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Quadrimestriel – juillet 2008<br />
L’obscurité<br />
Numéro 3<br />
www.vers-a-lyre.fr<br />
Magazine littéraire et artistique gratuit<br />
© 2008, Ludimie
© 2008, Ludimie<br />
Editorial Editorial Editorial Editorial Editorial Editorial<br />
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Editorial Editorial Editorial Editorial Editorial Edi-<br />
ditorial<br />
Equipe de rédaction :<br />
Aurore Moret, Camille Lantagne, Claire Mathieu,<br />
Damien M., Jérôme W., Mélanie W.,<br />
Olivier Noré, Titefée<br />
Illustrations :<br />
Claire Mathieu, Jérôme W., Lazylad, Ludimie,<br />
Noemy, Olivier Noré, Titefée, Zed<br />
Mise en page et Webmasters :<br />
Aurore Moret, Jérôme W.<br />
Bienvenu ami Lecteur,<br />
Es-tu prêt <strong>à</strong> plonger dans les plus noirs et inquiétants<br />
recoins dépeints par des mots ? Car<br />
ce semestre, d’obscurs cerveaux ont travaillé<br />
avec acharnement pour faire disparaître toute<br />
trace de lumière de ton esprit.<br />
Laisse venir la souplesse reptilienne de la nuit,<br />
laisse-toi absorber, envelopper et surprendre<br />
par des œuvres noires d’encre et par certaines<br />
facettes de l’obscurité que tu n’aurais jamais<br />
soupçonnées. Approche, ne sois pas timide,<br />
mystères et ténèbres vont te tenir compagnie<br />
pendant quelques heures de lecture. Ils te révèleront<br />
les coins sombres, les craintes qui<br />
s’y cachent, mais aussi parfois la douceur et<br />
l’apaisement qu’ils dégagent.<br />
Et surtout, réjouis-en-toi, car après tout, ce<br />
jeu clair-obscur ne te conduira-t-il pas <strong>à</strong> mieux<br />
apprécier la beauté de la vie quelle que soit sa<br />
luminescence ?<br />
Ténébreuses lectures.<br />
L’équipe<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong>
© 2008, Titefée<br />
Sommaire<br />
Communiquons... 4<br />
Sentinelle 5<br />
Cargo 6<br />
Les mots râlents 9<br />
Sombres eaux du Léthé 12<br />
Dans la cave 13<br />
La Voleuse de livres 20<br />
Haiku 21<br />
Soir 22<br />
Cinéma 23<br />
Masque de carnaval 25<br />
Origine d'une passion 26<br />
Fresquiste 30<br />
Découverte d’écrits 31<br />
Labyrinthe 32<br />
Le sens de la vie 38<br />
De l’obscurité lumineuse 38<br />
L’obscurité dans la mythologie 39<br />
Concours Interforum Gourmandise 41<br />
Concours Interforum Obscurité 42<br />
Wikipen 44<br />
La noire 47<br />
Reptile nocturne 48<br />
Pourquoi la nuit est-elle noire ? 49<br />
Appartement 123 52<br />
Thème du prochain numéro 56
Bonjour,<br />
4<br />
Communiquons...<br />
Je voudrais faire part de toute mon admiration<br />
<strong>à</strong> l’équipe de «<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong>» devant le superbe magasine<br />
que vous avez créé. J’ai été enchantée, emportée dans les<br />
mots en consultant ces splendides pages de littérature !<br />
Je vous encourage vivement <strong>à</strong> poursuivre sur cette<br />
voie ! J’ai passé un moment délicieux en dégustant les<br />
textes que vous avez sélectionnés !<br />
Bravo !<br />
Emilie<br />
Merci beaucoup <strong>à</strong> tous les trois pour<br />
votre soutien, nous sommes toujours enchantés<br />
de recevoir de tels courriels, c’est<br />
la plus belle récompense qu’on puisse avoir<br />
pour les heures passées <strong>à</strong> préparer <strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong>.<br />
Bonjour <strong>à</strong> toute l’équipe,<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Ben.. Pour un deuxième numéro : c’est une réussite!<br />
bravo! Continuez! ^^...<br />
NiaK©<br />
J’ai pris le temps de lire les<br />
deux numéros de votre magazine et je dis<br />
juste chapeau !<br />
J’espère pouvoir télécharger de nombreux autres<br />
numéros vraiment !<br />
La mise en page est superbe et claire, les textes variés,<br />
la recette de gourmandise succulente et la rubrique<br />
des livres <strong>à</strong> découvrir est une excellente idée….<br />
Continuez surtout !<br />
Christelle<br />
N’hésitez pas, vous aussi, <strong>à</strong> nous envoyez d’autres courriels d’encouragements, de critiques ou suggestions.<br />
Nous nous ferons un plaisir de vous lire et de vous répondre, ainsi que de publier vos courriels<br />
les plus pertinents dans le magazine n°4.<br />
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Finaliste pour le prix Plon blogauteurs 2009,<br />
je vous invite <strong>à</strong> découvrir les premières pages<br />
des quatre manuscrits en compétition et <strong>à</strong> voter<br />
pour celui que vous aimeriez voir édité sur<br />
http://blogauteurs.typepad.com/<br />
Laurent Brard, auteur de «Cargo», publié dans ce<br />
numéro de <strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
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E-magazine littéraire et artistique,<br />
recherche un correcteur-rédacteurlecteur.<br />
Envoyez vos candidatures<br />
<strong>à</strong> equipe@vers-a-lyre.fr<br />
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L’équipe <strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
N’hésitez pas <strong>à</strong> nous envoyer vos annonces. Elles devront être courtes, clairement rédigées, <strong>à</strong> sujet<br />
littéraire ou artistique, non publicitaires et non commerciales.<br />
Pour les annonces, comme pour les mails, une seule adresse : equipe@vers-a-lyre.fr
Sentinelle d’Antoine Ajmone<br />
Garde, où en est la nuit ? Je délaisse ma couche<br />
Et sur les carreaux froids, je pose mes pieds nus.<br />
La coupe est dans ma main, je la porte <strong>à</strong> ma bouche.<br />
La nuit est en son creux, le silence est ténu.<br />
Garde, où en est la nuit ? L’obscurité frissonne<br />
Dans les longs corridors où dorment les soldats.<br />
Ils crient dans leur sommeil et les heures résonnent,<br />
Scandant mon insomnie et le poids de mes pas.<br />
Garde, où en est la nuit ? Car mon esprit défaille.<br />
Mon cœur est engourdi, mes ennemis me raillent.<br />
La nuit est avancée, l’espérance s’est tue.<br />
Garde, où en est la nuit ? Elle s’est achevée.<br />
Une pâle lueur languit <strong>à</strong> mon chevet.<br />
Je finis de lamper le poison qui me tue.<br />
© 2008, Antoine Ajmone
6<br />
Cargo de Laurent Brard<br />
« C’est fini, salopard ! On va te balancer par-dessus bord ! »<br />
Daphné <strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Cette nouvelle a également été proposée par son auteur au concours de nouvelles<br />
du 6ème festival du Polar <strong>à</strong> la Plage (prix des «Ancres Noires 2008»), au Havre, où<br />
elle a aussi beaucoup plu puisqu’elle y a été primée et sera donc publiée dans un recueil <strong>à</strong><br />
l’automne 2008.<br />
se laissait aller. L’atmosphère était lugubre et la peur la prenait<br />
<strong>à</strong> la gorge. Cramponnée <strong>à</strong> la main courante, elle ne pouvait détourner son regard du<br />
macchabée dont la tête emballée dans un imperméable était posée entre ses pieds. De<br />
toute façon, que pouvait-elle voir d’autre ? Autour, ce brouillard d’une opacité inouïe empêchait toute<br />
perspective. Elle ne distinguait que cet amas de tissu masquant le visage de la mort. Le torse, déj<strong>à</strong>, brouillé<br />
par les fines gouttelettes en suspension, lui échappait.<br />
Satisfaction de toucher au but, d’être <strong>à</strong> deux doigts d’effacer toute trace de cet homme monstrueusement<br />
impudent, de le voir l<strong>à</strong>, <strong>à</strong> sa merci, incapable de se faufiler dans son dos, de l’effleurer, tournoyer,<br />
renifler tel une bête en rut. Horreur, <strong>à</strong> la fois, de le savoir si proche et de sentir son influence néfaste<br />
persister <strong>à</strong> réanimer sa souffrance, <strong>à</strong> forcer son intégrité, comme s’il s’installait définitivement dans son<br />
intimité, dans sa mémoire. Elle prenait conscience, <strong>à</strong> cet instant, qu’éliminer l’objet de sa tourmente ne<br />
suffirait pas <strong>à</strong> tout oublier. Le soulagement tant espéré <strong>à</strong> l’idée de se libérer d’une telle malfaisance tarderait<br />
<strong>à</strong> venir. Echappant aux remous vaseux des profondeurs de l’océan, une ombre perfide et tenace la talonnerait<br />
longtemps encore, elle le savait désormais. Son emprise demeurait si grande, si pesante…<br />
Le roulis, lancinant, et le « flic floc » des vaguelettes heurtant la coque contrariaient l’immo-<br />
bilité et le silence morbide. Cette fichue carcasse n’en finissait pas de se balancer au rythme des<br />
flots ondoyants ! Chaque retour de rame, en faisant danser l’embarcation sur une quille déséquilibrée,<br />
transmettait au cadavre un soubresaut terrifiant. Chaque son, étouffé, détourné,<br />
semblait expiré de ses entrailles. Défiant l’évidence, quelque chose de vivant s’en dégageait.<br />
Les éléments, invitant le doute, éprouvaient la raison. Et si sa main venait <strong>à</strong> bouger, <strong>à</strong> l’agripper<br />
puis <strong>à</strong> l’étreindre jusqu’au trépas… Elle angoissait, subitement, de le voir se relever d’un bond…<br />
D’un bref regard circulaire alentour, elle chercha, haletante, une improbable échappatoire, puis se<br />
ressaisit… Il fallait assumer, se contrôler, dominer tout ce que cette situation inimaginable lui inspirait,<br />
pour ne rien compromettre. Ce décor pesant, si lourd et aveuglant, affûtait son stress, déformait sa perception,<br />
abîmait ses capacités de discernement… et sa mémoire. Cette bosse sur sa tête… Avait-t-elle pris<br />
un tel coup pendant la bagarre qu’elle en aurait perdu conscience ? Daphné se souvenait que Richard, qui<br />
aurait préféré qu’elle reste <strong>à</strong> la maison, avait finalement cédé <strong>à</strong> son insistance. Mais elle ne se rappelait plus<br />
le déroulement de l’opération. Comment était-elle arrivée sur cette coquille de noix, au milieu de nulle<br />
part ? Elle avait la sensation de perdre la boule et commençait <strong>à</strong> regretter toute cette mascarade. C’était<br />
une folie !<br />
floc<br />
flic floc flic
Mais c’était fait. Plus moyen de revenir en arrière. Elle s’était imposée, elle voulait être l<strong>à</strong> pour voir<br />
de ses yeux la fin de son calvaire. Il fallait aller au bout désormais, s’éloigner le plus possible de la côte.<br />
Pas une trace ne devait rester.<br />
Une corne de brume hurlait au loin. Venait-elle du port ? Daphné était désorientée. Ils s’étaient<br />
écartés de la digue nord et fendaient une mer d’huile vers le large. La silhouette de Richard, aux commandes<br />
du doris, s’effaçait dans l’épais brouillard. Son souffle, en revanche, sifflant et grelottant, transperçait<br />
le silence de l’aube. Cette purée de pois les arrangeait. La ville, pourtant si près, semblait si loin, comme<br />
évaporée, diluée dans les vapeurs matinales. Ils ne pouvaient espérer mieux pour passer inaperçus. Pas<br />
d’horizon, seuls au monde, aucun risque de se faire surprendre… Un bateau <strong>à</strong> moteur eut été plus pratique<br />
mais bien moins discret que cette vieille barque de pêcheur. L’effort en valait la peine. Le plan de<br />
Richard, qu’elle découvrait au fur et <strong>à</strong> mesure de son déroulement, semblait parfait. Bientôt, des mois<br />
d’angoisse lourdement lestés allaient couler. Encore un peu de patience…<br />
avait dit ce vieux dégueulasse<br />
avec un sourire effarant.<br />
Ce murmure agressant son oreille, cette haleine sèche et âcre glissant sur sa nuque, ces yeux furetant<br />
sa poitrine, caressant ses courbes… Tant de mots chuchotés, au bureau, de rencontres sans hasard dans la<br />
rue, les magasins, de regards insultant sa pudeur, <strong>à</strong> la plage l’été, <strong>à</strong> la piscine ou au club de gym l’hiver…<br />
Plus de répit, plus d’intimité, il était partout. Jusque dans son lit, lorsqu’elle hallucinait en se réveillant<br />
de ses cauchemars les plus atroces. Richard la prenait dans ses bras, lui parlait… Dans les brumes du<br />
sommeil, l’espace de quelques secondes, elle voyait Blindau l’enlacer.<br />
Souvenirs insupportables ! Daphné ne put retenir son pied qui, dans un élan de violence rancunière,<br />
rebondit sur la tête du mort. Il fallait en finir ! Personne d’autre ne savait. Depuis le début, ce pervers<br />
inébranlable s’était attelé <strong>à</strong> l’isoler. Au détour de quelques vannes bien placées, il soulignait chacun de ses<br />
faits et gestes et la présentait, insidieusement, comme une possible hystérique. Du haut de son Master de<br />
Psycho, Richard avait analysé la situation. Selon lui, toute tentative de dénonciation lui serait revenue en<br />
boomerang. Elle aurait morflé et Blindau se serait érigé en victime.<br />
Durant tout ce temps, il avait assisté, impuissant, <strong>à</strong> la dégringolade de sa douce fiancée. Une cible<br />
choisie, <strong>à</strong> ses yeux, pour son charme, c’était indéniable, mais aussi pour son tempérament réservé, un peu<br />
timide, éminemment fragile et enclin <strong>à</strong> une certaine docilité. Le portrait qu’il avait dressé d’elle, ce jourl<strong>à</strong>,<br />
l’avait profondément contrariée. Daphné s’était sentie accusée d’avoir attiré l’attention de Blindau.<br />
Richard ne doutait pas de sa fidélité. Mais il semblait la suspecter d’une passivité complice. La jalousie<br />
s’invitait en lui, <strong>à</strong> ses dépens, même s’il se gardait de l’avouer. Ce sentiment intolérable d’être abusée<br />
perdait donc tout écho, jusque dans la confiance inestimable de Richard. C’était trop ! Submergée par<br />
la colère, déterminée <strong>à</strong> s’affirmer, <strong>à</strong> prouver qu’elle était tout sauf un «petit être fragile et docile» satisfait<br />
de plaire au premier venu, elle ne souffrirait plus l’emprise de Blindau. Depuis, des idées d’une violence<br />
qu’elle ne se connaissait pas agitaient ses pensées.<br />
« Je vais le tuer ce salaud ! »<br />
Au tout début, Richard l’engueulait lorsqu’elle s’égarait en menaces ou en invectives. Une gifle<br />
exaspérée ? Elle ne devait même pas y penser ! Il fallait tout ravaler, en attendant de trouver une solution<br />
convenable. Selon Richard, le pervers calculateur se nourrit de l’impulsivité de ses victimes. Réagir sans<br />
réfléchir l’aurait renforcé, soi-disant… «Prendre des précautions et s’ouvrir de sages perspectives», tel était<br />
son credo. Richard était lourd, parfois. Et la réalité bien éloignée de ses théories scabreuses. La réflexion,<br />
la sagesse et les perspectives s’éreintaient chaque jour davantage. Acculé, comme elle, par le jeu définitivement<br />
cloisonné de Blindau, Richard mit de moins en moins d’énergie <strong>à</strong> la raisonner. Finalement, les<br />
nerfs <strong>à</strong> vif, c’est lui qui, le premier, envisagea sérieusement de passer <strong>à</strong> l’acte.<br />
« Tu m’aimeras ou nous mourrons ! »<br />
7<br />
L’Obscurité
8<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
« Richard ! Je veux rentrer !<br />
Allez, on le balance ! »<br />
Encerclés, assiégés, piégés, certains qu’aucune<br />
autre issue ne s’offrirait <strong>à</strong> eux, ils résolurent ensemble<br />
de le liquider, purement et simplement. Des mois de<br />
stress, d’angoisse, de colère contenue, d’envies réfrénées… Un imperceptible<br />
désir de vengeance aurait-il annihilé d’autres choix ? Daphné ne pouvait s’empêcher d’y penser,<br />
maintenant que l’affaire était pliée. Trop tard, de toute façon ! Autant se faire <strong>à</strong> l’idée que ce type horrible<br />
avait reçu sur la tête ce qu’il méritait.<br />
Se concentrer sur la suite, se préparer <strong>à</strong> jouer l’étonnement pour faire comme tout le monde au bureau…<br />
L’absence prolongée de Blindau inquièterait bientôt… Une enquête, sans doute… Des questions,<br />
peut-être… S’infiltrer dans la rumeur, le blabla, surtout ne pas sortir du lot…<br />
Un bruit assourdissant l’extirpa soudain de ses songes. La corne de brume était toute proche<br />
désormais.<br />
« Qu’est-ce que c’est ?... Richard ! On est où ? »<br />
Il cessa de ramer, laissant la barque s’épuiser dans l’eau.<br />
« Richard ! Je veux rentrer ! Allez, on le balance ! »<br />
Elle s’apprêtait <strong>à</strong> saisir les épaules du cadavre quand elle sentit un courant d’air chaud lui caresser les<br />
joues. Le soleil pointait <strong>à</strong> l’est. Ses rayons éblouissants ouvraient un ciel maculé sur la mer et heurtaient ce<br />
gigantesque nuage opaque en station sur la côte. Quelques mouettes crièrent au jour revenu pendant que<br />
le doris finissait lentement sa course. Aveuglée par la lumière si blanche, étourdie par le roulis, Daphné<br />
cligna fermement les paupières et secoua la tête pour reprendre ses esprits. Puis elle commença <strong>à</strong> soulever<br />
péniblement le corps. Quelques rubans cotonneux mourraient encore ça et l<strong>à</strong>…mais elle voyait clair tout<br />
<strong>à</strong> coup… bien plus loin que le bout de son nez. L’imperméable couvrait la dépouille jusqu’<strong>à</strong> la taille…<br />
au-del<strong>à</strong>, la vérité… ce pantalon…<br />
« Richard ? »<br />
Un instant pour comprendre qu’il n’avait pas eu le dessus… Un instant pour oser lever le regard<br />
vers Blindau dont le visage, sur fond gris, s’offrait <strong>à</strong> la lumière… Un instant pour voir la fin dans le reflet<br />
de ses yeux fous. Puis la corne de brume, hurlant une dernière fois avant que l’étrave du cargo, monumentale,<br />
monstrueuse, perce le brouillard et pulvérise l’embarcation.<br />
Dans le sillage du navire, quelques débris…
«<br />
Les mots râlents<br />
Et savez-vous pourquoi ils râlent ? Parce qu’on les déforme, on les détourne, on les pervertit ! Plus<br />
rien n’est respecté de nos jours ! Que sont devenues les belles maximes et les proverbes sages, les morales<br />
avisées de La Fontaine ? Des milliers d’années de vécu, et on les découpe <strong>à</strong> grands coups de ciseaux ; on<br />
défigure les proverbes avec d’odieux <strong>à</strong>-peu-près, on travestit les fables ! La morale en littérature se gangrène.<br />
Et pour témoin de notre déchéance, tour d’horizon d’abord chez les mutines fables express.<br />
Comme leurs raisonnables aînées elles sont rimées et conclues par une « morale » (les guillemets ne<br />
sont pas de trop). L<strong>à</strong> s’arrête la ressemblance : la fable express est plus brève et bien souvent subversive,<br />
calembouresque, ou simplement absurde.<br />
Le mieux est d’en juger par vous-même :<br />
Pépin le Bref est mort depuis bientôt mille ans.<br />
Moralité :<br />
Quand on est mort, c’est pour longtemps !<br />
Eugène Chavette<br />
Un mari quelque peu volage<br />
Le lendemain de son mariage<br />
Tua sa femme <strong>à</strong> son réveil<br />
Moralité :<br />
La nuit souvent porte conseil<br />
Alexandre Pothey<br />
Qui inspira ensuite celle-ci de Willy :<br />
Un jour, un passant débonnaire<br />
Ayant rencontré Georges Ohnet<br />
Fut mordu, soudain, au poignet<br />
Par ce romancier sanguinaire :<br />
Il conserva huit mois la trace de ses dents.<br />
Moralité :<br />
Quand Ohnet mort, c’est pour longtemps.<br />
Lequel Willy récidive ensuite (il commet ainsi quelques centaines de fables express) :<br />
Une mine est béante, un champ qui la domine<br />
Glisse et, soudain, s’engouffre avec un long fracas<br />
Moralité :<br />
Garde-toi tant que tu vivras<br />
De jucher les champs sur la mine<br />
9<br />
L’Obscurité
10<br />
Et pour finir, on ne peut pas couper <strong>à</strong> Alphonse Allais :<br />
Lorsque tu vois un chat de sa patte légère<br />
Laver son nez rosé, lisser son poil si fin,<br />
Bien fraternellement embrasse ce félin.<br />
Moralité :<br />
S’il se nettoie, c’est donc ton frère.<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Mais le blasphème ne se limite pas <strong>à</strong> la fable. Il ronge comme l’acide les grands prêcheurs de la<br />
sagesse populaire : les proverbes !<br />
Prenons par exemple ce sage conseil «l’avenir appartient <strong>à</strong> ceux qui se lèvent tôt» ; connu de tous,<br />
et d’une vérité incontestable. Voyez maintenant comme il est odieusement détourné :<br />
ou<br />
«L’avenir appartient <strong>à</strong> ceux qui se lavent tôt (parce qu’il reste de l’eau chaude)»<br />
«Le monde appartient <strong>à</strong> ceux dont les ouvriers se lèvent tôt.»<br />
(film Dans une galaxie près de chez vous)<br />
(Proverbe patronal)<br />
Le proverbe perd dans ces altérations toute sa noblesse. Tantôt il est tellement tronqué qu’il ne veut<br />
rien dire tantôt il se pare d’une indiscipline dangereuse.<br />
Un autre proverbe sujet <strong>à</strong> bien des traits d’esprit :<br />
se décline chez Francis Blanche en<br />
« C’est en forgeant que l’on devient forgeron »<br />
« C’est en forgeant qu’on devient forgeron mais ce n’est pas en se mouchant que l’on devient moucheron ni en<br />
sciant que Léonard devint scie »<br />
ou pour dans Dans une galaxie près de chez vous en<br />
« C’est en forgeant qu’on devient Michel Forget »<br />
Tous les moyens sont bons pour les pasticheurs éhontés ; outre les approximations, certains aussi<br />
adorent découper et rapprocher les proverbes qui prennent alors un tout autre sens :<br />
« Qui vole un bœuf, dîne »<br />
En honnêtes gens que vous êtes, vous ne manquerez pas de réprouver ce site « <strong>à</strong> se fendre le cul<br />
par terre » : http://www.les-carottes-sont-jetees.fr/ où l’on peut facilement s’exercer soi-même <strong>à</strong> créer de<br />
nouvelles expressions.
