, on construisait les premiers palais, et où, sur<br />

le continent grec, les premiers habitats protohelladiques étaient rempla-<br />

cés par de nouvelles installations mésohelladiques. On pourrait en<br />

déduire que les mêmes événements historiques ont amené, dans toutes<br />

les régions du monde égéen, des changements correspondants. D’une<br />

manière générale, en ce qui concerne les Cyclades, on peut affirmer que<br />

le niveau de <strong>civilisation</strong> ne s’est pas abaissé, certes ; des changements se<br />

sont opérés qui dépendaient, pour une grande part, des progrès impor-<br />

tants réalisés dans le domaine de la métallurgie ; mais cette <strong>civilisation</strong> a<br />

perdu son indépendance, et son évolution s’est opérée sous l’influence<br />

de la Crète et du continent grec. On peut même considérer comme cer-<br />

tain qu’il y a eu dans les îles des installations aussi bien minoennes<br />

qu’helladiques, sous forme de comptoirs, et qu’il se réalisa une sorte de<br />

mélange des éléments cycladiques avec d’autres très proches - les élé-<br />

ments créto-égéens - ou étrangers - indo-européens - et que c’est a<br />

cela que la <strong>civilisation</strong> du Cycladique moyen doit son caractère propre.<br />

L’essentiel de nos informations provient de Phylakopi de Mélos où la<br />

première installation du Protocycladique III a été suivie d’une<br />

deuxième, qui a peut-être survécu jusqu’en 1500 av. J.-C., soit dans la<br />

première phase de la <strong>civilisation</strong> néocycladique. Les correspondances


298 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

chronologiques, confirmées aussi bien lors des premières fouilles -<br />

1890-1900 - que lors des fouilles complémentaires en 191 1 et, tout<br />

récemment en 1975-1976, montrent que le mésocycladique doit être situé<br />

entre 1900 et 1600 av. J.-C., c’est-à-dire qu’il correspond au protopala-<br />

tial et à la première période néopalatiale de Crète et, en gros, au méso-<br />

helladique continental. Sa fin est marquée par une colonisation crétoise<br />

intense, qui ouvre l’ère du Cycladique récent mais avec une très forte<br />

coloration mycénienne.<br />

Architecture domestique et constructions funéraires<br />

II faudra encore de longues recherches pour préciser les progrès réali-<br />

sés dans l’architecture des îles du Sud de l’Égée, Crète exceptée. Pour<br />

l’instant nous ne connaissons que les vestiges architecturaux de la<br />

deuxième ville de Phylakopi de Mélos et quelques autres isolés dans des<br />

îles des Cyclades et à Cythère. L’étude de ces vestiges est rendue diffi-<br />

cile par le fait qu’on a continué à appliquer les vieilles méthodes de<br />

construction en pierres sèches ou avec l’argile comme ciment ; cela fait<br />

que les ruines des bâtiments ne sont que des tas de pierres, générale-<br />

ment entraînés vers le bas des pentes. D’une manière générale, on<br />

remarque que si les formes architecturales se sont considérablement<br />

améliorées et qu’on applique de meilleurs principes d’urbanisme, la<br />

construction reste au même stade, presque primitif ; la pierre est seule-<br />

ment mieux choisie et travaillée selon une meilleure technique dans les<br />

endroits-clés du bâtiment - angles, ouvertures, façades, etc. Le manque<br />

de bois adéquats fait que les murs ne sont pas renforcés de façon systé-<br />

matique, ce qui leur aurait donné plus d’élasticité lors des séismes qui<br />

ont ravagé les autres îles de la mer Égée tout comme la Crète. C’est<br />

toujours l’absence de bois qui fait qu’on utilise si rarement les supports<br />

intérieurs ou les cloisons qui donnaient un style particulier à I’architec-<br />

ture crétoise. D’ailleurs on n’a pas ici d’architecture monumentale - ni<br />

palais, ni grandes habitations de toparques - sauf quand les colons<br />

crétois se sont installés, à la fin de la période. L’architecture funéraire,<br />

continuant les vieilles traditions et influencée par les modèles helladi-<br />

ques, n’a elle non plus aucune allure monumentale.<br />

A Phylakopi de Mélos, l’habitat initial protocycladique a été suivi<br />

d’un deuxième, pas très étendu, mais mieux construit, avec les maisons<br />

plus régulièrement rectangulaires, des ruelles mieux dallées entre ces<br />

maisons et, à ce qu’il semble, un mur de fortification qui protégeait la<br />

ville du côté de la terre. <strong>La</strong> présence de céramique de Camarès, aussi


Le Bronze moyen 299<br />

bien que des vases minyens et mats mésohelladiques, ont confirmé la<br />

chronologie. <strong>La</strong> longueur de la ville dépassait les 200 mètres et elle<br />

atteignait par endroits 80 mètres de large, tandis qu’à l’une des extrémi-<br />

tés, là où le mur séparait les maisons de la mer, elle arrivait à peine à<br />

20 mètres. En générai, les maisons étaient serrées les unes contre les<br />

autres en blocs, avec de petites pièces pas toujours disposées régulière-<br />

ment, et sans espaces libres comme des grandes cours ou des places.<br />

L’orientation générale était presque partout la même, avec de petits<br />

écarts par rapport à l’axe principal. Cependant, l’arrangement de la<br />

ville donne l’impression que des progrès importants avaient été réalisés<br />

dans le domaine de l’urbanisme.<br />

Bien qu’il n’ait pas encore acquis la forme finale qui devait être la<br />

sienne au Cycladique récent, le mur d’enceinte était bien supérieur aux<br />

périboles protocycladiques de Chalandriani et de Panermos (Naxos).<br />

Une façade à redans, des bastions rectangulaires et des portes bien<br />

organisées témoignent des progrès accomplis. On ne sait si les petites<br />

pièces aménagées dans l’épaisseur de la double muraille existaient déjà à<br />

cette époque. Au cap Ourio, à Ténos, un mur de fortification, avec les<br />

mêmes caractéristiques, semble appartenir à cette époque, alors que le<br />

mur d’enceinte normal, avec ses grandes tours rectangulaires, à Haghios<br />

Andréas (Siphnos) semble - du moins dans sa forme finale - être<br />

postérieur. <strong>La</strong> fortification de l’habitat de I’Helladique moyen d’Égine<br />

paraît, elle aussi, être de cette époque ; des remparts successifs disposés<br />

irrégulièrement ont engendré des passages dédaliques qui protégeaient<br />

les portes. Les dernières fouilles ont mis au jour une grande partie de<br />

ce travail de fortification que le premier chercheur, Welter, avait cru<br />

protohelladique.<br />

Sur l’habitat de Paroikia, à Paros, la seule chose que nous sachions<br />

c’est qu’il a continué d’exister depuis l’époque protohelladique mais<br />

nous ignorons jusqu’à quel point il a été renouvelé. Quelques savants<br />

croient qu’il n’y a pas eu de destruction. Des vestiges d’habitats du<br />

Cycladique moyen ont été découverts égaiement dans d’autres îles :<br />

Naxos (Grotta), Mykonos (Paliokastro), Siphnos (Kastro), Ténos (Cap<br />

Ourio), Kéa (Haghia Irini) et Cythère (Kastri), mais souvent les vestiges<br />

sont trop dispersés pour qu’on puisse se faire une idée, même générale,<br />

des habitats. A Cythère, on a l’impression qu’il s’agit d’une installation<br />

minoenne qui nous renseigne plus sur l’architecture protopalatiale<br />

minoenne que sur celle du Cycladique moyen. Peut-être la recherche<br />

future découvrira-t-elle davantage des choses sur les habitats du Cycladi-<br />

que moyen et sur leurs fortifications.<br />

Très peu de cimetières - alors que c’est le contraire pour le protocy-


Fig. 10. - Formes de vases de la période de I’Helladique<br />

moyen et du Cycladique moyen.


Le Bronze moyen 30 1<br />

cladique - de l’époque mésocycladique ont été mis au jour ; il s’agit,<br />

pour la plupart, de tombes à ciste isolées, qui ne font d’ailleurs que<br />

continuer la vieille tradition protocycladique ; d’autres fois - et c’est le<br />

plus souvent - elles ressemblent aux tombes à ciste mésohelladiques du<br />

continent. A Délos seule, on a trouvé des tombes à coupole basses, cir-<br />

culaires, qui ressemblent à celles de la même époque en Crète. Les cou-<br />

tumes funéraires étaient très simples et les tombes presque toujours indi-<br />

viduelles, de sorte qu’il n’était pas possible que naquît une architecture<br />

funéraire .<br />

Les diverses branches de l’artisanat<br />

Les recherches dans les Cyclades présentent encore tant de lacunes<br />

qu’il est très difficile de suivre l’évolution des diverses branches de I’arti-<br />

sanat et nous ne sommes pas en mesure d’éclaircir par la statigraphie<br />

les différents stades de cette évolution. Dans la plupart des cas, là où<br />

les habitats ont été fouillés sur une étendue plus ou moins grande, nous<br />

sommes incapables de dire dans quelle couche précisément s’effectue le<br />

passage du Bronze moyen au Bronze récent. Cela se remarque particu-<br />

lièrement à Phylakopi, où les trouvailles les plus avancées de la<br />

deuxième ville relèvent indubitablement du même stade d’évolution que<br />

l’habitat créto-cycladique de I’Akrotiri à Théra, récemment fouillé par<br />

le Pr Marinatos. A partir du moment où, à Théra, les limites chronolo-<br />

giques ont été fixées avec précision, il est facile de distinguer les grou-<br />

pes d’objets de Phylakopi et des autres centres qui appartiennent à ce<br />

stade et de fixer ainsi ceux qui datent d’une période plus récente, c’est-à-<br />

dire qui descendent jusqu’à la fin de la <strong>civilisation</strong> mésohelladique,<br />

vers 160 av. J.-C. Ces groupes peuvent être déterminés plus précisé-<br />

ment par les objets importés, soit de Crète, soit du continent, et qui se<br />

trouvent mêlés à eux, comme aussi des imitations de ces objets, qui ne<br />

sont pas du tout rares dans les habitats mésohelladiques.<br />

Comme toujours c’est la céramique, branche principale de l’artisanat,<br />

qui nous aide surtout à suivre cette évolution. Tout d’abord on recon-<br />

naît facilement les produits céramiques importés de Crète et du conti-<br />

nent grec : vases de Camarès des phases MM IB, MM IIA et MM IIB,<br />

surtout dans les débuts de la deuxième ville de Phylakopi, vases<br />

minyens gris si caractkristiques par leur technique, leur typologie et leur<br />

décor, et vases à peinture mate décorés surtout de motifs géométriques.<br />

L’influence de cette céramique sur la céramique locale a été immédiate.<br />

Bien des vases du Cycladique moyen imitent le décor de Camarès mais


L<br />

...<br />

9<br />

s<br />

,<br />

Fig. I I . - Motifs décoratifs de 1’Helladique moyen (a-I)<br />

et du Cycladique moyen (m-x)<br />

O P<br />

5<br />

d


Le Bronze moyen 303<br />

il y en a davantage en dark on light que de polychromes ; les motifs<br />

ont été rendus d’une façon relâchée, preuve du manque d’habileté des<br />

céramistes locaux. L’imitation des vases minyens était encore moins per-<br />

fectionnée et les ustensiles ne sont remarquables ni par leur texture<br />

grasse ni pour le rendu métallique des formes. Au contraire, les vases<br />

mats ont réussi non seulement à copier les modèles, mais ont abouti à<br />

l’évolution d’un style local mat, par l’adaptation des éléments anciens<br />

protocycladiques, et en particulier de la troisième phase. Dans ce style,<br />

les éléments géométriques se raniment et, peu à peu, évoluent vers un<br />

rendu naturaliste des formes végétales et animales, toujours fortement<br />

schématisées ; il y a en particulier des formes d’oiseaux. Les plus avan-<br />

cés d’entre eux rendent les motifs en deux couleurs mates, par I’adjonc-<br />

tion d’un rouge brique ou d’un brun qui constitue souvent l’intérieur ou<br />

le remplissage du motif principal. <strong>La</strong> forme humaine a également été<br />

représentée, moins schématisée qu’au début ; souvent les personnages<br />

ont les bras levés, qui dessinent des angles. <strong>La</strong> distribution structurale<br />

est plus relâchée que dans le style mat mésohelladique. Nous ne savons<br />

pas jusqu’à quel point les Cyclades ont contribué à l’évolution, et peut-<br />

être à la création, de ce style. Égine qui, de par sa position, est entre<br />

les Cyclades et le sud du continent grec, a indubitablement joué un rôle<br />

prépondérant dans sa formation.<br />

Dans les formes des vases, les Cyclades suivent, pour une grande<br />

part, leur voie propre ; la vieille forme de la cruche au col de cygne,<br />

inspirée de l’observation des oiseaux, progresse : le col se courbe,<br />

s’allonge et se termine comme un bec coupé ; la panse du vase devient<br />

ovoïde et ne présente pas de coupure avec le col. Souvent les artisans<br />

ont ajouté deux mamelons, allusion à la féminité. <strong>La</strong> panse est décorée<br />

soit de bandes parallèles avec des petits éléments de remplissage à I’inté-<br />

rieur - animaux, motifs en S, disques, demi-lunes, etc. - soit d’un<br />

sujet libre représentant des êtres surnaturels schématisés - gnomes, sor-<br />

tes de gorgones ailées, griffons - ou encore de petits quatre-feuilles, trè-<br />

fles ou fleurs de lis. A la place des mamelons, certaines cruches ont des<br />

yeux à côté du bec. I1 existe des cruches de ce type doubles et triples.<br />

Mais les formes habituelles sont les gobelets, les coupes, les tasses, les<br />

bols, les écuelles ou bassines et les amphorisques, tous simplement déco-<br />

rés.<br />

II semble qu’en même temps survivent de vieux styles avec un vernis<br />

brillant sur fond naturel, ou une couleur blanche sur un enduit rougeâ-<br />

tre, aussi bien qu’avec des incisions.<br />

Nous connaissons très peu les progrès réalisés dans la métallurgie, les<br />

vases et les outils en pierre, la glyptique, l’orfèvrerie, et presque pas les


304 LA CIVILISATION EGGENNE<br />

techniques qui utilisaient des matières périssables - bois, tissage, van-<br />

nerie, broderie, verrerie, etc. On préférera ne pas en parler puisque ce<br />

qui a été trouvé n’a pas été daté par des méthodes sûres de stratigraphie<br />

et de typologie.<br />

<strong>La</strong> vie à l’époque mésocycladique<br />

Une seule chose est sûre, c’est que le niveau de la <strong>civilisation</strong> s’est<br />

beaucoup élevé depuis l’époque protocycladique, bien que les îles aient<br />

perdu une partie de leur autonomie ; maintenant, au moins, elles savent<br />

profiter des leçons données par les <strong>civilisation</strong>s des régions voisines -<br />

Crète et Sud du continent grec - depuis que les liens commerciaux sont<br />

devenus plus étroits, grâce à l’installation de comptoirs. Ce qui peut<br />

sembler étrange, c’est qu’il n’y a presque plus de diffusion de la civili-<br />

sation cycladique dans les régions avoisinantes où l’on trouve désormais<br />

très rarement des objets cycladiques ou des influences cycladiques<br />

importantes. Les îles reçoivent plus qu’elles ne donnent pour la bonne<br />

raison que le niveau de leur <strong>civilisation</strong> est plus bas que celui des<br />

régions environnantes et que les conditions politiques leur imposent un<br />

isolement relatif. <strong>La</strong> thalassocratie minoenne a ôté la possibilité de cir-<br />

culer librement. Un pouvoir politique émietté en de si nombreuses îles<br />

n’aurait pas pu apparaître à cette époque et encore moins avoir une<br />

autorité suffisante pour s’opposer au contrôle crétois, d’autant plus<br />

qu’en certains points l’influence minoenne était déjà bien établie.<br />

L’exploitation des matières premières, qui était jadis presque l’apanage<br />

des Cyclades, se fait maintenant en coopération avec la Crète ; cela<br />

semble du moins être sûr pour l’obsidienne de Mélos - nouvelle pros-<br />

périté de Phylakopi -, la pouzzolane de Théra, les marbres des îles<br />

comme Paros et Naxos, d’où venaient également la pierre à aiguiser,<br />

l’émeri, etc. Les recherches à venir montreront l’étendue et la forme<br />

finale que prit cette coopération.<br />

Les éléments dont nous disposons quant aux conceptions religieuses<br />

des habitants des Cyclades a cette époque sont fort peu nombreux ; les<br />

figurines cycladiques ne se font plus et d’autres, en argile, rappellent<br />

davantage des types crétois. Les formes aux bras levés que nous rencon-<br />

trons dans la décoration céramique ont également leurs parallèles en<br />

Crète. Nous verrons que dans la période suivante la religion cycladique<br />

a pris une forme tout à fait crétoise.<br />

Les occupations des gens des îles du sud de l’Égée n’ont pas fonda-<br />

mentalement changé depuis l’époque précédente ; la pêche, la culture et


Le Bronze moyen 305<br />

l’élevage sur une petite échelle restaient primordiaux. Dans des expédi-<br />

tions maritimes et commerciales ces populations devaient jouer le rôle<br />

que voulait bien leur laisser la Crète ; dans le meilleur des cas elles col-<br />

laboraient. Dans la vie privée nous voyons, d’après le développement<br />

des maisons et l’organisation des espaces domestiques, quelle a été<br />

l’influence crétoise dans ce domaine. Bien des coutumes et habitudes de<br />

vie cycladiques se sont poursuivies mais il est clair que beaucoup d’élé-<br />

ments nouveaux sont apparus ; dans la période suivante la vie a presque<br />

totalement pris une forme créto-mycénienne. Cela ne doit pas s’être fait<br />

brusquement et il est certain que dès l’époque mésocycladique les modes<br />

minoennes avaient fait d’importants progrès.<br />

En ce qui concerne les événements historiques de cette époque nous<br />

sommes obligés d’avouer notre complète ignorance.


CHAPITRE III<br />

LE BRONZE MOYEN<br />

DANS LE CONTINENT GREC<br />

(Mésohelladique)<br />

Durant la troisième phase de PHelladique ancien nous avons observé<br />

l’infiltration, par étapes successives, d’éléments porteurs d’une nouvelle<br />

<strong>civilisation</strong>. <strong>La</strong> disparition définitive des habitats protohelladiques, entre<br />

2000 et 1900 av. J.-C., immédiatement remplacés par de nouveaux habi-<br />

tats mésohelladiques, semble être le résultat de l’installation définitive et<br />

de la prédominance de cette nouvelle race dont nous avons bien des rai-<br />

sons de croire qu’elle appartenait à la branche indo-européenne proto-<br />

hellénique. Le mouvement de populations du nord-est vers la péninsule<br />

balkanique et l’Asie Mineure semble alors avoir pris des proportions<br />

considérables, et c’est à cela que sont dues les nouvelles installations<br />

qu’on retrouve aussi bien dans le Sud des Balkans que dans la région<br />

de Troie et dans celle des Hittites. <strong>La</strong> nouvelle <strong>civilisation</strong> a d’abord été<br />

connue comme N minyenne », du nom des Minyens d’Orchomène.<br />

Schliemann a donné ce nom par malentendu, quand il a constaté que la<br />

céramique principale d’Orchomène était celle qui caractérisait les nou-<br />

velles instailations mésohelladiques. Mais les Minyens d’Orchomène sont<br />

indubitablement ceux qui ont fait évoluer la <strong>civilisation</strong> créto-<br />

mycénienne dans la période suivante. Le nom est resté tout de même<br />

pour caractériser cette céramique de façon à éviter une plus grande con-<br />

fusion par un changement de nom. I1 est vrai qu’on ignore le véritable<br />

nom - ou les noms - du peuple désormais installé sur le continent.<br />

Certains ont comparé sa descente dans la péninsule à celle des autres<br />

tribus grecques, descendues à une époque postérieure - comme par<br />

exemple les Doriens et les tribus du Nord-Ouest - et on a cherché un<br />

nom dans la tradition grecque qui se rapportait aux Ioniens et aux<br />

Achéens. G. Mylonas a adopté la première hypothèse - celle des<br />

Ioniens - et il a été suivi par beaucoup d’autres ; la deuxième - celle


308 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

des Achéens - a été plus largement acceptée quand on s’est aperçu<br />

qu’il n’y avait pas eu de changement radical dans la population grecque<br />

entre le Mésohelladique et PHelladique récent ou Mycénien. Si les prin-<br />

cipaux porteurs de la <strong>civilisation</strong> mycénienne ont été les Achéens, les<br />

habitants de I’Helladique moyen devaient aussi être des Achéens. Mais<br />

le problème est beaucoup plus complexe et ne pourra être résolu sans<br />

L’examen des autres éléments, anthropologiques, linguistiques, toponymi-<br />

ques, archéologiques, etc.<br />

I. GRÈCE DU SUD<br />

Architecture domestique et architecture funéraire<br />

<strong>La</strong> plupart des habitats mésohelladiques ont été découverts là où<br />

avaient prospéré ceux de PHelladique ancien, au-dessus des ruines qui,<br />

presque partout, montrent des traces de violents incendies. Ainsi à<br />

Mycènes, Tirynthe, Asiné, Prosymna, Zygouriès, Korakou, Malthi,<br />

Lerne, Orchomène, Thèbes, etc., les nouveaux habitats ont été<br />

construits sur la couche de destruction de ceux qui les ont précédés et la<br />

conclusion logique est que ceux-ci ont été détruits par les hordes des<br />

envahisseurs. Pour Lerne il y a des doutes puisque la catastrophe princi-<br />

pale date de la deuxième phase de I’Helladique ancien ; cela n’exclut<br />

évidemment pas que cet habitat ait connu une nouvelle destruction à la<br />

fin de la troisième phase. Mais des bourgs mésohelladiques ont égale-<br />

ment été fondés dans des sites nouveaux, dont très peu ont été fouillés<br />

de façon systématique - acropoles d’Athènes et de Brauron, Argos et<br />

Midéa en Argolide, peut-être en Corinthie, à Amyclées et à Géraki en<br />

<strong>La</strong>conie, à Olympie, Éleusis, Krisa en Locride, à Thermos en Étolie,<br />

etc. En général, il a été constaté que la population ancienne n’a pas été<br />

exterminée mais qu’elle s’est rapidement assimilée aux conquérants. Une<br />

nouvelle technologie se remarque presque partout, aussi bien dans<br />

l’architecture domestique et funéraire que dans l’artisanat et, avant tout<br />

et surtout, dans la céramique. Comme nous l’avons vu, bien des signes<br />

précurseurs de cette nouvelle technologie étaient apparus dans la troi-<br />

sième phase de PHelladique ancien ; cela a été attribué à une infiltra-<br />

tion progressive qui a précédé l’invasion. Ce qui demeure incompréhen-<br />

sible, c’est comment des hordes inorganisées de nomades, mai préparés<br />

à la guerre et dont la métallurgie était bien inférieure à celle des habi-<br />

tants de I’Helladique ancien, ont pu dominer si vite, partout, et assimi-


Le Bronze moyen 309<br />

ler, presque dès le début, la population locale. Dans l’histoire des<br />

migrations des peuples on rencontre toutefois des exemples compa-<br />

rables.<br />

Les constructions des habitats mésohelladiques sont, le plus souvent,<br />

rectangulaires, oblongues, avec des murs rapidement construits, relative-<br />

ment minces ce qui laisse supposer qu’ils ne supportaient jamais le<br />

poids d’étages supérieurs ; la partie inférieure était en pierre, le haut<br />

généralement en briques crues. Ces constructions avaient souvent une<br />

extrémité en abside, caractéristique que nous avons vu apparaître pour<br />

la première fois au cours de la deuxième phase de 1’Helladique ancien.<br />

Certaines maisons deviennent elliptiques irrégulières - à Tirynthe, à<br />

Malthi et à Rini en Thessalie. On trouve encore mais plus rarement, des<br />

maisons en forme de fer à cheval, mais on n’a pas du tout de construc-<br />

tions circulaires. Les bâtiments en forme de mégaron, rectangulaires et<br />

absidaux, ne sont pas rares, avec un vestibule ouvert, une pièce princi-<br />

pale et un appentis à l’arrière. Les bâtiments sont souvent alignés, mais<br />

la disposition générale - comme celle de Malthi en Triphylie - diffé-<br />

rencie de celle de I’Helladique ancien. Les maisons sont disposées en<br />

cercle, suivant la configuration du mur d’enceinte. On se demande tou-<br />

tefois si les vestiges architecturaux qui nous sont parvenus remontent à<br />

la phase initiale. Les bâtiments les plus grands de Malthi et d’Asiné ont<br />

été considérés comme des maisons de toparques. On a l’impression que<br />

les premières constructions étaient très pauvres et qu’elles ont laissé très<br />

peu de traces. I1 est improbable que cette pauvreté ait été due à I’épui-<br />

sement après l’effort fourni pour dominer le pays. 11 est plus vraisem-<br />

blable de penser que la vie nomade ne connaissait que des cabanes vite<br />

faites, dans des campements provisoires. Et le mobilier primitif devait<br />

être en matériaux périssables et facilement transportables : bois, paille,<br />

cuir, calebasses. C’est toutefois au grand dynamisme de cette nouvelle<br />

race qu’est due, sans aucun doute, l’adaptation rapide et le développe-<br />

ment de forces nouvelles fondées sur des éléments locaux et d’autres de<br />

l’entourage immédiat. Les habitats restaient essentiellement agricoles et<br />

les liens avec la mer, dans les établissements côtiers, étaient plutôt<br />

faibles. Pour la première fois, après les dernières fouilles, nous sommes<br />

en mesure d’apprécier les installations mésoheliadiques d’Égine. Peut-<br />

être est-ce par l’intermédiaire de cette bourgade qu’ont commencé des<br />

relations plus intenses avec les Cyclades.<br />

Des murs de fortification comme ceux qui ont été découverts à Ggine,<br />

à Brauron, à Tirynthe, à Argos, et à Malthi montrent que les habitants<br />

considéraient comme indispensable de se protéger d’incursions venant de<br />

l’intérieur, mais surtout des pirates. Ces murs ne se sont toutefois


3 10 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />

construits qu’à une époque où les bourgades avaient commencé à acqué-<br />

rir une certaine richesse, peut-être grâce à la création d’échanges com-<br />

merciaux avec le monde insulaire. Les dangers ne devaient pas être<br />

grands, puisque la plupart des habitats sont restés sans fortifications, et<br />

qu’ailleurs, ou il y en avait, les maisons s’étendaient audel8 de<br />

l’enceinte. Certains savants ont daté de PHelladique moyen les premiè-<br />

res fortifications de la colline de Mycènes ; mais il a été démontré que<br />

ces travaux étaient de simples murs de soutènement, et de toutes façons<br />

postérieurs. L’enceinte la plus caractéristique est celle de Malthi mais,<br />

comme le fait remarquer E. Vermeule, il est plus impressionnant sur le<br />

plan que dans la réalité : le mur a été construit au cours de 1’Helladique<br />

moyen, irrégulièrement et en suivant les inégalités du rocher, presque en<br />

pierres sèches, plutôt petites, d’une largeur inégale allant de 1,50 à<br />

3’50 mètres ; il a quatre ou cinq passages dont on se demande s’ils peu-<br />

vent être appelés des portes. Les deux plus grandes étaient au nord et<br />

au sud ; les autres étaient des portes secondaires, peut-être pour les<br />

troupeaux. Une grande partie du mur est détruite et les pierres se sont<br />

éparpillées sur les pentes. Plutôt qu’une ville, l’enceinte entourait un<br />

gros village qui s’étendait de façon irrégulière, tout autour, avec le<br />

mégaron principal au centre, tandis qu’une grande partie de l’espace<br />

enclos était vide, laissé libre pour abriter les troupeaux qui devaient être<br />

importants et dont il fallait, d’abord et surtout, assurer la sécurité à<br />

l’intérieur de ce mur. Le seul mur de fortification qui semble avoir eu<br />

de véritables portes, des bastions et des tours, c’était le mur d’Êgine,<br />

malheureusement mal connu.<br />

Au point où en sont les recherches aujourd’hui, il est difficile de sui-<br />

vre les différentes phases de l’évolution architecturale dans les vestiges<br />

de bourgades qui nous sont parvenus, évolution qui a duré plus de trois<br />

cents ans, et il est presque impossible de lier ces vestiges à l’évolution<br />

de la céramique qui comprend, comme nous le verrons, trois phases<br />

successives.<br />

Ce n’est pas dans l’architecture funéraire qu’on doit s’attendre à<br />

trouver des formes monumentales. Les coutumes funéraires à l’époque<br />

mésohelladique étaient très simples, et l’organisation de la vie sociale et<br />

politique ne poussait pas à la réalisation de formes extraordinaires. Le<br />

matériel mis au jour par les fouilles est si abondant, qu’on ne peut<br />

attribuer ces découvertes au hasard. Ces formes simples présentent une<br />

certaine uniformité dans toutes les régions où fleurit la <strong>civilisation</strong> hella-<br />

dique. Ce sont presque exclusivement - si l’on excepte la phase finale<br />

où l’influence créto-mycénienne est très nette - des sépultures indivi-<br />

duelles dans de simples cistes rectangulaires, faites de dalles et, plus


Le Bronze moyen 31 I<br />

rarement, de petits murs construits, souvent recouverts d’autres dalles.<br />

En règle générale le défunt était en position contractée, les jambes<br />

repliées de façon que les genoux arrivent presque au visage, et le plus<br />

souvent tourné vers l’ouest. Pour les plus pauvres on utilisait aussi des<br />

tombes plus simples taillées dans le rocher, ou des fosses creusées dans<br />

la terre dure. Les sépultures en jarres - dans les cruches ou des urnes<br />

pour les bébés - étaient également en faveur. Vers la fin de I’Helladi-<br />

que moyen, sous l’influence mycénienne, les tombes à cistes deviennent<br />

beaucoup plus spacieuses et sont utilisées pour plusieurs défunts ; les<br />

parois sont construites et laissent une feuillure pour l’encastrement des<br />

dalles de couverture : c’est la forme qu’on trouve, plus perfectionnée,<br />

pour les plus anciennes sépultures mycéniennes. On laisse souvent une<br />

ouverture sur le côté comme une entrée dans la tombe. Des tombes de<br />

ce type ont été trouvées à Éleusis et à Thèbes. Dans celles-ci les défunts<br />

sont étendus normalement, ou en très légère position contractée. On a<br />

l’habitude de déposer des offrandes funéraires simples - un ou deux<br />

vases, rarement plus - mais il arrive souvent que les défunts soient<br />

ensevelis sans aucun mobilier ; la coutume ne change que vers la fin de<br />

l’époque mésohelladique. C’est la raison pour laquelle les objets de<br />

l’artisanat - en dehors de la céramique - sont si pauvrement représen-<br />

tés.<br />

I1 est maintenant fréquent qu’on enterre les morts près des habita-<br />

tions, et souvent entre les murs de deux maisons voisines ; les sépultures<br />

sous les sols sont toutefois très rares ; les grands centres avaient presque<br />

toujours des cimetières séparés, situés à de petites distances. Ce sont des<br />

cimetières de ce type qui ont été découverts à Mycènes, à Prosymna, à<br />

Éleusis, à Thèbes et à Kirrha. Un assez grand nombre de cimetières<br />

d’importance ont été mis au jour à Corinthe et à Athènes.<br />

Un autre type de construction funéraire, qui n’était autrefois connu<br />

qu’à Leucade, est représenté par de nombreux exemples, en Attique et<br />

dans l’Ouest du Péloponnèse ; ils ont été mis au jour ces dernières<br />

années : il s’agit de grands tumuli en terre, reposant sur un fondement<br />

de pierre, ou enclos dans une enceinte peu élevée et ronde, en pierre ;<br />

ils enferment, aussi bien dans le soubassement que dans l’anneau de<br />

pierre et la terre du tumulus, d’innombrables sépultures, dans des cistes<br />

individuelles en pierre, ou dans des jarres, disposées à plat, I’embou-<br />

chure tournée vers l’extérieur. A l’intérieur de la base de la tombe S de<br />

Leucade, Dorpfeld a mis au jour treize tombes à ciste, dont la plus<br />

riche était celle du milieu ; deux annexes avec des sépultures isolées ont<br />

été trouvées à l’extérieur du soubassement. <strong>La</strong> tombe F de Leucade<br />

avait une base en forme de quadrilatère et le tumulus renfermait huit


312 LA CIVILISATION ÉCÉENNE<br />

cistes. Des tumuli de ce type ont été transformés par adjonction de nou-<br />

velles enceintes et de cistes. On a pensé que l’origine de ces tombes<br />

remonte à la phase finale de I’Helladique ancien ; cela ne semble toute-<br />

fois pas confirmé par les découvertes récentes. Un tumulus comparable<br />

était depuis longtemps connu à Aphidna en Attique ; son soubassement<br />

rond renfermait des cistes et des jarres. Au-dessus de l’une de ces cistes,<br />

était ménagé un espace vide, une sorte de triangle de décharge pour évi-<br />

ter que les dalles de couverture ne se brisent. On avait jadis trouvé, à<br />

Athènes même, un tumulus oblong, presque rectangulaire, avec de nom-<br />

breuses cistes. Un autre, petit et rond, avec une seule ciste, un bothros<br />

à offrandes et, au-dessus, un grand pithos, décoré en peinture mate, a<br />

été mis au jour, au début du siècle à Drachmani (Élatée) en Phocide.<br />

Mais la série de tumuli la plus importante, avec murs annulaires en<br />

pierre, a été découverte par Sp. Marinatos, à Marathon, non loin du<br />

(( tumulus des Platéens ». Tous ont un soubassement circulaire en pierre<br />

qui, dans un ou deux exemples, a été remanié et un peu décentré ; les<br />

défunts étaient placés dans des cistes et dans des compartiments<br />

construits ; dans l’une des tombes, près d’une ciste, dans un enclos<br />

ajouté, on a trouvé un cheval, peut-être offert au mort. Dans une autre<br />

tombe, des compartiments construits ont été réutilisés pour des sépultu-<br />

res mycéniennes. En général, ces tombes ne contenaient qu’un pauvre<br />

mobilier, vases et autres objets. Dans la région de Pylos, à Haghios<br />

Ioannis, le même fouilleur a mis au jour un tumulus plus petit, avec un<br />

anneau de petites pierres en guise de soubassement et, au pourtour du<br />

tumulus, de grands pithoi funéraires, dont les embouchures étaient tour-<br />

nées vers l’extérieur ; la sépulture la plus importante, toujours en jarre,<br />

a été trouvée au centre de l’anneau. Un autre tumulus, avec des com-<br />

partiments internes et des offrandes beaucoup plus riches, a été mis à<br />

jour à Samikon, en Élide, mais il est du tout début de l’époque mycé-<br />

nienne.<br />

Les diverses branches de l’artisanat<br />

Théoriquement, les diverses branches de l’artisanat devaient se déve-<br />

lopper, dans le sud du continent mésohelladique, comme en Crète et<br />

dans les Cyclades, puisant chez elles des leçons importantes qui seraient<br />

combinées à l’expérience acquise localement durant 1’Helladique ancien.<br />

En fait, il nous est très difficile d’en suivre l’évolution parce que la plu-<br />

part des fouilles ont toujours été irrégulières, sans méthode, et parce<br />

qu’une partie du matériel, rare et très recherché, a disparu pour être


Le Bronze moyen 313<br />

réutilisé, ou a été perdu à jamais en raison de sa fragilité. I1 est clair<br />

toutefois que dans le cadre d’une économie plutôt agricole, il n’y a pas<br />

eu de progrès qui puissent être comparés avec ceux du monde cycladi-<br />

que ou crétois. Le niveau est resté bas : la vie frugale n’avait besoin<br />

que des choses absolument nécessaires à la conservation d’une existence<br />

élémentaire, tandis que les produits qu’on ne trouvait pas sur place<br />

étaient importés des régions voisines plus favorisées. Cependant, les<br />

ustensiles en terre cuite étaient considérés comme indispensables et on<br />

consacrait beaucoup d’efforts à leur fabrication.<br />

<strong>La</strong> céramique<br />

A Asiné, mais aussi ailleurs, on a identifié une phase céramique préli-<br />

minaire qui ne se distingue encore ni par ses vases minyens à forme<br />

métallique, ni par sa technique soignée. Elle se trouve dans les couches<br />

qui suivent directement la couche de destruction de la fin de 1’Helladi-<br />

que ancien. Dans cette phase, qu’on pourrait appeler la première -<br />

HMI - on ne trouve pas encore le style mat. <strong>La</strong> deuxième phase est<br />

marquée par l’apogée des (( vases minyens )) et par la première appari-<br />

tion des vases à peinture mate, cette céramique dite a éginétique )) parce<br />

que c’est à Égine qu’en ont été trouvés pour la première fois les exem-<br />

pies les plus caractéristiques. Dans la troisième phase ces styles se pour-<br />

suivent mais sont influencés par la Crète et les Cyclades, aussi bien en<br />

ce qui concerne la technique que la typologie et la décoration. C’est la<br />

céramique qui précède directement l’apparition de la <strong>civilisation</strong> mycé-<br />

nienne et qui continue à exister après la naissance de cette dernière,<br />

assez longtemps, parallèlement à la céramique créto-mycénienne, et elle<br />

est, bien sûr, encore plus influencée par celle-ci. <strong>La</strong> céramique de type<br />

mésohelladique n’a vraiment cessé d’exister que vers la fin de la pre-<br />

mière phase mycénienne. I1 faut donc porter une attention toute particu-<br />

lière à la datation des derniers échantillons de céramique méso-<br />

helladique qui sont, en fait, postérieurs à la fin de la <strong>civilisation</strong> HM,<br />

vers 1600 av. J.-C.<br />

Le minyen gris a visiblement un peu précédé l’apparition de la céra-<br />

mique mate et de beaucoup celle des vases minyens jaunes. I1 n’a toute-<br />

fois pas cessé d’évoluer parallèlement aux deux autres. Mais on doute<br />

que cette évolution puisse être entièrement mise en corrélation avec les<br />

trois phases de constructions qui témoignent de la succession de trois<br />

périodes. Dans un premier stade, le minyen gris n’a pas encore pris sa<br />

forme finale et il évolue en même temps que des styles hérités de l’Hel-


314 LA CIVILISATION ÉGEENNE<br />

ladique ancien d’où ont cependant disparu les formes caractéristiques de<br />

la saucière et de I’askos, ainsi que les décors peints. Les formes métalli-<br />

ques sont rares et présentent un certain relâchement dans l’expression ;<br />

beaucoup de vases ont encore le vernis rouge, brun ou noir de la tech-<br />

nique Urfirniss. On rencontre souvent un vase à large panse et col court<br />

avec deux anses surhaussées à la lèvre ; ces vases étaient indubitable-<br />

ment tournés, mais le résultat n’est pas très remarquable. On voit clai-<br />

rement des influences cycladiques, orientales, adriatiques et du nord des<br />

Balkans, mais elles sont sans grand effet. Vers la fin de la phase, la<br />

céramique minyenne grise et noire a atteint ses formes caractéristiques<br />

et une technique admirablement finie. <strong>La</strong> surface devient uniformément<br />

brillante, grasse au toucher, d’une couleur unie, sans taches ou inégali-<br />

tés dans la cuisson, d’un gris léger ou plus soutenu, souvent assez noir,<br />

qui provient de ce que l’argile est normalement enfumée presque dans<br />

toute sa masse. II n’est pas rare que la couleur soit assez claire et tende<br />

vers le jaunâtre, sans toutefois atteindre l’ocre jaune des vases minyens<br />

jaunes. Les formes ne sont pas très variées et se répètent avec les<br />

mêmes petits changements, presque toujours d’un effet métallique, au<br />

point qu’on est sûr que ces formes copient des modèles en métal : la<br />

symétrie, le contour angulaire, les cannelures autour de la lèvre et du<br />

pied, les anses en ruban bien balancées donnent une impression métalli-<br />

que, Les formes essentielles sont les gobelets à pied haut strié et anses<br />

en ruban, les canthares à panse angulaire étagée et anses surhaussées,<br />

les grandes tasses, les petites bassines, les bois striés sous la lèvre, les<br />

pyxides cylindriques à panse striée, etc. Tous ont été tournés sur un<br />

tour rapide. II va de soi qu’en même temps on a continué à fabriquer<br />

des vases grossiers à la main ou sur un tour lent. On trouve des vases<br />

minyens dans presque tous les centres mésohelladiques du Péloponnèse,<br />

de Grèce centrale, et même plus au nord et plus à l’ouest, dans les Îles<br />

ioniennes, quoique pas aussi souvent, comme dans tout l’Ouest d’ail-<br />

leurs qui a été influencé par les modèles adriatiques et italiotes. Les<br />

minyens noirs continuent la vieille tradition technique des vases<br />

Urfirniss noirs, mais, par ailleurs, suivent les nouvelles formes et leur<br />

effet métallique. Ils sont limités dans l’espace à la région d’Argos et à<br />

l’intérieur du Péloponnèse - mais moins à l’ouest que Malthi - tandis<br />

que dans le reste de la Grèce Centrale ils sont plus rares et disparaissent<br />

finalement. Ils sont souvent décorés d’incisions - surtout des guirlan-<br />

des, des cercles concentriques, des lignes serrées ou des bandes brisées,<br />

et autres motifs du même genre, arrivés avec l’influence cycladique. A<br />

cette technique correspondent la technique et la typologie des minyens<br />

rouges, qui sont beaucoup plus rares.


