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Cercle complet avec Olivier Mosset - Galerie Les Filles du Calvaire

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<strong>Cercle</strong> <strong>complet</strong> <strong>avec</strong> <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong>, texte de Robert Nickas, in monographie <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong>,<br />

1990.<br />

<strong>Cercle</strong> <strong>complet</strong> <strong>avec</strong> <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong><br />

Robert Nickas<br />

Jusqu’à ces dernières années, dans un certain sens, il était encore possible de suivre une ligne dans<br />

le travail d’<strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong>: des premières toiles <strong>avec</strong> cercles de la seconde moitié des années<br />

60’(peintures ré<strong>du</strong>ites au « degré zéro »)(1)aux premiers monochromes de la fin des années<br />

70’(qualifiés de Radical Painting)_ <strong>avec</strong>, entre les deux, un rapide détour vers les toiles <strong>avec</strong> bandes.<br />

Bien que ce cheminement n’ait pas toujours été interprété comme une tentative linéaire logique vers<br />

une progressive ré<strong>du</strong>ction, dix ans de monochromes apparurent quand même à certains comme une<br />

preuve suffisante pour qualifier tout l’œuvre de <strong>Mosset</strong> de « peinture à propos de peinture ». Le fait<br />

que <strong>Mosset</strong> n’ait jamais, et cela depuis le début, donné de titre à ses toiles, a contribué à renforcer<br />

l’idée que le sujet de ses peintures était la peinture elle-même.<br />

Changement de situation lors de son exposition au Centre d’Art Contemporain à Genève, en janvier<br />

1986. Pour la première fois depuis presque dix ans, <strong>Mosset</strong> présenta des peintures qui n’étaient pas<br />

des monochromes et qui portaient des titres. Il devint alors nécessaire de rouvrir un chapitre que l’on<br />

croyais clos. En mettant les bâtons dans les roues de sa propre carrière, <strong>Mosset</strong> l’a soudain ren<strong>du</strong>e<br />

problématique au point d’ébranler les anciennes interprétations. Puisque deux toiles monochromes<br />

étaient inclues dans l’exposition, il ne suffisait plus uniquement d’étudier la signification des nouvelles<br />

œuvres géométriques_ d’autant plus que le « néo-géo » s’affirmait sur le marché international_ mais,<br />

surtout, de savoir si ce geste obligeait à repenser l’interprétation de toute son œuvre passée. <strong>Mosset</strong>,<br />

<strong>avec</strong> juste une demi-douzaine de toiles, brouillait les cartes…<br />

Un pas en arrière<br />

Six mois plus tard, à New York, cette ligne se confortait et <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong> exposait d’autres œuvres<br />

non monochromes munies de titres ? Tout comme à Genève, il accrocha des monochromes à côté de<br />

ses nouvelles toiles géométriques, non pas dans l’intention de créer un esprit de continuité entre les<br />

deux séries, mais bien pour soulever des questions essentielles concernant l’apparition de ce<br />

nouveau travail en confrontation, ou même en opposition <strong>avec</strong> le précédent. Une première pensée<br />

venait à l’esprit : tout simplement, le monochrome ne suffisait plus à <strong>Mosset</strong>, surtout après quelque dix<br />

années d’engagement dans cette problématique et <strong>avec</strong> ses représentants. Est-ce à cause de la<br />

rigidité des principes <strong>du</strong> monochrome ? Ou bien a-t-il évolué dans ce groupe sans vraiment en faire<br />

partie, n’avouant qu’à contre-cœur sa participation ? A-t-il ressenti un certain affaiblissement dans la<br />

radicalité de la « Radical Painting » ? Est-ce que, pour lui, ces dernières peintures représentent la<br />

possibilité de se lancer dans une voie nouvelle, ou, plutôt, de raviver la flamme de ses premières<br />

passions ? Dans quel climat ces peintures avaient-elles été pro<strong>du</strong>ites, et dans quel contexte feraientelles<br />

leur entrée ? <strong>Les</strong> titres livreraient-ils quelques clefs ? Une chose était certaine : ces toiles étaient<br />

le prologue de la période la plus ambivalente bien que, potentiellement la plus intéressante de<br />

<strong>Mosset</strong>.<br />

Mise à part l’étroite bor<strong>du</strong>re longeant trois de ses côtés, le premier tableau de l’exposition de Genève,<br />

nommé One Step Backwards, avait tout d’un monochrome gris. Plus on s’éloignait de la toile, plus la<br />

bor<strong>du</strong>re blanche se confondait <strong>avec</strong> le blanc <strong>du</strong> mur de la galerie. Même sur les repro<strong>du</strong>ctions en<br />

couleurs, elle ressemble à un monochrome. Cependant par le simple moyen de la bor<strong>du</strong>re, cette toile<br />

se distancie de la question <strong>du</strong> monochrome et affirme son statut de peinture abstraite. Et si l’on<br />

interprète son titre au pied de la lettre, le « pas en arrière » de <strong>Mosset</strong> renvoie à l’abstraction et au<br />

problème de l’autonomie, donc autrement dit, au point de départ de son travail au milieu des années<br />

60’. Une autre toile de l’exposition, nommée Douglas rappelle les œuvres bien connues de sa<br />

première période, celle des cercles dont il réalisé près de 200 entre1966 et 1974. Cette trame de 196<br />

anneaux bleus sur fond jaune beige englobe sur une seule toile pour ainsi dire tous les cercles que<br />

