Analyse du comportement suicidaire sur le pont Jacques ... - Crise

III. B. Études au niveau des populations
Si les individus semblent avoir des préférences pour une méthode particulière de suicide et s’ils
vivent essentiellement des crises passagères, un éventuel contrôle d’un moyen particulier ne
devrait donc pas entraîner une augmentation dans l’utilisation d’un autre moyen. Du même fait,
les taux globaux, pour l’ensemble des suicides, devraient également diminuer, toutes choses
demeurant égales par ailleurs. C’est ce que devraient nous confirmer les études au niveau des
populations. Or, il faut bien voir que les effets directs d’un contrôle d’un moyen (de se suicider),
autant qu’un éventuel déplacement vers d’autres moyens, sont difficilement observables lorsque
le moyen ciblé est déjà peu utilisé dans la population. Au niveau statistique, la preuve d’un
phénomène quelconque est alors beaucoup plus difficile à établir. C’est le cas des suicides
réalisés (ou non) à partir des ponts et d’un éventuel déplacement vers d’autres moyens (Gunnell
& Nowers, 1997). D’où l’intérêt d’élargir la discussion à ce qui a été dit sur des moyens
beaucoup plus fréquemment utilisés et (relativement) contrôlables, comme les armes à feu par
exemple. Comme il a été dit précédemment, de telles études ne sont cependant pas pertinentes
dans le cas de moyens qui sont souvent utilisés, comme la pendaison, mais qui ne peuvent pas
vraiment être restreints sauf en milieux fermés (hôpitaux psychiatriques, prisons, Centres
Jeunesse…).
Prévost, Julien, et Brown (1995), suite à la recension (très) partielle des écrits qu’ils ont publiée,
avançaient que «dans l’ensemble, le nombre de suicides demeurerait inchangé» (p. 16) suite à
des contraintes environnementales. Néanmoins, ils retenaient plus loin que «la question de
déplacement des suicides pourrait (…) varier selon les moyens en cause» (p. 17). Dans leur
article publié l’année suivante, Prévost, Julien, et Brown (1996) parlent plutôt de «several
convincing examples of the net effectiveness of limiting access to means of suicide» (p. 379). Ils
citent alors de nouveau Clarke et Lester (1989) qui, dans un livre au titre très explicite (Suicide :
Closing the exits), ont examiné spécifiquement les risques de déplacement vers d’autres
méthodes de suicide.
Il importe donc de distinguer ce qu’il en est au niveau des différentes méthodes utilisées et c’est
pourquoi nous reprenons ici le type de classification utilisée plus haut. C’est ainsi que nous
présentons, successivement, les possibilités de déplacement suite au contrôle (1) des gaz
toxiques, (2) des armes à feu, (3) des médicaments puis, finalement, (4) des ponts.
III. B. 1. Gaz toxiques
Lester (1988) avance qu’une des découvertes les plus remarquables («one of the more
remarkable findings in recent years») est la démonstration que la disponibilité réduite à une
méthode de suicide réduit effectivement le taux global de suicide dans une région. Lester
(1988), mais aussi Clarke et Mayhew (1988) et Clarke et Lester (1989), invoquent justement la
démonstration qui a été faite que la détoxication des gaz domestiques en Grande-Bretagne a
réduit considérablement le nombre de suicides par cette méthode mais aussi les taux globaux
de suicide (diminution du tiers des suicides).
En fait, c’est Kreitman (1976) qui a été l’un des premiers à noter qu’un moindre accès à un
moyen (les gaz toxiques, dans ce cas-ci) n’amenait pas un déplacement vers un autre moyen.
Kreitman a ainsi mis en relief la diminution globale des taux de suicide et de la toxicité des gaz
domestiques au Royaume-Uni. L'empoisonnement par les gaz domestiques ayant toujours été
privilégié par les suicidaires de ce pays (49,8% en 1958), la diminution de la nocivité de ces gaz
Marc Daigle (2003). Analyse du comportement suicidaire sur le Pont Jacques-Cartier
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