Le Bronze moyen 315<br />

Les vases minyens jaunes ne se rencontrent que dans la phase finale :<br />

au début on les trouve en même temps que les minyens gris et les plus<br />

évolués des vases mats ; à la fin, au contraire, ils prédominent sous une<br />

forme beaucoup plus élaborée. Leur technique et leur typologie est tout<br />

à fait comparable à celle des minyens gris, mais ils évoluent vite vers<br />

des formes plus élégantes, plus élancées avec une décoration mono-<br />

chrome puis bichrome, visiblement sous l’influence des modèles créto-<br />

mycéniens et, sans aucun doute, créto-cycladiques.<br />

<strong>La</strong> céramique mate - dite éginétique - apparaît, comme nous<br />

l’avons vu, dans la deuxième phase, vraisemblablement sous l’influence<br />

cycladique, venue par Égine. Dans des tons bruns, noirâtres ou choco-<br />

lat, la peinture mate décore des vases dont la surface a été recouverte<br />

d’un enduit fin, ocre blanc, verdâtre, jaunâtre, dans un bain d’argile, la<br />

même que celle qui était utilisée pour la fabrication. Malgré toutes les<br />

variations locales, cette céramique est, dans son ensemble, presque par-<br />

tout uniforme avec les mêmes types caractéristiques et la même décora-<br />

tion, géométrique la plupart du temps. Les formes sont différentes de<br />

celles de la céramique minyenne et proviennent visiblement d’ateliers<br />

différents. Ce sont des petites jarres ovoïdes, des cruches à bec tronqué<br />

ou à embouchure ronde, des petites bassines, des écuelles, des gobelets<br />

et des coupes, des canthares, des amphores grandes et petites, les plus<br />

grandes avec une lèvre qui s’ouvre en entonnoir sur un col globulaire.<br />

Les anses sont souvent en ruban, et sur certains vases - petits le plus<br />

souvent - elles sont surhaussées par rapport à la lèvre. Les plus fins -<br />

surtout d’Égine - ont beaucoup de charme et leur décoration est très<br />

délicate. On reconnaît une influence métallique. Les motifs décoratifs<br />

sont disposés en métopes, en zones horizontales ou verticales, dans des<br />

espaces contournés de reliefs, toujours symétriques par rapport à l’axe,<br />

mais pas d’une parfaite exactitude géométrique. Ces motifs sont des<br />

lignes brisées, des losanges, des triangles et des carrés disposés en filets,<br />

des décors en échiquier, des courbes liées, des cadres en écailles, etc. Un<br />

peu plus tard, on rencontre des motifs avec davantage de courbes unies<br />

et de simples spires continues. Le dernier stade de cette céramique mate<br />

rappelle beaucoup les exemples mésocycladiques ; elle a, sans aucun<br />

doute, été touchée par eux, même avant qu’elle ne reçoive l’influence<br />

déterminante des thèmes crétois, juste à l’époque où naît la <strong>civilisation</strong><br />

mycénienne. C’est alors que changent les formes des vases et qu’appa-<br />

raissent de nombreux exemplaires crétois. Une mode polychrome - plu-<br />

tôt bichrome - commence à dominer, pas très différente de celle de la<br />

dernière phase de la céramique du Cycladique moyen. En conclusion il<br />

faudrait souligner le caractère conservateur des céramiques minyenne et


316 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

mate qui, tout en suivant une voie progressiste dans l’évolution, ont<br />

gardé les mêmes types généraux. Aussi leur datation précise est-elle très<br />

difficile quand on n’est pas aidé par la stratigraphie.<br />

Les autres branches de l’artisanat<br />

I1 n’y a pas eu de développement important des autres branches de<br />

l’artisanat pour les raisons que nous avons exposées ci-dessus. <strong>La</strong><br />

plastique s’est limitée à quelques rares formes de vases ou au rendu<br />

plastique de certaines parties d’entre eux, imitant en cela les exemples<br />

cycladiques. On n’a presque pas trouvé de figurines en terre cuite et<br />

cela est peut-être dû à la très faible inclination religieuse des habitants<br />

du continent grec à 1’Helladique moyen. <strong>La</strong> métallurgie n’a pas pris<br />

beaucoup d’ampleur non plus, et nous ne sommes pas sûrs que la plu-<br />

part des objets qui nous ont été transmis par ies fouilles d’habitats et<br />

de tombes aient été produits sur place et non importés. Les types des<br />

quelques poignards qui ont été mis au jour, avec deux ou trois clous au<br />

talon, ressemblent beaucoup à ceux qu’on trouve dans les Cyclades et<br />

en Crète à la même époque. Cela est encore plus sûr pour un poignard<br />

à manche et pommeau en ivoire provenant de la tombe de Kirrha, et<br />

dans le cas d’un autre de Malthi. Nous rencontrons un type de lance à<br />

double douille pour assurer la hampe à Sesklo et à Leucade, aussi bien<br />

que dans les tombes rectangulaires de Mycènes ; quant à la pointe de<br />

lance du type habituel de Malthi, elle pourrait avoir été importée, de<br />

même que les quelques pointes de flèches, toutes de Malthi. On com-<br />

prend facilement pourquoi, à la fin de l’époque mésohelladique on<br />

trouve davantage d’armes en bronze aux formes plus développées. Pour<br />

la première fois on rencontre de véritables épées. On pourrait dire de<br />

même des couteaux et des rasoirs, mais aussi de bien d’autres outils et<br />

instruments en bronze - ciseaux, poinçons, haches, petites scies, masses<br />

et pincettes. I1 faut voir dans beaucoup de ces objets des imitations<br />

locales.<br />

En orfevrerie et bijouterie nous avons de nombreuses formes simples<br />

d’anneaux, de boucles d’oreilles, de pinces à cheveux, de diadèmes, etc.,<br />

en or et en argent, et il n’y a pas de raison de mettre en doute leur<br />

fabrication locale ; on trouve très souvent les mêmes objets en bronze.<br />

Épingles et aiguilles sont souvents ornées, dans leur partie supérieure,<br />

de petits animaux, selon l’habitude cycladique. II existe un très beau<br />

diadème de Chélioti Mylos. Nous ignorons l’usage exact de certaines<br />

lames de bronze qui devaient recouvrir et décorer probablement des


Le Bronze moyen 317<br />

objets. Les colliers de perles sont rares et sont souvent très pauvres<br />

d’apparence ; il est caractéristique que dans les objets en bronze indubi-<br />

tablement mésohelladiques, l’alliage soit si pauvre en étain.<br />

L’artisanat mésohelladique ne s’est pas du tout distingué dans le tra-<br />

vail de la pierre. On se demande si les rares flèches à tige ou en forme<br />

de queue d’aronde, en obsidienne ou en silex, ont été fabriquées dans<br />

des ateliers mésohelladiques. Des outils d’usage quodidien - haches,<br />

marteaux, masses, mortiers, pilons, broyeurs etc. - ont été retrouvés<br />

plus ou moins partout, et ils sont indubitablement de fabrication locale,<br />

aussi bien que les instruments de tissage ou de maçonnerie en argile ou<br />

en os - fusaïoles, bobines, pesons de métiers à tisser, poids de fil à<br />

plomb, etc. - dans lesquels on reconnaît les techniques locales. Le<br />

verre et la pâte de verre remplaçaient des bijoux de matières plus pré-<br />

cieuses. Des amulettes, en défenses de sangliers ou vertèbres de grands<br />

poissons, ont été trouvées dans des tombes, surtout à Leucade. Les os<br />

fins étaient souvent utilisés pour des épingles, des aiguilles et des poin-<br />

çons. On se servait aussi des bois de cerfs dans des buts divers. Mais on<br />

ne peut pas parier d’un véritable travail de l’os et de l’ivoire. Quelques<br />

sceaux en os d’Aséa et d’Asiné sont les seuls échantillons d’une glypti-<br />

que toute simple.<br />

Image générale de la vie dans le Sud du continent grec<br />

Les restes matériels qui nous sont parvenus sont si pauvres et nos<br />

connaissances sur la vie pratique si partielles qu’il serait très dangereux<br />

d’essayer de donner une image de la vie dans les années obscures de<br />

1’Helladique moyen. Et cette constatation est d’autant plus pénible que<br />

c’est à cette époque qu’a véritablement pris une forme dynamique l’élé-<br />

ment qui a marqué la <strong>civilisation</strong> de la période suivante. Des chercheurs<br />

ont cru que ce dynamisme était arrivé au point de faire plier, et finale-<br />

ment de vaincre, la grande force crétoise. I1 faut toutefois avouer que,<br />

d’après les indices archéologiques, un tel fait ne semble aucunement<br />

probable. Les contacts directs avec la Crète étaient très rares et très<br />

relâchés, peut-être plus étroits avec la Crète occidentale, d’après les der-<br />

nières découvertes. Toutefois les gens du continent ont eu des rapports<br />

avec les Crétois par l’intermédiaire des Cyclades, avec lesquelles les liens<br />

semblent assez étroits. C’est dans les îles du Sud de l’Égée qu’ont eu<br />

lieu égaiement les contacts avec le monde civilisé un peu plus éloigné -<br />

l’Orient et l’Égypte. <strong>La</strong> présence d’une abondante céramique minyenne<br />

et mate, surtout dans le nord-ouest de l’Asie Mineure, autour de Troie,


318 LA CiViLiSATiON ÉCÉENNE<br />

prouve quelque chose de plus que l’existence de simples échanges com-<br />

merciaux. Peut-être des installations mésohelladiques sur les côtes de<br />

Chalcidique servaient-elles de relais. Égine a dû jouer un rôle important<br />

dans la fondation de ces établissements et ce n’est peut-être pas un<br />

hasard si le seul tesson où figure un bateau avec une sentinelle dans une<br />

position caractéristique, sur l’extrémité d’une proue zoomorphe, pro-<br />

vient de cette île.<br />

Peut-être serait-il nécessaire, pour comprendre le caractère et les parti-<br />

cularités du peuple qui a été le porteur essentiel de la <strong>civilisation</strong> méso-<br />

helladique, de savoir d’où il venait ; le seul élément qui puisse nous gui-<br />

der, la céramique minyenne, peut nous induire en erreur, car cette tech-<br />

nique n’a vraiment porté ses fruits qu’après installation définitive de ces<br />

peuples nomades. C’est ce que semble montrer le caractère transitoire<br />

de la première phase. Le style minyen proprement dit ne commence,<br />

comme nous l’avons vu, qu’à la deuxième phase ; la présence de tels<br />

vases dans la sixième ville de Troie et en Chalcidique ne peut donc être<br />

plus ancienne. II est difficile de voir l’origine des vases minyens et, de<br />

la, le berceau des tribus de 1’Helladique moyen dans la zone est du<br />

monde égéen. Schachermeyr a cru que seuls les prototypes métalliques<br />

pouvaient être recherchés en Anatolie, mais que la création du style<br />

minyen s’est faite sur le continent grec, au Nord ou au Sud. <strong>La</strong> techni-<br />

que des vases minyens rouges est peut-être due à une influence anato-<br />

lienne, mais elle s’est davantage appuyée sur la survivance des techni-<br />

ques de I’Helladique ancien. Les conclusions des fouilles d’Alishar et de<br />

Kültepé, en Anatolie centrale, ont montré combien les modèles anato-<br />

liens avaient pu jouer un rôle dans la formation des types mésohelladi-<br />

ques et de leurs décors. Toutefois, l’influence la plus importante a été<br />

exercée par les ustensiles métalliques. En même temps la décoration de<br />

caractère géométrique avec l’ordonnance symétrique conventionnelle de<br />

l’Anatolie centrale a joué un rôle dans la formation des décors mats,<br />

peut-être pas sans l’intermédiaire des Cyclades. Une influence inverse<br />

semble impossible par le fait qu’en Anatolie cette décoration a une tra-<br />

dition beaucoup plus ancienne.<br />

<strong>La</strong> base de l’économie dans la vie mésohelladique a été, comme nous<br />

l’avons vu, l’agriculture et l’élevage ; la sédentarisation a dû affaiblir les<br />

vieilles habitudes nomades, mais les établissements ont dû garder - et<br />

cela est visible dans l’organisation des habitats - l’aspect de vastes<br />

campements d’éleveurs ; toutefois le développement de l’économie agri-<br />

cole a amené un souci plus systématique du stockage et de la conserva-<br />

tion des produits.<br />

C’est l’organisation de la société en grandes familles (génos), avec des


Le Bronze moyen 3 I9<br />

chefs réglant les problèmes communs, qui semble la plus probable, si<br />

l’on en juge d’après le caractère des habitats. Le développement de<br />

systèmes politiques particuliers semble prématuré pour l’époque. il est<br />

également impensable qu’il y ait eu organisation des entreprises sur une<br />

grande échelle qui présupposerait la coopération de plusieurs bourgades.<br />

Des émigrations massives à caractère colonial paraissent impossibles, de<br />

même que - au contraire de ce que beaucoup de savants on cru - une<br />

entreprise générale contre la Crète si organisée et si forte, aux alentours<br />

de 1600 av. J.-C., et qui aurait eu pour effet immédiat le changement<br />

radical de la vie et de la <strong>civilisation</strong> et le passage du stade mésohelladi-<br />

que au mycénien. On verra dans un chapitre à part le problème de la<br />

naissance de la <strong>civilisation</strong> mycénienne. De toute façon, les recherches<br />

ont confirmé que, brusquement dans l’espace de quelques années, pres-<br />

que tous les habitats mésohelladiques sont détruits ou disparaissent, et<br />

qu’à la place de la plupart d’entre eux fleurissent de nouveaux centres<br />

avec une autre <strong>civilisation</strong> au caractère mixte, créto-helladique, connue,<br />

d’après son plus grand centre, comme mycénienne. Ce changement ne<br />

peut en aucun cas être attribué à une nouvelle invasion, car nulle part<br />

on n’a mis au jour la moindre trace de la présence d’une nouvelle race<br />

ou tribu porteuse de cette <strong>civilisation</strong>. <strong>La</strong> seule infiltration nette est celle<br />

de la Crète, et c’est à elle que se réfèrent les diverses interprétations<br />

concernant la naissance de la <strong>civilisation</strong> mycénienne. Dans la dernière<br />

phase de I’Helladique moyen, on a clairement distingué un stade précur-<br />

seur où l’influence créto-cycladique était très prononcée.<br />

Lors de la découverte du deuxième cercle des tombes royales ou prin-<br />

cières de Mycènes, des chercheurs ont voulu le dater de la troisième<br />

phase, attribuant par là la fondation de 1’Etat de Mycènes à 1’Helladi-<br />

que moyen. Cette hypothèse s’appuyait exclusivement sur la présence de<br />

certains types céramiques de caractère mésohelladique - minyen et mat.<br />

Mais, comme nous l’avons vu, ces styles ont continué d’exister au tout<br />

début de l’époque mycénienne et des vases leur appartenant ont égale-<br />

ment été trouvés dans le péribole A des tombes royales de Mycènes, qui<br />

ne remonte pas au-delà de 1600 av. J.-C. Or, les deux enclos circulaires<br />

semblent con temporains.


II. GRÈCE DU NORD<br />

<strong>La</strong> Grèce centrale, la Thessalie, est partagée, du point de vue de la<br />

<strong>civilisation</strong>, entre le Sud et le Nord. Dans le Sud de celle-ci - golfe de<br />

Pagasai - il n’y a pas, dans l’architecture et la construction, les diffé-<br />

rentes branches de l’artisanat et en général la vie, de différences fonda-<br />

mentales avec le Sud du pays. Au contraire, le Nord de la Thessalie<br />

participe de la <strong>civilisation</strong> de la Grèce du Nord - Macédoine, Épire et<br />

Thrace. Plus on avance vers le Nord plus les traits fondamentaux de la<br />

<strong>civilisation</strong> de 1’Helladique moyen s’atténuent et varient, et la civilisa-<br />

tion locale prend un caractère propre ; il y a des exceptions dans certai-<br />

nes régions côtières qui abritent, semble-t-il, des établissements mésohel-<br />

ladiques, peut-être originaires du Sud. Nous avons l’impression qu’il y a<br />

eu également infiltration par terre, particulièrement sensible au centre,<br />

comme par exemple dans les régions de Zérélia, Pharsale, Tzani<br />

Magoula, Tsangli, Rini, Sesklo et Dimini.<br />

Malheureusement, dans le Nord, les fouilles ont été rares, sporadiques<br />

et sans méthode, surtout en ce qui concerne les sites de Macédoine cen-<br />

trale -- Axioupolis, Kilindir et Saratsi - ou sur les côtes de Chalcidi-<br />

que - Haghios Mamas et Molyvopyrgos. En Macédoine centrale, on<br />

fabrique une céramique qui trouve des parallèles dans le Nord des Bal-<br />

kans, avec des décors incisés caractéristiques remplis de matière blanche<br />

et des spires en ruban qui se déploient ; certains motifs et dispositions<br />

prouvent des influences anatoliennes et cycladiques ; mais les caractéris-<br />

tiques essentielles - comme les anses angulaires - viennent du Nord<br />

des Balkans. Les vases minyens importés sont présents un peu partout,<br />

aussi bien que leurs imitations, mais le fait qu’ils dominent sur les sites<br />

de la côte de Chalcidique témoigne d’installations mésohelladiques de<br />

provenance méridionale. Là, la céramique minyenne imitée est souvent<br />

influencée par des modèles du Nord des Balkans et par d’autres d’Ana-<br />

tolie. Aussi l’impression générale est-elle un peu archaïsante. Les objets<br />

en bronze, en pierre (petite plastique) ou autres matériaux - armes,<br />

outils, instruments de tissage, etc. - ne diffèrent pas sensiblement de<br />

ceux qu’on trouve dans le Sud.<br />

<strong>La</strong> fouille de sites mésohelladiques en Épire et en Thrace se trouve<br />

encore à ses débuts et il serait prématuré de parler plus sytématique-<br />

ment des résultats.


CHAPITRE IV<br />

LE BRONZE MOYEN DANS L’EST ÉGÉEN<br />

(Troyen moyen)<br />

Au Bronze ancien, l’Est égéen - essentiellement la côte d’Asie<br />

Mineure et les îles qui la bordent - a fait preuve d’une activité extraor-<br />

dinaire et développa un type de <strong>civilisation</strong> original avec des caractères<br />

égéens. Au Bronze moyen, au contraire, cette activité se limite au Nord-<br />

Ouest de l’Asie mineure : le reste du pays paraît être tombé sous le<br />

contrôle des Hittites et des Louvites, et les îles voisines semblent pres-<br />

que désertées ; elles n’offrent rien qui rappelle, même de loin, la civili-<br />

sation de la période précédente. Les résultats les plus importants Vien-<br />

nent de Troie, fouillée de façon plus systématique après Schliemann par<br />

les archéologues américains, sous la conduite de Carl W. Blegen.<br />

Architecture domestique<br />

Les archéologues américains ont situé chronologiquement la cin-<br />

quième ville de Troie entre 1900 et 1800 av. J.-C. Cela signifie qu’elle<br />

était contemporaine du début du Bronze Moyen du reste du monde<br />

égéen. Après la destruction de la quatrième ville, il y a eu restauration<br />

générale et on a construit un nouveau mur, une sorte de soutènement<br />

de remblai. A l’intérieur de cette enceinte, les maisons ont pris une<br />

forme plus régulière qu’auparavant. Construites plus légèrement, elles<br />

comportaient en général de plus grandes pièces qui atteignaient quelque-<br />

fois 5 x 10 mètres. Les sièges et les banquettes dans les angles sont<br />

faits avec plus de soin, de même que les foyers et les fours. L’architec-<br />

ture était en bonne voie de développement quand une catastrophe sou-<br />

daine l’a stoppée ; les maisons ont été détruites de fond en comble,<br />

mais, curieusement, on ne retrouve pas de traces d’incendie ni de<br />

pillage.


322 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

<strong>La</strong> sixième ville a été bâtie beaucoup plus grande, et sur un pian tout<br />

à fait nouveau, ne se fondant presque pas sur les vestiges anciens. Les<br />

différences, importantes, dans la construction, la manufacture et la vie,<br />

témoignent de l’installation d’un peuple nouveau dont le pouvoir politi-<br />

que était bien centralisé. Le nouveau mur d’enceinte montre les progrès<br />

réalisés dans l’art de la fortification ; les murs sont à redans, rompant<br />

ainsi la monotonie des grandes surfaces. Des constructions comme<br />

celles-ci, qui rappellent celles des Mycéniens beaucoup plus tard, peu-<br />

vent être considérées comme monumentales. <strong>La</strong> rénovation a été totale,<br />

on est même allé jusqu’à adopter une nouvelle forme d’urbanisme -<br />

les constructions sont disposées sur des terrasses - et une architecture<br />

bien adaptée aux nouvelles conditions de vie. Les derniers fouilleurs ont<br />

retrouvé dans la stratigraphie les restaurations successives de tronçons<br />

de murs qui confirment l’évolution depuis le Bronze moyen jusqu’au<br />

Bronze récent. Ils ont pu ainsi distinguer trois périodes dans cette ville,<br />

auxquelles correspondent trois changements importants pratiqués par<br />

endroits dans les murs. Ceux qu’on voit aujourd’hui sont de la phase<br />

finale. Bien des portions sont demeurées inchangées depuis les phases<br />

les plus anciennes. Un fragment de l’enceinte - derrière le dernier<br />

redan - avait été considéré par Dorpfeld comme appartenant à la cin-<br />

quième ville, alors qu’en fait il est de la première phase de la sixième.<br />

C’est ainsi que nous avons trois portes sud qui sont des trois phases<br />

successives. Le troisième péribole est assez long, environ 350 mètres ; sa<br />

partie nord a été presque totalement détruite à l’époque gréco-romaine.<br />

Six grands tronçons en sont conservés, avec cinq portes et un grand<br />

bastion au nord-est, monumental et bien construit, en pierres de tailles<br />

dont vingt-six assises sont sauvées sur une hauteur de 9 mètres, et qui<br />

était bien situé pour servir de guet en direction de la plaine. A I’inté-<br />

rieur on avait aménagé une citerne très profonde, moitié construite moi-<br />

tié taillée dans le rocher, dans laquelle descendait un grand escalier. Un<br />

saillant cache le tronçon qui suit, et c’est là qu’on a une sorte de porte<br />

dérobée avec un escalier. <strong>La</strong> deuxième section va jusqu’à la porte orien-<br />

tale et son extrémité sud recouvre le début du troisième tronçon qui est<br />

particulièrement bien construit avec de belles assises et quatre petits sail-<br />

lants ; une partie est cachée par une adjonction romaine, et une autre a<br />

été détruite par la grande tranchée de Schliemann. Au milieu, une<br />

grande tour a été démolie, puis reconstruite. Le passage oriental a<br />

cinq mètres de long et deux de large, aussi était-il facile de repousser<br />

l’ennemi. <strong>La</strong> partie qui vient ensuite avait neuf saillants et des courbu-<br />

res polygonales mais elle a été endommagée par le bouleutérion romain<br />

et la tranchée sud-ouest de Schliemann. <strong>La</strong> porte sud était la porte prin-


Le Bronze moyen 323<br />

cipaie, large de 3,30 mètres ; elle était protégée par une tour et on en a<br />

ensuite une seconde, avec une pièce à l’intérieur, qui avançait de<br />

dix mètres et avait, à l’avant, un mur de soutènement contemporain de<br />

la porte orientale. Une route partant de cette porte menait droit au<br />

sommet où se trouvait le palais. <strong>La</strong> quatrième section du mur, polygo-<br />

nale, avec treize saillants, merveilleusement bien construite, presque en<br />

appareil isodome et bien finie, est la meilleure. Elle a été endommagée<br />

par la construction d’un petit théâtre ainsi que par des bâtiments<br />

publics et religieux d’époque gréco-romaine. Le cinquième tronçon a été<br />

constitué avec une partie plus ancienne du mur, lorsqu’on a fermé une<br />

porte qui se trouvait là à l’origine. <strong>La</strong> porte nord-ouest n’a pas été<br />

finie. Cette partie est la plus faible, avec une face inclinée, faite de<br />

pierres plutôt petites, et elle a été réparée selon la nouvelle technique.<br />

Une autre petite porte a été aménagée dans le sixième tronçon, simple<br />

passage avec montée latérale.<br />

Derrière ce mur de fortification on a mis au jour des maisons, qui<br />

n’appartiennent qu’à la terrasse la plus basse ; celles qui se trouvaient<br />

sur les terrasses supérieures ont presque totalement disparu. <strong>La</strong> plus<br />

ancienne est une maison relativement petite, sur un soubassement suré-<br />

levé, une pièce principale et six autres plus petites, bâties de petites dai-<br />

les régulières. Les vestiges de neuf maisons sur dix-sept nous sont parve-<br />

nus partiellement. <strong>La</strong> plupart sont très oblongues, en forme de méga-<br />

ron, faites de grandes pierres dans la partie inférieure, de pierres plus<br />

petites en haut. Peut-être les pièces les plus grandes avaient-elles des<br />

supports internes. Une base de colonne a été trouvée en place. Les piè-<br />

ces principales étaient assez vastes (12 x 20, 16 x 20, 11 X 20,<br />

10 x 21). Les petites pièces arrière, qui ne sont pas toujours conser-<br />

vées, servaient d’appentis. Une grande maison de 12 x 26 mètres,<br />

connue comme (( maison à colonnes », reposait sur un ancien mur de<br />

contrefort épais, et le toit de la grande pièce était soutenu par deux<br />

supports carrés ; en dehors de cette pièce, il y en avait encore quatre<br />

autres plus petites ; un compartiment dallé, un foyer, un endroit pour<br />

faire la cuisine, autant d’éléments qui montrent qu’elle était peut-être<br />

utilisée comme corps de garde. Quelques-unes des constructions étaient<br />

de forme trapézoïdale pour mieux s’adapter aux petites rues. Certains<br />

des murs étaient également plus épais pour plus de solidité, ou compor-<br />

taient un chaînage de bois qui donnait de l’élasticité en cas de tremble-<br />

ment de terre. L’une de ces constructions trapézoïdales avait un sol en<br />

argile et deux rangées de supports alternativement colonnes et piliers.<br />

Elle était peut-être à étage. <strong>La</strong> disposition interne variait d’une phase à<br />

l’autre. L’un des bâtiments a pris une forme en L avec projection de la


324 LA ClVlLlSATlON ÉGÉENNE<br />

pièce principale. Entre les deux ailes on avait ménagé une cour. Une<br />

petite échelle menait à la terrasse supérieure. En général, tous les bâti-<br />

ments se distinguent par la fermeté de leur construction et leur arrange-<br />

ment intérieur systématique. On retouve partout les traces d’une terrible<br />

catastrophe sismique qui a mis fin a la sixième ville de Troie. Mais on<br />

était déjà loin du Bronze moyen.<br />

II n’y a pas eu d’architecture funéraire. Les quelques sépultures qui<br />

ont été trouvées, sous le sol des maisons et dans les cimetières - urnes<br />

cinéraires -, appartenaient à la dernière phase.<br />

<strong>La</strong> céramique<br />

Les ustensiles céramiques de la cinquième ville de Troie poursuivent<br />

la vieille tradition des deux villes précédentes, mais on remarque une<br />

tendance progressiste qui devient de plus en plus artistique et plus ache-<br />

vée techniquement. Cette tendance se manifeste par une grande symé-<br />

trie, des contours plus dynamiques, un polissage de la surface plus soi-<br />

gné, et des couleurs plus vives et plus gaies. Les écuelles sont décorées<br />

de bandes à l’intérieur et à l’extérieur. Les autres ustensiles sont souvent<br />

décorés d’ornements plastiques - dont certains rendent des traits<br />

humains - ou faits au polissoir. Les motifs incisés sont plus rares.<br />

<strong>La</strong> céramique de la sixième ville présente toutefois des formes, une<br />

technique et une décoration tout à fait nouvelles. Les types des vases<br />

deviennent extrêmement variés, et la plupart d’entre eux relèvent de la<br />

technique minyenne, à cette différence près que la cuisson se fait en<br />

atmosphère plus réductrice et que les formes, au fur et à mesure qu’on<br />

avance dans le temps, se multiplient et deviennent sophistiquées, avec<br />

des anses qui imitent parfois des têtes d’animaux. Peu à peu apparais-<br />

sent des vases mats qui sont peut-être tous importés. Les dernières pha-<br />

ses offrent des produits céramiques du début de l’époque mycénienne -<br />

HR I, II, III A et début B - ce qui prouve que la ville a continué<br />

d’exister au moins jusqu’en 1320 av. J.-C. En même temps, dans toutes<br />

les phases, on a produit une céramique qui prolongeait la vieille tradi-<br />

tion locale. C’est à elle qu’appartiennent la plupart des ustensiles<br />

d’usage courant.


Les autres branches de l’artisanat<br />

L’absence d’éléments représentatifs des diverses branches de I’artisa-<br />

nat n’a pas exclusivement pour cause une grande lacune dans nos con-<br />

naissances ni la nature des matériaux utilisés. I1 est également certain<br />

que dans l’Est du monde égéen cet artisanat ne s’est pas beaucoup<br />

développé et que les habitants importaient des produits finis des régions<br />

voisines plus avancées. Nous trouvons très peu d’exemples de statuettes<br />

fabriquées sur place ; il s’agit, dans la plupart des cas, de décors plasti-<br />

ques de vases ou, plus rarement, d’ustensiles. L’une des principales rai-<br />

sons en est, ici aussi, la faible inclination religieuse. Dans la région de<br />

Troie, aussi bien dans la cinquième ville que dans la sixième, nous trou-<br />

vons davantage d’échantillons plastiques. Dans la cinquième ville on<br />

avait toujours l’habitude de donner aux décors de vases une apparence<br />

humaine.<br />

C’est dans la métallurgie que des progrès importants ont été réalisés,<br />

mais nous n’en avons que quelques exemples caractéristiques, provenant<br />

en grande partie de la cinquième et de la sixième ville de Troie. Ces<br />

progrès consistent surtout dans l’amélioration des alliages du bronze et<br />

dans l’évolution des formes des armes et des outils, dont certains<br />

deviennent plus élégants et plus élancés, surtout dans les dernières pha-<br />

ses de la sixième ville ; mais alors l’influence créto-mycénienne a com-<br />

mencé à se faire sentir. Les épées et les poignards ont des manches à<br />

pommeaux ; quelques-uns d’entre eux nous sont parvenus. Les outils,<br />

les objets de toilette, les bijoux en métal ne sont ni variés ni très origi-<br />

naux. D’autre part, il est encore plus rare de trouver des ustensiles<br />

métalliques qui soient véritablement du Bronze moyen, même s’il devait<br />

y en avoir qui ont servi de modèles aux vases de forme métallique.<br />

Pour le reste, la glyptique, le travail de l’ivoire, l’orfèvrerie, la verre-<br />

rie, etc., ne sont représentés que par des trouvailles isolées et pas très<br />

remarquables. Les fusaioles en terre cuite, décorées ou non, et les<br />

pesons de tisserands, témoignent des progrès du tissage, mais n’ajoutent<br />

rien d’essentiel à notre connaissance des progres de la manufacture.<br />

image générale de la vie dans l’Est égéen. L’évolution historique<br />

<strong>La</strong> vie dans la cinquième ville de Troie n’a pas fondamentalement<br />

changé par rapport à celle des villes précédentes du Bronze ancien, bien<br />

qu’elle ait été contemporaine de la première phase de la <strong>civilisation</strong> de<br />

I’Helladique moyen. Ni l’organisation sociale, ni l’organisation politique


376 LA CIVILISATION EGEENNE<br />

n’ont varié ; la vie économique est devenue plus intense - relations<br />

plus étroites avec l’Orient et le reste du monde égéen -, mais s’est<br />

maintenue en grande partie dans les limites d’une économie interne.<br />

L’organisation de la ville montre qu’un effort a été fait pour que la vie<br />

soit rendue plus aisée. On est surpris par la recherche d’ordre et de pro-<br />

preté, aussi bien à l’intérieur des maisons que dans les espaces ouverts,<br />

les rues et les places. C’est à cela qu’est due l’absence de couches de<br />

détritus et de dépôts, si avidement recherchés par les archéologues. <strong>La</strong><br />

vie religieuse était très élémentaire, mais peut-être que l’image que nous<br />

en avons est due au fait que beaucoup de choses ont disparu. <strong>La</strong> catas-<br />

trophe qui s’est abattue brusquement a mis fin à une évolution qui pro-<br />

mettait d’être importante.<br />

<strong>La</strong> reconstruction de la ville - la sixième - sur une étendue beau-<br />

coup plus grande, suivant de nouveaux principes architecturaux, de<br />

même que le changement fondamental de la forme de la <strong>civilisation</strong><br />

prouvent l’installation d’un élément humain nouveau qui s’est vite<br />

répandu dans les centres névralgiques de la côte mais, paradoxalement,<br />

n’a pas pris possession des îles voisines. <strong>La</strong> céramique et les autres élé-<br />

ments de <strong>civilisation</strong> nous conduisent à admettre qu’il s’agit du même<br />

peuple - ou d’un peuple apparenté - que celui qui s’est établi sur le<br />

continerit et en partie dans les îles. I1 s’est bien mélangé à l’élément<br />

local et le composé racial a donné cette forme originale de <strong>civilisation</strong> si<br />

bien représentée dans les fouilles anciennes ou récentes. <strong>La</strong> vieille tradi-<br />

tion de la fortification a abouti à la construction d’une enceinte parti-<br />

culièrement robuste et efficace dans le cas d’un long siege. C’est ce mur<br />

qui, complété et remanié dans la ville VI1 A, va résister à la longue<br />

expédition qui est restée connue dans l’Histoire sous le nom de guerre<br />

de Troie. L’effort fait pour se protéger montre clairement combien, dès<br />

le début, les incursions pirates ou autres attaques organisées menaçaient<br />

une ville grande et riche située à un endroit clé. Et il ne fait pas de<br />

doute que c’est cette fortification qui, sous une forme rajeunie, consti-<br />

tuera le modèle des fortifications mycéniennes plus tardives.<br />

Nous avons de bonnes raisons de croire qu’une réorganisation aussi<br />

radicale de la ville et qu’une fortification aussi importante n’ont pu se<br />

faire sans un nouveau système gouvernemental qui a eu pour effet le<br />

rajeunissement de la vie sociale, politique, économique, individuelle et<br />

peut-être aussi religieuse, sous la surveillance d’une classe royale. Mal-<br />

heureusement, dans ce domaine on ne peut rien dire de positif puisque<br />

les niveaux supérieurs de l’acropole ont été détruits et que, si palais il y<br />

avait, c’est là qu’il se trouvait. D’autre part, il serait très dangereux de<br />

parler plus en détail de l’organisation de la vie en tirant des conclusions


Le Bronze moyen 327<br />

d’éléments qui proviennent des dernières phases de la vie de la ville qui,<br />

en fait, appartiennent au Bronze récent. Malgré tout, nous pouvons<br />

dire, en voyant les grandes maisons si bien construites et organisées<br />

intérieurement, que la vie était confortable et assez riche. Quelques-uns<br />

des bâtiments étaient destinés à un usage public, peut-être en rapport<br />

avec la sécurité de la ville puisqu’ils se trouvaient très près des murs.<br />

L’importation du cheval, très tôt, a joué un rôle important dans cette<br />

évolution.<br />

II semble que la ville ait beaucoup souffert des tremblements de<br />

terre ; c’est ce que montrent les mesures prises pour renforcer les cons-<br />

tructions et les rebâtir ou les restaurer chaque fois qu’elles étaient<br />

détruites. Ce sont de terribles séismes, comme le pensent les fouilleurs,<br />

qui ont provoqué ces destructions successives, et il n’est pas exclu<br />

qu’une d’elles a été contemporaine de la grande explosion du volcan de<br />

Théra qui, à l’époque mycénienne, a bouleversé tout le monde égéen. il<br />

est difficile de préciser quelles étaient les relations avec les peuples voi-<br />

sins et surtout avec les grandes forces que constituent maintenant les<br />

Hittites et les Louvites. II est encore plus difficile de donner une image,<br />

même générale, de la vie spirituelle et intellectuelle des habitants de<br />

l’Est égéen, et même de leurs croyances religieuses qui auraient dû lais-<br />

ser davantage de traces dans les vestiges mis au jour. On doute beau-<br />

coup qu’il faille voir dans certains bâtiments des lieux de culte : il n’est<br />

certes pas exclu que les hauts piliers carrés monolithes de la tour sud -<br />

six à l’origine - qui se dressent comme des menhirs, aient fait partie<br />

d’un sanctuaire. Dans l’un des bâtiments orientaux on a remarqué des<br />

restes de sacrifices qui ne suffisent évidemment pas à en faire un sanc-<br />

tuaire, pas plus que les monolithes. Les figurines de terre cuite qui ont<br />

été trouvées sont fort peu nombreuses et la plupart d’entre elles appar-<br />

tiennent aux dernières phases, qui ne sont plus du Bronze moyen.<br />

Les éléments fournis par les autres régions de l’Est égéen, qui<br />

auraient pu aider à compléter l’image de la vie et de l’évolution histori-<br />

que au Bronze moyen sont encore insuffisants. I1 faudra encore des<br />

fouilles et des études sérieuses pour que cela soit possible.


QUA TRIEME PARTIE<br />

I<br />

LE BRONZE RECENT<br />

EN CRÈTE


L’évolution de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong> dans les deux premières périodes<br />

de l’âge du Bronze - Bronze ancien et Bronze moyen - a été, comme<br />

nous l’avons vu, particulièrement importante, et il était à prévoir que<br />

l’évolution ultérieure - époque qu’on a caractérisée de façon conven-<br />

tionnelle comme Bronze récent - serait encore plus brillante. <strong>La</strong> ligne<br />

de démarcation ne semble pas être la même partout : en Crète, c’est<br />

presque sitôt la catastrophe (vers 1700 av. J.-C.) que s’opère le change-<br />

ment radical, tandis que dans les autres régions le Bronze moyen s’est<br />

poursuivi encore un siècle, jusque vers 1600 environ. Pendant ce siècle<br />

on édifie les nouveaux palais crétois et, sous leur rayonnement, la civili-<br />

sation commence à prendre une forme nouvelle ; mais, même en Crète,<br />

la première phase néopalatiale peut être considérée comme transitoire :<br />

au début, les différentes manifestations de la <strong>civilisation</strong> continuent la<br />

tradition paléopalatiale ; on ne peut pas en dire autant de la fin du siè-<br />

cle : nous sommes en présence de nouvelles conditions de vie qui amè-<br />

nent une réforme radicale de la <strong>civilisation</strong>. Mais dans les autres régions<br />

- Cyclades, Sud et Nord du continent, Est égéen - la <strong>civilisation</strong> du<br />

Bronze moyen continue à évoluer sans solution de continuité et ne subit<br />

pas de changement profond avant que ne s’y infiltre la <strong>civilisation</strong> cré-<br />

toise, qui lui donne un caractère (( créto-mycénien ». Cela s’est passé<br />

vers 1600 av. J.-C. et cette date marque la fin des <strong>civilisation</strong>s du<br />

Cycladique moyen, Helladique moyen, et Égéen oriental moyen.<br />

Le changement qui s’est effectué a moins son centre de gravité dans<br />

la métallurgie - très importante sans aucun doute - que dans des évé-<br />

nements historiques que nous ignorons, qui ont modifié l’équilibre des<br />

forces du monde égéen, événements qui ne semblent toutefois pas être<br />

sans rapport avec les catastrophes géologiques de la Méditerranée orien-<br />

tale ni avec les bouleversements survenus en Égypte et en Orient. I1<br />

s’agit de l’invasion des hordes d’Aryens (Hourrites) qui utilisaient des<br />

chars tirés par des chevaux - en Syrie et en Mésopotamie septentrio-<br />

nale, et de l’avance des Hyksos, peuple nomade d’origine sémite


332 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />

jusqu’en Égypte où ils ont finalement réussi à s’installer. Quant aux<br />

faits géologiques, ce sont les terribles catastrophes sismiques qui ont<br />

frappé la Crète vers 1700 et 1600 av. J.-C., surtout la première d’entre<br />

elles qui, comme nous l’avons vu, marque la limite des deux époques.<br />

<strong>La</strong> théorie de l’infiltration et de l’installation massive des Louvites dans<br />

le monde égéen est définitivement écartée ; selon Palmer et Huxley, ces<br />

éléments seraient les principaux responsables de la forme nouvelle prise<br />

par la <strong>civilisation</strong>. En Crète on a pu prouver que la <strong>civilisation</strong> a conti-<br />

nué à suivre la même voie sans que se mêlent des éléments comme ceux<br />

qu’on trouve dans la région proprement louvite d’Asie Mineure. <strong>La</strong><br />

datation plus précise de la première phase des nouveaux palais, aussi<br />

bien que la confirmation de l’existence de liens étroits entre la Crète et<br />

l’Égypte des Hyksos à ce moment-là ont prouvé que la nouvelle civilisa-<br />

tion a commencé en Crète tout de suite après 1700 av. J.-C. On exami-<br />

nera dans les chapitres suivants la nature de ces rapports.


