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www.<strong>courrier</strong><strong>international</strong>.com<br />

N° 1040 du 7 au 13 octobre 2010<br />

Niger<br />

A qui pr<strong>of</strong>ite la prise d’otages ?<br />

Cambodge<br />

Retour de la vague yé-yé<br />

Chicago<br />

upbybg<br />

France<br />

3,50 €<br />

Vent nouveau sur la ville 3:HIKNLI=XUXZUV:?b@a@o@k@a;<br />

Quand<br />

la Russie<br />

disparaîtra<br />

Afrique CFA : 2 600 FCFA - Algérie : 450 DA<br />

Allemagne : 4,00 € - Autriche : 4,00 € - Canada : 5,95 $CAN<br />

DOM : 4,20 € - Espagne : 4,00 € - E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £<br />

Grèce : 4,00 € - Irlande : 4,00 € - Italie : 4,00 € -Japon : 700 ¥<br />

Maroc : 30 DH - Norvège : 50 NOK- Portugal cont. : 4,00 €<br />

Suisse : 6,40 CHF - TOM : 700 CFP<br />

M 03183 - 1040 - F: 3,50 E<br />

Enquête sur<br />

un désastre<br />

démographique


Sommaire<br />

4 Les sources cette semaine<br />

6 A suivre<br />

8 Les gens<br />

Les opinions<br />

10 Sarkozy dénature l’idéal européen, El País.<br />

Le Québec, province outragée…, Pierre<br />

Allard, Le Droit. …mais franchement<br />

corrompue, Maclean’s. Sombre bilan pour<br />

Berlusconi, Aldo Schiavone, La Repubblica.<br />

Le cauchemar irlandais n’est pas fini,<br />

The Guardian. L’Etat juif peut nuire à<br />

la démocratie, Shlomo Sand, Ha’Aretz. La<br />

justice indienne fait fi de l’Histoire, The Hindu.<br />

En couverture<br />

16 Quand la Russie disparaîtra<br />

Riche de ses ressources énergétiques et<br />

minières, la Russie souffre d’une maladie<br />

potentiellement mortelle : la dépopulation.<br />

D’un continent à l’autre<br />

22 France<br />

Diplomatie Le temps des malentendus<br />

Commerce La retraite asiatique de Carrefour<br />

23 Europe<br />

UE La finance, autre secret honteux du Vatican<br />

Portugal Portrait de João Sabadino Portugal<br />

Autriche Quelques électeurs très courtisés<br />

Lituanie Tous ces impôts qui partent en fumée<br />

30 Amériques<br />

Etats-Unis Un vent nouveau sur Chicago<br />

Pérou Le secret bien gardé des Khipus<br />

32 CI in English<br />

34 Asie<br />

Chine A l’heure d’une “deuxième réforme”<br />

Philippines La question du divorce divise<br />

Inde L’hindouisme s’invite dans les églises<br />

Indonésie Tristes tropiques<br />

38 Moyen-Orient<br />

Israël Lod, une tumeur au cœur du pays<br />

Arabie Saoudite En finir avec les fatwas<br />

Iran Les droits de l’homme d’abord<br />

Koweït Le retrait de passeport comme arme<br />

41 Afrique<br />

NigerA qui pr<strong>of</strong>ite la prise d’otages ?<br />

42 Economie<br />

Budget Comment réduire le déficit ?<br />

Dévaluation La guerre des devises est déclarée<br />

44 Médias<br />

Télévision Jon Stewart entre en politique<br />

45 Ecologie<br />

Biodiversité La tortue légendaire de Hanoi<br />

46 Technologie<br />

Robotique Un automate qui se nourrit<br />

Long <strong>courrier</strong><br />

48 Idées Abécédaire du futur proche<br />

50 Cinéma Porno d’un autre genre<br />

52 Innovation Le monde s’imprimera en 3D<br />

53 Le livre Tom McCarthy<br />

54 Musique Les voix d’or du Cambodge<br />

57 Le guide<br />

59 Insolites Les singes font la police en Inde<br />

Dessin de Tiounine<br />

paru dans<br />

Kommersant,<br />

Moscou.<br />

En couverture :<br />

Dans la ville<br />

d’Astrakhan (Russie).<br />

Photo de Max Sher.<br />

En ligne<br />

www.<strong>courrier</strong><br />

<strong>international</strong>.com<br />

E. LEGOUHY<br />

Editorial<br />

n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Etes-vous prêts pour<br />

l’hiver démographique ?<br />

Il n’y a pas que la Russie<br />

qui connaisse une dé mographie<br />

déprimée. L’Europe<br />

aussi, à quelques<br />

exceptions près, a vu<br />

ses indices de fécondité<br />

chuter de moitié depuis les années 1970.<br />

Ainsi, en Italie, cet indice n’est que de<br />

1,35 enfant par femme, alors qu’il faut, rappelons-le,<br />

2,1 enfants par femme pour<br />

assurer le renouvellement des générations,<br />

un taux atteint d’ailleurs par les<br />

Etats-Unis sans problème.<br />

Après avoir connu son plus bas niveau<br />

dans les années 1995-2000, cet indice<br />

remonte quelque peu dans la plupart des<br />

pays de l’UE, mais pas assez. La France, on<br />

le sait, est avec l’Irlande l’exception à la<br />

règle : chaque Française fait en moyenne<br />

2,01 enfants et elle les fait en général après<br />

30 ans. A côté de cet accroissement naturel,<br />

il faut ajouter l’accroissement migratoire.<br />

C’est grâce aux immigrés, en effet,<br />

que l’Europe échappera sans doute à ce que<br />

certains experts appellent “l’hiver démographique”,<br />

cette période de déclin cumulatif<br />

qui fait qu’une population de 100 peut<br />

se réduire, si rien n’est fait, à 30 quatre générations<br />

plus tard.<br />

Mais, après tout, pourquoi ne pas<br />

accepter cet hiver qui vient ? Les militants<br />

de la décroissance n’en seraient pas fâchés.<br />

Retrouvez à tout moment<br />

sur notre site :<br />

L’actualité du monde<br />

au quotidien avec des articles<br />

inédits.<br />

Les blogs de la rédaction<br />

et le regard des journalistes<br />

de Courrier <strong>international</strong>.<br />

Les cartoons Plus de<br />

3<br />

Moins d’habitants, donc moins de consommation,<br />

moins de pollution. Le Japon a<br />

choisi cette voie, délibérément, en restreignant<br />

grandement l’immigration et en<br />

acceptant la déflation. Mais il y a un prix à<br />

payer : avec beaucoup moins d’enfants et<br />

plus de gens âgés (puisque les progrès en<br />

santé publique sont constants), nous assisterons<br />

à un vieillissement accéléré de la<br />

population. Au-delà du problème épineux<br />

du financement des retraites, on peut se<br />

demander si nous sommes faits pour vivre<br />

dans un monde de vieux. Les sociétés sont<br />

des organismes vivants qui ont besoin de<br />

se renouveler pour survivre.<br />

La Russie l’a compris. Ces dernières<br />

années, elle a failli passer sous le seuil des<br />

140 millions d’habitants (contre 150 millions<br />

dans les années 1990) et elle commence<br />

donc à réagir pour échapper au<br />

crash démographique (voir notre dossier<br />

pp. 16 à 21). Avant d’imaginer une politique<br />

nataliste, Moscou veut plus d’immigrés<br />

et s’intéresse de près à la mortalité<br />

des jeunes adultes et à ses facteurs les plus<br />

évidents : l’alcool, le tabac, la route. Une<br />

politique antitabac, notamment, vient<br />

d’être mise en place, avec des hausses du<br />

prix des cigarettes, des zones fumeurs<br />

clairement identifiées, etc. Rien n’indique<br />

que ce sera suffisant.<br />

Philippe Thureau-Dangin<br />

4 000 dessins de presse<br />

à découvrir.<br />

Les archives Tous les articles<br />

publiés depuis 1997 par<br />

votre hebdomadaire préféré.<br />

Planète Presse Une base<br />

de données unique sur<br />

les journaux du monde entier.<br />

Et bien d’autres contenus…


4 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Les sources<br />

Parmi les sources<br />

de la semaine<br />

Cambodge Soir Hebdo<br />

3 000 ex., Cambodge,<br />

hebdomadaire. Avec<br />

des moyens modestes, le<br />

journal francophone publié<br />

à Phnom Penh avait réussi<br />

à se maintenir en vie contre<br />

vents et marées depuis<br />

quinze ans. Le dernier<br />

numéro a été diffusé<br />

le 30 septembre 2010. Le<br />

titre était né de la volonté<br />

des instances de la<br />

Francophonie d’<strong>of</strong>frir<br />

un soutien quotidien<br />

aux élèves apprenant<br />

le français.<br />

Chicago Tribune<br />

680 000 ex. (1 million le<br />

dimanche), Etats-Unis,<br />

quotidien. Fondé le 10 juin<br />

1847, le titre est une voix<br />

dominante du Midwest.<br />

Libéral à ses débuts,<br />

aujourd’hui conservateur,<br />

il est considéré comme l’un<br />

des meilleurs quotidiens<br />

du pays.<br />

LeDroit 35 000 ex.,<br />

Canada, quotidien. Créé<br />

en 1913, le titre dessert<br />

aujourd’hui la région<br />

d’Ottawa-Gatineau,<br />

les villes jumelles situées<br />

de part et d’autre<br />

de la frontière entre<br />

l’Ontario et le Québec.<br />

The Ecologist<br />

(theecologist.org)<br />

Royaume-Uni. Réputé pour<br />

ses enquêtes, le titre a,<br />

depuis 1970, abordé des<br />

sujets aussi variés que<br />

le financement de l’armée<br />

zapatiste ou les enjeux<br />

économiques de la<br />

fécondation in vitro.<br />

En juillet 2009, la version<br />

papier a cessé de paraître.<br />

Falter 42 000 ex.,<br />

Autriche, hebdomadaire.<br />

Le titre se veut défenseur<br />

des libertés publiques.<br />

Il se situe plutôt à gauche<br />

et ouvre régulièrement<br />

ses pages à des plumes<br />

critiques. Falter est<br />

par ailleurs livré<br />

avec un supplément<br />

très riche, qui recense<br />

les activités culturelles<br />

de Vienne.<br />

La Gazette de la Grande<br />

Ile 15 000 ex., Madagascar,<br />

quotidien. Lancé en<br />

mars 2003 par des proches<br />

du parti de l’ancien<br />

président Didier<br />

Ratsiraka, ce journal reste<br />

néanmoins assez objectif.<br />

La rédaction en chef<br />

se définit comme<br />

“indépendante<br />

politiquement”<br />

et le journal a bénéficié<br />

d’un financement<br />

bancaire mauricien.<br />

Itogui 85 000 ex., Russie,<br />

hebdomadaire. L’un des<br />

principaux magazines<br />

illustrés de Russie,<br />

fondé en 1995 par Sergueï<br />

Parkhomenko<br />

sur le modèle des news<br />

magazines occidentaux.<br />

Itogui entretenait<br />

d’ailleurs, à l’époque,<br />

un partenariat avec<br />

Newsweek. Passé<br />

sous le contrôle de<br />

Gazprom-Media en 2001,<br />

il a gardé sa belle allure,<br />

mais s’est dépolitisé.<br />

Izvestia 263 600 ex.,<br />

Russie, quotidien. L’un<br />

des quotidiens russes<br />

de référence, qui traite<br />

tous les domaines<br />

de l’actualité, les articles<br />

étant souvent<br />

accompagnés de bons<br />

dessins humoristiques ;<br />

un supplément<br />

“business” sur pages<br />

saumon le mardi<br />

et le jeudi.<br />

Maclean’s 350 000 ex.,<br />

Canada, hebdomadaire.<br />

Fondé en 1905,<br />

farouchement<br />

conservateur, ce<br />

magazine couvre<br />

l’ensemble du Canada<br />

anglais et n’a pas de<br />

concurrents dans la<br />

région. Il a encore durci<br />

le ton au lendemain<br />

des attentats<br />

du 11 septembre 2001.<br />

Mediacratia (mediacrat<br />

ia.ru), Russie. Créé<br />

en 2005, le site est la<br />

vitrine d’une association<br />

nationale regroupant de<br />

jeunes journalistes issus<br />

de l’ensemble de la Russie<br />

et de tous médias. Il sert<br />

de plate-forme d’échange<br />

d’informations et<br />

d’expériences et reprend<br />

certains articles<br />

des membres du club.<br />

Minbar Al-Hewar<br />

(menber-alhewar1.info)<br />

Arabie Saoudite. “La<br />

Tribune du dialogue et de<br />

la création” est un webzine<br />

créé en 2007 à Houston,<br />

aux Etats-Unis. Ce site<br />

progressiste propose<br />

des textes politiques<br />

et culturels écrits par des<br />

Saoudiens vivant pour la<br />

plupart en Arabie Saoudite.<br />

MinnPost.com, quotidien<br />

(du lundi au vendredi),<br />

Etats-Unis. Fondé en 2007<br />

à Minneapolis par l’ancien<br />

directeur du quotidien<br />

régional Star Tribune, ce<br />

journal en ligne s’est donné<br />

pour mission de faire du<br />

“journalisme de grande<br />

qualité pour les passionnés<br />

d’actu qui s’intéressent au<br />

Minnesota”. Sa rédaction<br />

est composée d’anciens<br />

grands journalistes<br />

Aïr info<br />

de la presse papier,<br />

dont plusieurs lauréats<br />

du prix Pulitzer.<br />

Nezavissimaïa Gazeta<br />

42 000 ex., Russie,<br />

quotidien. “Le Journal<br />

indépendant” a vu le jour<br />

fin 1990. Démocrate sans<br />

être libéral, dirigé par Vitali<br />

Tretiakov, une personnalité<br />

du journalisme russe, il fut<br />

une tribune critique de<br />

centre gauche. En 2001, il a<br />

changé de rédacteur en<br />

chef. Moins austère, plus<br />

accessible, il est aussi<br />

moins virulent.<br />

NRC Handelsblad<br />

254 000 ex., Pays-Bas,<br />

quotidien. Né en 1970, le<br />

titre est sans conteste le<br />

quotidien de référence de<br />

l’intelligentsia<br />

néerlandaise. Libéral de<br />

tradition, rigoureux par<br />

choix, informé sans<br />

frontières.<br />

Open Inde, hebdomadaire.<br />

Créé le 10 avril 2009 par<br />

une équipe de journalistes<br />

en majorité jeunes et,<br />

pour certains, venus de<br />

l’hebdomadaire Tehelka<br />

ou de la blogosphère, Open<br />

“Le premier numéro<br />

m’a coûté un mois<br />

de mon salaire<br />

d’enseignant”, raconte<br />

Ibrahim Manzo Diallo.<br />

C’est grâce à la volonté<br />

de cet homme que le<br />

premier journal d’Agadès<br />

a pu voir le jour le 9 août<br />

2002. Jusqu’à cette date,<br />

la presse écrite était quasi absente<br />

de cette partie du Niger alors qu’elle a<br />

“un rôle majeur à jouer pour forger<br />

la citoyenneté”. L’ambition de ce mensuel<br />

tiré à 1 500 exemplaires est de fournir<br />

une information indépendante et claire.<br />

Il n’hésite donc pas à dénoncer<br />

les dysfonctionnements du pays quand<br />

la nécessité s’en fait sentir. C’est<br />

sans doute ce qui explique le succès<br />

de cette entreprise dont l’ancrage régional<br />

reste particulièrement fort.<br />

Planète<br />

presse<br />

www.<strong>courrier</strong><br />

<strong>international</strong>.com<br />

Retrouvez toutes<br />

nos sources<br />

entend <strong>of</strong>frir aux lecteurs<br />

un magazine ouvert à<br />

l’actualité <strong>international</strong>e,<br />

avec une maquette<br />

dynamique.<br />

Il Sole-24 Ore 410 000 ex.,<br />

Italie, quotidien. Le journal<br />

de référence en matière<br />

économique de l’autre côté<br />

des Alpes. Austère, il n’en<br />

est pas moins extrêmement<br />

bien informé. Pour<br />

conforter son leadership, il<br />

tend aujourd’hui à laisser<br />

plus de place à l’actualité<br />

non économique, avec un<br />

certain succès.<br />

South China Morning<br />

Post 261 000 ex., Chine<br />

(Hong Kong), quotidien. Ce<br />

journal en anglais, proche<br />

des milieux d’affaires de<br />

l’ex-colonie britannique,<br />

effectue un bon suivi de la<br />

Chine, en particulier en ce<br />

qui concerne l’économie et<br />

la Chine du Sud. Depuis la<br />

rétrocession de Hong Kong<br />

à la Chine (1997),<br />

les éditoriaux sont de plus<br />

en plus timorés.<br />

Thanh Niên 400 000 ex.,<br />

Vietnam, quotidien.<br />

Créé en 1986, ce journal<br />

est une publication de la<br />

Fédération nationale de la<br />

jeunesse. Apprécié pour<br />

la qualité de ses reportages<br />

et de ses enquêtes,<br />

Thanh Niên, auquel<br />

collaborent une centaine<br />

de journalistes<br />

et correspondants<br />

à l’étranger, figure<br />

parmi les journaux<br />

les plus lus du Vietnam.<br />

World Affairs 6 000 ex.,<br />

Etats-Unis, bimestriel.<br />

Spécialisé dans les<br />

questions <strong>international</strong>es,<br />

le magazine entend<br />

alimenter le débat<br />

sur la politique étrangère<br />

en publiant aussi bien<br />

des points de vue<br />

conservateurs que des<br />

points de vue de gauche.<br />

Courrier <strong>international</strong> n° 1040<br />

Edité par Courrier <strong>international</strong> SA, société anonyme avec<br />

directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.<br />

Actionnaire Le Monde Publications <strong>international</strong>es SA.<br />

Directoire Philippe Thureau-Dangin, président et directeur<br />

de la publication. Conseil de surveillance David Guiraud,<br />

président ; Eric Fottorino, vice-président. Dépôt légal<br />

octobre 2010 - Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN<br />

n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France<br />

Rédaction 6-8 , rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13<br />

Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01<br />

Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02<br />

Site web www.<strong>courrier</strong><strong>international</strong>.com<br />

Courriel lecteurs@<strong>courrier</strong><strong>international</strong>.com<br />

Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin<br />

Assistante Dalila Bounekta (16 16)<br />

Directeur adjoint Bernard Kapp (16 98)<br />

Rédacteur en chef Claude Leblanc (16 43)<br />

Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze<br />

(16 54), Raymond Clarinard (16 77)Chefs des informations Catherine<br />

André (16 78), Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef<br />

technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-<br />

Anne Delhomme (16 31)<br />

Conception graphique Mark Porter Associates<br />

Europe Odile Conseil (coordination générale, 16 27), Danièle Renon (chef de<br />

service adjoint Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Emilie King<br />

(Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), Anthony Bellanger (France,<br />

16 59), Marie Béloeil (France, 17 32), Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias<br />

(Portugal, 16 34), Adrien Chauvin (Espagne 16 57), Iwona Ostapkowicz (Pologne,<br />

16 74), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer<br />

(Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Solveig Gram Jensen (Danemark),<br />

Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina<br />

Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse), Alexandre Lévy (Bulgarie,<br />

coordination Balkans), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie,<br />

Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Gabriela Kukurugyova (Rép. tchèque,<br />

Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine),<br />

Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, Est de<br />

l’Europe Laurence Habay (chef de service 16 36), Alda Engoian (Caucase,<br />

Asie centrale), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Larissa<br />

Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service,<br />

Amérique du Nord, 16 14), Jacques Froment (chef de rubrique, Etats-Unis, 16 32 ),<br />

Marc-Olivier Bherer (Canada, Etats-Unis, 16 95), Christine Lévêque (chef de<br />

rubrique, Amérique latine, 16 76), Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul<br />

Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan,<br />

16 39), Naïké Desquesnes (Asie du Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-<br />

Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak<br />

(Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko<br />

Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69),<br />

Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (Egypte, 16 35), Pascal Fenaux<br />

(Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie)<br />

Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Pierre Lepidi, Anne Collet<br />

(Mali, Niger, 16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), Chawki<br />

Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique du Sud) Economie Pascale Boyen<br />

(chef de service, 16 47) Médias Claude Leblanc (16 43) Sciences Anh Hoà<br />

Truong (16 40) Long <strong>courrier</strong> Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt (17<br />

48) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Ils et elles ont dit<br />

Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)<br />

Site Internet Olivier Bras (éditeur délégué, 16 15), Marie Béloeil<br />

(rédactrice, 17 32), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Mouna El-Mokhtari<br />

(webmestre, 17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Jean-Christophe<br />

Pascal (webmestre (16 61) Mathilde Melot (marketing, 16 87), Bastien Piot<br />

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)<br />

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677), Nathalie<br />

Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon<br />

(anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline<br />

Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie<br />

Marcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage<br />

Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier<br />

Ragasol (anglais, espagnol), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)<br />

Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Philippe Czerepak,<br />

Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche<br />

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),<br />

Anne Doublet (16 83), Lidwine Kervella (16 10)<br />

Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey,<br />

Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Pétricca, Denis Scudeller,<br />

Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello Cartographie Thierry<br />

Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle<br />

Anquetil (colorisation) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie<br />

(Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84)<br />

Fabrication Patrice Rochas (directeur), Nathalie Communeau (direc -<br />

trice adjointe) et Sarah Tréhin. Impression, brochage : Maury, 45191<br />

Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg<br />

Ont participé à ce numéro Alice Andersen, Marianne Bonneau,<br />

Jean-Baptiste Bor, Valérie Brunissen, Clara Cornu, Devayani<br />

Delfendahl, Geneviève Deschamps, Sika Fakambi, Ghazal Golshiri,<br />

Marion Gronier, Catherine Guichard, Elodie Leplat, Valentine<br />

Morizot, Marina Niggli, Marie-Laure Sers, Isabelle Taudière,<br />

Emmanuel Tronquart, Zaplangues, Zhang Zhulin, Anna Zyw<br />

Secrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : Sophie Jan (16 99),<br />

Natacha Scheubel (16 52), Sophie Daniel. Responsable contrôle de<br />

gestion Stéphanie Davoust (16 05), Julie Delpech de Frayssinet (16 13).<br />

Comptabilité : 01 48 88 45 02. Responsable des droits Dalila Bounekta<br />

(16 16). Relations extérieures Victor Dekyvère (16 44). Partenariats<br />

Sophie Jan (16 99) Ventes au numéro Directeur commercial : Patrick<br />

de Baecque. Responsable publications : Brigitte Billiard. Direction des<br />

ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons<br />

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6 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

A suivre<br />

Islande<br />

Un ex-Premier ministre<br />

traduit en justice<br />

Le 28 septembre, après une semaine<br />

de débats houleux, le Parlement<br />

islandais a décidé de traduire l’ancien<br />

Premier ministre conservateur devant<br />

la Haute Cour spéciale pour “négligence”<br />

lors de l’effondrement du système<br />

financier du pays, en octobre 2008.<br />

S’il est reconnu coupable, Geir Haarde,<br />

qui avait démissionné en janvier 2009,<br />

risque jusqu’à deux ans de prison, note<br />

le Financial Times. C’est le premier<br />

dirigeant politique au monde à devoir<br />

rendre compte devant la justice<br />

de son rôle dans la crise financière.<br />

Nigeria<br />

Anniversaire sanglant<br />

Un attentat à Abuja, la capitale fédérale<br />

du Nigeria, a fait 12 morts le 1 er octobre,<br />

jour où le pays le plus peuplé d’Afrique<br />

célébrait le cinquantième anniversaire<br />

de son indépendance. Cette action<br />

a été revendiquée par le Mouvement<br />

pour l’émancipation du delta du Niger<br />

(MEND), lequel avait pourtant<br />

proclamé un cessez-le-feu au début<br />

de l’année 2010. Cet attentat a marqué<br />

les esprits. Jamais, en effet, le MEND<br />

n’avait encore réussi à frapper à Abuja,<br />

la capitale, située dans le nord du<br />

Nigeria. A quelques mois de l’élection<br />

présidentielle, prévue en janvier 2011,<br />

cet événement spectaculaire<br />

rappelle la fragilité de la Fédération<br />

nigériane. Entre le Sud chrétien<br />

et le Nord musulman, les tensions<br />

sont exacerbées.<br />

Portugal<br />

Tour de vis n° 3<br />

José Socrates, le Premier ministre<br />

socialiste, a annoncé le 29 septembre<br />

les grandes lignes de son budget 2011 ;<br />

il présente de nouvelles mesures<br />

d’austérité qui font suite à celles du<br />

Programme de stabilité et de croissance<br />

(PEC) du mois de mars et à celui<br />

de juin (PEC II). Sont prévues :<br />

une baisse de 5 % de la masse salariale<br />

de la fonction publique et une hausse<br />

de deux points de la TVA à 23 %.<br />

La gauche d’opposition au<br />

Parlement dénonce ces mesures<br />

et propose, entre autres, de taxer<br />

les transferts de capitaux vers les<br />

Dans les prochains jours<br />

Alimentation<br />

Qui l’eût cru ?<br />

AFP<br />

REA<br />

Brésil<br />

Marina Silva, la candidate du Parti vert, est la vedette du<br />

premier tour de l’élection brésilienne. En recueillant le<br />

3 octobre près de 20 % des suffrages, elle a empêché Dilma<br />

Rousseff (47 %), la dauphine du président Lula, de l’emporter<br />

dès le premier tour devant José Serra (33 %). Et elle se place<br />

en arbitre du second tour (le 31 octobre).<br />

sociétés <strong>of</strong>fshore, ce qui rapporterait<br />

750 millions d’euros. La CGT<br />

portugaise a annoncé une grève<br />

générale pour le 24 novembre<br />

prochain. L’alourdissement<br />

SIPA<br />

C’est une première : la Journée<br />

mondiale du cru se tiendra<br />

le 10 octobre. Un peu partout<br />

dans le monde, les adeptes de ce mode<br />

d’alimentation organisent<br />

des événements et des dégustations<br />

autour de cette “alimentation saine<br />

et vivante”, composée pour une bonne<br />

part de légumes, qui a le vent<br />

en poupe. Les actrices Barbra Streisand<br />

et Demi Moore seraient<br />

ainsi de ferventes crudivores.<br />

du climat social pourrait desservir<br />

le candidat socialiste<br />

à la prochaine élection présidentielle,<br />

au début de l’année 2011, et favoriser<br />

la réélection du président<br />

Cavaco Silva (droite).<br />

Belgique<br />

Retour à la case départ<br />

Vendredi 8. Désignation<br />

du Prix Nobel de la paix 2010.<br />

Grand favori : l’écrivain chinois<br />

Liu Xiabo, actuellement<br />

sous les verrous pour “incitation<br />

à la subversion<br />

du pouvoir de l’Etat”.<br />

Le Fonds monétaire<br />

<strong>international</strong> (FMI)<br />

et la Banque mondiale tiennent<br />

leur assemblée annuelle<br />

à Washington. Figurent<br />

notamment à l’ordre<br />

du jour le renforcement<br />

de la réglementation du secteur<br />

Le lundi 4 octobre,<br />

les nationalistes<br />

flamands de la N-VA,<br />

grands vainqueurs<br />

des législatives<br />

de juin, ont claqué<br />

la porte des<br />

négociations<br />

gouvernementales au<br />

niveau fédéral belge.<br />

Le pays, qui se cherche<br />

une coalition depuis<br />

plus de cent<br />

AFP<br />

financier et la<br />

surreprésentation des<br />

Européens au conseil<br />

d’administration du FMI.<br />

Dimanche 10. Une parade<br />

réunissant plusieurs dizaines de<br />

milliers de personnes clôturera<br />

en ce jour numérologiquement<br />

faste (10-10-2010) les festivités<br />

organisées pour le millénaire<br />

de Hanoi.<br />

Mercredi 13. Le président de<br />

l’Iran Ahmadinejad est attendu<br />

à Beyrouth pour une visite de<br />

douze jours, replonge donc<br />

dans une grave crise politique.<br />

Face à ce retour forcé à la case départ,<br />

le roi des Belges (photo) devrait relancer<br />

un nouveau tour de consultations<br />

auprès des sept partis qui tentaient<br />

depuis les élections de former<br />

une coalition dirigée par le socialiste<br />

francophone Elio Di Rupo.<br />

En cas de nouvel échec, le pays<br />

pourrait aller vers de nouvelles<br />

élections encore plus funestes<br />

pour l’avenir du pays.<br />

Pologne<br />

Une croix sur l’Eglise<br />

Le samedi 2 octobre, Janusz Palikot,<br />

député de la Plate-forme civique<br />

(le parti de droite libéral au pouvoir),<br />

a fait son entrée en musique au congrès<br />

fondateur de son nouveau parti,<br />

Pologne moderne. Déçu par la classe<br />

politique, de plus en plus conservatrice<br />

(des “dinosaures”, selon Palikot),<br />

il explique que “la Pologne est occupée<br />

par le clergé” et qu’il souhaite la libérer.<br />

D’après les premiers sondages,<br />

Palikot peut compter sur 3,8 % des<br />

suffrages, trop peu pour siéger à la Diète.<br />

La date des prochaines législatives<br />

(en 2011) n’est pas encore fixée.<br />

Pays-Bas<br />

Un gouvernement<br />

peu sûr<br />

Le 1 er octobre, Mark Rutte,<br />

chef des libéraux néerlandais (VVD)<br />

et vainqueur des élections du 9 juin,<br />

présentait son gouvernement<br />

de coalition, formé avec les chrétiensdémocrates<br />

(CDA) ; il s’agit du premier<br />

gouvernement minoritaire<br />

des Pays-Bas depuis la guerre ;<br />

il devrait gouvernert avec l’appui<br />

du parti islamophobe de Geert Wilders.<br />

Le 5 octobre, le CDA devait donner<br />

son feu vert – qui n’était pas acquis,<br />

certains parlementaires étant<br />

réticents à ce que leur parti gouverne<br />

avec Wilders.<br />

deux jours. Son intention<br />

affichée de se rendre dans le<br />

sud du Liban pour lancer des<br />

pierres en direction d’Israël<br />

alimente les controverses.<br />

Mercredi 20. Le gouvernement<br />

britannique doit publier le détail<br />

du programme d’austérité<br />

annoncé en juin. Ce plan, qui<br />

prévoit des coupes budgétaires<br />

allant jusqu’à 40 % pour<br />

certains ministères, est le plus<br />

sévère qu’ait connu le pays<br />

depuis la Seconde Guerre<br />

mondiale.


8 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Les gens<br />

Hossein Derakhshan<br />

Héros du web<br />

iranien<br />

Le blogueur irano-canadien Hossein<br />

Derakhshan n’aurait pas dû rentrer<br />

en Iran. Après avoir passé deux ans<br />

en prison à Téhéran, celui qui est<br />

considéré comme le pionnier du web<br />

en langue persane vient en effet d’être<br />

condamné à dix-neuf ans et demi de détention.<br />

Il lui a été en outre interdit de s’affilier à toute<br />

organisation politique et de travailler pour la<br />

presse. Il devra enfin s’acquitter d’une amende<br />

de plus de 30 000 euros. Il a en effet été reconnu<br />

coupable d’espionnage au pr<strong>of</strong>it d’Israël mais<br />

aussi d’insulte au guide suprême iranien Ali<br />

Khamenei. Des crimes politiques pour lesquels<br />

le procureur de Téhéran a requis la peine de mort<br />

à la mi-septembre.<br />

Hossein Derakhshan s’était rendu célèbre dès<br />

2001 en créant un blog – le premier du monde<br />

persanophone – sous le pseudonyme de Hoder.<br />

Titre : Sardabir : khodam (Rédacteur en chef : moimême,<br />

Editor : myself dans la version<br />

anglophone). Dans la foulée, il avait publié sur<br />

Internet un manuel en persan permettant aux<br />

internautes iraniens de créer leur propre blog.<br />

L’initiative avait rencontré un franc succès.<br />

Et, près de dix ans plus tard, la blogosphère<br />

iranienne est une des plus actives au monde.<br />

Pendant plusieurs années, Hossein<br />

Derakhshan blogua et voyaga hors des<br />

frontières iraniennes, devenant un spécialiste<br />

reconnu d’Internet dans son pays. En 2006,<br />

il se rendit même en Israël pour une<br />

conférence, utilisant pour cela son passeport<br />

canadien [les ressortissants iraniens n’ont<br />

pas le droit de se rendre en Israël].<br />

Issu d’une famille aisée et proche des<br />

conservateurs, Hossein Derakhshan se<br />

rapprocha au fil du temps des réformateurs<br />

iraniens [arrivés au pouvoir en 1997 avec<br />

la victoire de Mohammad Khatami à la<br />

présidentielle]. Depuis son exil, en 2001,<br />

il n’hésita pas à critiquer ouvertement<br />

le gouvernement iranien. Il changea<br />

ensuite progressivement de camp,<br />

jusqu’à soutenir le président<br />

Ahmadinejad. “Derakshan est une<br />

figure controversée de la blogosphère<br />

iranienne”, commente le Los<br />

Angeles Times. “Peu après<br />

son voyage en Israël, il s’est<br />

retourné contre ses anciens<br />

amis réformateurs et est<br />

devenu un fervent<br />

supporteur du président<br />

iranien Mahmoud<br />

Ahmadinejad, suscitant<br />

des spéculations sur le fait qu’il<br />

ait été soit corrompu, soit menacé<br />

par les autorités iraniennes.”<br />

C’est à l’automne 2008, après<br />

plusieurs années d’exil au Canada,<br />

que Derakhshan décida de retourner<br />

dans son pays d’origine. Il prit soin de<br />

s’assurer auprès des autorités<br />

iraniennes qu’il n’aurait pas de soucis<br />

Les autorités ont refusé<br />

d’infirmer ou de confirmer<br />

son incarcération<br />

en rentrant. Il prit même contact avec Press TV,<br />

la chaîne de télévision iranienne en anglais,<br />

qui semblait prête à lui <strong>of</strong>frir un emploi. Mais<br />

les choses ne se déroulèrent pas comme prévu<br />

et il fut appréhendé par la police le 18 novembre<br />

2008. Sa famille resta sans nouvelles de lui<br />

pendant plusieurs semaines, les autorités<br />

iraniennes refusant d’infirmer ou de confirmer<br />

son arrestation. Au bout de quatre mois, sa<br />

famille apprit qu’il était en vie et placé en cellule<br />

de confinement. C’est là qu’il aurait passé<br />

la majeure partie de ces deux années de prison.<br />

De nombreux blogueurs de toutes tendances<br />

politiques se sont mobilisés pour appeler<br />

à la libération de celui qui reste considéré<br />

comme le blogfather, le père spirituel de tous les<br />

blogueurs iraniens. Et plus de 10 000 personnes<br />

ont déjà signé une pétition demandant<br />

sa libération (www.freetheblogfather.org/).<br />

Hossein<br />

Derakhshan. Dessin<br />

d’André Carrilho,<br />

Lisbonne,<br />

pour Courrier<br />

<strong>international</strong>.<br />

Ils et elles ont dit Demain célèbre<br />

Silvio Berlusconi, président<br />

du Conseil italien<br />

“La gauche n’arrête pas de<br />

me demander de rentrer<br />

à la maison. Mais le problème,<br />

c’est que j’en ai vingt, je ne<br />

saurais pas laquelle<br />

choisir”, a-t-il plaisanté lors<br />

de la fête de son parti, le<br />

Peuple de la liberté, à Milan.<br />

(La Repubblica, Rome)<br />

Barack Obama, président<br />

des Etats-Unis<br />

“Tu n’as pas envie qu’il soit<br />

tout sourire et faux cul avec<br />

toi. Tu as envie qu’il soit<br />

un peu réticent devant cet<br />

événement.” A propos<br />

de l’attitude un peu blasée<br />

du musicien Bob Dylan venu<br />

chanter à la Maison-Blanche<br />

en février dernier.<br />

(The Independent, Londres)<br />

Wen Jiabao, Premier<br />

ministre chinois<br />

“La Chine n’est pas une<br />

superpuissance. C’est un<br />

pays en voie de<br />

développement”, a-il déclaré<br />

lors de son interview accordée<br />

DR<br />

à CNN. Pour rassurer le public<br />

américain, il a déclaré sa<br />

volonté de coopération entre<br />

les deux pays. Avec plus<br />

de 800 milliards de dollars,<br />

la Chine est la première<br />

détentrice de bons du Trésor<br />

américain. (CNN, Atlanta)<br />

Walid Joumblatt, chef de la<br />

communauté druze du Liban<br />

“Si le sang commence<br />

à couler, le tribunal ne nous<br />

sera plus d’aucune utilité.”<br />

Selon ce politicien jadis<br />

antisyrien qui a changé de<br />

bord, inutile de pointer<br />

du doigt les responsables de<br />

l’assassinat du président Rafic<br />

Hariri, c’est-à-dire le Hezbollah<br />

et la Syrie. Il a décidé “d’oublier<br />

et d’effacer” l’assassinat<br />

de son père Kamal Joumblatt,<br />

imputé à Damas, “pour sauver<br />

les intérêts supérieurs”.<br />

(L’Orient-Le Jour, Beyrouth)<br />

Tifatul Sembiring, ministre<br />

de la Communication et de<br />

l’Information indonésien<br />

“SIDA est l’acronyme<br />

indonésien de ‘causé par le<br />

zizi enfoncé n’importe où’.”<br />

Son post, publié sur Twitter,<br />

a provoqué des protestations.<br />

Il a ensuite expliqué que<br />

chacun était libre d’exprimer<br />

ses opinions et qu’il ne voulait<br />

pas blesser les malades du sida.<br />

(The Jakarta Post, Indonésie)<br />

Son film ne sort aux Etats-Unis que<br />

le 15 octobre, mais son nom circule déjà<br />

à Hollywood et au-delà. Ray Griggs est la sensation<br />

du moment, une sorte de Michael Moore de droite, dixit<br />

The New York Times. Son fait d’armes est d’avoir<br />

produit et réalisé un documentaire coup de poing intitulé<br />

I Want Your Money (Je veux votre argent) pour dénoncer<br />

la politique économique du président Obama. Le film,<br />

dont la bande-annonce a été visionnée par plus de<br />

2 millions d’internautes sur YouTube, alterne les images<br />

chocs, les extraits d’interviews et les images animées.<br />

On peut même y voir Ronald Reagan boxant Obama<br />

sur un ring. Et pour cause : le documentariste préconise<br />

de revenir aux bonnes vieilles recettes réganiennes,<br />

le contrôle des dépenses et la baisse des impôts.<br />

DR


10 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Les opinions<br />

Sarkozy dénature<br />

l’idéal européen<br />

El País Madrid<br />

Le président français a obtenu par la pression que la Commission<br />

européenne repousse de deux semaines l’ouverture d’une procédure<br />

de sanctions pour l’expulsion des Roms par la France, en la<br />

soumettant à un préalable qui facilite l’oubli et le classement de<br />

l’affaire. Ce faisant, Nicolas Sarkozy ne peut pas se targuer d’une<br />

victoire, mais de deux défaites. Contre lui-même d’abord, en ajoutant<br />

à l’arrogance à l’égard des institutions européennes une absence absolue<br />

de scrupules lorsqu’il s’agit de sacrifier des principes fondamentaux de<br />

l’Union et de la France à de simples intérêts sondagiers. Et contre la Commission,<br />

dont l’indépendance et la crédibilité sont ainsi mises en cause.<br />

Sarkozy ne semble pas mesurer à quel point son injustice envers les Roms<br />

affecte toute l’Europe : il vient de légitimer, par le biais d’un gouvernement<br />

démocratique, une obsession des origines qui jusque-là restait l’apanage du<br />

populisme et de l’extrême droite.<br />

L’Assemblée nationale a adopté le 30 septembre, sur proposition du président,<br />

le retrait de la nationalité française aux citoyens naturalisés depuis<br />

moins de dix ans condamnés pour meurtre d’agents dépositaires de l’autorité<br />

publique. Mais le chef de l’Etat français semble encore moins conscient<br />

du fait que ses pressions sur la Commission, pressions auxquelles cette dernière<br />

s’est pliée, définissent un seuil de mépris de l’Etat de droit et de ses fondements<br />

au-dessous duquel aucun membre de l’Union ne pourra plus être<br />

réprimandé. Si, pour l’heure, l’UE avait du mal à appliquer un traitement<br />

homogène à ses membres petits et grands en termes de sanctions, désormais<br />

tous pourront adopter une pratique inique qui porte atteinte aux principes<br />

fondamentaux de l’Union. Puisqu’on consent à ce que la France expulse des<br />

Roms au seul motif qu’ils sont roms, n’importe lequel des 27 Etats membres<br />

peut en faire autant sans redouter le moindre froncement de sourcils de la<br />

part des institutions communautaires.<br />

L’Europe qu’est en train de façonner Sarkozy dans sa fuite vers nulle part,<br />

cette Europe à laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement, y compris celui<br />

de l’Espagne, ont donné leur blanc-seing lors du dernier Conseil européen,<br />

n’est pas celle qu’on s’est efforcé de construire au cours des cinquante dernières<br />

années. C’est une autre Europe, pas moins efficace en matière de sécurité,<br />

contrairement à ce qu’il prétend, mais moins respectable et moins<br />

attachée à ses plus nobles traditions, dont la France fut d’ailleurs un chantre<br />

à nul autre pareil. La balle est désormais dans le camp de la Commission : c’est<br />

elle qui, au bout du compte, choisira laquelle de ces Europe triomphera. <br />

Le Québec, province<br />

outragée …<br />

Pierre Allard, LeDroit Ottawa<br />

Ya-t-il eu des scandales et de la corruption au Québec ? Oui. Les<br />

preuves existent, et les médias en ont témoigné abondamment.<br />

Cela fait-il du Québec la province la plus corrompue du Canada ?<br />

Aucun fait mentionné dans le récent reportage de Maclean’s<br />

intitulé La Province la plus corrompue du Canada ne permet d’en<br />

arriver à cette conclusion. Aucune source contemporaine citée<br />

par le magazine – et elles sont rares – ne l’affirme.<br />

Dans son reportage, l’auteur y va d’une seconde conclusion, conditionnelle<br />

cette fois. Le facteur “le plus important” dans l’histoire de la corruption<br />

au Québec, écrit-il, “pourrait être” la persistante question existentielle, à savoir<br />

: le Québec doit-il ou non demeurer une composante du Canada ? Pourquoi<br />

l’écrire au conditionnel ? Pourquoi ne pas avoir eu recours à l’expertise de<br />

spécialistes – sociologues, économistes, politicologues, juristes,<br />

Rectificatif<br />

Dans l’article “Un<br />

succès ambigu pour<br />

Nétanyahou” (CI<br />

n° 1039, p. 14), il était<br />

question à la dernière<br />

ligne d’Ehoud Barak, le<br />

ministre de la Défense<br />

israélien, et non pas<br />

d’Obama, comme nous<br />

l’avons écrit par erreur.<br />

Contexte<br />

Le Québec a connu<br />

depuis plus d’un an<br />

plusieurs affaires<br />

de corruption.<br />

Déjà affaibli<br />

par des allégations<br />

îde collusion dans<br />

l’attribution<br />

de marchés publics,<br />

le Premier ministre<br />

québécois,<br />

Jean Charest,<br />

doit maintenant<br />

se défendre d’avoir<br />

exercé des pressions<br />

pour qu’un proche<br />

de son parti<br />

soit désigné juge.<br />

Voilà qui a amené<br />

Maclean’s à se<br />

demander “pourquoi<br />

il y [avait] tant de<br />

scandales politiques<br />

au Québec”. Cet article<br />

polémique a fait l’objet<br />

de nombreuses<br />

critiques, auxquelles<br />

l’hebdomadaire<br />

anglophone a répondu<br />

en publiant en français<br />

sur son site Internet<br />

un texte qui justifie<br />

ses conclusions.<br />

constitutionnalistes, etc. – pour étayer cette thèse ? A-t-on fait des démarches<br />

auprès des universités pour obtenir telle expertise ? Nul ne le sait.<br />

L’absence de contexte historique frappe aussi. Si l’on se permet de suggérer<br />

que la question identitaire nationale puisse être “le plus important” facteur<br />

de corruption au Québec, on n’ouvre que trop partiellement les portes<br />

de l’Histoire. On pourrait croire, à lire l’article, que cette menace est née<br />

comme par miracle en 1970 [lorsque le Québec s’est doté d’un Etat moderne<br />

et que les idées indépendantistes se sont affirmées dans le débat public].<br />

L’écrasement de la rébellion des Patriotes contre l’autoritarisme britannique<br />

en 1837, l’injustice de l’Acte d’Union de 1840 (imposant au Québec, majoritaire,<br />

l’égalité de sièges avec l’Ontario au Parlement de la Province du Canada,<br />

sous tutelle britannique), la suppression des droits des francophones à l’extérieur<br />

du Québec durant le centenaire suivant la Confédération, en 1867,<br />

date de fondation du Canada en tant qu’Etat fédéral, enfin la double imposition<br />

de la conscription, en 1917 et en 1944, décidée en dépit de l’opposition du<br />

Québec, contribuent à expliquer l’origine de cette “perception de minorité assiégée”<br />

chez les Québécois francophones évoquée par le commentateur Andrew<br />

Coyne dans Maclean’s. Le magazine présente une impressionnante collection<br />

de scandales connus. Ensemble, ils forment un argument convaincant,<br />

surtout dans un terreau fertile comme le Canada anglais, où de nombreux<br />

médias diffusent depuis longtemps une information souvent biaisée et négative<br />

à l’endroit du Québec et des francophones. Mais le titre de l’article ne<br />

reste qu’un argument, et un magazine sérieux comme Maclean’s, s’il veut affirmer<br />

que le Québec est la province la plus corrompue du Canada, a le devoir<br />

éthique et pr<strong>of</strong>essionnel d’en faire une meilleure démonstration. Les lecteurs<br />

méritent mieux que ça.<br />

On pourrait prendre la même liste de scandales, trouver quelques experts,<br />

conclure que les médias du Québec sont ceux qui ont fait le meilleur travail<br />

d’enquête, et avancer que, si les incidents de corruption ailleurs au pays avaient<br />

fait l’objet d’autant de fouilles et de manchettes, la palme de la province la<br />

plus corrompue aurait pu être contestée. Mais ce serait, sur le plan journalistique,<br />

tout aussi inacceptable. <br />

… mais franchement<br />

corrompue<br />

Maclean’s* Toronto<br />

Fin septembre, Maclean’s a consacré sa une à un article sur la politique<br />

au Québec intitulé “La Province la plus corrompue du Canada”.<br />

Dans une chronique qui accompagnait l’article, Andrew Coyne<br />

prédisait que notre travail, tout comme la majorité des critiques<br />

de la société québécoise issues de l’extérieur de celle-ci, serait<br />

dénoncé par la classe politique de la province comme du “Québec<br />

bashing” (dénigrement systématique du Québec). Il avait vu juste. L’article a<br />

été attaqué avec virulence par tous les politiciens qui se sont trouvés à proximité<br />

d’un microphone. Le chef du Bloc québécois [parti indépendantiste],<br />

Gilles Duceppe, a qualifié l’article de “xénophobe”.<br />

Le Premier ministre du Québec, Jean Charest, qui venait tout juste de<br />

témoigner devant une commission d’enquête sur la corruption, nous a envoyé<br />

une lettre pour exiger que nous présentions nos excuses aux Québécois. En<br />

toute justice, reconnaissons que certains de nos critiques ont prêté une oreille<br />

attentive à nos propos sur la corruption politique au Québec. Certains ont<br />

nié l’existence de toute base objective permettant de décerner à la province<br />

le titre de pire délinquante du Canada. Il y a aussi de la corruption dans les<br />

autres provinces, ont-ils fait valoir ; peut-être le Québec réussit-il simplement<br />

mieux qu’elles à mettre au jour les méfaits commis en son sein.<br />

Il est vrai que nous ne disposons pas de données statistiques démontrant<br />

sans l’ombre d’un doute que le Québec constitue un cas isolé au Canada. Mais<br />

cela ne veut pas dire que nous devons suspendre tout jugement. Les preuves<br />

sont abondantes. Les scandales succèdent aux scandales à tous les paliers de<br />

gouvernement dans la province. Chaque fois, ce n’est pas seulement à un ou<br />

deux mauvais éléments que l’on a affaire, mais bien à une corruption systémique.<br />

Au cours des cinq dernières années, nous avons connu le scandale des<br />

commandites, avec accusations de fraude, peines de prison et naufrage du<br />

Parti libéral du Canada. Des rumeurs ont couru sur la fixation des prix 12


12 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Les opinions<br />

10 <br />

dans les grands chantiers de travaux publics à Montréal, tandis que des<br />

éléments mafieux donnaient au maire, Gérald Tremblay, des raisons de<br />

craindre pour sa sécurité. Enfin, tout récemment, d’innombrables allégations<br />

crédibles dirigées contre le gouvernement du Premier ministre du Québec,<br />

Jean Charest, ont fait état de tours de passe-passe dans le financement des<br />

campagnes électorales ainsi que de trafic d’influence.<br />

Oui, il y a de la corruption politique dans chaque province et dans chaque<br />

parti. La question n’est pas là. Seul le Québec s’est trouvé aux prises pendant<br />

cette période avec une aussi riche collection de situations embarrassantes.<br />

Il importe de souligner qu’aucun de nos critiques n’a présenté de raisons<br />

valables pour attribuer à une autre province le titre de dernière de classe.<br />

Le Québec a bel et bien un problème. Son système politique ne répond<br />

plus aux attentes de sa population. Mais soyons clairs. Il s’agit là d’un problème<br />

politique, qui met en cause les politiciens et la culture politique de la<br />

province, mais non son caractère ou sa population. Dans sa lettre, le Premier<br />

ministre Charest prétend que nous avons décrit les Québécois comme “génétiquement<br />

incapables d’agir avec intégrité”. Comme toutes les accusations de<br />

Québec bashing, celle-ci n’est pas seulement fausse, elle est aussi mesquine,<br />

dans la mesure où l’ensemble des citoyens se trouvent ainsi mêlés aux agissements<br />

des politiciens et de leurs petits copains. La population du Québec<br />

est déjà bien assez pénalisée par la corruption au sein des charges publiques,<br />

elle n’a pas à en être éclaboussée par la même occasion.<br />

Les électeurs québécois ont prouvé à maintes et maintes reprises qu’ils<br />

supportaient mal les politiciens corrompus. Ils ont souvent montré la porte<br />

à des gouvernements entachés par le scandale. C’est là une source d’optimisme<br />

quant à l’avenir de la culture politique au Québec. Autre source d’espoir<br />

: la vigueur du journalisme d’enquête dans la province. Une bonne partie<br />

des irrégularités que nous décrivions dans notre article ont aussitôt fait l’objet<br />

d’enquêtes et d’exposés dans les quotidiens et les journaux télévisés. Si la<br />

population et la presse du Québec continuent d’exiger de la part des élus les<br />

plus hauts standards de déontologie et de probité, les choses changeront.<br />

Nous croyons sincèrement que les Québécois méritent mieux que la situation<br />

actuelle. <br />

* L’hebdomadaire anglophone a publié cet article en français sur son site Internet.<br />

