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Contes Chinois & une nouvelle de Marguerite yourcenar

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d'avoir un fils aussi fort et aussi courageux.<br />

Wang et sa mère mènent <strong>une</strong> vie paisiblement heureuse si ce n'est la présence dans la maison d'à côté <strong>de</strong><br />

l'usurier Yu. Ils sont constamment ennuyés par lui. Le vieil homme est mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> jalousie <strong>de</strong>vant la force et la<br />

je<strong>une</strong>sse <strong>de</strong> Wang et il ne rate auc<strong>une</strong> occasion pour tourmenter le je<strong>une</strong> homme et sa mère. Sans cesse, il<br />

leur fait <strong>de</strong>s remarques désobligeantes. Bien sûr, c'est <strong>de</strong> la méchanceté gratuite mais au fil <strong>de</strong>s jours, les<br />

remarques commencent à peser sur Wang et sa mère.<br />

Un soir alors que Wang est assis dans le jardin <strong>de</strong>vant la maisonnette, Yu <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à la veuve :<br />

-« Comment se fait-il que ton fils vive toujours chez toi ? Il me semblait que les je<strong>une</strong>s <strong>de</strong> son âge étaient<br />

mariés <strong>de</strong>puis bien longtemps. Sans doute, les je<strong>une</strong>s filles <strong>de</strong> Lu-Lung ne sont pas assez bien pour lui et il<br />

attend <strong>une</strong> princesse… »<br />

La veuve très digne le toise avant <strong>de</strong> lui répondre :<br />

- « Après tout, pourquoi pas ? Ton idée n'est pas si bête en somme. Wang est le je<strong>une</strong> homme le plus beau et<br />

le plus courageux <strong>de</strong> toute la région. Une princesse ferait certainement <strong>une</strong> bonne affaire en l'épousant! »<br />

L'usurier se met à rire et dit :<br />

- « Dans ce cas, il risque d'attendre très longtemps. Dans la région, il n'y a pas <strong>de</strong> princesse! » mais fort en<br />

colère et dépité, il rentre chez lui en claquant la porte <strong>de</strong> son logis.<br />

La veuve se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> bien pourquoi un vieil homme peut être encore aussi méchant. S'il était plus gentil, il<br />

serait sans aucun doute plus heureux et tout le mon<strong>de</strong> l'aimerait… Elle regar<strong>de</strong> son fils avec <strong>de</strong>s yeux emplis<br />

<strong>de</strong> tendresse et lui dit :<br />

- « C'est vrai dans le fond ! Je suis certaine qu'<strong>une</strong> princesse serait très heureuse avec toi! »<br />

Wang sourit :<br />

- « Le voisin a raison : il n'y a pas <strong>de</strong> princesse dans la région. Et, puis, si j'en trouvais <strong>une</strong>, comment pourrionsnous<br />

l'accueillir dans cette petite maison? »<br />

Wang se lève et prend gentiment sa maman par l'épaule.<br />

-« Viens », dit-il, « Rentrons. Il est inutile <strong>de</strong> rêver. Jouons plutôt <strong>une</strong> part <strong>de</strong> dominos. »<br />

Les années passent. Rien <strong>de</strong> bien important n'arrive dans la vie <strong>de</strong> Wang et <strong>de</strong> sa mère. Le garçon <strong>de</strong>vient <strong>de</strong><br />

plus en plus beau et <strong>de</strong> plus en plus fort, mais ne parle toujours pas <strong>de</strong> se marier. Sa mère est hantée par les<br />

paroles du vieil usurier et ne peut que soupirer. Il lui semble parfois que son fils attend vraiment <strong>une</strong> princesse<br />

qui accepte <strong>de</strong> l'épouser...<br />

Un jour, alors que Wang est en train d'étudier dans sa chambre, il entend un bruit inattendu. Il regar<strong>de</strong> vers la<br />

statuette <strong>de</strong> Bouddha qui trône dans la pièce et aussitôt, la porte s'ouvre et un délicieux, un enivrant, un subtil<br />

parfum <strong>de</strong> glycine envahit les lieux. Dans l'embrasure <strong>de</strong> la porte, se tient <strong>une</strong> très je<strong>une</strong> femme. Elle porte un<br />

kimono <strong>de</strong> couleur mauve <strong>de</strong> la même couleur que ses yeux et que les rubans qui nouent ses longs cheveux<br />

noirs. A son cou, brille un collier <strong>de</strong> perles éclatantes et, sur ses mains très blanches, scintillent <strong>de</strong>s saphirs et<br />

<strong>de</strong>s diamants. Wang n'en croit pas ses yeux. Il pense qu'il rêve. Il doit être tombé endormi alors qu'il étudiait.<br />

Son imagination surexcitée lui joue un tour…<br />

La je<strong>une</strong> femme s'avance vers lui et dit d'<strong>une</strong> voix cristalline :<br />

- « Non, Wang, tu ne rêves pas. Je suis la princesse <strong>de</strong> la Forêt <strong>de</strong>s Glycines et je suis venue jusqu'ici pour te<br />

dire que je veux t'épouser. »<br />

Gêné, le je<strong>une</strong> homme ne sait pas quoi répondre. Il sent les murs <strong>de</strong> sa chambre qui se rétrécissent. Lui<br />

<strong>de</strong>vient minuscule face à tant <strong>de</strong> beauté. Il regar<strong>de</strong> désespérément son mobilier sans valeur. Il ne possè<strong>de</strong><br />

même pas le moindre ca<strong>de</strong>au à offrir à la princesse en signe <strong>de</strong> bienvenue... La seule pièce <strong>de</strong> valeur qui lui<br />

appartient est le jeu <strong>de</strong> dominos en ivoire. C'est là sa seule richesse. Il le dépose aux pieds <strong>de</strong> la jolie visiteuse<br />

qui se met à battre <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> joie en ouvrant la petite boîte laquée.<br />

« Tu aimes donc jouer aux dominos ? », <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-elle toute à la fois ravie et surprise et tout aussitôt, elle<br />

dispose les pièces sur la petite table et invite Wang à venir s'asseoir auprès d'elle pour disputer <strong>une</strong> partie.<br />

Le je<strong>une</strong> homme, bon joueur, a bien du mal à se concentrer. Son regard est sans cesse attiré par sa trop belle<br />

partenaire!<br />

-« J'ai gagné! », s'exclame celle-ci peu après en arborant un très large sourire. « Je dois reconnaître que je n'ai<br />

jamais affronté un aussi redoutable adversaire. Lorsque nous serons mariés, nous nous mesurerons chaque<br />

jour aux dominos! »<br />

- « Donc... », balbutie Wang avec beaucoup d'efforts, « donc, vous parliez sérieusement lorsque vous disiez<br />

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