<strong>Mosset</strong> ait jamais peint. Comme s’il reprenait possession de sa propre peinture »pure », « sérieuse »<br />

à laquelle on l’avait associé. Douglas a un petit côté joueur et pop que nous nous attendrions à<br />

découvrir plutôt chez un artiste comme John Armleder. Le titre, nom d’une marque de térébenthine,<br />

est, à lui seul, l’expression de la saveur de la toute nouvelle liberté de <strong>Mosset</strong>. Et, bizarrement, cette<br />

toile suggère beaucoup plus la suppression que l’application de la peinture. Pour couronner le tout, le<br />

logo Douglas qui se trouve sur le devant <strong>du</strong> récipient de térébenthine se compose d’une grille de<br />

neufs anneaux blancs. Ce serait de la pure spéculation que de prétendre que l’origine de ce travail se<br />

référant à un motif tiré de l’œuvre de l’artiste ou à un signe appartenant à son environnement(qui


englobe aussi l’atelier de l’artiste)pourrait avoir provoqué une telle réaction. L’utilisation d’un titre<br />

précis ne sert pas à dissimuler mais bien plutôt, à mettre en évidence le fait que l’acte créatif<br />

s’effectue dans le monde des objets et qu’il est ancré dans leur histoire. Ceci a déjà été dit et redit,<br />

mais il est bon de le souligner et même si on le répète uniquement pour se demander si, par<br />

extension, les peintures appartiennent, elles aussi, à ce monde-là.<br />

Lorsque l’on a prié <strong>Mosset</strong> de s’exprimer sur la rétrospective de ses œuvres de 1965-1985(qui eut lieu<br />

la même année que l’exposition de Genève), il répondit :<br />

« Je n’ai pas de problèmes <strong>avec</strong> mes anciens travaux. Mieux, et c’est plus amusant, je n’ai plus<br />

vraiment de relations <strong>avec</strong> eux. Je les considère comme quelque chose qui est là, qui existe, et qui<br />

aurait très bien pu être fait par un autre.(Je pense particulièrement aux peintures <strong>avec</strong> les cercles.)<br />

»(2) A l’époque à laquelle <strong>Mosset</strong> peignait les cercles, il ne croyait pas seulement que ce travail se<br />

poursuivrait à l’infini mais que n’importe qui aurait pu le faire. La désinvolture de cette affirmation<br />

reflète aussi bien une sensibilité pop que les nouvelles stratégies qui questionnent la notion d’auteur.<br />

Alors qu’interrogé sur le concept de répétition, <strong>Mosset</strong> déclarait que les « cercles » provenaient »d’une<br />

mauvaise interprétation d’Andy Warhol », on peut, rétrospectivement, apprécier le résultat comme<br />

anticipant de nombreux courants actuels qui vont des »signes de peinture »des « Surrogates »d’Alan<br />

McCollum jusqu’à la position extrême de fin de partie(endgame) adoptée par des artistes comme<br />

Philip Taaffe ou Sherrie Levine entre autres.<br />

Et c’est exactement à ce point entre la sensibilité pop et les stratégies de l’appropriation que nous<br />

rencontrons un groupe de jeunes artistes, que <strong>Mosset</strong> a vaguement décrit comme la « génération<br />

post-pop », et qui a, au début des années 80’, posé une série de questions qui nous préoccupent<br />

encore aujourd’hui : la dévaluation de l’originalité(appropriation), l’usage et la mauvais usage des<br />

conventions de la peinture(« néo-géo » et peinture objets), la présentation et l’exposition (ready<br />

mades et objets quotidiens) ainsi que ce qui se trouve entre deux(photographie critique et langage de<br />

publicité).<br />

A New York ces thématiques ont aussi été traitées par les organisateurs des expositions qui se sont<br />

multipliées depuis 1984. Expositions comme Sex à la Cable Gallery, Final Lovechez Cash/Newhouse,<br />

Paravision chez Postmasters, The Art of Memory/The Loss of History au New Museum, Red, à<br />

la Massimo Audiello Gallery et When Attitudes become Form à la Bess Cutler Gallery. Toutes<br />

présentaient <strong>Mosset</strong> dans un contexte différent de celui des peintres <strong>du</strong> monochrome auxquels on<br />

l’avait associé. <strong>Les</strong> peintures qu’il montrait dans ces expositions étaient, pourtant, encore des<br />

monochromes. Selon le contexte, le thème de l’exposition ou leur emplacement, les monochromes de<br />

<strong>Mosset</strong> paraissaient sobres ou surprenants ; différents dans chaque situation. A côté d’un tableau à<br />

lignes de Ross Bleckner(L’Op-art comme programme manqué)ou d’un monochrome mal ten<strong>du</strong> de<br />

Steven Parrino (la toile « violée »), les toiles de <strong>Mosset</strong> semblaient très loin de la question de la «<br />

peinture pour la peinture ». Bien qu’il n’ait jamais réalisé ses peintures à bandes ou ses monochromes<br />

dans cet esprit, la confrontation ouvrait indéniablement un espace actif entre ces œuvres. Par<br />

exemple, un monochrome noir accroché très haut dans un coin, comme un haut-parleur, pouvait<br />

refléter une attitude semblable à celle <strong>du</strong> « guerilla formalism »(3) de Wallace & Donohue. <strong>Les</strong><br />

peintres <strong>du</strong> monochrome, qui n’avaient jamais été au clair sur l’engagement de <strong>Mosset</strong>, voyaient leurs<br />

soupçons se confirmer dans ses nouvelles associations <strong>avec</strong> des artistes jouant en toute liberté <strong>avec</strong><br />

les conventions de la peinture, et qui osaient même s’en moquer. En prenant une position légèrement<br />