CHAPITRE PREMIER<br />

ARCHITECTURE ET CONSTRUCTION<br />

A L’ÉPOQUE DES NOUVEAUX PALAIS<br />

I1 va de soi que l’archéologie a mis en lumière bien plus de vestiges<br />

de la <strong>civilisation</strong> minoenne à son apogée que des époques précédentes -<br />

prépalatiale et paiéopalatiale -, vestiges qui ont en grande partie été<br />

recouverts par les bâtiments néopalatiaux. En outre, les ruines post-<br />

palatiales n’ont recouvert celles des nouveaux palais que sur des espaces<br />

beaucoup plus restreints, ou ont été découvertes à d’autres endroits.<br />

Notre information est donc beaucoup plus complète et se fonde sur des<br />

restes bien plus importants - palais, villas, fermes, villes entières - et<br />

beaucoup mieux conservés. Les habitats, les palais, les demeures isolées<br />

et les nécropoles ont évidemment été fortement pillés, le mobilier enlevé<br />

ou dérangé ; malgré tout, un bon nombre d’objets nous sont parvenus<br />

qui représentent l’évolution de l’artisanat et de l’art dans les différentes<br />

phases, évolution qui s’est étendue sur plus de trois siècles, de 1700 à<br />

1380 av. J.-C. Les difficultés résident dans la tâche de poursuivre plus<br />

précisément cette évolution sur la base de données stratigraphiques et<br />

stylistiques, et dans la coordination des éléments des diverses régions. II<br />

y a en particulier des problèmes concernant la première - transitoire -<br />

et la dernière phase du palais de Cnossos : là, le palais a continué<br />

d’exister à une époque où les autres centres étaient complètement<br />

détruits, ou, du moins, avaient acquis un autre caractère et n’avaient<br />

plus rien de palatial. Bien d’autres sujets posent encore des problèmes<br />

et on ne peut formuler que des conclusions provisoires sous forme<br />

d’hypothèses, surtout dans le domaine historique. I1 en sera question<br />

ailleurs.<br />

Ce qui caractérise essentiellement la nouvelle époque, c’est presque<br />

partout le triomphe de l’esprit naturaliste. Mais, dès le début, il nous<br />

faut noter que ce naturalisme a toujours gardé des traits particuliers,<br />

hérités de la <strong>civilisation</strong> paléopalatiale et qu’on ne doit pas le confondre


334 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

avec des manifestations naturalistes d’autres <strong>civilisation</strong>s. <strong>La</strong> Crète a<br />

fait, c’est évident, un effort colossal pour mieux s’organiser, pour<br />

renouveler les formes de l’art, pour mieux exploiter les progrès techni-<br />

ques, pour s’assurer une vie aisée et paisible, pour rechercher de nouvel-<br />

les ressources dans les pays voisins ou plus lointains, pour s’infiltrer<br />

davantage économiquement et culturellement, ce qui a abouti à la nais-<br />

sance de la <strong>civilisation</strong> créto-mycénienne. Aujourd’hui nous n’avons<br />

guère de doutes que cet effort de renouvellement ait été encouragé et<br />

aidé par les progrès correspondants réalisés en Orient, en Égypte et en<br />

Anatolie, d’une manière différente dans chacune de ces régions, et dans<br />

des centres divers. Mais l’évolution ultérieure va dépendre davantage des<br />

relations créées dans les différentes régions de l’Égée même, surtout dans<br />

celles où, sitôt créée, va se développer rapidement la <strong>civilisation</strong> mycé-<br />

nienne. Ces relations et ces tendances s’expriment dans la coopération<br />

active, mais, assez souvent aussi, dans la concurrence féconde. Quant<br />

aux conséquences historiques, nous ne faisons encore que les entrevoir<br />

dans la tradition - mythologique en grande partie - et dans certaines<br />

données de la recherche archéologique. Peut-être n’apprendrons-nous<br />

jamais quels ont été les événements qui ont abouti à des alliances étroi-<br />

tes, à des entreprises communes, mais aussi à des heurts plus ou moins<br />

importants. L’évolution de la <strong>civilisation</strong> a toujours été sujette à de tels<br />

événements historiques, mais en même temps le facteur géologique, sous<br />

forme de tremblements de terre ou d’éruptions volcaniques, n’a pas<br />

cessé d’être un élément créant de nouveaux rapports et stimulant I’acti-<br />

vité.<br />

Architecture palatiale et domestique<br />

Si l’évolution de l’architecture aux époques prépalatiale et paléopaia-<br />

tiale a créé des formes extrêmement intéressantes, qui se sont encore<br />

perfectionnées dans les époques suivantes, elle n’a quand même pas<br />

réussi à produire quelque chose de particulièrement monumental. <strong>La</strong><br />

tendance ne s’est même pas manifestée : il semble que les gens n’y<br />

étaient portés ni par leur tempérament ni par leur conception du<br />

monde. I1 en est encore ainsi à l’époque suivante, bien que certaines<br />

créations puissent, d’un certain point de vue, être considérées comme<br />

monumentales. Mais elle a continué à évoluer en suivant les principes<br />

de base du début, aussi bien en ce qui concerne les palais que les autres<br />

constructions, plus complexes ou plus simples, ou même l’architecture<br />

funéraire. Quoique la technique de la construction se soit perfectionnée


Le Bronze récent en Crète 335<br />

de beaucoup, elle continue dans la voie tracée, au point qu’on se<br />

demande souvent pourquoi on n’a pas appliqué les connaissances tech-<br />

niques expérimentées avec succès dans d’autres branches. II est clair que<br />

cela était voulu et ne résultait pas de l’incapacité ou du manque de<br />

réflexion. Les gens vivaient dans le présent, au milieu d’une nature<br />

bienveillante, et n’éprouvaient pas le besoin d’immortaliser le passé ou<br />

de s’inquiéter outre mesure pour l’avenir ; d’autre part, ils se connais-<br />

saient bien et ne cherchaient pas à faire étalage de leur personnalité,<br />

même s’ils appartenaient aux classes les plus élevées, en se dotant d’un<br />

environnement monumental et impressionnant pour en imposer ou se<br />

glorifier. Ils sont restés anonymes dans la vie et dans la mort et ont<br />

essayé de profiter, autant que possible, des joies que la vie leur offrait<br />

dans un milieu confortable, qu’il soit naturel ou artificiel. Cela devient<br />

très clair si l’on examine ce qui reste de l’artisanat et de l’art dans leurs<br />

différentes branches, mais surtout en architecture.<br />

Les nouveaux palais minoens<br />

Entre la destruction totale des anciens palais et la construction des<br />

nouveaux s’est écoulée une période intermédiaire qu’il n’est malheureu-<br />

sement pas facile de définir avec précision. Dans cet intervalle, les<br />

familles royales ont dû s’installer provisoirement dans d’autres bâti-<br />

ments, et peut-être a-t-on essayé de réparer et de réutiliser des secteurs<br />

des anciens palais ; on en a un exemple à Zakro. Toutefois, le fait<br />

qu’on ait trouvé, dans le remplissage de la façade principale du palais<br />

de Cnossos, derrière les orthostates, des tessons du MM III avancé,<br />

prouve que la période qui a précédé la construction des nouveaux palais<br />

a été assez longue, peut-être d’un demi-siècle. L’expérience malheureuse<br />

acquise à la suite des catastrophes successives les avait convaincus de la<br />

nécessité d’étudier davantage les problèmes statiques et de construction,<br />

d’assurer une meilleure assise, une plus grande élasticité, une connexion<br />

plus solide ; mais on n’entendait pas s’écarter de certains principes -<br />

nombreux supports intérieurs, grandes ouvertures et plusieurs étages<br />

superposés, ce qui pourtant n’offrait guère de garanties contre les<br />

grands tremblements de terre.<br />

II est intéressant de constater l’effort fait à Zakro pour remettre en<br />

état - et sans aucun doute pour un usage palatial - une grande partie<br />

de l’ancien palais : un secteur de l’aile orientale et très probablement<br />

un autre au sud ; d’autres parties ont été construites à un niveau un<br />

peu plus élevé, mais la plupart de ces secteurs ont été rasés et nivelés<br />

lors de la construction du palais sous une nouvelle forme, peu après


Fig. 12. - Plan du palais minoen de Cnossos<br />

1 Cour ouest.<br />

2 Koulourès (dépôts circulaires).<br />

3 Autels.<br />

4 Maison ouest.<br />

5 Façade à orthostates.<br />

6 Dropylon sud-ouest.<br />

7 Chambre royale.<br />

8 Corridor de la procession.<br />

9 Véranda sud.<br />

10 Portique sud.<br />

11 Porte sud-ouest.<br />

12 Portique montant à degrés.<br />

13 Porte sud de service.<br />

14 Terme du corridor de la procession.<br />

Fresque du Roi-prêtre.<br />

15 Grands propylées.<br />

16 Escalier monumental.<br />

17 Cour centrale.<br />

18 Façade du sanctuaire tripartite.<br />

19 Antichambre des cryptes.<br />

20 Chambre du haut pithos.<br />

2 I Temple Repositories.<br />

22 Les cryptes à piliers quadrangulaires.<br />

23 Chambra de la sacristie (Vat Room).<br />

24 Corridor des magasins ouest.<br />

25 Petit escalier de service.<br />

26 Archives hiCroglyphiques dans la sotto<br />

scala.<br />

27 Antichambre de la Salle du trône.<br />

28 Salle du trône.<br />

29 Chambres du sanctuaire ainsi que de la<br />

sacristie.<br />

30 Escalier centrai.<br />

31 Chambre à plafond décoré du quartier<br />

nord-ouest.<br />

32 Les donjons ».<br />

33 Corridor coudé.<br />

34 Propylon nord.<br />

35 Antichambre du bassin lustrai.<br />

36 Bassin lustral nord.<br />

37 Enceinte d’initiation.<br />

38 Escalier monumental.<br />

39 Polythyron mégaron du roi.<br />

40 Polythyron mégaron de la reine.<br />

41 Salle de bains.<br />

42 Corridor du phitos peint.<br />

43 Boudoir de la reine et lieux de toilette.<br />

44 Cour des quenouilles.<br />

45 Archives et, au-dessus, chambre du<br />

trésor.<br />

46 Escalier de service.<br />

47 Escalier vers la cour centrale.<br />

48 Chapelle royale ancienne. Enclos des<br />

vases aux fleurs de lys.<br />

49 Chapelle royale postérieure, connue<br />

comme sanctuaire des doubles<br />

haches.<br />

50 Corridor du sanctuaire des doubles<br />

haches.<br />

51 Escalier de l’angle sud-est.<br />

52 Corridor vers la porte sud.<br />

53-54 Quartier sud des ateliers et<br />

magasins.<br />

55 Maison du prêtre.<br />

56 Maison sud-est.<br />

57 Maison des piliers monolithes.<br />

58 Corridor de la fresque du labyrinthe.<br />

59 Corridor des baies.<br />

60 Corridor des pithoi à médaillons.<br />

61 Magasins paltopalatiaux. Loom Weight<br />

Area.<br />

59-61 Grande Salle du trône de<br />

I’Ctage supérieur.<br />

62 Antichambre des ateliers.<br />

63 Atelier du lapidaire.<br />

64 Portique des ateliers.<br />

65 Atelier pour le travail plastique (ancien<br />

School-Room) .<br />

66 Cour des ateliers.<br />

67 Escalier menant au bastion est.<br />

68 Bastion est.<br />

69 <strong>La</strong>vanderie.<br />

70 Magasins des pithoi géants.<br />

71 Instal!ations pour l’entretien des petits<br />

animaux.<br />

72 Ateliers de vases de style Camarès.<br />

73 Corridor du Jeu d’échecs.<br />

75 Escaliers vers IC quartier nord.<br />

76 M6garon nord-est.<br />

77 Magasins nord-est de vases communs.<br />

78 Bastions de l’entrée nord.<br />

79 Salle hypostyle, dite (( <strong>La</strong> douane ».<br />

80 Porte intérieure nord.<br />

81 Porte extérieure nord.<br />

82 Maison nord-est.<br />

83 ThCgtre.


I Cour ouest.<br />

2 Gradins du théâtre.<br />

3 Cour nord.<br />

4 Maisons hellénistiques de la cour nord.<br />

5 Escalier menant à la cour ouest.<br />

6 Façade à orthostates du Premier palais.<br />

7 Chambres du sanctuaire du Premier<br />

palais.<br />

8 Magasins du Premier palais.<br />

9 Propylon du Premier palais.<br />

IO Corridor d’entrée du Premier palais.<br />

1 I Magasins du Premier palais sous la salle<br />

du trône.<br />

I2 Accès majestueux vers la Salle du trône.<br />

13 <strong>La</strong> Salle du trône ou Grands Propylées.<br />

14 <strong>La</strong>


I<br />

2<br />

3<br />

4<br />

5<br />

6<br />

7<br />

8<br />

9<br />

IO<br />

Il<br />

12<br />

13<br />

14<br />

I5<br />

16<br />

17<br />

18<br />

19<br />

20<br />

21<br />

22<br />

23<br />

24<br />

25<br />

26<br />

Fig. 14. - Plan du palais minoen de Malia.<br />

Cour ouest.<br />

Entrée secondaire de l’aile Ouest.<br />

Comdor des magasins.<br />

Corridor des magasins séparé par une<br />

cloison.<br />

Magasins ouest séparés.<br />

Magasins ouest principaux.<br />

Salle du trône.<br />

Chambre des


Fig. IS. - Pian du palais minoen de Zakro<br />

I Rue du port.<br />

27 Magasins ouest du sanctuaire.<br />

2 Porte nord-sud.<br />

28 Magasins nord du sanctuaire.<br />

3 Ateliers annexes au palais.<br />

29 Corridor de service.<br />

4 Atelier métallurgique.<br />

30 Cuisine.<br />

5 Cour intérieure nordet.<br />

31 Appartements annexes de la cuisine.<br />

6 Quartier de l’aile orientale du Pi mnier<br />

32 Portique nord.<br />

palais (sous l’aile est).<br />

7 Quartier de l’aile est sous la cour inié- 33 Escalier de la Salle des banquets.<br />

34<br />

rieure nord-est.<br />

Salle des aiabastres pour onctions.<br />

8 Cour centrale.<br />

35 Quartier annexe au nord de la cuisine.<br />

9 Autel.<br />

36 Cour nord-est.<br />

10 Entrée du sanctuaire.<br />

37 Quartier sud des ateliers.<br />

II Escalier.<br />

38 Puits - fontaine.<br />

12 Vestibule du sanctuaire.<br />

3941 Accès du sud.<br />

13-15 Appartements du sanctuaire.<br />

42 Jardins dans le péribole sud.<br />

16 Chambre de la vaisselle du sanci iuaire. 43 Appartement du roi.<br />

17 Archives du sanctuaire.<br />

44 Appartement de la reine.<br />

18 Le sanctuaire central.<br />

4s Appartements royaux annexes.<br />

19 Bassin lustrai.<br />

46 Corridor vers la chambre des bains.<br />

20 Atelier du sanctuaire.<br />

47 Chambre des bains et antichambre.<br />

21 Trésor du sanctuaire.<br />

48 Salle à citerne (Salle du trône ?).<br />

22 Dépôt du sanctuaire.<br />

49 Vestibule de la Salle du trône.<br />

23 Magasin du sanctuaire.<br />

50 Source.<br />

24 Salle des fêtes.<br />

51 Fontaine.<br />

25 Salle des festins sacrés.<br />

52 Cour de la fontaine.<br />

26 Corridor des baies.<br />

53 Corridor de l’entrée est.


344 LA CIVILISATION &BENNE<br />

1600 av. J.-C., semble-t-il. <strong>La</strong> réutilisation du secteur en question s’est<br />

faite après que les sols des pièces du rez-de-chaussée eurent été surélevés<br />

d’environ un demi-mètre, très probablement pour les protéger des eaux<br />

qui sourdaient, ce qui implique qu’un changement géologique se serait<br />

produit avec la catastrophe. Pour stabiliser davantage les bâtiments, on<br />

a fermé quelques portes extérieures et intérieures, et certains murs ont<br />

été renforcés ou doublés. Les pièces de l’étage ont été reconstruites et<br />

c’est de là que, par des escaliers, on gagnait les pièces du rez-de-<br />

chaussée désormais fermées vers l’extérieur. D’autres pièces du rez-de-<br />

chaussée ont été remblayées et, au-dessus, on en a construit de nouvel-<br />

les avec des sols en cailloux agglomérés. Une nouvelle couche d’argile a<br />

recouvert la vaste cour centrale. I1 semble que plusieurs pièces du rez-<br />

de-chaussée de l’ancien palais aient été définitivement remblayées et que<br />

les nouveaux appartements aient été construits au-dessus ; c’est ce qui<br />

expliquerait pourquoi la céramique du remblai date, dans cette région,<br />

de la fin de l’époque protopalatiale. II est improbable qu’après une<br />

catastrophe aussi totale, les étages de l’ancien palais aient été sauvés au<br />

point de pouvoir être réutilisés, même après restauration.<br />

Une réutilisation de ce type n’a pas encore été prouvée dans les autres<br />

palais. Les nouveaux bâtiments sont construits après une période prépa-<br />

ratoire et après avoir pris des mesures préventives. On décide alors de<br />

remblayer totalement les anciens palais et de ne pas réutiliser les vieux<br />

plans, sauf dans leurs principes les plus généraux. I1 ne nous est pas<br />

facile de comprendre, avec les seuls éléments qui sont à notre disposi-<br />

tion, si les plans ont été élaborés par des architectes d’élite travaillant<br />

seuls ou par des équipes opérant pour tous les palais. Certaines ressem-<br />

blances et analogies pourraient s’expliquer par la deuxième hypothèse.<br />

Mais les différences sont plus nombreuses, et chaque palais présente ses<br />

propres particularités : on peut considérer que chaque architecte ou<br />

équipe d’architectes a fait preuve d’initiative, en s’adaptant aux condi-<br />

tions et habitudes locales. Des chercheurs ont cru que des bâtiments<br />

aussi divers et aussi complexes ont pu être faits par ajouts, comme des<br />

arbustes qui se ramifient et bourgeonnent. Des critiques d’art allemands<br />

ont même créé le mot de Knospenagglomerat. Toutefois, l’étude des<br />

plans, jointe aux données archéologiques, montre que les bâtiments ont<br />

été construits sur la base de plans unifiés, très bien étudiés, où tous les<br />

détails avaient été prévus. Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y a<br />

pas eu d’adjonctions, de changements ou de renouvellement des plans<br />

originels ; au contraire, il y en a eu beaucoup d’une époque a l’autre,<br />

après chaque tremblement de terre, et dans une même phase, pour des<br />

raisons pratiques. Mais l’unité des plans s’est maintenue jusqu’à la fin.


Le Bronze récent en Crète 345<br />

Evans a appelé New Era la première phase néopalatiale - MM III -<br />

et lui a attribué les majestueux bâtiments qui constituent le corps du<br />

palais actuellement conservé. Toutefois, cela ne semble pas correspondre<br />

à la réalité puisque, dans tous les palais, une grande partie des<br />

constructions a été renouvelée et a acquis l’aspect grandiose que nous<br />

connaissons. A Zakro, c’est au début de la deuxième phase, vers 1600<br />

av. J.4. que les palais ont pris pour la première fois leur forme nou-<br />

velle. L’erreur d’Evans vient, comme nous le verrons, du fait qu’il a<br />

inexactement daté les dépôts d’offrandes. Bien sûr, dans l’ensemble, les<br />

palais de Cnossos, Phaistos et Malia avaient à peu près le même plan<br />

que dans les phases suivantes : une grande partie des façades, les grands<br />

murs fondamentaux, la disposition en terrasses, la séparation en sec-<br />

teurs, l’organisation interne, les communications entre les différentes<br />

parties et les étages (corridors et escaliers) sont restés essentiellement les<br />

mêmes. Mais de grands secteurs ont été renouvelés, des transformations<br />

importantes réalisées, des sols refaits, des ouvertures bouchées, tandis<br />

qu’on en perçait de nouvelles. Les décorations intérieures - fresques ou<br />

sculptures - recomposées, les cours limitées ou au contraire agrandies,<br />

les portiques qui les entouraient largement remaniés ; certaines parties,<br />

qui ne servaient plus, ont été remblayées et abandonnées, des installa-<br />

tions à usage spécifique ont changé de forme, des dépôts et des cryptes<br />

ont été fermés ou transformés, les magasins furent dotés de systèmes<br />

destinés a préserver les stocks, etc. II nous est difficile ici de suivre ces<br />

changements dans leurs détails. II suffit que nous présentions quelques<br />

exemples caractéristiques pris dans tous les palais, en ajoutant quelques<br />

autres modifications de moindre importance ou moins caractéristiques<br />

qui ont été réalisées dans les phases suivantes. Toutefois, on a jugé utile<br />

de les insérer dans une description plus générale de l’organisation des<br />

nouveaux palais, en les comparant entre eux, de façon qu’on puisse<br />

concevoir plus nettement la signification fonctionnelle des différents sec-<br />

teurs.<br />

Avec le développement de la vie sociale, politique, économique, reli-<br />

gieuse et privée, dont les palais ont été dès l’origine les centres essen-<br />

tiels, il s’est avéré indispensable d’adapter les nouveaux bâtiments en<br />

vue d’un meilleur fonctionnement et pour qu’ils répondent totalement à<br />

leur destination. I1 ne fait pas de doute que cela a été possible grâce<br />

aux efforts extraordinaires déployés non seulement par les classes les<br />

plus élevées qui exerçaient le pouvoir mais aussi par le peuple tout<br />

entier. Les gigantesques catastrophes sismiques affaiblissaient les forces,<br />

mais, en même temps, elles stimulaient les efforts, qui ne semblent pas<br />

s’être développés sous la contrainte, mais en pleine conscience de I’inté-


346 LA CIVILISATION ÉGGENNE<br />

rêt général. Nous avons de bonnes raisons de croire que la foi religieuse<br />

a toujours été un stimulant important, puisque depuis longtemps les<br />

palais étaient la demeure de la divinité et de ses représentants. Les<br />

palais minoens ont été construits à peu près dans le même état d’esprit<br />

que les palais-monastères des lamas du Tibet, avec une ferveur identique<br />

à celle qui a produit les grands monuments religieux à toutes les épo-<br />

ques. C’est peut-être ce qu’évoque la dénomination du palais de Cnos-<br />

sos, labyrinthe », le (( lieu des doubles haches H d’après l’étymologie<br />

la plus probable du mot qui, très tôt, a été admise par les linguistes, les<br />

archéologues, et les historiens des religions. Les tablettes de Cnossos -<br />

où nous rencontrons les mots da-pu-ri-to-jo Po-ti-ni-ja : (( Potnia du<br />

labyrinthe )) - semblent le confirmer. Mais ce qui constitue presque<br />

une preuve, c’est le caractère même des palais en tant que sanctuaires<br />

de la divinité, qui se trouve confirmé par une foule d’éléments.<br />

L’étendue des différents palais est une indication de leur hiérarchie :<br />

celui de Cnossos dépassait les deux hectares, ceux de Phaistos et de<br />

Malia étaient à peu près d’égale grandeur (0,9 hectare) ; quant à celui<br />

de Zakro, bien qu’il n’ait pas encore été fouillé en entier, il ne semble<br />

pas dépasser 0,8 hectare. Dans ces mesures on comprend, bien sûr, les<br />

cours extérieures, mais pas les annexes dont le caractère palatial n’est<br />

d’ailleurs pas toujours assuré.<br />

Les cours et les portes d’entrée<br />

Les cours centrales des trois plus grands palais mesuraient environ<br />

52 x 24 mètres, celle du palais de Zakro n’avait que 30 x 12 mètres.<br />

A Cnossos et à Phaistos elles étaient dallées, la première de plaques rec-<br />

tangulaires régulières, la deuxième suivant un système de dalles s’emboî-<br />

tant, pas toujours régulier, tandis qu’à Malia et à Zakro elles étaient<br />

revêtues d’une sorte de ciment ; dans le premier cas, les passages les<br />

plus en usage étaient dallés. Tout autour, se dressaient les façades inté-<br />

rieures diversement articulées et impressionnantes. A Cnossos il n’y<br />

avait pas de portiques mais des vestibules, de grands escaliers, des lieux<br />

de repos sous des vérandas que soutenaient des piliers carrés, des passa-<br />

ges donnant de la variété aux contours et offrant des possibilités de<br />

communication et de repos. I1 n’est évidemment pas possible de recons-<br />

tituer la forme exacte des façades des étages ; on devine toutefois assez<br />

facilement l’existence de terrasses et de vérandas, de fenêtres géminées,<br />

de multiples corniches dont on a trouvé quelques fragments.


Le Bronze récent en Crète 347<br />

A Phaistos, un portique, qui correspondait peut-être à des vérandas<br />

dans les étages supérieurs, constituait le côté est ; une partie de celui-ci<br />

a été entraînée en bas de la colline ; des piliers carrés alternaient avec<br />

des colonnes dans ce portique où se dessinaient des lieux de repos. A<br />

l’ouest, l’ancien portique a été supprimé et remplacé, plus à l’intérieur,<br />

par une série de lieux de repos. Les baies des corridors d’entrée, les<br />

ouvertures à colonnes, au nord une entrée grandiose avec des demi-<br />

colonnes latérales et des niches rectangulaires d’un côté et de l’autre<br />

pour les gardes ou pour des emblèmes, donnaient à l’ensemble un<br />

aspect impressionnant.<br />

A Malia il y avait des portiques sur deux côtés : à l’est, où alter-<br />

naient colonnes et piliers, et au nord - jadis plus long - avec seule-<br />

ment des colonnes ; le troisième portique, à l’ouest, a été remplacé par<br />

une partie avancée de l’aile. Des escaliers successifs et les baies ouvertes<br />

des corridors d’entrée donnaient de la variété à l’ensemble qui, sans<br />

aucun doute, devenait plus monumental avec les vérandas et les fenêtres<br />

géminées des étages.<br />

A Zakro les façades qui entouraient la cour étaient beaucoup plus<br />

simples, avec le portique au nord - un lieu de repos -, l’entrée à<br />

degrés et colonne médiane vers les appartements royaux, et un portique<br />

avec des piliers carrés au lieu de colonnes à l’est, de belles façades en<br />

poros avec des fenêtres géminées au sud et à l’ouest, et des entrées suc-<br />

cessives vers les appartements de l’aile occidentale. Des fragments de<br />

corniches et une partie du couronnement des doubles cornes ont été<br />

trouvés à l’extérieur de l’entrée orientale.<br />

Les cours ont joué un rôle important : elles étaient un élément<br />

essentiel de la circulation vers tous les secteurs des palais, le lieu des<br />

rencontres religieuses et mondaines, et peut-être des cérémonies. Des<br />

tronçons de passages dallés ont été mis au jour dans la cour du palais<br />

de Cnossos, tandis que dans celle de Malia, à peu près au centre, on a<br />

découvert un bothros sacrificiel fait de quatre soutènements rectangulai-<br />

res à l’intérieur d’une fosse de même forme. L’hypothese du professeur<br />

Graham, qui pense que ces cours étaient utilisées pour les jeux de tau-<br />

reaux, est difficilement soutenable.<br />

Comme dans les anciens palais, c’est à partir de la cour centrale que<br />

se sont articulés les divers secteurs, chacun d’eux ayant une destination<br />

précise. Et comme dans ceux-ci, les façades donnant sur l’extérieur se<br />

sont formées, suivant la profondeur des différents secteurs, non pas en<br />

ligne droite, mais avec une série de saillants et de rentrants. Ainsi,<br />

l’organisation de l’intérieur s’est faite de façon synthétique et non<br />

analytique, du centre vers l’extérieur et non le contraire. Dans tous les


348 LA ClVILlSATlON ÉGÉENNE<br />

palais on a conservé les anciennes cours occidentales, mais en général<br />

l’espace a été arrangé différemment et le revêtement de dalles refait.<br />

A Cnossos on a fermé les dépôts circulaires - les<br />

koulourès )) -, à<br />

l’exception de l’un d’entre eux qui n’a été remblayé qu’à la fin de la<br />

première phase néopalatiale ; le dallage a été restauré mais le niveau est<br />

resté à peu près le même. Deux autels carrés, à degrés semble-t-il, ont<br />

été construits -l’un à une certaine distance de la façade, l’autre à<br />

l’endroit où la façade originelle du palais ancien dessine un rentrant,<br />

peut-être pour que l’espace soit consacré. On atteignait la cour occidentaie<br />

toujours par la même rampe, la route à plans inclinés qui partait<br />

de l’artère principale. Pour la première fois l’esplanade nord dallée, qui<br />

communiquait par quelques larges marches avec la cour occidentale, a<br />

été transformée en aire théâtrale, lorsqu’on a bâti à angle droit une<br />

autre rangée de marches qu’on utilisait comme gradins, et qu’on a fait<br />

un socle haut, une sorte de tribune, juste à l’angle des deux rangées de<br />

sièges. L’espace dallé a été réduit et servait aux spectacles et aux cérémonies.<br />

L’usage rituel et sacré en a été confirmé par la découverte de<br />

dépôts d’ustensiles et autres objets de culte, et de fragments de gigantesques<br />

doubles cornes de consécration en gypse.<br />

A Phaistos, le niveau de la cour occidentale fut rehaussé par un<br />

béton caillouteux qui a recouvert le dallage ancien et la partie inférieure<br />

des ruines du premier palais. <strong>La</strong> nouvelle façade a été bâtie quelques<br />

mètres en arrière de la première, à un niveau plus élevé. C’est ainsi que<br />

la cour, revêtue désormais de ce solide ciment, est devenue plus large.<br />

Quatre des marches les plus basses du large escalier, qui avaient été utilisées<br />

comme gradins de l’aire théâtrale, ont été prises dans la couche de<br />

ciment. Le mur de soutènement de la cour nord, qui constituait le fond<br />

de l’escalier du théâtre, a été refait avec plus de soin, en poros, suivant<br />

un système pseudo-isodome. Ce que le théâtre a perdu en sièges il l’a<br />

regagné - et de beaucoup - lors de la construction des deux grands<br />

escaliers, dont le premier reliait la cour nord dallée et la cour occidentale<br />

; le deuxième constituait l’accès monumental vers les propylées. Les<br />

quatre anciens dépôts circulaires ont été remblayés et une partie d’entre<br />

eux a été coupée par un nouveau mur de soutènement de la cour, vers<br />

le sud ; devant ce mur, à un niveau plus bas, on a construit quelques<br />

maisons au cours de la première phase.<br />

A Malia on a conservé l’ancienne cour occidentale - qui était<br />

dallée - après en avoir restauré le revêtement en bien des endroits, et<br />

en la reliant plus directement à la rue nord dallée, qui menait à la porte<br />

nord du palais. Là où la façade principale dessinait un rentrant, le revêtement<br />

de la cour a été complété par une couche compacte. Les rangées


Le Bronze récent en Crète 349<br />

de dalles rectangulaires qui constituaient les passages solennels de<br />

l’ancien palais, ont été conservées après quelques réparations. Enfin, à<br />

Zakro, la cour dallée initiale, qui était en pente, a été refaite sur trois<br />

niveaux successifs revêtus d’aggloméré ; il semble qu’ils communiquaient<br />

entre eux par de petits escaliers ou des rampes.<br />

Les cours occidentales devaient être ouvertes au public et contri-<br />

buaient beaucoup à resserrer les liens entre le palais et le peuple de la<br />

ville, surtout les jours de fête quand elles étaient inondées de monde.<br />

Pernier a essayé de prouver que l’agrandissement de la cour occidentale<br />

du palais de Phaistos et le revêtement spécial fait d’un ciment compact<br />

visaient à créer une aire convenable pour les jeux de taureaux. Cela ne<br />

semble évidemment pas improbable, surtout après la découverte d’une<br />

installation qui leur était destinée, juste au nord-ouest du palais de<br />

Malia.<br />

Aussi bien les cours que tout le complexe des bâtiments palatiaux<br />

avaient une orientation précise dont l’axe principal était à peu près<br />

nord-sud et l’axe secondaire ouest-est. <strong>La</strong> déclinaison par rapport au<br />

nord magnétique est aujourd’hui plus faible à Cnossos et à Phaistos,<br />

plus marquée à Malia et à Zakro, chose qui ne peut pas s’expliquer seu-<br />

lement par la précession des équinoxes. Cette orientation générale était-<br />

elle voulue par des raisons religieuses ou seulement adoptée pour des<br />

raisons pratiques ou pour mieux s’adapter au site ? I1 n’est pas facile de<br />

décider. A Zakro le nouveau palais était orienté d’une façon unitaire,<br />

tandis que dans l’ancien, une partie de l’aile orientale suivait I’orienta-<br />

tion de la route du port qui la bordait. Partout les façades occidentales<br />

étaient plus imposantes et plus rectilignes que les trois autres. Leur base<br />

était constituée de grands orthostates ou de socles de très grandes pier-<br />

res, équarries avec une grande précision. A Cnossos les orthostates<br />

étaient en gypse, posés sur deux rangs, avec un remplissage compact ;<br />

ils étaient destinés à supporter la maçonnerie et les murs en briques des<br />

étages. Le soubassement de calcaire était en saillie et formait banquette.<br />

C’est de la même façon qu’a été construite la façade occidentale du<br />

palais de Phaistos, mais celle-ci était en poros, aux pierres très bien<br />

jointes. Le poros de la façade occidentale du palais de Malia a la con-<br />

sistance du grès (ammouda), beaucoup moins résistant. Mais bien des<br />

soubassements sont en calcaire dur qu’on utilisa aussi en abondance<br />

dans la façade occidentale du palais de Zakro, sous forme de grands<br />

blocs équarris, assez bien travaillés.<br />

<strong>La</strong> position et la forme des portes principales et secondaires, placées<br />

le plus souvent aux quatre points cardinaux, ont été fixées par des<br />

besoins pratiques : caractère et situation des divers secteurs des bâti-


350 LA ClVlLISATlON ÉGÉENNE<br />

ments, rapport de ceux-ci avec les quartiers de la ville et avec les artères<br />

principales. Ainsi, dans la palais de Cnossos, l’ancienne porte orientale<br />

avait été remplacée par une autre au sud-ouest qui, à travers un magni-<br />

fique propylon et un long corridor sinueux, se dirigeant d’abord au sud<br />

puis à l’est, donnait accès à des propylées, encore plus majestueux. Ce<br />

système devait impressionner fortement les visiteurs indigènes et étran-<br />

gers, aussi bien par la succession de ses différents éléments que par la<br />

magnifique décoration dont on parlera plus loin. Ce devait être l’entrée<br />

officielle du palais. Le vaste propylon, avec sa colonne imposante, était<br />

tourné vers le nord et donnait sur la cour occidentale ; au fond,<br />

s’ouvraient une petite salle du trône, d’où le roi pouvait suivre les céré-<br />

monies, et une grande porte à double battant conduisant au long (( Cor-<br />

ridor de la procession », qui doit son nom à la très longue fresque<br />

d’une procession mais qui était sans doute effectivement utilisé pour les<br />

processions et le passage des missions officielles ; c’est pour cela que le<br />

sol était recouvert au milieu, comme d’un tapis, d’une rangée de dalles<br />

rectangulaires en gypse cristallin, tandis que le reste du sol était couvert<br />

de dalles de schiste vert aux joints de stuc rouge. Le corridor n’a pas<br />

été sauvé en entier, mais nous savons très bien quel était son trajet<br />

jusqu’à la cour centrale, qu’il atteignait après un autre détour. Le corri-<br />

dor originel était plus étroit mais dans la deuxième phase on l’élargit, et<br />

c’est dans la dernière qu’il reçut sa décoration de fresques dont une<br />

partie a été conservée. De la branche sud du corridor on accédait aux<br />

propylées majestueux, où étaient reçus les visiteurs officiels, où pas-<br />

saient les processions, etc., et qui servaient d’accès au piano nobile, aux<br />

appartements officiels de l’étage ou des étages supérieurs. <strong>La</strong> fresque de<br />

la procession continuait dans les deux parties des propylées, sur des<br />

registres superposés. Deux colonnes très hautes flanquaient le mur de<br />

séparation pourvu d’une grande ouverture de passage. C’est exactement<br />

le type qu’on verra évoluer dans les propylées mycéniens et grecs. Mais<br />

même à l’époque néopalatiale il y a eu des changements ; les vastes<br />

propylées sont devenus plus étroits dans la phase suivante tout en gar-<br />

dant la même forme, et ils ont été décorés, dans la dernière phase, de<br />

la fresque de la procession. A l’époque post-palatiale, lors de la réoc-<br />

cupation partielle, ils ont été utilisés pour l’emmagasinage de produits<br />

dans des jarres placées le long des murs. Au fond, un large escalier,<br />

avec, semble-t-il, des portiques intérieurs sur les côtés, menait aux éta-<br />

ges supérieurs. A époque hellénique les pierres de taille ont été démon-<br />

tées pour construire un grand bâtiment rectangulaire qui, selon Evans,<br />

était le temple de Rhéa. Des vestiges en ont été trouvés à côté du grand<br />

escalier détruit. Au bout du long corridor, vers la cour centrale, la fres-


Le Bronze réceni en Crète 35 1<br />

que, bien éclairée par un puits de lumière spécial, prenait du relief :<br />

c’est à celle-ci qu’appartient le célèbre (( Prince aux fleurs de lys )) ou<br />

(( Roi-prêtre )) d’Evans.<br />

Une autre entrée majestueuse n’a dû être utilisée que dans la première<br />

phase néopalatiale ; elle se trouvait exactement à l’angle sud-ouest du<br />

palais, peut-être juste à l’extérieur de l’angle formé par le premier corri-<br />

dor de la procession. On a trouvé quelques fragments sculptés des<br />

chambranles, mais Evans a réussi à mettre au jour bien des vestiges du<br />

long portique d’ascension - bien sûr, à l’état de fondations pour la<br />

plupart - qui, après le grand viaduc, montait vers cette porte. Le<br />

Stepped Portico, comme l’a nommé le fouilleur, bordait I’embranche-<br />

ment de la route qui montait vers le palais. II s’agissait, en réalité, d’un<br />

portique à degrés, lequel, avec deux angles, grimpait vers la porte ; la<br />

place des colonnes a été déterminée par leurs fondations renforcées,<br />

imbriquées parmi les autres fondations. Cette porte, avec le portique à<br />

degrés, a été supprimée à la fin de la première phase, quand il a paru<br />

nécessaire de construire dans une partie de cet espace la Maison sud du<br />

grand prêtre. A une courte distance, au milieu de la façade sud qui se<br />

distinguait par ses longues vérandas à l’étage, se trouvait la porte sud,<br />

plus petite et moins imposante que les autres ; elle devait plutôt être<br />

une porte de service, d’après Evans. A travers un petit vestibule avec un<br />

poste de garde en saillie, on atteignait l’angle du portique d’en bas, et<br />

un escalier intérieur menait au niveau du corridor supérieur qui consti-<br />

tuait l’extrémité du Corridor de la procession ».<br />

L’entrée nord était la plus sévèrement contrôlée, peut-être parce que<br />

c’était celle du port. C’est vraiment là qu’aboutissait la route du port,<br />

dont l’embranchement est resté connu sous le nom de (( Route royale D.<br />

Elle dessinait une sorte de dipylon qui était surveillé des deux côtés par<br />

deux petites tours avec des salles pour les corps de gardes, on I’attei-<br />

gnait de l’ouest ; après le dipylon on se trouvait dans une vaste salle<br />

hypostyle - avec dix piliers - qu’Evans a Caractérisée comme étant le<br />

(( contrôle de douane >) ; il entendait par 18 qu’on y vérifiait les mar-<br />

chandises et qu’on les y stockait peut-être provisoirement, avant de les<br />

répartir dans les divers magasins et ateliers. De cette pièce les visiteurs<br />

pouvaient aller vers la cour centrale, utilisant un passage découvert,<br />

contrôlé par un double rang de petits bastions, dont la partie supérieure<br />

était arrangée, d’après les indices que nous possédons, en vérandas,<br />

décorées de fresques en relief ; l’une d’elles est la fresque de la capture<br />

du taureau. De cette même salle hypostyle, par une autre porte, après<br />

avoir traversé des vestibules et des corridors, on atteignait les apparte-<br />

ments de service.


