Dossier pédagogique Journal d'une femme de chambre
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Rencontre avec l’équipe artistique :<br />
le mercredi 17 octobre<br />
<strong>Dossier</strong> Pédagogique<br />
Le <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong> <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong><br />
D’après Octave Mirbeau<br />
Adaptation et mise en scène Jonathan Duverger<br />
Collaboration artistique Jean-Marie Villégier<br />
Les 17 et 18 octobre 2012<br />
Au Centre dramatique régional <strong>de</strong> Haute-Normandie<br />
- Théâtre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux rives<br />
Mercredi 17 octobre à 19h30<br />
Jeudi 18 octobre à 19h30<br />
Centre dramatique régional <strong>de</strong> Haute-Normandie,<br />
Théâtre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux rives<br />
48, rue Louis Ricard BP 91182<br />
76176 - ROUEN Ce<strong>de</strong>x 1<br />
Renseignements/réservations : 02 35 70 22 82
Avec Natacha Amal<br />
Décors Jean-Michel Appriou<br />
Costumes Maud Cabon<br />
Lumières Patrick Méeüs<br />
Production déléguée Théâtre <strong>de</strong> l'Ouest parisien<br />
Jonathan Duverger<br />
Accueil en rési<strong>de</strong>nce et ai<strong>de</strong> à la production Théâtre du pays <strong>de</strong> Morlaix<br />
Co-réalisation Espace Kéraudy, Plougonvelin<br />
Durée 2h environ<br />
Spectacle à partir <strong>de</strong> la troisième<br />
L’HISTOIRE<br />
1900. Octave Mirbeau prête sa plume <strong>de</strong> poète révolté à une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>, auteur<br />
présumé <strong>de</strong> ce journal, pour dénoncer le sombre univers <strong>de</strong> la « belle époque ».<br />
Encore gamine, cherchant une issue à la misère, Célestine se place comme petite bonne. Paria<br />
corvéable à merci, cette « inférieure » sans défense et sans droits doit respect et soumission à<br />
<strong>de</strong> prétendus « supérieurs » qui l’abreuvent <strong>de</strong> mépris et d’humiliations. La religion, unique<br />
réconfort, lui fait mérite <strong>de</strong> ses épreuves et <strong>de</strong> l’obéissance où elle se contraint. Mais, dans la<br />
solitu<strong>de</strong>, elle donne libre cours à sa détresse, à sa colère, à ses amours inoubliables, à ses<br />
appétits <strong>de</strong> revanche. Captive rêvant d’évasion, elle se prête à l’aventure, au risque d’y perdre<br />
son âme.<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 2 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
OCTAVE MIRBEAU<br />
BIOGRAPHIES<br />
Le 16 février 1848, naissance à Trévières (Calvados) d'Octave-Marie-Henri Mirbeau. Son<br />
père, Ladislas-François, est officier <strong>de</strong> santé. Octave Mirbeau passe une enfance difficile.<br />
A quinze ans, il se fait renvoyer <strong>de</strong> son collège jésuite dans <strong>de</strong>s conditions suspectes. En<br />
1872, il gagne Paris, <strong>de</strong>venant secrétaire particulier d'un Maréchal. Pendant quatorze<br />
années, il sera domestique ou nègre. L'année 1884 marque un tournant dans la vie <strong>de</strong><br />
l'auteur. Délaissé par sa <strong>femme</strong>, il tire un bilan pitoyable <strong>de</strong> sa vie. Il n'a été qu'un<br />
serviteur. Dès lors, il donne à sa vie une nouvelle tournure. Il utilisera sa plume pour<br />
défendre les causes « justes et vraies ». Ses oeuvres, d'abord<br />
fortement autobiographiques, tel 'Le Calvaire' en 1886, dépeignent la face noire <strong>de</strong> la<br />
société. Dans les années 1890, il fustige les nationalistes, les antisémites dans divers<br />
quotidiens, et s'investit auprès <strong>de</strong>sartistes pour les faire connaître du public. Grâce à<br />
l'affaire Dreyfus, Mirbeau trouve une raison d'écrire sans pareille. Dreyfusard convaincu,<br />
il se lance dans la défense du soldat, collaborant avec son ami Zola. En 1900, son<br />
roman-feuilleton Le <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong> <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> rencontre un franc succès. Les<br />
Affaires sont les affaires' pièce <strong>de</strong> théâtre représenté à la Comédie-Française en 1903,<br />
rencontre un triomphe. Riche, Mirbeau délaisse sa plume. La maladie et les événements<br />
<strong>de</strong> 1914 le désespèrent. Il meurt le jour <strong>de</strong> son anniversaire en 1917.<br />
JONATHAN DUVERGER<br />
Formé à l’Atelier d’expression théâtrale <strong>de</strong> Radka Riaskowa, Jonathan Duverger joue<br />
Schnitzler, Racine, Marivaux, corneille, Rotrou, Molière, Hugo, Shakespeare. Il contribue<br />
à la mise en scène <strong>de</strong> la Sophonisbe <strong>de</strong> Corneille et <strong>de</strong> L’Illusion comique au Théâtre<br />
National <strong>de</strong> Bruxelles, puis à celles du Tartuffe à l’Opéra Royal <strong>de</strong> Versailles, <strong>de</strong>s<br />