« ambivalente » mais qui pouvait être simultanément considérée comme positive, <strong>Mosset</strong> s’est ainsi,<br />

et le plus nettement de tous, rapproché de cette nouvelle génération d’artistes. On constate donc que,<br />

bien avant son exposition genevoise de 1986, les conditions d’une nouvelle interprétation de son<br />

œuvre existaient déjà et qu’il se trouvait, une fois de plus, dans le rôle de membre fondateur d’un<br />

nouveau mouvement, celui qui se formait autour de ce que l’on nommera bientôt le « néo-géo ».<br />

Question : quand est-ce qu’un tableau est terminé ? Réponse : quand il est ven<strong>du</strong>.<br />

>BR> Dans les années précédant de peu la naissance <strong>du</strong> phénomène(ou tendance) de la « nouvelle<br />

géométrie », le marché de l’art avait réussi, après une longue période de stagnation, à lancer un<br />

nouveau mouvement : le néo-expressionnisme. Le retour à la figuration, à des images<br />

reconnaissables et surtout auxsentiments de l’art, fit sortir les anciens collectionneurs de leur réserve<br />

et attira de nouveaux amateurs. <strong>Les</strong> gains réalisés par un marché jusque là en baisse furent<br />

considérables. <strong>Les</strong> prix des stars_ les artistes devenaient des célébrités_ grimpèrent bien au-delà <strong>du</strong><br />

niveau des bourses de moyennes. Bien que l’art ait été de tout temps un excellent placement, aussi<br />

bien sur le plan social que sur le plan financier, une double et monumentale difficulté se posa aux<br />

marchands : d’abord et afin de soutenir l’intérêt des collectionneurs, il s’agissait d’assurer une<br />

pro<strong>du</strong>ction suivie suffisante à un prix abordable, ensuite, de partir à la recherche de quelque chose de<br />

nouveau, parce qu’il est prouvé que la <strong>du</strong>rée de l’intérêt pour la nouveauté est aussi brève que forte


est la demande. Même s’il existait toujours des collectionneurs pouvant acquérir à prix fort des figures<br />

bâtons ou des têtes sans corps, il était facile de prévoir que sous peu ils désireraient posséder<br />

quelque chose d’autre.<br />

Alors que le East Village se laissait définir géographiquement comme le lieu des graffiti et d’un art de<br />

bandes dessinées(cartoons), montrés dans des boutiques comme Fun Gallery et Civilian Warfare, il y<br />

avait, parallèlement, des galeries qui présentaient un travail différent. Tout comme la figuration<br />

européenne « sauvage » était qualifiée de « néo-expressionnisme », l’art plus intellectuel, plus « froid<br />

», que l’on pouvait trouver dans des galeries dirigées par des artistes, comme Nature Morte ou<br />

International With Monument, fut bientôt dénommé « néo-conceptualisme » et « née-minimalisme ».<br />

Même si ces dénominations étaient absolument inutiles aux artistes, elles servirent au moins à poser<br />

deux points de repères sur trois(le troisième étant le pop)et, surtout, des points de départ . En 1985,<br />

des artistes comme Halley, Koons, Lawler, Levine, McCollum, Parrino et Taaffe, avaient tous exposés<br />

dans le East Village.<br />

Et c’est dans ce contexte que fit son entrée le mouvement pictural, géométrique, le plus ré<strong>du</strong>cteur qui<br />

avait déjà vu par les collectionneurs américains, les critiques et les marchands en Europe. Petit à<br />

petit, les mêmes galeries qui proposaient auparavant des peintures violentes et sauvages,<br />

commencèrent à se remplir de toiles et d’objets aussi nets que les murs blancs qui les entouraient.<br />

Alors que la narration de ces événements est, par nécessité, forcément brève, elle reflète pourtant<br />

bien la rapidité <strong>avec</strong> laquelle ces changements eurent lieu. Ils annonçaient le lancement de nouveaux<br />

mouvements qui n’étaient pas encore précisés dans l’esprit des créateurs eux-même.<br />

<strong>Les</strong> membres ont des privilèges<br />

Pour des artistes comme John Armleder et <strong>Olivier</strong> Moset, la dite « nouvelle géométrie » ne<br />

représentait rien de vraiment nouveau. <strong>Les</strong> deux s’y activaient déjà depuis quelques temps, bien que<br />

leur travail tout comme celui d’Helmut Federle, Imi Knoebel, Gerhard Merz et Gerwald Rockenschaub,<br />

n’ait été que peu connu hors des frontières de l’Europe. En 1980 déjà, <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong> organisa une<br />

exposition au C Space à New York, où se trouvaient accrochées des œuvres d’Armleder et de<br />

Federle. En 1984, Armleder monta l’exposition Peinture Abstraite dans sa galerie Ecart à Genève. En<br />

présentant ses propres tableaux, ceux de Federle, Merz, <strong>Mosset</strong> et Rockenschaub à côté de ceux de<br />

Fontana, LeWitt, Mangold, Motherwell, Palermo et Ryman, il proposait « une sorte de manifeste »(4).<br />

Pourtant cette première déclaration de principes n’a pu empêcher une fausse compréhension de ce<br />

travail qui fut considéré comme une réaction directe à ce qui précédait. Ces artistes avaient travaillé<br />

pendant près de dix ou même vingt ans avant d’être si « soudainement »découverts. Mais <strong>avec</strong> des<br />

galeries qui changent leurs expositions toutes les quatre semaines et des revues d’art qui sortent à un<br />

rythme tout aussi rapide le temps se voit comprimé dans un « maintenant » perpétuellement actuel.<br />

