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Marie Thérèse Drouillon - Chrétiens dans l'Enseignement Public

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Métier<br />

Elle est restée une heure… Elle<br />

avait tant à dire.<br />

Elle venait me voir pour un de<br />

ses enfants dont je suis Professeur<br />

Principal : un petit 6 e , gentil,<br />

apparemment attentif, mais dont<br />

beaucoup de notes avaient chuté<br />

au 2 e trimestre. Il semblait un peu<br />

dépassé <strong>dans</strong> certaines matières,<br />

nous avions remarqué qu’il avait<br />

des problèmes de mémorisation.<br />

Je savais que ses parents<br />

étaient divorcés, que le petit ne<br />

voyait son père qu’au week-end,<br />

<strong>dans</strong> un département limitrophe.<br />

Je supposais également que la<br />

maman avait des horaires de travail<br />

compliqués, vu le délai d’un<br />

mois et demi avec lequel elle<br />

m’avait demandé un rendez-vous.<br />

Je commence, pour être positive,<br />

par citer “les moyennes qui<br />

ont progressé : l’EPS…”. Mais elle<br />

m’interrompt tout de suite, avec<br />

colère : “L’EPS, la musique, l’Art<br />

plastique, j’en ai rien à faire !”. Interloquée,<br />

je cherche à réajuster<br />

mon discours, mais elle ne m’en<br />

laisse pas le temps : “Je n’en ai<br />

rien à faire ! Ce qui compte, c’est<br />

les maths, le français et l’anglais<br />

!”. C’est une colère profonde,<br />

qui semble monter de loin, que je<br />

ressens physiquement, devant<br />

moi. Le petit est à côté de notre<br />

face à face, et continue de sourire.<br />

J’essaie de contourner, en expliquant,<br />

aussi doucement que possible,<br />

que l’enseignement du<br />

collège est un enseignement généraliste,<br />

qu’on considère les enfants<br />

encore trop jeunes pour faire<br />

des choix et qu’on veut les inciter<br />

à s’investir <strong>dans</strong> tout, que, <strong>dans</strong><br />

cette perspective, toutes les notes<br />

ont le même cœfficient au<br />

contrôle continu du Brevet.<br />

Rien à faire !<br />

Je reconnais en passant que<br />

tout ceci est pourtant bien intellectuel<br />

puisqu’il reste en effet peu<br />

de matières où l’enfant rencontre<br />

du concret : plus de fabrication<br />

d’objets en technologie, plus d’apprentissage<br />

d’un instrument de<br />

musique…<br />

Elle s’apaise un peu mais ne<br />

veut pas en démordre : les maths,<br />

le français, l’anglais !<br />

Et je comprends soudain quand<br />

elle ajoute : “Mon aîné de 4 e me<br />

dit ‘De toute façon, j’ai ma<br />

moyenne‘. Oui, il a 13 en EPS,<br />

mais 8 en français ! Ce n’est pas<br />

ça qui le fera réussir et poursuivre<br />

ses études !”<br />

Elle ne veut pas de cette imposture<br />

qui consiste à considérer les<br />

matières souvent dites secondaires<br />

comme une valorisation de<br />

l’enfant en difficulté partout ailleurs,<br />

voire une canalisation de sa<br />

violence, pour éviter de se confronter<br />

aux autres échecs et aux questions<br />

que cela nous renvoie.<br />

“Moi, je suis en bas de l’échelle,<br />

j’ai demandé une formation, mon<br />

patron me l’a refusée. Je regrette<br />

de ne pas avoir travaillé plus à<br />

l’école. Je ne veux pas que ce soit<br />

pareil pour eux !”.<br />

C’est une revendication : les<br />

“matières principales”, le savoir,<br />

ses enfants y ont droit aussi.<br />

Et désormais, elle m’en dit plus :<br />

les horaires de travail (hors du département)<br />

par tranches de trois<br />

semaines ; quand elle finit à<br />

quinze heures, elle peut suivre les<br />

devoirs des trois enfants. Mais<br />

quand elle rentre à vingt-deux<br />

heures, ils sont au lit puisqu’ils se<br />

lèvent à six heures le lendemain :<br />

il leur faut marcher plus d’un kilomètre<br />

avant de prendre le car de<br />

ramassage. Quelqu’un de sa famille<br />

vient faire dîner les enfants<br />

à huit heures, mais ils sont seuls<br />

entre cinq heures et le repas.<br />

“L’École ne fait pas beaucoup<br />

pour les enfants en difficulté… Et<br />

pourquoi leur demander de faire<br />

chez eux des recherches sur Internet<br />

? Les miens ont encore du<br />

mal à chercher <strong>dans</strong> un dictionnaire<br />

! Moi, j’ai Internet depuis<br />

très peu de temps. Et quand je travaille<br />

jusqu’à vingt-deux heures, je<br />

mets le code, pas question qu’ils<br />

regardent Internet en mon absence<br />

!”<br />

Elle a raison… Elle m’écoutera<br />

cependant quand je lui expliquerai<br />

les exigences multidisciplinaires<br />

du B2I quant à une bonne utilisation<br />

de l’ordinateur.<br />

Enfin, après avoir fait sortir le<br />

petit, elle me racontera comment<br />

elle se retrouve avec le rôle de “la<br />

méchante”, celle qui doit faire<br />

faire les devoirs, y compris aux retours<br />

de week-end, alors que le<br />

père aura promené les enfants.<br />

La colère revient : là aussi, si la<br />

culture, c’est sortir, les sortir, alors<br />

elle n’en a ni le temps ni les<br />

moyens financiers, et pourtant<br />

elle aussi, elle aimerait bien.<br />

Le discours du père contre lequel<br />

elle se bat est que, les études<br />

ne servant à rien, ce qui compte,<br />

c’est de trouver un travail le plus<br />

vite possible. Parce que c’est une<br />

chance qu’elle a ratée, elle est déterminée<br />

pour ses enfants à défendre<br />

le travail et les efforts que<br />

l’École nécessite. Ce sera à nous<br />

de l’y aider.<br />

Mireille Nicault<br />

Indre-et-Loire<br />

10 Lignes de crêtes 2010 - 7

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