Et pour finir de vous en dégoûter, quelques faux proverbes de mes errances sur la toile, qui me<br />
déplaisent particulièrement :<br />
« Qui dit mot qu’on ne sent, a bonne haleine » ou encore<br />
« Qui ne dit mot, se sent con. »<br />
« Un seul hêtre vous manque et tout est des peupliers »<br />
« Qui crawle en brasse mal aux reins »<br />
(proverbe botanique)<br />
(proverbe sportif)<br />
« Un bon lien vaut mieux que deux tutorats »<br />
(proverbe informatique)<br />
« Si tu manges tes tartines aux toilettes, ne t’étonne pas d’avoir du pain sur la planche... »<br />
(Proverbe d’artisan belge)<br />
« Tout a une fin, sauf le saucisson qui en a deux. »<br />
(Proverbe débile)<br />
« Un verre ça va, trois verres ça va, ça va, ça va. »<br />
(Proverbe wallon)<br />
Biliographie de cet article :<br />
« Pour tout l’or des mots » de Claude Gagnière.<br />
http://sophitos.space-blogs.com/blog-note/38301/faux-proverbes-et-vraies-conneries.html<br />
http://fr.wikipedia.org/wiki/Faux_proverbe<br />
Mélanie W.<br />
11<br />
L’Obscurité
© 2008, Noemy<br />
12<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Sombres eaux du Léthé<br />
de Gaël Ancelin<br />
collaboration de Mélanie W.<br />
C’est plus que la pénombre, c’est l’obscurité :<br />
Obsédante cette obscurité qui nous plonge<br />
Dans l’insécurité favorise les songes<br />
Et couvre d’un voile noir les eaux du Léthé<br />
« Avance doucement et descends te noyer<br />
Ne te refuse pas <strong>à</strong> la douce torpeur<br />
Pourquoi te souvenir ? Oublie donc tes malheurs<br />
Entre dans mes vagues et va te reposer »<br />
Obscènes et obscures, les eaux du Léthé<br />
Enserrent mon corps et semblent le caresser<br />
Je ne peux résister, tout est vague et confus<br />
Obscur même. Je suis maintenant submergé<br />
Par je ne sais quelles sombres idées<br />
Las, me voil<strong>à</strong> forcé de m’admettre vaincu
Dans la Cave<br />
de Christophe Rossetti<br />
Nous déconseillons aux plus jeunes d’entre vous de lire cette nouvelle en raison de<br />
l’intensité et de la virulence de certaines scènes.<br />
« J’ai peur du noir, maman<br />
— Ne t’inquiète pas, il ne te fera rien, lui… »<br />
L e<br />
couple Goubredon était, de l’avis de tous, très<br />
bien assorti. René, trente-huit ans, chômeur de longue durée, passait ses journées<br />
<strong>à</strong> errer en ville, pour soi-disant, trouver du travail. Un travail de serveur, probablement, vu<br />
qu’il visitait essentiellement des cafés. Sa dégaine était bien connue de ses collègues piliers. Il s’habillait<br />
habituellement d’un pantalon de velours brun, d’un maillot de corps vert, tendu autour de son embonpoint<br />
comme la peau d’un copieux boudin, et d’une veste de flanelle, <strong>à</strong> carreaux rouges et ocres. Il ne la<br />
fermait jamais, afin d’exhiber son ombilic saillant, semblable <strong>à</strong> une cerise sur le gâteau. Les remarques<br />
déplacées sur cette excroissance ne manquaient pas. Elles remplaçaient d’ailleurs l’habituel bonjour. René<br />
adorait ses compagnons de beuverie. Leur bienfait principal était de l’éloigner de sa femme, au moins<br />
jusqu’au soir… une femme qu’il ne voyait quasiment jamais, du temps où il travaillait, prenant son train<br />
<strong>à</strong> six heures, le matin comme le soir, et qu’il avait redécouvert <strong>à</strong> la suite de son licenciement. « Dire que<br />
certains attendent la retraite ! se disait-il. Ils ne se doutent pas une seconde de ce que va devenir leur vie<br />
de couple ! » Clotilde s’usait la rétine, <strong>à</strong> longueur de journée, devant son poste de télé, zappant de chaîne<br />
en chaîne, pour y puiser sa ration quotidienne de séries. Elle ne sortait jamais, aussi, pour tout vêtement,<br />
elle ne portait qu’une ample robe de chambre blanche <strong>à</strong> motifs floraux – des roses, car elle adore les roses.<br />
A quoi bon soigner son look si personne n’est l<strong>à</strong> pour le voir ? Quand elle se levait pour se préparer un<br />
thé, breuvage qu’elle noyait dans la liqueur de poire afin de lui donner plus de goût (selon ses dires), elle<br />
patinait dans ses chaussons molletonnés représentant des gueules de lion.<br />
Leur entourage ne se trompait pas sur ce point : les époux Goubredon étaient parfaitement complémentaires.<br />
Tous deux cultivaient un goût prononcé pour l’oisiveté, l’alcool et la haine. La haine de<br />
tout ce qui était étranger <strong>à</strong> leur petit monde, des gens, bien sûr, mais aussi de la politique, des lois, de la<br />
religion, de la morale… Un sentiment si indispensable <strong>à</strong> leur bien-être qu’ils l’éprouvaient, fort logiquement,<br />
l’un envers l’autre.<br />
« C’est quoi, cette connerie ? demanda Réné, un soir.<br />
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Vas cuver dans la cuisine, tu empestes le salon !<br />
— Je vois pas ce que je pourrais empester, ça pue déj<strong>à</strong> la merde, ici ! Tu t’es fait dessus, ou quoi ?<br />
— Si c’est moi qui pue, c’est de ta faute, gros lard ! T’as qu’<strong>à</strong> réparer le robinet de la baignoire !<br />
— Celui du lavabo fonctionne très bien. Si tu veux prendre un bain, tu verses l’eau dans un seau,<br />
et tu transvases…<br />
— J’ai mal aux bras, tête de con ! Je te l’ai déj<strong>à</strong> dit !<br />
— Et moi, j’ai mal aux oreilles ! Bon Dieu ! Cette odeur me fait gerber ! »<br />
13<br />
L’Obscurité
14<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
A ces mots, René ouvrit la fenêtre. L’air tiède de mai transporta dans la pièce un parfum de colza,<br />
venu des champs voisins.<br />
« Peuh ! s’exclama Clotilde. Ca pue autant dehors ! Et puis, tu fais entrer le froid, referme ! »<br />
René partageait l’avis de sa femme. Il referma, mais pas immédiatement, pour ne pas lui donner<br />
l’impression d’obéir.<br />
« Qu’est-ce qu’il y a <strong>à</strong> bouffer ?<br />
— Si tu veux le savoir, regarde dans le frigo, crétin ! »<br />
Il s’en voulait d’avoir posé la question. Elle ne faisait plus la cuisine depuis longtemps. Il se traîna<br />
jusqu’au réfrigérateur et ouvrit la porte d’un geste mou. Par bonheur, il trouva ce qu’il cherchait : emmental,<br />
jambon, saucisson… l’idéal pour un sandwich, l’essentiel d’une bonne nutrition ! Le problème, c’est<br />
qu’il n’y avait pas de pain. Il vérifia l’heure et partit <strong>à</strong> la boulangerie.<br />
Il dégusta son met en l’agrémentant d’un reste de vin, de crudités de la veille et d’une banane. Clotilde<br />
ne mangea pas ce soir-l<strong>à</strong>. Il ne posa aucune question. Il préférait ne pas savoir de quoi elle se gavait<br />
dans la journée…<br />
Le film de la soirée avait l’air bien. Une comédie, avec des gens rigolos qui passaient souvent dans<br />
les émissions de télé du soir, les seules qu’il regardait, quand il n’avait pas envie d’autre chose... Heureusement<br />
pour lui, Clotilde, seule détentrice de la télécommande, avait décidé de regarder ce programme.<br />
Il s’installa <strong>à</strong> côté d’elle, essayant de noyer l’odeur qu’elle lui renvoyait dans les vapeurs du verre de vin<br />
qu’il s’était rapporté de la cuisine.<br />
« T’as intérêt <strong>à</strong> pas en renverser !<br />
— Tu parles ! Pour ce que ça va changer... Regarde-le, ton divan ! On n’en voit même plus la couleur<br />
tellement il est crasseux !<br />
— Si tu es si sensible <strong>à</strong> l’hygiène, ne te gêne pas, nettoie-le !<br />
— Il faudrait le changer, ça irait plus vite.<br />
— Dans ce cas, trouve du boulot, parce que c’est pas avec nos économies qu’on pourra s’en<br />
payer un !<br />
— Ca sert <strong>à</strong> rien ! Il y a trop de choses pourries <strong>à</strong> remplacer, ici…<br />
— Ah, nous y voil<strong>à</strong> ! Si tu veux partir, la porte est grande ouverte, connard !<br />
— Tu m’emmerdes ! Je vais chercher une autre bouteille <strong>à</strong> la cave.<br />
— Pendant que tu y es, rapporte-moi du lait. Y’en a plus ici.<br />
— Tu peux toujours courir ! »<br />
« Vieille peau ! »<br />
, maugréa René en descendant les marches abruptes menant<br />
au sous-sol. Ça allait de pire en pire !<br />
Il soufflait <strong>à</strong> chaque pas. Ses jambes lourdes avaient du mal <strong>à</strong> supporter le poids de son embonpoint.<br />
Heureusement pour lui, l’escalier était assez court. Il faisait sombre en bas, mais puisque l’interrupteur<br />
se trouvait <strong>à</strong> gauche, sur une portion de mur non contiguë <strong>à</strong> la dernière marche, et qu’il lui faudrait faire<br />
quelques pas supplémentaires pour l’atteindre, il se contenta de la lueur que lui renvoyait la maison ; elle<br />
suffisait amplement. Sa mini-cave ne contenait qu’une dizaine de bouteilles bon marché. Il s’empara de la<br />
première venue. Derrière le tintement glissé que produisit l’objet en sortant de son emplacement, il crut<br />
entendre comme une respiration.<br />
Il resta un moment immobile, pour essayer de surprendre une seconde fois le bruit, mais il n’entendit<br />
rien d’anormal. Un monticule de denrées en tous genres se trouvait derrière lui. Il hésita devant<br />
le lait. Devait-il en rapporter, alors qu’il avait envoyé bouler la vieille <strong>à</strong> l’instant, sachant que de toute<br />
manière, ce serait <strong>à</strong> lui de le faire, puisque Clotilde ne descendait jamais dans le sous-sol ? Ses chaussons
étaient trop larges pour les marches et elle ne pouvait pas y aller pieds nus, puisqu’elle ne supportait pas<br />
la surface glacée et poreuse du béton… Dur dilemme, entre fierté et fainéantise. Le second concurrent<br />
remporta le concours. René se baissa pour ramasser le carton et entendit clairement, cette fois, un souffle<br />
venant de sa gauche.<br />
Il suspendit son geste et se redressa. Le bruit venait du coin le plus sombre de la pièce.<br />
« C’est toi, morveux ? »<br />
L’obscurité ne protégeait pas des coups ; il aurait pu lancer son pied, au hasard, pour vérifier, mais<br />
quelque chose lui disait qu’il ne s’agissait pas de lui. Jamais il ne serait venu ici sans autorisation. Pourtant,<br />
il y avait bien quelqu’un. D’ailleurs l’individu ne cherchait plus <strong>à</strong> masquer sa respiration. Il soufflait<br />
<strong>à</strong> présent, d’une manière gutturale, dégoûtante, comme si ses fosses nasales étaient encombrées. D’une<br />
démarche hésitante, René recula jusqu’<strong>à</strong> l’interrupteur.<br />
Un sentiment de danger s’empara de lui alors qu’il s’éloignait. Cette haleine ne lui inspirait pas<br />
confiance. Elle ne semblait pas humaine. Son doigt tremblait au moment où il appuya sur le bouton. La<br />
lumière jaillit dans une vive explosion jaunâtre. Une masse de chair noire et visqueuse apparut, précisément<br />
<strong>à</strong> l’endroit où il l’avait soupçonnée. L’ampoule éclairait directement ce coin de la pièce, dévoilant<br />
dans toute son horreur l’anatomie contre-nature du monstre. Son corps longiligne, semblable <strong>à</strong> un tronc<br />
d’arbre, palpitait au rythme de son diaphragme et de petits tentacules, situés sur ses flancs, s’agitaient<br />
frénétiquement. Par chance, elle n’avançait pas et rien ne démontrait qu’elle fût munie de jambes pour<br />
se mouvoir.<br />
René s’était agrippé <strong>à</strong> la bouteille de vin, réaction due <strong>à</strong> la terreur, qui avait soudainement tendu<br />
ses muscles <strong>à</strong> l’extrême. Dès qu’il revint <strong>à</strong> lui, il se précipita dans l’escalier. La panique modifia son appréciation<br />
des distances. Son pied buta contre le rebord de la première marche, il perdit l’équilibre et son<br />
genou droit s’écrasa durement sur celui de la seconde marche. La douleur lui fit lâcher sa bouteille qui<br />
se brisa devant lui. René s’affaissa dans les débris de verre et le vin poisseux. Il se roula de côté, autant<br />
pour remettre d’aplomb sa jambe endolorie que pour observer la réaction de la créature. Il constata avec<br />
effroi que celle-ci avait bougé. De plus, elle paraissait plus grande, plus élancée. Il redoubla d’efforts pour<br />
se redresser, mais sa rotule lui renvoyait une douleur insupportable. La créature avançait en ondulant,<br />
très lentement. Elle semblait gênée par quelque chose et sa chair frémissait, comme sous l’effet d’une<br />
extrême tension interne. Soudain, un bruissement huileux déchira le silence et une sorte d’appendice se<br />
décolla de son abdomen. Le nouvel organe s’étira un peu, et s’appuya <strong>à</strong> quelques centimètres de la base<br />
ondulante. Par glissement, il fit avancer cette base de quelques centimètres et prit appui plus loin afin de<br />
recommencer l’opération, mimant ainsi la reptation d’une chenille. Bien qu’hésitants, ses mouvements<br />
lui permettaient d’avancer.<br />
René se tourna dos <strong>à</strong> l’escalier, pour ne plus quitter la menace des yeux, et monta <strong>à</strong> l’aide de ses<br />
bras. La viscosité du vin rendait ses appuis incertains. La peur l’empêchait de se concentrer, de réfléchir.<br />
Ses bras répondaient <strong>à</strong> présent <strong>à</strong> l’appel d’un message redondant et critique, celui d’assurer une fuite<br />
immédiate. Mais ses gestes étaient très maladroits. Chaque ascension s’accomplissait au prix d’une trop<br />
grande énergie. Son cœur hurlait sa détresse, cognant furieusement jusqu’<strong>à</strong> fendre ses côtes ; il manquait<br />