Voilà pourquoi, quand un large public commence à s’intéresser à un travail, il ne peut voir que ce qui<br />

est face à lui, sur le moment, et ne peut se souvenir que de ce qui vient juste de se passer.<br />

Uniquement conscient de son apparition et de sa présence, il n’a aucunes données lui permettant de<br />

savoir d’où vient l’œuvre. Ce même public ne peut saisir les intentions de l’artistes, qui ne sont pas<br />

forcément subversives., mais plutôt modestes et rarement dépourvues de doutes. Au cours d’un<br />

entretien <strong>avec</strong> John Armleder, dans lequel ils traitaient de leur appartenance et de leur intégration à la<br />

« néo-géo », <strong>Mosset</strong> suggérait que :<br />

« Ces nouvelles œuvres étaient peut être liées au fait que le retour de la figuration m’a fait réaliser<br />

combien l’idée d’une peinture non figurative avait été une idée formidable. J’ai voulu savoir s’il était<br />

encore possible, aujourd’hui, de peindre des toiles non figuratives. (5)<br />

<strong>Mosset</strong> avoua se trouver dans la situation »où il n’avait plus rien à exprimer <strong>avec</strong> de grandes toiles<br />

monochromes » et effectivement »ne savait plus quoi faire ». Il était bien sûr tout à fait conscient de ce<br />

qui se passait autour de lui, aussi bien en Europe qu’à New York . Il vit qu’il était à nouveau possible<br />

de peindre des toiles abstraites mettant en question « les illusions certaines ou les utopies de<br />

l’abstraction classique »(6). Il reconnut aussi les stratégies d’appropriation de Taafe et Levine, comme<br />

quelque chose qui avait également fait partie de ses préoccupations(les toiles <strong>avec</strong> bandes<br />

empruntées à Buren) et cela tout en sachant parfaitement qu’il n’y reviendrait plus jamais. Vers fin<br />

1985, <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong> avait commencé à approfondir, « par la pratique concrète dans son atelier », s’il<br />

était encore possible de faire de la peinture abstraite, et, si oui, de pro<strong>du</strong>ire des œuvres qui seraient<br />

engagées dans l’histoire, le marché, le mode de réception de cette dernière.<br />

Trois traits caractéristiques distinguent les peintures réalisées et montrées à Genève, ainsi que celles<br />

qu’il fit juste après à New York : elles étaient composées de bandes de plusieurs couleurs, elles<br />

portaient des titres, et, manifestement, elles étaient peintes à la main. Repro<strong>du</strong>ites, elles paraissaient<br />

extrêmement précises, mais, au naturel, leurs arêtes légèrement floues témoignaient d’un travail


manuel, caractéristique d’une peinture qui livre les signes de sa fabrication. (<strong>Mosset</strong> l’a répété et bien<br />

mis en évidence : il s’agit là de peinture et non de graphisme). Même si les monochromes, ces<br />

grandes surfaces planes recouvertes d’une seule couleur, avaient été également peints à la main, ils<br />

ne laissaient pas apparaître grand chose de la « main » de l’artiste.(Steve Di Benedetto a dit des<br />

surfaces de <strong>Mosset</strong> qu’elles sont « emphatiquement indifférents ».) Et même si les plus grands<br />

monochromes ne ressemblent à rien d’autre qu’à des parois peintes, on doit reconnaître que les murs<br />

sont, eux aussi, peints à la main. Ces nouvelles toiles affirmaient donc l’évidence de l’acte de<br />

fabrication, leur »fait main » et leur nom de baptême, à une époque où la peinture, et tout<br />

spécialement la peinture géométrique, ré<strong>du</strong>ctive, était à nouveau une valeur marchande.<br />

Une critique de la rétrospective <strong>Mosset</strong> écrite par Max Wechsler et se rapportant aux nouvelles toiles<br />

exposées à la même époque à Genève, commençait par ces mots :<br />

« Si l’on considère la totalité de l’œuvre de <strong>Mosset</strong>, on constate que le développement de sa peinture<br />

est moins à considérer comme la continuation de son travail antérieur que comme un intérêt pour un<br />

nouveau motif. Pourtant, dans ce travail récent, <strong>Mosset</strong> tend également vers une image qui insiste sur<br />

son identité de peinture qui pousse à confronter la définition de l’art comme maîtrise technique et<br />

imagination créative en ré<strong>du</strong>isant la peinture à ses constituants essentiels. »(7)<br />

<strong>Mosset</strong> lui-même a précisé :<br />

« La question de l’autonomie relative ou, au contraire, surdéterminée m’intéresse. L’idée d’une<br />

peinture en tant que telle, c’est effectivement ce que je cherche. Je pense toutefois que c’est dans un<br />

certain sens, codé, même si le code n’est pas contenu dans la forme <strong>du</strong> travail ».(8)<br />