Philosophes amoureux à l’Espace44 <strong>de</strong> Nantes et du Mariage <strong>de</strong> le Trouha<strong>de</strong>c à<br />
l’Athénée-Louis jouvet. Metteur en scène associé <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>linda à Glyn<strong>de</strong>bourne, il cosigne<br />
avec Jean-Marie Villégier Béatrice et Bénédicte pour les opéras <strong>de</strong> Lausanne,<br />
Bor<strong>de</strong>aux, Strasbourg, Les <strong>de</strong>ux Trouvailles <strong>de</strong> Gallus au Théâtre d’Evreux et au Théâtre<br />
National <strong>de</strong> Bruxelles, Les Joyeuses Commères <strong>de</strong> Windsor et La Révolte à la maison <strong>de</strong><br />
la Culture <strong>de</strong> Bourges et à l’Athénée-Louis Jouvet, le spectacle Molière/Lully <strong>de</strong> la<br />
Comédie-Française, et, <strong>de</strong>rnièrement, Jephta à l’Opéra National du Rhin et à l’Opéra <strong>de</strong><br />
Bor<strong>de</strong>aux. Il a également mis en scène la création <strong>de</strong>s Parenthèses Orphelines <strong>de</strong> Danièle<br />
Sallenave à la scène Nationale <strong>de</strong> Niort.<br />
Le <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> est le spectacle inaugural <strong>de</strong> sa compagnie<br />
récemment fondée, « Les Débauchés du Hameau ».<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 3 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
JEAN-MARIE VILLEGIER<br />
Depuis 1982, année <strong>de</strong> ses débuts professionnels, Jean-Marie Villégier s’attache à visiter<br />
tantôt les grands titres, tantôt les marges du répertoire. A la Comédie-Française, en<br />
1984, il a mis en scène Cinna <strong>de</strong> Corneille et La Mort <strong>de</strong> Sénèque <strong>de</strong> Tristan l’Hermite.<br />
Avec sa compagnie, fondée en 1985, il a présenté Corneille et Molière, mais aussi<br />
Larivey, Garnier, Rotrou, Favart ou Rétif. Directeur du Théâtre National <strong>de</strong> Strasbourg <strong>de</strong><br />
1990 à 1993, il a monté Hardy, Quinault, Lambert ou brosse, mais aussi Racine et<br />
Marivaux. A maintes reprises, il a collaboré avec William Christie et les Arts Florissants :<br />
Atys (Grand prix <strong>de</strong> la critique 1987) a précédé Médée et Hippolyte et Aricie sur les<br />
gran<strong>de</strong>s scènes lyriques et à la Brooklyn Aca<strong>de</strong>my <strong>de</strong> New York. Les spectacles <strong>de</strong> ces<br />
<strong>de</strong>rnières saisons sont le fruit <strong>de</strong> sa collaboration avec Jonathan Duverger : Ro<strong>de</strong>linda<br />
(Haen<strong>de</strong>l), Les Philosophes amoureux (Destouches), Le Mariage <strong>de</strong> Le Trouha<strong>de</strong>c (Jules<br />
Romains), Béatrice et Bénédict (Berlioz), Les <strong>de</strong>ux Trouvailles <strong>de</strong> Gallus (Victor Hugo),<br />
Les joyeuses Commères <strong>de</strong> Windsor (Shakespeare), L’Amour Mé<strong>de</strong>cin et Le Sicilien<br />
(Molière/Lully), La Révolte (Villiers <strong>de</strong> l’Isle Adam), Jephta (Haen<strong>de</strong>l).En 2008, Il a monté<br />
le Dom Juan <strong>de</strong> Molière pour le Festival <strong>de</strong> la Bâtie d’Urfé.<br />
NATACHA AMAL<br />
Ses parents, grands-parents et arrière–grands-parents sont nés au Maroc, en Pologne,<br />
en Russie, en Ecosse et en Suè<strong>de</strong>. Elle est née en Belgique et c’est au Conservatoire <strong>de</strong><br />
Bruxelles qu’elle fait ses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> comédienne.<br />
Elle y a pour maîtres André Debaar, Albert-André Lheureux, Yves Larec et en sort avec le<br />
premier prix. Jean-Marie Villégier la choisit pour le rôle central du Fi<strong>de</strong>lle, <strong>de</strong> Larivey, qu’il<br />
met en scène au Théâtre national <strong>de</strong> Chaillot. Remarquée alors par Jérôme Savary, qui la<br />
distribue dans Le Songe d’une nuit d’été, elle retrouve Jean-Marie Villégier qui lui confie<br />
le rôle-titre <strong>de</strong> Phèdre. Créé au Théâtre d’Evreux, le spectacle sera repris au Théâtre<br />
national <strong>de</strong> Strasbourg.<br />
Au cours <strong>de</strong>s saisons suivantes, Natacha Amal connaît <strong>de</strong> multiples succès sous la<br />
conduite <strong>de</strong> Pierre Mondy, <strong>de</strong> Jean-Luc Moreau et, souvent, <strong>de</strong> Robert Hossein, le plus<br />
fidèle <strong>de</strong> ses « Pygmalions ». Le cinéma et la télévision la font connaître du grand public<br />
qui l’accompagne, <strong>de</strong> film en film, chez Tony Marshall, Philippe <strong>de</strong> Broca, Ariel Zeïtoun,<br />
Peter Greenaway.<br />
Pour la télévision, après <strong>de</strong> nombreux épiso<strong>de</strong>s du Commissaire Moulin, elle est l’héroïne<br />
<strong>de</strong> la série Femmes <strong>de</strong> loi. De retour au théâtre en 2009 avec Panique au Ministère, elle<br />
