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Analyse du comportement suicidaire sur le pont Jacques ... - Crise

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Marc Daig<strong>le</strong>, Ph.D., Psychologue<br />

<strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong><br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

Rapport d’expertise remis à la<br />

Société des Ponts <strong>Jacques</strong>-Cartier et Champlain Inc<br />

1 er octobre 2003<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier


Résumé<br />

Le contrô<strong>le</strong> des moyens disponib<strong>le</strong>s pour se suicider, dont l’installation de barrières anti-saut <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s <strong>pont</strong>s, n’est qu’une des facettes de la prévention <strong>du</strong> suicide. L’efficacité d’un contrô<strong>le</strong> exercé<br />

au niveau d’un moyen particulier n’en est pas moins démontrée, <strong>du</strong> moins pour ce qu’il en est<br />

des gaz toxiques, des armes à feu, des médicaments et des <strong>pont</strong>s. De plus, au niveau des<br />

indivi<strong>du</strong>s, <strong>le</strong>s études semb<strong>le</strong>nt démontrer qu’il existe chez plusieurs une préférence pour une<br />

méthode particulière de se suicider, ce qui limiterait la possibilité d’un déplacement (report vers<br />

une autre méthode pour se suicider). De la même façon, <strong>le</strong> fait que la crise <strong>suicidaire</strong> soit très<br />

souvent passagère (et même influencée par l’ambiva<strong>le</strong>nce ou l’impulsivité) laisse croire qu’un<br />

indivi<strong>du</strong> donné, limité dans l’accès à un moyen, ne reporterait pas son projet à plus tard ou <strong>sur</strong><br />

un autre moyen. Au niveau de l’étude des populations, <strong>le</strong>s démonstrations scientifiques sont<br />

parfois plus diffici<strong>le</strong>s à établir. Néanmoins, il semb<strong>le</strong> que, si un déplacement apparaissait vers<br />

d’autres méthodes, il ne s’exercerait que partiel<strong>le</strong>ment et à plus long terme. Au moins deux<br />

exemp<strong>le</strong>s importants illustrent ce constat au niveau des populations : celui de la détoxication<br />

des gaz domestiques et celui des lois contrôlant l’accès aux armes à feu. Pour ce qu’il en est<br />

plus spécifiquement des contrô<strong>le</strong>s exercés <strong>sur</strong> des <strong>pont</strong>s, <strong>le</strong>s évaluations statistiques sont<br />

limitées par <strong>le</strong> nombre relativement faib<strong>le</strong> de suicides qui y <strong>sur</strong>viennent. Néanmoins, <strong>le</strong>s<br />

quelques rares études répertoriées <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet concluent à une spécificité propre non seu<strong>le</strong>ment<br />

aux suicides réalisés à partir des <strong>pont</strong>s mais aussi aux suicides réalisés à partir d’un certain<br />

<strong>pont</strong>. D’où <strong>le</strong> peu de chance que des déplacements vers d’autres moyens soient observés, à<br />

court ou moyen terme, suite à l’installation de barrières anti-saut.<br />

Le présent rapport s’appuie essentiel<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> des données scientifiques, publiées la plupart<br />

<strong>du</strong> temps dans des revues internationa<strong>le</strong>s révisées par des pairs des chercheurs concernés.<br />

Les artic<strong>le</strong>s ont été recensés, par <strong>le</strong> psychologue consultant, dans sa banque de données<br />

personnel<strong>le</strong>, aux centres de documentation <strong>du</strong> Centre de recherche et d’intervention <strong>sur</strong> <strong>le</strong><br />

suicide et l’euthanasie (CRISE, Montréal) et <strong>du</strong> Suicide Information and E<strong>du</strong>cation Center<br />

(SIEC, Alberta), de même que <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s sites WEB pertinents. La littérature qui a été consultée,<br />

sinon lue en profondeur <strong>le</strong> plus souvent, était essentiel<strong>le</strong>ment américaine, anglaise ou<br />

australienne. En effet, seuls trois documents officiels sont spécifiques aux suicides <strong>sur</strong>venus <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier. Les artic<strong>le</strong>s répertoriés ici répondent donc <strong>le</strong> plus souvent au critère <strong>le</strong><br />

plus rigoureux que nous puissions espérer, soit la révision par des pairs participant à l’édition<br />

des revues scientifiques internationa<strong>le</strong>s. Par contre, pour ce qu’il en est précisément <strong>du</strong> contenu<br />

de ces recherches reconnues scientifiquement, il faut voir qu’il ne répond pas nécessairement à<br />

tous <strong>le</strong>s critères de la recherche dite «expérimenta<strong>le</strong>», ce qui est souvent <strong>le</strong> cas en psychologie.<br />

En effet, des devis de recherche véritab<strong>le</strong>ment «expérimentaux» ne peuvent pas être utilisés ici.<br />

Cela supposerait une «expérience» où nous manipu<strong>le</strong>rions de grands ensemb<strong>le</strong>s d’êtres<br />

humains et des investissements considérab<strong>le</strong>s, ce qui serait non seu<strong>le</strong>ment très diffici<strong>le</strong>, mais<br />

éga<strong>le</strong>ment pas très éthique. Toutes ces contraintes n’empêchent quand même pas que nous<br />

pouvons affirmer que <strong>le</strong>s recherches répertoriées sont très fiab<strong>le</strong>s dans la plupart des cas. Par<br />

contre, el<strong>le</strong>s ne permettent pas de pouvoir en arriver à des conclusions hors de tout doute,<br />

comme en science expérimenta<strong>le</strong>. Néanmoins, comme nous l’avons vu plus haut, <strong>le</strong>s cas<br />

étudiés indiquent bien, selon l’état actuel des connaissances scientifiques, que <strong>le</strong> risque de<br />

déplacement vers d’autres moyens de se suicider, advenant l’installation de barrières anti-saut<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier, soit relativement faib<strong>le</strong>, <strong>du</strong> moins à court et à moyen termes.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

2


Tab<strong>le</strong> des matières<br />

Résumé ........................................................................................................................................ 2<br />

Intro<strong>du</strong>ction ................................................................................................................................. 4<br />

Mandat et démarches effectuées par <strong>le</strong> consultant ................................................................. 4<br />

I. Aspects multip<strong>le</strong>s de la prévention <strong>du</strong> suicide ..................................................................... 6<br />

II. Efficacité <strong>du</strong> contrô<strong>le</strong> des moyens ........................................................................................ 8<br />

II. A. Gaz toxiques ..................................................................................................................... 9<br />

II. B. Armes à feu....................................................................................................................... 9<br />

II. C. Médicaments et autres substances toxiques.................................................................... 9<br />

II. D. Ponts............................................................................................................................... 10<br />

III. Évaluation des risques de déplacement ............................................................................ 11<br />

III. A. Études au niveau des indivi<strong>du</strong>s ..................................................................................... 11<br />

III. A. 1. Préférence pour une méthode particulière de se suicider...................................... 11<br />

III. A. 2. <strong>Crise</strong> limitée dans <strong>le</strong> temps .................................................................................... 16<br />

III. B. Études au niveau des populations ................................................................................. 18<br />

III. B. 1. Gaz toxiques .......................................................................................................... 18<br />

III. B. 2. Armes à feu............................................................................................................ 20<br />

III. B. 3. Médicaments et autres substances toxiques ......................................................... 20<br />

III. B. 4. Ponts...................................................................................................................... 21<br />

Conclusion................................................................................................................................. 23<br />

Références ................................................................................................................................. 26<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

3


Intro<strong>du</strong>ction<br />

En octobre 2002, <strong>le</strong> Groupe de travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier déposait<br />

son rapport : Un <strong>pont</strong> sécuritaire pour tous. Recommandations <strong>du</strong> groupe de travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s<br />

suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier. Ce comité faisait <strong>le</strong>s propositions suivantes :<br />

Les deux recommandations principa<strong>le</strong>s sont :<br />

· d’instal<strong>le</strong>r des barrières anti-saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier;<br />

· d’identifier trois ou quatre hôpitaux qui accueil<strong>le</strong>raient et planifieraient <strong>le</strong> suivi des personnes<br />

qui font des tentatives de suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier.<br />

Les autres recommandations sont :<br />

· d’instal<strong>le</strong>r des téléphones dédiés et des affiches <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong>;<br />

· d’implanter une équipe de patrouil<strong>le</strong> civi<strong>le</strong> à vélo <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong>;<br />

· de favoriser <strong>le</strong> dépistage des personnes <strong>suicidaire</strong>s en faisant appel à des groupes ciblés et<br />

en utilisant des caméras de <strong>sur</strong>veillance;<br />

· d’as<strong>sur</strong>er la formation des acteurs en première ligne et la mise à jour régulière de cel<strong>le</strong>-ci;<br />

· de sensibiliser <strong>le</strong>s médias au phénomène de contagion et de favoriser une couverture<br />

médiatique responsab<strong>le</strong> pour ré<strong>du</strong>ire <strong>le</strong>s risques de suicide;<br />

· de mettre en place un mécanisme de suivi des recommandations.<br />

Ces propositions ont éga<strong>le</strong>ment eu un impact dans <strong>le</strong> Plan montréalais d'amélioration de la<br />

santé et <strong>du</strong> bien-être 2003-2006 de la Régie régiona<strong>le</strong> de la santé et des services sociaux de<br />

Montréal-centre (2003, p. 59). Dans sa liste d’«actions proposées», <strong>le</strong> plan prévoit en effet de<br />

«collaborer à ré<strong>du</strong>ire l'accès à des moyens de suicide et à améliorer la prise en charge et <strong>le</strong><br />

suivi des personnes <strong>suicidaire</strong>s par la concertation intersectoriel<strong>le</strong> amorcée avec <strong>le</strong> groupe de<br />

travail <strong>sur</strong> la prévention <strong>du</strong> suicide au <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier». Il faut voir aussi que <strong>le</strong>s<br />

recommandations <strong>du</strong> groupe de travail s’inscrivent dans l’esprit de ce qui était déjà évoqué, en<br />

1998, dans la Stratégie québécoise d’action face au suicide adoptée par <strong>le</strong> ministère de la Santé<br />

et des Services sociaux <strong>du</strong> Québec (voir notamment la page 45 <strong>du</strong> document ministériel).<br />

Rappelons au passage que cette stratégie avait fait auparavant l’objet d’une vaste consultation<br />

et qu’el<strong>le</strong> était donc sensée refléter un large consensus dans la population québécoise et, plus<br />

particulièrement, dans la communauté des chercheurs et intervenants en prévention <strong>du</strong> suicide.<br />

Ceci étant précisé, <strong>le</strong> présent rapport s’intéresse uniquement à la première recommandation <strong>du</strong><br />

Groupe de travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier, soit «d’instal<strong>le</strong>r des barrières<br />

anti-saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier» (étant compris que cela puisse aussi inclure l’obstruction<br />

des ouvertures existant entre <strong>le</strong> tablier <strong>du</strong> <strong>pont</strong> et <strong>le</strong>s trottoirs, de même que l’installation de<br />

«colliers» empêchant de gravir la structure <strong>du</strong> <strong>pont</strong>).<br />

Mandat et démarches effectuées par <strong>le</strong> consultant<br />

Selon <strong>le</strong>s termes <strong>du</strong> contrat conclu avec la firme Tecsult, el<strong>le</strong>-même contractante auprès de la<br />

Société des Ponts <strong>Jacques</strong>–Cartier et Champlain Inc, <strong>le</strong> consultant psychologue devait «offrir<br />

une prestation d’expert en analyse psychologique <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong>. Le Sous-traitant<br />

devra fournir une opinion objective et impartia<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> bien-fondé d’une tel<strong>le</strong> installation<br />

nonobstant <strong>le</strong>s différentes opinions déjà véhiculées dans <strong>le</strong> passé à ce sujet. En particulier, <strong>le</strong><br />

risque de déplacement des suicides vers d’autres modes ou d’autres lieux devra être estimé. De<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

4


plus, <strong>le</strong> sous-traitant devra statuer <strong>sur</strong> <strong>le</strong> risque de report des suicides depuis <strong>le</strong>s cheminements<br />

piétons/cyclistes vers la chaussée <strong>du</strong> <strong>pont</strong>».<br />

Le psychologue consultant a donc effectué des recherches de documents dans sa banque de<br />

données personnel<strong>le</strong>, aux centres de documentation <strong>du</strong> Centre de recherche et d’intervention<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong> suicide et l’euthanasie (CRISE, Montréal) et <strong>du</strong> Suicide Information and E<strong>du</strong>cation Center<br />

(SIEC, Alberta), de même que <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s sites WEB pertinents. La littérature qui a été consultée,<br />

sinon lue en profondeur <strong>le</strong> plus souvent, était essentiel<strong>le</strong>ment américaine, anglaise ou<br />

australienne. En effet, seuls trois documents officiels sont spécifiques aux suicides <strong>sur</strong>venus <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier, <strong>le</strong>s deux premiers recoupant par ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s mêmes informations :<br />