352 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

L’entrée orientale était une porte plutôt petite et desservait l’accès le<br />

plus direct de la région de la rivière - le Kairatos - et de la villa<br />

royale qui s’y trouvait. Un corridor à degrés descendait vers un petit<br />

bastion que l’on traversait par un escalier en colimaçon ; une succession<br />

de petits éperons servait à surveiller et contrôler ce côté est, qui était<br />

fermé par un mur d’enceinte continu, plusieurs fois réparé après chaque<br />

séisme. Un système de canalisations, qui suivait les escaliers, desservait<br />

les laveries du palais qui se trouvaient, semble-t-il, juste à l’extérieur de<br />

la petite porte. Peut-être existait-il d’autres issues dans le secteur des<br />

appartements royaux, qui menaient à la région sud-est.<br />

Dans le palais de Phaistos, la porte principale était à l’ouest ; elle se<br />

trouvait dans le rentrant après le grand escalier et la belle façade du<br />

secteur des magasins ; une grande porte double menait à un vestibule<br />

et, de là, à un large corridor - dallé comme le vestibule - qui, après<br />

une autre porte double, conduisait directement à la cour centrale. Dans<br />

la deuxième ou la troisième et dernière phase, on a ajouté, peut-être<br />

pour imiter Cnossos, une autre entrée, conduisant vers le sud-est : seu-<br />

les les fondations des murs extérieurs sont conservées mais on en com-<br />

prend facilement la disposition : après un petit propylon, un long corri-<br />

dor contournait, comme à Cnossos, l’angle sud-ouest de la façade origi-<br />

nelle ; le dernier tronçon de ce corridor, qu’on pourrait appeler N Corri-<br />

dor de la procession )), s’élargissait avant d’atteindre la grande porte,<br />

qui donnait directement sur la cour centrale. Trois pièces et une<br />

véranda ont été ajoutées à l’extérieur de la partie sud du corridor. Nous<br />

sommes très mal renseignés sur les autres portes du palais. Celle du<br />

nord était peut-être à côté des appartements royaux et se trouvait, d’une<br />

certaine manière, en relation avec le corridor qui menait à la cour inté-<br />

rieure nord et de là, par le corridor central, à la grande cour. Une autre<br />

petite porte desservait le secteur nord-est, remblayé après la première<br />

phase ; il semble qu’il ne soit resté pour desservir les pièces de service et<br />

les ateliers que le passage principal constitué d’un péristyle - alternance<br />

de colonnes et de piliers - et d’un petit escalier qui menait à la cour<br />

du fourneau métallurgique. Maintenant qu’est détruite la plus grande<br />

partie de l’aile orientale, il serait difficile de dire où était la porte est,<br />

qui devait exister puisqu’un important secteur de la ville s’étendait sur<br />

le versant sud-est.<br />

A Malia, il ne semble pas qu’il y ait eu à l’origine une porte à<br />

l’ouest : la façade ne présentait pas de solution de continuité. Plus tard<br />

une petite porte a été percée pour desservir plus facilement la région des<br />

magasins. Mais c’est au nord que se trouvait la porte principale, là où<br />

se terminait la route du port. Comme à Cnossos, il s’agissait d’une


Le Bronze récent en Crète 353<br />

sorte de dipylon, avec des seuils solides pour chaque porte qui se trou-<br />

vait, en fait, à angle droit de chaque côté du vestibule d’entrée ; de là<br />

on atteignait la cour à demi-péristyle du nord et, à travers un autre cor-<br />

ridor, la cour centrale. <strong>La</strong> porte orientale n’était pas imposante ; elle ne<br />

comportait pas non plus de dispositions particulières : la porte exté-<br />

rieure menait, par un passage simple mais assez large, à la cour cen-<br />

trale. A l’extérieur de la porte partaient les routes qui conduisaient à<br />

une partie importante de la ville. <strong>La</strong> porte sud était beaucoup mieux<br />

organisée ; c’était une sorte de dipylon renfermant un large et assez<br />

long couloir dallé, avec des ouvertures latérales qui permettaient un<br />

accès direct aux quartiers voisins.<br />

Dans le palais de Zakro il n’y avait pas de porte occidentale, car la<br />

façade ouest était ininterrompue. Mais plus au sud, il existait un accès<br />

vers le quartier sud puisque c’est ici qu’aboutissaient, de trois points<br />

différents, dans un couloir commun, les accès à la cour centrale. Toute-<br />

fois, la fouille n’a pas encore assez avancé pour qu’on puisse voir s’il<br />

existait des portes dans cette direction, pas plus qu’à l’est où l’on ren-<br />

contre à nouveau un corridor qui conduisait finalement à la cour cen-<br />

trale. Mais la porte principale, assez bien conservée, est au nord-est ; la<br />

route du port y menait directement, par un trajet oblique. <strong>La</strong> porte<br />

avec son large passage, couvert sans aucun doute, en forme de rampe à<br />

quatre plans inclinés, donnait dans la cour intérieure nord-est ; de là on<br />

accédait aux différents quartiers de l’aile orientale et, à travers ceux-ci,<br />

à la cour centrale.<br />

En général les portes étaient disposées de façon à répondre au mieux<br />

aux diverses destinations du palais, centre principal de la vie, et elles<br />

ont indubitablement joué un rôle prépondérant. Dans certains cas, elles<br />

étaient en relation avec des lieux de réception - comme à Cnossos avec<br />

les propylées, qui malgré leur nom ne constituaient pas seulement une<br />

partie de la porte, mais de tout le système d’entrée et du lieu de récep-<br />

tion. C’est ainsi qu’on pourrait expliquer, plus justement sans doute, la<br />

disposition particulière du palais de Phaistos que certains - dont les<br />

fouilleurs - ont appelé a mégaron H : un large escalier de presque qua-<br />

torze mètres menait à un vaste perron et à un porche, ou mieux à un<br />

hall ouvert avec une très haute colonne ; la grande porte menait à<br />

l’intérieur, dans un appartement divisé en deux parties inégales par une<br />

rangée de trois colonnes. Là, des portes donnaient dans toutes les direc-<br />

tions et, en gros, on a l’impression qu’il s’agit d’une sorte de propylée<br />

- peut-être en relation avec une pièce de réception - plutôt que d’un<br />

mégaron. On peut admettre que l’espace intérieur, plus vaste, était un<br />

puits de lumière, mais cette dernière hypothèse n’est pas obligatoire,


354 LA CIVILISATION ÉGBENNE<br />

puisque l’appartement, même quand les portes étaient fermées - lors<br />

des réceptions elles devaient être ouvertes - était convenablement<br />

éclairé par les impostes au-dessus des portes. L’ensemble, certes, devait<br />

être grandiose.<br />

<strong>La</strong> distribution des appartements<br />

C’est Evans qui, le premier, a déterminé la nature et le caractère des<br />

différents secteurs d’un palais minoen ; il a essayé de le faire pour le<br />

palais de Cnossos, au début d’une manière vague, et, progressivement,<br />

avec de plus en plus de précision, faisant des rapprochements de temps<br />

en temps avec les autres palais. Les fouilleurs des centres palatiaux ont<br />

suivi Evans sur bien des points ; parfois ils se sont contentés d’une sim-<br />

ple description, d’énumérations et de généralités. Aujourd’hui, sur la<br />

base de comparaisons et en résumant les conclusions de nombreux fouil-<br />

leurs et chercheurs, nous sommes en mesure d’avancer des acceptions<br />

plus positives. On peut considérer comme certain que les différents sec-<br />

teurs du palais avaient une destination particulière et que la situation,<br />

l’étendue, la forme précise des appartements de chacun de ces secteurs<br />

étaient fonction de leur utilisation et, autant que possible, d’une meil-<br />

leure adaptation aux conditions locales. Quelques points nous échap-<br />

pent : pourquoi les sanctuaires principaux se trouvaient-ils toujours dans<br />

l’aile occidentale ? Pourquoi des pièces de forme particulière, très cou-<br />

rantes dans certains palais, faisaient-elles défaut ou prenaient-elles une<br />

forme différente dans d’autres ? En gros les analogies sont quand même<br />

très étroites et cela nous aide dans l’interprétation d’ensemble, surtout<br />

lorsque certaines pièces ont donné des objets qui suggèrent ou apportent<br />

des preuves sur leur usage, et qui nous manquent dans les autres. Par-<br />

tout on retrouve le quartier des appartements du sanctuaire central, les<br />

lieux où se préparaient et se déroulaient les cérémonies, les trésors, les<br />

archives et les dépôts, les sacristies ; puis les magasins formant des<br />

systèmes, dont une partie se relie aux sanctuaires auxquels ils appartien-<br />

nent, d’autres étant en rapport avec les ateliers ou avec les quartiers de<br />

service. On rencontre ensuite les appartements royaux avec leurs<br />

annexes destinées aux besoins de la famille royale ; divers ateliers, des<br />

pièces de service ; enfin les pièces royales officielles, celles qu’on pour-<br />

rait justement appeler salles du trône. I1 faut encore ajouter les édifices<br />

qui constituaient des annexes ou des dépendances des palais, et qui se<br />

trouvaient dans leur voisignage immédiat. Nous devons rappeler que<br />

malgré les indices ou les preuves qui peuvent exister sur la destination


Le Bronze récent en Crète 355<br />

des différents quartiers des palais, bien des fouilleurs ont évité, jusqu’à<br />

la fin, de désigner les appartements autrement que par des numéros ou<br />

des termes purement conventionnels, ce qui nous tient plus éloignés de<br />

la réalité historique que des désignations fonctionnelles dont quelques-<br />

unes ne sont pas absolument certaines.<br />

Les sanctuaires et leurs appartements<br />

Evans avait affirmé que toute l’aile occidentale du palais de Cnossos<br />

-et sans aucun doute aussi des autres palais - était consacrée au<br />

culte, et cette affirmation ne nous semble pas aujourd’hui exagérée.<br />

C’est la raison pour laquelle elle avait une entrée séparée, bien que la<br />

grande porte nord se trouvât juste à côté. Près du vestibule, il y avait<br />

un enclos avec un bassin lustral ; installation spécifique, de laquelle un<br />

escalier, flanqué d’un parapet à colonnes, menait à un sous-sol dallé en<br />

contrebas où devait se faire la purification religieuse, comme on pré-<br />

sume, par aspersion d’eau bénite. Mais le cœur du sanctuaire était<br />

occupé de petites pièces, de cryptes avec des piliers quadrangulaires au<br />

milieu, qui portaient souvent, gravé sur chacune des faces, le symbole<br />

de la double hache ; des petits bassins encastrés dans le sol dallé ou une<br />

dépression centrale du dallage servaient très probablement à recevoir les<br />

offrandes, sanglantes ou non, faites à la divinité. L’examen comparatif<br />

de pièces semblables à Cnossos et dans les autres centres minoens<br />

confirme leur usage cultuel, puisqu’on y a retrouvé des restes de sacrifi-<br />

ces, de nombreux ustensiles rituels, des symboles ou des figurines, et<br />

puisque presque partout ont été confirmés leurs rapports avec d’autres<br />

appartements indubitablement liés au culte. A Cnossos en particulier,<br />

juste au-dessus des deux cryptes, il y avait une pièce à trois colonnes,<br />

qui a été identifiée, grâce à des fresques, comme le sanctuaire central.<br />

A côté de cette pièce on a mis au jour la petite chambre du trésor -<br />

des vestiges seulement - de laquelle étaient tombés et s’étaient éparpil-<br />

lés au rez-de-chaussée de nombreux ustensibles rituels, parmi lesquels le<br />

célèbre (( rhyton de la lionne )) en marbre. A côté des cryptes, au rez-de-<br />

chaussée, on a mis au jour des sacristies avec des auges destinées à la<br />

préparation des pâtés et des gâteaux qui étaient offerts à la divinité.<br />

Evans a appelé Vat Room l’une de ces pièces. Juste à côté du vestibule<br />

des cryptes, on a découvert les dépôts d’objets liturgiques, des figurines<br />

et des symboles du sanctuaire - Temple Repositories comme les a<br />

appelés Evans. Ceux de la première phase - plutôt de la seconde -<br />

étaient des coffres construits en pierre de taille, encastrés dans le sol, et


356 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

dans lesquels, sur des étagères en bois -on distingue les trous de<br />

fixation - étaient rangés les objets précieux du sanctuaire, qu’on étu-<br />

diera ailleurs. Dans la dernière phase ils avaient été remblayés et, à leur<br />

place, on avait construit d’autres coffres avec des plaques de gypse,<br />

beaucoup plus petits. <strong>La</strong> façade de tout ce système donnait sur la cour<br />

centrale et avait la forme - Evans l’a confirmé à partir des traces con-<br />

servées sur le stylobate et avec l’aide des représentations sur les<br />

fresques - d’un sanctuaire tripartite, la partie centrale étant plus élevée<br />

que les deux ailes à colonnades ; les représentations des fresques de ce<br />

sanctuaire attestent qu’il avait été couronné de doubles cornes sacrées<br />

qui se retrouvaient également dans les ouvertures avec les colonnes des<br />

ailes. Les dépôts du sanctuaire, dans les phases les plus anciennes,<br />

s’étendaient plus au nord, puisqu’on en a retrouvé des vestiges sous le<br />

majestueux escalier central qui date de la troisième phase.<br />

Encore plus au nord, on a mis au jour un autre ensemble de pièces<br />

sacrées, connu sous le nom (( Complexe de la Salle du trône ». Dans la<br />

dernière phase du palais, il a remplacé un vieux complexe dont la forme<br />

originelle demeure inconnue. Sa façade, donnant sur la cour centrale,<br />

était composée d’un (( polythyron )) qui ouvrait sur un vestibule avec<br />

des banquettes de pierre, et peut-être un trône en bois au milieu de<br />

celles-ci. Le vestibule devait servir à la préparation des cérémonies qui<br />

se déroulaient à l’intérieur ; c’est la raison pour laquelle Evans a placé<br />

au centre le grand bassin en porphyrite qui a été trouvé dans le corridor<br />

extérieur voisin. <strong>La</strong> pièce principale - celle qui a été appelée Salle du<br />

trône - n’était qu’une partie du sanctuaire du palais ; cela est clair par<br />

sa disposition, sa décoration et les objets qui y ont été trouvés, aussi<br />

bien que par les rapports qu’elle avait avec d’autres pièces dont l’usage<br />

rituel est évident. <strong>La</strong> salle n’est ni grande ni imposante ; elle n’est éclai-<br />

rée qu’indirectement, par une lanterne à ouvertures latérales de la pièce<br />

correspondante à l’étage, et la couleur qui dominait sur les murs et sur<br />

le sol même était le rouge. Au milieu du mur nord, on voyait le trône<br />

fait en gypse d’excellente qualité, semblable à l’albâtre, au milieu de<br />

banquettes de pierre adossées aux murs et qui se poursuivaient devant le<br />

parapet à colonnes qui séparait cette salle de l’installation voisine d’un<br />

bassin lustral. Le trône est exquisement sculpté, le dossier montrant un<br />

contour ondulé, le siège des cavités parfaitement adaptées au corps de<br />

la personne assise et des belles rayures sculptées s’épanouissant et bour-<br />

geonnant avec souplesse. Spontanément le visiteur imagine le roi-prêtre<br />

(ou la reine-prêtresse ?) assis au milieu de son clergé, prenant part aux<br />

cérémonies dans lesquelles la lustration constituait nécessairement un<br />

acte préparatoire ou une expiation obligatoire. Le pavement consistait


Le Bronze récent en Crète 357<br />

en grandes dalles rectangulaires, ayant au milieu une sorte de mosaïque<br />

de dalles de calcaire noir, jointes par du stuc rouge. Sur ce sol on a<br />

trouvé des alabastres de gypse cristallin destinés à l’onction sacrée, et<br />

d’autres ustensiles rituels qui, comme l’a cru Evans, ont dû servir à la<br />

dernière cérémonie, celle qui se déroulait au moment de la catastrophe.<br />

De part et d’autre du trône, deux griffons antithétiques étaient représen-<br />

tés en fresque. Une petite niche dans le mur abritait des restes d’objets<br />

en matières précieuses. Au fond, une porte ouvrait sur de petites pièces,<br />

toutes destinées aux besoins secondaires du cuite : une pièce avec une<br />

niche dans le fond pour les idoles et les symboles divins, d’autres avec<br />

des autels, fixes ou mobiles, une en forme de tympan circulaire, une<br />

autre plus petite avec des doubles cornes et des doubles haches sculptées<br />

sur ses quatre côtés ; enfin une petite pièce, tout à fait isolée, était<br />

pourvue d’un siège bas ayant devant lui, encastrée dans le sol, une table<br />

avec des cavités, peut-être pour façonner des pâtés-offrandes.<br />

C’est le complexe des magasins qui détermine le caractère essentiel de<br />

l’aile occidentale ; il appartenait, lui aussi, au sanctuaire, et était destiné<br />

à abriter les prémices offerts à la divinité et les autres offrandes des<br />

habitants de la ville aussi bien que des autres adorants. Aujourd’hui,<br />

nous tendons à accepter cette hypothèse, fondée en grande partie sur les<br />

données des fouilles les plus récentes, et surtout sur celles de Zakro. A<br />

Cnossos, le complexe de vingt-deux magasins alignés les uns à la suite<br />

des autres, tous accessibles par un corridor commun, est directement<br />

relié aux cryptes, sans qu’une porte les en sépare ; tout se passe comme<br />

si ces magasins se trouvaient sous le contrôle de la divinité ; cette idée<br />

semble être confirmée par les doubles haches, les nombreux symboles -<br />

épi, étoile, croix inscrite dans un carré ou croix potencée - et les bases<br />

pyramidales qui ont été trouvées dans le corridor et sur lesquelles se<br />

dressaient, jadis, les véritables doubles haches en bronze sur une tige de<br />

bois. Ce système de magasins alliait la sécurité des produits à la garde<br />

des trésors, déposés dans des coffres souterrains, encastrés dans le sol<br />

sous le dallage du corridor, et qui étaient assez semblables aux cryptes<br />

du trésor du sanctuaire ; le système initial de conservation des prémices<br />

était fait de coffres souterrains construits en dalles ajustées qui se trou-<br />

vaient sous les sols de seize magasins. Dans une seconde phase, une<br />

partie du complexe a été isolée par des cloisons dans le corridor et<br />

constituait une enclave - I>(< Enclave )) d’Evans -, sous la surveillance<br />

d’un garde spécial, sans aucun doute pour qu’il soit ainsi davantage en<br />

sécurité et qu’il puisse être contrôlé plus directement à partir du sanc-<br />

tuaire. Un petit escalier de service, à l’extrémité orientale de l’enclave<br />

du corridor, menait au corridor de l’étage dans lequel s’ouvrait toute


358 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

ute rangée de vastes salles à colonnes, supports intérieurs dont la posi-<br />

tion était déterminée par les socles particuliers ou l’épaississement des<br />

murs du rez-de-chaussée, sur lesquels ils reposaient. Evans a très juste-<br />

ment reconnu que ces salles étaient destinées à des cérémonies sacrées,<br />

puisqu’elles étaient en relation directe avec les pièces du sanctuaire de<br />

l’étage et que leur décoration murale - offrandes, sanctuaire tripartite,<br />

foules rassemblées, hiérogamie, etc. - se rapportait à ces cérémonies<br />

sacrées. L’une des deux salles avait six colonnes, disposées sur deux<br />

rangs, l’autre, carrée, n’en avait que deux. Un escalier particulier per-<br />

mettait d’y accéder directement depuis la cour occidentale ; il menait à<br />

un vestibule et à une porte, dont les pierres du chambranle et de la frise<br />

étaient, semble-t-il, sculptées. L’escalier central, de l’autre côté, assurait<br />

la communication avec la cour centrale ; une grande colonne, enfoncée<br />

dans les premières marches, soutenait l’étage qu’on atteignait par un<br />

escalier plus petit prolongeant le grand. L’ensemble des pièces du sanc-<br />

tuaire devait être grandiose de l’extérieur et remarquablement bien arti-<br />

culé à l’intérieur. Mais le sanctuaire s’étendait, semble-t-il, égaiement<br />

dans le secteur nord-ouest, celui qui se trouvait entre les deux portes<br />

nord et le corridor qui menait aux pièces du sanctuaire principal. Evans<br />

est arrivé à cette conclusion après avoir mis au jour de nombreux usten-<br />

siles rituels et surtout des fresques représentant des cérémonies ; c’est,<br />

en effet, des pièces de ce secteur que proviennent les fresques de la<br />

Scène du sanctuaire et de la Fête dans le bois sacré. <strong>La</strong> fresque du<br />

Singe cueilleur des crocus et la fresque à relief du Réseau de spires,<br />

piqueté de rosaces comme des astres, qui provient du plafond de la salle<br />

proche du passage nord, semblent avoir aussi un caractère religieux. Les<br />

conclusions d’Evans quant au caractère et à l’articulation des pièces du<br />

sanctuaire de l’aile occidentale du palais de Cnossos ont été confirmées<br />

par l’observation d’éléments analogues découverts dans les autres palais,<br />

et surtout dans celui de Zakro, où le matériel, qui n’a pas été pillé, a<br />

permis une meilleure compréhension.<br />

Dans le palais de Phaistos, juste au sud du corridor central de<br />

l’entrée, on a un ensemble de pièces à caractère indubitablement reli-<br />

gieux : on retrouve la crypte avec les piliers quadrangulaires - dont le<br />

sol a été surélevé dans une phase postérieure -, la pièce avec la table<br />

encastrée dans le sol destinée à la préparation des pâtés-offrandes, et<br />

des banquettes tout autour, les pièces principales du sanctuaire, quatre<br />

au total, avec des banquettes, d’innombrables ustensiles religieux et des<br />

figurines, le bassin lustral avec son vestibule, assez comparable à celui<br />

de Cnossos, toute une série d’autres pièces, les unes près des autres,<br />

dont il est très probable qu’elle constituaient la sacristie, le trésor et les


Le Bronze récent en Crète 359<br />

archives, malheureusement trouvées en mauvais état et totalement pil-<br />

lées ; un lieu de repos, pourvu d’une banquette décorée d’une sorte de<br />

triglyphes et de métopes ouvrait sur la cour centrale.<br />

Le complexe au nord du couloir d’entrée vers les magasins présentait<br />

des ressemblances avec les magasins du sanctuaire du palais de Cnos-<br />

sos ; la seule différence est que les magasins ouvraient des deux côtés<br />

du corridor centrai qui n’était pas aussi long qu’à Cnossos. Les pro-<br />

duits étaient conservés dans des pithoi ; des vases collecteurs disposés<br />

dans le sol recueillaient automatiquement l’huile qui s’échappait lors du<br />

transvasement. On entrait dans les magasins en traversant une belle salle<br />

entièrement revêtue de dalles de gypse cristallin, toutes blanches, avec<br />

deux colonnes comme supports intérieurs et une colonne de section<br />

ellipsoïdale entre des piliers rectangulaires en façade ; cette salle com-<br />

muniquait par un escalier, à la fois avec les grands propylées - la salle<br />

du trône - et les grandes salles, au-dessus du complexe des magasins,<br />

dont nous pouvons reconstituer la forme précise d’après les supports et<br />

le renforcement des murs du rez-de-chaussée, exactement comme à<br />

Cnossos. Les parallèles cnossiens aussi bien que toutes les dépendances<br />

montrent clairement que ce complexe faisait partie du sanctuaire.<br />

Au palais de Malia la distribution ne différait pas essentiellement. Les<br />

ressemblances avec Cnossos sont même encore plus grandes. Un long<br />

couloir sépare en deux l’aile occidentale. Les pièces qui se trouvaient<br />

vers la cour centrale constituaient le sanctuaire principal et ses dépen-<br />

dances : la crypte avec ses piliers quadrangulaires et, gravés dessus, les<br />

symboles de la double hache, des étoiles et du trident ; les pièces<br />

annexes de la sacristie, où l’on a mis au jour des restes de sacrifices et<br />

d’offrandes ; plus au nord, après un escalier central, comme à Cnossos,<br />

la salle du trône - la (( loggia H des fouilleurs français -, pièce relati-<br />

vement petite, accessible par un escalier de quatre marches, avec un<br />

support central, et sur le dallage de laquelle on semble distinguer la<br />

base d’un trône, derrière une autre base (probablement celle d’un petit<br />

autel) ; cette salle se trouve exactement placée comme la Salle du trône<br />

de Cnossos, et son caractère cultuel a été confirmé par la découverte,<br />

juste derrière, des insignia dignitatis du roi-prêtre, c’est-à-dire l’épée<br />

d’apparat du roi et la tête du sceptre royal, en schiste, sculptée en<br />

forme de léopard, dont la partie arrière formait une hache. Les pièces<br />

voisines correspondent aux appartements intérieurs du complexe du<br />

trône à Cnossos ; l’une d’entre elles a un sol abaissé et, tout autour,<br />

contre les murs, des banquettes.<br />

Le corridor qui sépare l’aile occidentale en deux dans le sens nord-<br />

sud correspond à celui de Cnossos : c’est sur celui-ci qu’ouvraient les


360 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

magasins ouest qui, ici aussi, doivent être considérés comme les maga-<br />

sins du sanctuaire, aussi bien en raison des liens étroits qu’ils ont avec<br />

lui que par les symboles gravés sur les murs ; les pithoi n’ont pas été<br />

trouvés en place, au contraire de Cnossos ; certaines parties des maga-<br />

sins avaient été complètement calcinées lors de l’incendie final. Le<br />

renforcement de certains murs, les supports particuliers par endroits,<br />

montrent clairement qu’ici aussi il Y avait de grandes pièces aux étages<br />

supérieurs, très probablement réservées aux cérémonies religieuses ; cela est<br />

clair par le fait que ces appartements étaient accessibles par deux esca-<br />

liers, celui du centre entre les cryptes et la salle du trône, et l’autre,<br />

beaucoup plus large et grandiose, non loin de l’angle sud-ouest de la<br />

cour centrale. Dans un angle de ce dernier il y avait un rentrant dallé<br />

avec une banquette et, devant celle-ci, encastrée dans le sol, une table<br />

d’offrandes du type kernos, circulaire, avec trente-trois petites cupules<br />

autour d’une cavité centrale, destinée à la panspermia. Des dallages par-<br />

tiels dans ia cour centrale, disposés un peu en oblique - peut-être<br />

orientés vers un sanctuaire en dehors du palais - ont été trouvés<br />

devant la salle du trône et le large escalier ; peut-être étaient-ils utilisés<br />

lors des cérémonies, puisqu’on a mis au jour, à côté de l’un d’entre<br />

eux, un bétyle sphérique avec une cavité sur le dessus pour l’huile<br />

sacrée, si tant est qu’une telle interprétation puisse se défendre. En<br />

général, ici aussi, on a l’impression que l’ensemble de l’aile occidentale<br />

servait au cuite. Les remaniements qui ont eu lieu dans les magasins par<br />

l’isolement (peut-être dans la phase finale) de certaines parties d’entre<br />

eux, en ajoutant des cloisons de briques aux extrémités du long corri-<br />

dor, correspondent exactement à ceux qui ont été réalisés à Cnossos, en<br />

vue d’une amélioration du contrôle de la part du sanctuaire central. Ce<br />

point de vue devient plus soutenable du fait que tout le secteur sud de<br />

l’aile occidentale qui borde la porte sud était un sanctuaire directement<br />

accessible de l’extérieur, et peut-être pour cette raison à usage public ;<br />

dans l’une des pièces principales qui comportait une cloison isolant une<br />

sorte d’adyton - partie inaccessible aux profanes -, on a retrouvé un<br />

petit autel mobile et des ustensiles rituels, ainsi que deux ex-voto de<br />

terre cuite en forme de pied.<br />

Dans aucun autre palais minoen que Zakro on ne voit plus clairement<br />

l’usage exclusivement cultuel des appartements de l’aile occidentale ;<br />

l’équipement y a été trouvé à la place où il était au moment de la catas-<br />

trophe finale. De la cour centrale, exactement en face de l’autel carré<br />

dont est conservé le socle en poros, on accédait, par une porte à grand<br />

seuil monolithe, au vestibule du sanctuaire ; derrière la cloison d’angle,<br />

faite en poros, avec la double hache maintes fois gravée, il y avait


Le Bronze récent en Crète 36 1<br />

l’escalier qui menait aux appartements de l’étage. On arrivait dans la<br />

salle d’attente, à l’origine pourvue de banquettes contre le mur ; le sol<br />

était fait d’un cailloutis aggloméré et poli et, au centre, d’un tapis rec-<br />

tangulaire de tuiles rouges.<br />

C’est à partir de cette piece qu’on accédait aux appartements du sanc-<br />

tuaire : d’abord quatre pièces avec des dépôts construits ou des armoi-<br />

res en bois, qu’on utilisait pour déposer des objets périssables inconnus<br />

et de grandes quantités de vases en terre cuite, petits le plus souvent, au<br />

décor caractéristique marin ou végétal ; un petit escalier de service con-<br />

duisait aux pièces correspondantes qui se trouvaient à l’étage ; on les<br />

utilisait également pour emmagasiner des ustensiles et des matières pre-<br />

mières ; de ces ustensiles un bon nombre sont d’un usage rituel mani-<br />

feste : des réchauds hauts à cloison cruciforme, des vases en forme de<br />

seaux avec des anses en huit et une cloison perforée, des amphores à<br />

quatre anses au décor varié, en partie religieux, etc. ; six lingots de cui-<br />

vre, semblables à ceux qui ont été trouvés dans le trésor du sanctuaire<br />

de la villa royale d’Haghia Triada, en même temps que trois grandes<br />

défenses d’éléphants de provenance syrienne, sont tombés d’un magasin<br />

situé à l’étage, et se sont entassés sur le sol du rez-de-chaussée.<br />

Juste a côté des offices où étaient serrés les ustensiles de terre cuite<br />

du sanctuaire, on a découvert des archives : dans des niches spéciales<br />

rectangulaires, équipées d’étagères en bois, étaient conservées, dans des<br />

boîtes également en bois, des tablettes d’argile, inscrites en Linéaire A ;<br />

très peu de ces nombreuses tablettes ont été sauvées, seulement celles<br />

qui ont été cuites lors de l’incendie de la destruction du palais. Elles<br />

avaient trait - comme l’ont montré les idéogrammes - aux affaires et<br />

à l’équipement du culte. Un petit corridor menait aux dépôts du sanc-<br />

tuaire ; c’est là qu’étaient déposés, séparés par des cloisons de briques,<br />

les ustensiles en terre cuite et en bronze du sanctuaire, ainsi qu’une<br />

table en pierre à pied haut. Au centre du sanctuaire, on avait la princi-<br />

pale pièce du culte, avec un banc élevé à l’intérieur d’une niche et un<br />

autre, normal, comme siège pour le prêtre ou l’adorant ; même si on<br />

n’a pas trouvé de figurines ni de symboles en place sur l’autel, on a<br />

cependant découvert toute une série de rhytons en terre cuite qui<br />

avaient servi aux libations. Juste à côté du sanctuaire il y avait le bassin<br />

lustral, tout à fait du type de ceux de Cnossos et de Phaistos, avec un<br />

escalier pourvu d’un parapet à colonnes, qui descendait dans un espace<br />

destiné à la préparation du rite de la purification. C’est peut-être à un<br />

but analogue que répondait la salle située au-dessus de ce bassin, car<br />

c’est de celle-ci que sont tombés de nombreux ustensiles en terre cuite et


362 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

en pierre, parmi lesquels l’exquise amphore de marbre à embouchure<br />

double avec les grandes anses torsadées en forme de huit ; ce vase,<br />

indubitablement rituel était, comme le montrent des représentations, uti-<br />

lisé dans le rite de régénérescence de la végétation. Juste au sud de ce<br />

complexe, on a mis au jour, accessibles par un petit corridor particulier,<br />

trois appartements qui, sans aucun doute, faisaient partie du sanc-<br />

tuaire : un atelier d’objets en stéatite, en pierre cristalline rouge, et<br />

peut-être aussi en cristal de roche et faïence, à l’intérieur duquel on a<br />

découvert quantité de matières premières et d’objets fabriqués de carac-<br />

tère sacré ; un magasin renfermant dix-huit jarres, pourvu d’un système<br />

de vases collecteurs ; enfin le trésor du sanctuaire. Ce dernier avait<br />

encore tout son équipement déposé dans huit coffres construits avec des<br />

cloisons en briques ; ces ustensiles nous renseignent sur le caractère de<br />

la pièce, c’était un trésor du sanctuaire : il s’agissait d’ustensiles rituels<br />

- rhytons, cruches à libations, calices de la sainte communion, béni-<br />

tiers, vases, offrandes, lampes, etc. - la plupart faits de pierres pré-<br />

cieuses et semi-précieuses et exquisement travaillés. Parmi eux un<br />

rhyton en cristal de roche, des ustensiles rituels de forme plastique en<br />

faïence, divers symboles religieux : doubles haches en bronze (l’une<br />

d’elles superbe par sa décoration florale), des maillets sacrés en marbre,<br />

etc.<br />

C’est dans la partie est de l’aile bordant la cour centrale qu’ouvraient<br />

les principales salles de fêtes, celle qui, dans les autres palais, étaient à<br />

l’étage. <strong>La</strong> plus grande d’entre elles, douze mètres sur dix, avait un<br />

puits de lumière à colonnes, un (< polythyron )) qui occupait un quart de<br />

l’espace total, et une colonnade divisant le reste en deux nefs ; les sols<br />

étaient faits d’une matière synthétique inconnue, brillante semble-t-il, et<br />

divisés en compartiments par des joints d’un stuc à surface rouge ; ces<br />

joints formaient des dessins -méandres ou carrés se succédant. De<br />

nombreux outils de bronze ont été trouvés sur le sol de la pièce, aussi<br />

bien que dans le corridor angulaire voisin et sur les degrés de l’escalier<br />

du bassin lustral ; une partie d’entre eux étaient tombés de la pièce de<br />

l’étage et d’un petit magasin d’outils particulier. C’est de la salle des<br />

cérémonies de l’étage que sont également tombés les deux très beaux<br />

ustensiles rituels : deux rhytons en pierre, l’un représentant, en relief,<br />

un sanctuaire de sommet, et l’autre en forme de tête de taureau. Des<br />

coffrets, incrustés de matières précieuses, étaient tombés sur le sol, juste<br />

au sud du puits de lumière ; l’un deux contenait des tablettes en<br />

Linéaire A, qui avaient trait à des ustensiles rituels comme l’ont prouvé<br />

les idéogrammes ; peut-être avaient-elles été déplacées de la salle<br />

d’archives. L’ensemble donne l’impression qu’une cérémonie, peut-être


Le Bronze récent en Crète 363<br />

pour apaiser la divinité, avait lieu au moment de la catastrophe, dans la<br />

salle de l’étage.<br />

<strong>La</strong> petite salle de culte juste à côté, au sud, qui communiquait par un<br />

vestibule à trois portes avec la plus grande salle, a été considérée<br />

comme la salle des banquets sacrés ; on y a en effet trouvé une dizaine<br />

d’amphores à vin, particulièrement conservées, et huit petites oinochoés.<br />

<strong>La</strong> pièce était admirablement décorée d’une frise de spirales continues<br />

en relief peint, juste sous le plafond, et d’un sol dont les joints en stuc<br />

dessinaient deux rangées de compartiments comparables à ceux de la<br />

grande salle. L’interprétation de cette salle comme salle de banquets,<br />

quoique assez justifiée, ne peut-être considérée que comme une hypo-<br />

thèse. Ce qui ne fait pas de doute c’est que cet appartement était utilisé<br />

pour les cérémonies du culte.<br />

I1 reste à essayer de déterminer si le complexe des magasins, qui était<br />

accessible de la salle d’attente et qui se trouvait directement au nord du<br />

sanctuaire principal, faisait partie de ce dernier, comme cela paraît être<br />

le cas dans les trois autres palais. Cela semble très vraisemblable aussi<br />

bien en raison des liens directs qu’il avait avec le sanctuaire que par le<br />

contenu, en grande partie constitué d’objets d’usage cultuel - rhytons,<br />

cruches 6 libations, doubles haches, etc. - Une partie de ce matériel<br />

était tombée de la pièce ou des pièces de l’étage, qui semblent avoir été<br />

utilisées pour les cérémonies religieuses ; parmi ces ustensiles, il y avait<br />

un petit cruchon en argent incrusté d’or, le col du rhyton en pierre avec<br />

la représentation d’un sanctuaire de sommet et une belle cruche rituelle<br />

décorée de nautiles. Le système des magasins a été formé par trois baies<br />

qui donnaient sur un corridor commun -celui qu’Evans a appelé<br />

Corridor of the Bays - et une rangée de trois magasins, à moitié en<br />

sous-sol, bien éclairés par de grandes fenêtres donnant sur la cour occi-<br />

dentale, accessibles par un vestibule dans lequel on descendait par<br />

quelques marches ; deux autres pièces, au bout, étaient utilisées pour le<br />

stockage.<br />

L’étendue des sanctuaires et des pieces annexes dans tous les palais<br />

explique pourquoi on ne trouve pas de temples en Crète : la résidence<br />

de la divinité était le palais lui-même qui, pour cette raison, a été<br />

appelé (< labyrinthe H, maison ou lieu des doubles haches.<br />

Les appartements royaux<br />

Les palais étaient en même temps la résidence et la demeure des rois<br />

et de leur famille ; des secteurs particuliers leur étaient réservés. Les<br />

emplacements avaient été choisis en fonction de leur commodité, de leur


364 LA ClVlLlSATlON ÉGÉENNE<br />

climatisation et du pittoresque de l’environnement ; aussi n’étaient4 pas<br />

toujours au même endroit dans le palais. Leur composition était à peu<br />

près partout la même, mais ils n’étaient pas toujours aussi étendus ou<br />

aussi grandioses ; Cnossos et Phaistos pourraient être considérés comme<br />

palais des capitales, ceux de Malia et Zakro avaient un caractère plus<br />

provincial, quoique les principaux éléments de la majesté royale ne leur<br />

aient pas fait défaut. On a enregistré des changements d’une période à<br />

l’autre, mais leur forme générale n’a pas changé ; bien sûr, nous ne<br />

connaissons que celle qui a directement précédé la catastrophe finale.<br />

Les escaliers et la découverte de nombreux éléments tombés au rez-de-<br />

chaussée, ont confirmé que ces appartements comportaient plusieurs éta-<br />

ges ; ce n’est qu’à Cnossos que quelques parties du premier et du<br />

deuxième étage sont restées en place ; les indices dont nous disposons<br />

prouvent que les étages aussi suivaient le plan intérieur du rez-de-<br />

chaussée ; en façade, là où se trouvaient en bas des portiques, on avait<br />

des vérandas à l’étage. Un type générai s’était formé qui s’adaptait faci-<br />

lement à l’environnement et qui prenait ainsi des formes diverses ; on<br />

pourrait l’appeler mégaron minoen D, à condition de ne pas le con-<br />

fondre avec le mégaron mycénien. Ses éléments caractéristiques sont le<br />

poiythyron (pièce limitée par des séries de portes), le puits de lumière<br />

intérieur et le portique extérieur.<br />

A Cnossos, les appartements royaux avaient été construits dans le sec-<br />

teur sud-est de l’aile orientale, à l’intérieur d’une entaille verticale, large<br />

et profonde, dans le flanc de la colline ; il y avait deux ou trois étages<br />

qui dominaient la cour centrale. A partir de celle-ci, ils étaient acces-<br />

sibles grâce à un magnifique escalier qui reste indubitablement un des<br />

plus importants chefs-d’œuvre de l’architecture minoenne. Quatre ou<br />

cinq étages étaient reliés par cet escalier qui se prolongeait vers le bas<br />

par deux volées de marches pour chaque étage, larges et commodes ; un<br />

parapet à colonnes séparait l’escalier du puits de lumière et, à chaque<br />

étage, il y avait, de l’autre côté, une sorte de véranda où, semble-t-il, se<br />

tenait la garde qui contrôlait le passage vers les appartements ; la fres-<br />

que de boucliers suspendus, qui provient de l’une de ces vérandas,<br />

donne une indication sur leur fonction. Au rez-de-chaussée la véranda<br />

se transformait en portique. Chaque palier menait à un couloir qui<br />

aboutissait aux appartements de l’étage. Soutenir un tel escalier consti-<br />

tue réellement un exploit statique et l’esthétique de l’ensemble un chef-<br />

d’œuvre architectonique.<br />

I1 est normal qu’on aboutisse à la conclusion que, des deux salles<br />

principales qui existaient à chaque étage, la plus grande et la plus<br />

immédiatement accessible était celle du roi ; la plus petite, relativement


Le Bronze récent en Crète 365<br />

isolée, qui était desservie par un escalier à part, avec une décoration<br />

plus adaptée à des appartements de femmes, était utilisée par la reine.<br />

<strong>La</strong> salle du roi, qui se trouvait au rez-de-chaussée -celle qu’Evans<br />

avait baptisée, d’après les signes gravés sur les murs du puits de<br />

lumière, a salle des doubles haches )) - comportait, dans la pièce inté-<br />

rieure du polythyron, un trône dont les restes prouvent qu’il avait un<br />

dais à colonnes ; Evans a cru que, dans la pièce attenante, des boucliers<br />

réels étaient suspendus aux murs et ressortaient sur la frise de spirales<br />

peintes dont on a retrouvé bien des restes. Le portique angulaire, à<br />

l’extérieur, menait à un espace en plein air, d’où l’on pouvait jouir de<br />

la vallée boisée du Kairatos ; bien sûr la vue était encore plus dégagée à<br />

partir des vérandas des étages. <strong>La</strong> salle de la reine, que l’on atteignait<br />

après avoir traversé un petit corridor coudé, avait un puits de lumière<br />

latéral, un polythyron avec deux hautes fenêtres à trois baies, l’une à<br />

l’intérieur et l’autre vers le puits de lumière, et un portique extérieur,<br />

fermé un peu plus loin par un mur (peut-être seulement dans la phase<br />

finale, et devenu ainsi un deuxième puits de lumière). <strong>La</strong> décoration<br />

interne - fresques marines de dauphins et de poissons ; dans la der-<br />

nière phase, frises de spirales, danseuses sur les côtés dans les embrasu-<br />

res des fenêtres à trois baies et réseau de spires et de papyrus lancéolés<br />

(pour le plafond) - était tout à fait charmante. En liaison directe avec<br />

cette salle, séparée seulement par une cloison avec une grande ouver-<br />

ture, on avait la salle de bains, pourvue d’un parapet à colonnes ; elle<br />

ne possédait toutefois plus l’escalier qui descendait à l’origine ; certains<br />

savants ont exprimé des doutes concernant l’usage de cette pièce, pré-<br />

textant que la baignoire d’argile avait été trouvée en morceaux, jetée à<br />

l’extérieur, dans le portique ; c’est néanmoins une pièce de forme très<br />

caractéristique et son utilisation se trouve confirmée par le seau décou-<br />

vert en liaison avec celle-ci ; la baignoire a été brisée et jetée à l’époque<br />

de la réoccupation et, évidemment, elle provenait de la pièce qu’il était<br />

normal d’utiliser comme salle de bains. Le fait qu’on n’ait pas décou-<br />

vert de systèmes d’alimentation en eau ni d’évacuation peut être expli-<br />

qué facilement : le bain ne se faisait pas avec l’eau toute simple des<br />

canalisations ; la baignoire était facilement emportée pour qu’on y<br />

mette le liquide ou qu’on l’en vide. <strong>La</strong> comparaison avec les installa-<br />

tions analogues des trois autres palais le confirme.<br />

De l’appartement de la reine on accédait par un corridor sombre,<br />

éclairé seulement par des lampadaires trouvés en place, à une petite<br />

pièce que, après bien des hésitations, Evans a reconnue comme la cham-<br />

bre de toilette royale. Elle est éclairée latéralement par un puits de<br />

lumière, une petite cour dont les murs bien construits, en pierre de


366 LA ClVlLISATiON ÉGÉENNE<br />

taille, portent, gravés sur le poros, les symboles de la quenouille,<br />

emblème du gynécée. Un socle bas, rectangulaire servait peut-être -<br />

toujours d’après Evans - de siège pour les femmes qui se paraient ;<br />

l’eau, qui leur était indispensable, provenait d’un bassin qui se trouvait<br />

derrière le mur, et coulait d’un robinet. De l’autre côté, il y avait les<br />

latrines qui, d’après les remarques des experts d’Evans, étaient pourvues<br />

d’un siège, d’un système à siphon, d’un réservoir d’eau et d’une fosse<br />

septique située sous le mur de derrière. Si ces observations sont justes,<br />

on doit reconnaître dans cette installation le plus ancien type de nos<br />

W.-C. modernes.<br />

Un autre corridor continuait l’itinéraire circulaire pour aboutir enfin<br />

au portique du rez-de-chaussée du grand escalier ; c’est de ce couloir<br />

qu’on accédait à une petite pièce sombre, utilisée comme dépôt des<br />

archives si l’on en juge par les nombreuses tablettes qui y ont été trou-<br />

vées ; sous un petit escalier de service menant aux étages supérieurs se<br />

trouvait un petit dépôt. On a également trouvé beaucoup de tablettes et<br />

d’empreintes de sceaux dans cette zone, de même que des restes de tré-<br />

sors, d’objets en matières précieuses - ivoire, or, cristal de roche,<br />

lapis-lazuli, etc. -, montrant qu’au-dessus de la salle d’archives il y<br />

avait un trésor royal. C’est du même endroit que provient l’acrobate<br />

chryséléphantin et, semble-t-il, la déesse aux serpents, également en or<br />

et en ivoire, qui est sortie clandestinement en morceaux et se trouve<br />

aujourd’hui au musée de Boston, restaurée.<br />

I1 est logique de considérer comme annexe des appartements royaux le<br />

secteur qui se trouvait tout de suite au sud ; il était relié à eux par une<br />

rampe ; c’était, semble-t-il, le sanctuaire de la famille royale. Les chan-<br />

gements intervenus dans les différentes phases, mais surtout lors de la<br />

réoccupation après la destruction des palais, rendent difficile la reconsti-<br />

tution de la forme originelle de ces appartements. On distingue une par-<br />

tie, utilisée comme sanctuaire dans la deuxième phase, avec une ban-<br />

quette, un dépôt de vases décorés de lis, une pièce avec une petite bai-<br />

gnoire et un magasin avec des jarres en style de Camarès évolué. Une<br />

autre partie comprenait un sanctuaire avec une table sacrée, une ban-<br />

quette pour les ustensiles du culte et un espace très étroit pour quelques<br />

adorants - sanctuaire qui a été trouvé intact avec tout son<br />

équipement -, et, à côté, un bassin lustral de la forme usuelle. Les<br />

appartements de l’étage, dans ce secteur, étaient desservis par un esca-<br />

lier spécial, situé dans l’angle sud-est du palais. Juste à l’extérieur de<br />

cet angle il y avait des maisons minoennes.<br />

A Phaistos, les appartements royaux étaient situés dans l’aile nord,<br />

sans aucun doute pour des raisons climatiques, puisque la grande cha-


Le Bronze récent en Crète 367<br />

leur y était atténuée l’été et que, l’hiver, ils étaient davantage protégés<br />

des vents qui balaient la plaine de la Messara. Devant, on avait vue sur<br />

les sommets du Psiloritis (l’Ida) et, sous l’un des deux sommets de la<br />

Selle de Digénis, on distinguait un point sombre, la grotte de Camarès.<br />

Ici aussi c’est dans une entaille de la butte qu’on avait placé la plus<br />

grande salle, avec le polythyron, le puits de lumière à colonnes et le<br />

portique extérieur, peut-être destiné au roi, et, plus à l’intérieur, après<br />

l’escalier par lequel on accédait aux appartements de l’étage, la salle<br />

plus petite et plus isolée, pour la reine semble-t-il, comme à Cnossos,<br />

avec un puits de lumière à colonnes, un petit portique intérieur et une<br />

pièce principale avec des banquettes ; la salle communiquait par un<br />

escalier particulier avec les appartements correspondants de l’étage. Sols<br />

et murs étaient tout blancs, revêtus de plaques de gypse cristallin. Par<br />

un couloir particulier on accédait à la salie de bains et à son vestibule ;<br />

sa destination a, ici, été confirmée par une installation spéciale, acces-<br />

sible d’une entrée séparée, par où l’on versait l’eau, à partir d’un<br />

endroit plus élevé, sur le baigneur ; le vestibule était utilisé pour la pré-<br />

paration du bain. C’est de là qu’on accédait aux latrines, d’un type plus<br />

simple qu’à Cnossos. Au sud du mégaron de la reine, il y avait une<br />

petite cour intérieure, accessible directement de la cour centrale par un<br />

corridor ; de là une rampe menait aux étages.<br />

A Malia, les appartements royaux se trouvaient à l’extrémité occiden-<br />

taie de l’aile nord, ils donnaient donc sur la mer ; il y avait un grand<br />

jardin devant. Leur système et leur distribution n’étaient pas différents,<br />

à l’exception de la petite pièce de la reine qui n’était pas aussi isolée et<br />

qui communiquait, par une sorte de corridor-portique, avec le mégaron<br />

du roi. Au-delà du puits de lumière à piliers quadrangulaires, il y avait<br />

des pièces plus petites, apparemment des boudoirs. Le mégaron royal<br />

était constitué d’un puits de lumière, d’un polythyron dont les parasta-<br />

des étaient encastrées dans le soi, d’un long portique extérieur qui se<br />

continuait vers le vestibule de la salle de bains, et d’une chambre laté-<br />

raie, (( retraite interne du mégaron )) (selon Homère), sorte de lieu de<br />

repos, flanquant le polythyron. Tout était plus simple qu’à Cnossos et à<br />

Phaistos ; mais la salle de bains avec son vestibule, accessible du méga-<br />

ron royal par un corridor, ne manquait pas ; elle était de type ancien,<br />

comme à Phaistos, avec un espace intérieur plus profond, accessible par<br />

quelques marches. Le portique extérieur donnait sur le jardin. Un local<br />

étroit, à l’ouest de la salle de bains, servait peut-être de latrines. Une<br />

autre petite pièce, à laquelle on accédait directement depuis le mégaron,<br />

faisait office de dépôt d’archives, si l’on en juge d’après les barres et<br />

les tablettes inscrites qui y ont été trouvées.