est Andromaque au Festival d’Avignon, puis tient le rôle éponyme <strong>de</strong> Milady, pièce d’Eric-<br />
Emmanuel Schmitt inspirée <strong>de</strong>s Trois Mousquetaires pour le festival <strong>de</strong> Belgique à<br />
l’Abbaye <strong>de</strong> Villers-la-Ville. L’été <strong>de</strong>rnier, <strong>de</strong> nouveau en Avignon, elle co-signe avec<br />
Olivier Werner la mise en scène <strong>de</strong> Féminin : étrange et préjugés, montage qu’elle a<br />
conçu et dont elle est l’interprète. Parmi ses projets <strong>de</strong> théâtre, <strong>de</strong>ux mises en scène <strong>de</strong><br />
Xavier Lemaire : L’Amiral, <strong>de</strong> Bernard Granger, avec Patrick Préjean ; la correspondance<br />
<strong>de</strong> Bonaparte avec Josephine <strong>de</strong> Beauharnais, spectacle qui sera présenté dans toutes les<br />
villes impériales courant 2012-2013.<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 4 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
NOTES DE TRAVAIL<br />
En 1900, lors <strong>de</strong> sa parution, Le <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> fit l’effet d’une bombe.<br />
Malgré la presse conservatrice, qui le passa sous silence, il connut un immense succès <strong>de</strong><br />
librairie. C’est encore aujourd’hui le titre le plus célèbre d’Octave Mirbeau.<br />
D’aucuns, hypocritement pudiques, le relèguent au second rayon, enfer <strong>de</strong>s<br />
bibliothèques, parmi les opuscules croustillants ou sulfureux. C’est le dévaluer pour ne<br />
pas l’entendre. C’est refuser <strong>de</strong> le lire pour ce qu’il est : un cri <strong>de</strong> détresse et <strong>de</strong> colère,<br />
un appel à l’indignation que Mirbeau reprend à son compte. Célestine, c’est elle et c’est<br />
lui. Elle a son rire <strong>de</strong> satiriste, sa verve <strong>de</strong> pamphlétaire, sa fulgurance <strong>de</strong> poète.<br />
Née à Audierne, dans une famille <strong>de</strong> pêcheurs. On n’y mange pas à sa faim. Par une nuit<br />
d’épouvante elle a vu, <strong>de</strong> ses yeux d’enfant, le corps sanglant <strong>de</strong> son père, fracassé par<br />
la tempête. A douze ans, elle n’est plus vierge. Comme beaucoup <strong>de</strong> jeunes Bretonnes, la<br />
voici, encore gamine, qui débarque à Paris pour s’y placer comme bonne. Et c’est, <strong>de</strong><br />
« place » en « place », dans les beaux quartiers <strong>de</strong> la capitale ou chez les notables <strong>de</strong><br />
province, un parcours d’humiliation, d’asservissement physique et moral.<br />
Mais Célestine n’est pas douée pour la soumission. Sous le fard <strong>de</strong>s bonnes manières elle<br />
a tôt fait <strong>de</strong> découvrir le hi<strong>de</strong>ux visage du cynisme et <strong>de</strong> la rapacité ; bafouée dans sa<br />
dignité <strong>de</strong> <strong>femme</strong>, d’être humain à part entière, cette « assommée » tient tête aux<br />
« assommeurs ». Elle rembarre les patrons qui se prévaudraient volontiers d’on se sait<br />
quel droit <strong>de</strong> cuissage. Quand son désir répond au leur, et seulement alors, elle court<br />
l’aventure, au risque d’y laisser <strong>de</strong>s plumes. Quand survient l’amour, elle s’y lance<br />
éperdument, au risque <strong>de</strong> s’y broyer l’âme.<br />
Les mentalités sont contagieuses. Dis-moi qui tu fréquentes je te dirai qui tu <strong>de</strong>viens.<br />
Célestine est une victime, mais une victime intoxiquée par les fallacieuses « valeurs » et<br />
la canaillerie secrète <strong>de</strong>s maîtres et <strong>de</strong> leurs larbins. Comme Brecht, mais bien avant lui,<br />
Mirbeau accompagne son héroïne jusque dans ses aveuglements. Croit-elle trouver son<br />
salut dans une planche pourrie, il nous la montre ravagée <strong>de</strong> ce pitoyable espoir. La<br />
gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ce livre est <strong>de</strong> ne pas rêver un mon<strong>de</strong> où d’increvables orphelines<br />
survivraient à tous les outrages, à jamais immaculées. Le <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>chambre</strong> est un anti-mélodrame. Et c’est en quoi il nous atteint.<br />
Voici bientôt cent ans que Mirbeau est mort. Les <strong>chambre</strong>s <strong>de</strong> bonne sont <strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s<br />
« stu<strong>de</strong>ttes » qui se louent à prix d’or. L’ère du petit personnel féminin, corvéable et<br />
jetable, n’est pas pour autant révolue. Nos assommées d’aujourd’hui sont caissières <strong>de</strong><br />
supermarché ou « techniciennes <strong>de</strong> surface ». Le bureau <strong>de</strong> placement a changé <strong>de</strong> nom,<br />
mais on y fait toujours la queue. Dans les beaux quartiers, la nuit, fouillant poubelle<br />
après poubelle, <strong>de</strong>s ombres vont la faim au ventre. Et l’espoir est toujours en crise.<br />
