L'amour de l'histoire locale

L'amour de l'histoire locale
Les sociétés archéologiques et historiques de l'Aisne,
XIX" et xx" siècles
MEMOIRES
TOME XLV (2OOO)

TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos : L‘amour de l’histoire locale
Cl~rudine VIDAL ........................................... 5
La Société académique de Saint-Quentin
Monipe S~VEKIN, Aiidrr‘ TRIOU ............................... 7
Jean Héré (1796-1 865), un érudit saint-quentinois d’adoption
Moniqiie S~VERIN. ......................................... Il
Bernard Ancien, soixante ans de recherches
Deiiis ROLLAND ........................................... 25
Saint-Marc Girardin, portrait d’un notable du XIX‘ siècle
Jiilieii SAPORI. ...........................................
Regard historiographique sur I’ceuvre de Jehan de Hennezel ( 1876- 1956)
BriiiioMAEs .............................................
Madame Martinet. Suzanne Goulard-Martinet ( 19 10- 1998)
J a y e liil e DAN Ysz ........................................
La Société historique et archéologique de Chilteau-Thierry
Toil?. LLGENDRE ..........................................
Historiographie de l’archéologie à Chilteau-Thierry ou naissance
d’une archéologie urbaine de 1864 à 2000 : le rde de la Société
Frciripis BUKY ..........................................
Les historiens du dimanche en Thiérache. Milieu érudit et société savante.
1837- 1973
Cltriiciiiie VIDAL, Alcriri BRUNET ...............................
De l’imaginaire des historiens locaux à l’imaginaire de François I”
et de Henri II : les sculptures scandaleuses du ch2teau de Villers-Cotterêts
ÉricTHlERRY ............................................. 167
VIE DES SOCIÉTBS
XLIII’ Congrès de la Fidiration des Sociétds d’histoire et d’archéologie de
l’Aisne, à Soissons ........................................................................................... 191
Féddration des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne ....................... 193
37
79
93
117
121
137

Société historique et archéologique de Chiìteau-Thierry .................................
Socikté académique d’histoire. d’archéologie. des arts et des lettres
I95
de Chauny et de sa région ................................................................................ 199
Société historique de Haute Picardie ............................................................... 203
Société académique de Saint-Quentin ............................................................. 213
Société archéologique. historique et scientifique de Soissons ........................ 219
Société archéologique et historique de Vervins et de la Thiérache ................. 223
Société historique régionale de Villers-Cottterêts ........................................... 225
Contacts ................................................ .................................................
Note à l‘attention des auteurs ...................... ........................................... 23 1

L’amour de l’histoire locale
Les sociétés archéologiques et historiques de l’Aisne,
XIX‘ et XX‘ siècles
Avant-propos
Au tournant du siècle et du millénaire, la FédCration a voulu se pencher sur
le passé des sociétés archéologiques et historiques de l’Aisne dont elle maintient
la tradition vivante I. Certes la création de nos sociétés fait partie d’un mouve-
ment national, niais ce mouvement a été mis en oeuvre dans chaque ville, dans
chaque région, par des personnalités qui travaillèrent h constituer la connaissan-
ce du passé : érudits

spécialisées. La Société archéologique, historique et scientifique de Soissons fut
créée en 1847. La Révolution de 1848 et la seconde République ne brisèrent pas
ce mouvement ascendant qui s’amplifia encore sous le Second Empire. Le dépar-
tement de l’Aisne ne resta pas à I’écart des tendances nationales : 1850, Société
académique de Laon, 1860, Société acadkmique de la région de Chauny, 1864,
Société historique et archéologique de Chrileau-Thierry. Sur le plan national, les
créations reprirent après la guerre de 1870 avec une rapidité inconnue jusque là.
La Société archéologique de Vervins (1 873) s’inscrivit dans cette reprise qui cul-
mina dans les premières années de la Troisième République. Enfin, la Société de
Villers-Cotterêts fut fondée en 1904 ?.
Portraits d’érudits >, moments de fondation et
vie des milieux savants, recherches archéologiques menées en longue durée,
visions historiques marquées par l’anachronisme mais combien romanesques . . .
forment la matière de ces Mkmoiws. Dans un espace plus large, bien d’autres
thèmes auraient pu être abordés : le domaine vaut d’être exploré puisqu’il tient à
l’histoire intellectuelle du département. Aussi bref soit-il, nous espérons que ce
volume en montre l’intérêt.
2. La table des matières de ce volume wit l’ordre de cltiltion des société\.
Claudine VIDAL

Soc i& acarlhiiqiw di> Siiin-Queiitiii
La Société académique de Saint-Quentin
Les origines, de 1825 a 1850 environ
En 1825, une douzaine de Saint-Quentinois réunis chez M. Heré, profes-
seur au collège des Bons-Enfants, jetèrent les bases de notre Société ; dès 1826,
elle se réunissait régulièrement. Selon la législation en vigueur, elle ne comptait
alors que vingt membres résidants I et fut reconnue officiellement sous Louis-
Philippe, en 183 I. Elle porta d’abord le nom de >, auquel on ajouta bient8t le nom de société
d’agriculture. Elle ne devint > que vers 1840.
Elle eut très vite de nombreux membres correspondants : 69 en 1837, I04
en 1842, la plupart propriétaires terriens : l’agriculture tenait donc une grande
place dans les > et les articles publiés. Dans le tome de Me‘moires de
1829, les sciences physiques et morales, l’histoire, l’archéologie et la jurispru-
dence occupent 3 pages, l’agriculture, l’industrie et le commerce, 21 pages, la lit-
térature et la poésie 41 pages. L‘histoire locale apparaît comme la parente
pauvre : la grande question, débattue pendant plusieurs années, consistait 2 sou-
tenir que l’antique Samarobriva est à l’origine de Saint-Quentin et non d’Amiens.
Ce fut naturellement, mais à la longue, une cause perdue.
L‘activité de la Société académique était alors multiforme : elle fut 2 l’ori-
gine de la création d’une caisse d’épargne ; elle fonda un jardin botanique à I’in-
térieur de l’ancien couvent de Fervaques ; elle ouvrit un musée de peinture et
d’archéologie, elle créa une section horticole, des cours de botanique, d’arbori-
culture, etc. Les AIiiimles agricoles du de‘prtement de I’Ai,me étaient publiées
sous son égide. Pendant une bonne partie du siècle, les concours de poésie connu-
rent un essor considérable, disputant, dans les publications, la première place à
l’agriculture.
Enfin, elle correspondait avec de nombreuses sociétés

La belle époque de la Société, des années 1850 à 1914
Sans se détourner de l’agriculture et de la poésie, la Société se souciait de
plus en plus de la recherche des origines el de l’illustration de l’histoire de la
ville, suivant en cela les préoccupations des historiens de l’époque, notamment
d’Henri Martin. Quelques membres éminents consacrèrent une grande part de
leur temps, profitant de la grande liberté qui touchait les recherches et les fouilles
archéologiques, pour réaliser des travaux remarquables.
Ainsi, Charles Gomart publia des éditions d’auvres d’historiens anciens,
assorties de commentaires et de plans - qui sont bien souvent les seuls dont nous
disposons aujourd’hui - à propos de la situation de la ville du Moyen Age, au
XVI siècle, sans oublier le siège de 1557, et pendant l’époque classique. I1 étu-
dia les archives de la ville et les comptes des argentiers dont il tira des récits pit-
toresques, soigneusement référencés.
Théophile Eck et Jules Pilloy, tout en sacrifiant à la chronique locale, se
spécialisèrent dans l’archéologie, en ville et dans les environs ; ils procédèrent à
des fouilles de sites gallo-romains et, surtout, mérovingiens et consignèrent le
détail de leurs découvertes, assorti de gravures de grande qualité. Nous disposons
également d’une partie des objets ainsi mis àjour, qui figurent dans les vitrines
de notre musée.
Des études approfondies furent également menées par Emmanuel
Lemaire : le Livre rouge rassemble les textes essentiels de notre commune. Les
différents textes manuscrits de la période médiévale furent transcrits, traduits et
présentés de façon exemplaire. Le Mystère de Suirit-Queritin, manuscrit de Jean
Molinier datant de 1482, traduit et commenté par Henri Chatelain, fut édité par la
Société. De 1869 à 1872, des dessins de grande qualité furent réalisés par
Joachim Malézieux, en particulier pour le bel album Moriirrnents du Saint-
Quentinois. Jusqu’en 1914 furent publiés régulièrement - souvent chaque année
- des recueils de textes, conférences, études concernant le patrimoine local, qui
servent de base solide 2 notre information ’.
C’est pendant cette période brillante que la Socidté €it construire l’hôtel
qui l’abrite actuellement ; il fut conçu par l’architecte Jules Hachet et bBti sur
l’emplacement de la chapelle de l’abbaye d’Isle. Le sculpteur Gustave Coin en
décora la façade ainsi que les motifs de la salle des sdances, où étaient représen-
tés les douze blasons des villes du Vermandois.
Mais la Grande Guerre brisa I’aclivilé de la Société : l’hôtel fut occupé par
des officiers allemands, les collections dispersées et perdues. Les principaux
chercheurs moururent. Tout était à reprendre.
3. 11 est interessant. au su.jet de la contribution de ces érudits i l’histoire de Saint-Quentin, de lire la
monopphie de M. Jean-Luc COLLART dan5 le numéro spCcial de la Kr\~re d’trrdi6ologie de
Pic,nrdie, novembre 1999. p. 67- 128.

Les temps difficiles : 1919-1945
La Sociétk académique de Saint-Quentin 9
Il fallut reconstruire. Pour les membres de la Société, cela consistait à
reconstituer les collections, reprendre les études, redonner aux Saint-Quentinois
le goat de l’histoire locale. Cela prit du temps. Les dommages de guerre permi-
rent de rendre l’hôtel à sa destination après 1925, mais l’activité resta bien
modeste : les tomes de Mémoires datent de 1929, 1935 et ... 1948. Une nouvelle
génération d’historiens locaux comme Charles Journel, Maurice Leleu, Augustin
Bacquet stimulhrent l’activité de la Société. Elie Fleury écrivit Sous la botte,
Les murs de Saint-Quentin, Les 64 séances du conseil municipal, retraçant les
souffrances des habitants pendant l’occupation et lors de l’exode de mars 1917.
La reconstruction de la basilique fut soutenue et suivie avec fidélité, mais les
activités de fouilles demeurèrent limitées à ce que la guerre avait mis à jour, avec
cependant un grand intérêt pour les souterrains et caves de la ville.
La seconde guerre mondiale limita les travaux de la Société ; la présiden-
ce de Pierre Cassine en maintint l’existence.

Le temps des changements, depuis 1945
La direction de la société a été naturellement renouvelée. Pamii les prési-
dents de cette dcmière période, il faut citer Georges Gorisse, Jean Agombart,
Théodule Collart et, surtout, Jacques Ducastelle, président dès 1947 puis à quatre
autres reprises ; sa dernière présidence date de 1972, cette fois4 pour trois ans,
ce qui est devenu la règle statutaire : ainsi a-t-on garanti au président une durée
suffisante pour mener à bien ses projets, mais en limitant son inandat pour assu-
rer un changement nécessaire.
En 1952, la Société est entrée dans la nouvelle fédération des sociétés
> de l’Aisne. Elle a alors cessé de publier ses propres tomes de
Mr‘nioires - environ 30 000 pages en 125 ans - et contribue pour sa part aux
publications de la Fédération.
Maître Ducastelle - également président de la Fédération de 1979 2 1986
- a donné un grand Clan à nos activités : il a mis en place le classement de nos
archives et de notre bibliothèque ; il a conçu et organisé, en 1980, le colloque
national sur les chartes et le mouvement communal ; en 1989, une semaine de
conférences et autres activités, accompagnées de publications d’histoire locale, a
célébré l’anniversaire de la Révolution française. Notre Société a publié sous sa
direction des recueils et dossiers de documents historiques commentés.
Le recrutement de la Société évolue : des femmes, de plus en plus nom-
breuses, deviennent membres à part entière ; des jeunes gens, des étudiants,
demandent leur admission, en même temps qu’ils poursuivent des sujets de maî-
trise. Le grand public, très sensibilisé par le patrimoine local, cherche à en savoir
davantage, même s’il ne participe gu?rc à la recherche. Notre siège dispose d’un
confort satisfaisant, d’un équipement audiovisuel et a été récemment informatisé.
La Société s’ouvre à la vie urbaine, sortant du cadre de son hôtel. Elle est
présente lors des fêtes du patrimoine, elle participe aux visites guidées avec I’of-
fice du tourisme. Elle met en place, dans le cadre de sa bibliothèque, un ensemble
de dossiers thématiques pour tout le Saint-Quentinois. Elle collabore de plus en
plus avec les sociétés locales, qui sont souvent ses filles et viennent rechercher
auprès d’elle des documents et des conseils.
Elle a eu 175 ans en l’an 2000.
Moniyue SEVERIN et André TRIOU

Avant-propos
Jean Héré (1796 - 1865),
un érudit Saint-Quentinois d’adoption
La Société académique de Saint-Quentin fut fondée en 1825, quelques
bases étant jetées en octobre et renforcées en 1826. L‘autorisation du pouvoir
s’étant fait attendre, elle ne fut oftïcielle que le 15 avril 1827. Elle était en exa-
men depuis un an.
Très vite, ses buts furent Clargis et son appellation, conforme au désir des
fondateurs, de > s’étendit, en 1829, à la
demande du préfet, en . Ce titre demeura inchangé jusqu’à la dernière des publications de la
Société. en 1940.
Depuis l’élaboration des nouveaux statuts, approuvés en 1973, le titre plus
sobre de Société académique de Saint-Quentin a été adopté.
Mais nous voyons une grave lacune dans les premiers titres : le mot his-
toire n’y était même pas inscrit ! Et nous pouvons constater, à la lccture de nos
Mémoires que, sauf à de très rares exceptions, elle n’y est pas retracée, tout au
moins sur le plan local. L‘histoire antique, parfois la guerre de 1557, y figurent
comme objet d’étude de certains chercheurs et > de nombreux
poètes, mais guère d’histoire locale avant Gomart et Lemaire, à partir de 1860. Ils
seront suivis au XX‘ siècle de Jules Hachet, Charles Journel, Georges Gorisse,
Jean Agombart, Jacques Ducastelle et autres, que nous n’oublierons pas.
On ne peut qu’admirer la puissance de travail des fondateurs et de leurs
successeurs, mais Dieu ! que leurs euvres nous semblent parfois ennuyeuses !
Bien que leur style ne soit pas toujours anipoulé comme celui de leur époque, il

y manque une touche de vie, indispensable de nos jours. On y relève pourtant des
remarques pertinentes, qui n’ont pas pris une ride. On peut admirer, d’autre part,
la virtuosité de nos érudits, à passer d’une dissertation philosophique aux sujets
agricoles ou scientifiques.
L‘exposé qui va suivre est un hommage à nos fondateurs. Depuis près de
175 ans, la Société académique s’efforce d’être digne d’eux.
La fondation de la Société académique
L‘historique de la Société académique de Saint-Quentin a été minutieuse-
ment rédigé en 1975, dans l’ouvrage spécial que cette dernière édita à cette occa-
sion I. e Une douzaine de personnes, y est-il mentionné, se réunissaient en 1825
chez M. Héré, professeur de mathématiques au collège de Saint-Quentin >>. C’est
tout et c’est trop peu pour Jean Héré, un érudit qui a passé en notre ville presque
toute sa vie : il y arriva à l’lige de 26 ans et y termina ses jours. Daniel Raffard
de Brienne, qui descend en droite ligne de Jean Héré, Albert Martin de Méreuil,
son parent, Charles Daudville et Théodule Collart, deux présidents de la Société
académique, nous ont laissé de quoi satisfaire notre curiosité en éclairant la per-
sonnalité de celui qui dirigea à dix reprises notre Société. Notons que. jusqu’en
1967, la présidence en était renouvelée chaque année. Les comptes rendus et les
articles publiés dans nos Mkmoires enrichissent ces témoignages.
Dans son essai généalogique ’, Albert Martin de Méreuil évoque une
parenté avec le célèbre architecte de Nancy, Emmanuel Héré de Corny, ou une
ascendance nivernaise (originaire du Bourbonnais) avec particule et blason : de
gueules au hérisson d’argent, au chef d’argent, ascendance aristocratique dont
Jean Héré n’était pas convaincu. Toutefois, le généalogiste remonte au XVIII‘
siècle, avec cinq générations de laboureurs ou vignerons du Loiret (cantons de
Gien et de Chltillon-Coligny), où tous les aînés portent le prénom de Jean.
Le père de notre Jean Héré naquit en 1758 h Sainte-Geneviève-des-Bois
(Loiret) où il se trouva orphelin à trois ans. C’est lui qui devint vigneron 2
Chatillon-sur-Loing ’. Marié une première fois et devenu veuf, il épousa en 1791
Colombe Harrault, dont le père était

Les débuts de son instruction furent assurés par le prêtre qui avait bénéfi-
cié de la protection de son père. Par reconnaissance, le curé fit entrer son jeune
élève au séminaire d’Orléans, d’oir il put poursuivre brillamment ses études au
lycée de la ville. I1 y excellait déjà dans la composition des vers latins.
I1 fallait vivre et aider la famille. Le jeune Héri entra comme précepteur
dans une lamille aisée. I1 enseigna à l’institution Morin, à Paris, puis en qualité
de maître de mathématiques à I’Ecole militaire préparatoire des Boulayes, près de
Tournans, dans le Doubs. En 1822, à 26 ans, il fut nommé à la chaire de mathé-
matiques du collège des Bons-Enfants, B Saint-Quentin. Après huit années, il
avait enfin trouvé la stabilité et sa carrière allait désormais se dérouler dans cet
établissement.
Le collège des Bons-Enfants
L‘ancienne maison des Capets, ainsi appelée en raison du vêtement ’ des
élèves, a assuré les études de brillants savants, voyageurs, jurisconsultes, histo-
riens et artistes de notre cité et de ses environs. Fondée par I’évêque Alomer, elle
jouissait d’une bonne réputation. Notre bon saint Médard en fut l’élève et, plus
tard, devenu évêque de Saint-Quentin puis de Noyon et Tournai, le proteceur.
Les temps difficiles qui régnèrent ensuite firent perdre au collège des
Bons-Enfants son existence même et sa renommée. I1 ne la retrouva qu’à la fin du
XII’ siècle et au début du XIIP, sous la houlette de Pierre Waudès et des cha-
noines de l’église royale de Saint-Quentin, auxquels il servait de séminaire, et
sous la protection de Raoul I”, comte du Vermandois, mort en 1151. En 1254, le
roi Saint Louis fonda en l’église une chapelle dite

1660 et 1750. Tous ces vénérables britiments abritèrent les études de Pierre
Ramus. de Claude Emmeré, des de La Fons, de Jacques Lescot, d’Omer Talon,
des Dorigny, des Papillon, de Xavier de Charlevoix, sans compter nos brillants
compatriotes des XVIII‘ et XIX‘ siècles. Jusqu’en 1746, le collège des Bons-
Enfants resta le seul établissement d’instruction de Saint-Quentin (en 1764 : 140
élèves ; en 1813 : 171).
Après une brillante période, la Révolution survint. Le chapitre de Saint-
Quentin fut dissous et le collège fernié. Réouvert en 1791, il fut à nouveau fermé
en 1793, pour dix années.
A la suite de la réorganisation de l’Instruction publique, due au Premier
Consul, en 1804, c’est la municipalité qui fut chargée de gérer le collège, par I’in-
termédiaire d’un bureau composé du sous-préfet, du maire et des > citoyens de la ville, dont l’archidiacre. Ce ne fut d’abord qu’une école
secondaire communale. De nouveaux blitiments furent construits en 1807, 1823
et 1840.
Dès 1812, le maire, Joly aîné, sollicitait la transformation du collège en
lycée. Mais il fallut attendre le IO août 1853 pour obtenir ce titre tellement
convoité. Dès lors, le collège fonctionna en lycée jusqu’h l’achèvement des nou-
veaux britiments, construits au Champ-de-Mars, sur un hectare de terrain des for-
tifications, qui ouvrirent leurs portes en 1857.
Nous pouvons constater, à la lecture des listes d’anciens membres de la
Société académique, combien de professeurs du collège y adhérèrent et combien
de membres se louaient d’avoir reçu leur instruction au collège.
Jean Héré a Saint-Quentin
Peu après son arrivée, en 1822, pour tenir un poste d’enseignement au col-
lège, Jean Héré fut Cgalement chargé du nouveau cours d’adultes. En 1825, le
professeur se lia aux érudits de la ville, parmi lesquels Fouquier-Cholet, Mangon
de la Lande, Bucelly d’Estrées, Charles Daudville, Durand et Sinionin, ses col-
lègues. >
En 1925, le docteur Leconte, alors président, écrivait, en relatant la séance
du > : > Le
28 octobre 1825, ce petit groupe jeta les bases de la Société académique et en éla-

ora les statuts 8. L‘autorisation officielle, toutefois, tarda. Elle ne fut obtenue que
le 15 avril 1827. Parmi les douze fondateurs, certains avaient dû se retirer, mais
vingt membres, nombre limite imposé par le gouvernement, se mirent à I’ccuvre ...
Jean Héré présida la docte assemblée dès 183 1. I1 fut ensuite choisi à neuf autres
reprises par ses collègues, pour la dernière fois en 186 I . II fut égalenient trésorier
en 1846, 1847, 1853 et 1860.
Le 1 I avril 183 I , Jean Héré se fixa définitivement dans sa ville d’adoption
en épousant Célina Déalle, nCe à Saint-Quentin le 5 novembre 18 IO. Elle avait été
son élève au pensionnat de Madanie de Bucelly ”. Le beau-père de Jean Héré,
Victor Déalle, avait fondé en ville la première étude d’avoué en 1808. II fut
adjoint, puis maire de Saint-Quentin, de 1837 i 1841. Madame Héré donnera à
son époux deux enfants : Emilienne, née en 1832, qui épousa en 1853 Auguste
Raffard de Brienne, et Alfred, né en 1835, marié à Anna Dumont en 1869.
En 1822, quand Jean Héré vint occuper i Saint-Quentin sa chaire de
mathématiques. le principal du collège était M. Maupérin, venu de Laon en 182 I
et promu en novembre de la même année. Héré ne l’avait pas attendu pour parti-
ciper à la mise en place, au collège, de cours du soir. Par la suite, il organisa des
cours de géométrie et de mécanique appliquées aux arts, professés dès 1827 par
lui-même et deux de ses collègues. 11 donna également des cours aux pensionnats
de jeunes filles de Madame de Bucelly, rue du Gouvernement, et de Madame
Maydieu, rue du Petit-Origny.
Jules Moureau I’’ a retracé brièvement la carrière de Héré. Mauperin ayant
démissionné de sa direction en 1832, Héré fut nommé principal du collège, tout
en conservant sa chaire de mathématiques. Peu de temps après, il obtint la nonii-
nation de deux régents supplémentaires de philosophie, de physique et chimie,
puis celle d’un aumônier. Grke à lui, son collège fut déclaré de plein exercice et
sortit victorieux de la concurrence avec les premières institutions privées qui se
créaient i Saint-Quentin. Rappelons d’ailleurs que les maîtres de ces pensions
envoyaient leurs élèves suivre les cours du collège ...
Jean Héré fut promu officier de l’Université en I836 II et, l’année suivan-
te, son collège obtient la première place dans les concours organisés par le rec-
teur, ouverts i tous les collèges de l’académie d’Amiens. Tout en veillant ri la
bonne direction des études et à leurs progrès, Héré s’occupait aussi des installa-
tions de son établissement. I1 obtient de l’administration municipale la restaura-
tion des biìtiments qui serviront encore, en 1856, de cuisine, de parloir et d’infir-
merie, dans un collège qui comptait alors un peu plus de cent élèves. Mais des

aisons de santé obligèrent le principal à donner sa démission à la fin de l’année
scolaire 1837- 1838. Charles Daudville laisse entendre que cette fonction, insépa-
rable d’un certain rigorisme indispensable à la discipline, était incompatible avec
son caractère porté iì l’indulgence I’. Remplacé iì la direction par son collègue
Simonin en octobre 1838, Héré continua d’exercer son enseignement jusqu’en
1853.
> note encore Charles Daudville, qui
ajoute : )
C’est Jean Héré qui avait sollicité la présence d’un aumônier au sein du
collège. Une vieille et respectueuse amitié l’avait lié à l’abbé Guillon. traducteur
des auteurs grecs, devenu depuis aumônier de la reine Marie-Amélie. Deux
pièces de vers, L’Iininortdité et Pourquoi Dieu N créé I’hornnie iinpriufcrit, laissent
apparaître la nature de ses convictions religieuses. Son entourage témoigne de sa
bienveillance, son affabilité, son indulgence, son dévouement aux siens, à ses
amis, à sa patrie. C’est probablement cet état d’esprit qui le porta à accepter de
figurer sur la liste des candidats aux élections municipales (1 8 août 1846) condui-
te par Charles Lemaire, philosophe et humaniste bien connu des Saint-
Quentinois. Mais, redevenu régent de mathématiques au collège, Jean Héré, élu
dans la 2 section, vit sa nomination de conseiller refusée, en tant que salarié de
la ville, et I’élection est annulée. I1 présenta une requête au roi. Entendu le
Conseil d’Etat, il fut finalement admis que le professeur était fonctionnaire de
l’Université, nommé par le ministre de l’Instruction publique, et ne devait donc
pas être considéré comme agent salarié de la ville. Ainsi, l’arrêté du 18 avril 1846
du conseil de la préfecture fut annulé et I’élection de Jean Héré déclarée bonne et
valable. ) Le professeur fut élu aux elections
municipales suivantes, toujours au moins dans les douze premiers de la liste. I1
fut aux côtés du docteur Bourbier lors de la proclamation de la Deuxième
République.
Le coup d’Etat du 2 décembre I85 1 provoqua la démission du maire et de
son conseil et la mise en place d’une commission municipale, dirigée par Auguste
Foy, neveu du général, doyen d’âge, puis par Charles Naniuroy, qui sera ensuite
maire de Saint-Quentin. Le 27 décembre, le sous-préfet Symphor Boitelle réunit
les membres des tribunaux, des prud’hommes, de la commission municipale, des
hospices et bureaux de bienfaisance, les professeurs du collège, les officiers de la
12. Ihitl.
I 3. Ihid.
14. Archives cc”unales de Saint-Quentin, I K 37.

Garde Nationale. > Aux élections de septembre
1852, Jean Héré resta avec Charles Namuroy. II fut réélu en août 1860. Dans les
municipalités présidées ensuite par Charles Picard et Huet-Jacquemin, l’ancien
professeur - à la retraite depuis I853 - apporta toute sa participation, jusqu’à sa
mort. en 1865.
La Société académique et Jean Héré
Dès 1827, le préfet de l’Aisne, le comte de Floirac, avait souhaité que la
société porte de nom de > et intègre dans ses travaux l’amélioration et la défense des intérêts
de cette dernière branche, non encore représentée dans le département de
l’Aisne. Ce r61e fut par la suite dévolu aux les comices agricoles ; celui de l’arrondissement
de Saint-Quentin fut fondé en 1852.
Déclarée le 15 août I831

18 Moniqrie SPverin
fable, petite comédie en raccourci, condensée en une situation et en quelques
vers, et oÙ la moralité doit se détacher nettement de la fiction I*. >>
En effet, le 2 1 octobre 1830, lors de sa première présidence, Jean Héré
montra l'intérêt qu'il portait à la littérature. Par la suite, presque tous les volumes
de Mémoires de la Société académique publièrent des poèmes et, entre autres, des
fables de Jean Héré. On peut citer >, I":
Mes bons parents, je vous rirlore
Je suis bien heureuse par vous !
Pourquoi cepencltint je 1 'ignore.
Pourquoi dans uti état si doLr.u,
Mon cvur d&sire-t-il encore ?
Héré quittait parfois le genre élégiaque et contait les efforts de Parmentier
pour propager la consommation de la pomme de terre, > :
[les sentinelles qui siiiiirleiit la gcrrde des ck(iniys .se rerirrrnt]
011 entre clans le ch or ni^. on emporte en ccicliette :
Cette habile nim(nivre cririsi se continue.
Qircind. cle,foiriIler le chriiiip, l'heure est enfin venue
On recorinriît (lu 'il est récolté tout entier:
Encore quelques titres : (< L'arbre greffé >>, >, > :
Sur safifi~ure bl¿?ine ir 1 'lrir trop iiip?ii~i
Le tnalheureux, benié pur chacun à Irr ronde
Repit de grmids souflets pour ciniuser le monde.
>, >
II n'est piis yoe les ciloirettes
Que l'on prenne ciinsi p r 1e.s yeux :
On prend de ni¿?rne 1i.s coqrrettrs
Et Im hornmes anibitiiwx.
Son attrait pour la fable et les > conduira Jean Héré à mettre à
l'honneur, en 1851, le talent de notre compatriote Charles Desains, parent des
18. Journal de Sciint-Quentin, 23 .iiiin 1865.
19. (( La jeune fille n, IC'< strophe, t. I, p. 260.
20.

Jetin Her& 19
deux savants frères Edouard et Paul, plus connus des Saint-Quentinois. Charles
Desains, né en 1789 à Lille, pratiquait plusieurs arts, la poésie et la peinture.
Elève de David, auteur de belles toiles, il était professeur de dessin à I’école nor-
inale et membre de la Société philotechnique. Un gros recueil de ses Fcihles,
ariecdotes et contes fut publié en 186 1 (seconde édition), orné de la statue du bon
La Fontaine dessinée par l’auteur. Au décès de ce dernier, en 1863, Jean Héré lui
rendra un nouvel hommage iì la Société académique ”.
Fréqueniment rapporteur du concours de poésie, Jean Héré publia lui-
même deux recueils de fables, en 1830 et en 1860, au protit des indigents. I1 pra-
tiqua toute sa vie l’art de la fable, dont certaines figuraient encore dans le volu-
me de MPt?ioire..s de 1864, un an avant le décès de notre poète-mathématicien.
Une petite pièce en vers remporta un tel succès, que celle-ci se trouva deux fois
transcrite dans ce même ouvrage. II s’agit de

a destiné à ses élèves des pensionnats de jeunes filles ’g. I1 se défend d’aucune
prétention : I1 existe tant de rhétoriques françaises que l’on est en droit de me
demander pourquoi j’ai pris la peine de composer celle-ci. N’ai-je pu en trouver
une seule qui me convînt ? Ai-je eu la prétention de faire plus ou mieux que ceux
qui se sont occupés de cette matière ‘? Je ferai d’abord observer que celui qui
enseigne a besoin d’approprier son enseignement à ses élèves ; qu’il n’enseigne
jamais mieux que d’après ses idées et sa méthode ; que cette méthode, ne fut-elle
pas absolument la meilleure, elle l’est toujours, relativement à lui. Cela posé, je
dirai que, loin de vouloir faire plus que ce qui s’est fait jusqu’à présent, j’ai peut-
être voulu faire moins, j’ai voulu faire différemment . >> Et Charles Daudville sou-
ligne que, dans ce traité, contrairement aux usages de l’époque, Héré cite volon-
tiers des auteurs contemporains. Ajoutons que le maître dédiait cet ouvrage (( à
son élève préférée >>, sa propre fille
De nombreux extraits des discours et rapports conservés montrent la
modernité de ses idées. Lors de l’inauguration de son cours de géométrie et de
mécanique, en 1826, Héré démontre la nécessité de rendre populaires les sciences
et l’imperfection notoire de l’industrie sans leur secours. (< I1 faut en convenir, dit-
il, si la France connaît les meilleurs auteurs, chez lesquels l’Angleterre elle-même
vient s’instruire ; si elle a un génie plus inventif, puisque la plupart des décou-
vertes des derniers temps nous appartiennent, l’Angleterre sait, mieux que nous,
profiter de nos connaissances et employer nos propres découvertes ’“. D
> Lors de ses communi-
cations, Jean Héré présenta des exposés sur les puits artésiens, les aérolithes, les
variations de la température. I1 étudia le mémoire d’un savant allemand sur la
densité du lait de vache. Le texte d’une importante recherche, citée en 1828, sur
(c L‘astronomie des peuples anciens, de sa naissance à nos jours D. qui remonte à
2000 ans avant Jésus-Christ, n’est pas arrivé jusqu’à nous.
Lors de la séance publique du 2 1 octobre 1830, Jean Héré déclarait : (< Au
milieu des événements mémorables qui se passent autour de nous, dans un
moment où la politique seule absorbe toute l’attention publique, il est difficile de
détourner les esprits d’un aussi grand spectacle pour les arrCter sur les travaux
d’une modeste académie I’. D Et, après avoir mentionné les recherches des
diverses sections, il rappelait aux membres :

Jem H&é 21
duites dans nos campagnes ! Les jachères ont presque partout disparu, le maïs
(dans le Soissonnais) et le chou-arbre de Laponie sont cultivés, l’extirpateur 13
se répand, les charrues se perfectionnent. Plusieurs constructeurs avisés de l’ar-
rondissement sont l’objet de rapports favorables. >>
Le 9 mars 184 I , en l’absence du président Raison, Jean Héré présida la
séance trimestrielle d’agriculturc. On y traita de houblon, de vicinalité, de graines
de poireaux et du mûrier. I1 disait : >
L’inauguration de la gare
Nous voici le I) juin 1850. La ligne des c Chemins de fer du Nord >> est par-
venue de Paris - par Creil - à Saint-Quentin. C’est un jour à marquer d’une pier-
re blanche, pour la ville et la Société académique. Le Prince-Président Louis
Napoléon Bonaparte, en personne, vient en notre ville inaugurer la gare et la
ligne. Le docteur Bourbier, maire, et son conseil municipal, ont tenu à associer la
Société académique et son président, Jean Héré, à la réception préparée pour le
chef de 1’Etat. Le Prince-Président arrive à cinq heures et demie au palais de jus-
tice, dans l’ancienne abbaye de Fervaques, accompagné de quatre ministres et de
nombreuses personnalités. C’est Jean Héré, entouré de Charles Goniart et des
membres du bureau de la Société académique, qui le reqoit au bas du perron de
la salle des Pas-Perdus.
On lui présente successivement trois expositions : dans la cour, sous une
tente, les productions horticoles, puis, dans les galeries du premier étage, les pro-
ductions industrielles, enfin, une galerie d’art où figurent les pastels de Delatour.
Elles attirent toutes les trois le plus vif intérêt du président. Celui-ci fait ensuite
son entrée dans la grande salle des cérémonies, où se trouvent réunis la plupart
des membres résidents et correspondants de la Société académique, au nombre
d’environ 400, les lauréats de l’agriculture, de l’industrie, de l’horticulture et de
nombreuses notabilités de la région, soit une assemblée composée au total d’en-
viron 900 personnes. Accueilli par les plus vives acclamations, le président de la
République va se placer sur l’estrade, au milieu des personnes de sa suite et des
membres du bureau de la Société académique.
Le chef de I’Etat est venu là surtout pour présider la remise des récompenses.
Jean Héré présente avec ces mots :

jusqu’à celui qui dirige la ferme ou l’atelier, ou conclut les transactions. Vous-
même, Monsieur le Président, vous, le Chef du Gouvernement, n’êtes-vous pas le
premier des travailleurs et celui dont la tlche est la plus difficile ? >>
(< Je suis heureux de me trouver parmi vous, répond le chef de 1’Etat. Car,
voyez-vous, mes amis les plus sincères et les plus dévoués ne sont pas dans les
palais. Ils sont sous le chaume ; ils ne sont pas sous les lambris dorés, ils sont dans
les ateliers, sur les places publiques, dans les campagnes ... >) Henri Souplet pré-
sente le palmarès de l’exposition industrielle, Charles Gomart celui de l’agricul-
ture et Louis-Napoléon tient à remettre de sa main les prix et les récompenses.
On lui présente plus spécialement Jean-Baptiste Pruvost, dit >, charretier depuis 58 ans à Aubencheul-au-Bois, dans la même famille. En
1830, la ferme fut presque entièrement détruite par un incendie. Pruvost voulut
venir en aide à Madame veuve Lefranc, > Le jury de moralité avait offert, par acclamation, une médaille d’or,
hors ligne, au brave homme. Le président de la République la lui remet avec ces
mots : (< Je suis heureux de remettre 2 cet excellent serviteur le prix décerné par
la Société académique. Mais c’est trop peu pour une si belle action. Je lui accor-
de la décoration de la Légion d’honneur >>. Faisant alors asseoir près de lui le
vénérable vieillard, le président attache lui-même sur sa blouse l’étoile d’hon-
neur. Des acclamations prolongées saluent son geste. Le chroniqueur ajoute naï-
vement : (( Ce moment a du être pour le Président le plus beau de ceux qu’il a pas-
sés dans notre cité ! >> I1 décerne aussi une médaille d’honneur de la Société aca-
démique à l’infirmière Marie-Catherine Lefèvre qui a passé sa vie à I’HCitel-Dieu,
notainment pendant I’épidémie de choléra, avec le plus grand dévouement.
Avant son départ, le président remet au maire une somme de 3 O00 francs
que la Société académique est chargée de répartir parmi les agents primés de
l’agriculture et de l’industrie. Lors de la réunion suivante, le 7 juillet 1850, le pré-
sident Héré assure, avec ses collègues, la répartition équitable de cette somme. I1
rappelle que, treize ans auparavant, la Société académique a innové en décernant
des récompenses aux agents de l’agriculture et que cette année, pour la première
fois, la même pratique est appliquée aux agents de l’industrie I‘.
Le 28 mai 1852, Jean Héré fait sa (< lecture >>, comme on dit alors iì la
Société. Celle-ci a pour titre :

En septembre de la même année, Jean Héré, en présidant le concours agri-
cole, fdicite les auteurs d’innovations.

qu’h traverser cette place, la rue de l’Officia1 et la rue de Morlaincourt - aujour-
d’hui de Vesoul.
Charles Daudville nous a brossé son portait :

Bernard Ancien,
soixante ans de recherches
Plus d’une décennie après sa mort, Bernard Ancien ‘ bénéficie toujours
dans le Soissonnais d’une grande notoriété. Les cultivateurs, les propriétaires se
souviennent encore de ses visites, seul ou à la tête d’un groupe de passionnés.
Certains rapportent, de façon plus ou moins déformée, tel détail de l’histoire de
la propriété ou telle particularité de la construction. D’autres dévoilent comme
des reliques les notes manuscrites laissées lors de son passage. Ceux qui l’ont
connu s’étonnent encore de la profondeur de ses connaissances. Chaque village
traversé, chaque ferme visitée, chaque calvaire admiré suscitait de sa part d’inta-
rissables commentaires, anecdotes, légendes. Ses familiers se souviennent de ses
talents d’artiste qui lui permettaient, en quelques coups de crayon, de croquer un
monument sur un minuscule carré de papier pour le remettre ensuite au net. Enfin,
peu de gens savent qu’il était aussi musicien et que, pendant des années, il a joué
de la clarinette dans un orchestre.
Ses publications sont relativement modestes. 11 y a bien une quarantaine
d’articles publiés dans les Billletins de lu Société arcliéoologique, historique et
scieritijìyue de Soissons ’ et les Mémoires de In Fédércrtion des Sociétks histo-
riques et archéologiques de l’Aime ’, mais près d’un tiers ne dépasse pas cinq
pages et seulement six quinze pages. Une seule étude approfondie a été publiée,
grlce d’ailleurs à la pression amicale qu’a su exercer sur lui Geneviève
Cordonnier, > 4. En revanche, toutes ses publications ont
porté sur des sujets inédits et témoignent de recherches personnelles approfon-
dies. C’est probablement pour cette raison que Bernard Ancien est souvent consi-
déré comme une référence en soi. Pourtant, comme tous les précurseurs, il a pu
commettre des erreurs ou des omissions.
Les conférences données à la Société historique de Soissons ou les visites
de monuments représentent environ deux cents sujets traités. La première inter-
vention de Bernard Ancien semble être sa conférence sur les armoiries des
I, Bernard Ancien, né à Soissons le 4 inai 1906, décède dans cette ville le 3 février 1987. Entré h la
Société historique de Soissons en 1938, il en était devenu secrétaire gCnCral en 1949 puis prksident
en 1962.
2. Tables alphabtciques des Bul1erin.s cle la Socic;iP urchc;ologique, historique et scicritljìqur tle
Soi.ssoi?.T, 3? et 4 séries, 189 1 - 1998.
3. Table des Bdletins de la Fédércifion des SociCt6.s hisrnriqrres et archéulogiques de l’Aisne, 1988,
t. 33, p. 49.
4. Bernard Ancien, >, RuII. de /(I SociPté hist., circh. et scie17r. de Soi.s.ror~.s,
t. 16, 4 +rie, 1977-79, p. 33 à 154.

26 Du1i.v Rolland
évêques de Soissons, le 4 mai 1939. Le rythme des conférences ou visites est peu
élevé jusqu’aux années soixante puis devient très important dans les années
soixante-dix. La variété des thèmes abordés rend compte de la diversité des
recherches entreprises par Bernard Ancien et de la documentation qu’il a réunie.
Toutes ses conférences et visites mettaient en vedette des villages ou des person-
nages du Soissonnais.
On peut regretter que ces travaux n’aient pas fait l’objet de publications
plus nombreuses et surtout plus développées. Pour quelle raison ? Dans un texte
écrit à la troisième personne et destiné à être lu après sa mort, Bernard Ancien en
a donné une explication désabusée : (< A peine les Cléments pour la rédaction d’un
sujet étaient-ils réunis, qu’il s’était déjà lancé sur un autre sujet qui finalement
devait connaître le même dénouement (travaux trop vastes, trop éparpillés, trop
diversifiés) ’. D C’est probablement vrai mais, pour ma part, je pense aussi que,
trop modeste et trop perfectionniste, il considirait que ses études n’étaient pas
suffisamment fouillées pour mériter d’être publiées. II reste que, plusieurs fois
travaillées et complétées durant des décennies, elles constituent une incompa-
rable documentation régionale.
Avant de passer en revue ce qui subsiste de plus de soixante années de
recherches consacrées à l’histoire et au patrimoine de notre région, il me semble
utile de donner une appréciation - toute personnelle il est vrai - des recherches
entreprises par Bernard Ancien en distinguant les diflérents domaines où s’est
porté son intérêt.
L’o rchéolog ie
Pour l’époque antique, Bernard Ancien a réalisé surtout un travail d’in-
ventaire en relevant systématiquement tout ce qui était trouvé dans les fouilles
effectuées à Soissons.
L’histoire
Bernard Ancien a essentiellement travaillé sur les archives locales. 11 n’a
pas ou peu consulté les archives extérieures au département. Limitées aux sources
imprimées, donc de seconde main, ses recherches couvrant la période du Moyen
Âge sont de ce fait d’un intérêt relativement secondaire. En fait, il s’agit davan-
tage de synthèses rigoureuses et exhaustives d’études ayant déjà paru que de
recherches inédites.
Pour ce qui est des autres sikcles, ses travaux prkscntent un intérêt certain
car Bernard Ancien a exploité au maximum les minutes notariales en les croisant
avec toutes les autres sources qu’il a pu avoir B sa disposition.
5. Geneviève Cordonnier. Hommage i ßcrnard Ancicn k), Bull. de /o SocicjrP hLt., orch. et .scirnt.
de Soi,s.ton.s, t. 18, 4 séric, 1985-88, p. XXI.