Prévost, C., Julien, M., & Brown, B. P. (1995). Suicides associés au <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier de<br />

1988 à 1993; analyse descriptive et proposition d'intervention. Longueuil : Direction de la santé<br />

publique de la Montérégie. Régie régiona<strong>le</strong> de la santé et des services sociaux.<br />

Prévost, C., Julien, M., & Brown, B. P. (1996). Suicides associated with the <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

Bridge, Montreal, Quebec 1988-1993: Descriptive analysis and intervention proposal. Canadian<br />

Journal of Public Health, 87(6), 377-380.<br />

Groupe de travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier (2002). Un <strong>pont</strong> sécuritaire<br />

pour tous. Recommandations <strong>du</strong> groupe de travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-<br />

Cartier. Montréal: RRSSS de Montréal-Centre.<br />

Le consultant a éga<strong>le</strong>ment participé à des entretiens téléphoniques et à des rencontres de<br />

travail, il a visité <strong>le</strong> site, il a analysé et synthétisé l’ensemb<strong>le</strong> des données scientifiques<br />

disponib<strong>le</strong>s et il a fina<strong>le</strong>ment rédigé <strong>le</strong> présent rapport. Par contre, <strong>le</strong> consultant s’est abstenu de<br />

contacter des indivi<strong>du</strong>s ou des groupes de pression, ne serait-ce qu’à cause de son obligation<br />

de confidentialité. Les conclusions qui sont exprimées dans ce rapport reposent donc<br />

essentiel<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> des aspects scientifiques et ceci selon <strong>le</strong>s normes habituel<strong>le</strong>ment utilisées<br />

en recherche. Le rapport est présenté en trois parties et il s’intéresse (1) aux aspects multip<strong>le</strong>s<br />

de la prévention <strong>du</strong> suicide, (II) à l’efficacité <strong>du</strong> contrô<strong>le</strong> des moyens et (III) à l’évaluation des<br />

risques de déplacement.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

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I. Aspects multip<strong>le</strong>s de la prévention <strong>du</strong> suicide<br />

La recommandation «d’instal<strong>le</strong>r des barrières anti-saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier» ne concerne<br />

qu’un des aspects de la prévention <strong>du</strong> suicide qui peut être mise en oeuvre dans une société. Le<br />

Graphique 1 permet de resituer cette démarche essentiel<strong>le</strong>ment «environnementa<strong>le</strong>» dans<br />

l’ensemb<strong>le</strong> de ce qui peut être fait. Les membres <strong>du</strong> Groupe de travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s suicides depuis <strong>le</strong><br />

<strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier semblaient d’ail<strong>le</strong>urs très conscients de cet aspect systémique, ce qui se<br />

reflète dans <strong>le</strong>urs autres recommandations.<br />

Les experts s’entendent habituel<strong>le</strong>ment pour dire que, dans l’ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s me<strong>sur</strong>es<br />

environnementa<strong>le</strong>s sont importantes (Clarke & Lester, 1989) mais qu’el<strong>le</strong>s sont limitées, sinon<br />

impro<strong>du</strong>ctives, si une aide n’est pas apportée à l’indivi<strong>du</strong>, en parallè<strong>le</strong>. Ces me<strong>sur</strong>es<br />

environnementa<strong>le</strong>s s’inspirent souvent de cel<strong>le</strong>s proposées dans <strong>le</strong> domaine de la prévention<br />

des accidents ou de la prévention <strong>du</strong> crime et el<strong>le</strong>s ont démontré une certaine efficacité<br />

(Leenaars, 2001). S’inspirant des conclusions des Centers for Disease Control and Prevention<br />

(1992), Prévost, Julien et Brown (1995, pp. 17-18) affirment ainsi : «Les succès remportés ces<br />

dernières années dans <strong>le</strong> domaine de la prévention des accidents de la route nous ont appris<br />

que <strong>le</strong>s efforts consacrés à la mise au point de stratégies visant la modification des attitudes et<br />

des <strong>comportement</strong>s sont en général moins efficaces ou profitab<strong>le</strong>s que ceux que l'on consacre à<br />

modifier l'environnement. De même dans <strong>le</strong> domaine de la prévention <strong>du</strong> suicide, on considère<br />

de plus en plus que <strong>le</strong>s programmes de prévention doivent accorder une plus grande place aux<br />

interventions qui visent à restreindre la disponibilité ou l'accessibilité à certains moyens».<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

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Graphique 1. Aspects multip<strong>le</strong>s de la prévention <strong>du</strong> suicide<br />

Milieu<br />

Approche<br />

environnementa<strong>le</strong><br />

- Diminuer disponibilité<br />

- (armes, cordes, gaz,<br />

médicaments)<br />

- Diminuer accès<br />

- (<strong>pont</strong>s, métro, lames)<br />

- Création de groupes de<br />

support<br />

- Sensibilisation (éco<strong>le</strong>s,<br />

Progr. Aide aux employés)<br />

- Publicité (Semaines de<br />

prévention)<br />

Prévention / intervention<br />

Indivi<strong>du</strong>s<br />

Approche médica<strong>le</strong> Approche psychosocia<strong>le</strong><br />

- Médication aux psychotiques<br />

- Médication aux dépressifs<br />

- Médication aux bipolaires<br />

- Hospitalisation<br />

- Psychothérapie<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

- Dépistage (gril<strong>le</strong>s, a<strong>le</strong>rtes)<br />

- Intervention de crise dans<br />

<strong>le</strong>s centres de prévention<br />

<strong>du</strong> suicide<br />

- Counselling indivi<strong>du</strong>el<br />

- Psychothérapie<br />

- Surveillance spécia<strong>le</strong><br />

- Iso<strong>le</strong>ment / contention<br />

(jaquette et drap<br />

antisuicide)<br />

7


La recommandation <strong>du</strong> Groupe de travail «d’instal<strong>le</strong>r des barrières anti-saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-<br />

Cartier» se situe donc dans une démarche de prévention plus «environnementa<strong>le</strong>», par<br />

opposition à une démarche plus indivi<strong>du</strong>el<strong>le</strong> où des approches médica<strong>le</strong>s ou psychosocia<strong>le</strong>s<br />

seraient utilisées. Cependant, en fonction <strong>du</strong> milieu qui nous intéresse ici, el<strong>le</strong> n’en recoupe<br />

qu’un des aspects environnementaux, d’autres pouvant être notamment d’y instal<strong>le</strong>r des<br />

caméras de <strong>sur</strong>veillance (Blohm & Puschel, 1998), des appareils téléphoniques reliés à des<br />

centres de prévention <strong>du</strong> suicide (Glatt, 1987, 1999), d’as<strong>sur</strong>er une patrouil<strong>le</strong> de <strong>sur</strong>veillance ou<br />

même de restreindre l’accès des piétons au <strong>pont</strong> (Lane, 1983).<br />

II. Efficacité <strong>du</strong> contrô<strong>le</strong> des moyens<br />

La disponibilité de moyens particuliers pour se suicider, dans une région donnée, influence<br />

justement l’utilisation effective de ces moyens. Pearson (1993), par exemp<strong>le</strong>, a observé cette<br />

réalité dans <strong>le</strong> comté de North and West Devon, en contraste avec <strong>le</strong>s autres comtés<br />

d’Ang<strong>le</strong>terre et <strong>du</strong> Pays de Gal<strong>le</strong>s. Plus spécifiquement, la fréquence des suicides par saut<br />

d’une hauteur, pour ce qu’il en est de cette méthode spécifique, dépendrait en partie de<br />

l’accessibilité plus ou moins grande à ce moyen (c’est-à-dire à des édifices en hauteur) dans<br />

certaines grandes vil<strong>le</strong>s in<strong>du</strong>strialisées (Gunnell & Nowers, 1997; Hau, 1993; Lester, 1994).<br />

Ainsi, Gunnell et Nowers (1997) ont observé que, dans des endroits comme Hong Kong et<br />

Singapour, <strong>le</strong>s taux de suicide ont augmenté avec l’accroissement des constructions en hauteur,<br />

affectant par la même occasion <strong>le</strong>s taux globaux de suicide (c’est-à-dire <strong>le</strong>s taux pour <strong>le</strong>s<br />

suicides réalisés par tous <strong>le</strong>s moyens). Cependant, selon ces auteurs, la plus grande<br />

accessibilité d’un moyen ne serait pas la seu<strong>le</strong> explication à retenir. Des facteurs accompagnant<br />

l’urbanisation et <strong>le</strong> développement socio-économique pourraient être en cause, de même que<br />

des facteurs indivi<strong>du</strong>els. Néanmoins, dans ces deux endroits où <strong>le</strong> développement en hauteur<br />

est documenté, 44% et 60% respectivement des suicides sont réalisés à partir d’une hauteur, ce<br />

qui est bien différent de la situation observée au Québec (environ 4%).<br />

Dans l’ensemb<strong>le</strong> d’une stratégie québécoise de prévention <strong>du</strong> suicide, il faut voir aussi que <strong>le</strong><br />

contrô<strong>le</strong> des moyens de se suicider a ses limites, compte tenu notamment que la majorité des<br />

suicides sont réalisés avec des moyens qui peuvent diffici<strong>le</strong>ment être contrôlés, <strong>du</strong> moins<br />

ail<strong>le</strong>urs que dans des hôpitaux psychiatriques ou des institutions de réclusion (prisons,<br />

pénitenciers, Centres Jeunesse). Ainsi, au Québec, 39,3% des suicides sont réalisés par<br />

pendaison, strangulation ou asphyxie, 22,7% par armes à feu ou explosifs et 23% par divers<br />

empoisonnements. Un certain contrô<strong>le</strong> environnemental peut être exercé <strong>sur</strong> la disponibilité des<br />

armes à feu (voir, plus loin, l’intérêt porté à cela aux États-Unis) mais, autrement, la société se<br />

retrouve souvent bien démunie dans cette entreprise. D’où justement l’intérêt des barrières antisaut<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s <strong>pont</strong>s qui, quoiqu’el<strong>le</strong>s s’adressent à un nombre relativement peu é<strong>le</strong>vé de suicides,<br />

peuvent néanmoins avoir une remarquab<strong>le</strong> efficacité. Les sections suivantes donnent donc un<br />

bref aperçu de certaines expériences de contrô<strong>le</strong> des moyens qui ont été efficaces, et ceci plus<br />

particulièrement dans quatre domaines : (A) <strong>le</strong>s gaz toxiques, (B) <strong>le</strong>s armes à feu, (C) <strong>le</strong>s<br />

médicaments et (D) <strong>le</strong>s <strong>pont</strong>s. La possibilité d’un déplacement (ou d’un report) vers d’autres<br />

moyens, lorsqu’un certain contrô<strong>le</strong> est exercé, est toutefois étudiée plus loin, à la section III de<br />

ce rapport.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

8


II. A. Gaz toxiques<br />

Il s’agit <strong>du</strong> domaine qui a été <strong>le</strong> mieux documenté, tout en étant d’ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> plus efficace. C’est<br />

Kreitman (1976) qui, <strong>le</strong> premier, a étudié cette question suite à la détoxication des gaz<br />

domestiques en Ang<strong>le</strong>terre et au Pays de Gal<strong>le</strong>s. Les changements apportés dans la<br />

composition de ces gaz (utilisés principa<strong>le</strong>ment pour la cuisson ou <strong>le</strong> chauffage) vers <strong>le</strong>s années<br />

1950-60 ont presque éliminé <strong>le</strong>s suicides réalisés par cette méthode, alors que c’était<br />

auparavant la méthode la plus utilisée. Du fait de son importance, notamment par rapport au<br />

problème d’un éventuel déplacement, cette démarche historique est étudiée plus en profondeur<br />

à la section III.<br />

II. B. Armes à feu<br />

Inversement, lorsque certains moyens pour se suicider deviennent plus disponib<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s taux de<br />

suicide augmentent éga<strong>le</strong>ment. Ainsi Clarke et Jones (1989) rapportent que <strong>le</strong>s taux de suicide<br />

ont augmenté aux États-Unis, entre 1959 et 1984, passant de 10,5 par 100,000 habitants à<br />

12,4. Or, cette augmentation était essentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> fait des suicides commis par arme à feu<br />

(58,5% de tous <strong>le</strong>s suicides en 1984). Pour la même période, il y a eu effectivement une<br />

augmentation importante de la disponibilité des revolvers («handguns but not shotguns and<br />

rif<strong>le</strong>s») dans <strong>le</strong>s maisons privées. L’étude démontre bien <strong>le</strong> lien entre <strong>le</strong>s deux phénomènes,<br />

ceci par <strong>le</strong> moyen d’une analyse statistique de régression. C’est la même problématique qui a<br />

été réétudiée et confirmée plus récemment par Conwell, Duberstein, Connor, Eberly, Cox, et<br />