368 LA CIVILISATION EGEENNE<br />

A Zakro, les appartements royaux bordaient la cour centrale et<br />

s’étendaient sur tout un secteur de l’aile orientale. Ici aussi les pièces<br />

principales étaient au nombre de deux et avaient la forme typique du<br />

mégaron à polythyron. Malheureusement, l’état de conservation de ces<br />

appartements n’est aucunement satisfaisant pour nous ; toutefois leur<br />

forme a été reconnue de façon certaine. <strong>La</strong> salie la plus grande - le<br />

mégaron du roi - avait le caractéristique puits de lumière à colonnes,<br />

un polythyron à plusieurs baies et un portique extérieur. I1 communi-<br />

quait avec la pièce la plus petite, la salle de la reine, et avec la grande<br />

salle du trône, par des portes jumelles. On accédait aussi à la première<br />

par quelques marches à partir de la cour centrale, où il y avait une<br />

colonne entre des piliers quadrangulaires ; au centre, un petit polythy-<br />

ron carré recevait la lumière d’un puits de lumière latéral par I’intermé-<br />

diaire de fenêtres géminées. Le revêtement du sol n’a gardé que les<br />

stucs des joints en forme de méandre. Au-delà de ces appartements, un<br />

large corridor menait à la salle de bains et à son vestibule, protégé par<br />

une cloison des regards indiscrets ; ici aussi, la salle de bains était de<br />

type ancien, avec un escalier qui descendait assez bas, flanqué d’un<br />

parapet à colonne. Le long des murs intérieurs se formaient des niches<br />

pourvues de petites colonnes décoratives, et dont le fond était orné de<br />

représentations de symboles religieux. On a l’impression que cette instal-<br />

lation était égaiement utilisée par des membres de la famille royale<br />

comme bassin lustral. L’escalier qui assurait la communication avec le<br />

ou les étages était situé dans un saillant de la grande salle voisine.<br />

<strong>La</strong> liaison fonctionnelle des appartements royaux avait été, dans les<br />

quatre palais, particulièrement réussie : les rois pouvaient facilement<br />

communiquer avec les principaux quartiers et les contrôler. L’espace qui<br />

leur était réservé se trouvait multiplié par le fait que le même plan se<br />

répétait à chaque étage et parce qu’on avait ajouté de nombreuses piè-<br />

ces secondaires aux différents étages. A Cnossos et à Zakro, ils étaient<br />

en relation directe avec la cour centrale ; à Malia et à Phaistos le<br />

contact se faisait davantage avec l’extérieur. Mais partout ils assuraient<br />

à la famille royale une vie confortable dans un environnement agréable.<br />

Les salles d’apparat des palais<br />

Pour les assemblées officielles et les réceptions des rois il devait y<br />

avoir, dans les palais, de grandes salles spéciales. II ne faut pas se lais-<br />

ser entraîner par la dénomination de la a Salle du trône >) du palais de<br />

Cnossos et croire que c’était là le principal endroit des audiences roya-


Le Bronze récent en Crète<br />

369<br />

les. Evans l’avait compris et, après y avoir réfléchi, il assigna la place<br />

de la principale salle du trône. Elle se trouvait au centre de l’aile orien-<br />

tale et on y accédait de la cour centrale par un vaste et majestueux<br />

escalier ; trois grandes colonnes bien encastrées dans des murs de fonda-<br />

tions, entre les marches, ajoutaient à la grandeur de l’effet. On passait,<br />

par l’intermédiaire d’un polythyron, dans la salle principale ; elle avait<br />

un péristyle intérieur et, au fond, une partie plus large : c’est là que<br />

devait se trouver le trône royal ; les murs voisins et les murs latéraux<br />

étaient ornés de fresques à reliefs qui représentaient des concours athlé-<br />

tiques, des jeux de taureaux et des griffons antithétiques attachés à des<br />

colonnes ; à une phase plus ancienne appartenaient les fragments de<br />

fresques, provenant de la même salle, représentant des dames de I’aris-<br />

tocratie minoenne - les <strong>La</strong>dies in blue d’Evans. Malheureusement, de<br />

cette belle salle, seuls les murs de fondations sont conservés, avec quel-<br />

ques bases de colonnes et des morceaux de fresques.<br />

A Cnossos, il devait sans aucun doute y avoir d’autres salles d’appa-<br />

rat, réservées aux réceptions et aux banquets. Une grande salle à colon-<br />

nes se trouvait au-dessus de la salle hypostyle de l’entrée nord, celle<br />

qu’Evans a baptisée la a douane )) ; la liaison de cette pièce avec la ran-<br />

gée des vérandas à colonnes des petits bastions de l’entrée devait ajouter<br />

à la majesté du lieu. Une autre salie se trouvait à l’étage, dans le sec-<br />

teur nord-ouest, qu’on a considérée comme faisant partie du sanc-<br />

tuaire ; c’est peut-être de là que proviennent les fragments de la belle<br />

décoration du plafond à fresque avec le réseau de spires en relief.<br />

A Phaistos, on utilisait peut-être comme principale salle du trône la<br />

belle pièce qu’on a décrite ci-dessus comme grands propylées ; le fond<br />

de la salle, après la double porte d’entrée et la rangée de colonnes,<br />

devait être bien adapté à l’installation d’un trône où le roi pouvait rece-<br />

voir les jours de fête ou lors de l’arrivée d’ambassadeurs. Mais la plus<br />

belle salle d’apparat était celle qui se trouvait à un niveau un peu plus<br />

élevé que les appartements royaux, juste au nord-est des grands propy-<br />

lées. De ces derniers on y accédait par l’intermédiaire d’un corridor<br />

dans lequel débouchait l’escalier de l’étage ; elle avait un deuxième<br />

accès, tout aussi important, à partir de la pièce à colonnes qui se trou-<br />

vait devant les magasins d’ouest, grâce à un escalier spécial et un large<br />

corridor. <strong>La</strong> pièce avait comme entrée un vaste péristyle qui servait<br />

aussi de puits de lumière ; le polythyron se trouvait à côté et, semble-<br />

t-il, s’étendait en partie au-dessus de la salie de bains ; il était peut-être<br />

pourvu d’un portique extérieur qui avait une vue superbe sur les som-<br />

mets du Psiloritis ; l’intérieur devait être très soigné, si l’on en juge par<br />

la disposition oblique des dalles de gypse dont le sol était couvert, et


370 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />

par les revêtements des murs en même matière ; il serait difficile de<br />

penser qu’une telle pièce n’avait pas une destination officielle.<br />

Graham a soutenu, avec des arguments assez convaincants, que le<br />

secteur du palais de Phaistos qui se trouvait au nord de la cour cen-<br />

trale, avec sa façade si bien articulée, juste au sud de la cour intérieure<br />

des appartements royaux, était l’emplacement des salles des banquets<br />

royaux : au rez-de-chaussée il y avait les pièces destinées à desservir les<br />

salles principales situées aux deux étages ; elles étaient séparées en deux<br />

par le corridor d’entrée ; celles de l’ouest étaient des magasins, celles de<br />

l’est étaient en rapport avec la préparation des repas, à l’origine avec<br />

une salle à manger ordinaire, hypostyle, où alternaient colonnes et<br />

piliers ; un escalier intérieur menait aux étages. Le savant canadien a<br />

essayé de reconstituer la forme que devaient avoir les salles des étages à<br />

partir de l’organisation de celles du bas et des points d’appuis pour les<br />

colonnes ; il a supposé qu’il y avait deux pièces à chaque étage, une<br />

plus petite à l’ouest, sans supports intérieurs, et une pièce hypostyle à<br />

l’est formant trois nefs. II pense qu’elle était accessible à partir du troi-<br />

sième étage, par l’intermédiaire d’un polythyron et du corridor qui<br />

menait à la salle d’apparat dont on a déjà parlé.<br />

Un système analogue, et à la même place, au nord de la cour cen-<br />

trale, a également été reconnu au palais de Malia : au rez-de-chaussée, à<br />

côté du corridor principal qui menait de cette cour aux appartements du<br />

secteur nord, accessible par une antichambre à pilier quadrangulaire,<br />

une grande pièce était divisée en trois nefs inégales par une double ran-<br />

gée de piliers ; ce devait être une salle à manger ordinaire, tandis qu’à<br />

l’étage on avait une salle de banquets, à trois nefs elle aussi, mais divi-<br />

sée par une double rangée de colonnes, et flanquée d’un vestibule. Deux<br />

escaliers, de chaque côté, assuraient la liaison avec les pièces annexes du<br />

rez-de-chaussée - magasins et cuisines.<br />

Le secteur des cuisines, salle à manger, salle de banquets, avait été<br />

organisé de la même façon à Zakro ; Graham croit même que les élé-<br />

ments qui ont été mis en lumière par la fouille de ce palais confirment<br />

ses idées quant aux salles de banquets. Ce secteur était accessible par un<br />

corridor particulier, mais aussi par le portique nord - lieu de repos qui<br />

donnait sur la cour centrale - ; un escalier menait de ce portique à la<br />

salle de banquets et aux pièces annexes de l’ttage ; si l’on en juge par<br />

la forme de la grande pièce du rez-de-chaussée qui servait de cuisine-<br />

salle à manger - les marmites sur les foyers, les innombrables os des<br />

viandes qu’on préparait, les divers ustensiles culinaires des pièces<br />

annexes l’ont prouvé -, la salle des banquets devait être à trois nefs,<br />

avec six colonnes sur deux rangées, correspondant aux six supports de


Le Bronze récent en Crète 37 1<br />

bois de la pièce d’en bas. L’organisation, qui est la même dans les qua-<br />

tre palais, ne peut être le fait du hasard, et par conséquent l’hypothèse<br />

de Graham concernant les salles de banquets semble très convaincante.<br />

A Zakro la très grande salle carrée, juste à l’est des appartements<br />

royaux, devait très vraisemblablement être la salle du trône. Elle mesure<br />

à peu près vingt-deux mètres de côté et les façades vers le péribole est<br />

et la cour sud de la fontaine étaient construites avec beaucoup de soin<br />

en pierre de taille, du poros. Au centre, il y avait une citerne circulaire<br />

avec un parapet sur lequel reposaient les quatre ou cinq colonnes du<br />

puits de lumière central ; un petit escalier permettait de descendre à<br />

l’intérieur ; le sol était dallé, et l’eau jaillissant abondamment, remplis-<br />

sait la citerne et était retenue par le ciment hydraulique. Pour la pre-<br />

mière fois, nous sommes en présence d’une installation d’eau spéciale,<br />

bien adaptée à l’architecture de l’intérieur, sans doute dans une salle<br />

couverte ; si l’on en juge d’après le polythyron du côté occidental il est<br />

impensable que cela ait pu être à l’air libre, d’après aussi la fragilité du<br />

sol revêtu d’un enduit, et enfin la constatation que cet espace était voi-<br />

sin de la cour intérieure nord-est. Les visiteurs passaient d’un vaste péri-<br />

bole rectangulaire dans la grande salle carrée en traversant un porche (à<br />

colonnes ?) dont on a retrouvé le soubassement en poros. Dans une<br />

saillie de la façade sud il y avait l’escalier qui desservait, comme nous<br />

l’avons vu, les appartements royaux ; sous le sol se trouvait la source<br />

qui alimentait la fontaine. <strong>La</strong> salle carrée était très haute et il ne semble<br />

pas qu’il y ait eu d’étages. Mais au-dessus du polythyron étroit il devait<br />

y avoir le couloir auquel menait l’escalier ; peut-être la lanterne de la<br />

salle étaitelle circulaire, avec des ouvertures sur le pourtour.<br />

II ne fait pas de doute que d’autres pièces, pour lesquelles nous ne<br />

disposons pas d’éléments suffisants, étaient utilisées dans des buts offi-<br />

ciels, socio-politiques. Mais il est clair que les pièces les plus impor-<br />

tantes avaient une destination religieuse.<br />

Les magasins royaux et les ateliers palatiaux<br />

A part les magasins des sanctuaires qui, nous l’avons vu, consti-<br />

tuaient des (( systèmes », il y avait d’autres magasins, souvent peu éloi-<br />

gnés des appartements royaux, destinés à stocker des produits apparte-<br />

nant à des membres de la famille royale. C’est pourquoi on les a appe-<br />

lés magasins royaux.<br />

A Cnossos, les magasins royaux se trouvaient, dans la première<br />

phase, sous la grande salle orientale, caractérisée comme salle du trône,


372 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

évidemment telle qu’elle était alors, dans sa forme initiale. Evans les a<br />

baptisés (( Magasin des pithoi à médaillons )) et (( Corridor des baies )) :<br />

dans le premier on a trouvé des pithoi caractéristiques décorés de rosa-<br />

ces à l’intérieur de médaillons en relief ; dans le deuxième, des usten-<br />

siles culinaires, dont beaucoup étaient curieux par leur forme et leur<br />

ornement de bosses. Dans la phase suivante, on a utilisé comme maga-<br />

sins royaux le système qui existait depuis la phase précédente dans le<br />

secteur de service au nord-est ; il était accessible de ce qu’on a appelé le<br />

(( Corridor du jeu d’échecs H, par une petite salie à colonnes en forme<br />

de mégaron.<br />

Dans le palais de Phaistos, les magasins royaux avaient été, semble-<br />

t-il, limités, après la suppression des appartements du secteur nord-est,<br />

au complexe du rez-de-chaussée de la salle des banquets, transformé<br />

dans ce but par l’adjonction de cloisons.<br />

A Malia, il ne fait pas de doute que les magasins royaux étaient ceux<br />

qui entouraient la cour nord, en semi-péristyle ; l’aile nord était faite de<br />

six magasins, accessibles du portique et du corridor qui se trouvaient<br />

dans son prolongement ; à l’est, se trouvait une double rangée de pièces<br />

pourvues de placards aux angles, avec une sortie à l’est. Mais le princi-<br />

pal complexe de magasins, sans aucun doute lui aussi sous le contrôle<br />

direct des rois, était celui de l’aile orientale ; il était constitué- d’un<br />

ensemble plus grand de sept magasins avec un corridor commun, cha-<br />

cun d’eux pourvu d’un système de vases collecteurs ; l’entrée se faisait<br />

par le nord à l’origine, et par le portique dans les phases suivantes, à<br />

travers le premier magasin qui était ainsi transformé en corridor<br />

d’entrée ; des banquettes basses servaient à poser les vases stockés et<br />

une autre, plus haute celle-ci, au fond du couloir, était destinée au<br />

garde des magasins ; il y avait encore un autre complexe plus petit, de<br />

trois magasins, à côté de la porte orientale, où l’on entreposait, peut-<br />

être provisoirement, les produits qui arrivaient. Les locaux situés au sud<br />

de cette porte, avec leurs cloisons en briques, devaient être le trésor<br />

royal, si l’on en juge par la mise au jour de nombreuses feuilles d’or<br />

qui recouvraient les coffrets en bois qu’on y conservait.<br />

A Zakro, de petits magasins ont été trouvés qui faisaient suite aux<br />

appartements royaux ; mais il est probable que les principaux étaient<br />

combinés avec les ateliers palatiaux. I1 est de fait que, dans ce palais,<br />

on a mis au jour deux ensembles d’ateliers importants, facilement re-<br />

connus d’après leurs dispositions internes, les matières premières, les<br />

outils, les objets à demi-finis ou achevés. L’un est celui de l’aile sud :<br />

une belle façade en pierres de taille - du poros - donnant sur la cour<br />

centrale, deux entrées - l’une, principale, à partir de cette cour et


Le Bronze récent en Crete 373<br />

l’autre, secondaire, par la rue d’à côté -, un escalier en bois, une salle<br />

centrale avec des bancs, servant de lieu de repos, et une série de maga-<br />

sins dans lesquels on a trouvé de nombreux ustensiles entreposés ;<br />

d’autres ateliers témoignent peut-être d’une manufacture de parfums, à<br />

base d’extraits de plantes aromatiques, semblable à celle qu’on a mise<br />

au jour dans une maison, à l’extérieur de l’acropole de Mycènes. <strong>La</strong><br />

rangée sud des pièces, qui dispose également de celliers, peut-être acces-<br />

sibles par une trappe, servait à la confection de bases de pierres et<br />

d’objets en cristal de roche, faïence et ivoire. <strong>La</strong> découverte de matières<br />

premières, de pierres cristallines et de cristal de roche a prouvé qu’ils<br />

étaient fabriqués sur place. Le deuxième secteur artisanal a été ajouté<br />

par la suite, peut-être dans la troisième phase néopalatiale, sur la façade<br />

occidentale du palais ; c’est pourquoi elle avait une entrée extérieure,<br />

accessible du péribole sud. <strong>La</strong> partie centrale avait un petit polythyron<br />

flanqué d’une installation de caractère industriel, pourvue de toute une<br />

rangée de petits bassins construits tout autour, le long du mur, et qui<br />

laissaient un espace libre au centre ; de l’autre côté, il y avait une ins-<br />

tallation de latrines, de type tout à fait caractéristique, située derrière<br />

une cloison angulaire en briques, pour qu’elle soit à l’abri des regards.<br />

Un escalier coudé, recouvert d’un enduit blanc, menait aux apparte-<br />

ments de l’étage de ce secteur artisanal, dont il n’est pas exclu qu’il ait<br />

servi à une industrie teinturière.<br />

A Cnossos, les ateliers étaient au centre de l’aile orientale, juste à<br />

l’est des magasins royaux, et ils étaient répartis au moins sur trois éta-<br />

ges. Le caractère et le type de ces ateliers a été confirmé ici aussi par la<br />

découverte de matières premières, de quelques outils, de produits semi-<br />

finis et finis. II est caractéristique qu’on se soit préoccupé de donner<br />

une certaine aisance aux ouvriers, et c’est dans ce but qu’on a fait des<br />

portiques et des vérandas aux étages. Deux amphores à trois anses à<br />

demi achevées, l’une en calcaire blanc, l’autre en albâtre, étaient tom-<br />

bées de l’atelier de l’étage, celui du tailleur de pierre ; de nombreux<br />

fragments de basalte ont été mis au jour dans l’une des pièces du rez-<br />

de-chaussée, et l’un d’eux était entre les mains de l’artisan, peut-être<br />

pour devenir une table d’offrandes. <strong>La</strong> pièce qui se trouve juste au<br />

nord de celle aux basaltes a livré des matériaux propres à la préparation<br />

des fresques et au travail du céramiste et du potier. Des petits bassins<br />

sur un support servaient à façonner l’argile. Contre l’un des murs de<br />

l’atelier il y avait un banc, et c’est cela qui, à l’origine, a conduit Evans<br />

à supposer qu’il s’agissait d’une sorte d’école où le petit bassin servait à<br />

ramollir l’argile des tablettes sur lesquelles on écrivait. Peut-être le tra-<br />

vail du métal se faisait-il juste à l’extérieur de l’angle sud-ouest de l’aile


374 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

orientale, car c’est là qu’on a trouvé un petit four métallurgique avec<br />

quatre conduits d’aération. Une autre installation, beaucoup plus grande<br />

et plus perfectionnée, a été découverte dans une pièce, tout près de la<br />

porte nord-est du palais de Zakro. Elle est connexe à l’édifice protopa-<br />

latial, mais elle date, semble-t-il, du début de la première période néo-<br />

palatiale.<br />

A Phaistos, le secteur des ateliers était assez étendu, dans la zone<br />

nord-est. Ils étaient centrés autour d’une cour irrégulière qui a pris le<br />

nom de (( cour du four à métaux », d’après le four en fer à cheval qui<br />

se trouvait au milieu. Une rangée de petites pièces constituait sans<br />

aucun doute, à l’ouest de la cour, un ensemble d’ateliers. Elle était à la<br />

fois accessible de cette cour et des autres cours voisines, grâce à des<br />

corridors séparés qui embrassaient une grande pièce rectangulaire,<br />

d’usage inconnu mais probablement en rapport avec l’artisanat. Juste<br />

au nord, un autre complexe offrait un arrangement particulier avec ses<br />

pièces oblongues, dont l’une était une sorte de bassin dans lequel on<br />

descendait par deux petits escaliers. Le quartier qui a été supprimé à la<br />

fin de la première phase, à l’extrémité nord-est du palais, était aussi une<br />

région d’ateliers et de magasins ; il était relié, comme nous l’avons<br />

noté, par un local hypostyle et un petit escalier, avec la cour du four à<br />

métaux.<br />

A Malia, il serait encore plus difficile de dire dans quel secteur<br />

étaient concentrés les ateliers, les trouvailles et les dispositions internes<br />

n’aidant qut fort peu. Le plus probable est qu’ils se trouvaient au sud,<br />

dans un quartier dont nous connaissons surtout le sous-sol, des petites<br />

pièces et le couloir d’entrée qui menait de la porte sud et la façade aux<br />

fenêtres basses géminées, vers la cour centrale. I1 existe des éléments qui<br />

étayent cette hypothèse. I1 y avait un complexe d’ateliers analogue dans<br />

l’aile sud du palais de Cnossos, comme cela a été confirmé par la mise<br />

au jour d’un atelier de sceaux.<br />

Les pièces de service des palais<br />

On ne peut douter du fait que, pour bien répondre à leurs buts, les<br />

palais avaient besoin d’un personnel nombreux de diverses catégories.<br />

Une partie de ce personnel, surtout les gens qui avaient des charges<br />

administratives indépendantes, devait vivre à l’extérieur du palais, mais<br />

tout près de celui-ci, dans des bâtiments séparés, comme cela a été<br />

constaté surtout à Cnossos et à Zakro. Toutefois, ceux qui formaient la<br />

cour du roi, une partie du clergé qui assurait directement le service et la


Le Bronze récent en Crète 375<br />

garde des sanctuaires, le personnel de service et une catégorie d’artisans,<br />

devaient habiter dans le palais même, aux innombrables pièces. Bien<br />

sûr, il n’est pas toujours facile de dire quels appartements étaient assi-<br />

gnés à chaque catégorie, les éléments dont nous disposons pour cela<br />

étant insuffisants. Mais il est normal que les gens qui appartenaient à<br />

l’entourage direct du roi aient logé à l’intérieur du quartier des apparte-<br />

ments royaux, ou du moins au voisinage de celui-ci, de façon qu’ils<br />

puissent offrir leurs services sans délai.<br />

En ce qui concerne le palais de Phaistos en particulier, il faudrait<br />

envisager le cas où le petit ensemble de salles du type du mégaron à<br />

polythyron, avec ses installations de bains et antichambres, les petites<br />

pièces du type des trésors et la cour extérieure à demi entourée de<br />

colonnes, qui bordaient la cour centrale, auraient été destinés à un per-<br />

sonnage officiel assez haut placé ou - comme cela a été proposé - a<br />

des personnages de la famille royale, comme par exemple le dauphin.<br />

Bien sûr, il serait imprudent de donner une réponse catégorique ; le fait<br />

qu’on retrouve, en miniature, le type des appartements des rois, milite-<br />

rait plutôt en faveur de la deuxième hypothèse. Mais si l’on pense au<br />

nombre d’appartements qu’il y avait dans chaque secteur et dont on<br />

ignore la véritable destination, on peut admettre que quelques-uns aient<br />

été utilisés par le personnel du palais. En particulier, on reconnaîtrait<br />

volontiers de tels appartements dans le secteur nord-est du palais de<br />

Cnossos, celui qui bordait l’entrée nord et une partie de la cour cen-<br />

trale ; là les nombreux magasins d’objets d’usage courant, surtout utili-<br />

sés par le personnel du palais, un petit mégaron à colonnes, un apparte-<br />

ment à compartiments de forme particulière dont on a pensé qu’il ser-<br />

vait à garder des animaux domestiques, la liaison directe avec l’entrée<br />

nord et, de l’autre côté, par l’intermédiaire du a Corridor du jeu<br />

d’échecs )) avec le secteur des ateliers, constituent des éléments plutôt<br />

favorables à une telle acception.<br />

Quant au palais de Malia, ce sont les appartements de la partie sud<br />

de l’aile ouest qui semblent, d’après certains indices, être la demeure<br />

des membres du clergé, les appartements de la partie de l’aile sud-est<br />

étant ceux des artisans et des serviteurs. Nous n’en n’avons toutefois<br />

pas de preuves. Au palais de Zakro, l’on rechercherait les résidences des<br />

artisans à l’étage, au-dessus des ateliers - au sud, à l’ouest et au nord-<br />

est -, celles des serviteurs dans les pièces voisines des cuisines et salles<br />

de banquets et dans les annexes du palais qui se trouvaient juste au<br />

nord de celui-ci et qui s’étendaient sur la terrasse au-dessus, accessible<br />

depuis les cuisines par un passage à degrés.


Forme générale et construction des palais<br />

L’organisation intérieure des palais - en secteurs liés les uns aux<br />

autres et, en même temps, séparés par des couloirs et des escaliers par-<br />

tant de la cour centrale, mais souvent aussi entourant des cours inté-<br />

rieures, suivant un système véritablement labyrinthique - se répercutait<br />

sur la forme extérieure. Les façades ne constituaient pas un système<br />

fermé ; elles dessinaient une foule de saillants plus ou moins grands ;<br />

les bâtiments étaient donc étagés d’une façon inégale dans les différents<br />

secteurs, et devaient présenter un assemblage de complexes d’inégale<br />

hauteur qui ajoutaient au pittoresque par la diversité de leurs articula-<br />

tions. Aucun de ces bâtiments n’ayant été conservé sur une grande hau-<br />

teur, ni au point d’être reconstitué, même en gros, nous sommes sûrs<br />

seulement de leurs lignes générales ; des représentations, des maquettes,<br />

un ensemble de plaquettes en faïence incrustées qui représentaient une<br />

ville, l’étude des éléments architectoniques qui sont tombés des couron-<br />

nements, des indices qui nous guident pour placer les fenêtres, des<br />

systèmes d’évacuation verticaux depuis les terrasses et la toiture, etc.,<br />

aident à nous donner une idée des lignes générales de ces constructions<br />

complexes, qu’on peut vraiment taxer de (( labyrinthes », indépendam-<br />

ment de la signification première qu’avait ce mot préhellénique. Le<br />

palais de Cnossos, d’après les estimations moyennes, ne devait pas avoir<br />

moins de 1 500 appartements, répartis sur quatre ou cinq étages, et<br />

dans les trois autres palais leur nombre devait varier entre 300 et 400,<br />

répartis sur deux ou trois étages. Les toits étaient en terrasse et pou-<br />

vaient comporter, dans certains endroits, des mansardes. II existait des<br />

terrasses tantôt à colonnes, tantôt à ciel ouvert, comme sur les immeu-<br />

bles modernes. Les maquettes nous ont assurés de l’existence de pergolas<br />

et de balcons plus ou moins grands. Surtout, on distinguait des fenêtres<br />

géminées ou triples, plus larges que hautes, dont nous pouvons situer<br />

l’emplacement d’après les petits rentrants dans les façades. Les systèmes<br />

de puits de lumière verticaux n’excluent pas l’existence de fenêtres exté-<br />

rieures, puisque, en bien des points, on en a découvert des traces et que<br />

souvent on en voit sur les différentes représentations. Maintenant nous<br />

sommes beaucoup plus sûrs qu’il y avait des chaînages de bois dans les<br />

façades, analogues à ceux des façades des maisons de la a mosaïque de<br />

la ville )) ; ils devaient donner un ton décoratif tout spécial à l’en-<br />

semble.<br />

Les matériaux et le mode de construction ont été étudiés ces dernières<br />

années par les professeurs Graham et Shaw ; nous pouvons donc nous<br />

faire une idée plus complète du haut degré technique qu’avaient atteint


Le Bronze récent en Crète 377<br />

les architectes et les constructeurs minoens, surtout à l’époque des nou-<br />

veaux palais. Ils utilisaient avec succès des matériaux, locaux surtout, et<br />

ils les travaillaient toujours avec beaucoup de soin. Les matériaux de<br />

liaison continuaient à être ce qui se trouvait à portée de la main :<br />

l’argile, le bois, le stuc aux joints et, très rarement, des tenons ou des<br />

clous en bronze. <strong>La</strong> construction des étages, en briques séchées au<br />

soleil, comme c’était aussi le cas pour la plupart des cloisons, a été la<br />

cause de leur disparition totale, sauf dans les cas où les briques ont été<br />

cuites par l’incendie. Le calcaire était le matériau le plus utilisé dans les<br />

façades ; les pierres étaient équarries, et leurs assises soigneusement<br />

ajustées. Les surfaces des murs intérieurs étaient recouvertes d’enduits,<br />

de dalles, de revêtements em bois, etc. Dans les pièces d’apparat on uti-<br />

lisait des orthostates en gypse cristallin, surtout à Cnossos et à Phais-<br />

tos ; à l’intérieur, le gypse était utilisé comme revêtement des sols ou<br />

des murs, aux bases de colonnes ou de parastades, pour les bancs, les<br />

placards, les cloisons fines, etc. Des pierres plus dures, comme le cal-<br />

caire, les différentes sortes de brèches et de serpentine, les marbres vei-<br />

nés étaient utilisés pour les seuils, les chambranles, les bases de colonnes<br />

et les jambages, etc. Un très beau poros, soigneusement taillé et équarri,<br />

dans des constructions de murs en blocs joints, souvent en appareil<br />

pseudo-isodome, était utilisé dans les façades sur cour ou donnant sur<br />

l’extérieur, pour les puits de lumière, les appartements principaux, etc.<br />

A Malia, au lieu du poros, on utilisait abondamment une sorte de grès,<br />

assez résistant (ammouda). Le schiste servait davantage pour les revête-<br />

ments.<br />

L’usage du bois, largement répandu dans la construction, donnait un<br />

ton tout particulier aux palais et, plus généralement, à tous les bâti-<br />

ments néopalatiaux ; c’était l’aboutissement de la longue et douloureuse<br />

expérience acquise dans la lutte : il fallait neutraliser, autant que faire<br />

se pouvait, les résultats catastrophiques des séismes ; la technique s’était<br />

développée depuis l’époque des premiers palais, et aboutissait à un<br />

système parfait, se basant sur l’élasticité, qui a largement contribué à ce<br />

que les constructions résistent même aux tremblements de terre les plus<br />

catastrophiques. Aux fins pratiques s’ajoutait également un effet esthéti-<br />

que remarquable, comme cela se voit clairement dans les façades des<br />

maisons de la (( mosaïque de la ville ». Les poutres en bois - du cyprès<br />

dans la plupart des cas - s’entrecroisaient dans les murs intérieurs, sur<br />

leurs deux faces, et constituaient un cadre, solide et élastique, qui main-<br />

tenait la maçonnerie. Les emplacements de ces chaînages ont été trouvés<br />

pleins de restes carbonisés. Les poutres intermédiaires se continuaient<br />

pour former les linteaux des lucarnes où elles se liaient aux jambages en


378 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

bois et aux poutres latérales des ouvertures au-dessus des portes ; ces<br />

lucarnes fermaient peut-être grâce à des parchemins trempés dans l’huile<br />

pour les rendre translucides. Les supports intérieurs étaient le plus sou-<br />

vent en bois, montés sur des bases de pierre, et rendus plus stables par<br />

des chevilles de bois, dont on voit encore les emplacements. Les sup-<br />

ports qui prévalaient étaient les colonnes, toujours en bois, plus étroites<br />

vers le bas ; les chapiteaux se distinguent encore dans des vestiges car-<br />

bonisés, mais on les connaît mieux par les représentations sculptées sur<br />

ivoire et par un chapiteau en pierre d’une petite colonne, mise au jour à<br />

Zakro. C’est l’origine du chapiteau dorique avec l’échine, l’abaque et le<br />

double gorgerin. I1 a été prouvé qu’on utilisait parallèlement des chapi-<br />

teaux qui s’ouvraient comme des calices de fleurs et qui annoncent, eux,<br />

les chapiteaux éoliques et ioniques. Les colonnes étaient d’ailleurs sim-<br />

ples, sans cannelures ; d’autres avaient des stries, non pas concaves,<br />

toutefois, mais convexes. On en a parfois retrouvé des traces sur les<br />

bases de pierre, qui étaient tantôt basses, tantôt hautes et cylindriques,<br />

surtout dans les phases les plus anciennes. Leur couleur vive, confirmée<br />

par les traces de revêtement - un enduit de stuc fin -, mais aussi par<br />

les fresques, donnait un ton particulier aux pièces hypostyles. Les pou-<br />

tres soutenant le plafond s’entrecroisaient au-dessus des supports, qu’il<br />

s’agisse de piliers ou de colonnes ; le tout était recouvert de planches et<br />

de dalles pour former le sol. Nous entrevoyons la disposition de ces<br />

poutres aux étages, d’après les vides dans les murs et les entailles dans<br />

les bandeaux de fresques qui étaient juste sous le plafond. Les palais de<br />

Cnossos et de Zakro nous en ont conservé bien des exemples caractéris-<br />

tiques. On a des raisons de croire que les terrasses des étages étaient<br />

revêtues de dalles de poros ou de schiste ; une couche feutrée compacte<br />

et des lames de schiste - en Crète on les appelle aujourd’hui<br />

(( lepida )) (feuillettes fines) - protégeaient les bâtiments des eaux. Ail-<br />

leurs les terrasses étaient recouvertes d’une solide couche de tuileaux ou<br />

de cailloux agglomérés. On n’utilisait pas de tuiles du fait que les toits<br />

étaient plats,<br />

Les fondations des façades étaient profondes et solides, surtout à<br />

Phaistos ; il n’en était toutefois pas toujours de même ; souvent on est<br />

surpris de découvrir comment les murs intérieurs étaient fondés : à la<br />

va-vite, peu profondément, souvent sur la terre, surtout quand ces murs<br />

ont été construits après coup, modifiant quelque plan originel. Souvent<br />

on prenait soin d’asseoir les murs porteurs sur des fondations préexis-<br />

tantes ou sur des murs plus anciens dont on aplanissait le sommet ;<br />

bien des vestiges étaient laissés sous les sols nouveaux, aussi longtemps,<br />

bien sûr, que cela ne gênait pas. L’épaisseur des murs variait de 0,4û à


Le Bronze récent en Crète 379<br />

1,70 mètre, suivant leur nature et leur position. Les cloisons en briques<br />

étaient plus légères et, pour la plupart, plus fines ; des briques dressées<br />

verticalement servaient à faire des cloisons dans les dépôts, des armoires<br />

ou des niches. Dans la région de Cnossos, ce sont des plaques de gypse<br />

qu’on utilisait souvent dans ce but. Les bancs contre les murs étaient<br />

faits soit de plaques de gypse, soit, souvent aussi, d’autres matériaux<br />

comme le poros et le schiste ; certains étaient recouverts d’un enduit.<br />

<strong>La</strong> surface de devant formée de plaques avec des saillants à intervalles<br />

réguliers, donnait l’impression d’une frise de triglyphes et de métopes. II<br />

n’était pas rare que les bancs contre les murs aient un dossier formé de<br />

plaques qui couvrait le mur. Les principaux ateliers avaient des placards<br />

dans les coins. II y avait, entre autres, des installations particulières pour<br />

les archives. On a déjà vu les cistes, construites sur les sols ou souter-<br />

raines, qui servaient dans les magasins, les trésors et les pièces ou l’on<br />

entreposait objets et produits.<br />

Pour la plupart, les escaliers des palais étaient, comme nous l’avons<br />

vu, situés dans des endroits convenables pour la liaison des divers<br />

appartements et pour la circulation des habitants et des choses. On a<br />

déjà parlé du grand et magnifique escalier qui desservait les apparte-<br />

ments royaux à Cnossos, des grands escaliers des propylées, de certains<br />

escaliers de service, des escaliers centraux qui reliaient la cour centrale<br />

et les étages des ailes occidentales. <strong>La</strong> plupart d’entre eux étaient<br />

construits avec soin ; ils étaient à une ou deux volées, avaient des<br />

paliers et des marches en gypse ou en poros ; quand ils avaient deux<br />

volées, celles-ci étaient séparées par une cloison qui se terminait par une<br />

coupure du mur avec une colonne a l’extrémité, disposition qui allégeait<br />

et embellissait toute la construction. Bien des escaliers étaient en bois,<br />

avec la première et la dernière marche en pierre ; on distingue souvent<br />

les traces des marches sur les murs latéraux. De larges escaliers, vers les<br />

cours ou dans ce qu’on a appelé les théâtres, servaient souvent de gra-<br />

dins pour les spectateurs des cérémonies qui se déroulaient dans les<br />

cours.<br />

Les péristyles étaient peu nombreux dans les palais, la plupart d’entre<br />

eux étant des demi-péristyles ou de simples portiques, souvent en liaison<br />

avec des cours, des puits de lumière, des mégarons ; sous le climat<br />

semi-tropical de la Crète, ils étaient appréciés, parce qu’ils constituaient<br />

un refuge contre les rayons brûlants du soleil et, l’hiver, ils protégeaient<br />

