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Contes Chinois & une nouvelle de Marguerite yourcenar

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Le vieil usurier, soucieux <strong>de</strong> ne pas courir un tel risque, se hâte d'entrer en contact avec les quatre soldats<br />

chargés d'emmener Wang dans la capitale et, pour <strong>une</strong> poignée <strong>de</strong> pièces d'argent, ceux-ci lui promettent <strong>de</strong><br />

tuer le je<strong>une</strong> homme durant le trajet.<br />

La route qui conduit à la capitale traverse les montagnes et les ravins escarpés. Le chemin est long et les<br />

gar<strong>de</strong>s auront bien l'occasion <strong>de</strong> faire disparaître le prisonnier. Au moment où ils s'apprêtent à pousser Wang<br />

dans un précipice, un énorme tigre surgit. Effrayés par le félin, <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s hommes reculent et tombent dans le<br />

ravin, tandis que les autres, sans <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r leur reste, prennent leurs jambes à leur cou et s'enfuient !<br />

Wang est tombé lour<strong>de</strong>ment sur le sol. Son front a heurté un rocher. Il reste là, étendu sans connaissance alors<br />

le tigre le saisit par la ceinture et l'emporte dans la forêt.<br />

C'est un parfum <strong>de</strong> glycines en fleurs qui pénètre dans ses narines, qui réveille Wang. Il ouvre les yeux et se<br />

trouve dans l'herbe, face à un magnifique palais <strong>de</strong> porcelaine, couvert <strong>de</strong> mauves corolles odorantes.<br />

A l'entrée du palais, se tient la jolie princesse. Mais son regard est dur. Wang veut aller vers elle, mais, d'un<br />

seul geste, elle lui fait comprendre <strong>de</strong> ne pas bouger et d'un ton sévère elle lui dit :<br />

- "Wang, tu ne m'as pas écoutée. Je t'avais <strong>de</strong>mandé d'attendre la prochaine l<strong>une</strong> avant <strong>de</strong> construire notre<br />

maison. Maintenant, le malheur a fondu sur toi. Tu dois te rendre chez le juge, pour lui prouver ton innocence<br />

sinon tu ne pourras plus jamais trouver le repos. Par la suite, tu retourneras ensuite à Lu-Lung afin consoler ta<br />

pauvre mère qui est mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> chagrin <strong>de</strong>puis le jour où les soldats t'ont emmené! "<br />

Le je<strong>une</strong> homme est anéanti. C'est vrai, il aurait dû attendre la pleine l<strong>une</strong>... Mais il était tellement impatient <strong>de</strong><br />

la revoir et voilà qu'il l'a retrouvée et qu'elle le renvoie !<br />

- "Allons", dit-elle, "avant que tu ne partes, je vais te faire don d'un talisman. "<br />

Elle prend <strong>une</strong> cor<strong>de</strong> qu'elle noue avec soin à la taille <strong>de</strong> Wang. Et avec douceur, elle ajoute :<br />

- "Les nœuds que j'ai fait dans cette cor<strong>de</strong> sont magiques. En cas <strong>de</strong> besoin, il te suffit d'en défaire un et tu<br />

seras sauvé. Pars vite, maintenant! "<br />

Wang regar<strong>de</strong> tristement la princesse, désespéré <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir la quitter. Dans un profond soupir, il s'en va vers la<br />

capitale.<br />

Le sentier qu'il prend monte et <strong>de</strong>scend sans cesse. Plusieurs fois, il s'en faut <strong>de</strong> peu qu'il ne tombe en butant<br />

sur <strong>une</strong> pierre. Des branches lui fouettent le visage et, bientôt, il se met à pleuvoir. Wang poursuit<br />

courageusement sa route. La pensée <strong>de</strong> la jolie princesse lui donne sans cesse <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s forces. Il a déjà<br />

parcouru <strong>une</strong> bonne partie du chemin, lorsqu'il débouche sur un plateau ari<strong>de</strong> et désolé. La pluie ne tombe<br />

plus. Derrière les sombres nuages, il peut même apercevoir le soleil, dont les rayons éclairent sans l'égayer ce<br />

triste paysage. Seuls quelques arbres tordus rompent, çà et là, cette lugubre monotonie.<br />

Soudain, un nuage <strong>de</strong> poussière masque l'horizon. Portant la main au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses yeux, Wang scrute le<br />

lointain. Très rapi<strong>de</strong>ment, le nuage se transforme en <strong>une</strong> armée <strong>de</strong> cavaliers armés jusqu'aux <strong>de</strong>nts. Leurs<br />

armes scintillent sous le soleil. Ils arrivent à toute vitesse dans sa direction... "Que va-t-il m'arriver, maintenant?<br />

", pense Wang tristement. "N'ai-je pas encore subi assez <strong>de</strong> malheurs? Ces hommes ont sûrement l'intention<br />

<strong>de</strong> m'attaquer. Lorsqu'ils s'apercevront que je ne porte aucun objet <strong>de</strong> valeur, ils me tueront probablement par<br />

dépit! "<br />

Il n'a plus le temps <strong>de</strong> s'enfuir et puis, où se serait-il caché? Il n'y a rien que du roc et <strong>de</strong> la pierre.<br />

Bientôt, les cavaliers sont <strong>de</strong>vant lui. Le chef <strong>de</strong> la troupe s'approche à quelques mètres et Wang observe<br />

craintivement sa silhouette impressionnante, fièrement campée sur sa monture et soudain, il le reconnaît :<br />

- "Yang! ", crie-t-il. "Yang, mon ami, est-ce vraiment toi?"<br />

Il lui tend joyeusement la main pour le saluer. Un large sourire aux lèvres, Yang se pencha vers lui.<br />

- "Tu acceptes donc encore <strong>de</strong> me parler, Wang?", <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-il, tout content. "Tu ne refuses pas <strong>de</strong> serrer la<br />

main à un voleur <strong>de</strong> mon espèce? "<br />

- "Je n'ai jamais pu croire à un pareil mensonge", répond Wang.<br />

- "Alors, laisse-moi te conter comment tout cela est arrivé", dit Yang en serrant fermement la main du je<strong>une</strong><br />

homme en signe d'amitié. "Pendant <strong>de</strong>s années, j'ai vécu, à la cour, en tant que commandant <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong><br />

impériale, au sein d'un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> faste et d'apparat. Mais aussi dans un mon<strong>de</strong> méprisable, comme je l'ai<br />

découvert plus tard car la plupart <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la cour n'ont pas gagné leur fort<strong>une</strong> honnêtement.<br />

Pendant qu'ils parlent, les <strong>de</strong>ux amis se tiennent toujours la main afin <strong>de</strong> se témoigner leur confiance. Puis,<br />

Yang <strong>de</strong>scend <strong>de</strong> sa monture et tous les <strong>de</strong>ux vont s'asseoir à l'écart. Yang poursuit :<br />

- "La richesse dont jouissent ces riches seigneurs, ils l'ont volée aux pauvres gens. Car ils l'ont obtenue en<br />

imposant <strong>de</strong> très lour<strong>de</strong>s amen<strong>de</strong>s pour <strong>de</strong> petits délits et en exigeant d'importants fermages. "<br />

Wang acquiesce. Il connaît bien cette histoire... Depuis <strong>de</strong> longues années, la population vit opprimée à cause<br />

<strong>de</strong>s cruelles mesures adoptées par les grands propriétaires terriens. De nombreux abus <strong>de</strong> cette espèce ont<br />

été commis dans les environs du Lu-Lung. Certains paysans, incapables <strong>de</strong> payer le fermage, envoient même<br />

leurs enfants mendier en ville.<br />

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