de souffle et une douleur cuisante, presque paralysante, durcissait ses biceps. La créature arriva au pied de<br />
l’escalier alors qu’il en avait gravi la moitié. René n’en pouvait plus. Son seul espoir était que la créature<br />
ne puisse le suivre sur ce terrain pentu. Il s’arma du goulot de la bouteille, sans conviction.<br />
Brusquement, le monstre déploya entièrement son nouvel appendice. La masse de chair se souleva,<br />
exhibant un corps ponctué de dizaines de petits tentacules frétillants. Elle s’allongea jusqu’au plafond,<br />
plongeant René dans son ombre. La créature était <strong>à</strong> présent épanouie. Elle se tenait débout, immobile,<br />
majestueuse et terrible. L’observait-elle ? Si oui, avec quoi ? Sa silhouette vermiculaire n’avait aucun crâne,<br />
et donc, pas d’yeux. D’ailleurs, cette absence de gueule était peut-être bon signe. Depuis qu’il l’avait vue,<br />
15<br />
L’Obscurité
16<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Ses deux puissantes mandibules<br />
se refermèrent...<br />
son instinct de survie lui hurlait de s’enfuir.<br />
Mais la menace semblait <strong>à</strong> présent très relative. La<br />
chose était géante, certes, mais il s’agissait d’un simple<br />
asticot.<br />
Calmé et reposé, René posa les restes de la bouteille et poursuivit son escalade.<br />
Son genou ne lui faisait plus aussi mal. Il parvint <strong>à</strong> se relever. En prenant de l’altitude, et ce, malgré le<br />
contre-jour, il distingua de multiples petits points noirs au sommet de la créature. Puisqu’elle semblait<br />
respirer par ses tentacules, il en déduisit qu’ils avaient une autre fonction. Laquelle ? L’ouïe ?<br />
Titubant, René franchit une marche, puis une autre. Il tentait de faire abstraction des bruits aqueux<br />
qu’il entendait dans son dos, de fixer son attention sur la porte de la cave. Cette chose pouvait l’observer,<br />
souffler, baver, tant qu’elle voudrait, il s’en fichait. Il n’avait aucune envie de lui demander ce qu’elle<br />
fichait l<strong>à</strong>, et pourquoi elle restait debout <strong>à</strong> bayer aux corneilles. Il ne comprit jamais pourquoi sa main,<br />
alors qu’elle s’avançait pour saisir la rondelle métallique de la porte, ne parvint jamais <strong>à</strong> son but. Il fut<br />
violemment happé, gobé jusqu’<strong>à</strong> la ceinture et tranché en deux. Il n’eut pas le temps de manifester sa<br />
douleur. Le seul bruit que provoqua cette soudaine attaque fut celui du choc, lorsque la paire de jambes<br />
tomba contre le bois léger de la porte. Ses deux puissantes mandibules se refermèrent, le broyant sur toute<br />
la longueur. La mastication produisit des craquements et autres bruissements aqueux, que la créature<br />
atténua par la masse de sa tête immense.<br />
« Merde ! s’exclama Clotilde, alors que le film commençait. Ce con a dû se vautrer dans l’escalier !<br />
J’espère qu’il va lécher le vin qu’il a renversé, au prix que ça coûte ! »<br />
Elle resta immobile un moment, cherchant dans le film la force d’oublier l’incident. Mais si ce minable<br />
était réellement tombé, qu’il se tuait et qu’elle ne lui portait pas secours, elle serait une criminelle<br />
aux yeux de la loi. Non-assistance <strong>à</strong> personne en danger de mort ! Or, il n’était pas question d’aller en prison<br />
<strong>à</strong> cause de cet enfoiré ! Enfermée <strong>à</strong> double tour toute la journée <strong>à</strong> ne rien faire, et puis quoi encore ?<br />
Elle se leva péniblement, et traîna ses gros chaussons jusqu’au bout du couloir. Lorsqu’elle ouvrit<br />
la porte, elle vit avec effroi l’immonde créature, qui engloutissait la seconde moitié de Réné. Les deux<br />
rangées de crocs saisirent les jambes au niveau des genoux. Ensuite, la créature leva la tête jusqu’au plafond<br />
pour faire tomber sa nourriture entre ses deux immenses mâchoires. Enfin, elle referma sa gueule,<br />
gonflée par le corps étranger, et débuta la mastication, dans une série de bruissements horribles, huileux,<br />
cartilagineux, osseux, gazeux… Une fois broyé, elle le déglutit dans un odieux gargouillis puis, retrouva<br />
progressivement sa consistance initiale.<br />
Clotilde avait observé la scène avec un dégoût scientifique et analysé froidement la situation. Son<br />
mari était mort, ce qui était plutôt une bonne chose. A présent, il lui fallait sauver sa peau.<br />
Elle referma la porte de la cave, courut chercher la clé sur le panneau situé dans le mini-hall d’entrée,<br />
au-dessus du téléphone, et la verrouilla. Elle revint sur ses pas, attrapa l’écouteur et commença <strong>à</strong><br />
composer le numéro de la police. Alors que la sonnerie retentissait, elle entendit un grognement caverneux<br />
provenant du sous-sol. Sa main devint hystérique. Elle écrasa l’appareil contre son oreille pour<br />
calmer ses tremblements et cracha sa bile <strong>à</strong> l’attention de ces flemmards de poulets qui ne se décidaient<br />
pas <strong>à</strong> décrocher.<br />
La porte de la cave explosa brusquement, propulsant dans le couloir une pluie de débris acérés. La<br />
créature jaillit avec une souplesse de lombric, et sa gueule prit appui <strong>à</strong> quelques mètres de Clotilde, afin<br />
de ramener sa voûte plantaire. Affolée, la femme abandonna le téléphone et sortit dans l’obscurité en<br />
courant <strong>à</strong> toutes jambes, délaissant ses chaussons derrière elle. Les gravillons de l’allée lui déchirèrent la<br />
plante des pieds. Elle jaillit dans la rue et appela aussitôt <strong>à</strong> l’aide.
La rue était déserte. Les lampadaires crevaient <strong>à</strong> peine les<br />
ténèbres que l’absence de lune rendait très épaisses. Derrière elle,<br />
le ver géant approchait. Il était encore éclairé par la lumière de la<br />
maison, mais bientôt, il rejoindrait l’obscurité et deviendrait difficile<br />
<strong>à</strong> repérer. Elle se précipita chez ses voisins les plus proches, les<br />
Douglet, et sonna frénétiquement. Un silence épouvantable suivit le tintement. Elle appuya encore trois<br />
fois et appela de vive voix. Le monstre n’était pas encore dans la rue, mais cela ne suffisait pas <strong>à</strong> la rassurer.<br />
Elle savait que ses voisins étaient chez eux. Une lueur filtrait entre les volets de leur porte-fenêtre. Mais,<br />
peut-être ne voulaient-ils pas lui venir en aide. Les salauds !<br />
Un éclairage puissant perça soudain l’obscurité. C’était la lampe extérieure. Paul Douglet apparut<br />
sur le seuil de sa demeure.<br />
« Aidez-moi, je vous en prie ! hurla Clotilde. Mon mari a été dévoré et…<br />
— Tu vas arrêter de nous faire chier, la radasse ? Est-ce qu’on vient t’emmerder, nous ?<br />
— Mais écoutez-moi, enfin ! Je vous dis que mon mari est mort !<br />
— Et moi, je te dis d’aller te faire foutre, salope ! On n’aime pas ta gueule, ici, alors<br />
démerde-toi ! »<br />
La porte claqua violemment. Le silence étendit <strong>à</strong> nouveau son empire. Clotilde entendit alors nettement<br />
un souffle. Une respiration qui était devenue familière dans sa vie, car elle avait pu en apprécier<br />
la ferveur, lorsque les jambes de René se faisaient réduire en pièces. Elle se retourna et hurla de plus belle,<br />
l’esprit encombré de questions. Même si Douglet ne l’aimait pas, pourquoi avait-il refermé sa porte, alors<br />
que le monstre était l<strong>à</strong>, <strong>à</strong> quelques mètres ? Il aurait dû hurler, lui aussi, et s’enfuir en courant !<br />
La lampe extérieure s’éteignit, la libérant de l’emprise de cette vision de cauchemar. Elle en profita<br />
pour s’enfuir <strong>à</strong> nouveau. Instinctivement, elle prit la direction de sa voiture. Celle-ci se situait <strong>à</strong> quelques<br />
centaines de mètres, sur un parking réservé au lotissement. Durant sa course, elle n’entendait aucun mouvement<br />
dans son sillage ; pas de frottement, pas de cognement, pas de glissement. Le monstre semblait<br />
ne pas être <strong>à</strong> sa poursuite. Pourtant, elle ne pouvait s’affranchir de sa terreur. Elle ahanait hystériquement.<br />
Sa robe, ample et molletonnée, ralentissait sa course. Elle l’ôta, se retrouvant dans la fraîcheur nocturne<br />
en sous-vêtements.<br />
Elle pénétra dans le véhicule d’un geste brusque. Elle réalisa alors que la clé n’était pas en sa possession.<br />
Bien sûr, quelle conne ! Elle devait se trouver dans la poche du pantalon de Réné. C’est-<strong>à</strong>-dire,<br />
dans le gosier de la chose… Il laissait toujours la portière ouverte, mais n’était pas négligent au point de<br />
laisser un double <strong>à</strong> l’intérieur de l’habitacle. Elle poussa un cri mêlé de rire, une sorte de maelström d’expressions,<br />
indéfinissable, mais qui témoignait de son profond désarroi.<br />
Elle trouva une lampe électrique dans la boîte <strong>à</strong> gants. Elle s’en empara, sortit de la voiture et<br />
l’alluma.<br />
Au moment où son doigt appuyait sur le bouton circulaire du cylindre de plastique, elle eut un<br />
doute. La scène de certains soirs lui vint <strong>à</strong> l’esprit, comme un cauchemar.<br />
« Il faut dormir, maintenant.<br />
— J’ai peur du noir, maman.<br />
— Ne t’inquiète pas, il ne te fera rien, lui…<br />
— C’est papa…<br />
— Ce sont des rêves, Jeremy, seulement des rêves. Papa ne viendra pas. Tu n’as pas <strong>à</strong> t’inquiéter. »<br />
Le noir ne fait pas de mal, c’est ce qui l’habite qui est dangereux.<br />
« Aidez-moi,<br />
je vous en prie ! »<br />
17<br />
L’Obscurité
18<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
La lueur jaunâtre lança un trait en direction de la route. Le monstre apparut dans toute sa grandeur.<br />
Il était l<strong>à</strong>, devant elle, immense, vibrant d’un désir infâme, si proche qu’elle pouvait <strong>à</strong> présent sentir son<br />
odeur, un remugle infect de putréfaction.<br />
La lumière dévoile le monstre qui sommeille dans les ténèbres…<br />
La moitié supérieure du monstre se fendit dans le sens de la largeur, dévoilant deux rangées de crocs<br />
acérés. Les mâchoires surdimensionnée s’écartèrent dans un sourire carnassier.<br />
Clotilde éteignit sa lampe. Les ténèbres engloutirent le parking et le rictus meurtrier. La puanteur<br />
se dissipa complètement. Le monstre semblait avoir pris la fuite. Toutefois, en tendant l’oreille, Clotilde<br />
entendait encore une respiration. Celle-ci était si atténuée qu’elle semblait provenir de très loin. Cela signifiait<br />
que la créature était bien l<strong>à</strong>, probablement grâce <strong>à</strong> la lueur des lampadaires, mais que cette source<br />
d’éclairage n’était pas suffisante pour le rendre menaçant…<br />
Il n’y avait donc plus de danger immédiat. Comme elle grelottait, Clotilde alla récupérer sa robe<br />
de chambre. En nouant la ceinture, elle chercha dans quel endroit elle pourrait se réfugier pour la nuit.<br />
Pas question de retourner chez elle, toutes les lumières étaient restées allumées. Impossible de se réfugier<br />
chez quelqu’un, il y aurait également des sources d’éclairage – et puis, ces chiens refuseraient sans doute<br />
de l’aider ! L’idée de passer la nuit dans un bois environnant ne l’enchantait pas. Il ne faisait pas plus de<br />
dix degrés dehors. Un hangar serait l’idéal. La ferme des Grougnot, située <strong>à</strong> deux kilomètres du village, en<br />
possédait un. Cela faisait plusieurs années qu’elle n’y était pas retournée, mais il y avait de bonnes chances<br />
pour qu’il y soit encore. Les fermes ne changent pas. Et puis, elle n’avait pas de meilleure solution.<br />
Alors qu’elle se mettait en route, une camionnette déboucha <strong>à</strong> vive allure. Le lotissement était circulaire.<br />
Les faisceaux de ses phares balayèrent les premières voitures du parking, plus les suivantes, puis<br />
la clôture de la propriété voisine. Enfin, elles passèrent sur Clotilde, qui n’osait plus bouger, consciente<br />
qu’elle n’avait aucune chance de leur échapper. Ce n’était que l’affaire d’une seconde. Le véhicule roulait<br />
vite, il la dépasserait bientôt…<br />
La gueule béante fondit brusquement sur elle. Elle lui arracha sèchement la tête et l’avala sans mâcher.<br />
Lorsque Clotilde s’écroula au sol, la camionnette était déj<strong>à</strong> loin.<br />
Son repas terminé, le monstre rentra chez lui. Sur le trottoir, il croisa deux jeunes qui s’insultaient.<br />
Ces derniers ne firent pas attention <strong>à</strong> lui. Il s’engagea sur l’allée<br />
de gravillons du couple Goubredon, franchit la porte d’entrée<br />
qui était restée grande ouverte, la referma, éteignit les lumières<br />
et suivit le couloir en écrasant les éclats de bois qui l’encombraient.<br />
Il entra dans la chambre de Jeremy. Allongé dans son lit,<br />
l’enfant semblait dormir. Mais il ne dormait pas, le monstre le<br />
savait. Il avait trop peur du noir, et il était encore trop tôt. Le<br />
sommeil ne viendrait qu’avec l’épuisement, quand l’effroi<br />
aurait brûlé ses dernières forces.<br />
La créature se roula en boule, ses tentacules se<br />
rétractèrent, son corps se gondola, rapetissa, et changea<br />
de couleur, passant du noir au bleu nuit, du bleu nuit<br />
au bleu marine, du bleu marine au bleu ciel. Un<br />
fin duvet de velours recouvrit sa peau luisante.<br />
La boule molletonnée prit forme, tête, pattes,<br />
pompon. Ses yeux de verre jaillirent et une<br />
lueur infime, provenant d’un rayon lunaire<br />
© 2008, Aurore Moret, Jérôme W.