Caine (2002), de même que par Mil<strong>le</strong>r, Azrael, et Hemenway (2002). Hemenway et Mil<strong>le</strong>r (2002)<br />

concluent que, plus <strong>le</strong>s ménages américains ont d’armes à feu, plus <strong>le</strong>s taux de suicide y sont<br />

é<strong>le</strong>vés et ceci, même en prenant en compte des explications concurrentes comme <strong>le</strong>s taux de<br />

dépression ou d’idéations <strong>suicidaire</strong>s dans certaines régions.<br />

De la même façon, Loftin et McDowall (1991) ont démontré que, dans <strong>le</strong> district de Washington,<br />

aux États-Unis, l’application en 1976 d’une loi restrictive a amené une diminution immédiate des<br />

suicides et homicides par arme à feu. Une tel<strong>le</strong> diminution n’était pas observab<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s<br />

gestes vio<strong>le</strong>nts commis par d’autres moyens, ni dans d’autres régions métropolitaines <strong>du</strong><br />

Maryland ou de la Virginie où la loi ne s’appliquait pas. Les auteurs en concluaient donc à<br />

l’efficacité réel<strong>le</strong> des me<strong>sur</strong>es de contrô<strong>le</strong> adoptées. Toujours pour <strong>le</strong>s États-Unis, l’étude de<br />

Sloan, Rivara, Reay, Ferris, Path et Kel<strong>le</strong>rman (1990) rapporte éga<strong>le</strong>ment des résultats<br />

semblab<strong>le</strong>s à partir de l’examen de 1262 suicides <strong>sur</strong>venus dans deux régions urbaines de la<br />

côte <strong>du</strong> Pacifique (N.O.).<br />

Quant à eux, Leenaars et Lester (1999) ont bien démontré, à l’occasion de l’adoption d’une loi<br />

canadienne (Bill C-51), que l’effet <strong>du</strong> contrô<strong>le</strong> des armes à feu était visib<strong>le</strong>, même en tenant<br />

compte des explications sociologiques concomitantes comme cel<strong>le</strong>s invoquant la variation des<br />

taux de divorce ou de chômage. Lambert et Silva (1998), suite à une recension exhaustive des<br />

écrits scientifiques <strong>sur</strong> ce sujet (pour la période 1982 à 1997), concluent éga<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s<br />

suicides par arme à feu diminuent dès qu’une législation de contrô<strong>le</strong> <strong>sur</strong> la possession est<br />

adoptée dans une région donnée.<br />

II. C. Médicaments et autres substances toxiques<br />

Hawton, Townsend, Deeks, App<strong>le</strong>by, Gunnell, Bennewith et Cooper (2001) ont étudié l’effet <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s <strong>comportement</strong>s <strong>suicidaire</strong>s d’une nouvel<strong>le</strong> législation anglaise qui restreignait la quantité de<br />

cachets pouvant être obtenus lors d’un même achat pour certains médicaments utilisés<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

9


couramment (paracetamols et salicylates). Ils ont observé que, suite à l’adoption de cette loi, <strong>le</strong>s<br />

décès par empoisonnement au paracetamol avaient diminué de 21% et ceux au salicylate de<br />

48%. Wilkinson, Taylor, Temp<strong>le</strong>ton, Mistral, Salter et Bennett (2002) ont obtenu des résultats<br />

semblab<strong>le</strong>s pour ce qu’il en est de la situation en Ang<strong>le</strong>terre. Schapira, Lins<strong>le</strong>y, Lins<strong>le</strong>y, Kelly et<br />

Kay (2001) ont aussi démontré qu’une exposition moins grande à des moyens létaux de se<br />

suicider (comme des poisons et des médicaments) avait un effet direct <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s taux de suicide.<br />

Un peu de la même façon, Carlsten, Al<strong>le</strong>beck et Brandt (1996) ont constaté que, en Suède, <strong>le</strong>s<br />

taux de suicide variaient selon la disponibilité des antidépresseurs, des barbituriques, des<br />

neuro<strong>le</strong>ptiques et des analgésiques. L’importance de rendre moins disponib<strong>le</strong>s des<br />

médicaments létaux a aussi été étudiée par d’autres auteurs, chacun observant une baisse des<br />

taux de suicide plus ou moins équiva<strong>le</strong>nte (Lins<strong>le</strong>y, 2001).<br />

II. D. Ponts<br />

Pour un inventaire des expériences vécues en ce domaine, <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur peut se rapporter à la<br />

section Recherche d’expériences vécues <strong>sur</strong> des structures comparab<strong>le</strong>s. Dans la section qui<br />

suit, nous présentons plutôt une courte discussion <strong>sur</strong> l’efficacité de l’installation de barrières<br />

anti-saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s <strong>pont</strong>s.<br />

Déjà en 1983, Seiden et Spence soulignaient que, des cinq sites <strong>le</strong>s plus populaires auprès des<br />

personnes <strong>suicidaire</strong>s, soit <strong>le</strong> Mont Mihara, la Tour Eiffel, <strong>le</strong> <strong>pont</strong> Arroyo Seco Bridge, <strong>le</strong> Golden<br />

Gate Bridge et <strong>le</strong> San Francisco-Oakland Bridge, seuls <strong>le</strong>s deux derniers n’avaient pas encore<br />

installé de barrières protectrices, ce qui continuait à se refléter dans <strong>le</strong>urs taux annuels de<br />

suicides.<br />

Diverses études rapportent que, effectivement, <strong>le</strong>s suicides deviennent presque inexistants <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s <strong>pont</strong>s où ont été installées des barrières de différents types (voir par exemp<strong>le</strong> : Berman,<br />

O’Carroll & Silverman, 1994). À première vue, nous pouvons donc présumer que <strong>le</strong>s barrières<br />

installées étaient infranchissab<strong>le</strong>s, mais peu de documentation nous confirme cette<br />

«infranchissabilité» réel<strong>le</strong> (objective). Un des rares cas documenté <strong>sur</strong> <strong>le</strong> WEB indique plutôt<br />

que, contrairement à ce qui avait été prévu, quelques personnes réussissaient à traverser <strong>le</strong>s<br />

prototypes de barrières. C’est ainsi que, à la limite, il se pourrait que certaines barrières<br />

présentent des fail<strong>le</strong>s à ce chapitre mais que l’effet escompté (empêcher <strong>le</strong>s suicides) soit<br />

quand même atteint à cause de l’impact psychologique créé par une apparence<br />

d’infranchissabilité ou par la simp<strong>le</strong> connaissance <strong>du</strong> fait que cel<strong>le</strong>s-ci existent désormais à<br />

l’endroit planifié pour un suicide (infranchissabilité subjective).<br />

Kammerling (2000), quant à lui, rapporte <strong>le</strong> cas <strong>du</strong> Clifton Suspension Bridge (Bristol,<br />

Ang<strong>le</strong>terre) où des barrières, pourtant améliorées par l’addition de renforts («metal castellations<br />

on top»), n’avaient pas cet effet dissuasif et faisaient quand même que six suicides annuels s’y<br />

pro<strong>du</strong>isent encore. Néanmoins, il faut voir aussi que, <strong>du</strong> simp<strong>le</strong> fait que la majorité des suicides<br />

cesserait <strong>sur</strong> un <strong>pont</strong>, la notoriété de ce <strong>pont</strong> diminuerait en même temps auprès des<br />

<strong>suicidaire</strong>s. Nous pourrions donc présumer un certain effet d’entraînement (à la baisse) qui, à la<br />

longue, ferait que tous <strong>le</strong>s suicides disparaissent à partir de cet endroit (indépendamment donc<br />

de l’infranchissabilité objective). De même, nous pourrions aussi présumer que la minorité de<br />

suicides, qui n’aurait pas été éliminée immédiatement, serait relativement bien tolérée par <strong>le</strong>s<br />

citoyens s’il était démontré que toutes <strong>le</strong>s me<strong>sur</strong>es de prévention raisonnab<strong>le</strong>s ont été mises en<br />

place. Ceci étant dit, la tolérance d’une population est diffici<strong>le</strong>ment estimab<strong>le</strong> quant au<br />

phénomène <strong>du</strong> suicide. À un extrême <strong>du</strong> continuum, quelques suicides pourraient donc être<br />

compréhensib<strong>le</strong>s si des me<strong>sur</strong>es de prévention (comme des barrières anti-saut) ont été mises<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

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en place, alors que, à l’autre extrême, des populations commencent justement à se mobiliser de<br />

plus en plus, compte tenu <strong>du</strong> taux très é<strong>le</strong>vé de suicides au Québec.<br />

III. Évaluation des risques de déplacement<br />

Les études répertoriées dans ce domaine ont abordé <strong>le</strong> problème soit (A) au niveau des<br />

indivi<strong>du</strong>s, soit (B) au niveau des populations. Au niveau des indivi<strong>du</strong>s, nous pouvons distinguer<br />

<strong>le</strong>s études qui s’intéressent (A.1) à une préférence pour une méthode particulière ou (A.2) au<br />

fait qu’une crise <strong>suicidaire</strong> soit limitée dans <strong>le</strong> temps.<br />

III. A. Études au niveau des indivi<strong>du</strong>s<br />

III. A. 1. Préférence pour une méthode particulière de se suicider<br />

Clarke et Lester (1989) avancent que <strong>le</strong> suicide n’est pas une catégorie homogène de<br />

<strong>comportement</strong>s. Ils expliquent que ce serait plutôt un ensemb<strong>le</strong> de <strong>comportement</strong>s reliés entre<br />

eux mais quand même séparés, <strong>le</strong>squels se distingueraient notamment par la méthode utilisée<br />

et par <strong>le</strong>s populations concernées. Par exemp<strong>le</strong>, pour ce qu’il en est des suicides par<br />

intoxication au gaz domestique (méthode qui était autrefois largement utilisée en Ang<strong>le</strong>terre), <strong>le</strong>s<br />

personnes <strong>suicidaire</strong>s considéraient probab<strong>le</strong>ment cette méthode très léta<strong>le</strong> comme étant sans<br />

dou<strong>le</strong>ur, propre, faci<strong>le</strong> d’utilisation, et nécessitant peu de «courage» et de préparation. Or, ces<br />

caractéristiques ne se retrouvent probab<strong>le</strong>ment pas faci<strong>le</strong>ment et rapidement dans d’autres<br />

méthodes de suicide. D’où <strong>le</strong> peu de chance de report ou de déplacement vers une autre<br />

méthode pour se suicider.<br />

Lester (1992) cite l’étude de Robinson et Duffy (1989), <strong>le</strong>squels ont démontré que, parmi <strong>le</strong>s<br />

gens qui ont fait plus d’une tentative de suicide, seu<strong>le</strong>ment une minorité utilisait une seu<strong>le</strong><br />

méthode de passage à l’acte, ce qui contredirait <strong>le</strong>s propos précédents. Inversement, Lester<br />

(1992) cite aussi l’étude de Lester, Fong et d’Angelo (1989), <strong>le</strong>squels ont trouvé cette fois que la<br />

majorité des indivi<strong>du</strong>s <strong>suicidaire</strong>s utilisait une seu<strong>le</strong> méthode. Dans <strong>le</strong>s deux cas cependant, il<br />

faut voir que ces recherches (d’ail<strong>le</strong>urs contradictoires) portaient <strong>sur</strong> des personnes qui avaient<br />

fait des «tentatives» de suicide (réel<strong>le</strong>ment motivées?) n’ayant pas mené au décès et non pas<br />

<strong>sur</strong> des personnes vraiment décédées par suicide.<br />

Selon <strong>le</strong>urs profils particuliers, certains indivi<strong>du</strong>s peuvent donc avoir une préférence pour une<br />

méthode particulière de se suicider. Ainsi, Çetin, Gunay, Fincanci et Kolusayin (2001) ont re<strong>le</strong>vé<br />

que <strong>le</strong> ratio homme/femme des personnes qui se sont suicidées <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>du</strong> Bosphore<br />

(Istanbul) était de 15 pour 1 en comparaison de 1,6 pour 1 pour l’ensemb<strong>le</strong> des suicides en<br />

Turquie. Les cas rapportés étaient éga<strong>le</strong>ment plus jeunes que pour <strong>le</strong>s autres méthodes de<br />

suicide. De tels profils ne se retrouvent pas nécessairement dans d’autres pays, mais ils n’en<br />

soulignent pas moins <strong>le</strong>s particularités associées à ce type particulier de suicides.<br />

Gunnell et Nowers (1997), dans une recension des écrits portant <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s suicides par saut d’une<br />

hauteur, relèvent qu’il y a des différences marquées à l’intérieur même de cette méthode. Ils<br />

concluent par contre qu’il n’y a pas d’évidence consistante que ceux qui choisissent cette<br />

méthode sont différents de ceux qui utilisent d’autres méthodes, tant au niveau<br />

sociodémographique qu’au niveau de la psychopathologie. Ils admettent toutefois que <strong>le</strong> saut<br />

d’une hauteur est plus souvent choisi par des patients hospitalisés en psychiatrie, mais que cela<br />

pourrait être dû à des facteurs d’accessibilité. Notons par ail<strong>le</strong>urs que <strong>le</strong>urs conclusions<br />

s’appliquent au phénomène des sauts d’une hauteur, de façon généra<strong>le</strong>, et non pas<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