Dans une critique sur la seconde exposition de toiles abstraites de <strong>Mosset</strong>, à la John Gibson Gallery<br />

en juin 1987, Kate Linker releva également cela : « <strong>Mosset</strong> semble nous inviter à reconnaître la nature<br />

codée de la peinture, comment elle est pro<strong>du</strong>ite et perçue, fabriquée et interprétée. Ces œuvres<br />

austères dramatisent la division entre le pro<strong>du</strong>cteur matérialiste de l’art et son récepteur idéaliste qui,<br />

en projetant des valeurs extra-matérielles dans l’œuvre, s’accroche encore et toujours à une idéologie<br />

de l’aura ».(9)<br />

En faisant exception de Gary Indiana pour qui rechercher le sens à donner aux titres des toiles était «<br />

un principe beaucoup trop littéraire », aucun des critiques qui se sont exprimés sur ces expositions<br />

n’abordé la question des titres. Et bien que <strong>Mosset</strong> ait affirmé que les titres de ses peintures sont sans<br />

signification à ses yeux, reste le fait qu’elles portent des titres. Et ces titres doivent être vus comme<br />

porteurs d’informations mais comme toutes les informations, on ne peut garantir leur valeur, ni même<br />

être sûr qu’il y a information. Bien utilisés, les titres peuvent être interprétés comme droit ou preuve de<br />

propriété. Dans les expositions, ils peuvent faire référence aux conditions d’administration ou à un<br />

objet consigné. S’il ne s’agit pas ici d’exagérer l’importance des titres chez <strong>Mosset</strong>, on ne peut les<br />

ignorer, même s’il a peint <strong>du</strong>rant vingt ans des peintures sans titres. Et c’est sur les toiles abstraites<br />

faites et présentées à Genève qu’apparaissent pour la toute première fois des titres dans son œuvre.<br />

En nommant la première peinture One step Backwards, <strong>Mosset</strong> pensait avoir accompli un pas en<br />

arrière dans son travail, le retour à l’abstraction. Faisant suite à la couleur unique et l’absence de titre<br />

des toiles monochromes, ses toiles abstraites portaient différentes couleurs, des éléments<br />

compositionnels et des noms. Ces œuvres étaient plus faciles à approcher, et plus « normales ». Et<br />

puisqu’un titre facilite souvent l’appréhension d’une peinture abstraite, il est, dans un certain sens,<br />

atten<strong>du</strong>. Comme le constate <strong>Mosset</strong> : « Je me disais que si ces toiles étaient plus réactionnaires que<br />

les monochromes, il fallait leur donner un titre. C’est ce que l’on attend. Ca rend les choses plus<br />

faciles. » La désinvolture de cette déclaration est en contradiction <strong>avec</strong> la spécificité de certains titres<br />

liés au moment et aux lieux où la peinture a été faite ou exposée. Pris au pied de la lettre, One step<br />

Backwards ne concerne pas uniquement le tableau ainsi nommé, mais aussi toutes les toiles de cette<br />

exposition, ainsi que celles qui suivront. Comprise par extension, cette expression est chargée d’une<br />

connotation négative. Elle implique une absence de progrès, un territoire per<strong>du</strong>. En prenant le risque<br />

d’aller trop loin dans l’interprétation, il me semble que ce titre anticipe la réaction prévisible à ce<br />

changement à l’intérieur de son œuvre, de la part <strong>du</strong> groupe des artistes <strong>du</strong> monochrome <strong>avec</strong><br />

lesquels il avait, entre temps, rompu. Certains titres n’ont sûrement pas été distribués arbitrairement et<br />

se rapportent au thème de l’autonomie, à la nature codée de la peinture, ainsi qu’à la relation de<br />

l’œuvre <strong>avec</strong> son marché et sa réception. Si l’on jette un coup d’œil aux titres donnés pendant l’année<br />

qui sépare l’exposition de Genève des deux expositions de New York , la montée et la chute <strong>du</strong> « néogéo<br />

» y est succinctement décrite : One step Backwards, Dynasty, Bandwagon, et finalement Little,<br />

Too Late.<br />

Alors que les peintres <strong>du</strong> monochrome, selon toute attente, n’avaient que mépris pour ces sortes de<br />

jeux de mots, <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong> a réussi, grâce à ses titres, à affirmer certains principes auxquels il tenait<br />

beaucoup. Par exemple None of Your Goddamn Business se présente comme une petite étiquette<br />

discrètement placées au mur, à côté de la peinture. Pour certains visiteurs, l’étiquette se voit en


premier, avant la peinture. Le titre de cette œuvre veut provoquer le spectateur, dans ce processus<br />

d’échange, habituellement serein. Repoussé par cette étiquette si blanche, il se voit renvoyé à la<br />

peinture elle-même, ce qu’il est venu voir en fait. De plus ce titre précise que l’information concernant<br />

ladite œuvre se trouve dans l’œuvre elle-même et non à côté(10). Parallèlement, et, semble-t-il, en<br />

contradiction, le titre sert de « référence » extérieure à la toile. En parlant des références linguistiques<br />

chez Wallace& Donohue, Jack Bankowsky dit :<br />

« Puisque ce qu’elles présentent est un monochrome aveugle ou un support exagéré_ des<br />

conventions structurelles de la peinture_ la plus grande part de ce que l’on reçoit est extrapolé, sur la<br />

base <strong>du</strong> titre, ou de toutes sortes de plaisanteries qui rôdent autour de la toile. »(11)<br />

Alors que <strong>Mosset</strong> utilise le monochrome d’une toute autre manière que Wallace& Donohue, leur façon<br />

de vous con<strong>du</strong>ire <strong>du</strong> titre à la peinture et leur manière de rendre ce passage potentiellement<br />

dérangeant, est exactement la même. Pour Wallace& Donohue, le titre n’est jamais là sans une raison<br />

profonde, comme ça peut être le cas chez <strong>Mosset</strong>.<br />

En abordant pour la première fois la question des titres chez <strong>Mosset</strong>, je nommais ces toiles des<br />