filtrant au travers des volets, se refléta <strong>à</strong> l’intérieur. L’enfant sursauta. Il se redressa dans son lit. Qui donc<br />
était venu ? Il ramassa le lapin fébrilement. Les larmes lui vinrent aux yeux. Il pensait que jamais il ne<br />
reverrait son ami Pinpin, le seul qui parvenait <strong>à</strong> le rassurer, <strong>à</strong> lui donner la force de dormir. Son père<br />
l’avait jeté sans ménagement dans le sous-sol, parce qu’il s’y accrochait de toutes ses forces, lorsque venait<br />
la nuit...<br />
Jeremy retourna dans son lit et serra très fort son ami de velours. Il ferma les yeux. Aucune image<br />
malsaine ne vint le harceler. Il se sentait calme, détendu, et le sommeil commençait déj<strong>à</strong> <strong>à</strong> engourdir sa<br />
conscience.<br />
Habituellement, de vilaines pensées torturaient son esprit. Quand la lumière s’éteignait, et que<br />
maman repartait après avoir essuyé ses larmes, il attendait. Une peur atroce tombait sur lui, si saisissante,<br />
si oppressante, qu’un cataclysme de violence embrasait son âme. En rêve, il se voyait plus grand, plus<br />
fort, plus combatif. Il affrontait son tortionnaire avec fermeté, s’opposait <strong>à</strong> sa volonté d’un seul regard<br />
ténébreux, le toisait sévèrement. Et quand, par malheur, les pas lourds résonnaient derrière la porte, que<br />
la poignée tournait, que la lumière du couloir baignait son lit et que le souffle puant de son père approchait,<br />
la violence de ses pensées décuplait. Sa poitrine se contractait, ses muscles se tendaient <strong>à</strong> l’extrême.<br />
Il prenait soudain conscience de la cruelle vérité. Il n’était pas un être supérieur. La terreur paralysait ses<br />
membres, même les cris restaient nichés au fond de sa gorge. Quand son père le rejoignait, il n’opposait<br />
aucune résistance. La rage comprimait ses veines et tordait ses os, ses yeux pleuraient, sa voix geignait,<br />
son cœur grognait, frappait, mordait, hachait, broyait, mais son corps ne pouvait lutter. Il n’était pas un<br />
super-héros, il n’était qu’un enfant…<br />
Mais ce soir il s’était passé quelque chose dans la maison. Il avait tout entendu et il savait ce que<br />
cela signifiait. Il n’y avait plus rien dans l’ombre.<br />
Ce soir, maman n’aura pas <strong>à</strong> sécher ses larmes. Ce soir, le monstre ne viendra pas…<br />
19<br />
L’Obscurité
L’auteur<br />
Mark Zusak est Australien, mais d’origine allemande<br />
et autrichienne. Il est né en 1975, <strong>à</strong> Sydney,<br />
et enseigne présentement l’anglais <strong>à</strong> l’université de<br />
la ville. Il a reçu les prix Millepages Jeunesse, CBC<br />
Honour Book, CBC Book Of the Year Award et<br />
NSW Premier’s Literary Award.<br />
Bibliographie<br />
· The Underdog, 1998<br />
· Fighting Ruben Wolfe, 2000<br />
· When Dogs Cry, 2001<br />
· I am the Messenger, 2002<br />
« La mort donne <strong>à</strong> la vie tout son prix »<br />
Combien d’êtres humains la Mort a-t-elle<br />
entraperçus ? Parmi eux, peu sont ceux qui ont<br />
réussi <strong>à</strong> l’émouvoir, <strong>à</strong> attirer son attention… Liesel<br />
Meminger, jeune orpheline allemande plongée au<br />
cœur de la tourmente nazie, est du nombre. Son<br />
histoire, son drame vibrant et désarmant, c’est la<br />
Mort elle-même qui nous la conte.<br />
Le très talentueux Markus Zusak emprunte<br />
en effet la voix de la Grande Faucheuse pour<br />
nous parler de mots,<br />
de couleurs et du<br />
paradoxe de la nature<br />
humaine. Dans la toile<br />
qu’il déroule devant<br />
nous s’entremêlent<br />
l’atrocité, l’absurdité<br />
et la misère, la bonté,<br />
la douceur et l’amitié.<br />
Tout cela sans jamais<br />
choquer, toujours avec<br />
justesse, et dans un<br />
style rare, aux images<br />
frappantes et d’une<br />
20<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
La Voleuse de livres<br />
par Markus Zusak, aux éditions Oh!, collection Pocket<br />
Je vous présente ici un roman singulier et poignant, <strong>à</strong> la grande portée, destiné aussi<br />
bien aux adultes qu’aux adolescents.<br />
grande originalité. La plume vive et fraîche de<br />
l’auteur, magnifiant chaque détail, nous attache<br />
au livre, nous happe et nous fait frémir. Ainsi,<br />
de petits bijoux sont disséminés au fil des pages,<br />
tels les réflexions et confidences de la Mort ou la<br />
reproduction manuscrite et illustrée d’un conte<br />
qu’un ami<br />
«<br />
offre <strong>à</strong> Liesel.<br />
Franc, déstabilisant et tout empreint d’humanité,<br />
de poésie et d’humour noir, La Voleuse de<br />
livres est un récit un magnifique et universel.<br />
Extrait<br />
Les humains qui en ont réchappé.<br />
Les survivants.<br />
Les survivants.<br />
Ceux-l<strong>à</strong> je ne supporte pas de la regarder, et je ne<br />
parviens pas toujours <strong>à</strong> m’y soustraire. Je recherche<br />
délibérément les couleurs pour ne plus penser<br />
<strong>à</strong> eux mais j’en vois de temps en temps, effondrés<br />
entre surprise et désespoir. Le cœur saigne. Ils ont<br />
les poumons en charpie.<br />
Ce qui m’amène au sujet dont je veux vous parler<br />
ce soir, ou ce matin – qu’importent l’heure et la<br />
couleur. C’est l’histoire de quelqu’un qui fait partie<br />
de ces éternels survivants, quelqu’un qui sait ce<br />
qu’être abandonné veut dire.<br />
Une simple histoire, en fait, où il est question, notamment<br />
:<br />
– D’une fillette ;<br />
– De mots ;<br />
– D’un accordéoniste ;<br />
– D’Allemands fanatiques ;<br />
– D’un boxeur juif ;<br />
»<br />
– Et d’un certain nombre de vols.<br />
J’ai vu la voleuse de livres <strong>à</strong> trois reprises.<br />
Camille Lantagne
Les auteurs<br />
Haiku<br />
Anthologie du poème court japonais<br />
Corinne Atlan, née en Algérie, est traductrice<br />
professionnelle et se spécialise dans la traduction de<br />
livres en japonais. Elle a étudié la langue japonaise<br />
<strong>à</strong> Paris, puis a vécu deux ans au pays du soleil levant<br />
et dix ans au Népal, où elle enseignait le français.<br />
Elle a une quarantaine de traductions <strong>à</strong> son actif et<br />
trois livres de sa propre main.<br />
Zéno Bianu est poète, dramaturge, traducteur<br />
et co-auteur de plusieurs anthologies. Il est né<br />
<strong>à</strong> Paris, en 1950. Auteur très prolifique, il dirige<br />
la collection Poésie des éditions<br />
Jean-Michel Place.<br />
Bibliographie<br />
Corinne Atlan<br />
· Le monastère de l’aube, 2006<br />
· Entre deux mondes : Traduire<br />
la littérature japonaise en<br />
français, 2005<br />
· Danse de diamant, 2002<br />
Zéno Bianu (extrait)<br />
· Connaissance de l’ombre, 1986<br />
· Fatigue de la lumière, 1991<br />
· L’atelier des mondes, 1999<br />
· Le battement du monde, 2002<br />
Souffle<br />
Un instant figé. L’éphémère cristallisé. D’un<br />
unique trait de pinceau, les maîtres haikistes captent<br />
l’essence d’un moment. En quelques mots<br />
(il est dit qu’un haiku « ne doit pas être plus long<br />
qu’une respiration »), le poète fait tressaillir notre<br />
sensibilité, notre intimité. Son regard est neuf et<br />
nous déstabilise, avec légèreté et complicité.<br />
présentation, choix et traduction par Corinne Atlan et<br />
Zéno Bianu, aux éditions Gallimard, collection Poésie<br />
Le livre que je vous suggère cette fois-ci est un recueil. Il renferme des dizaines de<br />
petites perles d’une forme poétique particulière et mystérieuse : le haiku.<br />
Ce sont les plus grands maîtres japonais<br />
de cet art aérien et presque insaisissable qui sont<br />
réunis dans cette très belle anthologie. Des haikistes<br />
médiévaux aux contemporains, elle offre un vaste<br />
panorama du poème court dans son pays d’origine.<br />
Et, puisque le haiku doit traditionellement référer<br />
<strong>à</strong> une saison, l’ouvrage est divisé en cinq parties :<br />
printemps, été, automne, hiver et hors saison.<br />
La tâche de traduire en français un haiku<br />
est très ardue, mais Corinne Atlan et Zéno Bianu<br />
l’exécutent d’une façon admirable. Ils ont su retransmettre<br />
l’éternel et le fugitif, la beauté vibrante<br />
et fugace. De plus, le livre est étoffé<br />
d’une très belle introduction et d’un<br />
dossier fort intéressant, contenant<br />
une petite histoire du haiku, des<br />
annotations sur plusieurs poèmes<br />
et une chronologie des auteurs.<br />
«<br />
Extraits<br />
«<br />
»<br />
la solitude<br />
Jôsô<br />
«<br />
»<br />
Sôseki<br />
«Sur la pointe d’une herbe<br />
»<br />
Un monde<br />
qui souffre<br />
sous un manteau de fleurs<br />
Issa<br />
Il givre et grésille –<br />
sans fin sans fond<br />
La Voie Lactée<br />
le champs de patates<br />
»<br />
les hérons blancs !<br />
«Sans savoir pourquoi<br />
Shiki<br />
j’aime ce monde<br />
où nous venons pour mourir<br />
devant l’infini<br />
»<br />
du ciel<br />
une fourmi<br />
Hôsai<br />
Camille Lantagne<br />
21<br />
L’Obscurité
© 2008, Camille Lantagne<br />
22<br />
Soir<br />
de Janine Laval<br />
Quand les ombres s’allongent <strong>à</strong> la tombée du jour,<br />
Une brume dorée flotte au-dessus des roseaux<br />
Et semble s’évanouir au milieu des labours.<br />
Un cygne majestueux trace un sillon sur l’eau.<br />
Le soleil avant de disparaître lance un dernier rayon<br />
Les troupeaux, lentement reviennent aux étables<br />
Les montagnes sont teintées de bleu <strong>à</strong> l’horizon<br />
La vague doucement vient fondre sur le sable.<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Le bel oiseau de nuit soulève une paupière<br />
Constatant qu’il est l’heure, ouvre ses ailes<br />
Et silencieusement dans la nuit familière<br />
Prend son vol comme une caravelle.
Cinéma<br />
Obscurité… Et cinéma. Au premier abord, ces deux termes recèlent une pointe d’antinomisme,<br />
car le cinéma est une projection de lumière et l’obscurité n’en admet<br />
pas. Mais en y regardant de plus près, et avec un soupçon de poésie, le cinéma s’offre <strong>à</strong><br />
nos yeux, nous charme, uniquement grâce au bon vouloir de l’obscurité, qui permet la<br />
projection de lumière et fixe une image nette. Sans elle, le cinéma serait invisible, car sa<br />
lumière serait perdue dans la masse de celle qui l’entoure. L’obscurité permet donc de dé-<br />
voiler le travail d’une vaste équipe de professionnels et d’amateurs, qui ont œuvré pendant<br />
quelques semaines, au minimum, pour le plaisir de nos yeux, de notre esprit imaginatif<br />
(ou pas), de notre cœur de gosse, et accessoirement pour gagner leur vie. L’obscurité ainsi<br />
parée attire les hommes, plutôt timorés <strong>à</strong> son approche habituellement, dans les cinémas.<br />
Le terme « salles obscures », souvent attribué aux salles de projection, parle de lui même :<br />
cinéma et obscurité vivent en symbiose parfaite.<br />
Mais, si l’on excepte l’aspect purement matériel et extérieur de cette entente, dans quelle<br />
mesure s’applique-t- elle <strong>à</strong> l’intérieur même d’un film ?<br />
Sin City<br />
Sin City est sans nul doute un exemple très pertinent de l’utilisation de l’obscurité dans un film.<br />
Ses réalisateurs, Robert Rodriguez et Frank Miller, sont parvenus <strong>à</strong> marier septième art et obscurité avec<br />
une précision d’orfèvre. Ils ont transposé avec une grande fidélité l’esprit de la bande-dessinée originale<br />
de Frank Miller. L’obscurité n’est pas uniquement un élément de décor esthétique, elle fait corps avec le<br />
film, son cadre et son ambiance. À quoi cette réussite est-elle due ? Au montage numérique et <strong>à</strong> la 3D,<br />
via une combinaison de caméras spéciales, largement utilisés par les réalisateurs. L’obscurité compose tout<br />
un univers où se trament et se déjouent sans cesse crimes et attentats, où les prostituées sont reines et où<br />
vous rencontreriez un homme capable de ressortir indemne d’un choc avec une voiture lancée <strong>à</strong> pleine<br />
vitesse. Afin de souligner certains détails, comme le faisait Frank Miller dans sa bande dessinée, quelques<br />
rares couleurs trompent le noir, le blanc et leurs nuances : le jaune, le bleu, mais une, surtout, dirige notre<br />
regard : le rouge. Un rouge dominant, rouge de l’amour, des tentations, de la fureur et… Du sang. Sin<br />
City est un petit monde, métaphore de la réalité et de sa décadence, régi par la cruauté, la vengeance, le<br />
sexe et la prison, où se mélangent et se croisent plusieurs histoires, plusieurs vies, plusieurs destins.<br />
Tous ces récits sont assez sombres, ils font ressortir l’obscurité psychologique, la part d’ombre et<br />
d’horreur que chacun abrite. Mais bien qu’une grande violence les englobe, certains des personnages<br />
gardent une part d’humanité, en signe de la dualité des hommes.<br />
Peu de gens sont restés insensibles <strong>à</strong> cette adaptation où l’obscurité joue un grand rôle et renforce<br />
le climat fantastique et irréel du film.<br />
Un casting impressionnant (Bruce Willis, Mickey Rourke, Jessica Alba, Elijah Wood, Clive Owen)<br />
vous aura peut-être également séduit, mais il n’est pas non plus évident de savoir apprécier l’originalité de<br />
ce film. Casting, scénarios multiples, couleurs, érotisme... Toutes les raisons sont bonnes pour apprécier<br />
ou non ce film inhabituel (film interdit aux moins de 12 ans lors de sa sortie en France).<br />
23<br />
L’Obscurité
Star Wars<br />
24<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Avec deux trilogies mondialement connues par plusieurs générations de spectateurs, Star Wars n’est<br />
plus <strong>à</strong> présenter. Cela fait 30 ans que ça dure : dans une galaxie lointaine, très lointaine, il y a des héros<br />
et des méchants. Saupoudrez le tout de sabres laser, combats spatiaux, droïdes loufoques, bestioles charmantes<br />
et de quelques histoires d’amour et le tour est joué. Résultat, un « Space Opéra » avec un combat<br />
d’entre tous les âges : le bien contre le mal.<br />
Son succès, Star Wars le doit beaucoup <strong>à</strong> son univers, parfois haut en couleurs avec des paysages<br />
sublimes, mais dont le cadre essentiel est l’espace : immense et obscur. Celui-ci constitue la plupart du<br />
temps le théâtre des aventures.<br />
Jusque dans la trame des films, un combat du bien contre le mal, le symbolisme de la lumière et<br />
de la noirceur est utilisé. Les guerriers Jedi tirent leur puissance d’un fluide appelé « Force » : les vertueux<br />
sont dits « clairs », alors que ceux qui répandent le mal sont du « côté obscur ». L’obscurité constitue<br />
l’identité des méchants. Ils ajoutent <strong>à</strong> leur surnom le mot « Dark » (obscur en anglais) : Dark Sidious,<br />
Dark Maul et Dark Vador, pour ne citer qu’eux. Ce dernier, un personnage vêtu et masqué de noir dispense<br />
sombres commandements et menaces cruelles aux officiers de son vaisseau spatial.<br />
Utilisant <strong>à</strong> merveille la symbolique et l’esthétique de l’obscurité, la double trilogie Star Wars est un<br />
divertissement familial <strong>à</strong> voir, ou <strong>à</strong> revoir.<br />
Le silence des agneaux<br />
© Columbia TriStar Films<br />
Ce célèbre film est un thriller psychologique racontant la traque<br />
d’un tueur en série par Clarice Starling, une jeune recrue du FBI,<br />
aidée par Hannibal Lecter, un cannibale en détention. Captivant, ce<br />
monument du cinéma (cinq oscars) met en haleine le spectateur du<br />
début <strong>à</strong> la fin en le plongeant dans un univers morbide et violent.<br />
La mise en scène, maîtrisée tout au long du film, utilise l’obscurité<br />
comme un « ustensile <strong>à</strong> suspense ». En effet, <strong>à</strong> la fin, le spectateur se<br />
retrouvera plongé dans le noir avec Clarice Starling pourchassant le<br />
tueur dans sa cave. Ce dernier, équipé de lunettes de vision nocturne<br />
se délecte de voir une proie <strong>à</strong> sa merci. La scène, filmé du point de<br />
vue du tueur, crée un suspense des plus efficaces, montrant l’héroïne<br />
du film impuissante et ignorant le danger.<br />
Ce chef-d’œuvre, que je vous invite <strong>à</strong> savourer comme de la<br />
chair fraîche, est exemplaire en ce qui a trait au le jeu des acteurs<br />
mais aussi <strong>à</strong> l’efficacité de sa mise en scène (film interdit aux moins de<br />
16 ans lors de sa sortie en France).<br />
Damien M. &<br />
Jérôme W.
Masque de carnaval<br />
de Mélanie W.<br />
Chantez vives couleurs, <strong>à</strong> la lueur du bal,<br />
Déguisez mon chagrin sous vos éclats dorés.<br />
Mon visage n’est qu’un masque de carnaval<br />
Je verse mes larmes sous mes traits délurés.<br />
Tournoyez confettis,<br />
clinquantes fééries<br />
Voilez-moi chimères,<br />
tintez joyeux grelots.<br />
Otage de l’ombre,<br />
sur mon masque je ris,<br />
Sous mon masque, seule,<br />
j’épanche mes sanglots.<br />
© 2008, Jérôme W. L ’Obscurité<br />
25
26<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
origine D'une passion<br />
de Marjorie Wathier Toinon<br />
Dans un temple antique, cocon de colonnes tutélaires<br />
aux couronnes d’étoiles, une femme, drapée<br />
de soieries du bleu de la nuit, dort. Sa respiration est lente,<br />
son visage impassible. Dehors, le jour danse les derniers pas d’un ballet éphémère. Il sait que bientôt il<br />
devra laisser sa place <strong>à</strong> la nuit ici-bas. Son char, tiré par quatre chevaux, s’élance au loin, plongeant pardel<strong>à</strong><br />
ce qui se voit.<br />
La femme, parée de la non-couleur de ses cheveux anthracite, se réveille. Elle ouvre ses yeux d’encre<br />
et observe la nuit naître dans le ciel. Elle se lève et d’une démarche souple, telle une ombre vagabonde,<br />
s’éloigne, pour parcourir le monde.<br />
Elle vient de l’Est et son voyage ne fait que commencer. Ce soir, elle ne sera pas accompagnée d’un<br />
seigneur d’hiver, la nuit sera donc douce, légère. Elle ne sera pas non plus secondée par la belle Séléné,<br />
<strong>à</strong> la lueur blafarde. La nuit sera donc impénétrable, imperturbable, terre sauvage où nul horizon ne<br />
s’aperçoit…<br />
Elle est seule, désespérément seule, car la nuit, personne ne vit. Tout s’oublie, le monde fuit…<br />
Aussi son voyage est souvent, si ce n’est trop souvent, solitaire.<br />
Habituée, peut-être même désabusée, elle observe et examine, se promène et s’enivre. Toutes les<br />
nuits, elle prend plaisir <strong>à</strong> offrir le silence, le mystère et l’oubli. Tout ce qu’elle touche se teinte de l’encre de<br />
ses yeux d’onyx noirs. Tout ce qu’elle effleure se pare de discrétion et d’ombres, comme pour se dissimuler<br />
et jouer des sens, déjouer l’ordinaire, et rejouer ce secret que la nuit est promesse. S’il lui prend l’envie de<br />
rire, les ténèbres dansent en une mosaïque floue, presque sauvage. Dans ces rires naissent alors l’illusion,<br />
la folie. Si elle est d’humeur triste et mélancolique, ses larmes tracent sur le sol des ombres maléfiques,<br />
tragiques, des spectres de regret et de désespoir, comme un miroir des multiples reflets de son âme.<br />
La nuit est ainsi, imprévisible, mais si sensible, si fragile…<br />
Elle continue son chemin, sans prêter attention aux êtres qui dorment, n’écoutant que ses soupirs<br />
et ses désirs, seule, éternellement seule.<br />
Pourtant, ce soir, un homme n’est pas endormi. Une personne, au cœur même de cette nuit, est<br />
restée en vie.<br />
Un jeune homme se tient debout, appuyé contre le mur d’une maison quelconque, l’œil attentif,<br />
le sourire aux lèvres. Il sait que Nyx passera par l<strong>à</strong>, il sait qu’elle le rencontrera. Il attend ce moment où<br />
enfin la nuit sera l<strong>à</strong>. Il patiente et regarde toujours vers l’Est, toujours vers elle.<br />
Enfin, il la voit arriver, habillée de soie bleu nuit, parée de bijoux tissés d’éphémère éternité. Il<br />
l’admire, car il aime la nuit. Depuis toujours, il l’apprécie et aujourd’hui, après d’infinies recherches, il<br />
perturbe sa course en se tenant sur son chemin. Enfin...<br />
Nyx remarque alors que, pour une fois, la solitude elle-même l’a abandonnée pour être remplacée<br />
par la curiosité.<br />
Une ombre <strong>à</strong> la saveur sucrée, comme une gourmandise enrobée d’un secret...<br />
Elle s’approche, la nuit s’accroche.