Bemard Ancien (dans IQ smit6 atchiologique, historique er scientifique de Sobom. d l’origine du Mus6e.
1847-1997, Soissons, 1997. CI. J.-L. Gimni)
La généalogie
C’est peut-être la partie la plus importante du travail de Bernard Ancien.
Elle est d’une grande fiabilité pour ce qui concerne la mise en évidence des rela-
tions entre les familles
Peu de temps avant sa mort, Bernard Ancien avait envisagé la cession de
l’ensemble de ses archives et collections h la municipalité de Soissons, à charge
pour celle-ci de créer un poste d’archiviste afin d’en faire l’inventaire et d’en
contrôler l’accès. Elles auraient ainsi constitué un fonds complémentaire à celui
de Charles Périn, autre président de la Société historique, qui avait cédé ses
archives à la ville en 1882 6. Le poste d’archiviste fut créé mais, à la suite d’une
maladresse de la municipalité, Bernard Ancien ne régularisa pas le legs prévu. A
sa mort, en accord avec la famille, Geneviève Cordonnier, alors présidente de la
Société historique de Soissons, fut chargée d’organiser la cession des archives
conformément aux souhaits du défunt formulés au cours d’une réunion h la mai-
rie de Soissons ?. C’est dans ce contexte que les archives, la bibliothque et les
6. Denis Defente, (< La Sociéte historique >>, La Société archéologique, historique ef scientifique de
Soissons d l’origine du musée, 1847-1997, p. 19.
7. C‘est au cours de la réunion du 23 janvier 1986 qui avait pour objet la création d‘un fonds Bemard
Ancien que celui ci avait exposé ses souhaits.
27

28 Drriis Rollmtl
collections de Bernard Ancien échurent aux Archives municipales, aux Archives
départementales de l’Aisne, au musée de Soissons et à la société historique de
Soissons, tandis que M. Ancien tils conservait une partie de la bibliothèque et des
collections archéologiques.
Face à une masse considérable d’archives, de livres et d’objets, et en l’ab-
sence d’inventaire, il ne peut être question ici d’en donner une description
exhaustive. Je me limiterai donc à en livrer un aperçu qui, accompagné de coin-
mentaires, n’a d’autre but que de faire mieux connaître l’importance des
recherches entreprises par Bernard Ancien et ce qu’il en reste aujourd’hui.
Les Archives municipales de Soissons
L‘essentiel des dossiers de recherche de Bernard Ancien et une partie de sa
bibliothèque ont été déposés aux Archives municipales de Soissons. En fait, faute
de place disponible à la mairie, ces archives ont été entreposées dans les locaux
de la Bibliothèque municipale, mais elles sont gérées par l’archiviste municipal.
Un inventaire a été établi au fur et à mesure des dépôts qui se sont étalés sur
quatre années. I1 s’agit plus d’une liste détaillée que d’un véritable instrument de
recherche : il n’y a ni table alphabétique, ni classement thématique.
Tous ces dossiers comportaient de nombreux dessins, souvent en couleur.
Lors du dépôt des archives, le fils de Bernard Ancien a souhaité les conserver. Ils
ont donc été retirés des dossiers, ce qui leur ôte un peu d’attrait. Tous ces dessins,
de même que les notes ou articles, étaient faits au dos de prospectus ou imprimés
divers et même, quelquefois, d’emballages de paquets de tabac ou d’étiquettes de
bouteilles de vin ! Jamais Bernard Ancien n’a utilisé de feuilles vicrges et son
principal pourvoyeur de papier fut tout naturelleinent son employeur, la Société
Générale.
Les livres et dossiers correspondent aux thkmes de recherche chers à
Bernard Ancien : archéologie, architectures médiévale, rurale, classique, généa-
logie des familles de fermiers seigneurs ou notables, héraldique, légendes, cou-
tumes, etc. I1 faut noter aussi l’intérêt que portait Bernard Ancien aux femmes de
l‘Histoire, au sujet desquelles il avait réuni de nombreux livres, notices ou études.
Du fait de l’absence de véritable inventaire, les recherches dans ce fonds
ne sont pas simples. Des notes concernant un même sujet peuvent se trouver dans
plusieurs dossiers. Cela tient au fait qu’une première étude, sommaire, a été faite,
puis une seconde, plus étoffée, ultérieurement complétée s. Les dossiers de vil-
lages sont les plus nombreux. Ils comportent des notes sur les monuments de la
8. Les notes concernant la Thiérache. par exemple. doivent être recherchées p. 6 et 2.5 du dépBt de
1988. p. 6, 12, 16 et I7 du dépal de I99 I el dans le dossier 1990-32.

commune, des généalogies de fermiers et de seigneurs, des légendes, etc. Des
sujets généraux ont fait l’objet de dossiers ou recueils de notes particuliers : la
fortification rurale, les cloches, l’agriculture soissonnaise, la maison soissonnai-
se, le département de l’Aisne et le Canada, Victor Hugo et IC Soissonnais, les
sociétés musicales soissonnaises, etc.
Uintérêt du contenu et l’importance des dossiers sont variables. Certains
contiennent des études entikrement rédigées, prêtes à être publiées ’. Mais, le plus
souvent, ce sont des notes manuscrites, des croquis, des calques de plans, des
coupures de presse, etc. Beaucoup comprennent des copies de documents d’ar-
chives locales dont la provenance est généralement mentionnée.
Certains villages ou fermes forment de volumineux dossiers : Berzy-le-
Sec, Bucy-le-Long, Droizy, Hautefontaine, Mont-Notre-Dame, Mortefontaine,
Plessis-aux-Bois, Septmonts, VeL, Vic-sur-Aisne, Vierzy, etc. Beaucoup d’autres
font l’objet de nombreuses feuilles de notes, tandis que certains ne sont traités
qu’en quelques feuillets. La plupart des villages du Soissonnais, du Valois, du
Tardenois et du sud du Laonnois figurent dans ces archives.
La contribution de Bernard Ancien consacrée à Soissons même est évi-
demment très importante. On trouve des études ou notices archéologiques et his-
toriques sur les grandes abbayes de la ville (Saint-Jean-des-Vignes, Saint-
Médard, Saint-Crépin, etc.), sur ses principaux quartiers, ses rues, ses nionu-
ments, ses ponts, au sujet de la navigation sur l’Aisne, etc. Des notices archéolo-
giques manuscrites concernent différentes fouilles ou trouvailles fortuites faites à
soissons.
De nombreuses coupures de presse sont conservées sous forme de cahiers
ou dans des chemises. Les sujets sont divers : le cardinal Binet, la bibliothèque et
le musée, les combats et les monuments de la guerre de 14- 18.
Les notables du Soissonnais ont souvent hit l’objet de dossiers, cahiers de
notes complétés d’articles de journaux : les évêques, les comtes de Soissons, la
famille Fossé d’ Arcosse, Fernand Marquigny, Saint-Just, les sous-préfets, Raoul
de Bourgogne, le général Bonnaire, etc. Les femmes célèbres ne sont pas oubliées
avec des études telles que le Soissonnais féminin, Marie Cappel, etc.
I1 faut signaler un dossier de tracts et d’affiches de propagande allemande
de la deuxième guerre mondiale. Un carton contient une série de plans : servitu-
de du Génie, (1822), reconstruction du quartier Saint-Vaast, etc.
La bibliothèque
Les 1500 livres et brochures environ qui ont été déposés aux Archives
municipales ne constituent qu’une partie de la bibliothèque de Bernard Ancien
qui, à l’origine, représentait I 01,30 mètres linéaires (l’autre partie ayant été
9. C’est ainsi que nous avonb ptiblit une éciide sur les leriniers de Mortclontaine dans nos
e MCinoires du Soissonnais D (Hu//. dc /ti Soc,ic;tP /ii.s1., arch. et sciewr. de Soissons, 5‘ série, t. I,
p. 27-3 1 ).

conservée par la famille). I1 s’agit essentiellement de livres, fascicules et guides
touristiques. Les principaux châteaux, abbayes, villes et régions de France sont
représentés. L‘histoire de France à toutes les époques, avec des ouvrages géné-
raux ou traitant de sujets particuliers, y tient une grande place, de même que les
femmes célèbres, à travers des ouvrages tels que Fcivorites royales, Les Grcindes
Amoureuses, Gabrielle d ‘Estrkes, Mine du Barry Melle de LA KilliPre, Milie de
LCI Fuyette, Mme Récarnier, etc., auxquels s’ajoutent une dizaine de livres consa-
crés à Mme Tallien et une trentaine à Jeanne d’Arc.
Quelques livres régionaux semblent isolés dans cette partie de la biblio-
thèque de Bernard Ancien consacrée à l’histoire et à l’architecture françaises,
parmi lesquels Saiwt-Pierre-Aigle, Couvrelles et le v d de Morsain de Maxime de
Sars, un volume des Voyages en France de Ardouin Dumazet, plusieurs mono-
graphies de Longpont, un bulletin du centenaire de la société académique de
Saint-Quentin, etc. On note aussi la présence d’une liasse de L’Argus du
Soissonrrciìs ( 1852-60) et d’une série de Bidletins clr lu Société arcliéologiqiie de
Creil. Bernard Ancien avait aussi conservé, depuis 1940, la totalité des journaux
locaux ; ils ont été remis à la bibliothèque de Soissons.
Les Archives départementales de l’Aisne
Bernard Ancien avait recueilli des fragments importants (7 mètres
linéaires) des minutes notariales des études Bureau (1578-1 822) et Dulong ( 1 601-
1687) de Soissons. Ils furent remis aux Archives départementales de l’Aisne afin
de réintégrer les minutiers dont ils provenaient et que les notaires concernés
venaient de déposer. I1 faut y ajouter 1,5 mètres d’archives notariales diverses,
provenant de recherches personnelles qui n’ont pas été encore inventoriées, ainsi
qu’une étude concernant la famille Charié aux XVII‘, XVIII’ et XIX‘ siècles et
deux volumes reliés de L’Argus clLi Soissonnais, correspondant à l’année 19 12,
qui ont comblé une lacune de la collection que possédait les Archives départe-
mentales.
Le musée de Soissons
Bien que n’étant pas archiologue, Bernard Ancien avait recueilli une gran-
de quantité d’objets provenant de fouilles ou de découvertes fortuites dans le
Soissonnais. Une partie de ces objets a été confiée au inusée de Soissons en deux
dépôts effectués en 1990 et 1992.
Le premier portait sur 5.3 objets divers : une amphore, des bijoux gaulois,
une urne funéraire, une francisque, des pavés médiévaux, etc. Figuraient égale-
ment une plaque-boucle de ceinturon mérovingien et une plaque du sarcophage
de saint Voué I”. A cette occasion furent restitués au musée une dimine d’objets

Br riici rcl A I I c.ic)ri 31
provenant de ses collections et qui avaient disparu depuis la première guerre
mondiale (vases gaulois et gallo-romains, un objet égyptien, etc.)
Le second dép6t portait sur 199 objets divers, parini lesquels des monnaies
romaines, des pavés émaillés, des poteries gauloises provenant de la nécropole de
Pernant, des pierres taillées, dcs vasa et céramiques gallo-romains, etc. Un
tableau de V. Salingre, peintre soissonnais, représentant l’abbaye de Saint-Jean-
des-Vignes et l’ancien couvent des Capucins en 1906, fut aussi remis au musée.
Des Cléments de pavage provenant du chlteau de Fère-en-Tardenois et qui figu-
raient dans les collections du musée furent également restitués à cette occasion I’.
La société historique de Soissons
Les notices de villages
Les textes des conférences et les notes de visite de Bernard Ancien n’ont
pas tous été conservés Les premières conférences ont été généralement
publiées dans les Bir1letiri.s de lu SociPtP historique de Soissons. D’autres sont res-
tées dans les dossiers de villages mais une partie a été déposée à la Société histo-
rique de Soissons par Geneviève Cordonnier qui avait pris soin de les rassembler
au fur et à mesure. Cela représente deux gros classeurs dans lesquels les notes
sont rangées par ordre alphabétique des lieux auxquels elles se rapportent. Ces
documents concernent les conférences et visites des années soixante-dix et
quatre-vingt. Très souvent, les textes comportent des références et notes de bas de
page qui permettraient de les publier sans modification. Certaines notices de vil-
lages sont accompagnées de plans, calques, copies de pièces d’archives, etc.
Parmi les études les plus remarquables, signalons Courtieux ; les seigneurs de la
Tour ; le moulin de Largny ; Septmonts ; le chliteau de Vez pendant la guerre de
Cent Ans ; Saint Louis et le Soissonnais ; le Soissonnais et les guerres de reli-
gion ; le général Drouet d’Erlon ; Gérard de Nerval ; Thumery ; le blason des trois
pucelles ; une histoire de bouteille vide ; la succession du duc d’Aumale, etc.
Un troisième classeur rassemble 49 notices historiques de villages consti-
tuées à partir de documents divers complétés de notes de Bernard Ancien. Elles
lui avaient été données par une personne de Berzy-le-Sec dans les années cin-
quante. Parmi elles, figurent 21 notices manuscrites, écrites en 1884-85 par des
instituteurs de l’Aisne, dont 10 sont des originaux signés de la main de I’institu-
teur et Il des copies anciennes. Les autres notice3 de villages sont constituées
d’extraits imprimés provenant du Dictionnuire de Melleville, de l’ouvrage de
I I. Denis Defente, (( Le musée de Soissons : bilans et perspectives D, MPiiioires (/II Soi.\.soniicri.s, Bit//.
(/e /ti SociPfc; /iist., arch. el .rcient. de Soi.\.wiis, t. I, 5‘ série, 1993- 1998. p. 1 17.
12. Padelle Billet, M Inventaire des communications et exposés fait en SociCtC historique de Soiwms
par Bernard Ancien D, Bdl. cle Itr Soc.ic?P kisr., urch. et scieiit. c/c so is son.^, 4 série, t. 18, 1985- 1988,

32 Divis Rollund
Moreau-Nélaton, Les Eglises de chez nous, ou de Bulletins de LLI Société lzìsto-
rique de Soissons. A noter que la notice sur Logny-les-Aubenton comporte deux
dessins originaux d’Amédée Piette ; celle sur Oulchy-le-Château, un plan de la
ville daté de 18 12 ; celle sur Attichy, une description archéologique de I’église de
la main de A. Robert.
Les doss ìers g kr i ka log iqu es
Les études généalogiques de Bernard Ancien ont été déposées à la Société
historique de Soissons afin d’en limiter l’accès. Elles concernent à peu près toutes
les familles seigneuriales du Soissonnais (Noue, Flavy, Dupleix, Brion, Louvain,
Estrées, Miremont, Roucy, Lignière, La Personne, etc.), des familles de fermiers
(Danré, Desboves, Ferté, Flobert, Lemoine, Leroux, Tassart, etc.), des familles de
notaires (Decamp, Desèvre, Lamy, Moreau, Rigaux, etc.), des généraux
(Charpentier, Ronsin), des grands bourgeois (Morand, Quinquet, Quinette, etc.)
ou même de grandes familles du royaume (Bernis, Genlis, Joinville, La Hire
Mayenne, Rothe, etc.). Quelques dossiers se réfèrent directement à des lieux (sei-
gneurs de Bitry, d’Emeville, fermiers de Coiifrécourt, etc.). Certains ont été
constitués à partir de recherches systématiques (Louvain, Estrées, etc.). La plu-
part regroupe des informations provenant de recherches sur les villages ou autres
sujets plus généraux. L‘intérêt de ces généalogies réside dans le fait que Bernard
Ancien a toujours cherché iì croiser des informations de provenances diverses et
ne s’est pas contenté de dresser des listes d’ascendance : il a recherché systéma-
tiquement les liens entre les familles, leurs relations avec les grandes propriétés
et les inscriptions qui pouvaient figurer dans les églises. Les armoiries des
familles nobles ont aussi été recherchées et étudiées, celles figurant sur les monu-
ments ont été interprétées.
Chez le fils de Bernard Ancien
Les archives et objets conservés par M. Ancien n’ont pas fait l’objet d’un
inventaire. Par suite des travaux effectués dans la maison, ils ne sont que som-
mairement classés, ce qui n’en a pas facilité l’analyse.
Bihlioth Pqiie
M. Ancien a conservé plusieurs centaines de livres formant une partie de
la bibliothèque de son père (l’autre a été remise aux Archives municipales). Elle
comprend les colleclions des Bulletins de la Socidté historique de Sois.vons et des
Bulletins de la Fécldrution des Sociktks historiques de l’Aisne, les ouvrages régio-
naux, ceux concernant les premier et second conflits mondiaux et quelques
ouvrages généraux.
Parmi les ouvrages régionaux on trouve quelques grands classiques : Les
Anna/e.v du dioc2se de Soissons, les ditfLrentes histoires de Soissons (Dorniay,

Leroux, Martin), La Conzniurze de Soissons, Le Murtyre de Soissoizs, etc., mais
aussi de nombreuses monographies de villages, notamment celles de Maxime de
Sars, ainsi que quelques exemplaires de I’AIniuriucl~ Matot-Bmine des années
vingt et Serzlis ic travers les &es. Certains de ces livres sont de véritables dossiers
car ils sont complétés de nombreuses notes, coupures de presse, etc. C’est le cas
par exemple de la monographie du 67e RI.
Les livres portant sur le premier conflit mondial comportent des romans
(Les Croix de bois, Le Cuharet de In belle jenime, etc.) et des magazines :
L’Illustration, La Guerre documentée. Les livres traitant de sujets généraux sont
assez peu nombreux. Parmi eux, se trouvent le Dictioririaire d’architecture de
Viollet-le-Duc, une série importante du Mcignsin pittoresque, Lu Fravzce illustrée,
une histoire de France en cinq volumes du père G. Danier (1722), etc.
Archives
Quelques dossiers restent à ddposer aux Archives municipales (environ un
mètre linéaire). I1 s’agit essentiellement de fragments d’études qui avaient été
retirés des dossiers principaux par Bernard Ancien et qui, à sa mort, n’avaient pas
réintégré leur place (archerie soissonnaise, Confi-écourt, Villers-Helon, Braine,
adduction d’eau de Saint-Jean-des-Vignes, etc.). Quelques liasses abîmées de
minutes de notaires restent également à remettre aux Archives départementales.
Dessins
Comme je l’ai dit, plusieurs centaines de dessins de Bernard Ancien ont été
retirés des dossiers déposés aux Archives municipales. I1 était prévu qu’ils soient
remplacés par des photocopies dès que le classement aurait eu lieu. Ces dessins
sont parfois les esquisses d’autres, plus élaborés, fails à la plume et souvent en
couleur. Une cinquantaine de ces dessins représentent différents monuments et
rues de Soissons ainsi que des églises, rerlnes et chriteaux des environs. Beaucoup
d’autres sont également conservés par M. Ancien, parmi lesquels les plombs de
la série a Légendes du Soissonnais v ayant paru dans le journal L’Union en 1970-
7 1, les originaux des cartes postales des journées du timbre des années soixante,
une série humoristique, etc.
Cartes postules
La collection comporte plusieurs milliers de cartes postales anciennes de
la ville de Soissons, des environs et de différentes régions de France.
Collection d’objets
M. Ancien a conservé un échantillonnage important d’objets de la collec-
tion réunie par son père : silex taillés, poteries gauloises et gallo-romaines, céra-
miques romaines, objets mérovingiens, une hallebarde (venant de Cramaille), un

34
crucifix en os, une importante collection de monnaies anciennes. La collection
comprend aussi des armes, casques et baïonnettes de la première guerre
mondiale.
Conclusion
En définitive, ce n’est qu’au travers de ces difíérents dépôts que l’on peut
mesurer aujourd’hui l’importance des recherches entreprises par Bernard Ancien
et de la documentation qu’il a réunie. Mais la dispersion de ses archives est très
discutable d’un point de vue documentaire. I1 aurait sans doute été préférable que
l’ensemble restit groupé et fût conservé en un même lieu. Ce dépôt aurait conser-
vé toute sa cohérence car beaucoup d’études se réfèrent à des ouvrages répartis
entre les Archives municipales et M. Ancien. Or ces ouvrages sont souvent
accompagnés de nombreuses notes inscrites en marge ou sur des feuillets inter-
calaires. Quoi qu’il en soit, quelques échanges entre les dépôts des Archives
municipales et de la Société historique de Soissons seraient souhaitables. Ils per-
mettraient de rectifier des erreurs ou des mélanges lors de la répartition entre les
deux dépôts.
Ces différents fonds d’archives ou de livres pet-mettent de cerner l’apport
de Bernard Ancien h l’histoire de notre région. Pour cela, je distinguerai les dif-
férents domaines dans lesquels il a mené ses recherches.
On peut dire que Bernard Ancien a rédigé des notes d’observations archéo-
logiques sur la totalité des édifices anciens du Soissonnais : églises, ch;teaux,
fermes, manoirs, moulins, etc. Ses observations sont la plupart du temps très judi-
cieuses et précieuses pour l’étude de ces monuments. Toutefois, elles sont quel-
quefois hypothéquées par le fait que leur auteur n’utilisait pas la photographie et
ne se fiait qu’A sa mémoire et à ses croquis. Des détails lui ont donc parfois échap-
pé et ses études trouvent leurs limites dans les comparaisons entre édifices.
Malgré cela, il savait détecter les infinis détails qui caractérisent une architecture
et ses jugements de datation des monuments étaient très sûrs.
Pour ce qui concerne la période antique, Bernard Ancien s’est contenté de
constituer des dossiers ou des notices sur les découvertes archéologiques. Ils ont
le mérite d’être détaillés et en grand nombre, présentant donc un vaste panorama
des trouvailles archéologiques dans notre région. Le plus important de ces dos-
siers est évidemment celui concernant la ville de Soissons.
L‘histoire régionale du Moyen Age à nos jours a été l’un des grands thèmes
de recherche de Bernard Ancien. Mais il a été avant tout un chercheur régional
qui, pour des raisons matérielles liées h son époque, a centré ses travaux sur les
sources disponibles localement. I1 n’a donc pas ou peu utilisé des sources impor-
tantes disponibles aux Archives nationales ou la Bibliothèque nationale. N’ayant
pas une formation de médiéviste, il n’a pas travaillé sur les documents originaux
du Moyen Age comme a pu le faire Carolus-Barré pour la région de Compiègne.
De ce fait, ses études couvrant cette époque sont des synthèses de publications
existantes.

I1 en est tout autrement pour l’histoire régionale depuis le XVI‘ siècle.
L‘utilisation des minutiers des notaires et des arpenteurs royaux, des registres
d’état civil, des archives des grandes abbayes a permis de constituer des dossiers
solides sur toutes sortes de sujets, à l’exemple de celui consacré au chsteau du
Plessis-aux-Bois (Oise) qui est tout à fait complet.
Mais c’est probablement en matière de généalogie que ses recherches ont
ité les plus poussées, bien que ce soit aussi le domaine où ses travaux sont le
moins connus. Pourtant, Bernard Ancien a constitué de nombreux dossiers de
familles qui sont d’une grande richesse.
Pour terminer j’exprimerai le souhait que les conditions de la cession des
archives de Bernard Ancien soient enfin respectées par la ville de Soissons. Celle-
ci devait en effet organiser le classement de ces archives et en permettre l’accès
au public dans une salle spécialement aménagée.
D’une vie consacrée à l’histoire el au patrimoine de notre région, il reste-
rait alors une masse considérable de notes et documents qui, conservés aux
Archives municipales et soigneusement inventoriés, constitueraient un outil de
premier ordre pour les chercheurs. Mais se poserait alors, avec plus d’acuité
encore qu’aujourd’hui, le problème de leur protection intellectuelle. De nom-
breuses investigations sont en effet prêtes à être publiées ou rédigées niais elles
risqueraient alors d’être utilisées par des chercheurs peu scrupuleux, sans qu’ils
fassent référence à leur auteur.
Denis ROLLAND

Saint-Marc Girardin,
portrait d’un notable du XIX siècle
La bibliothèque d’un académicien
En 1945, un tombereau conduit par un paysan déposait à la Société archéo-
logique, historique et scientifique de Soissons la biblioth2que de M. Saint-Marc
Girardin, journaliste, littérateur, conseiller d’Etat, pédagogue, professeur d’uni-
versité, député et académicien, décidé en 1873. I1 s’agissait de 4 O00 à 5 O00
ouvrages, consacrés essentiellement B l’histoire ct à la littérature, mais également
à la poésie, à la philosophie et à la géographie, parmi lesquels 800 environ en
latin, 336 en italien, 177 en allemand, 170 en grec, 165 en anglais et une vingtai-
ne en langues diverses, ainsi que trente-sept dossiers personnels organisés par
sujets contenant brochures, articles, lettres, affiches etc.
Ce don était le fait de M. André Cosset (1878-1956), vice-président de la
Société historique de Soissons, et de sa feinnie Amélie (1880-1962), née Saint-
Marc Girardin, petite-fille de l’érudit. Ces livres, jusque-là conservés dans la mai-
son des époux Cosset, située à Acy dans l’Aisne, constituent aujourd’hui encore
la base de la documentation de notre Société historique.
De nos jours, Saint-Marc Girardin est B peu près oublié. Les quelques
écrits qui lui ont été consacrés datent tous de son époque et sont de plus très suc-
cincts l. En essayant de le faire sortir de l’ombre, nous avons découvert une per-
sonnalité très représentative de ces notables qui ont joué un rôle clé dans la vie
publique de la France du XIX‘ sikcle.
Ses premiers pas vers la célébrité
Le 21 février 1801, 2 Paris, Mine Thérèse-Julie Reverard, épouse
d’ Antoine-Barthélémy Girardin, un marchand de draps prospère, niellait au
monde un petit garçon qui sera prénommé François, Auguste, Marc. Inutile de le
chercher dans les dictionnaires : il y íigure sous le nom de

38 Jirlien Strpori
Girardin >> car, une fois adulte, il se canonisera >> en transformant son nom
patronymique, qu’il considérait certainement comme trop commun >.
La famille Girardin représentait un échantillon parfait de cette bourgeoisie
parisienne qui, après avoir vu se succéder plusieurs générations d’artisans labo-
rieux et économes, était parvenue à amasser une fortune assez considérable la
mettant non seulement à l’abri du besoin, mais même en mesure de ne plus exer-
cer ou presque d’activité professionnelle, vivant de ses rentes. Ces bourgeois
inactifs, qualifiés souvent, tout simplement, de >, représentaient
un peu moins de 10 % de la population parisienne iì la fin du XVIII‘ siècle, mais
jouissaient d’une place de premier choix dans la vie de la capitale et du pays tout
entier. Saint-Simon ne trouvait pas de mots assez durs pour fustiger ces >,
ces >, ces > qui tendaient, par leur
mode de vie, iì se confondre avec l’aristocratie et qui s’appropriaient une grande
partie des charges officielles.
Saint-Marc Girardin, lui, n’avait pas d’états d’:me. Selon le portrait élo-
gieux qu’en fera Alfred Mézières ’, il et faisant de lui un esprit >, définitivement ins-
piré par le >, ce qui le préservera ; il se lanp donc dans les études.
Placé d’abord à la pension Hallays-Dabot, un établissement libre situé rue
des Fossés-Saint-Jacques iì Paris, celui qui deviendra un jour Saint-Marc Girardin
poursuivit des études brillantes au lycée Napoléon, actuel lycée Henri-IV, où il
s’illustra plus particulièrement dans les concours de rhétorique. Y connut-il le duc
de Chartres, le fils aîné du futur roi Louis-Philippe, élève de sixième de cet éta-
blissement à partir de novembre I8 19 ? L‘histoire ne le dit pas : toutefois, on peut
imaginer que la très forte sympathie qu’il manifesta sa vie durant pour la famille
des Orléans s’explique au moins en partie par cette solidarité d’anciens élèves. En
tout cas, il est certain que l’opinion publique fut impressionnée par cette décision
très symbolique qui rapprochait clairement la famille princière du Palais-Royal et
la bourgeoisie parisienne :

SaintMarc Girardin 39
Fig. 1 : €”it de. Saint-Maw Gimrdio
Sur atte- image d’Epinal, que n’a-t-on pas fantaad, en croyant
&ait perdu das
: il n’&ait pas de
4. Guy Antonetti, Louis-Philippe, Paris, Fayard, 1994, p. 490 et 491. A l’époque (septembre 1819)
le jeune duc de Chartres était encore l’héritier virtuel de la couronne puisque la duchesse de Berry
venait d‘accoucher d’une fille. Louis Xvm s’opposa en vain B cette dkision.
5. Alexis de Jussieu (1802-1865) : avocat, journaliste au Courrier français, sous-préfet de Sceaux en
1830 puis @fet de l’Ain et de la Vienne, directeur de la police au ministère de l’Intérieur en 1837,
d6puté de la Vendée jusqu’en 1839, encore préfet de l’Ain jusqu’il sa démission en 1841 ; maître des
requêtes au Conseil #Etat ; enseignant de litt6rature dans la demière partie de sa vie.
6. Silvestre de Sacy (1801-1879) : conservateur de la Bibliothtque Mazarine, sénateur en 1865, élu
a l’Acad6mie française en 1854, journaliste au Journal des débuts.
7. Ximénès Doudan (1800-1872) : r6pktiteur au colkge Henri-IV, précepteur du fils de Mme de
Stdl, chef de cabinet du duc de Broglie (ministre de l’Instruction publique puis des Affaires étran-
gères de 1830 B 1835), maître des requêtes au Conseil &Etat, journaliste au Journal des débats, lit-
térateur.

40 J~ilirii Supori
chambre louée par ce dernier rue des Sept-Voies, à Paris. Tous les membres de ce
cénacle deviendront un jour plus ou moins célèbres : nous verrons par ailleurs que
leurs futures carrières présentent de telles similitudes qu’on peut facilement pen-
ser que l’amitié qu’ils nouèrent à cette époque constituera l’embryon d’un véri-
table réseau de relations qui leur permettra d’entrer au Journul des cfkbats, à
l’université, dans l’Administration, dans la carrière politique ou encore à
l’Académie française.
Son baccalauréat obtenu, ses parents lui imposèrent de poursuivre des
études de droit et, en 1822, il obtint I’avocature. A l’époque, l’inscription au bar-
reau ne constituait pas toujours un projet professionnel, mais plutôt un moyen de
s’assurer une certaine considération sociale ; et, en effet, la véritable vocation de
Saint-Marc Girardin étant l’enseignement, il ne plaida en tout et pour tout que
trois causes, dont celle, qu’il gagna, d’un marchand bonnetier opposé aux dames
de la Halle.
En 1823, il obtint l’agrégation et donc un traitement ouvrant le droit,
comme on le prétendait à l’époque, M de dire qu’on mourait de faim aux frais de
]’Etat ! M Toutefois, suspecté de sympathies libérales, il se vit écarté de I’ensei-
gnement. Sans protester contre cette mesure vexatoire, il se résigna à passer ses
journées paisiblement, en famille, dans l’attente de jours meilleurs ; sa patience
fut bient8t récompensée car, en 1826, on lui offrit la chaire de seconde, puis de
rhétorique, au collège Louis-le-Grand.
Son maigre traitement d’enseignant, complété toutefois par des cours par-
ticuliers et, surtout, par l’aide financière de ses parents, lui permettait chaque été,
dès que sonnait l’heure des vacances scolaires, de partir en voyage et de visiter
ainsi la plupart des pays d‘Europe et, plus tard, du Moyen-Orient. C’est ainsi
qu’en 1827 il se rendit pendant trois mois à Berlin oÙ il fit la connaissance
d’Hegel et se lia avec Edouard Gans, professeur de droit à l’université de Berlin;
en 1845, il préfacera d’ailleurs l’ouvrage de ce dernier, une Histoire du droit de
siiccession en France au Moyen Age.
Ces voyages firent de lui un grand admirateur de l’Allemagne, et pas seu-
lement de ses arts et de ses lettres. L‘esprit conservateur de Saint-Marc Girardin
appréciait le genre de vie rangé et casanier de ce peuple, mais également la force
de ses traditions à peine secouées par Bonaparte :

en devenant allemande, montait d’un degré dans I’échelle de la civilisation D et,
de ce fait, ).
Avec un cynisme indéniable, notre voyageur cautionnait ainsi non seulement
l’impérialisme allemand du XIX“ siècle, inais Cgalement les thCories raciales de
son quasi-contemporain Arthur de Gobineau ( I8 16- 1882) qui plapit le concept
d’inégalité des races au centre de ses réflexions Io. Bien des années plus tard, sous
le Second Empire, Saint-Marc Girardin se retrouva pourtant vice-président du

42
Sa carrière de journaliste
Dès 182 1, il entama sa carrière de journaliste en rédigeant des comptes
rendus de l’Opéra pour I’Eclio du soir. En 1827, il débuta dans Le Journal des
dkbats : il y restera un collaborateur assidu durant quarante-cinq ans, partageant
les opinions politiques de ce prestigieux quotidien conservateur et s’imposant
rapidement comme un des plus célèbres polémistes français ; il y sera rejoint par
ses amis de jeunesse, Silvestre de Sacy et Ximénès Doudan. En dehors du Journal
des débiits, il collabora également, plus ou moins épisodiquement, avec plusieurs
autres journaux, notamment avec La Revue des Deux Mon~ks, une autre célèbre
institution orléaniste qui publiera entre 1838 et 1856 vingt-deux de ses articles.
Le Journal des dkb~its avait été fondé en 1789 par Gaultier de Biauzat,
oncle du professeur de droit de Louis-Philippe, pour rendre compte des débats à
l’Assemblée constituante. Ce quotidien, qui comptait sous la Restauration environ
13 O00 abonnements (chiffre considérable pour l’époque), fut dirigé par Louis
François Bertin dit l’Aîné >> jusqu’en 1841 puis, successivement, par ses fils
Louis et François. Sous les règnes de Louis XVIII et de Charles X, le journal, traditionnellement
favorable à une monarchie tempérée, put compter parmi ses collaborateurs
des signatures aussi illustres que celles de Chateaubriand, Geoffroy et
Nodier, et combattit le gouvernement des Ultras. Après la révolution de 1830, il
se discrédita, devenant une sorte de du régime orléaniste, largement
subventionné sur les fonds secrets du gouvernement ; puis, sous le
Second Empire, il fut le principal organe de l’opposition libérale, évoluant par la
suite vers des positions républicaines conservatrices. II cessa de paraître en 1944.
Dans son premier article, non signé, Saint-Marc Girardin commentait les
troubles qui venaient d’avoir lieu, en novembre 1827, rue Saint-Denis, à Paris ; à
cette occasion, la troupe avait tiré sur une foule inoffensive qui manifestait
bruyamment à la suite d’élections défavorables au gouvernement de Joseph de
Villèle. Avec verve, le jeune journaliste apostrophait les ministres, leur deman-
dant c si les bulletins de la Grande Armée allaient maintenant s’afficher à la
Morgue ! >> Saint-Marc Girardin dut finalement avouer être l’auteur de l’article
mais, fervent partisan de l’idée monarchiste, il ne fut guère inquiété par le gou-
vernement et put donc poursuivre à la fois sa carrière dans l’enseignement et ses
activités de journaliste, fustigeant dans la presse le ministère Villèle et les
jésuites ; ce qui ne l’empêcha pas, en décembre 1827, de louer ce même Villèle
qui venait de quitter le gouvernement ...
Ces prises de positions pouvaient apparaître contradictoires et, à cette
époque, on pouvait elfectivement s’interroger sur la personnalité de Saint-Marc
Girardin, qui, dans ses articles, se posait en jeune homme fougueux et enthou-
siaste, ridiculisant les esprits bornés qui entouraient Charles X. Nombreux étaient
ceux qui se demandaient si le jeune journaliste ne dcviendrait pas, un jour, le chef
de íïle du >. Nous verrons qu’il n’en sera rien et que, même
si le ton était souvent sarcastique et parfois très vif, notre brillant écrivain militait

Suiiii Marc Girurdiii 43
déji pour ces opinions qui feront de lui, quelques décennies plus tard, un des
champions du parti conservateur, adversaire acharné du suffrage universel.
Qu’est-ce que Saint-Marc Girardin, lui-même monarchiste et conserva-
teur, reprochait au régime de Charles X ? Notre polémiste s’inscrivait dans une
fortc tradition française, cellc des

44 Julien Supori
Rappelons qu’a cette époque, les jésuites demeuraient très impopulaires et étaient
attaqués même par certains légitimistes, tel le vieux comte de Montlosier, parti-
san du gallicanisme.
II devient un zélateur de la monarchie de Juillet
Après avoir pris la défense du ministère Martignac ( 1828- 1829) qu’il qua-
lifiera de >, Saint-Marc Girardin
s’éloigna définitivement du roi Charles X lorsque ce dernier chargea le prince de
Polignac de conduire la politique gouvernementale. Ce faisant, il suivait la ten-
dance générale en vigueur au Journal des dk’brits, dont un autre illustre collabo-
rateur, Chateaubriand, s’était également insurgé contre la nouvelle orientation
politique de la monarchie en démissionnant de son poste d’ambassadeurà Rome.
La presse quasi unanime se déchaîna contre Polignac et Saint-Marc
Girardin participa B cette campagne avec des mots très forts, publiés le IO août
1829 dans Le Journal des dkbats : . Les ordonnances liberticides du 26 juillet 1830 provoquèrent l’insurrection
de Paris et Saint-Marc Girardin, qui revenait d’un voyage de quatre mois à Berlin,
put assister en direct à la révolution. D’emblée, il se situa comme un incondi-
tionnel de ce nouveau régime I’. L‘orléanisme n’hésitait pas à prendre appui sur
les principes de 1789 et proposait une monarchie revigorée par la force du contrat
entre la nation et le roi des Français, mais toutefois éprise d’ordre et soucieuse de
préserver les privilèges politiques et économiques des notables. Enthousiaste, il
écrivit dans Le Journal des déhm : (( Cette révolulion, aussi bien, changea ma
vocation de journaliste : d’un écrivain d’opposition, elle fit de moi, presque dès
le lendemain, un défenseur du pouvoir et je l’en remercie D. Dès lors, ses enne-
mis furent clairement désignés : >
Le fils du marchand de drap, défenseur acharné des vertus et des privilèges
12. Lr Joirnia/ t k s tKbats eut un r61e déterminant dims la crise du règne de Charles x. Son directeur,
M. Bertin, fut même condamné h six mois de prison pour un de ses articles. mais acquitté en appel.
Contrariée par cette décision. le I“ janvier 18.70, la duchesse d’Angoulême, rei‘usant d‘écouter les
compliments du président de la cotir d’appel lors de la visite d’usage. l’interrompit sèchement en lui
disant : (< Passez, messieurs. x La populariti de la dtichessc (l’ancienne *< orpheline du Temple n) et
de l’ensemble du parri légitiinistc qu’elle incarnait. souffrira de celte maladrcsse.
13. II en fut de même pour ses trois amis de jetincssc, Silveswe dc Sacy, Alexis de Jussieu et Ximénès
Doudan, qui adhéri.rent tous avec enthousiasme h la inonarchie de Juillet.
1 4. Saint - M arc Girard in , Sort wzir.s et r&.flrxn-iorz.v d ’Lin ,jot I rm 1858, p. 76.
li.ste. Paris, éd. Miche I - Lé v y Frères,
D

de la bourgeoisie parée de toutes les vertus (politiques, économiques, morales et
même artistiques), ne pouvait qu’être à l’aise avec ce régime orléaniste. Pour lui,
la monarchie de Juillet incarne >. Position pourtant paradoxale, si l’on songe qu’une grande partie de
cette bourgeoisie continuera à être exclue du fonctionnement des institutions, en
raison notamment des dispositions électorales.
Dans son éloge funèbre, prononcé en 1874 à l’Académie française,
M. Alfred Mézières décrivit les opinions politiques de son prédécesseur, précisant
que Saint-Marc Girardin avait déiendu toute sa vie la politique >.
Désormais définitivement rangé dans les rangs de I’orléanisnie, les idées
de Saint-Marc Girardin ne varicront plus jusqu’à la fin de ses jours. Devenu un
soutien dévoué du roi Louis-Philippe, il s’opposa fermement aux idées républi-
caines dont se revendiquaient, disait-il, a les esprits factieux >>. Sa critique de la
république était fondée non seulement sur les souvenirs de la Terreur, mais éga-
lement sur des considérations d’ordre économique. I1 affirmait qu’un régime
républicain conduirait à la banqueroute et aboutirait inévitablement à une dicta-
ture, en raison de l’existence de multiples intérêts divergents dans la société fran-
çaise.
Dans son esprit, république et démocratie s’identifiant, il fallait àtout prix
barrer la route au suffrage universel. I1 annonçait que la société moderne péri-
ra [...] si elle fait l’erreur de faire des citoyens actifs avant d’en faire des proprié-
taires >>. Le message était donc clair : e Point de droits politiques hors de la pro-
priété et de l’industrie; mais que tout le monde puisse aisément arriver à la pro-
priété et à l’industrie >>, écrira-t-il dans un article publié en 1831 par Le Joirrml
des débats et intitulé très clairement (< Les Barbares >>. D’après Sain-Marc
Girardin, ces > Si le gouvernement se doit de faire en sorte qu’un
sort trop désespéré ne les pousse pas à se révolter, il n’est absolument pas ques-
15. François Furet, La Ke‘volurion 1770-IKX0, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 10x8, p. 348.
16. A. MéLières, Discours de re‘ceptiot~ ir I’Ai~atle‘itiie,~r~r,ri(.ai.se, 01’. cif., p. 2 I.
45

tion qu’il leur accorde la possibilité d’accéder aux droits politiques, réservés à
une petite élite de notables sélectionnée sur des critères économiques. >
Le régime orléaniste fut très généreux avec ses zdateurs. Dès son arrivée
au pouvoir, Louis-Philippe avait alloué la somme de 200 O00 francs à Benjamin
Constant pour lui permettre de payer ses innombrables dettes de jeu, peu avant de
le nommer président de section au Conseil d’Etat. Pierre-Louis Bertin, frère du
directeur du Joui.ntrl des déhars, fut nommé ambassadeur aux Pays-Bas.
Salvandy, journaliste dans le même journal, élu député en 1833, fut nommé
ministre avant d’entrer à l’Académie française. De même, les quatre amis,
anciens élèves du lycée Henri IV, furent tous largement récompensés, Saint-Marc
Girardin étant plus particulièrement chargé de remplacer François Guizot à la
faculté des lettres de la Sorbonne. En 1833, il quittera cette chaire pour celle de
poésie française dans la même faculté, en remplacement de M. Laïa.
La monarchie de Juillet ayant renouvelé en quelques mois la moitié des
membres du Conseil d’Etat, Saint-Marc Girardin y fut nommé maître des
requêtes dès 1830, fonction qu’il occupera jusqu’en 1837. Sa contribution aux
travaux de cette institution reste difficile à cerner, les archives du Conseil d’Etat
ayant été entièrement détruites en 1871, lors des combats de la Commune. I1
semble toutefois qu’elle ait été minime, car il assista tout au plus à huit séances
en l’espace de dix-huit mois. Le nouveau régime nomma également au Conseil
d’Etat ses amis de jeunesse Alexis de Jussieu et Ximénès Doudan.
Après les rentes, les honneurs. En 1839, Saint-Marc Girardin reçut la croix
de la Légion d’honneur des mains du roi Louis-Philippe en personne. Désormais,
cet esprit laïque, voltairien et railleur voua un véritable culte au monarque au
parapluie qu’il para de toutes les vertus ... même mystiques ! Car il paraissait évi-
dent à notre polémiste de bon aloi que si le roi échappait avec une telle aisance
aux nombreux attentats dont il était l’objet, c’élait grke à une miraculeuse et
constante protection divine. >
Toutefois, très prudemment, le gouvernement de Louis-Philippe décida
qu’il était trop aléatoire de compter uniquement sur la providence divine pour la
défense du régime. A la suite de l’attentat de Fieschi, le 28 juillet 1835, de nou-

Suint-Mtirc Girtirtliii 47
velles lois sur la presse furent promulguées le 9 septembre. Le système ainsi mis
en place était encore plus sévère que celui qu’avait connu la Restauration, et de
nombreux journaux d’opposition, frappés de lourdes amendes (Lu Curicnture, Lu
Triburie, Le Réjorinuteur ...), durent cesser leur parution. Saint-Marc Girardin ne
réagit guère contre ces lois d’exception qui frappaient ses confrères de la presse.
Le Journal des débuts ne s’en porta pourtant pas mieux : discrédité et boudé par
les lecteurs, ses abonnements tombèrent à 9 O00 exemplaires en 1846 I’.
Désormais devenu un homme de pouvoir, Saint-Marc Girardin réserva sa
plume acérée à des sujets inoffensifs ou pittoresques. C’est ainsi qu’en juillet
1830, il écrivit dans Le Journal des débuts un article ridiculisant
En 1842, il débuta à la faculté des lettres de Paris le Cours de litte‘ruture
drurnatiqiie ou de l’usage des pussions duns le draine qui restera sa principale
œuvre littéraire et sera publié de 1843 à 1846 sous ce titre, en cinq volumes. I1
s’agissait d’un véritable réquisitoire contre le romantisme qui, après avoir débu-
té dans le culte tout à fait > du Moyen Age, de la chevalerie et donc
de la royauté, avait évolué vers des idéaux démocratiques et séduisait de plus en
plus une jeunesse lasse d’écrits trop conventionnels. Le débat débordait le cadre
strictement littéraire pour connaître des retombées politiques évidentes : le gou-
vernement de Martignac n’avait-il pas frappé des foudres de la censure la pièce
18. Dans Lircim Lcwvc/i de Stendhal (Paris. Flammarion, 1992, t. 1, p. 173). le protagoniste, sous-
lieutenant de cavalerie, est convoqué et réprimandé par son colonel chef de corps qui lui reproche
d’être un séditieux républicain. pour s’être attardé dans un cabinet de lecture sans feuilleter l’exem-
plaire bien en vue du Jourmil des clihat.\ !
19. A. Mézières, Discoirt:\ ,firtitlire siir Srritif-Mon Gircirdin, op. cif., p. 2.

48 Jirlirrz Strpori
de Victor Hugo MLiriori Delorme, soupçonnée de vouloir atteindre sournoisement
Charles X par sa crilique de Louis XII1 ?
Dans son ouvrage, Saint-Marc Girardin afiïrmait que la moralité étant
indissociable de la beauté, la IittCrature avait tort de s’intéresser à certaines pas-
sions excessives relevant des > et, prônant en faveur de la
mesure, essayait de ranimer une littérature classique désormais moribonde 20.
Partisan du parti de l’ordre même lorsqu’il se consacrait à la critique littéraire, il
dénonçait la rhétorique romantique, coupable, d’après lui, de mettre en valeur des
dérèglements d’émotions dignes des grands criminels et qui, un jour, pourraient
inspirer à des agitateurs des idées dangereuses, susceptibles de menacer l’ordre
social. Ses sentiments farouchement anti-romantiques étaient partagés par
d’autres célèbres orléanistes de l’époque, tel Salvandy. Ils préconisaient la haine
que l’Action française vouera, quelques décennies plus tard, à ces grands roman-
ciers du XIX‘ siècle coupables, d’après Barrès, de >.
La critique n’était pas seulement littéraire mais se voulait également psy-
chologique : s’érigeant en chantre du style de vie des >, Saint-
Marc Girardin essayait de ridiculiser les héros mélancoliques et ténébreux des
romantiques, se disant silr que, dans quelques années, ils seraient tous rangés et
pères de famille.
Aujourd’hui, l’ouvrage de Saint-Marc Girardin est oublié : il faut recon-
naître qu’il mena un combat d’arrière-garde, le mouvement romantique voyant sa
victoire contre > du classicisme difinitivement couronnée
en 1841 par l’entrée de Victor Hugo 2 l’Académie franyaise. Avec le recul, les
leçons de style que le professeur Saint-Marc Girardin prétendait donner à > Victor Hugo, sa cible préférée, mais également à Alexandre Dumas, dont il
se moquait du haut de sa chaire universitaire, paraissent aujourd’hui aussi ridi-
cules qu’indigestes : incapable de comprendre la sensibilité de son siècle, il est
certain que notre homme de lettres >.
Toutefois, à défaut d’être un génie de la littérature, Saint-Marc Girardin
maîtrisait parfaitement ce qu’on appellerait aujourd’hui >. En effet, Le Jourilal des dibats rendait compte régulike-
ment des cours de son chroniqueur qui, par la suite, étaient édilés sous forme de
recueils. A ce titre, ils avaient droit à une nouvelle critique, flatteuse, de la part
du même journal. Ce système s’était généralisé sous la monarchie de Juillet jus-
qu’à devenir un véritable monopole de fait des auteurs > sur l’en-
20. Victor Hugo réagit avcc ironie i ces critiques drin\ son ouvrage Cluircle Cirrrrs (Paris, Le Livre
de Poche, 1095. p. 77) : G II est utile de déclarer que c’est le drame moderne qui a inventé l’inceste,
I’ndultPre, le parricide, l’infanticide et l’empoisonnement. et de prouver par 121 qu’on ne connaît ni
Phèdre. ni Jacoste, ni (Edipe, ni Médée, ni Rodogtinc. n II est B noter que Louis-Philippe rebta sa vie
durant fermement étrangcr au romantisme.
21. “.wemi Lnrousse i//i/sfri en 7 vo/iruie.v, rubrique M Saint Marc Girardin >>.

Saint-Marc Girardin
semble de la production littéraire. I1 fut notamment dénoncé par Balzac qui eut à
en souffrir =.
La récompense gouvemementale ne tarda guère. Le 8 février 1844, notre
littérateur entra à l’Académie française à la place de M. Campenon, occupant le
fauteuil no 23. I1 avait reçu dix-huit voix, l’emportant contre deux partisans du
mouvement romantique, les poètes Emde Deschamps (qui eut huit voix) et Alfred
de Vigny (sept voix seulement). Le hasard désigna Victor Hugo pour répondre au
nouvel élu ; il le fit sans aucune tendresse : >
22. La dénonciation de ce u systkme B est au centre du roman de Balzac Illusions perdues, paru en
1843, qui décrit les vicissitudes de Lucien de Rubempré, jeune héros dont la vocation littéraire est
brisée par la presse officielle disposant d’un droit de vie ou de mort sur n’importe quel auteur : u Un
livre de M. de Chateaubriand sur le dernier des Stuarts &ait dans un magasin à 1’6tat de rossignol.
Un seul article &rit par un jeune homme dans Le Journal des Dkbars fit vendre ce livre en une
semaine. B (op. cit., p. 369)
23. E. de Mirecourt, Les contemporains : Saint-Marc Girardin, op. cit., p. 56-57.

50 Julien Sciporì
La même année, le 14 mars, Charles Sainte-Beuve fut également élu parmi
les Immortels. Faisant partie de la troupe des romantiques, il n’appréciait guère
Saint-Marc Girardin dont il avait écrit :

Sairit Mtrrc Giianlirt 51
, se disait celui-ci. >>
Finalement, M. des Ramiers parvient à obtenir un rendez-vous auprès de
Lucien Leuwen :
C’est en vain que M. des Ramiers implore Lucien Leuwen de bien vouloir
se charger lui même de cette basse besogne : ce dernier refuse.
26. Les passages suivants sont extraits du roman Lucien Leuweri de Stendhal, op. cit., t. II, p. 343-
347. Notons qu’il n’y a aucun doute possible concernant la véritable ¡dentilé de M. des Ramiers,
Stendhal lui-même ayant écrit dans la marge de son manuscrit :

52 Julien Sripori
>, se dit Lucien Leuwen. >>
Dès lors, commence un véritable vaudeville. M. des Ramiers s’acharne sur
le pauvre M. Tourte, entamant toutes sortes de démarches administratives pour
obtenir sa destitution. Lucien Leuwen les contrarie, en faisant preuve d’une ima-
gination bureaucratique exceptionnelle - Stendhal, qui était à l’époque consul de
France à Civitavecchia, s’inspirait certainement de son expérience personnelle.
M. des Ramiers, qui . Toutefois, le député doit en payer le prix : désormais discré-
dité auprès de la femme du ministre, son nom est effacé de la liste des personna-
lités invitées au ministère. > et, lors de
sa présentation à l’ambassadeur de Russie, ce dernier clame tout haut en le rece-
vant: (< Ah ! le des Ramiers de Tourte ! >> Sur quoi, le Fénelon moderne devint
pourpre, et le lendemain M. Leuwen père mit l’anecdote en circulation dans tout
Paris. >>
Mais le plus extraordinaire est que cette histoire ridicule est pourtant par-
faitement véridique ! Elle fut rapportée par de nombreux journaux de l’époque,
dont La Gazette de France des 9 et 1 O décembre 1834 et surtout Le Clicirivrtri du
12 décembre 1834, cité par Stendhal dans son récit. Ce journal avait publié un
article intitulé très explicitement : >. Stendhal s’était permis de simples aménagements : la véritable
victime ne se nommait pas Tourte, niais Maugrageas, et était vérificateur des
poids et mesures de son état. Le pauvre homme s’était rendu coupable d’avoir un
frère qui avait mal voté ; dès lors, >. Ce que Stendhal
n’avait pas raconté, c’est que la vengeance de Saint-Marc Girardin ne s’arrêta pas
iì ce père de famille sans fortune, chargé de trois enfants : elle s’étendit également
à son frère ainsi qu’au frère d’un candidat de l’opposition. Car, circonstance
aggravante, ils étaient tous également coupables d’occuper des postes à la pré-
fecture, subalternes certes, mais qui pourraient se révéler utiles pour récompen-
27. Journal L’Eclio de V&.tone, cité en note dens Lucien Leuwen, op. cit., p. 5 17.

Stiirit-Mtirc Girurtlin 53
ser certains supporters du nouveau député, soucieux de se constituer une ) aux frais du contribuable. Tous furent renvoyés, victimes d’une véritable

54 Julien Sapori
C’est sous cette orientation conservatrice qu’il faut comprendre le combat
que Saint-Marc Girardin mena sa vie durant contre >, pour la
défense de l’université laïque et également en faveur d’une instruction primaire
généralisée. Ses principes éducatifs ne visaient pas I’épanouissement de l’enfant,
mais l’embrigadement de la jeunesse dans un souci d’ordre, à l’exemple du sys-
tème scolaire créé en Prusse par Frédéric II, qui n’avait pas hésité B étatiser les
écoles dès 1763 et B décréter l’obligation scolaire jusqu’à I’âge de 13 ans.
Le 20 août 1833, Saint-Marc Girardin fut chargé de parcourir l’Allemagne
méridionale afin d’y étudier les > (nous dirions aujour-
d’hui les collèges). Encore une fois, cette nomination avait été possible grâce à
son réseau de relations : non seulement le ministre de l’Instruction publique qui
l’avait désigné était Guizot (qu’il connaissait très bien, lui ayant succédé dans sa
chaire à la Sorbonne), inais son ami de jeunesse Ximénès Doudan exerçait B
l’époque les fonctions de chef de cabinet du duc de Broglie, ancien ministre de
l’Instruction publique.
A son retour d’Allemagne, il rédigea un rapport en deux volumes intitulé
De 1 ’instruction iiiterr&dicrire et de son htnt cluns le Midi clr I’Allernngne. Dans
cette œuvre volumineuse, il critiquait le système français, trop marqué par l’en-
seignement classique, conçu pour une élite littéraire mais inadapté à la formation
des nouvelles couches sociales. Voici ce qu’il écrivait à ce sujet avec son bon sens
habituel : > Pour pallier ces carences, Saint-Marc Girardin préco-
nisait la création de collèges dispensant un enseignement pratique, se singulari-
sant notamment par l’apprentissage d’une langue étrangère contemporaine à la
place du grec et du latin.
Ce projet, incontestablement innovateur, était toutefois devait avoir un but uniquement uti-
litaire, et en aucun cas constituer un apprentissage de la liberté. Au contraire, il
préconisait pour ces écoles > (c’est ainsi qu’il les appelait) le renfor-
cement de l’enseignement religieux car >. Ses soucis rejoignaient ceux de toute une par-
30. Propos de Saint-Marc Girardin cités par le journal L’Ecltrirdu 6 septembre 1898 : B cette époque,
ce journal les considCrait encore d’une extrême actualité.
3 I. T. Froment, Sainf-Mrrrc Girardin pL:tkigogue, op. cit., p. 2 I.

Srr it1 t-Mtr rc Girrr /dir1 55
tie de l’élite incroyante de l’époque, se tournant >.
L‘intérit qu’il manifestait pour les questions pédagogiques le fit nommer
en 1838 au Conseil royal de l’Instruction publique. I1 y défendit les principes du
monopole de l’université et de l’instruction primaire obligatoire, ce qui devait le
préparer à ses futures fonctions parlementaires.
Le député
C’est dans le domaine politique que Saint-Marc Girardin jouera le rôle le
plus important. La monarchie de Juillet, avec la loi du 15 avril 1831, en abaissant
le cens requis pour I’éligibilité de 1 O00 à 500 francs et le droit de vote de 300 à
200 francs, avait aménagé, sans véritablement le bouleverser, le suffrage censi-
taire en vigueur sous la Restauration.
Mais peut-on vraiment parler d’élections avec un corps électoral si res-
treint et un système de corruption généralisé au profit des candidats officiels ‘?
Stendhal dira de Saint-Marc Girardin qu’il avait été > grâce,
notamment, à l’appui du gouvernement. Afin de limiter encore les risques, le lit-
térateur porta son choix sur le Limousin, une région rurale oÙ il n’avait guère
d’attaches, mais qui semblait pouvoir lui assurer plus facilement son élection que
la région parisienne où, traditionnellement, les électeurs votaient

56 Jitlien Stipori
du préfet de la Haute-Vienne adressé au ministre de l’Intérieur. Rendant compte
des résultats et de l’ambiance lors des élections du 9 juillet 1842, ce haut fonc-
tionnaire écrivait : >, avec notam-
ment Odilon Barrot, réclamait des réformes et plus particulièrement l’abaisse-
ment du cens ; son journal était Le Sitcle. Mais la grande majorité des députés
constituait ce que nous définirions aujourd’hui comme étant le >, lui-
même divisé en trois groupes. Le centre-gauche, dirigé par Thiers, et dont l’or-
gane était Le Temps, se revendiquait des principes de la monarchie constitution-
nelle à l’anglaise, tandis que le >, fluctuant en fonction des circonstances
politiques, se regroupait autour du journal Le Constitutionnel. Le principal chef
de file du centre-droit était Guizot, qui réclamait pour le roi un rôle prioritaire
dans le gouvernement du pays et le choix des ministres : ses idées inspiraient Le
Journal des débuts. Pour terminer, les légitimistes, avec Lu Gazette cle France,
étaient politiquement marginalisés.
Saint-Marc Girardin se situait donc dans les rangs du centre-droit, parmi
les partisans de ceux qui affirmaient que >.
D’une façon générale, la monarchie de Juillet laissera B la postérité le souvenir
d’une Chambre des députés dominée par le pouvoir exécutiF, avec des élus
> parmi lesquels on comptait une masse de députés-fonctionnaires
soucieux uniquement de ne pas compromettre leur carrière administrative par des
votes susceptibles de contrarier la politique gouvernementale.
Sur la question essentielle de I’élargissement du corps électoral, qui pro-
voquera en 1848 la chute du régime, la plupart des sensibilités politiques s’ac-
cordaient sur la nécessité de prévoir une augmentation du nombre d’électeurs, y
compris les légitimistes : les ultras de 18 16 n’avaient-ils pas proposé l’abaisse-
ment du cens a cinquante francs ? Seuls, les amis de Saint-Marc Girardin, très
puissants à la Chambre des députés, y étaient radicalement opposés et apportaient
comme unique réponse à la demande de plus en plus pressante de l’opinion
publique les mots célèbres de Guizot : >, et vous deviendrez
électeurs. Les orléanistes avaient peur qu’une augmentation du nombre des élec-
36. Rapport confidentiel adressé le I9 juillet I842 par le préfet de la Haute-Vienne au ministre de
I‘lntérieur au sujet des Clections du 9juillet 1842. Arch. dép. Haute-Vienne, 3 M 131.