11


spécifiquement aux sauts à partir d’un <strong>pont</strong>. Gunnell et Nowers eux-mêmes sont conscients de<br />

ces limites.<br />

Coman, Meyer et Cameron (2000), par contre, ont bien observé que 71% des personnes<br />

(essentiel<strong>le</strong>ment des hommes) qui se suicidaient à partir <strong>du</strong> Westgate Bridge (Australie) avaient<br />

une maladie menta<strong>le</strong>, et même une maladie grave, soit la schizophrénie pour la moitié d’entre<br />

eux. L’étude de Beautrais (2001), analysée plus loin, identifie éga<strong>le</strong>ment un profil psychiatrique<br />

bien particulier pour <strong>le</strong>s personnes qui sautent à partir d’un <strong>pont</strong>.<br />

Pour ce qu’il en est spécifiquement des <strong>comportement</strong>s <strong>suicidaire</strong>s à partir d’un <strong>pont</strong>, Prévost,<br />

Julien, et Brown (1996) ont analysé <strong>le</strong>s rapports des coroners pertinents aux 54 suicides<br />

<strong>sur</strong>venus <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier de 1988 à 1993. Ils ont trouvé qu’une minorité, soit<br />

27,8%, de ceux qui se sont suicidés <strong>sur</strong> ce <strong>pont</strong> avaient déjà fait une tentative de suicide d’un<br />

autre type (essentiel<strong>le</strong>ment par pendaison, intoxication ou lacération). Dans l’étude de Cantor,<br />

Hill et McLachlan (1989), ce sont 92% de ceux qui faisaient une tentative de suicide à partir d’un<br />

<strong>pont</strong> qui avaient des antécédents de tentatives («previous self harm»). Dans la même étude,<br />

46,8% de ceux qui s’étaient réel<strong>le</strong>ment suicidés à partir d’un <strong>pont</strong> avaient des antécédents. Le<br />

fait que de 27,8% à 46,8% des indivi<strong>du</strong>s qui se suicident <strong>sur</strong> un <strong>pont</strong> avaient des antécédents<br />

<strong>suicidaire</strong>s semb<strong>le</strong>rait donc militer, en partie <strong>du</strong> moins, à l’encontre de l’argument voulant que<br />

<strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s qui se suicident privilégient un seul moyen. Pourtant, il se peut aussi qu’ils<br />

privilégient des moyens moins létaux pour des «tentatives» (qui seraient peut-être des appels à<br />

l’aide ou, à la limite, des «manipulations»…) mais un seul moyen pour en finir définitivement.<br />

Dans ce contexte, une barrière anti-saut éliminerait donc aussi ce moyen «définitif», forçant <strong>le</strong>s<br />

indivi<strong>du</strong>s à demander de l’aide entre-temps.<br />

La préférence pour une méthode unique de suicide est encore plus évidente pour <strong>le</strong>s cas de<br />

suicide <strong>du</strong> haut d’un <strong>pont</strong> où des hallucinations auditives étaient plus particulièrement en cause.<br />

Ce phénomène a été plus spécifiquement re<strong>le</strong>vé dans l’étude de Cantor, Hill et McLachlan<br />

(1989) <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s <strong>comportement</strong>s <strong>suicidaire</strong>s identifiés <strong>sur</strong> huit <strong>pont</strong>s de la rivière Brisbane<br />

(Australie). Dans <strong>le</strong>ur étude, de 46% à 50% de ceux qui sautaient d’un <strong>pont</strong> étaient<br />

schizophrènes, indépendamment <strong>du</strong> fait qu’ils soient vraiment <strong>suicidaire</strong>s ou non. Or, <strong>le</strong>s<br />

hallucinations auditives de ces indivi<strong>du</strong>s perturbés étaient fort probab<strong>le</strong>ment très spécifiques en<br />

terme de moyen à utiliser pour réaliser ce geste spectaculaire. Faut-il <strong>le</strong> rappe<strong>le</strong>r, un tel<br />

pourcentage aussi é<strong>le</strong>vé d’indivi<strong>du</strong>s schizophrènes ne se retrouve pas parmi l’ensemb<strong>le</strong> des<br />

personnes <strong>suicidaire</strong>s utilisant d’autres méthodes que <strong>le</strong> saut d’un <strong>pont</strong>. En fait, Cantor et Hill et<br />

McLachlan rapportent que ce dernier pourcentage oscil<strong>le</strong> plutôt entre 3,7% et 6%, selon <strong>le</strong>s<br />

sources utilisées.<br />

Lester (1988) s’est intéressé aux préférences des indivi<strong>du</strong>s de la population généra<strong>le</strong> pour une<br />

méthode ou l’autre de suicide. Il a notamment observé que, selon qu’ils soient des hommes ou<br />

des femmes, <strong>le</strong>s étudiants universitaires ne répondaient pas de la même manière aux<br />

questionnaires qui <strong>le</strong>ur avaient été distribués <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet. Ainsi, <strong>le</strong>s femmes indiquaient <strong>le</strong>ur<br />

préférence pour des méthodes jugées rapides, non douloureuses et qui ne risquaient pas de <strong>le</strong>s<br />

défigurer. Ceux qui auraient choisi une arme à feu étaient plus préoccupés par la rapidité que<br />

par <strong>le</strong> danger de défigurement. Ce type d’études tend donc à démontrer que, même par delà <strong>le</strong>s<br />

différences de sexe, <strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s ont une préférence particulière pour un moyen et qu’ils ne<br />

vont pas se résoudre faci<strong>le</strong>ment à changer de méthode. Ces arguments <strong>sur</strong> la signification<br />

psychologique associée à la méthode sé<strong>le</strong>ctionnée ont par ail<strong>le</strong>urs été repris à l’occasion <strong>du</strong><br />

congrès annuel de l’American Association of Suicidology en 1991 (Lester, Berman et al., 1991).<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

12


Pommerau, Tedo et Penouil (1989) ont fait une étude rétrospective des tentatives de suicide<br />

<strong>sur</strong>venues, entre 1982 et 1986, dans la région de Bordeaux (France). Ils ont notamment<br />

comparé <strong>le</strong> profil de 110 personnes qui avaient fait <strong>le</strong>ur tentative par saut avec celui de 908<br />

autres qui l’avaient fait par <strong>sur</strong>consommation de drogues. Leur étude démontre bien que <strong>le</strong> profil<br />

des premiers est bien différent. Ainsi, 74,5% de ceux qui avaient fait des tentatives par saut<br />

d’une hauteur avaient déjà été traités en psychiatrie par rapport à seu<strong>le</strong>ment 27% dans l’autre<br />

groupe. Toujours dans <strong>le</strong> premier groupe, 29% des hommes et 41% des femmes avaient un<br />

diagnostic de psychose (schizophrénie ou psychose de forme affective) par rapport à 11%<br />

(homme ou femme) dans <strong>le</strong> deuxième groupe. Cette étude de Pommerau, Tedo et Penouil n’est<br />

cependant pas toujours bien documentée techniquement. Ainsi, el<strong>le</strong> ne précise pas si <strong>le</strong>s<br />

différences entre <strong>le</strong>s groupes sont vraiment significatives statistiquement et de quel type de<br />

sauts par hauteur il s’agit. Nous ignorons même si <strong>le</strong>ur échantillon de 110 sujets incluait des<br />

personnes qui avaient sauté d’un <strong>pont</strong>. Quoi qu’il en soit, l’étude n’en indique pas moins que<br />

certaines personnes (cel<strong>le</strong>s ayant des troub<strong>le</strong>s psychiatriques graves) tendent à choisir un<br />

moyen particulier (<strong>le</strong> saut d’une hauteur) pour réaliser <strong>le</strong>ur tentative de suicide alors que ce<br />

moyen est plus létal que la <strong>sur</strong>consommation de drogue. Par ail<strong>le</strong>urs, cette étude nous rappel<strong>le</strong><br />

aussi que, parmi ceux qui avaient fait <strong>le</strong>ur tentative à partir d’une hauteur, 38% avaient déjà fait<br />

une autre tentative auparavant et ceci, <strong>le</strong> plus souvent, par <strong>sur</strong>consommation de drogue. Par<br />

contre, lorsqu’ils passaient de nouveau à l’acte (en fait, 10% d’entre eux avaient récidivé), ils<br />

choisissaient de nouveau <strong>le</strong> saut d’une hauteur qui <strong>le</strong>ur était encore accessib<strong>le</strong> (dans 82% des<br />

cas).<br />

Seiden (1978) a éga<strong>le</strong>ment comparé <strong>le</strong> profil de ceux qui ont fait une tentative de suicide à partir<br />

d’un <strong>pont</strong> avec <strong>le</strong> profil de ceux qui avaient utilisé un autre moyen. Il a remarqué qu’il y a<br />

significativement plus d’hommes dans <strong>le</strong> premier groupe, ce qu’il explique par la préférence<br />

qu’ont <strong>le</strong>s hommes pour des moyens plus létaux. Cependant, Pommerau, Tedo et Fenouil<br />

(1989) n’avaient pas observé cette différence au niveau des sexes. Il faut dire toutefois que ces<br />

derniers comparaient des personnes ayant fait une tentative d’une hauteur (peut-être même pas<br />

d’un <strong>pont</strong>) avec, spécifiquement, d’autres personnes qui avaient fait des tentatives par<br />

intoxication. Dans un cas comme dans l’autre, <strong>le</strong>s deux recherches n’en observent pas moins<br />

des différences au niveau des profils des personnes <strong>suicidaire</strong>s et, ceci, selon <strong>le</strong> moyen qu’el<strong>le</strong>s<br />

privilégient.<br />

Nowers et Gunnell (1996), eux, n’ont cependant pas trouvé de différences au niveau des<br />

antécédents psychiatriques entre 127 personnes qui s’étaient suicidées à partir <strong>du</strong> Clifton<br />

Suspension Bridge (Ang<strong>le</strong>terre) et 127 autres qui avaient utilisé d’autres moyens pour se<br />

suicider. Ce dernier groupe de comparaison avait été jumelé avec <strong>le</strong> groupe précédent au<br />

niveau <strong>du</strong> sexe et de l’âge.<br />

Plus spécifiquement, Seiden et Spence (1983) ont comparé <strong>le</strong>s caractéristiques des suicides<br />

<strong>sur</strong>venus <strong>sur</strong> deux <strong>pont</strong>s californiens situés à seu<strong>le</strong>ment six mil<strong>le</strong>s l’un de l’autre : <strong>le</strong> Golden<br />

Gate Bridge et <strong>le</strong> San Francisco-Oakland Bay Bridge. Les deux <strong>pont</strong>s ont des caractéristiques<br />

très semblab<strong>le</strong>s au niveau de l’âge, de la hauteur et de la proximité <strong>du</strong> centre-vil<strong>le</strong> de San<br />

Francisco. Par contre, <strong>le</strong> Bay Bridge est beaucoup plus long (8 mil<strong>le</strong>s par rapport), a <strong>le</strong> doub<strong>le</strong><br />

d’achalandage routier et ne permet d’ail<strong>le</strong>urs officiel<strong>le</strong>ment l’accès qu’aux véhicu<strong>le</strong>s<br />

automobi<strong>le</strong>s. Entre 1937 et 1979, 672 suicides sont <strong>sur</strong>venus <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Golden Gate, par rapport à<br />

121 <strong>sur</strong> l’autre <strong>pont</strong>. Il y a donc 5 fois plus de suicide <strong>sur</strong> l’un des sites. Les auteurs, reprenant <strong>le</strong><br />

schéma explicatif de Dublin (1963) interprètent cette différence en terme (1) de<br />

disponibilité/accessibilité pour <strong>le</strong>s piétons, mais aussi (2) de suggestion/contagion<br />

<strong>comportement</strong>a<strong>le</strong> et (3) de constellation psychologique/symbolisme. Pour ce qui est <strong>du</strong> premier<br />

point, il est certain que l’accès réservé aux automobi<strong>le</strong>s, <strong>sur</strong> l’un des <strong>pont</strong>s, peut déjà expliquer<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

13


une bonne partie des différentes dans <strong>le</strong>s taux de suicide. Cependant, même en ne considérant<br />

que <strong>le</strong>s suicidés qui ont accédé en automobi<strong>le</strong> aux deux <strong>pont</strong>s, <strong>le</strong>s taux restent néanmoins trois<br />

fois plus é<strong>le</strong>vés <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Golden Gate. Pour ce qui est de la contagion, <strong>le</strong>s auteurs font ici allusion<br />

à la publicité, plus ou moins morbide, qui entoure <strong>le</strong>s cas de suicides qui <strong>sur</strong>viennent <strong>sur</strong> <strong>le</strong><br />