© 2008, Lazylad
28<br />
Elle soupire, la nuit s’enivre.<br />
« Qui es-tu ? »<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
lui demande-t-elle.<br />
Sa voix est grave, son ton, autoritaire. Et pourtant, malgré son maintien souverain, elle invite <strong>à</strong> se<br />
confier, elle incite <strong>à</strong> parler. La nuit est si belle, parée de ses secrets…<br />
En retour, le jeune homme lui répond <strong>à</strong> sa façon, détaché, amusé, envoûté :<br />
« Celui qui ne pense qu’<strong>à</strong> vous. »<br />
Nyx sourit, d’un sourire sombre, mystérieux. Elle hésite <strong>à</strong> partir, mais se ravise, la nuit n’ayant<br />
jamais fui…<br />
« On ne peut penser <strong>à</strong> moi, je tisse l’oubli et l’illusion entre vos pas.<br />
— Et pourtant, je ne vous oublie pas. Tout comme je ne rêve pas…<br />
— Non, peut-être pas…<br />
— Emmenez-moi avec vous… »<br />
Nyx ne cille pas, bien que sensible <strong>à</strong> cette demande.<br />
La nuit a de nombreux enfants, et plus encore de parents. On la dit mère de la Tromperie, de la<br />
Ruse et de la Mort, mère du Sommeil, des Songes et de la Vengeance, souveraine des milliers d’Oneiroi,<br />
seigneurs des rêves. On la dit aussi source de toutes nos ténèbres, de tous nos obscurs penchants, de tout<br />
ce qui, en nous, se cache et se terre. Elle favorise l’illusion, elle enfante le secret et invite <strong>à</strong> la dissimulation.<br />
Tout ce qui est scellé, démesuré, elle en est la mère et l’instigatrice, fière. Tout ce qui demeure au plus<br />
profond de nous, elle le goûte et l’envoûte.<br />
Ainsi, pourquoi donc un homme voudrait-il partager cette pénombre ?<br />
Pourquoi donc voudrait-il plonger dans sa propre nuit, pleine et entière ?<br />
Pourquoi donc voudrait-il goûter <strong>à</strong> ce nectar suave et empoisonné que chacun essaie de cacher ?<br />
Ainsi défilent ses pensées. Ainsi s’écoule, bris de glace plus coupant que l’acier, sa mélopée. Elle<br />
reprend la parole, fragile. Terrible…<br />
« Pourquoi voudrais-tu me suivre ? Moi qui n’offre que l’obscurité des sens, qui ne vous procure<br />
qu’oubli et indifférence ?<br />
— Parce que vous méritez d’être aimée et que vous ne pouvez pas, ne devez pas, vivre uniquement<br />
des ténèbres de nos existences. Soleil sombre, éclat d’encre obsidienne, vous illuminez ma vie, vous embrasez<br />
mes sens. Laissez-moi vous approcher et vous saurez… »<br />
Intriguée, car la nuit elle-même se soumet <strong>à</strong> ses appétits, elle ose une dernière question, une ultime<br />
interrogation.<br />
« Que serais-tu donc auprès de moi ? Que m’offrirais-tu de si… lumineux ? »<br />
Le jeune homme sourit, enchanté et s’approche de Nyx, au plus près, sans la toucher.<br />
Effleurer la nuit est si troublant, si envoûtant. Il a comme l’impression de se tenir au bord d’un<br />
gouffre, prêt <strong>à</strong> tomber, prêt <strong>à</strong> succomber. Le vertige le submerge, la sensation enivrante de se tenir en<br />
équilibre précaire entre son âme et ses désirs, l’envahit. C’en est grisant, ensorcelant, comme un poison,<br />
venin sombre d’une illusion. Il se laisse troubler par cette sensation, pure et sincère, que l’obscurité n’est<br />
pas aussi sombre qu’on le croit.<br />
Nyx ressent ce trouble, entrevoit la nature de cet homme qui lui offre l’amour, lisant en lui comme<br />
dans un livre ouvert. Elle découvre alors sa fragilité, sa générosité et sa passion.<br />
Elle prend conscience que la nuit, auprès de lui, peut être de celles qui enchantent, ensorcelantes<br />
promesses, délicieuses ivresses. Elle comprend que la nuit n’est pas que ténèbres, qu’elle peut être différente,<br />
qu’elle peut exister autrement. Visage aux milles reflets, surimpression d’une réalité empoisonnée,<br />
perspective aux lignes de fuite imprévisibles mais ô combien possibles…
Quelque chose se brise en elle. Certains diront quelque chose d’égoïste, d’insipide : la certitude<br />
de ne plus demeurer seule. D’autres, plus enclin <strong>à</strong> laisser leur cœur chanter la poésie, diront que la nuit,<br />
alors, découvrit ce que désormais elle offre de plus beau : l’imagination.<br />
L’instant semble durer mille ans. En fait, il ne s’écoule qu’un unique moment entre ces deux êtres,<br />
celui de l’embrasement de sens.<br />
Sa décision est prise, couperet plus vif que le ciseau des Parques lorsqu’il tranche le ruban de vie.<br />
Elle répond alors <strong>à</strong> cette demande, bercée par cette promesse d’existence et embrasse l’homme dans<br />
une étreinte nouvelle : celle de la passion. Elle l’emmène avec lui pour la vie, l’entraîne dans son ombre<br />
avec exaltation et tisse pour lui l’obscurité sous un jour différent…<br />
Pour lui, la nuit se fait amante.<br />
Il n’aura suffit que d’un instant… Celui de la chute, du vertige… Une autre perspective, une autre<br />
façon d’entrevoir sa propre nature et essence…<br />
Depuis, la nuit n’est plus seulement repos et songes éphémères. La nuit, l’obscurité, sombres<br />
toutes deux, sont devenues le repaire de l’amour, le lieu de la passion, l’appel de l’affection, partagée,<br />
démesurée.<br />
Nyx parcourt désormais le monde, aimée. Elle n’est plus ignorée. L’obscurité ne se confond plus<br />
seulement dans les illusions fugaces qui engendrent l’oubli ou la folie. Elle incarne maintenant le miroir<br />
de nos envies, le reflet sans visage de la vie.<br />
L’obscurité n’est plus éphémère. Elle peut construire l’éternel, elle peut engendrer l’étincelle…<br />
Depuis, pendant la nuit, les ombres se mêlent et dansent au rythme de l’amour des mortels…<br />
Pour encore combien de temps ?<br />
***<br />
29<br />
L’Obscurité
30<br />
Fresquiste<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Comme le titre de l’article le laisse entrevoir, nous allons nous pencher sur un métier artistique qui<br />
touche l’un des plus vieux arts de notre humanité : la fresque.<br />
Pour mieux apprécier la virtuosité des fresquistes, commençons par une petite description de l’art<br />
en question…<br />
Difficile de savoir <strong>à</strong> qui attribuer la paternité de ce procédé : la fresque s’est invitée en Égypte et en<br />
Mésopotamie près de 2000 ans avant JC, avec des méthodes proches de celles actuelles. Cet art a ensuite<br />
connu un fort engouement au Moyen-âge en France et pendant la Renaissance en Italie. Les fresques<br />
ornaient majoritairement des bâtiments religieux. Elles sont par la suite tombées en désuétude, concurrencées<br />
par d’autres procédés de peinture murale, <strong>à</strong> cause, majoritairement, de la limitation de leur palette<br />
de couleur (seules les terres naturelles peuvent être utilisées, les autres étant altérées par la chaux).<br />
La fresque est donc une technique bien particulière. Comme son nom l’indique, elle consiste<br />
en l’application une peinture sur un enduit frais (en italien : fresco). Cependant ce terme est souvent<br />
utilisé, par abus de langage, pour parler de peinture murale en général, sans tenir compte de la technique<br />
utilisée.<br />
La réalisation d’une fresque s’effectue directement sur la surface <strong>à</strong> décorer, ce qui peut nécessiter<br />
dans certains cas l’utilisation d’échafaudages et l’adoption de postures qui peuvent être fatigantes et inconfortables<br />
pour l’artiste.<br />
Cette technique ne permet pas les retouches <strong>à</strong> l’infini : le fresquiste doit travailler sur une surface<br />
constamment humide. Il doit donc être organisé, avoir une main prompte et sûre et prévoir soigneusement<br />
le travail réalisable en une journée afin d’enduire uniquement la surface du mur nécessaire.<br />
De manière plus détaillée : il faut tout d’abord superposer au moins deux couches de mortier<br />
<strong>à</strong> base de chaux et de sable (la chaux permet la fixation des pigments). L’artiste peint ensuite dessus,<br />
afin d’imbiber la surface de pigments. Une fois la peinture<br />
terminée, le fresquiste procède <strong>à</strong> une trullisation<br />
(travail de l’enduit avec la truelle), destinée <strong>à</strong> faire remonter<br />
le lait de chaux <strong>à</strong> la surface de la fresque et <strong>à</strong><br />
la lisser. Une réaction produite par l’oxydation permet<br />
ensuite de durcir le mortier. Afin d’être guidé lors de la<br />
phase de peinture, le fresquiste réalise une maquette de<br />
l’œuvre et la reproduit ensuite <strong>à</strong> l’aide de poncifs.<br />
Une fresque demande donc <strong>à</strong> son réalisateur<br />
d’être passionné mais aussi perfectionniste, d’une part<br />
<strong>à</strong> cause de la technique utilisée et d’autre part <strong>à</strong> cause<br />
Fresque de Cimabue <strong>à</strong> Assise<br />
de la surface <strong>à</strong> décorer : le fresquiste doit pouvoir interpréter sa vision des choses sur différents murs, de<br />
taille et de lieu variable, ou parfois <strong>à</strong> même le sol. Il doit donc s’adapter et recourir <strong>à</strong> son imagination.<br />
Selon l’artiste et le désir du destinataire, la fresque peut être abstraite ou même dépasser la réalité, ce<br />
qui s’appelle alors un trompe-l’œil. Ce dernier demande beaucoup de réalisme, un bon jeu de perspective<br />
et les murs prennent alors une autre dimension, pour le plaisir des yeux et la fierté de son concepteur...<br />
Aurore Moret
«<br />
Découverte d’écrits<br />
»N<br />
ous vous invitons <strong>à</strong> découvrir comment l’obscurité s’est immiscée dans l’esprit<br />
d’auteurs connus...<br />
Extrait du roman Eric<br />
Publié avec l’autorisation gracieuse des Éditions l’Atalante<br />
Grosses et noires sont les abeilles de la Mort, grave et lugubre leur bourdonnement ; elles entreposent<br />
leur miel dans des rayons de cire aussi blancs que des cierges d’autel. Le miel est lui-même noir<br />
comme la nuit, consistant comme le péché, sucré comme la mélasse.<br />
Nul n’ignore que le blanc se décline en huit coloris. Mais, pour ceux qui savent les voir, il existe<br />
aussi huit nuances de noir, et les ruches de la Mort se dressent sur l’herbe noire, dans le verger noir, sous<br />
les antiques rameaux aux fleurs noires d’arbres qui finiront par donner des pommes... disons... sûrement<br />
pas rouges.<br />
Extrait du recueil Les Fleurs du Mal<br />
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.<br />
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :<br />
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,<br />
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.<br />
Pendant que des mortels la multitude vile,<br />
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,<br />
Va cueillir des remords dans la fête servile,<br />
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,<br />
Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,<br />
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;<br />
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;<br />
Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,<br />
Et, comme un long linceul traînant <strong>à</strong> l’Orient,<br />
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.<br />
Charles<br />
Baudelaire<br />
Terry Pratchet<br />
Toutes les couleurs s’accordent<br />
dans l’obscurité.<br />
Francis Bacon<br />
Extrait de Défense de la poésie<br />
Un poète est un rossignol qui, assis<br />
dans l’obscurité, chante pour égayer de<br />
doux sons sa propre solitude.»<br />
Percy Bysshe Shelley<br />
© 2008, Claire Mathieu<br />
31<br />
L’Obscurité
32<br />
labyrinthe<br />
de Claire Mathieu<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Un labyrinthe. C’est dans un labyrinthe qu’ils m’ont mis, même si je ne l’ai pas deviné tout de<br />
suite. J’ai été condamné <strong>à</strong> mort mais ils me laissent une chance... Comme dans la nature, les plus malins<br />
et résistants n’ont qu’<strong>à</strong> s’en sortir.<br />
Il fait noir, si noir qu’il pourrait surgir n’importe quoi sans que je ne m’en rende compte. Ont-ils<br />
repris le concept antique du labyrinthe de Crête ? Vais-je rencontrer un lion ? Un animal plus mystique ?<br />
De toute façon je suis résigné...<br />
Debout dans l’obscurité, les bras en croix, mes mains effleurent de part et d’autre les murs humides<br />
et recouverts de moisissure. Les champignons se glissent sous mes ongles. Peu importe, je suis sale.<br />
Encore et encore je marche, j’avance <strong>à</strong> pas réguliers mais prudents. Toute mon attention est concentrée<br />
sur le mur de droite. Dans tout labyrinthe on s’en sort en longeant toujours le même côté. Il parait.<br />
Du moins je l’espère... Un croisement puis un autre... Inlassablement, je tourne <strong>à</strong> droite. Toujours, au<br />
moment où ma main gauche quitte le mur, j’ai peur... Puis de nouveau, je suis dans un couloir et mes<br />
deux mains reposent sur les parois. Ces murs qui m’emprisonnent, je ne peux les percevoir par la vue. Mes<br />
autres sens m’informent : humides, froids et puants.<br />
Une courbure puis un croisement... Une ligne droite...Uun croisement...<br />
Marchant, je me remémore mon entrée ici pour passer le temps. Pour ne pas perdre les repères<br />
qui me restent. C’était quand ? Il y a quatre heures ? Dix heures ? Une journée ? Bien plus peut-être... Je<br />
commence <strong>à</strong> fatiguer. Je ne me suis pas arrêté depuis qu’ils m’ont jeté ici par une trappe.<br />
J’ai alors percuté le sol, faisant une chute que j’ai évaluée <strong>à</strong> trois mètres environ. Puis ils m’ont<br />
envoyé un sac. J’étais trop fourbu pour réagir, trop fourbu même pour tenter de profiter de la lumière<br />
émanant de la trappe pendant qu’elle était ouverte. Quand j’ai enfin pu bouger et que je me suis résigné<br />
<strong>à</strong> ce que mes yeux ne me serviraient pas ici, j’ai ouvert le seul bagage qui m’était confié.<br />
A tâtons, j’ai trouvé dedans du pain et une gourde en peau tannée qui contenait de l’eau, une<br />
autre qui renfermait un autre liquide... Une corde aussi. Cela ressemblait <strong>à</strong> un kit de survie. Le pain était<br />
frais, j’en ai dévoré une bonne partie mais une pensée m’a arrêté. Ils ne m’avaient pas donné de pain frais<br />
auparavant. Jamais.<br />
Et si ces vivres étaient les seuls dont je disposais ? Je pensais alors être dans une cellule. Mais, et si<br />
cette trappe ne s’ouvrait plus ? Je n’avais senti aucun escalier durant ma chute, la construction qui m’abritait<br />
n’avait pas été prévue pour qu’on en sorte.<br />
Après avoir rangé soigneusement le pain dans ma besace, j’ai décidé d’explorer ma nouvelle cellule.<br />
C’est l<strong>à</strong> que je me suis aperçu que j’étais dans un couloir. Le seul bruit qui me parvenait était un semblant<br />
de bruit de pas… Tout près. Mais je pense que mon imagination m’a joué des<br />
tours. S’il y avait eu quelqu’un d’autre entre ces murs, il se serait fait connaître. Et<br />
s’il ne s’agissait pas d’un humain, l’animal m’aurait déj<strong>à</strong> dévoré. Cet Autre n’était L’Autre<br />
que le fruit de mon anxiété.
