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E Lichtbericht 80 - Erco

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La lumière, élément<br />

d’une réception synesthésique<br />

: ce qui peut<br />

sembler kitsch en photo<br />

ou sur l’écran, existe<br />

dans la réalité, est<br />

authentique et, à ce<br />

titre, inoubliable.<br />

Licht als onderdeel<br />

van een synesthetische<br />

perceptie: wat op een<br />

afbeelding kitscherig<br />

mag overkomen kan in<br />

het echt authentiek en<br />

daarmee onvergetelijk<br />

zijn.<br />

Uwe Belzner : Lumière Espace Temps<br />

Réflexions sur l’éclairage scénographique et<br />

les espaces de mise en scène (partie II)<br />

La structure interne du drame<br />

La première partie de cet essai était consacrée<br />

aux structures externes du drame. Ces structures<br />

externes ne circonscrivent pas le processus<br />

d’élaboration. Au contraire, elles définissent<br />

l’espace où l’équipe chargée de la mise en<br />

scène devra interpréter les structures internes.<br />

A leur tour, les structures internes ainsi interprétées<br />

sont personnelles et multiples. Interdépendantes,<br />

elles sont étroitement liées entre elles.<br />

Elles se complètent et se soutiennent mutuellement.<br />

Dans le meilleur des cas, elles s’entrelacent<br />

au point de former une fine toile : légère<br />

au vent, mobile, dynamique et résistante à la<br />

fois. Elles s’entrelacent au point de former une<br />

idée artistique globale.<br />

Dans le cadre d’un processus d’élaboration<br />

artistique en équipe, où la décision finale appartient<br />

au metteur en scène, une toile de ce type<br />

naît de la connaissance de la « démocratie des<br />

sens ». L’ouïe, la vue, le toucher, l’odorat, le goût<br />

sont assimilés à un univers sensible complexe<br />

pour transmettre les émotions des acteurs sur<br />

scène et pour permettre aux spectateurs d’accéder<br />

à cet univers émotionnel. L’interprétation<br />

des sens dédiée à un concept global donne lieu<br />

à un projet unique en son genre.<br />

La perception de notre univers est devenue<br />

plus visuelle que jamais. Or, pour un événement<br />

d’ensemble, tous les sens doivent être associés.<br />

Ce n’est pas une nouveauté. L’étude de la<br />

mythologie révèle ainsi que les sens n’existent<br />

pas indépendamment les uns des autres, mais<br />

renvoient les uns aux autres. L’espace, la musique,<br />

la langue ne sont pas les seuls à avoir une<br />

musicalité, la lumière aussi – un phénomène<br />

que l’on retrouve dans les mythes et les légendes<br />

de nombreux peuples. Plus grand que notre<br />

univers spirituel occidental, l’univers spirituel<br />

indien est plein des relations entre l’oreille et<br />

l’œil, entre la vue et l’ouïe. Prajapati, le créateur<br />

original, incarne la « lumière chantante »,<br />

le « soleil chantant » et le « son lumineux ». Et<br />

dans le Livre des morts tibétain également, la<br />

lumière éclatante se mue en son.<br />

« Le monde ne peut être appréhendé que<br />

par la pensée, le senti, le vécu et la méditation.<br />

La pensée consciente n’est là que le point culminant<br />

d’un processus plus puissant encore,<br />

lié à une unité totalement englobante. »<br />

(Joachim­Ernst Berendt, 1922­2000). De cette<br />

approche formulée par J.­E. Berendt, célèbre<br />

musicologue allemand, découle pour moi le<br />

fondement essentiel d’un processus conceptuel<br />

concluant : le concepteur doit libérer ses<br />

propres compétences émotionnelles avant de<br />

les transposer dans une œuvre qui transmette<br />

au spectateur et à l’auditeur un contenu intel­<br />

lectuel en faisant appel à sa mémoire émotionnelle<br />

et, ainsi, à des sentiments profondément<br />

enfouis.<br />

Aujourd’hui, les compétences techniques<br />

à l’international sont d’un niveau élevé sensiblement<br />

identique. Un ascenseur, un escalier<br />

mécanique, un appareil d’éclairage fonction­<br />

nent en Europe de la même manière qu’en Asie<br />

ou en Australie. Pour se distinguer, il convient<br />