Sombre bilan<br />

pour Berlusconi<br />

Aldo Schiavone, La Repubblica (extraits) Rome<br />

Un vide gouvernemental sans précédent et une faillite sociale<br />

explosive : la crise finale du berlusconisme, annoncée depuis<br />

belle lurette, est désormais sujette à une accélération imprévisible.<br />

Depuis le dernier vote à la Chambre des députés et la<br />

naissance du nouveau parti de Gianfranco Fini [Futur et liberté<br />

pour l’Italie, FLI], un mécanisme implacable s’est mis en place.<br />

Une page de l’histoire italienne vient de se tourner : celle qui avait commencé<br />

entre 1993 et 1994 avec l’aventure politique de Silvio Berlusconi. Dix-sept ans :<br />

c’est presque toute une génération qui a grandi sous le signe d’une “machine<br />

politique” censée changer notre société, et qui semble aujourd’hui n’avoir<br />

d’autre but que de protéger le destin personnel de son leader. Le cycle s’achève<br />

exactement, impitoyablement, là où il avait commencé : sur les rapports difficiles<br />

– pour ne pas dire impossibles – qu’entretient le président du Conseil<br />

avec les juges et la justice [lors d’un meeting de son parti, le 3 octobre, Berlusconi<br />

a une nouvelle fois reproché aux magistrats de lui être défavorables<br />

et demandé une enquête parlementaire sur leur travail].<br />

Un monde politique et idéologique s’écroule. Politique, surtout. Berlusconi<br />

avait cru pouvoir réunifier la droite italienne en mélangeant traditions<br />

et cultures dans un creuset inédit, issu d’une interprétation unilatérale et<br />

simpliste de la nouvelle modernité italienne – celle qu’a déclenchée la révolution<br />

technologique postindustrielle – et d’une idée pauvre et désincarnée<br />

de la démocratie : les institutions représentatives (et surtout ce fameux Parlement<br />

qui le met toujours si mal à l’aise puisqu’il n’en comprend pas la signification)<br />

ont été évidées au nom d’un populisme médiatique qui a pour seule<br />

fonction la célébration de son leader charismatique. Dessein qui a explosé<br />

entre les mains de ce dernier. Car la vérité nue, la vérité crue, la voici :<br />

Contexte<br />

Une Italie “sans<br />

leader”, titre<br />

l’hebdomadaire<br />

de centre gauche dans<br />

sa dernière livraison.<br />

Contesté de toutes<br />

parts et en grande<br />

difficulté depuis la<br />

rupture avec son<br />

ancien allié Gianfranco<br />

Fini, Silvio Berlusconi<br />

a tout de même<br />

obtenu la confiance<br />

du Parlement<br />

le 29 septembre.<br />

Mais cette victoire<br />

à la Pyrrhus, due<br />

au vote des partisans<br />

de Fini, ne fait que<br />

différer la fin annoncée<br />

du berlusconisme.<br />

“Irlande, repose en<br />

paix !” titre l’Irish Daily<br />

Star le 1 er octobre – la<br />

veille, le gouvernement<br />

avait annoncé que<br />

le renflouement des<br />

banques irlandaises<br />

toxiques pourrait<br />

coûter 50 milliards<br />

d’euros. Le quotidien<br />

populaire estime<br />

qu’après ce “jeudi<br />

noir”, le pays va être<br />

confronté à des<br />

“décennies d’enfer<br />

financier” à cause<br />

de “la cupidité<br />

des banquiers<br />

et [de] la stupidité<br />

des politiques”.<br />

Berlusconi ne sait pas gouverner. Au crépuscule du berlusconisme vacille un<br />

pays exténué. L’épuisement social de l’Italie est impressionnant. La plupart<br />

des liens qui unissent les régions ou les classes sociales sont compromis. Le<br />

taux d’emploi des jeunes compte parmi les plus bas d’Europe. Le travail ouvrier<br />

se réduit comme une peau de chagrin, les nouveaux emplois hautement qualifiés<br />

sont abandonnés à leur triste sort, dépourvus de règles et de protection.<br />

Le prélèvement fiscal, de plus en plus inéquitable, pénalise presque uniquement<br />

les plus démunis. Aucun nouvel investissement n’a été effectué dans<br />

les grandes infrastructures technologiques, l’éducation ou la recherche.<br />

Ces deux urgences – politique et sociale – sont liées. C’est d’ailleurs leur<br />

lien qui souligne l’importance du problème. Ce n’est pas un hasard si le parti<br />

qui semble pouvoir le mieux pr<strong>of</strong>iter de la situation est celui d’Umberto Bossi<br />

[fondateur et dirigeant de la Ligue du Nord], dont le caractère populiste est<br />

justement alimenté par la déroute politique et la faillite sociale.<br />

La démocratie ne peut reposer sur du vide. Elle présuppose le maintien<br />

du corps dans lequel elle vit, maintien dû à une cohésion pr<strong>of</strong>onde et reposant<br />

sur la solidarité entre ses membres, aussi différents soient-ils. Alors voilà,<br />

aujourd’hui je me demande si l’une des conséquences les plus catastrophiques<br />

du berlusconisme n’est pas celle-ci : qu’une partie non négligeable de nos dirigeants<br />

– et pas seulement politiques – aient cessé de considérer l’Italie comme<br />

un ensemble, comme un tout, et soient en train de cultiver l’idée d’une scission<br />

entre deux sociétés : l’une qui s’enfonce dans l’obscurité de ses peurs, de<br />

ses rancœurs et de sa récente pauvreté ; l’autre qui se tire d’affaire parce qu’elle<br />

a réussi – aux dépens de la première – à s’approprier le monde et ses défis. <br />

Le cauchemar<br />

irlandais n’est pas fini<br />

The Guardian Londres<br />

De la Grèce au Japon, en passant par les Etats-Unis, la crise bancaire<br />

a fait des ravages dans le monde entier. Mais aucune économie<br />

n’a été victime d’une mise à sac aussi brutale que celle<br />

de l’Irlande. L’ancien tigre celtique a vu son revenu national<br />

dégringoler de 17 % au cours des trois dernières années – la<br />

contraction la plus sévère et la plus rapide en Occident depuis<br />

la Grande Dépression. En 2008, quand les financiers, pour plaisanter, disaient<br />

que la seule différence entre l’Islande en faillite et une Irlande fauchée, c’étaient<br />

une lettre et quelques jours, ils avaient tort : la catastrophe qui a englouti l’île<br />

d’Emeraude est infiniment pire que celle qui secoue l’Islande.<br />

Et, jusqu’au bout, les ministres de Dublin ont promis à leurs électeurs que<br />

les choses étaient sur le point de s’améliorer. Les prêts d’urgence consentis<br />

aux banques, c’était la bonne solution. Les réductions radicales des dépenses,<br />

ça allait marcher. Et cette décision qui, en gros, revenait à cautionner l’ensemble<br />

du système bancaire (sans aucun droit de regard ou presque) et qui<br />

réglerait tout ? Eh bien, non, non, et encore non : tel un corps balancé du toit<br />

d’un gratte-ciel, l’économie irlandaise a simplement continué à plonger.<br />

Le 30 septembre, Brian Lenihan, le ministre des Finances irlandais, a<br />

assuré aux électeurs que le “cauchemar” national qu’ils sont contraints de<br />

subir depuis à peu près deux ans était sur le point de cesser. “Nous sommes<br />

désormais en train d’en finir avec ça.” Il n’a pas convaincu les financiers, qui l’ont<br />

entendu dire la même chose chaque fois qu’il a proposé un nouveau plan mal<br />

ficelé. Même à l’aune de ses coups de poker précédents, celui-ci est franchement<br />

énorme. Le renflouement qu’il propose va englober l’Anglo Irish, la<br />

banque préférée des promoteurs, ainsi que l’Allied Irish et l’Irish Nationwide<br />

– et devrait accroître le déficit budgétaire, qui passerait de 12 % du revenu<br />

national au niveau astronomique de 32 %.<br />

Lorsqu’un pays connaît une banqueroute aussi spectaculaire, il est évident<br />

que la crise a des causes multiples et pr<strong>of</strong>ondes. Nous pourrions en tout<br />

premier lieu citer une trop grande confiance dans les prix de l’immobilier à<br />

la fois en tant que facteur de bien-être illusoire et en tant que source de revenus<br />

publics. Dès que la bulle a éclaté, ces derniers se sont effondrés. Sur certains<br />

aspects, les décideurs peuvent prétendre qu’ils se sont contentés de<br />

respecter les règles du succès économique selon l’orthodoxie <strong>international</strong>e<br />

– il faut attirer les capitaux étrangers par tous les moyens et rester ouvert.<br />

Mais l’une des leçons de ce que Gordon Brown a décrit comme la 14


14 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Les opinions<br />

12 première crise de la mondialisation est que le fait de rester ouvert aux<br />

affaires à tout prix ne fonctionne pas avec des décideurs qui roupillent.<br />

Tant qu’elle n’a pas éclaté, les décideurs ont répugné à appeler la bulle<br />

immobilière par son nom. Et, quand elle a crevé, ils se sont empressés d’accepter<br />

les explications des banquiers, lesquels affirmaient qu’ils étaient simplement<br />

à court de liquidités, plutôt que carrément en faillite. Ils ont suivi les<br />

recommandations du FMI et imposé quelques-unes des réductions budgétaires<br />

les plus féroces jamais appliquées – ce qui a eu pour résultat de mettre<br />

au chômage près d’un salarié sur six et d’ouvrir la voie à une nouvelle dégringolade<br />

économique.<br />

Sur ce point, on constate des ressemblances avec d’autres pays : il suffit de<br />

demander à Gordon Brown. La grande différence avec le Royaume-Uni, c’est<br />

que l’Irlande, en tant que membre de la zone euro, ne peut pas dévaluer unilatéralement<br />

sa devise. La seule solution pour renouer avec la compétitivité<br />

est de raboter le niveau de vie des salariés. Ce qui signifie que, quoi qu’en dise<br />

M. Lenihan, l’économie irlandaise est condamnée à poursuivre sa chute. <br />

L’Etat juif peut nuire<br />

à la démocratie<br />

Shlomo Sand, Ha’Aretz Tel-Aviv<br />

Dans les négociations qui semblent se dérouler entre Israël et<br />

les Palestiniens, Benyamin Nétanyahou exige de son partenaire<br />

de négociation qu’il reconnaisse Israël comme Etat juif.<br />

On peut comprendre notre Premier ministre. Un homme qui<br />

se montre si peu pratiquant n’est peut-être pas sûr de son identité<br />

juive, d’où son incertitude quant à l’identité de son Etat<br />

et son besoin de chercher une reconnaissance de la part de ses voisins. En<br />

Israël, peu de critiques se sont élevées contre ce nouveau caprice, absent jusqu’à<br />

il y a peu de la diplomatie israélienne. Pendant des années, le pays s’était<br />

battu pour être reconnu par le monde arabe. Mais, en mars 2002, lorsque la<br />

Ligue arabe et le monde musulman ont avalisé l’initiative saoudienne et<br />

reconnu Israël dans ses frontières de 1967, une nouvelle menace est apparue :<br />

la paix – une paix qui risque très justement de dissoudre de l’intérieur le<br />

caractère juif de l’Etat.<br />

Dès lors, un consensus rassemble Israël Beiteinou [parti d’extrême droite<br />

russophone] et le Meretz [parti de gauche pacifiste], des journalistes éclairés<br />

et des docteurs de la foi, pour définir Israël comme Etat juif. Mais cette<br />

définition rappelle furieusement celle de l’Iran comme République islamique<br />

ou celle des Etats-Unis comme pays chrétien. Certes, des évangéliques américains<br />

estiment que le caractère chrétien des Etats-Unis est menacé et voudraient<br />

désormais le couler dans le béton de la législation américaine. Mais<br />

les Etats-Unis, comme le reste du monde éclairé, se considèrent comme un<br />

ensemble de citoyens où la religion ou la croyance ne comptent pas.<br />

Non, non et non, me répondront la plupart des Israéliens, le judaïsme et<br />

la judéité ne sont pas une religion, mais un peuple. Dès lors, Israël ne doit pas<br />

appartenir à tous ses citoyens, mais aux Juifs du monde entier, des Juifs qui,<br />

comme chacun sait, préfèrent pourtant ne pas vivre en Israël. C’est bizarre,<br />

je ne savais pas que l’on pouvait s’intégrer dans un peuple uniquement en se<br />

convertissant religieusement plutôt qu’en participant au quotidien à sa culture<br />

partagée. Mais peut-être existe-t-il une culture juive nationale laïque et que<br />

j’ignore ? Peut-être Woody Allen, Philip Roth et d’autres sont-ils secrètement<br />

versés dans la langue hébraïque, le cinéma hébreu, la littérature hébraïque et<br />

le théâtre hébreu ? Pour moi, la meilleure définition d’appartenance à un<br />

peuple reste sans doute la capacité à connaître le nom d’au moins un footballeur<br />

local.<br />

Le problème, c’est que l’entreprise sioniste, qui a créé dans ce pays un<br />

peuple nouveau, loin d’être satisfaite de sa propre création, préfère la considérer<br />

comme un bâtard. Elle veut s’accrocher à l’idée d’un peuple-race juif et<br />

tirer le maximum de bénéfices de son existence imaginaire. Pourquoi ne pas<br />

rappeler que la forte solidarité entre chrétiens évangéliques et la communauté<br />

de destin entre bahaïs n’en font pas encore des peuples ou des nations ?<br />

Rahm Emanuel, ancien secrétaire général de la Maison-Blanche, fait partie<br />

de la nation américaine, tout comme Bernard Kouchner fait partie de la nation<br />

française. Mais, si demain les Etats-Unis décidaient de se définir comme un<br />

DR<br />

L’auteur<br />

Shlomo Sand est un<br />

historien israélien<br />

spécialisé dans<br />

l’histoire<br />

contemporaine.<br />

Spécialiste de Jean<br />

Jaurès et de Georges<br />

Sorel, il est pr<strong>of</strong>esseur<br />

à l’université de Tel-<br />

Aviv depuis 1985. Il<br />

s’est aussi intéressé à<br />

l’histoire d’Israël et fait<br />

partie des nouveaux<br />

historiens israéliens.<br />

Favorable à un Etat<br />

binational judéopalestinien,<br />

il a publié<br />

plusieurs ouvrages de<br />

référence. Comment le<br />

peuple juif fut inventé<br />

est son dernier livre<br />

paru en France, chez<br />

Fayard.<br />

Contexte<br />

Le 30 septembre,<br />

la Haute Cour a décidé<br />

de diviser en trois<br />

le site sacré d’Ayodhya,<br />

que se disputent<br />

hindous et musulmans<br />

depuis des siècles.<br />

Un tiers a été octroyé<br />

à la communauté<br />

hindoue, un autre<br />

à la communauté<br />

musulmane et le<br />

dernier à l’organisation<br />

hindoue Nirmohi<br />

Akhara. Toutes les<br />

parties comptent faire<br />

appel. En 1992, des<br />

national-hindouistes<br />

avaient rasé la<br />

mosquée, provoquant<br />

l’une des pires vagues<br />

de violences<br />

interconfessionnelles<br />

depuis l’indépendance<br />

du pays.<br />

L’auteur<br />

Romila Thapar figure<br />

parmi les plus grands<br />

historiens indiens. Elle<br />

enseigne l’histoire de<br />

l’Inde ancienne à<br />

l’université Jawaharlal<br />

Nehru, à New Delhi.<br />

Etat anglo-saxon plutôt qu’américain ou si la France cherchait à se faire reconnaître<br />

non plus comme une République française mais comme un Etat gallocatholique,<br />

Emanuel et Kouchner n’auraient plus qu’à émigrer en Israël. Je<br />

suis certain que beaucoup d’entre nous n’attendent que cela. Voilà donc une<br />

autre raison pour laquelle nous voulons voir Israël reconnu comme Etat du<br />

peuple juif et non comme démocratie israélienne.<br />

A partir du moment où ceux qui ne sont pas juifs et qui vivent parmi nous<br />

ne peuvent s’identifier à leur Etat, ils n’ont qu’à s’identifier à l’Autorité palestinienne,<br />

au Hamas ou au film Avatar [de nombreux militants pacifistes palestiniens<br />

ont manifesté déguisés en personnages du film américain]. A ce<br />

compte, peut-être exigeront-ils demain que la Galilée, dont chacun sait qu’elle<br />

n’a pas de majorité juive, devienne le Kosovo du Moyen-Orient. <br />

La justice indienne<br />

fait fi de l’Histoire<br />

Romila Thapar, The Hindu Madras<br />

Le verdict de la Haute Cour d’Allahabad [Uttar Pradesh, nord] qui<br />

divise le site religieux d’Ayodhya entre hindous et musulmans est<br />

un jugement politique et le reflet d’une décision que l’Etat aurait<br />

aussi bien pu prendre il y a des années. Il se résume à une dispute<br />

de territoire et légitime la construction d’un nouveau temple à la<br />

place d’une mosquée, détruite. Cette question était étroitement<br />

liée à des problèmes politiques actuels sur les identités religieuses, mais prétendait<br />

se fonder sur des preuves historiques. Celles-ci ont d’ailleurs été évoquées,<br />

avant d’être mises de côté dans le jugement final.<br />

Le tribunal a affirmé qu’un dieu ou qu’un demi-dieu [la divinité Ram]<br />

était né à un certain endroit et qu’un temple y serait érigé en son honneur.<br />

Il s’agit d’une réponse positive à l’appel lancé par la communauté hindoue,<br />

au nom d’une foi religieuse. En l’absence de preuve confirmant ces affirmations,<br />

ce genre de verdict n’est pas digne d’un tribunal. Dans son jugement,<br />

le tribunal affirme qu’un temple se trouvait là au XII e siècle avant<br />

d’être détruit pour construire une mosquée, ce qui justifierait la construction<br />

d’un nouveau temple.<br />

Les conclusions de l’Archaeological Survey <strong>of</strong> India (ASI) [département<br />

chargé de l’héritage archéologique national] ont été pleinement acceptées<br />

par le tribunal alors qu’elles ont été vivement critiquées par d’autres historiens<br />

et archéologues. Après avoir déclaré qu’il ne s’était pas appesanti sur<br />

l’aspect historique de la question car il n’était pas historien, un juge a ajouté<br />

que les éléments historiques et archéologiques n’étaient pas absolument<br />

essentiels dans le règlement de cette affaire ! C’était pourtant bien de prétentions<br />

historiques et de constructions centenaires qu’il s’agissait.<br />

Une mosquée vieille de près de cinq siècles et qui faisait partie de notre<br />

patrimoine culturel a été volontairement détruite en 1992 par une foule<br />

manipulée par des chefs politiques national-hindouistes. Le verdict du tribunal<br />

ne mentionne nulle part que cet acte de vandalisme – un crime contre<br />

notre héritage – devrait être puni. Le nouveau temple sera érigé sur les<br />

débris de la mosquée. Alors que la destruction d’un hypothétique temple<br />

est considérée comme un acte condamnable et justifie la construction d’un<br />

nouveau, la destruction de la mosquée ne l’est pas, la question étant commodément<br />

écartée du débat.<br />

Ce verdict fait figure de précédent et affirme qu’il est possible de prétendre<br />

à un territoire en le déclarant lieu de naissance d’un dieu ou d’un<br />

demi-dieu vénéré par un groupe se présentant comme une communauté.<br />

Puisqu’on a le droit de détruire délibérément des monuments historiques,<br />

pourquoi ne pas continuer ? Comme nous pouvons le voir depuis ces<br />

dernières années, la loi de 1993 contre le changement de statut des lieux<br />

de culte est pour le moins inefficace.<br />

Ce qui s’est produit dans le passé appartient au passé. On ne peut pas<br />

le changer. On peut néanmoins essayer de considérer la question sur la<br />

base de preuves solides. Nous ne pouvons pas changer le passé pour justifier<br />

les politiques du présent. Ce verdict est une marque de mépris pour<br />

l’Histoire au pr<strong>of</strong>it de la religion. Le droit doit se fonder sur des preuves,<br />

et non des croyances, pour se faire respecter et contribuer à une véritable<br />

réconciliation.


16 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

En couverture<br />

Quand<br />

la Russie<br />

disparaîtra<br />

Désastre démographique en vue<br />

Riche de ses ressources énergétiques et minières,<br />

la Russie souffre d’une maladie potentiellement<br />

mortelle : la dépopulation. Pour répondre à ce<br />

défi, ses dirigeants vont devoir définir des<br />

politiques volontaristes en matière de santé<br />

publique, d’éducation, de solidarité<br />

sociale, mais aussi d’immigration.


JUSTIN JIN/COSMOS<br />

Où est donc passé<br />

le désir d’enfants ?<br />

Alors que le taux de mortalité<br />

est dramatiquement élevé, le taux<br />

de natalité reste faible. Résultat :<br />

la population se réduit chaque année<br />

de près de 900 000 individus.<br />

L’analyse d’un expert.<br />

Nezavissimaïa Gazeta (extraits)<br />

Moscou<br />

Depuis quelques années, le 1 er septembre,<br />

jour de la rentrée scolaire,<br />

n’est plus seulement une<br />

journée de fête. C’est aussi l’occasion<br />

de constater une tendance<br />

inquiétante : dans les établissements<br />

scolaires du pays, du primaire à l’université,<br />

les classes et les amphithéâtres se vident. La population<br />

russe se réduit dans des proportions alarmantes,<br />

puisque nous perdons 700 000 à 900 000<br />

personnes par an. A ce rythme, nous ne serons plus<br />

qu’une centaine de millions, voire seulement<br />

80 millions, dès le milieu de ce siècle ; et il ne restera<br />

plus un seul habitant en Russie vers l’an 2150.<br />

Ces chiffres sont si affolants qu’ils semblent irréels.<br />

Pourtant, malgré les avertissements parfois hystériques<br />

des démographes, ce sombre tableau<br />

d’une nation qui s’éteint n’a pas l’air de vraiment<br />

inquiéter nos politiques, ni la société en général.<br />

L’opposition se sert du phénomène pour attaquer<br />

le gouvernement et, de temps à autre, surtout au<br />

moment des élections, quelques populistes s’emparent<br />

du problème pour faire parler d’eux et<br />

lancer des promesses spectaculaires, mais dénuées<br />

de véritable projet pour les étayer.<br />

Le record mondial des avortements<br />

Il n’est évidemment pas question d’un dépérissement<br />

direct et immédiat des personnes aujourd’hui<br />

bien vivantes. Il n’y a ni famine ni épidémie<br />

ravageuse en vue. Non, l’ennemi avance masqué,<br />

invisible, comme des radiations nucléaires. La<br />

diminution de la population russe vient du déséquilibre<br />

entre mortalité et natalité (environ 2,2 millions<br />

de décès, contre 1,2 million de naissances par<br />

an) et des mouvements migratoires [trop de<br />

départs et pas assez d’immigrants]. Les raisons de<br />

la surmortalité qui affecte notre pays et des dangers<br />

de l’émigration réclameraient une étude à<br />

part. Nous parlerons ici des enfants, ou plutôt des<br />

conditions qui permettent leur venue au monde.<br />

Pour maintenir le niveau actuel de population, sans<br />

plus, il faudrait compenser la mortalité existante,<br />

c’est-à-dire voir naître au moins 2,2 millions d’enfants<br />

tous les ans, ce qui fait que chaque famille<br />

devrait en avoir en moyenne 2,1 au minimum. Pour<br />

pouvoir observer une nette croissance démographique,<br />

il faudrait que la plupart des familles aient<br />

au moins trois enfants.<br />

Mais, aujourd’hui, près des deux tiers des<br />

femmes enceintes ne mènent pas leur grossesse<br />

à terme, ce qui représente à peu près 1,7 million<br />

d’avortements par an et nous place au premier<br />

rang mondial dans ce domaine. A peu près<br />

200 000 d’entre elles sortent en outre stériles de<br />

ces opérations. Dans les autres pays d’Europe, la<br />

contraception est trois fois plus utilisée, et les avortements<br />

d’autant moins fréquents. On pourrait<br />

donc croire que l’on tient la solution : il suffit d’interdire<br />

l’avortement ! C’est une option que nombre<br />

de têtes brûlées ont déjà essayée, chez nous et<br />

ailleurs. Certes, la natalité augmente soudain de<br />

30 à 40 %, mais cela ne dure qu’un ou deux ans. Car,<br />

dans cette nouvelle situation, non seulement la<br />

contraception se diffuse, mais les avortements<br />

reprennent dans la clandestinité ou à l’étranger.<br />

On revient vite au taux de natalité précédent, avec<br />

en prime un grand nombre de stérilités et de décès<br />

dus aux avortements clandestins. Regardez la<br />

Pologne, où l’avortement est interdit : la natalité<br />

y est tout aussi faible qu’en Russie.<br />

On pense souvent que, si les gens n’ont pas<br />

d’enfants, c’est parce que leurs conditions matérielles<br />

ne s’y prêtent pas. C’est une idée que les sondages<br />

semblent confirmer, puisque 40 % à 50 % des<br />

femmes invoquent leurs trop bas revenus et l’absence<br />

de logement digne de ce nom pour expliquer<br />

leur refus d’avoir un deuxième, voire un premier<br />

enfant. Pourtant, même sincères, ces réponses ne<br />

sont que des prétextes. Dans les faits, ces femmes<br />

ne veulent pas (ou plus) avoir d’enfant du tout, ce<br />

qu’elles finissent par reconnaître. Un troisième<br />

enfant, lui, est tout simplement hors de question.<br />

Le discours à la nation prononcé en 2006 par<br />

Vladimir Poutine [alors président] annonçait le<br />

doublement de l’allocation parentale, qui allait<br />

passer à 1 500 roubles [36 euros] pour le premier<br />

enfant et à 3 000 pour le deuxième, et qui instaurait<br />

surtout une gratification pour la mère, à savoir<br />

un capital de 250 000 roubles (indexée sur l’inflation,<br />

la gratification atteint aujourd’hui 350 000<br />

roubles). On aurait bien sûr aimé que ces mesures<br />

encouragent la natalité. Elles ont sans doute eu un<br />

certain effet. Depuis 2006, on a connu une augmentation<br />

de la natalité de 18 %. Et, si le nombre<br />

d’écoliers a diminué d’à peu près 1 million par an<br />

entre 1999 et 2006 à cause de la baisse de la natalité<br />

de 1991 à 1999, on voit que cette chute a cessé<br />

depuis l’instauration de la gratification maternelle.<br />

Les flagorneurs ont aussitôt crié au triomphe, sans<br />

s’apercevoir que le mouvement correspondait<br />

en fait au pic d’une “vague démographique”. Le<br />

Déclin<br />

Evolution de la population de la Russie<br />

(en millions d’habitants)<br />

150<br />

140<br />

130<br />

120<br />

Projection<br />

110<br />

1960 2010 2050<br />

Source : Division de la population de l’ONU<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 17<br />

Mariages en<br />

groupe au bord<br />

du lac Seliguer,<br />

lieu de<br />

villégiature<br />

estivale au nord<br />

de Moscou.<br />

Dénombrement<br />

Le recensement<br />

national<br />

de la population<br />

se déroulera<br />

en Russie du 14 au<br />

25 octobre 2010, huit<br />

ans après le précédent.<br />

Pour mener à bien<br />

cette mission, l’agence<br />

russe de statistiques<br />

Rosstat va mobiliser<br />

613 000 enquêteurs.<br />

Dans la Rossiskaïa<br />

Gazeta, le journaliste<br />

Leonid Radzikhovski<br />

rappelle que le premier<br />

recensement russe,<br />

effectué en 1897, avait<br />

dénombré 67,5 millions<br />

d’habitants.<br />

En fait, précise-t-il,<br />

“la croissance de la<br />

population de Russie<br />

au XX e siècle atteint<br />

presque 60 %,<br />

passant de 90 millions<br />

d’habitants en 1914<br />

à 142 millions<br />

aujourd’hui”,<br />

soit plus que la France<br />

et l’Angleterre,<br />

qui affichent<br />

respectivement 40 %<br />

et 30 % de croissance<br />

sur la même période.<br />

“Dans ce contexte,<br />

les cris incessants<br />

sur‘la Russie<br />

en voie d’extinction’<br />

paraissent<br />

franchement exagérés.<br />

Notre pays se situe<br />

au même stade<br />

de développement<br />

que la majorité des pays<br />

européens. Il est vrai<br />

qu’en Russie,<br />

à la différence<br />

des principaux pays<br />

européens, la<br />

population diminue.”<br />

nombre de femmes en âge de procréer s’est tout<br />

simplement accru. Elles-mêmes sont nées<br />

entre 1986 et 1988, période où la natalité avait<br />

connu une embellie.<br />

Mais la progression actuelle est assez modeste<br />

et ne rattrape pas la mortalité. Divers documents<br />

<strong>of</strong>ficiels, comme le Programme national d’incitation<br />

à la procréation, puis le texte intitulé “Conception<br />

de la politique démographique jusqu’en 2025”<br />

– qui fixe un objectif grandiose : porter le nombre<br />

moyen d’enfants par femme à 1,685 d’ici à 2016 –,<br />

donnent l’impression que le problème est résolu<br />

et le dossier classé. Mais est-ce vraiment le cas ? La<br />

population va-t-elle désormais croître au lieu de<br />

diminuer ? C’est difficile à imaginer. Une chute<br />

brutale nous attend dans deux ans, car c’est alors<br />

que les rares enfants des années 1990 arriveront à<br />

l’âge d’être parents. Les quatorze années à venir,<br />

qui nous amènent justement à 2025, devraient voir<br />

la Russie perdre 7 millions d’âmes selon le Service<br />

national de la statistique, 12 millions d’après l’Institut<br />

de démographie.<br />

2,5 millions d’enfants errants<br />

La leçon à retenir de ces vaines tentatives pour faire<br />

augmenter la natalité est apparemment la suivante<br />

: l’Etat ne peut pas – et ne doit pas – “acheter<br />

des enfants” à ses citoyens. Les gens font des<br />

enfants pour eux-mêmes, pas pour le pays ou pour<br />

quoi que ce soit d’autre. On doit donc en conclure<br />

que la principale explication de cette faible natalité<br />

est que les parents potentiels ne ressentent pas<br />

la nécessité d’avoir des enfants.<br />

C’est une évidence criante quand on observe<br />

à quel point les familles nombreuses sont devenues<br />

rares et combien le drame des enfants abandonnés<br />

s’est banalisé. Ces dernières années, on a<br />

évalué à 2,5 millions le nombre de mineurs errant<br />

dans les rues, exclus de tout système scolaire. Ce<br />

sont souvent les rejetons de parents qui ont abdiqué.<br />

Un tiers d’entre eux ont fui une famille où ils<br />

n’avaient pas de père, un autre tiers est parti parce<br />

que le père était alcoolique, et les autres se sont<br />

échappés d’orphelinats. Rien que selon les chiffres<br />

<strong>of</strong>ficiels, 700 000 mineurs seraient pris en charge<br />

par 2 800 pensionnats et orphelinats, alors même<br />

que 80 % d’entre eux ont des parents en vie. Mais<br />

ces parents les ont abandonnés, parce qu’ils ne<br />

savaient pas quoi faire d’eux. Cela ne prouve-t-il<br />

pas que nous perdons le besoin d’avoir des enfants ?<br />

Depuis des siècles, ceux qui ont étudié la question<br />

se sont heurtés à un paradoxe : si l’arrivée des<br />

enfants est fonction de la situation matérielle,<br />

pourquoi y en a-t-il si peu dans les pays les plus<br />

riches alors que là où les conditions sont les pires,<br />

dans la plupart des pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique<br />

latine, ainsi que dans les zones déshéritées<br />

des pays prospères, les familles ont beaucoup<br />

d’enfants ? Doit-on craindre, en partant de cette<br />

constatation, que la hausse des revenus en Russie<br />

n’ag grave encore notre situation démographique ?<br />

De fait, cette équation paradoxale ne fonctionne<br />

pas dans notre pays. Le taux de natalité (actuellement<br />

de 0,91 %) y est aussi bas, voire plus, que dans<br />

les pays riches (où il s’établit à 1,2 % en moyenne),<br />

alors que la mortalité, avec un taux de 1,54 %, y est<br />

plus élevée que dans les pays pauvres (1,16 %). Les<br />

démographes ont baptisé cette particularité la<br />

“croix russe”. C’est une anomalie qui les laisse<br />

perplexes, tout comme les sociologues.<br />

Selon le dernier recensement, la Russie comptait<br />

78 millions de femmes en 2002, dont 38 millions<br />

en âge de procréer. Même si 5 millions étaient<br />

stériles, cela en laissait encore 33 millions en théorie<br />

capables de multiplier par deux la population<br />

du pays en l’espace de sept ans, la portant à 18


18 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

En couverture Quand la Russie disparaîtra<br />

300 millions, ce qui signifierait un accroissement<br />

de 11 % par an. Hélas, elles n’en ont pas l’intention,<br />

alors que la plupart d’entre elles se<br />

trouvent dans la fleur de l’âge, entre 20 et 35 ans.<br />

Ainsi, malgré 34 millions de couples constitués, ou<br />

40 millions si l’on inclut les femmes qui élèvent<br />

seules leur progéniture, nous n’avons que 29 millions<br />

d’enfants. Cela fait 5 millions de couples sans<br />

enfants (17 % du total), énormément de couples<br />

avec un seul enfant (75 %), et seulement 8 % qui en<br />

ont plus d’un. Les familles nombreuses (comprenant<br />

plus de deux enfants) ne sont en tout et pour<br />

tout que 1,4 million. Les femmes russes donnent<br />

donc naissance en moyenne à 1,32 enfant au cours<br />

de leur vie, alors que le simple remplacement des<br />

générations en réclame 2,1.<br />

Les horreurs du XXe siècle ont fait disparaître<br />

beaucoup de monde, et, avec 175 millions de Russes<br />

si l’on prend en compte ceux qui vivent à l’étranger,<br />

nous sommes largement moins nombreux que<br />

nous aurions dû l’être. Nous constituions autrefois<br />

le troisième pays le plus peuplé du monde après<br />

la Chine et l’Inde, mais avons aujourd’hui dégringolé<br />

au septième rang, derrière le Brésil et le Pakistan.<br />

Pour faire des enfants, les gens ne se fondent<br />

pas sur ce que réclame la société, mais sur l’idée<br />

qu’ils se font de leurs propres besoins. Il se trouve<br />

que les nouveaux produits industriels, les services<br />

désormais disponibles, l’état d’esprit ambiant et<br />

le mode de vie urbain ont radicalement transformé<br />

nos aspirations. La plupart de nos besoins actuels<br />

n’existaient pas autrefois. On ne peut pas simplement<br />

dire que leur quantité a augmenté, c’est en<br />

réalité tout le système qui a changé. De nos jours,<br />

il est par exemple indispensable d’acquérir un bon<br />

niveau de connaissances, ce qui prend de longues<br />

années et retarde l’entrée dans la vie de couple. On<br />

17 Les femmes sont 10 millions<br />

de plus que les hommes.<br />

Ces derniers ont une espérance<br />

de vie largement moindre.<br />

Eclairage<br />

Une société en déficit de solidarité<br />

Les questions démographiques<br />

sont-elles directement liées aux réalités<br />

économiques et sociales ?<br />

MIKHAÏL KLOUPT* Ces derniers temps,<br />

en Russie, le nombre moyen d’enfants<br />

par femme est passé de 1,3 à 1,5. Il a suffi<br />

pour cela que les dépenses budgétaires<br />

soient réorientées en faveur de la natalité,<br />

avec, par exemple, la création du “capital<br />

maternel”. Dans la Russie actuelle,<br />

la natalité est liée à la conjoncture<br />

économique et il est fort possible<br />

que la crise la fasse diminuer.<br />

Mais, évidemment, la seule incitation<br />

financière n’est pas suffisante.<br />

Qu’est-ce qui influe vraiment<br />

sur la démographie en Russie ?<br />

Les carences matérielles sont doublées<br />

d’un autre manque, peut-être encore<br />

pire : le manque de solidarité, qui se<br />

traduit par une distance catastrophique<br />

entre les individus. Le consensus autour<br />

des valeurs, des usages et des<br />

comportements a volé en éclats. En son<br />

temps, Emile Durkheim, l’un des pères<br />

de la sociologie moderne, avait présenté<br />

l’évolution de la société humaine comme<br />

une suite de douloureuses transitions<br />

entre des formes de solidarité<br />

en voie de disparition et d’autres en train<br />

d’apparaître, vitales pour la suite.<br />

Nous sommes pour notre part dans<br />

une période intermédiaire. Les formes<br />

de solidarité anciennes, présoviétiques<br />

et soviétiques, ont été démantelées,<br />

sans que d’autres soient encore mises en<br />

place, et la société traverse une période<br />

d’anomie. Ce terme signifie, au sens<br />

strictement sociologique, qu’il n’existe<br />

pas de normes, et en langage courant<br />

qu’on assiste à tout et n’importe quoi.<br />

Je pense que la très forte mortalité<br />

et la très faible natalité observées<br />

en Russie résultent de cette absence de<br />

solidarité à tous les niveaux, que ce soit au<br />

sein de la famille, dans la vie quotidienne<br />

(il n’est que de voir le comportement<br />

des automobilistes envers les<br />

piétons, ou entre eux), au travail,<br />

à l’échelle macroéconomique<br />

(d’où la répartition extrêmement<br />

inégalitaire des revenus).<br />

La désintégration de notre<br />

société se manifeste<br />

aussi dans le fait qu’elle<br />

n’est toujours pas en<br />

mesure d’<strong>of</strong>frir au citoyen<br />

ordinaire des modèles<br />

d’existence à la fois<br />

épanouissants pour l’individu<br />

et productifs pour la société.<br />

Pour avancer dans la vie, les<br />

gens ont besoin d’un “bâton” sur<br />

lequel s’appuyer, c’est-à-dire de<br />

règles et de directives claires sur<br />

lesquelles se fonder. Ils doivent<br />

sait très bien que la naissance d’un enfant bouleverse<br />

le quotidien des parents, les éloigne pour<br />

longtemps de leur travail et gêne leur carrière. Se<br />

décider à en avoir n’est donc pas facile. Etant donné<br />

leur “coût”, en mettre plusieurs au monde est tout<br />

bonnement hors de prix pour la plupart des gens.<br />

Autre donnée du problème, et ce dans le<br />

monde entier : la transformation de la famille, de<br />

ses fonctions et des relations entre ses membres.<br />

Dans la famille patriarcale, les enfants devenaient,<br />

en grandissant, une sorte d’assurance-vieillesse<br />

pour les parents, tandis que le respect des anciens<br />

était sanctifié par la société. Il s’agissait d’investir<br />

dans les enfants pour ménager son propre avenir.<br />

A présent, rien n’est plus pareil. Dans les pays<br />

riches, dès l’enfance on mène une vie à part de ses<br />

parents. Les enfants passent de la crèche à la maternelle,<br />

puis il y a l’école, le collège, le lycée, l’université,<br />

parfois l’armée, et les jeunes travailleurs<br />

diplômés ne pr<strong>of</strong>itent pas à leurs parents, mais à<br />

la société. Le lien entre les générations se délite,<br />

les enfants deviennent un luxe dont on peut se<br />

passer, et les personnes âgées se transforment en<br />

convives touchants ou exaspérants. Ainsi, la chute<br />

de la natalité n’est pas liée seulement au niveau de<br />

richesse, mais aussi aux modifications dans les rapports<br />

humains au sein de notre système de besoins<br />

et d’idéaux. Nous avons d’un côté une soif inex-<br />

savoir qu’en les suivant ils pourront<br />

se construire une belle existence,<br />

être utiles à leur famille, à leur pays…<br />

Comment voyez-vous l’avenir ?<br />

Si nous réussissions à assurer<br />

un développement économique régulier,<br />

à rendre la société plus solidaire et à<br />

donner du sens à la vie de tout un chacun,<br />

ainsi qu’une certaine prévisibilité,<br />

dans la mesure où cela est possible<br />

dans le monde actuel, mon pronostic<br />

serait plutôt optimiste. Mais, même si tout<br />

évolue favorablement, le lourd héritage<br />

démographique qui pèse sur nous mettra<br />

longtemps à se résorber.<br />

La question des migrations joue-t -elle<br />

un grand rôle ?<br />

La Russie attire principalement des<br />

Asiatiques, ce qui signifie que, sur le plan<br />

sociopolitique, notre pays va se tourner<br />

plutôt vers l’Asie que vers l’Europe. Les<br />

aspects économiques de l’immigration<br />

sont à considérer de façon<br />

très circonspecte. L’heure de travail<br />

d’un maçon venu d’Ouzbékistan<br />

ou du Tadjikistan est moins bien payée<br />

que celle d’un ouvrier russe, et ces gens<br />

vivent dans des conditions qu’un Russe<br />

ne tolérerait pas. Mais la présence<br />

d’étrangers prêts à accepter de très bas<br />

salaires évite aux employeurs d’avoir<br />

à investir dans des technologies moins<br />

gourmandes en bras. Il serait pour autant<br />

tinguible de consommation, des enfants qui coûtent<br />

de plus en plus cher, et de l’autre une descendance<br />

qui ne représente pas un besoin vital pour<br />

les familles.<br />

Il ne faut pas non plus oublier que la moitié des<br />

femmes de Russie sont seules, qu’elles ont honte<br />

de leur situation, en souffrent, et se prétendent<br />

souvent mariées, au point que sur les formulaires<br />

de recensement nous nous retrouvons avec beaucoup<br />

plus de femmes mariées que d’hommes<br />

mariés. On pense souvent que la cause est le<br />

manque d’hommes, surtout d’hommes “épousables”.<br />

Il est vrai que la Russie compte 10 millions<br />

de femmes de plus que d’hommes, mais ce déséquilibre<br />

ne commence qu’à partir de 33 ans et plus,<br />

et il est lié à l’espérance de vie largement moindre<br />

des hommes. Chez les 20-35 ans, la parité est respectée,<br />

avec environ 15 millions d’hommes et<br />

autant de femmes. En dépit de cela, deux tiers des<br />

femmes de 25 ans sont seules. La raison pour<br />

laquelle elles se marient de plus en plus tard est en<br />

fait à chercher du côté des problèmes de travail et<br />

de logement. De quelle union et de quels enfants<br />

peut-il être question quand les revenus du conjoint<br />

ne suffisent pas à compenser la perte de salaire qui<br />

va affecter la jeune maman ? Sans parler du retard<br />

que prendra sa carrière, ou de la difficulté à retrouver<br />

un poste à l’issue de son congé de maternité.<br />

Et que dire des prix exorbitants des appartements ?<br />

Un quart des Russes paient des loyers prohibitifs<br />

et un tiers d’entre eux sont même contraints de<br />

vivre sous le toit de leurs parents. Les statistiques<br />

des divorces provoqués par les problèmes de cohabitation<br />

de plusieurs générations sont pudiquement<br />

inexistantes.<br />

L’horloge biologique ne permet pas aux<br />

femmes de repousser une grossesse jusqu’à ce que<br />

naïf d’imaginer qu’arrêter l’afflux de<br />

main-d’œuvre étrangère en Russie ferait<br />

aussitôt fleurir des techniques innovantes.<br />

Il ne faut pas non plus oublier<br />

que les mouvements de population<br />

sont porteurs de conflits potentiels.<br />

Si le chômage s’aggrave au point que les<br />

Russes se mettent à lorgner les emplois<br />

actuellement occupés par les immigrés,<br />

les choses pourraient dégénérer.<br />

Et si l’on proposait aux gens une idée<br />

nouvelle, un modèle de société<br />

qui lèverait ces tensions ?<br />

Il est certain que les idées peuvent avoir<br />

un effet déterminant sur le monde :<br />

le christianisme, le marxisme, “Liberté,<br />

égalité, fraternité”… Pourtant, beaucoup<br />

de bonnes choses ne sont pas acceptées<br />

par la société. Plus généralement, la<br />

manière dont le corps social adhère à une<br />

idée est un processus mystérieux, voire<br />

miraculeux. Naturellement, l’être humain<br />

tente de semer des graines de raison,<br />

de bonté, d’éternité, mais il ne parvient<br />

pas toujours à les planter dans un terrain<br />

propice.<br />

Propos recueillis par Mikhaïl<br />

Diatchenko Itogui Moscou<br />

* Démographe russe. A récemment publié<br />

Demografia rieguionov Ziemli (La démographie<br />

des régions de la Terre).<br />

Dessin de Tomasz Walenta, Varsovie.


