Analyse du comportement suicidaire sur le pont Jacques ... - Crise

De la même manière, Pommerau, Tedo et Penouil (1989) identifient également les composantes
symboliques reliées au saut d’une hauteur et notamment les notions de traversée («crossing
over») et de transgression. Par ailleurs, tout ce symbolisme semble reposer, du moins en partie,
sur une mythologie populaire qui estime qu’un suicide du haut d’un pont se réalise facilement,
sans heurts, et que la personne en cause disparaît doucement sous les vagues (Seiden, 1978).
Pour certains Québécois suicidaires, une composante symbolique est donc possiblement plus
ou moins associée au pont Jacques-Cartier de Montréal, laquelle valeur ne serait d’ailleurs que
renforcée dans l’éventualité du soulignement prochain de son anniversaire. Cette composante
semble également présente dans d’autres lieux qui ont une certaine résonance médiatique,
comme le Bloor Street Viaduct de Toronto. On souligne ainsi que ce dernier était considéré au
début (1918) comme un «symbol of Toronto’s future» (Gray, 2003). Quoi qu’il en soit, l’ensemble
des études qui viennent d’être présentées indique bien que plusieurs individus vont privilégier
une méthode particulière pour se suicider, sinon un lieu particulier. Il en découle ainsi que ces
individus ne reporteraient pas facilement leurs projets suicidaires sur d’autres moyens ou sur
d’autres lieux.
III. A. 2. Crise limitée dans le temps
Il est reconnu qu’une crise suicidaire est habituellement limitée dans le temps et que, si son
issue fatale est empêchée, la crise ne se répétera pas ou bien de l’aide sera rendue disponible
entre-temps. Au pire, l’individu suicidaire dépourvu de sa méthode privilégiée de suicide devrait
se rabattre sur une autre, moins létale. En effet, des éléments d’impulsivité passagère sont
identifiés comme importants dans les comportements suicidaires, plus particulièrement chez les
jeunes, mais encore plus spécifiquement dans les suicides réalisés à partir d’une hauteur
(Pommerau, Tedo & Penouil, 1989). En parallèle, il faut voir aussi que l’ambivalence est typique
du cheminement suicidaire (Centers for Desease Control and Prevention, 1992, p. 147), ce qui a
justement été relevé auprès des personnes suicidaires qui téléphonent dans les services
d’urgence psychiatrique à partir des téléphones installés sur les ponts (Glatt, 1987). Le
Graphique 2 illustre justement le cheminement des individus suicidaires (des jeunes, dans ce
cas particulier) qui, advenant une contrainte par rapport à un moyen très létal, en viennent à
choisir un moyen moins létal ou bien à être pris en charge, le tout amenant finalement une
diminution du nombre total de tentatives et de suicides.
Marc Daigle (2003). Analyse du comportement suicidaire sur le Pont Jacques-Cartier
16