Du <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> Luis Buñuel a tiré la matière d’un film qui transpose<br />
l’action dans les années 30. La banalité <strong>de</strong> cette petite ville où Célestine est enlisée, la<br />
monotonie <strong>de</strong>s alentours ,le conformisme et la mesquinerie <strong>de</strong>s uns, la brutalité , le<br />
dévergondage, l’intolérance et le fanatisme <strong>de</strong>s autres composent le sombre tableau<br />
d’une province pousse-au-crime qui pourrait assez convenir à un roman <strong>de</strong> Simenon.<br />
Pour être fidèle à Mirbeau il eut fallu nous rendre témoins <strong>de</strong> ces heures enfiévrées où la<br />
<strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>, seule dans sa mansar<strong>de</strong>, reprend le fil <strong>de</strong> ses journées dans une<br />
prose vengeresse. Du matin au soir elle a dû répondre à un prénom qui n’est pas le sien,<br />
être « Marie » pour ses patrons comme celles qui l’ont précédée, n’exprimer rien <strong>de</strong><br />
personnel, n’être qu’un meuble <strong>de</strong> plus, meuble à peine vivant parmi les meubles morts.<br />
Lorsque tout le mon<strong>de</strong> est couché, rendue à elle-même, elle re<strong>de</strong>vient Célestine et ne se<br />
refuse aucune violence d’expression, aucun sursaut <strong>de</strong> révolte. Le film en noir et blanc,<br />
glacial et incisif, ne pouvait laisser place à ces giclées <strong>de</strong> couleurs pures. Il y manque les<br />
coups <strong>de</strong> brosse rageurs d’un Munch, d’un Soutine ou d’un Bacon.<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 5 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
Mirbeau, proche <strong>de</strong> Zola, fut <strong>de</strong>s plus ar<strong>de</strong>nts à le secon<strong>de</strong>r durant l’Affaire Dreyfus. Mais<br />
il n’a jamais adhéré aux principes <strong>de</strong> l’école naturaliste. Il se veut, il se proclame<br />
subjectif. Pour épancher sa colère, exaltant celle <strong>de</strong> Célestine, ce n’est pas assez du<br />
roman. Il choisit donc le journal, l’espace ouvert du carnet intime, l’exutoire <strong>de</strong>s<br />
sentiments personnels. Equivalent théâtral du journal: le soliloque. Non point monologue,<br />
toujours adressé au public, mais cette parole que l’on s’adresse à soi-même en<br />
parcourant la scène imaginaire <strong>de</strong>s souvenirs chargés d’affects. Cette voix qui, le jour<br />
durant, s’est neutralisée pour n’émettre que <strong>de</strong>s formules d’obéissance, cette voix<br />
blanche et captive prend la clef <strong>de</strong>s champs, saute d’un ton à l’autre, s’émerveille <strong>de</strong> ses<br />
pouvoirs. Et ce corps qui, le jour durant, s’annulait sous l’uniforme, reprend possession<br />
<strong>de</strong> lui-même dans l’ivresse d’une résurrection.<br />
Secrète revanche, mais combien savoureuse ! Les patrons faisaient figure <strong>de</strong> grands<br />
premiers rôles, « Marie » n’était qu’un accessoire dont ils jouaient négligemment. Le soir<br />
venu, convoqués par Célestine sur la scène <strong>de</strong> ses fantasmes, ils ne sont plus que <strong>de</strong>s<br />
fantoches, <strong>de</strong>s mannequins, cibles passives <strong>de</strong> sa « folie d’outrage ». Elle est<br />
protagoniste du monodrame, la star d’un one-woman-show.<br />
Au centre du plateau, comme au cœur <strong>de</strong> son obsession, exhaussée sur un socle, la<br />
bicoque abhorrée, le « château » <strong>de</strong>s Lanlaire. C’est une gran<strong>de</strong> maison <strong>de</strong> poupées :<br />
<strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> long, un <strong>de</strong> haut. Quelques marches l’encadrent <strong>de</strong> part et d’autre :tapis<br />
rouge, tringles <strong>de</strong> cuivre. Fermée, c’est « l’immense bâtisse qui a l’air d’une caserne ou<br />
d’une prison » ; Ouverte, vue en coupe labyrinthique, c’est « la sale baraque que quatre<br />
domestiques ne suffiraient pas à tenir en état. Chacun <strong>de</strong> ses étages, chacune <strong>de</strong> ses<br />
pièces est synonyme <strong>de</strong> corvée. Tout est là, en modèle réduit, comme un concentré<br />
d’ennui, <strong>de</strong> besogne répétitive. Tout est là, miniaturisé, jusqu’à la baignoire<br />
quotidiennement récurée, jusqu’au pot <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> <strong>de</strong> madame, ce précieux pot <strong>de</strong><br />
<strong>chambre</strong> <strong>de</strong> porcelaine qu’il faudrait peut-être « envoyer à Londres quand il est fêlé »… !<br />
Non mais … !<br />
A toi <strong>de</strong> jouer Célestine !<br />
Jonathan Duverger & Jean-Marie Villégier<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 6 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
DE LA CRISE À L’AFFAIRE DREYFUS<br />