Taux d’accroissement naturel<br />

Différence entre le taux de natalité et celui de mortalité par régions (chiffres de 2009, en ‰)<br />

Moins<br />

de - 10<br />

De -8<br />

à -10<br />

ENCLAVE DE<br />

KALININGRAD<br />

DISTRICT<br />

FÉDÉRAL<br />

CENTRAL<br />

- 6,4 ‰<br />

(- 238 804)<br />

DISTRICT<br />

FÉDÉRAL<br />

DU SUD*<br />

0,8 ‰<br />

(17 110)<br />

14<br />

15<br />

16 17<br />

C a u c a s e<br />

18<br />

De -6<br />

à -8<br />

PSKOV<br />

3<br />

12<br />

20<br />

19<br />

4<br />

2<br />

De -4<br />

à -6<br />

1<br />

13<br />

5<br />

De -2<br />

à -4<br />

De 0<br />

à -2<br />

S t-Pétersbourg<br />

Moscou<br />

6 7 8<br />

9<br />

De 0<br />

à +2<br />

De +2<br />

à +4<br />

les pouvoirs publics se réveillent. Beaucoup d’entre<br />

elles se contentent donc de vivre en union libre, et<br />

près d’un tiers donnent naissance à des enfants<br />

hors mariage. Si elles le font à moins de 20 ans, c’est<br />

souvent par accident, c’est un bébé non désiré,<br />

mais, quand elles ont plus de 30 ans, c’est le signe<br />

qu’elles ont perdu tout espoir de se marier un jour.<br />

D’où cet amer constat : 40 % des petits Russes sont<br />

élevés par des mères célibataires. Actuellement,<br />

plus de 60 % des personnes pauvres et 65 % de<br />

celles qui n’ont pas de travail sont des femmes. La<br />

situation des mères célibataires est particulièrement<br />

difficile. La précarité pousse de nombreuses<br />

jeunes femmes à renoncer à avoir des enfants, mais<br />

les incite aussi à se vendre. Rien qu’à Moscou, on<br />

compterait 330 000 prostituées, et elles seraient<br />

des millions à travers tout le pays, exploitées par<br />

des réseaux de souteneurs qui gagnent ainsi des<br />

milliards de dollars. Toutefois, même les femmes<br />

mariées sont mal protégées par l’Etat, puisque 70 %<br />

d’entre elles sont victimes de violences conjugales<br />

et agressées par des maris en colère. Une quinzaine<br />

de milliers sont ainsi assassinées tous les ans.<br />

Nous voyons donc qu’il est indispensable de<br />

renouer le lien entre niveau de vie et statut social<br />

des adultes et des personnes âgées, d’une part, et<br />

natalité d’autre part. La relation matérielle directe<br />

10<br />

11<br />

DISTRICT<br />

FÉDÉRAL DE<br />

LA VOLGA<br />

- 4,1 ‰<br />

(- 123 491)<br />

De +4<br />

à +6<br />

DISTRICT<br />

FÉDÉRAL DU<br />

NORD-OUEST<br />

- 5,4 ‰<br />

(- 73 228)<br />

ARKHANGELSK<br />

KOMIS<br />

M o n t s O u r a l<br />

TIOUMEN<br />

De +6<br />

à +8<br />

OMSK<br />

De +8<br />

à +10<br />

KHANTYS-MANSIS<br />

Festival<br />

Plus<br />

de +10<br />

DISTRICT<br />

FÉDÉRAL<br />

DE L’OURAL<br />

- 0,9 ‰<br />

(- 11 278)<br />

IAMALO-NENETS<br />

ALTAÏ<br />

KRASNOÏARSK<br />

KHAKASSIE<br />

DISTRICT<br />

FÉDÉRAL<br />

SIBÉRIEN<br />

- 1,7 ‰<br />

(- 33 166)<br />

TOUVA<br />

IRKOUTSK<br />

qui existait entre les générations ayant été rompue<br />

par la société, elle doit aujourd’hui être restaurée,<br />

sous des formes adaptées. Il faut trouver une façon<br />

de recréer un besoin d’enfants qui soit à la fois<br />

social, matériel et moral. Il faudrait pour cela que<br />

la situation matérielle des gens, leurs revenus globaux,<br />

leur place dans la société, leur carrière et le<br />

montant de leur retraite dépendent à la fois de leur<br />

travail, de leur ancienneté et de l’importance de<br />

leur salaire, mais aussi du nombre d’enfants élevés,<br />

et du soin avec lequel ils l’auront été.<br />

Des emplois et des crédits<br />

La méthode à appliquer demande un débat public.<br />

Il faudra plus que les habituels programmes<br />

sociaux concernant les jeunes familles. Il faudra<br />

imaginer des possibilités pour que chacun puisse<br />

concilier travail et volonté de fonder une famille.<br />

Il existe plusieurs pistes, par exemple la possibilité<br />

d’obtenir un crédit immédiat pour acquérir<br />

un logement. Il faut pour cela que les banques proposent<br />

des taux assez bas, mais aussi que des poursuites<br />

judiciaires soient envisagées contre les<br />

promoteurs qui jouissent de monopoles locaux<br />

et s’allient à une bureaucratie corrompue afin de<br />

fixer des prix d’immobilier astronomiques. Les<br />

milliards qu’ils accumulent signifient des millions<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 19<br />

Régions où les peuples autochtones...<br />

... sont majoritaires par rapport aux Russes ethniques<br />

... représentent de 30 à 50 % de la population<br />

- 1,7 ‰<br />

(- 33 166)<br />

BOURIATIE<br />

SAKHA<br />

S I B É R I E<br />

Il est important de tenir<br />

compte des énormes disparités<br />

dans la répartition de<br />

la population. Les plus fortes<br />

densités (75 % ) se trouvent<br />

à l’ouest de l’Oural, alors que<br />

la Sibérie est un espace<br />

quasiment vide.<br />

90<br />

49<br />

26<br />

7<br />

0<br />

La 21 e édition<br />

du Festival<br />

<strong>international</strong><br />

de géographie<br />

de Saint-Diédes-Vosges<br />

se<br />

déroule cette semaine,<br />

du 7 au 10 octobre.<br />

Cette importante<br />

manifestation (dont<br />

Courrier <strong>international</strong><br />

est partenaire)<br />

permettra au public<br />

d’assister à une<br />

multitude de tables<br />

rondes, débats,<br />

conférences,<br />

rencontres et<br />

expositions (plus de<br />

200 événements au<br />

total) dans divers lieux<br />

de la ville. Les deux<br />

thèmes de cette année :<br />

la forêt et la Russie.<br />

362 (Moscou)<br />

Nombre<br />

d’habitants<br />

par km 2<br />

TRANSBAÏKALIE<br />

DISTRICT<br />

FÉDÉRAL<br />

EXTRÊME-<br />

ORIENTAL<br />

- 1,2 ‰<br />

(- 7 466)<br />

1 500 km<br />

Accroissement naturel par districts fédéraux<br />

taux<br />

(chiffres de 2007)<br />

(valeur absolue)<br />

Limite des sept districts fédéraux<br />

* Le 19 janvier 2010, le district du Sud a été scindé<br />

en deux. La partie méridionale est devenue le district<br />

fédéral du Nord-Caucase.<br />

Sources : GOSKOMSTAT (services statistiques de l’Etat fédéral)<br />

, atelier de cartographie de Sciences-Po<br />

TCHOUKOTKA<br />

KAMTCHATKA<br />

Vladivostok<br />

1. NOVGOROD<br />

2 TVER<br />

3. SMOLENSK<br />

4. TOULA<br />

5. TAMBOV<br />

6. MORDOVIE<br />

7. TCHOUVACHIE<br />

8. MARIS<br />

9. TATARSTAN<br />

10. OUDMOURTIE<br />

11. BACHKORTOSTAN<br />

12. KALMOUKIE<br />

13. ASTRAKHAN<br />

14. ADYGHÉS<br />

15. KARATCHAÏEVO-<br />

TCHERKESSIE<br />

16. KABARDINO-<br />

BALKARIE<br />

17. OSSÉTIE DU NORD<br />

18. INGOUCHIE<br />

19. TCHÉTCHÉNIE<br />

20. DAGHESTAN<br />

La population totale<br />

diminue depuis 1995<br />

et compte aujourd'hui<br />

141 millions d’habitants.<br />

Le solde migratoire<br />

positif de la population<br />

russe (+ 258 200<br />

individus en 2007)<br />

ne compense pas<br />

l’accroissement naturel<br />

négatif (- 470 323<br />

individus en 2007).<br />

de familles en moins, et autant d’enfants qui ne<br />

verront jamais le jour.<br />

La création d’emplois est une autre condition.<br />

Elle passe par un développement de l’entrepreneuriat,<br />

qui permettrait de lancer sa propre affaire<br />

ou de trouver un poste suffisamment rémunérateur.<br />

Là aussi, cela signifie des prêts à long terme<br />

et à faible taux. Troisième nécessité, celle de revenir<br />

à l’encadrement social de la petite enfance,<br />

avec un large réseau de crèches où les tarifs<br />

seraient fonction des revenus des parents, et, pour<br />

les plus grands, à l’<strong>of</strong>fre d’activités extrascolaires<br />

gratuites. Afin d’éviter la corruption qui sévit<br />

aujourd’hui dans l’enseignement supérieur, de le<br />

rendre accessible à tous et d’éviter le départ des<br />

jeunes vers les universités étrangères, le système<br />

devrait être payant mais en <strong>of</strong>frant là aussi des crédits<br />

à long terme et à taux privilégié aux étudiants,<br />

qui, une fois diplômés, rembourseraient sur<br />

quinze ans. Ils ne pourraient pas aller s’installer<br />

à l’étranger tant qu’ils n’auraient pas entièrement<br />

remboursé ces emprunts étudiants.<br />

Mais autant ne pas se faire d’illusions : tout<br />

cela ne ferait pas remonter la natalité comme par<br />

miracle. La société est un mécanisme à très forte<br />

inertie, et tout mouvement prend des années à se<br />

dessiner et à porter ses fruits. Leonard Ibraev


20 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

En couverture Quand la Russie disparaîtra<br />

Ainsi meurent les villages<br />

Le quotidien Izvestia s’alarme<br />

de la désertification des campagnes.<br />

Un phénomène qui s’accélère<br />

et qui a de graves conséquences<br />

écologiques et sociales pour le pays.<br />

Izvestia (extraits) Moscou<br />

Lors de la vague d’incendies qui a<br />

touché la Russie au mois d’août<br />

dernier, des communiqués annonçaient<br />

de temps à autre qu’un village<br />

avait brûlé. Mais comment<br />

était-ce possible ? Comment un village,<br />

l’emblématique village russe, peut-il brûler ?<br />

Normalement, il ne se trouve pas en plein milieu<br />

d’une forêt impénétrable. Il est situé sur une<br />

petite hauteur, les maisons sont entourées d’une<br />

dense mosaïque de potagers, il est bordé de vastes<br />

étendues où le foin a été fauché, de champs, de<br />

pâtures, tout ce qui est nécessaire aux paysans<br />

pour se nourrir pendant les douze mois de l’année.<br />

On ne voit donc pas comment le feu pourrait<br />

s’approcher des maisons.<br />

“Ma grand-mère se levait à 5 heures, elle mettait<br />

une marmite de soupe au chou à cuire dans le<br />

grand poêle, et à 6 heures, quand elle partait travailler<br />

à la ferme, elle avait déjà eu le temps de faire<br />

ses pirojki [petits pains briochés farcis] et son pain.<br />

La ferme se trouvait à côté, au bout du village, et<br />

c’était là que tout le monde travaillait. Les gens élevaient<br />

également leur propre bétail. Nous avions<br />

une vache, des moutons, deux porcs, des poules et<br />

Géopolitique<br />

Une ambition démesurée<br />

Pour illustrer ce qui se passe<br />

actuellement en Russie, une<br />

comparaison s’impose. Entre 1976<br />

et 1991, un intervalle qui correspond<br />

aux seize dernières années du pouvoir<br />

soviétique, il y a eu 36 millions<br />

de naissances. De 1992 à 2007, pour<br />

les seize premières années de l’aprèscommunisme,<br />

ce chiffre a été ramené<br />

à 22,3 millions à peine, soit une chute<br />

de la natalité de près de 40 % entre les<br />

deux périodes. Au terme de la vie, on a<br />

dénombré 24,6 millions de décès au total<br />

entre 1976 et 1991, tandis que pour les<br />

seize années qui ont suivi l’effondrement<br />

de l’Union soviétique la Fédération<br />

de Russie en a enregistré 34,7 millions,<br />

soit une hausse d’un peu plus de 40 %.<br />

La symétrie est frappante.<br />

La Fédération de Russie n’est en aucun<br />

cas le seul pays à avoir vu sa population<br />

reculer au cours des deux décennies<br />

écoulées. De fait, 11 des 19 pays<br />

qui composent l’Europe occidentale<br />

ont connu chaque année le même<br />

phénomène tout au long de la guerre<br />

froide. Mais dans l’ensemble ces baisses<br />

démographiques étaient généralement<br />

de courte durée et de faible ampleur.<br />

des lapins. Pareil pour nos voisins, qui avaient aussi<br />

des chevaux, dont nous nous servions pour labourer.<br />

Evidemment, nous avions un potager, indispensable.<br />

Il y avait aussi un verger, qui existe<br />

encore. Mais le village, lui, a disparu depuis longtemps.”<br />

Ce témoignage n’est pas celui d’une<br />

(La dépopulation de l’Italie, par exemple,<br />

s’est limitée à la seule année de 1986, avec<br />

la perte de moins de 4 000 personnes.)<br />

Qui plus est, elles étaient dans ces cas<br />

essentiellement une conséquence<br />

de tendances migratoires. Il n’y a que<br />

dans quelques rares pays d’Europe<br />

occidentale (Autriche, Danemark,<br />

Allemagne, Royaume-Uni) que le solde<br />

négatif naturel a jamais représenté<br />

un facteur contribuant au déclin de la<br />

population d’une année sur l’autre. Dans<br />

tous les pays à l’exception de l’Allemagne,<br />

ces brusques soldes négatifs se sont<br />

avérés temporaires et relativement<br />

négligeables. Deux des principales<br />

institutions spécialisées dans<br />

ce domaine, la Division<br />

de la population des<br />

Nations unies (DPNU)<br />

et le US Bureau<br />

<strong>of</strong> the Census<br />

(Bureau américain<br />

du recensement)<br />

prédisent une tendance<br />

continue à la baisse<br />

démographique pour la<br />

prochaine génération<br />

d’habitants de Russie.<br />

Dessin d’Ajubel<br />

paru dans El Mundo,<br />

Madrid.<br />

Vers le milieu de l’année 2005, la<br />

population russe tournait autour de<br />

143 millions d’habitants. Les prévisions de<br />

la DPNU pour 2025 s’établissent dans une<br />

fourchette comprise entre 136 millions<br />

de personnes et environ 121 millions,<br />

et pour 2030 entre 133 millions<br />

et 115 millions. Quant au Bureau<br />

du recensement américain, il avance<br />

les chiffres de 128 millions de Russes<br />

en 2025 et de 124 millions en 2030.<br />

Si ces projections démographiques<br />

se révèlent relativement correctes,<br />

la Russie aura connu en 2025 un déclin<br />

démographique ininterrompu depuis<br />

trente ans, et en 2030 une dépopulation<br />

depuis près de quatre décennies.<br />

La population se sera alors amputée<br />

d’environ 20 millions d’habitants<br />

entre 1990 et 2025, et la Russie sera<br />

passée du sixième au douzième rang<br />

des pays les plus peuplés du monde.<br />

En termes relatifs, le plongeon<br />

démographique serait presque<br />

aussi vertigineux que celui survenu<br />

durant la Seconde Guerre mondiale.<br />

En termes absolus, il serait<br />

d’une plus grande ampleur encore.<br />

Le plus frappant, et peut-être également<br />

mamie attablée devant un samovar. Ce sont les<br />

souvenirs d’une femme qui a tout juste la trentaine<br />

et vit désormais dans un chef-lieu de district,<br />

une localité étendue mais peu peuplée<br />

comme il y en a tant en Russie, avec ses allées<br />

poussiéreuses et superbes. On y trouve tous les<br />

bienfaits de la civilisation, le gaz, l’eau courante,<br />

le tout-à-l’égout et les rues goudronnées. Et bien<br />

sûr le bureau des PTT, qui a ouvert juste après<br />

la guerre. Son père s’est installé dans cette même<br />

petite ville, et il n’est plus obligé de se lever à<br />

4 heures du matin pour préparer le foin des<br />

vaches. Cela fait bien longtemps qu’il n’en a plus.<br />

Presque toutes les familles y ont renoncé. Il reste<br />

tout juste des potagers. Tous les ans, au mois de<br />

mai, les gens reviennent sans faute “planter les<br />

patates”, qu’ils récolteront à l’automne pour les<br />

stocker à la cave. C’est la dernière pratique qui<br />

nous relie encore au mode de vie de nos aïeux.<br />

Personne pour cueillir les lactaires<br />

Aujourd’hui, les maisons sont toutes équipées<br />

d’une parabole, et le “modèle vedette” des usines<br />

automobiles VAZ, la Lada complètement cabossée,<br />

cède la place aux voitures étrangères, des<br />

occasions parfois presque neuves. Dans ces<br />

conditions, qui irait s’embêter à nourrir et traire<br />

une vache alors qu’il est certain de trouver des<br />

briques de lait à l’épicerie ? Pourquoi s’épuiser<br />

dans les champs quand il suffit de déposer tranquillement<br />

ses papiers à un guichet et d’attendre<br />

docilement de toucher son allocation ? C’est<br />

désormais ainsi que va la vie dans les campagnes.<br />

La façon dont les villages dépérissent est on ne<br />

peut plus simple. Au début du processus, ils sont<br />

encore habités par un ou deux petits vieux (le plus<br />

souvent des petites vieilles). Ces maisons occupées<br />

conservent un aspect qui les fait remarquer<br />

dans la désolation ambiante. A ce stade, le village<br />

est encore vivant. On se demande qui approvisionne<br />

ces petits vieux en pain, orge, sucre et<br />

le plus paradoxal, est que Moscou joue<br />

un rôle grandissant sur la scène<br />

<strong>international</strong>e dans ce contexte incertain,<br />

non seulement avec insouciance mais<br />

aussi avec de très grandes ambitions. Fin<br />

2007, par exemple, le Kremlin a annoncé<br />

un objectif de croissance économique de<br />

près de 7 % par an pour les décennies à<br />

venir. Ainsi, selon les responsables russes,<br />

le PIB devrait quadrupler dans les vingt<br />

prochaines années, et la Fédération<br />

de Russie devenir la cinquième économie<br />

mondiale à l’horizon 2020.<br />

Mais l’Histoire ne comporte aucun<br />

exemple de société qui a montré des<br />

progrès matériels durables avec une<br />

diminution persistante de sa population.<br />

Il semble extrêmement improbable que la<br />

Russie puisse atteindre un objectif aussi<br />

ambitieux alors qu’elle se trouve en pleine<br />

crise démographique. Tôt ou tard,<br />

les dirigeants russes devront reconnaître<br />

le fait que cette préoccupante évolution<br />

sur le long terme entame le potentiel<br />

social et politique de leur pays.<br />

Nicholas Eberstadt World Affairs<br />

Washington<br />

Dessin de Tomasz Walenta, Pologne.


onbons, en tout cas quelqu’un s’en charge. Il<br />

arrive que dans certains villages on tombe sur un<br />

spectacle exceptionnel, un couple de vieux en<br />

pleine forme, qui mènent leur petite exploitation<br />

comme dans le temps, avec leur vache, leurs moutons,<br />

oies, canards, porcs, un immense potager,<br />

des bocaux de pommes au sirop et de chou aigre<br />

confectionnés par leurs soins plein la cave. Les<br />

fils, dont l’aîné, après une carrière dans l’armée,<br />

a pris sa retraite, passent aider de temps en temps,<br />

et viennent tout au long de l’année chercher de<br />

la nourriture. Finalement, le village perd son dernier<br />

habitant. Cela ne signifie pas forcément que<br />

la personne meurt, parfois elle part simplement<br />

habiter chez ses enfants, mais ce n’est pas le cas<br />

le plus fréquent. Ensuite, des électriciens de mauvais<br />

augure viennent retirer les quelques kilomètres<br />

de fil électrique qui reliaient le village au<br />

reste du monde. Là, c’est vraiment la fin.<br />

C’est dans les régions du nord de la Russie<br />

d’Europe, du côté de Vologda ou d’Arkhangelsk,<br />

que la situation est le plus terrible à voir. On peut<br />

y admirer des rangées d’énormes isbas sur deux<br />

niveaux qui se font face. Construites en rondins<br />

centenaires, elles abritaient chacune une famille<br />

et sont aujourd’hui désertes. Pourtant, elles résisteront<br />

encore longtemps. Ils ne sont plus que<br />

quelques habitants à l’année dans un grand village<br />

qui s’étend sur la berge d’une rivière féerique,<br />

et seule l’arrivée de l’été sort l’endroit de sa torpeur.<br />

Les vacanciers prennent alors leurs quartiers<br />

pour quelques semaines. Une maison<br />

splendide, bâtie pour traverser les siècles, se vend<br />

ici une misère, et les prix baissent à mesure qu’on<br />

s’éloigne de la nationale, la M8, puis des autres<br />

routes, et enfin des chemins, qui ne cessent de<br />

rétrécir pour se transformer en sentiers bordés<br />

de forêts à la beauté saisissante, de conifères<br />

essentiellement. Lorsque arrive la saison des<br />

champignons, on peut y ramasser des seaux<br />

entiers de lactaires délicieux d’une vigueur remarquable,<br />

de nobles lactaires à lait abondant et de<br />

magiques baies des marais parfumées. Mais il n’y<br />

a personne pour les cueillir.<br />

Les ruines d’une grande civilisation<br />

Quand on roule et qu’on voit défiler les maisons<br />

de ces grandioses villages du nord, toujours<br />

construits sur des collines, et comportant<br />

une chapelle, on a le sentiment de se trouver<br />

parmi les ruines de ce qui fut autrefois une<br />

grande civilisation, et on ne peut que se perdre<br />

en conjectures sur ce qu’elle était à l’époque de<br />

sa splendeur. Pourtant, dans la région, kolkhozes<br />

et sovkhozes [noms soviétiques des exploitations<br />

agricoles] tournent impeccablement. L’acier des<br />

camions-citernes brille au soleil ; ils transportent<br />

un lait entier de premier choix vers des centres<br />

de collecte appartenant à des multinationales de<br />

l’agroalimentaire. Les champs sont ensemencés,<br />

et les kolkhoziens, qui vivent confortablement<br />

dans des maisons à étages, touchent un salaire<br />

très convenable. Des citoyens entreprenants<br />

achètent aux autochtones des tonnes de canneberge<br />

au moment de la cueillette, et des Lituaniens<br />

ont aménagé un local au milieu de la forêt<br />

uniquement pour y rassembler les plus beaux<br />

cèpes, à la qualité écologique irréprochable.<br />

Malgré tout, le mode de vie rural est sur le déclin,<br />

et il va irrémédiablement disparaître, ici comme<br />

partout ailleurs en Russie, avec ses derniers représentants,<br />

ces merveilleux petites vieilles et petits<br />

vieux dont les enfants, une fois expédié l’enterrement<br />

des aïeuls, cloueront des planches sur les<br />

fenêtres de la maison familiale et la condamneront<br />

à jamais. Ivan Podchivalov<br />

Colonisation<br />

Il y a un an fut signé un<br />

accord historique entre<br />

les présidents russe et<br />

chinois qui a marqué les<br />

esprits : le Programme<br />

de coopération (2009-<br />

2018) entre les régions<br />

russes d’Extrême-<br />

Orient et de Sibérie<br />

orientale d’une part<br />

et celles du nord-est<br />

de la Chine d’autre part.<br />

Courrier <strong>international</strong><br />

avait consacré un<br />

dossier de une à cette<br />

initiative inattendue.<br />

Celle-ci s’apparente<br />

à un “pacte colonial”<br />

au pr<strong>of</strong>it de Pékin,<br />

s’insurge aujourd’hui<br />

un géographe russe<br />

dans la Nezavissimaïa<br />

Gazeta. Car tous<br />

les projets implantés<br />

sur le territoire russe<br />

sont liés à l’extraction<br />

des ressources<br />

alors que les activités<br />

de transformation<br />

sont basées en Chine.<br />

Ce programme organise<br />

“le pillage des ressources<br />

de la Russie, l’expulsion<br />

de sa population locale<br />

et l’installation progressive<br />

de citoyens chinois”.<br />

Dessin de Tiounine<br />

paru dans<br />

Kommersant,<br />

Moscou.<br />

L’économie russe utilise déjà<br />

clandestinement une abondante<br />

main-d’œuvre étrangère venue<br />

des pays de l’ex-URSS. Mais<br />

elle a maintenant besoin que soit<br />

lancée et affirmée une véritable<br />

politique d’immigration.<br />

Mediacratia/Piatiorka Plious (extraits)<br />

Tomsk<br />

Personne ne peut nier que la Russie<br />

a besoin d’immigrés. Vu la situation<br />

démographique, notre économie<br />

ne peut espérer conserver un ni -<br />

veau suffisant de main-d’œuvre<br />

autrement. La présence des immigrés<br />

est l’une des principales conditions de la croissance<br />

à venir, et ils permettront également de<br />

résoudre de nombreux problèmes sociaux, ainsi<br />

que de mettre en œuvre les projets nationaux<br />

[décidés par le gouvernement ces deux dernières<br />

années], en particulier dans le secteur du bâtiment.<br />

Désormais se pose la question de la nature de l’immigration<br />

dont nous avons besoin. En outre, comment<br />

allons-nous la contrôler et l’orienter ?<br />

L’instauration de quotas est une pratique<br />

répandue à travers le monde, et la Russie ne fait<br />

pas exception. Par un décret paru fin 2009, elle a<br />

souhaité encadrer les relations entre employeurs<br />

russes et employés étrangers pour l’année 2010.<br />

Aprement débattu pendant tout un semestre, ce<br />

document fixe, région par région, le nombre d’autorisations<br />

d’entrée sur le territoire destinées à<br />

pourvoir des emplois.<br />

Finalement approuvé par le Service fédéral<br />

des migrations et le gouvernement, le texte stipule<br />

que 1,3 million d’étrangers pourraient être<br />

<strong>of</strong>ficiellement autorisés à travailler en Russie en<br />

2010, soit près de deux fois moins qu’en 2008<br />

(3,9 millions). A Moscou, les experts de l’Association<br />

<strong>international</strong>e des travailleurs immigrés esti-<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 21<br />

Pas de croissance sans<br />

travailleurs immigrés<br />

ment que pour un pays tel que le nôtre, ce chiffre<br />

est ridiculement faible, puisque dans la seule capitale,<br />

il y aura eu 1,4 million de postes à pourvoir<br />

cette année. Pour ces spécialistes, les besoins réels<br />

du pays se situeraient entre 4 et 6 millions de travailleurs<br />

qualifiés. Dans les régions, les entreprises<br />

ont donc dû recourir à d’anciennes pratiques qui<br />

consistent à déclarer 50 étrangers et à en faire venir<br />

200. Les patrons trouvent toujours des arrangements<br />

avec les inspecteurs les plus suspicieux. En<br />

théorie, l’importation frauduleuse de maind’œuvre<br />

est lourdement sanctionnée. Mais en réalité,<br />

les pouvoirs publics préfèrent ménager les<br />

grosses entreprises, qui sont d’importants contributeurs<br />

aux budgets régionaux. En revanche, les<br />

PME ne sont pas épargnées.<br />

Qui est responsable, et que faire ? De toute<br />

évidence, les employeurs qui veulent faire venir,<br />

en respectant les procédures légales, des ouvriers<br />

ou des spécialistes qualifiés, doivent pouvoir le<br />

faire sans encombre. Les immigrés déclarés ne<br />

prennent pas le travail de la main-d’œuvre locale<br />

russe, qui rechigne à occuper certains postes,<br />

selon l’Association <strong>international</strong>e des travailleurs<br />

immigrés. Or il faut bien que quelqu’un s’en<br />

charge, sans quoi il ne peut être question de croissance.<br />

Au lieu de cela, nous nous mettons des<br />

bâtons dans les roues, et toutes les grandes déclarations<br />

sur une Russie appelée à devenir l’une des<br />

premières puissances économiques du monde<br />

ressemblent à un gentil délire.<br />

Certes, l’augmentation du nombre de travailleurs<br />

immigrés va créer de nouveaux problèmes<br />

en matière de logement, de recherche<br />

d’emploi, de sécurité sociale, etc., mais toutes ces<br />

questions peuvent être résolues. La particularité<br />

de l’immigration vers la Russie est liée à ses relations<br />

passées avec les Etats qui, récemment encore,<br />

faisaient partie de l’URSS. Cela joue un grand rôle,<br />

qui ne s’amoindrira pas de sitôt. La Russie doit<br />

donc conclure des accords bilatéraux avec ses voisins,<br />

ces anciennes républiques soviétiques d’où<br />

viennent principalement les immigrés. Des<br />

accords de ce genre existent déjà, mais ils sont<br />

insuffisants, puisqu’ils ne précisent rien concernant<br />

la prise en charge des soins médicaux ou les<br />

retraites des travailleurs concernés. Qu’est-ce qui<br />

empêche d’élaborer des programmes concertés<br />

de développement migratoire de ces Etats ?<br />

En parallèle, il ne faut pas oublier les mouvements<br />

de population à l’intérieur même de la<br />

Russie, qui accentuent un déséquilibre déjà inquiétant<br />

entre la partie centrale de la Russie et sa partie<br />

orientale. Durant les quinze dernières années, l’Extrême-Orient<br />

russe a perdu 1,5 million d’habitants,<br />

ce qui a ramené sa population au niveau de ce<br />

qu’elle était au milieu des années 1970. Cela représente<br />

20 % de moins que vers la fin de la période<br />

soviétique [il y a vingt à vingt-cinq ans], alors<br />

que la population de la Russie dans son<br />

ensemble ne s’est réduite que de 4 %. Cela<br />

ne signifie pas que les gens qui vivaient<br />

en Extrême-Orient se sont éteints en<br />

masse ; ils ont simplement quitté la région<br />

pour s’installer à l’Ouest. Anton Khanine


22 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

France<br />

Diplomatie<br />

Entre Paris et le monde arabe, le temps des malentendus<br />

Est-ce irrémédiable ?<br />

Ghassan Salamé, ancien<br />

ministre de la Culture libanais,<br />

dresse la liste des<br />

incompréhensions qui minent<br />

les relations franco-arabes.<br />

Al-Hayat (extraits) Londres<br />

L<br />

es relations entre la France et le<br />

monde arabe se sont beaucoup<br />

dégradées. Je ne parle pas seulement<br />

des événements de Clichy-sous-Bois<br />

ou de Villeurbanne, ni des relations entre<br />

Paris et certaines capitales arabes, ni des<br />

initiatives annoncées en grande pompe qui<br />

restent sans effet. Je veux parler du climat<br />

général qui souffre de la distance, de l’inertie<br />

et du manque de moyens qu’on y met. Il<br />

ne sert à rien de se laisser emporter par des<br />

vagues de nostalgie. La fin de la guerre<br />

froide a non seulement bouleversé l’ordre<br />

confortable du monde bipolaire, mais aussi<br />

transformé l’état d’esprit des gens à Paris,<br />

au Caire ou à Alger. La peur de la France<br />

d’être mise à l’écart du jeu des puissances<br />

est tout à fait justifiée, au même titre que la<br />

crainte des Arabes d’être marginalisés par<br />

rapport à la compétition entre grandes<br />

puissances. Il n’en reste pas moins que<br />

la peur est mauvaise conseillère. Voici<br />

quelques exemples pour l’illustrer.<br />

Je commencerai par la Palestine. L’administration<br />

Obama tente de relancer le<br />

processus de paix sans l’Europe. Une réalité<br />

s’impose donc, à savoir que s’aligner sur<br />

les positions américaines, pas plus que<br />

financer depuis vingt ans les modestes<br />

progrès qui ont été faits n’a assuré au Vieux<br />

Continent une place à la table des négociations.<br />

Je pensais que les Européens, notamment<br />

les Français, étaient capables de<br />

comprendre qu’il serait difficile d’assurer<br />

la stabilité au Moyen-Orient, d’ébranler les<br />

dictatures et d’éviter que les idées de djihad<br />

et de croisade n’aboutissent à une guerre<br />

mondiale sans accorder un traitement<br />

juste, approprié et durable à la question<br />

palestinienne.<br />

Je voudrais également parler du Golfe,<br />

qui suscite beaucoup de convoitises. Les<br />

habitants de cette région refusent qu’on<br />

les traite comme de simples propriétaires<br />

de champs pétrolifères et gaziers. Ils veulent<br />

être considérés comme des acteurs<br />

politiques, et c’est leur droit. Ils réclament<br />

que leur influence soit à la hauteur, au<br />

moins partiellement, de leur pouvoir<br />

d’achat. Leur crainte actuellement est<br />

d’être utilisés comme monnaie d’échange<br />

dans le cadre d’un compromis avec l’Iran<br />

ou de voir leurs territoires servir de<br />

champs de bataille en cas de guerre.<br />

Commerce<br />

La retraite asiatique de Carrefour<br />

La chaîne d’hypermarchés<br />

a décidé de réduire la voilure<br />

en Asie du Sud-Est.<br />

Ce pourrait être, à moyen<br />

terme, un mauvais calcul.<br />

The Economist (extraits) Londres<br />

F<br />

idèle à ses origines françaises,<br />

l’hypermarché Carrefour de<br />

Bangkok, fleuron de l’enseigne<br />

en Thaïlande, comporte un rayon fromages<br />

des plus alléchants. Mais les camemberts<br />

au lait cru et autres délices odorants se<br />

font discrets face aux rayonnages entiers<br />

de riz, de sauces de poisson et de produits<br />

Sarkozy au Proche-Orient est<br />

le titre d’un ouvrage collectif paru<br />

chez Actes Sud le 6 octobre sous<br />

la direction de Farouk Mardam-Bey.<br />

Il dresse un bilan critique de la<br />

rupture amorcée par le président<br />

Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.<br />

thaïlandais. L’implantation de Carrefour<br />

dans le pays est tout aussi modeste. Alors<br />

que le britannique Tesco y domine le<br />

marché de la grande distribution, Carrefour<br />

piétine à la quatrième place. Sa situation<br />

en Malaisie n’est guère plus enviable.<br />

C’est donc avec un haussement d’épaule<br />

typiquement français que Carrefour a<br />

décidé de se retirer d’une bonne partie<br />

de l’Asie du Sud-Est. Il a mis en vente<br />

44 magasins en Thaïlande, 23 en Malaisie<br />

et 2 à Singapour.<br />

Carrefour a été l’une des premières<br />

enseignes étrangères à s’implanter en Asie<br />

du Sud-Est, dans les années 1990. Mais il<br />

semblerait que ce soit le dernier arrivé,<br />

Tesco, qui ait le mieux compris les attentes<br />

français, entre renforcement<br />

de la coopération militaire<br />

et économique avec Israël<br />

et crispation sur la question<br />

de l’intégration européenne<br />

de la Turquie.<br />

Les relations entre la France et le<br />

Maghreb étaient excellentes, quoique<br />

sensibles. Etait-il nécessaire de préparer<br />

un projet de loi sur “les bienfaits de la<br />

colonisation” alors qu’on commémorait<br />

les accords d’Evian [qui ont mis fin à la<br />

guerre d’Algérie, en 1962] ? Est-il nécessaire<br />

que des jeunes se dressent contre un<br />

pays qui a accueilli leurs pères en hissant<br />

le drapeau de leur pays d’origine devant<br />

la mairie où ils organisent leur mariage<br />

[des députés UMP ont déposé une proposition<br />

de loi, en novembre 2009, pour<br />

les interdire] ? La manipulation des symboles<br />

identitaires ne restera pas sans<br />

conséquences. Il faut admettre que le<br />

devoir de mémoire des uns n’annule pas<br />

le droit à l’oubli des autres, et comprendre<br />

que les craintes légitimes liées à la sécurité<br />

ne peuvent être réglées qu’en respectant<br />

les exigences de dignité.<br />

des consommateurs. Après s’être aperçu<br />

que les clients faisaient des kilomètres en<br />

bus pour se rendre dans les hypermarchés,<br />

Tesco a ouvert des magasins modestes<br />

dans de petites villes de campagne. Carrefour,<br />

lui, a choisi de cibler la clientèle<br />

fortunée de Bangkok et s’est cantonné au<br />

format de l’hypermarché.<br />

La stratégie asiatique de Carrefour,<br />

désormais, est donc de rester dans la<br />

course en Chine et à Taïwan, d’établir un<br />

partenariat local en Indonésie et d’attendre<br />

de pouvoir s’implanter en Inde, où<br />

la réglementation est très stricte. Présent<br />

dans une trentaine de pays, soit presque<br />

deux fois plus que Tesco, Carrefour a peutêtre<br />

eu les yeux plus grands que le ventre.<br />

J’en viens finalement au cadre euroméditerranéen<br />

et à l’Union pour la Méditerranée<br />

lancée par Sarkozy en 2008. Pour<br />

beaucoup d’Européens et d’Arabes, la<br />

Méditerranée est plus une frontière qu’un<br />

trait d’union. Pour les Européens du Nord<br />

et pour les Arabes du Golfe, ce n’est qu’une<br />

destination de vacances. Dans les pays riverains,<br />

les islamistes n’y voient qu’un repère<br />

géographique ; diplomates et décideurs ne<br />

demandent pas qu’elle soit le cadre d’une<br />

coopération moderne.<br />

La sympathie spontanée des Arabes<br />

pour la France est liée à mille facteurs, des<br />

positions du général de Gaulle jusqu’au<br />

réseau d’écoles et de centres culturels qui<br />

s’étend de Dubaï à Rabat. Pendant vingt ou<br />

trente années, ce sentiment s’était incarné<br />

dans un environnement politique et commercial<br />

qui convenait aux deux côtés. Or<br />

les nouvelles élites arabes ont oublié de<br />

Gaulle. Les riches se promènent désormais<br />

à Cannes, non dans le Quartier Latin ; ils<br />

achètent des actions en Bourse, non des<br />

livres. Quant aux pauvres, ils mettent la<br />

burqa par défi et, pour des raisons identitaires,<br />

fêtent la victoire de l’équipe de foot<br />

de leur pays d’origine en envahissant les<br />

Champs-Elysées et entonnent l’hymne<br />

national [algérien] au Stade de France.<br />

Pendant ce temps, d’autres désespèrent<br />

de pouvoir aller en France parce que les<br />

consulats ont restreint l’accès aux visas.<br />

A quoi sert la nostalgie si elle n’est pas<br />

une promesse d’avenir ? J’aime la France qui<br />

m’a accueilli au moment où le communautarisme<br />

et les interventions étrangères ont<br />

mis le feu au Liban. Et pendant toute ma vie<br />

j’ai aimé la liberté. C’est le premier mot de<br />

la devise nationale française. Je ne perds pas<br />

l’espoir de voir l’égalité comme la fraternité<br />

être appliquées par les descendants de ceux<br />

qui l’ont inventée. Ghassan Salamé<br />

L’année dernière, il a mis la clé sous la porte<br />

en Russie, quelques mois seulement après<br />

l’ouverture de son premier magasin. Tesco<br />

a beau occuper toujours la troisième place<br />

mondiale en termes de chiffre d’affaires,<br />

derrière Carrefour (avec Wal-Mart en<br />

numéro un), il fait davantage de pr<strong>of</strong>its.<br />

Pour autant, Carrefour n’a peut-être<br />

pas choisi le bon moment pour se retirer.<br />

Contrairement à l’Europe, l’économie du<br />

Sud-Est asiatique est des plus soutenues.<br />

Plus les consommateurs gagneront<br />

d’argent, plus ils pourraient être nombreux<br />

à prendre leur voiture pour aller<br />

faire leurs courses dans des hypermarchés<br />

climatisés. Et même à se prendre d’appétit<br />

pour le fromage français.


Europe<br />

Au cœur d’un nouveau scandale,<br />

le Saint-Siège fait l’objet<br />

d’une enquête dans une affaire<br />

de blanchiment d’argent.<br />

La fin de l’impunité ?<br />

The New York Times New York<br />

L<br />

’ouverture d’une enquête du<br />

parquet de Rome au sujet de la<br />

banque du Vatican témoigne<br />

certes de la volonté de l’Etat de contrôler<br />

l’Eglise, mais elle révèle également un défi<br />

majeur que le Saint-Siège va devoir relever :<br />

l’ouverture au monde moderne.<br />

Le Vatican s’est toujours considéré<br />

comme un Etat différent des autres, obéissant<br />

à d’autres lois. A ce titre, sa gestion des<br />

scandales pédophiles était déjà révélatrice.<br />

Cette fois-ci, c’est l’opacité de ses comptes<br />

qui est en cause puisque, pour la première<br />

fois, le Saint-Siège est prié de se plier aux<br />

normes très strictes de l’UE relatives au<br />

blanchiment d’argent.<br />

Lorsque l’Europe s’est reconstruite<br />

après la Seconde Guerre mondiale en équilibrant<br />

les pouvoirs grâce à des traités et<br />

des accords bancaires, le Vatican est resté<br />

une anomalie : la dernière monarchie absolue<br />

en Occident (!). Mais aujourd’hui, ses<br />

traditions se heurtent aux institutions<br />

laïques, qui considèrent de plus en plus<br />

l’Eglise catholique comme une multinationale<br />

ordinaire.<br />

“Le Vatican doit comprendre que le monde<br />

a changé, lance Donato Masciandaro, directeur<br />

du département économie à l’université<br />

Bocconi de Milan et spécialiste des lois<br />

sur le blanchiment d’argent. Sans cela, il<br />

risque d’enfreindre constamment les directives<br />

sur le blanchiment d’argent.” Cette enquête<br />

est un coup dur non seulement pour le<br />

Vatican mais aussi pour l’Italie, écartelée<br />

D’abord journaliste au New York<br />

Observer puis à la New York Times<br />

Book Review, Rachel Donadio est<br />

depuis 2008 la correspondante en<br />

entre ses engagements envers l’UE et son<br />

réseau bancaire noyauté par le pouvoir.<br />

La déférence envers le Saint-Siège reste<br />

toutefois d’usage dans le pays : le contentieux<br />

entre l’Etat et l’Eglise que constitue<br />

l’ouverture de l’enquête du parquet, d’une<br />

ampleur sans précédent depuis au moins<br />

une dizaine d’années, n’a pas fait la une d’Il<br />

Sole 24 Ore. Le quotidien financier de référence<br />

en Italie a relégué l’information en<br />

page 18 avec un article complaisant sur la<br />

visite du pape en Grande-Bretagne.<br />

La partie visible de l’iceberg<br />

Tout a commencé le 20 septembre : le parquet<br />

de Rome a saisi 30 millions de dollars<br />

[22 millions d’euros] sur le compte du Vatican<br />

et ouvert une enquête mettant en cause<br />

Ettore Gotti Tedeschi, le président de l’IOR<br />

[Institut des œuvres religieuses, la banque<br />

du Vatican] et son directeur général, Paolo<br />

Cipriani. La justice leur reproche de ne pas<br />

avoir justifié deux transferts de fonds réalisés<br />

à partir d’un compte d’une autre<br />

banque, le Credito Artigiano. Pour le Saint-<br />

Siège, cette enquête est un “malentendu”.<br />

Pour Gotti Tedeschi il s’agit d’une erreur<br />

de procédure montée en épingle par les<br />

médias. Pour d’autres, en revanche, ce n’est<br />

que la partie visible de l’iceberg et la fin de<br />

l’impunité du Vatican.<br />

Le parquet a commencé à s’intéresser<br />

de près aux comptes du Vatican l’année dernière,<br />

à la demande de la Banque centrale<br />

italienne. Cette dernière avait déclaré pour<br />

la première fois que la banque du Vatican<br />

devait être traitée comme n’importe quelle<br />

autre banque extérieure à l’UE et donc soumise<br />

à une vigilance accrue selon les directives<br />

de 2007 contre le blanchiment<br />

d’argent. Déjà en 2003, dans le cadre d’une<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 23<br />

chef du New York Times à Rome. Elle<br />

livre ici un point de vue distancié<br />

sur les relations entre le Saint-Siège,<br />

l’Italie et l’Union européenne.<br />

Union européenne<br />

La finance, autre secret honteux du Vatican<br />

Repère<br />

La banque<br />

du Vatican<br />

Surnommé “la banque des prêtres”,<br />

l’Institut des œuvres religieuses (IOR)<br />

a été fondé en 1942 par Pie XII pour<br />

assurer l’administration des biens<br />

de l’Eglise catholique. Son histoire<br />

est émaillée de divers scandales.<br />

L’un des plus retentissants, la faillite<br />

de la banque italienne Ambrosiano<br />

– dont l’IOR était le principal<br />

actionnaire –, remonte à 1982. L’enquête<br />

a montré que la banque Ambrosiano<br />

recyclait l’argent de la Mafia, mettant<br />

en cause le dirigeant de l’IOR à l’époque,<br />

Paul Marcinkus, dit “le banquier<br />

de Dieu”. Le patrimoine de la banque du<br />

Vatican est estimé à 5 milliards d’euros.<br />

Dessin de Reumann paru<br />

dans Le Temps, Genève.<br />

affaire relative à la nocivité des ondes électromagnétiques<br />

émises par Radio Vatican,<br />

la plus haute cour de justice italienne avait<br />

pris ses distances avec le Saint-Siège. Elle<br />

avait reconnu à l’Etat italien le droit de protéger<br />

ses citoyens contre des actions<br />

menées par des individus travaillant pour<br />

le Vatican. Mais cette décision n’avait pas<br />

fait jurisprudence et, si un magistrat décidait<br />

aujourd’hui de poursuivre la banque du<br />

Vatican, il faudrait s’attendre à une longue<br />

bataille juridique. Premier mystère de cette<br />

affaire : pourquoi la banque du Vatican a-telle<br />

demandé au Credito Artigiano un transfert<br />

de 30 millions de dollars [22 millions<br />

d’euros] en provenance d’un compte<br />

gelé par décision de justice en<br />

avril pour défaut de transparence<br />

dans des transactions<br />

précédentes ?<br />

Certains y voient une tentative<br />

délibérée de la part du<br />

Vatican. “Evidemment c’était un<br />

coup hasardeux”, estime Ignazio Ingrao, spécialiste<br />

du Vatican de l’hebdomadaire d’informations<br />

italien Panorama, qui a été le<br />

premier à révéler en décembre 2009 les<br />

enquêtes dont la banque du Vatican faisait<br />

l’objet. “Elle voulait lui forcer la main, en espérant<br />

que le Credito Artigiano l’aiderait.”<br />

Mais ce dernier était tenu de signaler<br />

cette opération suspecte à la Banque<br />

d’Italie. Celle-ci venait en effet de rappeler<br />

– pour la deuxième fois de l’année – à<br />

toutes les banques italiennes que les transactions<br />

de la banque du Vatican devaient<br />

être passées au peigne fin, sous peine de<br />

poursuites.<br />

Autre mystère : que s’est-il passé entre<br />

le 6 septembre, date de la demande de transfert,<br />

et le 14 septembre, date à laquelle le<br />

Credito Artigiano a alerté la Banque d’Italie<br />

? Gotti Tedeschi a-t-il essayé de faire<br />

pression sur Giovanni De Censi, directeur<br />

de la société mère du Credito Artigiano, le<br />

Credito Valtellinese, également consultant<br />

pour la banque du Vatican ? De Censi<br />

s’est refusé à tout commentaire. Cette<br />

affaire intervient à un moment où le Vatican<br />

subit d’intenses pressions de la justice<br />

concernant de nombreuses affaires d’abus<br />

sexuels, notamment en Belgique, où les<br />

autorités ont effectué des descentes de<br />

police dans plusieurs propriétés de l’Eglise.<br />

Les ban ques italiennes sont également sous<br />

le coup d’une tentative de prise de pouvoir<br />

par la Ligue du Nord de l’establishment<br />

bancaire catholique.<br />

L’IOR, banque ordinaire ?<br />

De son côté, le Vatican avait nommé l’année<br />

dernière Gotti Tedeschi, banquier et<br />

pr<strong>of</strong>esseur d’éthique de la finance à l’université<br />

catholique de Milan, pour réorganiser<br />

et rationaliser ses finances, gérées<br />

par des entités disparates souvent déconnectées.<br />

Le Vatican est également en pourparlers<br />

avec l’OCDE (Organisation de<br />

coopération et de développement économique),<br />

qui fixe les normes de transparence,<br />

et le GAFI (Groupe d’action financière <strong>international</strong>e),<br />

chargé d’organiser des mesures<br />

contre le blanchiment d’argent et le financement<br />

des organisations terroristes. Le but<br />

étant pour le Saint-Siège de réintégrer la<br />

“liste blanche” des pays exemplaires en<br />

matière de transparence…<br />

“Des discussions sont en cours”, reconnaît<br />

Jeffrey Owens, directeur du Centre pour la<br />

politique fiscale à l’OCDE. “Pour nous, le<br />

Vatican doit être traité comme n’importe quel<br />

autre Etat et se soumettre à la même surveillance.<br />

Le rythme des négociations dépend<br />

de lui.” Pourtant, avant de participer aux<br />

accords internationaux, le Saint-Siège devra<br />

résoudre une ambiguïté fondamentale<br />

concernant la définition de sa banque. Il<br />

maintient qu’il ne s’agit pas d’une banque<br />

ordinaire, mais plutôt d’une entité qui gère<br />

les biens de ses organisations religieuses,<br />

ce que récuse la Banque d’Italie.“Les enjeux<br />

de ce bras de fer sont particulièrement compliqués,<br />

estime M. Ignazio Ingrao. Et il risque de<br />

durer encore longtemps.” Rachel Donadio<br />

franceinter.com<br />

PARTOUT AILLEURS<br />

Pierre Weill<br />

vendredi 19h20-20h<br />

en partenariat avec


24 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Europe<br />

Portugal<br />

João Sabadino Portugal :<br />

itinéraire d’un enfant volé<br />

En 1967, João, 5 ans, était enlevé<br />

par des soldats portugais au<br />

Mozambique en pleine guerre<br />

coloniale. Un hebdomadaire<br />

lisboète l’a retrouvé : il raconte<br />

ses retrouvailles avec sa famille.<br />

Expresso (extraits) Lisbonne<br />

L<br />

es gouttes de sueur tombent lentement,<br />

furtivement, comme s’il<br />

s’agissait de larmes. L’estomac<br />

est vide et les jambes battent la cadence<br />

au rythme de la pensée : “Ma carte d’identité…<br />

Sans elle, je ne suis personne.” De sa<br />

banlieue jusqu’au Bureau central de nationalité<br />

(BCN), au cœur de la capitale, il y a<br />

une trotte. L’homme porte un dossier sous<br />

le bras, des documents qui certifient qu’il<br />

est bien portugais. Fatigué, il marche<br />

depuis des heures. Depuis quarante-sept<br />

ans. Depuis toute une vie.<br />

João Sabadino Portugal. La guerre<br />

coloniale lui a donné un nom et un destin.<br />

João, car c’est ainsi que sa mère le pleurait<br />

le jour où les soldats l’ont enlevé ; Sabadino,<br />

car il fut capturé un samedi [sábado<br />

en portugais] ; Portugal, car la troupe en<br />

fit sa mascotte. Il ajuste sa casquette, sa<br />

mémoire : “J’avais 5 ans. Je me sentais comme<br />

un petit soldat.” C’était en août 1967. Le<br />

Destacamento de Fuzileiros Especial 1<br />

[DFE1, corps de fusiliers marins] testait<br />

pour la première fois sa bravoure au<br />

“On l’a trouvé drôle.<br />

Quelqu’un a proposé<br />

qu’on le garde.”<br />

Mozambique. Les soldats avaient débarqué<br />

dans le nord du pays en juin et tremblaient<br />

à l’idée de tomber dans une<br />

embuscade. Un samedi, à l’aube, les fusiliers<br />

plongent dans la brousse. Le capim<br />

[herbe haute] leur semble menaçant :<br />

Cabo Delgado [province la plus au nord]<br />

est un repaire du FRELIMO. Les hommes<br />

marchent vite, les sens en alerte. Surgit<br />

soudain un village, qui vit au rythme de la<br />

routine. João Serra, télégraphiste de la<br />

compagnie, se souvient : “L’un des nôtres<br />

installe la mitrailleuse et commence à balayer<br />

le capim. Un groupe de gamins échappe de<br />

peu aux rafales en tombant par chance dans<br />

un fossé.” Vítor Jesus, matelot, n’a pas<br />

oublié les ordres. “Tout ce qui bougeait était<br />

considéré comme ennemi. On a vu un enfant<br />

fuir du côté gauche et on a tiré quelques coups.<br />

On a eu du mal à l’attraper, il courait comme<br />

un lapin.” João Serra revit ce moment. “Il<br />

s’est mis à faire des bonds, on l’a trouvé drôle.<br />

Quelqu’un a proposé qu’on le garde. Les compagnies<br />

avaient l’habitude d’avoir des mascottes.”<br />

Le sort en était jeté. Ce jour-là, le<br />

petit est devenu le “chouchou du régiment”.<br />

Fidèle à son statut de mascotte, il amusait<br />

les troupes avec des blagues de caserne.<br />

Dans la démence de la guerre, cet enfant<br />

représentait une enclave de paix. Leur<br />

mission terminée, ils l’ont emporté dans<br />

leurs bagages. Adieu l’Afrique.<br />

Le calendrier indique le 19 juillet 1969,<br />

la veille du premier pas de l’homme sur la<br />

Lune. Tout fier dans son uniforme de gala,<br />

João descend du navire Angola sans imaginer<br />

que la paix ne lui apporterait que la<br />

guerre. “Je me souviens uniquement être entré<br />

La lutte armée pour l’indépendance<br />

du Mozambique, menée par le Front<br />

de libération du Mozambique<br />

(FRELIMO), a duré dix ans, de 1964<br />

à 1974. C’est la chute de la dictature<br />

au Portugal, le 25 avril 1974,<br />

La mascotte des fusiliers marins restait cantonnée à la caserne<br />

Après le voyage<br />

João a passé une semaine au Mozambique.<br />

“C’étaient les plus beaux jours de ma vie.”<br />

Il est retourné à Lisbonne le 21 mai dernier.<br />

“J’aimerais pouvoir vivre dans le village de<br />

ma mère, mais je suis un Européen. La vie làbas<br />

est différente, ces petites maisons sans<br />

électricité… Mais si j’avais eu le choix, j’aurais<br />

préféré qu’on ne m’ait jamais enlevé de làbas”,<br />

confie-t-il à l’Expresso. Au Portugal,<br />

sa vie a peu changé. Des anciens fusiliers<br />

et des amis lui servent de soutien. João passe<br />

ses journées à chercher du travail ou à faire<br />

quelques menus travaux agricoles. Il veut<br />

croire à un avenir. Sa carte d’identité lui a<br />

permis de s’inscrire à l’agence pour l’emploi.<br />

DR DR<br />

qui a entraîné la fin de la guerre,<br />

<strong>of</strong>ficialisée par les accords de Lusaka<br />

le 7 septembre de la même année.<br />

Le Mozambique est indépendant<br />

depuis le 25 juin 1975.<br />

dans la voiture de l’<strong>of</strong>ficier qui allait me<br />

prendre en charge.” A sa manière, celui-ci<br />

décide de lui donner la meilleure éducation<br />

possible. Il lui trouve une place au collège<br />

– réputé – des salésiens à Estoril [à<br />

l’ouest de Lisbonne]. Mais João, l’enfant<br />

des casernes, ne s’est jamais adapté à la rigidité<br />

de l’établissement religieux. A la fin<br />

du cours élémentaire, l’<strong>of</strong>ficier l’envoie à<br />

Alvaiázere [160 km au nord de Lisbonne],<br />

où ses parents ont des terres. Un jour, il<br />

explose – on n’en saura pas plus. La mascotte<br />

parle uniquement de son adolescence<br />

dans la rue, quelques années plus<br />

tard. “J’avais 14 ans. J’ai dormi plusieurs nuits<br />

devant une caserne de pompiers de Lisbonne.<br />

Un carton sur moi, un autre en dessous…<br />

Ensuite, je suis resté dans une voiture abandonnée.”<br />

La détresse est devenue routine.<br />

Trente ans d’attente<br />

Ce jour de janvier, donc, João Portugal<br />

franchit le seuil du BCN. Il essuie son<br />

visage en sueur. Cela fait des années que<br />

son dossier prend la poussière dans les<br />

méandres de l’administration – trente ans<br />

et aucune réponse. La révolte enflamme<br />

son discours : “Je suis né au Mozambique<br />

quand c’était un territoire portugais. J’ai été<br />

capturé et amené ici par les troupes portugaises.<br />

J’étais un enfant, je n’avais pas<br />

demandé de venir… Comment peut-on me<br />

refuser des papiers ?” João pénètre dans le<br />

BCN, l’espérance écroulée par une vie de<br />

désillusions. “J’ai été régularisé en 1976. J’ai<br />

eu une carte d’identité, mais ils me l’ont enlevée<br />

ensuite.” Dans l’euphorie des années<br />

qui ont suivi la “révolution des œillets”<br />

[qui a mis fin à la dictature, le 25 avril 1974],<br />

la rigueur était secondaire – on n’a pas<br />

exigé d’informations sur le lieu de naissance<br />

et l’identité des parents. Quand il<br />

lui a fallu renouveler sa carte, il a réalisé<br />

que le fait d’avoir été régularisé une première<br />

fois avait compté pour du beurre.<br />

“Comment est-ce possible d’avoir été portugais<br />

et de ne plus l’être de cette façon ?” Filomena<br />

Rocha, directrice du BCN, tente de<br />

donner des explications : “Je ne sais pas<br />

comment on vous a donné une carte d’identité,<br />

c’était une époque confuse… Quand<br />

l’erreur a été constatée, on n’a pas émis une<br />

nouvelle carte, car une erreur ne peut pas en<br />

motiver une autre. Nous avons l’espoir de pouvoir<br />

résoudre votre situation et de payer notre<br />

dette envers vous.” João tremble de joie : “Il<br />

a fallu trente ans pour que quelqu’un m’entende.”<br />

Son dossier va sauter les obstacles.<br />

Trois mois plus tard, le rêve se réalise.<br />

João est fou de bonheur. “Mon dieu !!! Je<br />

suis citoyen ; je suis quelqu’un !” José<br />

Magalhães, secrétaire d’Etat à la Modernisation<br />

judiciaire, a tenu à lui remettre sa<br />

carte d’identité. “C’est une histoire très sin-


ANA SOFIA FONSECA<br />

gulière. On ne peut pas réparer les erreurs<br />

commises, mais nous avons, ces derniers mois,<br />

agi rapidement pour résoudre la question.”<br />

João Serra, l’ancien télégraphiste, s’indigne<br />

: “Cette histoire est une honte. Je l’ai<br />

dénoncée, j’ai fait le siège des ministères et personne<br />

n’a rien fait. Les médias ont pesé plus<br />

lourds que mes protestations.” Il s’apaise en<br />

regardant João. “Finalement, je me soulage<br />

du poids qui tourmentait ma vie.”<br />

Retour au Mozambique<br />

Le 14 mai 2010 est une date marquée de<br />

rouge dans l’agenda de João. C’est le jour<br />

de son départ au Mozambique. Il tient une<br />

photo à la main : João dans les bras de sa<br />

mère avec son petit frère prenant le sein.<br />

Trop affaiblie pour arracher son fils aux<br />

Portugais, elle s’était tout de même rendue<br />

à la caserne pour le voir. Ensuite, elle l’a<br />

perdu de vue. Lui non plus n’a jamais<br />

retrouvé sa trace. Il y a cinq ans, João Serra<br />

a lancé des recherches pour retrouver les<br />

liens de sang de la mascotte. Il a découvert<br />

que ses parents étaient vivants. Mais João<br />

était prisonnier au Portugal, et sans<br />

papiers. “Mon père est mort l’an dernier. Il y<br />

a quinze jours, on m’a dit que ma mère l’avait<br />

rejoint. Je ne les connais qu’en photo”,<br />

Les guerres coloniales en Angola,<br />

au Mozambique et en Guinée-Bissau<br />

ont coûté la vie à près de<br />

8 300 soldats portugais entre 1961<br />

Joáo Sabadino Portugal, photographié en mai dernier dans un parc lisboète.<br />

raconte-t-il, en larmes. Il respire pr<strong>of</strong>ondément<br />

et renoue avec le présent : “Mais<br />

aujourd’hui, je vais connaître mes frères.”<br />

La Jeep roule à toute allure, couverte<br />

de terre jusque dans les moindres recoins<br />

de la carrosserie. A son bord, João, indifférent<br />

à la chaleur, aux nids-de-poule de<br />

la chaussée. Il a plus de quarante ans de<br />

retard, le plus important c’est d’arriver<br />

L’itinéraire de João<br />

400 km<br />

ZAMBIE<br />

ZIMBABWE<br />

AFRIQUE<br />

DU SUD<br />

SW.<br />

MAL.<br />

Zambèze<br />

Beira<br />

Maputo<br />

TANZANIE<br />

Ntotoe<br />

MOZAMBIQUE<br />

Mocímboa<br />

da Praia<br />

Pemba<br />

OCÉAN<br />

INDIEN<br />

et 1974. Environ 150 000 anciens<br />

combattants souffrent toujours<br />

de stress posttraumatique.<br />

Abréviations : MAL. Malawi, SW. Swaziland. Source : Courrier <strong>international</strong><br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 25<br />