de la pluie et du froid. C’est pour cela qu’on trouve souvent, sous leurs<br />

toits, des lieux de repos ; les bancs contruits contre les murs le prou-<br />

vent. Au lieu de portiques a colonnes il pouvait y avoir des portiques a<br />

piliers, surtout quand ils étaient peu profonds. Presque toujours, les


380 LA CIVILISATION GGGENNE<br />

portiques devenaient, à l’étage, des vérandas à colonnes -rarement à<br />

piliers - auxquelles les parapets assuraient la sécurité et permettaient de<br />

mieux suivre le va-et-vient des cours, ou bien encore un plus grand<br />

confort pour se reposer ; de ces vérandas on jouissait souvent d’une<br />

belle vue. I1 existe des éléments qui prouvent que dans les étages supé-<br />

rieurs il y avait des balcons ou des terrasses non couvertes, la surface<br />

des appartements intérieurs se trouvant limitée d’autant. Toutefois, la<br />

reconstitution de tels ensembles continue de demeurer hypothétique.<br />

Décoration extérieure et intérieure<br />

Nous avons déjà assez bien décrit la forme extérieure des palais en ce<br />

qui concerne l’articulation architecturale et le mode de construction,<br />

d’où ils tiraient leur originalité et leur élégance. I1 en était de même<br />

pour les bâtiments de moindre importance, comme en témoignent les<br />

petites maisons de la a mosaïque de la ville n. Mais on y constate la<br />

présence d’éléments purement décoratifs qui ajoutaient à la beauté de<br />

l’ensemble : corniches, frises avec des disques de couleurs - qui étaient<br />

peut-être, à l’origine, les extrémités des poutres de bois -, couches<br />

d’argile alternativement épaisses et minces entre les assises, etc. Nous<br />

connaissons également ces ornements de façade par les fresques repré-<br />

sentant des bâtiments. Les couleurs vives qui marquaient les chambran-<br />

les des fenêtres, les colonnes des vérandas, les chaînage de bois devaient<br />

ajouter au charme des façades.<br />

Mais c’est surtout à l’intérieur des palais - et bien sûr également des<br />

autres édifices importants - qu’on avait cette impression d’un monde<br />

magique et transcendant, dont Evans a voulu donner une idée, de façon<br />

quelque peu imaginative, en reconstituant certaines pièces principales.<br />

Malgré des exagérations nous sommes aujourd’hui obligés de reconnaî-<br />

tre que les éléments de base sont justes.<br />

Le revêtement des sols répondait, en dehors des fins pratiques, à un<br />

souci esthétique. Dans les porches et les corridors d’apparat étaient dis-<br />

posées des grandes dalles rectangulaires cristallines, qui formaient des<br />

espèces de (( couloirs-tapis )) au milieu de grandes dalles irrégulières,<br />

tantôt en calcaire noir dur (sideropetra), tantôt en calcaire blanc, quel-<br />

quefois aussi en schiste avec des joints de stuc rouge. Dans les salles<br />

d’apparat ou de cérémonies, la partie centrale était souvent couverte<br />

d’un dallage irrégulier en calcaire dur foncé, avec des joints rouges, une<br />

sorte de tapis, alors que le pourtour était couvert de dalles de gypse rec-<br />

tangulaires. Là où ces dernières ont été abîmées, seul le centre est resté,


Le Bronze récent en Crète 38 1<br />

un peu surélevé, donnant ainsi l’impression fausse d’un autel ; c’est<br />

ainsi qu’Evans s’est trompé, à deux reprises, et Xanthoudidès dans la<br />

villa de Nirou. Le contraire pouvait également se produire : on disposait<br />

au milieu les grandes dalles de gypse et, tout autour, la mosaïque de<br />

dalles irrégulières. Les sols des mégarons étaient davantage semblables :<br />

presque toujours on disposait de façon décorative les plaques de gypse<br />

en ligne alternées, ou bien on mettait les petites plaques autour de pla-<br />

ques beaucoup plus grandes au centre ; les revêtements étaient beaucoup<br />

plus irréguliers à Malia et, par endroits, dans le palais de Zakro. Mais<br />

dans ce dernier, on avait utilisé, pour les salles de cérémonies et les<br />

appartements royaux, un matériau inconnu - peut-être synthétique -<br />

avec des joints remplis de stuc rouge. Le matériau a disparu et le stuc<br />

des joints s’est conservé, formant des méandres ou réparti en rectangles.<br />

Dans les pièces un peu moins officielles, dans les vestibules, les corri-<br />

dors, les ateliers et les magasins, on utilisait souvent un agglomérat de<br />

tuiles broyées, de tessons ou de petits cailloux liés avec de la chaux ;<br />

dans ce cas, le polissage et le lustrage de la surface donnait l’aspect<br />

d’une fine mosaïque. A Zakro, dans certains des sols en cailloutis, on a<br />

parfois mis au centre, comme une sorte de tapis, un rectangle de tuiles<br />

rouges. A Cnossos, dans la première phase, on avait souvent des sols de<br />

petites plaques irrégulières polychromes, comme des mosaïques,<br />

qu’Evans avait considérés injustement comme protopalatiaux. Les sols<br />

de galets marins polychromes étaient plutôt rares. Très souvent, surtout<br />

dans la premiere phase néopalatiale, les sols étaient couverts de couches<br />

d’enduit, toujours plus fines. On les utilisait dans des endroits couverts<br />

où l’on devait circuler pieds nus, vu la fragilité de ces sols. On a vu<br />

que des banquettes, des escaliers, des niches et des seuils étaient fré-<br />

quemment recouverts de cette manière. On n’a pas retrouvé dans les<br />

palais de sols recouverts de fresques ; mais on en voit plus tard dans<br />

des sanctuaires post-palatiaux, peut-être sous l’influence mycénienne. De<br />

toute façon leur existence n’est pas exclue à l’époque palatiale<br />

puisqu’on rencontre des sois décorés de bordures et de motifs curvili-<br />

gnes à l’époque des premiers palais, et d’autres, avec une imitation de<br />

joints rouges, dans les nouveaux palais de Zakro, Cnossos, Phaistos et<br />

Malia.<br />

L’habitude de revêtir la partie inférieure des murs intérieurs de gran-<br />

des plaques de gypse, surtout dans des pièces d’apparat où les sols<br />

étaient également recouverts de cette matière, est un héritage de I’épo-<br />

que des premiers palais, si l’on en croit les exemples de Cnossos et de<br />

Phaistos ; mais elle s’est généralisée à un point tel que le palais de<br />

Phaistos, qui renferme très peu de fresques, aurait droit au nom de


382 LA CIVILISATION BGÉENNE<br />


Le Bronze récent en Crète 383<br />

de plafonds, presque toujours des spires en réseaux serrés, en relief ou<br />

peintes, avec des éléments de remplissage végétaux ou de caractère<br />

symbolique.<br />

On est surpris par le fait que les trois autres palais étaient relative-<br />

ment pauvres en fresques ; nous n’avons que quelques maigres vestiges<br />

de ces ornements. Ils nous révèlent que les artistes se limitaient à des<br />

motifs décoratifs, évitant systématiquement les représentations ; cela ne<br />

peut être le fait du hasard. A Phaistos par exemple, on a mis au jour<br />

quelques restes de décors dans les deux niches qui bordent l’entrée<br />

médiane des appartements royaux (quand on vient de la cour centrale) ;<br />

il s’agit de rectangles avec des diagonales, formés de losanges qui se sui-<br />

vent. L’ornementation du palais se fondait davantage sur les revête-<br />

ments de gypse, à ce qu’il semble. Les vestiges de Malia sont encore<br />

plus pauvres ; la meilleure fresque, qui représente une ouverture à<br />

rideaux et des guirlandes, a été mise au jour dans un bâtiment pres du<br />

palais, la maison E, qu’on a considérée comme un petit palais. A Zakro<br />

on aimait beaucoup les frises de spires en relief et les chambranles déco-<br />

rés de la même façon, de spires et de rosaces ; mais la plupart des piè-<br />

ces étaient couvertes d’enduits de couleurs très vives. I1 faut toutefois<br />

noter qu’il est difficile de conserver les fresques qui tombent souvent en<br />

fragments ou ont perdu leurs couleurs dans les incendies qui ont détruit<br />

les constructions. 11 peut y avoir des conditions favorables qui contri-<br />

buent à ce que davantage de fragments soient sauvegardés ; c’est le cas<br />

de la villa royale d’Haghia Triada et de quelques maisons de Cnossos.<br />

Les dispositions sanitaires. Canalisations et égouts<br />

Dans les constructions labyrinthiques qu’étaient les palais minoens, il<br />

aurait été particulièrement difficile de vivre si on n’avait pas pris les<br />

mesures sanitaires indispensables : approvisionnement en eau, systèmes<br />

d’évacuation et égouts de fonctionnement satisfaisant. Aujourd’hui nous<br />

sommes émerveillés du haut niveau atteint dans ce type d’installations à<br />

l’intérieur des palais et des autres bâtiments, aussi bien en ville que<br />

dans la campagne.<br />

Nous avons vu que, dans le quartier des appartements royaux, il y<br />

avait des latrines. Les spécialistes qui travaillaient avec Evans ont étudié<br />

ces systèmes à Cnossos, quoiqu’on ne soit pas sûr qu’ils aient fonc-<br />

tionné dans le détail comme ils ont été décrits. Ces latrines se trouvaient<br />

dans un réduit séparé du salon de toilette par des plaques de gypse<br />

posées verticalement. Elles fonctionnaient avec une sorte de siphon


384 LA ClVlLlSATlON GGÉENNE<br />

formé par un saillant du mur de derrière, au-dessus d’une dalle incli-<br />

née aboutissant dans le conduit d’évacuation derrrière ce mur ; l’eau qui<br />

coulait atteignait le coude ainsi formé et obturait le canal, conservant<br />

ainsi l’endroit en bonnes conditions d’hygiène. A côté de l’ouverture, il<br />

y avait place pour un réservoir d’eau, et les entailles dans les plaques<br />

latérales montrent l’existence d’un siège. Des latrines de la même forme<br />

existaient à l’étage, mais de celles-ci ne sont conservés que l’ouverture et<br />

le canai d’évacuation vertical qui menait au système d’égout. Des instal-<br />

lations analogues ont été mises au jour dans les palais de Phaistos,<br />

Malia et Zakro, et dans ce dernier il y en a quatre exemples. Mais ces<br />

installations étaient plutôt simples ; elles comportaient un socle un peu<br />

surélevé, une ouverture entre des pierres ou des dalles jointes, des dalles<br />

inclinées qui menaient à la fosse septique ; elles ressemblaient aux ins-<br />

tallations modernes de type oriental.<br />

Les lavoirs étaient le plus souvent à l’extérieur des palais ou tout près<br />

des fleuves ; à Cnossos, Evans les a placés juste à l‘extérieur du petit<br />

bastion oriental, là où on emmagasinait l’eau des terrasses. Cette eau<br />

traversait un système de petits bassins où elle se filtrait en traversant du<br />

sable, et s’écoulait par un conduit qui longeait l’escalier du bastion.<br />

Grâce à un système de courbes paraboliques qui ralentissait sa descente,<br />

cette eau ne se répandait pas dans les tournants. Le système était très<br />

bien étudié et montre combien les connaissances hydrauliques des<br />

Minoens étaient avancées. Un autre lavoir était installé entre les arches<br />

du viaduc, où l’on atteignait facilement le niveau de l’eau courante par<br />

des escaliers. A Phaistos, le curieux petit bassin oblong avec ses esca-<br />

liers courts, qui se trouvait dans le secteur des ateliers, servait peut-être<br />

de buanderie. Mais il est plus difficile de reconnaître des installations<br />

analogues à Malia et à Zakro.<br />

Le problème de l’approvisionnement en eau n’a pas été affronté de la<br />

même façon dans les quatre palais. 11 est clair qu’il existait des bassins<br />

destinés à recevoir les eaux de pluie qui coulaient des toits en terrasses.<br />

Mais pour l’eau potable on avait besoin d’installations spéciales et les<br />

chercheurs ont essayé de les découvrir parmi les diverses pièces et instal-<br />

lations des palais. A Cnossos, on a mis au jour des puits très profonds,<br />

peut-être utilisés à des époques antérieures ; plus tard ils ont été rem-<br />

blayés ou ont servi de dépôts. Le principal système d’adduction d’eau<br />

- déjà protopalatial, pour Evans, mais plus vraisemblablement de la<br />

première phase néopalatiale - était véritablement un aqueduc avec des<br />

tuyaux en terre cuite ; nous en avons déjà parlé. I1 n’était pas le seul ;<br />

de nombreuses autres canalisations d’eau, avec des conduits en terre<br />

cuite, ont été mis au jour ailleurs - par exemple à Tylissos et à


Le Bronze récent en Crète 385<br />

Vathypétro - et même à Cnossos, dans d’autres installations, comme<br />

l’Hôtellerie routière (Caravansérail). A Phaistos le système d’adduction<br />

d’eau n’est pas clair ; les (( koulourès N ou anneaux de la cour occiden-<br />

tale n’ont jamais été des citernes, d’ailleurs ils ont été remblayés et tota-<br />

lement fermés à l’époque des seconds palais ; d’autres citernes, mises au<br />

jour à l’intérieur du palais appartiennent à l’époque hellénistique. A<br />

Malia cependant, les huit constructions circulaires - chacune d’entre<br />

elles était peut-être couverte d’une voûte que supportait un pilier<br />

centrai - réparties sur deux lignes, l’une près de l’autre, devaient être<br />

des citernes ; cela est confirmé par le ciment hydraulique intérieur ; il<br />

ne devait pas s’agir des silos à blé, comme quelques savants l’ont pensé,<br />

car on n’y a pas retrouvé de restes carbonisés ; un tel système ne se jus-<br />

tifie d’ailleurs pas si l’on pense au grand nombre de magasins existant à<br />

l’intérieur du palais.<br />

C’est à Zakro qu’on a trouvé les constructions les plus intéressantes<br />

concernant l’approvisionnement en eau ; cela est dû au fait qu’il y avait<br />

de la bonne eau potable sur place dans des nappes souterraines, à faible<br />

profondeur. Ce sont ces mêmes nappes qui, aujourd’hui encore, inon-<br />

dent les régions les plus basses du palais, ce qui, ajouté au relèvement<br />

du niveau qui s’est opéré depuis lors, rend particulièrement difficile la<br />

fouille des pièces les plus profondes. A l’extrémité sud-est de la cour<br />

centrale, dans une pièce incorporée dans l’aile orientale, il y avait un<br />

puits avec de l’eau potable à faible profondeur jaillissant entre les joints<br />

du dallage ; on descendait par un escalier à un niveau plus bas que la<br />

cour, et là on puisait l’eau facilement grâce à une poulie en bois dont<br />

on a retrouvé des vestiges. Mais la principale source d’eau se trouvait<br />

sous le sol de la grande salie carrée -la salle du trône<br />

probablement -, dans l’angle sud-ouest et dans le saillant vers la cour<br />

sud-est où se trouvait située la fontaine. Une galerie souterraine permet-<br />

tait de temps en temps de nettoyer cette fontaine ; l’eau passait à tra-<br />

vers deux orifices dans la NXT~ xp hq (fontaine spécialement construite)<br />

- le nom est pris chez Homere -, accessible par un long escalier qui<br />

descendait de la cour ; les murs de l’intérieur hypèthre étaient bien<br />

construits en pierres de taille bien jointes, du poros ; un haut podium,<br />

tout autour, permettait de puiser l’eau lorsque la pièce était inondée.<br />

C’est là que débouchaient des conduits d’évacuation en pierre qui déver-<br />

saient l’eau superflue de la citerne centrale, celle de la grande pièce car-<br />

rée dont on a déjà parlé. Cette citerne était la troisième installation<br />

importante concernant l’alimentation en eau du palais.<br />

On avait particulièrement étudié le système d’évacuation des eaux de<br />

pluie et des eaux usées. A Cnossos, deux réseaux d’égouts indépendants


386 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

assuraient le bon fonctionnement : un système fait de petits conduits<br />

qui se déversaient dans des canalisations plus grandes, et celles-ci enfin<br />

dans des collecteurs dont la section était si grande qu’on pouvait pres-<br />

que y circuler debout ; l’autre était fait de conduits relativement petits<br />

qui passaient sous les sols, dans tous les endroits à ciel ouvert, et drai-<br />

nait les eaux ; il les déversait par un seul conduit dans le Kairatos ;<br />

c’est dans la rivière qu’aboutissait également l’autre système. <strong>La</strong> pente<br />

et l’itinéraire de tous ces canaux avaient été étudiés avec beaucoup de<br />

soin. Des plaques les recouvraient et les protégeaient, tandis que des<br />

regards servaient au nettoyage ou à drainer par l’intermédiaire de<br />

conduits verticaux, les eaux de pluie venant des toits et des terrasses. De<br />

nombreuses vannes ont été mises au jour, et quelques bassins de décan-<br />

tation ont été mal compris par Evans, qui les a d’abord pris pour des<br />

pressoirs à huile ; finalement, en suivant les conduites et en découvrant<br />

les puisards qui absorbaient l’eau, on a vu leur véritable usage.<br />

Quelques-uns de ces collecteurs étaient en terre cuite, et ouverts sur le<br />

dessus et sur l’un des côtés.<br />

Les systèmes de drainage de Phaistos et de Malia étaient analogues,<br />

mais on n’a réussi à les déceler que dans certains endroits, surtout dans<br />

les espaces ouverts. Les éléments mis au jour dans le palais de Zakro<br />

ont été très instructifs. Certains puits de lumière et des petites pièces<br />

non couvertes étaient drainés par d’étroits caniveaux en pierre ou en<br />

terre cuite placés en surface, ou juste sous les sols ; leur section était un<br />

II retourné. Les égouts des latrines étaient séparés. Mais d’autres<br />

conduits étaient placés plus profondément, construits en pierre, cimentés<br />

d’un enduit hydraulique et recouverts de plaques ; dans l’aile occiden-<br />

tale, on n’en a retrouvé que quelques fragments, mais dans l’aile orien-<br />

tale, où la destruction des sols et des dallages a été presque générale, les<br />

systèmes d’égouts ont été mis au jour sur une grande étendue. L’exem-<br />

pie le plus caractéristique est celui qu’on a découvert sous le dallage de<br />

la cour intérieure nord-est : les conduits les plus petits descendent de<br />

trois directions et déversent leurs eaux dans un égout commun, plus<br />

profond, construit en pierres de taille bien jointes ; ce dernier se dirige<br />

vers l’est pour déverser ses eaux dans la mer. En deux endroits on a<br />

retrouvé des bassins de décantage qui recevaient verticalement les eaux<br />

provenant des toits et des salies de l’étage tout autour de cette cour. En<br />

outre, les caniveaux des routes principales et de leurs ramifications sont<br />

très caractéristiques ; en certains points ils traversent les routes en dia-<br />

gonale et leurs dalles de couvertures ressortent de façon inattendue sur<br />

le dallage.


Les jardins et les bois royaux<br />

Les palais minoens étaient - cela a été confirmé - étroitement liés à<br />

leur environnement naturel, puisqu’ils n’avaient pas de limites matériali-<br />

sées. Cependant il nous est très difficile, aujourd’hui, de reconstituer de<br />

façon précise cet environnement. Aux pieds de la colline du palais de<br />

Cnossos, il y avait la région boisée qui bordait le Kairatos et son<br />

affluent, la Vlichia, enjambée par le grand viaduc. Le fait qu’il existe<br />

une zone neutre, privée de ruines près de ces cours d’eau, prouve que<br />

l’eau coulait jadis plus abondamment, et c’est là que s’étendaient les<br />

jardins royaux qui devaient atteindre la zone des maisons entourant le<br />

palais et la villa royale au nord-est. Vers le sud, la région de I’Hôtelle-<br />

rie routière (Caravansérail), devait être plantée jusqu’au viaduc. Mais il<br />

est impossible de dire où se trouvaient les oliviers et les bois de cyprès<br />

qui, jusqu’à l’époque grecque, étaient consacrés à Rhéa, la déesse-mère.<br />

II est normal d’admettre que quelques-unes des terrasses de la colline,<br />

dont la terre était maintenue par des murs de soutènement sur le ver-<br />

sant est, aient été aménagées en jardins qui se continuaient sur les ter-<br />

rasses du palais lui-même ; les vérandas et les balcons devaient être<br />

pleins de pots de fleurs, petits et grands, comme ceux qu’on a facile-<br />

ment identifiés par leur forme et le trou caractéristique dans leur partie<br />

inférieure, destiné à laisser s’écouler l’eau de l’arrosage. Les fresques<br />

montrent aussi des pots de fleurs - à Théra, placés sur les fenêtres -<br />

ainsi que des jardins royaux avec des quadrupèdes exotiques circulant et<br />

des oiseaux voltigeant au milieu de divers aménagements horticoles.<br />

Pour Phaistos nous sommes beaucoup moins renseignés, mais, bien<br />

sûr, ce palais ne devait pas être très en retard dans ce genre d’installa-<br />

tions par rapport au palais d’été mis au jour à Haghia Triada, où elles<br />

sont assurées et ont été, à ce qu’il semble, représentées sur les fresques.<br />

A Phaistos aussi, à l’époque grecque le temple de Rhéa, mis au jour sur<br />

le versant sud-est et attesté par une épigraphe, comprenait très proba-<br />

blement un bois tout autour, comme à Cnossos.<br />

Pour Malia, il a déjà été question plus haut des jardins qui devaient<br />

exister devant les appartements des rois ; peut-être y en avait4 aussi au<br />

sud, car il ne semble pas que des bâtiments aient été construits là où<br />

s’étendait auparavant l’habitat protopalatial.<br />

A Zakro, les terrasses des annexes du palais montaient graduellement<br />

sur les pentes des collines qui devaient, au moins en partie, être plan-<br />

tées ; il semble qu’il y avait, en dehors de cela, un jardin royal dans le<br />

péribole sud, dont la fouille n’est toutefois pas terminée. Le caractère<br />

de ces jardins était peut-être mixte - vergers et jardins d’agrément -


388 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

comme c’était le cas des jardins proches du palais d’Alkinoos, décrits<br />

par Homère, lesquels se trouvaient à l’intérieur d’un péribole et à côté<br />

de fontaines. II n’est donc pas exclu que dans la cour qui se trouvait<br />

devant la fontaine bien construite N de l’aile orientale il y ait eu un<br />

jardin de ce type. L’horticulture minoenne n’a pas encore été étudiée,<br />

mais de nombreux botanistes se sont occupés des’fleurs et des arbres,<br />

fruitiers ou non, qu’on cultivait à cette époque.<br />

Les petits palais, villas royales et fermes<br />

II est des cas où nous hésitons à donner un nom plus précis à des<br />

bâtiments qui, tout en étant indubitablement des constructions royales<br />

et, pour ainsi dire, des palais miniatures, n’étaient pas de véritables<br />

palais ; quelques-uns d’entre eux ont été caractérisés, d’après leur posi-<br />

tion et leur nature, comme palais d’été. Evans a appelé (( Petit palais N<br />

l’important bâtiment qui a été mis au jour à l’ouest du grand, et qui<br />

était directement relié à ce dernier par ce qu’on désigne sous le nom de<br />

Route royale H ; il a pensé qu’il avait été construit tout de suite après<br />

le tremblement de terre de 1600 av. J.-C. en (( expiation », dans un but<br />

purement religieux. I1 a apporté comme argument le fait qu’on y a<br />

construit toute une série de cryptes et d’autres pièces vouées au culte,<br />

des dépôts sacrés, etc., et qu’on y a découvert quelques-uns des ustensi-<br />

les rituels les plus importants, par exemple le fameux rhyton en forme<br />

de tête de taureau. Toutefois cette considération est également valable<br />

pour les grands palais qui étaient, en grande partie, des sanctuaires. Le<br />

(( Petit palais )) avait effectivement tout un secteur réservé au culte, avec<br />

des cryptes souterraines - deux et trois piliers quadrangulaires, des<br />

petits bassins à libations - et une partie qui n’était pas souterraine. I1 y<br />

avait des sanctuaires à l’étage, car il en est tombé le rhyton en forme de<br />

tête de taureau. Dans le secteur des mégarons à polythyron - au nom-<br />

bre de deux avec un péristyle commun, qui servait aussi de puits de<br />

lumière, et un portique extérieur - il y avait une salle de bains, avec<br />

un vestibule du type de la salle de bains des appartements royaux de<br />

Zakro, donc il n’est pas exclu qu’elle ait été utilisée, ici aussi, à la fois<br />

comme salle de bains et comme bain lustral, puisque à l’époque postpa-<br />

latiale, elle a été transformée en sanctuaire à banquette. Dans le<br />

complexe des pièces d’habitation, il y avait aussi une série de petites<br />

chambres dont l’une servait de buanderie ; elle était équipée d’un cani-<br />

veau spécial. Le complexe des magasins était limité. Un escalier central<br />

menait aux pièces de l’étage, tandis que d’autres desservaient les sanc-


Le Bronze récent en Crète 389<br />

tuaires d’en haut et les cryptes. Le bâtiment juste à l’ouest -celui<br />

qu’Evans a baptisé (( Unexplored Mansion )) - séparé par une cour<br />

assez étroite, communiquait directement par un petit pont-levis appuyé<br />

sur des piles ; il devait constituer une annexe. Graham pense qu’elle<br />

avait été construite pour parer aux besoins du petit palais en salies de<br />

banquets, salles à manger, magasins et cuisines ; les pièces de service se<br />

trouvaient des deux côtés, au nord et au sud, pour desservir les salles<br />

centrales, la pièce hypostyle et une autre salle à l’étage avec quatre<br />

colonnes.<br />

Une autre construction importante de Cnossos, qui n’était sans doute<br />

pas une simple demeure privée, a été appelée par Evans (( Villa<br />

royale D ; elle se trouvait à quelques dizaines de mètres de la porte<br />

orientale du palais, sur la rive gauche du Kairatos. Le bâtiment n’était<br />

pas très étendu mais comportait au moins trois étages, et il avait un<br />

agencement intérieur particulier ; le pian du rez-de-chaussée se répétait<br />

presque sans modifications aux étages. <strong>La</strong> pièce centrale avait la forme<br />

du mégaron à polythyron simple, ordonné symétriquement, avec le por-<br />

tique devant au lieu d’un puits de lumière et, au fond, une cloison-<br />

parapet à colonnes avec une ouverture centrale. Au centre du mur de<br />

derrière une niche, revêtue de plaques de gypse, était utilisée pour un<br />

trône ou quelque symbole ; la pièce voisine est du type de la crypte à<br />

pilier central quadrangulaire, sol dallé abaissé au centre, des petits bas-<br />

sins pour les libations et un caniveau étroit autour de la colonne ; de<br />

grandes poutres en cyprès se croisaient au-dessus du pilier, comme l’ont<br />

montré les trous dans les murs. Un petit escalier menait au sanctuaire<br />

de l’étage. De l’autre côté de la salle centrale, passé le couloir d’entrée,<br />

il y avait un local rectangulaire pourvu d’un polythyron à trois portes,<br />

deux ou trois petites pièces et l’escalier principal qui menait aux appar-<br />

tements du haut. Ce dernier était du type à volées alternativement<br />

simples et doubles, avec palier intermédiaire, comme c’est le cas<br />

aujourd’hui pour les escaliers monumentaux des édifices officiels. De<br />

grands vases du style du palais ont été mis au jour dans cette villa, qui<br />

devait en effet être royale, quoique sa véritable destination demeure<br />

inconnue.<br />

Evans et d’autres chercheurs avaient parlé d’un grand palais à Archa-<br />

nès, au pied de la montagne sacrée de Cnossos - le Iouktas. On en<br />

distingue encore de nombreux vestiges, a l’intérieur et entre les maisons<br />

du village actuel situé à peu près à dix kilomètres de Cnossos. Un palais<br />

à une si petite distance et sur un tel site aurait pu être utilisé comme<br />

résidence d’été de la famille royale. Les recherches, menées ces dernières<br />

années par J, Sakellarakis, ont mis au jour un secteur de ce palais qui


390 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

était construit comme celui de Cnossos. Dans l’ouverture à colonne du<br />

couloir d’entrée, on a trouvé, sur le stylobate, quatre autels en poros du<br />

type connu, avec les côtés incurvés ; une autre pièce intérieure, dallée de<br />

plaques de gypse, avait des banquettes contre les murs. A une distance<br />

relativement courte se trouve la citerne circulaire, connue depuis long-<br />

temps par Evans, du type de celle de la salle du trône du palais de<br />

Zakro ; cela rend très probable l’hypothèse qu’elle ait été, elle aussi,<br />

adaptée architectoniquement au palais. Les systèmes d’alimentation en<br />

eau et d’évacuation par des trop-pleins de l’eau superflue ont été mis au<br />

jour lors de fouilles complémentaires effectuées par le chercheur grec<br />

d’ Archanès. D’autres parties de bâtiments, peut-être des annexes du<br />

palais, ont été découvertes par les archéologues Marinatos, Platon et<br />

Mlle Lembessi. Mais ce qui confirme le caractère palatial de l’installa-<br />

tion d’Archanès, c’est la découverte sur la colline de Phourni, voisine du<br />

village, d’une nécropole de caractère royal, avec des tombes à tholos<br />

qui ont livré plusieurs trésors.<br />

Dans la région de Phaistos, la grande villa qui a été découverte à une<br />

distance relativement petite, au pied de la troisième et dernière colline à<br />

côté du Géropotamos (Lithaios), a très nettement une allure de palais<br />

l’été, aussi bien par sa situation - un endroit couvert de verdure et très<br />

frais l’été - que par son agencement véritablement palatial, sa décora-<br />

tion et son équipement particulièrement riche ; le sarcophage décoré de<br />

fresques représentant des cérémonies religieuses qui a été trouvé près de<br />

la villa est indubitablement royal. Au même endroit, à l’époque post-<br />

palatiale, il y a eu un mégaron de type mycénien, des portiques, une<br />

agora et d’autres bâtiments importants qui prouvent qu’il y a toujours<br />

eu là un grand centre de <strong>civilisation</strong>. Puisque nous ne connaissons pas<br />

le nom minoen de ce site, nous devons nous contenter de le désigner<br />

par le toponyme du village moderne - Haghia Triada - qui s’est lui-<br />

même éteint, en tant qu’habitat, il y a deux siècles. <strong>La</strong> villa a été cons-<br />

truite sur deux niveaux et deux ailes à angle droit formant un L ; entre<br />

celles-ci, sur le niveau le plus élevé, il y avait la cour triangulaire dallée,<br />

limitée au sud par un péribole avec une entrée centrale à degrés ; cette<br />

cour a été refaite et arrangée d’une façon un peu différente à l’époque<br />

post-palatiale. Depuis la route d’accès qui passait devant la façade prin-<br />

cipale du bâtiment et continuait par degrés du côté de la mer, le visiteur<br />

atteignait le grand escalier qui menait à la cour. L’aile principale, celle<br />

du nord, beaucoup plus longue que l’autre (à l’ouest), abritait, en son<br />

centre, le sanctuaire, c’est-à-dire la crypte avec le pilier carré, les petites<br />

pièces voisines qui servaient de trésor, le (( magasin des talents de cui-<br />

vre )), la sacristie, les magasins du sanctuaire, et une autre pièce à peti-


Le Bronze récent en Crète 39 1<br />

tes colonnes servant au culte, trouvée à moitié détruite. A l’extrémité<br />

est de cette même aile, il y avait trois mégara à polythyron parallèles et<br />

un petit lieu de repos d’où l’on accédait, par un escalier, aux apparte-<br />

ments de l’étage. Mais les appartements royaux avaient été installés<br />

dans l’aile occidentale ; ils donnaient sur la rivière et la petite plaine qui<br />

constitue l’entrée de la plaine de la Messara, aujourd’hui plaine de<br />

Tymbaki. Là on retrouve les mégara à polythyron caractéristiques, l’un<br />

plus grand - peut-être pour le roi - avec puits de lumière, portique<br />

extérieur, un lieu de repos au fond et une chambre de bains ; l’autre,<br />

plus petit, pour les femmes du palais, ayant au fond un réduit minus-<br />

cule formé de cloisons en briques, entièrement décoré de scènes religieu-<br />

ses dans une végétation luxuriante. Là aussi il y avait un petit portique<br />

extérieur en angle, arrangé en lieu de repos. Au-delà des appartements<br />

royaux se trouvaient l’atelier avec ses installations particulières, un<br />

magasin à vin et, tout de suite après, accessible par la cour d’en haut,<br />

un complexe de magasins avec un couloir commun ; sous le dallage de<br />

ce dernier, il y avait des coffres construits, destinés à abriter les objets<br />

précieux. Dans une autre cour, au nord du corps principal de l’édifice,<br />

on avait aménagé, à l’est, un portique, et au nord une rangée de pièces<br />

dont l’usage est inconnu. C’est dans le remblai du petit escalier qui<br />

menait de la cour principale du haut au sommet où se trouve<br />

aujourd’hui la petite église post-byzantine de Saint-Georges, qu’on a<br />

trouvé, en fragments, les trois vases rituels en pierre sculptée bien con-<br />

nus. Des constructions - peut-être quelques annexes du palais - le<br />

bordaient au nord et à l’est. Devant celles de l’est, à la suite du grand<br />

escalier, la route dallée conduisait à Phaistos.<br />

A Malia, pas très loin du palais et au sud de celui-ci, on a mis au<br />

jour un très grand bâtiment, qui correspond en quelque sorte au, petit<br />

palais de Cnossos. C’est celui que les fouilleurs français ont appelé Mai-<br />

son E. II avait deux entrées, l’une au nord et l’autre au sud. <strong>La</strong> pre-<br />

mière, à l’intérieur d’un vestibule à colonne, menait, grâce à un couloir,<br />

jusqu’à la cour centrale dallée ; tout autour de celle-ci s’ouvraient des<br />

appartements et des ateliers ; au sud, on distingue une pièce à polythy-<br />

ron et une salle de bains du type habituel, avec deux petites niches dans<br />

le mur, dont l’une abritait la lampe - elle a été trouvée en place -, et<br />

un vaste vestibule décoré de fresques ; les pièces de l’est étaient peut-<br />

être destinées au service. De la cour centrale on accédait à des apparte-<br />

ments dont l’un au moins - avec une base pyramidale qui devait sup-<br />

porter une double hache - était destiné au culte ; un autre avait un<br />

péristyle à piliers carrés et des petites pièces intérieures. Le complexe<br />

septentrional, accessible du vestibule d’entrée par un autre couloir qui


392 LA CIVILISATION GGÉENNE<br />

débouchait sur une cour avec un demi-péristyle, était constitué par des<br />

magasins et des ateliers, reliés par un corridor commun d’où partait<br />

l’escalier de l’étage. Le bâtiment a été perturbé lors de sa réutilisation à<br />

l’époque pos t-palatiale .<br />

Un autre petit palais a été mis au jour il y a longtemps et étudié par<br />

des membres de l’école anglaise à Plati (<strong>La</strong>ssithi) ; il devait contrôler la<br />

région vitale du plateau, particulièrement prospère, autrefois comme<br />

aujourd’hui. Malheureusement la fouille est restée inachevée et le site<br />

n’est plus visitable maintenant ; il est donc presque impossible d’affir-<br />

mer, sans qu’aient lieu des fouilles complémentaires, qu’il s’agit d’un<br />

palais. L’espace central rectangulaire - la cour ? - est oblong (presque<br />

17 x 50 mètres) ; mais il est orienté différemment de celui des autres<br />

palais, c’est-à-dire qu’il est presque ouest-est. Le quartier oriental sem-<br />

ble détruit. A l’ouest reste visible un large accès, tandis que les deux<br />

ailes à moitié détruites forment un angle droit fermé ; l’aile d’en face<br />

s’est conservée en assez bon état et l’on y distingue deux mégara<br />

à polythyron, un grand et un petit ; leur façade, avec un petit portique,<br />

donnait sur l’espace central à ciel ouvert ; un corridor menait vers la<br />

cour intérieure dallée et, non loin de là, il y avait un complexe de<br />

magasins avec un long couloir commun.<br />

Dans la ville minoenne connue sous le nom moderne de Gournia -<br />

d’après les nombreuses petites auges de pierre que les paysans ramas-<br />

saient sur le site - le petit palais, qui était peut-être le siège d’un<br />

toparque, avait été construit sur le sommet de la butte préalablement<br />

nivelée, entouré des maisons de la ville qui s’étageaient sur les pentes.<br />

Devant, une grande cour trapézoïdale ; au centre de l’aile nord, des<br />

escaliers disposés en angle menaient au vestibule et à une terrasse voi-<br />

sine. A partir de là il était commode pour les habitants d’assister aux<br />

rassemblements qui se tenaient sur la place. Les murs extérieurs du<br />

palais, bien construits, se sont relativement bien conservés ; c’est surtout<br />

le cas des façades qui donnaient sur la route occidentale dallée et la<br />

cour qui lui faisait suite. Malheureusement, les appartements de l’étage<br />

n’existent pratiquement plus : leur matériel principal a été entraîné sur<br />

les pentes ou bien pillé. On ne peut que distinguer, après le porche et le<br />

corridor d’entrée, la pièce officielle centrale en deux parties continues<br />

qui sont reliées par deux rangées de colonnes alternant avec des piliers,<br />

un lieu de repos tout en longueur, un passage vers l’escalier qui menait<br />

aux pièces de l’étage et une terrasse qui se terminait à l’est par une<br />

sorte de surplomb au-dessus de pièces de fondation ; ensuite, plus à<br />

l’intérieur, vers le nord, un complexe de magasins et de petits ateliers ;<br />

la plus grande partie du côté ouest comprenait un ensemble de magasins


Le Bronze récent en Crète 393<br />

bien organisés, situés à un niveau plus bas et accessibles par des petits<br />

escaliers et un corridor commun.<br />

Sans aucun doute, il existait d’autres petits palais de ce type, peut-<br />

être destinés à des toparques, dans d’autres régions de la Crète ; des<br />

vestiges de ces bâtiments ont été identifiés par exemple à Haghios Kons-<br />

tantinos de Praisos et sur l’acropole de Kastelli à <strong>La</strong> Canée.<br />

D’autres bâtiments moins étendus et plus simplement organisés,<br />

étaient utilisés comme villas ou fermes. On devrait peut-être commencer<br />

par les villas construites près des installations portuaires, comme celles<br />

du port de Cnossos dans la région de Katsamba, de Kartéros -<br />

I’Amnisos minoenne - et de Nirou Khani avec le petit port d’Haghioi<br />

Théodoroi. A Katsamba, on a fouille, en partie seulement -<br />

constructions anciennes et modernes le recouvrent - un grand bâti-<br />

ment, peut-être de caractère palatial. A Amnisos, Marinatos a fouillé<br />

une villa - connue actuellement sous le nom de Villa des lys - dont il<br />

n’est pas exclu qu’elle ait été utilisée par le roi ou un dignitaire supé-<br />

rieur de la cour, quand il descendait au port ; la belle décoration de<br />

fresques qui représentait des agencements architecturaux avec des lis et<br />

des parterres de fleurs s’adapterait mal à un bâtiment de caractère<br />

privé. L’entrée se faisait au nord, par un couloir, dans la grande salle<br />

décorée de fresques avec puits de lumière à colonne, et la chambre voi-<br />

sine bien construite en pierres de taille (poros) ; tout près, une pièce<br />

carrée, peut-être une crypte de sanctuaire, l’escalier et le beau mégaron<br />

à polythyron pourvu d’un portique extérieur, et une salle de bains de<br />

type cnossien ; l’ensemble se trouvait complété par une cuisine acces-<br />

sible par un couloir coudé ; à un niveau plus haut, vers le sud, se trou-<br />

vaient les magasins.<br />

<strong>La</strong> villa de Nirou 2 Nirou Khani est le nom moderne - a été fouil-<br />

lée par Xanthoudidès et n’a pas été conservée en entier ; en raison de<br />

l’étrange agencement intérieur et des ustensiles et symboles religieux qui<br />

y ont été trouvés emmagasinés, Evans a cru que c’était là la résidence<br />

d’un grand prêtre, dont l’occupation essentielle était de faire l’exporta-<br />

tion d’objets rituels à l’époque mycénienne dans un but de propagande<br />

religieuse. Une cour extérieure, dallée, était utilisée pour les besoins du<br />

culte : elle comportait une sorte d’autel à degrés près duquel on a mis<br />

au jour des doubles cornes en pierre. De cet endroit, la route dallée se<br />

prolongeait en longeant la façade sud de la villa. <strong>La</strong> pièce dans laquelle<br />

on entrait depuis la cour était un mégaron à polythyron tout simple, et<br />

de là on atteignait, par un petit couloir, un lieu de repos avec des<br />

bancs, éclairé par un puits de lumière ; le secteur à destination religieuse<br />