Une première version a été publiée en feuilleton dans L'Écho <strong>de</strong> Paris, du 20 octobre<br />
1891 au 26 avril 1892 (voir Le <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong> <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>), alors que le romancier<br />
traverse une grave crise morale et littéraire et néglige <strong>de</strong> peaufiner ses feuilletons pour<br />
les publier en volume. Une <strong>de</strong>uxième version, fortement remaniée, a paru dans<br />
la dreyfusar<strong>de</strong> Revue blanche au cours <strong>de</strong> l’hiver 1900.<br />
La forme du journal, qui permet la juxtaposition <strong>de</strong>s séquences, le passage constant du<br />
présent au passé au gré <strong>de</strong>s souvenirs, et le mélange <strong>de</strong>s tons et <strong>de</strong>s genres, contribue à<br />
rompre avec la linéarité du roman traditionnel, avec la priorité <strong>de</strong> l’intrigue et surtout<br />
avec la prétendue objectivité <strong>de</strong>s romans qui se veulent réalistes.<br />
LA POURRITURE DES NANTIS<br />
Mirbeau donne la parole à une soubrette, Célestine, ce qui est déjà subversif en soi, et, à<br />
travers son regard qui perçoit le mon<strong>de</strong> par le trou <strong>de</strong> la serrure, il nous fait découvrir les<br />
nauséabonds <strong>de</strong>ssous du beaumon<strong>de</strong>, les « bosses morales » <strong>de</strong>s classes dominantes et<br />
les turpitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la société bourgeoise qu’il pourfend. Échouée dans un bourg normand,<br />
chez les Lanlaire, au patronyme grotesque, qui doivent leur richesse injustifiable aux<br />
filouteries <strong>de</strong> leurs « honorables » parents respectifs, elle évoque, au fil <strong>de</strong> ses souvenirs,<br />
toutes les places qu’elle a faites <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années, dans les maisons les plus huppées,<br />
et en tire une conclusion que le lecteur est invité à faire sienne : « Si infâmes que soient<br />
les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. »<br />
L’ENFER SOCIAL<br />
Le récit, éminemment démystificateur, constitue une manière d’exploration <strong>pédagogique</strong><br />
<strong>de</strong> l’enfer social, où règne la loi du plus fort, à peine camouflée par les grimaces <strong>de</strong>s<br />
nantis. Forme mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l’esclavage, la condition <strong>de</strong>s domestiques et gens <strong>de</strong> maison,<br />
comme on disait, est dénoncée par la chambrière, que le romancier dote d’une lucidité<br />
impitoyable : « On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage… Ah ! Voilà une bonne blague, par<br />
exemple… Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon <strong>de</strong>s esclaves ?… Esclaves <strong>de</strong> fait,<br />
avec tout ce que l’esclavage comporte <strong>de</strong> vileté morale, d’inévitable corruption, <strong>de</strong><br />
révolte engendreuse <strong>de</strong> haines. » Le domestique est un être « disparate », « un<br />
monstrueux hybri<strong>de</strong> humain », qui « n’est plus du peuple, d’où il sort », sans être pour<br />
autant « <strong>de</strong> la bourgeoisie où il vit et où il tend ». Si tous les serfs <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes<br />
sont condamnés à l’instabilité, à la surexploitation et à <strong>de</strong> perpétuelles humiliations, les<br />
<strong>femme</strong>s <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> sont <strong>de</strong> surcroît traitées comme <strong>de</strong>s travailleuses sexuelles à<br />
domicile, ce qui est souvent le premier pas vers la prostitution.<br />
Mais Mirbeau ne nourrit pour autant aucune illusion sur les capacités <strong>de</strong> révolte <strong>de</strong> la<br />
gent domestique, qui est aliénée idéologiquement et presque toujours corrompue par ses<br />
maîtres : après avoir refusé la place <strong>de</strong> servante-maîtresse que lui propose le<br />
grotesque capitaine Mauger, Célestine, malgré sa lucidité et son dégoût, finit par <strong>de</strong>venir<br />
maîtresse à son tour et par houspiller ses bonnes, dans « le petit café » <strong>de</strong> Cherbourg où<br />
elle a suivi le jardinier-cocher Joseph, antisémite et sadique, enrichi par le vol audacieux<br />
<strong>de</strong> l’argenterie <strong>de</strong>s Lanlaire, et dont elle s’est persuadée qu’il a violé et assassiné une<br />
petite fille…<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 7 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
LA NAUSÉE<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette révolte, sans len<strong>de</strong>main, contre un ordre social hypocrite et injuste, le<br />
journal <strong>de</strong> la chambrière témoigne d’un écœurement existentiel qui est celui du<br />
romancier. Bien avant Sartre, Mirbeau s’emploie en effet à susciter chez nous une<br />