vite. De Pemba [chef-lieu de la province<br />

de Cabo Delgado] à Mocimboa da Praia<br />

[dernière ville sur la côte avant la Tanzanie],<br />

il faut compter cinq heures de route.<br />

Dès que la Jeep s’arrête, il court après les<br />

passants en montrant la photographie.<br />

“C’est ma mère. Vous l’avez connue ? Je suis<br />

le fils de Lourenço, le guérillero. Vous vous souvenez<br />

? Vous savez où vit mon frère ?” L’émotion<br />

fait sortir les mots en rafales. Il<br />

attrape le bras d’un vieux, l’épaule d’une<br />

femme, le vélo d’un gamin. Une autre<br />

femme, un autre vieux et enfin : “Ba ! Le fils<br />

que le Blanc a emporté !” La Jeep reprend la<br />

route à toute vitesse. Pour la première fois,<br />

la vieille mascotte sent la vie toute proche.<br />

La famille est à trente minutes de route.<br />

Au bord de l’asphalte et de la brousse,<br />

Ntotoe est un petit village, maisons en pisé<br />

et gamins en pagaille, qui vit de ce que la<br />

terre lui donne, qui ne connaît du monde<br />

que ce que la radio en raconte. Les gamins<br />

se pressent autour de la voiture et veulent<br />

voir qui est dedans. Dans la première case<br />

habite Samuel Gonçalves, le nourrisson<br />

de la photographie. João est fou de joie :<br />

“Mon frère !” Les deux hommes s’embrassent<br />

en pleurant comme des enfants. La<br />

nuit tombe en un rien de temps et avec elle<br />

une nouvelle qui illumine les retrouvailles<br />

: finalement, la mère est vivante.<br />

João est abasourdi. “J’ai tellement pleuré,<br />

j’ai même fait dire une messe pour elle.”<br />

Samuel le sermonne : “Ba, une messe de<br />

deuil pour quelqu’un de vivant !” Leur mère<br />

est dans un autre village. Il n’y a pas de téléphone,<br />

il faudra attendre le matin.<br />

Joaquina Mgongo n’imagine pas ce<br />

que cette journée lui réserve. Dans le coin,<br />

peu de voitures circulent. Dès qu’elle<br />

entend un moteur, elle sort sur le pas de la<br />

porte. João saute du véhicule, rempli<br />

d’émotion. Sa mère le regarde de loin sans<br />

le reconnaître. Il s’approche. Elle le voit<br />

enfin, incrédule : “Ba !” Derniers pas vers<br />

elle. Sa mère crie sa joie : “João ! João ! Mon<br />

fils ! Mon fils !” Ils s’embrassent, le monde<br />

s’est arrêté. Les corps se lient – souvenir<br />

du cordon ombilical. Ils pleurent sans<br />

retenue. Joaquina ne sait pas quel âge elle<br />

a ni depuis combien d’années on lui a pris<br />

son fils. “Je ne voulais pas. Les Blancs ont dit<br />

qu’ils lui permettraient de faire des études. Je<br />

ne voulais pas, mais c’était comme ça. Ba, mon<br />

fils…” Main dans la main, ils s’enfoncent<br />

dans la brousse, dans le temps. La guerre<br />

coloniale se termine ici.<br />

Ana S<strong>of</strong>ia Fonseca


26 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Europe<br />

Autriche<br />

Quelques catégories d’électeurs très courtisés<br />

A Vienne, la campagne pour<br />

les élections municipales<br />

marque un tournant : après avoir<br />

été stigmatisés, les “néo-<br />

Autrichiens”, d’origine étrangère,<br />

sont l’objet de toutes les<br />

attentions des différents partis.<br />

FALTER (extraits) Vienne<br />

I<br />

yi aksambar, kalispera, dobar vece,<br />

good evening”, lance l’hôtesse de<br />

la soirée en montant sur la tribune<br />

devant une foule compacte. La scène<br />

se déroule dans la salle de réception de la<br />

mairie de Vienne ; devant elle, des sikhs<br />

assis à côté de Turcs, des Chinois à côté de<br />

Grecs et des Vietnamiens à côté de Serbes.<br />

Près de 500 chefs de petites et moyennes<br />

entreprises d’origine étrangère ont ré -<br />

pondu à l’invitation du Parti social démocrate<br />

(SPÖ) pour le deuxième “gala de<br />

l’économie ethnique”. Un tiers des chefs<br />

d’entreprise de la capitale autrichienne<br />

sont d’origine immigrée, et l’année dernière<br />

pas moins de 85 nationalités étaient<br />

représentées par les créateurs de nou-<br />

A la une<br />

“La bataille pour Vienne”,<br />

titre le magazine Pr<strong>of</strong>il.<br />

Le social-démocrate<br />

Michael Häupl, maire<br />

sortant, recueille 43 à 47 %<br />

des intentions de vote.<br />

Suivent les populistes de<br />

droite (FPÖ), avec 19 à 22 %.<br />

velles entreprises. “Vous pourrez toujours<br />

compter sur la mairie”, leur assure Renate<br />

Brauner, chargée des finances de la ville,<br />

assistée de Sandra Frauenberger, chargée<br />

des questions d’intégration.<br />

Ces soirées multiculturelles ne sont<br />

qu’un des nombreux rendez-vous mis en<br />

place par la municipalité de gauche pour<br />

les élections municipales du 10 octobre.<br />

Le SPÖ fait campagne sur l’immigration<br />

de manière inédite.<br />

Le fil rouge de l’équipe sortante tourne<br />

autour du concept de “néo-Autrichien”.<br />

Un tiers des habitants de la capitale et un<br />

cinquième des électeurs sont issus de<br />

l’immigration. Qu’ils soient d’origine<br />

serbe, turque, croate ou kurde, tous les<br />

Autrichiens d’origine étrangère sont le<br />

nouveau groupe cible des politiques. Toutefois,<br />

pas question pour le SPÖ de faire<br />

peur – le leader populiste de droite,<br />

Heinz-Christian Strache (FPÖ), s’en<br />

charge – ou d’agiter l’esprit cocardier, à la<br />

manière de Christine Marek, tête de liste<br />

des chrétiens-démocrates (ÖVP), déclarant<br />

: “Parlons éducation. De préférence en<br />

allemand.” Pour la première fois, le SPÖ<br />

parle d’intégration de manière franche et<br />

assurée. Le maire, Michael Häupl, s’affiche<br />

entouré de migrants, alors que la<br />

Bienvenue. Dessin de Javier Aguilar paru dans La Vanguardia, Barcelone.<br />

publicité se l’interdit encore en 2010. Sa<br />

campagne, fondée sur l’idée de “règlement<br />

intérieur de Vienne”, mise sur “des règles<br />

claires pour vivre ensemble”. Un slogan<br />

minutieusement choisi. Le SPÖ, explique<br />

Häupl dans le dernier numéro du magazine<br />

Biber [fait par et pour les jeunes<br />

migrants], s’est forgé une équipe d’experts<br />

afin de définir des stratégies pour<br />

ne plus “parler DE minorités ethniques, mais<br />

AVEC les minorités ethniques”.<br />

Soirées serbes et ramadan<br />

Le SPÖ n’est pas le seul à avoir découvert à<br />

retardement l’intérêt d’un nouveau type<br />

de campagne à l’adresse des migrants. Tous<br />

les partis en lice investissent des dizaines<br />

de milliers d’euros pour passer des an -<br />

nonces, parfois en langue étrangère, et être<br />

présents dans les journaux des communautés<br />

immigrées comme Biber, Kosmo ou<br />

Yeni Vatan Gazetesi. Les responsables politiques<br />

– toutes tendances confondues – se<br />

sont rendus aux iftars [repas de rupture du<br />

jeûne] pendant le mois du ramadan. L’ÖVP<br />

a organisé des soirées serbes avec des<br />

prêtres serbes orthodoxes, tandis que certains<br />

membres du FPÖ célébraient le<br />

newroz [nouvel an kurde] et que les Verts<br />

distribuaient pour la première fois des<br />

programmes en langue kurde. Le SPÖ et la<br />

“A l’époque de Haider,<br />

l’immigration était vue<br />

comme une menace”<br />

Chiffres Principales communautés<br />

de migrants dans l’électorat de Vienne :<br />

35 814 personnes originaires de Serbie<br />

et du Monténégro, 29 203 de Turquie,<br />

17 013 de République tchèque, 14 046<br />

d’Allemagne, 13 794 de Bosnie-<br />

Herzégovine et 12 844 de Pologne.<br />

droite populiste du FPÖ se sont battus pour<br />

avoir les faveurs de Goran “Gogi” Knezevic,<br />

star de la boxe d’origine serbe. La tête<br />

de liste chrétienne-démocrate, Christine<br />

Marek, a fait son pèlerinage chez les Turcs<br />

de l’ATIB, la principale organisation musulmane<br />

d’Autriche, tandis qu’un de ses amis<br />

politiques tentait – sans succès – d’organiser<br />

une rencontre avec le très populaire<br />

patriarche serbe orthodoxe de Belgrade.<br />

Mais surtout les partis veillent désormais<br />

à bien placer leurs candidats d’origine<br />

étrangère. Le SPÖ ne comptait jusqu’à présent<br />

que trois immigrés au conseil municipal.<br />

Aujourd’hui, il présente six candidats<br />

issus de l’immigration. Chez les Verts, sept<br />

des vingt premiers noms sont d’origine<br />

immigrée. Lukas Markovic est le premier<br />

Autrichien d’origine serbe à défendre les<br />

couleurs de la droite radicale (FPÖ). L’ÖVP<br />

mise quant à lui sur son candidat d’origine<br />

croate, le champion de natation Dinko<br />

Jukic, pour récupérer le vote des immigrés<br />

chrétiens. Enfin, les premières femmes voilées<br />

d’origine turque ont fait leur entrée au<br />

sein des deux grands partis (SPÖ et ÖVP).<br />

Une forme d’ethnopolitique<br />

Un simple coup d’œil en arrière révèle<br />

l’ampleur de cette évolution. A la fin des<br />

années 1990, le ministre social-démocrate<br />

de l’Intérieur et le chef du FPÖ de<br />

l’époque, Jörg Haider, rivalisaient sur la<br />

droite dans le traitement des étrangers.<br />

L’immigration était alors considérée<br />

comme une menace diffuse, non comme<br />

un potentiel politique et encore moins<br />

comme une réserve de voix.<br />

Sondage Selon une enquête d’opinion<br />

effectuée au printemps dernier auprès<br />

de 5 000 personnes originaires<br />

de Turquie, des Balkans ou d’Europe<br />

centrale, la préférence électorale<br />

va aux sociaux-démocrates du SPÖ<br />

– respectivement à 78 %, 56 % et 45 %.<br />

Qui vote ?<br />

Tout citoyen de nationalité autrichienne<br />

âgé de 16 ans et ayant sa résidence<br />

principale à Vienne depuis au moins<br />

deux mois est appelé à participer au<br />

scrutin municipal du 10 octobre.<br />

Conformément au droit européen,<br />

les ressortissants de l’UE<br />

non autrichiens ont également le droit<br />

de vote aux conseils d’arrondissement.<br />

Il suffit d’examiner la démographie de la<br />

capitale pour comprendre : par leur taille,<br />

les communautés serbe, monténégrine,<br />

turque, tchèque, allemande, bosniaque et<br />

polonaise sont devenues des catégories<br />

d’électeurs importantes pour les stratèges<br />

des partis. [Ils représentent plus de 120 000<br />

électeurs sur un total de 950 000, voir le détail<br />

des chiffres ci-dessus.]<br />

Pour Thomas Schmidinger, politologue<br />

à l’université de Vienne, la cour<br />

dont les immigrés font actuellement l’objet<br />

reflète surtout une tendance dommageable<br />

à la “communautarisation du paysage<br />

politique autrichien. Cette forme d’ethnopolitique,<br />

explique-t-il, risque d’importer les<br />

conflits internationaux au cœur de la capitale<br />

autrichienne.”<br />

Une mise en garde approuvée par<br />

Harald Katzmair, spécialiste des réseaux<br />

sociaux, qui ajoute : “Il est grotesque de se<br />

faire aborder prioritairement comme représentant<br />

d’une communauté, et non comme<br />

ouvrier, employé, travailleur indépendant,<br />

étudiant, pauvre ou vieux.”<br />

Stefan Apfl et Barbara Toth


Lituanie<br />

Tous ces impôts qui partent en fumée<br />

Dans ce pays durement touché<br />

par la crise, il est un secteur qui<br />

se porte bien : le marché noir.<br />

Un journaliste en a fait l’expérience,<br />

armé de sa calculette.<br />

Lietuvos Rytas (extraits) Vilnius<br />

A<br />

cheter du gazole aux chauffeurs<br />

biélorusses qui font un arrêt<br />

sur les aires de repos aux alentours<br />

de Vilnius, c’est plutôt facile. Mais<br />

ma voiture roule à l’essence. Je décide<br />

donc de chercher des vendeurs de carburant<br />

sur Internet. Les trois quarts des vendeurs<br />

y proposent du gazole. Pas compliqué<br />

de comprendre pourquoi : le gazole arrive<br />

en grande quantité dans les réservoirs des<br />

camions. L’essence, elle, est transportée<br />

dans des bidons cachés dans les voitures.<br />

En appelant plusieurs des numéros de téléphone<br />

indiqués, j’apprends tout d’abord<br />

que, en ce moment, l’essence est en rupture<br />

de stock. Mais, finalement, je réussis à<br />

m’entendre avec un vendeur, et nous<br />

convenons d’un rendez-vous.<br />

“Est-ce que tu sais où se trouve mon<br />

garage ?” Sa question laisse entendre que la<br />

Contexte<br />

C’est en 2009 que la crise a le plus affecté<br />

la Lituanie : cette année-là, le pays<br />

a vu son PIB diminuer de près de 15 % par<br />

rapport à 2008. Le gouvernement lituanien<br />

prévoit cette année une hausse de celui-ci<br />

comprise entre 0,5 % et 1,6 % , trop modeste<br />

pour laisser espérer une régression rapide<br />

du taux de chômage, qui s’établissait<br />

à 14,3 % en septembre – un léger mieux<br />

par rapport aux mois précédents (14,8 %<br />

en août, 15,3 % en juillet).<br />

majorité des acheteurs de cette essence<br />

importée frauduleusement sont des clients<br />

fidèles et loyaux. Les acheteurs occasionnels,<br />

comme moi, sont plutôt rares. Les vendeurs<br />

évitent d’avoir affaire à eux ; ils<br />

craignent qu’il ne s’agisse d’un policier ou<br />

d’un inspecteur des impôts sous couverture.<br />

Une Volkswagen bleue m’attend près<br />

du garage. A l’intérieur, un chien à l’air<br />

méchant est assis à côté du chauffeur. Estil<br />

là pour flairer le guet-apens ?<br />

“Combien je vous en mets ?” Pour une première<br />

fois, 40 litres suffiront. D’où vient<br />

cette essence ? Est-elle de qualité ? Peut-être<br />

est-elle mélangée avec de l’essence 92 ? Je<br />

bombarde le jeune homme de questions.<br />

“Personne ne s’en est jamais plaint. Mes<br />

vendeurs sont fidèles. C’est de l’essence biélorusse,<br />

de la 95. Tu verras par toi-même que l’essence<br />

n’est pas mélangée”, m’explique-t-il d’un<br />

ton calme. J’espérais voir derrière les portes<br />

de son garage une petite station-service illégale,<br />

des jerricans remplis de carburant<br />

entassés jusqu’au plafond.<br />

Mais l’endroit est presque vide :<br />

quelques bidons d’essence, une pompe électrique<br />

et un tuyau. Le vendeur m’explique<br />

qu’il n’y entrepose jamais de grandes quantités.<br />

Si des inspecteurs le surprenaient, il<br />

pourrait expliquer que ces bidons sont destinés<br />

à son usage personnel.<br />

Combien est-ce que je lui dois ? Il me<br />

demande 3,40 litas pour un litre. Ce jour-là,<br />

dans les stations-service de Vilnius, le litre<br />

d’essence 95 est à 4,11 litas… A la pompe, ces<br />

40 litres m’auraient coûté 28,4 litas de plus.<br />

Si je venais faire le plein chaque semaine<br />

dans ce garage, j’économiserais 114 litas par<br />

mois. A la fin de l’année, j’aurais 1 370 litas<br />

de plus.<br />

Quel préjudice ma transaction fait-elle<br />

subir à l’Etat ? Pour un litre d’essence<br />

vendue légalement, l’Etat perçoit environ<br />

2,2 litas. En faisant le plein avec de l’essence<br />

de contrebande, je prive les caisses de l’Etat<br />

de 88 litas. Si je consommais ce carburant<br />

toute l’année, mon attitude ferait perdre<br />

4 500 litas à l’Etat.<br />

Et pour le gazole, qu’en coûterait-il ? Le<br />

coût d’un litre de gazole importé illégalement<br />

est de 2,40 litas ; à la pompe, il s’affiche<br />

à 3,56 litas. Supposons qu’un conducteur<br />

consomme 700 litres de gazole par an. La<br />

TVA et les accises [impôt indirect sur<br />

la consommation] représentant 44 %<br />

du prix d’un litre de gazole, le manque<br />

à gagner pour l’Etat se monterait à<br />

1 100 litas. Soit le coût annuel de la<br />

formation d’un élève.<br />

En Lituanie, le marché de la<br />

contrebande de cigarettes est<br />

encore plus important que celui des<br />

carburants. Mais les vendeurs de<br />

Dessin de Boligán paru<br />

dans El Universal, Mexico.<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 27<br />

cigarettes sont plus prudents que les “pompistes”<br />

qui <strong>of</strong>ficient dans leur garage. Finalement,<br />

j’apprends qu’on peut en acheter<br />

dans l’un des immeubles du quartier Naujamiescio<br />

de Vilnius. La vente se déroule<br />

directement par l’une des fenêtres du rezde-chaussée.<br />

Si des individus suspects<br />

approchent, les enfants du quartier préviennent<br />

immédiatement les vendeurs. “Il<br />

faut frapper au carreau”, me souffle un acheteur.<br />

Sans un mot, il glisse 3,30 litas au vendeur<br />

qui a passé la tête par la fenêtre et reçoit<br />

en échange un paquet de Saint George. La<br />

fenêtre se referme aussitôt. Dans un magasin,<br />

le même paquet coûte 6,40 litas. Les<br />

accises et la TVA constituent 85 % du prix<br />

des paquets les moins chers. Dans ce cas, le<br />

budget de l’Etat lituanien a perdu 5,44 litas.<br />

Selon les données d’une enquête menée par<br />

JTI Marketing and Sale, grossiste en cigarettes,<br />

62 % des fumeurs s’approvisionnent<br />

au marché noir. L’Etat y perdrait chaque<br />

année 550 millions de litas.<br />

Marius Jokubaitis<br />

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ART ON FILE/CORBIS<br />

28 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Amériques<br />

•<br />

Etats-Unis<br />

Un vent nouveau<br />

souffle sur Chicago<br />

Surnommée “le haricot”, cette sculpture monumentale de l’artiste britannique Anish Kapoor reflète la ville de jour comme de nuit.<br />

Située au cœur d’une région<br />

sinistrée, la ville de Chicago a su<br />

rebondir et attirer de nouveaux<br />

habitants. Les initiatives de son<br />

maire, aujourd’hui sur le départ,<br />

y sont pour beaucoup.<br />

MinnPost (extraits) Minneapolis<br />

Q<br />

uand Richard M. Daley a annoncé,<br />

le 7 septembre, qu’il ne se représenterait<br />

pas à la mairie de Chicago<br />

à l’expiration de son sixième mandat,<br />

en mai 2011, sa décision a ébranlé la ville<br />

comme une onde de choc. Lorsqu’il a pris<br />

ses fonctions, en 1989, Chicago se dirigeait<br />

tout droit vers le triste sort qui avait déjà<br />

frappé la plupart de ses voisines de la Rust<br />

Belt [la région industrielle qui s’étend des<br />

Grands Lacs à la côte Atlantique], comme<br />

Detroit, Cleveland ou Buffalo.<br />

L’industrie lourde était en pleine déliquescence<br />

et le népotisme à l’ancienne mis<br />

en place sous Daley père [Richard J. Daley,<br />

maire de Chicago de 1955 à 1976] accélérait<br />

le déclin de la ville. Daley fils, qui avait<br />

47 ans à l’époque de sa première élection,<br />

savait que Chicago avait de beaux restes.<br />

Il ne brillait certainement pas par son éloquence,<br />

mais il avait compris que la ville<br />

ne pouvait pas réussir sans se transformer.<br />

Il brisa donc la vieille machine du népotisme<br />

et invita les grandes entreprises à<br />

contribuer à la gestion et au financement<br />

des projets municipaux. Il s’employa à<br />

abattre les barrières raciales que son père<br />

avait contribué à dresser. Et il commença<br />

à considérer Chicago comme son projet<br />

de rénovation personnel.<br />

Tout en dressant ses plans, Daley gardait un<br />

petit secret qu’il ne révéla jamais explicitement<br />

par crainte des répercussions. Selon<br />

lui, il fallait avant tout attirer des habitants<br />

aisés ou, du moins, des représentants de la<br />

classe moyenne des environs. Sans une<br />

assiette fiscale plus élevée, la ville ne pourrait<br />

jamais rénover les écoles publiques ni<br />

soulager la pauvreté des légions de familles<br />

de cols bleus – en majorité noires – que l’industrie<br />

lourde avait laissées sur le carreau.<br />

Chicago avait à peu près le même problème<br />

que celui que connaissent encore aujourd’hui<br />

les villes jumelles de Minneapolis et<br />

St. Paul (Minnesota). Elle possédait beaucoup<br />

de jolies banlieues boisées au bord du<br />

lac susceptibles d’attirer les riches, mais,<br />

une fois installés, ceux-ci s’empresseraient<br />

de tourner le dos à la ville comme à ses problèmes.<br />

Daley savait qu’il devait regagner<br />

leur intérêt et leur loyauté. Il savait qu’il ne<br />

lui suffirait pas de diriger une ville qui<br />

marche. Chicago devait devenir une ville<br />

dont les gens aisés pourraient tomber<br />

amoureux, où ils pourraient faire leurs<br />

courses, investir et même habiter.<br />

Sa stratégie tint en un mot : la beauté.<br />

Si Chicago veut devenir une ville de classe<br />

<strong>international</strong>e, disait-il souvent, il faut<br />

qu’elle en ait l’air. Il s’efforça donc sans<br />

relâche et sans gêne de l’embellir. Quand<br />

les responsables des infrastructures routières<br />

de l’Illinois lui dirent qu’il ne pouvait<br />

pas retourner Michigan Avenue pour<br />

y planter des arbres et des fleurs, il le fit<br />

quand même. Quand le gouvernement


RON SACHS/NEWSCOM/SIPA<br />

fédéral lui signifia qu’il ne pouvait pas<br />

fermer Meigs Fields, un petit aéroport<br />

situé au bord du lac, pour y créer un parc,<br />

il envoya tout de même les bulldozers<br />

détruire les pistes. En une décennie, il fit<br />

du centre de Chicago l’un des lieux de vie<br />

les plus agréables au monde.<br />

L’investissement et les hommes revinrent<br />

en masse. Les touristes affluèrent vers<br />

les nouvelles attractions comme le Navy<br />

Pier, le Millennium Park, les nouveaux<br />

théâtres, les nouveaux musées et les rives<br />

du lac réhabilitées. Daley fit taire tous ceux<br />

qui affirmaient que les grandes villes au<br />

climat peu amène du Midwest ne pouvaient<br />

pas devenir des lieux vivants,<br />

attractifs, compétitifs. “Il a fait un<br />

incroyable travail de transformation”, souligne<br />

R.T. Rybak, le maire de Minneapolis.<br />

Selon lui, Daley sait mieux que<br />

quiconque comment rendre une ville verte,<br />

c’est le maître de la création d’emplois, du<br />

tourisme, de l’innovation écologique, des<br />

“Je n’oublierai jamais<br />

ce qu’il m’a dit : ‘Plante<br />

des arbres. C’est pas<br />

cher’. C’est l’un des<br />

meilleurs conseils que<br />

j’aie jamais reçus.”<br />

Le secrétaire général de la Maison-<br />

Blanche, Rahm Emanuel,<br />

a démissionné le 1 er octobre 2010 de<br />

ses fonctions pour se lancer dans<br />

la course à la mairie de Chicago.<br />

S’il part avec de nombreux atouts<br />

– notamment le fait qu’il soit<br />

arts et de l’éducation publique. Rybak se<br />

souvient d’avoir été bombardé de conseils<br />

au début de son mandat de maire de Minneapolis<br />

sauf de la part de Daley, qui ne lui<br />

a dit que quelques mots : “Je n’oublierai<br />

jamais ce qu’il m’a dit : ‘Plante des arbres.<br />

C’est pas cher.’ C’est l’un des meilleurs conseils<br />

que j’aie jamais reçus.”<br />

Richard M. Daley n’était pourtant pas sans<br />

défauts. Son orgie de dépenses pour la ville<br />

s’est heurtée violemment à la récession<br />

actuelle. Chicago a un déficit de 655 millions<br />

de dollars [476 millions d’euros] et sa dette<br />

continue de s’accroître. Sa candidature<br />

pour les Jeux olympiques de 2016 a échoué.<br />

Comme la plupart de ses prédécesseurs, il<br />

n’a pas évité la corruption. Malgré toute la<br />

richesse et la réussite qu’il a apportées à Chicago,<br />

il n’a pas beaucoup progressé dans la<br />

lutte contre la pauvreté, la délinquance et<br />

les gangs qui ravagent toujours de vastes<br />

pans de la ville, en particulier ses quartiers<br />

sud. Chicago demeure divisée tant racialement<br />

que socialement, même si le maire a<br />

détruit les grandes cités de logements<br />

sociaux et dispersé leurs habitants.<br />

Il est cependant juste de relever<br />

qu’aucun maire de grande ville n’a<br />

réglé le problème de l’absence de mixité<br />

raciale et sociale, ni su redresser l’école<br />

publique. Richard M. Daley a éloigné<br />

Chicago du gouffre de la Rust Belt et fait<br />

de son centre l’un des espaces urbains<br />

les plus attrayants. C’est un immense<br />

exploit. Il a prouvé qu’une ville froide<br />

et venteuse du Midwest [Windy City (la<br />

ville venteuse) est le surnom de Chicago]<br />

n’était pas nécessairement terne et<br />

ennuyeuse. Steve Berg<br />

originaire de la ville, ses liens avec<br />

le président et un trésor de guerre<br />

important –, la partie n’est pas gagnée<br />

d’avance, souligne The New York<br />

Times. Peu accommodant, celui que<br />

l’on surnomme “Rahmbo” s’est fait<br />

de nombreux ennemis à droite<br />

Hommage<br />

Maire et père à la fois<br />

Après vingt et un ans de règne,<br />

Richard M. Daley a décidé<br />

de ne pas briguer un nouveau<br />

mandat. Un choc pour<br />

les habitants de la ville,<br />

qui se sentent comme orphelins.<br />

Chicago Tribune Chicago<br />

R<br />

ichard M. Daley était notre père<br />

à tous. Un bon père. Un mauvais<br />

père. L’homme que nous adorions<br />

détester et celui dont nous étions plus<br />

dépendants que nous ne voulons bien<br />

l’admettre. Allez-y, injuriez-le. C’est à la<br />

mode, et souvent mérité. Il pique des colères<br />

monstres. Il fait du favoritisme. Il n’est pas<br />

cool. Il a lamentablement échoué sur<br />

plusieurs gros projets. Mais pendant des<br />

années, il suffisait de regarder un peu autour<br />

de nous – les villes de Detroit, Saint Louis<br />

ou Cleveland – pour comprendre que nous<br />

avions de la chance d’avoir un type comme<br />

lui pour gérer la maison.<br />

Pendant que d’autres villes entraient<br />

d’un pas incertain et trébuchaient dans le<br />

nouveau millénaire, le maire de Chicago<br />

Richard M. Daley tenait fermement la barre.<br />

Il a emmené Chicago loin et vite, et s’il l’a<br />

fait en partie pour la puissance et la gloire,<br />

il l’a fait aussi par amour. Il n’a pas agi seul<br />

et n’a certainement pas toujours agi de<br />

manière exemplaire, mais pendant ses vingt<br />

et un ans de mandat, Chicago est devenue<br />

pour de bon la grande ville qu’elle se targuait<br />

d’être sans l’être vraiment. Je dis cela après<br />

Architecture<br />

Une métropole verte<br />

“Il a fallu une volonté de<br />

fer pour transformer<br />

l’ancienne capitale des<br />

abattoirs en métropole<br />

d’avenir”, souligne<br />

The New York Times.<br />

En l’espace de deux<br />

décennies, sous la<br />

houlette de Richard<br />

M. Daley, Chicago a<br />

radicalement changé de<br />

visage. Aujourd’hui, l’art<br />

contemporain s’invite<br />

dans ses rues et les<br />

espaces verts se sont<br />

multipliés aux pieds des<br />

buildings. Pour le quotidien<br />

new-yorkais, la sculpture<br />

de l’artiste britannique<br />

d’origine indienne Anish<br />

Kapoor, baptisée Cloud<br />

Gate (La porte des<br />

nuages], dans laquelle on<br />

peut admirer le reflet de<br />

la ville, fait partie des<br />

plus grands succès du<br />

maire (voir ci-contre).<br />

Surnommée “le haricot”,<br />

cette sculpture<br />

monumentale en acier<br />

de dix mètres de haut se<br />

situe dans le Millennium<br />

Park, qui recouvre depuis<br />

1999 les voies de chemin<br />

de fer qui couraient le<br />

long de Michigan Avenue.<br />

Ce parc est considéré<br />

comme la plus grande<br />

réussite de Richard<br />

M. Daley, qui a voulu faire<br />

de Chicago “la ville la<br />

plus verte des Etats-<br />

Unis”. C’est également<br />

dans cette optique qu’il<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 29<br />

comme à gauche pendant ses deux<br />

ans à la Maison-Blanche et certains<br />

cherchent aujourd’hui à faire invalider<br />

sa candidature, arguant qu’il ne<br />

résidait pas à Chicago cette année,<br />

une obligation légale pour pouvoir<br />

se présenter aux municipales.<br />

Richard M. Daley.<br />

avoir vécu dans de nombreux endroits et<br />

passé les vingt-cinq dernières années à Chicago.<br />

Quand je suis arrivée, la ville était sale,<br />

violemment raciste et comme exténuée.<br />

Sous les mandats successifs de Daley, et par<br />

bien des côtés grâce à lui, les choses se sont<br />

améliorées. La ville, semble-t-il, a retrouvé<br />

peu à peu un nouvel éclat, à la fois physique<br />

et spirituel.<br />

Il n’est donc guère surprenant que lorsque<br />

Daley a annoncé, le 7 septembre, qu’il ne se<br />

représenterait pas au poste de maire, nous<br />

ayons tous eu l’impression de sentir les<br />

plaques tectoniques bouger sous le Loop [le<br />

quartier des affaires de Chicago]. “Pour le<br />

dire simplement, a-t-il déclaré lors d’une<br />

a fait installer un toit<br />

végétalisé sur l’hôtel<br />

de ville et de nombreux<br />

autres bâtiments<br />

de la cité. Le maire<br />

a également transformé,<br />

à la fin des années 1990,<br />

la cité ghetto de Cabrini<br />

Green en un quartier<br />

résidentiel à revenus<br />

mixtes. Dix ans plus tard,<br />

le bilan de ce chantier<br />

de rénovation urbaine<br />

est cependant mitigé.<br />

Les anciens habitants<br />

n’ont pas tous été<br />

relogés dans du neuf.<br />

Les deux tiers d’entre<br />

eux ont été dispersés<br />

dans des quartiers tout<br />

aussi délabrés que<br />

celui qu’ils avaient quitté.<br />

CHARLES REX ARBOGAST/AP-SIPA<br />

conférence de presse, j’ai fait mon temps et le<br />

moment est venu pour Chicago de passer à autre<br />

chose.”<br />

Il a raison. C’est le moment et pour lui<br />

et pour nous. Il a 68 ans. Le budget de la<br />

ville est dans un état catastrophique. Sa<br />

popularité décline. Sa femme, Maggie, qui<br />

se tenait à ses côtés, appuyée sur ses<br />

béquilles, lorsqu’il a fait son annonce,<br />

souffre d’un cancer. Il semble avoir compris,<br />

comme le dit la vieille chanson de<br />

Michelle Shocked, que “le secret d’une<br />

longue vie est de savoir quand il faut partir”.<br />

Les réactions se sont réparties en deux<br />

catégories.<br />

La première : “Bon débarras.”<br />

L’autre : “Bon sang, qui va le remplacer ?”<br />

Pourtant, même les tenants du “bon<br />

débarras” ne peuvent que s’inquiéter pour<br />

la suite.<br />

Les étudiants les plus jeunes n’étaient<br />

même pas nés lorsque Daley a été élu pour<br />

la première fois, il y a vingt et un ans. Ils<br />

trouvent normal de voir tous ces gratte-ciel<br />

étincelants, ces rues immaculées, ces toitures<br />

végétales, et ne s’étonnent pas de la<br />

notoriété de Chicago à travers le monde. Et<br />

s’ils trouvent tout aussi normal le désordre<br />

dans les écoles, les gangs et les armes, le<br />

copinage et la corruption, il est important<br />

de ne pas oublier que l’échec de Daley n’a<br />

pas été d’inventer ces maux, mais de ne pas<br />

être parvenu à s’en débarrasser.<br />

Allez-y, discutez. Cela fait partie de la<br />

vie dans cette grande ville bouillonnante.<br />

Chicago, c’est un peu comme une famille.<br />

Nous aimons nous chamailler bruyamment.<br />

Et l’une des raisons pour lesquelles Chicago<br />

donne l’impression d’être une famille, c’est<br />

que durant vingt et un ans, c’est le même<br />

bonhomme qui a été à la tête du clan, tout<br />

comme son père y avait été avant lui.<br />

[Richard Joseph Daley, père de l’actuel édile,<br />

avait été maire de la ville entre 1955 et 1976].<br />

De façon subtile mais pr<strong>of</strong>onde, le fait que<br />

Chicago ait été gérée comme une affaire<br />

familiale a créé un sentiment de solidarité<br />

et de sécurité. Je ne parle pas de la sécurité<br />

sous toutes ses formes ; nous connaissons<br />

tous les chiffres du chômage et les statistiques<br />

de la criminalité. Je ne suis pas non<br />

plus en train de dire que le népotisme est<br />

une bonne chose.<br />

Mais Chicago se sent enracinée comme<br />

peu de villes le sont, reliée à elle-même d’une<br />

façon rare, et cela en partie grâce au fait<br />

qu’elle a été dirigée par un homme pour<br />

qui la ville était inséparable de sa propre<br />

histoire, qui la ressentait dans son corps<br />

et dans son cœur.<br />

Les villes, comme les individus, passent<br />

par des phases successives. La phase qui se<br />

clôt aujourd’hui a été bénéfique pour Chicago.<br />

Et il nous faudra peut-être un certain<br />

temps avant de réaliser à quel point elle<br />

l’a réellement été. Mary Schmich


30 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Amériques<br />

Dans un village perdu subsiste<br />

une collection d’étranges<br />

cordelettes portant des séries<br />

de nœuds. Elles auraient permis<br />

aux Incas de communiquer d’un<br />

bout à l’autre de leur empire. Mais<br />

personne ne peut les déchiffrer.<br />

The New York Times New York<br />

L<br />

a route qui mène à ce village<br />

situé à 1 000 mètres au-dessus<br />

du niveau de la mer part de la<br />

côte désertique et s’élève en une succession<br />

de virages en épingle à cheveux,<br />

produisant ce mélange d’ivresse et de<br />

terreur que provoquent souvent les routes<br />

andines. Les condors planent au-dessus<br />

des roches escarpées enveloppées de<br />

brume. Les bergers qui parlent quechua<br />

lorgnent les étrangers qui arrivent en haletant<br />

dans l’air raréfié. L’isolement a permis<br />

à ce village de conserver un mystère archéologique<br />

: une collection de khipus, des<br />

cordelettes nouées qui expliquent peutêtre<br />

comment les Incas ont pu administrer<br />

un vaste empire à l’organisation complexe<br />

sans posséder le langage écrit – contrairement<br />

à leurs contemporains de l’Empire<br />

ottoman et de la dynastie Ming.<br />

Les khipus – “nœuds” en quechua, la<br />

langue des Incas, que parlent encore des<br />

millions de personnes dans les Andes –<br />

sont des cordelettes nouées faites de poils<br />

d’animaux, par exemple de lama ou d’alpaga.<br />

Selon les archéologues, les Incas,<br />

qui ont été renversés par la conquête<br />

espagnole, les utilisaient à la place de<br />

l’écriture et auraient pu ainsi communiquer<br />

des informations de ce qui est au -<br />

jourd’hui le sud de la Colombie au nord<br />

du Chili. Rares sont les écritures oubliées<br />

aussi difficiles à déchiffrer que les khipus.<br />

Les chroniqueurs de l’ère coloniale<br />

s’étonnaient déjà de leur incapacité à en<br />

casser le code. Les chercheurs de Harvard<br />

se sont attaqués à la question en faisant<br />

appel à des bases de données et à des<br />

modèles mathématiques.<br />

De minuscules figurines<br />

On estime à six cents le nombre de khipus<br />

qui auraient survécu. Les collectionneurs<br />

en ont sorti un grand nombre du Pérou il<br />

y a des décennies, dont un ensemble de<br />

trois cents qui est conservé au Musée ethnologique<br />

de Berlin. On pense que la plupart<br />

ont été détruits après avoir été<br />

déclarés idolâtres par les autorités espagnoles,<br />

en 1583. Rapaz, un village de<br />

500 habitants vivant de l’élevage de lamas,<br />

ainsi que de la culture du seigle, donne un<br />

aperçu étonnant du rôle que les khipus ont<br />

joué sous l’Empire inca et longtemps<br />

après. Le village conserve en effet l’une<br />

des dernières collections connues de<br />

khipus encore utilisés pour les rites.<br />

Susana Villarán, du parti Force<br />

sociale (gauche), devrait devenir<br />

la première femme maire de Lima.<br />

Selon des résultats partiels, cette<br />

ancienne ministre de la Femme, qui<br />

se réclame de la gauche modérée,<br />

Pérou<br />

Le secret bien gardé des Khipus<br />

Dessin de Langer paru dans Clarín, Buenos Aires.<br />

“Je sens que mes ancêtres me parlent quand<br />

je regarde nos khipus”, confie Marcelina Gallardo,<br />

48 ans, une bergère qui vit ici avec ses<br />

enfants, dans la puna, la région andine située<br />

au-dessus des arbres, où les températures<br />

chutent au-dessous de zéro la nuit et où des<br />

carnivores comme le puma s’attaquent aux<br />

troupeaux. Devant sa petite maison de<br />

pierre, M me Gallardo indique de la tête l’estomac<br />

et le crâne d’un jeune lama fraîchement<br />

abattu qui sèchent au soleil. Elle<br />

partage une tranche de charqui [viande<br />

séchée et salée]. “Le khipu est un des joyaux<br />

de notre vie ici”, ajoute-t-elle.<br />

Même ici, nul ne prétend comprendre<br />

les khipus, qui sont conservés dans un bâtiment<br />

de cérémonie appelé Kaha Wayi. Ces<br />

cordelettes sont ornées de nœuds et de<br />

minuscules figurines, dont certaines<br />

comportent de petits sachets remplis de<br />

feuilles de coca. Les Rapacinos, habitants<br />

de Rapaz, semblent avoir perdu la capacité<br />

de déchiffrer leurs khipus depuis la mort de<br />

leurs lointains ancêtres, même si certains<br />

experts pensent que les khipus ont pu être<br />

utilisés au village jusque dans le courant du<br />

XIX e siècle. Les spécimens de Rapaz sont,<br />

selon les tests, bien postérieurs à la défaite<br />

des Incas et diffèrent considérablement des<br />

khipus de cette époque.<br />

Aujourd’hui encore, les Rapacinos<br />

accomplissent des rituels dans le Kaha<br />

Wayi en présence de leurs khipus. L’anthropologue<br />

Frank Salomon, de l’université<br />

du Wisconsin, qui a récemment<br />

participé à un projet visant à permettre au<br />

village de conserver ses khipus dans un étui<br />

résistant aux tremblements de terre, en a<br />

décrit quelques-uns. Les villageois ont<br />

pour tradition, par exemple, d’invoquer<br />

les montagnes qui entourent Rapaz dans<br />

la nuit glaciale pour demander que les<br />

devançait de justesse la candidate<br />

Lourdes Flores, du Parti populaire<br />

chrétien (droite). Election<br />

historique puisque la gauche n’a pas<br />

dirigé la capitale (où vit le tiers de la<br />

population péruvienne) depuis 1983.<br />

nuages fassent tomber la pluie. Puis ils<br />

font brûler de la graisse de lama et étudient<br />

la flamme avant de sacrifier un<br />

cochon d’Inde et de le déposer dans un<br />

trou avec des fleurs et de la coca.<br />

La survivance de ces rituels – et des<br />

khipus de Rapaz – témoigne de la résistance<br />

du village malgré des siècles d’épreuves.<br />

Les fresques défraîchies des murs de<br />

l’église coloniale du village montrent des<br />

diables entraînant des Indiens dans les<br />

flammes de l’enfer à cause de leurs péchés.<br />

Les familles de propriétaires terriens<br />

ont obligé les ancêtres de nombre des<br />

habitants actuels à travailler pour elles.<br />

Les Rapacinos ont été récemment con -<br />

frontés à d’autres problèmes. Un régime<br />

militaire de gauche a provoqué, dans les<br />

années 1970, une grave crise économique<br />

en nationalisant, et les guérilleros maoïstes<br />

du Sentier lumineux ont exploité le chaos.<br />

Ils ont terrorisé le village dans les an -<br />

nées 1990 et l’ont coupé de fait de tout<br />

contact avec le reste du Pérou.<br />

Les Rapacinos ont malgré tout réussi<br />

à conserver leurs khipus dans le Kaha Wayi<br />

– peut-être parce que le village est fortement<br />

soudé et parce que les terres et les<br />

bêtes sont la propriété de tous. “Ils pensent<br />

qu’ils doivent préserver la collection de khipus<br />

pour la même raison que nous pensons devoir<br />

protéger les documents originaux de la Déclaration<br />

d’indépendance et de la Constitution,<br />

explique le P r Salomon. J’ai entendu des gens<br />

dire : ‘C’est notre Constitution, c’est notre<br />

Magna Carta.’”<br />

Malgré sa géographie intimidante, le<br />

village connaît depuis peu des changements<br />

qui risquent de modifier la relation<br />

que ses habitants entretiennent avec<br />

leurs khipus. Le crieur public a été remplacé<br />

par un haut-parleur il y a un an. Et<br />

une antenne-relais de téléphonie mobile<br />

permet désormais aux Rapacinos de communiquer<br />

plus facilement avec le monde<br />

extérieur. Ces changements sont les bienvenus,<br />

bien plus que les voleurs qui viennent<br />

avec des camions rafler lamas, bétail<br />

et vigognes (autres camélidés andins très<br />

appréciés pour leur laine). Le danger le<br />

plus immédiat pour les khipus reste peutêtre<br />

la progression du protestantisme, un<br />

phénomène qui touche les villes petites et<br />

grandes de toute l’Amérique latine : 20 %<br />

des familles de Rapaz appartiennent déjà à<br />

des congrégations protestantes, qui considèrent<br />

les rituels pratiqués en présence des<br />

khipus comme des sacrilèges païens.<br />

Déchiffrage impossible<br />

Loin de Rapaz, le décryptage des cordelettes<br />

ne livre pas son secret. De nouvelles<br />

découvertes laissent à penser que<br />

les khipus étaient en usage dans les<br />

sociétés andines bien avant que l’Empire<br />

Inca ne devienne une grande puissance,<br />

au XV e siècle.<br />

Les chercheurs n’ont pas pour lire les<br />

khipus l’équivalent de la pierre de Rosette,<br />

cette stèle de granite dont les inscriptions<br />

en grec ont permis de déchiffrer les hiéroglyphes<br />

égyptiens. On avait découvert à<br />

Naples des manuscrits jésuites qui semblaient<br />

pouvoir remplir cet <strong>of</strong>fice, mais on<br />

pense aujourd’hui qu’il s’agit de faux. Les<br />

habitants de Rapaz conservent leurs khipus<br />

comme les Occidentaux pourraient un<br />

jour préserver des fragments de la Bible<br />

ou d’autres documents si la civilisation<br />

d’aujourd’hui venait à s’effondrer. “Ils doivent<br />

rester ici parce qu’ils appartiennent à<br />

notre peuple, déclare Fidencio Alejo Falcon,<br />

42 ans. Nous ne les céderons jamais.”<br />

Simon Romero


32 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Courrier in English<br />

Britain<br />

Two pints <strong>of</strong> lager and a decaf latte<br />

Tough times are forcing change<br />

on Britain’s beleaguered pubs<br />

The Economist London<br />

T<br />

ake a morning stroll past the<br />

Jack Phillips in Godalming, a<br />

prosperous commuter town<br />

in Surrey, and you might well not realise that<br />

it is, in fact, a pub. Traditionally, pubs do not<br />

open before about 11am, and the first customers<br />

through the doors are <strong>of</strong>ten the local<br />

alcoholics. But the Jack Phillips has been<br />

open since 7am, serving cheap c<strong>of</strong>fee and<br />

hot breakfasts to a clientele comprising<br />

young parents with pushchairs, pensioners<br />

and a sprinkling <strong>of</strong> besuited <strong>of</strong>fice<br />

types grabbing a quick c<strong>of</strong>fee before work.<br />

The multifaceted hostelry is run by<br />

J D Wetherspoon, a biggish pub firm that<br />

owns 775 low-cost alehouses. The company<br />

posted good preliminary results on<br />

September 10th, with revenues up 4.3% on<br />

last year to £996.3m ($1.56 billion) and pretax<br />

pr<strong>of</strong>its up 34%, to £60.5m. Its success<br />

rests partly on its strategy <strong>of</strong> diversifying<br />

away from selling beer in the evening.<br />

Since its pubs began opening early in<br />

the morning last year, sales <strong>of</strong> breakfasts<br />

and c<strong>of</strong>fee have risen by about 40%.<br />

J D Wetherspoon reckons that it sells<br />

400,000 breakfasts a week, second only to<br />

Glossaire<br />

Lager : bière blonde le plus<br />

souvent d’origine française<br />

ou belge très prisée par les<br />

jeunes qui, après ingestion<br />

d’une quantité excessive,<br />

se transforment en lager louts,<br />

dont la violence et les<br />

déprédations font la une<br />

des journaux populaires.<br />

Decaf latte : équivalent chic<br />

de notre café-crème,<br />

mais à base de “déca”.<br />

Beleaguered : évoque,<br />

au sens premier, une ville<br />

“assiégée” et, par extension,<br />

une situation difficile.<br />

Commuter town : ville proche<br />

d’un centre urbain important,<br />

en l’occurrence Londres,<br />

où travaillent la majorité<br />

des habitants de cette “ville<br />

de banlieue” ou “cité-dortoir”.<br />

Pushchairs : a pushchair est<br />

une poussette, dont a buggy<br />

est la version sophistiquée.<br />

Sprinkling : substantif dérivé<br />

de to sprinkle qui désigne<br />

un arrosage diffus.<br />

Métaphoriquement, sprinkling<br />

désigne une “petite<br />

quantité”, une “pincée”, ou,<br />

Dessin de Pudles paru dans The Economist, Londres.<br />

comme ici, une “poignée”.<br />

Besuited : formé de l’adjectif<br />

greffé sur suit (“costume”)<br />

et du préfixe be- qui traduit<br />

le fait pour une personne<br />

de porter un vêtement,<br />

comme c’est le cas ici.<br />

Alehouse : littéralement,<br />

lieu où l’on boit de la bière<br />

anglaise traditionnelle – ale.<br />

Posted : to post signifie<br />

“afficher”, notamment<br />

les chiffres de l’activité<br />

d’une société, ses résultats.<br />

On : associé à un repère<br />

temporel, introduit<br />

un élément de comparaison,<br />

“par rapport à”.<br />

Premises : “locaux”,<br />

“immeubles”, “lieux”,<br />

qu’ils soient bâtis ou non.<br />

Boozer : dérivé de booze,<br />

terme familier désignant tout<br />

type de boisson alcoolisée.<br />

Boozer fait référence soit<br />

à un lieu, comme c’est ici le cas,<br />

soit à une personne<br />

qui s’alcoolise volontiers.<br />

Ousted : to oust signifie<br />

“exclure”, “éliminer”<br />

d’un groupe, notamment.<br />

High streets : the high street<br />

est, dans une petite ville,<br />

la rue principale où sont<br />

implantés les commerces.<br />

Publican : personne qui tient<br />

un pub, le plus<br />

souvent en gérance.<br />

Bemoans : to bemoan<br />

est le verbe transitif dérivé du<br />

verbe to moan (“se plaindre”,<br />

“gémir”) qui, lui, est intransitif.<br />

Venues : a venue est un lieu,<br />

le plus souvent un bâtiment,<br />

qui accueille du public.<br />

Licensing laws : lois<br />

régissant la vente de boissons<br />

alcoolisées dans les débits<br />

de boissons.<br />

Compound : to compound<br />

est synonyme de to aggravate.<br />

Swanky : “à la mode”, “branché”.<br />

Dented : to dent dénote<br />

l’altération d’une surface<br />

à la suite d’un choc. Le verbe<br />

s’emploie métaphoriquement<br />

pour connoter la légère<br />

dégradation d’un phénomène<br />

ou d’une activité.<br />

Staple product : “produit<br />

de base”.<br />

The news is : malgré<br />

Pendant quatre semaines,<br />

Courrier <strong>international</strong><br />

vous invite à un voyage<br />

en v.o. dans les presses<br />

anglophones.<br />

sa morphologie de substantif<br />

au pluriel, news exige<br />

un verbe au singulier.<br />

Grim :“déprimant”, “qui<br />

ne porte pas à l’optimisme”.<br />

Casting around : synonyme<br />

de are looking around.<br />

Officialdom : le suffixe -dom,<br />

que l’on retrouve dans kingdom,<br />

Christiandom,<br />

entre autres, permet<br />

de désigner le principe<br />

ou le concept correspondant<br />

à un substantif concret.<br />

Ici, l’“administration”,<br />

les “autorités”.<br />

Benignly : benign évoque<br />

ici davantage ce qui n’est pas<br />

nocif que la “bienveillance”<br />

que connote le plus souvent<br />

ce terme.<br />

Linchpin : terme technique<br />

dont l’emploi figuré s’est<br />

développé, comme d’ailleurs<br />

celui de son équivalent<br />

français “cheville ouvrière”.<br />

To foster : “favoriser”.<br />

Manifesto : il s’agit du<br />

“manifeste” électoral élaboré<br />

par chaque parti politique à la<br />

veille des élections législatives.<br />

Practise your English with<br />

Courrier <strong>international</strong>.<br />

For four weeks, enjoy a sample<br />

<strong>of</strong> articles written by<br />

English-speaking journalists.<br />

Facilities : “équipements”,<br />

“infrastructures”.<br />

Thronged : verbe dérivé<br />

de throng, “foule”. “L’endroit<br />

est envahi de jeunes”.<br />

Getting tanked up :<br />

littéralement “qui font le plein”.<br />

A night on the tiles : “passer<br />

la nuit dehors à faire la fête”.<br />

Overindulgence : to indulge<br />

connote le fait d’assouvir ses<br />

désirs et ses penchants,<br />

essentiellement nocifs. Il est<br />

ici question de “consommation<br />

excessive d’alcool”.<br />

To deter : “dissuader”.<br />

Binge-drinking : “biture<br />

express” est un équivalent<br />

acceptable.<br />

Mooted : to moot est presque<br />

exclusivement employé<br />

à la forme passive. “Envisager”,<br />

“faire l’objet d’une réflexion”,<br />

“être en débat”.<br />

Tipples : tipple désignait déjà<br />

au XVI e siècle en Angleterre<br />

une boisson alcoolisée que l’on<br />

consommait dans une tippling<br />

house tenue par un tippler.<br />

Aujourd’hui, tipple est<br />

un substitut familier de drink.


