La romancière française de l'entre deux guerres (1919-1939)

nouveaux noms comme Marguerite Yourcenar et Nathalie Sarraute et que la littérature
féminine semble sortir de son impasse.
Une réalité plus complexe
Si l’on regarde les quelques recensements effectués au cours des années vingt, il
apparaît que les femmes de lettres n’ont jamais cessé d’écrire, elles n’ont même jamais été si
nombreuses. Jean Larnac consigne dans son Histoire de la littérature féminine en France :
« Jean de Bonnefon relevait, en 1908, les noms de sept cent trente huit femmes de
lettres, dans les catalogues de librairie. J’ai […] compté dans l’annuaire de la
Société des gens de lettres pour l’année 1928-1929, cent trente-six sociétaires
féminins et cinq cent trente cinq femmes » 3 .
Faut-il se contenter de l’argument avancé par Jules Bertaut pour expliquer ce manque subit
d’intérêt ? « On ne chérit pas d'un même amour, on ne défend pas avec la même âpreté un
groupe de personnes, lorsque ce groupe comprend vingt membres, ou lorsqu'il en comprend
300 » 4 . Elles sont représentées aux grands prix comme le Prix Fémina avec, en 1923, Jeanne
Galzy pour Les Allongés, en 1927, Marie Le Franc pour Grand-Louis l’innocent… ou le
Grand Prix du Roman : Camille Maryan (1918) pour Récits du temps de guerre, Andrée
Corthis (1920) Pour moi seule… pour ne citer que ces noms. Mais force est de reconnaître
que, malgré leur nombre, aucune femme de lettres ne fonde d’école esthétique ni n’écrit de
doctrine littéraire au cours de cet entre-deux-guerres. Si les mouvements dada et surréaliste
influencent quelques titres, ils ne bouleversent pas la conception féminine du roman qui
demeure de facture classique. Les seules auteures qui participeront à ces expériences
artistiques sont d’origine étrangères : ainsi Irène Hillel-Erlanger (1878-1922), d’origine
turque, dont le salon accueillit Saint-John Perse, Paul Valéry et les surréalistes, sans oublier le
peintre Van Dongen qui illustra son Voyage en kaléidoscope (1919). Gisèle Prassinos,
d’origine grecque, voit sa Sauterelle arthritique (1935) édité par André Breton et Le Feu
maniaque (1939) préfacé par Paul Eluard. À ces noms s’ajoutent ceux de l’anglo-saxonne
Leonora Carington, de l’allemande Unica Zürn… Il faudra attendre le Nouveau Roman avec
Nathalie Sarraute pour que les femmes de lettres reconsidèrent le roman.
Comment, au vu de ce constat rapide, expliquer le passéisme des critiques ? La
présence encore fortement marquée des romancières de la Belle Époque explique
certainement ce paradoxe. Au lendemain de la guerre, on retrouve dans les rubriques des
critiques littéraires Judith Gautier, Gyp, Gabrielle Réval, Séverine, Gérard d’Houville,
3 Jean Larnac, op. cit., p. 223.
4 Jules Bertaut, La Littérature féminine d’aujourd’hui, Librairie des Annales, 1907, p. 13.
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