Suitit-Murt Gimrdin 57
teurs ne favorise l’opposition. Guizot y était farouchement opposé et avait coutu-
me de dire que soit la réforme électorale n’aurait pas de grande conséquence, et
dans ce cas elle serait inutile, soit elle bouleverserait la composition de la
Chambre des députés ... ce qu’il fallait éviter ! Toutefois, si les électeurs passèrent
effectivement, avec l’enrichissement du pays, de 168 000 au début des années
1830 ” à 240 000 à la veille de 1848, cela représentait peu de chose sur une popu-
lation de 32 millions d’habitants désormais largement scolarisée et consciente de
ses droits. Ce nianque de ICgitimité sera fatal au régime.
En attendant, les joutes parlementaires se poursuivaient, mais Saint-Marc
Girardin,

58 Julien Sapori
l’hémicycle en raison de son talent oratoire. I1 produisit une activité parlementai-
re variée et soutenue pouvant se classer en quelques grands domaines ?
1836, 1838 et 1839 ; des crédits extraordinaires en 1837 et I844 ; des Caisses
d’épagne en 1835 et 1845, etc.) ;
- les problèmes liés à la colonisation de l’Algérie (interventions au sujet
des troupes arabes irrégulières en 1837 ; de l’expédition en Kabylie en 1845 ; des
besoins religieux de l’armée d’Afrique en 1838 ; de l’administration civile en
Algérie en 1845, etc.) ;
- la question d’Orient (interventions au sujet de l’emprunt grec en 1837,
1842, 1844, I847 ; du palais de France à Constantinople en 1843 ; du consulat à
Belgrade en I837 ; des affaires de la Grèce en 1846 ; des persécutions contre les
chrétiens d’Albanie en 1846, etc.) ;
- la réforme de l’administration (interventions au sujet des attributions des
conseils généraux et des conseils d’arrondissement en 1837 ; des conditions
d’admission et d’avancement dans les emplois des services publics en 1844 ; du
projet de loi d’organisation du Conseil d’Etat en 1845, etc.) ;
- l’instruction publique (interventions au sujet du projet de loi concernant
l’instruction secondaire en 1837 ; du budget de l’Instruction publique en 1838 ;
du traitement des professeurs suppléés par des agrégés en 1832 ; de la rétribution
payée pour frais d’études dans les collèges royaux en 1846 ; encore un projet de
loi sur la réforme de l’instruction secondaire en 1848, etc.).
Son cursus personnel le préparait plus particulièrement à s’intéresser à ce
dernier domaine. Soucieux d’améliorer le niveau scolaire du pays et de dégager
l’école de l’emprise ecclésiastique, le ministère de François Guizot parvint à
accomplir une œuvre remarquable et injustement méconnue en matière d’ins-
truction publique. En ce qui concerne plus particulièrement l’enseignement pri-
maire, il obligea chaque commune, dès 1833, à entretenir une école primaire gra-
tuite. Le résultat fut qu’en 1848, les deux tiers des conscrits franqais savaient lire,
écrire et compter.
Après ce premier chantier, GuiLot voulu s’attaquer à l’enseignement
secondaire, déposant en janvier 1836 un projet de loi favorable à la liberté de
l’enseignement qui donnait satisfaction aux revendications du clergé tout en
maintenant un droit de regard de 1’Etat sur le fonctionnement des établissements
scolaires tenus par des religieux. Saint-Marc Girardin fut nommé rapporteur de la
commission et il lut son rapport à la Chambre lors de la séance du 14 juin 1836.
Gouvernement et commission se trouvaient d’accord sur la majorité des points,
sauf au sujet du statut des petits séminaires : pour le gouvernement, ces établis-
sements devaient rester publics, pour Saint-Marc Girardin et la commission, ils
devaient devenir privés. La discussion occupa douze séances, du 14 au 29 mars
1837, avec un rôle particulièrement actif de Saint-Marc Girardin.
40. Tables nominatives pour les pCriodcs 1834- 1839, 1842- I848 et I87 1-1 873, Arch. Ass. nat

Mais le rapporteur connut son plus grand succès de tribune en défendant
avec force le principe du maintien des bourses dans les collèges communaux, que
certains députds, M. Salverte et M. Prunelle en tete, voulaient supprimer au nom
d’un certain libéralisme économique. Notons que la charge financière pour I’Etat
était des plus légères, le nombre des boursiers concernés, sur tout le territoire
national, étant à l’époque seulement de 117. Toutefois, ne nous y trompons pas,
il ne s’agissait pas de ddfendre une politique de promotion sociale qui n’existait
point, mais bel et bien d’un réflexe de solidarité de classe, comme Saint-Marc
Girardin le déclarait lui-même tr2s clairement : > Sensible à cet argument, l’Assemblée maintint le système
des bourses.
La loi fut finalement votée le 29 mars 1837, 2 une majorité de 29 voix seu-
lement ; peine perdue, car le texte ne survécut guère au cabinet et, ne pouvant de
ce fait être examiné par la Chambre des pairs, n’entra jamais en vigueur. Saint-
Marc Girardin partagea donc avec le régime philippiste I’échec de ce vaste pro-
jet de réforme de l’instruction publique secondaire qui devint plus tard l’un des
chantiers les plus remarquables de la III‘ République.
La monarchie de Juillet apparaissait comme un régime solide. En réalité,
il était miné par de graves dissensions internes opposant les deux grandes familles
monarchistes, les légitimistes et les orléanistes. La crise se manifesta au grand
jour en 1843, 2 l’occasion de ce qu’on appela (< l’affaire des pèlerins de Belgrave-
Square >>. Le duc de Bordeaux, essayant de ranimer le parti légitimiste après la
mort de Charles X, s’était rendu en visite li Londres, où un millier de manifestants
français, conduits par Chateaubriand, l’avait acclamé du nom de roi devant sa
résidence, l’hBtel Belgrave-Square. Contrariée par ces débordements, la majorité
orléaniste de la Chambre avait voulu voter la motion suivante : par (< réprouver >>, nioins infamant ;
niais, finalement, cette grande affaire se termina par le niainlien du premier
terme. Saint-Marc Girardin fut des députés qui avaient volé d’emblée en ce sens.
Ce fut un régime usé par un immobilisme borné qui sombra soudainement
en février 1848. Saint-Marc Girardin figura en qualité de ministre de l’Instruction
publique dans le dernier gouvernement projeté par le roi Louis-Philippe dans la
41 . Disxx~ra de Saint-Marc Girardin i l’Assemblée, cité par T. Froment, Stririt-Mtirc Girtrrdiri pédagogire,
p. cit., p. 32. Cet apologiste de Saint-Marc Girardin prend néanmoins IC soin de préciser
dans soli commentaire : >

60 Jirlieri Sapori
vaine tentative de faire face iì l’émeute“’. On écrira à son sujet qu’ayant été
ministre durant vingt-quatre heures, il > ; car, N en France, c’est sur le pouvoir monarchique qu’il
faut s’appuyer pour contenir et pour diriger la démocratie ““ D. Saint-Marc
Girardin restait donc totalement imperméable aux grandes aspirations démocra-
tiques manifestées par le pays. On peut dire que, dès cette époque, il cessa d’être
un conservateur pour devenir un réactionnaire, envisageant anachroniquement,
comme seul aménagement institutionnel souhaitable, le renforcement des pou-
voirs dévolus au roi.
En attendant la chute de la II‘ République, puis du Second Empire, Saint-
Marc Girardin s’éloigna de la vie politique. Son ancien adversaire aux élections
de 1839 et 1842, M. Jean-Charles Coralli, revint le 23 avril 1848 au Palais-
Bourbon comme représentant de la Haute-Vienne et fut encore réélu à
l’Assemblée législative le 13 mai 1849, prenant place parini les rCpublicains
modérés.
Lors du coup d’Etat du 2 décembre I85 1, Thiers, chef de file des orléa-
nistes, fut arrêté au petit matin dans sa maison puis conduit à la frontière. Au total,
5 représentants de l’Assemblée furent condamnés à la déportation, 65 expulsés du
pays et 18 éloignés de France, sans compter le Dr Baudin, tué sur une barricade.
Le nouveau régime ne fit pas preuve de tolérance avec les opposants ; mais Saint-
Marc Girardin ne fut guère inquiété, car la police impériale savait qu’il n’y avait
rien h craindre de ce notable qui, à 25 ans déjh, clamait : (< En politique, soyez
42. A cette occasion, Saint-Marc Girardin aurait-il repu le titre de cointe ? C’est ce que déclare le
Dic.tioiirirrire /?io

ourgeois, car vous n’aurez ni déclamations révolutionnaires ni superstitions
royalistes 45! >> Et, en effet, après l’instauration du régime impérial, Saint-Marc
Girardin persista certes dans sa fidélité à la monarchie philippiste, mais sans pour
autant s’cngager dans une opposition résolue et dangereuse à la manière d’un
autre Immortel qu’il avait croisé et mkprisé quai de Conti, Victor Hugo. C’est
ainsi qu’il poursuivit sans difficultés particulières sa collaboration avec Le
Journal des de‘bats. >
Une fois seulement, Saint-Marc Girardin connut des difficultés avec la
censure impériale, pour des propos au demeurant assez anodins. >, président du Sénat, >, écrivait-il dans Le Journal des débats ;
Avec ces propos ampoulés et circonspects, Saint-
Marc Girardin était allé au bout de ce que la prudence et les convenances pou-
vaient lui permettre. Le Jour-r~al des cke‘1xif.s fit l’objet d’un avertissement et notre
pamphlétaire ne renouvellera plus son ). Dès lors, les ministres du
Second Empire, inoins bienveillants que ceux de Charles X, n’auront plus à se
plaindre de lui.
Cette attitude précautionneuse lui permit de conserver la plupart des avan-
tages obtenus sous le régime précédent. Ainsi, non seulement il resta membre du
conseil de l’instruction publique, mais il poursuivit également ses cours à la
faculté de lettres, contrairement à d’autres professeurs de l’Université, tels
Guizot, Michelet et Victor Cousin qui, certainement moins (< souples >>, furent
révoqués. Rappelons que le régime impérial avait véritablement >
l’université, contraignant les enseignants à assister 2 la messe du Saint-Esprit le
jour de la rentrée et interdisant le port de la barbe, considéré comme le . Ces faits furent

62 Julien Strpori
portés à la connaissance du ministre de l’Instruction publique qui somma Saint-
Marc Girardin de s’expliquer. Le professeur répondit par une lettre compliquée et
bavarde, dans laquelle il concluait que >. Le gouvernement impérial fut rassuré par la lâcheté de
la réponse et ne sanctionna pas le professeur pour cette peccadille.
Du reste, dans le cadre de son enseignement, Saint-Marc Girardin demeurait
un ferme partisan du parti de l’ordre >>. S’il se trouvait en désaccord avec le
Second Empire, ce n’était pas en raison de sa politique autoritaire, mais bien
davantage a cause de certains aspects > de ce régime qui, en recou-
rant au plébiscite, donnait la parole aux couches populaires - les ,
devenant le défenseur des chrétiens d’Europe orientale et d’Asie Mineure persé-
cutés par les Turcs. I1 effectua ainsi plusieurs voyages sur les lieux, entretenant
par la suite des contacts épistolaires avec certains ressortissants de ccs pays, et
publia ses réflexions dans plusieurs ouvrages parus entre I852 et 1862. La solu-
tion qu’il préconisait était très prudente et refusait pour ces peuples I’indépen-
dance complète, mais également l’égalité de droits politiques et civils dans le
cadre d’un Empire ottoman rénové. Saint-Marc Girardin envisageait une solution
plus conforme à ce qu’il appelait >, à savoir la recon-
naissance légale des diverses nationalités composant cet empire, avec des statuts
et privilèges particuliers pour chacune, garantis par des traités signés avec les
puissances étrangères. Ces idées étaient incontestablement généreuses, mais dans
ce domaine comme dans tous les autres, Saint-Marc Girardin se montrait inca-
pable d’être ) et d’envisager la création des futurs Etats indépen-
dants de Bulgarie, Serbie, Albanie et, plus tard, du Moyen-Orient.
Toujours partiellement désœuvré, il entama également, à partir de 1869,
une collaboration avec Le Jour-iinl des s~ivmrzfs
oh il remplaça Sainte-Beuve.
Le 1” juin 1863, il essaya un retour en politique, mais échoua conime can-
didat indépendant au Corps législatif dans la 2“ circonscription de la Haute-
Vienne, réunissant seulement 3 255 voix contre les 25 41 1 du candidat officiel,
M. Adrien Calley-Saint-Paul ”. La comparaison avec les élections de l’époque de
47. Sirir7t-Morc~ Girrri.rlirr pc;rltr,yofiire, op. cif., p. 41-43.
48. Adrien Calley-Saint-Paul (1808-1 873). banquier, gendre du physicien Gay-Lussac, joua un rAle
assez important dans la vie politique du Second Empire ; caractkre indépendant, il fut un dcs rares
dépoté5 qui ne vota pas la déclaration de guerre de 1870.

Srrint-Mtrrc Ginrrtliri 63
la monarchie de Juillet était édifiante : le corps électoral avait été multiplié par
100/150, et on imagine facilement notre académicien mal à l’aise au contact de
ces nouveaux électeurs à qui il déniait le droit de vote quelques années aupara-
vant.
Faute de pouvoir relancer sa carrière politique, il participa avec Ernest
Legouvé, Odilon Barrot, Edgar Laboulaye, Frédéric de Lesseps et d’autres à la
tenue de conférences littéraires à la salle Barthélémy sur les Champs-Elysées. Le
but officiel était de manifester la solidarité de l’opinion publique française avec
les patriotes polonais, opprimés par le régime tsariste ; mais, en réalité, ces oppo-
sants, réduits jusque-là au silence, souhaitaient contourner les interdictions du
régime impérial et, en se donnant l’occasion de se compter, exprimer leurs opi-
nions dissidentes.
Saint-Marc Girardin fut notamment chargé du discours d’ouverture, véri-
table performance de prudence rhétorique. Ecoutons-le : I1 termi-
nait par une pique très discrète au régime impérial : > Toujours satisfait de lui-même, Saint-Marc Girardin
demeurait incapable de comprendre que l’opinion publique demandait désormais
aux hommes politiques des idées et des engagements, et pas seulement des
finesses oratoires.
Son retour aux affaires
>
Après la défaite militaire de 1870, les débats, lors des élections départe-
mentales des députés à l’Assemblée nationale, ne portaient que sur un seul point :
doit-on, oui ou non, traiter avec la Prusse ? La population française, dans sa gran-
de majorité, était lasse de la guerre et, les républicains incarnant la résistance à
49. Discours de Saint-Marc Girardin dans Co/?firerrces liuéroires de /o stille Barrhé/Pm.v, Paris,
Librairie académique, 1864, p. 2-9.
50. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Lork Bori~~pt~r/e, Paris, Editions SocialeslMéssidor, 1984, p. 69.

64 Julien Snpori
l’ennemi, les électeurs firent un triomphe aux candidats royalistes. Orléanistes et
légitimistes revinrent donc en force à l’Assemblée, convaincus que la restauration
du roi était désormais imminente.
C’est dans ce contexte que Saint-Marc Girardin fut élu B l’Assemblée
nationale, le 2 février 1871, en qualité de représentant de la Haute-Vienne, pre-
mier sur une liste comportant sept candidats

Mêlant sa voix iì celles de la droite la plus extrême, il vota successivement
et de faqon très significative :
- pour la paix avec l’Allemagne victorieuse ;
- pour les prières publiques en > de la défaite ;
- pour l’abrogation des lois d’exil visant la Maison de France, afin de permettre
aux candidats au trhe de rentrer en France ;
- pour le pouvoir constituant de l’Assemblée, contre la dissolution et
I’élection d’une assemblée constituante.
Inquiets de la montée en puissance des
Les membres de la délégation tirent connaître leur déception dès le lende-
main par un communiqué solennel qui n’obtint pas l’effet escompté, l’opinion
publique trouvant la réponse de Thiers particulièrement amusante. De nombreux
pamphlétaires se souvinrent d’une délégation similaire, datant de 1848, qui avait
dijh sombré dans la risée : à l’époque, ces personnages compassés avaient été
traités de > ou encore de >, en référence aux couvre-
chefs de la garde nationale. Car, à la veille d’une insurrection, Charles X s’était
exclamé: ; la suite est connue ... Cette dernière appellation eut
un succès particulier et, dès lors, les membres de la délégation reque par Thiers
devinrent des >. Comble de la honte, Le Jourtztrl des tlklxits, qui
depuis peu avait échappé à la direction de la dynastie Bertin, évoluait désormais
vers des positions moins archaïques et s’associa iì l’hallali, poussant Saint-Marc
Girardin, dès le 28 juin, à mettre fin h quarante-cinq ans de collaboration. I1 entra
aussitôt au Jourtiti1 de Prrris, beaucoup plus conservateur.
Désormais, un grand nombre d’orléanistes était prêt à accepter le principe
que la restauration monarchique ne se ferait pas tout de suite ; et, en attendant le
décès du comte de Chambord, qui débloquerait la situation, il fallait bien > le nouveau régime, car la nature a horreur du vide. Mais les radicaux,
encouragés par I’évolution de l’opinion publique, devenaient exigeants et se
méfiaient à présent de ces > Pour sa part, le quotidien
La Rkpubliqrie Fratipise s’en réjouit :

effet, comme cela est possible, de mettre en déroute M. de Broglie et M. Saint-
Marc Girardin, et tous les meneurs de la droite et du centre droit qui allaient se
rallier à la République et même la proclamer et la constituer à leur façon en ren-
trant à Versailles le mois prochain [...I, le discours de Grenoble est un coup de
maître ! >>
Toutefois, les débats politiques restaient dominés par le problème de la
défaite et de ses conséquences pour le pays. En février 1873, Saint-Marc Girardin
remit un rapport, considéré comme très partial, sur le fonctionnement du gouver-
nement de la Défense nationale, qu’il accusait d’avoir mal dirigé les opérations
militaires. Le principal mis en cause, le général Trochu, se défendit en publiant
un ouvrage dans lequel il récusait les griefs et accusait de partialité la commis-
sion d’enquête 52.
La même année, le dernier soldat prussien quitta le territoire français.
Fallait-il adresser des félicitations solennelles à M. Thiers pour I’œuvre accom-
plie ? La droite hésitait, car cet homme était en train de bitir la république ...
Saint-Marc-Girardin monta à la tribune et proposa le texte suivant :
(c L‘Assemblée [...I heureuse d’avoir ainsi accompli une part essentielle de sa
tiche [...I vote des remerciements solennels à M. Thiers, président de la
République, et au gouvernement 57. >> Ce fut l’une de ses dernières interventions
politiques, que Daniel Halévy commente ainsi : Saint-Marc Girardin proposa ce
texte c< sans adresse, en une conjoncture oÙ il en fallait beaucoup >> ; il n’accueillit
que cc murmures et rires à gauche : l’Assemblée se félicitant elle-même, belle
trouvaille ”! >> Finalement, Thiers fut acclamé, conformément à la motion, mais
la droite conservatrice fut discréditée une fois de plus.
Saint-Marc Girardin présidait la Chambre le jour où M. Buffet fut élu pré-
sident en remplacement de M. Grévy, prélude au renversement de Thiers.
Toutefois, il ne put guère goûter sa victoire, car il mourut d’une attaque d’apo-
plexie le 11 avril 1873, pendant les vacances parlementaires. Voici le récit de sa
mort fait par la presse locale 55:
Kc+iihliqiie, Paris, La Librairie Contemporaine,
sins date, p. 6 1 1.
54. Daniel Halévy, Lnfiii des nofaDle.s, Paris, Bernard Grasset. coll. Livre de Poche, 1972, p. 21 2 et
213.
55. Le Voleur du 25 avril 1873, article signé A. de B.

il était heureux de se réfugier pour se délasser de ses fatigues et de ses tra-
vaux. Jeudi matin, après une promenade dans son parc, il était rentré fati-
gué, et on avait dû le porter jusque duns sa chambre. I1 venait de se mettre
au lit, et on avait dit au jardinier qu’il se sentait frappé à mort, lorsque
Madame Saint-Marc Girardin, arrivant de Paris, le trouva déjà atteint de ce
mal terrible, l’apoplexie. n
Sa famille et son fils, Barthélemy Saint-Marc-Girardin
La première femme de Saint-Marc Girardin, nCe Thierret, se noya dans la
Seine en août 1836 ou 1837, à l’âge de 21 ans. Elle lui laissa une petite fille de
deux ans, qui mourut bient6t. L‘acadCmicicn se remaria en seconde noces avec sa
belle-sœur, Lucile Caroline Thierret ( 18 16- 1874). Ces deux mariages lui appor-
tèrent non seulement la magnifique propriété de Morsang-sur-Seine ”, qui avait
appartenu au grand-phre de sa femme, mais également de nouvelles et solides
alliances dans le monde de la politique et de l’administration ”. Le couple eut
trois enfants : Charles, l’aîné, qui à son tour se noya dans I’Yères en septembre
1859, iì 1’2ge de 2 1 ans, Louise, qui deviendra Madame Barbier (1843- 1922), et
un garçon, Barthélémy, né iì Paris le 1 O janvier 1847.
Ce dernier peut être considéré coniine le véritable héritier spirituel de son
pitre : il partageait ses opinions politiques, et nous allons voir que son échec aux
élections consacrera en quelques sorte la mort des idéaux orléanistes de l’acadé-
micien. Barthélémy hérita Cgalemenl de la volumineuse bibliothèque qui rem-
plissait cinq pièces au deuxième érage de la villa de Morsang-sur-Seine et qui,
actuellement, se trouve déposée à la Société historique de Soissons, suite au don
fait par sa fille Amelie, épouse André Cosset ; il la conserva sa vie durant et,
comme l’attestent de nombreuses dédicaces, l’augmenta.
Luc-Barthélémy Saint-Marc Girardin, licencié en droit, simple garde mobi-
le durant la guerre de 1870, fut attaché a par faveur D à l’étal-major de l’Empereur
au camp de Châlons, puis à celui du maréchal Bazaine, ce qui prouve au moins
que son père savait entretenir des relations fort utiles avec ses adversaires poli-
tiques. Prisonnier des Allemands à Bonn, il ne fut libéré qu’A l’armistice.
56. Une des sœurs de Mme Lucile Saint-Marc Girardin s’étail mariée avec M. Marchand-Dubreuil,
sous-préfet : le jour du mariage, a la rortie de la mairie. lors de I‘inwrrection de Barbès de mai 183-9.
l‘époux prit son fusil et marcha contre les éineutiers ; par la suite, il oublia de décharger son arme et
le lendemain. au moment de s’habiller pour la c6rémonie B I’église. il se tua accidentellement d‘une
mauvaise manipulation.
57. La propriété, constituée d‘une vaste miiisoii entourée d’un parc magnifique. existe encore de nos
jours.
58. M. Thierret, le grand-père de Mme Sain-Marc Girardin, avait un íils avoué et maire du lo‘
arrondissement de Paris sous la monarchie de Juillet. La famille Thierret, fervente orléaniste, conil)tait
plusieurs membres au Conseil d’Etat.

Nous avons vu qu’après I’écroulement du Second Empire, Saint-Marc
Girardin renoua rapidement avec les plaisirs et les avantages du pouvoir. Qu’il
était loin le bel esprit >> qui, en 1830, ironisait sur les quémandeurs, les > soucieux de profiter des places offertes par le nouveau régime ! Car c’est
grâce à l’intervention de son père que Barthélémy fut nommé sous-préfet le
25 avril 187 1 ; et, pour lui éviter les désagréments d’un déménagement, le dépu-
té, nouvellement élu et disposant dc solides relations, s’arrangea pour que son
enfant soit nommé Corbeil, dans le département oÙ demeurait la famille Saint-
Marc Girardin. Toutefois, reconnaissons qu’il ne s’agissait pas d’une sinécure,
car au même moment la capitale toute proche vivait les heures les plus terribles
de la Commune.
En 1873, Barthélémy Saint-Marc Girardin démissionna de son poste de
sous-préfet et essaya de briguer le siège précédemment occupé par son père à
l’Assemblée nationale. L‘affaire se présentait favorablement : rappelons qu’en
187 1, Saint-Marc Girardin avait gagné les élections avec une avance confortable,
réunissant environ le triple des voix de son adversaire, le républicain Georges
Périn.
La campagne mobilisa les électeurs sur des thèmes de portée nationale et
illustra parfaitement l’évolution de l’opinion publique à cette époque. C’est ainsi
que, dans une première affiche électorale, le > écri-
vait : (( La candidature de M. Saint-Marc Girardin signifie : plus de révolutions
désastreuses, maintien d’un gouvernement honnête et fort [...I ; la candidature de
M. Périn signifie : République Progressive et Radicale >>. Voilà des mots d’ordre
clairs ! Mais la situation se brouilla et, rapidement, les > chan-
gèrent d’avis, prenant acte de l’affermissement des institutions républicaines,
désormais crédibles et efficaces. Paradoxalement, les conservateurs étaient à pré-
sent perçus comme des personnes dangereuses, voulant une fois de plus contes-
ter la légitimité des institutions en place afin de pouvoir lancer le pays dans une
restauration royaliste aussi aventureuse qu’aléatoire. Le Comité libkral conserva-
teur, sentant l’approche du danger, fit paraître une nouvelle affiche, qui sonnait
comme un véritable appel au secours :

essuyé plusieurs condamnations. Inscrit ii l’Union républicaine, il siégea à I’ex-
trême gauche ; il rompit radicalement avec la politique de son prédécesseur,
votant très symboliquement contre l’admission à titre définitif des princes
d’Orléans dans l’armée.
Après cet échec électoral, Barthélémy Saint-Marc Girardin devint chef du
cabinet de M. le général baron de Chabaud La Tour, ministre de l’Intérieur, jus-
qu’en 1874, puis chef de cabinet du duc d' Audifii-et-Pasquier, président du Sénat.
11 fut également élu au conseil général de la Haute-Vienne pour le canton de
Saint-Geriiiain-les-Belles. En 1880, il perdit toutes ses fonctions administratives
et politiques. Désormais mis à I’écart de la vie publique, il demeura l’un des prin-
cipaux collaborateurs du journal Le Soleil dirigé par Edouard Hervé, et devint
également président du Comice agricole. Par le biais de la famille de sa femme,
Odette Gueneau de Mussy (1854-1933), fille du médecin de la Maison de
France h”, il put approcher le comte de Paris avec lequel il entretint des contacts
épistolaires. Après avoir échoué une deuxième fois aux élections de 1889, il ven-
dit la maison du Picq et acheta le chliteau de Douilhac à Saint-Yrieix-la-Perche
(Haute-Vienne), que ses héritiers conserveront longtemps. I1 décéda dans la mai-
son de sa belle-famille, à Valesuire dans le Var, le 20 mars 1891, atteint de la
tuberculose, laissant sa veuve seule avec cinq enfants.
Marginalisé au plan politique, Barthélemy avait évolué du monarchisme
libéral/autoritaire de son père vers une conception de la royauté à la fois plus
intransigeante et religieuse. C’est ainsi que, le 29 janvier 1888, il avait tenu une
conférence à Limoges dans laquelle il avait attaqué très sévèrement la République
qu’il rendait responsable de tous les maux dont souffrait le pays. A cette occasion,
tout en prétendant assumer l’héritage politique de son père, il n’avait pas hésité à
se déclarer fermement hostile 2 l’école publique, que l’académicien avait pour-
tant défendue sa vie durant. Voici le tableau idyllique qu’il dressait des écoles pri-
maires d’autrefois, celles d’avant la loi GuiLot de 1833 :

7 o Jidicvi Sapori
chantier par Jules Ferry entre I879 et I88 I , étaient en totale contradiction avec
les principes énoncés par le candidat Barthélemy Saint-Marc Girardin dans sa
déclaration de foi publiée lors des élections du 11 mai 1874, qui annonçait sa
volonté de I1 présageait que sa fortune, ses propriété\, ses relations et son

Saint-Marc Girardin 71
Fig. 3 : Famille de Saint-Marc Girardin.
Cette photographie prise en 1883, aimablement mise à notre disposition par M. Dominique Ballif, représente la famille
Saint-Marc Girardin. De gauche a droite : Barthklt5my Saint-Marc Girardin avec son enfant, Louise, dans les bras ;
Madame Clhence Gdneau de Mussy, helle-mbre de Barth6ldmy ; le docteur Guéneau de Mussy ;
Lucile, première fille de Barth6Kmy ; Odette Guheau de Mussy, 6pouse de Barth6lemy : son enfant Henri ;
assise sur les marches, la deuxibme fille de Barth6Mmy. Amklie, qui deviendra Madame Gosset et qui fera don
de la bihliotkque de son grand-@= à la SociW historique de Soissons.
Bilan d’une vie
Illustration parfaite d’une certaine > pré-capitaliste,
Saint-Marc Girardin en avait suivi toutes les étapes, depuis son émancipation
avec la révolution de 1789, sa marginalisation relative pendant la Restauration, et
finalement son apothéose lors de la monarchie de Juillet, suivie d’une lente
extinction à l’avènement de la III’ République. Trop souvent décrit comme un
, Louis-Philippe avait en réalité fondé son pouvoir sur les
>, ceux que Daniel Halévy appellera les

72 Julien Siipori
Si certains orléanistes, et en premier lieu >
A vrai dire, il ne semble pas avoir marqué davantage ses contemporains :
>
Toutefois, en dépit d’une médiocrité avérée, cet homme a incontestable-
ment connu de son vivant une certaine réussite qui, à défaut d’être glorieuse, a
certainement été confortable. En l’absence de tout talent, quelle a été la clé de son
succès ? I1 était certainement travailleur et opiniiìtre, ce que nous confirme le Dr
Véron :
nous semble se situer dans un domaine où il montra incontestablement de grandes
capacités, à savoir la maîtrise des relations. A chaque tournant de sa carrière lit-
téraire, journalistique, administrative ou politique, Saint-Marc Girardin sut utili-
ser habilement ses appuis pour obtenir satisfaction : Ià, résidait son véritable
génie. I1 avait mis en place les prémisses de ce réseau redoutable alors qu’il était
encore un jeune élève au lycée Henri-IV, constituant avec ses amis de Sacy, de
Jussieu et Doudan une sorte de vouée à la conquête des places, fonc-
tions et honneurs. Puis, il sut étoffer son réseau grâce à ses deux mariages suc-
cessifs avec des jeunes filles d‘une famille riche et influente, les Thierret, et le
compléter par son allégeance à des personnages clé de la monarchie de Juillet,
François Guizot et le duc de Broglie. Lui et ses amis de lycée auraient pu figurer
parmi les acteurs de la pièce La Foire crirxplaces, jouée dans les théâtres parisiens
vers 1830, chantant tous en chœur: >
61. Joseph Esintnard (1769-1 8 1 I). Ce pokte s’élai1 fuit connaître non seulelnent pour ses vers particulièrement
manitrds et creux, mais égalenient par son opporlunisnie politique : après avoir soutenu
lea Bourbons, il tcrivit de nombrcux ouvrages (( de commande )> en l’honneur de Napolton, qui
lui valurent des places très lucratives dans l’Administration
64. Stendhal. Lircien Leir~~i, op. ci/., fragment de l’auteur cite dans l’appendice de l’ouvrage. p.
518.
65. E. de Mirecourt, Les c~J//~~,/~//J~Jr[/i/?.\ : &riiit-Mi/rc Gireirditi, (I/). c.;!.. p. 30. Notons que ce conimentaire
date de 1857 : Lr.s DPhtir.s était IC ternie courant h l’époque pour désigner Le Jorir/iti/ des
riélms.
66. Dr Louis Véron. M&oire.s d’un horo-geoi., de krri,s, Paris, Librairie Nouvelle, 1856. t. 111, p. 53.

Striiir-Mtrrc Gircir-din 73
Si son œuvre littéraire, au demeurant médiocre et limitée, a été rapidement
oubliée, c’est l’homme politique qui a été remarqué. Mais reconnaissons qu’il
n’est pas très flatteur de retenir l’attention de l’opinion publique pour avoir été
l’un des derniers opposant aux idéaux démocratiques, un >, un

votre vie bouillira doucement comme un pot-au-feu ! 7’ >> Ce faisant, il s’est iden-
tifïé jusqu’au risible avec ce régime philippiste, égoïste et étriqué, que
Chateaubriand appelait c le pot-au-feu d’une monarchie domestique 72 >> !
Julien SAPORI

BIBLIOGRAPHIE DE M. SAINT-MARC GIRARDIN
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Eloge de Bossilet, 1827.
fiildecru de Ici li~téreitirre fruiiGwise crir XVI' siMe, suivi de Etudes .siir le Moyeii
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Rcipprts sur I 'instruction iiiterinédiciire erz Alleniqiie, 1835- I 838, 2 parties.
Coiirs de littr'rcitiire drcrmcitiyiie, 011 de I 'usrige des pLr.s.sion.s dciiis le tlrcrine, 4 vol.,
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Eloge fuiit.ln-e de M. Ccrmpenon, discours prononcé le 16 janvier 1845 2
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Préface de l'ouvrage d'Edoiiard Gans, Histoire dir rltriit de .succession et] Frmce
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Essciis de littérciture et de niorcile, 1845.
De I 'instrirctioii interinédierire et de ses rtrpports trvec l'iiistrirc~tioii secoiidaire,
Paris, Imprimerie et librairie classique de Jules Delalain, 1847.
Souvenirs et réj1eJ-ions d'im Jouriirrliste, recueil d'arlicles, suivi d'une étude politique
datée de 185 1 intitulée Mird7e~iii. Loiris XVI. Meir-ie-Antoiriette, ou des origiries
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Michel-Lévy Frères, 1858.
Du dkret du 24 noivnihre 1860 oci de lei r@")riiie de lu Coiistitirtioii de 1852,
Paris, Lévy, 1860.
Des tiwitc;s de coiiiiiieire d'cipr2.y Ici Coiistitirtioii de 1852, Paris, Charpentier,
1860.
De Ici sitiicitioii cle ILI Pqxiiitr' (ILI premier jmvier 1860, Paris, Charpentier, 1860.
Lcr Sj,rie en 1861, Paris, Librairie académique Didier et Cie, 1862.
De l'cipologite et de Itr pLriubole tkii1.r I'trritiquit&, discours prononcé le 3 août
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Lei Foiifairie et le.sfiihirlis~e.s, 1867.
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1869.
Ln chute ~ l Second ~ i Eiiipir-e, 1874.
Jeau-J~icyires R~ii.~.~eriii, sa \Ve ef ses oiii~r-qes, 2 vol., Paris, Charpentier, 1875.
Notice si4r le g éiir'm I de divisiori Bon - Chcrhaud- La- Toic r, Paris , Soc ié t 6 anon y me
de publications périodiques, 1885, 33 p.
Condition des chrétirris en Orient, 1 vol. in- 18.
- Articles dans Le JoiiniuI cles cl~berts.
- Articles dans La Revue cles Deux-Mondes.
- Articles dans Le Joiirrzal de Ptrris.
- Articles dans Le Jourmil des Sciveints.
- Articles dans Le Mercure de France.
- Articles dans Lu Revue Frcrnqaise.

76
ANNEXE 1
RECAPITULATIF DES DOSSIERS DE M. SAINT-MARC GIRARDIN
DEPOSES A LA SOCIETE HISTORIQUE DE SOISSONS
01. Littérature médicale - secours aux blessés.
02. Cicéron (en latin).
03. Biographies - notices - discours funèbres.
04. Publications religieuses.
05. Questions touchant à l’instruction et a la culture.
06. Questions éconoiniques et financières.
07. Question d’Orient (Grèce - Turquie).
08. Littérature franpise.
09. Histoire religieuse - Pères de 1’Eglise (la plitpmrt dees oiivrages eri latin).
10. Publications relatives à l’Italie et 2 Dante (la pliipart en italien).
1 1. Question d’Orient (es.serzfiellenirtif LIU sujef de la Roumanie).
12. Publications juridiques.
13. Questions relatives à l’Amérique.
14. Poèmes - musique.
15. Poèmes - pièces de théâtre,
16. Journaux de 1867 et 1868 - la question d’Orient - Le Moriiteiir universel.
17. La question d’orient.
18. Questions catholiques.
19. Questions relatives aux Iles ioniennes.
20. Littérature latine - documents divers.
2 1. Publications philosophiques, économiques et sociales.
22. Sur la Russie.
23. Questions d’histoire.
24. Biographies.
25. Politique contemporaine.
26. La question polonaise.
27. La question d’Orient : la Crète.
28. Littérature (XIIc, XVII, XVIII‘, XIX‘ siècles).
29. Discours et écrits de membres de l’Institut et de la Comédie française.
30. Affaires en Pologne.
3 I. Tragédie et divers.
32. La question d’Orient : Serbie et Monténégro.
33. Sur Nancy.
34. Sur la défaite de 1870 (mvc les intrrrogatoires íle MM. Pelletmi, Míignien,
Gíi ri1 ie r- Pag ès, Ai I re lles de Pu lndit i es, Dr&lle, Piéti-i, A rrrg o, ílu géí iéríi I Troch II et ~lii mtrréchtrl Mac Mcihori).
35. Journaux (essentiellemerit siir la question d’0rieiit).
36. La question d’orient.
37. Sur l’Orient méditerranéen.
38. La conquête de l’Algérie (mw notcunmerit it11 nihimire ii~ariitscrit sur les
moj~ens d’afiriner et d’utiliser Ili coiiqur^te tie l’Algérie, par le maréchal
Bugeaiid, janvier 1844).

ANNEXE 2
LA BIBLIOTHEQUE SAINT-MARC GIRARDIN
A LA SOCIETE HISTORIQUE DE SOISSONS
Cette bibliothèque contient environ IO O00 livres dont :
- Des pr'riodiqires :
Le Jolinicil clos dkhcits, 1827 à 1869 ; La Retzie des Deux-Moncles, 1838- 189 1 ;
les journaux satiriques Le Grelot 1873- 1895 et L'EcIipse 1872- 1876 etc.
- Des ~ ii

Des biographies : Lu gderie des feiiziiies fiIrtes du père Le Moyne (1668) ;
Histoire du prince E~ig21ie
de Stivoie par Eléazar Mauvillon (1750).
- Des miivres gréco-ltitines et PtruiigPres (800 vol.) :
Parmi les livres latins, les éditions anciennes d’auteurs classiques (Cicéron,
César, Lucain, Lucrèce, Ovide, Plaute, Pline le Jeune, Quintilien, Salluste,
Sénèque, Stace, Tacite, Térence, Tite-Live, Virgile.. .).
Mais ce qui fait l’intérêt et la valeur de ces ouvrages, c’est un bon nombre des
plus grands auteurs de la Renaissance, dont plusieurs dans des éditions princeps.
Parmi les humanistes de renom, citons Corneille Agrippa (153 I), Charles
Borromée (1587), Du Bartas ( 1584), Erasme, Juste Lipse, Mdanchthon, Ange
Politien, Scaliger, Jean Trithème ( I5 18). . .
La langue italienne est représentée par 336 ouvrages dont certains datent de la fin
du XVI siècle. La plupart des livres allemands sont du XVIIIc siècle et du XIX‘
siècle et traitent surtout d’histoire (Gieseler, Grimm, Leibnitz, Rabener, Schiller
etc.). I1 n’y a que 165 livres en anglais, tous des XVIII‘ et XIX siècles. On y trou-
ve 8 volumes du Specturor d’Addison et Steele ( 1 753), une traduction de I’IIirrde
par Alexander Pope et, bien silr, 14 volumes du théiìtre de Shakespeare.
Enfin, une vingtaine de livres en langues diverses complètent ce fonds. parmi les-
quels une grammaire valaque de 1826 et un traité de grammaire syriaque de 188 I.
ARCHIVES CONSULTEES
- Bibliothèque de la Société historique de Soissons.
- Archives de l’Assemblée nationale (Paris).
-Archives de l’lnstitut de France (Paris).
- Archives départementales de la Haute-Vienne (Limoges).
REMERCIEMENTS
- M. Pierre Meyssirel, bibliothécaire de la Société historique de Soissons.
- M. Claude Bérard -i-, membre dc la Socibté historique de Soissons.
- Mme Myriam Raimbault, au service des archives de I’Assemblke nationale.
- Mme Mireille Lamarque, conservateur des archives de l’Institut de France.
- M. Jean Saint-Marc Girardin, Paris.
- M. Jacques Roquemorel, Saint- Yrieix- la- Perche.
- M. Lionel Knepper, Paris.

Regard historiographique sur l’oeuvre de
Jehan de Hennezel(lS76-1956)
La Fédération des Sociétés d’histoire de l’Aisne est entrée dans la derniè-
re année du X X siècle en faisant un état de ses activités. Comme certaines socié-
tés savantes nationales ’, elle dresse un tableau des progrès de la recherche et du
travail de ses membres, et consacre le volume de l’année 2000 de ses MCmoires
à un bilan historiographique de leurs publications, pour en tirer des perspectives
d’avenir.
Le comte Jehan de HenneLel d’Ormois, président de la Société historique
de Haute-Picardie durant un quart de siècle, est de ces chercheurs actifs qui ont
fait progresser la connaissance du passé de l’Aisne. Avec près de trente publica-
tions - dont plusieurs ouvrages importants - qui s’échelonnent de 1902 à la veille
du deuxième conflit mondial, il tient une place importante dans la recherche his-
torique de cette région.
L‘œuvre d’un chercheur local, président d’une société savante d’arrondis-
sement, est un observatoire privilégié pour connaître les objets d’étude et les
méthodes des nombreux acteurs qui écrivent l’histoire en marge des institutions
universitaires. Étudier les travaux de Jehan de Hennezel demande de s’interroger
sur les courants et les écoles historiques auxquels, consciemment ou inconsciem-
ment, il se rattache : dans quelle niesure la société historique de Haute-Picardie
a-t-elle diffusé, par les travaux de son président, les nouvelles tendances de la
recherche en histoire apparues pendant la première moitié du XX‘ siècle ‘? La pré-
sentation des publications, de la personnalité et des conceptions de l’histoire de
J. de Heiinezel permettra de répondre à cette interrogation.
Une production historique considérable
Jehan de Hennezel fut, tout d’abord, président de la Société historique de
1. À litre d’exemple, la Société d’hisloire de l’Église de France a organisé, h l’université de Rennes,
un colloque sur Un siècle d’histoire du christianisme en France. Bilan histol-iographique et pcrspec-
tives (Rennes, 15, 16 et 17 septembre 1999).
2. La seule étude que nous ayons rencontrée. qui fasse le bilan de I’cruvre de J. de Hennczel. est la
courte notice nécrologique de celui-ci, rédigée par Maxime de Sars :

Haute-Picardie dont il avait été l’un des fondateurs, le 25 juin 1914 ; le but de
cette association était de remédier B l’isolement des sociétés savantes de l’Aisne
en tissant entre elles un lien fécond. Ancien secrétaire de la société académique
de Laon, jeune érudit connu par la solidité de ses travaux, il devint en 1914 secré-
taire de la Société historique de Haute-Picardie, puis son président en 1920. Son
ami, Maxime de Sars, témoigne des qualités avec lesquelles il remplit cette fonc-
tion : J. de Hennezel savait susciter les candidatures, encourager les communica-
tions et organiser les excursions ; l’assemblée générale d’été se tenait habituelle-
ment chez lui, à Bourguignon. En 1944, il donna son accord 5 la fusion de cette
association avec la société académique de Laon. En 1945, le comité directeur de
la Société historique de Haute-Picardie accepta enfin sa démission des fonctions
de président qu’il lui proposait depuis longtemps. pour raisons de santé. Les
comptes rendus des réunions qui eurent lieu sous sa présidence montrent que
cette association correspondait bien à ce qu’étaient les sociétés savantes à cette
époque : Clément ancien et original du paysage scientifique français, réunissant
des chercheurs motivés, mais pouvant aussi servir de lieu de sociabilité d’une cer-
taine élite locale, cette association diffusait des savoirs historiques concernant un
cadre géographique particulier ’. Mais J. de Hennezel ne fut pas seulement un
directeur de société savante ; il fut aussi un chercheur rigoureux, auteur d’ou-
vrages importants. Maxime de Sars a donné la liste de vingt-six de ses publica-
tions ‘, sans en préciser l’importance matérielle ni faire figurer le nom des revues
dans lesquelles certaines ont été éditées, et qu’il ne nous a pas toujours été pos-
sible d’identifier. Ce catalogue n’est pas complet - nous y avons ajouté l’impor-
tante contribution au volume du III‘ Congrès marial national de I934 - et certains
articles demeurent vraisemblablement dans l’oubli. Mais son importance
témoigne de I’activitC de ce chercheur :
Liste des publications de J. de Hennezel (classement chronologique)
PI. Géiikdogie de lu niciisoii de Heririezel (l392-1902), Laon, Impr. du Joirrriul
de l’Aisne, 1902, 158 p.
P2. Les e‘pittrphes de I’ciizcieii cimetiPre di( Mont-Vclr‘ririi, Paris, Champion,
1905.
P3. Trois ghie‘rrrtioiis de bihliophiles clmis la fiiinille Monincl de Joiiffrey, Mdcon,
Protat, 1906.
P4. DPMY ex-lihris lcroiiiiois : ,firiniIles Dciiiye et Drrgiierru, Mdcon, Protat, 1906.
P5. Esscii sur lirrqirebu.se de Lcioii, Laon, Impr. du Journal de l’Aisne, 1908, 9 1 p.
P6. Note siir iiiz ,jeton cle I’arqirebuse de L~ioti, Laon, Westercamp, 19 1 O, 5 p.
P7. Une pierre giin.stiyire trouvc~e i Corbeny, Saint-Quentin, 19 1 O, 7 p.
P8. Quelques hiblioplziles dir pciys laonilois rt Ieirrs ex-libris, Saint-Quentin,
19lO,42 p.

L’œuvre de Jehan de Hennezel
Le comte de Hennezel d’Ormois (I 876- 1956)
(dans les Mémoires de la Fédémtion des Sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, t. 11, 1955. CI. J.-L. Girard)
P9. (en collaboration avec Lucien Broche), Inventaire du mobilier d’un évêque de
Laon au XN” s., Saint-Quentin, 1910.
P10. Les anciens imprimeurs de Laon, Laon, Westercamp, 1910, 14 p.
P11. Une taque àfeu aux armes d’Étampes, Paris, Heraldica, 191 1,5 p.
P12. Les adieux du Roy de France avec le Roy d’Espagne, Paris, Heraldica, 191 1,
3 P-
P13. Le 14 octobre 1793 à Saint-Denis, récit d’un Laonnois, Saint-Quentin, 1912,
22 p.
P14. LÆ carnaval à Laon en 1807, récit du préfet Méchin, Saint-Quentin, 1912,
14 p.
P15. Souvenirs du maréchal Sérurier et sa famille, Saint-Quentin, 1912,28 p.
P16. Notes sur le général comte Pille (1749-1828), Laon, Impr. du Journal de
Z%isne, 1912, 15 p.
P17. Am am’es de Napoléon, le capitaine Ponssin (1 772-1810), Laon, Impr. du
Journal de l’Aisne, et Paris, Chapelot, 1913.
P18. Les bibliophiles du pays laonnois, leurs ex-libris et fers de reliure, Saint-
Amand, Clerc, 1914-1931,3 vol.
P19. Les Carpentier de Juvigny et leurs ex-libris, Paris, Impr. de l’Argus, 1930.
P20. Souvenirs de l’occupation allemande h Bruyères-et-Montbtmult, Reims,
Matot-Braine, 1931.