Et depuis, je marchais... Le sac qui pendait sur ma hanche commençait <strong>à</strong> peser... Une fois de plus,<br />
je le changeai d’épaule, lâchant a regret la rassurante paroi.<br />
Quelques pas, puis mon pied a buté dans quelque chose. Un petit rocher sans doute qui a roulé au<br />
loin. J’eus beau chercher, <strong>à</strong> quatre pattes par terre, je ne l’ai pas retrouvé.<br />
Et puis... À quoi m’aurait-il servi ? Je ne sais pas. L’instinct de survie me dictait de tout récupérer...<br />
le moindre objet pouvait être utile. Et cette corde... Les gardes plaisantaient au-dessus de moi, disant<br />
qu’ils l’avaient ajoutée pour que je puisse me pendre avec. Puis leurs voix s’étaient éloignées et tout était<br />
redevenu silencieux... Silencieux, sombre, sans un bruit : mort.<br />
Je continue <strong>à</strong> marcher, le seul son qui résonne contre les murs de pierre est celui de mes pieds nus<br />
sur le sol. Sol de terre ou de pierre, je ne saurai le dire, je ne sens pas vraiment mes pieds. Parfois, le bruit<br />
d’une flaque perturbée par mes pas. L’odeur rance d’excrément pourrait presque être ignorée si j’avais<br />
autre chose <strong>à</strong> quoi penser.<br />
Tandis que je marche, j’entends <strong>à</strong> nouveau d’autres pas, et <strong>à</strong> nouveau, je m’arrête faisant le plus de<br />
silence possible... L’Autre. Il ne s’interrompt que quelques secondes puis <strong>à</strong> nouveau, ses pas s’éloignent.<br />
Cette fois, je suis sûr de ne pas être seul dans ce labyrinthe. Mais je ne veux pas savoir qui est, ou qui sont,<br />
mes compatriotes.<br />
Toujours... Toujours le même schéma... Comme un modèle régulier : une ligne droite, une courbe<br />
puis une ligne droite, une courbe... Et moi, inlassablement, je tourne <strong>à</strong> droite, comme traçant une figure<br />
de géométrie parfaite... Le tout ponctué de carrefours.<br />
Et me voil<strong>à</strong> <strong>à</strong> nouveau dans un couloir en ligne droite. Puis, maigre diversion dans la monotonie de<br />
la marche, <strong>à</strong> nouveau, mon pied heurte quelque chose. Cette fois-ci, j’ai le réflexe d’écouter attentivement<br />
les sons qui suivent et je détermine où l’objet a roulé... J’avance <strong>à</strong> quatre pattes dans cette direction et mes<br />
mains retrouvent enfin l’objet. Il est assez gros, la taille d’une main, peut-être un peu plus.<br />
Palpant de mes doigts sales, je sens une surface lisse creusée par endroits. Je suis pris de nausée.<br />
Dans le noir, mon visage se crispe dans une grimace en reconnaissant... Un crâne humain... Ses reliefs<br />
sont creusés de petites griffures. Des rats.<br />
Ainsi, après sa mort, l’homme avait été la proie de rats et peut-être d’autres animaux. Avant ou<br />
après qu’il meure ? Avait-il succombé <strong>à</strong> la marche ? À quoi d’autre sinon ?<br />
Le reste du corps ne doit pas être loin. Mais je suis trop dégoûté pour le chercher. Puis, une affreuse<br />
idée s’impose <strong>à</strong> mon esprit. Fébrilement, je dépose le crâne contre le mur que je viens de quitter et moitié-courant,<br />
moitié-marchant, je longe ce même mur, toujours dans la même direction. Un croisement,<br />
un arc de cercle... A nouveau un croisement... Et me voil<strong>à</strong> dans un couloir en ligne droite. Je m’arrête,<br />
m’adosse au mur de droite pour le longer.<br />
Je me force pour ralentir mon pas. Ma poitrine s’efforce de contenir un cœur affolé. J’avance maintenant<br />
de côté, d’un rythme plutôt lent, les talons et le dos collés au mur.<br />
Ce que je redoutais arriva : au bout d’une dizaine de mètres environ, mon pied nu toucha quelque<br />
chose. Je me penchai, tremblant, et reconnus un crâne. Nul besoin de la précision de mes yeux pour estimer<br />
que c’était le même que quelques minutes auparavant.<br />
Ainsi c’était cela... Je tournais toujours autour d’un même bloc de pierre depuis ma descente ici. Je<br />
n’avais pas avancé d’un pouce. La douloureuse évidence m’immobilisa quelques secondes. Si le malheureux<br />
homme n’avait pas succombé avant moi, j’aurais poursuivi mon avancée, sans pourtant progresser.<br />
La pensée que j’aurais pu finir mes jours <strong>à</strong> tourner en rond m’arracha un frisson.<br />
Voil<strong>à</strong> que j’avais déjoué la première épreuve de ce labyrinthe.<br />
Découvrir la feinte. Je glisse la relique de mon camarade de fortune dans la besace suspendue <strong>à</strong> mon<br />
côté et en profite pour arracher un morceau de pain que je savoure religieusement avant de me remettre<br />
33<br />
L’Obscurité
34<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
en route. Cette fois-ci, dès le premier croisement, je quitte sans hésiter la muraille, tendant les bras devant<br />
moi <strong>à</strong> la recherche de la surface froide qui devrait me faire face. Je ne distingue même pas l’extrémité de<br />
mes doigts fiévreux. Reste <strong>à</strong> faire un choix... À droite ou <strong>à</strong> gauche ? Je décide de tenter la gauche : jusqu’<strong>à</strong><br />
présent, la droite ne m’a pas porté chance…<br />
J’ai perdu tout sens de l’orientation, je ne peux me fier qu’<strong>à</strong> ma mémoire et ne pas cesser de tourner<br />
dans la même direction.<br />
À nouveau, je marche longtemps. Je ne sais pas combien de croisements j’ai dépassé déj<strong>à</strong>. Mais tous<br />
étaient sur ma gauche, je dois être dans un long couloir. J’ai l’impression de tanguer tellement j’ai marché.<br />
Mes mains brûlent et se couvrent de cloques <strong>à</strong> force de frotter contre la surface faite de roches inégales.<br />
Mes pieds sont trempés et glacés. Je décide de m’arrêter et de passer la nuit sur place ou du moins<br />
de dormir ici : je ne sais pas quelle heure il est. Je me pelotonne donc contre le mur, recroquevillé sur moimême.<br />
J’ai l’habitude du froid. J’ai déj<strong>à</strong> passé plusieurs semaines en prison avant que l’on me jette ici. Ou<br />
est-ce que cela n’a duré qu’une semaine ? Je ne sais pas... Au moins, j’avais de la lumière... Ici, impossible<br />
d’évaluer le temps. Je ne sais même pas si mes yeux sont fermés ou non, l’obscurité est la même.<br />
Je suis éveillé par un feu, un grand feu noir qui ne dégage aucune luminosité. Je ne vois toujours<br />
rien... Ou plutôt, je ne vois que ce feu, comme s’il absorbait la moindre existence... Un feu de néant...<br />
Je m’approche et je perçois son influence, je tends une main que je ne vois pas. Je ne sens pas de<br />
chaleur. D’ailleurs, je ne sens plus rien. Je m’aperçois que je n’ai plus aucune sensation dans les doigts. Je<br />
tente de donner un ordre : de fermer le poing. Mais mon cerveau semble me répondre qu’il ne voit pas<br />
où envoyer l’information et si j’insiste : «Au bout de mon bras», il semble m’assurer qu’il n’y a rien et n’y<br />
a jamais rien eu <strong>à</strong> cet endroit de mon corps.<br />
Je le crois.<br />
Si ça se trouve, le feu est la sortie du labyrinthe. Si j’entre dans le feu, je pourrai m’échapper. J’ai<br />
tellement peur de rester enfermé ici pour le restant de mes jours que je me lance. Je saute <strong>à</strong> pieds joints<br />
dans le feu... Ce feu salvateur... Ce feu qui m’obtiendra la liberté...<br />
Le choc me réveille. Je suis au sol. J’ai frappé la pierre de toutes mes forces en tournant la tête.<br />
J’ouvre les yeux... Enfin, je crois que j’ai les yeux ouverts... je ne suis sûr de rien. Un liquide poisseux<br />
s’écoule sur ma tempe depuis l’endroit où j’ai percuté ma tête contre le mur. Mes membres sont engourdis<br />
par le froid. Voil<strong>à</strong> donc pourquoi dans mes rêves ils me paraissaient inexistants.<br />
Je me frotte les épaules avec énergie pour me réchauffer, l’habitude du froid n’empêche pas les articulations<br />
de s’ankyloser ou les muscles de se raidir une bonne fois pour toute. Ils en sont proches. D’un<br />
revers de manche crasseuse, j’essuie le sang avant qu’il ne coule <strong>à</strong> terre et attire les rats. Ainsi ce n’était<br />
qu’un rêve. Très bien... Je suis résigné... Il n’y a pas de moyens surnaturels pour sortir d’ici, il faut simplement<br />
de la volonté et un mental d’acier. Ce doit être la seconde épreuve : ne pas devenir fou. Tant que<br />
mon corps acceptera d’obéir, il suffit d’un moral d’acier. Oui, ça suffit. Ne pas devenir fou.<br />
Je me hisse sur mes pieds et sautille légèrement pour faire circuler le sang dans mes membres sans<br />
vie. Pour la seconde fois en si peu de temps, j’ai une pensée affreuse : me voil<strong>à</strong> dos au mur. Comment savoir<br />
dans quelle direction aller ? D’où suis-je arrivé ? J’ai déj<strong>à</strong> beaucoup avancé dans ce long couloir mais<br />
comment savoir où aller pour ne pas rebrousser chemin ? Espérant de tout cœur que je n’ai pas roulé de<br />
l’autre côté du corridor, je me place de façon <strong>à</strong> avoir le mur <strong>à</strong> ma droite et je me mets en marche, lentement<br />
au début car mes jambes sont douloureuses de courbatures.<br />
Combien de temps le corps peut-il vivre sans manger ? Sur quelle distance peut-on faire marcher<br />
un corps épuisé ? Si je mangeais un autre bout de pain... Aurais-je la force d’avaler ?
J’avance de façon mécanique, sans réfléchir <strong>à</strong> la destination. Ma conscience du monde qui m’entoure<br />
se limite <strong>à</strong> une portion de mon corps : un amas de nerf, qui repose contre la surface de la muraille<br />
<strong>à</strong> ma droite.<br />
J’ai <strong>à</strong> peine conscience que ma paume est <strong>à</strong> vif <strong>à</strong> force d’être frottée ainsi contre cette pierre rugueuse.<br />
J’ai <strong>à</strong> peine conscience que plus bas, mon estomac réclame de la nourriture. J’ai <strong>à</strong> peine conscience des<br />
pas que j’entends devant moi.<br />
Des pas ? Serait-ce l’Autre ? Celui que j’ai aussi entendu tout <strong>à</strong> l’heure ?<br />
Mon imagination vole <strong>à</strong> toute allure. Serait-ce un minotaure ? Un être sorti des légendes ? Est-il<br />
armé ? Peut-être devrais-je craindre pour ma vie... Après tout... Non... Tant pis. Je ne crains rien. Si je<br />
dois mourir, je mourrai.<br />
Les pas continuent de s’approcher, de ma gauche, ils sont passés devant. Je me suis arrêté, prêt <strong>à</strong><br />
faire face <strong>à</strong> l’adversaire.<br />
Tout <strong>à</strong> coup ils s’arrêtent. Des sons parviennent <strong>à</strong> mes oreilles. Certainement des hurlements bestiaux.<br />
Je suis pourtant surpris de reconnaître une langue humaine. Ainsi, mon ennemi sera homme.<br />
« Qui est l<strong>à</strong> ? »<br />
Je ne réponds pas. Je ne bouge pas...<br />
« J’entends votre respiration, cela fait quelques temps que je vous entends progresser... Qui êtesvous<br />
? »<br />
Je suis démasqué. Mais il ne semble pas agressif. Peut-être qu’il a peur de moi lui aussi. Je décide<br />
de m’annoncer.<br />
« Je suis un condamné... Et vous ? »<br />
L’inconnu me réplique d’une voix d’outre-tombe.<br />
« Vous êtes armé ? »<br />
Je me contente de répondre systématiquement :<br />
« Ne vous inquiétez pas. Je n’ai qu’une corde mais je n’ai pas l’intention de vous attaquer. »<br />
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, deux mains s’appliquent sur mes épaules et me propulsent<br />
en arrière, mon crâne rebondit lourdement contre le sol, se fendant <strong>à</strong> nouveau, et je me débats en aveugle<br />
contre deux mains noueuses qui s’agrippent autour de mon cou. Mais mon adversaire doit être encore<br />
plus faible que moi : sans trop de mal, d’une impulsion des hanches, je passe par-dessus lui et le plaque<br />
contre le sol <strong>à</strong> son tour. Je laisse alors mon corps agir pour moi. Mes doigts s’enlacent <strong>à</strong> la base de sa tête.<br />
Je ne réagis pas <strong>à</strong> ses coups, <strong>à</strong> ses cris. Je ne relâche pas mon étreinte jusqu’<strong>à</strong> ce qu’il ne bouge plus. Et l<strong>à</strong><br />
encore, je compte jusqu’<strong>à</strong> dix avant de lâcher prise.<br />
Heureusement que je ne peux voir son visage. Je serais incapable de tuer un homme de cette façon<br />
sans détourner le regard. Mais je l’imagine, grimaçant, ouvrant grand la bouche, les yeux sortant de leur<br />
orbite jusqu’<strong>à</strong> refléter la sombre silhouette de la Mort venue le chercher…<br />
Brusquement je réalise ce que je viens de faire. Je viens de tuer un homme. Je recule en trébuchant.<br />
Mais toujours sous les ordres de mon instinct, je me rue finalement sur le cadavre de ma victime et récupère<br />
tout ce qui pourrait m’être utile. Je glisse ses vêtements dans sa besace que je fixe <strong>à</strong> mes épaules. Puis,<br />
l’esprit vide, je dépose <strong>à</strong> nouveau la main contre le mur et me mets <strong>à</strong> courir pour m’éloigner de ce corps<br />
inerte. J’ai l’impression de ne pas aller droit tellement je suis troublé par ce qui vient de se passer.<br />
A-t-on le droit de tuer un homme ? Un homme désespéré qui ne m’a certainement attaqué que<br />
parce qu’il a eu peur ?<br />
35<br />
L’Obscurité
36<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Qu’avait-il fait pour être lui aussi condamné ? Peut être était-ce un meurtrier... Peut-être en m’attaquant<br />
n’assouvissait-il qu’une pulsion sanguinaire... Non, je n’ai pas <strong>à</strong> avoir pitié. Et puis, j’y ai gagné du<br />
pain, de l’eau, une nouvelle outre de ce liquide que je n’ai pas encore goûté, et des vêtements.<br />
Je fais quelques pas de course mais je m’arrête et décide de goûter ce que contiennent les deux<br />
outres pleines. Et tant pis si c’est un poison. Je me fiche de mourir.<br />
J’ouvre donc l’une des deux et porte le goulot <strong>à</strong> mes lèvres ne prenant qu’une petite gorgée. Le<br />
liquide doux et dur <strong>à</strong> la fois coule dans ma gorge et je reconnais sans mal l’alcool d’Ostria. L’un de ces<br />
alcools qui rendent ivre le plus grand gaillard en moins d’un gobelet. Immédiatement, je referme l’outre<br />
et la range. Cet alcool vitreux réchauffe mais me rendrait vulnérable si j’en abusais. Je décide de le garder<br />
pour plus tard, mais est-ce-que j’arriverai <strong>à</strong> résister <strong>à</strong> l’envie de me saouler ? Qu’est ce qui arrivera si je<br />
croise <strong>à</strong> nouveau un homme alors que je suis ivre ? Je décide de ne pas y penser, de ne pas trop penser, et<br />
de me remettre en route le plus vite possible.<br />
Je cours. Je cours jusqu’<strong>à</strong> ce que tout <strong>à</strong> coup, je trébuche. Je ne comprends pas tout de suite ce qui<br />
m’est arrivé, je suis étalé <strong>à</strong> plat ventre contre la roche. Le sol… C’est bien de la roche. Je suis dans un<br />
édifice construit. Pas simplement creusé comme de vulgaires oubliettes. Mes tibias reposent encore sur<br />
l’objet qui m’a fait trébucher. Accroupi, je me retourne et tâte l’objet... Quand je réussis <strong>à</strong> l’identifier, je<br />
ne peux retenir mes larmes. Larmes de frustration, de colère, de désespoir.<br />
Le corps mort sur lequel j’avais trébuché était celui que j’avais moi-même exécuté quelques minutes<br />
plus tôt : l’Autre. Lentement, les larmes ruisselant dans la crasse de mon visage crispé par la déception, je<br />
me redresse et m’adosse au mur, parcouru de sanglots silencieux. J’ai besoin de réfléchir.<br />
Ce n’est pas un labyrinthe... C’est bien une cellule dans laquelle ils m’ont jeté... Mais une cellule<br />
qui fait perdre l’esprit... Je comprends maintenant pourquoi cette corde paraissait si importante aux<br />
gardiens. Je comprends pourquoi<br />
l’Autre m’a attaqué dès<br />
qu’il eut l’espoir de me tuer.<br />
J’avais raison sur au moins<br />
un point : je n’aurais plus<br />
d’autre nourriture que ce<br />
qui remplit ma besace… Enfin…<br />
Mes besaces… Ainsi,<br />
me voil<strong>à</strong> chasseur. Je décide<br />
de dormir un peu après avoir<br />
grignoté mon pain, ce pain<br />
qui a commencé <strong>à</strong> durcir.<br />
© 2008, Claire Mathieu<br />
Je me réveille… J’entends<br />
les voix des gardiens au<br />
loin, mes sens sont aiguisés<br />
maintenant que ma vue est<br />
devenue inutile. Surement<br />
vais-je devenir réellement<br />
aveugle. Quelle différence ?<br />
Puis, les voix s’approchent,<br />
le bruit d’un pan de<br />
bois qu’on ouvre, d’un objet
lourd qui chute et des rires… Ne tentant même pas de percevoir la lumière de l’extérieur, pour ne pas me<br />
brûler les yeux, je me lève et j’attends, l’oreille tendue.<br />
Plusieurs jours sont écoulés sans doute depuis ma propre descente. Des jours <strong>à</strong> chasser les rats. Des<br />
nuits <strong>à</strong> rêver du feu de ténèbres libératrices. Des heures <strong>à</strong> dormir avec la gorge sèche de ne boire qu’une<br />
gorgée <strong>à</strong> la fois. Des vies entières dans le noir total <strong>à</strong> tenter de ne pas perdre l’esprit, <strong>à</strong> lutter contre l’alcool,<br />
contre le froid, contre la fin.<br />
Je ne suis plus seul dans mon antre. Je m’arme de ma corde, prêt <strong>à</strong> tuer pour survivre… Pour manger<br />
et pour boire. Tous mes sens sont en éveil. Tous ? Non.<br />
Mes yeux, depuis longtemps délaissés, ne me servent plus qu’<strong>à</strong> déterminer si je suis éveillé<br />
ou non.<br />
Je décide de suivre l’exemple de mon prédécesseur. Je laisse l’intrus se fatiguer… Qu’il comprenne<br />
ou non que nous sommes dans une pièce circulaire dont le centre est occupé par deux blocs en demi-disque…<br />
Cela m’est égal. Dès que l’occasion se présentera, je m’approprierai sa besace. Et les rats devront se<br />
battre contre moi pour cette nourriture.<br />
Mon Autre, <strong>à</strong> nous deux !<br />
37<br />
L’Obscurité
Le sens de la vie<br />
Deux œuvres de « Natura Verde »<br />
38<br />
De l’obscurité lumineuse
L’obscurité dans la mythologie<br />
Un soleil éclatant brille aujourd’hui <strong>à</strong> ma fenêtre ; c’est l’été, il fait, chaud, ici, tout le monde ne<br />
rêve que de glaces et de piscine. Si j’adore la nuit, plus calme et plus fraîche, les hommes lui ont pourtant<br />
toujours préféré la chaleur bienfaisante du soleil, un symbole, un emblème dominant de bien des<br />
cultures. Dans l’Égypte antique, Rê, le créateur, personnifie notre étoile ; dans le panthéon grec c’est le<br />
bel Apollon qui endosse le lumineux rôle, et pour les<br />
Aztèques le maître du monde n’est autre que l’imprononçable<br />
« Huitzilopochtli » incarnation du soleil et de<br />
la guerre.<br />
De même que la lumière est joie, idéal, ordre,<br />
fertilité… L’obscurité est associée au froid et au chaos.<br />
La mythologie persane est une illustration évidente<br />
de cette dualité : les dieux principaux sont deux<br />
frères : Ormazd – la lumière - et Ahriman – l’obscurité.<br />
Ormazd est le maître et le créateur du monde ; il est souverain,<br />
omniscient, dieu de l’ordre, de la construction.<br />
Ahriman, symbolisé par un serpent, incarne la destruction,<br />
la stérilité, la mort. Ils sont en conflit permanent.<br />
La mythologie grecque ne prête qu’un petit rôle<br />
<strong>à</strong> l’obscurité ; qui a entendu parler d’Érèbe ? Divinité<br />
infernale issue du Chaos, époux de Nyx (la nuit), il représente<br />
les Ténèbres, l’obscurité des enfers. Encore un<br />
charmant individu. Le paradoxe du mythe ? Il est père<br />
Huitzilopochtli en personne<br />
des cieux et du jour.<br />
La nuit et l’obscurité engendrent les cieux et la lumière… Aussi malfaisants soient-ils, ils constituent<br />
l’origine de l’éclat divin du soleil !<br />
On retrouve également cette idée de genèse dans les vieux récits scandinaves, qui racontent que la<br />
toute première vie est née de la rencontre des deux entités originelles, le feu et la glace, dans un immense<br />
abîme obscur. De la même façon, il est écrit que le Ragnarök, la fin de l’univers, se déroulera dans les<br />
ténèbres, d’où jaillira ultimement la lumière, pour la création d’un nouveau monde… Ainsi, la clarté, et<br />
intrinsèquement la vie, trouvent leur source dans l’obscurité.<br />
Une vision bien rassurante ! Même s’il nous faut passer une sombre nuit, le soleil se lèvera pour<br />
dispenser sa lumière ; « demain est un autre jour ». Quoi de mieux que cette certitude pour endurer les<br />
frayeurs que véhicule l’obscurité ?<br />
Car toutes ces légendes n’ont qu’une origine chez l’homme, la plus naturelle, la plus enfantine des<br />
origines : la peur du noir. La peur de cette obscurité dans laquelle les objets se confondent et se cachent,<br />
se dérobent <strong>à</strong> notre vue, dans laquelle le moindre bruissement a un timbre spectral et inquiétant.<br />
Le même frisson qui dressait, sous vos couvertures, vos poils d’enfants sur vos bras puérils, a parcouru<br />
des kilomètres carrés de peau humaine. Après avoir lu cet article, vous pouvez vous féliciter d’avoir<br />
su dominer une crainte aussi aguerrie.<br />
39<br />
L’Obscurité
40<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Jusqu’où, <strong>à</strong> votre avis, peut pousser la peur l’obscurité ? Chez les amérindiens aztèques : jusqu’au sacrifice<br />
humain. À l’origine du monde, tout n’était que noirceur. Pour éclairer ces ténèbres, un dieu devait<br />
se jeter dans un grand brasier. Le premier volontaire recula devant les flammes et devint la lune. Le second<br />
y plongea et devint le soleil. Mais les astres étaient ternes et sans vie : pour briller, ils devaient être nourris.<br />
Alors les autres dieux firent don de « l’eau précieuse », leur sang, en se donnant la mort dans le brasier.<br />
Depuis, les Aztèques doivent réitérer ce sacrifice originel en offrant des hommes aux astres, pour<br />
éviter qu’ils ne s’éteignent.<br />
La technique la plus courante était d’arracher le coeur de la personne. Et, lors de grandes occasions,<br />
il pouvait y avoir plusieurs milliers de sacrifices. C’étaient pour beaucoup des prisonniers de guerre, car,<br />
afin de satisfaire les besoins sanguinaires célestes, cette antique civilisation fut terriblement guerrière.<br />
Et pour achever ce voyage (remarquez la superbe transition entre les thèmes des numéros de <strong>Vers</strong> <strong>à</strong><br />
<strong>Lyre</strong>...), un billet pour l’Asie, où les deux mêmes principes s’opposent : d’une part la lumière, le soleil et<br />
le feu, d’autre part l’obscurité, la lune et l’eau. La flamboyance des premiers est symbolisée par l’oiseau,<br />
le mystère des seconds par un serpent, ou un animal aquatique. En Asie, l’obscurité n’a pas proprement<br />
de penchant diabolique ; la mère de Shun, l’un des souverains mythiques de la Chine, était du clan du<br />
serpent, et son père était du clan de l’oiseau. Ténèbres et lumière se mêlent, quoi de plus normal dans ce<br />
pays qui joue si bien avec les ombres ? Il aura fallu un peu de poésie asiatique pour concilier le clair et le<br />
sombre, pour tempérer la chaleur et le froid.<br />
Moi, définitivement, je trouve les ténèbres bien plus séduisantes que l’écrasante domination du<br />
soleil. Un penchant anarchique peut-être.<br />
Camille Lantagne & Mélanie W.