donc de faire ressortir ses compétences émotionnelles.<br />

Cela ne vaut pas uniquement pour<br />

le théâtre, mais aussi pour l’architecture dans<br />

sa globalité.<br />

Compétences émotionnelles<br />

Nos compétences émotionnelles commencent<br />

à se développer dans le ventre maternel. C’est<br />

là le début d’un long voyage expérimental, personnel,<br />

mais basé sur une imagerie traditionnelle,<br />

un voyage qui nourrit notre mémoire<br />

émotionnelle. Nos sens sont alors loin de se<br />

démarquer les uns des autres : les vibrations<br />

et les sons perçus pour la première fois dans<br />

le ventre maternel, la lumière aperçue pour la<br />

première fois en en sortant marquent l’éveil<br />

de nos sens. Il s’agit de perceptions plurisensorielles<br />

que chaque jour et chaque nuit de notre<br />

existence viendront compléter pour enrichir<br />

notre propre univers expérimental, profondément<br />

intime. Les souvenirs sont complexes.<br />

De la matière, des formes et des couleurs, des<br />

sons et des mélodies, des odeurs naissent des<br />

« impressions » émotionnelles. Les associations<br />

d’idées suggérées par un lieu peuvent être examinées<br />

sur le plan sensoriel : à chaque sens<br />

correspond dans notre mémoire émotionnelle<br />

des « impressions » plurisensorielles. La mémoire<br />

n’est pas incarnée par notre seul cerveau,<br />

mais par notre corps tout entier. Les perceptions<br />

sensorielles sont des réceptions synesthésiques<br />

de l’espace par l’organisme, sachant<br />

que nos sens ne nous trompent pas, mais que<br />

c’est là le résultat de nos interprétations. Un<br />

rendez­vous sur la plage, l’été, le coucher du<br />

soleil, une guitare hawaïenne en fond sonore,<br />

le roulement des vagues, un cocktail de fruits<br />

frais, le grand amour… L’orage, les éclairs cinglant<br />

le ciel noir, le tonnerre inquiétant, l’humidité,<br />

le vent, le froid, la séparation d’avec l’être<br />

aimé… (dans un film, il pleut toujours à ce<br />

moment­là) la réconciliation, le calme et l’harmonie<br />

de l’arc­en­ciel, véritable moment de<br />

plénitude. Tout – surtout la première fois – est<br />

un moment marquant, unique, parfois bien<br />

plus kitsch que n’importe quelle image artificielle,<br />

mais parce qu’il se produit dans la réalité,<br />

il est authentique et, à ce titre, inoubliable.<br />

L’ombre des dromadaires<br />

Lorsqu’il interprète l’espace, l’observateur<br />

analyse la lumière, certes, mais surtout,<br />

inconsciemment, les ombres. Prenons l’exemple<br />

d’une photo aérienne de dromadaires dans<br />

le désert. Ce que l’on voit réellement, ce ne<br />

sont pas les dromadaires, mais leurs ombres.<br />

Concevoir par la lumière des espaces de mise<br />

en scène équivaut systématiquement à concevoir<br />

par l’ombre. L’ombre doit être explicite,<br />

comme la lumière.<br />

L’association de l’ombre et de la couleur nous<br />

donne des indications sur l’heure. L’analyse<br />

de l’ombre nous dit si le soleil est sur le point<br />

L’auteur et architecte Uwe Belzner a fondé le<br />

bureau d’études Belzner Holmes à Heidelberg.<br />

Spécialiste des questions d’éclairage et de<br />

couleur, il est également professeur à l’université<br />

de Coburg.<br />

www.belzner­holmes.de<br />

de se lever ou de se coucher. La couleur d’un<br />

coucher de soleil est indubitablement propre<br />

au soir. Sur une photo, nous reconnaissons<br />

l’heure qu’il est par l’alliance de l’ombre, de<br />

la couleur et des valeurs de luminosité.<br />

Silence et obscurité<br />

Selon J.­E. Behrendt : « Le summum du son est<br />

le silence ». Appliquer à la lumière, cela donne :<br />

le summum de la lumière est l’obscurité. Au<br />

théâtre, un espace de mise en scène naît<br />

toujours de l’obscurité. L’obscurité annonce<br />

la concentration intérieure. Dans l’obscurité,<br />

nous entendons mieux, nous sommes plus<br />

sensibles à la moindre petite lumière. En excès,<br />

la lumière aveugle et blesse, tel un bruit trop<br />