Sur le web<br />

www.<strong>courrier</strong><br />

<strong>international</strong>.com<br />

Retrouvez<br />

ces articles<br />

traduits<br />

McDonalds, and 600,000 cups <strong>of</strong> c<strong>of</strong>fee,<br />

behind only Starbucks and Costa C<strong>of</strong>fee.<br />

It now in effect runs two businesses from<br />

each <strong>of</strong> its premises: a family-friendly<br />

café by day, and a budget boozer by night.<br />

Its method suggests that, rather than<br />

being ousted by c<strong>of</strong>fee shops, the nonalcoholic<br />

rivals that have proliferated on<br />

British high streets since the 1990s, pubs<br />

can incorporate them. Other firms are<br />

watching closely.<br />

This sort <strong>of</strong> innovation is a response to<br />

harsh times in the pub industry. Every<br />

week 39 pubs close their doors, according<br />

to the British Beer and Pub Association<br />

(BBPA), a trade body. In 2005 there were<br />

58,600 pubs in Britain; now there are<br />

around 52,500. Many publicans principally<br />

blame competition from supermarkets,<br />

whose buying power (and tax<br />

advantages) allow them to undercut pub<br />

prices. Tim Martin, J D Wetherspoon’s<br />

founder and chairman, bemoans the interference<br />

<strong>of</strong> government. The previous<br />

Labour administration imposed a ban on<br />

smoking in public venues in 2007, plus<br />

above-inflation rises in beer tax (though its<br />

reform <strong>of</strong> licensing laws in 2005 enabled<br />

J D Wetherspoon and others to open early).<br />

Social changes compound the problem:<br />

Neil Williams <strong>of</strong> the BBPA points out<br />

that alcohol consumption has fallen by 13%<br />

since 2004, partly due to tax rises but perhaps<br />

also because public-health messages<br />

about the risks <strong>of</strong> heavy drinking have got<br />

through. Meanwhile, the growing British<br />

taste for wine, <strong>of</strong>ten consumed in swanky<br />

bars or with a meal at home, has dented<br />

sales <strong>of</strong> beer, the pub’s staple product.<br />

But not all the news is grim – and it<br />

is not just their owners that are casting<br />

around for ways to keep Britain’s pubs<br />

open. Just as pubs are diversifying,<br />

<strong>of</strong>ficialdom is beginning to view them<br />

more benignly: as linchpins <strong>of</strong> their<br />

neighbourhoods, which help to foster<br />

vague but politically fashionable goods such<br />

as community spirit and social cohesion.<br />

The Conservatives’ manifesto gave pubs<br />

the status <strong>of</strong> “essential services”, alongside<br />

facilities such as post <strong>of</strong>fices, and promised<br />

powers for people to club together to<br />

buy boozers threatened with closure. More<br />

recently, as part <strong>of</strong> its drive to cut public<br />

spending, the new Conservative-Liberal<br />

Democrat coalition floated the idea <strong>of</strong> merging<br />

pubs with public libraries.<br />

Back at the Jack Phillips, this time by<br />

night, the pub has reverted to a more recognisable<br />

business model. The place is<br />

thronged with youngsters getting<br />

tanked up for a night on the tiles – the<br />

kind <strong>of</strong> overindulgence that worries policymakers.<br />

But the latest plan to deter<br />

binge-drinking could prove a blessing for<br />

pubs. Scottish politicians, who pioneered<br />

the smoking ban in Britain, are considering<br />

setting minimum prices on drinks, determined<br />

by their alcohol content. The prices<br />

that are being mooted would make supermarkets<br />

drinks more expensive, but leave<br />

many pub tipples unaffected. <br />

Remerciements<br />

Les notes d’aide à la lecture ont été<br />

établies par Jean-Claude Sergeant,<br />

pr<strong>of</strong>esseur émérite à l’université<br />

Sorbonne-Nouvelle Paris-III.<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 33<br />

Editorial<br />

Europe’s day <strong>of</strong> protests: Ode to woe<br />

Governments who tell public<br />

sector workers to toil longer for<br />

less money are first going to<br />

have to make sure the jobs exist<br />

The Guardian London<br />

I<br />

t is easy to dismiss the demonstrations<br />

that took place in<br />

Brussels and across Europe on<br />

September 29th as irrelevant, venting<br />

the anger <strong>of</strong> the impotent. It is true that<br />

for most <strong>of</strong> the decisions affecting budgets,<br />

public sector jobs or retirement age,<br />

the streets <strong>of</strong> Brussels are the wrong place<br />

to be. National variations also complicate<br />

the task <strong>of</strong> making a cogent argument<br />

against the rush towards austerity.<br />

To take just three examples: the rightwing<br />

German chancellor, Angela Merkel,<br />

has been to the left <strong>of</strong> her British, French<br />

and Spanish colleagues by paying firms to<br />

keep their workers in jobs; with the longest<br />

retirement in Europe and a shortfall <strong>of</strong><br />

€42bn by 2018, France had a problem<br />

funding its pensions long before bankers<br />

messed up. After an unprecedented<br />

boom followed by an equally sharp bust<br />

in which hospitals and schools were shut,<br />

there has hardly been a peep from<br />

the Latvian workforce. The economic<br />

clock may have gone back a few years but<br />

not as far back as 1991, which in eastern<br />

Europe is the bottom line.<br />

And yet John Monks, the general<br />

secretary <strong>of</strong> the European Trade Union<br />

Confederation, is surely right to argue<br />

that European governments should listen<br />

to its workers as well as its markets and<br />

that the rush towards austerity risks<br />

tipping a fragile recovery back into recession<br />

or stagnation. It looks that way in<br />

Glossaire<br />

Woe : terme littéraire<br />

qu’affectionnent les<br />

journalistes pour évoquer<br />

le “malheur”, l’“affliction”.<br />

To toil : “travailler”, mais<br />

le verbe évoque plus le labeur<br />

exténuant que la simple<br />

activité rémunérée.<br />

To dismiss : à entendre<br />

ici au sens de “ne pas<br />

prendre au sérieux”, “tenir<br />

pour négligeable”.<br />

Irrelevant : “non pertinent”,<br />

“oiseux”, “sans importance”.<br />

Venting the anger : to vent<br />

signifie “donner libre cours”<br />

à un sentiment ou<br />

une émotion longtemps<br />

contenus, notamment<br />

la colère (anger).<br />

Cogent : ce qui relève de la<br />

connaissance<br />

Spécialiste de la vie politique<br />

et des médias britanniques, il a dirigé<br />

pendant vingt ans un DESS de<br />

journalisme bilingue français-anglais,<br />

devenu master pr<strong>of</strong>essionnel<br />

Spain, where economists predict a growth<br />

rate <strong>of</strong> 0.5% after a budget that almost<br />

halves the deficit in two years. The bigger<br />

problem that the European economy faces<br />

is not ballooning public spending but the<br />

collapse <strong>of</strong> demand and revenue. Governments<br />

who tell their public sector workers<br />

to toil longer and for less money are first<br />

going to have to make sure the jobs exist.<br />

Those who argue that these strikes are<br />

irrelevant need also to consider the cost<br />

<strong>of</strong> ignoring them. An EU run for, and<br />

by, its elites is doomed to the sort<br />

<strong>of</strong> populist shocks it got when it<br />

tried to reform its constitution.<br />

et de la raison ; “cohérent”.<br />

Shortfall : “déficit”.<br />

€42bn : 42 billion euros,<br />

“42 milliards d’euros”.<br />

Messed up : le substantif<br />

mess évoque la “confusion”,<br />

le “désordre”, ce que dénote<br />

également le verbe<br />

to mess up. Les banquiers<br />

sont en quelque sorte<br />

des “fauteurs de troubles”.<br />

Boom […] bust : phases<br />

d’une politique économique<br />

faisant alterner les périodes<br />

de croissance (boom)<br />

et celles de dépression (bust)<br />

politique que les adversaires<br />

de Gordon Brown lui<br />

reprochent d’avoir conduite.<br />

There has hardly been<br />

a peep from the Latvian<br />

workforce : a peep a, entre<br />

de formation à la pratique du<br />

journalisme européen, option anglais.<br />

Il est l’auteur du manuel Traduire<br />

l’anglais des médias, à paraître<br />

aux éditions Ophrys début 2011.<br />

autres, l’acception<br />

de “murmure plaintif”<br />

à peine audible. Hardly<br />

est un adverbe qui signifie<br />

“à peine”, “pratiquement<br />

pas”. Les travailleurs<br />

lettons (Latvian) “n’ont<br />

pratiquement pas bronché”.<br />

Bottom line : désigne<br />

l’élément essentiel<br />

d’un accord, d’un contrat<br />

et, par extension, une<br />

référence fondamentale.<br />

To argue : souvent repris<br />

en français sous forme<br />

de calque au sens<br />

de “défendre une idée”,<br />

“faire valoir un argument”.<br />

Tipping : le verbe to tip<br />

évoque une rupture<br />

d’équilibre, le fait de “faire<br />

pencher” quelque chose,<br />

Democracy is not a once in five years experience.<br />

Governments, not least our one,<br />

need to listen to their electorates when<br />

sharing out the pain, and the macro-economic<br />

argument about where austerity is<br />

leading us is a real one. <br />

Dessin de Krauze paru dans<br />

The Guardian, Londres.<br />

une balance par exemple,<br />

d’un côté ou d’un autre.<br />

Ici, les mesures d’austérité<br />

décidées à la hâte risquent<br />

de compromettre<br />

la fragile reprise économique<br />

et de la “faire basculer”<br />

vers la récession.<br />

Ballooning : évoque<br />

le “gonflement”,<br />

voire l’“explosion”<br />

des dépenses publiques.<br />

Doomed :<br />

étymologiquement,<br />

doom signifie “jugement”,<br />

sens que l’on retrouve<br />

dans Doomsday, le jour<br />

du Jugement dernier.<br />

La connotation de to be<br />

doomed ne laisse, en<br />

revanche, aucune place à<br />

l’espoir : “être condamné”.


34 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Asie<br />

Symbole de l’ouverture<br />

économique, la cité industrielle<br />

a été choisie par le Premier<br />

ministre pour évoquer le besoin<br />

de réformes politiques.<br />

Un point de vue soutenu<br />

par une éditorialistes très<br />

influente en Chine.<br />

Blog.caiing.com<br />

L<br />

e 26 août, la zone économique<br />

spéciale de Shenzhen [la première<br />

à avoir été implantée en<br />

Chine par Deng Xiaoping] fêtait le<br />

30e anniversaire de sa création. La pensée<br />

réformiste a ressurgi à la faveur de cette<br />

célébration. L’illustration la plus marquante<br />

en a été le discours prononcé sur<br />

place par Wen Jiabao. Le Premier ministre<br />

chinois a en effet réitéré l’importance<br />

d’une réforme du système politique. “Sans<br />

la garantie apportée par une telle réforme, la<br />

réussite des réformes économiques sera compromise<br />

et l’objectif de construction d’une<br />

Chine moderne ne pourra pas être atteint”,<br />

a-t-il affirmé.<br />

La population attend toujours de telles<br />

réformes, trois ans après que le rapport du<br />

XVIIe Congrès du Parti communiste chinois<br />

en a exposé le principe dans un texte<br />

intitulé “Construire une politique démocratique<br />

socialiste”. Prendre conscience<br />

d’une nécessité est facile, agir est plus difficile.<br />

Les réformes en Chine en sont arrivées<br />

à un point crucial où il est devenu<br />

indispensable de lancer une réforme du<br />

système politique. Ces dernières années,<br />

les réformes économiques ont certes progressé<br />

techniquement, mais, dans d’autres<br />

domaines comme la réforme de la fiscalité<br />

ou du système des prix des produits de<br />

base, on n’a pas connu d’avancée importante<br />

à ce jour, malgré les promesses faites<br />

par le gouvernement. Le principal obstacle<br />

est le point mort où se trouve la réforme<br />

du système politique.<br />

Deuxième rang mondial<br />

De ce fait, les réformes économiques et<br />

sociales ont également du mal à progresser<br />

véritablement. Plus de trente ans après leur<br />

lancement, l’économie chinoise s’est hissée<br />

au deuxième rang mondial. Les dirigeants<br />

continuent cependant de répéter que “la<br />

Chine ne peut avoir de brillant avenir sans promouvoir<br />

les réformes et l’ouverture”. Cela<br />

reflète le fait que les réformes perdent de<br />

leur efficience. Il n’est plus possible d’ajourner<br />

davantage une réforme du système politique<br />

; on ne peut plus attendre !<br />

Les réformes politiques et économiques<br />

sont interdépendantes et complémentaires.<br />

Le grand architecte de la politique d’ouverture<br />

et de réformes, Deng Xiaoping, en était<br />

bien conscient lorsqu’il affirmait : “La réussite<br />

ultime de toutes nos réformes dépendra de<br />

“Ces dernières années, plus on<br />

réforme, moins ça va”, écrit sur son<br />

blog Zhang Qianfan, vice-président<br />

de l’Association nationale des<br />

juristes constitutionnalistes, en<br />

septembre 2010. “Les initiatives<br />

locales positives sont découragées par<br />

la réforme du système politique.” Mais,<br />

depuis vingt ans, il faut bien reconnaître<br />

que les efforts consacrés à la réforme du<br />

système politique ont été insuffisants. La<br />

prudence est de mise, car une théorie circule<br />

actuellement : la formidable réussite<br />

de l’économie serait une preuve du succès<br />

du système politique chinois. Selon cette<br />

logique, ce système resté sans changement<br />

notable pendant soixante ans était<br />

aussi bien adapté à l’économie planifiée<br />

qu’à l’économie de marché. Du fait de<br />

cette “supériorité politique” du “modèle<br />

chinois”, il n’a pas été besoin de l’amender<br />

jadis et ce n’est pas non plus nécessaire<br />

aujourd’hui. Or cette argumentation ne<br />

prend pas en compte la réalité objective<br />

du décalage entre le développement économique<br />

et le système politique ; elle va à<br />

l’encontre des décisions prises par le Parti<br />

communiste chinois pour se réformer et<br />

fait fi de l’opinion publique.<br />

Si la réforme du système politique<br />

n’avance pas, cela est dû également à certaines<br />

inquiétudes. On redoute surtout<br />

qu’une réforme politique trop irréfléchie<br />

n’aboutisse à des troubles sociaux. Ce<br />

genre d’appréhension est compréhensible<br />

et doit être pris au sérieux [environ<br />

100 000 manifestations de toutes sortes<br />

sont dénombrées chaque année], mais, si<br />

les hésitations sont trop nombreuses, elles<br />

ne feront que retarder les réformes et par<br />

conséquent accumuler de nouveaux fac-<br />

le gouvernement central, qui, par<br />

ailleurs, n’agit pas quand d’autres<br />

localités connaissent des dérives<br />

graves (expulsions arbitraires,<br />

corruption, répression des<br />

journalistes…). Si la réforme<br />

constitutionnelle a échoué, ce n’est pas<br />

Chine<br />

Shenzhen berceau d’une “deuxième réforme” ?<br />

60 ans de communisme en Chine. Dessin de Tom paru dans Trouw, Amsterdam.<br />

“La Chine qui vient”<br />

Un hors-série de Courrier<br />

<strong>international</strong> en vente à<br />

partir du 6 octobre 2010.<br />

Les questions posées<br />

par l’émergence de<br />

la Chine au monde<br />

et à elle -même.<br />

Reportages et analyses.<br />

teurs d’instabilité sociale. Il faut bien voir<br />

qu’après plus de trente ans de réformes le<br />

cadre général du système de l’économie de<br />

marché est bien posé. La structure économique<br />

et sociale de la Chine a enregistré<br />

des bouleversements fondamentaux, les<br />

liens économiques entre les régions et<br />

entre les différentes couches sociales se<br />

sont consolidés. Les relations se sont clarifiées<br />

entre les entreprises et les citoyens<br />

en matière de droit de propriété ou sur<br />

d’autres questions juridiques et on a assisté<br />

à une première prise de conscience de l’importance<br />

du respect des droits individuels,<br />

de la dignité humaine et de la participation<br />

de tous. Des associations telles que les<br />

ONG rayonnent de vitalité, tandis qu’une<br />

nouvelle génération de citoyens espère un<br />

éveil des consciences et la construction<br />

d’une société rationnelle. Aussi, dans la<br />

mesure où la réforme politique est progressive<br />

et ordonnée, il n’y a pas de raison<br />

de s’inquiéter de voir des troubles surgir<br />

aux quatre coins du pays. L’expérience des<br />

pays et territoires voisins qui ont connu<br />

des mutations prouve que les petites<br />

vagues de contestation sont quasi inévitables<br />

au cours d’une réforme des institutions<br />

politiques. Mais, dès lors que l’on<br />

s’achemine d’un pas ferme vers une véritable<br />

société démocratique, les mécanismes<br />

de fonctionnement économique et<br />

social modernes pourront difficilement<br />

être mis à mal. Il faut que les réformes politiques<br />

progressent au même rythme que<br />

les changements sociaux et culturels, et<br />

contribuent à un appr<strong>of</strong>ondissement des<br />

réformes économiques.<br />

Quand la zone économique spéciale de<br />

Shenzhen a été créée, il y a trente ans, elle<br />

a suscité de vives controverses durant<br />

toute la première phase de son développement<br />

[première à recevoir des capitaux<br />

seulement en raison du seul rejet de la<br />

réforme par le pouvoir central et local.<br />

La société a aussi du mal à réunir des<br />

forces pour faire contrepoids. Cette<br />

question importante, qui détermine<br />

la capacité d’agir du citoyen de base,<br />

va à l’avenir beaucoup nous occuper.”<br />

étrangers, favorisés par des avantages fiscaux,<br />

elle a été le modèle du passage de<br />

l’économie socialiste planifiée à l’industrie<br />

d’exportation], la question de fond étant<br />

de savoir si les réformes étaient ou non<br />

nécessaires. Si, à l’époque, le débat était<br />

surtout idéologique, aujourd’hui il repose<br />

plutôt sur l’assouvissement d’intérêts<br />

complexes. Pour faire avancer la réforme<br />

dans son ensemble, il faut créer des mécanismes<br />

de concertation entre les différents<br />

groupes d’intérêt pour éviter le monopole<br />

d’une minorité [les entrepreneurs liés au<br />

Parti] ainsi que la “tyrannie de la majorité”<br />

[une population égalitariste]. Cependant,<br />

les réformes ne coïncident jamais complètement<br />

avec les intérêts acquis de certains<br />

groupes. Actuellement, les conflits<br />

d’intérêts dans la société s’aggravent ; les<br />

mouvements de protestation se multiplient<br />

; les mentalités changent et on peut<br />

jouer sur les sentiments populaires. Les<br />

hommes politiques audacieux et clairvoyants<br />

ne devraient pas avoir de mal à<br />

trouver des forces sociales sur lesquelles<br />

s’appuyer pour lancer le bateau des réformes<br />

du système politique et faire voguer l’ensemble<br />

des réformes.<br />

Mécanismes de concertation<br />

Etant donné le caractère particulièrement<br />

délicat d’une réforme politique, ces deux<br />

dernières années on a préféré utiliser les<br />

termes de “réforme des pouvoirs publics”<br />

ou de “réforme de l’administration” à son<br />

propos. On a en fait cherché à esquiver sa<br />

mission principale et sa mise en application<br />

concrète n’en a pas été favorisée. Dans son<br />

discours, Wen Jiabao a assigné plusieurs<br />

missions à la réforme du système politique.<br />

“Il faut qu’elle protège les droits démocratiques<br />

et les intérêts légitimes du peuple. Il faut qu’elle<br />

incite le plus largement possible le peuple à gérer<br />

dans le respect de la loi les affaires de l’Etat, ainsi<br />

que les affaires économiques, sociales et culturelles.<br />

Il faut qu’elle permette de trouver une<br />

solution institutionnelle aux problèmes de la<br />

concentration excessive et du manque de limitation<br />

des pouvoirs, qu’elle crée les conditions<br />

permettant au peuple de critiquer et de<br />

contrôler l’action du gouvernement, et qu’elle<br />

combatte sans relâche la corruption et les malversations.<br />

Il faut édifier une société de justice<br />

et d’égalité, en s’attachant plus spécialement à<br />

garantir l’équité juridique, à protéger et aider<br />

les plus défavorisés, de manière à ce que les gens<br />

éprouvent le sentiment de vivre en sécurité et<br />

soient confiants dans le développement de la<br />

nation”, a-t-il déclaré. Ces quatre points<br />

essentiels ont beaucoup d’implications. Ils<br />

peuvent être considérés comme une voie<br />

d’entrée dans la réforme du système politique.<br />

Le plus important est que ces mesures<br />

soient rapidement mises en place.<br />

Hu Shuli*<br />

* Directrice du magazine Xin Shiji Zhoukan, ancienne<br />

directrice de l’hebdomadaire financier Caijing.


Philippines<br />

La question du divorce n’en finit pas de diviser<br />

Dans l’archipel, toujours sous<br />

l’emprise de l’Eglise catholique,<br />

annuler un mariage prend des<br />

années. Afin de briser ce carcan,<br />

une énième tentative pour le<br />

légaliser est en cours au Parlement.<br />

Asia Times Online, Hong Kong,<br />

Bangkok<br />

K<br />

arilyn, 30 ans, était mariée<br />

depuis moins de deux ans quand<br />

son mariage a viré à l’aigre. Mais,<br />

comme de nombreux Philippins dans sa<br />

situation, ses chances d’obtenir un divorce<br />

sont maigres. En effet, les lois d’inspiration<br />

catholique destinées à préserver le<br />

sacrement du mariage rendent illégal tout<br />

divorce <strong>of</strong>ficiel dans l’archipel. Karilyn a<br />

une liaison avec un Américain qui lui rend<br />

régulièrement visite depuis l’étranger. Elle<br />

a l’intention de demander un visa en tant<br />

que “fiancée” pour se marier aux Etats-<br />

Unis. Mais elle doit faire preuve de<br />

patience, sa demande d’annulation de<br />

mariage étant depuis plus de deux ans<br />

entre les mains de la justice, réputée pour<br />

sa lenteur ; sans compter que certains tribunaux<br />

familiaux de Manille affichent des<br />

taux de refus de 95 %. En attendant, Karilyn<br />

ne peut prendre le risque de vivre avec<br />

un nouveau partenaire car, même si elle<br />

est séparée de son époux, elle encourrait<br />

six ans de prison. Un projet de loi en cours<br />

d’examen au Congrès visant à légaliser le<br />

divorce a mis cette question sous les feux<br />

de l’actualité. Le texte devrait être défendu<br />

âprement par les défenseurs des droits de<br />

l’homme, très présents au Parlement, ainsi<br />

que par les femmes députées, de plus en<br />

plus nombreuses. Coïncidence, le dépôt<br />

du projet de loi intervient à l’heure où la<br />

sœur – et célèbre actrice – du président<br />

Benigno Aquino se bat avec acharnement<br />

pour obtenir la séparation d’avec son mari<br />

athlète après cinq ans de mariage.<br />

Hostilité masculine<br />

Depuis plus de trente ans, les députés philippins<br />

tentent de légiférer sur le divorce.<br />

En vain. A chaque fois, la très influente<br />

Eglise catholique fait barrage et les initiatives<br />

font long feu, faute de partisans<br />

résolus dans un Congrès à dominante masculine.<br />

Le rôle primordial de l’Eglise dans<br />

le débat sur le divorce en dit long sur son<br />

pouvoir politique et social dans un<br />

pays qui compte 85 % de catholiques<br />

pratiquants. L’institution y est perçue<br />

comme un bastion d’autorité morale au sein<br />

d’une population qui a subi des décennies<br />

d’un régime répressif et corrompu. Cette<br />

influence transparaît par exemple dans la<br />

croisade menée actuellement par un archevêque<br />

à la retraite contre les paris truqués<br />

qu’organisent ou protègent des fonctionnaires<br />

véreux. Parallèlement, l’Eglise a été<br />

Dessin de Modan paru dans Haaretz, Israël.<br />

vivement critiquée pour son soutien en<br />

faveur de mesures d’un autre âge sur les<br />

questions liées à la procréation. On lui<br />

reproche d’avoir favorisé, par son encouragement<br />

aux familles nombreuses, une<br />

croissance démographique effrénée qui<br />

contribue à une pauvreté chronique et à un<br />

fort taux de chômage [12 e pays le plus peuplé<br />

au monde avec 90 millions d’habitants, les<br />

Philippines en abriteront 140 millions en<br />

2040 si rien n’est entrepris pour contrôler<br />

les naissances].<br />

De récents sondages indiquent que les<br />

femmes sont plus favorables que les<br />

hommes à la légalisation du divorce : 40 %<br />

des femmes soutiendraient ce projet de loi,<br />

contre seulement 8 % des hommes. Pour<br />

expliquer cette réticence masculine, certains<br />

évoquent l’hypocrisie inhérente à une<br />

culture qui voit dans le nombre de maîtresses<br />

qu’un homme entretient un signe<br />

de réussite sociale. “Il semble que les maîtresses<br />

aient acquis une certaine respectabilité”<br />

et que les épouses soient censées rester<br />

“effacées et fidèles” et supporter leur sort<br />

pour le bien de la famille, écrit la chroniqueuse<br />

Julie Yap Daza dans son best-seller<br />

Etiquette for Mistresses… and what wives can<br />

learn from them [Règles de savoir-vivre à<br />

l’usage des maîtresses… et ce que les<br />

épouses peuvent en apprendre]. Une autre<br />

raison est certainement d’ordre financier.<br />

Certes, la légalisation du divorce autoriserait<br />

des remariages, mais elle ouvrirait la<br />

voie à des demandes de versement de pension<br />

alimentaire auprès des tribunaux pour<br />

les enfants nés de mariages rompus, une<br />

obligation à laquelle se dérobent aujourd’hui<br />

nombre d’hommes séparés.<br />

Déclin du mariage<br />

Les couples philippins en crise n’ont<br />

actuellement comme porte de sortie que<br />

la séparation légale ou l’annulation du<br />

mariage. Toutefois, la séparation légale ne<br />

dissout pas le mariage et aucun des partenaires<br />

n’a le droit de se remarier. Après<br />

une séparation légale, les anciens époux<br />

peuvent être accusés, s’ils vivent avec<br />

quelqu’un d’autre, d’adultère ou de concubinage,<br />

un délit passible d’une peine de<br />

prison. Les motifs de séparation légale<br />

comprennent l’homosexualité, la violence<br />

physique répétée et l’abandon. L’annulation<br />

du mariage peut quant à elle être<br />

demandée lorsque celui-ci était initiale-<br />

Société<br />

Le président Aquino marche sur des œufs<br />

Opposé au divorce mais…<br />

favorable au remariage.<br />

La prise de position du<br />

président des Philippines,<br />

pour le moins contradictoire<br />

semble-t-il, illustre<br />

l’inconfort du pouvoir,<br />

contraint de composer avec<br />

l’influente Eglise catholique.<br />

Benigno Aquino III,<br />

qui vient de franchir<br />

le cap des cent jours à la tête<br />

des Philippines, s’est donc<br />

déclaré contre<br />

le divorce, mais<br />

pour des<br />

séparations<br />

légales qui<br />

autoriseraient de<br />

nouvelles unions,<br />

lit-on dans le<br />

Philippine Daily<br />

Inquirer. L’Eglise<br />

n’est pas près<br />

de lâcher du lest sur<br />

l’interdiction du divorce.<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 35<br />

Pas plus qu’elle<br />

ne l’est sur la non<br />

moins sensible<br />

question de<br />

la contraception,<br />

abordée elle aussi<br />

par un texte<br />

transmis<br />

aux législateurs.<br />

En affirmant<br />

que l’Etat<br />

financerait la contraception<br />

des plus pauvres s’ils le<br />

ment illégal pour certaines raisons, notamment<br />

si l’un des époux avait moins de 18 ans<br />

lors de la célébration des noces ou s’il s’agit<br />

d’une union incestueuse. De même, un<br />

mariage peut être légalement dissous si le<br />

consentement de l’un des époux a été<br />

obtenu de manière frauduleuse, ou bien en<br />

cas de dissimulation d’une condamnation<br />

pénale antérieure, de non-divulgation de<br />

toxicomanie, ou encore de grossesse non<br />

déclarée avec un autre partenaire.<br />

En raison de ces motifs pour le moins<br />

restreints, ce n’est pas un hasard si davantage<br />

de couples choisissent de vivre en<br />

concubinage, comme en témoigne la<br />

baisse du nombre de mariages religieux<br />

inscrits au registre catholique. De plus en<br />

plus de Philippins décident aussi de se<br />

marier loin du sol national, sachant qu’il<br />

existe un vide juridique concernant les<br />

divorces à l’étranger. Pour leur part, les<br />

divorces obtenus à l’étranger entre deux<br />

“Les maîtresses<br />

ont acquis, semble-t-il,<br />

une respectabilité”<br />

citoyens philippins ne sont pas reconnus<br />

aux Philippines, en vertu du “principe de<br />

nationalité” consacré par le code civil, qui<br />

lie les Philippins aux lois nationales<br />

concernant les droits et devoirs familiaux.<br />

Dans sa mouture actuelle, le projet de loi<br />

sur le divorce prévoit tout un ensemble de<br />

motifs de dissolution des liens du mariage :<br />

absence de vie commune depuis cinq ans,<br />

incapacité psychologique, mésentente<br />

insurmontable, etc. Et, contrairement à<br />

ce que peuvent craindre l’Eglise et les<br />

conservateurs, la légalisation du divorce<br />

pourrait en réalité encourager davantage<br />

de couples à se marier. D’ici là, Karilyn et<br />

des milliers d’autres doivent se contenter<br />

d’espérer, envers et contre tout, qu’un tribunal<br />

acceptera d’annuler leur mariage<br />

afin de pouvoir refaire leur vie.<br />

Joel D. Adriano<br />

désirent [voir CI n° 1039,<br />

du 30 septembre 2010],<br />

le président a brisé un tabou<br />

et s’est attiré les foudres<br />

de la hiérarchie catholique,<br />

qui n’exclut pas d’en appeler<br />

à la désobéissance civile<br />

(une de l’Inquirer<br />

ci-contre), comme elle<br />

l’a fait en 1986 pour<br />

contester la réélection<br />

frauduleuse de Ferdinand<br />

Marcos.


36 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Asie<br />

Inde<br />

L’hindouisme s’invite dans les églises<br />

Pour favoriser l’évangélisation,<br />

de nombreuses paroisses<br />

ont adapté leur architecture,<br />

leur iconographie et même<br />

leur rituel, en les assimilant<br />

aux traditions locales.<br />

Open (extraits) New Delhi<br />

A<br />

près avoir scellé le mariage de<br />

Rebecca Sarkar et Alan Felix à<br />

l’église du Sacré-Cœur de la ville<br />

de Bardhaman, au Bengale occidental,<br />

dans l’est du pays, le père Sebastian<br />

Rodrigues n’invite pas les nouveaux époux<br />

à s’embrasser mais à échanger des guirlandes.<br />

Alan passe un mangalsutra (collier<br />

de mariage hindou) autour du cou de sa<br />

femme et lui applique le sindoor [poudre<br />

vermillon, marque du mariage dans l’hindouisme]<br />

sur le front. La mariée ne porte<br />

pas une robe blanche mais un sari de soie<br />

rouge de Bénarès.<br />

“Nous avons repris beaucoup de symboles<br />

locaux et de rituels pratiqués par les hindous<br />

ou les adivasis [aborigènes d’Inde] – nombre<br />

de membres de notre congrégation sont issus<br />

de ces communautés, confie le père Sebastian.<br />

Après tout, pour qu’ils considèrent cette<br />

église comme la leur, il faut qu’elle soit locale<br />

et indigène de nature.” Les vitraux de<br />

l’église du Sacré-Cœur, construite en 1870<br />

et rénovée il y a deux ans, illustrent les<br />

mystères du rosaire, mais tous les personnages<br />

ont des traits indiens. Dans la<br />

nef, il n’y a pas de bancs, les fidèles s’accroupissent<br />

et regardent le prêtre accomplir<br />

l’aarti [rotation de la flamme à la fin<br />

de la prière hindoue] avec une lampe à<br />

huile. De plus en plus d’églises indiennes<br />

affichent fièrement des éléments de la<br />

culture locale. Dans un lieu de culte de<br />

Bangalore, dans le sud de l’Inde, Jésus<br />

porte un dhoti [pièce de coton que les<br />

hommes s’enroulent autour des hanches]<br />

et il est assis en tailleur, à l’indienne, sur<br />

un lotus, à l’image d’une divinité hindoue.<br />

L’architecture des nouvelles églises<br />

s’éloigne notablement de l’ancien style<br />

européen. La cathédrale de Kohima, dans le<br />

Nagaland (nord-est du pays), ressemble à<br />

une maison naga traditionnelle. Un séminaire<br />

de Shillong, dans le Meghalaya, possède<br />

une grande fresque qui montre un<br />

Jésus aux traits autochtones entouré<br />

d’hommes et de femmes vêtus de tenues<br />

traditionnelles khasi et garo [deux tribus qui<br />

peuplent cette région]. De grandes fresques<br />

de la Cène où Jésus et ses apôtres sont tous<br />

vêtus de dhoti et assis en tailleur à même le<br />

sol seront installées dans plusieurs églises<br />

du pays durant les mois à venir.<br />

Tout cela s’inscrit dans le cadre du programme<br />

d’acculturation décidé par le<br />

concile Vatican II, en 1965, et énergiquement<br />

relancé sur décision de la 34e Congrégation<br />

générale des Jésuites, réunie au<br />

En août et septembre 2008, des<br />

nationalistes hindous s’en sont pris<br />

violemment aux chrétiens dans<br />

l’Etat d’Orissa, dans le nord-est du<br />

pays, sous prétexte qu’ils faisaient<br />

du prosélytisme. La vague de<br />

violence a fait plusieurs centaines<br />

Vatican en 1995. L’acculturation est l’un<br />

des aspects fondamentaux de la mission<br />

d’évangélisation de l’Eglise. “Le christianisme<br />

était jadis assimilé aux traditions et aux<br />

styles européens mais tout cela a changé au<br />

cours des dernières années”, indique le père<br />

Babu Joseph, porte-parole de la Conférence<br />

des évêques catholiques d’Inde. De<br />

plus, l’Eglise indienne n’est pas uniforme,<br />

la liturgie varie selon les régions. “Dans le<br />

Kerala, elle ressemble aux pratiques hindoues,<br />

alors que dans le centre et le nord-est l’influence<br />

adivasie est très prononcée.”<br />

Pour autant, le processus d’acculturation<br />

n’est pas toujours facile, explique M gr<br />

Cyprian Monis, du diocèse de Bardhaman :<br />

“Dans certaines régions, la vieille génération,<br />

habituée à la liturgie de style européen, a émis<br />

quelques réserves. Nous avons également<br />

constaté que les nouveaux convertis au christianisme<br />

étaient plus orthodoxes.” Dans un tel<br />

contexte, Subrata Ganguly joue un rôle<br />

important. Bien qu’il soit hindou de confes-<br />

de morts et provoqué le déplacement<br />

de près de 50 000 personnes. Des<br />

milliers de maisons, institutions et<br />

lieux de culte ont aussi été détruits.<br />

Aujourd’hui, les victimes des<br />

violences antichrétiennes n’ont<br />

toujours pas obtenu justice.<br />

De plus en plus de fresques représentent Jésus en dhoti,<br />

un pagne traditionnel indien.<br />

Diversité religieuse<br />

Répartition des croyants en Inde (2001)<br />

Hindous<br />

79,9 %<br />

Autres<br />

0,6 %<br />

Jaïns<br />

0,4 %<br />

13,3 %<br />

Musulmans<br />

Chrétiens<br />

2,3 %<br />

dont 1,7 %<br />

de catholiques<br />

Sikhs<br />

1,9 %<br />

Bouddhistes<br />

1,6 %<br />

Sources : “Atlas de l’Inde” (Autrement), “Census <strong>of</strong> India 2001”<br />