Concours Interforum<br />
Gourmandise<br />
Comme nous vous l’avions annoncé dans <strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong> n°2, nous n’avions pas pu clôturer<br />
le concours Interforum sur le thème de la gourmandise avant la parution du<br />
magazine. En voici donc les résultats...<br />
Sujet : Écriture d’un accrostiche sur la gourmandise<br />
Forums participants : Écrivains en herbe, Quand l’art devient réalité, La plume<br />
Auteur et forum gagnant : Aurore Moret qui concourait pour le forum Ecrivains en herbe<br />
(http://ecrivainsenherbe.forumculture.net/)<br />
Goute avec fièvre,<br />
Ouvre moi tes sens,<br />
Uni moi tes lèvres,<br />
Risque l’indécence.<br />
Mâche tendrement,<br />
Arrache ma peau,<br />
Nu et attirant,<br />
Découpe en morceau.<br />
Intimes moments<br />
S’offrent <strong>à</strong> nous : Laurence<br />
Et moi, l’abricot...<br />
Présentation de l’auteur : J’ai 22 ans. Je suis passionnée de lecture, d’écriture et de théâtre. J’aime aussi<br />
l’informatique (domaine dans lequel je fais mes études). Je passe de longues heures hebdomadaires sur la<br />
toile en participant <strong>à</strong> de nombreux forums d’écriture et surtout <strong>à</strong> ce magazine !<br />
Présentation du forum : J’ai découvert Ecrivains en Herbe lorsqu’il était encore tout jeune. J’ai beaucoup<br />
apprécié la convivialité de ce forum, qui comptait <strong>à</strong> l’époque une petite vingtaine de membres. J’ai<br />
assisté <strong>à</strong> sa croissance tout d’abord douce, puis accélérée ses dernières années. Avec un nombre grandissant<br />
de membres, l’ambiance a changé : moins intimiste (difficile de connaître quatre cents personnes) mais<br />
toujours aussi sympathique. Basé sur les échanges et le respect, ce forum fera le bonheur des débutants<br />
passionnés de lecture et d’écriture...<br />
41<br />
L’Obscurité
42<br />
Concours Interforum<br />
Obscurité<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Changement d’organisatrices et d’organisation. Pour ce nouveau concours Interforum,<br />
nous avons voulu mettre en compétition un plus grand nombre de forums en<br />
gardant l’esprit des deux précédents.<br />
Sujet : Écriture d’une ballade sur le thème de l’obscurité<br />
Forums participants : Les pensées de l’Aube, De l’encre dans les veines, Jeunes écrivains, Le pinceau et<br />
la plume, Des mots, des pages, Quand l’art devient réalité, Plumes de talents, Atelier poétique, Plume<br />
Blanche, Écrivains en herbe, La Plume<br />
Auteur et forum gagnant : Piwhy qui concourait pour le forum La Plume (http://alemporteplume.<br />
forumactif.net/)<br />
Idées noires<br />
Une horloge résonne <strong>à</strong> coups sourds et profonds.<br />
C’est l’heure des secrets, des peurs surnaturelles,<br />
L’heure où les ombres jouent entre les sombres troncs<br />
Où naissent les phobies ; c’est l’heure irrationnelle.<br />
Occultez nos plafonds de vos centaines d’ailes,<br />
Rêves noirs et hideux ! Attisez nos douleurs,<br />
Obscurcissez nos murs de folies démentielles,<br />
Peuplez notre sommeil de vos mondes d’horreurs !<br />
Nourrissez-vous au sein de nos pires terreurs,<br />
Pendez-vous aux recoins de nos pauvres esprits,<br />
Recouvrez nos désirs, vampirisez nos cœurs,<br />
Volez en ces lieux noirs, jolies chauves-souris !<br />
Volez dans le désert de nos crânes livides !<br />
Cognez-vous aux parois de nos tristes cerveaux,<br />
Frôlez dans votre envol nos envies trop timides,<br />
Emplissez nos tympans de vos stridents échos,<br />
Enfermez le bonheur dans vos obscurs cachots,<br />
Endormez nos espoirs, réveillez nos souffrances,<br />
Tirez des cauchemars de vos sombres caveaux,<br />
Insinuez en notre âme une folle démence,<br />
Parasitez nos songes de votre présence,<br />
Transformez nos désirs en marais infinis,<br />
En jungle impénétrable, en cloaques immenses,<br />
Volez en ces lieux noirs, jolies chauves-souris !<br />
© 2008, Jérôme W.
Tournez et dansez dans une ronde infernale,<br />
Assourdissez nos cœurs, caquetant diablotins,<br />
Et déchaînez en nous, macabre bacchanale,<br />
Un cortège de spectres, d’immondes lutins,<br />
De monstres, de démons aux terrifiants venins,<br />
D’épouvantails couverts d’abjectes pestilences,<br />
Qui crie et geint et grouille en un râle inhumain<br />
Perçant nos cœurs serrés de leur froide violence,<br />
Et un vol d’oiseaux noirs, énormes et malsains,<br />
Pareils <strong>à</strong> des ignobles papillons de nuit,<br />
Survolant l’horrible ost en un nuage indistinct,<br />
Volant en ces lieux noirs tels des chauves-souris !<br />
Princesses, réveillez ces songes oubliés !<br />
Quittez vos trous, vos creux et vos antres, sortez !<br />
Jaillissez des plafonds, des murs, des cagibis,<br />
Repeuplez nos esprits de votre obscurité !<br />
Hors des sombres placards et de dessous les lits,<br />
Volez en ces lieux noirs, jolies chauves-souris !<br />
Présentation de l’auteur : Je suis un voyageur dont le visage a pris la forme du hublot auquel il est collé.<br />
Le passager de sa propre existence qui observe le monde par une fenetre trop étroite.<br />
Parfois, quand la vie passe <strong>à</strong> ma portée, je lui demande de s’arrêter et de me raconter une histoire. Ensuite,<br />
je la recopie et je l’envoie sur La Plume<br />
Présentation du forum : La Plume, c’est une ouverture dans le voile du monde, ouvrant sur un millier<br />
de chemins et un million de personne. Écrire les histoires de la vie sur ce forum, c’est comme murmurer<br />
son nom <strong>à</strong> cette ouverture, poser son grain de poussière sur l’aile d’un oiseau, et le regarder s’envoler vers<br />
des ailleurs étranges ou lui seul pourra jamais se rendre.<br />
43<br />
L’Obscurité
44<br />
Wikipen<br />
Quand l’écriture est un travail d’équipe<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
« Ce site littéraire est un espace où voyager, quelques instants, quelques heures, <strong>à</strong> la croisée des<br />
imaginaires. Vous lirez au fur et <strong>à</strong> mesure de votre itinéraire des petits textes de toutes sortes et de toutes<br />
formes ; des courts, des longs ; des nouvelles, des poèmes, des recensements, des textes sans début ou sans<br />
fin.[...] Tous ensemble et dans le désordre : un écho du bruit et de la fureur du monde. »<br />
Si, comme moi, vous aimez flâner sur le web <strong>à</strong> la recherche de nouvelles perles parmi la pléiade de<br />
sites littéraires, alors peut-être avez-vous déj<strong>à</strong> chatouillé les pages de Wikipen. (http://fr.wikipen.org/)<br />
Un site communautaire où chaque internaute peut compléter, corriger, inventer et ajouter sa touche<br />
<strong>à</strong> chaque page. Un nouveau lien, un nouveau texte sur lequel un, deux, dix et pourquoi pas cent<br />
auteurs ont posé la plume (ou le clavier) !<br />
Pour ceux qui aiment se laisser aller <strong>à</strong> visiter, on peut demander « une page au hasard » et pour<br />
les autres qui préfèrent savoir où ils vont, il y a la visite par thème, par forme, la recherche par mot clef,<br />
l’index thématique. Mais toujours la possibilité de se laisser porter au fil des liens <strong>à</strong> l’intitulé aguicheur.<br />
Quelques exemples que je vous recommande ? « Poèmes en alexandrins », « Haïkus », « <strong>Vers</strong> libres »…<br />
Et l<strong>à</strong> je me restreins <strong>à</strong> la poésie. Que dire alors des « Énigmes », « OuLiPo », « Contes », « Chansons » et<br />
« Récits » ? Qu’ils sont consultables gratuitement et sans inscription.<br />
Je dois aussi vous parler des jeux <strong>à</strong> plusieurs mains : « Cadavres exquis », « Boîte <strong>à</strong> contraintes »,<br />
« Néologismes » et parodies en tous genres. Bref, vous irez vous-même vous y essayer et découvrir<br />
tous les jeux littéraires que l’on peut expérimenter sur site coopératif... Serez-vous bon premier au<br />
« Chat perché littéraire » ?<br />
Wikipen ce sont des gens… Une multitude de gens qui se croisent, s’entrecroisent, échangent leurs<br />
mots lyriques ou non et instaurent une littérature d’un genre nouveau : un genre coopératif et multiple<br />
dont le but est de promouvoir la littérature gratuite et diversifiée, dont l’auteur exact n’a plus d’intérêt,<br />
ne laissant place qu’au texte.<br />
Mais Wikipen c’est aussi une équipe de gestion, et une association ! Créée récemment et pleine de<br />
projets, elle est prometteuse et en faveur de la promotion d’une littérature gratuite et accessible !<br />
Les internautes en parlent<br />
Wagons de train voyageant vers l’au-del<strong>à</strong><br />
Imbibés de senteurs parfumées et exotiques.<br />
Kyrielle d’auteurs pour textes sensationnels.<br />
Indication du sens de notre propre existence.<br />
Pouvoir de se libérer des autres par l’écriture.<br />
Émerveillement pour d’autres mondes.<br />
Nébuleux détour vers les limbes tranquilles.
Morceaux choisis et organisés d’entrevue<br />
collective :<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong> : Pourquoi participer <strong>à</strong> Wikipen ?<br />
Les internautes : – Pour ne pas être trop seul avec<br />
ses propres écrits, dans son petit tiroir ou son petit<br />
disque dur.<br />
– Parce que je suis loin d’ateliers d’écriture en chair<br />
et en os, que c’est cher, que je n’ose pas.<br />
– Les hyperliens permettent de rajouter une troisième<br />
dimension <strong>à</strong> la feuille de papier.<br />
V<strong>à</strong>L : Qu’est ce que Wikipen apporte de nouveau,<br />
de pratique pour les auteurs, quels sont ses atouts ?<br />
@ : – Une communauté, pour commencer.<br />
– Wikipen permet de proposer des textes inachevés<br />
ou perfectibles, [de] donner envie de modifier, parfaire,<br />
refondre un texte…<br />
– … la liberté de modifier les textes des autres, tenter<br />
d’améliorer sans dénaturer.<br />
– Les œuvres éphémères m’enchantent, vous savez<br />
ces nuages qui prennent la forme d’animaux, ou ces<br />
petits riens que l’on trace sur le sable au jusant et<br />
que la mer efface tôt ou tard.<br />
– Un ouvrage dynamique, sans début ni fin, versions<br />
changeantes mais archivées, interliens... En<br />
perpétuelle évolution. Ses atouts sont dans son potentiel,<br />
encore difficile <strong>à</strong> imaginer !<br />
V<strong>à</strong>L : Extrapolez sur le futur de Wikipen, quels<br />
pourraient être les projets <strong>à</strong> court, moyen et long<br />
terme pour le site ?<br />
@ : – [Déj<strong>à</strong>,] l’espoir que cela va durer.<br />
– Développer Wikipen dans d’autres langues, le populariser<br />
et aussi changer la perception académique<br />
de la littérature qui <strong>à</strong> tendance <strong>à</strong> coller aux esprits.<br />
– Wikipen, [par sa] formule coopérative, devient<br />
nécessaire pour se rassurer dans l’idée qu’un être<br />
humain a besoin d’échanges, mais pas seulement<br />
de monnaie. Il ralliera ceux qui regardent vers le<br />
même cap, ceux qui pensent que s’exprimer est un<br />
droit exigeant mais gratuit, une liberté <strong>à</strong> conquérir<br />
plutôt qu’un marché.<br />
– Wikipen [va sans doute tendre] vers l’évolution<br />
d’un petit groupe de passionnés complices qui<br />
s’amusent, vers quelque chose de plus construit,<br />
plus rigide, mais de grande qualité.<br />
V<strong>à</strong>L : Prenez-vous parfois le temps de lire des textes<br />
auxquels vous n’envisagez pas de participer simplement<br />
pour la lecture elle-même ?<br />
@ : – Je lis beaucoup plus que je ne participe. Je<br />
trouve dans les textes lus toujours quelque chose<br />
d’intéressant, de nouveau, de touchant, même si<br />
des maladresses restent.<br />
– Je lis surtout des textes courts (deux pages ou<br />
moins) [via l’historique des ajouts récents] ou [lorsque]<br />
je place des liens dans mes textes vers d’autres.<br />
J’apprécie particulièrement la profondeur sémantique<br />
que cela permet : je fais des recherches sur des<br />
concepts que je veux rajouter, et c’est le moment de<br />
découvrir des textes dans des thèmes proches des<br />
miens.<br />
– J’essaie de lire TOUS les textes au fur et <strong>à</strong> mesure<br />
qu’ils sont publiés, et j’en relis certains lorsqu’ils<br />
me trottent dans la tête, ou au hasard... Mais bon,<br />
il doit y avoir peu de textes auxquels je n’ai pas<br />
touché, ne serait-ce que pour catégoriser, wikifier,<br />
corriger l’orthographe, la typo...<br />
V<strong>à</strong>L : Quelles sont les qualités indispensables pour<br />
un inscrit Wikipen, selon vous ?<br />
@ : – L’humilité, la générosité et l’audace…<br />
– … savoir taper sur un clavier, avoir envie d’écrire<br />
en français et accepter de renoncer aux droits<br />
d’auteur.<br />
– Peut-être plus que renoncer aux droits d’auteurs,<br />
je crois qu’il faut accepter l’intrusion des autres dans<br />
notre personnalité, l’échange. Un texte est bien<br />
souvent quelque chose de particulièrement intime,<br />
il faut accepter de voir les autres le modifier, et c’est<br />
l<strong>à</strong> toute la richesse des utilisateurs de Wikipen.<br />
– N’être que le fragment d’un tout sans toutefois<br />
s’y noyer.<br />
45<br />
L’Obscurité
V<strong>à</strong>L : Vous est il déj<strong>à</strong> arrivé de consulter Wikipen dans ses versions<br />
en langue étrangère (anglais uniquement pour l’instant)<br />
et y participez-vous ?<br />
@ : – J’écris tous les jours de l’angloïd international sur<br />
des espaces de discussions technique, mais je n’oserai<br />
pas me lancer dans la littérature anglaise, je n’ai vraiment<br />
pas le niveau de langue (ni la connaissance de la<br />
littérature anglaise, pour commencer).<br />
– Oui, je lis les textes en anglais, par contre je n’écris<br />
pas, ou vraiment très peu, en d’autres langues.<br />
V<strong>à</strong>L : Si vous êtes auteur sur Wikipen, vous arrive-t-il aussi<br />
de publier sur d’autres supports qui vous permettraient de<br />
conserver vos droits d’auteur ? Pourquoi ?<br />
@ : – Non, mais c’est parce que je ne connais pas vraiment ces supports.<br />
– Ce que j’écris, je le donne.<br />
– Il m’est déj<strong>à</strong> arrivé de publier dans des journaux étudiants, mais je ne me suis jamais posé la question<br />
des droits d’auteurs.<br />
– J’écris sur mon blog, mais certains textes sont publiés sur wikipen en parallèle ; j’écris aussi sur d’autres<br />
sites, mais des textes moins littéraires et davantage politiques... Ce n’est pas une question de droits<br />
d’auteur, plutôt de lieu adapté <strong>à</strong> chaque type d’écriture. Je veux bien détruire le copyright.<br />
– J’ai toujours considéré que ma prose ne valait pas un sous, qu’elle ne m’appartenait plus dès lors que<br />
je la rendais publique ; tout ce qui m’échappe s’échoue sur les rives de jadis et s’offre aux flâneurs de<br />
Wikipen, seulement eux.<br />
V<strong>à</strong>L : Les autres membres de Wikipen, qui sont-ils pour vous ?<br />
@ : – Cela dépend des gens... Et des moments. Certains vous accueillent chaleureusement, certains sont<br />
toujours prêts <strong>à</strong> vous aider, certains se dévouent et font la wikif, d’autres <strong>à</strong> vous critiquer de façon inattendue<br />
pour qu’on puisse s’en prendre plein la figure (ça réveille), d’autres s’appliquent <strong>à</strong> classer les textes.<br />
Mais principalement, je dirais des co-auteurs potentiels et des yeux avisés.<br />
– Une bande de plumes joviales et décomplexées. J’apprécie particulièrement la fraîcheur et l’esprit de<br />
camaraderie qui règne sur Wikipen.<br />
– Des abeilles dans une ruche, et sans elles je ne suis rien ; pour autant, n’allez pas en conclure que je me<br />
prends pour la reine. Non, plus sérieusement, les autres, amante, muse, cerbère, acolyte ou que sais-je<br />
encore, qui s’aventurent dans mon jardin, semblent être chacun, chacune, un reflet bien distinct de ce<br />
que je suis.<br />
– Des parties du tout, comme nous tous. Impossible d’être pleinement sans eux.<br />
L’entrevue complète : http://fr.wikipen.org/wiki/Wikipen:Chez_Georgette#Interview<br />
46<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Claire Mathieu<br />
© 2008, Claire Mathieu
La noire de Mélanie W.<br />
Une note vide s’essouffle <strong>à</strong> mes oreilles,<br />
C’est l’éclat d’une voix <strong>à</strong> nulle autre pareille,<br />
Aux accents encre et cendre, et comme la nuit, noirs<br />
Du silence serein qui s’éveille le soir<br />
Étrange partition, pleine de notes sombres<br />
Et qui chante <strong>à</strong> la nuit sous les paisibles ombres<br />
Rythmant la marche des fantômes qui s’approchent<br />
D’un pas noir au milieu de soupirs et de croches<br />
Une mélodie claire dans l’air s’élançant<br />
M’élève doucement, m’oublie dans l’allégresse<br />
Et le tendre Morphée, de ses doigts caressants,<br />
Efface de ce monde mes moindres tristesses<br />
Closes mes paupières ; la nuit, douce s’y fond<br />
Sous mes doigts se déroule le fil de la vie<br />
Je me laisse couler dans un repos profond<br />
Les ténèbres déj<strong>à</strong> dans leurs bras m’ont ravie<br />
Mais le matin m’arrache <strong>à</strong> ces nébuleux voiles<br />
Rompant le silencieux chœur de l’obscurité<br />
En lieu du chant céleste des calmes étoiles<br />
Le soleil assassine ma sérénité<br />
Le temps reprend son cours, tourne le sablier<br />
Il me crie les lueurs crues de mille couleurs<br />
Et déj<strong>à</strong> le jour point et j’oublie d’oublier,<br />
Le tapage du jour ravive mes douleurs.<br />
47<br />
© 2008, Claire Mathieu<br />
L’Obscurité
48<br />
Je compte les moutons<br />
Depuis de longues heures ;<br />
Apaisantes illusions<br />
Pour camoufler mes peurs.<br />
Tel un manteau funèbre,<br />
Enveloppant ma chambre,<br />
J’aperçois les ténèbres<br />
Qui se meuvent et se cambrent.<br />
Ils caressent les murs<br />
Emplissent les recoins,<br />
Les griffent et les torturent<br />
Mi-figue, mi-raisin.<br />
Et mes yeux grands ouverts<br />
Contemplent cet esclandre :<br />
Ce passe-temps pervers<br />
Qui commence <strong>à</strong> s’étendre.<br />
Soudain le jeu s’arrête :<br />
La nuit m’a repéré.<br />
Je cherche une cachette,<br />
Mais je suis condamné.<br />
Elle glisse vers moi,<br />
Avec délectation.<br />
C’est un serpent sournois,<br />
J’en crains la prédation.<br />
Lentement, tendrement,<br />
Elle enserre mon corps,<br />
Dans un doux mouvement,<br />
Lui insuffle la mort.<br />
Je lutte encore une fois<br />
Mais juste pour la forme,<br />
Je ne sens plus mes doigts<br />
Et mon corps se déforme.<br />
La léthargie s’empare<br />
De mon âme enfiévrée.<br />
Mon esprit se dépare.<br />
L’insomnie est tuée…<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong><br />
Reptile nocturne d’Aurore Moret<br />
© 2008, dessin : Ludimie, montage Jérôme W.
