La romancière française de l'entre deux guerres (1919-1939)
La romancière française de l'entre deux guerres (1919-1939)
La romancière française de l'entre deux guerres (1919-1939)
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le contenu non plus la structure. C’est à cette époque que les romans-fleuves sont publiés et<br />
que les romans <strong>de</strong> la « condition humaine » <strong>de</strong> Malraux, Céline et <strong>de</strong> Bernanos connaissent un<br />
grand succès. <strong>La</strong> littérature féminine profite <strong>de</strong> ce retour à une facture plus classique pour<br />
revenir sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène culturelle. Deux veines connaissent alors un égal succès.<br />
« Du roman idéaliste <strong>de</strong> Marcelle Tinayre on rapprochera Les Allongés <strong>de</strong> Jeanne Galzy et<br />
Georgette Garou <strong>de</strong> Dominique Dunois » 5 . Quant à Lucie Delarue-Mardrus, qui est l'une <strong>de</strong>s<br />
figures majeures du roman psychologique, on pourra rapprocher « Suzanne Normand, (Cinq<br />
femmes sur une galère, la Maison <strong>de</strong> lai<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> lésine, Marie-Aimée), Marie-Anne<br />
Commène (Rose Colonna, Violette Marinier), Marcelle Auclair (Toyat, Anne Fauvet) » 6 .<br />
À l’origine <strong>de</strong> ce silence…<br />
<strong>La</strong> fin <strong>de</strong> la guerre, selon Françoise Thébaud et Christine Bard, explique en gran<strong>de</strong><br />
partie cette indifférence :<br />
« <strong>La</strong> guerre n’a pas émancipé les femmes. Dans les faits, elle a renforcé la<br />
hiérarchie entre les sexes […]. Quand les hommes partaient à l’assaut <strong>de</strong><br />
l’ennemi, sûrs <strong>de</strong> leur croit et <strong>de</strong> leur victoire, les femmes attendaient, […]<br />
invitées à servir dans <strong>de</strong>s tâches bien féminines (soigner, consoler, tricoter…) » 7 .<br />
<strong>La</strong> guerre a été, en quelque sorte, une épreuve <strong>de</strong> virilité pour cette société <strong>française</strong> qui a<br />
longtemps cru, dans les années 1900, voir ses institutions (famille, ordre social, ordre moral)<br />
sapées par le brouillage <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités que représentait la femme <strong>de</strong> lettres. Victorieuse, la<br />
société <strong>française</strong> ne s’inquiète désormais plus <strong>de</strong> la femme qui écrit, elle n’est plus considérée<br />
comme une menace pour l’ordre établi. Les autorités politiques, médicales et culturelles n’ont<br />
donc plus lieu <strong>de</strong> s’intéresser à la production croissante <strong>de</strong>s <strong>romancière</strong>s. D’autre part, comme<br />
la société, la femme <strong>de</strong> lettres a changé : elle n’est plus nécessairement cette<br />
« sorte <strong>de</strong> mannequin <strong>de</strong> magasine (sic), vêtue d'un travesti qu'elle ne choisit pas<br />
toujours, hélas, et qu'elle n'arrive pas plus à dépouiller qu'une tunique <strong>de</strong><br />
Nessus... » 8 ,<br />
que dénonçait Rachil<strong>de</strong>. À l’image du bas-bleu revendicatif a succédé celle <strong>de</strong> la <strong>romancière</strong>,<br />
payée à la ligne, reprenant tous les poncifs sentimentaux pour satisfaire un lectorat friand <strong>de</strong><br />
romans bon marché. Le nombre <strong>de</strong> celles qu’Ellen Constans appelle les « Ouvrières <strong>de</strong>s<br />
lettres », ces femmes qui écrivent pour gagner leur vie, majoritaires dans le roman populaire,<br />
le feuilleton sentimental et la littérature enfantine ne cesse, en effet, d’augmenter. Le succès<br />
5<br />
Jean-E. Erhard, Le Roman français <strong>de</strong>puis Marcel Proust, Nouvelle Revue Critique, s.d, p. 67.<br />
6<br />
Ibid., p. 67.<br />
7<br />
Françoise Thébaud & Christine Bard, « Les effets antiféministes <strong>de</strong> la guerre » in Un siècle d’antiféminisme,<br />
dirigé par Christine Bard, Fayard, 1999, p. 148.<br />
8<br />
Rachil<strong>de</strong>, Dans le puits ou la vie inférieure, 1915-1917, Mercure <strong>de</strong> France, 1918, p. 100.<br />
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