était constitué du sanctuaire proprement dit et de ses dépôts - on y a


394 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

trouvé des couches de sacrifices, de dépôts de coupes à offrandes et de<br />

très grandes doubles haches -, des pièces constituant la sacristie, d’un<br />

escalier qui desservait les pièces de l’étage du sanctuaire et un complexe<br />

de magasins, remplis de tables d’offrandes tripodes stuquées. <strong>La</strong> partie<br />

centrale, accessible par le petit couloir partant du mégaron à polythy-<br />

ron, était composée de pièces sombres, peut-être des trésors et des<br />

dépôts, où l’on a trouvé de nombreuses lampes de pierre ; enfin, la par-<br />

tie nord comprenait la rangée des magasins avec corridor commun, une<br />

pièce où l’on emmagasinait le blé dans des cistes faites de cloisons en<br />

briques, et un deuxième escalier montant à l’étage. Bien sûr, on ne peut<br />

confirmer l’hypothèse d’Evans, à partir des données de la fouille, mais<br />

il semble bien que ce bâtiment ait eu une destination particulière.<br />

II est encore beaucoup plus difficile de caractériser les belles construc-<br />

tions mises au jour par Joseph Hazzidakis à Tylissos, que lui-même,<br />

avec beaucoup de modestie, a appelées (( maisons minoennes ». I1 s’agit<br />

de trois vastes fermes ou villas, situées l’une près de l’autre et, sans<br />

aucun doute, centres d’un grand habitat, à une quinzaine de kilomètres<br />

de Cnossos (treize de l’Héraklion d’aujourd’hui). On peut se demander<br />

pourquoi il y en avait trois ; il n’est pas possible de ce fait d’y voir la<br />

résidence d’un toparque. Mais il faut tout de même penser qu’à Zakro<br />

aussi, comme à Palaikastro, on a mis au jour de nombreuses grandes<br />

constructions, qui sont plutôt des villas que de simples maisons. Le<br />

bâtiment A était le plus complexe, tandis que le C était plus solidement<br />

construit et le B celui dont l’organisation était la plus symétrique et la<br />

plus simple. Dans le premier, l’entrée se faisait par un couloir coudé,<br />

peut-être à ciel ouvert, dans un porche avec un vestibule à piliers ; de là<br />

on accédait par un long escalier aux appartements de l’étage, et par des<br />

entrées séparées aux secteurs d’habitation et des magasins. Le premier sec-<br />

teur, en dehors du mégaron à polythyron caractéristique, avec sa salle de<br />

bains, comportait le sanctuaire et le trésor, des chambres de service, et<br />

enfin, à l’intérieur d’un étroit couloir coudé, de petites pièces destinées<br />

au personnel ainsi que l’escalier de service. L’autre aile, celle des maga-<br />

sins, avait deux pièces principales, hypostyles, et de nombreuses autres<br />

plus petites, sans doute des dépôts ; un petit escalier desservait les piè-<br />

ces de l’étage. L’agencement du bâtiment C était le même mais plus<br />

unifié ; juste après l’entrée, il y avait la loge du gardien et, accessible<br />

par un couloir, le complexe du sanctuaire - une crypte hypostyle et un<br />

adyton inaccessible aux profanes, où l’on a trouvé des symboles et des<br />

ustensiles religieux. Le couloir débouchait sur un escalier et sur des<br />

magasins. En face de l’escalier, il y avait les pièces centrales - peut-<br />

être ici aussi un trésor et un office - sombres comme toujours, et un


Le Bronze récent en Crète 395<br />

autre couloir qui menait au mégaron à polythyron avec sa chambre de<br />

bains, à un vestibule bien éclairé par une fenêtre à trois baies et à<br />

l’escalier qui conduisait à l’étage. Ici encore un couloir particulier con-<br />

duisait à l’escalier de service et aux latrines, du type de celles de Phais-<br />

tos, de Malia et de Zakro. Le bâtiment B était un rectangle ; au centre<br />

on avait le mégaron simplifié avec son puits de lumière et, tout autour,<br />

le long d’un couloir tournant, les autres appartements. L’escalier de<br />

l’étage était accessible du vestibule d’entrée et, en face, se trouvait la<br />

loge du gardien. Ces trois villas sont très intéressantes pour I’articula-<br />

tion des constructions les plus grandes après les palais. Une place - qui<br />

fut dotée plus tard d’un portique latéral -, à un niveau un peu plus<br />

élevé que le bâtiment C, était surtout destinée à des cérémonies religieu-<br />

ses ; elle a été utilisée dans un but religieux depuis l’époque protopala-<br />

tiaie jusqu’à l’époque classique grecque, quand on y a installé, au cen-<br />

tre, l’autel d’Héra.<br />

Les constructions utilisées comme fermes se reconnaissent facilement<br />

par leurs installations agricoles et artisanales domestiques ; elles sont<br />

presque toujours isolées dans des régions agricoles ou dans des endroits<br />

permettant l’exploitation et le contrôle d’une région vitale ; il ne semble<br />

pas qu’il se soit agi de simples demeures de riches propriétaires terriens,<br />

mais plutôt de résidences de petits toparques, indépendantes des grands<br />

palais. Elles étaient sans doute assez nombreuses, mais la plupart de cel-<br />

les qui ont été fouillées ont été découvertes par hasard lors de travaux<br />

publics, communaux ou privés ; aussi ont-elles été fortement endomma-<br />

gées jusqu’à ce que les services archéologiques interviennent et que com-<br />

mencent les recherches systématiques. Il y en a d’autres dont nous<br />

connaissons la situation, mais on n’a pas trouvé encore la possibilité de<br />

les fouiller. <strong>La</strong> plupart sont en Crète orientale ; d’autres ont été décou-<br />

vertes en Crète centrale et, dernièrement, on a commencé à en mettre<br />

au jour en Crète occidentale. Nous ne parlerons ici que des plus impor-<br />

tantes de ces fermes, surtout pour montrer leur fonction. II serait inu-<br />

tile, dans une inspection aussi rapide, de décrire toutes ces installations.<br />

Leur chronologie n’est pas toujours la même : certaines ont été cons-<br />

truites dans la première phase néopalatiale, d’autres dans la seconde, et<br />

quelques-unes dans la troisième ; leur durée a également varié. A I’épo-<br />

que post-palatiale elles ont cessé d’être utilisées, mais certaines d’entre<br />

elles ont été partiellement réoccupées, parfois dans un but religieux.<br />

Non loin d’Archanès, près de Vathypétro ou il existe encore<br />

aujourd’hui une source importante, Marinatos a exploré une grande<br />

ferme qui s’est révélée très intéressante pour ses installations agricoles.<br />

Les principales pièces d’habitation étaient à l’étage, accessibles par un


3% LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

escalier dont le palier avait une belle vue sur la vallée environnante. Au<br />

rez-de-chaussée se trouvait le quartier affecté aux pratiques religieuses.<br />

I1 donnait sur une petite cour intérieure et son élément principal était<br />

un sanctuaire tripartite ; juste en face se trouvait une salle dont la<br />

façade comportait une colonne. Dans une pièce intérieure avec des<br />

bancs tout autour on a trouvé des centaines de coupes à offrandes ; la<br />

façade occidentale, qui était voisine de ce sanctuaire, comportait une<br />

niche, peut-être pour abriter quelque symbole religieux. A la suite, au<br />

sud, il y avait un système de magasins hypostyles et, au centre de la<br />

ferme, un pressoir, parfaitement équipé pour presser les raisins, le<br />

G récipient )) pour recueillir le moût, des ustensiles auxiliaires et un<br />

système pour l’évacuation des liquides. L’appartement voisin et la pièce<br />

au-dessus de celui-ci avaient servi pour le tissage et on y a trouvé de<br />

nombreux poids de métiers. Plus à l’est, il y avait les pièces de service<br />

et les cuisines, et, presque en dehors de la ferme, le four à métaux avec<br />

ses conduits de ventilation très caractéristiques.<br />

Une autre ferme, assez étendue, dans la région de l’ancienne Lykas-<br />

tos, derrière la montagne sacrée du Iouktas, a été mise au jour par le<br />

même fouilleur ; il l’a considérée comme un palais, en relation avec le<br />

Lykastos mythique, le frère de Minos ; le bâtiment a été trouvé en très<br />

mauvais état et il est difficile de le caractériser plus précisément. <strong>La</strong><br />

troisième ferme explorée par le même fouilleur dominait la petite plaine<br />

de Sklavokampos, au pied de l’Ida, du côté nord. Elle était plus petite<br />

mais son agencement intérieur était très intéressant : elle était faite de<br />

deux parties étroitement liées entre elles. <strong>La</strong> première comprenait un<br />

couloir d’entrée, diverses petites pièces qui donnaient sur un corridor<br />

commun, et un escalier à l’une des extrémités ; une pièce principale,<br />

avec un grand compartiment hypostyle dont une partie, - isolée par un<br />

mur où le rocher, avec ses anfractuosités, était resté dans son état<br />

naturel -, était utilisée comme sanctuaire, les petites pièces voisines ser-<br />

vant de sacristies ; à l’extérieur, il y avait, en annexe, un dépôt. L’autre<br />

partie, vers la façade, comportait deux pièces qui donnaient sur un por-<br />

tique correspondant à une véranda à l’étage. De nombreux pith@ ont<br />

été trouvés dans les pièces du rez-de-chaussée. Une série d’empreintes de<br />

sceaux a prouvé les liens étroits avec les autres centres néopalatiaux.<br />

Une ferme beaucoup plus grande a été fouillée par Doro Levi à<br />

Métropolis près de Gortyne, au lieu-dit Kannia. Là aussi les pièces prin-<br />

cipales étaient à l’étage, accessibles par un escalier en bois dont la cage<br />

était près de l’entrée ; la plupart des pièces du rez-de-chaussée étaient<br />

des magasins qui communiquaient par des corridors ; les plus grandes<br />

étaient hypostyles. Les pièces de l’extrémité orientale étaient vouées au


Le Bronze récent en Crète 397<br />

culte et elles ont continué à l’être, après quelques changements radi-<br />

caux, à l’époque post-palatiale, comme l’ont prouvé les nombreuses ido-<br />

les et les ustensiles rituels. D’autres pièces des extrémités étaient des ate-<br />

liers, dont la nature fut définie d’après leur équipement.<br />

A Myrtos, sur le versant sud des monts du <strong>La</strong>ssithi, à l’ouest de Hié-<br />

rapétra, des membres de l’École britannique ont mis au jour, au lieu-dit<br />

Pyrgos, une ferme importante qui présentait deux états de construction ;<br />

dans le deuxième, elle avait une belle façade en pierres de taille - du<br />

poros - et quelques pièces bien agencées, dont l’une avait des bancs<br />

contre les murs, suivant le système des triglyphes et des métopes, et un<br />

beau revêtement de plaques de gypse ; un escalier, près du puits de<br />

lumière, avec un impluvium central, menait aux appartements du haut ;<br />

dans l’entrée, on a mis au jour un dépôt du sanctuaire avec des ustensi-<br />

les rituels, en forme de tubes pour la plupart, et des vestiges d’archives<br />

comprenant des tablettes de terre cuite et des empreintes de sceaux. A<br />

l’extérieur, dans la cour, un vieux bassin, rempli de galets marins, cons-<br />

tituait un motif ornemental ; on l’arrosait par un système de canalisa-<br />

tions.<br />

En Crète orientale extrême, dans la région de Siteia, les archéologues<br />

Platon, Sakellarakis, Davaras, ont découvert et fouillé des villas-fermes<br />

dans les régions de Piskoképhalo, Zou, Achladia, Prophitis Ilias (Prai-<br />

SOS), Epano Zakro et Azokéramos. 11 ne fait pas de doute que, dans<br />

cette région, il y avait d’autres fermes pas encore découvertes. Malgré<br />

leur destruction, les plus importantes d’entre elles offrent un intérêt tout<br />

particulier par leurs installations agricoles et artisanales. Celle de Pisko-<br />

képhalo, entre Piskoképhalo et Siteia, était bâtie sur la berge d’une<br />

rivière qui, si nous jugeons d’après l’installation d’embarcadères et les<br />

longs escaliers annexes, devait être alors navigable pour de petites<br />

embarcations. Aujourd’hui la rivière a changé de lit et, à sa place, on a<br />

une zone sableuse. Les appartements étaient répartis sur trois niveaux<br />

différents et, aux extrémités nord et sud, deux grands escaliers les réu-<br />

nissaient et descendaient vers la rivière ; des petites loges de gardiens<br />

permettaient de contrôler les passages. Malgré leur destruction, les<br />

appartements semblent avoir été analogues à ceux des autres fermes :<br />

pièces d’habitation, sanctuaires, ateliers, magasins ; des petits escaliers<br />

intermédiaires permettaient le passage d’un niveau à l’autre. <strong>La</strong> cérami-<br />

que semble indiquer que cette ferme n’a été utilisée que dans une seule<br />

période, la deuxième phase néopalatiale.<br />

<strong>La</strong> ferme de Zou, non loin d’une excellente source d’eau qui alimente<br />

aujourd’hui la ville de Siteia, était construite en terrasses sur les pentes<br />

de la colline. C’est sur la terrasse médiane qu’il y avait les apparte-


398 LA CIVILISATION BGBENNE<br />

ments, bien aménagés : près de l’entrée un lieu de repos pourvu de ban-<br />

quettes donnait sur l’étroite vallée ; les pièces des extrémités, en haut et<br />

en bas, étaient en rapport avec la production céramique et comportaient<br />

des installations particulières pour le pétrissage de l’argile, pour le<br />

séchage des vases avant la cuisson, des petits compartiments pour cuire<br />

les vases de taille moyenne, un four en fer à cheval dans la cour et un<br />

endroit spécial où l’on entreposait la céramique terminée. En même<br />

temps, il y avait des ateliers, un pressoir avec des installations fixes et<br />

des enclos à l’intérieur desquels on parquait et nourrissait les animaux<br />

domestiques. Une autre ferme, à Achladia, moins étendue mais mieux<br />

agencée intérieurement, avait un mégaron à polythyron hypostyle,<br />

combiné avec un lieu de repos, une grande chambre de travail carrée et<br />

une rangée de petites pièces qui servaient d’ateliers et de magasins ; des<br />

ustensiles rituels et un dépôt extérieur prouvent qu’un secteur était<br />

réservé au cuite.<br />

Sur la butte Prophitis Ilias. entre Praisos et Tourtouloi, il y avait<br />

une vaste ferme dont les pièces montaient vers le sommet en terrasses et<br />

communiquaient par des petits escaliers. Elle a été fortement détruite,<br />

mais on y a reconnu les pièces d’habitation, un pressoir, des ateliers,<br />

des magasins et un secteur de service avec ses cuisines. Près d’Azokéra-<br />

mos, la ferme qui a été découverte était moins importante ; elle se<br />

trouve sur la route qui mène de Palaikastro à Zakro. Sur deux niveaux,<br />

avec une façade bien construite, elle avait quelques-unes des installa-<br />

tions habituelles : magasins, pressoir, ateliers reliés par un corridor, et<br />

un escalier qui menait à l’étage ou mettait les terrasses en communica-<br />

tion.<br />

<strong>La</strong> ferme la plus importante de la région de Zakro est celle qui a été<br />

découverte non loin d’Epano Zakro ; elle avait de solides façades, faites<br />

de pierres de taille volumineuses, et les pièces étaient réparties sur trois<br />

terrasses successives du versant par où passe aujourd’hui la route vers<br />

Kat0 Zakro. Malgré les destructions, on distingue encore bien les instal-<br />

lations artisanales d’un double pressoir fixe, encastré dans la maçonne-<br />

rie, avec, tout près, une grande pièce stuquée et un escalier qui menait<br />

à l’étage, un magasin avec système pour transvaser l’huile, un magasin<br />

hypostyle avec de nombreuses jarres, une sorte de bain lustral et<br />

d’autres petites pièces, tandis que que sur la terrasse médiane et sur<br />

celle du haut, seules les fondations de pièces et quelques sois à moitié<br />

détruits sont encore visibles. I1 faut signaler qu’on a découvert de nom-<br />

breux et importants fragments de fresques avec des motifs végétaux et<br />

ornementaux.


Villes et habitats de la période néopalatiale<br />

<strong>La</strong> fouille des palais, des villas et des fermes a tellement absorbé les<br />

chercheurs qu’ils ne trouvent pas assez de temps - si l’on excepte quel-<br />

ques cas - pour explorer et étudier plus systématiquement les villes et<br />

les habitats minoens de l’époque des nouveaux palais. Dans les meilleurs<br />

des cas, ils ont réussi à en fouiller seulement quelques quartiers ou des<br />

maisons isolées, la plupart autour des palais et des autres grandes instal-<br />

lations. Comme ces recherches étaient sporadiques et très limitées, on<br />

n’est pas toujours arrivé à des conclusions positives et correctes. Mais<br />

aujourd’hui, en comparant de nombreux éléments, et grâce aux conclu-<br />

sions issues des recherches récentes, on peut esquisser une image plus<br />

certaine.<br />

De la ville de Cnossos quelques ensembles de maisons, autour du<br />

palais d’abord, puis de part et d’autre de la Route royale, ensuite sur<br />

les pentes de la colline de Gypsadès, ont été fouillés par Evans et des<br />

membres de l’École britannique. Les maisons qui se trouvent autour du<br />

palais se distinguent par leur allure soignée, leur bon agencement inté-<br />

rieur et leur belle construction. II est naturel de penser qu’elles apparte-<br />

naient à des dignitaires du palais ou à des personnages de la classe<br />

sociale la plus élevée, constituant l’entourage immédiat des rois. Certai-<br />

nes d’entre elles touchent presque le palais et, dans quelques cas isolés,<br />

il semble qu’on ait sacrifié, pour les installer, des secteurs vitaux du<br />

palais. Evans leur a donné divers noms caractéristiques suivant leur<br />

situation, leur caractère hypothétique ou les principales trouvailles. Cer-<br />

taines d’entre elles sont particulièrement intéressantes. De la Maison<br />

nord-ouest, construite dans la cour occidentale, très près de la façade<br />

du palais, il ne reste que les pièces en sous-sol sans aucun doute, acces-<br />

sibles des appartements du rez-de-chaussée par des trappes ; le plan est<br />

irrégulier, et a été agrandi par l’adjonction de deux pièces vers le nord,<br />

incorporant visiblement des bâtiments des périodes prépalatiale et proto-<br />

palatiale ; elle est connue sous le nom de (( Maison des trésors >) d’après<br />

les nombreux objets de bronze qui ont été découverts sous les sols. I1<br />

n’est donc pas exclu qu’elle constituât une annexe du palais. Un com-<br />

plexe contigu, qui se trouvait juste au sud-ouest, a livré un important<br />

dépôt d’ustensiles rituels en relation avec la garde des serpents sacrés<br />

d’un sanctuaire.<br />

Tout de suite au nord de la salle hypostyle de la porte nord, on a<br />

trouvé une partie d’un bâtiment dont le centre, au milieu de petits cou-<br />

loirs et de passages qui menaient à des appartements voisins, constituait<br />

une crypte hypostyle à six piliers, à laquelle devait, sans aucun doute,


400 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

correspondre une pièce à l’étage avec des colonnes égales en nombre.<br />

Un bâtiment si étroitement lié au grand palais, très vraisemblablement à<br />

usage religieux, ne pouvait etre qu’une annexe de ce palais.<br />

A une petite distance, à l’est, on a découvert le bâtiment qu’Evans a<br />

baptisé ). <strong>La</strong> première, au rez-de-<br />

chaussée, comprenait surtout des pièces réservées au culte : une crypte<br />

avec un pilier quadrangulaire, le sanctuaire proprement dit avec une<br />

banquette basse, et une sorte de sacristie centrale partagée en deux par<br />

une cloison en plaques de gypse ; il y avait encore un petit mégaron à<br />

polythyron, un escalier et quelques pièces d’introduction qui ont été<br />

trouvées à moitié détruites. <strong>La</strong> deuxième comportait, au rez-de-chaussée,<br />

des pièces dont le caractère religieux était encore plus prononcé ; le<br />

mégaron était particulièrement impressionnant avec son estrade (bêma)<br />

séparée par un parapet à colonnes ; ce socle devait être destiné à quel-<br />

que trône ou symbole sacré ; c’est pour cela que les ouvriers l’ont appe-<br />

lée la a Maison du prêtre ». Ici encore on trouve les appartements<br />

contigus, le bain lustral, la crypte hypostyle, les magasins et l’escalier<br />

qui reliait à l’étage.<br />

Une autre grande maison avait également un caractère fortement reli-<br />

gieux ; elle était construite dans la façade sud du palais qu’on avait<br />

coupée ; Evans lui a donné le nom de a Maison du grand prêtre ». Elle<br />

avait au moins trois étages, dont deux sont conservés en assez bon état.<br />

Les pièces en sous-sol n’existaient que dans un secteur seulement ;<br />

c’était une crypte hypostyle et une ou deux caves. Le rez-de-chaussée et<br />

les étages présentaient le même agencement intérieur : le mégaron à<br />

polythyron caractéristique, avec la salle de bains à côté ; le sanctuaire à<br />

quatre colonnes, la crypte avec le pilier quadrangulaire en bas et la<br />

colonne en haut, où se dressait la double hache sur sa base pyramidale<br />

à degrés, la sacristie, enfin deux escaliers qui reliaient aux étages, une<br />

buanderie et des latrines. C’est cette organisation qui explique un peu le<br />

point de vue d’Evans. D’autres maisons, plus petites et pas aussi impor-<br />

tantes, existaient tout près de la Maison sud et à l’extérieur de l’angle<br />

sud-ouest du palais. Deux autres, juste à l’extérieur de l’angle sud-est<br />

du palais, ont été trouvées détruites, en raison du terrible tremblement<br />

de terre de la fin de la deuxième - la première pour Evans - période<br />

néopalatiale ; leur plan était très simple et elles ne comportaient pas les<br />

appartements caractéristiques des autres maisons décrites ; d’ailleurs,


Le Bronze récent en Crète 401<br />

seules quelques pièces en sous-sol ont été conservées ; la première a pris<br />

le nom de Maison des blocs tombés n d’après les colossales pierres de<br />

l’angle sud-est du palais qui ont été projetées et sont tombées dedans ;<br />

l’autre est connue comme


402 LA CIVILISATION GGÉENNE<br />

colonnes qui faisait une sorte de bêma, avec son lieu servant d’anti-<br />

chambre, ses deux trésors en forme de coffres et, dans le fond, l’autel<br />

entre les doubles haches.<br />

Evans a réussi à déterminer l’étendue de toute la ville de Cnossos en<br />

se fondant sur la dispersion des tessons de vases en surface dans les<br />

champs, sur quelques autres indices et sur la position des nécropoles<br />

tout autour. Le système d’urbanisme n’était visiblement pas différent de<br />

celui des autres régions - dense avec des grands blocs carrés irréguliers<br />

dont chacun comprenait plusieurs maisons, et qui étaient séparés les uns<br />

des autres par des rues principales et leurs ramifications. <strong>La</strong> ville n’était<br />

pas fortifiée, pas plus que les autres villes et habitats de Crète. <strong>La</strong><br />

population, selon les estimations les plus modérées, devait dépasser les<br />

80 O00 habitants, mais il faut avouer que ces estimations reposent sur<br />

des données qui ne sont pas absolument sûres. C’est la N mosaïque de<br />

la ville )) qui nous donne la meilleure idée de la forme extérieure des<br />

maisons ; on l’a déjà maintes fois mentionnée et le plus probable est<br />

qu’elle date des environs de 1600 av. J.-C. Sur ces petites plaquettes de<br />

faïence les maisons ont deux ou trois étages, un toit en terrasse, et sou-<br />

vent une petite mansarde. Des chaînages de bois donnaient un charme<br />

particulier à l’ensemble ; des zones où les couleurs alternaient, des ban-<br />

deaux décorés de disques, des systèmes isodomes avec des joints épais,<br />

colorés, ajoutaient à la variété des façades ; les fenêtres tantôt simples,<br />

tantôt géminées, tantôt oblongues comme des meurtrières, ou bien<br />

encore à quatre ou six ouvertures, étaient probablement fermées par des<br />

parchemins trempés dans l’huile ; les portes, simples ou doubles, ou<br />

bien en forme de polythyron, confirment les données archéologiques.<br />

Un autre type de façades sans ouvertures au rez-de-chaussée et qui res-<br />

semblaient à des tourelles, a été retrouvé dans certains bâtiments mis au<br />

jour par les fouilles ; mais sur ces plaquettes, des façades latérales ont<br />

peut-être été aussi représentées avec des angles qui ressortent. Sur l’une<br />

d’elles on a vraisemblablement reproduit la façade d’un sanctuaire,<br />

puisque les ouvertures, au milieu de chambranles décorés, ont pris la<br />

forme d’un autel biconvave ou d’une paire de doubles cornes antithéti-<br />

ques. Une maquette de terre cuite, récemment mise au jour dans un<br />

bâtiment d’kchanès, nous donne une image encore plus complète de la<br />

forme des riches maisons de la région de Cnossos : l’entrée à colonnes<br />

et parapet, l’escalier ou la rampe extérieure, l’étage avec fenêtre et puits<br />

de lumière, une sorte de balcon et, sur le toit, une espèce de pergola et<br />

une mansarde.<br />

Un complexe de trois maisons a été mis au jour par Platon à Prassa ;<br />

elles sont surtout intéressantes parce qu’elles ont été utilisées dans deux


Le Bronze récent en Crete 403<br />

phases successives ; elles possèdent des pièces réservées au culte et sont<br />

en relation avec un puits-dépôt ; elles ont des escaliers caractéristiques,<br />

des magasins et, dans l’une d’elles, on retrouve une cuisine avec les ins-<br />

tallations indispensables. Des restes de fresques témoignent d’un luxe<br />

presque palatial.<br />

Sur la colline de Phaistos on a découvert des maisons autour du<br />

palais, et d’autres éparpillées sur les versants, les plus importantes dans<br />

la région de Chalara. Les maisons de la première phase sont particuliè-<br />

rement intéressantes ; elles avaient été construites juste au-dessous du<br />

mur de soutènement de la cour occidentale et de la rampe dallée qui<br />

menait au palais depuis la cour du bas ; il s’agit surtout de pièces en<br />

sous-sol, qu’on utilisait comme magasins et qui supportaient les pièces<br />

du haut aujourd’hui complètement disparues ; ces bâtiments avaient été<br />

agrandis par des adjonctions à l’extérieur. Au lieu-dit Chalara, on a<br />

découvert tant de couches d’occupation qu’il est difficile de suivre le<br />

plan des maisons de chaque phase. II est toutefois certain que les plus<br />

importantes d’entre elles remontent à la première et à la deuxième phase<br />

des nouveaux palais, qu’elles étaient en grande partie construites en<br />

beaux blocs de poros taillés et que, en dehors des petites pièces habi-<br />

tuelles avec les couloirs sinueux, elles contenaient d’autres mégarons à<br />

polythyron plus grands et des escaliers qui menaient aux étages.<br />

Autour de la Villa d’Haghia Triada, on a trouvé des maisons néopa-<br />

latiales très intéressantes dont certaines bordaient la route vers Phaistos<br />

et d’autres s’étendaient au-delà de l’accès occidental. Les premières sem-<br />

blent beaucoup mieux adaptées et disposées sur des niveaux successifs<br />

reliés par des petits escaliers, avec un espace libre au centre, une sorte<br />

de cour commune sur laquelle donnaient des pièces avec un porche à<br />

colonnes ; l’autre quartier, vers la route, comprenait des magasins. Les<br />

maisons du nord étaient limitées par deux périboles, mais les construc-<br />

tions formaient des ensembles irréguliers dont les installations n’avaient<br />

rien de particulier.<br />

A Malia les bâtiments néopalatiaux prennent la forme de très grandes<br />

maisons ; Poursat, l’un des principaux fouilleurs, a considéré le secteur<br />

Mu comme protopalatial ; il s’agit de deux constructions adjacentes,<br />

juste au nord de l’atelier de sceaux des premiers palais ; elles se caracté-<br />

risent surtout par toute une rangée de pièces dont les sols et les murs<br />

sont stuqués, de nombreuses cloisons de briques et des installations qui<br />

constituent une variante des bains lustraux. Une riche céramique, qui<br />

remonte au début de la première phase néopalatiale où se poursuit le<br />

style de Camarès, d’autres objets précieux et des fragments d’archives<br />

- barres et disques inscrits du MM III - montrent que cet ensemble


404 LA CIVILISATION ÉGfiENNE<br />

est peut-être une annexe du nouveau palais de la première phase qui<br />

offre à peu près les mêmes caractéristiques. D’autres secteurs de la ville<br />

minoenne ont été fouillés avec persévérance et de façon systématique,<br />

particulièrement ceux qui sont désignés par les lettres A et 2, respective-<br />

ment à l’ouest et à l’est du palais. <strong>La</strong> maison Au comprenait deux piè-<br />

ces à porte triple et puits de lumière, un escalier centrai, une salie de<br />

bains ou bain lustral et une sorte de latrines. A côté de l’entrée se trou-<br />

vaient la cage d’un autre escalier en bois et un magasin avec des pithoi.<br />

<strong>La</strong> maison Za a deux ailes ; celle de l’ouest comprenait deux petits<br />

mégarons, une salle de bains, un lieu de repos ou cabinet de toilette et,<br />

dans un saillant, des latrines toutes simples ; dans l’aile orientale, acces-<br />

sible par un couloir depuis l’entrée principale, il y avait les magasins,<br />

les ateliers et une grande salle aménagée comme un lieu de repos. <strong>La</strong><br />

maison Zp comportait des pièces de même type, mais disposées plus<br />

irrégulièrement.<br />

Les villes et habitats de Crète orientale donnent une image beaucoup<br />

plus complète de l’aménagement et des alignements de rues. Mais elles<br />

n’ont pas toujours le même caractère. Celles qui sont au bord de la mer<br />

ont été sans doute de riches ports ; leurs maisons étaient plus grandes,<br />

mieux organisées et plus solidement construites ; les alignements de rues<br />

étaient égaiement plus soignés, comme à Palaikastro et à Zakro ;<br />

d’autres habitats à caractère mixte - agricole, artisanal et com-<br />

mercial - comme Gournia, avaient des maisons plus petites, avec<br />

des pièces étroites au rez-de-chaussée et des ruelles qui serpentaient. Les<br />

petits comptoirs commerciaux sur des presqu’îles ou îles, comme<br />

Mochlos et Pseira, offraient quelque chose d’intermédiaire. Gournia se<br />

trouvait à un endroit important pour le contrôle de l’isthme de Hiérapé-<br />

tra - le point le plus étroit de Crète, qui a joué un grand rôle dans la<br />

circulation commerciale à l’époque des nouveaux palais. <strong>La</strong> fouille de<br />

Harriet Boyd - depuis Mme Hawes - a mis au jour presque toute la<br />

petite ville sur la colline, non loin de la côte nord, avec ses maisons<br />

minuscules, ses rues à degrés qui grimpent jusqu’au sommet, reliées<br />

entre elles par des artères périphériques, toujours dallées. Dans ces peti-<br />

tes maisons on rencontre rarement les systèmes architectoniques des<br />

palais avec les supports intérieurs, les puits de lumière, le percement des<br />

murs par des polythyra, les portiques, les vérandas, etc. Les maisons<br />

sont très simples, mais malheureusement nous ne connaissons que les<br />

pièces en sous-sol, souvent sans portes intérieures ou extérieures ; de<br />

petits escaliers mènent aux pièces de l’étage qui ont disparu ; il semble<br />

très probable que de telles pièces aient souvent eu devant des terrasses<br />

au-dessus des pièces du rez-de-chaussée de la maison elle-même ou de


Le Bronze récent en Crète 405<br />

celle d’à côté, et des terrasses on passait facilement d’une maison à<br />

l’autre à l’intérieur d’un même bloc. II y avait souvent de petits esca-<br />

liers vers les terrasses qui partaient directement des rues. Les pièces des<br />

maisons qui étaient utilisées pour l’artisanat domestique n’ont été recon-<br />

nues comme ateliers que par leur équipement mobile : tours de potiers,<br />

outils de menuisiers, de métallurgistes, instruments de pêcheurs, pres-<br />

soirs à huile et à vin. On ne sait pas s’il existait dès cette époque un<br />

sanctuaire public, comme celui de l’époque post-palatiale sur lequel<br />

débouchait un embranchement de rue.<br />

Dans la petite île de Pseira, sur le golfe de MirabelIo, l’habitat s’est<br />

construit sur une langue de terre qui avançait dans la mer. Les petites<br />

rues dallées descendent, par des escaliers dans bien des endroits, jusqu’à<br />

la mer. Les maisons ont été construites en schiste et les seuils en cal-<br />

caire ordinaire ou dur. Le système qui a prévalu est celui des maisons<br />

avec terrasses, comme l’a constaté Seager, le fouilleur, système qui<br />

règne encore aujourd’hui dans les îles grecques mais aussi dans des vil-<br />

lages de montagnes crétois. Quelques-unes des maisons étaient plus<br />

riches, plus grandes, et mieux construites ; certaines d’entre elles avaient<br />

même un décor de fresques en relief. Peut-être indiquent-elles une<br />

dépendance d’un centre palatial, plus vraisemblablement celui de Cnos-<br />

sos. Un bâtiment était utilisé comme sanctuaire, son agencement et les<br />

ustensiles qui y ont été trouvés le montrent. <strong>La</strong> petite presqu’île de<br />

Mochlos, en face, qui aujourd’hui est devenue une île - l’isthme étroit<br />

a été submergé -, fut fouillée par le même savant ; il a exploré une<br />

partie de l’habitat dont le caractère était visiblement commercial, avec<br />

des maisons intéressantes mais que nous connaissons peu, parce qu’il<br />

n’y a eu que des rapports préliminaires et qu’elles sont aujourd’hui en<br />

partie remblayées. Le port devait être important pour le commerce de<br />

transit.<br />

En ce qui concerne les véritables villes, les centres les plus importants<br />

qui aient été fouillés sont Palaikastro et Zakro, tous deux en Crète<br />

orientale. Ils doivent indubitablement leur importance au fait qu’ils<br />

étaient des ports pour les relations commerciales avec l’Orient, l’Égypte<br />

et Chypre, et pour le contrôle des étroits passages entre la mer de Libye<br />

et l’Égée. Palaikastro a été fouillée il y a longtemps, puis de nouveau,<br />

récemment, par des membres de l’École britannique ; c’est le meilleur<br />

exemple d’une grande ville commerciale bien organisée de l’époque des<br />

nouveaux palais. Le seul dommage est que, pour des raisons économi-<br />

ques, la plus grande partie des vestiges mis au jour ont dû être recou-<br />

verts ; seuls sont restés les bâtiments qui se trouvaient en bordure des<br />

artères principales. L’endroit plat où se trouve l’habitat - aujourd’hui


406 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

Roussolakkos -, non loin de la mer, favorisait l’adaptation d’un plan<br />

normal avec de grands blocs carrés et des grandes artères coupées pres-<br />

que perpendiculairement par les rues secondaires. Les caniveaux des<br />

maisons se déversaient dans l’égout principal, sous l’artère centrale.<br />

Quelques maisons - peut-être de notables - avaient de nombreuses<br />

pièces, étaient mieux organisées et rappelaient parfois les installations<br />

palatiales ; la maison B, par exemple, comprenait un porche à colonne<br />

centrale, une pièce principale avec un atrium formé de quatre colonnes,<br />

une salle de bains du type usuel, des pièces réservées au culte, des<br />

magasins et des ateliers. Dans une maison voisine il y avait une grande<br />

pièce hypostyle avec alternance de colonnes et de piliers. Des dépôts<br />

d’ustensiles rituels et des symboles ont été trouvés en bien des endroits.<br />

Mais le secteur X avait un caractère très nettement religieux ; c’est au-<br />

dessus qu’à l’époque grecque on a édifié le téménos et le temple de<br />

Zeus Crétagène. Dans des maisons de Palaikastro fouillées plus récem-<br />

ment, dans le prolongement nord-ouest de l’artère principale, on a pu<br />

mieux observer les différentes phases architecturales et on a ainsi eu la<br />

preuve que la catastrophe finale date, comme à Zakro et dans les autres<br />

centres, des alentours de 1450 av. J.-C. Comme ailleurs, il n’y a eu<br />

ensuite que des réoccupations partielles à l’époque post-palatiale.<br />

L’habitat du petit port de Kouramenos a été à son apogée à l’époque<br />

qui correspond à la phase finale du palais de Cnossos ; il se trouve un<br />

peu au nord de Palaikastro.<br />

<strong>La</strong> ville minoenne de Zakros, qui s’est révélée être un centre palatial<br />

important, était, semble-t-il, encore plus grande que la ville de Palaikas-<br />

tro. Son nom paraît être minoen. Elle s’étendait sur les pentes des deux<br />

collines qui bordaient le palais au nord-est et au sud-ouest. Quelques-<br />

uns de ces bâtiments, une dizaine, avaient déjà été explorés en 1901<br />

par Hogarth, mais pas totalement. <strong>La</strong> fouille du palais de Zakros a été<br />

l’occasion de la découverte de quartiers importants de la ville, surtout<br />

ceux qui bordaient le palais, et sur les deux collines. Quelques-uns, sur<br />

la colline nord-est, avaient le caractère d’annexes du palais ; les plus<br />

proches, comme à Cnossos, semblent avoir été les demeures de dignitai-<br />

res ou de personnes de l’entourage des rois. D’autres répondaient à un<br />

but artisanal ou commercial. Ces bâtiments sont aujourd’hui connus<br />

sous différents noms, ou par des lettres de l’alphabet grec ou latin ;<br />

citons le bâtiment au nord de la route du port, le Bâtiment fort, le<br />

Bâtiment de la petite tour, le Bâtiment oblique, le Bâtiment des dépôts<br />

du sanctuaire, le Bâtiment à triforium, le Bâtiment aux niches, les bâti-<br />

ments G, H, Alpha jusqu’à Zêta, etc. II faut noter ici que les bâtiments<br />

dans leur majorité étaient beaucoup plus grands et quelques-uns d’entre


Le Bronze récent en Crète 407<br />

eux mieux organisés que ceux d’autres centres palatiaux, même de<br />

Cnossos. Ils constituaient ici aussi des blocs séparés par des petites ruel-<br />

les dallées qui escaladaient les versants par des degrés, et par des rues<br />

périphériques sur chaque terrasse des collines ; ce réseau de rues était<br />

relié aux grandes artères, comme la Route du port. Presque toutes les<br />

constructions étaient à étage et les pièces principales se trouvaient en<br />

haut ; toutefois il y avait aussi des pièces imposantes au rez-de-<br />

chaussée, en partie hypostyles, avec des colonnes ou des piliers, à dou-<br />

bles ou triples portes, avec de nombreux bancs contre les murs et beau-<br />

coup d’escaliers, etc. Dans toutes on avait des complexes de magasins et<br />

d’ateliers richement équipés. Ce qui est caractéristique, c’est que les<br />

petites pièces réservées au culte, les dépôts et les sacristies ne man-<br />

quaient presque nulle part ; cela est clair par ie fait qu’on a trouvé sur<br />

place les ustensiles de culte et par analogie avec les dipositions des<br />

autres sanctuaires. Toutefois, nous ne pouvons pas toujours nous pro-<br />

noncer de façon catégorique et dire si les rangées de niches, ies petits<br />

compartiments séparés par des cloisons de briques etc., avaient toujours<br />

une destination religieuse. I1 y avait des maisons très étendues : rien<br />

qu’au rez-de-chaussée elles n’avaient pas moins d’une vingtaine de piè-<br />

ces et devaient donc, dans leur ensemble, avoir plus de trente pièces.<br />

On se demande si de tels bâtiments peuvent être considérés comme de<br />

simples maisons. Même si dans les constructions de Zakros on n’a pas<br />

trouvé de vestiges de fresques représentatives, il est sûr, d’après les res-<br />

tes mis au jour, qu’ils avaient des stucs peints, souvent avec des motifs<br />

décoratifs simples. II n’est pas toujours facile d’observer les adaptations<br />

architecturales d’une phase à l’autre ; mais d’une façon générale,<br />

on remarque qu’il n’y a pas eu de changement fondamental. Leur<br />

destruction finale coïncide parfaitement avec celle du palais, vers 1450<br />

av. J.-C.<br />

Travaux d’intérêt public en architecture<br />

Nous avons davantage de difficultés à retrouver et à explorer les bâti-<br />

ments qui sont dus à des initiatives publiques ou à des associations de<br />

particuliers et qui ont été érigés dans l’intérêt commun ; cela est dû à<br />

leur dispersion, aux altérations qui se sont produites au cours des temps<br />

et à la disparition de nombre d’entre eux pour des raisons géologiques<br />

ou autres. Les éléments mis au jour ont été fort peu publiés et nous ne<br />

pouvons en avoir qu’une idée générale et pas très nette.<br />

Les installations portuaires sont difficiles à repérer du fait des bouler-


408 LA CIVILISATION )%BENNE<br />

versements géologiques qui ont beaucoup transformé les côtes. Partout,<br />

en Crète centrale comme en Crète orientale, il y a eu des submersions et<br />

des altérations importantes. Evans a essayé de situer les principaux<br />

ports minoens de Crète centrale, aussi bien sur la côte sud que sur celle<br />

du nord ; les deux étant reliées par la grande route et ses ramifications.<br />

Sur la mer de Libye les petits ports de Trypiti, de Lebéna -<br />

aujourd’hui Lenda - et des Kaloi Lirnenes au pied du Kophinas (qui<br />

fermait la grande plaine de la Messara au sud), les ports, pas très proté-<br />

gés, au-delà du cap dangereux de Lithinon - chez Homère Aioui &pa<br />

et à époque hellénistique Lissèn - à l’entrée de la Messara, Matala et<br />

Kommos présentent quelques indices de telles installations qui devaient<br />

être utilisées par Phaistos et les habitats minoens de la Messara. Une<br />

perspective plus bénéfique s’ouvre avec ies fouilles récentes de Kommos.<br />

Sur la côte nord, dans la région de Cnossos, Evans a reconnu comme<br />

principaux centres portuaires le site d’Héraklion, la région de Katsam-<br />

bas et la plage sableuse de Kartéros, I’Amnisos minoenne. Les vestiges<br />

mis au jour donnent, bien sûr, la preuve d’installations minoennes, mais<br />

n’ont pas fourni d’indications précises sur les travaux portuaires, toute<br />

une bande de la côte ayant été submergée.<br />

Depuis Evans des éléments importants ont été mis au jour près<br />

d’Héraklion, de Katsamba et de Kartéros, qui ont confirmé le rôle por-<br />

tuaire joué par cette région de Cnossos. Le Roc troué sur la côte de<br />

Poros, semble avoir été une sorte de refuge pour les petits bateaux ; on<br />

a mis au jour d’importants vestiges de constructions, de dépôts et de<br />

tombes dans des grottes. Toutefois, c’est la région de Katsamba qui<br />

s’est révélée la plus importante : les installations portuaires s’avancent<br />

même dans la mer, et une nécropole étendue d’époque néopalatiale, a<br />

été découverte et fouillée par Alexiou qui a également étudié quelques<br />

maisons de la ville ; malheureusement la région est aujourd’hui totale-<br />

ment recouverte par des constructions modernes du faubourg d’Héra-<br />

klion. A Amnisos - décrite par Homère comme a port difficile )) et près<br />

duquel la u grotte d’Eileithyia N était devenue célèbre - Marinatos a<br />

fouillé, en dehors de la a Villa des lys )>, quelques bâtiments qui avaient<br />

- croyait-il - un caractère portuaire : des murs parallèles constituaient<br />

des cales pour des petits bateaux que, pour plus de sécurité, on tirait<br />

sur le sable ; une construction en forme de tour, fermée de toutes parts,<br />

a été considérée comme une sorte de phare qui guidait les bateaux par<br />

des torches ou des feux qui brûlaient sans cesse. Un sanctuaire hypèthre<br />

- devenu plus tard le sanctuaire de Zeus Thénatas - se trouvait de<br />

l’autre côté de la petite butte de Paliochora. Le même fouilleur a étudié<br />

les installations du petit port des Haghioi Théodoroi à quinze kilomètres


Le Bronze récenr en Crète 409<br />

a l’est d’Amnisos, dans la région de la villa de Nirou. Des entailles<br />

doubles perpendiculaires, dans le rocher de la côte, ont été elles aussi<br />

considérées comme des cales pour petits bateaux ; mais on n’a pas pu<br />

confirmer le caractère des bâtiments minoens sur la petite langue de<br />

terre.<br />

A Malia, c’est le petit mouillage où l’on a découvert la Maison O,<br />

pourvue d’installations industrielles, qui servait de port, On n’y a toute-<br />

fois pas trouvé d’installations portuaires. Plus à l’est, dans le vaste<br />

golfe de Mirabello, nous ne savons presque rien des aménagements por-<br />

tuaires qui ne sont cependant pas à exclure dans les régions d’Haghios<br />

Nikolaos, Élounda - l’antique Olous - et Gournia ; sur la côte de<br />

Gournia on a mis au jour les cimetières de Sphoungaras et de Pachyam-<br />

mos. II a déjà été question des petits ports de l’île de Pseira et de la<br />

péninsule - aujourd’hui île - de Mochlos. Ce dernier était du type des<br />

ports jumeaux que décrit Homère. Des explorations sous-marines y ont<br />

révélé des tronçons de quais, et des entailles perpendiculaires dans le<br />

rocher forment des cales comparables à celles du petit port d’Haghioi<br />

Théodoroi. Cela nous laisse à penser que les cales taillées de Petraàs<br />

(Siteia) - où l’on n’a retrouvé que des restes minoens - et de Matala<br />

(la butte voisine a été utilisée comme cimetière à chambres taillées à<br />

l’époque gréco-romaine) pourraient dater de l’époque néopalatiale. On<br />

n’a pas retrouvé d’installations portuaires à Palaikastro ni à Zakro,<br />

exception faite, à Zakro, de quelques vestiges peu sûrs de jetées et de<br />

bâtiments où l’on emmagasinait peut-être le bois destiné à l’exporta-<br />

tion. Dans le mouillage le plus sûr de Crète - le meilleur de la<br />

Méditerranée - à Souda, on a, semble-t-il, le port de Valchania ou<br />

Alchania, construit par Cnossos si l’on en croit la tradition ; mais ni là<br />

ni à Minoa sur le même mouillage on n’a trouvé d’installations portuai-<br />

res minoennes, qui devaient pourtant exister. D’une manière générale<br />

nous sommes donc assez peu renseignés sur les ports minoens qui, théo-<br />

riquement du moins, auraient dû comporter des installations importan-<br />

tes, indispensables à la sécurité et à l’utilisation des bateaux.<br />

Nous sommes mieux informés sur les routes, grâce aux explorations<br />

systématiques d’Evans : il a mis au jour d’assez nombreux tronçons du<br />

grand axe routier qui reliait les côtes nord et sud de la Crète centrale. 11<br />

partait du grand viaduc qui enjambait l’affluent du Kairatos, juste au<br />

sud de la colline de Cnossos. C’est là que débouchait le long portique à<br />

degrés qui descendait de la porte sud-ouest du palais. Ce viaduc avait,<br />

croit-on, été fondé à l’époque des premiers palais, mais c’est à l’époque<br />

néopalatiale qu’il prit sa forme monumentale - grands arcs brisés avec<br />

des escaliers entre les piliers, chaussée double et parapets aux bords -.