Golden Gate (mais pas <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s autres cas). Cela aurait une certaine influence contagieuse <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s vulnérab<strong>le</strong>s. Quant au troisième point, il réfère au symbolisme attaché à certains<br />

moyens de se suicider, sinon à certains endroits particuliers. Rosen (1975), <strong>le</strong>quel a justement<br />

interviewé 7 des 10 <strong>sur</strong>vivants <strong>du</strong> Golden Gate Bridge, qualifiait même cet endroit de cathédra<strong>le</strong><br />

<strong>du</strong> suicide («suicide shrine»). Seiden et Spence invoquent aussi <strong>le</strong> romantisme qui est attaché<br />

au Golden Gate Bridge. C’est ainsi que beaucoup de personnes <strong>suicidaire</strong>s ont choisi <strong>le</strong> Golden<br />

Gate, même si l’autre <strong>pont</strong> était définitivement plus près de chez eux. Ce dernier phénomène<br />

d’attraction pour <strong>le</strong>s communautés environnantes, sinon même pour <strong>le</strong>s communautés<br />

éloignées, semb<strong>le</strong> d’ail<strong>le</strong>urs relativement fréquent (Gunnell & Nowers, 1997).<br />

Clarke et Lester (1989) reprennent éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s trois critères explicatifs de Dublin (1963). Ils<br />

soulignent que <strong>le</strong> premier critère (de même que <strong>le</strong>s contraintes éventuel<strong>le</strong>ment exercées <strong>sur</strong> la<br />

disponibilité ou l’accessibilité) est loin d’expliquer tout dans <strong>le</strong> choix d’une méthode particulière<br />

pour se suicider. En effet, un certain effet de suggestion et de contagion est notamment<br />

observab<strong>le</strong> au niveau des médias qui diffusent plus ou moins bien l’information quant aux<br />

suicides déjà <strong>sur</strong>venus à partir d’un site particulier. Ce type de diffusion ferait que certains<br />

indivi<strong>du</strong>s, <strong>sur</strong>tout <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s, en viennent à adopter une forme particulière de suicide,<br />

et pas une autre. Ce phénomène de contagion est particulièrement bien documenté, à partir de<br />

l’exemp<strong>le</strong> <strong>du</strong> jeune Werther (dans Goethe, au XVIII e sièc<strong>le</strong>) jusqu’à des exemp<strong>le</strong>s plus récents<br />

comme celui <strong>du</strong> métro de Vienne ou <strong>du</strong> Mont Mihara au Japon. Goldney (2000) fait un constat<br />

semblab<strong>le</strong> mais minimise quand même l’importance des médias dans la contagion <strong>suicidaire</strong>.<br />

Certes, il reconnaît qu’un certain type de diffusion a tendance à normaliser <strong>le</strong> geste <strong>suicidaire</strong> et<br />

à stimu<strong>le</strong>r un phénomène d’imitation <strong>comportement</strong>a<strong>le</strong>. Cependant, au niveau statistique,<br />

l’association entre ces phénomènes n’en serait pas moins limitée selon Goldney.<br />

Clarke et Lester (1989) rappel<strong>le</strong>nt éga<strong>le</strong>ment certains facteurs personnels et culturels qui sont<br />

en jeu. Certaines formes de mort sont plus terrifiantes que d’autres, selon <strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s<br />

concernés. La dou<strong>le</strong>ur associée à une méthode, plus particulièrement, est une caractéristique<br />

importante. Des considérations religieuses peuvent entrer en ligne de compte, mais aussi des<br />

calculs financiers (en fonction des as<strong>sur</strong>ances éventuel<strong>le</strong>ment réclamées par <strong>le</strong>s <strong>sur</strong>vivants).<br />

Certains peuvent vouloir établir un blâme pour <strong>le</strong>s <strong>sur</strong>vivants ou, au contraire, <strong>le</strong>ur épargner <strong>le</strong><br />

plus possib<strong>le</strong> de la détresse. Les gens plus ambiva<strong>le</strong>nts ou ceux qui pourraient éventuel<strong>le</strong>ment<br />

«manipu<strong>le</strong>r» <strong>le</strong>ur entourage pourraient éga<strong>le</strong>ment préférer une méthode moins léta<strong>le</strong>.<br />

Fina<strong>le</strong>ment, certains moyens sont associés symboliquement à la honte (la pendaison, en<br />

Ang<strong>le</strong>terre), l’importance dans la vie quotidienne (l’automobi<strong>le</strong> aux États-Unis, l’eau en<br />

Hollande) ou la familiarité et l’acceptabilité (<strong>le</strong>s armes à feu dans <strong>le</strong> sud des États-Unis). Par<br />

delà <strong>le</strong>s trois critères de Dublin (1963), Clarke et Lester identifient fina<strong>le</strong>ment vingt éléments qui<br />

structurent <strong>le</strong> choix des indivi<strong>du</strong>s <strong>suicidaire</strong>s («choice structuring properties») : disponibilité,<br />

familiarité avec la méthode, habi<strong>le</strong>tés techniques nécessaires, planification nécessaire, dou<strong>le</strong>ur<br />

associée, «courage» requis, conséquences d’un échec, défiguration possib<strong>le</strong>, dangers et<br />

inconvénients pour autrui, gâchis/présence de sang, façon dont <strong>le</strong> corps sera découvert,<br />

«contamination» <strong>du</strong> foyer familial, possibilités de cacher ou publiciser la mort (voir : honte,<br />

réclamations aux as<strong>sur</strong>ances…), certitude de mourir, temps de l’agonie, possibilités<br />

d’interruption <strong>du</strong> processus, possibilités d’une intervention de secours, symbolisme,<br />

masculinité/féminité associée et, fina<strong>le</strong>ment, impact dramatique. Il va sans dire que l’équation<br />

décisionnel<strong>le</strong> menant à un choix particulier de mort devrait donc être complètement<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

14


ecomposée, sinon abandonnée, dans <strong>le</strong> cas d’une restriction imposée au moyen retenu<br />

originel<strong>le</strong>ment.<br />

Cantor (2000), quant à lui, observe qu’il y a justement une grande variabilité dans <strong>le</strong>s méthodes<br />

utilisées pour se suicider, variabilité entre <strong>le</strong>s pays, à l’intérieur des pays, entre <strong>le</strong>s sexes… Des<br />

différences sont bien observab<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong>s pays occidentaux ou orientaux, <strong>le</strong> tout évoluant<br />

rapidement au gré des événements historiques importants (Cheng & Lee, 2000). L’influence<br />

culturel<strong>le</strong> persiste même au-delà des frontières. Ainsi, il a été noté que la pendaison demeurait<br />

la méthode principa<strong>le</strong>ment choisie par <strong>le</strong>s immigrants asiatiques vivant à San Francisco et non<br />

pas <strong>le</strong>s armes à feu comme chez la majorité des autres américains.<br />

Par delà <strong>le</strong>s observations précédentes, il demeure toutefois diffici<strong>le</strong> d’expliquer exactement<br />

pourquoi un <strong>pont</strong> va être choisi plutôt qu’un autre. La notoriété d’un <strong>pont</strong>, de même qu’un certain<br />

facteur d’entraînement (ou d’imitation) sont <strong>le</strong>s facteurs <strong>le</strong>s plus souvent invoqués mais cela<br />

n’est pas toujours bien démontré (Ellis, 1996). Cantor et Hill (1990), quant à eux, ont comparé la<br />

problématique <strong>du</strong> nouveau Gateway Bridge, ouvert en 1986 <strong>sur</strong> la rivière Brisbane (Australie), et<br />

cel<strong>le</strong> <strong>du</strong> Story Bridge, situé tout près mais plus ancien et déjà souvent utilisé pour des suicides.<br />

Ils ont inclus dans <strong>le</strong>ur étude <strong>le</strong>s personnes qui ont sauté de ces deux <strong>pont</strong>s (qu’el<strong>le</strong>s aient<br />

<strong>sur</strong>vécu ou non) mais aussi cel<strong>le</strong>s qui se préparaient à <strong>le</strong> faire. Les auteurs ont trouvé des<br />

différences entre <strong>le</strong>s personnes <strong>suicidaire</strong>s des deux <strong>pont</strong>s, notamment au niveau <strong>du</strong> statut<br />

social (marié ou non), de l’emploi, <strong>du</strong> nombre d’admissions en service psychiatrique, <strong>du</strong> nombre<br />

de jours d’hospitalisation, <strong>du</strong> nombre de jours depuis la dernière consultation clinique et <strong>du</strong><br />

nombre d’antécédents <strong>suicidaire</strong>s. Ils en concluent que <strong>le</strong>s personnes empêchées de sauter <strong>sur</strong><br />

un <strong>pont</strong> ne se dirigeront pas automatiquement vers un autre <strong>pont</strong>, même s’il est possib<strong>le</strong> qu’une<br />

minorité puisse s’y aventurer.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, il n’est pas certain que ces derniers résultats puissent se généraliser à la situation<br />

québécoise. Dans l’étude de Prévost, Julien, et Brown (1995), 61,1% des dossiers des<br />

personnes qui se sont suicidées <strong>du</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier ne contenaient aucune information<br />

quant aux diagnostics ou aux soins reçus en psychiatrie. Dans <strong>le</strong>s 21 dossiers mieux<br />

documentés, seu<strong>le</strong>ment 7 (33,3%) pouvaient correspondre à des cas de schizophrénie (ou de<br />

psychose), alors que 11 cas (52,4%) re<strong>le</strong>vaient plutôt des troub<strong>le</strong>s de l’humeur (dépression ou<br />

troub<strong>le</strong> bipolaire). Prévost, Julien et Brown (1995) s’interrogent d’ail<strong>le</strong>urs <strong>sur</strong> ces différences par<br />

rapport aux études internationa<strong>le</strong>s mais sans pouvoir <strong>le</strong>s expliquer (sinon par <strong>le</strong> fait que ces<br />

différences ne sont peut-être pas réel<strong>le</strong>s, compte tenu de l’amp<strong>le</strong>ur des données manquantes).<br />

Pour ce qu’il en est plus particulièrement <strong>du</strong> symbolisme associé à un suicide <strong>sur</strong> un <strong>pont</strong>, il est<br />

certain que l’aspect spectaculaire de la chose en est une composante importante. Ainsi,<br />

Maltsberger, Ellison et Lovett (1998) par<strong>le</strong>nt de fantaisie grandiose de vo<strong>le</strong>r chez un indivi<strong>du</strong> qui,<br />

sans être schizophrène, n’en vivait pas moins un épisode qualifié en psychiatrie de «dissociatif»<br />

(perturbation ou altération des fonctions norma<strong>le</strong>s d’intégration de l’identité, de la mémoire ou<br />

de la conscience). De même, Rosen (1975, 1976) a interviewé sept <strong>sur</strong>vivants de tentatives de<br />

suicide effectuées à partir de <strong>pont</strong>s californiens. Six des <strong>sur</strong>vivants ont indiqué que, non<br />

seu<strong>le</strong>ment ils avaient planifié <strong>le</strong>ur suicide à partir d’un <strong>pont</strong>, mais aussi à partir d’un <strong>pont</strong> bien<br />

particulier. Il parlaient généra<strong>le</strong>ment d’une association qu’ils avaient faite entre la mort et la<br />

beauté («beauty/grace») particulière de ce <strong>pont</strong>-là. Malgré <strong>le</strong>ur désir de vivre suite à cette<br />

tentative non finalisée, <strong>le</strong>s <strong>sur</strong>vivants n’en associaient pas moins <strong>le</strong>ur expérience à une<br />

transcendance et à une renaissance spirituel<strong>le</strong>.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

15


De la même manière, Pommerau, Tedo et Penouil (1989) identifient éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s composantes<br />

symboliques reliées au saut d’une hauteur et notamment <strong>le</strong>s notions de traversée («crossing<br />

over») et de transgression. Par ail<strong>le</strong>urs, tout ce symbolisme semb<strong>le</strong> reposer, <strong>du</strong> moins en partie,<br />

<strong>sur</strong> une mythologie populaire qui estime qu’un suicide <strong>du</strong> haut d’un <strong>pont</strong> se réalise faci<strong>le</strong>ment,<br />

sans heurts, et que la personne en cause disparaît doucement sous <strong>le</strong>s vagues (Seiden, 1978).<br />