P2 I . Les arnioiries c~ninii~i~~les de Dizjl-leGros, Soissons, Impr. de l’Argus,
1932, 16 p.
P22. La coininilne de ColliSis-Crcrnclehin, ses cirmoiries et les soiivenirs militaires
de soiz histoire, Soissons, Impr. de l’Argus, 37 p.
P23.

elle avait été déposée en 1950 à la suite d’un don des Archives départementales
du Pas-de-Calais, auxquelles Roger Rodière, ami de Hennezel 9, l’avait léguée I”.
Ce dossier, composé iì la fois de cahiers et de feuilles manuscrites ou dac-
tylographiées. es1 lrès volumineux. Son plan est le suivant :
Plan de l’ouvrage inédit de J. de Hennezel sur le pélerinage de Liesse
(Arch. dép. Aisne, J 1004)
LIASSE 1
- Iconographie (cahier, 96 p. mss)
(p. 1 iì 28) Iconographie el souvenirs du pèlerinage
1. Plombs et enseignes de pèlerinage
2. Croix fleurdelisées à huit pointes
3. Crucifix à Vierge
4. Médailles
(p. 29 à 51)
1. Notre-Dame de Liesse seule
2. Médailles à souvenirs historiques
3. Notre-Dame de Liesse et la Sainte Face
4. Notre-Dame de Liesse et le Saint Sacrement
5. Notre-Dame de Liesse et le Sauveur
6. Notre-Dame de Liesse, la Sainte-Famille et les saints
7. Médailles récentes
8. Objets divers
(p. 52 à 926) Imagerie
1. Planches gravées des ouvrages consacrés à Notre-Dame de Liesse
2. Images-souvenirs du pèlerinage
3. Gravures relatives iì des événements historiques
4. Vues de l’église et du bourg de Liesse
5. Gravures de confréries et sanctuaires divers
- Confréries, sanctuaires, dévotions et chapelles annexes (cahier, 91 p. mss)
1. Paris
2. France
3. À l’étranger (Belgique, Malte, Suisse, Canada, Guyane, Madagascar,
Afrique française, Ceylan, Chine, Japon).
Y. Cf J. de Hennezel (en collaboration avec Roger Rodière), , exlrait du Bfr//eriti de /ci socii’/é hisfwipe de Hoffre-Picnrdie, t. XIII,
IY35,44 p.
10. Arch. dép. Aisne. J 1004. Le texte de la fiche descriptive de la série J est peu explicite : )

84
LIASSE 2 (165 p. mss)
- Avant-propos
- 165 illustrations [clichés faits et restant à faire]
LIASSE 3
- texte du plus ancien récit connu de la légende de Liesse, publié par de
Hennezel en 1934 (39 p. mss)
- texte de la légende de Liesse d'après Bosio (1594) et traduction par de
Hennezel (24 p. mss)
- introduction au texte de 1490 et commentaires des images publiées en
1934 (29 p. mss)
LIASSE 4
- L'église de Liesse [en cours de rédaction ]
- Le bourg de Liesse (74 p. mss)
A. Les monuments
1. L'h6tel-Dieu
2. Le séminaire
3. La fontaine et la Santa Casa
4. La chapelle des arbres
5. Le presbytère
6. La halle et la mairie
7. Maisons diverses, fortifications, etc.
8. Les armoiries du bourg de Liesse
B. La population
I. Les artisans
a. Les maîtres orfèvres et imagiers
b. Les maîtres fondeurs en cuivre
c. Autres artisans
d. Les h6teliers
2. La vie cominunale
3. Les meurs
Neuvaines
Rixes, vols et scènes diverses
4. La route du pklerinage B travers les siècles
5. Lie5se pendant la Révolution
FEUILLES VOLANTES (dactylographiées)
- avant-propos du chap. I (9 p.)
- chap. I : Les documents (28 p.)
- chap. II : La confrérie (7 p.)
- chap. III : Fondations, testaments, legs, dons (I 7 p.)
- chap. IV : Les pèlerins (150 p.)
A. Pèlerinages individuels
I. Notre-Dame de Liesse, pèlerinage des rois

2. Princes, grands personnages (XVP s., XVII‘ s., XVIII‘ s., XIX et
xx s.)
3. Princes, grands personnages, bannis, peuple ...
B. Pèlerinages collectifs, vœux. processions
C. Certificats de pèlerinages et certificats de confrérie
- chap. V : Le congrès niarial de 1934
- bibliographie (20 p. mss)
L‘ouvrage, inédit - à l’exception du texte du légendaire de Liesse de la fin
du Moyen Age II - correspond donc à la présentation que J. de Hennezel en avait
faite en 1934 I’, et sa rédaction était plus avancée que ne le pensait Maxime de
Sars. I1 fut élaboré pendant la préparation du IIIe Congrès marial national qui se
tint à Liesse en 1934, après celui de Lourdes et celui de Chartres, et qui coïnci-
dait avec le huitième centenaire du début du pèlerinage de Liesse (I 134-1934),
C’est à la fois un résumé de l’histoire du pèlerinage et une importante édition
d’images, de médailles et de croix. Cette œuvre c16t la liste des travaux de Jehan
de Hcnnezcl d’Ormois, qu’il faut maintenant tenter d’expliquer et de comprendre,
dans un premier temps par sa personnalité.
La personnalité de J. de Hennezel
Jehan de Hennezel naquit en 1876. Retiré pendant la Seconde Guerre mon-
diale en Bretagne, il mourut au chliteau de Kervilio, près d’Auray, dans la pro-
priété de son gendre, le vicomte de Noiie, le 5 mars 1956, à l’&e de soixante-dix-
neuf ans I’. La génération à laquelle il appartient est donc celle de la deuxième
vague de fondation des sociétés d’histoire : après l’époque romantique, qui avait
vu la prise de conscience de la notion de patrimoine, les années 1880- 19 I4 assis-
tèrent à la multiplication de ce type d’associations - dont celle de Haute-Picardie
- qui traversèrent ensuite une période de crise avant de se développer à nouveau
à partir des années 1970 ‘-I, signe d’un temps en quête de racines et d’identité.
De Hennezel grandit à une époque de transformations importantes et
rapides sur le plan tant éconoinique que social, politique et religieux. I1 connut
I’échec de la tentative de restauration monarchique des années 1870, les tensions
entre I’État laïque et l’Église catholique de 1879 à 1914, les bouleversements dus
au premier conflit mondial, l’inexorable déclin de l’ancienne France rurale et pro-
vinciale et les vifs affrontements des années 1930 entre partis politiques de
gauche et mouvements d’extrême-droite, qui marquèrent sa production intellec-
tuelle.
I I. Cf J. de Henneiel d’Ormois, Notrdkrrrie de Lic..s.se, .so / i;~mle
..., op. cif.
12. \/it/., p. 93-94.
13. M. de San, c Le conite de HenlieLe1 d’Ormois ... D. /oc. cif., p. 59.
14. J. Jacquert, (( Les societCs savantes ... >>, /oc. cir.. p. 119.

J. de Hennczel était attaché au >, avec lequel il avait un rapport
aflectif. Ce passé semble immobile et idéalisé, une sorte >
qu’il abordait par le biais des antiques médailles et images de Liesse qu’il col-
lectionnait. I1 ne le situait pas toujours précisément dans la chronologie, et se
contentait d’opposer le 2 > 15. I1 mani-
festait sa volonté de maintenir en vie une civilisation en train de disparaître en
gardant les prononciations anciennes des noms de lieux, accentuant par exemple
systématiquement le > de > I”.
En fait, Jehan de Hennezel fut profondément marqué par sa scolarité au
petit séminaire de Liesse : (< En formant ce modeste recueil, nous avons voulu
aussi témoigner personnellement notre reconnaissance à la Vierge de Liesse, nous
souvenant que, dans notre enfance, c’est à l’ombre de son sanctuaire que nous
avons reçu de prêtres vénérés la foi et les enseignements qui sont restés le flam-
beau de notre vie I’. >> II évoqua ces souvenirs liessois quand il dédia l’un de ses
ouvrages à I’évêque de Soissons, Mgr Mennechet I’, ou préfaça l’Histoire de
Vervins du chanoine Méra I”, tous deux ses anciens condisciples. Par ses travaux
siir Liesse - qui avaient pour lui la saveur de la madeleine de Proust - il revivait
assurément ses souvenirs d’enfance, mais il recherchait aussi un temps perdu et
révolu, car, selon lui, (< Liesse fut pendant six cents ans le pèlerinage officiel de
nos Rois ”’ D.
De cette formation initiale, J. de Henne~el garda un catholicisme très
orthodoxe. I1 lui arrivait d’exprimer dans son œuvre des sentiments nettement
antijansénistes et il resta très déférent vis-à-vis de toute autorité relie’ oieuse,
allant même jusqu’à demander l’imprimatur pour un ouvrage historique I’.
De Hennezel élait très discret sur ses opinions politiques. Du reste, l’es-
sentiel de ses travaux, consacré à des monographies, ne laisse filtrer aucune infor-
mation sur ce sujet. Pourtant, le ton de son ouvrage inédit sur Liesse est plus
explicite ; à plusieurs reprises il y condamne sans ambiguïté le régime républi-
IS. Arch. dép. Aisne, J 1004, , e la foi était si vive dans le cwir des Frangais d’autrelois
N. Afin d’alléger notre texte. nous nous contenterons dCwrmais de citer la cote de
I’rpuvre inédite de Henne7el sur Liesse, sans rappelcr qu’elle est conservée ~ LIX Arch. dCp. Aisne.
16. Par exemple. dans J 1004. G Iconographie >), p. 14.
17. J 1004, e Avant-propos >). p. 4.
18. J. d‘Hennezl d’Ormois, Norrc. Dtrrire (le Lic,.~, .st! /6,qer7dc,..., op. cit.
19. Chan. G. Méra, Ven1iri.s .S~L/J /tr Rdvo/utio/i, /‘Er~rpiw, It/ Kr.vtoir,rrtiorr. Hirson. Impr. dc la Gucttc
de la Thiérache, 1935.
20. J. de Hennelel d‘Ormois, Notre-Dtrriw t/e Liesse, \ti /c;,qtwdc..., op. cit., p. Y- I O.
21, J 1004. chap. IV Lev pèlerins. A. Pèlerinages individuels. 2. Princes, grandu personnages,
XVIII‘ s., p. 1 :

cain. I1 est vrai que cette dernière ceuvre porte sur un sujet d’ampleur nationale,
ce qui permet des considérations générales, et qu’elle est rédigée dans ces années
1930 qui ont vu les événemenls du 6 février 1934, la guerre civile en Espagne, le
Front populaire en France, les afi‘ronteinents entre les ligues et les partis de
gauche, à une époque où le magistère intellectuel de Charles Maurras sur les
élites provinciales était encore puissant. M. de Hennezel souligne à plusieurs
reprises les liens existant entre Liesse et plusieurs mouvements royalistes Iégitimistes
; il décrit avec force détails le grand pèlerinage du 17 août 1873 des
Cercles catholiques ouvriers auquel des membres de sa famille, Maurice et Paul
de Hennexl d’Ormois, participèrent : > Par ailleurs, il souligne qu’en 1883, le colonel de La Tour du Pin, char-
gé de la direction du mouvement royaliste dans le département de l’Aisne, tint sa
première réunion à Liesse, pour mettre son organisation sous la protection de la
Sainte Vierge pour laquelle il avait une particulière dévotion ?-I >>. II écrit systé-
matiquement le mot > avec un ; il impute en
partie le déclin de Liesse, h la fin du XIX’ siècle, à > ; enfin, après avoir décrit la confiscation du petit séminaire de Liesse par
l’ÉLat en 1905, il conclut : Pourtant, malgré son opposition au régime républicain qui accepte la pluralité
des opinions, il condamne les guerres de Religion et parle de . p. 3.
27. J 1004. lime 4. Le bourg de Lie\\e. A. Le\ monuments. 2. Le v2ininaire.
28. J 1004. chap. IV Les pèlerins, B. Pèlerinage\ collectif\. p. I.

XX Bruno Mcic“s
Un représentant de I’école méthodique
Cependant, la personnalité du comte de Hennezel n’explique pas à elle
seule ses travaux d’historien. L‘homme est aussi un chercheur traversé par des
courants de pensée ; I’érudit des années 1920 et 1930 est le fruit d’écoles histo-
riques du XIX’ siècle et annonce en même temps les tendances qui s’épanouis-
sent quelques décennies plus tard. Les objets d’étude qu’il choisit, les méthodes
d’exploitation des sources qu’il met en ceuvre, sa conception de I’écriture de
l’histoire, sont le retlet de tendances profondes qu’on retrouve au plan national
dans les universités de l’époque.
Objets historiques
Les sujets choisis par J. de Hennezel reflètent tout d’abord les préoccupa-
tions de son milieu familial. Ainsi, il commença ses activités de chercheur en
publiant, en 1902, une généalogie de sa famille ?‘’, et une part importante de ses
travaux ultérieurs consista à identifier des individus auxquels il consacrait une
notice biographique “’. De même, le collectionneur portait un grand intérêt à la
bibliophilie, aux imprimeurs locaux, aux ex-libris. Enfin, un troisième centre
d’intérêt, pour ce représentant de la noblesse seconde, bien enracinée dans sa
région, fut l’histoire locale, qui fournit la matière de bon nombre de ses publica-
tions. Du reste, un de ses livres, l’important ouvrage sur Les bibliophiles du pays
ltroiziiois ’I, porte sur un thème qui est au carrefour de ces trois sujets.
Mais les objets d’étude de J. de Hennezel étaient aussi le reflet des préoc-
cupations de son époque, en particulier celles des historiens et des ethnologues
folkloristes comme Arnold van Gennep lz, qui rassemblèrent et publièrent de
riches matériaux concernant une culture populaire en train de disparaître, à la fin
du XIX‘ et au début du X X siècle :
, Saint-Ainaiid, 19 14- 193 l.
3 vol. Cet ouvrage est coinposé en partic d’arlicleh parus dans les Archiiws de Irr Soc.icté,frun~.ni.c.e
de ~~,//ccfi~~/it~er~r.s d’e~r-libris de 1 908 à I9 13.
32. A. Van Gennep. Ltr,formcrtion c/c.s /~,yetitlc.s, Paris, 19 10, 326 p. ; id., Le.s rires [le pa.s.srrge, Paris.
1909, 288 p. ; id, Mmturrl rle,fi,lXlorc.~r~itil.ai.s conreriipor-trin. Paris, 1937- 1958, 9 vol. ; id.. Le.fo/l-
/ore,frtruGcris, Paris, 1998. 1200 p. ( éd. 1937- 1958).

périodiquement les témoignages de dévotion donnés par les fidèles,
comme cela s'est fail trop facilement depuis un demi-siècle surtout, et de
les voir remplacer par des marques de piété plus récentes. Imagine-t-on
quel édifiant et curieux spectacle présenterait la basilique de Liesse si l'on
y retrouvait seulement les ex-voto offerts à la Vierge miraculeuse depuis
deux cents ans ? Après les savants abbés Duployé qui écrivirent le plus
important ouvrage publié sur notre pèlerinage, nous demandons qu'on
recueille ces souvenirs, qu'on les mette en honneur, qu'on les fasse
connaître, qu'on montre aux pèlerins d'aujourd'hui ces preuves de la piété
et de la reconnaissance des pèlerins de jadis 37. D
L'intérêt des historiens folkloristes pour un monde et pour une culture en
train de mourir, leur admiration pour la c beauté du mort '-I D, se trouvaient ren-
forcés chez de Hennezel par son goût pour les collections d'objets religieux popu-
laires I', souvent fabriqués sous l'Ancien Régime. Du reste, cet attrait pour les
images religieuses populaires du XVIII' siècle " ou pour les médailles
anciennes " était partagé par bon nombre de ses contemporains. Ce goût explique
encore la notice qu'il consacra en 1933 au dessin énigmatique laissé par un insti-
tuteur du Laonnois du XIX' siècle ".
Les riiéthodes d'un érirciit
Par les méthodes qu'il met en ceuvre pour ressusciter la vie du passé, Jehan
de Hennezel se montre un représentant de I'école méthodique et érudite de la fin
du XIX siècle. I1 utilise les instruments de recherche des bibliophiles "'et connaît
les publications les plus confidentielles consacrées au sujet qui l'intéresse
33. J 1004, Avant-propos n, p. 2.
34. Cf M. de Certeau. D. Julia, J. Revel. (* La beauté du mort : le concept de culture populaire n.
Politique ur/jounl'hrri, déc. 1970. p. 3-23.
35. J 1004,

90 Bruno MtrP.5
Sa conception du document, restrictive, est aussi celle de I’école métho-
dique : sur les 28 pages du chapitre I de l’ouvrage inédit sur Liesse qui présen-
tent les > de l’histoire du pèlerinage, 25 sont consacrées aux actes
pontilicaux et épiscopaux qui concernent la gestion du sanctuaire aux XIV‘ et
XV‘ siècles. Le document est donc pour lui un texte, de préférence ancien. Les
images et les médailles ne sont que des illustrations, destinées à divertir le lec-
teur ; il n’y a aucune réflexion sur l’exploitation de celles-ci en vue d’en tirer des
informations de manière systématique ; la présentation qu’il en fait est la même
que celle des catalogues des collectionneurs, où elles sont reproduites et accom-
pagnées d’une courte notice descriptive. Mais l’attachement de M. de Hennezel
au document écrit a aussi un versant positif : l’histoire s’écrit vraiment, pour lui,
iì partir de documents manuscrits et, à de nombreuses reprises, il cite des liasses
qu’il a effectivement et minutieusement dépouillées. C intérêt qu’il porte aux
fabricants de médailles et aux orfèvres de Liesse l’amène même à découvrir et à
exploiter un nouveau fonds d’archives, celui de la Monnaie de Reims, que les
frères Duployé n’avaient pas songé à utiliser sous le Second Empire ‘I.
Par ailleurs, la quête de documents ou d’objets menée par Jehan de
HenneLel est facilitée par le fait qu’il est bien introduit dans les réseaux d’archi-
vistes, d’érudits et de collectionneurs de la moitié nord de la France, en particu-
lier grice à sa double résidence laonnoise et parisienne, rue Mozart, dans le XVI
arrondissement. Ces milieux sont informés de la préparation de son ouvrage sur
Liesse ; nombreux sont ceux qui lui ouvrent leurs collections ’I ou lui fournissent
de précieuses références de documents ”. Lui-même possède une riche collection
personnelle d’objets et de manuscrits “.
Urie histoire- tLi hleciu
Les objets d’étude et les méthodes de recherche du comte de Hennezel
d’Ormois sont naturellement prolongés par une conception de I’écriture de I’his-
toire. Là encore, il s’inscrit dans la ligne de nombreux érudits du XIX‘ siècle.
41, 8. et A. Duployé, Notre-Dtirne de Lir.s.te. Lc;Srride et /?>/eriuci,qc>,
Laon. 1862, 2 vol.
42. J 1004. chap. IV Les pèlerins, C. Certificats de pèlerinages, p. 6 : (( Mgr Gaston, le savant éru-
dit du diocèse de Paris. qui s’est spécialisé dans I’Ctude de l’imagerie religieuse. pohsède dans sa col-
lection deux autres spécimcns de certificats de pèlerinages de Liesse. >> ; J 1004, (< Iconographie >>,
p. 19 : (( Trouvée en terre à Ch;iinpmarin par Aubigné-Racan (Sarthe). Communication de M. Louis
Arnould, Professeur honoraire de l’Université de Poitiers. ))
43. J 1004, chap. IV Les pèlerins. C. Certificats de pi-lerinages. p. 5 : (( Ce certificat de pèlerinage a
été découvert dans les Archives des Ardennes par M. Massiet du Bieht, archiviste dbpartemental. qui
a bien voulu nous le communiquer. >> ; J 1004, chap. IV Les pklerins, B. Pèlerinages collectifs. p. 8 :
(< En dépouillant les minutes d’un ancien notaire de Laon, M. l’abbé Rocoulct. curé de Besny-Loisy,
a trouvé une lettre d’un Stuart demandant une fondation de me\se dans la chapelle de Liesse. >)
44. En particulicr l’important manuscrit de Bourbier, percepteur A Liesse en 1839, qui recouvre une
centaine de piges.

Sa lecture des sources est d’une grande rigueur critique. 11 consacre plu-
sieurs pages ‘’ de son ouvrage inédit sur Liesse à l’explication de l’origine des
documents. Son style est toujours clair, élégant, agréable à lire, et les termes qu’il
utilise sont choisis avec justesse. On rencontre également chez lui un grand souci
de replacer l’histoire locale dans son contexte général.
Mais la phase finale du travail de l’historien, celle de la synthèse explica-
tive, est rarement présente dans ses travaux. La remarque qu’il place dans I’avant-
propos d’un de ses ouvrages vaut pour l’ensemble de son œuvre :

ponctuels et ne rédige pas de synthèses où toutes les composantes de la société
sont en relation.
Pourtant, une autre partie de I’œuvre de J. de Hennezel annonce des ten-
dances futures. Ce ne sont pas ses méthodes ni sa conception de l’écriture de
l’histoire qui sont neuves, mais certains de ses objets de recherche : la partie la
plus originale de son travail est son enquête sur les images et médailles populaires
des XVIIc et XVIII‘ siècles. Ainsi, de 1902 à 1935, c’est par le biais de l’histoire
religieuse et folkloriste que J. de Hennezel sera passé de la généalogie nobiliaire
i l’histoire des masses. I1 suivit en cela, par intuition et peut-être inconsciem-
ment, un mouvement historiographique destiné à un avenir fécond.
Bruno MAËS

Madame Martinet
Suzanne Goulard Martinet (1910-1998)
>, dit Roger
Thirault, directeur du Festival I, à la dame pleine de majesté qui vient de présen-
ter sa vision de Roland de Roncevaux dans le cadre de la manifestation. Elle sou-
rit de plaisir et, aimable, reçoit ce compliment qu’elle a conscience de mériter en
présence de Monsieur Perreau-Pradier, préfet de l’Aisne, et de Monsieur Sabatier,
maire de Laon, qui, elle le sait, apprécient l’un et l’autre sa valeur comme aussi
le zèle et l’énergie qu’elle déploie en vue d’accroître la renommée de la cité.
Au début de ces années 70, chacun voit en elle la bibliothécaire qui a mis
et met toujours en œuvre, sans compter, sa force, sa compétence, son imagination,
son entregent pour développer I’établissement qu’elle dirige et en étendre la noto-
riété. Ni ses études, ni son pass6 professionnel ne prédisposaient à cette fonction
la personne à qui fut confiée, en 1960, la destinée de la bibliothèque municipale
de Laon. Sa personnalité, en revanche, attirait depuis longtemps l’attention sur
cette dame et on avait déjia sollicité sa candidature à l’occasion des élections
municipales de 1953.
Conseillère municipale
Assez implantée pour être acceptée, elle avait cependant connu d’autres
cieux ; assez engagée pour s’impliquer, elle faisait preuve néanmoins d’une lar-
geur de vues et d’une tolérance de nature à la mettre au service de tous et elle
obtint en effet, par le jeu du panachage, un excellent score à ce scrutin.
Lu candidute
L‘horizon de cette Laonnoise, qui résidait dans la maison de ses grands-
parents, qu’on serait plus tard tenté d’appeler tant elle allait
porter haut et loin la défense et illustration de la ville, ne se bornait pas au
Laonnois. Originaire de Poissons (Marne) - ob elle naquit en 1910 - elle avait
aussi vécu, petite fille, à Montdidier (Somme), à Lanester près de Lorient, puis à

Nersac en Charente et atteignait neuf ans quand sa Famille vint s’établir à Laon à
l’issue de la Grande Guerre. Par la suite, ses études de droit à Paris I’écartèrent à
nouveau de la ville, avant que son mariage ne l’entraîne à Vitry-le-François, de
1934 2 1936.
Le mariage l’avait éloignée de Laon, la maladie allait la séparer de son
mari et de ses trois premiers enfants. Elle consacra d’ailleurs une année de repos
obligatoire sur le plateau d’Assy à son enrichissement intellectuel. La guerre
l’évacua ensuite, avec ses enfants, à Sablé, puis h Solesmes, où elle mit à profit
les possibilités de l’abbaye et s’initia au chant grégorien. Revenue 2 Laon après
les hostilités, elle habita la maison où on l’avait amenée toute enfant chez sa
grand-mère et où elle avait longtemps vécu pendant l’entre-deux-guerres ; elle
put de la sorte apporter un concours éclairé iì la chorale de sa paroisse, Saint-
Marcel.
Mais ses amis retrouvés attendaient d’elle davantage et l’incitèrent à
prendre une responsabilité communale. On connaît l’ouverture d’esprit de la
catholique engagée, pleine d’admiration pour sa grand-mère paternelle luthérien-
ne, dont elle gardait un souvenir ébloui, et d’affection pour son grand-père anti-
clérical dont le long cortège des obsèques civiles, à Neufchltel, avait engendré,
en 1925, une réprobation bien pensante qui, portée jusqu’aux oreilles de sa peti-
te-fille, l’avait alors scandalisée.
Par ailleurs, n’avait-elle pas déjà milité, autour de Georges Hoog, dans le
mouvement Jeune République de Marc Sangnier, dès la fin des années vingt, pour
avoir pris la guerre en horreur dix ans plus tôt en découvrant avec ses parents les
angoissants paysages des champs de bataille : villages rasés, N partout des
tombes, des fils de fer barbelés, des obus abandonnés, plus aucun arbre, rien que
des troncs déchiquetés, sans feuillage en plein été N sur le Chemin des Dames ?
N’était-elle pas, enfin, docteur en droit, posskdant de ce fait les connais-
sances juridiques nécessaires pour participer à l’administration d’une ville ? Cette
formation de juriste, sans doute, l’avait incitée à s’intéresser depuis longtemps à
la vie politique. Elle ne se présenta pas aux suffrages des Laonnois sur la liste de
Marcel Levindrey qui remporta les élections, mais fut élue sur la liste adverse.
L’élue
La nouvelle conseillère était inscrite h la quatrième commission qui trai-
tait, en particulier, des affaires sociales. Pendant six ans et plus, elle mil en ccuvre
sa clairvoyance et une grande ténacité, autant que son pouvoir, pour résoudre
chaque jour les problèmes divers et difficiles que venaient lui poser directement,
même après la fin de son mandat, ses concitoyens les plus démunis.
2. La célèbre abbaye avait été, dès le XIX‘ sikcle, iì l’origine d’un courant de piété, Vie liturgique >>,
grâce àdes travaux sur la liturgie romaine et le chant grégorien. travaux qui s’y poursuivaient el per-
mettaient de s’initier i ce chant auprès de ses maîtres les plus savants.
3. Extraits de e mémoires >>, non destinés A l’édition. h its par Summe Martinet pour lhire connaître
ses souvenirs de famille i ses descendants.

Or, la pénurie nationale de logements, liée à la politique économique de
l’immédiat après-guerre, prit un tour dramatique dans la froidure exceptionnelle
de l’hiver 53-54 et suscita, au sein du célèbre mouvement de l’abbé Pierre, la
création de

96
Historienne
Urie vocation cotztruribe
Son goût pour l’Histoire avait dû naître avec Suzanne Goulard. Mais, en
l’associant dès son plus jeune bge à leur tourisme culturel, ses parents le nourri-
rent régulièrement, naturellement, inconsciemment peut-être.
Elle s’en souvenait très bien : de Poissons, lorsque la famille allait prendre
le > à Joinville, Sumnne demandait à saluer le >
qu’on voit toujours sur la place et sa mère avait dû raconter à sa toute petite fille
l’histoire de ce L‘année suivante, à Rouen, elle vit la
plaque marquant l’endroit du bûcher de Jeanne, encastrée dans la chaussée ! Ainsi
flatté, son penchant se développa encore à I’école qu’elle fréquentait B Laon,
depuis octobre 1919 : >
L‘intérêt de Suzanne Goulard et de sa faniille pour cette discipline se reflétait
aussi dans ses lectures préférées : d’abord Chaiisot~s de France et, surtout,
Jemine d’Arc, illustrés par Louis Maurice Boutet de Monvel, puis Le riierrvilleux
voyage de Nils Holgersori de Selma Lagerlöff, Colites populnires de I’Egypte
ancietiiie de Gaston Maspéro, des chansons de geste, des ouvrages de Pierre
Loti ... Comme on s’intéressait au style et au passé des monuments variés disséminés
dans le Laonnois et rencontrés au cours de longues promenades dominicales
en famille, comme on parlait d’histoire et d’histoire de l’art à la maison, on
célèbrait les travaux d’Émile Mble et, sans oser l’espérer, l’adolescente rêvait de
posséder L’art religieux du XIP siècle en Frcrrice qu’il venait de publier, en 1923.
Son père lui offrit ce cadeau magnifique qui lui permit de franchir une nouvelle
étape dans la connaissance de la cathédrale à laquelle l’avait déjB introduite une
conférence de l’archiviste Lucien Broche complétée, sur le terrain, par l’observation
détaillée du monument, de long en large et même de haut en bas, avec la
complicité active et instructive de Monsieur Bideaux, sacristain érudit.
I1 n’était pas question de s’arrêter en si bonne voie. Nantie de son baccalauréat,
en 1928, Suzanne voulut mettre le cap sur la prestigieuse École des
Chartes. Cette fois, le rêve ne se réalisa pas. Monsieur Goulard, certes cultivé et
amateur d’art, était aussi docteur en droit. II va de soi qu’il offrit 2 sa fille de faire
des études supérieures ... de droit, naturellement. Elle furent menées bon train,
avec sérieux et succès.
4. Ibid.
5. Ihid.
6. Ibid.

Uri periclicrnt persistunt
Les aniours avec l’histoire ne sont cependant pas mortes. Suzanne
Martinet la retrouva et en découvrit une autre approche au fil de longues conver-
sations avec Jean Scapula’, consigné comme elle sur le plateau d’Assy oÙ ils
firent connaissance. Puis elle eut, pour la première fois, accès à des textes médié-
vaux et à leur lecture en fréquentant l’abbaye de Solesmes. Là, elle sympathisa
avec la famille, également réfugiée, du proíesseur Barbet, chirurgien parisien qui
étudiait le Suaire de Turin. Cette attirance, toujours sous-jacente et tout à fait per-
sonnelle, pour l’histoire devait évidemment amener l’attention d’une conseillère
municipale sur les possibilités touristiques inexploitées de Laon et elle la condui-
sit à s’intéresser de plus en plus au passé médiéval local.
Engagée sur une telle voie, Suzanne Martinet ne cessa plus de communi-
quer son réel enthousiasme pour le site, qu’elle faisait visiter, dont elle faisait
connaître l’histoire par ses conférences, toujours plus demandées, et par ses
écrits. Un travail de dilettante, relevant initialement d’un pur intérêt personnel
porté à l’histoire de Laon et de ses monuments, peu B peu sous-tendu par I’anibi-
tion de biìtir un renom à la ville, la conduisit vers ses premières publications. Ses
articles et brochures, destinés au départ à encourager un tourisme éclairé et à
éveiller l’intérêt des visiteurs pour les monuments majeurs de Laon, mettent en
lumière leur place éininente dans l’histoire et l’architecture, en relèvent les parti-
cularités et le sens, sous un angle plus culturel que proprement historique.
Sur sa lancée, la conseillère renonp finalement à solliciter un nouveau
mandat municipal afin de briguer le poste de bibliothécaire dont le titulaire,
Pierre Lefèvre, se trouvait sur le point de faire valoir ses droits h la retraite. Pierre
Lefèvre ne se trompa pas en l’incitant et en l’encourageant dans ce sens, puis en
soutenant sa candidature avec vigueur. Entrée en fonction le I“ juin 1960 dans cet
établissernent au riche fonds ancien dont elle allait prendre toute la mesure,
Suzanne Martinet, qui avait désormais les coudées franches pour appuyer ses
Ctudes sur une documentation de première main dont l’exploitation lui devint de
plus en plus familière, put enfin donner libre cours à son goût pour l’histoire.
Ses premiers ouvrages, La cuthCrlr-crle de Laon, publié aux Nouvelles Édi-
tions latines dans la collection >, s.d., qui fut l’objet d’une
seconde édition, et Laon Aisne, publié en 1971 aux éditions SAEP à Colmar-
Ingersheirn, appartiennent nettement au volet touristique de son axivre. On peut
y rattacher trois brochures plus tardives aux Éditions du Courrier de /’Aisne : en
1979, Laon, ancienne capitule de In Fr-nnce, réédité dix ans plus tard ; Lu Srririte
Filce de L~rori et soil histoire, en 1988 ; et, sous une toute nouvelle forme, La
cnthkdriile de Luon, l’année suivante. Elle collabora par ailleurs, en 197 I , avec
Georges Dumas, directeur des archives départementales, à un ouvrage destiné à
divulguer les plus intéressantes pièces des archives départementales et de la
7. Jean Scapula, auteur, en particulier, dc l’exploration archéologique et de la mise en valcur du site
et de I’église aux trois sanctuaires de l’Isle-Auinont (Auhe).
97

98 Jacqueline Danysz
Suzanne Martinet au pone-voix, 1981.
bibliothèque municipale. I1 s’agit de L’histoire de l’Aisne, livre réalisé par
l’Imprimerie du Courrier de Z’Aisne. Ce dernier travail se situe déjà sur le versant
plus scientifique des préoccupations de la bibliothécaire qui a eu et aura plusieurs
occasions de collaborer avec Georges Dumas.
Une historienne pas comme les autres
Ainsi, la démarche historique de Suzanne Martinet, doublement originale,
commença à l’adolescence par une découverte approfondie de l’ancienne cathé-
drale qui déborda ensuite sur celle des monuments voisins et de leur histoire. Ce
cheminement peu classique induisit chez elle une approche chronologique inha-
bituelle qui la conduisit des prémisses de la période gothique vers les temps caro-
lingiens, puis mérovingiens et gaulois.
Le contact constant avec des manuscrits anciens et avec les historiens
venus les consulter invita leur conservatrice à les considérer d’un point de vue
scientifique. Suzanne Martinet s’engagea dans une recherche historique, sans
jamais dissocier son travail de sa vie. Elle se lia d’amitié avec les chercheurs qui
fréquentaient la bibliothèque, les intéressa à ses propres recherches et les impli-
qua dans ses projets tout comme elle y associait ses proches.
Une grande complicité intellectuelle s’instaura entre les Martinet et l’abbé
Merlette, qui passait sa vie dans les bibliothèques. Ce chercheur a tres rarement

publié mais il fit bénéficier Suzanne Martinet de toute l’étendue de sa culture et
de sa documentation et elle tenait grand compte de son esprit critique.
Elle-même instruisait aussi volontiers les Laonnois, dans un contact indi-
viduel. Elle était soucieuse d’informer, peu avare de son temps, perpétuellement
ouverte à un échange personnel. c< Oui, précisait-elle à une interlocutrice, l’ancien
séminaire abritait, avant guerre, une institution de jeunes aveugles, mais égale-
ment de sourdes-muettes ; on faisait même des confusions : en robe de mariée,
sur le point de monter au bras de mon père les marches de Saint-Marcel, j’ai
entendu dire, pour commenter un mouvement qui se produisait à l’entrée de
I’église : “Ce sont les sourdes-muettes qui arrivent pour chanter la messe”. J’ai
bien failli avoir un fou rire. >)
En 1975, sous la rubrique Elle était alors depuis longtemps à la retraite
et le conférencier n’avait pas eu l’occasion de la rencontrer, inais elle I’écoutait
ravie.
A tort ou 2 raison, on pourrait lui reprocher l’idée d’une permanence de la
nature humaine qui la conduisait à prêter sa propre psychologie aux humains de
tous les temps, sous tous les cieux, et un regard excessivement

Elle seule fut surprise par la question de deux de ses petites-filles lui
demandant un jour si elle avait connu Charlemagne et concluant d’elles-mêmes,
devant la négative : )
Stupéfaction de la grand-mère ! I1 est vrai qu’elle s’attachait tant aux personnages
dont elle faisait I’étude qu’ils semblaient être ses familiers et devenaient, dans une
certaine mesure, ses héros, au point que des rues de la ville prirent peu à peu leurs
noms sous son intluence.
Suivons-la en Egypte avec sa petite-fille. Elles s’intéressent aux princi-
paux égyptologlies mentionnés sur le haut de la fqade du musée du Caire et, de
leur place, elles ont peine à déchiffrer l’un des noms : > notre

à fait particulière, imbriquant. pour ainsi dire, sa propre personne iì ses recherches
et ses travaux à sa vie.
Le colloque interncrtioncrl
C’est, sans nul doute, par ses propres travaux, par sa manière de les
conduire, mais aussi par sa personnalité, qu’elle sut attirer Laon, du 7 au 12
juillet 1975, dans le cadre des colloques internationaux du CNRS, le colloque
Jean Scot Erig2ize et 1 ‘Histoire de la Philosophie. Elle en orchestra personnelle-
ment sur place la logistique. Les sociétés savantes de Laon et de tout le dkparte-
ment furent associées à la rencontre qui réunit, au chef-lieu, dans les locaux du
Petit Saint-Vincent, une cinquantaine de spécialistes des manuscrits carolingiens
parmi les plus éminents, provenant de dix pays différents du monde occidental.
Ces savants purent établir sur place, à cette occasion, que le manuscrit du
Coinnientriire de 1 ’Évangile de Jean par Jean Scot, dont l’exemplaire unique est
conservé à la bibliothèque de Laon, est en partie autographe.
Au cours du colloque, on put entendre plus de vingt conférences, dont une
de Suzanne Martinet, et les actes furent publiés aux éditions du CNRS, sous la
direction de René Roques, en 1977.
Bibliothécaire
Ceux qui ont eu l’occasion de la secondcr ou de la rencontrer dans I’exer-
cice de cette fonction sont unanimes à reconnaître en Madame Martinet une gran-
de bibliothécaire. L‘établissement qu’elle prit en mains à la suite de Pierre
Lefèvre n’avait pratiquement rien de commun avec celui qu’elle livra, en défini-
tive, à Jean Lefebvre, une vingtaine d’années plus tard.
Rendre ?I Cémr
La bibliothèque gérée par Pierre Lefèvre était installée dans l’ancien hatel
Milon de Martigny, remanié au XIX‘ siècle en vue d’héberger bibliothèque et
musée. II y conservait, dans un rangement thématique à l’ancienne, des ouvrages
nombreux et divers dont son étonnante mémoire lui permettait de connaître
l’existence et la place exacte parmi les volumes accumulés sur des rayonnages
dont la disposition avait été imposée par l’exiguïté des locaux. La fréquentation
de la bibliothèque emplissait d’aise Suzanne Goulard, encore écolibe.

louait fort le travail déji accompli m&me s’il n’avait pas encore été possible
d’dtablir le catalogue du fonds ancien. Elle allait elle-même s’atteler à cette tâche
et parvenir à faire cataloguer près du tiers des quelque cinquante mille volumes
qu’il comporte.
Lorsque, à la fin des années 70, la tombe de Jacques-François-Laurent
Devisme fut menacée de disparition au cimetière Saint-Just, Madame Martinet,
alertée, se mobilisa en faveur de la conservation du monument et l’obtint. Ce
juriste et homme politique avait été le premier historien de la ville.

avons remarqué à ce sujet l’accueil si personnel qui leur était réservé : Suzanne
Martinet se liait souvent d’amitié avec eux, les recevait à sa table et surtout leur
consacrait un temps considérable. Ils découvraient ainsi les possibilités offertes
par le fonds ancien, les mettaient à profit dans leurs propres travaux et furent
aussi conduits à proposer à leurs dudiants des sujets de recherche qui en tiraient
parti. La bibliothécaire recevait ces jeunes chercheurs avec un soin égal, s’infor-
mait de leurs projets et de leurs préoccupations afin de pouvoir leur donner les
meilleures indications et de les guider vers les pièces les plus intéressantes pour
eux. Malgré l’espace gagné grâce à un rangement nouveau des livres, en fonction
de leur taille, adopté suivant les conseils de l’Inspection des bibliothèques, la
place manquait et la bibliothécaire, obligée de mettre à profit sa parfaite connais-
sance du fonds ancien et de la collection d’autographes, servie par une excellen-
te mémoire, les impressionnait. Très douée dans l’art de transmettre son savoir,
elle ne ménageait jamais le temps qu’elle leur accordait, les faisant bénéficier à
tous égards de son expérience.
L‘histoire locale préoccupait la bibliothécaire au premier chef. Elle s’atta-
chait à en développer le fonds avec l’aide des Amis de la bibliothèque. Elle y
apportait aussi, outre ses propres travaux, ceux des chercheurs qu’elle encoura-
geait et guidait. Ce fonds, qui s’est encore accru depuis son départ, est consulté
de plus en plus fréquemment.
Néanmoins, aux yeux de leur conservatrice, les biens de la bibliothèque
appartenaient aux Laonnois, elle se sentait responsable de les mettre i leur portée
pour leur en permettre la jouissance. Ainsi acceptait elle avec plaisir, à la deman-
de par exemple de leurs maîtres ou de leurs catéchistes, de présenter de précieux
documents aux enfants. Toujours, elle expliquait ce qu’elle montrait, elle en fai-
sait comprendre l’intérêt, usant de mots et de motifs simplcs adaptés à I’âge de
ses auditeurs attentifs qui suivaient sans peine ses explications. Dans cette
tranche d’fige, elle estimait aussi de son devoir d’encourager la lecture et lança, à
cette fin, avec la complicité de maîtres et des Amis de la Bibliothèque, un
concours littéraire ouvert à tous les enfants. I1 imposait la lecture d’au moins un
livre emprunté à la bibliothèque.
Les plus belles pièces étaient présentées à l’occasion d’expositions théma-
tiques qui ouvraient à chacun la possibilité de les connaître et de les apprécier. On
peut avancer hardiment que tous les Laonnois ont eu, dc la sorte, la possibilité de
voir gratuitement une bonne part de leurs livres les plus précieux.
Enfin, loin de les abandonner, il faut aller vers ceux qui ne fréquentent pas
spontanément ces sortes de manifestations. Faisant fcu de tout bois, la bibliothé-
caire avait tri3 bien compris le rôle d’amplificateur des Heures médiévales D.
La dynamique du festival multiplie les visiteurs des expositions et la complé-
mentarité des activités enrichit chacune d’elles. Évoquons, à titre d’exemple,
dans le cadre de ce festival, une exposition de la bibliothèque consacrée à Laflow
de Prhzonrré, associée à la présentation inaugurale du jardin de plantes médici-
nales créé, à l’abbaye de Vauclair, par le père Courtois. Précédée, la veille, par
une conférence de Madame Martinet à la Maison des Arts. la visite du tout nou-

veau jardin fut couronnée sur place, à Vauclair, par un concert de cuivres suivi
d’un repas champêtre.
Le levier >, manié par la bibliothécaire, prit plus de
puissance encore et les manuscrits rayonnèrent
... j usque sur les tribunes de la cathédrale, où ils devinrent musique par les
voix de l’ensemble vocal de Laon, chantant sous la direction de Simone Tavernier
les laudes carolingiennes d’après le manuscrit 263 de Laon, hymnaire de la cathé-
drale datant du XIIc siècle ;
... j usque dans le laboratoire de la boulangerie Berthiot, où on confection-
na, chaque année, pendant toute la durée du festival, de délicieuses rissoles
dorées dont elle avait su retrouver la recette - des salées et des sucrées ;
... jusque dans l’atelier arithmétique du ) oh, sous la
férule de l’abbé Merlette, les gamins apprenaient à calculer à la nianière des
élèves de Raoul de Laon, dont le traité sur l’abaque se trouve > à la Bibliothèque nationale.
Enfin, pour associer plus largement et plus fortement le public local, il
paraissait judicieux de le faire passer du stade de consommateur à celui d’acteur.
Madame Martinet encouragea dans cette perspective la naissance, le 24 mai 1967,
d’une association : Les Amis de la bibliothèque.
Ses statuts permettent à cette instance de solliciter des subventions à plu-
sieurs échelons et elle en obtiendra, tout au moins, de la ville de Laon et de la
Caisse d’Épargne. Depuis sa fondation, sous la présidence de Monsieur
Rodolphe-Rousseau, rapidement relayé par Madame Gilliard, elle a contribué au
rayonnement de la bibliothèque grke à l’organisation de conférences. Elle a aussi
apporté un soutien moral régulier aux diverses activités et une contribution finan-
cière à l’achat de pièces susceptibles d‘enrichir le fonds ancien ou celui d’histoi-
re locale, à I’édition de cartes postales destinées à faire connaître quelques unes
des enluminures et autres illustrations parmi les plus belles ou les plus notables
des ouvrages anciens, enfin à l’organisation des expositions. Lorsque cclles-ci ont
été enrichies d’un catalogue, dont le premier, consacré à l’exposition Rolrrnd, a
été le fruit d’une collaboration entre Madame Martinet et l’archiviste Cécile
Souchon, les Amis de la bibliothèque en ont le plus souvent assuré la diffusion.
La bibliothèque prit, peu 2 peu, une dimension telle qu’elle menaçait de
faire éclater la trop étroite enveloppe de ses locaux.
Corselée dans I’h8tel Milon de Martigny, telle la rose en son bouton, la
bibliothèque ne pouvait éclore qu’en s’en échappant. Sa conservatrice en prit vite
conscience et rechercha sans tarder un site propice au déploiement des collcctions
entassées rue du Bourg.

Les bâtiments de l’ancienne abbaye Saint-Martin, endommagés par le
bombardement de 1944 et désertés depuis, ne reprendraient jamais leur fonction
hospitalière puisque l’on venait de construire un nouvel hepital. On attendait leur
restauration et ils n’avaient pas encore d’affectation. Or, on nc pouvait imaginer
locaux plus élégants, plus spacieux, plus proches d’importants établissenients
scolaires, en un niot plus indiqués pour abriter la bibliothèque. Ainsi logée, elle
offrirait en outre au public accès à l’un des plus remarquables monuments de la
ville : il restait à en convaincre les décideurs.
En prenant la responsabilité de la bibliothèque, Madame Martinet avait
l’intention d’y ouvrir plusieurs axes de développement et elle allait devoir, pour
y parvenir, gagner l’appui des principales autorités concernées. Nous avons
remarqué que sa méthode a consisté à travailler au grand jour, à faire voir la
progression de ses entreprises et à en faire percevoir l’utilité par tous les
publics, et donc par les gestionnaires de la ville, du département ou des biblio-
thèques, par les responsables de la Culture et de I’Éducation. La bibliothécaire,
ambassadrice de la bibliothèque, sut toujours obtenir que son action soit appré-
ciée par le maire et le préfet, avec qui elle entretenait des relations personnelles,
ou d’une façon générale par les diverses personnalités en jeu. Elle gagna leur
adhésion à ses projets. La proposition du transfert des locaux intervint dès le
milieu des années 60. La conservatrice tit preuve à cet égard d’une ténacité
extraordinaire, défendant le projet avec une énergie farouche, stigmatisant,
après avoir obtenu accord et financement des autorités locales avec le soutien
de l’Inspection générale des bibliothèques,

établissement déployé à l’abbaye Saint-Martin, bientOt informatisé et pourvu en
outre d’antennes en ville basse.
Grande figure de la vie associative laonnoise
Comme conseillère municipale puis comme bibliothécaire, Madame
Martinet ne manqua pas d’être sollicitée pour devenir membre de diverses asso-
ciations. Elle apporta son concours à celles dont les objectifs s’accordaient à ses
propres préoccupations, y acceptant, au besoin, des responsabilités importantes.
Les Atzcietzs Élèves
Suzanne Goulard imprimait à son existence une continuité en vertu de
laquelle ses amitiés étaient fidèles. On ne s’étonnera pas de la voir appartenir, dès
1925, à l’Association amicale des anciennes et anciens élèves des collè, oes et
lycées de Laon, puis siéger longuement à son conseil d’administration et accep-
ter la fonction de vice-présidente.
Ces sortes d’associations convient traditionnellement un ancien condis-
ciple devenu célèbre à présider leurs rencontre et banquet annuels. L‘association
laonnoise fit à sa vice-présidente l’honneur de la choisir pour tenir ce rôle à la
rencontre de 1977. Le discours qu’elle prononça dans cette circonstance, ville, a été
édité dans le bulletin de l’Association, assorti d’une présentation de la présiden-
te du jour par son ancienne camarade de classe, Madeleine Pringuet.
L ’~iii ive rsit e‘ du Temps 1 ibre
A cette même période, Madeleine Pringuet se déchargea, en prenant sa
retraite, de la direction du lycée Paul Claudel et se lança, bans tarder, dans la fon-
dation d’une université du Temps libre. Elle put compter sur l’appui de son
ancienne camarade el amie. encore en activité, qui accepta la vice-présidence de
l’université et lança ses travaux en présentant, lors de la première réunion, le
17 octobre 1977, une topographie de la ville à partir de plans anciens.
L‘université lui doit, de 1982 à 1996, une moyenne de quatre interventions
annuelles, bans compter des visites guidées dans lesquelles elle se fit quelquefois
assister par son fils Gabriel. Les sujets abordés étaient toujours très variés :
descriptions de manuscrits, évocations de monuments, présentations de person-
nages de l’histoire politique ou religieuse ... et elle a terminé le 25 avril 1996 par
un compte rendu de son récent voyage aux Etats-Unis. Elle évoqua alors le
Mississippi, le père Marquette dont on venait de lui présenter une généalogie à
l’université de Milwaukee et sa propre éniotion lorsqu’elle y découvrit des
Goulard, de Trigny, dont elle était elle-même descendante.

Les Heures iddikvales
Nous avons déjh relevé qu’elle contribuait h l’organisation du festival inti-
tulé Évocutiorz des heures rrikc1iPvcile.s & Laori qui, pendant un peu plus de vingt
ans, tenta de replacer, une quinnine de jours par an, la vie intellectuelle et artib-
tique laonnoise au diapason de celle qui devait y régner au temps oÙ s’élevait la
cathédrale. Conférences, théâtre, danse, concerts, défilés se succédaient alors
dans la ville, tandis que ses principaux établissements culturels présentaient des
expositions généralement coordonnées et que des artistes sollicités, ou tout au
moins acceptés par les organisateurs, exposaient leurs auvres dans les plus beaux
lieux rendus accessibles pour la circonstance.
A la suite de Jean Garel, Roger Thirault, directeur du conservatoire de
musique, très t8t choisi comme responsable de cette manifestation à laquelle il
attachait une grande importance, voyait en Madame Martinet sa collaboratrice la
plus précieuse, la plus eftïcace, la plus fidèle et, par lui, la plus écoutée. Elle sug-
gérait les thèmes, proposait des conférences et des conférenciers, organisait tou-
jours de grandes expositions à la bibliothèque et apportait d’utiles conseils ou
assistances dans les domaines les plus divers.
En 1978, on célébra au cours de ce festival, à Laon - une des patries sup-
posées, selon Madame Martinet, du héros de Roncevaux - le douzième centenai-
re de la célèbre bataille. Une plaque de céramique, inaugurée dans ces circons-
tances sur la Porte d'Ardori, en conserve le témoignage.
Les Aiiiis des orgues
Dans les années précédant son décès, survenu en 1966, le titulaire du grand
orgue, Jules Fouquet, ne donnait ni n’accueillait plus de concerts sur son instru-
ment. La nomination à sa succession de son assistante, Marie Ducrot, qui sou-
haitait jouer en concert, allait entraîner, avec les encouragements du chanoine
Vasseur, affectataire de I’édifice, un renouveau autour des grandes orgues de l’an-
cienne cathédrale de Laon.
Plusieurs de ses amis, qui déploraient cotnine elle le silence de l’orgue en
dehors des offices, entouraient Marie Ducrot, l’assistaient volontiers dans ses
entreprises et encourageaient ses projets. Quelques-uns parmi eux, dont Madame
Martinet, se rendaient bien compte que l’organiste et le clergé avaient besoin d’un
soutien plus structuré dans leurs projets musicaux. Ils fondèrent, au mois de mai
1969, une association des Amis des orgues de Laon dans le but >.
Madame Martinet avait, dès l’origine, accepté d’en assumer la présidence. Elle
avait, dans ce cadre, favorisé l’organisation de concerts et donné elle-même des
conférences au profit de l’entretien et de la restauration des instruments. Dans
cette période, sur le conseil de l’organiste Jean Langlais, le suivi régulier du
grand orgue de la cathédrale fut coniïé au facteur Muller. Sa titulaire put, de la
sorte, donner des concerts et accueillir ceux de son maître Jean Langlais, puis de

1 O8 Jucqdine Danysz
Marie-Claire Alain, André Marchal, Pierre Cochereau et de bien d’autres orga-
nistes, célèbres ou non.
L‘association, affiliée à la Fédération départementale des amis des orgues
de I’Aisnc, permit un premier relevage de l’instrument par le facteur Muller à la
fin des années 70.
La Socittt historiq~ie
La passionnée d’histoire était, évidemment, membre actif de la Société
historique de Haute Picardie dont le siège, le lieu de réunion et la bibliothèque
d’histoire locale sont aux archives départementales de l’Aisne. Son secrétariat
était assuré par le directeur des archives, Georges Dumas.
Cette société est l’héritière de la Société académique de Laon, fondée en
1850, ressuscitée après la Grande Guerre, en 1922, l’année même où naissait une
rivale plus aristocratique présidée par MM. de Hennezel d’Ormois et de Sars, la
Société historique de Haute-Picardie. Sous ce dernier vocable, faute de sujets
d’étude ou de territoires distincts et d’adhérents assez nombreux, les deux socié-
tés fusionnèrent en 1937, puis reprirent une activité régulière et unifiée sous I’in-
fluence de l’inspecteur d’académie, Monsieur Dubu, après le second conflit mon-
dial.
Madame Martinet appartenait au conseil d’administration de la Société
historique de Haute-Picardie. Lorsque le président de cette dernière, le colonel
Henri de Buttet, choisit, en 1980, de se retirer de sa fonction, Cécile Souchon, qui
avait succédé depuis 1977 à Georges Dumas h la direction des archives départe-
mentales et également au secrétariat de la Société historique, se jognit au colonel
de Buttet pour solliciter la candidature de Madame Martinet à la présidence. Prise
de court, cette dernière se résigna néanmoins à accepter >, et prit
la charge le 5 novembre, précisant qu’elle n’y ferait face que pour une seule
année ... La présidente et la secrétaire ne virent pas passer le temps, leur entente
cordiale régna sur les destinées de la société savante jusqu’au départ, en 1993, de
Cécile Souchon, relayée par Patrice Marcilloux. La présidente commençait à res-
sentir vraiment le poids des ans et souhaita fermement, cette fois, une relève : e I1
faut que vous me trouviez un remplaçant, même si je le voulais, je ne peux plus
assumer cette responsabilité >>, dit-elle à la réunion du conseil d’administration
qui suivit l’assemblée générale de 1994, le dernier auquel elle ait participé. Son
appel fut entendu et Claude Carême accepta de prendre la relève.
En 1953-54, les sociétés historiques n’étaient plus en mesure de financer
régulièrement des publications. Fut alors constituée la Fédération des Sociétés
d’histoire et d’archéologie de l’Aisne regroupant les sociétés dc sept villes du
département : Château-Thicrry, Chauny, Laon, Saint-Quentin, Soissons, Vervins
et Villers-Cotterêts. L‘union faisant la force, la Fédération prit le relais de ces
associations pour publier chaque année les travaux de leurs membres dans un
volume de Mémoires qui accueillit volontiers les nombreux articles proposés par
Madame Martinet. En effet, entre 1962 et 1987, on ne compte pas moins de 26
articles signés d’elle.