Pourquoi la nuit est-elle noire ?<br />
Pour la plupart d’entre nous, la question semble triviale. La nuit est noire parce que<br />
c’est la nuit, la nuit est noire parce que le soleil est couché… Pourquoi tant de grands<br />
scientifiques se sont-ils alors posés une telle question ? Pas si simple qu’il n’y paraît.<br />
Le noir est l’absence de lumière … Pourtant de la lumière dans l’espace, il y en a : la lumière stellaire<br />
qui provient des autres étoiles que le soleil. Il est a priori surprenant que cette lumière accumulée ne remplisse<br />
pas la totalité du ciel. En effet, imaginons-nous au milieu d’une forêt dense : où que notre regard<br />
se tourne, nous ne voyons que des troncs d’arbre et rien d’autre. De la même façon, le nombre d’étoiles<br />
étant considérable, notre regard ne devrait rencontrer que des étoiles emplissant le ciel nocturne. Ce qui<br />
n’est évidemment pas le cas.<br />
Qu’est-ce qui peut expliquer cette nuit noire ?<br />
– Est-ce le fait que la plupart des étoiles sont trop lointaines et ainsi « trop petites » pour être visibles ?<br />
Un savant calcul (dont nous vous épargnons les détails) montre que la somme de tous les rayons serait<br />
suffisante <strong>à</strong> éclairer le ciel…<br />
– Y aurait-il des « choses » qui cacheraient la lumière des « étoiles brillantes » (sûrement un coup des<br />
Martiens) ? Non plus, leur nombre devrait être beaucoup trop important pour que cette hypothèse<br />
soit plausible…<br />
– L’Univers est-il moins vaste qu’il ne le prétend, laissant nos yeux en voir le fond obscur ? Oui, mais<br />
d’un certain point de vue.<br />
C’est en 1848 que l’écrivain Edgar Allan Poe apporte une première solution :<br />
«Si la succession des étoiles était illimitée, l’arrière plan du ciel nous offrirait une luminosité<br />
uniforme, comme celle déployée par la galaxie – puisqu’il n’y aurait absolument aucun point,<br />
dans tout cet arrière plan, où n’existât une étoile. Donc dans de telles conditions, la seule manière<br />
de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans toutes les directions est de supposer cet<br />
arrière plan invisible placé <strong>à</strong> une distance si prodigieuse qu’aucun rayon n’ait jamais pu parvenir<br />
jusqu’<strong>à</strong> nous.» (E. A. Poe, «Euréka» 1848)<br />
Depuis, cette supposition est appuyée par des<br />
observations qui sont bien connues des astrophysiciens<br />
et qui constituent des arguments en<br />
faveur de la célèbre théorie du Big Bang.<br />
Le Big Bang, en deux mots, c’est quoi ?<br />
En deux mots, c’est « l’apparition de l’Univers<br />
», rien que ça ! Plus concrètement et sans rentrer<br />
dans le détail, c’est la création de l’espace, du temps,<br />
accompagnée d’une expansion. Il faut comprendre<br />
que l’expansion est un phénomène similaire <strong>à</strong> un<br />
gâteau aux raisins plein de levure : le gâteau, c’est<br />
l’espace, et les raisins sont des objets célestes. Lorsque<br />
Lorsqu’un gâteau (aux raisins) cuit, la<br />
levure le fait gonfler : la distance entre les<br />
raisins augmente. C’est l’expansion,<br />
mais <strong>à</strong> l’échelle de<br />
votre four...<br />
© 2008,<br />
Jérôme W.<br />
49<br />
L’Obscurité
le tout est au four, la levure va faire grossir le gâteau et les raisins vont s’éloigner les uns des autres. Alors,<br />
me direz-vous, pour un gâteau je veux bien, mais pour l’Univers : c’est plus difficile <strong>à</strong> avaler ! Certes, mais<br />
creusons un peu...<br />
La vitesse de la lumière<br />
L’expansion n’est pas un mouvement de quelques objets célestes mais une tendance générale : <strong>à</strong><br />
l’échelle de l’Univers, les objets s’éloignent tous les uns des autres. Si notre galaxie et une de ses voisines<br />
s’éloignent, plus la voisine est lointaine, plus elle s’éloigne vite. Il arrive donc un moment où, lorsque<br />
l’on considère des objets célestes très éloignés, leur vitesse d’éloignement sera supérieure <strong>à</strong> la vitesse de la<br />
lumière. La lumière de ces objets pourra-t-elle un jour nous parvenir ?<br />
Il vous faut penser en quatre dimensions !<br />
Il y a encore un hic avec la vitesse de la lumière.<br />
À près de 300 000 km/s, celle-ci est vraiment<br />
lente comparée aux distances <strong>à</strong><br />
parcourir. Ainsi, la galaxie d’Andromède<br />
(une des plus proche<br />
de nous) est <strong>à</strong> un peu moins de<br />
3 millions d’années lumière<br />
: la lumière qu’elle émet<br />
voyage pendant 3 millions<br />
d’années avant de nous<br />
parvenir. Autrement dit,<br />
la galaxie d’Andromède<br />
telle que nous la voyons<br />
aujourd’hui est une image<br />
de ce qu’elle était il y a<br />
3 millions d’années ! Ce<br />
phénomène, aussi pétrifiant<br />
paraisse-t-il, constitue<br />
une formidable machine <strong>à</strong> remonter<br />
le temps : plus on observe<br />
loin, plus on regarde le passé. Alors,<br />
toujours aussi malins, les scientifiques<br />
peuvent-ils voir le Big Bang ? Presque, car<br />
la lumière n’existait pas pendant les 300 000<br />
premières années de l’Univers...<br />
Au feu !<br />
Comment sait-on que l’univers est en expansion<br />
? Grâce <strong>à</strong> l’effet Doppler, que vous<br />
connaissez, j’en suis sûr. Imaginez que<br />
vous vous promenez dans la rue et<br />
qu’un camion de pompiers, sirène<br />
hurlante, passe <strong>à</strong> toute vitesse.<br />
© 2008, Zed
Vous remarquez que le son de la sirène est plus aigu lorsque le camion s’approche et lorsqu’il passe devant<br />
vous puis s’éloigne, il devient plus grave. Ce constat est facile <strong>à</strong> faire et c’est le même principe pour les<br />
galaxies : leur vitesse d’éloignement « déforme » la lumière qu’elles émettent. La lumière qui nous vient<br />
de très loin dans le ciel est donc décalée vers l’infrarouge, qui est une lumière invisible...<br />
Comme vous le voyez, la science nous apporte de nombreuses explications, mais cessons<br />
un peu cette gymnastique intellectuelle : la nuit est bel et bien noire et si le pourquoi nous<br />
échappe, contentons-nous de la contempler ! Chaque soir, l’obscurité vient nous offrir un<br />
spectacle pour les yeux : des étincelles <strong>à</strong> perte de vue parsèment une toile d’un noir d’encre.<br />
Écrasés par la démesure, il est difficile de ne pas rêver <strong>à</strong> ces milliards de petits points inex-<br />
plorés que nous n’atteindrons jamais. Aussi complexe qu’elle puisse être, l’obscurité du ciel<br />
ne cessera d’inspirer les rêveurs nocturnes que nous sommes, paisiblement minuscules.<br />
Titefee & Jérôme W.<br />
51<br />
L’Obscurité
1 23<br />
Appartement<br />
©2008, Tous droits réservés<br />
Lilli ?<br />
T’as intérêt <strong>à</strong> te<br />
tenir tranquille OK ?!<br />
C’est<br />
Thomise,<br />
tu ouvres ?<br />
Mot<br />
de passe ?<br />
Tu<br />
Polypos<br />
les trouves et Ceph’ ? Ils<br />
comment, toi, les ont l’air sympa,<br />
deux nouveaux ? pourquoi ?<br />
52<br />
Dessin : Ludimie<br />
Couleur : Olivier Noré, Claire Mathieu<br />
Phylactères : Jérôme W.<br />
J’ai<br />
une tronche<br />
<strong>à</strong> chercher<br />
un mot de passe,<br />
franchement ?!<br />
Je<br />
sais pas... Ils<br />
m’inspirent pas<br />
confiance !<br />
T’es<br />
parano !<br />
Parce<br />
que la dernière fois,<br />
vraiment tu…<br />
ET ARRÊTE<br />
DE JOUER AVEC TES OREILLES,<br />
çA ME SAOULE !<br />
Ouais ?<br />
Ce<br />
sont<br />
des amis<br />
de B@_Man<br />
en plus.<br />
Entreeeez !<br />
APPARITION<br />
SOUDAINE<br />
De<br />
toute façon<br />
j’ai dit <strong>à</strong> maman<br />
que je serai<br />
sage…<br />
Rhooo<br />
On a<br />
les croissaaaants<br />
!<br />
Que<br />
B@_Man ait des amis,<br />
c’est déj<strong>à</strong> louche <strong>à</strong> la<br />
base... nan ?<br />
On est<br />
arrivééé !
Tu<br />
m’as mis le<br />
doute, ça y est !<br />
Désolée...<br />
Yo...<br />
Bien !<br />
Alors ce<br />
week-end, nous<br />
avons <strong>à</strong> faire...<br />
Tout<br />
<strong>à</strong> fait !<br />
© 2008, Ludimie, Claire Mathieu, Olivier Noré, Jérôme W.<br />
Salut<br />
ma Louloute<br />
!<br />
La<br />
rédaction de<br />
l’édito<br />
?!<br />
Et alors<br />
?! Tu espères<br />
une nana ? Une bombe<br />
sexuelle qui fera la<br />
pendaison de crémaillère<br />
en tête <strong>à</strong> tête avec<br />
toi ?<br />
Salut<br />
Lilli !<br />
Non, mais l<strong>à</strong> on a chié<br />
sur le deuxième paragraphe<br />
de l’article<br />
Gotcha !<br />
L’appel<br />
<strong>à</strong> textes<br />
Ouais, grave !<br />
On va avoir<br />
un nouveau voisin… Y a plus<br />
de pancarte de location.<br />
Ho, ils sont encore<br />
tout chauds !<br />
Eh, bah qu’ece<br />
tu crois !<br />
Deux<br />
illustrations<br />
de secours<br />
C’est partit<br />
Ouais, ouais...<br />
Salut tout<br />
le monde !<br />
La fin<br />
de la mise<br />
en page<br />
Et<br />
l’envoi du<br />
magazine sur<br />
le net !<br />
Ouaaaah !<br />
vlap<br />
Miam miam<br />
53<br />
vlap
Des<br />
questions avant de<br />
commencer ?<br />
Allô ouip ? Va y avoir du sushi<br />
au déjeuner …<br />
Hop !<br />
Euuuh,<br />
je...<br />
Je<br />
ne peux<br />
pas vous<br />
parler l<strong>à</strong><br />
je…<br />
Oui ....<br />
D’acco…<br />
Euuh ? ....<br />
Oui je…<br />
© 2008, Ludimie, Claire Mathieu, Olivier Noré, Jérôme W.<br />
54<br />
Vous<br />
aviez remarqué<br />
qu’il allait y<br />
avoir un nouveau<br />
voisin ?<br />
Je voulais prendre des<br />
pains au chocolat, mais<br />
y en avait pas assez…<br />
Il y a deux téléphones<br />
ici, c’est <strong>à</strong><br />
vous ?<br />
Mais oui va pisser<br />
rhooo !<br />
Ce sera p’têtre<br />
une voisine, héhé !<br />
Je<br />
peux aller<br />
faire<br />
pipi ?<br />
Qui<br />
est-ce qui a acheté<br />
les croissants ? Pourquoisuisje<br />
esclave<br />
ici pendant mon<br />
temps-libre ?<br />
C’EST<br />
FINI OUI<br />
?!?!<br />
Tut tut !<br />
Je<br />
vais sortir<br />
pour… Bien…<br />
Quelqu’un a<br />
vu mon portable ?<br />
Quelqu’un a<br />
vu mon portable ?<br />
Bon ! On<br />
va déj<strong>à</strong> commencer<br />
par enfin se décider sur le<br />
thème du prochain numéro du<br />
magazine ! La dernière fois on<br />
avait toujours B@_Man, Thomise<br />
et Ceph’ pour Obscurité,<br />
contre Aïs, Polypos et<br />
moi pour Silence.<br />
Il faut absolument<br />
qu’on se...<br />
Norbert !<br />
reviens ici !!!
Oula !<br />
Apparemment,<br />
Nono a tranché<br />
pour Obscurité,<br />
ça fait quatre<br />
voix contre<br />
trois…<br />
Aaaaaa...<br />
© 2008, Ludimie, Claire Mathieu, Olivier Noré, Jérôme W.<br />
Tap tap<br />
VIENS-L<strong>à</strong><br />
TOUT DE SUITE,<br />
SALE PESTE !!!<br />
Lilli…<br />
Je croyais<br />
qu’on s’était<br />
mises d’accord<br />
!<br />
Désolé,<br />
héhé !<br />
Laisse-moiiii !!!!!!!<br />
TCHouuRrRF !!!<br />
Je vais te régler<br />
ton compte !<br />
Chacun<br />
sa merde !!!<br />
Et<br />
si je dis<br />
pardon,<br />
Sniiiiiirrffllll...<br />
tu m’en<br />
voudras<br />
encore ?<br />
T’ES PLUS MA<br />
GRANDE SŒUR, SI<br />
TU ME TAPES !!!!<br />
HAAAAAAAAAAAAAAA !!!<br />
Sympas<br />
les<br />
voisins…<br />
A SUIVRE...<br />
55
© 2008, Jérôme W.<br />
Voyage<br />
Thème du prochain numéro<br />
L’écriture <strong>à</strong> elle seule est un voyage aux<br />
horizons infinis… Alors, aventuriers<br />
comme plaisanciers, démarrez vos plumes,<br />
affrétez vos claviers et appareillez votre<br />
imagination !<br />
Saurez-vous défricher la langue et voguer<br />
au gré des mots, afin d’emporter le lecteur<br />
tout au bout du monde, ou bien… De<br />
votre monde ? Car chacun sait qu’il n’y<br />
a pas que le corps qui se balade : l’esprit<br />
peut être bien vagabond.<br />
Camille Lantagne<br />
www.vers-a-lyre.fr
Qui sommes nous ?<br />
Dix au départ de cette aventure, nous sommes désormais quatorze personnes, bénévoles et passionnées<br />
par la lecture, le dessin et l’écriture.<br />
Toujours pas professionnels mais un peu plus expérimentés pour ce troisième numéro de <strong>Vers</strong> <strong>à</strong><br />
<strong>Lyre</strong> que pour le premier, nous nous sommes<br />
donc engagés <strong>à</strong> produire un magazine<br />
de la meilleure qualité possible, en espérant<br />
qu’il vous satisfera.<br />
Le thème de l’obscurité a été très<br />
porteur et nous avons reçu 68 œuvres. La<br />
sélection a été rude et finalement, une petite<br />
douzaine d’entre elles seulement a plu<br />
<strong>à</strong> tous les membres de l’équipe. Nous espérons<br />
que vous avez pris autant de plaisir<br />
que nous <strong>à</strong> les découvrir…<br />
Au prochain numéro.<br />
Bien amicalement.<br />
Remerciements<br />
L’équipe<br />
<strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong>.<br />
Merci <strong>à</strong> tous ceux qui s’investissent dans cette aventure. Merci <strong>à</strong> tous les lecteurs et les auteurs qui<br />
nous envoient leurs oeuvres. Merci <strong>à</strong> tous ceux qui parlent de nous.<br />
Informations <strong>à</strong> propos des illustrations et des textes:<br />
Les illustrations et les textes contenus dans <strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong> sont des oeuvres originales, soumises au droit d’auteur.<br />
La loi stipule que «Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de<br />
ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement<br />
ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque» (art L. 122-4) et que «Ne sont tolérées que les copies ou<br />
reproduction strictement reservées a l’usage privé, non destinées <strong>à</strong> une utilisation collective ou une commercialisation ».<br />
57<br />
© 2008, Titefée<br />
L’Obscurité