Pour certains Québécois <strong>suicidaire</strong>s, une composante symbolique est donc possib<strong>le</strong>ment plus<br />

ou moins associée au <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier de Montréal, laquel<strong>le</strong> va<strong>le</strong>ur ne serait d’ail<strong>le</strong>urs que<br />

renforcée dans l’éventualité <strong>du</strong> soulignement prochain de son anniversaire. Cette composante<br />

semb<strong>le</strong> éga<strong>le</strong>ment présente dans d’autres lieux qui ont une certaine résonance médiatique,<br />

comme <strong>le</strong> Bloor Street Via<strong>du</strong>ct de Toronto. On souligne ainsi que ce dernier était considéré au<br />

début (1918) comme un «symbol of Toronto’s future» (Gray, 2003). Quoi qu’il en soit, l’ensemb<strong>le</strong><br />

des études qui viennent d’être présentées indique bien que plusieurs indivi<strong>du</strong>s vont privilégier<br />

une méthode particulière pour se suicider, sinon un lieu particulier. Il en décou<strong>le</strong> ainsi que ces<br />

indivi<strong>du</strong>s ne reporteraient pas faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>urs projets <strong>suicidaire</strong>s <strong>sur</strong> d’autres moyens ou <strong>sur</strong><br />

d’autres lieux.<br />

III. A. 2. <strong>Crise</strong> limitée dans <strong>le</strong> temps<br />

Il est reconnu qu’une crise <strong>suicidaire</strong> est habituel<strong>le</strong>ment limitée dans <strong>le</strong> temps et que, si son<br />

issue fata<strong>le</strong> est empêchée, la crise ne se répétera pas ou bien de l’aide sera ren<strong>du</strong>e disponib<strong>le</strong><br />

entre-temps. Au pire, l’indivi<strong>du</strong> <strong>suicidaire</strong> dépourvu de sa méthode privilégiée de suicide devrait<br />

se rabattre <strong>sur</strong> une autre, moins léta<strong>le</strong>. En effet, des éléments d’impulsivité passagère sont<br />

identifiés comme importants dans <strong>le</strong>s <strong>comportement</strong>s <strong>suicidaire</strong>s, plus particulièrement chez <strong>le</strong>s<br />

jeunes, mais encore plus spécifiquement dans <strong>le</strong>s suicides réalisés à partir d’une hauteur<br />

(Pommerau, Tedo & Penouil, 1989). En parallè<strong>le</strong>, il faut voir aussi que l’ambiva<strong>le</strong>nce est typique<br />

<strong>du</strong> cheminement <strong>suicidaire</strong> (Centers for Desease Control and Prevention, 1992, p. 147), ce qui a<br />

justement été re<strong>le</strong>vé auprès des personnes <strong>suicidaire</strong>s qui téléphonent dans <strong>le</strong>s services<br />

d’urgence psychiatrique à partir des téléphones installés <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s <strong>pont</strong>s (Glatt, 1987). Le<br />

Graphique 2 illustre justement <strong>le</strong> cheminement des indivi<strong>du</strong>s <strong>suicidaire</strong>s (des jeunes, dans ce<br />

cas particulier) qui, advenant une contrainte par rapport à un moyen très létal, en viennent à<br />

choisir un moyen moins létal ou bien à être pris en charge, <strong>le</strong> tout amenant fina<strong>le</strong>ment une<br />

diminution <strong>du</strong> nombre total de tentatives et de suicides.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

16


Graphique 2. Rationnel sous-tendant <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des moyens disponib<strong>le</strong>s pour se suicider<br />

(extrait de : Centers for Disease Control and Prevention, 1992, p. 147)<br />

La prise en charge doit d’ail<strong>le</strong>urs être disponib<strong>le</strong> rapidement après une tentative de suicide, ce<br />

que permettent justement des lignes téléphoniques spécialisées installées <strong>sur</strong> certains <strong>pont</strong>s.<br />

Sakinofsky (2000) estime en effet que, de façon généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong> risque de répétition d’une tentative<br />

de suicide est <strong>le</strong> plus é<strong>le</strong>vé pendant la période qui suit immédiatement <strong>le</strong> premier geste<br />

<strong>suicidaire</strong>. Selon lui, l’ensemb<strong>le</strong> des études prospectives a démontré que, après un an, de 1 à<br />

3% de ces indivi<strong>du</strong>s seront fina<strong>le</strong>ment morts par suicide. Après un suivi de cinq ans, ce<br />

pourcentage pourra atteindre 9% et, dans des études plus longues, 11%. Ceci signifierait donc<br />

que, parmi <strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s empêchés d’utiliser <strong>le</strong> moyen de <strong>le</strong>ur choix, 89% ne se suicideront pas<br />

par un autre moyen, ce pourcentage de personnes sauvées pouvant même être plus é<strong>le</strong>vé si<br />

une aide efficace est apportée en parallè<strong>le</strong>. Dans l’ensemb<strong>le</strong>, il est vrai que <strong>le</strong> risque de suicide<br />

est environ 100 fois plus é<strong>le</strong>vé chez ceux qui ont des antécédents <strong>suicidaire</strong>s mais la majorité<br />

ne décéderont donc quand même pas par suicide (Owens, Horrocks & House, 2002). C’est ainsi<br />

que Böstman (1987) a re<strong>le</strong>vé que, des 68 personnes soignées suite à une tentative de suicide<br />

par saut (d’une hauteur), toutes étaient encore en vie un an après.<br />

Pour ce qu’il en est plus spécifiquement des <strong>pont</strong>s, Seiden (1978) a fait un suivi des 515<br />

personnes qui ont fait une tentative de suicide <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Golden Gate Bridge (San Francisco)<br />

depuis son ouverture en 1937 jusqu’à l’année 1971. En consultant <strong>le</strong>s archives des certificats de<br />

décès, il a pu re<strong>le</strong>ver que seu<strong>le</strong>ment 4,9 % de ces 515 personnes étaient fina<strong>le</strong>ment décédées<br />

par suicide. Pour ceux qui s’étaient suicidés suite à <strong>le</strong>ur tentative origina<strong>le</strong>, environ <strong>le</strong> tiers l’avait<br />

fait dans <strong>le</strong>s six mois suivants. L’auteur en concluait donc que la vaste majorité des personnes<br />

sauvées d’un suicide <strong>sur</strong> un <strong>pont</strong> ne récidivent pas et que <strong>le</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> est<br />

effectivement spécifique à une crise passagère et aiguë («crisis-oriented and acute», p. 215).<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

17


III. B. Études au niveau des populations<br />

Si <strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s semb<strong>le</strong>nt avoir des préférences pour une méthode particulière de suicide et s’ils<br />

vivent essentiel<strong>le</strong>ment des crises passagères, un éventuel contrô<strong>le</strong> d’un moyen particulier ne<br />

devrait donc pas entraîner une augmentation dans l’utilisation d’un autre moyen. Du même fait,<br />

<strong>le</strong>s taux globaux, pour l’ensemb<strong>le</strong> des suicides, devraient éga<strong>le</strong>ment diminuer, toutes choses<br />

demeurant éga<strong>le</strong>s par ail<strong>le</strong>urs. C’est ce que devraient nous confirmer <strong>le</strong>s études au niveau des<br />

populations. Or, il faut bien voir que <strong>le</strong>s effets directs d’un contrô<strong>le</strong> d’un moyen (de se suicider),<br />

autant qu’un éventuel déplacement vers d’autres moyens, sont diffici<strong>le</strong>ment observab<strong>le</strong>s lorsque<br />

<strong>le</strong> moyen ciblé est déjà peu utilisé dans la population. Au niveau statistique, la preuve d’un<br />

phénomène quelconque est alors beaucoup plus diffici<strong>le</strong> à établir. C’est <strong>le</strong> cas des suicides<br />

réalisés (ou non) à partir des <strong>pont</strong>s et d’un éventuel déplacement vers d’autres moyens (Gunnell<br />

& Nowers, 1997). D’où l’intérêt d’élargir la discussion à ce qui a été dit <strong>sur</strong> des moyens<br />

beaucoup plus fréquemment utilisés et (relativement) contrôlab<strong>le</strong>s, comme <strong>le</strong>s armes à feu par<br />

exemp<strong>le</strong>. Comme il a été dit précédemment, de tel<strong>le</strong>s études ne sont cependant pas pertinentes<br />

dans <strong>le</strong> cas de moyens qui sont souvent utilisés, comme la pendaison, mais qui ne peuvent pas<br />

vraiment être restreints sauf en milieux fermés (hôpitaux psychiatriques, prisons, Centres<br />

Jeunesse…).<br />

Prévost, Julien, et Brown (1995), suite à la recension (très) partiel<strong>le</strong> des écrits qu’ils ont publiée,<br />

avançaient que «dans l’ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong> nombre de suicides demeurerait inchangé» (p. 16) suite à<br />

des contraintes environnementa<strong>le</strong>s. Néanmoins, ils retenaient plus loin que «la question de<br />

déplacement des suicides pourrait (…) varier selon <strong>le</strong>s moyens en cause» (p. 17). Dans <strong>le</strong>ur<br />

artic<strong>le</strong> publié l’année suivante, Prévost, Julien, et Brown (1996) par<strong>le</strong>nt plutôt de «several<br />

convincing examp<strong>le</strong>s of the net effectiveness of limiting access to means of suicide» (p. 379). Ils<br />

citent alors de nouveau Clarke et Lester (1989) qui, dans un livre au titre très explicite (Suicide :<br />

Closing the exits), ont examiné spécifiquement <strong>le</strong>s risques de déplacement vers d’autres<br />

méthodes de suicide.<br />

Il importe donc de distinguer ce qu’il en est au niveau des différentes méthodes utilisées et c’est<br />

pourquoi nous reprenons ici <strong>le</strong> type de classification utilisée plus haut. C’est ainsi que nous<br />

présentons, successivement, <strong>le</strong>s possibilités de déplacement suite au contrô<strong>le</strong> (1) des gaz<br />

toxiques, (2) des armes à feu, (3) des médicaments puis, fina<strong>le</strong>ment, (4) des <strong>pont</strong>s.<br />

III. B. 1. Gaz toxiques<br />

Lester (1988) avance qu’une des découvertes <strong>le</strong>s plus remarquab<strong>le</strong>s («one of the more<br />

remarkab<strong>le</strong> findings in recent years») est la démonstration que la disponibilité ré<strong>du</strong>ite à une<br />

méthode de suicide ré<strong>du</strong>it effectivement <strong>le</strong> taux global de suicide dans une région. Lester<br />

(1988), mais aussi Clarke et Mayhew (1988) et Clarke et Lester (1989), invoquent justement la<br />

démonstration qui a été faite que la détoxication des gaz domestiques en Grande-Bretagne a<br />

ré<strong>du</strong>it considérab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> nombre de suicides par cette méthode mais aussi <strong>le</strong>s taux globaux<br />

de suicide (diminution <strong>du</strong> tiers des suicides).<br />

En fait, c’est Kreitman (1976) qui a été l’un des premiers à noter qu’un moindre accès à un<br />

moyen (<strong>le</strong>s gaz toxiques, dans ce cas-ci) n’amenait pas un déplacement vers un autre moyen.<br />

Kreitman a ainsi mis en relief la diminution globa<strong>le</strong> des taux de suicide et de la toxicité des gaz<br />

domestiques au Royaume-Uni. L'empoisonnement par <strong>le</strong>s gaz domestiques ayant toujours été<br />

privilégié par <strong>le</strong>s <strong>suicidaire</strong>s de ce pays (49,8% en 1958), la diminution de la nocivité de ces gaz<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

18


aurait ainsi eu un effet direct <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s taux globaux de suicide. En somme, la non-disponibilité d'un<br />

moyen traditionnel de suicide aurait suffi à faire diminuer <strong>le</strong> nombre total de suicides (de 5298 cas<br />

en 1958 à 3944 cas en 1977), même si <strong>le</strong>s suicides par d'autres moyens avaient par ail<strong>le</strong>urs<br />

augmenté quelque peu. Notons que Kreitman (1976) n'a pas contesté <strong>le</strong>s variations régiona<strong>le</strong>s<br />

dans <strong>le</strong>s taux déjà observés par Bag<strong>le</strong>y (1968), <strong>le</strong>quel y voyait plutôt l’influence de l’apparition<br />

récente des centres de prévention <strong>du</strong> suicide administrés par <strong>le</strong>s Samaritains. Par contre, il a noté<br />

avec justesse qu'une influence bénéfique des Samaritains aurait dû apparaître pour tous <strong>le</strong>s types<br />

de suicides. Or, <strong>le</strong>s tendances des taux sont divergentes entre <strong>le</strong>s suicides par gaz et ceux par<br />

d'autres moyens. Ashford et Lawrence (1976) ont aussi souligné, mais de façon moins catégorique,<br />

l'importance de la détoxication des gaz domestiques comme variab<strong>le</strong> explicative de la diminution<br />

globa<strong>le</strong> des suicides au Royaume-Uni. Ils adhèrent au même argument qui veut que l'influence<br />

des Samaritains aurait dû, en toute logique, être généralisée et non restreinte à une seu<strong>le</strong> forme de<br />

suicide. Il faut voir aussi que Kreitman et Platt (1984) ont éga<strong>le</strong>ment éliminé la possibilité que la<br />

diminution des taux de suicide ait été <strong>du</strong>e à une diminution <strong>du</strong> taux de chômage. En fait, <strong>le</strong>s taux<br />

de chômage ont augmenté pendant la période étudiée et ils étaient corrélés uniquement avec<br />