»peintures désastres » en les rapprochant volontairement des séries des accidents d’avions et de<br />

voitures, des batailles raciales d’Andy Warhol. Il suffit de se souvenir des événements qui ont marqué<br />

l’actualité internationale à l’époque des expositions de <strong>Mosset</strong> et il devient alors difficile de ne pas<br />

constater l’évidence des parallèles : Challenger rappelait l’explosion de la navette spatiale <strong>du</strong> même<br />

nom ; K.A.L. au jet de la Korean Airlines, abattu après avoir pénétré dans l’espace aérien soviétique ;<br />

Green Piece le bateau <strong>du</strong> mouvement écologiste international(Greenpeace), coulé en Nouvelle<br />

Zélande par les services secrets français. Même Lobby devenait une « peinture désastre » parce<br />

qu’elle suggère les espaces de bureaux, là où souvent les peintures finissent, et surtout, les toiles<br />

abstraites. Pour tous ceux qui avaient soit participé soit observé le mouvement »néo-géo » à New<br />

York, il était impossible d’ignorer les implications <strong>du</strong> titre Bandwagon(ce dans quoi on monte pour<br />

atteindre rapidement le succès). Le seul titre qui ne soit pas directement mêlé à un « désastre » précis<br />

était Stranded. Lorsqu’on demanda à <strong>Mosset</strong> l’origine de ce titre, il répondit qu’il avait vu un clochard<br />

assis sur un trottoir et tenant dans sa main une plaquette où ce mot était écrit. Stranded et<br />

Bandwagon n’étaient pas des « peintures -désastres » comme les autres mais elles pouvaient être<br />

comprises comme « site specific », puisque liées au lieu et au moment de leur pro<strong>du</strong>ction ou de leur<br />

exposition.<br />

Actuellement, certains titres de <strong>Mosset</strong> se reportent à des objets dont il a besoin ou qu’il désire :<br />

Green Card, le document officiel l’autorisant à vendre aux Etats-Unis les tableaux qu’il peint dans ce<br />

pays ; Second Harley se rapporte à une nouvelle moto ; P.V.B., aux contraventions qu’il doit<br />

payer(P.V.B.=Parking Violations Bureau). Si l’on pense que l’art, considéré d’un point de vue<br />

commercial, sert très simplement à satisfaire certains(collectionneurs, marchands, amateurs, etc.),<br />

alors pourquoi ne serait-il pas un moyen pour les artistes de se satisfaire à leur tour ?<br />

A Andy Warhol qui ne savait quoi peindre, on conseilla de peindre ce qu’il aimait le plus et il a peint<br />

des billets de banque. Dans un certain sens, chaque artiste peint de « l’argent », mais sa « valeur »<br />

dépend de sa position sur le marché des échanges. Si personne ne veut de votre œuvre, peu importe<br />

le nombre d’exemplaires, vous crèverez la faim. L’objet équivaut à ce qu’il vous rapporte, qu’il s’agisse<br />

d’un dédommagement »spirituel » ou financier, de l’acquisition d’un statut ou des fruits <strong>du</strong> succès ou<br />

encore de la combinaison de tout cela. Le titre de <strong>Mosset</strong> WYSIWYG, un terme d’informatique,<br />

signifiant »What You See is What You Get”, suggère aussi bien le cours des changes financiers que<br />

celui des échanges intellectuels. Il parodie la célèbre phrase de Stella : « What you see is what you<br />

see »(Ce que vous voyez est ce que vous voyez), en parlant de la manière de recevoir ou de<br />

comprendre la peinture. La différence entre la formule de Stella et celle de <strong>Mosset</strong> va au-delà de la<br />

simple nuance : chez Stella, si vous ne voyez rien, vous ne recevez rien. Dans l’esprit de <strong>Mosset</strong>, par<br />

contre, vous recevrez toujours quelque chose, même si ce n’est « rien ». Une autre façon de dire ce<br />

que l’on reçoit d’une œuvre ne dépend que de ce que l’on y apporte. La signification se trouve au<br />

niveau de la réception. Si l’on approche une œuvre <strong>avec</strong> une interprétation préconçue(ou si l’on<br />

s’accroche à une « idéologie de l’aura »), c’est exactement ce que l’on recevra en échange, et le<br />

spectateur n’a aucun droit de se plaindre de cette »familiarité ». Cette position ne se laisse pas<br />

seulement appliquer aux dernières œuvres de <strong>Mosset</strong>, qui portent un titre, mais bien à toute son<br />

œuvre. S’il y a tout au long de cette œuvre une position conséquente face à une série de questions<br />

particulières, elle se maintient via la pratique, dans l’application de la peinture sur la toile plutôt que<br />

dans l’attribution des titres.<br />

L’objectif recherché en interprétant ces titres sans décrire les peintures est de retirer aux dits titres leur<br />

valeur spécifique et représentative. Challenger, par exemple, ne représente pas le malheureux<br />

vaisseau spatial, c’est une peinture à cinq bandes horizontales, deux noires et trois grises. Stranded<br />

n’est pas la représentation d’un clochard en particulier et ne traite pas non plus des « sans-abris » en


général, c’est une peinture <strong>avec</strong> deux larges bandes horizontales, l’une jaune , l’autre grise et une fine<br />

ligne noire au milieu. Il se peut qu’Arthur Danto ait dit que les titres ne sont pas seulement le nom des<br />

choses, il ne voulait en aucun cas affirmer que les œuvres d’art font partie de ces chosesauxquelles<br />

les titres donnent un nom… Même lorsqu’elles portent des titres, il nous est impossible d’accorder une<br />

signification picturale aux œuvres abstraites de <strong>Mosset</strong> mais les titres permettent, parfois, de s’arrêter<br />

sur un événement ou une situation qui existe dans le monde, mais pas sur la surface de la toile.<br />