Grande Dame
Suzarirle Goulurd-Mmtinet I o9
Nous resterions bien incomplet si nous passions sous silence des aspects
plus privés de son personnage qui y ajoutent un éclairage intéressant et que,
d’ailleurs, elle n’a jamais tenus secrets.
De lu,f¿ririille
Une jeune mère, laonnoise de fraîche date, étonnée et même choquée d’en-
tendre Madame Martinet tenir à une mère de six enfants des propos relatifs à la
nécessité d’une éducation individualisée, apprit avec la plus grande surprise que
Madame Martinet connaissait la famille de son interlocutrice et avait, du reste,
elle-même six enfants. II est vrai que, dans les années 70, personne n’imaginait à
la docte dame, si souvent en représentation, cinq tils et une fille. Elle en faisait
bien rarement cas.
La Grammaire, brandissant dcs verges à la rose nord de la cathédrale, ne
scandalisait guère leur maman qui citait plut6t la remarque de Guibert de Nogent
à propos de son maître dans la discipline : >, Monsieur Martinet y participa de plus en plus. Au fur et à mesure
qu’il eut davantage de temps, il permit à sa femme d’en gagner, allant jusqu’à
traduire pour elle des textes latins. I1 l’assistait dans la présentation des exposi-
tions temporaires de la bibliothèque, les dimanches de grande affluence, et la
soutenait, d’une façon générale, dans toutes ses entreprises. Ainsi l’accompa-
gnait-il dans des voyages àbut historique ; nous les retrouvons par exemple pis-
tant sur la terre anglaise les traces ténues de la grande quête organisée par les
chanoines de Laon au profit des réparations à apporter à leur cathédrale après
l’incendie de I 112.

Écoutons Madeleine Pringuet s’adresser à son amie à la réunion des
anciens élèves en 1977 : )
I1 y a dans le jardinet qui précède sa maison un arbre à kiwi (actirzidin
sinrnsis) très productif.
De 1 ’cime et du corps
Suzanne Goulard, confrontée dès son enfance, dans sa famille, à des
options philosophiques variées et même opposées, instruite dans une religion que
ses parents ne pratiquaient guère, s’était déterminée très librement mais claire-
ment et fermement en tant que chrétienne. Elle ne se détourna jamais de ses pré-
occupations d’ordre spirituel. Paroissienne active, elle apportait à Saint-Marcel sa
présence, sa générosité et sa rigueur habituelles, pratiquant un catholicisme sans
sectarisme et se trouvant impliquée dans des démarches œcuméniques, en parti-
culier les rencontres entre catholiques et protestants organisées, à Laon, par I’ab-
bé Raux, curé de Saint-Marcel.
Se voulant historienne jusque dans ses bijoux, elle portait couramment
l’un ou l’autre de ses colliers figurant des oiseaux issus de manuscrits laonnois et,
notamment, des aigles d’époque carolingienne, sortes d’émaux cloisonnés, réali-
sés à sa demande par un orfèvre lyonnais, Monsieur Pelissier, dont elle appréciait
le travail.
Elle pratiquait elle-même le dessin et il est à noter qu’elle a illustré de sa
main un article consacré aux manuscrits de Foigny, en reproduisant plus de vingt-
cinq grandes majuscules, des détails relevés sur certaines autres majuscules très
ouvragées et de petits graffiti qui avaient été surajoutés sur diverses pages. Elle
réalisa également tous les dessins de la plaquette diffusée à l’occasion de I’expo-
sition de manuscrits cisterciens organisée dans le cadre de l’année Saint-Bernard
( 1990).
Du fait de son grand respect pour autrui, et donc pour sa propre personne,
elle s’imposait en permanence un maintien digne et une mise étudiée. Plutôt en
avance sur les femmes de sa génération, elle était titulaire d’un permis de condui-
re, mais elle ne s’en servait jamais. Lorsqu’il lui fallut, du fait de son grand âge,
assurer sa démarche à l’aide d’une canne, elle dut s’inspirer du Grand Siècle dans
l’usage de cet accessoire, tant elle le maniait avec majesté.

De la personrie
Nous avons vu un ministre décorer Madame Martinet. Nous l’avons
découverte amie, vraiment, dc personnalités du monde universitaire français ou
étranger, d’artistes ou de hauts fonctionnaires, lout comme de personnes très
simples qui, dans le besoin, n’hésitaient pas à avoir recours à elle. Nous l’avons
entendue prononcer bien des conférences ; toujours manifestement préparées
avec soin, elles ne prenaient jamais un tour répétitif, mais étaient au contraire pré-
sentées dans l’éclairage de ses derniers travaux. Nous l’avons rencontrée en
Allemagne, en Angletcrre, en Egypte, aux Etats-Unis, au cours de voyages à
caractère historique ou familial. Nous l’avons poursuivie jusque dans sa vie per-
sonnelle et l’avons partout trouvée égale, droite, généreuse, partageant son savoir
autant que son avoir, se présentant sans fard, engageant sans s’encombrer de
conventions protectrices des échanges personnels avec tout un chacun.
Sa personnalité si posée, si complète, si attentive, si ample doit probable-
ment laisser avant tout à ceux qui l’ont approchée le souvenir gardé d’elle par
Pierre Riché, celui d’une grande dame.
Jacqueline DANYSZ
Article rédigé avec les contributions de
Gabriel Martinet, Marie-Thérèse Nolle,
Martine Plouvier, Madeleine Pringuet et Cécile Souchon
Jean Lefebvre, conservateur en chef des bibliothèques de Laon,
a consacré à Suzanne Martinet un article ln ineinoriain
publié dans le tome XLIII (1 998) des Mémoires de la Fédération
des sociétés d’histoire et d’archéologie de 1 ’Aisne.

I12 Juc.cpelitie Diiitys:
I. PUBIKATIONS
Bibliographie de Suzanne Martinet
(< Laon, ville carrefour sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle )>, Revue
belge d’archéologie et d’histoire de l’ut, t. 23, fasc. 1-2, 1954, p. Il 1-1 18.

Georges Dumas et Suzanne Martinet, L’Histoire de l’Aisne vile à travers les
richesses des archives dlpurteinentales et de lu bil~liothèque de Laon,
Courrier de l’Aisne, Laon, 1968, 132 p.
, Actes du 95 Congrès national des
sociétés scivantes, Reims, 1970, p. 55-63.
Lion (Aisne) 02, éditions SAEP, Colmar-Ingersheim, 1971, 90 p.
Mordoori : reflet,fidèle de la montagne et cles environs de Laon de 1100 à 1300,
Courrier de l’Aisne, Laon, 1972, 173 p.
, Dossiers de l’archéologie, no 14, janvier-
février 1976, p. 26-34.

114 Jrccqueline Danysz
>, Mémoires de la
Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de L’Aisne, t. XXIV,
1979, p. 69-76.
Quelques belles pièces de la bibliothèque municipale de Laon, catalogue de
l’inauguration du 16 juin 1980 de la nouvelle bibliothèque 2 l’abbaye Saint-
Martin, 1980, 48 p.
>, Les chartes et le mouvement communal
: actes du colloque régional, octobre 1980, organisé en commémoration
du neuvième centenaire de la Commune de Saint-Quentin, p. 27-38.
>, Actes qfJiciels des 4, 5, 6 et 7” colloques
du Centre d’&ides et de recherches prkmontrées, 1980, p. 74-86.
>, Mémoires de la
Fédération des sociétés d’histoire et cl’crrchéologie de l’Aisne, t. XXVI,
1981, p. 57-63.
, La chanson de geste et le mj-the carolingien : mélunges
René Louis, 1982, p. 67-84.
>, Amoul; mciriage et
trmsgressions au Moyen Age : actes du colloque des 24, 25, 26 et 27 mars
1983, université de Picardie, Centre d’études médiévales, p. 9-1 6.
Trois érudits du X IF siècle : Edouard Fleury (1815-1883) [notices rédigées par
Suzanne Martinet] ; Etienne Midoux (1829-1890) [notices rédigées par
Andrée Rollas] ; Amédée Piette (1809-1883) [notices rédigées par Cécile
Souchon], catalogue des expositions présentées à la bibliothèque de Laon,
au musée de Laon et aux archives de l’Aisne en septembre et octobre 1983,
1983, non paginé.
>, Mémoires de la Fédlration des sociétés d’histoire
et d’archéologie de 1 ’Aisne, t. XXVIII, 1983, p. 17-34.
Suzanne Martinet et Cécile Souchon, , GuiIlaunie et Willehalrn : les épopéesfran-
çaises et l’awvre de Wolfram von Eschenbuch : actes du colloque des 12 et
13 junvier 1985, université de Picardie, Centre d’études médiévales,
p. 7 1-80.
Rois de France, rois de Lnon : F siècle, Courrier de l’Aisne, Laon, 1987, 188 p.
>, L’Ami du Laonnois, no 1, mai 1987,
p. 4-5.

Le Tortoir, s.d., 8 f., B.M.L. 20 CHL 47.
Le médecin Guillaume d’Harcigny et son tomlmiu, 1967, 1 f., B.M.L. 4 CHL 80.
Histoire du Sciuvoir : discours prononcé le jour de 1 ’inauguration de l’église du
Sauvoir, 12 janvier 1969, 1969, 5 p., B.M.L. 16 CHL 13.
Arsène Houssaye : dossier contencint 2 textes sur Arsène Houssaye, une biblio-
graphie, 2 catalogues d’exposition (bibliothèque municipale de Laon, 1-8
juin 1969), etc., 1969, n.p., B.M.L. 37 CHL 41.
Les Frères Le Nain, 1971, 5 f., B.M.L. 16 CHL 47.
Suzanne Martinet et Jean-Jacques Plantinet, Montage pièce et vitruil cathédrale
de Lion sur : Gautier de Coincy, le miracle de Théophile, 1975, 20 p.,
B.M.L. 19 CHL 17.
Culte de saint Gilles dms les manuscrits de Luon, 1977, 4 f., B.M.L. 20 CHL 35.
Historique du Val des Écoliers, 1979, 4 f., B.M.L. 2 1 CHL 20.
La relique de suint Laurent, [dossier contenant I’étude de Suzanne Martinet et la
photocopie des lettres trouvées dans la chBsse de saint Laurent], 1979, n.p.,
B.M.L. 42 CHL 50.
Conférence sur Ernst Jünger, 1987, 25 p., B.M.L. 25 CHL 8.
Bibliographie établie par Jean Lefebvre

Société historique et archéologique
de Château-Thierry
Séance de création du 9 septembre 1864
Le vendredi 9 septembre 1864, une réunion coinposée de MM. Buirette,
curé de Gland, Chauvac de La Place, ingénieur, chef de section au chemin de fer
de l’Est, Gourniain, curé de Chézy-I’ Abbaye, membre des Sociétés savantes de
Picardie, de Saint-Quentin, Laon et Abbeville, Hachette, ingénieur en chef des
Ponts et Chaussées, Harant, agent Voyer de l’arrondissement de Chiteau-Thierry,
Hilaire, curé de Nogentel, Mayeux, propriétaire à Étampes, Perrin, propriétaire 2
Chiìteau-Thierry, Petit, docteur en médecine à Chiteau-Thierry, Pignon, curé de
Crézancy, membre de la Société archéologique de Soissons, Renaud, imprimeur
à Château-Thierry, Souliac, propriétaire à Chiteau-Thierry, membre correspon-
dant du Comité impérial au ministère pour les Travaux historiques et membre de
la commission des antiquités du département de l’Aisne, Usson, archiprêtre de
Chiteau-Thierry, membre de la Société archéologique de Soissons, de Vertus,
propriétaire iì Brécy, membre correspondant de l’Institut historique de France, eut
lieu dans la grande salle de l’hôtel de ville de Chiteau-Thierry, dans le but de fon-
der une société historique et archéologique pour la ville et l’arrondissement.
Pour entrer de suite en séance et procéder avec ordre, M. Usson, archi-
prêtre de Chiteau-Thierry, et M. Gourmain, curé de Chézy-I’ Abbaye, furent priés
d’accepter provisoirement, l’un, l’honneur de la présidence, et l’autre, les fonc-
tions de secrétaire. On procèda à la lecture des statuts et règlements de la société
dont les articles, après quelques discussions, furent unanimement adoptés. Les
quatre premiers articles sont les plus importants :
Article 1” - La société prend le titre de Société historique et archéologique
de Chiteau-Thierry. L‘étude de l’arrondissement et de tout ce qui s’y rat-
tache, forme l’objet de ses travaux. Toutes matières politiques ou discus-
sions religieuses lui seront étrangères.
Article 2 - Le personnel de la société se compose de membres titulaires,
honoraires et correspondants. Le nombre des membres titulaires est fixé à
trente, celui des membres correspondants est illimité.
Article 3 - La société s’attachera principalement à faire connaître, par des
Mémoires soigneusement rédigés, les monuments historiques, artistiques,
littéraires et scientifiques de l’arrondissement. Elle étudiera les églises,
abbayes, édifices communaux, châteaux, archives, manuscrits, statues,
tableaux, médailles, etc.

La Géologie, pour laquelle notre contrée offre une matière si féconde, ne
lui sera point étrangère. Elle regardera comme partie importante de ses tra-
vaux, la biographie des hommes remarquables de la ville et de l’arrondis-
sement. Elle appellera l’attention de l’autorité sur l’abandon ou la dégra-
dation dont les monuments qui intéressent l’art, pourraient être menacés.
Article 4 - Le bureau de la société se compose d’un président, d’un vice-
président, d’un secrétaire, d’un sous-secrétaire, d’un trésorier et d’un
archiviste.
Tous les membres du bureau son nommés pour un an ; ils pourraient être
réélus.. .
La lecture des statuts et règlement achevée, M. Souliac proposa l’admis-
sion immédiate de plusieurs membres titulaires. La proposition fut acceptée.
Après ces préliminaires, la Société fut d’avis unanime de procéder inimédiate-
ment à la nomination définitive de son bureau. L‘unanimité des votes se porta sur
M. l’abbé Usson, curé-archiprêtre de Château-Thierry, qui fut donc proclamé pré-
sident, et M. Souliac, vice-président. Furent ensuite nommés successivement et à
l’unanimité : M. l’abbé Gourmain, curé de Chézy-I’ Abbaye, secrétaire ;
M. Renaud, imprimeur, sous-secrétaire ; M. Besnard, trésorier, et M. Perrin,
archiviste.
La Société tint ensuite ses séances le premier vendredi de chaque mois, à
l’hôtel de ville de Château-Thierry et publia tous les ans la collection de ses
Bulletirzs et Mémoires.
Séance du 8 avril 1869, sous la présidence d’Amédée Hachette
Le décès du propriétaire de la maison natale de Jean de La Fontaine,
M. Guilloux, fournit l’occasion à la Société historique de réaliser le projet conçu
depuis longtemps d’acquérir la maison natale du fabuliste. Sur l’initiative de
MM. Mayeux, Encelain et Barbey, la Société prit immédiatement les mesures
nécessaires pour ouvrir une souscription nationale ayant pour objet l’achal de la
maison qui devait être consacrée à l’établissement d’un musée local et d’une
bibliothèque publique, ainsi qu’a assurer A la Société historique les appartements
nécessaires à son service et à ses besoins. Les autorisations nécessaires furent
sollicitées et la souscription fut ouverte dans toute la France, notamment dans les
collèges et les écoles.
De nombreux encouragements arrivèrent bien vite à la Société ;
l’Empereur, le ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy, le conseil giné-
ral, le conseil d’arrondissement et un grand nombre de personnes amies des
Lettres envoyèrent leurs souscriptions. Tout laissait présager un succès rapide
lorsqu’éclata la guerre de 1870.

La souscription ouverte dès juillet 1869 n’avait pu, en août 1870, atteindre
les proportions qu’on en attendait ; mais, après la guerre, la souscription reprit.
Le 21 juin 1873, la Société historique pul solder aux héritiers Guilloux le prix de
la maison et les intérêts alors dus, au total 16 666,70 E La inaison appartenait
donc li la Sociétk et son président en était le propriétaire apparent.
La cession de la maison de Jean de La Fontaine
à la ville de Château-Thierry.
La Société historique décida de céder la maison à la ville afin d’en assurer
la conservation. Le 18 mai 1875, le conseil municipal en accepta le principe, en
assurant à la Société, pendant toute son existence, la jouissance des pièces du pre-
mier étage sur le côté attenant au collège.
Tony LEGENDRE

SociPtP historique et archkdogiqire de Chiileau-Thierry
Historiographie de l’archéologie à Château-Thierry
ou
naissance d’une archéologie urbaine de 1864 à 2000 :
le r6le de la Société
En cette fin de siècle, une attention particulière est portée à l’histoire de la
recherche scientifique. La création, en 1986, du service municipal d’archéologie
de la ville de Chsteau-Thierry et le développement de la recherche archéologique
moderne sur le site du château et de la ville ne résultent pas uniquement d’une
démarche volontaire ex-nihilo de la collectivité territoriale de gérer ses archives
du sol et son patrimoine. Ils s’inscrivent dans un processus ancien et lent de prise
de conscience où le rôle de la Société historique et archéologique de Château-
Thierry fut déterminant. I1 s’agit d’une modeste recherche historiographique
locale sur I’émergence d’une discipline. Elle tend à montrer le lien et la continuité
dans la recherche tout en rendant un hommage appuyé à la société savante
castro-théodoricienne.
A l’aube du troisième millénaire, l’archéologie se définit elle-même
comme une science, niais il est évident que ce statut ne lui a pas été accordé
d’emblée. 11 convient aussi de rappeler que le débat sur ses relations avec I’his-
toire ou encore la philologie est loin d’être épuisé. Cette > la
Société. L‘impuissance face aux destructions massives des archives du sol de la

122 Frmgois Bltrry
ville dans ces années, l’absence de méthodes et de moyens adaptés à ce type d’ar-
chéologie ont progressivement détourné les chercheurs de la Société savante. La
collectivité a pris le relais en dotant la ville d’un service adapté à l’acquisition et
à la gestion de ces archives du sol (( pourvoyeuses d’histoire D. A l’heure où notre
petite ville, comme notre Société, subit de profondes transformations, I’archéolo-
gie a un rôle non négligeable h jouer dans la définition et le maintien d’une iden-
tité culturelle, et son histoire atteste sa capacité à l’assumer.
La prise de conscience historique après la Révolution française
Après la tourmente révolutionnaire I, un abbé du nom de Hébert se réfugia
à Château-Thierry chez son cousin, M. Houdet, maire de la ville. Cet homme,
aussi savant que lettré, était atteint d’un bégaiement assez prononcé. II ne fut donc
pas retenu dans la partie active des prgtres du diocèse de Soissons lors de la
réorganisation de l’exercice du culte, en 1802 ; le confessionnal lui fut même
interdit ’. Ce grand érudit consacra ce temps de e chômage >> à réunir et h com-
pulser les quelques sources écrites se rapportant à Chlteau-Thierry qui avaient
échappé aux destructions massives et au pillage de ces temps troublés. II rassem-
bla dans ses Mkmoir-es, entre le 15 novembre 1804 et le samedi 29 novembre
1806, un matériel d’étude irremplaçable pour l’histoire de la ville ’. Organisée en
huit cahiers ou chapitres ’, cette œuvre pionnière et remarquable est cependant
restée manuscrite ’. Tous les érudits et autres chercheurs qui ont écrit ou qui se
sont intéressés à l’histoire de la ville de Chliteau-Thierry, de l’abbé Poquet jus-
yu’à Georges Pommier, ont puisé leur documentation dans un manuscrit rédigé
par l’abbé Hébert ’, au début du XIX siècle.
I . La ville. rebaptisée Egalité-sur-Marne. Fut marquée par la disparition des archives conservées au
chiteau. suivie de la destruction des égliws de Saint-Martin et de Notre-Dame-du-Chileau.
2. L. A. Riboulot, (* Les historiens de Chiteau-Thierry m. ASHACT. 1922.
3. Pour l’anecdote, l’auteur achève son travail par ces mots : (( Ne pouvant autrement acquitter ma
contribution d’utililé publique, envers la Société au milieu de laquelle je vis : Je lui offre sous les
auspices de M. Houdet, ofticier dans le I ’ régiment de hujsards, ce\ ménioires historiques sur
ChBteau-Thierry, pour fournir des matériaux celui qui voudrait faire quelque chose dc mieux, sur
l’histoire de cette ville. >>
4. L‘organisation de ces niémoires wit tin plan chronologique événementiel : I. Noms et topographies
de Chitcau-Thierry ; 2. Origine de Chlteau-Thierry : 3. Sous les cnmtes de Vcrmandoia ; 4.
ChBteau-Thierry SOUL ses seigneurs particuliers ; 5. Chitcau-Thierry sou\ les comtes de
Champagne ; 6. ChBleau-Thierry sous le\ rois de France : 7. ChBteau-Thierry sous les ducs de
Bouillon ; 8. Chiteau-Thierry pendant la Révolution.
5. L‘ouvrage de l’abbé Poquet. intitulé Hi\toirc. de C/rci/cwu-Thirrr~ et publié en 1839, cn deux
volumes, lui emprunte cependant la quasi-totalité dc son contenu.
6. Alexandre-Eusèbe Poquet, Hi.\tniw CIC Clliiterrir-7%ic.r/?, Chiteau-Thierry, 1839. deux volumes.
7. L‘abbé PielTe-Faron Hébert naquit h Meaux le 8 juin 1749. II fut ordonné prêtre en 1774. II professa
i sa sortie du séminaire et devint curé de Mandres, puis de Haie. au diocèse de Toul oÙ il rmta
jusque vers 179 I . Au niois de niai 1x07, I’ecclésiaslique, dont on avait apprécié la dignité de vie et
I‘intelligence. fut nommé curé de la Chapelle-Monthodon, puis en 1808. de Lucy-le-Bocage où son
wuvenir est longtemps resté estimé ; il conlinua h se livrer i I’étude de ChBtcati-Thierry jiisqu’h sa
mort. survenue le 21 mai 1818. L. A. Riboulot.

L‘auteur mentionne l’emploi ou la consultation de nombreux documents,
tous écrits, qui ont malheureusement, pour bon nombre, été depuis égarés ou
détruits. Les sources utilisées par lui pour la rédaction de ses Ménzoires ne sont
pas directement explicites ou, tout simplement, comme il est souvent d’usage à
cette époque, pas citées. Le découpagc dc son ouvrage fait clairement apparaître
une histoire événementielle oÙ l’analyse monumentale et I’évolution de l’urba-
nisme sont absentes ou superfétatoires. I1 s’agit bien plus de montrer la succes-
sion des possesseurs et des anecdotes historiques qui s’y rapportent que de corn-
prendre I’évolution de la ville.
Les premières découvertes archéologiques urbaines
Les travaux de rectifications de la route de Chiteau-Thierry à Soissons,
réalisés au printemps 1862, firent découvrir, au-dessus de l’actuel cimetière de la
ville. un ancien lieu de sépulture. Deux hommes, Souliac et Barbey ‘, suivirent
ces travaux et mirent au jour un grand nombre de sarcophages en pierre et en
plâtre. Les vestiges découverts par ces pionniers de l’archéologie castro-théodo-
ricienne ont été reproduits dans le bel ouvrage manuscrit de Jean-Pierre François
Lecart L), conservé dans le fond ancien de la bibliothèque municipale de Château-
Thierry. L‘aquarelliste mentionne sur la planche qu’il s’agit d’objets trouvés lors
des ) réalisées le 2 mars 1862.
Les sarcophages, de pierre ou de platre, dessinés par Lecart indiquent com-
munément l’époque mérovingienne, comme on peut le constater aisément “l. Les
quatre boucles ou plaques-boucles reproduites sur cette planche, par la qualité
graphique de leur reproduction, peuvent être comparées à celles retrouvées dans
des fouilles récentes.
Les boucles en bronze dessinées sont comparables, notamment, à celles
retrouvées dans le cimetières de Vorges I’. L‘anneau ovalaire )> est soit massif,
de section circulaire, soit de section arquée oblique. Les ardillons sont àbouclier
rond ou scutiforme. L‘anneau comporte parfois un décor de stries transversales
groupées ou encore un bandeau de cercles oculés. Ces boucles sont généralement
datées du VI’ siècle I?.
8. Note sur ces travaux dans le Bidlefin de In Soci&& arclie‘ologiqiie de Sois.son.s, 1. XVI, 1862, p. I34
et 143.
9. Ce professeur de dessin du collège de Château-Thierry conçut un recueil en trois tomes entièrement
consacré à la reproduction de documents iconographiques ou d’ob\ervations personnelles des
éléments tant monumentaux que mobiliers ayant trait à la ville de Château-Thierry.
I O. P. Perrin, Collections riiPI.oi,iri,~ieiiries, Crrtolo,qirc,s d’ti,? et d’histoire du tirirsc’e Curnrri~alet. t. II,
Paris, Imp. mun. de Paris. 1985.
I I. Notamment dans les skpultures 3, 5, 17, 23. 29. 44 et 45.
12. P. Perrin. La clntrrtiori des totribes vn8roviviRieriiir.s. Hi.srorique, nie‘thotle.\, cipplicritions, Genève,
Hautes Etudes mCdiCvales et inodernes, 39, 1980. Voir les cas n”52 et 53 : 500-570680

La plaque-boucle, incomplète, figurée sur la planche aquarellée de
François Lecart, est ornée de quatre têtes humaines stylisées organisées en croix
au centre de la plaque. I1 s'agit d'un bronze moulé et étamé à décor venu de fon-
derie ; la plaque ronde représentée était fixée à la ceinture par trois languettes à
œillet se trouvant à son revers, les trois bossettes hémisphériques rivées n'ayant
qu'un rôle décoratif complémentaire. Les plaques-boucles de ce type sont
datables de la fin du VI' ou du début du VIP siècle. Patrick Perrin pense que leur
distribution géographique autorise à situer leur centre de fabrication dans le nord-
ouest du Bassin parisien, voire à Paris même ]'. La seule comparaison de décora-
tion humaine pour cet objet que nous avons pu retrouver dans la bibliographie
régionale récente se trouve dans le cimetière de Coudelancourt-Lès-Pierrepont
(Aisne) 14. La sépulture 228 b de ce cimetière présente une plaque-boucle de
même nature ornée d'une seule the humaine en son centre. La datation de cette
sépulture, établie par René Legoux a permis aux auteurs de la fouille de cerner
sa mise en place dans la fourchette chronologique comprise entre 560/70 et
630/40 16.
La découverte de ce cimetière, au nord de la commune actuelle de
Château-Thierry, au lieu-dit Les Chesneaux, permet de retrouver un jalon chro-
nologique important de l'occupation de ce territoire communal. L'absence de
sources écrites sur cette période du haut Moyen Age montre, à elle seule, l'inté-
rêt de telles observations matérielles. Cependant, de ces objets, il ne reste rien,
aucun ne nous est parvenu ". Cette première confrontation connue de Château-
Thierry avec une >, mise en rapport avec les ramas-
13. Voir notamment P. Perrin, Co1lection.s rnr'rovingierliie s..., op. cit. et en particulier les plaques-
boucles de ceinture inv. AM 896, 897. Sur ces plaques circulaires, nous renvoyons le lecteur h l'ar-
ticle du même auteur, >. op. cit., p.127-137.
M.-P. Fleche,

sages de surface d’objets sur le site du chdleau dévasté dans les premières décen-
nies du XIX‘ sièclc IX, a certainement contribué à la naissance d’une réunion loca-
le érudite, à l’instar des grandes villes proches (Reims, Laon ou encore
Soissons I”). En 1864, la Société historique apparaît.
Création et rôle de la Société historique
et archéologique de Château-Thierry
La Société historique et archéologique de Château-Thierry fut fondée le
9 septembre 1864, lors d’une réunion dans la grande salle de I’h6tel de ville
Les objectifs de cette assemblée savante du siècle dernier sont clairement men-
tionnés dans ses statuts ’’ : , sans que soit encore envisagée
I’élude concrète de sites. Les menibres de cette (< première D Société se recon-
naissent davantage comme des érudits de cabinet et des collectionneurs anti-
quaires. De nombreux mémoires et communications ont été publiés dans les
AnilLiles de ICI Société historique et rirchéologique de Chciteau-Thierry
18. Vente en bien national en 1793, mise en carrière des bâtiments, en particulier I’église Notre-
Dame, terrassements et nivellements pendant la campagne de France de 1814 par un régiment du
génie et transformation en parc de villégiaturc en 1844 par la municipalité occasionnèrent de noni-
breuses découvertes et fouilles sur lesquels nous ne connaissons rien ou peu de chose.
19. Certains membres fondateurs, comme notaniment Barbey ou Souliac, étaient régulièrement en
contact avec la Société savante de Soissons.
20. Pour mémoire, rappelons que, parmi les membre\ fondateurs, se trouvaient M. Buirette, curé de
Gland, M. Gourinain, curé de Chézy-l’Abbaye. M. Hachette, ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées, M. Petit, docteur en médecine à Chiieau-Thierry, M. Souliac, propriétaire à Chriteau-
Thierry, M. Usson, archiprelie de Château-Thierry, M. de Veilus, propriélaire i Brécy ... M. Usson
fut nommé président et M. Gourmain secrétaire de la Société. Le président d’honneur élait M. Viard,
sous-préfet de Chiteau-Thierry et le vice-président d‘honneur M. de Gerbrois, inaire de Château-
Thierry. Nous tenons ici à remercier M. Tony Legendre, actuel président de la Soc
archéologique. pour l’aide apportée à la rédaction de cet article.
21. Ils n’ont d’ailletm pas été modifiés depuis quant à leur objet.
22. L‘année 195 I marque la fin de ces publication\ régulière\. A la même date. les textes des socié-
tés savante5 de l’Aisne ont été regroupés dans les MPnioirc.c de /ci FPd6rclrion (/e,\ Soci6tc;s historiqrres
er nrchéolngiq~tr~
dr / ‘Aisrie, publication annuelle.
125

126 Frungois Blury
(ASHACT) ”. La nature de ces articles est en elle-même révélatrice de l’intérêt
des membres pour l’histoire de la ville de Château-Thierry. Ces textes sont tou-
tefois moins révélateurs quant à la part archéologique réellement jouée par la
Société. La lecture attentive des comptes rendus d’ouvertures de séance ’’ permet
de mieux se rendre compte de l’évolution des découvertes archéologiques faites
à Château-Thierry. En effet, ces ouvertures sont l’occasion de présenter des objets
récemment découverts, souvent fortuitement, lors de travaux agricoles ou de ter-
rassement. Ils sont alors confiés au jugement érudit de l’assemblée. La rapide
transcription de ces présentations d’objets publiée au début des Annales constitue
bien souvent le seul témoignage des découvertes archéologiques faites à Château-
Thierry. Nous avons procédé au recensement exhaustif de l’ensemble des décou-
vertes relatées dans ces ouvertures de séances concernant le territoire communal
de Château-Thierry. Le tableau récapitulatif qui figure en annexe permct de se
rendre compte de la grande quantité d’objets ainsi récoltés et soigneusement col-
lectionnés par la Société entre 1864 et 1926 ”. Mais il permet également de réa-
liser l’intérêt archéologique de ces découvertes pour la connaissance de la ville,
d’en mesurer la portée réelle pour la recherche actuelle.
DCcouvertes fortuites et discours d’antiquaire numismate
La Société se qualifie elle-même d’archéologique dès sa création. En
1 865, son président, Amédée Hachette, apporte quelques lumières sur l’acception
de ce terme et sa portée :
L‘intérêt pour les monnaies et médailles découvertes ici et là dans la ville
apparaît clairement dans ces séances de travail. I1 s’agit encore, d’une certaine
manière, de traces matérielles > ou du moins porteuses d’un message
intrinsèque plus ou moins directement compréhensible. Ce message autorise les
23. La lecture des statuts nous apprend que

discours d’érudition mais ne mène pas directement les membres de la Société à
s’intéresser au contexte urbain dans lequel ces numéraires ont été retrouvés. Sur
quarante-huit mentions relevées dans les comptes rendus de séances entre 1864
et 1926, vingt-six traitent quasi exclusivement de numismatique. I1 s’agit prati-
quement toujours de découvertes fortuites faites par des non-membres de l’as-
semblée. En grande majorité, les monnaies sont découvertes lors de travaux agri-
coles ou viticoles en périphérie de la zone urbanisée de Château-Thierry (à
l’ouest proche du village Saint-Martin, monnaies gauloises ou romaines). Lors de
constructions ou d’aménagements urbains (maisons particulières ou édifices
publics) quelques monnaies sont parfois rec~ieillies dans les fouilles de fondations
ou de murs. Dans tous les cas de figure, la démarche est empirique et ne donne
pas lieu à des travaux raisonnés sur le contexte de ces trouvailles isolées.
I1 est clair que la méthode stratigraphique est totalement absente de la
démarche de la Société de Château-Thierry jusque dans les années cinquante.
Pourtant, cette méthode a été inaugurée sur les sites préhistoriques d’Europe occi-
dentale, mais les membres de notre Société se contentent d’extraire des objets du
sol ou de recevoir en assemblée plénière des objets issus d’origines diverses et
d’émettre des conjectures sur le r6le de tel ou tel objet et son ancienneté. La
démarche de recherche concernant la ville est essentiellement historique.
Toutefois, ce désintérêt pour les traces matérielles urbaines médiévales ne doit
pas masquer l’effort consacré à la connaissance archéologique, notamment méro-
vingienne, comme en témoigne la présence de Frédéric Moreau au sein de la
Société et les recherches qu’il consacre aux cimetières mérovingiens de la vallée
de l’Ourcq. I1 fit don de nombreux objets issus des fouilles qu’il avait entreprises
à Brény, Armentières pour augmenter les collections de la Société.
La démarche de recherche concernant la ville n’en demeure pas moins
essentiellement historique. De plus, seules les origines antiques présumées de la
ville, totalement dépourvues de sources écrites, retiennent l’attention des cher-
cheurs. Les sources écrites, fortement lacunaires, font l’objet de quelques notices,
mais bien souvent il ne s’agit que d’emprunts au travail précurseur de l’abbé
Hébert. La réflexion sur la ville, son évolution son développement ne semble
guère avoir préoccupé les membres de cette première génération d’assemblées
savantes.
Du cabinet de collectionneur au musée d’histoire de la ville, de 1869 à 1876
Le 8 avril 1869, sous la présidence d’Amédée Hachette et sur l’initiative
de Mayeux, Encelain et Barbey, la Société prit les mesures nécessaires à l’ouver-
ture d’une souscription nationale ayant pour objet l’achat de la maison de Jean de
La Fontaine, dont le propriétaire, M. Guilloux, venait de décéder. Le but de cette
acquisition ” était évidemment de mettre en valeur la maison natale du célèbre
26. L‘achat de la maison natale de Jean de la Fontaine a ité réalisé par Alphonse Barbey, membre
fondateur de la Société.

I28
fabuliste et, surtout, de donner à l’assemblée savante un cadre qui lui soit propre
tout en se dotant d’un lieu pour accueillir et montrer les objets illustrant I’histoire
locale. La conception bien connue des musées de sociétés savantes a souvent
été soulignée pour son grand apport au démarrage d’une véritable démarche
scientifique ?’. Pendant près de vingt-cinq ans, la Société recueillit ainsi des objets
trouvés de toutes origines et de tous horizons ?*. Elle voulait que cette demeure
soit consacrée à l’établissement d’un musée, d’une bibliothèque ainsi que d’un
lieu de réunion. En 1876, la Société céda la maison à la municipalité de Chiteau-
Thierry lL) qui y établit une bibliothèque et un musée. En contrepartie, la Société
garda dans ce bitiment un local nécessaire à ses séances.
Les > conduites par la Société dès 1878
Quelques membres furent tentés de pallier l’absence de sources écrites sur
certains édifices ou secteurs de la ville par des recherches archéologiques de ter-
rain. I1 ne s’agissait pas encore de comprendre l’évolution de la ville, mais de trai-
ter ponctuellement certaines lacunes documentaires. Dans tous les cas, les
fouilles étaient provoquées par des aménagements qui donnaient l’occasion d’ou-
vrir le sol. Les méthodes d’excavations utilisées ne permirent pas, cependant,
d’en tirer toutes les informations escomptées.
Lu jbuille de la chLipelle du coLweiit des Cordeliers en 1878-1879
La construction du collège de Chiteau-Thierry, en 1807, sur les ruines du
couvent des Cordeliers construit en 1487, fit disparaître les dernières traces en
élévation de cet ancien établissement religieux intra muros. Les travaux d’exten-
sion de ce collège, entrepris en 1878, donnèrent aux membres de la Société I’oc-
casion de pratiquer une fouille de l’emplacement présumé de la chapelle. De
nombreux objets des XV‘ et XVII siècles furent alors mis au jour ‘I’. L‘excavation
pratiquée n’est pas dCcrite ni même dessinée, et aucun plan des structures qui
27. Essentiellement après la Seconde Guerre mondiale.
28. Ces objet? provenaient en effet de la région de ChBteau-Thierry, mais auszi de contrées beaucoup
plus éloignées des buts évoqtiés plus hauts, coniine en témoigne le don d’antiquités égyptiennes fait
par tin membre et accepté par la Société.
29. A ChBtcau-Thierry, le musCe d’histoire locale n’a jamais rCelleinent pris son Clan : la démarche
niuséographique fut orientée par ses Conservateurs successifs. h partir de M. Amanjean, vers la
mémoire du grand Ccrivain et relCgua les objets archéologiques dans les réserves inconiiues du public
et clans l’espace restreint du cabinet de la Société.
30. Un rapide inventaire de ceux-ci est drcssé dans l’ouverture de séance du I ’ octobre 1878. Une
grande partie de ces objets a it6 conservée dans le\ collections de la Socié16 : tin chandelicr en
cuivre : deux lainper; en cuivre (une h six becs et tine h quatre becs) : une cuillkre h pot en cuivre ;
un débris d’écuelle avec deux écussons [céramique glaçurée tit/ grujfiitrto du XVI, siècle] ; des débris
d’assiette en étain : un dé h coudre en cuivre ; une palette : deux tessons de vases : un pilon en
cuivre ; une fibule en cuivre avec le bouton d’allache : une fibule et un trépied en cuivre. Un de\\in
dc ces objets, réalisé par Varin. accompagne cette lisie.

auraient pu être découvertes n’a été réalisé. La notice rédigée par M. Barbey dans
les Annales de l’année suivante I ’ n’est guère plus illustrée. Aucune des structures
mentionnées par l’auteur ne peut être clairement positionnée. Cette fouille ras-
semble des objet5 sans tenir compte de leur contexte. Les conjectures sur la cha-
pelle font appel aux données érudites et historiques de l’abbé Hébert. Les don-
nées intrinsèques issues de cette excavation ne sont donc pas exploitées ou exploi-
tables, par absence de contexte.
Les ,fouilles clirx CliesrieLiiix lors de constrirction
de lm ligue de chemin de fer Anziens-Dijon, en 1884
En 1849, la création de la voie ferrée de Paris à Strasbourg passant par
Chitcau-Thierry contribua grandement au développement et à l’extension de la
ville sur la rive gauche de la Marne. I1 n’existe cependant aucune information
relative à des découvertes archéologiques sur le tracé de cette ligne I’. En 1884,
la ligne secondaire reliant Chiteau-Thierry à Nanteuil-Notre-Dame (aujourd’hui
déferrée) participa à la destruction des derniers vestiges de l’abbaye de Val-Secret
mais, en même temps, permit la découverte d’un cimetière mérovingien au nord
de la ville de Chriteau-Thierry, au lieu-dit Les Chesneaux. Une courte note ’‘ men-
tionne les travaux archéologiques de M. Barbey et la découvertes de nombreux
mobiliers issus de sépultures >, confirmant
du même coup les observations effectuées dès 1862. Aucune indication ne permet
de savoir si celles-ci ont été menées par des archéologues ou résultent, comme
nous le pensons, du suivi des excavations réalisées par les ouvriers de la voie fer-
rée et de la gare des Chesneaux (désormais désaffectée).
La quête des origines de la ville : démarches volontaires
et fouilles privées de 1889 à 1893
La recherche archéologique de ces années consiste en particulier à ranie-
ner le plus d’objets antiques possibles et, à partir de cette collecte hétéroclite, à
échafauder une réflexion sur l’origine de la ville de Chriteau-Thierry. La problé-
matique est avant tout historique. I1 s’agit de circonscrire le chef-lieu du pugus
otriieizsis préalablement étudié par Auguste Longnon, membre de l’Institut ’-I. I1
convient de retrouver à toute force les traces matérielles de l’antique aggloméra-
3 I. M. Barbey, (< Fouilles du college de Chiteau-Thierry D, ASHACT, 1879- 1880, p. 35-42.
32. Les archives de la Compngnie du chemin de íer de Paris i Strasbourg. déposées jusqu’i une date
récente dans une annexe de la gare de Chiteau-Thierry, 0111 malheureusement élé détruites wis avoir
pu faire l’objet d’une étude préalable. Les archives de la SNCF, récemment regroupées au Mans, ne
\emblent pas contenir de documents relaliti à de telles découvertes.
33. Compte rendu de séance du 8 janvier 1884. ASHAC7, 1884, p. 2-3. Ces fouilles n‘ont pas donné
lieu i un article.
34. A. Longnon,

130 Frcinqois Blary
tion appelée plus tard vicus d ’Oclomagus ou d’Ormus. La découverte fortuite de
quatre monnaies portant la mention Odomo,fit par un vigneron du village Saint-
Martin, à l’ouest de Château-Thierry, en 1888, excita la curiosité des chercheurs
érudits. De leurs conversations naquit bientôt l’hypothèse que la petite ville de
Château-Thierry pourrait avoir eu comme origine cet antique chef-lieu de pagus.
Deux membres de I’érudite assemblée, Harant et Maréchal, prirent à ceur
de vérifier cette hypothèse pour le compte de la société savante et entreprirent,
chacun de son côté, de découvrir les vestiges les plus remarquables de l’antique
occupation. Une course de vitesse s’engagea alors entre les deux hommes
pendant quatre ans, entre 1889 et 1893.
Les fouilles ne sont plus alors réalisées au hasard de travaux d’aménage-
ments urbains. Elles relèvent d’une démarche volontaire répondant à une problé-
matique de recherche préalablement posée. Cette période de recherches concur-
rentes apparaît régulièrement dans les comptes-rendus de séance publiés dans les
Annalrs. Les recherches portent essentiellement sur deux lieux-dits, les Hérissons
et les Praillons, petite colline sise à l’ouest de Château-Thierry, à proximité du
village de Saint-Martin. Les deux chercheurs mènent dans ce secteur, occupé par
des vignes et des cultures maraîchères, de nombreuses fouilles, tant dans les sen-
tiers que dans diverses propriétés. Cette quête, financée directement par les
archéologues eux-mêmes, se traduit par une abondante moisson et un dépôt d’ob-
jets gallo-romains triés en fonction de critères esthétiyues (beauté intrinsèque des
objets, de préférence complets ou peu fragmentés) et de monnaies. A ces collec-
tions viennent s’ajouter les monnaies trouvées par les vignerons de Saint-Martin
et données à cette docte assemblée.
Les travaux de M. Harant - les plus organisés et les seuls publiés ’5 -
s’attachèrent à ramener du

L’archkologie à Chdteau-Thierry 131
Fouilles da fondations de la Banque de France, 1928, carte postale, coll. pnv& Y. l?
Une fois la preuve matérielle de l’existence de cette agglomération secon-
daire antique établie, les recherches n’avaient plus réellement d’objet. Le pro-
gramme atteint, elles s’arrêtèrent en 1893, aussi simplement qu’elles avaient
commend. Le site repéré ne donna pas lieu à plus d’approfondissement. Ces pré-
mices d‘une > montrent un fort potentiel d‘6tude mais
qui ne fut pas concrètement entrepris. Les >, ASHACT, 1893,
p. 65-71.

dernières nientions d’objets archéologiques apparaissent en 1926 ”. Les fouilles
du chantier de la Banque de France, en 1926, sur la rive gauche de la Marne,
furent l’occasion de quelques découvertes monétaires mais les éventuelles struc-
tures d’habitats dont elles étaient issues restèrent non observées. En fait, la sur-
veillance > s’amoindrit et disparut. Les articles consa-
crés à Chdteau-Thierry après cette date se contentent d’aborder quelques ajuste-
ments sur des aspects mineurs. Le discours sur la ville demeure historique et
puise souvent aux même sources, paraphrasant les fameux mémoires de l’abbé
Hébert, ou se réfugient derrière les quatre articles majeurs de Georges
Pommier “). L‘histoire de la ville semble comme figée voire établie.
Nouvel essor de l’archéologie au sein de la Société
dans les années 1950-1960
Les Aizrzirlrs de la Société de Chdteau-Thierry, de fréquence irrégulière et
souvent en pénurie d’articles, finirent par disparaître dans les Bulleths fédéra-
teurs des Sociétés de l’Aisne, elles-mêmes confrontées aux mêmes difficultés, en
195 I. A cette époque, l’archéologie a disparu de la ville, l’intérêt des chercheurs
est ailleurs. C’est le grand essor de la prospection archéologique et des fouilles
préhistoriques loin de la ville. Par provocation, nous serions tentés de parler
d’une archéologie de la campagne. Les données sont directement accessibles et
ne nécessitent pas de grands moyens pour exercer les recherches. Ces recherches
mettent en place les premiers Cléments de la carte archéologique de notre région
et permettent d’initier les membres aux méthodes modernes d’investigation, la
stratigraphie et les sériations d’objets. Les prospections archéologiques terrestres
et aériennes conduites par divers chercheurs locaux “’ définissent les grandes
lignes de l’archéologie moderne de notre région mais ne s’intéressent pas encore
à l’archéologie médiévale et encore moins h celle de la ville.
La Société confrontée aux fouilles urbaines de sauvetage de 1960-1980
En 1964, forte de son passé de recherches archéologiques datant essentiel-
lement de la tin du XIX siècle, la Société de Chdteau-Thierry fêta ses cent ans
38. Le volume des Annules regroupe le\ année\ I922 h 1926.
39. G. POMMIER, (( Nos vieux mur\ Le Chiteau de Thierry ; essai de reconstitution. Partie 1 >>,
ASHACT, 1908, p. 238-289 ; >. ASHACT, 1909, p. I97 258 ; (( Nos vieux mur5 La ville de Chiteau-Thierry. Partie I >>,
ASHACT, l9l4I9l9, p. 137-170 et (< No.; vieux murs La ville de Chiteau-Thierry. Pulie II >>.
ASHACT. 1920- I92 I. p. I 13-227.
40. Citona notamment le\ trwatix pionniers de pro\pection terrestre ou aérienne et de fouille de
Roger Chevalier. René Purent. Pierre Fagot ou encore les fouille\ mCwlithiques de Jacques Hinout.