véritable nausée existentielle et met en lumière le tragique <strong>de</strong> la condition humaine en<br />
peignant la vie quotidienne dans tout ce qu’elle a <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> vulgaire et <strong>de</strong> sordi<strong>de</strong>.<br />
Mais, par la magie du style et grâce au secours <strong>de</strong>s mots, qui nous vengent <strong>de</strong> tous nos<br />
maux, le roman-exutoire se révèle paradoxalement tonique et jubilatoire et la nausée<br />
apparaît comme la condition d’une élévation.<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 8 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
ADAPTATIONS CINÉMATOGRAPHIQUES ET THÉÂTRALES<br />
Le <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> a été porté trois fois à l’écran : en 1916, en Russie, par M.<br />
Martov, sous le titre Dnevnik gornitchnoi ; en 1946, par Jean Renoir, aux États-Unis et en anglais,<br />
sous le titre Diary of a Chambermaid, avec Paulette Goddard et Burgess Meredith ; et enfin Le<br />
<strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong> <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>, en 1964 et en français, par l’Espagnol Luis Buñuel, avec Jeanne<br />
Moreau, Georges Géret et Michel Piccoli dans les rôles principaux. Il s’agit, dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers<br />
cas, <strong>de</strong> très libres adaptations du roman, celle <strong>de</strong> Jean Renoir étant particulièrement infidèle.<br />
Le roman, qui se prête admirablement à la théâtralisation, a également donné lieu, à travers le<br />
mon<strong>de</strong>, à <strong>de</strong>s quantités d’adaptations théâtrales dans toutes sortes <strong>de</strong> langues, le plus souvent en<br />
« seule en scène » (one woman show) : plus <strong>de</strong> quarante ont pu être comptabilisées <strong>de</strong>puis 1990.<br />
La plus célèbre, et qui a tourné le plus longtemps, à partir <strong>de</strong> 1982, est celle <strong>de</strong> Jacques Destoop,<br />
avec Geneviève Fontanel dans le rôle <strong>de</strong> Célestine.<br />
En 2007, les comédiennes Virginie Mopin et Karine Ventalon ont interprété la pièce au Guichet<br />
Montparnasse à Paris (Gaieté), dans une adaptation <strong>de</strong> Virginie Mopin créée en 2007. En 2011,<br />
c'est René Bocquier qui a conçu un spectacle <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures, créé à Angers au mois <strong>de</strong> juin, et<br />
repris à Challans en septembre dans une nouvelle scénographie.<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 9 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
PRÉSENTATION DU JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE,<br />
PAR PIERRE MICHEL<br />
LE MANUSCRIT DU JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE<br />
La première mouture du roman a paru en feuilleton dans L'Écho <strong>de</strong> Paris, du 20 octobre<br />
1891 au 26 avril 1892. Mirbeau traverse alors une grave crise morale et conjugale, se<br />
sent frappé d'impuissance et se dit dégoûté <strong>de</strong> la forme romanesque en général et <strong>de</strong><br />
son feuilleton en particulier. Aussi attendra-t-il presque neuf ans avant <strong>de</strong> publier son<br />
roman en volume, en juillet 1900, après l'avoir complètement remanié, et avoir situé le<br />
récit pendant l'affaire Dreyfus, dont il sort plus que jamais dégoûté <strong>de</strong>s hommes.<br />
MISE À NU DES TURPITUDES SOCIALES<br />
Le journal <strong>de</strong> Célestine est d'abord une belle entreprise <strong>de</strong> démolition et <strong>de</strong><br />
démystification. Mirbeau y donne la parole à une chambrière, ce qui est déjà subversif en<br />
soi. Elle perçoit le mon<strong>de</strong> par le trou <strong>de</strong> la serrure et ne laisse rien échapper <strong>de</strong>s "bosses<br />
morales" <strong>de</strong> ses maîtres. Il fait <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s voyeurs autorisés à pénétrer au cœur <strong>de</strong> la<br />
réalité cachée <strong>de</strong> la société, dans les arrière-boutiques <strong>de</strong>s nantis, dans les coulisses du<br />
théâtre du "beau" mon<strong>de</strong>. Il arrache le masque <strong>de</strong> respectabilité <strong>de</strong>s puissants, fouille<br />
dans leur linge sale, débusque les crapuleries camouflées <strong>de</strong>rrière les manières et<br />
les grimaces avantageuses. Et il nous amène peu à peu à faire nôtre le constat vengeur<br />
<strong>de</strong> Célestine : " Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les<br />
honnêtes gens. " Bref, il nous révèle l'envers du décor et le fonds <strong>de</strong> sanie du cœur<br />
humain, mis à nu sans souci <strong>de</strong> la pu<strong>de</strong>ur, qui n'est jamais que le cache-sexe <strong>de</strong><br />
l'hypocrisie. Il réalise ainsi l'objectif qu'il s'était fixé dès 1877 : obliger la société à<br />