sion, c’est lui qui conçoit et réalise tous les<br />

projets en association avec le diocèse.“Une<br />

fois qu’une paroisse a décidé la construction<br />

d’une nouvelle église ou la rénovation d’une<br />

église existante, nous nous rendons sur place,<br />

nous nous entretenons longuement avec le prêtre<br />

et avec les paroissiens. Ensuite, nous dressons<br />

un premier plan en accord avec les thèmes canoniques.<br />

Les paroissiens s’opposent souvent aux<br />

changements. Ce n’est qu’une fois obtenu le feu<br />

vert du prêtre et de la majorité des paroissiens<br />

– il est impossible de satisfaire tout le monde,<br />

nous poursuivons le projet si 80 % d’entre eux<br />

sont d’accord – que nous soumettons à l’évêque<br />

ou à l’archevêque les plans définitifs”, préciset-il.<br />

Il a travaillé avec plus de cent diocèses<br />

catholiques indiens et monté des projets<br />

dans plusieurs centaines d’églises.<br />

Un hindou pratiquant, brahmane de<br />

surcroît, qui convainc des catholiques de<br />

la nécessité de donner un aspect indien à<br />

Jésus ou Marie, voilà qui est atypique. “Il<br />

n’y a pas de contradiction entre mes convictions<br />

religieuses et le travail que je fais pour<br />

l’Eglise catholique, déclare sobrement<br />

Subrata Ganguly. Je fais la puja [prière] tous<br />

les jours chez moi et je suis un disciple de Baba<br />

Lokenath [sage hindou bengali qui compte des<br />

millions d’adeptes]. J’ai lu beaucoup de textes<br />

religieux hindous, mais aussi pas mal de théologie<br />

chrétienne. Ces deux religions prêchent<br />

l’amour, l’humanité, la compassion, la charité…<br />

il n’y a donc pas de conflit d’intérêts.”<br />

Dans les deux ateliers de Subrata Ganguly,<br />

une cinquantaine d’ouvriers – musulmans,<br />

hindous, jaïns, bouddhistes, et<br />

quelques chrétiens – travaillent d’arrachepied<br />

sur des statues, des fresques, des<br />

vitraux et autres objets pour les églises de<br />

toute l’Inde et même d’autres pays. Le<br />

studio porte le nom de Church Arts mais<br />

la société qui en est propriétaire se nomme<br />

Lokenath Engineering, voilà qui résume<br />

bien l’affaire. Jaideep Mazumdar<br />

de la semaine<br />

“parivartan”<br />

la conversion<br />

Alors que la Constitution indienne<br />

garantit la liberté religieuse<br />

à tout citoyen, une loi anti-conversion,<br />

interdisant d’abjurer la religion<br />

de ses parents a été adoptée<br />

dans six Etats fédéraux. Ce raidissement<br />

s’explique en partie par une lecture<br />

religieuse de l’Histoire, puisque<br />

beaucoup de gens en Inde considèrent<br />

que la population hindouiste,<br />

majoritaire, a subi durant des centaines<br />

d’années un long calvaire aux mains<br />

des envahisseurs musulmans, d’abord,<br />

puis des colonisateurs chrétiens.<br />

Les partisans du national-hindouisme<br />

attisent le sentiment d’insécurité<br />

sur lequel se fonde aujourd’hui<br />

ce mouvement contre la conversion<br />

religieuse. La conversion n’est pas<br />

comprise en Inde comme<br />

une orientation vers quelque chose<br />

(con “avec” et vertere “tourner”,<br />

en latin), mais comme un reniement.<br />

Le mot hindi parivartan, qui vient<br />

directement du sanskrit, est composé<br />

du suffixe pari qui veut dire “autour de”,<br />

“dans la direction de” et de vartate<br />

qui veut également dire “tourner”,<br />

comme le verbe latin qui lui est<br />

étymologiquement lié. Se convertir,<br />

en Inde, peut être une manière radicale<br />

de se détourner de l’hindouisme.<br />

Ainsi, le célèbre défenseur<br />

des intouchables Ambedkar s’est<br />

converti au bouddhisme en 1956 afin<br />

de rejeter une religion qui, en légitimant<br />

le système des castes, condamnait<br />

les intouchables à l’humiliation<br />

et à l’exclusion.<br />

Cependant, parivartan peut aussi avoir<br />

le sens de changement, de variation.<br />

Le pouvoir de séduction de l’Inde<br />

vis-à-vis de ses conquérants qui<br />

intégrèrent leur richesse culturelle<br />

à celle du sous-continent, pour l’enrichir<br />

de mille variations, est désormais<br />

célèbre. La fusion qui s’opéra avec<br />

la grande culture moghole en est un bel<br />

exemple. On peut dès lors se demander<br />

qui est le converti lorsque l’Eglise<br />

catholique, en quête de fidèles indiens,<br />

se pare de tous les attributs<br />

de l’hindouisme au point d’en perdre<br />

de vue ses origines romanes.<br />

Mira Kamdar<br />

Calligraphie d’Abdollah Kiaie<br />

OPEN Le mot


Indonésie<br />

Tristes tropiques<br />

L’îlot paradisiaque de Berhala<br />

était promis à un développement<br />

sans égal. Mais la lutte<br />

à couteaux tirés entre deux<br />

provinces a tout gâché et<br />

a poussé la population à l’exode.<br />

Kompas Jakarta<br />

A<br />

mi-chemin du littoral de Sumatra<br />

et de l’archipel de Riau, l’îlot<br />

de Berhala [nom d’origine sanskrit<br />

signifiant “idole” en indonésien] est<br />

plongé dans un silence de mort. Les<br />

enfants galopant entre les rochers et les<br />

cocotiers sur fond de coucher du soleil ont<br />

disparu, tout comme les vieux qui se<br />

retrouvaient dans les petits cafés le long<br />

d’une plage éblouissante de beauté. Où<br />

sont-ils tous passés ? Il y a quatre ans,<br />

lorsque Kompas était venu sur cette île,<br />

Berhala palpitait de vie. Mais à présent ?<br />

Plus âme qui vive. On se croirait sur une<br />

île déserte. Berhala est victime des rivalités<br />

entre les provinces de Jambi et de<br />

en partenariat avec<br />

Un îlot disputé<br />

Equateur<br />

SUMATRA<br />

Océan<br />

Indien<br />

500 km<br />

MALAISIE<br />

JAMBI<br />

SING.<br />

KEPRI<br />

Mer de Chine<br />

méridionale<br />

Ile de Berhala<br />

JAVA<br />

Kepri, qui revendiquent chacune l’autorité<br />

administrative sur cet îlot aux plages<br />

paradisiaques. Avançant l’argument d’une<br />

plus grande proximité géographique,<br />

Jambi se prévaut également de la présence,<br />

sur cette île, du tombeau de Paduko<br />

Berhala, l’ancien roi malais de Jambi. Pour<br />

1.<br />

BORNÉO<br />

INDONÉSIE<br />

Jakarta<br />

1. Archipel des îles Riau<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 37<br />

sa part, Kepri, tout en brandissant l’ordonnance<br />

31 de 2003 sur la formation de<br />

la préfecture de Lingga, fait valoir elle<br />

aussi un fait historique, à savoir que<br />

Berhala était jadis sous l’autorité du sultan<br />

de Lingga. Appelé à trancher ce contentieux,<br />

le ministre de l’Intérieur a décrété<br />

le statu quo, si bien que nombre de projets<br />

de développement sur l’île ont été gelés.<br />

Dès lors, au cours de ces deux ou trois<br />

dernières années, raconte Junaedi, un des<br />

rares à être resté, plus de soixante familles<br />

ont quitté les lieux. Les maisons sont vides,<br />

certaines laissées à l’abandon, les portes<br />

grandes ouvertes, aussi bien dans le sud de<br />

l’île que dans le nord, autrefois habité par<br />

des citoyens originaires de la province de<br />

Kepri. Idem pour les bâtiments publics,<br />

écoles ou dispensaires de santé, qui ont<br />

fermé leurs portes. Leur personnel s’est<br />

envolé il y a un an.<br />

Bien que Berhala soit aujourd’hui désertée,<br />

les fonctionnaires locaux font comme<br />

si de rien n’était. Lorsque le préfet ou son<br />

adjoint souhaitent y effectuer une visite, le<br />

chef du canton rapatrie aussitôt un certain<br />

nombre de citoyens qui ont déjà émigré sur<br />

le “continent” afin de faire bonne figure et<br />

de procurer de l’animation à cette île de<br />

60 hectares. A l’occasion de ces déplacements<br />

<strong>of</strong>ficiels, Junaedi a tenté à plusieurs<br />

reprises d’alerter les autorités. Certains élus<br />

lui ont fait des promesses, toutes restées<br />

lettre morte à ce jour.<br />

Un silence de mort similaire règne dans<br />

la partie nord de l’île acquise par la province<br />

de Kepri en 2006 en vue de mettre en œuvre<br />

un programme de migrations. Aujourd’hui,<br />

sur les trente maisons construites à cet effet,<br />

vingt-quatre sont inhabitées. Leurs occupants<br />

ne se déplacent que lorsque les<br />

employés de la préfecture de Lingga [la<br />

grande île au nord de Berhala] débarquent<br />

pour distribuer de l’aide alimentaire. Sitôt<br />

leurs vivres réceptionnés, ils quittent l’île.<br />

Vite fait, bien fait. Ainsi en va-t-il de l’autonomie<br />

régionale [accélérée à partir de la fin<br />

des années 1990] : elle nous fait souvent<br />

oublier que nous formons un seul et même<br />

pays ; et les façons d’interpréter cette unité<br />

minent tout bonnement le bien-être des<br />

citoyens. Irma Tambunan<br />

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- © Matson


38 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Moyen-Orient<br />

Israël<br />

Lod, une tumeur au cœur du pays<br />

Pas besoin d’aller en Cisjordanie<br />

pour voir la détresse. Malgré son<br />

passé historique, la ville qui abrite<br />

le principal aéroport israélien<br />

semble à l’abandon. Tous les<br />

projets pour la sauver ont échoué.<br />

Ha’Aretz Tel-Aviv<br />

F<br />

in septembre, un de mes amis m’a<br />

téléphoné. Apprenant que je me<br />

trouvais à Lod – la ville, pas l’aéroport<br />

<strong>international</strong> –, il m’a demandé ce<br />

que je pouvais bien faire dans la ville des<br />

“kaspomatim” [guichets automatiques].<br />

C’est le surnom que l’on donne à ces petites<br />

niches creusées dans les murs de certains<br />

immeubles du quartier de la gare ou de<br />

Dahamsh [le quartier arabe], où les drogués<br />

n’ont qu’à glisser un peu d’argent pour<br />

qu’une main anonyme leur livre leur dose.<br />

Non, l’ai-je rassuré, je n’étais pas là pour ça.<br />

Je participais à une visite de la ville organisée<br />

par le KLL, le Fonds pour le développement<br />

de Lod. J’étais entouré d’industriels,<br />

d’entrepreneurs et de notables. Nous<br />

venions juste d’écouter une sonate pour<br />

flûte de Bach interprétée par un ensemble<br />

local dans une fabrique désaffectée d’huile<br />

d’olive. “Voilà bien un rêve d’ashkénaze”, m’a<br />

lâché mon ami, avant de raccrocher.<br />

Un triangle de la paix<br />

C’était deux jours à peine après le survol<br />

aérien organisé par Shalom Akhshav [La<br />

Paix maintenant] au-dessus des Territoires<br />

occupés, un événement médiatisé et ponctué<br />

par une déclaration du dramaturge<br />

Yehoshua Sobol. Ce dernier a dit avec un<br />

sens certain de l’emphase que, vues du ciel,<br />

les implantations de peuplement [les colonies<br />

juives] ressemblaient à des tumeurs<br />

malignes. Cette déclaration lui a permis<br />

de se faire inviter sur tous les plateaux de<br />

télévision israéliens. Pendant ce temps,<br />

moi, sans avion, dans un taxi collectif, je<br />

tentais d’approcher au plus près l’une des<br />

métastases les plus sournoises d’Israël,<br />

mais sur laquelle aucun n’a jamais songé<br />

à se pencher. Chers chirurgiens en herbe,<br />

Colonisation<br />

venez donc soigner ce furoncle planté à<br />

moins de quinze minutes de Tel-Aviv,<br />

avant de vous piquer de cancérologie.<br />

Il y a une vingtaine d’années, dans un cinéma<br />

berlinois, j’avais assisté à la projection de<br />

deux films autobiographiques et déchirants<br />

d’une célèbre native de Lod, Tzipi Reichenbach.<br />

Choix et destinée parlait de ses parents,<br />

des rescapés de la Shoah, qui terminaient<br />

leurs jours dans un home public pour personnes<br />

âgées. Une ville sans pitié évoquait<br />

cette ville dans laquelle la famille pansait<br />

tant bien que mal ses blessures. A l’époque,<br />

Lod donnait déjà l’image un peu facile d’un<br />

monceau de détritus décadent, d’une ville<br />

en ruine qui, parfois, dans un improbable<br />

Les chantiers prêts à redémarrer<br />

Les travaux de<br />

construction dans<br />

certaines colonies, en<br />

Cisjordanie, ont repris le<br />

27 septembre à l’aube,<br />

dès l’expiration du<br />

moratoire sur la<br />

colonisation décrété en<br />

novembre 2009. Selon<br />

The Christian Science<br />

NKIK DAVIDOV/IAA/AFP<br />

Monitor, “au moins<br />

2 066 logements sont<br />

prêts à être construits.<br />

Il s’agit de projets ayant<br />

déjà obtenu le permis<br />

de construire<br />

et les autorisations<br />

gouvernementales,<br />

et dont les travaux<br />

de viabilisation sont<br />

Les fouilles ayant permis la découverte, en 1996, des mosaïques<br />

romaines datant de 1700 ans. Photo publiée par l’Autorité israélienne<br />

des antiquités, le 13 octobre 2009.<br />

déjà bien avancés. Les<br />

colonies où les projets<br />

les plus importants<br />

peuvent être réalisés<br />

sont : Givat Zeev<br />

(300 logements), Modiin<br />

Illit (260 logements), Beitar<br />

Illit (150 logements), Har<br />

Gilounits (138 logements)<br />

et Ariel (136 logements).”<br />

moment de grâce, pouvait soudain laisser<br />

pousser une fleur. Une ville sans pitié fourmillait<br />

en fait d’une pr<strong>of</strong>usion de tels<br />

moments de grâce, telle la découverte<br />

d’une des plus belles mosaïques romaines<br />

jamais exhumées en Israël et accidentellement<br />

déterrée durant les travaux de<br />

creusement d’une avenue, avait été<br />

envoyée à Jérusalem, puis exposée au<br />

Metropolitan Museum de New York.<br />

L’église Saint-Georges de Lod est également<br />

une pure merveille. Son nom fait<br />

référence au saint terrassant le dragon et<br />

la tradition chrétienne veut qu’il soit<br />

enterré ici. Dans le film, un prêtre grec<br />

orthodoxe ouvre les portes de l’immense<br />

sanctuaire dominé par un énorme candélabre<br />

en or, un cadeau pompeux et grandiloquent<br />

du tsar de Russie.<br />

Sans doute inspirée par Georges le<br />

téméraire, chaque génération de Lod voit<br />

apparaître un nouveau héros qui se dit prêt<br />

à <strong>of</strong>frir ses services pour terrasser le<br />

dragon qui menace de dévorer ses habitants.<br />

Le nom du nouveau chevalier servant<br />

est Aviv Wasserman, PDG du KLL.<br />

Avec son épouse, Ruth, ils forment un<br />

couple typiquement israélien. Depuis des<br />

années, ils se vouent corps et âme à Lod,<br />

et ce sont eux qui ont décidé d’organiser<br />

ce tour à travers les quartiers les plus durs<br />

de la ville, ceux-là mêmes qui font les titres<br />

de la rubrique des faits divers.<br />

Les enfants de Lod, eux, ne font généralement<br />

pas parler d’eux, et personne ne<br />

se soucie d’eux. Des fenêtres de notre bus,<br />

nous avons tout de même pu les voir nous<br />

accueillir, nous les envahisseurs, avec toute<br />

une panoplie de gestes obscènes. Le KLL<br />

voit grand. L’ambition première de ses fondateurs<br />

est de développer, rien de moins, un<br />

“triangle de la paix” entre l’église Saint-<br />

Georges, la belle et ancienne Grande Mosquée<br />

[ jusqu’en 1948, Lod était une ville<br />

arabe musulmane et chrétienne ; c’est la ville<br />

natale du leader palestinien Georges Habache]<br />

et la synagogue Shaar Hashamaïm [La porte<br />

des cieux], érigée dans les années 1970.<br />

Leur seconde ambition est de terrasser le<br />

dragon. Les dragons, faudrait-il dire. Il y a,<br />

par exemple, le Quartier 68, un camp de<br />

réfugiés établi à la fin des années 1970 par<br />

des Bédouins expulsés du Néguev après que<br />

l’armée israélienne eut évacué le Sinaï et qui<br />

est aujourd’hui un ensemble hétéroclite de<br />

villas somptueuses et de cabanes pourries.<br />

Les enfants du dragon<br />

Le dragon a eu le temps d’enfanter de nombreux<br />

autres rejetons, tel le secteur de<br />

Pardes Snir, célèbre pour ses règlements de<br />

comptes entre trafiquants de drogue. Mais<br />

le plus terrible des enfants du dragon est le<br />

quartier de la gare, avec ses 20 000 habitants<br />

et ses barons de la drogue. Cela fait plusieurs<br />

générations que ces gens vivent dans un<br />

endroit qui ne se trouve sur aucune carte,<br />

mais fait néanmoins fuir tous ceux qui s’en<br />

approchent. C’est ainsi que le quartier juif<br />

prospère de Gannei Aviv et le village Nir<br />

Tzvi ont tous deux carrément érigé une<br />

haute muraille de séparation en béton, à la<br />

manière de la clôture de séparation dans les<br />

Territoires occupés, pour “se protéger” de<br />

leurs voisins. Sauf qu’ici aucun militant pacifiste<br />

n’est jamais venu et ne viendra sans<br />

doute jamais manifester.<br />

Car, dans cette ville, comme à l’époque<br />

féodale, une forteresse en jouxte une autre,<br />

comme la forteresse de ce quartier ultraorthodoxe<br />

qui jouxte une autre forteresse<br />

récemment bâtie par de jeunes militants<br />

nationalistes religieux. A Lod, on trouve<br />

aussi les vestiges d’un projet idéaliste<br />

récent, mais qui s’est cruellement effondré,<br />

le quartier de Neveh Shalom [L’oasis de la<br />

paix], dans lequel les autorités municipales<br />

de Lod avaient espéré implanter des Arabes<br />

squattant des quartiers illégaux en légalisant<br />

leur statut et en les relogeant dans des<br />

maisons cubiques en béton et peintes selon<br />

des motifs d’inspiration orientale. La municipalité<br />

avait même baptisé les rues de ce<br />

nouveau quartier d’après des personnages<br />

héroïques de l’islam et bâti un lycée d’Etat<br />

en langue arabe et un jardin d’enfants.<br />

Aujourd’hui, seule une petite partie de ces<br />

logements sont encore habités, tandis que<br />

les autres sont vides et tombent en ruine.<br />

Quant au dragon, Dieu nous garde, il est toujours<br />

bien vivant. Benny Ziffer


Moyen-Orient<br />

Arabie Saoudite<br />

Pour en finir avec les fatwas<br />

Réserver l’interprétation<br />

des textes sacrés aux dignitaires<br />

religieux désignés par le pouvoir ?<br />

Cette mesure soulève la colère<br />

des islamistes, sans pour autant<br />

plaire aux libéraux.<br />

Minbar Al-Hewar Houston<br />

L<br />

e roi Abdallah a décidé cet été que<br />

seuls les membres du Conseil des<br />

grands oulémas auront désormais<br />

le droit d’émettre des fatwas [réponses<br />

à des questions diverses, fondées sur l’interprétation<br />

des textes religieux]. Depuis,<br />

des sites Internet saoudiens ont supprimé<br />

des rubriques et des programmes de télévision<br />

spécialisés ont été annulés. Reste à<br />

savoir s’il va être possible d’appliquer effectivement<br />

cette interdiction à une époque<br />

où les chaînes satellitaires se multiplient<br />

et où Internet échappe à tout contrôle.<br />

Au-delà de la simple faisabilité, le décret<br />

royal a suscité une énorme polémique. L’impact<br />

des fatwas saoudiennes dépasse les<br />

frontières de notre pays et régit désormais<br />

d’autres sociétés musulmanes, dont elles<br />

freinent le développement et le progrès. Il<br />

suffit de regarder les émissions religieuses<br />

pour constater le crédit accordé par le public<br />

aux docteurs de la foi saoudiens. Cela<br />

concerne tous les domaines, tels que le<br />

statut personnel, le mariage et le divorce,<br />

l’économie ou les rapports avec l’Occident.<br />

Parmi les intellectuels saoudiens, Mansour<br />

Al-Al-Nougaydan [ex-islamiste devenu libéral]<br />

prédit l’échec de la mesure, puisque,<br />

rappelle-t-il, “l’islam sunnite rejette les hiérarchies<br />

et l’exclusivité de l’autorité religieuse”.<br />

Quant à Abdallah Abou Al-Samh, éditorialiste<br />

du quotidien saoudien Okaz, il<br />

demande qu’“on ne touche pas à la liberté<br />

de recherche et d’enseignement des textes<br />

religieux”, indispensable à “la production<br />

d’interprétations modernes”. Abdallah Nasser<br />

Al-Fawzan, du quotidien Al-Watan, souligne<br />

un autre point important : “Les fatwas ne sont<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 39<br />

Al-Watan sur la réforme<br />

des conseils municipaux.<br />

L’article du quotidien saoudien<br />

Sur le web<br />

L’impossible<br />

démocratie<br />

www.<strong>courrier</strong><br />

<strong>international</strong>.com/<br />

Meurtre… Haine… Mort… Violence… Destruction… … C’est la volonté de Dieu… … Stop…<br />

… Paragraphe suivant… Dessin de Paul Zanetti, Australie.<br />

pas sacrées, même émanant du Conseil des<br />

grands oulémas. Personne ne pourra donc<br />

empêcher les gens d’en discuter, ni les leaders<br />

d’opinion de s’exprimer.” Cela est d’autant<br />

plus vrai que la légitimité de ce conseil n’est<br />

pas indiscutable, comme le fait remarquer<br />

l’activiste islamiste Mohsen Al-Awaji, qui<br />

réclame la création d’un Conseil indépendant.<br />

On dit toujours que l’une des principales<br />

différences entre notre religion et le<br />

christianisme réside dans le fait que l’islam<br />

CAGLE CARTOONS<br />

sunnite ne connaît pas de clergé. Or nous<br />

nous trouvons aujourd’hui, selon l’expression<br />

de l’intellectuel Ahmed Adnan, en présence<br />

d’une “patriarchisation” du mufti qui<br />

émet des fatwas. Une telle évolution ne<br />

peut s’appuyer sur aucun fondement dans<br />

l’islam. Pis, la création de la fonction <strong>of</strong>ficielle<br />

de mufti est une invention blâmable<br />

(bidâa) des Ottomans, motivée par des raisons<br />

politiques et administratives. D’autres<br />

mettent en garde contre le risque de remplacer<br />

le Coran par des dits d’imams et de<br />

substituer à la parole de Dieu celle de tel ou<br />

tel savant religieux, ce qui ne serait rien<br />

d’autre que de l’associationnisme.<br />

Certes, l’encadrement de la fatwa en<br />

Arabie Saoudite mettra peut-être un terme<br />

à la folle concurrence entre des muftis<br />

funambules aux positions extravagantes.<br />

Certains de nos hommes de religion, qui disputent<br />

la vedette aux starlettes du petit<br />

écran, se prononcent à propos de choses<br />

dont ils ne connaissent rien, comme la<br />

médecine, la technologie… et jusqu’à la politique.<br />

Nombre de leurs contributions ne<br />

conviendraient même pas aux hommes du<br />

Moyen-Age. Le nombre de muftis est en<br />

constante augmentation, au point qu’on<br />

dirait que chaque Saoudien a son mufti particulier.<br />

Malgré la prégnance de la culture<br />

religieuse sur les esprits, les individus ne<br />

sont pas capables de prendre la moindre<br />

décision par eux-mêmes.<br />

Abdelaziz Hussein Al-Soweigh*<br />

* Editorialiste saoudien. Un extrait de cet article est<br />

paru dans le quotidien saoudien Al-Madina.


40 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Moyen-Orient<br />

Iran<br />

Les droits de l’homme d’abord, le nucléaire après<br />

Sur son blog très suivi, un Iranien<br />

anonyme salue la décision<br />

de l’administration américaine<br />

de sanctionner huit dirigeants<br />

iraniens pour atteinte aux droits<br />

de l’homme, lors des<br />

manifestations de 2009.<br />

Blog Leviathank Téhéran<br />

L<br />

es sanctions prises fin septembre<br />

par les Etats-Unis à l’encontre<br />

de plusieurs dirigeants<br />

iraniens sont une bonne nouvelle. Huit<br />

responsables, dont trois ministres, sont<br />

visés par des mesures qui prévoient<br />

notamment le gel de leurs avoirs financiers<br />

aux Etats-Unis. Cette décision met<br />

le doigt là où ça fait mal et donne de<br />

l’espoir à tous les militants iraniens. Pour<br />

la première fois, le président des Etats-<br />

Unis a en effet décidé de sanctionner<br />

les Iraniens non pas en raison de leur programme<br />

nucléaire, mais pour leur responsabilité<br />

ou leur complicité dans les<br />

atteintes aux droits de l’homme en<br />

Iran depuis juin 2009 [date de la victoire<br />

contestée de Mahmoud Ahmadinejad<br />

à la présidentielle]. Parmi les responsables<br />

concernés par les sanctions figure<br />

l’actuel ministre de l’Intérieur, Mostafa<br />

Mohammad-Najjar, qui était ministre de<br />

la Défense et général des gardiens de la<br />

révolution pendant les troubles de l’an<br />

dernier. Il a eu un rôle de premier plan<br />

dans la répression organisée contre les<br />

manifestants après l’élection. Le ministre<br />

des Affaires sociales, Sadegh Mahsouli, a<br />

été lui aussi ministre de l’Intérieur. Il<br />

aurait, en tant que tel, ordonné la torture<br />

de prisonniers. Il est également soupçonné<br />

d’avoir favorisé la fraude électorale.<br />

Heydar Moshlehi, ministre des<br />

Renseignements, et Hossein Taeb, ancien<br />

commandant de la milice islamique des<br />

bassidjis, sont également visés par ces<br />

mesures, tout comme Saïd Mortazavi,<br />

ancien procureur de Téhéran [surnommé<br />

le “boucher de la presse”, car il a interdit<br />

plusieurs publications et arrêté de nombreux<br />

journalistes].<br />

On peut se demander pourquoi les<br />

instances <strong>international</strong>es se sentent<br />

obligées de faire pression sur l’Iran au<br />

sujet de ses activités nucléaires, mais ne<br />

réagissent jamais lorsque le peuple souffre<br />

directement. Pendant des années, les journalistes<br />

occidentaux n’ont à aucun<br />

moment interrogé Ahmadinejad sur les<br />

atteintes aux droits de l’homme. Ils ne se<br />

sont préoccupés que du nucléaire ou de<br />

ses commentaires sur l’Holocauste [lors<br />

de sa visite à New York le 22 septembre,<br />

le président de l’Iran a cette fois-ci été<br />

interrogé à plusieurs reprises sur les prisonniers].<br />

Par ailleurs, les nombreuses sanctions<br />

économiques et militaires prises par les<br />

Nations unies et plusieurs puissances<br />

occidentales ne font que servir les médias<br />

proches du pouvoir. Ces derniers peuvent<br />

ainsi poser le régime en victime. Ils<br />

affirment que ce sont les manœuvres<br />

occidentales qui font obstacle au développement<br />

du pays et ne remettent pas<br />

en cause la mauvaise gestion des dirigeants.<br />

La mesure prise par Washington qui<br />

vise directement des dirigeants iraniens<br />

est sans précédent dans l’histoire des relations<br />

<strong>international</strong>es. Elle doit être soutenue<br />

afin d’être adoptée également par<br />

les Nations unies et l’Union européenne.<br />

Koweït<br />

Le retrait de passeport comme arme politique<br />

Après le retrait de sa nationalité<br />

infligé à un clerc chiite pour<br />

blasphème, les Koweïtiens<br />

de même obédience réclament<br />

une mesure similaire pour<br />

les détenteurs (souvent sunnites)<br />

d’une double citoyenneté.<br />

www.aljasem.org Koweït<br />

D<br />

epuis qu’on a retiré sa nationalité<br />

à Yasser Al-Habib, tout le monde<br />

a de quoi s’inquiéter. Et pas seulement<br />

nos frères chiites. Al-Habib est un<br />

clerc chiite koweïtien qui vit à Londres. Il a<br />

été sanctionné pour avoir insulté la mémoire<br />

d’Aïcha, épouse du Prophète, qui est vénérée<br />

par les sunnites, mais honnie par les<br />

chiites. Personne ne peut plus se sentir en<br />

sécurité quand la nationalité est transformée<br />

en outil politique entre les mains du<br />

gouvernement et quand le droit change au<br />

gré du vent politique. Moi-même, je ne suis<br />

pas tranquille. Qui peut désormais me garantir<br />

qu’on ne me retirera pas mon passeport<br />

Dessin de Matt Kuryon paru dans The<br />

Guardian, Londres.<br />

à moi aussi, étant donné que je reste sous le<br />

coup d’un procès engagé par le Premier<br />

ministre Nasser Al-Mohammad, ce qui m’a<br />

valu un séjour dans la prison de la Sécurité<br />

d’Etat [un mois et demi en mai et juin<br />

derniers, pour atteinte à la personne de<br />

l’émir et incitation au renversement du<br />

régime – la suite du procès est attendue<br />

pour le 12 octobre] ?<br />

Mais il y a d’autres raisons de s’inquiéter.<br />

C’est la perspective d’une escalade des<br />

divisions confessionnelles qui risque d’embraser<br />

la vie politique. La mesure gouvernementale<br />

à l’encontre de Yasser Al-Habib<br />

a provoqué des réactions qui vont dans ce<br />

sens. J’en veux pour preuve la déclaration<br />

de trois des députés chiites les plus en<br />

vue, qui a été publiée par le journal chiite<br />

Al-Darle 21 septembre. Ceux-ci ont annoncé<br />

qu’ils feraient tout pour que le Parlement<br />

ouvre le dossier des détenteurs de la double<br />

nationalité [interdite par la loi]. Et le journal<br />

de suggérer que le président du Parlement<br />

avait la double nationalité koweïtienne<br />

et britannique. [Jassem Al-Khorrafi est<br />

sunnite et membre des élites marchandes<br />

libérales, dont beaucoup d’autres membres,<br />

ou leurs enfants, auraient la nationalité britannique<br />

ou américaine.] Plus généralement,<br />

cette menace vise les populations<br />

anciennement bédouines qui sont exclusivement<br />

sunnites et dont beaucoup ont la<br />

double nationalité koweïtienne et saoudienne.<br />

Cette évolution donne à penser qu’une<br />

boule de neige, lancée imprudemment, est<br />

en train de prendre une trajectoire qui<br />

n’avait pas été prévue. Cela a commencé<br />

quand certains hommes d’influence se sont<br />

mis à stigmatiser les populations bédouines.<br />

Ils voulaient jouer sur les antagonismes<br />

entre les élites citadines d’une part, les populations<br />

périphériques de l’autre, et voilà que<br />

cela est en train de leur échapper et de se<br />

transformer en antagonisme confessionnel<br />

entre sunnites et chiites. C’est triste de voir<br />

la société ainsi gagnée par la division et<br />

les clivages. C’est triste de voir son pays se<br />

fourvoyer. C’est triste de voir le gouvernement<br />

exploiter la situation pour restreindre<br />

les libertés. Pendant ce temps, notre Premier<br />

ministre est en voyage à l’étranger.<br />

L’Histoire nous a montré que les mouvements<br />

politiques nés du populisme et<br />

dont les leaders sont devenus des dictateurs<br />

finissent par s’en prendre à leur<br />

propre peuple. Le destin du chah d’Iran<br />

en a été un exemple concret. Désormais,<br />

Mahmoud Ahmadinejad suit le même<br />

chemin. Le dictateur serbe Slobodan<br />

Milosevic a fini par comparaître devant le<br />

Tribunal pénal <strong>international</strong> de La Haye.<br />

Peut-être qu’un jour les dirigeants iraniens<br />

comparaîtront devant une telle instance<br />

de justice <strong>international</strong>e ?<br />

Y a-t-il une personne capable de nous<br />

expliquer pour quelle raison Nasrin Sotoudeh<br />

[avocate et militante des droits de<br />

l’homme] est incarcérée depuis le 5 septembre<br />

dernier ? Pourquoi le régime islamique<br />

ne devrait pas payer pour la mort de<br />

Neda [Agha-Soltan, étudiante tuée le<br />

20 juin 2009, lors d’une manifestation à<br />

Téhéran] ? Pourquoi ne met-on pas la pression<br />

sur la République islamique pour<br />

qu’elle retrouve l’assassin de Zahra Kazemi<br />

[ journaliste irano-canadienne, tuée en<br />

prison à Téhéran en 2003] ? En mettant l’accent<br />

sur les crimes commis par les dirigeants<br />

iraniens, les Etats-Unis remettent<br />

en cause tout le système judiciaire iranien<br />

et les persécutions et intimidations sur lesquelles<br />

il repose. Ce genre de mesure est<br />

beaucoup plus efficace qu’une quelconque<br />

sanction contre le programme nucléaire.<br />

Elle peut permettre le retour à la paix<br />

et à la stabilité. <br />

C’est pourtant lui qui est responsable de<br />

ce qui se passe. Cela dit, on aurait peutêtre<br />

moins de problèmes si l’on prenait acte<br />

du fait qu’il n’assume pas ses responsabilités.<br />

Oui, cher Nasser Al-Mohammad, continuez<br />

de voyager et pr<strong>of</strong>itez bien de la vie,<br />

mais laissez votre poste à quelqu’un d’autre.<br />

Notre pays ne supporte plus votre présence.<br />

Abdelkader Al-Jassem*<br />

* Journaliste et célèbre opposant koweïtien.


Afrique<br />

Niger<br />

A qui pr<strong>of</strong>ite la prise d’otages ?<br />

A long terme, le coup d’éclat<br />

d’Al-Qaida au Maghreb<br />

islamique dans le nord du pays<br />

pourrait bien servir l’intérêt<br />

de la France. Celle-ci pourra<br />

ainsi légitimer sa volonté<br />

de contrôler militairement<br />

la région, estime Aïr-Info.<br />

Aïr-Info Agadez<br />

A<br />

u secours ! Un grand complot se<br />

trame sur le dos du Niger. Ce qui<br />

s’est passé à Arlit dans la nuit du<br />

mercredi au jeudi 16 septembre [cinq Français,<br />

un Malgache et un Togolais ont été<br />

enlevés, une action revendiquée par Al-<br />

Qaida au Maghreb islamique (AQMI)]<br />

prend une sale tournure pour le Niger et les<br />

Nigériens, pour leur amour-propre et leur<br />

souveraineté. C’est comme si une machine<br />

de diabolisation de l’image du Niger et de<br />

celle d’une frange de sa population était en<br />

branle pour servir et légaliser des intérêts<br />

impérialistes qui ne disent pas leur nom.<br />

Depuis l’enlèvement spectaculaire de cinq<br />

Français et de leurs deux collaborateurs africains<br />

à Arlit, des médias occidentaux et<br />

autres oiseaux de mauvais augure ne cessent<br />

de jeter l’opprobre sur notre vaillante<br />

armée ; sur nos frères touaregs et, le comble,<br />

sur notre système de sécurité. Même les<br />

sociétés de gardiennage appartenant à d’exchefs<br />

rebelles ne sont pas épargnées !<br />

Le Niger subit de plein fouet les conséquences<br />

d’une guerre qui ne le regarde<br />

point ! Une guerre d’intérêts inavoués entre<br />

les “fous de Dieu” et “les gourmands d’uranate”.<br />

Parce que la France de Sarkozy et<br />

AQMI ont un problème à régler entre eux,<br />

ils choisissent curieusement le terrain Niger<br />

pour s’affronter, portant de ce fait un rude<br />

Dessin de Glez, Ouagadougou.<br />

coup à la stabilité de notre cher pays et surtout<br />

à la survie d’une région alanguie par des<br />

années d’insécurité. Qui en veut réellement<br />

aux intérêts de la France au Niger ? Qui a<br />

intérêt à ce qu’il y ait le désordre dans la<br />

partie septentrionale du pays ? Est-ce que<br />

réellement la France et ses alliés veulent en<br />

finir avec le phénomène AQMI au Sahel ?<br />

Des complicités locales<br />

Au lieu de critiquer la négligence et l’imprudence<br />

de la société française Areva, des<br />

personnalités françaises n’ont pas hésité<br />

à jeter leur fiel sur la défense sécuritaire<br />

au Niger et sur les ex-combattants touaregs,<br />

qu’ils qualifient à tort de “complicités<br />

locales” ! Les Touaregs ne sont pas des terroristes.<br />

Non ! Ils ne sont pas non plus complices<br />

des terroristes ! Il faut absolument<br />

que l’amalgame qui se fait sur cette affaire<br />

s’arrête. Pourquoi veut-on absolument faire<br />

croire que la région d’Agadez est invivable<br />

maintenant, alors qu’elle a servi pendant<br />

plus de quarante ans d’espace libre et<br />

Vu d’Antananarivo<br />

Les Africains, oubliés d’Areva<br />

Sept personnes, dont un cadre<br />

d’Areva et son épouse, tous<br />

deux de nationalité française,<br />

et cinq employés de Satom<br />

(trois Français, un Malgache<br />

et un Togolais), ont été enlevées<br />

à leurs domiciles à Arlit,<br />

au Niger, dans la nuit du 15 au<br />

16 septembre. Leur enlèvement<br />

a été revendiqué par Al-Qaida<br />

au Maghreb islamique (AQMI).<br />

Selon une source malienne,<br />

les otages sont “détenus entre<br />

les déserts malien et algérien”,<br />

dans la zone du Timétrine, une<br />

région de collines désertiques<br />

du nord-est du Mali, à une<br />

centaine de kilomètres de la<br />

frontière algérienne. On croit<br />

savoir qu’AQMI entend réclamer<br />

la libération des terroristes<br />

islamistes emprisonnés<br />

en France. Et pourquoi donc<br />

ne libèrent-ils pas le Malgache et<br />

le Togolais, leurs pays d’origine<br />

ne détenant aucun islamiste.<br />

Dans l’Hexagone, par contre,<br />

ils sont une dizaine.Signalons<br />

que l’otage malgache, Jean-<br />

Claude Rakotoarilalao, serait<br />

diabétique ; quant au Togolais,<br />

il aurait des problèmes<br />

cardiaques. La famille<br />

de M. Rakotoarilalao est<br />

désespérée, dans l’angoisse,<br />

dans la tourmente, sachant<br />

pertinemment que les<br />

terroristes pourraient d’abord<br />

“liquider” les deux Africains,<br />

considérés comme quantité<br />

négligeable, dans le but de faire<br />

ensuite monter les enchères<br />

à propos des cinq Français.<br />

Un Malgache, un Togolais, ça<br />

pèse effectivement peu sur<br />

l’échiquier <strong>international</strong> pour<br />

ces bandits, ces criminels<br />

arabes, originaires du Maghreb<br />

(tous des Blancs) !<br />

Du fait que les membres d’AQMI<br />

sont des ressortissants<br />

algériens, pourquoi<br />

l’Algérie n’informe-t-elle<br />

ni le gouvernement malgache<br />

ni la famille de Jean-Claude<br />

Rakotoarilalao à propos des<br />

démarches, des actions que les<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 41<br />

Près de 2 000 Français vivent<br />

au Niger. Depuis l’enlèvement<br />

des employés d’Areva à Arlit,<br />

le 16 septembre, la plupart<br />

des expatriés quittent le moins<br />

possible Niamey, la capitale.<br />

tranquille à une France prédatrice de notre<br />

uranium ? Pourquoi l’impossibilité de cette<br />

exploitation commence, curieusement, au<br />

moment où le Niger souverain diversifie ses<br />

partenaires ? Qui a intérêt aujourd’hui à ce<br />

que l’ordre défaille au Nord-Niger ? En tout<br />

cas pas les autorités de notre pays, et encore<br />

moins ces populations meurtries !<br />

Ceux qui veulent aujourd’hui que le<br />

désordre s’installe sont ailleurs ! Ils ne sont<br />

ni nigériens ni amis des Nigériens ! Voilà<br />

pourquoi une dynamique est en marche afin<br />

de ternir l’image de ce beau pays qu’est le<br />

Niger. En jetant l’opprobre sur les Touaregs<br />

d’Agadez en particulier et sur le Niger en<br />

général, un lobby sans foi ni loi veut rendre<br />

notre pays infréquentable pour les autres<br />

amis du Niger afin de protéger ses arrières,<br />

c’est-à-dire ses intérêts tapis sous le sol<br />

d’Agadez. Des indicateurs sont là pour le<br />

prouver : Agadez est passé de la zone orange<br />

à la zone rouge. Tous les Français qui travaillent<br />

à Arlit ont quitté la région. Presque<br />

tous les pays occidentaux interdisent la<br />

autorités algériennes entendent<br />

entreprendre, histoire<br />

de la rassurer ? Pour beaucoup,<br />

c’est la moindre des choses,<br />

d’autant plus que l’Algérie a une<br />

ambassade à Antananarivo.<br />

Jusqu’à preuve du contraire,<br />

cette ambassade n’a pas encore<br />

envoyé de “note verbale”<br />

ou sollicité une audience, même<br />

par courtoisie, auprès du<br />

ministre malgache des Affaires<br />

étrangères, pour connaître<br />

le sort de notre compatriote<br />

– otage par accident et malgré<br />

lui. L’Etat français, majoritaire à<br />

plus de 90 % dans le capital<br />

d’Areva, aurait dû également<br />

contacter le gouvernement<br />

destination Agadez par crainte de représailles<br />

terroristes.<br />

Qui nous dit aujourd’hui que certaines<br />

sociétés minières œuvrant au Niger et<br />

AQMI n’ont pas le même objectif ? Celui<br />

de déstabiliser notre région pour empêcher<br />

que de nouvelles sociétés exploitent<br />

un périmètre légalement acquis ? Après<br />

cette phase de diabolisation de la région<br />

d’Agadez, qui s’opposera demain à ce que<br />

des militaires étrangers, au nom de la prétendue<br />

sécurité de leurs concitoyens, installent<br />

leur base quelque part dans l’Aïr ou<br />

le Ténéré ? Qui trouvera à redire au Niger<br />

si, au nom de la lutte contre les terroristes<br />

d’AQMI, des services de renseignements<br />

extérieurs violent jusqu’à l’intimité des<br />

campements nomades ? On comprendra<br />

trop tard que cette présence, outre qu’elle<br />

a aliéné notre souveraineté, a aussi sapé<br />

ce beau projet d’intégration sous-régionale<br />

si cher à nos pays qui se matérialise<br />

par le biais de la route transsaharienne !<br />

Une nouvelle colonie<br />

En un mot, il serait bien de se demander<br />

si la lutte contre AQMI et sa nébuleuse<br />

n’est pas un bon prétexte pour faire<br />

d’Agadez une nouvelle base militaire<br />

étrangère. Tous ces kidnappings, toutes<br />

ces frappes des grottes d’AQMI, le tapage<br />

médiatique sur ces enlèvements ne militent-ils<br />

pas pour une seule chose : le<br />

contrôle de nos ressources minières par<br />

des pays étrangers ? En diabolisant notre<br />

pays, on en fera très facilement ensuite<br />

une nouvelle colonie où régnera un seul<br />

maître ou deux, avides de pétrole et d’uranate<br />

! Nigériens de tous bords, disons non<br />

à ce complot qui n’est que le résultat de<br />

manipulations et d’ingérences voulant<br />

aliéner à jamais notre droit à la souveraineté<br />

nationale ! Salif Bah<br />

malgache. En outre, notons<br />

l’arrivée, seulement<br />

le 30 septembre au Niger,<br />

de la présidente d’Areva. Force<br />

est de constater que, pour<br />

celle-ci, cette prise d’otages,<br />

qui s’est déroulée il y a déjà deux<br />

semaines, ne semble guère être<br />

sa priorité. C’est plutôt l’avenir<br />

de l’approvisionnement<br />

en uranium d’Areva qui<br />

préoccupe la dame. Au cas<br />

où il arriverait un malheur<br />

– ce que l’on ne souhaite pas –<br />

à M. Rakotoarilalao, Alger<br />

et Paris seront tenus pour<br />

responsables. Franck<br />

Raharison La Gazette de<br />

la Grande Ile Antananarivo


42 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Economie<br />

Budget<br />

Comment réduire le déficit avec tant de chômeurs ?<br />

De plus en plus d’Américains<br />

vivent de prestations sociales.<br />

Réduire ces aides aujourd’hui<br />

risquerait fort d’entraver<br />

la reprise économique.<br />

The Wall Street Journal (extraits)<br />

New York<br />

L<br />

es efforts en vue de maîtriser le<br />

déficit budgétaire aux Etats-Unis<br />

risquent de se heurter rapidement<br />

à une sombre réalité : près de la moitié<br />

des Américains vivent aujourd’hui dans un<br />

foyer dont un membre au moins reçoit une<br />

prestation sociale – un record absolu.<br />

Parallèlement, la proportion des mé -<br />

nages qui ne paient pas l’impôt fédéral sur<br />

le revenu a également augmenté, passant<br />

de 39 % il y a cinq ans à 45 % en 2010, estime<br />

le Tax Policy Center, un centre d’études<br />

indépendant. Un peu plus de la moitié de<br />

ces foyers disposent de revenus insuffisants,<br />

et les autres bénéficient de tellement<br />

de crédits d’impôt et de déductions qu’ils<br />

ne doivent plus rien au fisc. La plupart sont<br />

néanmoins redevables des contributions<br />

au Medicare [assurance-maladie pour les<br />

indigents] et à la Social Security [assurancevieillesse]<br />

prélevées sur les salaires, mais<br />

13 % de l’ensemble des ménages ne paient<br />

ni impôt fédéral sur le revenu ni prélèvements<br />

sociaux. “Une très grande partie de la<br />

population américaine encaisse des chèques du<br />

Trésor public et une fraction de plus en plus<br />

réduite contribue à son financement”, résume<br />

Keith Hennessey, chercheur attaché à la<br />

Hoover Institution, un groupe de réflexion<br />

conservateur.<br />

Bons d’alimentation<br />

Sur les onze premiers mois de l’année fiscale,<br />

le déficit budgétaire a atteint<br />

1 260 milliards de dollars [925 milliards<br />

d’euros]. Si ce chiffre inquiète les Américains,<br />

nombre d’entre eux s’opposent toutefois<br />

à la baisse des prestations. Selon un<br />

sondage Wall Street Journal-NBC réalisé en<br />

août, 61 % des électeurs se sentent “enthousiastes”<br />

ou “à l’aise” vis-à-vis des candidats<br />

aux prochaines élections législatives de<br />

mi-mandat [le 2 novembre] qui souhaitent<br />

réduire les dépenses fédérales en général.<br />

Mais 56 % expriment une sympathie égale<br />

à l’égard des candidats qui ont voté [en<br />

juillet] pour l’extension des allocations<br />

chômage à 99 semaines.<br />

Quelque 41,3 millions de personnes ont<br />

reçu des bons d’alimentation en juin, soit<br />

une hausse de 45 % en un an. Et, alors que<br />

le chômage reste élevé [14,9 millions de<br />

personnes, soit 9,6 % de la population<br />

active], le nombre de demandeurs d’emploi<br />

indemnisés a plus que doublé en un an,<br />

pour s’établir à 9,7 millions. Les Américains<br />

seront encore plus nombreux<br />

(19 millions à l’horizon 2019, selon le<br />

Dessin de T. Walenta, Varsovie.<br />

bureau du budget du Congrès) à recevoir<br />

une aide fédérale pour souscrire une assurance-maladie<br />

lorsque la réforme du système<br />

de santé votée cette année sera<br />

pleinement entrée en vigueur.<br />

Au plus fort de la crise, le renforcement<br />

du filet de sécurité fédéral a permis à de<br />

nombreuses familles de ne pas sombrer.<br />

Charlene Mueller-Holden, par exemple,<br />

ne présente pas le pr<strong>of</strong>il type d’une bénéficiaire<br />

de l’aide sociale. Licenciée par la<br />

banque JPMorgan Chase en janvier 2008,<br />

cette habitante de Newark, dans le Delaware,<br />

a perçu des allocations chômage<br />

pendant 99 semaines. Les mensualités de<br />

son emprunt immobilier ont diminué de<br />

40 dollars [29 euros] grâce au programme<br />

fédéral Making Home Affordable, qui<br />

permet de garder son logement par le<br />

biais d’un réaménagement ou d’un refinancement<br />

du crédit hypothécaire. Mais<br />

lorsqu’elle est arrivée en fin de droits,<br />

M me Mueller-Holden et son mari, qui est<br />

fonctionnaire, n’ont pas pu faire face aux<br />

traites de 1 008 dollars [740 euros].<br />

Elle s’est alors tournée vers l’Autorité<br />

du logement du Delaware qui, dans le cadre<br />

d’un programme subventionné par l’Etat<br />

fédéral visant à aider les familles avec<br />

enfants à charge à rester dans leur logement,<br />

lui a accordé 1 000 dollars par mois<br />

pendant cinq mois. Cet été, Charlene<br />

Mueller-Holden et ses deux enfants ont<br />

déjeuné gratuitement à l’école du quartier.<br />

Elle a ensuite déposé une demande d’exonération<br />

des frais de cantine pour son fils<br />

qui est entré cette année en primaire.<br />

La famille a gagné trop peu pour payer<br />

des impôts fédéraux l’année dernière et a<br />

obtenu un report de paiement pour les<br />

impôts du Delaware. “Franchement, le défi-<br />

La récession aux Etats-Unis<br />

ne sera terminée qu’une fois<br />

que le PIB par habitant aura<br />

retrouvé son niveau d’avant la crise,<br />

estime le milliardaire et investisseur<br />

Filet social<br />

Total des dépenses sociales publiques*<br />

(en % du PIB, 2005)<br />

* Dont santé, vieillesse et chômage. Moyenne<br />

de l’OCDE<br />

Suède<br />

France<br />

Allemagne<br />

Italie<br />

Royaume-Uni<br />

Espagne<br />

Japon<br />

Australie<br />

Irlande<br />

Canada<br />

Etats-Unis<br />

29,4<br />

29,2<br />

26,7<br />

25<br />

21,3<br />

21,2<br />

18,6<br />

17,1<br />

16,7<br />

16,5<br />

15,9<br />

20,6<br />

Source : OCDE, août 2009<br />

cit budgétaire, je m’en moque, avoue<br />

M me Mueller-Holden. Ça va nous prendre des<br />

années et des années pour le combler”, alors<br />

mieux vaut d’abord s’occuper de l’emploi.<br />

On considère généralement que pour<br />

être crédible, un plan de rigueur doit<br />

impérativement comporter une baisse<br />

des dépenses au titre des avantages<br />

sociaux. Mais malgré les occasionnels<br />

tours de vis budgétaires à Washington et<br />

les débats récurrents sur la réduction du<br />

rôle de l’Etat, le nombre d’Américains qui<br />

reçoivent une aide publique sous une<br />

forme ou une autre tend à augmenter<br />

depuis plus de soixante-dix ans.<br />

Tout cela coûte cher. Les allocations<br />

individuelles – un poste budgétaire qui<br />

Warren Buffett. Il contredit<br />

ainsi le Bureau national des études<br />

économiques, selon lequel<br />

le pays est sorti de la récession<br />

en juin 2009.<br />

englobe l’ensemble des programmes<br />

sociaux fédéraux, plus les pensions de<br />

retraite versées aux fonctionnaires fédéraux<br />

– s’élèveront à 2 400 milliards de dollars<br />

[1 760 milliards d’euros] cette année.<br />

Soit 79 % de plus (après prise en compte<br />

de l’inflation) qu’il y a dix ans, à une époque<br />

où l’économie se portait toutefois mieux.<br />

Cette enveloppe représente 64,3 % du total<br />

des dépenses fédérales, soit le pourcentage<br />

le plus élevé depuis soixante-dix ans<br />

que ces statistiques existent. A titre de<br />

comparaison, cette proportion était de<br />

26,2 % en 1960 et de 46,7 % en 1990.<br />

L’opinion paraît divisée<br />

Lorsque l’économie se redressera, certains<br />

bénéficiaires actuels de l’aide fédérale<br />

cesseront d’y avoir droit, ce qui<br />

justifie son maintien aux yeux de nombre<br />

de commentateurs. De son côté, l’opinion<br />

paraît divisée quant à ce qu’il faut faire.<br />

Selon un sondage Allstate-National Journal,<br />

35 % des électeurs souhaitent que les<br />

futurs retraités reçoivent l’intégralité des<br />

pensions qui leur ont été promises, même<br />

s’il faut pour cela augmenter les impôts ;<br />

35 % estiment qu’il faut assurer la viabilité<br />

financière des régimes de retraite en<br />

réduisant les allocations et en relevant<br />

certains impôts ; enfin, 22 % préconisent<br />

une diminution des prestations pour maîtriser<br />

l’augmentation des coûts.<br />

Tailler dans les programmes sociaux<br />

fédéraux en plein marasme économique<br />

serait une grave erreur, objectent certains<br />

analystes : cela réduirait le pouvoir d’achat<br />

des ménages et entraverait la reprise.<br />

Depuis qu’il a perdu son emploi, en<br />

juin 2009, Paul Hester, 54 ans, vit des aides<br />

de l’Etat. Ce microbiologist gagnait<br />

50 000 dollars [36 700 euros d’aujourd’hui]<br />

par an quand il travaillait au ministère de<br />

la Santé de l’Indiana, à Indianapolis. Elevé<br />

dans une famille marquée par le souvenir<br />

de la crise de 1929, il a toujours été économe<br />

et méfiant vis-à-vis du crédit. Il se<br />

souvient, alors qu’il accompagnait un jour<br />

son père chez un concessionnaire automobile,<br />

l’avoir vu “sortir 10 000 dollars en<br />

liquide pour acheter une voiture”.<br />

Malgré tous ses efforts, Paul Hester a<br />

décroché seulement deux entretiens<br />

d’embauche en un an. Actuellement, il<br />

touche une allocation de chômage de<br />

375 dollars [275 euros] par semaine, et ses<br />

primes d’assurance-maladie sont subventionnées<br />

par l’Etat fédéral au titre<br />

d’une disposition du plan de relance<br />

adopté par le Congrès en février 2009. Sa<br />

fille finance une partie de ses études avec<br />

une bourse Pell, un programme fédéral en<br />

faveur des étudiants de milieu modeste<br />

[le budget consacré à ces bourses a été<br />

doublé en deux ans]. “Je n’aime pas recevoir<br />

de l’argent de l’Etat, confie M. Hester,<br />

mais comment faire autrement ?”<br />

Sara Murray


Dévaluations<br />

La guerre des devises est déclarée<br />

Faute de pouvoir compter sur<br />

leur demande intérieure,<br />

de nombreux pays s’efforcent<br />

de faire baisser leur monnaie<br />

pour relancer leurs exportations.<br />

Financial Times (extraits) Londres<br />

T<br />

out le monde le pense, mais<br />

Guido Mantega, le ministre des<br />

Finances brésilien, est l’un des<br />

rares responsables politiques à l’avoir admis<br />

publiquement : nous sommes en pleine<br />

guerre des monnaies. Des acteurs de poids,<br />

dotés d’une artillerie lourde, sont engagés<br />

dans une escalade d’interventions compétitives<br />

sur les marchés des changes.<br />

D’aucuns prétendent qu’un tel accès<br />

d’interventionnisme pourrait avoir le<br />

même effet qu’une politique généralisée<br />

d’assouplissement monétaire. [Pratiquée<br />

par de nombreux pays, dont les Etats-Unis,<br />

elle consiste à injecter de liquidités dans<br />

l’économie afin de faire baisser les taux<br />

d’intérêt à long terme, et donc le cours de<br />

la monnaie. C’est le seul outil qui reste<br />

pour soutenir l’activité lorsque les taux<br />

d’intérêt à court terme sont déjà proches<br />

de zéro. Ce coup de pouce aux exportateurs<br />

vise à compenser la faiblesse de la<br />

demande intérieure.] Mais d’autres, plus<br />

nombreux, estiment qu’une course à la<br />

dévaluation compétitive risque d’attiser<br />

les tensions <strong>international</strong>es.<br />

La vente de yens par Tokyo, pour<br />

20 milliards de dollars, le 15 septembre, a<br />

marqué un tournant symbolique. Le Japon<br />

a ainsi fait son retour sur les marchés des<br />

changes après six ans d’absence. Depuis<br />

vingt ans, ce pays est la seule des grandes<br />

économies industrialisées membres du<br />

G7 [puis du G8] à avoir régulièrement eu<br />

recours à ce type d’intervention. Sa stratégie<br />

s’appuie traditionnellement sur le<br />

constat suivant : les taux d’intérêt sont si<br />

Interventions<br />

proches de zéro qu’une politique monétaire<br />

classique n’est plus efficace. Le problème,<br />

c’est que cette logique s’applique<br />

désormais à nombre d’autres pays.<br />

La Suisse joue contre le franc<br />

Outre la Chine, dont l’intervention sur les<br />

marchés est l’une des principales causes de<br />

cette bataille des devises, plusieurs économies<br />

de premier plan sont particulièrement<br />

actives. Ainsi, pour la première fois depuis<br />

2002, la Suisse a commencé l’an dernier à<br />

agir contre le franc, sans stériliser cette<br />

opération par le rachat, sur son marché<br />

monétaire intérieur, de ce qu’elle avait<br />

vendu sur les marchés des changes [et sans<br />

parvenir d’ailleurs à enrayer réellement la<br />

hausse du franc face à l’euro].<br />

A l’instar de plusieurs pays d’Asie de<br />

l’Est, la Corée du Sud, qui accueillera en<br />

novembre le sommet du G20, est intervenue<br />

plusieurs fois cette année pour freiner<br />

l’appréciation du won. Et même le Brésil,<br />

Evolution de la valeur de diverses monnaies par rapport au dollar (base 100 = 2 mai 2010)<br />

