La romancière française de l'entre deux guerres (1919-1939)

croissant que connaît la série des « Brigitte » de Berthe Bernage dans les années 1930 en est
le plus bel exemple. Elles donnent sans doute le sentiment que le roman féminin est désormais
synonyme d’écriture alimentaire, de littérature bon marché. En raison de la crise que connaît
alors la France, rares sont désormais les femmes de lettres qui peuvent tenir salon : on compte
celui de Louise de Vilmorin, de Marie Bonaparte ou encore Anaïs Nin, la princesse
Bibesco… Cela restreint le rayonnement de nombre d’entre elles. Le recul du féminisme,
l’évolution de ses revendications, peut également contribuer à cette impression. En 1919, bien
peu de publications féministes paraissent encore : seules demeurent La Femme socialiste, La
Française, et L'Union nationale des femmes. La Fronde, après avoir été relancé une première
fois en 1914, est de nouveau vendu mensuellement entre 1926 et 1928 pour mener campagne
pour l'éligibilité des femmes. La presse féminine compte encore le périodique illustré Minerva
ou le mensuel Les Pages Féministes presque exclusivement féminins, au ton beaucoup moins
intellectuel, moins révolté.
Sur le plan littéraire, les femmes ne représentent également plus, au lendemain de la
guerre, une concurrence sérieuse. À la fin des années 1880, suite à la faillite du naturalisme,
de nombreuses critiques avaient vu dans le roman féminin le dernier avatar de ce genre qui
paraissait alors dans l’impasse. Ainsi pour André Rivoire, le roman est
"un genre à peu près fini. Il a donné, semble-t-il, tout ce qu'il peut donner, s'il
n'est pas renouvelé par des hommes nouveaux. [...] Ce qu'il y a de plus curieux à
l'heure actuelle, c'est que ce sont les romans des femmes qui prolongent et
maintiennent ce genre littéraire" 9 .
Suite au naturalisme, le roman n’avait pu trouver de nouvelle définition ni de nouvelle école
maîtresse, il s’enlisait dans des directions multiples au point que certains parlèrent, comme
Brunetière, d’« une anarchie littéraire » 10 . Loin d’offrir une esthétique novatrice, le roman
féminin était le seul à former un ensemble cohérent : le sexe tenait lieu d’esthétique pour les
littérateurs du moment qui voyait, sans pouvoir les définir, une écriture féminine, un style
féminin. Cette prédominance féminine fut telle que, à la veille de la Grande Guerre, le roman
était considéré comme un genre féminin. Maeterlinck prévoyait même que « les œuvres
d'imagination pure seront peu à peu abandonnées par les hommes et que leur tradition sera
reprise par les femmes » 11 . Au lendemain de la guerre, dans les années vingt, le roman trouve
un second souffle : non seulement apparaissent des talents nouveaux –Mauriac, Morand- mais
surtout sont remis en question les conventions du roman réaliste chères au 19 e siècle. Proust,
9
G. Le Cardonnel & C. Vellay, La Littérature contemporaine, Mercure de France, 1905, p. 153. Interview de Mr
André Rivoire.
10
Rémy de Gourmont, Enquête sur l'Évolution littéraire cité in M. Raimond, La Crise du roman : des
lendemains du naturalisme aux années vingt, Corti, 1985, p. 138.
11
G. Le Cardonnel & C. Vellay, op. cit., p. 279. Interview de Maurice Maeterlinck.
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