d’existence ‘l. La même année, le projet de construction d’un grand ensemble
HLM dit des Vaucrises vit le jour sur le site du vicus d’Odumugus découvert par
la Société. Celle-ci s’émut et alerta les services competents de l’époque. M.
Vigné ‘?, professeur d’anglais et membre de la Société, se vit confier par Ernest
Will, directeur des antiquités de Picardie, l’autorisation de fouilles. Avec toute sa
bonne volonté, il essaya alors de coordonner des fouilles de sauvetages héroïques
sur une surface concernée par les travaux de près de dix hectares (!). Dépourvue
de moyens financiers suffisants, de fouilleurs qualifiés, de méthodes adaptées,
soumise aux sarcasmes des entreprises du bâtiment, la petite équipe bénévole
baissa finalement les bras, non sans avoir essayé de conserver le plus possible de
vestiges. Les divers objets recueillis en deux mois de fouilles furent localisés
sommairement sans pouvoir ni observer les contextes stratigraphiques ni relever
les structures mises au jour. Ils témoignent de l’importance de cette agglornéra-
tion antique mais ne permettent pas d’observer précisément I’évolution de la
topographie urbaine. En 1965, le constat était amer. La Société savante ne pou-
vaitt faire face seule à de tels travaux d’urbanisme modernes.
La construction de l’ensemble HLM dcs années 1964-65 concernait une
zone de cultures maraîchères à l’ouest de Château-Thierry et non le cccur de la
ville. Lorsque furent lancés les aménagements de nouveaux lotissements, dans les
années /U, la Société historique ne pouvait plus que déplorer la destruction de
vieux quartiers, comme celui des Filoirs, sur la rive gauche de la Marne. Cette
fois, ce fut la démission complète, aucune surveillance, destruction quasi-com-
plète d’un quartier ancien dépourvu de mémoire écrite. De nombreux mcmbres
de la Société, à cette époque, s’inquiétèrent de ces pertes irrémédiables des
archives du sol de la ville.
Structuration de la recherche et gestion du territoire communal
Au milieu des années 80, la ville décida d’aménager le site du château et
un projet touristique fut mis en place -I’. En 1986, le service régional de I’archéo-
logie de Picardie incita la municipalité à se doter d’un service archéologique pour
effectuer les recherches préalables à l’aménagement du projet. Très vite, l’unité
d’archéologie municipale dc Château-Thierry fut confrontée, au-delà de l’opéra-
41. A t,wi’e/:t l’histoire de C/7ritetrir-T/ii~r,?.,
exposition de la SHACT lenue du 24 mai au 16 août
1964 à la maison natale de Jean de la Fontaine.
42. Nous tenons ici à lui témoigner notre reconnaishance pour le dévouement dont il a fait preuve et
pour le dépat spontané, lors dc la création du service archéologique municipal, du matériel issu de
ces fouilles.
43. Des recherches d’amateurs réalisées sur le chiteau avaient donné l’idée d‘un tel projet. En 1973,
deux sondages de 2 m x 2 ftireni réalisés par Jacques Hinout, nienibre de lii SHACT, à la demande
de la municipalité. De 1977 à 1985, une association appelée Amis du Vieux Château dégagea les
abords de la porte principale du site de Saint-Jean.

tion de fouillcs spécifiques du chbteau, à la gestion des fouilles préventives
urbaines. En moins de quatorze ans, ce sont près de quarante interventions de
fouilles urbaines préventives qui ont pu être réalisées et menées à bien. La mise
en œuvre de techniques modernes d’investigations, de gestions des données
archéologiques, d’un laboratoire de conservation et de restauration adaptée ont
permis de compléter les travaux commencés sous I’égide de la Société savante de
Chbteau-Thierry et de renouveler l’histoire de la ville. De nombreuses publica-
tions et travaux universitaires permettent de rendre compte de cette avancée et du
renouvellement des connaissances. De (< pourvoyeuse d’objets D, l’archéologie
est clairement devenue localement >. La complémenta-
rité du service archéologique de la collectivité territoriale et de la Société est évi-
dente et a permis de raffermir l’intérêt des habitants pour I’étude du passé de la
petite ville d’accession médiévale, du château qui lui a donné naissance et de
l’agglomération secondaire antique qui l’a précédé.
A ce nouveau passage de siècle, I’auvre de la Société historique et archéo-
logique de Château-Thierry se poursuit, renforcée et appuyée par un service de
collectivité territoriale adapté aux contraintes de l’archéologie urbaine et à sa ges-
tion. A l’heure où notre société subit de profondes mutations, demandant à tous
un effort constant d’adaptation, l’archéologie a un rôle important à jouer dans la
définition et le maintien d’une identité culturelle locale.
Ces quelques considérations historiographiques sur la lente émergence
d’une archéologie locale sont écrits entre deux opérations archéologiques pré-
ventives urbaines de grande ampleur permettant de considérer, pour la première
fois dans l’histoire de la ville, I’évolution complète de deux quartiers du bourg
intra muros. La première, sous la future médiathèque, a permis de retrouver le
couvent des Cordeliers de 1487 et une portion de l’enceinte antérieure à celle,
encore visible, du XIIIe siècle ; la seconde, d’explorer un quartier conjtruit sur un
ancien bras progressivement asséché de la Marne. Les fouilles du chbteau per-
mettent déjà de reconsidérer les données issues des travaux érudits de Hébert ou
de la Société. Ces perspectives d’étude permettent d’envisager encore un long
avenir à la recherche archéologique de notre ville et un regain d’intérêt pour les
travaux de notre Société, consciente d’elle-même et du rôle qui lui revient.
Franqois BLARY

ANNEXE
Tableau récapitulatif : Inventaire exhaustif des découvertes archéologiques
faites iì Chlteau-Thierry mentionnées dans les ouvertures de séances de la Société
historique et archéologique de Chlteau-Thierry.
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dciiiuverlc
"lllllc
135
4
IXh?,
p -104:
I SOS,
p. 53
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I Xhh. p. 49-J I.
l867.p 34
1x73.
p ?O?I
lh7-1. p. 15
7
IX75.P 15
IX7X. p. 15 :
I x79 XII.
p. 35 42
IXS1. 1). 37
I xxx. p. xs

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Les historiens du dimanche en Thiérache
Milieu érudit et société savante, 1837-1973
Les premiers érudits vervinois au XIX‘ siècle
Nous ne savons rien de la vie culturelle et intellectuelle de Vervins depuis
le XVIII’ siècle jusqu’à la Restauration. Cette histoire n’a pas été faite et nous
ignorons s’il existe une documentation permettant de l’engager. Nous ne décou-
vrons une trace des intérêts intellectuels propres à certains milieux instruits de
Vervins que dans le second quart du XIX“ siècle. I1 s’agit du Journal de Vervins,
un hebdomadaire d’annonces, dont le premier numéro paraît le 14 décembre
1837 I. Dans son prospectus de lancement ?, la rédaction onidit des pages aux
érudits locaux : > C’est un imprimeur
vervinois, Léandre Papillon, qui fonda et anima ce journal, assisté de son frère,
Ferdinand. Fils d’un couple d’instituteurs ’, les jeunes gens n’avaient pas accédé
à des études supérieures niais pratiquaient la gravure et la lithographie.
Leur projet d’histoire locale avait certainement été conçu avant même la
parution du journal car, dès le 1“ mars 1838, ils commençaient la publication, en
suppléments gratuits et illustrés, des Essciis historiques sur [LI Ville de Vervins
d’Amédée Piette. Les feuilletons furent rassemblés et réédités sous le même titre
en 1841 J. Ce petit opuscule inaugurait l’histoire régionale, il était par ailleurs le
premier ouvrage de celui qui allait travailler durant trois décennies à la consoli-
dation d’un milieu savant, collectionneur, amateur et producteur de travaux éru-
dits. Six ans plus tard, en 1847, Léandre Papillon imprima les recherches de Pietle
sur l’abbaye de Foigny ’.
I. Le titre complet était : Journrrl de Vervins, filiille d’crrrriorlces légalcs et volontaires ; Faits, Aiiv
divers, No~i~elle.~ loccdes ; Iridustrie, Commerce : agricxlrure, horticulture., lii.ctoire. anricpir/s, titté-
niture. Quelques années plus tard, il deviendra le Joun7nl de Vervins, & Gui.ve et de l’arrondisse-
rllellt.
2. Ce prospectus a été con\ervC par la Société historique et archéologique de Vervins et de la
Thiérache (SAHVT). Lorque nous nous référerons CI des documents faiwnt partie des collections de
la SAHVT, nous indiquerom désormais : Arch. SAHVT.
3. Les époux Papillon-Labois n’eurent que deux fils, tous deux nés Vervin\. Léandre le 30 janvier
18 I3 et Théodore Ferdinand le 24 août I8 IS.
4. Ils feront l’objet d’une première réédition en 1931. d’une seconde par Res Universis en 1988 et
d’une troisième en 1998, toujours par Res Universis.
5. Amédée Piette, Ni.vtoire de l’trbbnje de Foig/ij, Vervins, inipr. Papillon. 1847.

I38 Clautlir~r Vidtil. Alciin Britrirt
Cette association entre les frères Papillon et Amédée Piette, fondée sur leur
goût commun pour l’histoire locale, partait du même attachement à leur lieu de
naissance, attachement que Piette évoqua à plusieurs reprises dans ses écrits.
Amédée n’avait que cinq ans de plus que Léandre, les maisons de leurs parents
étaient voisines 6. Piette, que sa carrière dans l’administration des impôts obligea
à changer plusieurs fois de résidence, ne vécut pas à Vervins. I1 demeura cepen-
dant à Laon de 1846 à 1866, puis se fixa à Soissons oh il mourut en 1883.
1849-1865 : de Vervirzs Ù Ici Thikruche
L‘installation de Piette à Laon, le rapprochant de Vervins, permit de lancer
une entreprise plus ambitieuse : la publication, en 1849, de mélanges historiques
regroupés sous le titre La Thiémche ’. Le volume comprenait des suppléments du
Jouriial de Vervins et des textes nouveaux.
L‘introduction justifie l’extension de l’intérêt historique à l’ensemble de la
Thiérache en s’appuyant sur la thèse que les > forment, pour
employer un vocabulaire moderne, une unité culturelle et une unité de compréhension
: ) Par ailleurs, le but de la parution
se veut d’utilité publique : pallier l’absence de bibliothèque en Thiérache en
regroupant des textes épars et difficiles d’accès. Cette intention va au-devant
d’une critique qui s’en prendrait au caractère incontestablement disparate de la
publication. De fait, sont rassemblés des textes de statuts très différents : des
> comme de longs articles, des descriptions minutieuses de monuments
ou de médailles comme des ) (soit des reproductions
intégrales de documents d’archives), des recherches originales comme des
extraits d’ouvrages déji publiés. I1 n’y a pas de période privilégiée, les textes vont
de l’archéologie celtique (>) au choléra de 1849 ’.
Enfin le

Le volume est introduit par une brève notice sur la Thiérache, rédigée par
Piette et déjà publiée dans les suppléments du J~iir-~l de Vervins. L‘auteur
reconstitue à grands traits l’unité historique et géographique du pays depuis le
Xc siècle, non sans rendre hommage à I’œuvre d’un précurseur, le bénédictin
Dom Le Long qui publia une histoire du diockse de Laon dans le dernier quart du
XVIII‘ siècle,

140 Claudine Vìdul, Alain Brunet
Piette, vervinois et cousin d’Amédée, Arthur Demarsy, un chartiste, qui écrit,
dans cette livraison même, le premier article sur les églises fortifiées. I1 était fils
du comte de Marsy, procureur à Vervins durant quelques années (1 85 1 à 1856),
qui s’intéressa également à l’histoire régionale. La Thiémche de 1865 publie son
étude sur des procès faits à des cadavres aux XVII et XVIII‘ siècles, ainsi qu’un
catalogue des plantes sauvages de la Thiérache. Le magistrat fut membre de plu-
sieurs sociétés savantes, notamment de la Société académique de Laon et de la
Société des Antiquaires de Picardie, à laquelle son fils appartint également.
En une trentaine d’années, Amédée Piette et Léandre Papillon persistèrent
à faire exister une histoire locale, à lui constituer un public, a susciter des voca-
tions de recherche. Nous ne savons pas très bien quel accueil ils reçurent, cepen-
dant des Cléments laissent penser que certains milieux s’y intéressaient réelle-
ment : par exemple l’opuscule consacré aux > fut imprimé
grâce à une souscription. Cependant, si l’on retient que les deux numéros de La
Tliie‘rcrche II, publiés à seiLe ans d’intervalle, reprenaient pour le principal des
textes déjà parus en suppléments du Journal de Vervins, le développement des
recherches savantes semble bien lent. I1 reste que la comparaison des deux numé-
ros laisse percevoir des changements essentiels.
En premier lieu, de nouveaux auteurs s’intéressent à l’histoire locale et
renforcent le duo Piette/Papillon qui fournissait jusqu’alors le plus gros de la
copie. Même s’ils sont encore peu nombreux, leur apport diversifie et enrichit la
recherche. Mais le fait novateur est qu’ils ne sont pas seulement des notables éru-
dits, originaires de la région. Pour eux, comme pour Amédée Piette, le statut
d’érudit provient de leur appartenance à des sociétés savantes ; par là, ils impor-
tent une sociabilité qui déborde le petit monde des connaisseurs de l’histoire thié-
rachienne. En effet, la sociabilité propre à ces sociétés incite les auteurs à suivre
des manifestations organisées à l’extérieur de la région, à y communiquer leurs
travaux, à écouter ceux des autres ; elle opère également la séparation de la liai-
son > entre lieu de naissance et pratique de l’histoire locale. Ainsi,
des fonctionnaires, membres de sociétés savantes, non pas nés niais nommés en
Thiérache, jugent-ils normal d’effectuer des recherches sur le passé de la région.
La Société archéologique de Vervins : première période (1873-1905)
Des publications, aussi rares et espacées fussent-elles, avaient démontré
que le travail érudit pouvait enrichir de significations inédites les monuments et
les lieux du pays. Elles avaient aussi suscité le désir de rattacher un terroir bien
peu connu à la >. Enfin, le cercle des amateurs - que ce fût par
snobisme ou par goût sincère de l’histoire - s’était élargi. Les conditions socio-
Il. Nou ignorons le tirage de ceb deux volumes, mais il semblait Irks rkduit. On pcut même penser
que le second recueil eut un tirage quasiment confidentiel. Seuls quelques rares exemplaires sont
connus.

logiques propices à la création d’une société savante étaient bien réunies à la fin
des années 1860. C’est pourquoi la guerre de 1870 ne la retarda guère puisque la
Société archéologique de Vervins fut officiellement constituée en 1873.
Lu créatioiz
En 1872, le nouveau propriétaire de l’imprimerie et du Journul de Vervins,
A. Flem, lithographe, comme son prédécesseur, annonçait la publication men-
suelle de documents sur la Thiérache servis à ceux qui s’y abonneraient spéciale-
ment et non plus de suppléments gratuits du journal, comme ce fut le cas trente-
cinq ans auparavant. Les douze livraisons furent rassemblées dans un recueil inti-
tulé La Thiérache. Une intére nte annonce aux abonnés terminait le volume 12.
Le rédacteur précisait que l’ouvrage, abondamment illustré et tiré à 300 exem-
plaires, avait coûté 2 500 francs, somme que les 180 souscriptions ne couvraient
pas et de loin ”. Toujours est4 que cet effort accompagnait la création de la
Société qui allait désormais assurer les publications suivantes. >, non signée mais dont I’érudition doit beaucoup à Amédée Piette
et à Auguste Matton, l’archiviste départemental, inaugure le genre des monogra-
phies villageoises dont le succès ne Fdiblira pas.
12. La Thiérache. recueil de docurrirrits com’errimit I‘hi\toire, les Beciu.r-cirts. les scierices nuturelles
et I’hzdirstrie de cetle oiicicwie sitl~tlivision de /ti P icfidie, 1872. deuxiPme volume, Vervins,
Imprimerie de A. Flem. lithographe. 1872, p. 203.
13. L‘imprimeur dut certainement avancer ce qui mnnquait. Peut-Clre fut-il aidé par des donateurs,
mais nous l’ignorons.
14. Il mourut en 1883, la même année qu’Ainédie Pictte.

142 CIriuclirze Virltil, Alriin Brunet
Cette publication avait été décidée par un comité qui jugea le moment
venu de former une société savante. I1 arrêta ses statuts en décembre 1872 et la
Société archéologique de Vervins fut autorisée le 17 janvier 1873. Les membres
fondateurs étaient au nombre de trente-deux. Certes, il s’agissait d’un groupe de
notables, mais la composition du milieu était sociologiquement diversifiée : sept
fonctionnaires civils, deux militaires, quatre magistrats, deux ecclésiastiques,
deux enseignants, trois membres de professions libérales (médecin, pharmacien,
géomètre-expert), deux élus locaux (le maire de Vervins et le conseiller général
de l’arrondissement), deux entrepreneurs (dont A. Flem, imprimeur et directeur
du Jarrizcil de Vervins), quatre propriétaires et rentiers, trois retraités Is. Durant
l’année 1873, la Société s’attacha à recruter de nouveaux membres titulaires et
des membres correspondants dans le département (notamment Edouard Fleury,
président de la Société académique de Laon et Amédée Piette, à ce moment vice-
président de la Société archéologique de Soissons), dans la région picarde, à Paris
(notamment Ernest Lavisse, originaire du Nouvion et déjà célèbre à cette époque)
et jusqu’à Oxford. A la fin de l’année, elle comptait 47 membres titulaires et 56
correspondants (qui seront 6 1 l’année suivante).
Les statuts, conformes au modèle de l’époque, prévoient une cotisation
annuelle de quinLe francs pour les titulaires et huit francs pour les correspon-
dants, donnant droit au Bullerin annuel. Ce ne sont pas des montants négligeables
mais ils ne signifient pas particulièrement une intention d’homogénéité sociale et
culturelle, homogénéité que, par ailleurs, préservent les conditions d’accès : deux
parrains, membres titulaires, et l’acceptation de la majorité des votants. I1 ne
semble pas pour autant que la Société ait favorisé une attitude férocement élitis-
te. Le rapport presque égal, dès la première année, entre le nombre des titulaires
et celui des correspondants l’atteste, alors que d’autres sociétés se fermaient aux
milieux moins bien situés dans la hiérarchie sociale en limitant de façon drastique
l’accès au groupe des titulaires.
La Société se réunissait mensuellement à l’hôtel de ville, le Biillrtiri don-
nait les comptes-rendus de séance et, de plus en plus systématiquement, le texte
des conférences ou des travaux présentés. La première séance (20 décembre
1872) fut consacrée à l’allocution du président, Édouard Piette If’. Elle appelait
principalement à un programme archéologique s’étendant de la préhistoire à
I’étude des abbayes et des chsteaux. Elle invitait aussi à mener des recherches à
partir des archives départementales, dont Auguste Matton venait d’établir un
inventaire sommaire, et signalait une source importante, les anciennes minutes de
notaires.
IS. La liste des membres fondateurs, ainsi que les statuts de la Société. sont publiis dans Lcr
Tliilroc~lw, Birlletiri ile lo SociPtP A~c~hPolo~~i~~ire (le Vervins, 1873, p. 1-5.
16. Édouard Piette, un ancien banquier de Vervins, avait été brièvement maire de la ville et député
de l’arrondissement. Son fils, Alfred, un juriste. était également membre titulaire de la Société.
Édouard, nous l’avons rappelé, était cousin d’Amédée Piette mais aussi d’un autre Édouard Piette,
surnommé >, car il était l’un des fondateurs de lu science préhistorique en France.

Jean-Pierre Chaline, dans son indispensable ouvrage de synthèse sur les
sociétés savantes en France, a établi les rythmes de créations de ces sociétés au
XIX.‘ siècle ”. II est intéressant de constater que leur institution dans le départe-
ment de l’Aisne reflète la périodisation établie par l’auteur. Le Premier Empire
n’avait pas suscité un contexte favorable à la création de groupements savants
dont le nombre resta stagnant (les créations ne compensant pas les disparitions).
En revanche, le régime des Bourbons Fdvorisa une reprise des activités savantes,
reprise très sensible dès 1820. De fait, si aucune société ne s’organisa dans le
département de l’Aisne durant le Premier Empire, le milieu érudit de Saint-
Quentin fonda, en 1825, la Société académique des sciences, arts, belles lettres,
agriculture et industrie, sous l’impulsion d’un fonctionnaire du fisc et archéo-
logue qui avait été affecté dans cette ville I‘. La monarchie de Juillet fut, elle
aussi, propice au développement des sociétés savantes. Ainsi le CTHS (Comité
des travaux historiques et scientifiques) fut-il institué en 1834 à l’initiative de
Guizot, lui-même fondateur de la Société de l’histoire de France. A cette période,
les activités savantes prirent, dans le département de l’Aisne, une ampleur visible
dans des publications spécialisées (entre autres, les suppléments historiques du
Jouriial de Vervins dont les premiers, on s’en souvient, parurent en 1837). La
Société archéologique, historique et scientifique de Soissons fut créée en 1847.
La révolution de 1848 et la II’ République ne brisèrent pas ce mouvement ascen-
dant qui s’amplifia encore sous le Second Empire. Le département de l’Aisne ne
resta pas à I’écart des tendances nationales : 1850, Société académique de Laon,
1860, Société académique de la région de Chauny, 1864, Société historique et
archéologique de Château-Thierry. Sur le plan national, les créations reprirent
après la guerre de 1870 avec une rapidité inconnue jusque là. La Société archéo-
logique de Vervins ( 1873) s’inscrit bien dans cette reprise qui culmina dans les
premières années de la III République.
Ainsi les sociétés savantes dans l’Aisne se sont-elles développées selon un
rythme conforme à la périodisation nationale ; elles correspondent également,
d’un point de vue géographique, à une tendance caractéristique des régions nord
de la France. J.-P. Chaline repère deux types de cristallisation institutionnelle des
sociabilités érudites qui sont, de toute façon, un phénomène urbain : le monopo-
le de chefs-lieux, grandes cités qui concentrent à peu près toute l’activité savante
du département (ce qui est le cas, par exemple, de la région toulousaine) ou, à
l’inverse, la dissémination de cette activité entre les villes, préfecture et sous-pré-
fectures (bien visible entre autres dans la région picarde) ”. L‘Aisne relève du
17. Jean-Pierre Chaline, Socirrhilite‘ et ériditiorz. Les .socirifP.s SC~V~III~L‘S
eli Frcuice, Pans, Éditions du
CTHS, 1998.
18. 11 s’agit de Charles-Florentin-Jacque\ Mangon de La Lande qui, dans les différentes régions oÙ
il fut affecté, incita systématiquement les milieux érudits B 5e constituer en sociétés savantes (J.-P.
Chaline, p. 259).
19. Un troisième type combine l’existence de pfiles concentrant un nombre important de sociétés.
sans que cela empêche les petites villes de \e doter d’un organime savant (J.-P. Chaline. p. 97.102).

I44 Cltririlirir Vidtrl. Altrin Brrrtirt
second type qui traduit à la fois le goût de certains milieux aisés pour des activi-
tés désintéressées de connaissance et les rivalités entre les villes. II reste que, si
les érudits vervinois semblaient prêts à s’organiser dès la fin des années 1860,
l’énergie préfectorale fut indispensable à la mise en œuvre finale du projet. Ils le
reconnurent d’ailleurs explicitement et conférèrent au sous-préfet le titre de pré-
sident d’honneur de la Société. Ce titre fut également offert, la même année, au
duc d’Aumale, qui possédait de nombreuses propriétés dans l’arrondissement, de
sorte que la Société put, comme souvent les groupements de cette époque, s’en-
orgueillir de compter parmi ses membres un représentant du gotha nobiliaire.
Le microcosnie de ICI SociPtP
La composition sociologique des membres de la Société vervinoise ne dif-
fère pas des tendances observables ailleurs, dans des sociétés qui ont le même
type d’intérêts : prédominance des professions relevant du service public (fonc-
tionnaires de pouvoir. personnel judiciaire, militaires et prêtres), professions libé-
rales (juristes, médecins, pharmaciens) et rentiers divers (ou

FranGois Rogine. Ce bureau lut reconduit l’identique jusqu’en 1890. Durant
dix-huit ans donc, ces homines assumèrent plcinement leurs fonctions. Edouard
Piette et Léandre Papillon avaient respectivement 67 et 60 ans en 1873, Eugène
Mennesson, 42 ans. Les deux premiers disparurent en I890 et Eugène Mennesson
devint président ; il avail alors 59 ans. II mourut doue ans plus tard, en 1902, et
fut remplacé par le docteur Penant (né en 1827, médecin à Vervins depuis 1859)
qui décéda en 1909.
Piette et Papillon, les premiers, bientôt rejoints par Penant, puis par
Mennesson, avaient déjà mené ensemble des travaux d’histoire locale, avant même
la création de la Société. Ces quatre érudits et François Rogine, professeur de
sciences au collège de Vervins, spécialiste de géologie thiérachienne, animèrent les
réunions, assurèrent les liaisons extérieures avec les correspondants et les sociétés,
rédigèrent l’essentiel des Bulletirzs. Ainsi, lorsqu’en I883 la Société académique de
Laon organisa un congrès départemental des sociétés du département, le bureau de
la Société archéologique de Vervins la représenta : les communications étaient
signées de Rogine et Mennesson. Incontestablement, durant plus d’un demi-siècle
(dont une trentaine d’années à la Société), ils avaient maintenu la continuité des
activités propres au milieu érudit et profité des opportunités liées à la cristallisation
institutionnelle de ces activités en une société savante reconnue pour donner une
forte impulsion à l’histoire locale. De fait, s’il y eut peu de publications avant 1873,
la Société édita 2 1 numéros de Ln Thit:rcrthe jusqu’en 1905.
Ce petit groupe sut conserver sa cohésion, charpenter les intérêts et les
activités de connaissance, préserver à cette époque d’intense effervescence poli-
tique l’autonomie et la sérénité de la recherche locale. Cependant, il ne réussit pas
à élargir le public des amateurs plus ou moins actifs (les correspondants), ni à ral-
lier des hommes plus jeunes, différemment formés, susceptibles d’ouvrir de nou-
velles pistes. C’est pourquoi la Société connut un déclin continu des ses effectifs
et de ses activités jusqu’au point de risquer la pure et simple disparition.
En 1873, à la fin de sa première année d’exercice, la Société comptait 103
membres. Elle augmenta ses effectifs jusqu’en 1877 où elle alteint 1 I6 membres.
A partir de celte année, le nombre des adhérents commença à décroître lentement
mais régulièrement, diminuant en moyenne de quatre ou cinq personnes par an.
En 1880, trois ans plus tard, la Société avait perdu 21 membres et sa composition
sociale commençait i différer de celle qu’elle présentait en 1873. Parmi les 38
membres titulaires, le nombre des retraités ( I 2) était devenu presque équivalent à
celui des fonctionnaires (I 3) : proportion qui atteste le vieillissement de ce grou-
pe, le non-remplacement des disparus, landis que la proportion entre agents de
1’État et l’ensemble des autres membres n’est plus égale. En revanche, le nombre
des agents de 1’État prédominait encore parmi les correspondants (19 sur 57) : il
s’agissait en fait de fonctionnaires, originaires de la Thiérache mais en poste
ailleurs, comme Amédée Piette ou Ernest Lavisse. En 189 1, ne restaient que 22
titulaires (et 39 correspondants). La liste des titulaires, comparée à celle de l’an-
née 1880, montre que, si la SociCté avait réussi à attirer quatre nouveaux membres
(un journaliste, un architecte, un avoué, un propriétaire), elle n’avait pas
remplacé les 14 titulaires

I46 Clnudirie Vidirl. Alain Brunei
En 1902, lorsque décéda Eugène Mennesson, son successeur, le docteur
Penant constatait : > Le nouveau président annonçait l’admission de huit nou-
veaux membres titulaires - un notaire et son fils, un avoué et son fils, le fils d’un
autre avoué lui-même membre titulaire, un médecin - et de deux membres cor-
respondants - un abbé, professeur de rhétorique, et un journaliste, rédacteur du
Républicain Vervinois. Cette liste donne à voir combien la Société s’était refer-
mée sur un petit milieu de juristes vervinois (d’autres membres titulaires sont des
notaires en retraite, un ancien greffier, deux avoués) qui, pour faire nombre, pré-
sentaient leur fils. Le docteur Penant avait alors soixante-quinze ans. I1 mourut en
1905. Son successeur, le docteur Gannelon, n’arriva à publier le tome XXI de Ln
Thiéruche qu’en 1908 ; ce dernier recouvrait les années 1904 et 1905. I1 n’y avait
presque plus de réunions, la trésorerie était au plus bas. La Société ne comptait
plus que quatorze titulaires : huit (< anciens >> (ils étaient déjà là en 1891) et six
nouveaux. Ces derniers comptaient deux propriétaires (dont une femme, fille
d’un titulaire décédé), deux avoués, un ancien notaire, un médecin. I1 n’y avait
plus de fonctionnaires. La Société, désormais coupée du milieu des agents de
I’État, n’avait pas pour autant élargi son assise dans la société notable de la région.
Isolée, elle cessa toute activité en 1905 et ne conserva plus qu’une exis-
tence formelle ”. En effet, les relations statutaires furent maintenues. Ainsi,
Charles Gannelon, toujours président en titre, envoyait, en 1925, une lettre circu-
laire aux membres de la Société où il rappelait : > Presque éteinte peu avant la première
guerre mondiale, elle allait reprendre vie juste avant la seconde, en 1937.
De la collection cì lu mise en histoire : les prutiques suvurites ’’
La Société archéologique de Vervins réunissait des personnalités diverses
dont les formations, les activités et les intérêts différaient. Cependant, un trait
commun peut être attribué à tous sans grand risque d’erreur : ils étaient des col-
lectionneurs acharnés. Trait nullement original d’ailleurs durant ce siècle où éru-
22. La Thiérache, Lome vingtième, années 1902 et 1903, séance du 21 octobre 1902, p. 61.
23. Sur ce point, la Société vervinoise évolue dill‘éreminent des sociétés axonaises. Par exemple, en
1905. au moment oil la première disparaissait, les sociétés de Laon et de Soissons voyaient la cour-
be de leurs effectifs se redresser fortement entre 1905 et 19 13.
24. Lettre manuscrite du docteur Charles Gannelon, datée du 15 mai 1925, Arch. SAHVT.
25. Un tableau sociologique des sociétés savantes de l’Aisne au XIX siècle et une enquête sur leurs
objets d’étude ont été effectués par Marc Le Pape : N Vers une histoire des goûts savants. La décou-
verte des églises fortifiées de Thiérache, 1840- I939 >>, M6tnoire.s de lo Férlérrrtion des .soc.iPtPs d’his-
toire et d’nrchéologie tir I’Aisnr. t. XXXVII, 1992, p. 147.163.

dition riinait avec collection, où le qualificatif de collectionneur était un attribut
non négligeable de la notabilité. Un trait d’époque donc et qu’illustre cet exemple
purenient vervinois. En 1861, Amédée Piette édita une plaquette consacrée à
l’histoire de sa famille. Or, sur la notice concernant son cousin, Louis-Édouard,
qui n’était pas encore le président de la Société, il écrivait : >
Les sociétaires centraient leurs collections sur l’histoire régionale : elles se
composaient de N découvertes >) dues à des fouilles, à des récupérations de gre-
niers, de maisons en démolition, etc., et qui allaient du silex taillé à des pièces
manuscrites, en passant par des monnaies et des objets divers. Elles comprenaient
également des achats, notamment d’imprimés anciens. A Vervins, comme ailleurs,
la passion individuelle de collection trouvait une expression collective dans un
espace public oh elle s’extériorisait : le musée. Le projet de musée, bien qu’il ne
fût pas explicitement inscrit dans les statuts fondateurs, était inhérent à la créa-
tion de la Société, ainsi que l’atteste le discours inaugural d’Édouard Piette
recommandant aux sociétaires de signaler à temps c< les découvertes intéres-
santes D de fqon à ce que la Société soit mise en position ) archéologique, ils finançaient des frais de recherche, de voyage, ils ache-
taient des ouvrages de base pour la bibliothèque. Quant à leur temps, ils le dépen-
saient sans compter. Pour ceux qui en avaient beaucoup, les propriétaires rentiers,
les retraités, on constate, à la lecture des bulletins, qu’ils l’utilisaient pleinement
et se montraient à la fois archéologues, copistes, rédacteurs voire polygraphes.
Quant à ceux qui en avaient moins, médecins, juristes, prêtres, professeurs, fonc-
tionnaires, ils consacraient certainement la plus grande part de leurs loisirs à pré-
parer des communications pour les séances de la Société et son Bulletin. 11 reste
cependant que, titulaires ou correspondants, seule une ininorité des sociétaires

148 Clairtline Virlul. Alciin Brunet
réunions tenues mensuellement à l’hôtel de ville de Vervins et portant sur la vie
de la Société (nouveaux membres, dons, relations avec d’autres sociétés, etc.),
ainsi qu’un résumé des communications. Très rapidement, ces dernières furent
intégralement imprimées si bien qu’un corpus abondant, les 21 tomes de Lu
Tlzitruche, permet de connaître les pratiques savantes propres B cette société.
Née sous le signe de l’archéologie, la Société s’y adonna pour de bon sur-
tout durant les premières années, sans pour autant délaisser ce filon par la suite.
I1 y eut deux lieux et deux grands moments : Verhinum et le présumé puis, à nouveau, en 1880, mais associé cette fois à François
Rogine, professeur de sciences et géologue : ce dernier ne vit que les restes d’une
carrière ancienne. E. Piette, L. Papillon (ce dernier s’intéressait aussi à la préhis-
toire), E. Mennesson et E Rogine (celui-ci publia, durant plusieurs années, une
géologie de la Thiérache) furent certainement les plus archéologues dc la Société.
En 1877, La Thir‘ruche faisait état d’une circulaire de la Socikté française
d’archéologie demandant aux sociétés savantes de procéder à un inventaire des
objets d’art contenus dans les églises et autres biìtiments publics. Les sociétaires
s’organisèrent pour y répondre sans rencontrer de difficultés particulières, tant la
pratique de l’inventaire leur était familière. En effet, les bulletins manifestent une
tendance, qui ne faiblira pas, à l’accumulation descriptive de monuments et objets
anciens, églises villageoises, chiteaux, pierres tombales, sceaux, armoiries,
plaques de cheminée, etc. Un trait constant également, mais qui préexislait à la
Société, consiste à reproduire des textes anciens concernant des villes, des vil-
lages ou des individus. Le genre biographique est souvent abordé de cette façon :
une brève introduction sur le personnage puis la reproduction pure et simple de
textes qui leur sont liés.
En fait, la plupart des rédacteurs, en continuité avec leurs habitudes de col-
lection, conçoivent une histoire de leur région à condition de l’attacher à des
objets visibles, palpables - tous les monuments, toutes les ruines, tous les objets,
de la poterie gallo-romaine à un contrat de mariage établi au XVI siècle - ou B
des événements matérialisés tels que des coutumes locales, l’usage d’un patois.
Pour la plupart, donc, la pratique savante consiste B choisir et fréquemment
> un objet historique pour en faire la notice avec les moyens du bord.
28. Lu ThiPruche, 1875. p. 62. Pour les subventions, voir note 21.
29. La Tliilrrrche. 1877, p. 135.

Milieu érurlit et .socic~té .wrv~inte m ThiPr~rchr 149
Marc Le Pape, qui désigne cette attitude intellectuelle, cette pratique, sous le nom
et moins attirants selon l’esthétique explicite
des milieux savants ’I’.
Des sociétaires vervinois publièrent aussi des articles et des travaux d’his-
toire au sens moderne du terme. Sans doute le meilleur, à nos yeux actuels, fut-il
composé, mais vingt-huit ans avant la création de la Société, par Amédée Piette.
11 s’agit de son histoire de Foigny (voir note 5), et notamment des pages consa-
crées au développement économique de l’abbaye où, loin de s’en tenirà recopier
ses sources, Piette construit ses données, évalue le capital foncier, en analyse les
mises en valeur, étudie les comportements économiques des prieurs. Membre
correspondant de la Société vervinoise, il publia peu cependant dans la Thiérache.
Son cousin, en revanche, écrivit beaucoup et, loin de se montrer exclusivement
archéologue, publia durant neuf ans des sources notariales qu’il éclairait de com-
mentaires précis, son but étant de révéler Le docteur Penant céda, lui aussi, à l’engouement général
pour

I so Clautlirir Vidiil, Aloin Brunet
pas lieu ; la Société, réduite à quelques fidèles, ruinée, avait perdu son public. Son
nouveau président, Alfred Falaize, publia à grand-peine, en 1908, les travaux de
1904 et 1905, puis ce fut le silence jusqu’en 1937. La municipalité se contenta de
fermer les deux pièces qui constituaient le musée de la Société.
Trois décennies sans aucune activité. Curieusement, le dernier carré eut un
réflexe de survie légale, maintint un bureau statutairement constitué, conserva le
livret de Caisse d’épargne de la société et un titre du Crédit foncier. I1 y eut, en
1912, une réunion qui confirma les rôles respectifs des membres du bureau.
TreiLe ans plus tard, en mai 1925, Alfred Falaize convoquait une réunion par I’in-
termédiaire du docteur Gannelon, secrétaire de la Société (voir note 24). I1
s’adressait aux sept sociétaires : cinq (< anciens >>, titulaires en 1905 (lui-même,
Madame Albert Duflot, le docteur Gannelon, Adrien Herbert, déjà ancien notaire
à cette date, Louis Lefèvre, ancien notaire) et deux > (Henri Penant,
médecin lui aussi,et Robert Falaize, avoué comme son père). La lettre proposait
I’élection d’un nouveau bureau et la reprise des activités

puisque les origines de la Société avaient été liées à une entreprise de presse -
était acceptable, mais remettre l’avenir de la Société entre les mains d’un radical
était tout autre chose. En effet, à ce moment, Creveaux était à I’évidence le seul
qui pouvait redonner vie à la Société. D’abord parce qu’il écrivait sur la région :
il avait publié en 1909 une étude sociologique de la Thiérache ’9, tout en faisant
paraître, dans Le Dé/iiocrate, des études historiques sur la révolution de 1789 à
Vervins. Ensuite parce qu’il était un élu municipal. Enfin parce qu’il nourrissait,
précisément en tant qu’élu, un projet sur la Société.
En septembre 1923, un journal régional, Le Lihérul, avait consacré des
pages appelant 2 la résurrection de la société archéologique de Vervins (malheu-
reusement, nous ne possédons pas ces numéros). I1 reçut une lettre de Creveaux
qu’il publia in exferzso “l. Ce dernier, qui s’exprimait à la fois en tant qu’élu et en
tant que continuateur de la Société, traçait un programme. > Un tel projet
d’histoire immédiate, pour utiliser un terme actuel, était évideniment radicale-
ment étranger aux conceptions des sociétaires. Mais il ne s’en tenait pas là et lan-
çait une opération de ) au cours des années par des cher-
cheurs désintéressés. Ce local sera mis à la disposition de la Société archéolo-
gique qui pourra y tenir ses séances. Enfin, il répondait à une invite du journal :
> Nous connaissons la réponse de la Société : la
réélection, deux ans plus tard, d’Alfred Falaize à la présidence et le maintien d’un
bureau comportant les mêmes membres que celui de 1905.
De 1911 à 1914, puis de 1919 à 1926, Alfred Falaize avait publié un
feuilleton dans Le Dé/nocrute intitulé (< Le vieux Vervins >>, recueil d’historiettes
locales, comportant les stéréotypes, l’humour de bon aloi, les mièvreries et les
préciosités souvent caractéristiques d’une littérature de la c< couleur locale >> 4’.
Eugène Creveaux, dans ce même journal, publia durant les années 1926- 1927 ses
travaux sur Vervins pendant l’occupation allemande de 19 14- 19 18. Certes, les
39. Eugène Creveaux, Le type thiirtrchieri, Paris, Bureau de la science sociale, 1909.
40. Page du Libr‘rrrl conservée dans les Arch. de la SAHVT.
41. Sur ce point. nous rcnvoyons au beau travail de Anne-Marie Thiesse, Écrire la Frcrnce. Le rnow
verirent littProirr rc;qionrili.ste de Inngue,fi.trn(,ai.se erifre la Belle Epoque et lu Lihénrtion, Paris, PUF,
1991.

I52 Cloudine Vidiil, Alriin Brunet
deux hommes n’appartenaient pas à la même génération, mais plus encore les
séparaient leurs conceptions antagonistes du monde et de l’histoire que l’on pou-
vait en faire.
En 1872, ce fut grlice à l’influence d’une personnalité extérieure à la
région, le sous-préfet Etienne Pichon, que le milieu érudit de Vervins réussit à
créer la Société archéologique de Vervins. En 1937, soixante-cinq ans plus tard,
présida à la refondation de la Société un homme qui n’était pas né et n’avait pas
vécu en Thiérache.
La Société dans le X X siècle : 1937-1973
Pierre Noailles, originaire de la Gironde, épousa en 1925 Henriette Duflot,
dont la mère, Madame Albert Duflot, était devenue, on s’en souvient, membre de
la Société après le décès de son époux (I 899). Professeur d’histoire du droit
romain à la faculté de droit de Paris, devenu picard d’adoption par son mariage,
il présidait en 1936 la société académique

civil de Vervins). Quatre nouveaux membres furent admis dont Madame Noailles.
I1 y eut trois communications, respectivement de Robert Falaize (qui lut une étude
de son père), du docteur Gannelon et d’Eugène Creveaux.
Le nouveau président lança une vigoureuse campagne d’adhésion, se
débarrassa de la distinction entre membres titulaires et membres correspondants.
A la fin de l’année 1937, la Société comptait déjà 189 membres : 130 résidaient
localement (69 %), 37 (20 %) à Paris, en Picardie, dans le Nord et dans d’autres
départements. Jusqu’à l’assemblée générale du 17 juin 1939, ce bureau redonna
vie à la Société : réouverture du musée, conférences publiques, venue d’invités
prestigieux, réanimation des relations avcc d’autres sociétés savantes, publication
d’un premier Bulletin de LU Tliiértlclze en 1937 (le deuxième Bulletin était prêt en
1939 mais ne put être publié qu’en 1945). La guerre interrompit cette efferves-
cence, Pierre Noailles mourut en novembre 1943.
Pierre Noailles, dans un article déjà cité (voir note 33), a exposé dans
quelles directions devaient être orientés, selon lui, les travaux de la Société. I1
s’agit, bien entendu, de s’intéresser exclusivement à l’histoire locale : >, c’est-à-dire en s’ouvrant aux acquis de l’histoire nationale, en
acceptant > pour reprendre le mot de Paul Veyne 45.
D’abord en intégrant des périodes que, sauf Eugène Creveaux, les sociétaires
n’avaient qu’exceptionnellement abordées : la Révolution de 1789, la guerre de
19 14-1918. Ensuite en s’ouvrant aux enrichissements apportés par l’ensemble
des sciences sociales (économie politique, démographie, sociologie, géographie).
Enfin, sous le terme de folklore, il introduit les investigations ethnologiques. Sur
ce dernier point, il suggère une possible division du travail entre les amateurs
locaux et les Thiérachiens de l’extérieur. Les premiers n’ont plus le temps, les
moyens et la culture de leurs prédécesseurs ‘‘l. II faut demander aux seconds,

I54 Clnuclitze VitIril. Alain Brunet
Restait une dernière mission assignée à la Société par son nouveau président
: développer le musée, mais en dépassant sa spécificité archéologique pour
le transformer en musée historique de la Thiérache, auquel serait adjoint un
musée folklorique. La municipalité soutenait le projet : elle avait attribué deux
salles de I’h6tel de ville et un crédit pour les aménager.
Le premier Birlletin (1937) de La TMruhe, nouvelle série, parut en 1938.
Savant équilibre entre les pratiques anciennes de la Société et les voies tracées par
Pierre Noailles (l’article de ce dernier sur l’histoire de la Société ouvrant le volume),
la livraison comportait des articles signés par des était représentés
par Gabriel Hanotaux, de l’Académie française (sur des poètes de la
Thiérache), Roland Derche, professeur au lycée Carnot, et Ernest Ledrus, professeur
à l’ÉCole militaire royale de Bruxelles.
Le deuxième Bulletirz ( 1940) concrétisait l’effort entrepris pour mettre en
valeur les églises fortifiées comme symbole touristique tout aussi bien qu’objet de
recherche et expression d’un art >. Étaient reproduites seize lithographies
par Albert Lemasson, peintre et neveu par alliance de Pierre Noailles, qu’accompagnait
un article de Hanotaux (a Les Eglises fortifiées de Thiérache dans I’histoire
de France >>), précédé de a Sur les chemins de Thiérache >> par Jean Loize.
1947- 1973
La Société courut à nouveau le risque de disparaître, malgré la publication
en 1945 de son deuxième Biilletin. La guerre, le décès de Pierre Noailles, le
départ d’Eugène Creveaux, avaient brisé l’effervescence de 1937. I1 fallut le
retour à Vervins de Henriette Noailles-Duflot, en 1947, pour que reprennent les
activités. I1 n’y avait plus eu de réunions statutaires depuis 1939, elle en suscita
une qui constitua un bureau présidé par Robert Falaize. Une assemblée générale
extraordinaire suivit en 1948 ”. Les témoignages concordent sur ce point,
Henriette Noailles continua I’œuvre de son mari. Elle renoua les liens avec les
>, parmi lesquels Jacques Meurgey de Tupigny,
conservateur aux Archives nationales, fut particulièrement actif. Elle continua à
maintenir l’intérêt pour l’histoire locale dans le milieu vervinois par des excur-
sions, des expositions et des publications qu’elle finançait largement.
Contrairement à ses prédécesseurs de la fin du siècle précédent, elle ouvrit la
Société à de jeunes amateurs d’histoire locale qui, plus tard, en assurèrent la
continuité. Lorsqu’en 1947 le maire de Vervins exigea de récupérer sans tarder
les pièces de I’h6tel de ville mises à disposition de la Société, les collections
furent installées dans une dépendance de sa propriété de la Chaussée de Fontaine.
A certains égards, l’entreprise menée par Henriette Noailles avait un aspect para-
doxal : elle avait maintenu les directions modernisatrices de Pierre Noailles mais,
pour les accomplir, elle agissait comme, au XIX’ siècle, certains préTidents dont
~
47. Cette assemblée décida de donner une raison sociale inoins restrictive i la SociCté qui prit le nom
de Société archéologique de Vervins et de la Thiérache.

la demeure, les ressources financières et sociales, l’énergie personnelle finissaient
par ne plus faire qu’un avec leur Société.
En 1949, la Société marqua le centenaire du titre La Thiéruche et publia un
troisième tome de la nouvelle série. Si tous ses auteurs étaient bien membres de
la Société, ils vivaient tous ailleurs qu’en Thiérache, à l’exception d’un seul,
Henri Sohier, un industriel hirsonnais, président de la société des amis du musée
d’Hirson. Ce fut la dernière parution de cette série. La Société, comme beaucoup
d’autres, ne pouvait plus envisager d’assurer les frais et la diffusion d’un bulle-
tin. En 1953, fut constituée la Fédération des Sociétés savantes et historiques de
l’Aisne, éditrice (grâce à une subvention départementale) de Ménzoires annuels,
auxquels collabora régulièrement la Société vervinoise.
Robert Falaize démissionna de la présidence en 1955. I1 fut remplacé par
un architecte, Jean Cannone, qui mourut en 1972. Henriette Noailles accepta de
lui succéder pour un court laps de temps. Les réunions de la Société étaient deve-
nues trimestrielles, un petit groupe d’adhérents intéressés par la recherche
archéologique avait fondé sa propre association (le groupe de Recherches archéo-
logiques de la Thiérache) tout en continuant à faire partie de la Société.
Le centenaire de la Société
Depuis sa création, la Société n’avait jamais renoncé à constituer un
musée. Après la seconde guerre mondiale, faute de local, six expositions tempo-
raires avaient été ouvertes au public dans une salle prêtée par l’hôtel de ville. En
1971, les collections de la Société, abritées chez Henrictte Noailles, élaient trans-
férées dans une maison ancienne, propriété de la commune de Vervins, devenue
le siège administratif de la Société qui comptait alors 199 membres.
Le nouveau bureau profita du centenaire pour monter une exposition qui
serait une avant-première du futur musée. I1 décida également qu’une publication
s’imposait. Ce fut la dernière fois que la Société publia sous le titre La Thiérache
un volume tiré à 2 O00 exemplaires. Quinze auteurs y participèrent, Meurgey de
Tupigny avait écnt l’article introductif qui faisait le point sur les dernières vingt-
cinq années d’activité de la Société. I1 décéda en août de la même année. Henriette
Noailles démissionna après le centenaire, ainsi qu’elle l’avait annoncé “.
Son départ, qui coïncidait avec le centenaire de la Société, marquait sym-
boliquement la rupture avec le style de la sociabilité savante, très liée au monde
dcs notables que, volontairement ou non, elle représentait encore. Depuis cette
date, les déterminations sociologiques et les pratiques effectives de l’histoire
locale ont donné des formes bien différentes à cette sociabilité qui compose
désormais avec des tendances aussi diverses que la recherche de loisirs culturels,
le succès de la notion de patrimoine, la mode de la recherche généalogique, l’en-
gouement pour l’écologie, la généralisation des sentiments identitaires liés à la
région d’origine et, enfin, le développement accru des liens établis avec la
recherche universitaire.
38. Elle déceda en 1982.
Claudine VIDAL, Alain BRUNET

156 Claudine HaM, A& Brunet
Membres de h MM archblogique de Ve**
3. Ethm pichon m~~ de Vervin6, fondateur de la SocW archCologique de &s (1 873) et d’honneur
* Ces portraits proviennent de$ archives de la SAHVT. (Cl. B. Vasseur). Aucun document mnm-
nant Charles Gannelon, medeci, @ident de 1m h 1937. n’a pu etre re”5

Milieu &rudit et société savante en Thiérache 157
4. Le duc d'Aumale, Nident d'honneur

158 Claudine Vidal, Alain Brunet
5. E d w a r d Pieae. ancien banquier, ancien &put& prmh prt%ident de la Soci&? (1873-1890)
7. Edwarouard Fleury, imprimeur, journaliste, bistaien, membre cOrreSpOndant

Milieu érudit et société savante en Thiérache 159
6. Ernest Lavisse, historien, membre de l'Académie fiançaise, membre correspondant
8. Charles Graux, linguiste, membre correspondant

160 Claudine Vïl, Alain Brunet
11. Auguste Penant, mMecin, p&ide.nt (1902-1909)

Milieu érudit et société savante en Thiérache
10. Eugbne Mennason, docteur I
opri6taire. phident (1890-1902)
12. Alfred Falaize, avoué, pdsident (1912-1928)
161

162 Claudine Vial, Alain Brunet
15. Eughe Creveaux, entrepreneur, maire de Vervins

Milieu érudit et société savante en Thiérache
r
14. Abbe M6ra
163

164 Claudine Vidal, Alain Brunet
17. Ji
r
s Meurgey de lbpigny, conservateur des Archives nationales, @ident d'honneur
19. Jean Calonne, architecte, pdsident (1955-1972)

Milieu érudit et société savante en Thiérache 165
18. Robert Falaize, avoue, pdsident (1947-1955)
20. Henriette Noailles-Duflot, propri&tak, pdsidente (1972-1973)

De l’imaginaire des historiens locaux
à l’imaginaire de François Ir et de Henri II :
les sculptures scandaleuses
du château de Villers-Cotterêts
Tous les historiens cotteréziens des XIX et X X siècles se sont penchés sur
l’histoire du château construit à Villers-Cotterêts par François I“ et Henri II. Ils
ont collecté des renseignements et ont rédigé des synthèses. De cette façon, ils ont
essayé de >. Mais lorsqu’il leur a fallu parler des H, des K et des croissants du
pavillon de l’auditoire, des caissons de l’escalier sud-est et des euvres disparues,
ils n’ont pas su se garder de leurs préjugés et, plutôt que d’aller vers l’imaginai-
re de François I’ et de Henri II, sont restés prisonniers du leur. Ainsi est né le
mythe des sculptures scandaleuses du chateau de Villers-Cotterêts. Analyser son
contenu. c’est montrer les difficultés du travail de l’historien local.
Les H, les K et les croissants du pavillon de l’auditoire
Deux couples de H et de K sont visibles sur la face occidentale du pavillon
de l’auditoire. Tous sont surmontés d’une couronne fermée mais, alors que celui
de droite est uni par un lacs d’amour, celui de gauche l’est par un croissant. Ce
dernier emblème n’apparaît seul qu’à cet endroit. Plus bas sur la face occidenla-
le, ainsi que sur la façade, on voit des groupes de trois croissants enlacés qui alter-
nent avec des H feuillagés.
L‘abbé François Chollet, curé-doyen de Villers-Cotterêts, a été le premier
historien local à exprimer son étonnement B la vue de ces sculptures. I1 l’a fait
ainsi dans son Sernierat nid garde‘ ou Villers-Cottergts et ses enviroris publié en
1853 : >
1. Marcel Leroy, Le Ckirtenu de Viller.~-CotterCr.s, Villers-Cotterêts, Soci&é historique régionale de
Villers-Cotter¿%. 1964, 3‘ éd., p. I.
2. Franpis Chollet, Un .serrnenf nid g d P ou Vil/í.rs-Co//rr~/s et .ses eiivirons, Villers-Colterêts -
Soissons, Obry-Lalance, 1853, p. 200.