115<br />

110<br />

105<br />

100<br />

95<br />

90<br />

85<br />

Yen japonais Yuan chinois Real brésilien Won sud-coréen<br />

1 2 1 La Chine annonce qu’elle<br />

3<br />

va laisser le yuan, accroché<br />

depuis 2008 au dollar, flotter<br />

plus librement en se référant<br />

à un panier de devises.<br />

2 Le Japon vend<br />

massivement du yen,<br />

dont la valeur vient<br />

d'atteindre son niveau<br />

record depuis quinze ans.<br />

3 Le Brésil se dit prêt<br />

à intervenir pour faire baisser<br />

le real, qui s’est apprécié<br />

de 25 % face au dollar<br />

Mai Juin Juillet<br />

2010<br />

Août Sept.<br />

depuis le début 2009.<br />

Sources : Thomson Reuters Datastream, “Financial Times”<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 43<br />

La Chambre des représentants<br />

américaine a adopté,<br />

le 29 septembre, un projet de loi<br />

qui permet d’augmenter les droits<br />

de douane imposés aux produits<br />

importés de pays dont la monnaie<br />

est sous-évaluée.<br />

Dessin de Daniel Puddles paru dans New Statesman, Grande-Bretagne.<br />

qui depuis l’année dernière s’inquiète<br />

publiquement de voir un afflux de capitaux<br />

spéculatifs pousser le real à la hausse et<br />

déséquilibrer son économie, a autorisé son<br />

fonds souverain à vendre des reais pour le<br />

compte de l’Etat. Ces initiatives unilatérales<br />

risquent d’anéantir les espoirs des<br />

Etats-Unis de mettre sur pied, lors du G20<br />

de Séoul, une coalition capable de faire pression<br />

sur la Chine, afin qu’elle cesse d’empêcher<br />

le yuan de s’apprécier. S’il est<br />

probable qu’une réévaluation de la monnaie<br />

chinoise se révélerait salutaire pour la plupart<br />

des Etats actifs sur les marchés, rares<br />

sont les gouvernements des pays émergents<br />

à vouloir heurter Pékin de front.<br />

Ainsi, le ministre des Affaires étrangères<br />

brésilien Celso Amorim a-t-il annoncé en<br />

septembre qu’il ne souhaitait pas participer<br />

à une telle campagne. “Faire pression sur un<br />

pays n’est pas le bon moyen de trouver des solutions”,<br />

a-t-il déclaré à l’issue d’une rencontre<br />

des représentants des pays du groupe BRIC<br />

KIOSQUE<br />

FÊTE SES 15 ANS<br />

LE SAMEDI<br />

9 OCTOBRE À 21H<br />

Directement visée, la Chine<br />

a immédiatement protesté<br />

contre ce texte, qui sera examiné<br />

par le Sénat en novembre.<br />

Le lobby des entreprises<br />

américaines installées en Chine<br />

critique lui aussi ce projet.<br />

(Brésil, Russie, Inde et Chine) organisée à<br />

New York. “Nous avons mis en place une bonne<br />

coordination avec les Chinois et nous discutons<br />

avec eux. Il ne faut pas oublier que la Chine est<br />

actuellement notre principal client.” De fait, le<br />

Brésil exporte des matières premières vers<br />

le géant asiatique.<br />

Pour Barry Eichengreen, pr<strong>of</strong>esseur<br />

d’économie à l’université de Californie à<br />

Berkeley, ces tentatives de dévaluation compétitive<br />

ne sont peut-être pas une si mauvaise<br />

chose. Si ces pays créent plus de<br />

monnaie pour vendre celle-ci, cela signifie<br />

que, dans la pratique, ils sont en train de desserrer<br />

leur politique monétaire. Aussi, au<br />

lieu d’être un jeu à somme nulle, cela pourrait<br />

finir par représenter une forme d’assouplissement<br />

monétaire semi-coordonné.<br />

Climat de compétition<br />

Mais, selon d’autres experts, ce scénario<br />

optimiste ne tient pas compte de la confusion<br />

qui naît lorsque chacun joue, de son<br />

côté, contre sa propre monnaie : cela génère<br />

un climat de compétition et non de coopération.<br />

Compte tenu de la faiblesse de la<br />

reprise mondiale, il n’est certes pas absurde<br />

que les banques centrales injectent davantage<br />

de monnaie, reconnaît Ted Truman,<br />

ancien collaborateur du ministère des<br />

Finances et de la Réserve fédérale qui travaille<br />

aujourd’hui à l’institut Peterson<br />

[groupe de réflexion non partisan]. Mais il<br />

vaudrait mieux qu’elles agissent sur leurs<br />

marchés monétaires nationaux, et non sur<br />

les marchés des changes.<br />

On n’a jamais semblé aussi loin d’une<br />

coordination <strong>international</strong>e. Tous les pays<br />

ne pouvant dévaluer en même temps et<br />

certaines autorités, en Europe et aux Etats-<br />

Unis notamment, étant moins disposées<br />

que d’autres à intervenir pour affaiblir leur<br />

monnaie, une multiplication des dévaluations<br />

compétitives risque de provoquer des<br />

fluctuations monétaires aussi brutales que<br />

déstabilisantes. Alan Beattie<br />

Chaque dimanche à 17h,<br />

toute l’actualité du monde<br />

décryptée en direct par<br />

Philippe Dessaint et les<br />

correspondants de la<br />

presse <strong>international</strong>e.<br />

En France, TV5MONDE est disponible sur Alice<br />

(canal 23), Bouygues Bbox (canal 34), Canalsat<br />

(canal 49), Darty (canal 35), Free (canal 24), Numéricable<br />

(canal 36), Orange (canal 41), SFR (canal 34)<br />

ainsi que sur FRANSAT et TPS SAT.<br />

Le dispositif de diffusion de TV5MONDE par satellite en<br />

<br />

Consultez www.tv5monde/satellite si votre installation<br />

nécessite d’être réinitialisée.<br />

www.tv5monde.com/kiosque


44 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Médias<br />

Les Italiens devraient rattraper<br />

leur retard dans le domaine<br />

des webzines. Plusieurs projets<br />

vont être lancés<br />

dans les prochains jours.<br />

Il Sole-24 Ore Milan<br />

E<br />

ffet de la crise éditoriale, cette fin<br />

d’été est marquée par l’hyperactivité<br />

des sites d’informations<br />

italiens, à la traîne sur leurs cousins anglophones<br />

et français, qui, depuis au moins cinq<br />

ans et bien aidés par la restructuration des<br />

grands quotidiens nationaux, cherchent de<br />

nouveaux débouchés et de nouvelles formules<br />

pour s’adapter à l’ère numérique.<br />

C’est donc au tour de l’Italie d’entrer<br />

dans la danse. Il y a ceux qui s’inspirent de<br />

l’école américaine, du Huffington Post au<br />

Daily Beast, et ceux qui veulent pr<strong>of</strong>iter de<br />

l’expérience européenne, à commencer par<br />

la version française de Slate, propriété du<br />

Washington Post. Les Transalpins vont bientôt<br />

disposer de Lettera43, imaginé par Paolo<br />

Madron, ancien directeur de Panorama Economy<br />

et ancien correspondant du quotidien<br />

économique Il Sole-24 Ore.<br />

Un journaliste économique qui lance un<br />

énième journal économico-financier ? A<br />

priori, non : Lettera43 sera un site d’information<br />

généraliste, dont le nom rend hommage<br />

tant au journalisme à l’ancienne, façon<br />

machine à écrire, qu’à l’obscure prophétie<br />

de Philip Meyer [pr<strong>of</strong>esseur à l’université<br />

Le projet de rassemblement<br />

organisé par Jon Stewart et son<br />

compère Stephen Colbert mobilise<br />

l’attention des médias. Arianna<br />

Huffington, fondatrice du site<br />

d’information The Huffington Post,<br />

a proposé de mettre en place des<br />

Télévision<br />

Jon Stewart met un pied dans la politique<br />

Après le succès du<br />

rassemblement conservateur<br />

organisé par un animateur<br />

de Fox News, le présentateur<br />

du Daily Show a décidé<br />

de le copier. Son initiative<br />

suscite bien des questions.<br />

The New York Times New York<br />

I<br />

maginez un instant un match de<br />

foot où les journalistes et les commentateurs,<br />

las de la médiocrité<br />

du match, quitteraient la tribune de presse<br />

pour participer au jeu. En politique, on dirait<br />

bien que les médias ont l’intention non seulement<br />

de compter les points, mais aussi de<br />

participer. Les figures des médias et du spectacle<br />

ont toujours fait partie du monde politique,<br />

occasionnellement comme candidats<br />

et candidates. Désormais, elles sont de plus<br />

en plus nombreuses à lâcher leur micro pour<br />

s’emparer d’un mégaphone.<br />

En organisant au mois d’août un grand<br />

rassemblement sur le National Mall, à<br />

Washington, Glenn Beck, animateur de la<br />

chaîne conservatrice Fox News, a fait la<br />

démonstration de sa force politique dans le<br />

monde réel. Le 16 septembre, Jon Stewart,<br />

le présentateur du Daily Show, émission<br />

humoristique sur l’actualité, diffusée sur la<br />

chaîne Comedy Central [et en France sur<br />

Canal +], a annoncé qu’il voulait faire la<br />

même chose le 30 octobre, à peine trois<br />

jours avant les élections de mi-mandat. Il<br />

s’agit d’un “rassemblement pour revenir à une<br />

situation saine”. Son compère Stephen<br />

Colbert mènera quant à lui une fausse<br />

contre-manifestation, qu’il a malicieusement<br />

baptisée “Marche pour maintenir la peur<br />

Dessin de<br />

Ian Tovey<br />

paru dans<br />

The Observer,<br />

Londres.<br />

en vie”. Il est étonnant que Jon Stewart ait<br />

pris une telle décision, lui qui a construit sa<br />

carrière et son influence sur la distance froidement<br />

ironique avec laquelle il observe<br />

le monde politique. “Ce qui est bien quand<br />

on est humoriste, c’est peut-être qu’on<br />

n’est jamais convaincu de détenir la<br />

réponse. C’est la raison pour laquelle<br />

les humoristes ne mènent pas beaucoup<br />

de manifestations”, déclarait-il<br />

encore il y a quelques semaines au<br />

New York Magazine. Et le voilà maintenant<br />

en train d’appeler à manifester. “Ça va<br />

réellement se passer, mesdames et messieurs,<br />

un vrai rassemblement.” Voulait-il singer ou<br />

parodier Glenn Beck ? Difficile à dire pour<br />

l’instant. Mais vouloir faire comme Beck<br />

n’est pas sans risque.<br />

En un sens, le duo de Comedy Central<br />

apporte une réponse postmoderne à l’univers<br />

médiatique moderne. Kurt Andersen,<br />

romancier et présentateur de l’émission de<br />

radio publique Studio 360, a qualifié le projet<br />

de Jon Stewart d’“étape décisive dans l’enchevêtrement<br />

grandissant entre le showbusiness<br />

et la politique. Les médias actuels n’ont<br />

pas simplement plus de pouvoir. Ils détiennent<br />

un pouvoir nucléaire. On ne sait pas vraiment<br />

ce que cela va donner. Jon Stewart ne pourrait<br />

pas avoir davantage raison à propos de ce qui<br />

est en train de se passer, mais pendant un weekend<br />

il va se glisser dans la peau d’un autre.”<br />

On n’octroie pas de permis pour des<br />

spectacles comiques sur le National Mall.<br />

Jon Stewart pourrait se retrouver face à une<br />

foule en adoration, au milieu des immenses<br />

monuments érigés en l’honneur de la démocratie<br />

américaine, et avoir envie de sortir<br />

plus que quelques bons mots – vous savez,<br />

quelque chose d’important. Il ne jouera pas<br />

le rôle d’un imbécile de la télévision, il jouera<br />

au diseur de vérité ; du reste, à l’extérieur<br />

Internet<br />

L’Italie s’intéresse enfin à l’information en ligne<br />

de Caroline du Nord], qui a prédit que le dernier<br />

journal serait imprimé en 2043. Sa<br />

source d’inspiration principale est The Daily<br />

Beast, de Tina Brown, qui associe contenus<br />

originaux, commentaires de visiteurs et<br />

agrégateur d’actualités. La rédaction de Lettera43<br />

est jeune, très jeune même, puisque<br />

la moyenne d’âge de l’équipe est bien inférieure<br />

à 30 ans. La direction, composée de<br />

quatre “anciens” ainsi que des fondateurs<br />

associés, qui contrôlent 50 % de la société,<br />

encadrera une vingtaine de journalistes.<br />

L’accès sera complètement gratuit et c’est<br />

la publicité qui représentera la seule source<br />

de revenus du titre.<br />

L’ensemble des financements a été rassemblé<br />

à la fin du printemps dernier. Lettera43<br />

dispose ainsi d’un budget initial de<br />

services d’autocars pour transporter<br />

les personnes désireuses<br />

de participer à la manifestation<br />

du 30 octobre. De son côté,<br />

l’animateur du Daily Show rappelle<br />

que son initiative n’est pas<br />

une réponse à celle de Glenn Beck.<br />

des studios, le monde réel nourrit des<br />

attentes et, implicitement, place la barre<br />

toujours plus haut. “MM. Stewart et Colbert<br />

sont en train de passer peu adroitement du<br />

statut de figures médiatiques à celui de figures<br />

politiques, partant du principe que, aujourd’hui,<br />

la différence n’est peut-être plus si grande”,<br />

résume Michael Hirschorn, écrivain et producteur<br />

de nombreux reality-shows.<br />

“La limite entre politique<br />

et divertissement<br />

a toujours été floue”<br />

A Washington, cet événement, avec la couverture<br />

tentaculaire dont il bénéficiera, fera<br />

entrer Jon Stewart au royaume de ceux qui<br />

font l’objet des commentaires. Aura-t-il plus<br />

de succès que Glenn Beck ? Va-t-il taire ses<br />

tendances progressistes ou les afficher ?<br />

Et continuera-t-il, à coups de quolibets, à<br />

repousser les invitations à se porter candidat<br />

? “Jon Stewart tentera de faire passer cette<br />

journée pour un événement marginal, mais, à<br />

un certain niveau, elle sera bien réelle, affirmet-il.<br />

Au fond, c’est quelqu’un qui se prend pr<strong>of</strong>ondément<br />

au sérieux, et il est de moins en moins<br />

drôle”, estime Tucker Carlson, le fondateur<br />

du site The Daily Caller. Mais, comme beaucoup<br />

de fans de Jon Stewart, Aaron Sorkin,<br />

créateur de la série West Wing, considère que<br />

l’humoriste est aux antipodes du théâtre du<br />

Tea Party. “Quelqu’un doit dire quelque chose,<br />

et je crois que ces deux hommes savent exactement<br />

ce qu’ils font, soutient-il. La frontière<br />

entre la politique et le divertissement a toujours<br />

été floue, et je crois que ce sera génial. J’y serai.<br />

S’il y a 100 000 personnes, je serai la cent mille<br />

unième. Ils sont trop intelligents pour dire des<br />

idioties.” David Carr<br />

3 millions d’euros. Des contacts ont été établis<br />

avec slate.fr, le site fondé et présidé par<br />

Jean-Marie Colombani. Toujours en prenant<br />

modèle sur la France, un autre site se<br />

prépare depuis plusieurs mois, celui de<br />

Lucia Annunziata [célèbre journaliste et<br />

écrivain italienne], qui vise le modèle de<br />

Rue89, le site d’information qui a probablement<br />

connu le plus grand succès en<br />

France ces dernières années. Le paysage italien<br />

de l’information en ligne devrait donc<br />

s’ét<strong>of</strong>fer dans les semaines à venir. Après<br />

Blitz Quotidiano, cet agrégateur d’informations<br />

lancé en 2009 par l’ex-directeur de<br />

L’Espresso, Marco Benedetto, et plus récemment<br />

Il Post, de Luca S<strong>of</strong>ri, le pionnier Dagospia<br />

devrait se sentir très prochainement<br />

beaucoup moins seul.


Ecologie<br />

Le grand chélonien du lac Hoàn<br />

Kiêm, au centre de Hanoi,<br />

est l’un des derniers spécimens<br />

de son espèce. D’où l’urgence<br />

de le protéger alors que<br />

son biotope est menacé<br />

par la pollution et les pêcheurs.<br />

Thanh Niên (extraits)<br />

Hô Chi Minh-Ville<br />

P<br />

endant plus de deux mille ans, la<br />

tortue géante à carapace molle<br />

du lac Hoàn Kiêm, à Hanoi, a<br />

joué un rôle important dans la culture vietnamienne.<br />

Pourtant, sa survie est aujourd’hui<br />

menacée et son avenir demeure<br />

incertain car les autorités n’ont pas réussi<br />

à lui assurer une protection juridique.<br />

L’espèce Rafetus swinhoei ne compte<br />

plus que quatre individus dans le monde<br />

– deux mâles qui vivent à l’état sauvage<br />

dans des lacs vietnamiens et un couple qui<br />

vit en captivité en Chine et n’a pas encore<br />

donné d’œufs fertiles. Le plus célèbre spécimen<br />

vit dans le lac Hoàn Kiêm, où, selon<br />

certains, il est menacé par la pollution et<br />

les hameçons des pêcheurs. A l’heure où<br />

la ville fête son millième anniversaire [du<br />

1er au 10 octobre], les autorités locales et<br />

les spécialistes de la protection de la<br />

faune débattent sur la façon de protéger<br />

cette légende.<br />

Les tortues du lac Hoàn Kiêm étaient<br />

considérées jadis comme les incarnations<br />

du dieu Kim Qui, la Tortue d’or. Au<br />

cours des deux derniers millénaires,<br />

cette divinité aurait aidé les Vietnamiens<br />

à cons truire des fortifications, à repousser<br />

des armées ennemies et aurait même<br />

créé des armes enchantées. C’est ainsi<br />

qu’au XVe siècle Kim Qui remit au futur<br />

empereur Lê Loi [qui occupa le trône<br />

de 1428 à 1433 et fonda la dynastie des Lê<br />

postérieurs] une épée magique avec<br />

laquelle il repoussa l’envahisseur chi-<br />

Pas bêtes !, tel est le titre<br />

du hors-série de<br />

Courrier <strong>international</strong><br />

publié en juin 2009. Car<br />

bêtes, les bêtes sont loin<br />

de l’être, comme le<br />

prouve cet abécédaire<br />

qui raconte les mœurs<br />

étonnantes des animaux.<br />

nois. Après sa victoire, Lê Loi rendit<br />

l’arme à Kim Qui, qui replongea alors<br />

dans le lac avec l’épée dans son bec –<br />

Hoàn Kiêm signifie littéralement “l’épée<br />

restituée”. La tour de la Tortue qui se<br />

dresse sur une petite île au milieu du lac<br />

commémore ce prêt légendaire.<br />

La tortue à carapace molle a été observée<br />

dans le célèbre plan d’eau de la ville<br />

de Hanoi depuis les années 1990. Le mois<br />

dernier, la presse locale a publié des<br />

Rafetus swinhoei, aussi appelée<br />

tortue à carapace molle du Yangtsé,<br />

mesure en moyenne 1 m de long pour<br />

70 cm de large et peut peser plus<br />

de 130 kilos. Avec une population<br />

de seulement quelques individus –<br />

Dessin de Richard Downs, Etats-Unis.<br />

photos du reptile vieillissant, couvert<br />

d’hameçons et de cicatrices, provoquant<br />

un émoi populaire et lançant un débat<br />

sur la protection de la tortue. Le D r Da<br />

Dinh Duc, pr<strong>of</strong>esseur assistant à l’Université<br />

nationale du Vietnam à Hanoi, a<br />

appelé au sauvetage immédiat de l’animal.<br />

“D’abord, nous devrons enlever les<br />

hameçons de sa carapace… sinon ils finiront<br />

par se prendre quelque part et lui arracheront<br />

des morceaux de peau”, a-t-il déclaré<br />

au journal vietnamien Tien Phong. Il a<br />

ensuite exprimé son inquiétude face aux<br />

innombrables dangers qui peuplent son<br />

environnement – un simple sac en plastique<br />

flottant dans le lac pourrait ainsi lui<br />

être fatal. “Le sac est susceptible d’abriter de<br />

petites crevettes et des poissons et la tortue,<br />

en l’avalant, risquerait d’en mourir étouffée<br />

ou empoisonnée.”<br />

Législation trop laxiste<br />

D’après le D r Da Dinh Duc, la tortue du<br />

lac Hoàn Kiêm aurait environ 700 ans et<br />

serait la dernière survivante de l’espèce<br />

Rafetus leloii. Pour d’autres scientifiques,<br />

elle n’aurait pas dépassé 120 ans et<br />

appartiendrait plutôt à l’espèce Rafetus<br />

swinhoei. Ces mêmes biologistes préconisent<br />

d’ailleurs de laisser l’animal tranquille.<br />

Le stress provoqué par sa capture<br />

risque selon eux de lui faire plus de mal<br />

que de bien. Toutefois, tous s’accordent<br />

sur le fait qu’elle doit bénéficier d’une<br />

meilleure protection. En effet, ni la Rafetus<br />

swinhoei ni la Rafetus leloii ne figurent<br />

sur la liste des espèces protégées au<br />

Vietnam. “Je ne comprends pas”, confie<br />

Douglas Hendrie, conseiller technique<br />

pour Education Nature-Vietnam, une<br />

ONG de défense des animaux. “Si cette<br />

tortue ne représente pas un cas idéal d’espèce<br />

à protéger, je ne vois pas laquelle le<br />

serait.” Selon lui, les Rafetus swinhoei<br />

seraient en trop petit nombre et ne présenteraient<br />

donc pas suffisamment d’in-<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 45<br />

observés à l’état sauvage<br />

ou élevés en captivité –, ce reptile<br />

chélonien est classé espèce<br />

en danger par l’Union <strong>international</strong>e<br />

pour la conservation de la nature<br />

(UICN).<br />

Biodiversité<br />

Les Vietnamiens au chevet de leur tortue légendaire<br />

térêt économique pour que les autorités<br />

vietnamiennes fassent l’effort de les<br />

protéger.<br />

Cela fait douze ans que Hendrie de -<br />

mande que quelque chose soit fait pour<br />

améliorer l’habitat de la tortue. Dans le<br />

même temps, un membre de l’unité gouvernementale<br />

chargée de garder le lac et<br />

un parc voisin déclare que ses hommes<br />

ont interpellé des pêcheurs clandestins<br />

et saisi leur matériel. Mais la législation,<br />

trop laxiste, ne dissuade généralement<br />

pas les pêcheurs à la ligne.<br />

Obtenir des œufs fertiles<br />

Le nettoyage de l’eau du Hoàn Kiêm est<br />

actuellement en cours et si certains craignent<br />

qu’un changement drastique de<br />

son environnement ne perturbe la<br />

tortue, d’autres considèrent qu’il s’agit<br />

là d’une bonne action pour améliorer<br />

son milieu. Plusieurs scientifiques estiment<br />

cependant que la tortue n’en a plus<br />

pour très longtemps. “Je pense qu’elle vit<br />

actuellement ses dernières années”, déclare<br />

Peter Pritchard, fondateur du Chelonian<br />

DR<br />

Research Institute [une ONG installée<br />

à Oviedo, en Floride, qui se consacre à<br />

la protection des tortues] et auteur d’un<br />

livre sur cette espèce.<br />

Les défenseurs des animaux espèrent<br />

qu’un partenariat <strong>international</strong><br />

impliquant l’autre mâle vietnamien et<br />

une femelle captive en Chine donnera<br />

des œufs fertiles. Si on parvient à sauver<br />

l’espèce, ce ne serait pas une mauvaise<br />

idée de la réintroduire dans le lac Hoàn<br />

Kiêm, considère le D r Pritchard. “L’idée<br />

a l’air dingue mais, après tout, cela fait<br />

longtemps qu’elles vivent ici.”<br />

Il faudrait cependant procéder à certaines<br />

modifications dans le lac, par<br />

exemple, créer une plage de sable autour<br />

de l’île de la tour. Selon des biologistes,<br />

les berges en béton actuelles du lac peuvent<br />

érafler et blesser les tortues de cette<br />

espèce. En définitive, Peter Pritchard est<br />

persuadé que l’opinion vietnamienne est<br />

capable de faire bouger les choses. Après<br />

tout, “des milliers d’yeux sont rivés sur ce<br />

lac”, conclut-il.<br />

Minh Hung, Calvin Godfrey


46 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Technologie<br />

Robotique<br />

Un automate qui se nourrit et… va aux toilettes<br />

Des chercheurs britanniques<br />

ont créé Ecobot III, un robot<br />

doté d’un intestin artificiel.<br />

Capable de digérer de la matière<br />

organique et d’évacuer<br />

ses déchets, il pourrait être<br />

le précurseur de machines<br />

totalement autonomes.<br />

New Scientist Londres<br />

L<br />

a digestion. Si les robots étaient<br />

capables d’assurer cette fonction<br />

de base, elle leur permettrait<br />

de devenir véritablement autonomes.<br />

Dans cette perspective, des chercheurs<br />

ont inventé des intestins artificiels et<br />

choisi d’utiliser la biomasse comme<br />

source d’énergie. L’objectif est de créer<br />

des robots capables de se nourrir par euxmêmes,<br />

qui pourraient être programmés<br />

pour travailler pendant de longues<br />

périodes sans intervention humaine.<br />

De tels robots génèrent de l’électricité<br />

grâce à des piles à combustible<br />

microbiennes (PACM) – des dispositifs<br />

bioélectrochimiques qui utilisent des cultures<br />

de bactéries pour dégrader la nourriture<br />

et produire de l’électricité. Mais<br />

personne n’avait répondu jusqu’à présent<br />

à cette question délicate mais incontournable<br />

: comment évacuer les déchets<br />

générés par les bactéries ?<br />

Ce qui manquait, c’étaient des intestins<br />

artificiels, explique Chris Melhuish,<br />

directeur du laboratoire Bristol Robotics,<br />

au Royaume-Uni. Avec Ioannis Ieropoulos<br />

et ses collègues, il a passé trois années<br />

à travailler sur ce concept. Résultat :<br />

Ecobot III est né. “Le nom ‘Colique-Bot’<br />

serait plus approprié, reconnaît Chris<br />

Melhuish. Ça ne fait pas exactement des<br />

petites crottes de lapin.”<br />

Ecobot III est capable de survivre sept<br />

jours en se nourrissant et en s’abreuvant<br />

sans aide extérieure. Prodige de la technique,<br />

cette créature docile expulse ses<br />

déchets dans une litière toutes les vingtquatre<br />

heures. La clé du fonctionnement<br />

de ces intestins, explique Ioannis Ieropoulos,<br />

c’est un système de recyclage qui<br />

repose sur une pompe péristaltique fonctionnant<br />

par gravité [voir schéma]. Comme<br />

le colon humain, cette pompe crée des<br />

ondes de pression pour évacuer les<br />

matières indésirables.<br />

Le robot se nourrit grâce à un distributeur.<br />

Il aspire avec sa “bouche” une<br />

solution riche en éléments nutritifs,<br />

fabriquée à partir d’eaux usées partiel -<br />

lement traitées. Là, le liquide est distribué<br />

vers 48 PACM. Ce cocktail est une<br />

concoction de minéraux, de sels, d’extraits<br />

de levure et d’autres nutriments.<br />

Si peu appétissant soit-il, pour les<br />

microbes qui peuplent le ventre du robot,<br />

c’est de l’ambroisie !<br />

Un système digestif… en prototype<br />

4<br />

Pompes<br />

3 La première rangée<br />

de piles à combustible<br />

microbiennes (PACM)<br />

est remplie, puis la deuxième.<br />

Conteneurs à eau<br />

et matière organique<br />

Selon Ioannis Ieropoulos, les robots<br />

doivent se débarrasser de ces déchets non<br />

seulement pour éviter d’être trop pleins<br />

et de se boucher, mais aussi pour éliminer<br />

les produits acides du digesteur, lesquels<br />

pourraient empoisonner les bactéries.<br />

En l’état actuel des choses, les PACM ne<br />

sont capables d’extraire que 1 petit pourcent<br />

de l’énergie chimique contenue dans<br />

leur nourriture, même si celle-ci est recyclée<br />

plusieurs fois. Mais, si l’on modifie<br />

les anodes pour agrandir la surface sur<br />

laquelle les bactéries peuvent s’attacher,<br />

il devrait être possible d’extraire bien<br />

plus d’énergie.<br />

3<br />

Les piles à combustible<br />

microbiennes produisent de l’énergie<br />

à partir de matière organique.<br />

Celle-ci est dégradée par des bactéries,<br />

ce qui libère des électrons,<br />

lesquels migrent vers une électrode<br />

et génèrent du courant électrique<br />

1 L’eau et les matières<br />

organiques (la nourriture)<br />

sont captées par<br />

la “bouche” d’Ecobot III.<br />

Estomac artificiel<br />

Pompes<br />

2 Elles sont<br />

ensuite pompées<br />

dans le système<br />

de distribution.<br />

Système<br />

de distribution<br />

PACM<br />

4 L’eau et la nourriture sont<br />

à nouveau injectées dans le<br />

système. Elles suivent plusieurs<br />

fois le même cycle.<br />

L’énergie produite par les PACM permet d’une part à Ecobot III de circuler sur un rail pour accéder<br />

à ses distributeurs d’eau et de nourriture, d’autre part de faire fonctionner les différentes pompes du robot,<br />

ainsi que ses instruments de mesure.<br />

Prochaine étape : nourrir<br />

Ecobot avec des mouches<br />

plus croustillantes<br />

Un des avantages des PACM est qu’elles<br />

peuvent consommer presque tout et n’importe<br />

quoi, explique Ioannis Ieropoulos.<br />

Les bactéries qui colonisent les intestins<br />

d’Ecobot III appartiennent à des centaines<br />

d’espèces différentes ; ainsi elles peuvent<br />

s’adapter aux pitances les plus variées. Et,<br />

si les chercheurs utilisent des eaux usées<br />

5 Après vingt-quatre heures, la nourriture<br />

est stockée dans l’estomac, au fond duquel se déposent<br />

les particules les plus lourdes.<br />

Pompe<br />

péristaltique<br />

5<br />

6 La pompe<br />

péristaltique<br />

purge<br />

ces déchets,<br />

qui seront<br />

évacués<br />

dans la “litière”<br />

du robot.<br />

Vers le bac<br />

à déchets<br />

comme nourriture, ce n’est évidemment<br />

pas un hasard. Une idée les titille : est-il possible<br />

d’intégrer ces piles à un système de filtration<br />

pour purifier les eaux usées ?<br />

La prochaine étape consistera à observer<br />

comment le robot réagit à des repas plus<br />

croustillants, à savoir des insectes. Mais que<br />

ceux qui sont effrayés à l’idée d’un robot carnivore<br />

se rassérènent. Comme le souligne<br />

Chris Melhuish, une grande partie de l’énergie<br />

générée servira à faire fonctionner l’appareil<br />

digestif du robot. Et, avec une vitesse<br />

moyenne de déplacement de 21 centimètres<br />

par jour, ce gourmet a peu de chances de vous<br />

attraper.Duncan Graham-Rowe<br />

Courrier <strong>international</strong> Source : Ioannis A. Ieropoulos, Bristol Robotics Laboratory, Universities <strong>of</strong> Bristol and <strong>of</strong> the West <strong>of</strong> England


Long<br />

<strong>courrier</strong><br />

3D<br />

Une imprimante pourrait chambouler la société de consommation — p. 52<br />

Abécédaire<br />

Le futur proche selon le romancier Douglas Coupland — p. 48<br />

Cambodge<br />

Les voix d’or des sixties au firmament — p. 54<br />

X<br />

La cinéaste Erika Lust inverse les codes du porno — p. 50


48 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Idées<br />

Abécédaire<br />

du futur<br />

proche<br />

Un pied dans l’avenir et l’autre dans<br />

le présent, l’écrivain canadien Douglas<br />

Coupland radiographie notre époque<br />

en une vingtaine de néologismes.<br />

The New York Times (extraits) New York<br />

Le futur est facétieux : il ne ressemble jamais<br />

à ce que nous avions imaginé. De nouvelles<br />

sensations appellent forcément de nouveaux<br />

termes. En voici quelques-uns pour dire notre<br />

moment présent.<br />

A<br />

Amnésie karaokéale<br />

(Karaokeal amnesia)<br />

Incapacité qu’ont la plupart des personnes à se<br />

souvenir des paroles d’une chanson en entier, et<br />

particulièrement de leurs préférées.<br />

C<br />

Col blême<br />

(Blank-collar worker)<br />

Travailleur qui a fait partie de la classe moyenne,<br />

qui n’en fera plus jamais partie et qui ne s’en<br />

remettra jamais.<br />

D<br />

Dénarration<br />

(Denarration)<br />

Processus par lequel la vie cesse de ressembler<br />

à un récit.<br />

L’auteur<br />

Long<br />

<strong>courrier</strong><br />

Douglas Coupland,<br />

48 ans, s’est fait<br />

connaître en 1991 avec<br />

son premier roman,<br />

Génération X (éd. 10/18,<br />

2004), qui popularisera<br />

cette expression pour<br />

désigner les enfants<br />

des années 1960.<br />

Féru de nouvelles<br />

technologies, cet<br />

écrivain et plasticien<br />

canadien porte<br />

un regard critique<br />

sur notre société<br />

de consommation<br />

et d’accélération<br />

à outrance. Il vient de<br />

publier au Canada un<br />

nouveau roman, Player<br />

One. Pour en savoir<br />

plus : coupland.com.<br />

Déségotisation<br />

(Deselfing)<br />

Dilution volontaire de son identité et de son ego<br />

par l’étalage du maximum d’informations<br />

possibles sur Internet (voir aussi Lassitude de<br />

l’omniscience et Réégotisation).<br />

Désinhibition situationnelle<br />

(Situational disinhibition)<br />

Stratégies sociales autorisant la levée des inhi bitions.<br />

Plus précisément, moments de désinhibition<br />

agréés par la société : par exemple lorsqu’on<br />

parle à une voyante, à un chien ou à un autre<br />

animal domestique, à des inconnus et au barman<br />

dans un bar ou à une planche spirite.<br />

Dimanchophobie<br />

(Dimanchophobia)<br />

Hantise du dimanche, trouble dénotant la crainte<br />

du temps non structuré. Connue aussi sous le<br />

nom d’angoisse acalendaire. A ne pas confondre<br />

avec didominicaphobie ou kyriaképhobie, hantise<br />

du jour du Seigneur.<br />

Dysphorie de l’identité en milieu<br />

aéroportuaire<br />

(Airport-induced identity dysphoria)<br />

Trouble induit par le voyage moderne, qui ôte au<br />

voyageur assez de son sentiment identitaire pour<br />

créer chez lui un besoin d’acheter des autocollants<br />

ou d’autres gadgets – drapeaux du monde<br />

entier, armoiries familiales, produits dérivés universitaires<br />

– qui renforcent sa personnalité, légèrement<br />

érodée.<br />

E<br />

Effroyable vérité<br />

(Grim truth)<br />

Vous êtes plus futé que la télé. Et alors ?<br />

G<br />

Gazolax<br />

(Stovulax)<br />

Médicament microciblé du futur destiné à traiter<br />

un type très précis de trouble obsessionnnel compulsif<br />

(TOC), en l’occurrence l’incapacité à se<br />

convaincre qu’on a bien fermé le gaz avant de partir.<br />

I<br />

Ikéase<br />

(Ikeasis)<br />

Désir, dans sa vie quotidienne et dans sa vie de<br />

consommateur, de s’en tenir à des objets de<br />

conception “générique”. S’entourer de formes<br />

claires et rassurantes est une façon de se simplifier<br />

la vie dans le déluge d’informations ambiant.<br />

L<br />

Lassitude de l’omniscience<br />

(Omniscience fatigue)<br />

Surmenage provoqué par le fait de pouvoir trouver<br />

réponse à tout sur Internet.<br />

Loi de la téléphonie de Bell<br />

(Bell’s law <strong>of</strong> telephony)<br />

Loi en vertu de laquelle le montant de votre<br />

facture de téléphone reste, comme par magie,<br />

constant, quelle que soit la technologie utilisée.<br />

Lunettes autoaveuglantes<br />

(Me goggles)<br />

Incapacité à se voir tel que les autres nous voient.<br />

N<br />

Nébulocécité<br />

(Cloud blindness)<br />

Inaptitude à distinguer des visages ou des formes<br />

dans les nuages.<br />

P<br />

Posthumain<br />

(Post-human)<br />

Ce que nous sommes appelés à devenir.<br />

Procélération<br />

(Proceleration)<br />

Accélération de l’accélération.<br />

R<br />

Réégotisation<br />

(Undeselfing)<br />

Tentative, souvent aussi éperdue que vaine, d’inverser<br />

le processus de déségotisation (voir aussi<br />

ce mot).<br />

Réincarnation instantanée<br />

(Instant reincarnation)<br />

Désir de changement radical qu’éprouvent la plupart<br />

des adultes, si satisfaisante que soit leur vie.<br />

Ce désir d’être réincarné de son vivant est quasi<br />

universel.<br />

S<br />

Surdité interne<br />

(Internal voice blindness)<br />

Incapacité quasi universelle des individus à exprimer<br />

l’intonation et la personnalité de la voix qui<br />

porte leur monologue intérieur.<br />

T<br />

Théorie cristallographique<br />

de l’argent<br />

(Crystallographic money theory)<br />

Hypothèse selon laquelle l’argent est une cristallisation<br />

ou une condensation du temps et du<br />

libre arbitre, les deux caractéristiques qui distinguent<br />

l’être humain des autres espèces.<br />

V<br />

Virtualitemps<br />

(Frankentime)<br />

Perception du temps dès lors que l’on réalise que<br />

l’on passe l’essentiel de sa vie à travailler sur un<br />

ordinateur et à utiliser Internet.<br />

Douglas Coupland


MARTIN TESSLER/REDUX-RÉA<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 49<br />

Douglas Coupland<br />

Dans sa maison de Vancouver,<br />

au Canada, entouré de ses œuvres.