410 LA CIVILISATION ÉGEENNE<br />

Juste après le pont, la route rencontrait l’hôtellerie qu’Evans a baptisée<br />

Caravansérail pour rappeler qu’elle était utilisée par les voyageurs fati-<br />

gués qui, après avoir traversé la Crète centrale, arrivaient au cœur de la<br />

ville de Cnossos. Bien que le bâtiment n’ait pas été conservé en entier,<br />

son caractère est très clair d’après l’agencement extérieur et intérieur : la<br />

salle à manger grande ouverte, à une entrée à degrés et à colonne, déco-<br />

rée de la belle Fresque des perdrix, l’appartement voisin pourvu d’une<br />

installation destinée au lavement des pieds (elle possédait un excellent<br />

système d’alimentation en eau ; l’eau superflue était évacuée dans<br />

l’abreuvoir du bétail), la (( fontaine construite N en même temps sanc-<br />

tuaire, avec ses bancs assez hauts et la niche centrale, la pièce qui<br />

chauffait l’eau du bain, les pièces de séjour au rez-de-chaussée et à<br />

l’étage, reliées par des corridors.<br />

<strong>La</strong> route dallée se dirigeait vers Archanès, et derrière la montagne<br />

sacrée du Iouktas on a retrouvé des traces de l’artère principale de la<br />

région de Silamos, Ai Vlassis et Ai Sylas. De solides murs de soutène-<br />

ment et des vestiges de postes de garde ont été mis au jour en différents<br />

endroits ; on a retrouvé aussi des restes de petits ou de grands travaux<br />

- ponts, taille ou nivellement de rochers. <strong>La</strong> route passait près de<br />

Lykastos -aujourd’hui Kanli Kastelli - où l’on peut encore voir un<br />

tronçon avec le mur de soutènement, la chaussée et le mur latéral pour<br />

maintenir les terres. De là des tronçons de la route dallée ont été suivis<br />

sur le site de Pyrgos et près des villages d’Haghios Thomas et Megali<br />

Vryssi dans la région d’Haghia Varvara ; ensuite, elle descendait vers la<br />

grande plaine de la Messara en suivant le chemin difficile, mais plus<br />

court, des villages de Panassos (nom minoen), près duquel se trouvaient<br />

les postes de garde routiers, de Kalathiana avec sa grande tombe à tho-<br />

los, et de Rouphas. On perd les traces de la route dès qu’elle arrive<br />

dans la plaine mais on les retrouve près de Phaistos et d’Haghia Triada<br />

où elle se dirige vers le port minoen de Kommos. On suit à peu près les<br />

autres routes vers la Crète orientale, le plateau du <strong>La</strong>ssithi, les défilés<br />

de l’Ida, mais on n’en a pas de tronçons importants. Seuls des postes<br />

de garde routiers ont été fouillés.<br />

Les sanctuaires de plein air minoens<br />

En même temps que les sanctuaires palatiaux et domestiques incorpo-<br />

rés aux palais et aux habitations de façon qu’ils en fassent partie inté-<br />

grante, on a vu se développer les sanctuaires de plein air, la plupart<br />

d’entre eux sur des sites voués au culte depuis longtemps, sur les som-


Le Bronze récent en Crète 41 1<br />

mets ou les versants des montagnes, dans des régions côtières ou agrico-<br />

les, dans des cavités naturelles ou dans des grottes. Nulle part ils n’ont<br />

pris la forme de véritables temples. Nous les voyons représentés sur des<br />

ustensiles rituels, sur les fresques, sur les sceaux ou bagues-cachets et,<br />

naturellement, sur leurs empreintes en argile. Ce sont, la plupart du<br />

temps, des constructions légères, souvent tripartites, avec de grandes<br />

ouvertures à colonnes, des couronnements de doubles cornes, des corni-<br />

ches soignées, des soubassements élevés et quelquefois des portes sophis-<br />

tiquées, des décors de frises, des chambranles, des surfaces colorées en<br />

damier, et une grande utilisation du bois dans la construction des murs.<br />

Dans certains cas on a représenté des périboles inégaux en hauteur et<br />

des cours avec des autels construits. De grands mâts sacrés sont appli-<br />

qués sur quelques-unes des façades. En dehors de ces sanctuaires, on a<br />

souvent des images de grands autels à degrés, des enclos de l’arbre<br />

sacré, des petites chapelles et autres bâtiments qui demandent une expli-<br />

cation particulière.<br />

Bien sûr, des constructions si périssables et si légères ne pouvaient pas<br />

laisser beaucoup de traces. C’est surtout les soubassements et les péribo-<br />

les qui sont conservés, mais dans certains cas il n’est pas difficile de<br />

retrouver la disposition intérieure grâce aux diverses représentations.<br />

Des vestiges de ce type ont été mis au jour dans nombre de sanctuaires<br />

de sommets qui, auparavant, étaient de simples sanctuaires de plein air.<br />

Sur le plus haut sommet de la montagne sacrée de Cnossos - le<br />

Iouktas - on a construit un mur cyclopéen autour du grand sanctuaire<br />

rectangulaire formé essentiellement de l’autel des sacrifices, accessible<br />

par une rampe sur le côté, et des installations particulières devant et sur<br />

le côté surmontant le haut soubassement de pierre. De nouvelles fouilles<br />

menées par l’archéologue Ioannidi-Karetsou ont amené à corriger et à<br />

compléter les anciens plans d’Evans ; elles ont aussi permis de découvrir<br />

le gouffre, ou large fissure du roc, qui a été considérée depuis long-<br />

temps comme la tombe du jeune dieu. C’est au-dessus d’un gouffre<br />

analogue qu’a été construit sur le Kophinas, au lieu-dit Christos, un<br />

autre téménos rectangulaire pourvu d’un vestibule rectangulaire plus<br />

petit. De l’autre sanctuaire de sommet situé sur la même chaîne du<br />

Kophinas, dans la région de Kapetaniana, on a mis au jour un vaste<br />

bâtiment néopalatial, mais il n’a pas été fouillé dans son ensemble,<br />

parce qu’il avait été terriblement bouleversé. Dans d’autres sanctuaires<br />

de sommets, surtout en Crète orientale - Piskoképhalo, Traostalos<br />

(région de Zakro), Prophitis Élias de Malia - on n’a trouvé que des<br />

murs de soutènement. Toutefois, dans le sanctuaire de Petsofa, les<br />

fouilles récentes de Davaras ont rendu plus compréhensible l’agencement


412 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

du bâtiment néopalatial, assez semblable à celui du louktas ; en dehors<br />

de la pièce principale destinée au culte, à un niveau plus élevé, les ado-<br />

rants utilisaient des vestibules et des pièces latérales, dont les sols<br />

étaient stuqués et les murs pourvus de bancs sur trois côtés. On hésite,<br />

pour une construction au sommet de I’Edichtis-Dikté (Monts du <strong>La</strong>ssi-<br />

thi), entre un sanctuaire de sommet et un poste de garde pour surveiller<br />

les accès du plateau.<br />

On pourrait classer le sanctuaire d’ Amnisos parmi les sanctuaires<br />

côtiers. Les changements qui sont intervenus au début de l’époque grec-<br />

que et à l’époque gréco-romaine pour perpétuer le culte de Zeus Théna-<br />

tas ne permettent pas de se faire une idée d’ensemble des constructions<br />

minoennes. Un mur solidement construit en blocs de poros taillés main-<br />

tenait une terrasse oblongue, d’où l’on pouvait peut-être mieux suivre<br />

les cérémonies ; elle était accessible par des marches. <strong>La</strong> fouille de<br />

Marinatos n’a malheureusement pas été complétée. Des sanctuaires<br />

côtiers de ce type ont été représentés sur des bagues en or comme celle<br />

de Mochlos et celle qui est connue sous le nom de (< bague de Minos ».<br />

<strong>La</strong> a Maison sacrée », fouillée par Platon à Roussès (Chondros Vian-<br />

nos), a une forme particulière. C’est un bâtiment rectangulaire à cinq<br />

pièces dont l’une était destinée aux sacrifices et aux offrandes ; l’autre<br />

était une sacristie, la troisième - hypostyle - un vestibule d’attente et<br />

les deux autres des magasins du sanctuaire, ainsi que l’ont prouvé les<br />

pithoi nombreux. Sa situation et son caractère indiquent un sanctuaire<br />

agraire.<br />

Dans les grottes où il y avait un culte, on a construit des murs pour<br />

isoler des pièces sacrées, c’est le cas de la grotte de Psychro que bien<br />

des savants ont identifiée à l’Antre dictéen, de la tradition grecque. Ces<br />

murs pouvaient aussi enclore, comme dans un téménos, des stalactites<br />

considérées comme bétyles ; c’est le cas de la grotte d’Eileithyia. Ces<br />

constructions ne constituent toutefois pas des monuments remarquables<br />

au point de vue de l’architecture.<br />

L’architecture funéraire<br />

Le conservatisme qui, dans les périodes précédentes, s’est manifesté<br />

dans la construction des monuments funéraires, continue pendant toute<br />

la durée des Seconds Palais. Dans la première phase, qu’on a appelée<br />

transitoire, cela se manifeste encore davantage. C’est ainsi qu’on voit se<br />

perpétuer avec une certaine insistance la tombe rupestre, la tombe à<br />

tholos et l’enclos rectangulaire, en même temps que des sépultures plus


Le Bronze récent en Crète 41 3<br />

simples, dans des fosses, dans des pithoi funéraires ou des sarcophages<br />

enfoncés dans le sable ou dans la terre. Dans les anciens cimetières -<br />

Sphoungaras, Mochlos, Pachyammos -, dans les grottes funéraires de<br />

la Gorge des morts de Zakro, dans les cimetières du Prophitis Élias et<br />

de Mavrospélio à Cnossos, comme en bien d’autres endroits, on a con-<br />

tinué, presque sans interruption, à enterrer les morts de la même façon.<br />

Simplement on utilise davantage de petites grottes naturelles en même<br />

temps qu’on en taille d’artificielles, pas toujours très régulières, qu’on<br />

agrandit par des niches et des chambres plus petites, accessibles par<br />

d’étroites ouvertures. De petites grottes artificielles abritant des sépultu-<br />

res ont été découvertes près de la ferme de Zou, dans la région de<br />

Siteia. Mais les grottes sépulcrales de Poros (Héraklion) sont devenues<br />

très spacieuses, accessibles par des escaliers taillés dans la roche tendre,<br />

avec des cloisons à l’entrée, des supports laissés par le rocher lui-même,<br />

et des cavités servant d’ossuaire. Des traces de feu dans ces dépôts sont<br />

à mettre en rapport avec le besoin de désinfecter l’endroit avant d’y<br />

effectuer de nouvelles sépultures. Ces grottes funéraires ont cessé d’être<br />

utilisées a la fin de la première phase néopalatiale.<br />

Quelques-uns des anciens enclos et des chambres construites dans des<br />

abris sous roche - comme celles de Mochlos - ont continué à être uti-<br />

lisés dans une partie au moins de la première phase transitoire, comme<br />

le prouve le mobilier funéraire. Mais d’une façon générale, on perd<br />

l’habitude de construire de tels enclos depuis que les sépultures indivi-<br />

duelles se sont répandues. A Chrysolakkos il y a eu une tentative de<br />

réadaptation par I’adjontion d’une pièce pour les cérémonies, avec une<br />

sorte d’autel rectangulaire dont les angles étaient coupés ; on a égale-<br />

ment refait le sol de certaines pièces et surtout ajouté un dallage à<br />

l’ouest, et un portique dallé avec des piliers carrés sur toute la longueur<br />

du côté est. Le fait qu’on ait continué a y enterrer les morts pour quel-<br />

que temps encore est prouvé par la découverte de beaux bijoux en or -<br />

et peut-être du (( trésor d’Égine )) qui se trouve au British Museum, si<br />

l’on en croit Higgins - et par la céramique. C’est peut-être à cette épo-<br />

que qu’on a également remplacé une partie de la façade et qu’on a mis<br />

les grands orthostates à d’autres endroits. On a aussi ajouté des cloisons<br />

intérieures ; mais l’édifice est resté hypètre et on ne faisait que rem-<br />

blayer chaque fois les sépultures. Dans les enclos de la colline de<br />

Phourni, à Archanès, les sépultures ont continué durant les deux phases<br />

suivantes de la période néopalatiale.<br />

On a constaté - et c’est important - que quelques-unes des tombes<br />

à tholos protopalatiales ont continué à être utilisées pendant une partie<br />

de la première phase transitoire et qu’en même temps, on a construit


414 LA CIVILISATION ÉGGENNE<br />

d’autres tombes semblables, plus compactes toutefois et d’une technique<br />

structurale renouvelée. C’était incontestablement des tombes de ce type<br />

qui furent construites à Kamilari (région d’Haghia Triada) et sur la col-<br />

line de Gypsadès à Cnossos. Leurs fouilleurs - Doro Levi et Hood -<br />

ont pourtant considéré qu’elles ont été construites à la fin de l’époque<br />

des Premiers Palais. Quoi qu’il en soit, ce qui est important c’est<br />

qu’elles aient continué à être en usage jusqu’à la fin de la première<br />

phase et que la première d’entre elles ait été réutilisée, après une assez<br />

grande interruption, à la fin de l’époque néopalatiale (MR I1 B -<br />

MR II1 A). Nous avons donc le chaînon qui manquait dans l’évolution des<br />

tombes à tholos du début à la fin de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>. Dans les<br />

tombes à tholos de Kamilari et de Gypsadès la courbure des parois vers<br />

l’intérieur sur une assez grande hauteur est très nette ; dans le premier<br />

cas surtout, on distinguait à l’intérieur les assises tombées circulaire-<br />

ment. <strong>La</strong> forme des tholoi ne soulève donc pas de doutes. Le diamètre<br />

intérieur de la première atteint 7’65 m. L’entrée était assez haute, avec<br />

des parastades monolithes, des seuils et un linteau monolithes, et elle<br />

fermait avec une très grande dalle d’une seule pièce. Une rangée de<br />

petites chambres à l’extérieur était utilisée pour le culte ; un espace dallé<br />

hypèthre à l’extérieur de celles-ci servait pour les cérémonies. C’est éga-<br />

lement une dalle monolithe qui fermait l’entrée de la tombe de Gypsadès.<br />

Mais à partir de la phase suivante l’architecture des tombes devient<br />

plus monumentale en même temps que se développent les tombes à<br />

chambre taillées qui constituent essentiellement une évolution des tom-<br />

bes taillées dans les grottes. De nombreux chercheurs ont soutenu que<br />

cette forme est une transplantation mycénienne en Crète. Cela ne peut<br />

pas être puisque c’est en Crète qu’on trouve les types originaux et que<br />

des tombes taillées complètes y apparaissent dès le début de la deuxième<br />

période. <strong>La</strong> roche tendre - le (< kouskouras n comme on l’appelle en<br />

Crète - favorisait ce développement. <strong>La</strong> chambre est désormais accessi-<br />

ble par un long couloir - le (( dromos )) - taillé dans le roc ou creusé<br />

dans la terre. On y observe une certaine évolution : au début, il est<br />

large et pas très long, avec les parois presque verticales, puis étroit et<br />

très long avec des parois qui s’inclinent vers le haut ; l’évolution finale<br />

a lieu essentiellement à l’époque post-palatiale. Au fond du dromos on a<br />

le passage entrée, tantôt profond, tantôt court, avec une porte en arc<br />

ou rectangulaire ou bien encore trapézoïdale et qui, presque toujours,<br />

était fermée par des pierres après chaque sépulture. <strong>La</strong> chambre avait<br />

des formes diverses : de carrée ou rectangulaire, souvent avec des ban-<br />

quettes sur les côtés pour déposer les morts, elle prend la forme d’un<br />

fer à cheval ou devient circulaire, ellipsoïde, trapézoïdale ou même irré-


Le Bronze récent en Crète 415<br />

gulière, et il n’est pas rare qu’elle comporte une ou plusieurs fosses<br />

dans lesquelles on disposait les morts. Les grandes chambres pouvaient<br />

avoir des piliers intérieurs taillés, ou bien c’est le rocher qui se projetait<br />

de la paroi pour soutenir le plafond plat ou voûté. Souvent des niches<br />

ou autres entailles plus larges, ou bien des chambres plus petites sur les<br />

côtés donnaient davantage d’espace quand la chambre ne pouvait plus<br />

contenir de nouvelles sépultures. Sur les côtés du dromos, le plus sou-<br />

vent près de l’ouverture, on taillait des niches pour les besoins des céré-<br />

monies funéraires ou du cuite des morts. Aussi bien dans les chambres<br />

que devant l’entrée et dans l’ouverture, il y avait souvent des bothroi<br />

où l’on déposait les ossements ou une partie du mobilier funéraire des<br />

inhumations antérieures, ainsi que des offrandes pour les nouvelles.<br />

Quelquefois, peut-être quand il s’agissait de personnages officiels ou de<br />

dignitaires religieux, la chambre prenait la forme d’une crypte sacrée ou<br />

d’un sanctuaire avec des niches, et dans certains cas - comme dans la<br />

Tombe des Doubles-Haches de Cnossos - les fosses elles-mêmes pre-<br />

naient la forme des doubles haches ; et ce n’était pas là un hasard,<br />

puisqu’on a trouvé sur place des vraies doubles haches en cuivre.<br />

D’une manière générale, il faut -comme nous l’avons noté -<br />

rechercher l’origine des tombes à chambre taillées en Crète même, et<br />

plus précisément dans les tombes protopalatiales et du début de l’épo-<br />

que des Nouveaux palais. I1 n’y a aucune raison pour remonter à<br />

Chypre, puisque des tombes taillées en forme de grottes et des petites<br />

tombes taillées existaient en Crète dès le début de la <strong>civilisation</strong><br />

minoenne - cf. Miamou et le cimetière d’Haghia Photia (Siteia) - et il<br />

est encore bien plus erroné d’en rechercher les modèles en Égypte ou en<br />

Syro-Palestine. Dans le monde mycénien le type a été transplanté en<br />

même temps que les autres éléments de la <strong>civilisation</strong> minoenne. Les<br />

diverses formes de tombes à chambre se sont diffusées tout de suite<br />

dans toute la Crete, mais elles se sont surtout propagées à l’époque des<br />

Seconds Palais, sous l’influence nouvelle de la <strong>civilisation</strong> du Mycénien<br />

récent. Le développement des nécropoles à tombes taillées dans la der-<br />

nière phase palatiale de Cnossos-Sanatorium (Cnossos), Haghios Ioannis<br />

(Héraklion), une partie de Zapher Papoura et de Sellopoula (Cnossos),<br />

de la région de Gypsadès, de Katsamba, de Kalyvia (Phaistos) et de la<br />

région de Dikastiria Haghios Ioannis (<strong>La</strong> Canée) -, est peut-être dû à<br />

une influence mycénienne précoce. Dans ces tombes les sépultures se<br />

font dans des cercueils en bois ou sur des litières, comme l’ont montré<br />

bien des vestiges ; des sarcophages en terre cuite ont commencé a 6trp<br />

utilisés à la fin de l’époque des Seconds Palais, durant la quatrième<br />

phase cnossienne.


416 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

En même temps, on utilisait, mais beaucoup plus rarement, des tom-<br />

bes à fosse et d’autres en forme de puits, avec une très petite chambre<br />

latérale. Des tombes du type à fosse ont été étudiées par Evans dans les<br />

cimetières de Cnossos, à Zapher Papoura comme à Isopata. Là aussi il<br />

est facile de rechercher des modèles crétois, toutefois il n’est pas exclu<br />

qu’il y ait eu développement sous l’influence mycénienne, puisque la<br />

plupart des exemples datent de l’époque de la dynastie achéenne de<br />

Cnossos. Les tombes à puits, elles, quoique pas inconnues sont rares<br />

dans le monde mycénien ; elles rappellent plutôt de vieux modèles<br />

crétois.<br />

Les tombes construites, aussi bien les tombes à chambre rectangulaire<br />

que les tombes à tholos, ont beaucoup plus d’importance dans I’archi-<br />

tecture funéraire proprement dite. I1 y a même des tombes à fosse qui<br />

ont été revêtues de pierre jusqu’à une certaine hauteur de façon qu’il y<br />

ait une feuillure pour appuyer les plaques recouvrant la fosse. Elles rap-<br />

pellent beaucoup les tombes rectangulaires mycéniennes, royales pour la<br />

plupart, quoiqu’elles ne soient pas aussi grandes. Quant aux tombes à<br />

tholos à chambre circulaire, il ne fait aucun doute qu’elles constituent<br />

la suite directe des tholoi de la phase précédente et des tholoi crétoises<br />

plus anciennes. Sur les douze tombes à tholos à chambre circulaire, cinq<br />

ou six appartiennent sûrement à l’époque néopalatiale ; elles se caracté-<br />

risent par des pierres en poros bien équarries et jointes, un dromos<br />

court et large et, dans deux exemples, des niches dans le dromos,<br />

devant l’entrée. C’est comme cela que sont les tombes à tholos de<br />

Képhala et de Teké (Cnossos), les deux ou trois tombes de Phourni à<br />

Archanès et la tombe B de Praisos. D’autres tombes à tholos -dix<br />

environ - avaient une chambre carrée et la moitié de celles-ci - trois à<br />

Cnossos, une à Praisos et peut-être la tombe de Malemé - sont proba-<br />

blement de l’époque néopalatiale. Leur couverture pyramidale est deve-<br />

nue une voûte circulaire au sommet, c’est du moins ce qu’il semble<br />

d’après deux exemples où elle est conservée. L’une des tombes d’Iso-<br />

pata, la grande tombe royale monumentale, toujours à Isopata, et la<br />

tombe post-palatiale de Damania, étaient couvertes d’un toit en batière.<br />

C’est également ainsi que sont couverts quelques sarcophages en terre<br />

cuite minoens.<br />

<strong>La</strong> tombe royale d’Isopata était indubitablement l’une des construc-<br />

tions funéraires les plus monumentales. <strong>La</strong> chambre funéraire mesurait<br />

environ huit mètres sur six. Le vestibule, légèrement oblique par rapport<br />

à la chambre, comme le dromos taillé dans le roc, était pourvu de deux<br />

niches rectangulaires profondes ; au fond de la chambre il y avait une<br />

fausse porte, peut-être pour permettre à l’âme de communiquer ; c’est


Le Bronze récent en Crète 417<br />

dans une fosse rectangulaire, sur un côté de la chambre funéraire,<br />

qu’on avait déposé la dépouille royale. Une très belle construction, faite<br />

de blocs de poros équarris et bien joints la font dater de la deuxième<br />

phase néopalatiale - pour Evans la fin de la première - et cette data-<br />

tion se trouve confirmée par les tessons les plus anciens ; mais tout ce<br />

qui est conservé de l’équipement est de la dernière phase du palais de<br />

Cnossos. Malheureusement, la tombe a été presque entièrement pillée,<br />

comme les autres tombes à tholos néopalatiales d’ailleurs, sauf la cham-<br />

bre funéraire intérieure de la tombe A d’Archanès. C’est la seule tombe<br />

à tholos de Crète qui offre la particularité d’une chambre funéraire rec-<br />

tangulaire séparée, accessible depuis la chambre circulaire, particularité<br />

qu’on rencontre dans les deux tombes monumentales mycéniennes, à<br />

savoir le trésor d’Atrée à Mycènes et le trésor de Minyas à Orchomène.<br />

<strong>La</strong> deuxième tombe royale de Cnossos est unique par sa forme ;<br />

fouillée par Evans en 1931, elle est connue sous le nom de (( Tombe<br />

royale sud », de par sa situation au sud du grand palais, sur le versant<br />

est de la colline de Gypsadès, ou encore (( Tombe-sanctuaire )) en raison<br />

de son caractère général. Sa forme, en tant que bâtiment, est véritable-<br />

ment monumentale, mais elle rappelle en tous points un sanctuaire<br />

minoen et, en tant que tel, elle semble avoir été adaptée au culte des<br />

rois défunts. On descendait par un couloir à degrés dans un petit lieu<br />

de repos à portique, qui donnait sur une cour intérieure dallée. Au fond<br />

de celle-ci se trouvait l’entrée de la tombe, contrôlée par des petites<br />

tourelles de chaque côté ; la porte était verrouillée de l’intérieur, c’est-a-<br />

dire depuis un vestibule à escalier latéral permettant aux prêtres de<br />

garde de sortir. Cet escalier menait vers la sortie et au sanctuaire de<br />

l’étage qui se trouvait au-dessus de la crypte à piliers rectangulaires suc-<br />

cédant au vestibule. L’utilisation de ces pièces comme sanctuaire ne<br />

peut être mise en doute, puisqu’on y a trouvé des fragments de doubles<br />

cornes sacrées. A une époque ultérieure la crypte, subdivisée par des<br />

cloisons, a servi pour enterrer en hâte des gens qui avaient peut-être été<br />

victimes d’un tremblement de terre. L’entrée de la chambre mortuaire<br />

était dans un angle de la crypte ; cette chambre avait, elle aussi, été<br />

transformée en crypte, avec le pilier carré caractéristique au milieu, la<br />

dépression formée par les dalles centrales du sol, les murs revêtus de<br />

belles plaques de gypse et les poutres qui se croisent sur le pilier. Le<br />

plafond semble - d’après les restes de stuc qui ont été trouvés - avoir<br />

été coloré en bleu pour imiter la voûte céleste. <strong>La</strong> tombe a été comple-<br />

tement pillée, à l’exception de quelques objets précieux qui avaient été<br />

cachés dans une fosse dissimulée dans le dallage ; les pillards avaient<br />

réussi à pénétrer dans la chambre en creusant verticalement la roche


418 LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

tendre sur plusieurs mètres, et en faisant un trou dans la paroi gauche ;<br />

l’entrée était donc restée bouchée et la découverte de la tombe, appa-<br />

remment inviolée, s’est révélée particulièrement dramatique. Une tradi-<br />

tion qui nous est parvenue par l’intermédiaire de Diodore concernant la<br />

tombe de Minos à Éryx en Sicile, évoque son association au sanctuaire<br />

d’Aphrodite, exactement comme dans cette tombe où l’on a découvert<br />

un sanctuaire de la déesse. <strong>La</strong> mise au jour du tombeau est due à la<br />

découverte d’une bague en or portant des représentations religieuses, qui<br />

est connue comme (( Anneau de Minos », à quelques mètres au nord-<br />

ouest de l’endroit où se trouvait ce tombeau. Peut-être existe-t-il, bien<br />

cachées, d’autres tombes royales dont la découverte viendra compléter<br />

nos connaissances sur l’architecture funéraire monumentale.


TABLE DES PLANCHES<br />

1. Vase néolithique de Sesklo.<br />

2. Bassin néolithique du style Dimini.<br />

3. Gobelet biconique du style Pyrgos.<br />

4. Cruche du style Haghios Onoufrios.<br />

5. Vase plastique en forme d’oiseau provenant de Koumassa (Messara).<br />

6. Tête d’iole cycladique en marbre provenant d’Amorgos.<br />

7. Amphore en (( Urfinis n de I’Helladique ancien, phase II, provenant<br />

d’OrChomenos (Béotie).<br />

8. (( Saucière N de I’Helladique ancien, phase II, provenant de Raphina<br />

(Attique).<br />

9. Amphore à couvercle de la <strong>civilisation</strong> dite troyenne (fin du 111‘ siècle<br />

av. J.-C.) provenant de Poliochni (Lemnos).<br />

IO. Bijoux en or de la <strong>civilisation</strong> dite troyenne (3‘ millénaire av. J.-C.) provenant<br />

de Poliochni.<br />

II. Petite jarre du style Camarès provenant de Phaistos.<br />

12. Petite jarre du style Camarès provenant de Phaistos.<br />

13. Cruche du style Camarès provenant de Phaistos.<br />

14. Tasse du style Camarès provenant de Phaistos.<br />

IS. Vue générale vers la cour centrale et l’aile occidentale du Palais de Cnossos.<br />

16. Vue sur les Propylées du Palais de Cnossos.<br />

17-18. Deux vues du grand escalier du portique a colonnes du Palais de Cnossos.<br />

Crédit photographique<br />

Fr. MATZ. Krera und frdhes Criechenland. i%2<br />

(Hollc Verlag. Baden-Baden) : documents I , 2, 6,<br />

7. 8. 9, IO, 13, 14, IR.


TABLE DES FIGURES<br />

1 . Formes de vases de l’époque néolithique ...............................<br />

2 . Motifs décoratifs de l’époque néolithique ..............................<br />

3 . Formes de vases de la période prépalatiale minoenne ....................<br />

4 . Motifs décoratifs de la période prépalatiale minoenne ...................<br />

5 . Formes de vases de la période du Cycladique ancien ....................<br />

6 . Formes de vases de la période du Bronze ancien .......................<br />

7 . Motifs décoratifs de I’iielladique ancien et du Cycladique ancien .........<br />

8 . Formes de vases de la période protopalatiale minoenne ..................<br />

9 . Motifs décoratifs de la période protopalatiale minoenne<br />

IO . Formes de vases de la période de I’Helladique moyen et du Cycladique<br />

moyen ............................................<br />

I I . Motifs décoratifs de I’Helladique moyen et du Cycladique moyen ........<br />

12 . Plan du palais minoen de Cnossos . . .......................<br />

13 . Plan du palais minoen de Phaistos ............... ...... ..<br />

14 . Plan du palais minoen de Malia ......................................<br />

I5 . Plan du palais minoen de Zakros .....................................<br />

86<br />

88<br />

i43<br />

145<br />

180<br />

212<br />

214<br />

213<br />

215<br />

300<br />

302<br />

336<br />

338<br />

340<br />

342


On trouvera l’index général pour les deux tomes à la fin du tome II de cet ouvrage.


TABLE<br />

Avant-propos.. ........................................................ 3<br />

Préface. ............................................................... 7<br />

INTRODUCriON .......................................................... I I<br />

Définitions. 12.- Cadre éographique de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>, IS.- <strong>La</strong><br />

terre et la mer dans l’&ide, 16.- Le climat et la production dans le<br />

monde égéen, 19.- Fondement et bouleversements géologiques dans<br />

I’Égéide, 22.- Les hommes dans le monde égéen, 25.- Mythes, traditions,<br />

réminiscences historiques, 29.- Breve rétrospective des recherches archéo-<br />

logiques dans le monde égéen, 56.- Les systèmes chronologiques. Chro-<br />

nologie relative et chronologie absolue, 7 1.<br />

PREMIERE PARTIE<br />

LA CIVILISATION NÉOLITHIQUE<br />

<strong>La</strong> <strong>civilisation</strong> néolithique, précurseur de la <strong>civilisation</strong> <strong>égéenne</strong>. .............<br />

Le Néolithique ancien, 90.- Le Néolithique moyen, 93.- Le Néolithique<br />

récent, 97.- Crète et Chypre, 104.- Organisation économique et sociale,<br />

112.- Vie intellectuelle et spirituelle, 119.<br />

DEUXIEME PARTIE<br />

LE BRONZE ANCIEN<br />

I. Le Bronze ancien en Crète (<strong>civilisation</strong> prépalatiale). ..................... I3 I<br />

Architecture domestique et architecture funéraire, 131 .- Les diverses<br />

branches de l’artisanat, 140.- <strong>La</strong> céramique, 141.- <strong>La</strong> plastique, 151.- <strong>La</strong><br />

sculpture sur pierre. 154.- Les vases et les outils en pierre, 156.- <strong>La</strong><br />

métallurgie. 158.- Autres branches de l’artisanat, 160.- Image générale de<br />

la vie économique, sociale, politique, religieuse et individuelle à l’époque<br />

prépalatiale, 162.<br />

85


424 LA ClVlLlSATION ÉGÉENNE<br />

II. Le Bronze ancien dans les Cyclades (<strong>civilisation</strong> du Cycladique ancien) ....<br />

Architecture domestique et architecture funéraire, 173.- Les diverses<br />

branches de l’artisanat, 178.- <strong>La</strong> céramique, 178.- L’artisanat des ustensi-<br />

les et des outils en pierre, 183.- <strong>La</strong> sculpture sur pierre. 185.- <strong>La</strong> métal-<br />

lurgie, 188.- Les autres branches de l’artisanat, 192.- Image générale de<br />

la vie économique, sociale, politique, religieuse et individuelle, 192.<br />

111. Le Bronze ancien en Grèce (Helladique ancien) ........................<br />

1. Cdce du Sud .......................................................<br />

Architecture domestique et architecture funéraire. 206.- <strong>La</strong> céramique,<br />

213.- Plastique et sculpture sur pierre, 217.- Le travail de la pierre. Vases<br />

et outils, 217.- <strong>La</strong> métallurgie, 217.- Autres branches de l’artisanat, 219.-<br />

Image générale de l’évolution historique et de la vie économique. sociale,<br />

politique, religieuse et privée, 22 I.<br />

2. Gdce du Nord.. ....................................................<br />

IV. Le Bronze ancien dans l’Est égéen (<strong>civilisation</strong> prototroyenne) ...........<br />

Architecture domestique et architecture funéraire, 234.- Les différentes<br />

branches de l’artisanat, 237.- <strong>La</strong> céramique. 238.- <strong>La</strong> plastique et la<br />

petite sculpture, 240.- Le travail de la pierre. Vases et outils, 240.- <strong>La</strong><br />

métallurgie, 241 .- Les autres branches de l’artisanat. 243.- Image géné-<br />

rale de la vie économique, sociale. politique, religieuse et privée, 244.<br />

TROISIÈME PARTIE<br />

LE BRONZE MOYEN<br />

I. Le Bronze moyen en Crète (<strong>civilisation</strong> minoenne protopalatiale) ..........<br />

L’architecture et la construction, 257.- Les anciens palais, 258.- Les habi-<br />

tats protopalatiaux, 266.- L’architecture funéraire, 268.- Les différentes<br />

branches de l’artisanat, 269.- <strong>La</strong> céramique, 270.- <strong>La</strong> plastique, 277.- <strong>La</strong><br />

sculpture des vases et les outils en pierre, 279.- <strong>La</strong> glyptique et les<br />

bijoux, 280.- <strong>La</strong> métallurgie, 282.- Les autres branches de l’artisanat,<br />

283.- Image générale de la vie économique, sociale, politique, religieuse<br />

et privée, 283.<br />

II. Le Bronze moyen dans les Cyclades (Cycladique moyen). ................<br />

Architecture domestique et constructions funéraires, 298.- Les diverses<br />

branches de l’artisanat, 301.- <strong>La</strong> vie à l’époque mésocycladique, 304.<br />

III. Le Bronze moyen dans le Sud du continent grec (Mésohelladique) .......<br />

1. Grèce du Sud .......................................................<br />

Architecture domestique et architecture funéraire, 308.- Les diverses<br />

branches de l’artisanat, 312.- <strong>La</strong> céramique, 313.- Les autres branches de<br />

l’artisanat, 316.- Image générale de la vie dans le Sud du continent grec,<br />

317.<br />

2. Grèce du Nord.. ....................................................<br />

IV. Le Bronze moyen dans l’Est égéen (Troyen moyen). ....................<br />

Architecture domestique, 321. - <strong>La</strong> céramique, 324.- Les autres branches<br />

de l’artisanat, 325.- Image générale de la vie dans l’Est égéen. L’évolution<br />

historique, 325.<br />

173<br />

205<br />

206<br />

227<br />

233<br />

255<br />

297<br />

307<br />

308<br />

320<br />

32 1


QUATRIEME PARTIE<br />

1<br />

LE BRONZE RÉCENT EN CRÈTE<br />

1. Architecture et construction à l’époque des nouveaux palais.. .............<br />

Architecture palatiale et domestique, 334.- Les nouveaux palais minoens,<br />

335.- Les cours et les portes d’entrée, 346.- <strong>La</strong> distribution des apparte-<br />

ments, 354.- Les sanctuaires et leurs appartements, 355.- Les apparte-<br />

ments royaux, 363.- Les salles d’apparat des palais, 368.- Les magasins<br />

royaux et les ateliers palatiaux, 371.- Les pièces de service des palais,<br />

374.- Forme générale et construction des palais, 376.- Décoration exté-<br />

rieure et intérieure, 380.- Les dispositions sanitaires. Canalisations et<br />

égouts, 383.- Les jardins et les bois royaux, 387.- Les petits palais, villas<br />

royales et fermes, 388.- Villes et habitats de la période néopalatiale, 399.-<br />

Travaux d’intérêt public en architecture, 407.- Les sanctuaires de plein<br />

air minoens, 410.- L’architecture funéraire, 412.<br />

TABLE DES PLANCHES.. .................................................. 419<br />

TABLE DES FIGURES ...................................................... 421<br />

333


LA CIVILISATION ÉGÉENNE<br />

<strong>Tome</strong> II<br />

LE BRONZE RECENT EN CRETE<br />

Les arts et les techniques à l’époque<br />

des Nouveaux Palais<br />

<strong>La</strong> vie sociale, économique, religieuse<br />

et privée<br />

<strong>La</strong> thalassocratie crétoise.<br />

Les Cyclades au début du Bronze recent<br />

LA CIVILISATION MYCENIENNE<br />

Le Bronze récent dans le Sud du continent grec<br />

(Mycénien ancien et Mycénien moyen)<br />

Le Bronze récent dans le Sud du continent grec<br />

(Mycénien récent)<br />

Le Bronze récent dans les îles, sur les côtes orientales<br />

de l’Égée et en Crète<br />

<strong>La</strong> vie sociale, économique, religieuse, privée<br />

et intellectuelle au Mycénien récent


<strong>La</strong> fabrication de cet ouvrage<br />

a été réalisée<br />

par l'Imprimerie Chirat, 42540 Saint-Just-la-Pendue<br />

Achevé d'imprimer en septembre 1981<br />

No d'édition 1252. No d'impression 2345<br />

Dépôt légal 4e trimestre 1981<br />

IMPRIME EN FRANCE

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!