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n°117 Août - Terra Modana

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De Modane à Bonneval<br />

Sacré Rochemelon<br />

Le 5 août, un pèlerinage rejoint la plus haute chapelle d’Europe, au sommet du<br />

Rochemelon. Une montagne vénérée depuis des millénaires où s’est écrit la première<br />

page de l’histoire de l’alpinisme.<br />

Caché par le dôme majestueux du<br />

Charbonnel, perdu au fond de la vallée<br />

du Ribon, le Rochemelon n’est qu’une<br />

montagne parmi d’autres pour les<br />

Savoyards. Mais, côté piémontais,<br />

c’est un sommet impressionnant qui<br />

domine toute la vallée de Suse. Sa<br />

forme pyramidale caractéristique qui<br />

culmine à 3538 m d’altitude se voit<br />

depuis Turin. Au sommet, une Vierge<br />

et une chapelle sont le but d’un pèlerinage<br />

qui se tient chaque année le 5<br />

août.<br />

Une statue de la Vierge et une chapelle<br />

qui rappellent la première ascension<br />

connue du Rochemelon. Le 1 er<br />

septembre 1358, Bonifacio Rotario,<br />

un seigneur de la région d'Asti, aurait<br />

grimpé au sommet suite à un vœu fait<br />

à la vierge. Selon la légende, Bonifacio<br />

aurait participé à la dernière Croisade.<br />

Fait prisonnier en Terre Sainte, il<br />

aurait prié la Vierge pour sa libération,<br />

en promettant de porter une image<br />

sacrée sur le plus haut sommet des<br />

Alpes. Libéré, il aurait donc gravi le<br />

Rochemelon pour y déposer un triptyque<br />

en laiton gravé.<br />

Un triptyque qui représente en son<br />

centre une Vierge à l’enfant, à droite<br />

Saint George terrassant le dragon et<br />

Saint Jean Baptiste à gauche.<br />

Bonifacio Rotario est lui-même représenté<br />

en chevalier humblement agenouillé<br />

aux pieds de Saint Jean, les<br />

mains jointes en direction de la vierge.<br />

Particularité de ce triptyque : l’enfant<br />

Jésus caresse le menton de sa<br />

mère. On peut aujourd’hui le contempler<br />

au musée d’art sacré de Suse.<br />

Le Grall caché dans<br />

la montagne<br />

« En réalité, Bonifacio n’a jamais été<br />

un chevalier croisé, mais il a combattu<br />

pour la liberté de sa ville, Asti,<br />

contre la domination des Visconti, lesquels<br />

furent expulsés en 1356 »<br />

explique Andrea Zonato, conservateur<br />

au musée d’art sacré de Suse. « On<br />

peut penser que Bonifacio Rotario a<br />

gravi ce sommet car c’était le plus<br />

haut du monde connu pour les gens de<br />

la vallée. Depuis Suse, c’est presque<br />

une ascension de 3000 m. La montagne<br />

est forcément impressionnante.<br />

L’arête sommitale du Rochemelon. L’arrivée des voies “françaises”<br />

par Bessans et le Mont Cenis. On distingue à peine la statue de<br />

la Vierge installée au sommet (3558m) en 1899. Coté italien,<br />

la montagne domine toute la plaine du Pô (à gauche).<br />

Photo DR<br />

Un autre pèlerinage d’altitude se déroule en Haute<br />

Maurienne : celui à la chapelle Saint Barthélemy<br />

(le 24 août cette année) au sommet du<br />

Thabor (3178m). Un pèlerinage qui remonte<br />

lui aussi au Moyen-Age.<br />

De plus, Bonifacio a voulu porter un<br />

hommage à la vierge sur cette montagne<br />

qui était déjà considérée<br />

comme sacrée » explique Mattéo<br />

Giotto, un fin connaisseur du pèlerinage<br />

qui habite au pied de la montagne<br />

côté italien.<br />

Le Rochemelon est en effet une montagne<br />

très particulière pour la vallée<br />

italienne. Sa forme et son altitude<br />

marque les esprits depuis des millénaires.<br />

A Suse, l’arche romaine<br />

construite par Auguste en 9 av JC,<br />

encadre parfaitement la montagne,<br />

signe de son importance. « La montagne<br />

était sacrée bien avant l’époque<br />

chrétienne, et même avant les<br />

Romains » assure Mattéo Giotto, «<br />

pour les Celtes, cette montagne était<br />

“le Roc de Maol”, la montagne de<br />

Maol, un de leur dieu ». Selon certain,<br />

c’est ce “Roc de Maol” qui aurait<br />

donné le nom de “Rochemelon”. Pour<br />

d’autres, le nom du sommet viendrait<br />

de “Romulus”, le fondateur légendaire<br />

de Rome qui aurait caché un trésor au<br />

sommet.<br />

La première ascension de<br />

l’histoire de l’alpinisme<br />

Nombre de légendes sont attachées<br />

au Rochemelon. C’est par exemple sur<br />

cette montagne qu’aurait atterri<br />

Phaéton, après avoir volé le char de<br />

son père, le dieu Hélios. C’est aussi au<br />

pied du Rochemelon que se serait<br />

étendue une grande cité mégalithique.<br />

Quant aux flancs de la montagne, ils<br />

abriteraient des cavernes secrètes<br />

dans lesquelles seraient cachés de<br />

fabuleux trésors, dont le Grall luimême…<br />

Au-delà de ces légendes, un fait est<br />

certain : le sommet a été atteint au<br />