<strong>Mosset</strong> reconnaît :<br />

« Un art qui traiterait de l’économie, de l’engagement social et de la conscience de classe pourrait être<br />

quelque chose de fantastique, mais dans la situation présente, je possède suffisamment de respect<br />

de moi-même pour connaître les limites de ce que l’on peut exprimer dans la peinture. Voilà pourquoi<br />

mes tableaux traitent <strong>du</strong> rapport entre les couleurs et de limites formelles . »(12)<br />

Que les titres de <strong>Mosset</strong> atteignent leur objectif ou non, ils confirment malgré tout toujours que la<br />

peinture abstraite peut provenir des faits de la vie quotidienne.<br />

<strong>Les</strong> seules œuvres nouvelles qui ne sont pas peintes sont sans titres, il s’agit des pièces en formica,<br />

commencées en 1987. <strong>Les</strong> premières de cette série, une édition de 50 exemplaires pro<strong>du</strong>ite par John<br />

Armleder, font l’effet de petites peintures monochromes blanches, de 30x30 cm.<br />

Cependant, à cause de leur support en bois, elles se trouvent à 5 cm de la paroi. Il est toujours<br />

surprenant de constater combien les peintures de <strong>Mosset</strong>, surtout les grandes, sont collées à la paroi.<br />

Par comparaison, l’effet d’objet pro<strong>du</strong>it par les pièces en formica s’en trouve prononcé. Malgré tout,<br />

elles donnent le sentiment d’être des peintures et font appel au discours habituel sur la peinture. <strong>Les</strong><br />

toutes dernières pièces en formica(1988) ne sont pas seulement plus grandes et plus proches des<br />

dimensions, mais portent, en plus, des motifs en bandes verticales et diagonales de différentes<br />

couleurs. Tout comme les tableaux abstraits qui ont suivi les toiles monochromes, ces travaux ont<br />

maintenant des éléments de composition et plusieurs couleurs, mais ils restent sans titres. Alors que<br />

les sculpteurs, d’Artschwager jusqu’à Steinbach, dont l’œuvre se prétendait plutôt minimal que pop,<br />

ont fait usage de ce matériau, ce ne fut jamais le cas des peintres. Il est peut être prématuré, à ce<br />

stade <strong>du</strong> travail, d’estimer les incursions de <strong>Mosset</strong> dans le territoire de la peinture-objet, mais si les<br />

toiles pro<strong>du</strong>ites depuis janvier 1986 représentent la période la plus ambivalente de sa carrière, les<br />

pièces en formica sont sans aucun conteste, et jusqu’à cet instant, les plus ambivalentes de ses<br />

œuvres.<br />

Ne jamais dire jamais<br />

On peut dire qu’un cercle, c’est une forme qui est conçue, qui se développe et qui retourne à son point<br />

de départ. Cette définition peut suggérer la résolution d’un problème, un but et même la fatalité :<br />

quelque chose de résolu ou quelque chose d’accepté. En parcourant la carrière de <strong>Mosset</strong>, on tend à<br />

le voir passer sans accrocs(ni chocs) d’une « période » à l’autre. Cela provient probablement de<br />

l’extrême stabilité formelle de son œuvre, ou, tout simplement, de ce que nous confondons la linéarité<br />

<strong>du</strong> temps_ et la relation des « sujets » dans le temps_ <strong>avec</strong> la notion de progrès. <strong>Les</strong> tableaux <strong>avec</strong><br />

cercles ne se sont pas répétés à l’infini, comme <strong>Mosset</strong> l’avait prédit, et n’ont certainement pas abouti<br />

aux toiles <strong>avec</strong> bandes comme s’il avaient été simplement redressés. Et il n’est pas vrai que »les<br />

bandes ton sur ton se confondent pour se rapprocher <strong>du</strong> monochrome »(13), et, inversement, que les<br />

monochromes n’évoluèrent pas d’une à plusieurs couleurs. Dans chaque cas, et séparément, il<br />

semble que <strong>Mosset</strong> découvre un espace dans lequel il pourra travailler sans être dérangé(les tableaux<br />

<strong>avec</strong> cercles et ceux <strong>avec</strong> bandes, cinq ans plus tard, se laissent presque englober dans un « plan<br />

quinquennal »). Bien que l’histoire laisse croire l’inverse, on n’échappe pas à l’envie de se demander<br />

si, aujourd’hui, il a trouvé un tel lieu. Après presque trois ans de travail sur des toiles abstraites,<br />

géométriques, <strong>Mosset</strong> peint à nouveau des peintures <strong>avec</strong> bandes, bien que toutes très différents des<br />

précédentes(en plaisantant, il les a décrites comme des « Bleckner ratés »). Dernièrement, pour une<br />

collaboration <strong>avec</strong> Steven Parrino, il a peint un monochrome, son premier depuis 1985. Malgré cela, la<br />

carrière de <strong>Mosset</strong> ne peut être décrite comme un circuit fermé (full circle). Une peinture <strong>avec</strong> cercle<br />

de 1987 par exemple ne ressemble en rien à une peinture pro<strong>du</strong>ite en 1967. Si Douglasétait, sur une<br />

seule toile, l’inventaire de tous les « cercles » que <strong>Mosset</strong> ait jamais peint, une peinture récente<br />

nommée N.G . (1987) fait référence aux cercles <strong>avec</strong> un seul « anneau ». <strong>Les</strong> toiles <strong>avec</strong> cercles<br />