<strong>le</strong>s suicides réalisés par d’autres moyens que <strong>le</strong>s gaz domestiques.<br />

Lester et Abe (1989) ont observé <strong>le</strong> même effet au Japon : la détoxication gra<strong>du</strong>el<strong>le</strong> des gaz<br />

domestiques n’a pas amené un déplacement vers l’utilisation d’autres méthodes pour se<br />

suicider. Par ail<strong>le</strong>urs, Sainsbury, Baert, et Jenkins (1979), cités dans Mil<strong>le</strong>r, Coombs, Leeper, et<br />

Barton (1984), n'ont pas observé aux Pays-Bas la même corrélation entre détoxication des gaz<br />

domestiques et taux de suicide. Par contre, <strong>le</strong> suicide par <strong>le</strong>s gaz domestiques n'aurait jamais été<br />

un moyen vraiment privilégié dans cet autre contexte géographique et socioculturel. Cantor (2000)<br />

précise éga<strong>le</strong>ment que l’expérience des Pays-Bas n’invalide pas la preuve obtenue précédemment<br />

en Ang<strong>le</strong>terre et au Pays de Gal<strong>le</strong>s. Il rappel<strong>le</strong> d’abord que l’intoxication aux gaz domestiques était<br />

déjà proportionnel<strong>le</strong>ment très modeste aux Pays Bas, empêchant justement d’observer un effet<br />

éventuel <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s taux globaux suite à une détoxication. Deuxièmement, il invoque que d’autres<br />

conditions étaient en jeu au niveau des taux globaux. Fina<strong>le</strong>ment, il rappel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s facteurs<br />

culturels et environnementaux ne s’exercent pas de la même manière d’un pays à l’autre.<br />

Clarke et Lester (1989) avancent toutefois que, suite à la détoxication des gaz domestiques en<br />

Ang<strong>le</strong>terre, un certain petit pourcentage de déplacement a pu apparaître, après 1977, vers la<br />

méthode d’intoxication par <strong>le</strong>s gaz d’échappement des automobi<strong>le</strong>s (devenues plus disponib<strong>le</strong>s<br />

par ail<strong>le</strong>urs). Néanmoins, <strong>le</strong>s auteurs rappel<strong>le</strong>nt que des milliers de vie ont été sauvées entretemps,<br />

<strong>du</strong> fait <strong>du</strong> contrô<strong>le</strong> des gaz domestiques. Pour ce qu’il en est plus spécifiquement de la<br />

situation en Écosse et aux Pays-Bas, ces mêmes auteurs n’ont pu préciser cependant s’il y avait<br />

déplacement ou non vers d’autres méthodes suite à la détoxication des gaz.<br />

Pour ce qu’il en est des États-Unis, Lester (1990) y a documenté l’effet de la détoxication des<br />

gaz domestiques entre 1950 et 1960. Il a éga<strong>le</strong>ment observé l’effet bénéfique de cette me<strong>sur</strong>e,<br />

malgré <strong>le</strong> fait que l’intoxication par gaz domestique était déjà beaucoup moins fréquente au<br />

point de départ. C’est pourquoi, semb<strong>le</strong>-t-il, l’effet de cette me<strong>sur</strong>e <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s taux globaux n’était<br />

même pas perceptib<strong>le</strong>. Lester (1990) a aussi observé qu’un certain déplacement s’était alors<br />

effectué vers l’utilisation des gaz d’échappement des automobi<strong>le</strong>s. Tout comme pour la situation<br />

au Japon, cela s’expliquerait essentiel<strong>le</strong>ment par une augmentation de la disponibilité des<br />

automobi<strong>le</strong>s pendant la période étudiée. En effet, l’augmentation <strong>du</strong> parc automobi<strong>le</strong> est<br />

corrélée positivement avec l’augmentation des suicides réalisés avec <strong>le</strong>s gaz d’échappement<br />

des automobi<strong>le</strong>s. De plus, Lester a noté que, s’il y avait «déplacement» dans ce cas-ci, il ne<br />

s’était effectué que pour la population masculine. Il en conclue fina<strong>le</strong>ment qu’il ne peut confirmer<br />

ou infirmer la présence d’un véritab<strong>le</strong> déplacement dans <strong>le</strong> cas particulier des États-Unis.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

19


III. B. 2. Armes à feu<br />

Pour démontrer qu’une diminution dans l’accessibilité à un moyen de se suicider pouvait<br />

diminuer <strong>le</strong> taux global de suicide, Lester (1988) invoque un deuxième exemp<strong>le</strong>: celui des lois<br />

contrôlant <strong>le</strong>s armes à feu. Clarke et Lester (1989), à partir d’un ensemb<strong>le</strong> d’études, ont<br />

cependant présenté des résultats mitigés là-dessus, <strong>du</strong> moins quant à la situation bien<br />

particulière des États-Unis. Lester (1990) cite même une conférence donnée par Rich et Young<br />

(1988), <strong>le</strong>squels avançaient que, à Toronto, <strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s <strong>suicidaire</strong>s auraient abandonné la<br />

méthode de l’arme à feu pour <strong>le</strong> saut en face d’une rame de métro, laissant ainsi inchangés <strong>le</strong>s<br />

taux globaux de suicide.<br />

Par delà cette conférence non documentée, une étude canadienne plus récente, cel<strong>le</strong> de<br />

Carrington et Moyer (1994), en arrive pourtant à des conclusions plus précises et plus<br />

optimistes. Ces chercheurs ont étudié l’effet de la loi canadienne (Bill C-51) qui, à partir de<br />

1978, a établi certains contrô<strong>le</strong>s <strong>sur</strong> la possession d’armes à feu. Ils ont réalisé des analyses<br />

statistiques (dites de «régression») <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s variations régiona<strong>le</strong>s dans la possession d’armes à<br />

feu et dans <strong>le</strong>s taux de suicides, de même que des analyses de séries temporel<strong>le</strong>s interrompues<br />

(«interrupted time series»). Ces deux types d’analyses statistiques ont révélé des associations<br />

positives entre la disponibilité des armes à feu et <strong>le</strong>s taux de suicides, de même qu’aucune<br />

évidence de déplacement au niveau des moyens utilisés. Selon eux, l’accès limité à une<br />

méthode particulière de suicide avait donc un effet bénéfique <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s taux globaux de suicide.<br />

Là-dessus, <strong>le</strong>urs conclusions concordaient avec la «théorie de la décision» déjà invoquée par<br />

Clarke et Lester (1989). Cette théorie souligne l’importance des processus cognitifs et des<br />

facteurs conjoncturels qui sont en jeu lors de la prise de décision chez <strong>le</strong>s personnes<br />

<strong>suicidaire</strong>s.<br />

Leenaars et Lester (1996) ont quant à eux observé, suite à l’application de la nouvel<strong>le</strong> loi<br />

canadienne, une diminution significative de l’utilisation d’armes à feu lors des suicides mais<br />

aussi dans la «victimisation» par homicide. Pour ce qu’il en est de la population féminine, ils<br />

n’ont observé aucun phénomène de déplacement, ce qui ne serait pas <strong>le</strong> cas, selon <strong>le</strong>ur étude,<br />

chez <strong>le</strong>s hommes. Carrington (1999) a cependant ré-analysé <strong>le</strong>s données de Leenaars et<br />

Lester, rappelant d‘abord que ces derniers n’ont compilé que <strong>le</strong>s données propres aux victimes<br />

(de suicide ou d’homicide) et non cel<strong>le</strong>s propres aux auteurs (d’homicide). Par delà cet aspect<br />

méthodologique, <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s analyses statistiques de Carrington apparaissent comme<br />

convaincantes et démontrent bien que, alors que <strong>le</strong>s suicides masculins par arme à feu<br />

déclinaient au Canada, il n’y avait pas de changement correspondant au niveau des autres<br />

méthodes utilisées. Leenars et Lester (1999), fina<strong>le</strong>ment, ne poussent pas trop loin ce débat<br />

(très) méthodologique, d’autant plus que, même s’il y avait preuve statistique d’un certain<br />

déplacement (pour <strong>le</strong>s hommes), el<strong>le</strong> ne serait pas d’un très grand ordre de grandeur.<br />

Lester (1995), à partir d’une revue <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet, souligne fina<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des armes à<br />

feu peut effectivement ré<strong>du</strong>ire <strong>le</strong> nombre de suicides (mais pas nécessairement celui des<br />

homicides) et ceci sans qu’il y ait déplacement vers d’autres moyens. Lambert et Silva (1998)<br />

rappel<strong>le</strong>nt aussi que <strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s <strong>suicidaire</strong>s choisissent rarement un deuxième moyen pour se<br />

suicider, qu’ils ne chercheront pas à se procurer de façon illéga<strong>le</strong> une autre arme et que, en<br />

définitive, la crise <strong>suicidaire</strong> se sera probab<strong>le</strong>ment résorbée entre-temps.<br />

III. B. 3. Médicaments et autres substances toxiques<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

20


Clarke et Lester (1989) rapportent plusieurs études qui ont démontré qu’il n’y avait pas d’effet de<br />

déplacement lorsque s’exerçait un contrô<strong>le</strong> <strong>sur</strong> des médicaments ayant un effet létal. Ils citent<br />

ainsi Oliver et Hetzel (1972, 1973) qui ont démontré que, suite au contrô<strong>le</strong> de la vente des<br />

sédatifs en Australie, <strong>le</strong>s suicides par intoxication ont effectivement diminué après 1967 et qu’il<br />

n’y a pas eu d’augmentation pour <strong>le</strong>s suicides par autres moyens. Whitlock (1975) a fait une<br />

démonstration semblab<strong>le</strong>, cette fois pour la région plus spécifique de Brisbane (Australie). Au<br />

Japon, Yamasawa et al. (1980, cités dans Clarke et Lester, 1989) ont démontré que l’obligation,<br />

à partir de 1956, d’avoir une prescription pour acheter certains médicaments diminuait <strong>le</strong>s taux<br />

de suicides par un tel moyen, sans qu’il y ait déplacement vers d’autres intoxicants comme <strong>le</strong>s<br />

pro<strong>du</strong>its agrico<strong>le</strong>s chimiques ou <strong>le</strong>s cyanures. De façon globa<strong>le</strong>, Clarke et Lester (1989)<br />

concluent donc que plusieurs études confirment qu’une diminution dans l’usage d’un<br />

médicament particulier ne s’accompagne pas d’un déplacement vers d’autres moyens de se<br />

suicider.<br />

L’Organisation mondia<strong>le</strong> de la santé (1986, citée dans Centers for Disease Control and<br />

Prevention, 1992) rapporte cependant un exemp<strong>le</strong> d'échec <strong>du</strong> contrô<strong>le</strong> de ce type de moyens,<br />

plus spécifiquement au Surinam. Dans ce pays, <strong>le</strong> gouvernement avait banni la vente d'acide<br />

acétique non-diluée (dont l'ingestion était un moyen de suicide habituel dans ce pays). Presque<br />

tous <strong>le</strong>s suicides par ce moyen ont été éliminés mais <strong>le</strong> pays a connu une hausse concomitante<br />

des suicides par ingestion de Paraquat, un puissant herbicide très disponib<strong>le</strong> loca<strong>le</strong>ment. Il faut<br />

noter cependant que <strong>le</strong>s suicides par ingestion de poisons agrico<strong>le</strong>s étaient déjà en hausse<br />

avant <strong>le</strong>s me<strong>sur</strong>es de contrô<strong>le</strong> gouvernemental. De plus, nous pouvons noter qu’il s’agissait<br />

peut-être là d’un «déplacement», mais ceci à l’intérieur d’une même catégorie de moyens (<strong>le</strong>s<br />

ingestions de substances toxiques).<br />

III. B. 4. Ponts<br />

Tel que mentionné plus haut, l’effet de l’installation de barrières anti-saut <strong>sur</strong> des <strong>pont</strong>s est plus<br />

diffici<strong>le</strong>ment me<strong>sur</strong>ab<strong>le</strong>, <strong>du</strong> fait <strong>du</strong> nombre moins important de suicides qui est en cause.<br />

Néanmoins, un auteur comme Lester (1993) a re<strong>le</strong>vé que, suite à l’installation des barrières <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong> Duke Ellington Bridge (Washington D.C.) en 1986, aucun autre suicide ne s’était pro<strong>du</strong>it <strong>sur</strong><br />

ce <strong>pont</strong> entre 1987 et 1989. Selon Lester, il n’y a pas eu de déplacements vers d’autres <strong>pont</strong>s<br />

suite à cette me<strong>sur</strong>e de contrô<strong>le</strong> puisque <strong>le</strong> nombre total de suicides, à partir de tous <strong>le</strong>s <strong>pont</strong>s<br />

de ce district américain, avait diminué.<br />

C’est la même situation qu’ont analysée en profondeur Berman, O’Carroll et Silverman (1994).<br />