168 Eric Thierry
Ce que l’abbé Chollet a du mal à imaginer, c’est qu’un roi de France - un
roi dit très chrétien - n’avait pas honte de son adultère. Pour bien comprendre ce
prêtre, il ne faut pas oublier qu’entre Henri II et lui, il y a le concile de Trente et
la revalorisation du sacrement du mariage. Au XVII‘ siècle, saint François de
Sales a proclamé, dans son Introduction à la vie &vote, la sainteté de celui-ci, son
éminente dignité et le respect qui lui est dû, et il a été suivi par Fénelon et
Bossuet, ce dernier écrivant à Madame Cornuau : ) Mais, dans la première moitié du siècle précédent, ce sacrement
était encore privé de prestige : la dame des pensées doublait alors couramment la
femme de tous les jours.
Comme dans la LXIII‘ nouvelle de L’Hepcinzéron de Marguerite de
Navarre, la sœur de FranGois I“, il n’était pas rare de rencontrer > qui, >, et qui, >, Diane de Poitiers, et son
épouse légitime, Catherine de Médicis. L‘ambassadeur Lorenzo Contarini n’a pas
caché les efforts que devait faire celle-ci pour supporter sa situation : >
Le romantique Alexandre Dumas, quant à lui, pouvait facilement imaginer
ce qu’avait dû être le ménage à trois formé par Henri II, Catherine de Médicis et
Diane de Poitiers. Dans La Reine Mcrrgot, La Dame de Monsoreau et Les
Quaranre-Cinq, il avait déjà su montrer des Grands du XVI’ siècle dissimulateurs
et débauchés qui faisaient fi du sacrement du mariage. Aussi, dans un article de
1864 consacré à son Villers-Cotterêts natal, s’est-il proposé de raconter l’histoire
des H, des K et des croissants du pavillon de l’auditoire. I1 l’a fait avec son incon-
testable talent de romancier, mais - comme à son habitude - sans un grand souci
de l’exactitude des hits :
3. François de Sales, Introd~rction ir In vie d&ote. éd. André Ravier, S.I., Atelier Henry Labat. 1989,
chap. XXXVllI :

L’irrrugiiiuire des kistoriens IOCNUX : Ir chillemu de Villers-Co~~c~rêts I69
: onze ans était l’&e qu’il avait 2 sa libération, eil
1530, après une captivité qui avait commencé en 1526, au lendemain du Traité de
Madrid imposé par Charles Quintà François I“ ’. I1 n’était pas non plus déjà l’amant
de Diane de Poitiers lorsqu’il épousa, en 1533, Catherine de Medicis : la grande
sénéchale de Normandie fut une veuve irréprochable jusqu’en 1538 et Henri dut lui
faire une cour assidue, sans pour autant se détourner de sa femme légitime ’.
6. Alexandre Dumas, Le Arqs na/nl, éd. Claude Schopp, Paris, Mercure de France, 1996, p. 23-25.
7. I. Cloulas, Henri II, Paris. Fayard. 1985, p. 35-53.
8. 1. Cloulas, Dinne de Poitierx. Paris, Fayard. 1999. p. 78- 103. Rien ne prouve que Diane de Poitiers
ait été la inaitresse de Franpois IL‘ : ibid., p. 59-61.

170 Eric Thierry
Certes, Catherine de Médicis n’était pas particulièrement belle, avec son
visage rond, ses yeux gros et sa lèvre forte, mais elle avait un regard intelligent,
elle était gracieuse et aimable, et faisait preuve d’une remarquable élégance et
d’une culture brillante. Aussi était-elle très appréciée par son mari et par son
beau-père, bien qu’elle tard% à engendrer : >, nous apprend Brantôme, que,
>
Alexandre Dumas a en revanche raison lorsqu’il évoque l’aide décisive
apportée par Diane de Poitiers à Catherine de Médicis pour lui permettre de sur-
monter l’épreuve de sa stérilité. C’était parce que la maîtresse du dauphin ne
souffrait aucune négligence et qu’elle obligeait son amant à coucher assidûment
avec sa femme que l’ambassadeur vénitien Matteo Dandolo put dire de celle-ci
en 1542 : > Ainsi le miracle tant attendu se produisit : le 19 janvier 1544,
Catherine de Médicis donna naissance à son premier enfant, le futur François II,
et dix autres suivirent jusqu’en 1556, à un rythme remarquable. Quant à admettre,
comme l’illustre romancier, que ce fut pour remercier Diane de Poitiers qu’Henri
mêla le et, plutôt que de croire un souverain très
chrétien capable de n’avoir pas honte de son adultère, il a cherché à montrer que
le croissant était avant tout un emblème de Catherine de Médicis.
Pour cela, il a dit :

pouvait bien, en mémoire de son illustre ancêtre, adopter le croissant oriental >>,
et il n’a donné qu’un seul exemple :
, que ses propos ont fait autorité chez ses successeurs.
L‘un de ceux-ci a été Ernest Roch, le premier secrétaire de la Société his-
torique régionale de Villers-Cotterêts créée en 1905. Dans son histoire du chsteau
paru en 1909, il n’a pas hésité - avec conviction - à paraphraser Alexandre
Michaux : > Mais il a cru tout de
même bon de rajouter quelques justificatifs tirés du mythe fort en vogue au
XIX‘ siècle de la Catherine florentine, machiavélique et éprise de sciences
occultes : >
Certes, Catherine de Médicis eut souvent recours aux astrologues et aux
magiciens, mais ce fut surtout dans la période d’incertitude et d’angoisse person-
12. Alexandre Michaux, CT//er.c-Correr2f.s er SYS em,irnris, Paris, reed. Res Universis. 1988. p. 32
et 31.
13. Ernczt Roch, e L‘Ancien Chdteau royal D, Birllrtiri de In Société his~oriqiio régkimle de Villcrs-
Corter-?ts, 1909. p. 177-178. Sur le mythe í‘or1 en vogue au XIX siècle de la Catherine Ilorentine,
machiavélique et éprise de sciences occultes, I. Cloulas, Critheririe tle Mklicis, op. cit.. p. 16.

172 Eric Thierrv
nelle qui suivit la mort de son mari en 1559. Ce fut ainsi peu de temps après I’avè-
nement de Franqois II qu’elle aurait consulté le miroir magique détenu par Côme
Ruggieri : ses fils seraient apparus, ils auraient tourné autant de fois qu’ils
devaient régner d’années et, après une courte apparition du futur Henri de Guise,
Henri de Navarre aurait terminé le défilé I‘. Quant à la puissance protectrice
extraordinaire D qu’elle aurait accordée au croissant, on a du mal à s’en rendre
compte à l’examen de quelques-uns de ses talismans qui nous sont connus : la
lune naissante n’est qu’un des très nombreux signes utilisés, que ce soit sur la
médaille en bronze de la Bibliothèque nationale de France, sur le parchemin évo-
qué par Le Laboureur ou sur le bracelet décrit par Paul Lacroix IC.
Même non fondée, l’attribution à Catherine de Médicis des croissants du
pavillon de l’auditoire est restée une vérité solidement établie chez les historiens
cotteré7iens. Ainsi, en 1959, Marcel Leroy, nouveau secrétaire de la Société his-
torique régionale de Villers-Cotterêts, ne s’est pas cru autorisé à la contester :
. I1 y a écrit avec justesse, à propos du croissant :

s’étaler sur les boiseries de la chambre du Louvre qui était le sanctuaire de la
monarchie, sur le reliquaire de la Résurrection oÙ ils furent ajoutés lorsque Henri
donna cet objet des collections royales iì la cathédrale de Reims à l’occasion de
son sacre, sur un émail du Louvre offert par lui à la Sainte-Chapelle sur lequel il
figure à genoux près de Catherine de Médicis, ou encore sur l’armure du jeune
François, son fils aîné, avec la salamandre de son grand-père, on doute que le
croissant puisse être l’affirmation d’une liaison, officielle mais fort illégitime I’. n
Un siècle après l’Histoire de Villet-s-Cofferêfs d’Alexandre Michaux, les mêmes
préjugés sévissaient encore.. .
Malgré ses anachronismes, l’article de Francis Salet fait encore aujour-
d’hui autorité. II serait pourtant temps d’éclairer les H, les K et les croissants du
pavillon de l’auditoire à la lumière de quelques témoignages qui leur sont
contemporains. Lisons tout d’abord, dans le livret de son sacre célébré le 26
juillet 1547, la description du pourpoint porté par le roi Henri II : il était
Grâce à ces deux documents, nous pouvons confirmer que, pour le roi et
ses contemporains, les croissants évoquaient bien Diane de Poitiers et que Henri
II n’hésitait pas à montrer à tous que la duchesse de Valentinois était la dame de
ses pensées. Dans l’exercice de la fonction royale, s’il confondait sa devise avec
le chiffre de sa maîtresse, c’était parce que l’amour de sa Dame devait lui per-
17. Francis Salet, ,
F6dircrtion .... O/’. cit., t. XV. 1969. p. 119. Avec trois croissants entrelacés. Hcnri II a fait incruster
sur le reliquaire de la Résurrection un H l‘ornié - de kqon très apparente de deux D majuscules,
l’un émaillé de blanc, I‘autre de noir. II s’agit li d’une allusion manifeste B l’amour ressenti pal- le
roi pour Diane de Poitiers : I. Cloulas. Henri II, op. cir.. p. 154-155.
18. Cité par Jchanne d’Orliac, Ditrrie de Poitiers, Grmit ‘.s~trPchtr//e tlr Nor/riurzdie, Paris, Plon, 1930.
p. 142.
19. Arnaud Baschet (éd.), Ln Diplorrrotie vdnirierwe. Le.r /~rir7c.es de 1’E~rope NU XVP siècle I...],
d’après les ropporrs des nrrihu.s.~rrrlerrr.v i@riiticrr.r. Paris. Plon, 1862. p. 443.

mettre de se comporter en héros et de surmonter tous les obstacles. Le successeur
de François Ier aspirait à être un véritable roi chevalier, l’Amadis de Gaule dont
il appréciait tant les aventures racontées par Garcia Ordonez de Montalvo ’(l. I1
était animé par un désir de gloire chevaleresque et ce fut ce désir qu’il fit expri-
mer sur les murs du pavillon de l’auditoire de son chsteau de Villers-Cotterêts.
Les caissons de l’escalier sud-est
D’autres sculptures mal comprises sont six grands caissons visibles dans
l’angle sud-est des bltiments qui encadrent la cour du jeu de paume. Ils ornent les
voûtes des deux volées d’un petit escalier droit qui permettait d’accéder à la cha-
pelle par un raccord de maçonnerie en pan coupé. Tous sont travaillés en haut-
relief mais, alors que les trois qui occupent la voûte inclinée de la volée montant
d’un entresol au premier étage sont rectangulaires et portés par des arcs en anse
de panier, les trois qui forment la voûte plate de la volée allant du premier étage
à un autre entresol sont carrés et soutenus par des architraves.
Les historiens locaux ont toujours été scandalisés par les scènes représen-
tées. Ainsi, en 1853, l’abbé Chollet a écrit : >, et, en 1986, Marcel Leroy a encore parlé de ces . Puis, en 191 I , E. Lefèvre-Pontalis l’a qualifié de >, tandis qu’en 1927, François Gebelin a parlé de la > de son
plafond. Enfin, en 1990, Jean-Pierre Babelon l’a jugé et, l’année sui-
vante. Christiane Riboulleau lui a fait la part belle dans son ouvrage tout entier
consacré au chdteau de Villers-Cotterêts ?’.
Les comptes des bdtiments du roi étudiés par cette dernière nous autorisent
20. 1. Cloulas. Heriri II. op. cit.. p. 62 65.
21. E Chollet, op. cit.. p. 178 : M. Leroy. M LEpoque “Rennissance” avec la Société historique )>,
L‘U/rion, 16 avril I986 : Léon Palu\tre. Ltr Kwrri.\.\o/rc.e PII Frtrtice. 3 liiartrisori : /le tk-Frtuice
(Ai~c,). Paris, A. Quaiitin, 1880, p. 130 ; E. Lefèvre Pontalis. (< Ch3teau de Villers-Cotterêts n,
Corrgrt.~ crn~l~Pol~~,~it~rrr tle Frtrrrce. LXXVlll se.\ \iwi teiriit’ ir Keirrrs eu 191 I ptrr It/ Soc.iPtP,frtrri(,trisr
d’cr,r~liiolo,~i~, t. I : Guide dir cmgrt.\. Paria-Caen. Sociéti franpaise d‘archéologie, I9 12. p. 427 :
Franpois Gebelin. Le.\ Clrcitcwirx tlr Irr R~woi.sco/rce. Paris, 1927, p. I82 : Jean-Pierre Babelon,

à situer la réalisation de ces caissons entre 1532 et 1540 ‘2, mais ne nous permet-
tent pas de savoir qui les a sculptés. Marcel Leroy les a attribués à >, mais c’était oublier que Jean Goujon n’est devenu sculpteur du roi qu’à
partir de l’avènement de Henri II, en 1547, et que ses premières œuvres, à Rouen,
dans la cathédrale et dans I’église Saint-Maclou, ne datent que des alentours de
1540 :‘. Plus intéressant est le rapprochement qu’a fait Léon Palustre entre les
caissons cotteréziens et ceux qui auraient illustré les Mttarnorphoses d’Ovide sur
la voûte d’un escalier en vis du château de Madrid. Malheureusement, cet édifi-
ce construit dans le bois de Boulogne à partir de 1528 a été entièrement détruit en
1792 et son historienne, Monique Chatenet, a récemment remis en cause le témoi-
gnage de Poncet de La Grave sur lequel s’est fondé Léon Palustre 24.
Les grandes plaques historiées en haut-relief du château de Villers-
Cotterêts restent sans équivalents connus, mais les scènes représentées peuvent
être facilement identifiées depuis les recherches faites par Christiane Riboulleau
et ses devanciers. La voûte de la volée qui monte d’un entresol au premier étage
commence par un caisson représentant un satyre et une nymphe. Léon Palustre y
a vu une illustration d’un passage du Songe de Poliphile, mais Christiane
Riboulleau a noté avec raison que le satyre de l’ouvrage de Francesco Colonna se
contente de regarder avec admiration la nymphe endormie, alors que celui de
Villers-Cotterêts profite de son sommeil pour la dévêtir. Le caisson cotterézien
semble plutôt représenter Jupiter séduisant Antiope sous la forme d’un satyre. Ce
sujet a été évoqué par plusieurs gravures de Marcantonio Raimondi d’après des
peintres italiens ou d’après l’antique, par de nombreuses compositions des
maîtres de 1’Ecole de Fontainebleau, par la Vénus du Pardo peinte par Titien et
conservée au Louvre et par un dessin du British Museum attribué à Perino del
Vaga ou à Jules Romain. Toutefois, la plaque sculptée du château de Villers-
Cotterêts ne reproduit aucune de ces œuvres
Le caisson suivant n’a pas non plus de modèle connu. I1 représente une
nymphc, ou Vénus, accompagnée de l’Amour tenant une flèche. François
Gebelin y a vu lui aussi une illustration d’un passage du Sorige de Poliphile : > Mais, là encore,
Christiane Riboulleau a remarqué avec justesse qu’à Villers-Cotterêts l’Amour
est aptère. Elle a aussi écrit :

ce qui empêche à tout jamais la compréhension exacte du geste, mais nous ne
pensons pas nous tromper de bcaucoup en supposant que la jeune femme levait le
bras pour maintenir hors de portée de l’enfant son carquois ou son arc, ou bien
pour le frapper ?h. >> Pour ma part, je ne peux pas m’empêcher de rapprocher la
scène de Villers-Cotterêts de ce passage des Métcimorphoses d’Ovide : e [. . .] en
donnant un baiser à Vénus, le petit dieu armé du carquois a effleuré, sans le
savoir, avec le roseau d’une flèche qui dépassait le bord, la poitrine maternelle.
La déesse, se sentant blessée, a repoussé son fils 27. >>
Quant au dernier caisson de la volée, il représente Hercule terrassant le
lion de Némée. Depuis 1927, on connaît, grâce à François Gebelin, le modèle uti-
lisé pour cette scène. I1 s’agit d’une plaquette en bronze de Moderno, dont on pos-
sède encore aujourd’hui plusieurs exemplaires ”. Des différences subsistent tou-
tefois : le tronc d’arbre et l’armement du héros ne figurent pas à Villers-Cotterêts
et ce n’est pas un Hercule imberbe qui y a été représenté, mais un Hercule barbu.
Sur la volée suivante, celle qui monte du premier étage à un entresol, on
peut tout d’abord voir un Mercure mutilé. Une moitié du caisson manque, mais
on peut observer le caducée utilisé par le dieu pour séparer deux serpents qui se
battaient, ainsi qu’une flûte, l’instrument qui lui a permis d’endormir Argus, le
géant aux cent yeux - dont cinquante restaient toujours ouverts - chargé par
Junon de surveiller Io ”. I1 s’agit d’une représentation qui n’est inspirée d’aucu-
ne œuvre connue, mais Christiane Riboulleau a remarqué que (( le hanchement du
corps et l’allongement des membres inférieurs rappellent à la fois les composi-
tions de 1’Ecole raphaëlesque et de I’Ecole de Fontainebleau, inspirées elles-
mêmes de l’observation des statues antiques ”’ >>.
Ensuite, c’est un Jupiter embrassant l’Amour qui est visible. Le premier
peut être reconnu grâce à l’aigle à la foudre qui se tient à ses pieds. Quant au
deuxième, il a des ailes et tient une flèche et un arc. François Gebelin a vu là une
illustration de la suite du passage du Sor7ge de Poliphile cité précédemment : > Mais c’est une fois de plus à tort : l’Amour,
chez Colonna, n’est qu’un enfant, tandis que le caisson de Villers-Cotterêts le
représente adolescent.
Christiane Riboulleau a découvert le véritable modèle de ce panneau :
c’est I’écoinçon de Jupiter et de l’Amour dans la loggia de Psyché à la Farnésine.
L‘invention du dessin revient à Raphacl, mais la scène a été exécutée par Jules
26. E Gebelin, up. cit.. p. 182 : C. Ribotilleau, Le Chcitecru ..., O J ~ . cit., p. 1.54.
27. Ovide, MPtrr,ttorp/zo.ses. X. S 16, id. Jcan-Pierre Nérautlau et Gcorgen Lafaye. Paris, Gallimard,
1996. p. 339.
28. E Gebelin, op. cif., p. I82 C. Ribotilleau. Vi//er.v Cortc,r?ts .... O ~ J cit., . p. 96.
29. Ovide, op. cit., I, 668-721, p. 63-68.
30. C. Ribotilleau. Le CliRfetrii ..., (J/J. cit., p. ISS.
3 I. E Gebelin. op. cit.. p. 182.

Romain entre 15 17 et 15 19. Puis, elle a été gravée par Marcantonio Rainiondi, ce
qui explique sa diffusion ’l. 11 s’agit d’une illustration de l’action centrale de cet
épi\ode de la fable de Psyché racontée par Apulée dans son Arie d’or : >
Enfin, le dernier caisson représente le défi musical lancé à Apollon par
Marsyas ”. Le satyre jouant de la flûte figure à gauche assis, tandis qu’a droite,
le dieu se tient debout avec, à ses pieds, sa lyre. Christiane Riboulleau a trouvé le
modèle qui a influencé cette scène : il s’agit d’un inédaillon attribué à Giovanni
Bernard¡, dont un exemplaire est aujourd’hui conservé à Washington ’s.
Reste maintenant à interpréter l’ensemble de ces caissons, ce qui n’est pas
une t8che facile. Après que Franqois Gebelin eut essayé en vain de voir en eux
des illustrations du Sorige du Poliphile, Jean-Pierre Babelon a renoncé à trouver
le thème unique sous-jacent a ce décor : >, a-t-il écrit en 1990 I‘. L‘année sui-
vante, Christiane Riboulleau a pourtant tenté une explication : >. L‘analyse reste pru-
dente, niais la proposition est pertinente :

178 Eric Tliierv
cha dans la théorie de l’amour du Banquet une préfiguration du pur amour chrétien
’g. Essayons donc d’examiner les caissons cotteréziens à la lumière de l’enseignement
de ce mouvement philosophique. Peut-être pourrons-nous ainsi saisir
le message que leur commanditaire a voulu leur faire délivrer.
Un texte de Pic de La Mirandole semble parfaitement adapté au caisson
représentant le défi musical lancé par Marsyas àApollon. I1 s’agit d’une lettre de
1485 dirigée contre les complaisances littéraires en philosophie : >
Comme Alcibiade dans le Bcrnquet de Platon ’‘I, Pic de La Mirandole a
compris que les apparences ne sont rien et que seule importe la splendeur du vrai,
même exprimée sans grâce et inaccessible à la foule. Aussi appelle-t-il son correspondant
à s’arracher aux attachements terrestres et à s’élever pour contempler
l’harmonie de Dieu. Tel est le sens de la fable de Marsyas : la victoire d’Apollon
est celle de la lyre, instrument divin qui transporte les âmes vers le ciel, sur la
flûte qui excite les passions impures ‘l.
On peut donc voir, dans le caisson cotterézien, I’élévation de l’âme vers
Dieu grâce à la musique divine. Elle s’oppose à son abaissement par la concupiscence.
Or, n’est-ce pas ce que représente le panneau où figurent la nymphe et
le satyre ? Celui-ci symbolise le désir sexuel effréné que n’ont pas manqué de
condamner les néo-platoniciens. Dans Lu Ruelle rnd ussortie de Marguerite de
Valois, par exemple, est mise en scène une jeune femme qui essaye de modérer
son amant très emporté. Se comparant aux belettes et aux colombes, elle lui dit :
[...I je prens plaisir comme elles 5 faire l’amour du bec D. Lui lui répond : > Mais c’est finalement la jeune femme qui
a le dernier mot :

science ; mais ouy bien des fausses voluptés, parce qu’elles procedent des sens
exlerieurs ‘I. >>
Le deuxième caisson de la volée qui va du premier étage à un entresol,
quant à lui, représente Jupiter embrassant l’Amour. Pour le comprendre, il faut
rappeler ce qu’est la théorie >
A Villers-Cotterêts, on est finalement bien loin de la scène de pédérastie
que James Saslow a cru voir dans le modde dessiné par Raphad à la Farnésine 44.
Le baiser sur la bouche s’inscrit en fait dans la tradition chrétienne, comme le rap-
pellent la citation du Cmtique des Caritiques donnée par Le Livre du courtisan ”,
mais aussi Guillaume de Saint-Thierry et saint Bemard, pour qui le Saint-Esprit
est

I80 Eric Tliirrr;)
satiété et de l’ennui, mais ils haïssent la personne aimée, comme si l’appétit se
repentait de sa faute [...I ; ou bien ils conservent le même désir et la même
convoitise, comme ceux qui ne sont pas vraiment parvenus à la fin qu’ils cher-
chaient ; et bien que sous l’effet de l’aveugle opinion qui les a enivrés, il leur
semble qu’à ce moment ils sentent du plaisir, [. . .] ils ne sont néanmoins ni satis-
faits ni apaisés 47. >>
Là aussi, on peut opposer entre eux deux caissons situés chacun au-dessus
d’une volée différente de l’escalier sud-est. II s’agit du Jupiter embrassant
l’Amour et de la Vénus chassant son fils. Alors que le premier représente l’union
de l’âme à Dieu, le deuxième illustre la désunion des corps. Ainsi, l’amour rai-
sonnable s’oppose à l’amour sensuel.
Interprétons maintenant Mercure, ainsi qu’Hercule terrassant le lion de
Némée. Le premier est le dieu de I’doqucnce, un dieu dont Erasme a vanté la
force de la parole dans I’(< Exhortation au pieux lecteur D placée en tête de son
Nouveau Testciment : a Si jamais pareille force de la parole échut à quelqu’un, les
fables des anciens poètes ont souligné non sans raison que ce fut bien à Mercure,
qui en usait comme d’une baguette magique ou d’une cithare divine pour envoyer
à son gré le sommeil ou le retirer, expédiant aux Enfers, ramenant des Enfers qui
bon lui semblait ‘8. >>
D’oÙ vient la force de la parole ? Les humanistes de la Renaissance ont
trouvé la réponse chez Cicéron, celui-ci écrivant dans son Traité de 1’orLiteur que
(< sans la philosophie on ne saurait parvenirà I’éloquence que nous cherchons Ir) >>.
Mercure représente la puissance de la parole, mais aussi celle de la sagesse qui,
bien évidemment, s’oppose à la puissance physique, illustrée par Hercule terrassant
le lion de Némée.
Ainsi, c’est le contlit entre le corps et l’esprit qui est le thème du décor de
l’escalier sud-est : la volée la plus sombre illustre tout ce qui abaisse l’âme et la
plus lumineuse - jusqu’à l’obstruction au XVIIIL siècle d’une fenetre à meneau
- montre tout ce qui l’élève ’I. On a ici le développement d’un sujet hérité de
Platon, et revisité par saint Paul ”, qui connaît une grande vogue au début du
XVI‘ siècle. Celle-ci est illustrée non seulement par 1’Eloge de la folie d’Emme,
mais aussi par le Discord estcirit en 1 ‘homme pcir la contrciriété de 1 ’Esprit et de
la Chair de Marguerite de Navarre ‘l.
47. B. Castiglione, op. cit., IV, 52, p. 3x1 382.
48. Erasme. Eloge clc lo ,fidie. Atltr,yr.s. Collorps. R(~fIuiori\ siir l‘art. l’édiicdrirr, Itr rrligion, In
?lierre, /rl /J/!i/lMJphie. Corr~rporit/nrrc.e. ed. Claude Blum, André Godin. JeamClaude Margolin et
Daniel Ménager, Paris. Robert Lallimt, 1992. p. 594.
49. Cicéron, Tririté de /’ormirr, II. 14. éd. Abbé Colin. Pari\. Augwte Delalain. 1809, p. 133.
50. c. Riboulleau. Lr Ch2tenir .... op. cit., p. 140.
5 I. Voir A. Chastel. Morsile Fic,irr et l’Art, Genève, Droi. 1996. p. 91 -95 : G L‘Universelle VoluptC
el In lumière D.
S2. Epître mix Rorrirrir7.s. 7. 14-75.
53. Erame. op. cit.. LXVI, p. 95-98 : Le.\ Mtrqiwriie\ de Irr M[rr;yrreritr (les Prirrcrsses. éd. Franck,
t. 1. Paris, 1873. p. 69-76.

Une anomalie reste cependant à expliquer. Pourquoi l’Hercule terrassant le
lion de Némée porte-t-il une barbe à Villers-Cotterêts, alors qu’il est imberbe sur
la plaquette en bronze de Moderno ayant servi de modèle ? L‘artiste qui a travaillé
sur cette partie de la voûte de l’escalier sud-est a sans doute voulu y représenter
Franqois ILr.
Celui-ci a souvent ét6 identifié à Hercule pendant son règne. Ainsi
> est à l’honneur lors des entrées royales de Lyon en juillet
15 15 et de Rouen en juillet 15 I7 ou mCme dans le décor historié de la façade des
Loges du chliteau de Blois qui raconte une partie des Trcivaux ”.
Le vainqueur de Marignan étant aussi souvent assimilé à Mercure pour ses
talents d’orateur ”, on peut se demander s’il n’a pas été également représenté sous
cette forme à Villers-Cotterêts sur le caisson malheureusement mutilé. On aurait
ainsi, sur la voûte de l’escalier sud-est, une illustration du mythe de

182 Eric Tlzierry
sons finement sculptés de “l’escalier du Roi”) nous confirment dans cette opinion
quand on nous dit que c’étaient les moins impudiques ”. >>
Qui sont les > évoqués ? I1 s’agit en fait d’Ernest Roch qui
a écrit en 1909 : >
Le premier secrétaire de la Société historique cotterézienne, quant à lui,
s’inspirait de ce passage de l’Histoire de Villers-Cotterêts d’Alexandre Michaux
publiée en 1867 :

L ‘iiwgirruirc. des historieris locrrux : le chûteair de Villeus-Cottei3t.v 183
>
Ce que Henri Sauval a décrit ici, ce sont surtout des œuvres érotiques ras-
semblées par Frangois I” au chdteau de Fontainebleau pendant les années 1530 et
1540 et encore visibles sur place au début du règne de Louis XIV. Certaines
étaient des commandes du vainqueur de Marignan, comme les Vénus et Diane
nues peintes par Le Primatice pour les Appartements des bains et les amours des
dieux représentées par Le Primatice et par Rosso pour les tableaux ovales déli-
mitant les centres des quatre murs de la Galerie François I . Mais d’autres avaient
été achetées par ce souverain ou lui avaient été of‘íertes, comme l’illligorie de
61. Henri Sauval, Galanteries des Roi.s de Frunce. L. II, Paris, Ch. Moette, 1738, p. 234-236. II s’agit
d’un appendice des Hi.stoirc~s et reí~herchc~s de.v aniiyriiib de lo ville de Paris du même auteur
publiées pour la première fois en 1724. Le passage cité s’y trouve i la page 17 du troisième tome.

I84 Eric Tliirrty
Vktuts de Bronzino, la L& de Rosso ou les V~/ZLIS et Cupiclon de Girolamo da
Carpi 62.
François I appréciait beaucoup les représentations de nus, essentiellement
féminins, comme en témoigne cette lettre écrite en 1519 par le marquis de
Mantoue pour accompagner un cadeau, la Ve‘nus 2 lu corile d’abondutice de
Costa : >
Le roi aimait les nus parce qu’il était un grand amateur de femmes, mais
aussi parce qu’il était un prince de la Renaissance protecteur des humanistes
Alors, l’humanisme mettait en valeur l’homme, sa dignité, son intelligence et ses
capacités créatrices. Beaucoup s’écriaient, à la suite de Pic de La Mirandole :
)
Aussi le nu apparaissait-il comme l’exaltation de la puissance souveraine du
corps, comme un hymne à la vie et à la force.
Cette vision optimiste ne dura pas car, dès 1563, lors de sa XXV‘ session,
le concile de Trente déclara : C Désormais toute superstition doit être bannie, dans
l’invocation des saints, la vénération des reliques, l’usage sacré des effigies ; que
tout ce qui est jugé honteux soit éliminé, que toute indécence enfin soit fuie, afin
que les effigies ne soient plus peintes ni décorées avec un charme insolent ‘h. )>
L‘indécence des ceuvres d’art, assimilée par les catholiques à l’esprit luthérien

Cotterêts >>, mais l’ouvrage donné en référence, les Norrs .siir 1 ’Itulie de Fonvielle,
est introuvable dans les plus grandes bibliothèques h8. Quant au rapport du 5 brumaire
an II également cité par cet historien local. rapport selon lequel le caisson
représentant le satyre et la nymphe n’a pas été supprimé >, je ne l’ai pas non plus retrouvé, malgré des recherches dans les
archives communales de Villers-CotterCts et dans la série L des archives départementales
de l’Aisne.
Je crois néanmoins qu’Ernest Roch ne l’a pas inventé et qu’il l’a eu réellement
entre les mains car deux autres documents écrits une dizaine de jours plus
tcit l’éclairent. I1 s’agit d’une correspondance échangée entre le conseil général de
la commune de Villers-Cotterêts et celui du district de Soissons en vendémiaire
an II.
Le 24, c’est-à-dire le 15 octobre 1793. le premier écrivit au second :
. I1 est donc possible
que quelques sculptures aient eu à souffrir du marteau de l’inspecteur, mais les
dégiits sont vraisemblablement demeurés modestes. Faute d’argent, les autorités
de Villers-Cotterêts et de Soissons ont dû vite renoncer à un vandalisme systématique.
Les efforts nécessités par la guerre menée contre la Première Coalition
ont finalement permis la sauvegarde des F, des couronnes. des fleurs de lys et des
quelques nudités héritées de la Renaissance.
68. E. Roch, (irt. cit.. p. 154, note 4.
69. Ibid., p. 155.
70. Arch. dép. Aisne, L 1886, fol. 13-V.

I86 Eric Tliitrry
Malgré leur enthousiasme, les historiens cotteréziens qui ont écrit sur le
chliteau de Villers-Cotterêts n’ont pas su échapper à l’anachronisme. Ne s’effor-
gant pas de replacer les sculptures dans leur contexte, ils ne les ont pas regardées
avec les yeux de Franqois I r et de Henri II, mais avec les leurs, ceux de notables
provinciaux des XIXeet XX“ siècles. Quel dommage qu’ils n’aient pas lu avec
plus d’attention Alexandre Dumas ! En critiquant l’abbé Chollet, celui-ci leur
avait donné la méthode à suivre pour comprendre ce qui les scandalisait :

I-
r r i
. --
L’imaginaire des historiens locaux : le château de Villers-Cotter&ts 187
Fig. 1 : EmbKmatique d‘Henri II et de Catherine de Médicis
ornant la face occidentale du pavillon de l’auditoire (Cl. E. Thierry)
..
Fig. 2 : Embl&natique d‘Henri U ornant la façade du pavillon de I’auditoin? (Cl. E. Thieny)

188 Eric Thierry
Fig. 3 : Hercule terrassant le lion de Némk. Caisson de l'escalier sud-est (Cl. E. Thierry)
~ ~~ ~~ ~~~~~~~
Fig. 4 : Mercure. Caisson de l'escalier sud-est (Cl. E. Thierry)

L’imaginaire des historiens locaux : le château de Villers-Cotterêts 189
Fig. 5 : Jupiter skduisant Antiope sous la forme d‘un satyre. Caisson de l’escalier sud-est (CI. E. Thierry)
Fig. 6 : Le ddfi musical land par Marsyas ?I Apollon. Caisson de l’escalier sud-est (CL E. Thierry)

190 Eric Thierry
I
Fig. 7 : Vtnus chassant l’Amour. Caisson de l’escalier sud-est (CI. E. Thierry)
Fig. 8 : Jupiter embrassant l’Amour. Caisson de l’escalier sud-est (CI. E. Thierry)

congrès de la Fédération des sociétés d’histoire
et d’archéologie de l’Aisne
Soissons
II revenait à la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons d’or-
ganiser le XLIII‘ congrès de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie
de l’Aisne. En début d’année, le bureau fédéral avait décidé de rebaptiser cette
manifestation qui devient désormais (< Journée de la Fédération des sociétés his-
torique de l’Aisne D. I1 avait aussi formulé le v eu d’en relancer l’audience.
Pour atteindre ce but, la Société historique de Soissons avait choisi un thème sus-
ceptible d’attirer un large public,

FÉDÉRATION DES SOCIÉTÉS D’HISTOIRE
ET D’ARCHÉOLOGIE DE L’AISNE
Archives départementales de l’Aisne
28, rue Fernand-Christ - 02000 Laon
Bureau de la Fédération pour l’année 2000
Présidents d’honneur ................ Pierrette BEGUE
................................................... Alain BRUNET
................................................... Henry de BUTTET
Président ................................... Roger ALLEGRET
Président de la Société historique régionale
de Villers-Cotterets
Vice-président ........................... René GERARD
Président de la Société académique
de Chauny
Autres membres :
Tony LEGENDRE, président de la Société historique et archéologique de
Chriteau-Thierry
Claude CAREME, président de la Société historique de Haute-Picardie
André TRIOU, président de la Société académique de Saint-Quentin
Denis ROLLAND, président de la Société historique, archéologique et scienti-
fique de Soissons
Frédéric STEVENOT, président de la Société historique et archéologique de
Vervins et de la Thiérache
Secrétaire général :
Frédérique PILLEBOUE, directeur des Archives départementales de l’Aisne
Trésorier :
Robert LEFEBURE, secrétaire de la Société historique régionale de Villers-
Cotterêts
Comité de lecture :
Suzanne Fiette, Marc Le Pape, Maurice Perdereau, Frédérique Pilleboue, Martine
Plouvier, Éric Thierry, Emmanuel Véziat, Bernard Vinot
Comité technique d’édition : Fabienne Bliaux, Sabine Delaunay, Marc Le Pape,
Frédéric Stévenot (coordinateur), Éric Thierry, Emmanuel Véziat, Claudine Vidal
Les publications de la Fédération sont subvcntionnkes par le Conseil général de
l’Aisne et le ministgre de la Culture (direction régionale des Affaires culturelles
de Picardie)
I93

SOCIÉTÉ HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE
DE CHÂTEAU-THIERRY
Bureau de la Société en 2000
Présidente d’honneur ................. Mlle Colette PRIEUR
Président .................................... M. Tony LEGENDRE
Vice-présidents .......................... M. Robert LEROUX
................................................... M. Xavier de MASSARY
Secrétaire ................................... M. Raymond PLANSON
Secrétaire adjoint .......................
.\
Trésoriere ...................................
M. Georges ROBINETTE
Mme Bernadette MOYAT
Trisorier adjoint ......................... M. Roger LALOYAUX
Conservateur des collections ........ M. François BLARY
BibliothCcaire ............................. Mlle Florence COULOMBS
Mcinbres .................................... Mme Catherine DELVAILLE
Mme Anne-Marie HIGEL
Mme Thérèse PICHARD
Membres décédés en 1999
Mlle Lucienne BRAYER, Mine Jacqueline DUBOURG, Mme Madeleine
PORET.
Membres entrés a la Société en 1999
Mine Nicole BLONDEL, Mme Christiane FAYET, M. et Mine Frédéric HERI-
COURT, M. Jacques KRABAL, M. Jean-Luc LIEZ, Mine Sinione TEVISSEN
Activités de l’année 1999
6 FÉVRIER : Assemblée générale annuelle.
Les chripiteaux sculptés des &lises cle I’Orxoìs au XIP sì2cle, par Xavier de
Massary.
L‘Orxois est un ancien paps aux contours mal définis, correspondant grossière-
nient au cours moyen de l’Ourcq. Ce pays connut, du milieu du XI‘ siècle à la fin
du siècle suivant, une étonnante floraison artistique qui s’est traduite en particu-
lier dans la sculpture des chapiteaux. L‘église de La-Croix-sur-Ourcq en est sans
doute le témoin le plus ancien, en tout cas le plus naïf dans son expression artis-
tique des chapiteaux. Bien plus affirmé apparaît l’art des sculpteurs de I’église
I YS

196
d’Oulchy-le-Château. Dans les années 1 150 à 1 180, un ensemble d’édifices pré-
sente des chapiteaux dont la forte originalité permet de les attribuer à un même
atelier de sculpteurs : Bussiares, Hautevesnes, Marigny-en-Orxois, Veuilly-la-
Poterie, Marizy-Saint-Mard. Beaucoup reste à faire pour identifier les différents
ateliers de sculpteurs qui ont montré en Orxois une si grande inventivité.
6 MARS ; Entre pouvoir et méinoìre : une histoire cles archives, par Frédérique
Pilleboue, directrice des archives départementales de l’Aisne.
10 AVRIL : Gland, nion villuge, par Bernard Sonnette.
Ce village de la vallée de la Marne porta les noms de Glandiacum, Glandiacus,
Glana en 12 18, Glans en 1573, enfin Gland depuis le XVII‘ siècle. Gland subit
les grandes invasions. La guerre de 19 14- 19 I8 en est le plus récent exemple. Le
village est détruit à 67 %. Son chiteau, ancienne britisse fortifiée, sera démoli.
Son église du début du XII1 siècle, flanquée d’un seul collatéral du XV siècle,
au sud, ne sera plus que ruines et sera rasée. Le maître-autel du XV siècle, une
plaque tombale et les trois cloches de l’ancienne église, miraculeusement épar-
gnés, auront leur place dans le nouvel édifice inauguré en 193 I . Gland possède
un terroir de 569 hectares dont 158, au nord de la route départementale, sont clas-
sés

La seule cuisine comparable pour le XIV‘ siècle est celle du château de
Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire, mais la surface de cette dernière
n’atteint que 8 I m’, contre 690 m’ à Chiteau-Thierry. Les cuisines de notre ville
comportaient une saucerie où l’on pouvait préparer 15 plats en même temps.
L‘eau était fournie par un puits de 3,50 mètres de diamètre et 54 mètres de pro-
fondeur. Une véritable batterie de cuisine a été retrouvée : céramiques, réci-
pients d’une contenance de 1 à 10 litres, vaisselle métallique assez rare, comme
les chaudrons et les plats. Le service de la table prenait place au sud, dans la
résidence seigneuriale dite galerie des Princes. Les déchets alimentaires retrou-
vés nous renseignent sur le mode d’alimentation des châtelains et de leur cour
à la fin du Moyen Age.
2 OCTOBRE : L’eilfLiizce cle Jean Rucine, par François Valadon.
L‘enfance de Racine est mal connue. La date exacte et la maison de sa naissance
sont une énigme. II a été baptisé le 22 décembre 1639 par Nicolas Colletet, curé
de l’église Notre-Dame de La Ferté-Milon. Sa petite enfance est marquée par des
drames familiaux. I1 a un peu plus d’un an lorsqu’il perd sa mère, quelques jours
après la naissance de sa sœur Marie. Deux ans plus tard, son père, Jehan Racine,
décède également. Les deux orphelins sont séparés et confiés, Marie aux grands-
parents maternels Sconin, Jean aux grands-parents paternels. Les grands-pères,
tous deux fonctionnaires au grenier à sel, ont entre eux des relations de supérieur
à subordonné. A cette atmosphère tendue s’ajoutent les troubles politiques. En
1649, meurt le grand-père Racine. Marie Desmoulins reste seule avec son petit-
fils. Elle quittera La Ferté-Milon avec lui en 1651 ou 1652 pour se réfugier à
Port-Royal-des-Champs. I1 y suivra le solide enseignement des

198
4 DkCEMßRE : L’antiquite‘ des nolm des villciges de la région de Chciteau-Thierry,
par Jean-Claude Malsy.
L‘historien des noms de lieux ne peut avancer dans la connaissance du plus
ancien patrimoine qu’en se référant aux documents écrits. La région de Château-
Thierry se distingue par un important vide documentaire. Entre l’Ourcq et le Petit
Morin, seuls 18 noms de lieux sont mentionnés avant l’an mil. Ainsi la Marne,
Matrona, est le plus ancien. Sur des pièces de monnaie, on trouve Chariliaco et
Cariliaco pour Charly, Odomo pour Odomagus, nom antique de Chiteau-Thierry.
Deux axes de communication ont forgé l’histoire régionale : la Marne et la route
antique Soissons-Troyes. On peut distinguer les noms d’origine toponymique
comme Condé (confluent) Nanteuil (narzt = vallée), Baulne (terre humide) ; les
noms suffixes à finale (< y >> : Marigny, Lucy.. . ; les noms d’origine religieuse :
Saint-Eugène, Mont-Saint-Père.. . ; le règne végétal : L‘Epine-aux-Bois ; I’habi-
tat : Viels-Maisons. Seules les formes anciennes et les analyses comparatives per-
mettent de saisir la signification des noms des villes et villages.

SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE D’HISTOIRE,
D’ARCHÉOLOGIE, DES ARTS ET DES LETTRES
DE CHAUNY ET DE SA RÉGION
Bureau de la Société en 2000
Président .................................... M. R. GERARD
Vice-président ............................ M. J. SENECHAL
Vice-présidente .......................... Mme M.-F. WATTIAUX
Secrétaire ................................... Mme H. TONDEUR
Secrétaire adjoint suppléant ....... M. J.-L. MOUTON
Trésorière ................................... Mme J. FRENOT
Trésorier adjoint ......................... M. C. SBARDELLA
Bibliothécaire archiviste ............ poste vacant en l’absence de la titulaire,
Mine MESSIAS
Activités de l’année 1999
JANVIER : M. Langkt propose une causerie sur Le trciiri eritre eri (irt. A sa suite,
nous faisons un voyage en images entre le XIX et le XX siècles, avec des
peintres tels que William Turner, Daumier, Claude Monet et G ses gares >> et
d’autres impressionnistes. II nous présente les chemins de fer américains avec
Edward Hopper, les affichistes français, pour terminer par les surréalistes,
Magritte, etc.
Cette très intéressante causerie sur les peintres et leurs euvres est accompagnée
d’une projection de diapositives.
FÉVRIER : Mine Petitbon relate Les croyiiices, /murs, coutiirnes, trcrtlitiom, f;te.s
popilaires de notre pays. Cet exposé a permis aux spectateurs de se replonger
dans les coutumes et traditions qui viennent de nos ancêtres et se perdent peu à
peu. C’est le cas, entre autres, avec : les bûches de Noël - le gui - le buis - les
eufs de Piìques - les feux de la Saint-Jean - la naissance, le mariage - les funérailles
- les calvaires - le repas funéraire - les civilités villageoises.
9 MARS : Réunion du conseil d’administration en vue de la préparation de l’as-
semblée générale du 19 mars et étude de la suite du programme 1999.
19 MARS : Assemblée générale ouverte par le président, M. Gérard. Pour fêter les
25 ans de notre Société académique, M. Gérard donne une rétrospective des acti-
vités de notre société durant ces années et particulièrement durant les 20 années
199

200
de sa présidence que nous fêtons également cette année. Une rétro-projection de
documents accompagne cette causerie.
L‘Assemblée générale se déroule avec les rapports d’activité et financier acceptés
à l’unanimité des présents, le quorum ayant été atteint. Elle est suivie d’une
réunion du Conseil d’administration en vue de former le bureau pour 1999 , qui
se compose comme suit :
Président .................................... M. R. GERARD
Vice-président ............................ M. J. SENECHAL
Vice-présidente .......................... Mme M.-E WATTIAUX
Secrétaire ................................... Mme H. TONDEUR
Secrétaire adjoint ....................... Mme PETITBON
Trésorière ................................... Mme J. FRENOT
Trésorier adjoint ......................... M. C. SBARDELLA
Bibliothécaire archiviste ............ Mme MESSIAS
Membres .................................... Mines MARQUETTE, PELLETIER,
MM. GORSKI, PUGIN et VINOT
AVRIL : M. Bonnard, président de l’association Prométhée à Chiry-Ourscamps,
donne une causerie sur L’íispect de la recoiz.struc.tioii de Noyon, illustrée de diapositives.
Le 14 mars 1919, I’État impose le premier plan urbain à toutes les villes
de plus de 1 O00 habitants, les obligeant à créer un plan d’aménagement, d’embellissement
et d’extension et donc iì choisir entre une ville moderne et la conservation
des vestiges, tout en gommant les défectuosités de la guerre de 14-18.
C’est la deuxième hypothèse qui a été retenue à Noyon, mais était-elle bonne ?
C’est ce que M. Bonnard a réussi à démontrer avec brio.
MAI : M. Andrieu traite de I ’analyse trciiz.sac‘tioniielle, causerie accompagnée
d’une projection de documents. Cette théorie psychologique globale de la per-
sonnalité et des relations a été élaborée par le Dr Eric Berne aux Etats-Unis dans
les années 50. Théorie accessible, le langage de l’analyse transactionnelle est
compréhensible, afin de donner à chacun une suffisante autonomie d’analyse
dans le maniement de l’outil pour ne pas avoir recours i?¡ un spécialiste. Elle cla-
rifie et améliore les relations individuelles et de groupes en permettant de
résoudre les problèmes de comportement, mais ne prétend pas être une panacée.
JUIN : Voyage de la Société en Champagne avec visite du château de Condé-en-
Brie, des caves Mercier et d’une chocolaterie artisanale tout en parcourant les
coteaux champenois.
SEPTEMBRE : Réunion de rentrée avec la relation par M. et Mme Noyelle du voyage
en Champagne, causerie agrémentée d’une projection de diapositives et documents.
26 SEPTEMBRE : Congrès des Sociétés d’hi\toire à Soissons.

12 OCTOBRE : Réunion du conseil d’administration.
20 I
OCTOBRE : M. et Mme Noyelle évoqiicnt 1 ‘histoire de lu Sicile et des îles
Eolieriizes avec projection de diapositives. La Sicile, terre volcanique située à
trois kilomètres de l’Italie, a connu toutes les vicissitudec des différentes ethnies
qui l’ont occupée : Grecs, Phéniciens, Carthaginois, Romains, etc. se la disputèrent
au cours des siècles, tout en y laissant leurs souvenirs archéologiques.
Statues, temples, mosaïques, théâtres, chapelles et châteaux normands. églises et
palais baroques, l’art sicilien témoigne d’une histoire mouvementée marquée par
la volonté esthétique et politique des dirigeants successifs.
NOVEMBRE
: Mme Helen McPhail, historienne anglaise, a étudié l’occupation
allemande lors de la première guerre mondiale qu’elle relate dans son dernier
livre, Le loizg silerice. Silence pendant la guerre, suivi d’un silence dans l’histoi-
re et la mémoire moderne.
Elle relate la vie des FranGais du Nord de la France pendant cette longue guerre
en nous rappelant le marché noir, la disette, les fusillés, les trahisons et les dénon-
ciations, la clandesLinité, le ravitaillement, les réquisitions, des mots qui, dans la
mémoire des auditeurs, font resurgir de nombreux souvenirs qu’ils avaient déjà
entendu Cvoquer des années auparavant, par leurs parents. Les Français étaient
prisonniers en France. Tout ceci illustre bien la question primordiale de la confé-
rencière : >
En novembre, également, nous avons été conviés au Forum, centre culturel de
Chauny, pour assister B la pièce de thé3tre relatant Les rn&moives d’un vat - de
Verdiin clii Chernin des Darnes, accompagnée d’une exposition de la Société aca-
dhique de Chauny sur Cliuiiny a\mt et LiprPs ILI giterre de 14-18 et d’une autre,
présentée par la fédCration Maginot et ayant pour thème /’uprP.s-guerve jiisyii ’eri
1939.