50 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Cinéma<br />

Porno<br />

d’un autre<br />

genre<br />

Dans les films de la Suédoise Erika Lust,<br />

les femmes ne sont pas des objets<br />

dépourvus de volonté, mais des bêtes de<br />

sexe pleines d’initiative. Rencontre avec<br />

une réalisatrice qui inverse les codes.<br />

NRC Handelsblad (extraits) Rotterdam<br />

On pourrait la prendre pour une<br />

maîtresse de maternelle avec ses<br />

longs cheveux blonds, sa fossette<br />

sur la joue et ses bras potelés.<br />

Quand elle parle de sexe, il lui<br />

arrive de pouffer de rire.<br />

Elle est réalisatrice de films pornos. Son nom,<br />

Erika Lust, est un pseudonyme [lust signifie<br />

luxure en anglais]. Erika Hallqvist a achevé il y a<br />

dix ans ses études de sciences politiques à l’université<br />

de Lund et, à présent, cette Suédoise se<br />

fait un nom à Barcelone comme réalisatrice de<br />

films X. Elle a monté sa société de production<br />

Lust Films avec son mari, l’Argentin Carlos<br />

Dobner, et a publié récemment le livre Good Porn:<br />

A Woman’s Guide [il vient de paraître en français<br />

sous le titre Porno pour elles aux éditions Femme<br />

fatale]. Ses collègues masculins la qualifient de<br />

“féminazie”. Pour le quotidien espagnol<br />

El Mundo, elle fait partie des cinquante<br />

trentenaires les plus influents d’Espagne.<br />

Chez Mail & Female, boutique d’articles<br />

érotiques d’Amsterdam qui fait aussi de la vente<br />

par correspondance, son film Five Hot Stories est<br />

un best-seller. Les réalisatrices de pornos – tout au<br />

plus une vingtaine dans le monde – ont, contrairement<br />

à leurs collègues masculins, le souci du<br />

Long<br />

<strong>courrier</strong><br />

détail, dit Ella van der Gang, acheteuse chez Mail<br />

& Female. “Parfois, on se retrouve avec des images trop<br />

artistiques et plein de caresses avec une plume.” Mais,<br />

selon elle, ce que fait Lust est “contemporain et subtil,<br />

pas trop sombre, pas trop fantasmatique.”<br />

Il y a effectivement peu de caresses avec une<br />

plume dans les courts-métrages d’Erika Lust. Elle<br />

montre les mêmes actes sexuels que ses collègues<br />

masculins, mais dans l’imagerie de la publicité :<br />

de beaux hommes et de belles femmes, dans une<br />

lumière idéale et des décors d’appartements branchés.<br />

Les femmes dans ses films ne sont pas des<br />

objets sexuels dépourvus de volonté, mais des<br />

bêtes de sexe pleines d’initiative. Ses acteurs utilisent<br />

à l’image un préservatif et disent parfois<br />

“Je t’aime” après l’orgasme. Erika Lust veut “redéfinir”<br />

le porno “selon une perspective féminine”.<br />

“J’ai commencé à faire des films pornos pour moimême,<br />

explique-t-elle. Il n’y avait rien dans ce<br />

domaine qui me plaise, qui m’excite.” Le porno s<strong>of</strong>t,<br />

où par exemple un couple fait l’amour devant une<br />

cheminée, ne produit chez elle aucun effet. “Cela<br />

ne me fait rien. Je veux voir des histoires urbaines<br />

modernes avec des femmes qui me ressemblent. J’ai<br />

besoin de contexte. Il faut apprendre à connaître un<br />

peu les personnages. Qui sont ces gens ? Pourquoi couchent-ils<br />

ensemble ?”<br />

Lust avait environ 16 ans quand elle a regardé<br />

pour la première fois du porno avec son petit ami.<br />

Ils avaient trouvé la cassette VHS dans les affaires<br />

du père du garçon. “J’ai trouvé ce que j’ai vu condamnable,<br />

mais cela m’a excitée. C’était troublant.”<br />

D’après Erika Lust, presque tous les garçons<br />

se mettent en quête de porno vers 15 ans. “Ils<br />

découvrent leur sexualité et sont curieux. Mais le<br />

porno standard leur présente une image malsaine de<br />

la femme. Que peut-il bien se passer dans la tête d’un<br />

garçon lorsqu’il voit un film comme ‘Rocco Siffredi<br />

baise huit femmes bulgares dans la baignoire’ ?”<br />

Dans son livre Good Porn, Erika Lust énumère<br />

les idées fausses qui risquent de rester bien<br />

ancrées dans l’esprit des jeunes hommes s’ils font<br />

leur éducation sexuelle uniquement à travers le<br />

porno. En voici quelques-unes :<br />

“ Ses acteurs utilisent<br />

à l’image un préservatif<br />

et disent parfois<br />

“Je t’aime”<br />

après l’orgasme.<br />

KRYSTIAN GEYR<br />

– Les femmes portent des talons aiguilles au lit.<br />

– Les hommes ont toujours une érection.<br />

– Quand une femme se masturbe et qu’un<br />

inconnu entre, elle n’a jamais peur ou ne se sent<br />

jamais gênée. Elle l’invite tout simplement<br />

à faire l’amour.<br />

– Les belles jeunes femmes adorent avoir des relations<br />

sexuelles avec des hommes gros et laids<br />

d’âge moyen.<br />

Erika Lust envisageait de travailler dans la<br />

politique ou dans une organisation <strong>international</strong>e,<br />

mais à Barcelone, quand on ne maîtrise pas<br />

suffisamment le catalan, autant renoncer, estimet-elle.<br />

Elle s’est retrouvée dans le monde de la<br />

publicité. Elle a commencé en tant qu’assistante<br />

de production, puis elle s’est chargée de la production<br />

de spots pour Sony Pictures. C’est là<br />

qu’elle s’est initiée à la production. Dans le cadre<br />

d’une formation à la mise en scène, on lui a<br />

demandé de réaliser un court-métrage. L’idée lui<br />

trottait dans la tête, cela faisait déjà des années<br />

qu’elle y pensait : un film porno pour femmes.<br />

Derrière l’apparence joviale et décontractée<br />

d’Erika Lust se cache une féministe convaincue.<br />

“Comme le reste de l’industrie cinématographique,<br />

l’industrie du porno est dominée par les hommes”,<br />

dit-elle. L’an dernier, pour la première fois dans


l’Histoire, une femme metteur en scène a<br />

remporté un oscar : Kathryn Bigelow, pour<br />

Démineurs. “J’étais tellement déçue. Nous avions<br />

attendu si longtemps qu’une réalisatrice remporte un<br />

oscar, mais Bigelow n’a pas dit un mot à ce sujet dans<br />

ses remerciements. Au lieu de cela, elle a remercié l’armée<br />

américaine.”<br />

Pour les hommes, le porno est un article usuel,<br />

dit Erika Lust. “Ils l’utilisent pour se masturber. Les<br />

femmes, elles, l’utilisent pour s’inspirer, pour découvrir<br />

ce qui les excite. La stimulation visuelle ne nous<br />

suffit pas. Nous avons besoin de mettre tous nos sens à<br />

contribution.” C’est pour cette raison qu’elle travaille<br />

beaucoup sur la lumière dans ses films et<br />

qu’elle choisit soigneusement la musique. “Dans<br />

mon premier film, la musique avait trop d’importance.<br />

Ce n’est pas bon non plus. On n’entendait plus les soupirs<br />

des personnages.” Les femmes se créent le<br />

moment propice au sexe, dit Lust. “Elles prennent<br />

d’abord un bain, elles ouvrent une bouteille de vin, elles<br />

mettent de la musique d’ambiance. Ce n’est qu’après<br />

qu’elles peuvent trouver leur bouton sexuel.”<br />

Lust veut raconter des “histoires modernes”.<br />

Ses scénarios doivent être “réalistes”, dit-elle.<br />

Dans son premier court-métrage, The Good Girl<br />

(2004), elle reprend la vieille histoire du livreur<br />

de pizzas, mais du point de vue féminin. “Chez<br />

Une scène du<br />

court-métrage<br />

Life (2010) :<br />

de beaux<br />

acteurs,<br />

une lumière<br />

idéale, un décor<br />

d’appartement<br />

branché.<br />

mes collègues masculins, l’histoire se déroule la plupart<br />

du temps de la même manière : le livreur sonne,<br />

la fille ouvre et lui sourit, l’homme demande l’argent,<br />

la fille n’en a pas, le livreur se fâche, elle sourit<br />

à nouveau et se déshabille, il se détend, il a droit à<br />

une pipe, il la baise, il jouit et il s’en va satisfait. Vous<br />

avez dit sexiste ?”<br />

Dans l’histoire de pizza de Lust, une jeune<br />

femme qui a une bonne situation a des fantasmes<br />

sexuels. “Le film se concentre sur elle. C’est elle qui<br />

décide de ce qui se passe. Elle qui décide de vivre ses<br />

fantasmes pornographiques quand le livreur de<br />

pizzas est devant sa porte. C’est l’archétype du porno<br />

du début à la fin, quand le livreur de pizzas éjacule<br />

sur son visage. Mais cela ne se produit que parce que<br />

c’est elle qui le veut et après qu’elle a eu son orgasme.<br />

Puis elle paie sa pizza et en propose une part au<br />

livreur.”<br />

Dans Life (2010), une serveuse et un chef cuisinier<br />

baisent comme des bêtes après la fermeture<br />

du restaurant. Ils fêtent l’anniversaire du<br />

cuisinier. Quand ils parviennent à l’orgasme, la<br />

femme donne à l’homme un petit paquet joliment<br />

emballé : un test de grossesse, au résultat<br />

positif. Comment ? Un test de grossesse dans<br />

un film porno ? Qu’est-ce que cela peut bien<br />

avoir d’excitant ? Lust rigole. “Pourquoi pas ? J’ai<br />

eu des relations sexuelles formidables quand j’étais<br />

enceinte. Le sexe, c’est tellement personnel.”<br />

“Parfois, je me dis : est-ce que je dois appeler cela<br />

du porno ? Il est difficile d’expliquer ce que je fais. Je<br />

préfère parler de films pour adultes ou, mieux, de<br />

nouveaux films pour adultes. Voire de nouvelle<br />

vague porno. Je montre des scènes explicites, mais<br />

c’est toujours du sexe librement choisi. Les sexothérapeutes<br />

prescrivent parfois mes films à des femmes<br />

qui ne parviennent pas à ressentir d’excitation. J’ai<br />

envie de donner des idées aux femmes.”<br />

Lust veut que les acteurs aient l’air “sain et<br />

naturel”. “Mais c’est très difficile d’en trouver qui<br />

n’aient pas des seins siliconés ou des muscles bodybuildés.”<br />

“Quant à trouver un acteur ou une actrice<br />

qui ait une pilosité normale, c’est presque impossible.<br />

Dans l’industrie du porno, ils s’épilent tous. Je préférerais<br />

que pour mes films ils gardent leurs poils sur le<br />

torse et au pubis, mais ils ne peuvent pas le faire, car<br />

cela leur ferait perdre des contrats.” Erika Lust n’a<br />

rien non plus contre des acteurs plus âgés. “En<br />

tout cas, pour les femmes, le sexe devient plus intéressant<br />

à mesure qu’elles avancent en âge.” Et Lust<br />

n’est pas hostile à un peu de cellulite.<br />

“Au début, je ne savais pas où trouver mes acteurs,<br />

dit Lust. Je suis allée voir un agent d’acteurs de porno.<br />

Je lui ai dit que je voulais rencontrer les acteurs 52


KRYSTIAN GEYR<br />

52 Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010<br />

Erika Lust<br />

Derrière son apparence joviale<br />

se cache une féministe convaincue.<br />

51 avant. J’ai dit : je veux savoir qui ils sont, je<br />

veux être sûre qu’ils aiment ce qu’ils font. Il m’a<br />

regardée comme si j’étais folle. Mais je veux être sûre<br />

que mes acteurs sont des personnes équilibrées mentalement,<br />

conscientes de ce que cela signifie d’avoir<br />

des relations sexuelles devant une caméra. Ils doivent<br />

faire ce travail parce qu’ils ont une attitude positive<br />

vis-à-vis du sexe, pas parce qu’ils ont un besoin<br />

d’argent extrêmement pressant.”<br />

Erika Lust estime que l’on peut parler d’évolution<br />

dans l’industrie du porno. “Aux Etats-Unis,<br />

il y a la réalisatrice Candida Royalle. C’est une pionnière.<br />

Elle fait du porno respectueux des femmes<br />

depuis les années 1970. Mais maintenant, partout<br />

en Europe, des réalisatrices de porno se font<br />

connaître. En Angleterre, il y a la très productive<br />

Anna Span. Aux Pays-Bas, l’Américaine Jennifer<br />

Lyon Bell a acquis une certaine notoriété. Et, en<br />

France, des réalisatrices ont tourné des courtsmétrages<br />

X, en collaboration avec Canal + [la série<br />

X-Femmes, diffusée en 2008 et 2009 sur la<br />

chaîne cryptée]. Parmi elles, il y avait par exemple<br />

Zoe Cassavetes, la fille du cinéaste John Cassavetes.<br />

Chacune le fait à sa façon. L’une avec des amateurs,<br />

l’autre dans le style art et essai ; une autre encore va<br />

tourner des films pour lesbiennes.”<br />

Mais il ne s’agit pas simplement de petits<br />

films bricolés destinés à la marge, précise Lust.<br />

“Sinon, mon entreprise ne marcherait pas aussi<br />

bien.” Au début, elle a eu du mal à vendre The<br />

Good Girl à l’industrie du porno. “Ils ne pensaient<br />

pas que cela pouvait rapporter. Les femmes n’allaient<br />

jamais acheter ça. Les femmes ne dépensent<br />

pas d’argent pour le sexe, voilà ce qu’ils pensent.<br />

Nous avons alors proposé The Good Girl sur<br />

Internet, en téléchargement gratuit. Il a été téléchargé<br />

des millions de fois. On a beaucoup écrit et<br />

parlé du film. Cela m’a ouvert les yeux : il y avait bien<br />

une demande pour ce genre de films.”<br />

Les femmes sont “consommatrices” de sexe,<br />

assure Erika Lust. “Avant, le marché du sexe était<br />

le domaine des hommes. Le porno était pour les<br />

hommes. Les sex-shops étaient pour les hommes. Les<br />

salons de massage étaient pour les hommes. Mais les<br />

femmes se rattrapent. Regardez les boutiques érotiques<br />

que l’on voit surgir partout. On n’y sent pas<br />

ce curieux mélange de produits d’entretien et de<br />

caoutchouc, il n’y fait pas sombre et il n’y a pas un<br />

vieux dégueulasse derrière le comptoir. Ce sont des<br />

boutiques spacieuses et bien éclairées, avec un personnel<br />

aimable. On dirait des boutiques de vêtements<br />

de luxe.” Monique Snoeijen<br />

Sur Internet<br />

Les films et les ouvrages<br />

d’Erika Lust sont<br />

en vente sur<br />

le site de sa maison<br />

de production,<br />

Lustfilms.com.<br />

La réalisatrice tient<br />

aussi un blog à cette<br />

adresse. Le site<br />

français SecondSexe,<br />

consacré à “la culture<br />

du plaisir féminin”,<br />

propose quant à lui<br />

un vaste choix<br />

de films X réalisés<br />

par des femmes<br />

pour des femmes.<br />

Enfin, une autre<br />

cinéaste suédoise,<br />

Mia Engberg,<br />

est à l’origine du projet<br />

Dirty Diaries,<br />

douze courts-métrages<br />

X féministes financés<br />

par des fonds publics.<br />

Le film (dirtydiarieslefilm.com)<br />

est sorti<br />

en France le 30 juin<br />

dernier et est encore<br />

projeté au cinéma<br />

Le Brady, à Paris.<br />

Dessin paru<br />

dans The<br />

Economist,<br />

Londres.<br />

Innovation<br />

Le monde<br />

s’imprimera<br />

en 3D<br />

Imaginez qu’avec une imprimante<br />

vous puissiez fabriquer<br />

ou réparer des objets du quotidien.<br />

L’économie en serait bouleversée.<br />

The Ecologist (extraits) Londres<br />

La petite Maddy est furieuse : elle a<br />

grandi et sa paire de chaussures préférée<br />

ne lui va plus. La mère de Maddy<br />

calme sa fille et s’installe à l’ordinateur.<br />

Elle télécharge les caractéristiques<br />

techniques des souliers en question et<br />

les copie sur une clé USB. Puis elle prend les<br />

vieilles chaussures de sa fille, attrape quelques<br />

bouteilles en plastique vides dans sa poubelle de<br />

recyclage et se rend au techshop qui vient d’ouvrir<br />

près de chez elle. Il y a là une imprimante 3D,<br />

mise à la disposition du public trois fois par<br />

semaine, qui peut fabriquer une nouvelle paire<br />

de chaussures pendant que le client patiente.<br />

A en croire Adrian Bowyer, de l’Innovative<br />

Design and Manufacturing Research Centre, à<br />

l’université de Bath (Royaume-Uni), un tel scénario<br />

est pour bientôt. Bowyer est l’un des<br />

principaux artisans du projet open source [technologie<br />

en libre accès] RepRap. La RepRap<br />

[Replicating Rapid Prototyper] est une imprimante<br />

3D novatrice. Non seulement elle peut<br />

s’autorépliquer presque complètement, mais<br />

aussi construire ses propres modules d’extension.<br />

Cette machine a été mise au point grâce<br />

aux efforts conjoints d’un groupe d’utilisateurs<br />

– n’importe qui peut en effet améliorer la<br />

conception de la machine et partager ces améliorations<br />

sur le site web de RepRap.<br />

Avec le temps, ces technologies donneront à<br />

des start-up et même à de simples consommateurs<br />

la possibilité d’imprimer des objets en 3D,<br />

un peu comme nous imprimons aujourd’hui des<br />

pages en couleurs. Dans un premier temps, cette<br />

technique se limitait à l’impression de plastiques,<br />

mais aujourd’hui elle permet de fabriquer des<br />

moules en terre et en céramique pour une utilisation<br />

métallurgique. Elle <strong>of</strong>fre aussi la possibilité<br />

de travailler avec des pâtes conductrices<br />

d’électricité, une étape fondamentale vers la production<br />

de composants électroniques.<br />

Bowyer travaille actuellement sur un système<br />

de triturateur grâce auquel les utilisateurs<br />

pourront bientôt recycler leurs vieux objets en<br />

plastique. Le dispositif lui-même pourra sans<br />

doute être fabriquée par la machine.<br />

Long<br />

<strong>courrier</strong><br />

La RepRap et les appareils de ce<br />

type représentent un changement<br />

de mentalité dans l’histoire des objets.<br />

Notre conception de la prospérité liée à la<br />

croissance économique pourrait être boule-<br />

versée par les possibilités de l’impression en 3D :<br />

fabriquer, à l’échelle d’une petite coopérative<br />

ou chez soi, des produits sur mesure, mais aussi<br />

refaire ou réparer des biens, au lieu d’en racheter<br />

des neufs. Cela revient à mettre en place une<br />

“industrie indépendante”.<br />

André Reichel, chercheur à l’université de<br />

Stuttgart (Allemagne), est l’un des rares universitaires<br />

à travailler sur des modèles industriels<br />

écologiques, à petits pr<strong>of</strong>its ou à but non<br />

lucratif. “Le pr<strong>of</strong>it et la croissance n’ont pas à être<br />

liés, assure-t-il, car la seule chose qui compte pour<br />

une entreprise, c’est que son chiffre d’affaires corresponde<br />

à ses coûts d’exploitation.”<br />

L’idée est radicalement nouvelle : on va voir<br />

apparaître un nouveau paradigme économique<br />

fondé sur la durée de vie du produit, et non plus<br />

sur la production de biens de qualité médiocre<br />

que l’on doit remplacer périodiquement. Pour<br />

les entreprises, cela signifie s’orienter vers des<br />

modèles de croissance avec un bénéfice nul ou<br />

très faible.<br />

La technologie d’impression 3D promet<br />

d’être plus durable que la fabrication traditionnelle<br />

du plastique. Adrin Bowyer précise que la<br />

matière première utilisée par la machine RepRap<br />

est un acide polylactique extrait de matériaux<br />

biologiques. Résultat, non seulement il est biodégradable,<br />

mais au cours du processus de production<br />

il stocke du CO2. “On n’a même pas besoin<br />

de transporter des matières premières, explique<br />

Bowyer. Il suffit d’avoir quelques mètres carrés de<br />

terrain pour faire pousser des plantes et produire le<br />

matériau qui va alimenter la machine.”<br />

Mais pour décentraliser l’industrie, il ne<br />

faudra pas seulement des matières premières et<br />

une machine intelligente. Il faudra aussi et surtout<br />

maintenir un esprit open source et l’accès à<br />

davantage de données libres de droits. Bowyer<br />

s’attend à ce que l’essor des technologies de type<br />

RepRap soit aux brevets ce que les fichiers MP3<br />

ont été aux droits d’auteur. “Il y aura un énorme<br />

échange d’informations, concernant par exemple<br />

les modèles d’impression dont les gens vont avoir<br />

besoin pour créer des objets, et les utilisateurs vont<br />

pouvoir partager de telles données sur le web.” Dans<br />

quelle mesure ces données resteront-elles protégées<br />

par des brevets ? Cela fera certainement<br />

l’objet de débats houleux. Les entreprises vont<br />

peut-être devoir abandonner la fabrication de<br />

produits finis pour ne plus produire que des<br />

“modèles d’impression” à vendre.<br />

André Reichel estime qu’un nouveau mot à<br />

la mode va entrer dans le vocabulaire des entreprises<br />

: l’autosuffisance. “L’autosuffisance a pour<br />

objet non pas l’innovation technologique mais<br />

l’innovation en termes de comportements, expliquet-il.<br />

Il s’agira de faire changer les attitudes des gens,<br />

la manière dont ils utilisent un produit, le type de produits<br />

qu’ils achètent effectivement. Ou, pour les entreprises,<br />

le type de produits qu’elles vendent vraiment.”<br />

Encore faudra-t-il que les entreprises soient<br />

prêtes à repenser la fabrication des produits afin<br />

qu’ils puissent être facilement réparés chez le<br />

consommateur. Et qu’elles soient prêtes aussi<br />

à donner sur leur site Internet des données jusqu’alors<br />

considérées comme confidentielles au<br />

sujet la fabrication de ces produits.<br />

On ne peut que spéculer sur les retombées<br />

éventuelles des imprimantes 3D. Mais on imagine<br />

aisément qu’elles permettront à n’importe<br />

qui de fonder sa propre entreprise. Le changement<br />

de modèle est peut-être pour bientôt…<br />

Et l’imprimante 3D en sera le catalyseur.<br />

Ann Danylkiw


KAREN ROBINSON/ GUARDIAN NEWS & MEDIAS LTD<br />

Le livre<br />

Les temps<br />

modernes de<br />

Tom McCarthy<br />

L’écrivain britannique se livre<br />

à une réflexion sur la communication<br />

et ses limites dans un roman<br />

débordant d’inventivité qui se situe<br />

aux débuts de la radio.<br />

The Daily Telegraph Londres<br />

Pour les lecteurs habitués à la nature<br />

expérimentale des œuvres de fiction<br />

de Tom McCarthy, les premières<br />

pages de C* constituent une véritable<br />

surprise. Le rythme saccadé d’Et<br />

ce sont les chats qui tombèrent et de<br />

Cosmonautes au paradis a disparu au pr<strong>of</strong>it, semblet-il,<br />

d’une tentative de récit historique classique.<br />

Un médecin est transporté en cabriolet à<br />

cheval pour mettre un bébé au monde. Le siège<br />

est dur, il a les fesses endolories et, alors qu’il<br />

approche de sa destination, on ne peut se défaire<br />

de l’impression qu’on est sur des sentiers battus.<br />

Il ne faut cependant pas longtemps à McCarthy<br />

pour contrarier les attentes du lecteur : il n’y<br />

aura pas de scène d’accouchement minutieusement<br />

détaillée, pas d’angoisse parentale ; à la place,<br />

c’est un récit plein d’énergie, d’invention et d’intelligence<br />

qui commence à prendre forme.<br />

C, qui a été sélectionné pour le Man Booker<br />

Prize de cette année, s’ouvre avec la naissance<br />

de son sujet, Serge Carrefax, et les débuts de la<br />

TSF. Pendant que Serge vient au monde d’une<br />

mère anesthésiée au chlor<strong>of</strong>orme, son père<br />

construit des réseaux complexes destinés à<br />

accroître les possibilités d’émission de signaux<br />

par les ondes. Cette conjonction aura un pr<strong>of</strong>ond<br />

effet sur Serge et le mènera des bancs de l’école<br />

au ciel dégagé au-dessus des tranchées de la<br />

Première Guerre mondiale, des conditions<br />

indignes d’un camp de prisonniers de guerre aux<br />

rues de Londres ravagées par la drogue et enfin,<br />

dans l’Egypte des années 1920, là où l’ancien et<br />

le nouveau se rencontrent.<br />

De tous les mots commençant par C dont le<br />

livre est parsemé, la “communication”, avec ses<br />

limites, ses problèmes et ses potentialités, est le<br />

plus évident. Serge est élevé par une mère sourde<br />

et il fréquente une école de sourds-muets où il<br />

est formellement interdit de converser en langue<br />

des signes ; dans le Londres d’après la Grande<br />

Guerre, des séances de spiritisme entendent permettre<br />

le contact avec les morts, tandis que les<br />

malentendus, à un niveau d’élocution élémentaire,<br />

sont si fréquents qu’ils en deviennent<br />

presque un gag à répétition.<br />

Exprimer pleinement ce que l’on ressent de<br />

façon intelligible pour les autres, nous dit McCarthy,<br />

est nettement plus difficile qu’on le croit.<br />

Quand Serge et sa sœur Sophie reçoivent un jeu<br />

du genre du Monopoly de leur précepteur<br />

marxiste, celui-ci s’attend à ce qu’ils comprennent<br />

les inégalités du capitalisme moderne ; or<br />

les enfants adorent la compétition et créent bientôt<br />

leur propre version du jeu, plus complexe et<br />

dotée de règles encore plus tortueuses.<br />

Ce moment rare de compréhension totale<br />

entre deux personnages est révélateur du plus<br />

pur et du plus troublant de tous les réseaux<br />

d’asso ciation. La mort de Sophie, au début du<br />

roman, prive Serge de sa seule table d’harmonie,<br />

de sa seule vraie relation.<br />

Lors de ses obsèques, “Serge sent les vibrations<br />

qui se propagent autour de la pelouse. Il les sent<br />

monter du sol dans ses pieds, et remonter le long de<br />

ses jambes jusqu’à son aine. Elles animent sa chair,<br />

commencent à la faire léviter. Il n’y peut rien.” Même<br />

dans la mort ils gardent ce lien.<br />

Cette mort, et la présence même de la mort,<br />

est au centre du reste du roman. Les scènes de<br />

guerre s’épanouissent à son contact, dans la pure<br />

Biographie<br />

Pour le critique de The<br />

Independent Boyd Tonkin,<br />

Tom McCarthy est<br />

“l’une des découvertes<br />

littéraires des années 2000”.<br />

Cet écrivain et artiste né<br />

à Londres en 1969 passe<br />

quelques années<br />

à Prague au début<br />

des années 1990, puis<br />

s’installe à Amsterdam,<br />

où il travaille pour le Time<br />

Out local. Il collabore<br />

ensuite avec la télévision<br />

britannique et coédite<br />

le magazine de critique<br />

sociale Mute.<br />

Son premier roman,<br />

Remainder, est d’abord<br />

publié fin 2005 à Paris<br />

par l’éditeur d’art<br />

Metronome Press.<br />

Devenu un livre culte,<br />

il est republié l’année<br />

suivante chez Alma<br />

Books,<br />

au Royaume-Uni, et<br />

en France en 2007 chez<br />

Hachette Littératures,<br />

sous le titre : Et ce sont<br />

les chats qui tombèrent.<br />

McCarthy est aussi<br />

l’auteur d’un essai<br />

consacré au héros<br />

de Hergé, Tintin et le Secret<br />

de la littérature (Hachette<br />

Littératures, 2006)<br />

et du roman<br />

Les Cosmonautes au paradis<br />

(Hachette Littératures,<br />

2009, voir CI n° 892<br />

du 6 décembre 2007).<br />

Pour en savoir plus :<br />

surplusmatter. com.<br />

poésie de cette violence. C’est la guerre envisagée<br />

sous une perspective futuriste, avec les yeux<br />

de Marinetti plutôt que ceux de Wilfred Owen<br />

[le grand poète britannique de la Première<br />

Guerre mondiale].<br />

Dans ce roman brûlant d’ambition, McCarthy<br />

place la barre très haut, surtout dans les chapitres<br />

où Serge passe dans les airs, en tant qu’aviateur<br />

de la Royal Air Force. Sa prose s’élève alors au<br />

niveau des défis posés par le vol et les descriptions<br />

des batailles aériennes qui font rage autour de<br />

Serge sont effrayantes, excitantes et énergiques,<br />

filtrées comme elles le sont par les sens du pilote,<br />

de plus en plus aiguisés par les stupéfiants.<br />

Le point d’orgue de l’engagement de Serge<br />

dans la guerre doit beaucoup à Maurice Blanchot,<br />

l’une des nombreuses influences, avec<br />

Freud et Thomas Pynchon, que McCarthy<br />

convoque explicitement ou implicitement dans<br />

ses pages. Fait révélateur, le livre s’achève en<br />

1922, l’année de La Terre vaine [de T.S. Eliot] et<br />

d’Ulysse [de James Joyce], et l’on trouve enfoui<br />

au fond du roman un dialogue avec ces deux<br />

totems du haut modernisme.<br />

Dans C comme dans ses précédentes œuvres<br />

de fiction, McCarthy tente de rattacher les pré -<br />

occupations de l’avant-garde à l’intrigue et au récit –<br />

ce qui donne un livre étourdissant, hypnotique et<br />

magnifiquement écrit, qui gagne à être relu.<br />

C n’est pas pour autant dépourvu de défauts.<br />

Il a quelques longueurs et le début de la dernière<br />

partie pâtit d’une lecture un peu conventionnelle<br />

de l’histoire et de l’archéologie égyptiennes, mais<br />

ce sont là des égarements mineurs dans ce roman<br />

qui aborde le monde moderne à la fois avec<br />

rigueur et originalité.<br />

Le livre a beau se dérouler dans le passé,<br />

Tom McCarthy a écrit un roman pour notre<br />

époque : différent, pr<strong>of</strong>ond, et extrêmement<br />

jouissif. Reste à voir si le jury du Man Booker<br />

Prize sera de cet avis [il désignera le lauréat le<br />

12 octobre]. Mais il semble hautement improbable<br />

que quelqu’un puisse publier un meilleur<br />

roman cette année. Stuart Evers<br />

* Ed. Jonathan Cape, Londres, 2010. Pas encore traduit en français.


Musique<br />

Les voix d’or du<br />

Cambodge revivent<br />

Ros Sereysothea et Sin Sisamouth,<br />

entre autres, ont fait danser la jeunesse<br />

des années 1960 avant de périr<br />

sous les Khmers rouges. Ils font<br />

aujourd’hui l’objet d’un culte qui dépasse<br />

les frontières du royaume.<br />

Cambodge Soir Hebdo (extraits)<br />

Phnom Penh<br />

Cette année, j’ai 16 ans… Il n’y a pas de<br />

craintes à avoir, la vie est comme une<br />

fleur qui sent bon. Qu’est-ce que<br />

l’amour ? Est-ce amer, aigre ou<br />

sucré ?” Il suffit parfois de quelques<br />

mots sur un air entêtant pour résumer<br />

toute une époque. A l’instar de la chanteuse<br />

Ros Sereysothea et de son tube Chnam Aun Dop-<br />

Pram Mouy (“J’ai 16 ans”), interprètes et paroliers<br />

des années 1960 ont su retranscrire l’atmosphère<br />

de la période du Sangkum Reastr Niyum [régime<br />

politique de 1955 à 1970 (voir chronologie ci-contre)].<br />

“A cette époque, le prince Sihanouk avait réussi à créer<br />

une atmosphère propice à l’épanouissement des<br />

artistes”, raconte John Pirozzi, auteur d’un documentaire<br />

sur les chanteurs cambodgiens des “six-<br />

DR-CENTRE BOPHANA<br />

45 tours d’époque<br />

Sin Sisamouth et Ros Sereysothea<br />

en duo. Les titres :“Oh, t’attendre !”<br />

et “La Lettre sous clé” (à gauche) ;<br />

“La vengeance est un plat qui se<br />

mange froid” et “Le Cœur infidèle”.<br />

ties” : Don’t Think I’ve Forgotten, Cambodia’s Lost<br />

Rock and Roll. “En raison de ses liens étroits avec la<br />

France, le Cambodge a accueilli les tendances venues<br />

de l’Occident, y compris le rock’n’roll.”<br />

Ils s’appelaient donc Ros Sereysothea mais<br />

aussi Sin Sisamouth, ou Pen Raun. Ils chantaient<br />

l’amour, l’insouciance et la joie de vivre. C’était<br />

avant l’horreur. Le 17 avril 1975, dans le chaos de<br />

l’entrée des Khmers rouges à Phnom Penh, certains<br />

affirment avoir vu Sin Sisamouth chercher<br />

sa nouvelle compagne, alors enceinte. Puis les histoires<br />

divergent et de nombreuses personnes affirment<br />

avoir croisé le chanteur pendant sa captivité.<br />

L’histoire de Ros Sereysothea est tout aussi mystérieuse.<br />

Selon plusieurs biographes, elle aurait<br />

été forcée d’épouser un assistant de Pol Pot après<br />

avoir été découverte dans un camp et identifiée<br />

par les Khmers rouges. Elle aurait également été<br />

contrainte d’interpréter des chants révolutionnaires<br />

qui étaient ensuite diffusés dans les camps<br />

de travail par haut-parleur.<br />

Comme elle, la plupart des musiciens restés<br />

au Cambodge ont été tués. Parce qu’ils incarnaient<br />

un symbole de modernité ? Parce que certains<br />

s’étaient ralliés au régime républicain [combattu<br />

de 1970 à 1975 par les Khmers rouges] ? Ou tout<br />

simplement parce qu’ils faisaient partie du “peuple<br />

nouveau” [les citadins qu’il fallait rééduquer, par<br />

opposition au “peuple ancien”, la population paysanne]<br />

? “Aujourd’hui encore, c’est un mystère”,<br />

concède Mao Ayuth, scénariste et actuel secrétaire<br />

d’Etat à l’Information. “Je pense qu’ils étaient perçus<br />

comme des réactionnaires inutiles. Les chansons<br />

d’amour du style ‘si tu me quittes, je vais me suicider’<br />

ne correspondaient évidemment pas à la société des<br />

Khmers rouges.” Le procès des Khmers rouges permettra-t-il<br />

d’établir la vérité ? Aucun proche de ces<br />

artistes n’a déclaré publiquement qu’il se porterait<br />

partie civile.<br />

“Je l’ai écoutée en boucle”<br />

“Il avait la même classe que Frank Sinatra, sans la<br />

machine hollywoodienne derrière lui…” Ses carnets<br />

d’inventaire à la main, EricJay s’arrête devant le<br />

portrait de Sin Sisamouth accroché dans le hall de<br />

son hôtel, le Scandinavian, à Phnom Penh. Celui<br />

qu’on surnomme “la voix d’or” y voisine avec son<br />

alter ego féminin, Ros Sereysothea. Eric a dégoté<br />

ces grandes toiles, peintes d’après les clichés les<br />

plus connus des deux vedettes, dans une obscure<br />

boutique d’enseignes. Aujourd’hui, il s’apprête à<br />

vendre son établissement et hésite : “Le contrat stipule<br />

que je laisse tout au repreneur, mais je vais lui<br />

demander s’il a l’intention de conserver les tableaux à<br />

cet endroit. Dans le cas contraire, il n’est pas question<br />

que je les lui laisse.” “Quand j’ai entendu sa voix pour<br />

la première fois, je l’ai écoutée en boucle pendant des<br />

semaines, poursuit-il. Ce n’était comparable à aucune<br />

autre forme de musique. Dans les années 1960, tous les<br />

artistes du monde essayaient de copier le rock américain,<br />

et Sin Sisamouth avait réussi à le surpasser. C’était<br />

très occidental et très khmer à la fois, génial sans être<br />

prétentieux. Il est un symbole de ce que Phnom Penh<br />

serait devenu sans les Khmers rouges : une des plus<br />

belles villes du monde, loin devant Singapour et les<br />

autres capitales asiatiques.”<br />

Au lendemain de la chute des Khmers rouges,<br />

en 1979, le pays, traumatisé et exsangue, se relève<br />

en tournant le dos aux chanteurs des années 1960.<br />

“L’heure était à la reconstruction et la priorité était<br />

donnée au travail, se rappelle Mao Ayuth. Les chansons<br />

vantaient la renaissance populaire, la solidarité<br />

et l’amitié avec le Vietnam [voir chronologie]. Il a


fallu attendre pour qu’on reparle d’amour.” Sin Sisamouth,<br />

interprète au début des années 1970 de<br />

couplets nationalistes hostiles au Vietnam, n’a<br />

naturellement pas les honneurs de la radio,<br />

contrôlée par l’Etat. Il faudra attendre le retour<br />

de Norodom Sihanouk, au début des années 1990,<br />

pour que certaines de ses chansons redeviennent<br />

à la mode, comme autant d’évocations de la<br />

période du Sangkum Reastr Niyum, à nouveau<br />

érigé en modèle positif.<br />

Les chansons, tombées dans le domaine public,<br />

deviennent une véritable mine d’or pour les<br />

copieurs en tout genre. En juillet 2005, un scandale<br />

éclate après l’interprétation ratée de plusieurs<br />

morceaux du “grand Samouth” par Tit Vichika. Ce<br />

dernier devra présenter des excuses publiques à<br />

la télévision et retirer les disques de la vente.<br />

Durer éternellement<br />

D’autres adaptations, heureusement, ne font pas<br />

insulte aux voix d’or du Cambodge, au contraire.<br />

Sok Visal, alias Cream, patron du label de hip-hop<br />

KlapYaHandz, s’est rendu célèbre en remixant des<br />

tubes des sixties avec des rythmes rap et house,<br />

notamment Baeuk Chak (“It’s Too Late Baby”) de<br />

Pen Raun.“J’ai été élevé à la musique hip-hop pleine<br />

de samples de vieilles chansons américaines, racontet-il.<br />

En revenant au Cambodge, en 2001, je me suis mis<br />

à sampler des morceaux cambodgiens des années 1960-<br />

1970. Je trouvais qu’ils avaient un son similaire… et<br />

j’avais raison, puisqu’ils avaient été inspirés par la<br />

musique rock et soul anglo-américaine.”<br />

A ce jour, l’adaptation la plus talentueuse estsans<br />

conteste celle du groupe américain Dengue<br />

Fever. En 2001, cinq musiciens californiens qui ont<br />

découvert par hasard Sin Sisamouth et Ros Sereysothea<br />

forment un groupe : les deux frères Ethan<br />

et Zac Holtzman, David Ralicke, Paul Smith et<br />

Senon Williams, auxquels vient se joindre la chanteuse<br />

cambodgienne Chhom Nimol [qui se produisait<br />

jusque-là dans les mariages cambodgiens<br />

de la côte Ouest]. Le succès dépasse vite le premier<br />

carré des fans de Long Beach, fief de la diaspora<br />

cambodgienne aux Etats-Unis. En 2002, le groupe<br />

remporte le prix décerné par l’hebdomadaire<br />

LA Weekly. A la même époque, Matt Dillon s’apprête<br />

à tourner [et à interpréter] City <strong>of</strong> Ghosts au<br />

Cambodge. Sur la bande originale figurent plusieurs<br />

tubes des années 1960 comme Yeakheney<br />

(“Femme géante”) de Vor Ho, interprété par Pen<br />

Raun, Mok Pel Na (“Quand reviendras-tu ?”) un<br />

duo avec Sin Sisamouth, et plusieurs titres de Ros<br />

Sereysothea dont Chnam Aun Dop-Pram Mouy<br />

(“J’ai 16 ans”).<br />

John Pirozzi, assistant cameraman sur le plateau,<br />

est bouleversé par cette musique. De retour<br />

aux Etats-Unis, il se lance dans un documentaire<br />

sur Dengue Fever (Sleepwalking Through the<br />

Mekong), puis d’un autre sur les chanteurs des<br />

années 1960(Don’t Think I’ve Forgotten). Le cinéaste<br />

Greg Cahill a lui aussi entendu pour la première<br />

Chronologie<br />

1953 Le Cambodge,<br />

protectorat français<br />

depuis 1863, obtient<br />

son indépendance.<br />

1955-1970 Norodom<br />

Sihanouk fonde le<br />

Sangkum Reastr Niyum<br />

(Communauté<br />

socialiste populaire),<br />

qui, en raison de son<br />

hégémonie, donnera<br />

son nom à cette période<br />

de prospérité et de paix.<br />

1970-1975 Le prince<br />

Sihanouk est renversé.<br />

Lui succède une<br />

République khmère<br />

soutenue<br />

par Washington.<br />

1975 Les Khmers<br />

rouges prennent le<br />

pouvoir. Leur régime<br />

fera près de 2 millions<br />

de morts, soit entre<br />

le quart et le tiers<br />

de la population.<br />

1979-1989 Après<br />

avoir libéré le pays<br />

des Khmers rouges,<br />

le Vietnam voisin<br />

l’occupe pendant<br />

près de dix ans.<br />

1991 A la faveur<br />

du règlement<br />

de la “question<br />

cambodgienne”,<br />

entériné par<br />

la signature des accords<br />

de Paris, Norodom<br />

Sihanouk rentre<br />

au Cambodge,<br />

qui redevient<br />

une monarchie<br />

constitutionnelle.<br />

2009 Premier procès<br />

d’un ancien dignitaire<br />

khmer rouge à Phnom<br />

Penh : Douch, directeur<br />

du centre de torture<br />

S21, est condamné<br />

le 26 juillet 2010 à trente<br />

ans de réclusion.<br />

Celui des quatre autres<br />

dirigeants inculpés<br />

devrait commencer<br />

en 2011.<br />

“ Il a réussi à surpasser<br />

le rock américain.<br />

C’était très occidental et<br />

très khmer à la fois, génial<br />

sans être prétentieux<br />

DR-CENTRE BOPHANA<br />

fois Ros Sereysothea sur la BO de City <strong>of</strong> Ghosts, ce<br />

qui le pousse à réaliser en 2006 un moyen-métrage<br />

sur elle, The Golden Voice. “Je suis tombé fou amoureux<br />

de sa musique, de l’émotion portée par sa voix et<br />

de toutes les possibilités qu’elle <strong>of</strong>frait, raconte-t-il. Le<br />

fait que ces chanteurs aient été tués ajoute de la pr<strong>of</strong>ondeur<br />

à la musique qu’ils ont laissée. Aucune musique<br />

pop américaine n’atteint ce degré de gravité.”<br />

Sin Sisamouth reste très populaire jusque<br />

dans les campagnes cambodgiennes. Toutes les<br />

se maines, la chaîne de télévision Apsara sillonne<br />

le pays pour son émission Moredak Samneang<br />

(“Patrimoine vocal”). Le jeune présentateur Pann<br />

Khem Vathak Na invite les habitants, jeunes et<br />

vieux, à interpréter une chanson de Sisamouth<br />

devant la caméra. Ce jour-là, à Say Loun, dans la<br />

province de Kandal [autour de Phnom Penh], un<br />

vieil homme timide chante par cœur sans se<br />

tromper Aé Na Teuv Than Suor ? (“Où est le paradis<br />

?). “Il est mort,mais son esprit est toujours avec<br />

nous”, confie-t-il. C’est au tour d’un adolescent,<br />

en tee-shirt et treillis. “Quand j’étais petit, j’entendais<br />

toujours sa voix à la radio. Je ne savais pas qui<br />

c’était, mais j’adorais son timbre grave, si différent de<br />

ce qu’on enregistre aujourd’hui.”<br />

Concerts, théâtre, documentaires, émissions<br />

de variétés… Chacun à sa manière rend hommage<br />

à Sin Sisamouth. Ngin Sokrowar, ex-batteur de<br />

l’orchestre Van Chanh qui se produisait à la fin des<br />

années 1960, a entrepris le travail titanesque de<br />

retranscrire l’ensemble des morceaux de Sin Sisamouth<br />

sur des portées. “J’ai commencé en 1995 et<br />

n’ai pas arrêté depuis. J’en ai aujourd’hui plus de 300,<br />

dont une centaine que j’ai édités dans des recueils de<br />

partitions.” Ce fonctionnaire, qui enseigne la<br />

musique pour arrondir ses fins de mois, confie sa<br />

peur de se tromper : “Je sais qu’il y a sans doute des<br />

accords qui ne sont pas exactement les bons…Mais il<br />

faut avancer. Ces chansons sont restées populaires<br />

pendant quarante ans et, si on les préserve, elles peuvent<br />

durer éternellement. La mélodie, les mots décrivent<br />

avec tellement de justesse la nature, la vie, l’amour<br />

et le Cambodge !” Adrien Le Gal,<br />

avec Im Navin et Kang Kallyann<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 55<br />

Ressources<br />

A écouter, à voir<br />

Ros Sereysothea On peut écouter<br />

son tube Chnam Aun Dop-Pram Mouy<br />

(“J’ai 16 ans”) sur le site du film Don’t Think<br />

I’ve Forgotten (cambodianrock.com).<br />

Le site du film The Golden Voice retrace<br />

son parcours (thegoldenvoicemovie.com).<br />

Sin Sisamouth Chansons à l’écoute<br />

sur le site khmermusic.thecoleranch.com<br />

et disques en vente à la boutique<br />

Cambodiana, 44, avenue d’Ivry, 75013 Paris.<br />

Dengue Fever Le groupe se produira pour la<br />

première fois en France aux Transmusicales<br />

de Rennes, le vendredi 10 décembre.<br />

Seul leur album Venus on Earth (2008)<br />

a été distribué en France.<br />

(myspace.com/denguefevermusic)<br />

Cambodian Space Project Ce groupe<br />

de Phnom Penh reprend, lui aussi,<br />

un grand nombre de standards des sixties<br />

(myspace.com/thecambodianspaceproject).<br />

Centre Bophana Fondé par le cinéaste<br />

Rithy Panh, qui a dédié son film Les Artistes<br />

du théâtre brûlé à Sin Sisamouth, ce centre<br />

s’est donné pour mission, entre autres,<br />

de “rassembler les images et les sons<br />

de la mémoire cambodgienne et les rendre<br />

accessibles au grand public”. Il numérise<br />

ainsi toutes sortes de documents,<br />

dont les pochettes de disque présentées<br />

dans ces pages (bophana.org).


MOHAMED SOLTANI, DR, HUGO GLENDINNING, LARRY CLARK (JONATHAN VELASQUEZ 2004), JESUS UGALDE<br />

Le guide<br />

Cinéma<br />

Une famille<br />

normale<br />

Dans Tout va bien ! (The Kids are<br />

All Right), de Lisa Cholodenko,<br />

deux ados élevés par un couple<br />

de femmes, Nic et Jules, se mettent en<br />

tête de retrouver leur père biologique.<br />

L’irruption dans la famille<br />

de ce donneur de sperme jusqu’ici<br />

anonyme va entraîner une série<br />

de péripéties tragi-comiques.<br />

“Le film est outrageusement drôle<br />

sans jamais tomber dans l’exagération,<br />

et émouvant sans forcer sur le côté<br />

mélo”, écrit le critique du New York<br />

Times. “Mais son originalité tient<br />

au caractère très particulier<br />

de la famille qu’il évoque. Le film part<br />

du principe que le mariage<br />

homosexuel, qui fait encore débat<br />

dans la société, est aussi un fait établi.<br />

Nic et Jules, un couple avec deux<br />

enfants, une Volvo et une maison<br />

spacieuse dans une banlieue<br />

californienne, sont la normalité même.”<br />

Tout va bien ! (The Kids are All Right),<br />

de Lisa Cholodenko, avec<br />

Annette Bening et Julianne Moore.<br />

Photographie<br />

La vie secrète<br />

des ados<br />

Le musée d’Art moderne de la ville<br />

de Paris accueille, du 8 octobre 2010<br />

au 2 janvier 2011, la première<br />

rétrospective en France du sulfureux<br />

photographe et réalisateur américain<br />

Larry Clark. Et il faudra être âgé<br />

de plus de 18 ans pour observer<br />

le quotidien d’adolescents<br />

expérimentant drogues, sexe<br />

et armes à feu. “Certaines personnes<br />

pensent que je suis une sorte<br />

de pervers parce que je filme<br />

et photographie des jeunes,<br />

mais il suffit de regarder mon travail.<br />

Les situations sont réelles”,<br />

explique l’artiste à l’hebdo britannique<br />

The Observer. Des skateboarders<br />

de New York au ghetto latino<br />

de Los Angeles, l’exposition<br />

présente des films et plus<br />

de 200 tirages d’origine,<br />

pour la plupart inédits.<br />

(www.mam.paris.fr)<br />

Bolivar : fragments d’un rêve : le Libertador<br />

est le héros de ce spectacle poético-musical du<br />

Suisso-Colombien Omar Porras et de sa compagnie,<br />

Teatro Malandro, sur un texte de William Ospina. A<br />

Chambéry les 14 et 15 octobre. (www.malandro.ch)<br />

Arts plastiques<br />

Made in Italy<br />

Grenoble consacre le week-end<br />

des 9 et 10 octobre à l’art contemporain.<br />

Plus de seize lieux proposeront<br />

gratuitement aux curieux de découvrir,<br />

à travers la ville et son agglomération,<br />

des créations actuelles de qualité.<br />

Le Magasin-Centre national d’art<br />

contemporain inaugurera une<br />

exposition consacrée à la jeune scène<br />

italienne, avec notamment une vidéo<br />

poétique de Seb Patane sur la fragile<br />

condition humaine. Le Centre d’art<br />

Bastille montre, lui, le travail de<br />

l’Américain Johnston Foster, “connu<br />

pour ses sculptures faites de matériaux<br />

récupérés le long des autoroutes,<br />

dans les rues ou dans les décharges”,<br />

comme le note The New York Sun.<br />

(www.journee-art-contemporain.com)<br />

Cinéma<br />

Les sons<br />

pour le dire<br />

Primé dans plusieurs festivals en Italie,<br />

Rouge comme le ciel, de Cristiano<br />

Bortone, raconte l’histoire vraie de<br />

Mirco Mencacci, l’un des plus grands<br />

monteurs son du cinéma transalpin.<br />

Enfant, Mirco perd la vue à la suite<br />

d’un accident domestique. Envoyé<br />

dans une école pour non-voyants,<br />

il développe une extrême<br />

sensibilité aux sons et s’amuse<br />

à construire, grâce à un vieil<br />

enregistreur découvert<br />

par hasard, des fables<br />

sonores, qu’il fait ensuite<br />

Long<br />

<strong>courrier</strong><br />

écouter à ses camarades. Mais<br />

ses pr<strong>of</strong>esseurs tentent d’étouffer sa<br />

passion dévorante. Rouge comme le<br />

ciel “est un petit film qui convainc par<br />

son honnêteté et la pureté de son style”,<br />

écrit le quotidien italien Il Sole-24 Ore.<br />

“Jamais pathétique ni mièvre,<br />

il se déploie avec grâce et simplicité.”<br />

Rouge comme le ciel, de Cristiano<br />

Bortone, avec Luca Capriotti et Paolo<br />

Sassanelli.<br />

Musique<br />

Flamencojazz-rock<br />

La chanteuse espagnole<br />

Martirio revisite depuis<br />

vingt-cinq ans, avec<br />

sa voix très particulière,<br />

tous les grands genres<br />

de la musique espagnole<br />

et latino-américaine :<br />

copla, cante flamenco,<br />

son cubain, boléro,…<br />

en y mêlant des<br />

influences jazz et<br />

rock. Cette égérie<br />

de la Movida des<br />

années 1980, qui<br />

ne quitte jamais<br />

ses lunettes<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 57<br />

Where were you on January 8th ? évoque mieux que<br />

tous les reportages le malaise social qui frappe l’Iran depuis<br />

la présidentielle de juin 2009”, écrit Le Soir de Bruxelles<br />

à propos de la pièce de l’Iranien Amir Reza Koohestani. Du 5<br />

au 17 octobre au théâtre de la Colline, à Paris. (www.colline.fr)<br />

noires et sa peineta, se produit<br />

rarement en France. Elle sera<br />

le 14 octobre à l’Alhambra de Paris,<br />

dans le cadre des soirées<br />

“De Séville à Belleville”.<br />

(www.alhambra-paris.com)<br />

Théâtre<br />

Dérapages<br />

contrôlés<br />

Après Bruxelles et Berlin, The Thrill <strong>of</strong> It<br />

All s’installe au Centre Pompidou,<br />

à Paris, du 6 au 9 octobre. Mis en scène<br />

par le Britannique Tim Etchells,<br />

ce spectacle de la compagnie Forced<br />

Entertainment “démarre sur un numéro<br />

kitschissime avec ses danseuses<br />

habillées comme des majorettes et ses<br />

messieurs aux physiques de beaufs,<br />

costumes ringards et perruques<br />

absurdes. […] Puis le spectacle entame<br />

un dérapage contrôlé, avec quelques<br />

virages critiques de notre société,<br />

des stéréotypes sexuels à l’obligation<br />

de se divertir”, raconte le critique<br />

du quotidien belge Le Soir.<br />

(www.forcedentertainment.com)<br />

Livre<br />

La santé sanctifiée<br />

“Tant que l’on n’en meurt pas, les<br />

maladies donnent ‘du piment à la vie’,<br />

écrivait Robert Musil. C’est sur cette<br />

même idée que repose le dernier roman<br />

de Juli Zeh, auteure allemande réputée<br />

pour son esprit, son sens de l’épure<br />

et sa discipline”, notait le critique<br />

de l’hebdomadaire Der Spiegel<br />

au moment de la parution<br />

de Corpus delicti en Allemagne,<br />

l’an dernier. “L’action se déroule<br />

aux alentours de 2050, sous une<br />

dictature hygiéniste d’où ont<br />

pratiquement disparu toutes<br />

les formes de rhume et de cancer.<br />

Une brillante critique de l’ordre<br />

hygiéniste, où les héros<br />

débattent de<br />

l’optimisation<br />

génétique du corps,<br />

de la promesse<br />

d’une sécurité<br />

mondiale<br />

ou du ‘droit à être<br />

malade’.”<br />

Corpus delicti, Juli<br />

Zeh, éd. Actes Sud,<br />

220 pages, 20 euros.


SIPA-REY<br />

Insolites<br />

Refus de vente<br />

Sortir du placard, ce n’est pas de la tarte.<br />

Une pâtisserie américaine a refusé<br />

de fabriquer des gâteaux aux couleurs<br />

de l’arc-en-ciel pour des étudiants<br />

souhaitant célébrer la Journée<br />

nationale du coming out du 11 octobre.<br />

Les patrons de Just Cookies, installés<br />

depuis une vingtaine d’années dans<br />

le marché municipal d’Indianapolis,<br />

encourent des poursuites pour<br />

discrimination et pourraient devoir<br />

fermer boutique. Selon les étudiants<br />

gays de la Indiana University - Purdue<br />

University Indianapolis, le propriétaire<br />

de Just Cookies aurait fait état de ses<br />

“valeurs morales” pour motiver son<br />

refus. Le commerçant, lui, soutient<br />

qu’il ne vend que des cookies,<br />

comme l’indique le nom<br />

de son magasin, et non<br />

des cupcakes, ces petits<br />

gâteaux ronds individuels<br />

recouverts d’un glaçage<br />

de couleur. Foxnews.com<br />

A Hong Kong, le feng-shui coûte cher au<br />

contribuable, rapporte le South China<br />

Morning Post. Dans l’ancienne colonie<br />

britannique, architectes et urbanistes ont<br />

toujours à l’esprit cet art ancestral visant à<br />

assurer bien-être, sérénité et prospérité aux<br />

habitants en optimisant l’énergie des lieux<br />

grâce à l’emplacement et à l’orientation<br />

des bâtiments. Si des édifices ou des infrastructures<br />

mettent à mal cette savante<br />

recherche d’harmonie, les représentants<br />

locaux sont en droit de demander réparation.<br />

L’Etat accorde ainsi<br />

de généreuses compensations<br />

financières ou matérielles à ceux<br />

qui voient leur feng-shui perturbé<br />

par des constructions<br />

parasites. Pour quel montant et<br />

selon quels critères d’attribution<br />

? Mystère. Dernièrement un<br />

chef de village a demandé le<br />

financement d’un nouveau pont<br />

pour contrecarrer l’influence<br />

négative de la construction d’un<br />

tunnel voisin. L’ouvrage aurait<br />

remplacé une passerelle piétonne, permettant<br />

aux véhicules d’accéder au village de<br />

Kap Lung… qui lui appartient à 30 %. Le gouvernement<br />

doit respecter les traditions de<br />

Hong Kong garanties par la Constitution,<br />

assure le représentant local, fort de cet argument<br />

béton : “Comment peuvent-ils prouver<br />

que le feng-shui n’existe pas ?”<br />

“Il n’y a pas moyen de prouver que le fengshui<br />

existe”, argue pour sa part le député<br />

Wong Sing-chi.“Le gouvernement ne devrait<br />

Inde : les singes font la police<br />

La municipalité de New Delhi s’apprête à<br />

déployer sur les sites des jeux du Commonwealth<br />

un contingent de semnopithèques,<br />

grands singes à longue queue, qui<br />

auront pour mission de chasser de plus<br />

petits primates, a rapporté l’agence Press<br />

Trust <strong>of</strong> India. Dix singes langurs seront mis<br />

au travail à partir de mercredi à l’extérieur<br />

de plusieurs sites sportifs de la capitale fédérale<br />

indienne, et notamment autour du<br />

complexe consacré à la natation, considéré<br />

comme particulièrement vulnérable à la<br />

Un mauvais feng-shui<br />

ça peut rapporter gros<br />

DR<br />

La Tour de la Banque<br />

de Chine, un mauvais<br />

Feng-Shui ?<br />

donc pas laisser le feng-shui guider<br />

ses décisons en matière de travaux<br />

publics.” Le parlementaire<br />

réclame la<br />

résiliation pure et<br />

simple des dédommagements<br />

tandis que des<br />

voix de plus en plus nombreuses<br />

dénoncent l’absence<br />

de transparence de l’administration.“La<br />

plupart des plaintes concernant<br />

les travaux publics n’ont rien à voir avec le<br />

feng-shui… Ils se servent du feng-shui<br />

pour obtenir de l’argent”, tempête<br />

un fonctionnaire du ministère des<br />

Affaires intérieures cité par le quotidien<br />

de Hong Kong.<br />

Le gouvernement a créé un<br />

groupe de travail pour traiter les<br />

demandes de dédommagement<br />

liés à la construction de la ligne<br />

de chemin de fer Hong Kong-<br />

Shenzhen-Guangzhou. Pour restaurer<br />

un bon feng-shui, le<br />

ministère de l’Aménagement a<br />

financé des rénovations de temple, la<br />

construction d’une pagode, d’une salle<br />

municipale et de salles de prière. Il se refuse<br />

à indiquer le coût de ces travaux, mais reconnaît<br />

avoir payé près de 1 million de dollars<br />

pour des rituels religieux pour “chasser<br />

les mauvais esprits et apaiser les dieux”<br />

dans le cadre de 28 projets de travaux<br />

publics concernant 47 villages. Ces largesses<br />

en irritent plus d’un. Les habitants<br />

de 14 immeubles anciens de Tai Kok<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1040 | du 7 au 13 octobre 2010 59<br />

menace simienne. La municipalité dispose<br />

d’une équipe régulière de 28 semnopithèques<br />

qu’elle a dressés pour faire déguerpir<br />

les macaques des zones résidentielles.<br />

Les singes, la plupart du temps pacifiques,<br />

sont présents en nombre à Delhi, à<br />

la fois dans la rue, sur les toits d’immeubles<br />

et dans les lieux publics comme les gares.<br />

Ils envahissent parfois les ministères, les<br />

tribunaux, les commissariats de police et<br />

les hôpitaux. En 2007, le maire adjoint de<br />

New Delhi avait fait une chute mortelle de<br />

Plus dilettante, tu meurs<br />

Foncer à 210 kilomètres à l’heure,<br />

ce n’est pas joli joli, surtout quand<br />

on conduit un corbillard. L’entreprise<br />

de pompes funèbres anglaise<br />

Chittenden’s a engagé une procédure<br />

disciplinaire contre son employé. Cinq<br />

autres croque-morts seront entendus<br />

pour avoir “accidentellement” oublié<br />

un corps à la morgue. Ils avaient<br />

enterré un cercueil vide, et étaient<br />

revenus après les funérailles pour<br />

inhumer le cadavre.<br />

(The Daily Telegraph, Londres)<br />

Tsui, potentiellement mis en péril par la<br />

construction de tunnels ferroviaires, n’ont<br />

pas reçu le moindre dédommagement, alors<br />

que des chefs locaux ont reçu des compensations<br />

pour cause de mauvais feng-shui,<br />

dénonce un militant des droits de l’homme.<br />

Cette question semble taillée sur mesure<br />

pour la commission d’audit chargée de<br />

passer au crible les dépenses publiques.<br />

C’est cette commission qui a révélé que<br />

l’Institut des sciences appliquées et de la<br />

recherche technologique avait payé quelque<br />

18 100 dollars hongkongais [1 700 euros] sur<br />

les deniers publics à des consultants en<br />

feng-shui pour obtenir des conseils quant à<br />

l’emplacement de ses nouveaux locaux,<br />

note le journal hongkongais.<br />

la terrasse de son domicile en tentant<br />

d’échapper à quatre macaques.<br />

Tuer des singes est interdit pour les hindous<br />

qui vénèrent Hanuman, le dieu-singe<br />

qui symbolise la force. Avant même le coup<br />

d’envoi des jeux, dimanche, des animaux<br />

en tous genres ont déjà posé un casse-tête<br />

aux organisateurs. Des chiens errants, autre<br />

fléau de New Delhi, ont été découverts dans<br />

le village sportif et un cobra a été capturé<br />

dans un complexe sportif dédié au tennis.<br />

La Libre Belgique Bruxelles<br />

Un verre, bonjour<br />

les dégâts<br />

Un coup de chope sur la tête, ce n’est<br />

pas de la petite bière.La médecine<br />

légale allemande se penche sur<br />

la dangerosité des récipients<br />

utilisés lors de l’Oktoberfest,<br />

qui servent de plus en<br />

plus souvent d’armes<br />

lors de pugilats entre<br />

buveurs. Ces chopes ont<br />

déjà tué et un jeune homme<br />

de 29 ans frappé à la tête a été<br />

cette année victime d’une<br />

commotion cérébrale. Les chopes<br />

utilisées lors de la fête de la bière<br />

pèsent, vides, 1,3 kg. Elles contiennent<br />

un litre de bière. Leur anse les rend très<br />

maniables et en fait des instruments<br />

redoutables. Il suffit d’une force de<br />

4 000 newtons pour fracturer un crâne,<br />

or un violent coup de chope induit une<br />

force de plus de 8 500 newtons, a expliqué<br />

à Der Spiegel l’expert Erich Schuller. Les<br />

6,4 millions de personnes rassemblées<br />

cette année pour le bicentenaire<br />

de la fête bavaroise ont éclusé plus<br />

de 7 millions de litres de bière.<br />

REUTERS<br />

PIELOW-FOCUS.COSMOS

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