" regar<strong>de</strong>r Méduse en face " et à prendre " horreur d'elle-même ".<br />
Le roman est donc conçu comme une exploration <strong>pédagogique</strong> <strong>de</strong> l'enfer social, où<br />
règne la loi du plus fort : le darwinisme social triomphant n'est jamais que la<br />
perpétuation <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> la jungle sous <strong>de</strong>s formes à peine moins brutales, mais<br />
infiniment plus hypocrites. Le "talon <strong>de</strong> fer" <strong>de</strong>s riches, comme disait Jack London, écrase<br />
sans pitié la masse amorphe <strong>de</strong>s exploités, corvéables à merci, qui n'ont pas d'autre droit<br />
que <strong>de</strong> se taire et <strong>de</strong> se laisser sucer le sang sans récriminer, sous peine d'"anarchie" –<br />
comme le déclare le commissaire auprès duquel Célestine va porter plainte pour n'avoir<br />
pas perçu le salaire qui lui est dû.<br />
Loin d'être les meilleurs, comme le proclament les darwiniens, les prédateurs nous<br />
donnent le piteux exemple d'êtres qui ne se définissent que négativement, par l'absence<br />
<strong>de</strong> sensibilité, d'émotion esthétique, <strong>de</strong> conscience morale, <strong>de</strong> spiritualité et d'esprit<br />
critique. Après Flaubert et Bau<strong>de</strong>laire, Mirbeau fait du bourgeois l'incarnation <strong>de</strong> la<br />
lai<strong>de</strong>ur morale, <strong>de</strong> la bassesse intellectuelle et <strong>de</strong> la misère affective et sexuelle, dont les<br />
Lanlaire, au patronyme ridicule, sont les vivants prototypes.<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 10 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
UNE ŒUVRE DE JUSTICE SOCIALE<br />
L'une <strong>de</strong>s turpitu<strong>de</strong>s les plus révoltantes <strong>de</strong> la société bourgeoise est la domesticité,<br />
forme mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l'esclavage : " On prétend qu'il n'y a plus d'esclavage... Ah ! Voilà une<br />
bonne blague, par exemple... Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon <strong>de</strong>s<br />
esclaves ?... Esclaves <strong>de</strong> fait, avec tout ce que l'esclavage comporte <strong>de</strong> vileté morale,<br />
d'inévitable corruption, <strong>de</strong> révolte engendreuse <strong>de</strong> haines. " Et les trafiquants d'esclaves<br />
mo<strong>de</strong>rnes, ce sont ces officines scandaleuses, mais légales, que sont les bureaux <strong>de</strong><br />
placement, relayés par <strong>de</strong>s sociétés prétendument "charitables" ou "philanthropiques",<br />
qui, au nom <strong>de</strong> Dieu ou <strong>de</strong> l'amour du prochain, s'engraissent impunément <strong>de</strong> la sueur et<br />
du sang <strong>de</strong>s nouveaux serfs.<br />
Le domestique est un être déclassé et " disparate ", " un monstrueux hybri<strong>de</strong> humain ",<br />
qui " n'est plus du peuple, d'où il sort ", sans être pour autant " <strong>de</strong> la bourgeoisie où il vit<br />
et où il tend ".<br />
• L'instabilité est son lot : les <strong>femme</strong>s <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> sont ballottées <strong>de</strong> place en place, au<br />
gré <strong>de</strong>s caprices <strong>de</strong>s maîtres.<br />
• Elles sont surexploitées économiquement.<br />
• Elles sont traitées comme <strong>de</strong>s travailleuses sexuelles à domicile – exutoires pour les<br />
maris frustrés, initiatrices pour les fils à déniaiser ou à retenir à la maison.<br />
• Elles sont humiliées à tout propos par <strong>de</strong>s maîtres à l'inébranlable bonne conscience,<br />
qui traitent leur valetaille comme du cheptel.<br />
• Elles sont aliénées idéologiquement par leurs employeurs, et, partant, incapables <strong>de</strong> se<br />
battre à armes égales, parce que hors d'état <strong>de</strong> trouver une nourriture intellectuelle qui<br />
leur laisse un espoir <strong>de</strong> révolte et d'émancipation.<br />
Aussi Mirbeau entend-il à la fois ai<strong>de</strong>r les opprimé(e)s à prendre conscience <strong>de</strong> leur<br />
misérable condition et susciter dans l'opinion publique un scandale tel qu'il oblige les<br />
gouvernants à intervenir pour mettre un terme à cette honte permanente. En nous<br />
obligeant à découvrir l'abus sous la règle, et, sous le vernis <strong>de</strong>s apparences, <strong>de</strong>s horreurs<br />
sociales insoupçonnées, il exprime sa pitié douloureuse pour " les misérables et les<br />
souffrants <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> " auxquels il a " donné son cœur ", comme le lui écrit Zola.<br />
Ce dégoût et cette révolte contre un ordre social inhumain s'enracinent dans<br />
un écœurement existentiel qui perdure ; et la pourriture morale <strong>de</strong>s classes dominantes<br />
