L'affaire Smilodon

Texte : L'affaire Smilodon Nicolas Ancion
Ce n'est pas par hasard que j'ai choisi la
nuit d'un samedi pour passer à l'action.
Philippe est gardien de but dans
son équipe de football. Les veilles
de match sont sacrées. Ces soirs-là, à
neuf heures, tout le monde est au lit.
Dès que j'ai entendu les respirations
s'apaiser, je me suis glissée sur la
moquette. Au pied de la table de
nuit, j'ai récupéré l'outil que
j'avais préparé : une épingle de
sûreté dont la pointe était
soigneusement pliée à angle droit. Sans
un bruit, je me suis approchée de
l'équipement de sport. Tout était là, à
terre, posé sur le sac de nylon rouge et
bleu : deux chaussures encore
poussiéreuses, un T-shirt et un
Ce sont les cris qui m’ont
éveillée le lendemain. J'ai
cru que Philippe ne
s'arrêterait jamais. Il aurait
étripé Smilodon dans la minute.
Deux coups de patte avaient suffi
pour réduire le prestige du gardien de
but à néant « Et qu'est-ce que je vais
mettre, moi, pour arrive r su r le
terrain ? Je vais avoir l'air d'un
imbécile avec des traces de griffes
L'étape suivante faillit se jouer
sans moi. Je ronflais
paisiblement entre les deux
oreillers, le corps engourdi par une
sieste bien méritée. Je rêvais qu'un
gigantesque ours brun, avec des yeux
noirs et une truffe bien humide -
***
***
short en satin avec échancrure, et,
par-dessus tout ça, posé avec soin,
le survêtement peau de pêche aux
couleurs du club. Le rouge et le bleu
réunis pour préparer la victoire : la
fierté de onze gamins mal grandis et
de tous leurs supporters se concentrait
dans cet horrible training d'apparat.
Je saisis mon crochet artisanal et, sans
une hésitation, je l'enfonçai dans le tissu
de la veste et tirai sur une longueur de
trente centimètres. Je recommençai à
un demi-centimètre à gauche et un
demi-centimètre à droite. Je fis de
même sur le pantalon, puis je
rejoignis le lit aussi discrètement.
au milieu du dos et tout le long de
la jambe.»
Il a eu l'air d'un imbécile, c'est
certain. Mais Smilodon aussi s'est
retrouvé bien attrapé. On l'a privé de
croquettes et on l'a interdit de séjour
dans la chambre pour trois jours.
J'étais aux anges.
Mais la trêve fut de courte durée.
J'avais gagné la bataille ; la guerre ne
faisait que commencer.
tout ce qu'il faut pour me faire
craquer - venait me ravir au milieu des
draps pour m'emporter dans sa caverne
en peluche. J'allais me laisser
embrasser au bord d'une cascade
lorsqu'une douleur atroce me plongea
dans la réalité la plus sordide... Je
A.R. TAMINES Page 4 sur 9