étaient composées d’un seul anneau, noir, de 31 mm de largeur situé au milieu d’un champ carré<br />

blanc. N.G <strong>avec</strong> un anneau bleu clair de même dimension sur un champ rose vif ressemblait<br />

terriblement à une toile des années 60’ qui aurait été colorée comme on le fait maintenant <strong>avec</strong> les<br />

anciens films noir/blanc afin de les relancer commercialement(en les mettant au goût <strong>du</strong> jour). En<br />

s’appropriant une de ses propres compositions d’il y a vingt ans, le N.G de <strong>Mosset</strong> pouvait être<br />

interprété comme une manière de dire que le « néo-géo » n’était pas nouveau, mais quelque chose


qui avait déjà été fait il y a longtemps. Il signifie aussi que les conditions de pro<strong>du</strong>ction et de réception<br />

d’un tableau ne sont jamais les mêmes, pendant dix ou même vingt ans, ni pour l’artiste et encore<br />

moins pour le public. Au vernissage de l’exposition rétrospective qui a circulé dans plusieurs musées,<br />

<strong>Mosset</strong> disait en 1985 à Poitiers : « Le monochrome commence à devenir un courant reconnu,<br />

accepté, dans un certain sens, c’est comme une déclaration et les gens qui sont hors de la scène<br />

artistique réagissent bizarrement face au monochrome. Ils se sentent insultés ou quelque chose<br />

comme ça… Ils pensent qu’ils peuvent aussi peindre comme cela. A La Chaux-de-Fonds, la troisième<br />

station par contre, qui n’est pas une ville où l’on voit de grandes expositions internationales, beaucoup<br />

de gens, ceux qui n’avaient pas de connaissance approfondie de l’art ou de l’histoire de l’art disaient :<br />

« Oh, j’aime beaucoup ces couleurs… ! » ou des choses comme ça. J’ai été étonné de constater que<br />

ces gens acceptaient ce genre de peinture. »<br />

Pour <strong>Mosset</strong>, et certainement pas uniquement pou lui, peindre une toile monochrome en 1989 n’est<br />

pas ce que c’était il y a vingt ans. C’est vrai qu’il a toujours été engagé dans des problématiques, qu’il<br />

a cherché à les concrétiser ou réanimer en les confrontant aux modes de pro<strong>du</strong>ction et de réception<br />

les plus actuels ; Prévoir, aujourd’hui, où va <strong>Mosset</strong> n’est guère facile_ cela l’a -t-il jamais été ?_ et<br />

pas véritablement nécessaire. Alors que dernièrement on lui demandait de parler de la question de «<br />

l’usage de l’abstraction », <strong>Mosset</strong> écrivit : « <strong>Les</strong> œuvres contemporaines essaient de réagir contre la<br />

puissance <strong>du</strong> marché qui tente de réifier tout ce qu’il touche. Le système nous oblige à modifier nos<br />

stratégies et à réfléchir aux conséquences de ses modes d’appropriation. Que cela se passe<br />

directement <strong>avec</strong> des objets qui jouent le »jeu de la consommation » ou, dans une situation contraire<br />

au moyen d’une abstraction radicale(<strong>du</strong>re). One answer, my friend, is blowing in the wind, and the<br />

other is singing in the rain.”(14)<br />

Notes :<br />

(1)Alain Jouffroy, What’s to be done about art in Art and Confrontation, New York Graphic Society,<br />

1968, p.183<br />

(2)Armleder and <strong>Mosset</strong> in Conversation, Artscribe, novembre/décembre 1986, p.45 (3)Cette<br />

expression est de John Miller<br />

(4)Armleder and <strong>Mosset</strong> in Conversation, Artscribe, novembre/décembre 1986, p.43 (5)idem<br />

(6)idem<br />

(7)Max Wechsler, <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong>, Artforum, mai 1986, p.147/148<br />

(8)Armleder and <strong>Mosset</strong> in Conversation, Artscribe, novembre/décembre 1986, p.44 (9)Kate Linker,<br />

<strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong> at John Gibson, Artforum, avril 1987, p.124<br />

(10) None of your Goddamn Business est le titre original d’une peinture, qui, « officiellement », ne<br />

porte pas de titre aujourd’hui, parce que son acquéreur a demandé de le changer. <strong>Mosset</strong> a fait savoir<br />

au collectionneur que, plutôt que de donner un nouveau titre, le tableau serait dorénavant sans titre.<br />

Ainsi il s’agit là <strong>du</strong> seul tableau abstrait sans titre. (11)Remarque non publiée à l’occasion de la<br />

discussion : Jack Bankowsky, Robert Nickas, Wallace & Donohue, Flash Art International, mai/juin<br />

1989, p.106/107<br />

(12)Robert Niskas, Interview with <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong>, Flash Art International, février/mars 1987, p. 96<br />

(13)Max Wechsler, <strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong>, Artforum, mai 1986, p.147/148<br />

(14)<strong>Olivier</strong> <strong>Mosset</strong>, « The uses of Abstraction », citation extraite d’un colloque qui a eu lieu à la New<br />

York Art Fair, le 10 mars 1988.

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