SOCIETE HISTORIQUE DE HAUTE PICARDIE
Bureau de la Société
Président ................................... M. Jean-Louis BAUDOT
Trésorier ..................................... M. Jérôme BURIDANT
Secrétaire ................................... M. Emmanuel VEZIAT
Membres du conseil ................... Mme Jacqueline DANYSZ
Mlle Frédérique PILLEBOUE
M. Pierre BOCQUET
M. Thierry BONHOMME
M. Claude CAREME
M. Marcel CARNOY
M. Jean HALLADE
M. Rémy LAHAYE
M. Robert LEFEVRE
M. Jean PARENT
Activités de la Société en 1999
203
2 1 JANVIER : communication de Monsieur Carnoy et conférence de Monsieur
Jorrand.
Monsieur Carnoy communique une de ses recherches, extraite de L’Aisrie il y a
ceru a17s ( I9 12) : l’origine du hameau La-Garde-de-Dieu, à mi-chemin entre
Rozoy et Brunehamel, sur la commune de Grandrieux.
Né en 1769, Pierre Leleu est issu d’une famille de charpentiers de Parfondeval et
devient lui-même charpentier dks l’lige de huit ans. Maître de famille à 18 ans, il
réussit à s’enrichir quelque peu grlice à l’achat d’une coupe de bois revendue
habilement. I1 en profite pour acheter une auberge que les habitants surnomment
N la garde de Dieu >) quand lui-même, Pierre Leleu, enrcilé sous la Révolution, se
demande qui gardera son auberge et s’écrie >. Peu après,
il installe une Salpêtrière, puis un moulin et, en 1802, une brasserie, tout en res-
tant un actif charpentier. L‘ensemble attire et le hameau fondé par Pierre Leleu se
peuple.
Monsieur Jorrand, archéologue municipal, présente ensuite un état de ses
recherches archéologiques laonnoises entreprises depuis 15 ans, état illustré de
nombreuses photographies.
Le plan chronologique adopté l’amène à signaler les traces les plus anciennes de
la ville dans le marais de Leuilly, près de la décharge : des fosses, des morceaux

204
de céraniique datent de 1’3ge du fer et révèlent une installation entre la civilisa-
tion de Halstatt et la Tène.
Le Plateau serait occupé seulement depuis le Pr siècle (vers 40) avant Jésus-
Christ. La fosse du site de la (< Comédie n, près de l’hiitel de ville, une exploita-
tion de carrière à ciel ouvert remblayée, une latrine rue Saint-Jean, un puisard
avec déversoir sur le nord de la place du parvis, un puits sur l’emplacement de
l’ancienne église Saint-Rémi-8-la-Porte signalent une occupation gallo-romaine.
Une intéressante nécropole a été découverte en deux temps, dans la rue Saint-Jean
en 1996 (inhumations en fosse et 13 sarcophages) et dans la rue Saint-Martin en
1998. Cette dernière est riche de 37 sépultures d’adultes et d’enfants orientées
est-ouest, mais aussi d’une pierre portant le signe du Christ ; peut-être date-t-elle
du Vc siècle. Monsieur Y ves Créteur, archéologue-paléontologue de I’ AFAN
(Association pour les fouilles archéologiques nationales) a détaillé les sépultures
et les squelettes.
Parmi les autres vestiges se signale, à La Neuville, Line voûte à ressauts de des-
cente de cave, seniblable à celle de l’abbaye Saint-Vincent.
Les quelques cent à cent dix personnes qui remplirent totalement la salle mon-
trent l’intérêt porté par la population laonnoise à son histoire et au mystère des
fouilles archéologiques. On aimerait tellement en savoir plus, et avec précision.
La nécropole de la rue Saint-Martin interpelle : il est urgent de réaliser des
fouilles à l’abbaye Saint-Vincent !
23 FÉVRIER : Sui-tre ir Oien par Yves-Marie Lucot.
Yves-Marie Lucot, journaliste, écrivain et ... membre de la Société hi\torique a
présenté et tenté de cerner pourquoi Sartre n’a pas aimé Laon. Le public - tou-
jours aussi nombreux - semblait curieux d’en savoir plus sur ce rende~-~~~
manqué avec l’Histoire >>.
Né en 1905, orphelin de père, Jean-Paul Sartre est élevé par sa mère, personne
effacée, et par son grand-père, instituteur, protestant, alsacien cousin d’Albert
SchweitLer. Dans cet entourage et avec la découverte de sa >, l’enfant
se réfugie dans les livres et conserve une nientalité d’adolescent. Mais c’est un
élève brillant qui, après le lycée Louis-le-Grand, entre à I’Ecole normale supé-
rieure en 1924. I1 y rencontre Raymond Aron, Paul Nizan et la belle Siinone de
Beauvoir, dite le Castor n, qui devient sa compagne pour la vie. Jean-Paul
Sartre est rey premier 8 l’agrégation de philosophie en 1929. Fait aussitiit, le ser-
vice militaire aurait pu l’arracher à sa jeunesse, le pousser 8 une condition
(< d’homme >>, mais il lui laisse surtout le temps de lire tant des romans de quatre
sous que Antoine de Saint-Exupéry (Vol de nuif), Paul Claudel (Le soulier de
.safin), Bertold Brecht.
De I931 8 1933, il exerce au lycée du Havre, ville qui ne lui diplail pas car
proche de Paris. Il s’investit un peu puisqu’il rédige le discours de remise dcs
prix. Simonc de Beauvoir et Jean-Paul Sartre constiluent un (< couple moderne D
où chacun reste libre ; loutelhis, lorsque les mutations les séparent, ils n’ont
qu’une idée : se retrouver. Ainsi, Sartrc quille Le Havre pour l’institut franpis de
Berlin ; Simone prend un congé maladie.

Sartre écrit. Alors qu’il est près de terminer La n~urske, il se jette dans
L’imagination B tel point qu’il expérimente une drogue pour connaître les hallu-
cinations. Simone, aidée d’une certaine Olga, l‘en libère. Puis elle écarte Olga.
Sartre commence peu après les nouvelles du Mur- et met en forme la dernière ver-
sion de LN riau.\&, roman où il approche une réflexion nouvelle : I’existentialis-
me. C’est dans cet état d’esprit créatif de jeune écrivain et philosophe qu’en 1936
il est nommé à Lyon, pendant que Simone est mutée à Paris. I1 refuse Lyon,
accepte Laon, proche de ... Paris.
Alors, sont-ce les jeunes élèves du lycée de garqons qui

206
précepteur de Philippe IV le Bel ; il fait ensuite son droit à Bologne avant de pos-
skder les prébendes à Paris, Rouen, Amiens, Sens, Bayeux, Reims, Saint-Omer,
Cambrai et Saint-Pierre-de-Rome oÙ il est inhumé en 1341 ; lui non plus ne vient
pas à Laon puisqu’il est assidu à la curie ; il se fait représenter par Giotto dans un
triptyque qui marque les débuts de l’art du portrait.
Francesco Gaetani, indigne et dissolu, est désigné, en tant que neveu du pape
Boniface VIII, trésorier du chapitre en 1275 ; il est dispensé du serment dû à
I’évêque et ne paraît donc pas à Laon, mais à Rome il est utile au chapitre laon-
nois qu’il défend victorieusement contre la commune lors d’un conflit qui a lieu
en 1293- 1295.
Avec la deuxième moitié du XIV‘ siècle, le recrutement des chanoines est plus
local. On suit Michel Casse par ses achats de manuscrits : il réside en Avignon
jusqu’en 1348, date iì laquelle il arrive à Laon et prépare le banquet de Noël pour
37 chanoines et 33 chapelains ; il devient aumbnier de la reine Blanche, veuve de
Philippe VI de Valois ; il finit sous-aumbnier du roi en 1368- 1374 avant de léguer
I7 manuscrits à la bibliothèque du chapitre de la cathédrale ; il en reste actuelle-
ment 9 à la bibliothèque !
Dans la dernière période, de 1407 à 1412, on remarque Jean de Haucourt, musi-
cien à la cour pontificale : deux rondeaux et un virelai, qui figurent dans un
manuscrit à Carpentras, sont parvenus jusqu’à nous. Jean de Monampteuil est
reçu docteur en médecine en I38 I , à l’époque de Guillaume de Harcigny ; il a lui
aussi soigné Charles VI ; il témoigne de la renommée de l’enseignement de la
médecine à Laon. Lui est tout de même resté un temps dans la ville, en tant que
bouteiller du chapitre cathédrale.
2 AVRIL : Le coininerce iì Lcioii LIU XVIII’ siècle, par Mine Geoffroy.
A l’heure où la géographie commerciale à Laon pose problème, il est nécessaire
d’étudier la situation passée. Mme Geoffroy le fait pour la fin de l’Ancien Régime
; sa recherche et sa présentation rigoureuses donnent tort aux ab\ents.
L‘économie, au XVIIP siècle, passe de la rareté à l’abondance par I’accroisse-
ment de la production et des échanges qui assurent l’enrichissement et I’embel-
lissement des villes. Comment se font ces échanges à Laon, ville-type d’Ancien
Régime avec ses nombreux clercs et officiers ? Par les marchés, les foires et les
boutiques des marchands-artisans.
Les marchés ont une périodicité élevée ; ils ont lieu trois fois par semaine, les
mercredi, vendredi et samedi, au lieu des mardi, jeudi et samedi au XIV‘ siècle ;
ils offrent des produits frais et rayonnent jusqu’h quatre lieues ; les demandes de

207
économiques entre Laon et Reims sont actives.
Les r8les et le registre des métiers de I777 montrent que les marchands laonnois
représentent 36 ?k des feux fiscaux (familles imposables) et même 44,5 % de
ceux du Plateau, soit 633 foyers ! Laon est alors une ville commerçante, comme
le montrent les 94 niarchands-artisans sur 96 foyers fiscaux de la paroisse Saint-
Jean-au-Bourg et les 126 sur 126 de la paroisse Sainte-Geneviève ; ils sont la
moitié des foyers des paroisses Saint-Cyr, Sainte-Benoîte, Saint-Pierre-le-Vieil,
le quart des foyers des paroisses Saint-Julien et Saint-Rémi-Place. On distingue
au total 25 bouchers, 50 cabaretiers, 35 marchands-fripiers, 33 tailleurs, 23 cor-
donniers, 13 bonnetiers ... qui vendent du neuf et revendent du > car on ne
jette pas facilement à cette époque. Mine Geoffroy relève en particulier que Jean-
Philibert Regnault, fils de l’hôte de la >, s’est enrichi
comme niarchand-mercier, grâce à deux c beaux >> mariages, et s’est imposé poli-
tiquement sous la Révolution pour devenir adjoint au maire sous l’Empire. La
diversité des tissus vendus - lainages, cotonnades, soieries - atteste que la mode
est à Laon, ville d’autre par1 bien intégrée iì un large commerce ainsi que le prou-
vent la liste des fournisseurs dispersés dans tout le Nord-Est de la France (Reims,
Paris, Elbeuf, Sedan, Troyes, Lyon...).
1 1 MAI : Elie Bloncoirrt, dkpité de l’Aime eri 1936, par M. Chathuant.
M. Chathuant. professeur à Reims, présente la personnalité d’Elie Bloncourt,
député de la circonscription de La Fère en 1936 et après la deuxième guerre.
C’est par hasard que Monsieur Chathuant s’intéresse au dépulé de l’Aisne. Dans
le cadre de sa thèse sur les mouvements nationalistes dans les (très) anciennes
colonies françaises des Antilles, sa recherche le mène à Chartres oh s’est retiré un
gouverneur de la Guadeloupe après sa mise à la retraite par le Front populaire
pour fraude électorale ... par ailleurs constante dans les colonies ! Dans les
archives de ce gouverneur, un certain Max Bloncourt est classé > ; un gendarme zélé a noté j. En réalité, IC gendarme a confondu Max et Elie, son frère. I1 est vrai
que les Bloncourt, de génération en génération, participent aux mouvements
socio-politiques d’opposition ... comme de la Résistance.
Elie Bloncourt, né en 1896 à la Guadeloupe, est fils de commis des Douanes,
donc de milieu petit-bourgeois. Ainsi que tous les habitants de ces anciennes
colonies, il se considère Français, plus Français que les Niçois, les Alsaciens,
Francs-Comtois ou ... les Corses, rattachés à la France après eux. En outre, sa peau
claire, quasi blanche, ne peut que favoriser son intégration dans la métropole. La
deuxième partie de son existence le dkmontre.
En effet, Elie Bloncourt participe 2 la Première Guerre mondiale et tout d’abord
à l’expédition des Dardannelles (1915). Blessé près de Chiìteau-Thierry en mai
1918, il reste aveugle. II s’installe en France, apprend le braille, s’inscrit à la
Sorbonne, obtient une licence de philosophie en 1921 et devient professeur 2 La
Fère. Quelques années plus tard, le voilà conseiller général, puis la SFIO l’inves-
tit candidat à la députation en 1936. Dans sa profession de foi, outre les revendi-
cations sociales du Front populaire, il soutient les betteraviers aux dépens des

208
producteurs de sucre des c Isles D. Un reniement ? Une simple intégration ‘? Le
résultat est une élection dans l’enthousiasme.
Pendant l’Occupation, Elie Bloncourt participe à la Résistance. Président de la
SFIO pour la zone occupée, il met en place le mouvement >,
appartient au Conseil national de la Résistance, s’installe au ministère des
Colonies, rue Oudinot, le 26 août 1944 ... En 1945, il est réélu avec Pierre-Bloch.
Mais, mécontent de la rupture entre la SFIO et le PCF en 1947, il quitte la SFIO
pour animer la gauche socialiste, avant de rejoindre le parti socialiste et
Mitterrand en 197 I .
Homme mutilé, engagé, dévoué (il défend les Guadeloupéens arrêtés après une
manifestation sanglante de niai 1967, oÙ les Etats-Unis auraient fait croire au
gouvernement franpis à une action castriste) et, semble-t-il, déjà oublié, Elie
Bloncourt meritait d’être rappelé à la mémoire collective.
6 ET 14 JUIN : Les grin?/?ertes, visite conférence par M. Baudot.
Descente de la grimpette des Froids-Culs, remontée par la sente Morlot, descen-
te par la ruelle des Morts, remontée par la ruelle de la Vieille-Montagne.
Cette sortie fait suite A l’exposition C/?einiiifiii.wiif, réalisée aux archives dépar-
tementales de septembre h décembre 1998.
17 SEPTEMBRE : Lrion, cleiix sitcdrs de vie inusiccile, par Claude Carême.
Claude Carême, à l‘occasion du 120 anniversaire de l’harmonie municipale et du
50 anniversaire du conservatoire, présente les origines et les évolutions de ces
institutions.
La municipalité, aux XIX’ et XX‘ siècles, se montre constainment soucieuse d’en-
tretenir une activité musicale populaire. Dans le cadre du mouvement orphéo-
nique, le maire Beauvillé, en 1858, fait appel à un bon et jeune chef de musique
militaire, Emde Guérin, pour réorganiser la musique de la garde nationale, plus
ou moins satisfaisante. Celui-ci crée une école de musique, pour former les ins-
trumentistes, et une union chorale. L‘opposition de certains musiciens entraîne
son remplacement par Charles Frédéric Selmer, chef de musique militaire à la
retraite.
Après la dissolution des gardes nationales par Thiers en 187 I , le maire Glatigny
demande à Seliner de revenir à Laon pour fonder l’harmonie municipale. Elle est
créée en 1879, peu aprks l’inauguration du kiosque, promenade de la Couloire.
Mais la naissance est difficile ; si Georges Siegrist (1 882- 1894) est un bon chef,
Porsch, entre I879 et 1882, et Boyer, entre 1894 et I90 I , créent des crises.
A partir de 1901 et des nouveaux statuts qui impliquent beaucoup plus la niuni-
cipalité, les institutions musicales laonnoises sont stnbilisées. La longévité des
directeurs - quatre en cent ans ! - assurent aussi cette stabilité. L‘activité
d’Alphonse Crousez (1901-1920) met fin à la crise. Emile Filllltre réorganise
l’harmonie et I’école après chacune des deux guerres.
Mais le grand moment reste la deuxième moitié du XX si6cle. Tout d’abord, le
inaire Levindrey installe I’école de musique dans de vastes locaux où le nouveau
directeur, Roger Thirault (1949-19841, artiste qui rompt avec la tradition militai-

209
cent instrumentistes. En 1985, M. Maumené, le directeur actuel, issu de l’école
normale, multiplie les activités pédagogiques pour initier le mieux possible IC
plus grand nombre d’enfants à In musique.
Le succès du conservatoire impose une réhabilitation des locaux trop vétustes,
dangereux.
28 OCTOBRE : Le iiioiiiiiiieizt des trois iristitutrirrs de l’Aisne, par Robert Lefèvre.
Robert Lefèvre, professeur li I’IUFM, rappelle l’histoire glorieuse et chaotique du

210
> dont c’est le centenaire.
La guerre de 1870- I87 1 est un désastre pour la France. Laon est occupée du 7
septembre 1870 au 24 octobre 187 1 ; l’explosion de la citadelle, le 9 septembre,
est un épisodc célèbre de ce moment tragique. Dans l’Aisne, parmi les fusillés par
les Allemands, trois instituteurs passent à la postérité : Jules Debordeaux, institu-
teur à Pasly, fusillé le I 0 octobre 1870, Louis Poulette, instituteur à Vauxrezis,
fusillé le 11 octobre, Jules Leroy, instituteur à Vendières, fusillé le 22 janvier
187 1 à Châlons-sur-Marne.
Dans une atmosphère d’humiliation et de revanche, le Conseil général de l’Aisne,
dès sa première session, en novembre 187 I , vote la fabrication d’une tablette de
marbre en leur mémoire. Elle est d’abord déposée à l’école normale, rue Clerjot,
le 20 août 1872, puis rue de la République, en 188 I . Les personnalités présentes
glorifient les instituteurs dans les mêmes termes que Jules Ferry un peu plus tard.
Leur souvenir est entretenu par une brochure, puis par une affiche où figurent
leurs portraits et, enfin et surtout, par le monument conçu par le statuaire Jean
Carlus. Laon et Soissons se disputent sa possession. L‘importance politique du
maire de Laon, Georges Ermant, député et conseiller général, fait que le monu-
ment est finalement érigé à Laon. I1 est inauguré le 20 mai 1899 devant 1 600 ins-
tituteurs et institutrices de France et les personnalités du département.
Surmontant une groupe d’enfants, les trois instituteurs sont tournés vers la fron-
tière mutilée. Jules Debordeaux est à gauche, Louis Poulette au centre. Jules
Leroy, à droite, lève le bras.
Détruit par les Allemands en 19 17, le monument est réédifié, toujours par Carlus,
griìce aux dommages de guerre. L‘inauguration a lieu le 28 juillet 1929, en même
temps que celle de l’école normale de filles, sans les officiels prévus, puisque le
gouvemement Poincaré a démissionné la veille.
Célébré avec enthousiasme en 1899 et 1929, considéré comme un lieu de souve-
nir en 1945, il est tombé depuis dans une indifférence d’où les organisateur des
manifestations pour son centenaire espèrent le sortir.
4 DÉCEMBRE : J~SUS, iin yrrsonncige historique ?, par Nicole Moine.
>, démontre Nicole Moine (professeur
d’histoire ancienne à l’université de Reims, spécialiste du christianisme),
invitCe par la Société historique de Laon, reprenant ainsi les couvertures de
diverses revues à grand tirage parues depuis 1998. Les titres se veulent accrocheurs
:

21 1
pereur Claude

SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE SAINT-QUENTIN
fondée en 1825
Reconnue d'utilité publique
En son hCitel B Saint-Quentin
9, rue Villebois-Mareuil
Bureau de la Société en 2000
Président ................................... M. André TRlOU
Vice-présidents ......................... Mme Monique SEVERIN
M. Francis CREPIN
M. Bernard DELAIRE
Secrétaire général ..................... M. André VACHERAND
Trésorier .................................... M. Jean-Paul ROUZE
Bibliothécaire ............................ Mine Arlette SART
Archiviste .................................. Mine Annie ELSNER
Conservateur du musée ............. M. Dominique MORION
Conservateur adjoint ................. Mme Josiane POURRIER
Activités de l'année 1999
Communications lors des réunions mensuelles
22 JANVIER : Assemblée générale. Les ritourrielles du círrillon et leurs d$férenis
iizocles de progríiiiiiizcrtiori, par Francis Crépin.
26 FÉVRIEK : H~LII*S et r~iulheurs de 1 'Art clt:co Ci Saint-Queritin, par André Triou.
26 MARS : Odile Gnhecrux, wie r&sisteinte suiiit-yuentinoise et m e artiste mécon-
nue, par Roger-Max Busseniers.
23 AVRIL : Quin:e uiis de tr~ii~~iiix I'cihthiye du Moiit-Striiit-Marlin, par le docteur
Eric Wosnicki.
26 MAI : La mliizoire íle Montbrehairz, soil histoire autremeril ; L'&de de notre
er!fiirzce, par le docteur Jean Bouderlique.
213

214
18 JUIN : Le couple Fourier-Godin, utopie ou réalité, par Claude Venet.
24 SEPTEMBRE : Horiirizage 6 Christiiie Debrie, par André Triou.
Lesfmritons CILI piliiis de Fervayiies, par Monique Séverin.
Le Jjpriton tiir thliltre, par Louis Armbrust.
22 OCTOBRE : Les tecliiziques ~iicieriiies de IN peinture b l’huile, par François
Waendendries.
19 NOVEMBRE : Les t?g/ises fortifikes de Irr T/iit?rcrche rrxonaise, hier et aiijoirr-
d’hui, par Jean-Louis Tétart.
IO D&EMBRE : Avoir21 NILS en 1944, par Janine Cotin.
Voyages d’étude et visites
19 AOîJT : Gouj ; visite de /’abbaye du Morir-Sriint-Mrirtiii, guidée par le docteur
Eric Wosnick, président de l’association des Amis de l’abbaye.
29 SEPTEMBRE : Soissoris et C~~irc~-le-Chiltrriir ; participation à la journée de la
Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne.
Travaux en cours
EnquCte pour la Contrihirtioii il la tiiltiioire rlu citoyen s~iint-qirrntiriois, d’après
une idée d’ Arlette Sart, dirigée par une commision composée de Monique
Séverin, Arlette Sart et Jean-Louis Tétart, destinée h recueillir témoignages et
documents en cette fin de siècle.
Lancement lors des journees du Patrimoine, les 18 et 19 septembre, par la distribution
de cahiers destinés à recevoir ces archives du futur. Appel par courrier à
tous les membres du conseil municipal, à tous les dirigeants de sociétés, aux
membres du conseil des sages, du conseil des jeunes, aux maires des communes
voisines et d’autres personnalités, pour leur participation et leur soutien.
Emissions radiophoniques sur Radio-France-Picardie, sous le titre , initiée par André Triou, devient solidaire de la nouvelle
enquete.
Bibliothèque
Elle est maintenant ouverte au public les lundis et mercredis après-midi : classe-
ment des livres, archives, dons et legs par Mmes Sart, Séverin et Eher ; consti-
tution des dossiers thématiques.

Musée archéologique
I1 est ouvert aux enfants des écoles, sur rendez-vous, et lors des journées >, sous la direction du conservateur, Dominique Morion, et de son
adjointe, Josiane Pourrier.
25 OCTOBRE : visite de la Société par une classe du collège Hanotaux accompa-
gnée de correspondants allemands et de leurs maîtres du collkge de Lüdenscheid,
sous la conduite de M. Denis Lefevre, avec une animation de Mmes Séverin et
Pourrier.
Participations
lcr MARS : Bourse aux livres, salle de Verdun, par Monique Séverin.
24 ET 25 AVRIL : Portes ouvertes au musée archéologique, exposition de docu-
ments, cartes et plans : Dominique Morion, Josiane Pourrier, Monique Séverin,
André Triou.
18 AVRIL ET 29 MAI : Prix de la nouvelle en picard : réunions du jury avec Jean-
Pierre Semblat et André Vacherand. Remise de prix et citations aux lauréats.
23 MAI : Fêtes du Bouffon : concert de carillon par Francis Crépin. Jean-Pierre
Semblat chante, de sa voix picarde, c L‘gayant Herbert D, dont il a écrit les
paroles, accompagné au carillon par Francis Crépin, auteur de la musique.
JUIN : Pour le tournage d’un filni sur >, concert de
carillon avec exécution de la chanson ci-dessus.
5 ET 6 JUIN : Journées du tourisme et de l’environnement : visites guidées du
musée archéologique ; exposition de documents et photos anciennes.
19 JUIN : Fête de la musique : concert de carillon iì l’hôtel de ville par Francis
Crépin.
12-27 JUIN : Journées du patrimoine industriel : exposition Raconte-moi le canal
(canal de Saint-Quentin de Fargniers a Cambrai). Participation active à la pré-
sentation : cartes postales anciennes de Monique Séverin et Georges Boudon.
Collection de photos en couleurs de toutes les écluses, de Serge Sallandre.
Programme chargé des journées par Francis Crépin, président de l’association de
sauvetage du patrimoine industriel du Vermandois.
Pendant l’été : visites du patrimoine urbain à bicyclette, guidées par Bernard
Delaire.
215

216
12 SEPTEMBKE : A Lehaucourt, conférence L’exode de 1940, par Monique Séverin.
18 ET 19 SEPTEMBRE. : Journées du patrimoine : portes ouvertes B l’h6tel de la
Société. Musée par M. Morion et Mme Pourrier. Accueil par Arlette Sart, qui distribue
les cahiers aux participants B l’opération >, aidée par
MM. Mareuse, Monnoyer et Tétart.
Conférences permanentes avec projections : le 18, Le clécor urbciin de la remis-
triiction, par André Triou, et le 19, Les ~iioiiiii~ieiits de Saint-Queiitin, par
Monique Séverin.
Visites des monuments guidées par de nombreux membres de la Société.
17 ET 18 SEPTEMBRE : Grand spectacle, place de I’H6tel-de-Ville et au théstre :
Les six jours d’Henri IV. Reconstitution par André Triou de la visite fameuse du
roi en 1590. Parmi les comédiens, Thierry Comble dans le r81e du roi ; dans celui
du mayeur, André Triou, Annette Poulet épouse du mayeur, etc. De nombreux
acteurs et membres de l’équipe technique étaient membres de notre Société. Mise
en scène d’Hubert Mercereau.
1“ ET 2 OCTOBRE : Fêtes Saint-Quentin : grand spectacle L’itweiition &i corps de
Moiisieur Soirit-Quentin, d’après un manuscrit du XV siècle, adapté pour la
repréjentation B la basilique par André Triou ; conception et mise en scène de
Francis Crépin ; son et lumière conçus par Bernard Delaire.
I6 OCTOBRE : Lire en fête : 2 la bibliothèque municipale, conférence Les inLiires
de Suint-Queritin Nzi XIX’ siècle, par Monique Séverin. A l’espace Saint-Jacques,
Coritrs de Proverzce (de Mistral et Roumanille) par André Triou. Au Logis
Voltaire, exposition Lci presse sciint-yiirritiiioi.sr par des étudiants, avec l’aide de
Monique Séverin et André Triou.
17 OCTOBRE : Semaines de l’environnement : iì la maison de la Nature, au faubourg
d’Isle. projection d’un film de grande beauté, Le ni~iniis criifil des saisons,
œuvre de René Bertré. de l’Institut des sciences de l’environnement.
23 OCTOBRE : La semaine de la science : à l’Institut supérieur des sciences et techniques,
conférence Conii~ii.s.wiice et ,s~iiiwg~irde du patrimoine iizdirstriel clctiis le
Saiiir-Quriztiiiois, par Francis Crépin.
18 SFPTEMBRE AU 30 OCTOBRE : Dans le cadre des Mémoires campanaires de
Saint-Quentin - L‘art du carillon depuis I880 D, à l’espace Saint-Jacques, exposition
Histoire dir cciri//on et u~iri~/oii~ieurs de Saiiit-Queritin.
Publication d’un ouvrage avec la participation de Francis Crépin et Alexis
Grandin.
Avec le carillon ambulant de Douai, Francis Crépin a donné des concerts publics,
place de I’HBtel-de-Ville ainsi que dans trois écoles : les ékves de 27 classes ont
en même temps profité de conférences B propos des cloches et des carillons.

217
NOVEMBRE : Mairie annexe Saint-Martin, exposition Histoire dir 87 RI, par Serge
Sal 1 andre.
Office du tourisme
Enregistrement par Francis Crépin d’un audio-guide pour l’histoire de la collé-
giale, réalisé par André Thiébaut.
Autres confbrences
IO F~VRIER : A la mairie annexe de Saint-Martin, Antoine cle Soint-E.nrpép, par
Serge Sallandre.
6 AVRIL : Au restaurant des Champs-Elysées, pour I’ ASPIV, Ccrrillons, carillon-
neurs Ù Sriint-Qcrentin, par Francis Crépin.
20 AVRIL : Dans le même cadre, Heirrs et rnallzecrrs de l’Art clCco ir Suint-Qirentirz,
par André Triou.
MAI : Printemps des poètes à l’école de Saint-Paul-au-Bois, par Janine Cotin.
23 SEPTEMBRE : Conférence à la Société archéologique de Péronne, L’iinpossihle
paix cle Versailles, par Dominique Morion.
11 NOVEMBRE : Pour le salon d’automne Art et Littérature, conférences Pierre
Acig~rstin Ccrrorz de Beoirr~i~ir~~I~~ri.r, riiort erz 1799, par Louis Goret et Avcrnt, pendcrnt,
après Hindenburg, par Pierre-Paul Trannois.
13 NOVEMBRE : Jerrn Mo~rlin, rié en 1899, par Janine Cotin : poèmes, par Henry
de Julliot.
18 NOVEMBRL : Anniversaire de la mort de Richard Cceur de Lion, par Suanne
Liétoir ; poèmes, par Monique Salandre.
20 NOVEMBRE : Lire Btrlzac, né en 1799, par Joseph Leroux.
Publications de nos membres
Cahiers Mcirtin Suint-Renk, hommage à l’abbé Henry de Julliot : poèmes.
Jean Bouderlique, Lu Mhoire de Monthreliciin, son histoire autrement,
11 volumes 21 x 29,7, à compléter plus tard par deux autres, déposés à la mairie
de Montbrehain, à la bibliothèque municipale et Li la Société académique.

218
Christian Millet, , revue Parchenziiz.
Christine Debrie,

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE, HISTORIQUE ET
SCIENTIFIQUE DE SOISSONS
4, rue de la Congrégation, 02200 Soissons
Téléphone-fax : O3 23 59 32 36
Bureau de la Société en 2000
Présidente d’honneur ................ Mme Geneviève CORDONNIER
Président ................................... M. Denis ROLLAND
Vice-présidents ......................... M. Robert ATTAL
M. Maurice PERDEREAU
.\
Trésoriere ..................................
M. René VERQUIN
Mme Madeleine DAMAS
Trésorier adjoint ........................ M. Lucien LEVIEL
Secrétaire .................................. M. Georges CALAIS
Bibliothécaire ............................ M. Pierre MEYSSIREL
Archiviste .................................. M. Maurice PERDEREA J
Membres ................................... Mme Jeanne DUFOUR
M. Yves GUEUGNON
Activités de l’année 1999
Communications
219
24 JANVIER : Assemblée générale, rapports moral et financier, élection du bureau.
Communication de Denis Defenle sur le bilan des activités du musée de Soissons
durant la période pendant laquelle il a dirigé cet établissement, précédé d’un bref
rappel historique depuis les origines du musée dont la création, à partir des col-
lections de l’Ancien Régime, fut demandée dès 1795.
21 FÉVRIER : Conférence de Suzanne Fiette sur la noblesse française, des
Lumières à la Belle Epoque. Partant du constat que l’on a cru longtemps, après la
Révolution, la noblesse déclinante, dépouillée de ses biens ou fondue dans la
société de droits égaux, elle démontre qu’elle a non seulement sauvegardé son
prestige et sa conscience de soi mais s’est adaptée au monde nouveau en restant
une aristocratie.
7 MARS : Michèle Sapori raconte la vie exceptionnelle de Rose Bertin, ministre

220
des modes sous Marie-Antoinette, que l’on considère comme l’ancetre des grands
couturiers. Si rarement, de mémoires de modes, il n’y eut autant de variétés et de
créations que sous Louis XVI, c’est parce que Rose Bertin fut la véritable inspi-
ratrice de ces inventions vestimentaires. Elle exerça une extraordinaire fascina-
tion sur les femmes qui se prirent pour elle d’un véritable engouement, de la capi-
tale à la province, en France comme à I’étranger. Elle régenta ainsi le costume
dans les cours étrangères et fut le grand fournisseur de leurs monarques. En
habillant l’Europe, elle rendit tout le continent tributaire des modes françaises.
18 AVRIL : Conférence de Julien Sapori sur l’histoire et les institutions de la répu-
blique de Venise. Pendant des siècles, au-deli d’une situation géographique pri-
vilégiée, la véritable force de cette cité a résidé dans la sagesse et l’efficacité de
ses institutions qui lui permirent de devenir la première puissance maritime et
commerciale, capable de faire face, seule, au gigantesque Empire ottoman, tout
en assurant à ses administrés une véritable paix sociale.
17 OCTOBRE : Conference de Pierre Rhode sur la forteresse souterraine de
Margival. C’est toute l’histoire de cette installation que l’historien a présentée
dans le détail : le choix stratégique, l’architecture utilisée, la construction avec
toutes les protections alentour, pour terminer sur l’unique visite d’Hitler, le
17 juin 1944, la reprise par les armées alliées à la Libération puis par les autori-
tés françaises à partir de 1950.
14 NOVEMBRE : Conférence de Robert Atta] sur les misères et la charité du XVII‘
au Xx’ siècle. L‘analyse la situation matérielle des gens du peuple en France et
dans le Soissonnais sur ce long terme montre que la misère. que l’on croyait ban-
nie, réapparaît aujourd’hui par suite d’un ch8mage important dont le corollaire
est une nouvelle pauvreté, une précarité qui paralyse une part non négligeable du
corps social.
Conférence dîner
10 D~CEMBRE : René Verquin retrace le parcours professionnel et politique de
Jean Mermoz. Dans son exposé très détaillé, l’orateur témoigne sa conviction que
raviver la mémoire de Mermoz permet de le laver de certains préjugés ; il ne fut
ni un ultra intolérant, ni compromis dans une poubelle politico-financière, niais il
se battit pour obtenir le retrait des hydravions afin de les remplacer par des appareils
plus rapides permettant de raccourcir les temps de vols et de ne voler que de
jour. L‘enjeu était la sécurité des équipages et la survie de l’Aérospatiale.
Sorties
9 MAI : Visite du fort de Condé, sous la conduite de Philippe Baud. Après un rap-
pel historique sur la niotivation de l’amélioration du système de fortification de
la France après la guerre de 1870, M. Baud décrit l’organisation de ce système et

22 1
sa mission, la construction du fort et son déclassement presque consécutif avec
les progrès de l’artillerie, pour terminer par l’utilisation du site durant la guerre
de 14-18.
6 JUIN : Cette traditionnelle journée pique-nique a conduit nos sociétaires en
Thiérache, pour la visite guidée de quelques églises fortifiées d’où ressort nette-
ment le rôle joué par ces édifices dans l’administration civile des communautés
d’habitants jusqu’à la fin du XVII siècle.
Journée des Sociétés d’histoire de l’Aisne
26 SEPTEMBRE : Comme cela se produit tous les sept ans, notre Société avait la
charge d’organiser le

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE ET HISTORIQUE
DE VERVINS ET DE LA THIÉRACHE
(reconnue d’utilité publique)
Bureau de la Société en 2000
Président ................................... M. Frédéric STEVENOT
Vice-présidents ......................... M. Alain BRUNET
M. Pierre LAMBERT
Mine Claudine VIDAL
Secrétaire administrative .......... Mme Jacqueline VASSEUR
Secrétaire archivi5te .................. M. Marc LE PAPE
Trésorier .................................... M. Bernard CHOQUET
Administrateurs ........................ M. Jean-Pierre BALLIGAND (député, maire
de Vervins, conseiller général)
M. Guy DELABRE
M. Yves DREUX
Mine Jeannine HOUDEZ
M. René LIBERSA (maire adjoint de Vervins)
M. TRICQUENAUX (sous-préfet de Vervins)
M. Bernard VASSEUR
Cornmissaire aux comptes ........ M. Marc VANNES
Activités de l’année 1999
Confikences
6 MARS : Claudine Vidal, Les destins historiques de Nicole de Vervins.
24 AVRIL : Bernard Choquet, Les chenzins de fer de Tliitrciclie (1870-1914).
29 MAI : Joseph Baillot, Jeantes et l’muvre picturule de Clicrrles Eyck ; Jacky
Billard, Au nmii du Fils, diaporama sur l’ozuvre de Charles Eyck.
2 OCTOBRE : Claudine Vidal, Historiogr~il,liie de /’abl?mqe de Foigi7y. Cette confé-
rence a été donnée 2 l’occasion du retour de restauration de l’une des pièces des
collections de la SAHVT, un tableau anonyme du début du XVIII‘ siècle repré-
sentant l’abbaye de Foigny.
223

224
4 DÉCEMBRE : Ginette Day, Auguste Lnhouret, un artiste picard de renommée
internationale.
Publications
Yves Dreux,

SOCIÉTÉ HISTORIQUE RÉGIONALE
DE VILLERS-COTTERÊTS
Bureau de la Société en 2000
Président d’honneur .................. M. Marcel LEROY t
Vice-président d’honneur ......... M. Claude VIVANT t
Président ................................... M. Roger ALLEGRET
Vice-présidents ......................... M. Alain ARNAUD
M. Yves TARDIEU
M. Eric THIERRY
Secrétaire .................................. M. Robert LEFEBURE
Secrétaire adjointe .................... Mme Madeleine LEYSSENE
.\
Trésoriere .................................. Mme Christiane TOUPET
Trésorier adjoint ........................ M. Serge ODEN
Membres du conseil ................... M. Maurice DELAVEAU
M. Louis PATOIS
M. Claude ROYER
M. Franqois VALADON
Activités de l’année 1999
I6 JANVIER : D’Ahrdicirn ir Scrdchiz HLISW~IZ, à la découverte de la Mésopotamie,
par Louis Patois, membre du conseil.
Une évasion traditionnelle, en ce mois írileux de janvier, vers des contrées plus
chaudes, mais toujours chargées d’histoire.
20 FÉVRIER : UIZ préfet de 1 ’Aisrie : le baron Whlk~‘n~ier, par François Valadon,
membre du conseil.
Une page d’histoire départementale sous Charles X pratiquement inédite. Un per-
sonnage hors du commun qui, en dépit d’un passage assez bref dans l’Aisne, y a
laissé d’importantes réalisations et qui, par son charisme, a sauvé d’un saccage
certain la ville de Saint-Quentin lors d’émeutes d’ouvriers. Nul mieux que
Franqois Valadon n’était en mesure d’évoquer cette figure, grlice aux documents
familiaux de son épouse, dont

226
Utiliser les registres des trois paroisses de Crépy pour établir des statistiques de
la mortalité infantile de ces enfants de familles parisiennes pauvres était déjà en
soi une recherche historique intéressante, mais tirer de ces renseignements un
tableau de la vie des familles pauvres de Crépy, qui les élevaient, en a fait une
causerie évocatrice de la vie paysanne de grand intérêt.
17 AVRIL : Autour tie notre musde Alexandre Durnus, par Dominique Roussel,
conservateur des musées de Soissons et de Villers-Cotterêts.
Le thème choisi par notre nouveau conservateur, qui a succédé iì Denis Defente,
était axé sur la fondation du musée en 1902, l’expansion de ses collections, due
en majeure partie aux dons de généreux Cotteréziens, mais aussi sur les vicissi-
tudes de ses emménagements successifs jusqu’à son installation rue Demoustier,
qui n’est sans doute pas son local définitif.
15 MAI : Les Tritiitciires : huit si2cle.y service de la liDPrLitioti (les cciptifs, par
le père Thierry Knecht, de l’ordre de Cerfroid.
C’est en 1 193 que l’ermite Félix de Valois fonda. avec Jean de Matha, l’ordre des
trinitaires, destiné au rachat des captifs chez les Barbaresques. Le siège de l’ordre
est à Cerfroid, au bord du Clignon, à l’orée du bois aujourd’hui appelé
Waddington qui n’est autre qu’un prolongement de la forêt de Retz. L‘histoire en
est longue et l’objectif initial a évolué au cours des siècles pour s’adapter à
d’autres libérations. Les Trinitaires sont revenus depuis peu a Cerfroid et les
ruines de l’ancien monastère ont fait l’objet de fouilles et de restaurations. Ce
soir-là, les propos du conférencier portaient principalement sur l’adaptation
actuelle de l’ordre à de nouvelles tkhes humanitaires.
19 JUIN : Les sciilpr~ires sccrtztl~i1euse.s du chrjrerru tie Villet-s-Coriet-êts, par Eric
Thierry, vice-président.
I1 appartenait à notre vice-président, professeur d’histoire à Laon niais cotterézien
de souche, de s’attaquer à ce mythe des sculptures en ronde-hose d’un escalier
du château que les historiens du XIX’ siècle ont qualifiées de >.
Grâce à son minutieux travail de recherches, notamment dans les domaines litté-
raire et philosophique de l’époque, Eric Thierry a replacé ces scènes mytholo-
giques dans un contexte beaucoup plus intellectuel.
20 NOVEMBRE : L’&lit cle Nmites, ur1 essai de (( toldruhle pix- >>, par Cécile
Souchon, conservateur en chef aux Archives nationales.
Nous avons la chance que notre ancienne directrice des archives de l’Aisne ait
conservé à notre région une íïdélité qui nous vaut de frkquents passages dans
notre ville pour nous parler d’histoires que l’on peut toujours relier à celle de
notre proximité. Une causerie sur l’édit de Nantes, n’est-ce pas évoquer aussi des
luttes fratricides qui n’ont pas épargné notre sol ?
1 1 DÉCEMBRE : Etz pays cotterkzicw : hier et uiljourd’hui.
Notre propos était de confronter vues anciennes de cartes postales et photos

227
actuelles de villages du pays cotteréLien. Plusieurs membres ont répondu a notre
appel et nous avons sélectionné trois villages avec les commentaires de trois
d’entre eux, collectionneurs passionnés. Maurice Delaveau a présenté Haramont,
Serge Oden, Coyolles, et Alain Amaud, Villers-Hélon. L‘expérience, très réussie,
mérite d’être renouvelée.

Contacts
F~D~RATION DES SOCIÉTÉS D’HISTOlRk ET D’AKCH6OLOGIE DE L’AISNE
Archives départementales de l’Aisne
28, rue Fernand-Christ - 02000 Laon
Tél. : 03.23.24.61.47
Télécopie : 03.23.24.61.26
SOCIÉTÉ HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DE CHÂTEAU-THIERRY
Musée Jean de La Fontaine
Rue Jean de La Fontaine - 02 400 Chliteau-Thierry
Tél. : 03.23.69.05.60
Permanence : samedi de 14 h à I7 h
Informations sur www.la-fontaine-ch-thierry.net
MCl : pichard@la-fontaine-ch-thierry.net
229
SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE D’HISTOIRE, D’ ARCH~OLOGIE, DES ARTS ET DES LETTRES DE
CHAUNY
Chez M. René Gérard, 02300 Comnienchon
SOCI~~TÉ HISTORIQUE DE HAUTE-PICARDIE
Archives départementales de l’Aisne
28, rue Fernand-Christ - 02000 Laon
Tél. : 03.23.24.61.47
Télécopie : 03.23.24.61.26
SOCIGTÉ ACAD~MIQUE DE SAINT-QUENTIN
En son hCitel à Saint-Quentin
9, rue Villebois-Mareuil - 021 O0 Saint-Quentin
Tél. : 03.23.64.26.36
Permanence : mercredi de 14 h à I7 h
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE, HISTORIQUE ET SClENTlFlQUE DE SOISSONS
4, rue de la Congrégation - 02200 Soissons
Téléphoneltélécopie : 03.23.59.32.36
Permanence : mercredi et samedi de 16 h à 18 h (sauf juillet et août)
Informations sur http://perso.wanadoo.fr\sahs.soissons.net
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOCIQUE ET HISTORIQUE DE VEKVlNS ET DE LA THIeRACHE
Musée de la Thiérache
3 et 5, rue du Traité-de-Paix - B.P. 19 02 140 Vervins
SOCI~TÉ
HISTORIQUE RÉGIONALE DE VILLERS-COTTERkTS
24, rue Demoustier - 02600 Villers-Cotterêts
Tél. : 03.23.96.11.86

Note à l’attention des auteurs
Les auteurs désirant publier dans les Mémoires de la Fédération des socié-
tés d’histoire et d’archéologie doivent proposer leur article au président de la
société dont ils sont membres qui, après avis évenluel de son bureau ou d’un
comité de lecture, l’adresse au secrétariat général pour examen par le comité de
lecture de la Fédération. Après avis de ce comité, le conseil d’administration de
la Fédération arrête la liste des articles publiés. Les articles doivent parvenir sous
la forme d’une disquette informatique accompagnée d’un tirage sur papier.
D’une manière générale, on veillera à indiquer de manière très précise les
sources et la bibliographie utilisées en notes infrapaginales ou en fin d’article. Les
cotes d’archives seront indiquées de maniche exhaustive, précédkes du lieu de
conservation : Arch. dép. Aisne, C 306 ; Arch. nat., JJ IO ; Arch. coni. Saint-
Quentin, BB 3 ; Bibl. nat., ms. fr. 1601. Les appels de notes se font par un chiffre
suscrit, sans parenthèse, dans le corps du texte, par un chiffre sur la ligne, suivi
d’un point, dans le corps de la note. Les collections de presse consultées sont éga-
lement indiquées de manière précise et exhaustive. Les références bibliogra-
phiques sont données selon le modèle suivant :
Suzanne Martinet, hori pronrontoire sacré des druides (i11 Ix’ siècle, Laon,
1994,217 p.
Georges Dumas, (< L‘état démographique et économique en 1698 de la par-
tie de la généralité-intendance de Soissons qui a formé le département de
l’Aisne D, Mémoires de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de
l’Aisne, t. IX, 1963, p. 56-70.
Les noms d’auteur sont en bas de casse, sauf dans le cas oÙ la bibliographie
est rassemblée en une annexe en fin d’article, cas oÙ l’on adopte la présentation
DUMAS (Georges). Le prénom est développé lorsque l’auteur est cité pour
la première fois ; il est abrégé dès la seconde citation. On ne redouble pas les
lettres pour marquer la pluralité (p. 56-70 et non pp. 56-70). Les mentions
e voir D ou cf sont le plus souvent inutiles ; de m¿?me, (< dans >> ou in (sauf dans
le cas de toniaisons très complexes).
Les normes de publications de la revue sont, en tout point, conformes aux
usages typographiques de I’lmpritnerie nationale. Les ponctuations simples
(point et virgule) suivent directement le mot qui précède et sont suivies d’un
espace. Les ponctuations doubles (deux points, point virgule, point d’interroga-
tion, point d’exclamation) sont précédées et suivies d’un espace. On mettra un
espace à l’extérieur des parenthèses et crochets, mais pas à l’intérieur.
Dans le corps du texte, les auteurs veilleront à ne pas faire un emploi abu-
sif des majuscules : les noins des mois, des jours, des points cardinaux sont en
23 1

232
minuscules. Les noms de lieux et de personnes demeurent en bas de casse. Les
adjectifs ne prennent jamais de majuscules : l’Assemblée nationale, l’Académie
française, la Société générale. On évitera l’usage des abréviations : saint est tou-
jours écrit en toutes lettres ; on écrit saint Jean lorsqu’il s’agit du saint lui-même,
et Saint-Jean lorsqu’il s’agit d’une église. Les titres d’euvres et journaux cités
dans le texte sont en italiques bas de casse. Un nom propre lorsqu’il est employé
en nom de lieu (rue, place . . .) s’écrit avec un tiret : place Victor-Hugo. Les siècles
s’indiquent de la manière suivante : XV‘ siècle, XVIII‘-XIX‘ siècles. Les inter-
valles de dates sont présentés comme suit : 1789-1812 (avec un tiret, sans
espace).
On évitera la multiplicité des paragraphes : les titres des parties éventuelles
sont en bas de casse gras centrés ; les titres des paragraphes en bas de casse gras
ou italique en fer à gauche.
Le style est évideminent libre. En revanche, on veillera au respect de
quelques règles particulièrement importantes pour un article d’histoire. Le futur
est à bannir dans presque tous les cas. Afin d’éviter les difficultés de la concor-
dance des temps, le présent est souvent à conseiller. L‘emploi des parenthèses
dans le corps du texte doit être limité. On prendra garde à ne pas faire commen-
cer une partie par une tournure grammaticale mise pour son titre. On évitera
l’abus des points de suspension.
Si cela est nécessaire, les auteurs font une proposition d’iconographie.
L‘iconographie doit être étroitement liée au texte, sous la forme de références
dans ce dernier. Leu légendes proposées doivent être précises : type de support
(photographie, carte postale, lithographie, aquarelle sur papier, huile sur toile,
etc.) titre, date, lieu de conservation, cote éventuelle, crédit photographique. Les
auteurs sont invités à fournir des photographies de bonne qualité, 2 l’exclusion de
photocopies.
Achevé d’iinprinier par Triangle ßlcu - 59600 Maubeuge
DCpAt ICgd : 4 trimestre 2001

Avant-propos
Claudine VIDAL
La Socidt6 acaddmique de Saint-Quentin
Monique S&ERIN, André TRIOUX
Jean HCd, un drudit saint-quentinois d’adoption (1796-1865)
Monique S&ERIN
Bernard Ancien, 60 ans de recherche
Denis ROLLAND
Saint-Marc Girardin, portrait d’un notable du XIX” si5cle
Julien SAPORI
Regard historiographique sur l’oeuvre de Jehan de Hennezel ( 1876- 1956)
Bruno MAËS
Madame Martinet. Suzanne Groulard-Martinet (1910-1998)
Jacqueline DMSZ
La Société historique et archéologique de Château-Thierry
Tony LEGENDRE
Historiographie de I’archdologie il Château-Thierry
ou naissance d’une archdologie urbaine entre 1864 et 2000
le rôle de la Sociétd
François BLARY
Les historiens du dimanche. Milieu érudit et socidté savante, 1837-1973
Claudine VIDAL, Alain BRUNET
CAISNE
De l’imaginaire des historiens locaux B l’imaginaire
de François I” et d’Henri II :
les sculptures scandaleuses du château de Villers-Cotterêts
Érie THIERRY
120 F - 18,29 4
ISSN 0248-1535