intense ou une plaque brûlante. A partir des<br />

nuances de gris de l’obscurité, la lumière fait<br />

place à la couleur.<br />

Les couleurs de la nature<br />

Toutes les couleurs sont dans la nature. Une<br />

couleur qui n’aurait pas son équivalent dans<br />

la nature est pratiquement impensable. Les<br />

anciens théoriciens de la couleur ont étudié la<br />

nature. Les biologistes y voient à nouveau un<br />

modèle d’envergure. Si les approches théoriques<br />

diffèrent les unes des autres, elles restent<br />

encore valables aujourd’hui et se tolèrent partiellement.<br />

Une chose est claire : la couleur n’a<br />

pas de signification « monochrome ». La couleur<br />

est sujette à des interprétations multiples,<br />

fonctions du moment et du niveau interprétatif.<br />

A la signification primaire (rouge = vie,<br />

sang, force) s’ajoutent les niveaux physiologi­<br />

ques du toucher (rouge = chaleur, sècheresse),<br />

de l’ouïe (rouge = intensité sonore, fanfare),<br />

du goût (rouge = suavité, puissance) ainsi que<br />

le niveau psychologique (rouge = activité,<br />

agression, amour, stimulant) et le niveau<br />

métaphorique (rouge = joie de vivre, désir,<br />

érotisme). Il convient en outre de toujours<br />

considérer la couleur dans un contexte culturel<br />

et religieux et de l’interpréter dans le<br />

sens de la mise en scène.<br />

La « lumière-clé » ou Key Light<br />

Les qualités de lumière définies par Richard<br />

Kelly, « Ambient Light », « Focal Glow » et « Play<br />

of Brilliance », sont transcrites par la lumière<br />

pour voir, la lumière pour mettre en valeur<br />

et la lumière pour décorer. Dans un espace<br />

de mise en scène – soit exactement suivant<br />

la perspective de Kelly –, la lumière pour voir<br />

n’est pas que fonctionnelle ; elle instaure<br />

aussi une ambiance générale réalisée artificiellement,<br />

elle livre un espace à la vue et aux<br />

émotions. La lumière pour mettre en valeur<br />

complète la lumière générale pour s’attacher<br />

aux personnes et aux objets, pour faire ressortir<br />

les visages, les gestes, les mouvements. Dirigée<br />

dynamiquement, la lumière guide l’œil du<br />

spectateur à travers l’espace pour qu’il ne voie<br />

que ce qu’il doit voir.<br />

La lumière pour décorer implique le recours<br />

à des objets d’éclairage que distingue leur<br />

esthétique. Ce peut être une bougie ou une<br />

sculpture lumineuse. Dans un espace de mise<br />

en scène, ces objets se font sources lumineuses<br />

symboliques chargées de sens. Ils se font<br />

Concevoir par la<br />

lumière des espaces de<br />

mise en scène équivaut<br />

systématiquement à<br />

concevoir par l’ombre.<br />

L’ombre doit être explicite,<br />

comme la lumière.<br />

Lichtvormgeving van<br />

geënsceneerde ruimten<br />

is altijd in dezelfde<br />

mate schaduwvormgeving.<br />

Schaduwen<br />

moeten net als het<br />

licht eenduidig zijn.<br />

objets de lumière­clé. Key Lights. Une lampe<br />

à incandescence nue, luisante renvoie immédiatement<br />

à la nuit ou à une pièce aveugle<br />

et, de fait, à un environnement émotionnel<br />

complexe. Les exemples de Key Lights sont<br />

nombreux : une lampe fluorescente clignotante,<br />

un candélabre garni de bougies, un<br />

lustre majestueux, une lampe de poche, un<br />

lampadaire etc. En règle générale, toutes ces<br />

sources lumineuses ne suffisent pas à éclairer<br />

convenablement tout un espace, aussi est­il<br />

important que la qualité, la couleur et l’intensité<br />

de la lumière complémentaire soient<br />

adaptée à cette lumière­clé. Le tour est joué<br />

lorsque le spectateur ne se demande pas comment<br />

une bougie peut bien éclairer une pièce<br />

de façon aussi admirable.<br />

Objet de lumière­clé,<br />

une lampe à incandescence<br />

nue, luisante<br />

renvoie à un environnement<br />

émotionnel<br />

complexe.<br />

Een kale gloeilamp<br />

brengt als „key light”<br />

een complex emotioneel<br />

geheel over.<br />

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