reflète la pourriture universelle, d'où germe toute vie. " Il s'exhale du <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong><br />
<strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>une âcre o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> décomposition <strong>de</strong>s chairs et <strong>de</strong> corruption <strong>de</strong>s<br />
âmes, qui place l'œuvre sous le signe <strong>de</strong> la mort ", écrit Serge Duret ; " la loi <strong>de</strong><br />
l'entropie règne sur les corps " – et sur les âmes. Ici, le tragique <strong>de</strong> l'humaine<br />
condition sourd à tout instant <strong>de</strong> l'évocation <strong>de</strong> la quotidienneté dans tout ce qu'elle a <strong>de</strong><br />
vi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> vulgaire et <strong>de</strong> sordi<strong>de</strong>. "L'ennui" dont souffre Célestine, c'est "l'expérience du<br />
vi<strong>de</strong>" évoquée par André Comte-Sponville. Bien avant Sartre, Mirbeau s'emploie à<br />
susciter chez nous une véritable "nausée" existentielle.<br />
LA THÉRAPIE PAR L'ÉCRITURE<br />
Pourtant, si étouffante et morbi<strong>de</strong> que soit l'atmosphère, si décourageante que soit la perspective<br />
<strong>d'une</strong> humanité vouée sans rémission au pourrissement et au néant, une fois <strong>de</strong> plus, l'écrituresupplice<br />
se mue en délicieuse thérapie. Nouvelle illustration <strong>de</strong> la dialectique universelle : ce qui<br />
<strong>de</strong>vrait être source d'écœurement se révèle tonique et jubilatoire ; <strong>de</strong> l'exhibition <strong>de</strong> nos tares naît<br />
un amusement contagieux ; du fond du désespoir s'affirme la volonté d'un mieux qui ai<strong>de</strong> à<br />
supporter moins douloureusement une existence absur<strong>de</strong> ;la nausée n'est que la première étape<br />
indispensable à l'"élévation" et à l’engagement social ; et Mirbeau ne nous enfonce,<br />
<strong>pédagogique</strong>ment, la tête dans la boue, la "charogne" et les "miasmes morbi<strong>de</strong>s", que pour mieux<br />
nous inciter, comme Bau<strong>de</strong>laire, à chercher ailleurs une sérénité, voire un épanouissement<br />
spirituel.<br />
Pierre MICHEL<br />
Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la société Octave Mirbeau (sur http://mirbeau.asso.fr/rlejournal.htm)<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 11 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>
BIBLIOGRAPHIE<br />
La Correspondance inédite Octave Mirbeau - Jules Huret, éditions du Lérot.<br />
Les Cahiers Octave Mirbeau, publiés par la société Octave Mirbeau<br />
Le Dictionnaire Octave Mirbeau, L’Age d’Homme – Société Octave Mirbeau<br />
ROMANS D'OCTAVE MIRBEAU<br />
Le Calvaire (1886).<br />
L'Abbé Jules (1888).<br />
Sébastien Roch (1890).<br />
Dans le ciel (1892-1893, première édition en volume en 1989).<br />
Le Jardin <strong>de</strong>s supplices (1899).<br />
Le <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong> <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> (1900).<br />
Les 21 jours d'un neurasthénique (1901).<br />
La 628-E8 (1907).<br />
Dingo (1913).<br />
Un gentilhomme (1920).<br />
Les Mémoires <strong>de</strong> mon ami (1920 ; nouvelle édition en octobre 2007).<br />
Œuvre romanesque, Editions du Boucher - Société Octave Mirbeau. Cinq romans<br />
écrits comme nègre y sont reproduits en annexe : L’Écuyère, La Maréchale, La<br />
Belle Madame Le Vassart, Dans la vieille rue et La Duchesse Ghislaine.<br />
THÉÂTRE D'OCTAVE D'OCTAVE MIRBEAU<br />
Les Mauvais Bergers (1897).<br />
Les affaires sont les affaires (1903).<br />
Farces et moralités (1904).<br />
Le Foyer (1908).<br />
Théâtre complet, Eurédit, 4 volumes, 2003.<br />
Dialogues tristes, Eurédit, 2006.<br />
TEXTES POLITIQUES ET SOCIAUX D'OCTAVE MIRBEAU<br />
La Grève <strong>de</strong>s électeurs (1902, rééd. 1995, 2002, 2007 et 2009).<br />
Les Grimaces et quelques autres chroniques (1928).<br />
Combats politiques (1990).<br />
Combats pour l’enfant (1990).<br />
L'Affaire Dreyfus (1991).<br />
Lettres <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> (1991).<br />
Paris déshabillé (1991).<br />
Petits poèmes parisiens (1994).<br />
L’Amour <strong>de</strong> la <strong>femme</strong> vénale (1994).<br />
Chroniques du Diable (1995).<br />
Chroniques ariégeoises (1998).<br />
Dreyfusard ! (2009).<br />
Interpellations (2011).<br />
FILMOGRAPHIE<br />
Le <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong> <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong> (The Diary of a Chambermaid), Jean Renoir, 1946<br />
Le <strong>Journal</strong> <strong>d'une</strong> <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>, Luis Buñuel, 1964<br />
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong> - 12 – <strong>Journal</strong> d’une <strong>femme</strong> <strong>de</strong> <strong>chambre</strong>