milieu du XIV ème siècle. Un exploit qui<br />

est toujours considéré comme la première<br />

ascension de l’histoire de l’alpinisme.<br />

Le triptyque de Bonifacio était<br />

resté sur la montagne dans un petit<br />

abri de pierres, et, peu à peu il a fait<br />

l’objet d’un pèlerinage. Même les seigneurs<br />

de la Maison de la Savoie se<br />

rendaient au Rochemelon pour<br />

rendre hommage à la Vierge.<br />

En 1549 une chapelle en<br />

bois existait déjà au<br />

sommet. Les pélerinages se déroulaient<br />

au mois d’août, quand le sommet<br />

était accessible. Mais, sous l’effet<br />

du “petit âge glaciaire”, l’avancée du<br />

glacier du Rochemelon rend les processions<br />

trop dangereuses, elles sont<br />

abolies en 1782, et ne seront rétablies<br />

qu’au cours du XIX ème siècle. Mais le<br />

Rochemelon est toujours resté fréquenté<br />

: avec les troubles de la<br />

Révolution, le col du Mont Cenis était<br />

fermé. Les populations des deux côtés<br />

de la montagne ont donc cherché<br />

d’autres passages pour entretenir les<br />

relations familiales et économiques.<br />

« En 1794, on a la première mention<br />

du Rochemelon à Bessans » explique<br />

Valentin Vincendet, bessanais qui<br />

compte une cinquantaine de pèlerinage<br />

au Rochemelon. « Comme les gens<br />

ne pouvaient plus passer par le chemin<br />

classique du Mont Cenis, ils ont<br />

fait passer chèvres et moutons par le<br />

Rochemelon puis par la vallée du<br />

Ribon. » Si le Rochemelon n’était pas<br />

évoqué avant cette date, c’est qu’il est<br />

presque invisible côté “français”. Il<br />

faut passer par la longue vallée du<br />

Ribon pour enfin le découvrir.<br />

La foule au sommet<br />

Au XIX ème siècle, la montagne commence<br />

également à être parcourue<br />

par les alpinismes “modernes”. De<br />

nouvelles voies sont explorées pour<br />

atteindre le sommet du Rochemelon.<br />

Le succès n’est pas toujours au rendez-vous<br />

mais aujourd’hui il existe<br />

trois accès possibles : la voie classique<br />

et rapide par Suse et le refuge de Ca<br />

d’Asti (3 à 4 heures de montée tout de<br />

même), la voie par le Mont Cenis et la<br />

longue randonnée depuis Bessans par<br />

la vallée du Ribon puis par le glacier.<br />

Au sommet, la vue à<br />

360° permet de<br />

contempler<br />

la Meije,<br />

l e s<br />

aiguilles d’Arves, la Grande Casse, le<br />

Viso... avec à ses pieds le glacier. Un<br />

spectacle à couper le souffle mais il<br />

faut parfois se faire une place pour<br />

l’admirer. La foule est souvent au rendez-vous.<br />

Les pèlerins et les croyants<br />

sont majoritaires mais ils côtoient des<br />

randonneurs qui s’offrent un “3500”<br />

facile d’accès depuis Suse. « Mais si<br />

on veut vraiment “faire” un sommet,<br />

on ne va pas au Rochemelon. Côté italien<br />

ça grimpe dur mais le sentier est<br />

bien entretenu et on voit des enfants<br />

et des personnes âgées sur le chemin.<br />

C’est avant tout un sommet qui attire<br />

les personnes en quête de foi » assure<br />

Mattéo Giotto. Valentin Vincendet<br />

confirme cette ambiance fraternelle<br />

qui se dégage de la montagne, notamment<br />

lors des festivités religieuses qui<br />

regroupent les villages qui jouxtent la<br />

montagne.<br />

Ce n’est d’ailleurs pas un cairn qui<br />

accueille les randonneurs au sommet<br />

mais bien une Vierge. Une statue en<br />

bronze de 3 mètres de haut pour<br />

1500 kg hissée au sommet en 1899<br />

par une soixantaine d'hommes, soldats<br />

“alpinis” et paroissiens de la vallée<br />

de Suse. Depuis, un pèlerinage se<br />

rend tous les 5 août, jour de la Vierge<br />

des Neiges, au sommet. A l’origine, les<br />

Bessanais effectuaient une fois dans<br />

leur vie ce pèlerinage en altitude. « Ils<br />

partaient au milieu de la nuit pour<br />

arriver à l’heure de la messe au sommet<br />

» explique Valentin Vincendet.<br />

Aujourd’hui les Bessanais montent<br />

plus régulièrement, même s’il faut<br />

marcher 8 à 10h depuis la vallée. Le<br />

pèlerinage en lui-même attire parfois<br />

des centaines de personnes. Au<br />

Rochemelon on croise beaucoup<br />

d’Italiens, après tout le sommet est<br />

en territoire italien, mais on parle<br />

aussi français, anglais, espagnol... Le<br />

pèlerinage se termine à Suse où le<br />

triptyque de Bonifacio est porté en<br />

procession. Une procession en l’honneur<br />

de la Vierge mais qui rend aussi<br />

hommage à une montagne pas tout<br />

à fait comme les autres.<br />

Laurent Sévenier<br />

Le triptyque du Rochemelon. Un petit<br />

autel en laiton gravé probablement réalisé<br />

à Bruges entre 1356 et 1358 pour<br />

accomplir un vœu.<br />

©Centre Culturel Diocésain de Susa

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