Ces derniers ont comparé <strong>le</strong>s huit années qui ont précédé la construction, en janvier 1986,<br />

d’une barrière anti-saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Duke Ellington Bridge avec <strong>le</strong>s cinq années qui ont suivi. De 1979<br />

à janvier 1986, 25 suicides (3,67 par année) avaient été complétés à partir de ce <strong>pont</strong> mais un<br />

seul autre avait été observé après la construction des barrières (0,20 par année). Sur <strong>le</strong> Taft<br />

Bridge, un <strong>pont</strong> moins populaire mais situé tout près, 12 suicides s’étaient pro<strong>du</strong>its entre 1979 et<br />

janvier 1986 (1,69 par année). Aucune barrière n’y avait été installée et la situation restait<br />

semblab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s cinq années suivantes (1986 à 1990) : 10 suicides (2 par année). Par<br />

ail<strong>le</strong>urs, de façon concomitante, <strong>le</strong> nombre global de suicides pour Washington D.C. diminuait<br />

de 76,4 à 71,6 (diminution de 4,8 par année) pour la même période, indiquant éga<strong>le</strong>ment qu’il<br />

n’y avait probab<strong>le</strong>ment pas eu déplacement vers d’autres méthodes. Par ail<strong>le</strong>urs, Berman,<br />

O’Carroll et Silverman rappel<strong>le</strong>nt au passage que des barrières anti-saut peuvent éga<strong>le</strong>ment<br />

empêcher la commission de certains crimes, dont deux particulièrement odieux avaient<br />

justement été commis, avant l’installation de barrières, à partir <strong>du</strong> Duke Ellington Bridge.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

21


Beautrais (2001) a plus particulièrement étudié l’effet <strong>du</strong> retrait des barrières anti-saut <strong>sur</strong> un<br />

<strong>pont</strong> Australien (non identifié par l’auteur) souvent utilisé par des patients psychiatriques<br />

<strong>suicidaire</strong>s. Il s'agissait d'un <strong>pont</strong> («overpass... above a metropolitan motorway») d'où sautaient<br />

des patients qualifiés de «schizophrènes» la plupart <strong>du</strong> temps. Il s’agit donc d’une situation bien<br />

particulière, sinon exceptionnel<strong>le</strong>, <strong>du</strong>e probab<strong>le</strong>ment à la proximité d'une unité psychiatrique qui<br />

traitait justement plusieurs indivi<strong>du</strong>s qui avaient déjà fait des tentatives de suicide.<br />

Effectivement, suite au retrait des barrières en 1996, <strong>le</strong> nombre de suicides a augmenté <strong>sur</strong> ce<br />

<strong>pont</strong> australien de 2 (pour 1994-1995) à 7 (pour 1997-1998) mais pas <strong>le</strong> nombre total de<br />

suicides par saut dans la région. À première vue, cela semb<strong>le</strong>rait donc indiquer qu’il y a eu<br />

déplacement vers <strong>le</strong> <strong>pont</strong> qui était redevenu accessib<strong>le</strong>, d’autant plus que, en parallè<strong>le</strong>, il y avait<br />

eu moins de suicides par saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s autres sites (de 12 en 1994-1995 à 7 en 1997-1998). Une<br />

analyse plus en profondeur révè<strong>le</strong> cependant que <strong>le</strong>s profils des personnes décédées par<br />

suicide, d’un site à l’autre, étaient bien différents. En effet, <strong>le</strong>s personnes qui se sont suicidées à<br />

partir <strong>du</strong> <strong>pont</strong> en question étaient presque toutes schizophrènes (78%), contrairement aux<br />

personnes qui se suicidaient par saut d’un autre site (21%). Ceci signifierait donc qu'il n'y a pas<br />

vraiment eu déplacement mais plutôt augmentation des suicides (de personnes schizophrènes)<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> et, parallè<strong>le</strong>ment, diminution des suicides par saut ail<strong>le</strong>urs (ceci pour d’autres<br />

raisons). Ce <strong>pont</strong> australien aurait donc un intérêt particulier pour <strong>le</strong>s personnes schizophrènes<br />

qui fréquentent son voisinage.<br />

Un peu de la même façon, nous avons vu plus haut (section III.A.1) que Cantor et Hill (1990)<br />

avaient trouvé des différences importantes entre <strong>le</strong>s personnes <strong>suicidaire</strong>s identifiées à deux<br />

<strong>pont</strong>s australiens, dont l’un inauguré en 1986. Ces auteurs ont d’ail<strong>le</strong>urs observé que <strong>le</strong> nombre<br />

de suicides par saut avait effectivement doublé depuis l’ouverture <strong>du</strong> nouveau <strong>pont</strong> (bien que la<br />

courte période sous étude n’ait pas permis de <strong>le</strong> prouver de façon statistiquement significative).<br />

Inversement, cela permettrait de conclure que, si une barrière était installée <strong>sur</strong> un de ces deux<br />

<strong>pont</strong>s, <strong>le</strong>s personnes <strong>suicidaire</strong>s ne se dirigeraient pas vers l’autre <strong>pont</strong>.<br />

Il y aurait donc, selon ces quelques études, une spécificité propre non seu<strong>le</strong>ment aux suicides<br />

réalisés à partir des <strong>pont</strong>s mais aussi aux suicides réalisés à partir d’un certain <strong>pont</strong>. D’où la<br />

faib<strong>le</strong> probabilité que des déplacements vers d’autres moyens soient observés. Cette conclusion<br />

n’élimine cependant pas complètement la possibilité que d’autres facteurs soient entrés en jeu,<br />

<strong>sur</strong>tout quant à l’influence de contrô<strong>le</strong>s environnementaux spécifiques (des barrières anti-saut<br />

<strong>sur</strong> certains <strong>pont</strong>s) <strong>sur</strong> des taux globaux de suicide. Néanmoins, ces études tendent à confirmer<br />

l’idée que ceux qui ont été empêchés de se suicider à partir d’un <strong>pont</strong> bien particulier ne se sont<br />

pas ren<strong>du</strong>s <strong>sur</strong> un autre <strong>pont</strong> pour accomplir <strong>le</strong>urs fins. Notons ici qu’aucune expérience<br />

«naturel<strong>le</strong>», c’est-à-dire dans la communauté, ne pourra jamais nous fournir des preuves hors<br />

de tout doute dans ce domaine. En effet, contrairement à ce qui peut se faire en laboratoire, il<br />

est impensab<strong>le</strong> de pouvoir contrô<strong>le</strong>r tous <strong>le</strong>s facteurs en jeu, notamment dans <strong>le</strong> domaine de la<br />

prévention <strong>du</strong> suicide, d’autant plus que ceux-ci varient grandement dans <strong>le</strong> temps. Il faut donc<br />

considérer que des expériences comme cel<strong>le</strong>s des <strong>pont</strong>s Duke Ellington et Taft sont déjà très<br />

instructives.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

22


Conclusion<br />

Il a été exposé que <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des moyens disponib<strong>le</strong>s pour se suicider n’est qu’une des<br />

facettes de la prévention <strong>du</strong> suicide, ce qui est d’ail<strong>le</strong>urs l’optique retenue dans <strong>le</strong> rapport <strong>du</strong><br />

Groupe de travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier. L’efficacité d’un contrô<strong>le</strong><br />

exercé au niveau d’un moyen particulier a bien été démontrée, <strong>du</strong> moins pour ce qu’il en est des<br />

gaz toxiques, des armes à feu, des médicaments et des <strong>pont</strong>s. Reste la question <strong>du</strong><br />

déplacement éventuel vers d’autres méthodes. Au niveau des indivi<strong>du</strong>s, <strong>le</strong>s études semb<strong>le</strong>nt<br />

démontrer qu’il existe chez plusieurs une préférence pour une méthode particulière de se<br />

suicider, ce qui limiterait la possibilité d’un report vers une autre méthode. De la même façon, <strong>le</strong><br />

fait que la crise <strong>suicidaire</strong> soit très souvent passagère (et même influencée par l’ambiva<strong>le</strong>nce ou<br />

l’impulsivité) laisse croire qu’un indivi<strong>du</strong> donné, limité dans l’accès à un moyen, ne reporterait<br />

pas son projet à plus tard ou <strong>sur</strong> un autre moyen. Cependant, au niveau de l’étude des<br />

populations, <strong>le</strong>s démonstrations scientifiques sont parfois plus diffici<strong>le</strong>s à établir.<br />

Selon Clarke et Lester (1989, p. 75), <strong>le</strong> «déplacement» est la substitution d’une méthode de<br />

suicide à une autre dont la disponibilité a été ré<strong>du</strong>ite. Ces auteurs avancent qu’il faut distinguer<br />

deux types de déplacements : l’un renvoie au <strong>comportement</strong> des indivi<strong>du</strong>s qui peuvent<br />

rechercher une alternative lorsqu’une avenue <strong>suicidaire</strong> est bloquée; l’autre renvoie au<br />

<strong>comportement</strong> des populations qui peuvent exploiter ou développer des méthodes de<br />

remplacement pour une méthode qui n’est plus disponib<strong>le</strong>. Les deux formes de déplacement<br />

peuvent éventuel<strong>le</strong>ment se confondre. Cependant, il faut bien voir que si <strong>le</strong> deuxième type de<br />

déplacements apparaissait à long terme dans un pays, cela ne signifierait pas que <strong>le</strong> premier<br />

type n’aurait pas été évité entre-temps. D’où quand même plusieurs vies sauvées, <strong>sur</strong>tout si de<br />

l’aide est offerte entre-temps. C’est d’ail<strong>le</strong>urs ce qui serait <strong>sur</strong>venu en Ang<strong>le</strong>terre et au Pays de<br />

Gal<strong>le</strong>s. Ce n’est qu’à très long terme qu’y serait apparue une nouvel<strong>le</strong> forme substitut de suicide<br />

(par <strong>le</strong>s gaz des automobi<strong>le</strong>s), en remplacement des gaz domestiques. Néanmoins, la<br />

conclusion principa<strong>le</strong> de Clarke et Lester (1989, p. 110) <strong>sur</strong> la question <strong>du</strong> déplacement est que,<br />

quoique <strong>le</strong>s résultats des études soient mitigés, la plupart de cel<strong>le</strong>s-ci suggèrent que, même si<br />

un certain report est inévitab<strong>le</strong>, ce dernier est loin d’être comp<strong>le</strong>t. D’ail<strong>le</strong>urs, au moins deux<br />

exemp<strong>le</strong>s importants illustrent <strong>le</strong> fait que la disponibilité ré<strong>du</strong>ite à une méthode de suicide ré<strong>du</strong>it<br />

effectivement <strong>le</strong> taux de suicide global dans une région : l’exemp<strong>le</strong> de la détoxication des gaz<br />

domestiques et celui des lois contrôlant l’accès aux armes à feu (Lester, 1988).<br />

Des auteurs comme Gunnell et Nowers (1997) concluent éga<strong>le</strong>ment à l’évidence que la<br />

ré<strong>du</strong>ction de l’accès à un moyen particulier de se suicider a un effet plus large <strong>sur</strong> <strong>le</strong> taux de<br />

suicide global, <strong>du</strong> moins à court terme. Un peu de la même façon, Farmer (1979, p. 779, cité<br />

dans Clarke & Lester, 1989) constatait, à partir d’une étude des suicides <strong>sur</strong>venus en Ang<strong>le</strong>terre<br />

et au Pays de Gal<strong>le</strong>s entre 1876 et 1975, que l’utilisation d’une moyen particulier pour se<br />

suicider ne variait pas en fonction des autres moyens disponib<strong>le</strong>s. Il concluait donc que «<strong>le</strong>s<br />

facteurs influençant la mortalité <strong>suicidaire</strong> par une méthode particulière seraient différents de<br />

ceux influençant la mortalité par une autre méthode, <strong>du</strong> moins en partie» (tra<strong>du</strong>ction libre).<br />

En somme, même si un certain déplacement s’effectuait, ce déplacement serait minime (<strong>du</strong><br />

moins selon Clarke et Lester, 1989) et, de plus, il s’opérerait peut-être aussi vers l’utilisation d’un<br />

moyen moins létal. C’est d’ail<strong>le</strong>urs ce qu’expose <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> (Graphique 2) <strong>du</strong> Centers for<br />

Desease Control and Prevention (1992), <strong>du</strong> moins pour <strong>le</strong> cas particulier des jeunes <strong>suicidaire</strong>s.<br />

L’étude de Pommerau, Tedo, et Penouil (1989), laquel<strong>le</strong> s’est intéressée plus particulièrement<br />

aux <strong>sur</strong>vivants des sauts d’une hauteur, tend éga<strong>le</strong>ment à démontrer ce point.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

23


Il faut voir aussi que, quoique cela ne soit pas bien démontré pour <strong>le</strong> cas particulier <strong>du</strong> <strong>pont</strong><br />

<strong>Jacques</strong>-Cartier (voir <strong>le</strong>s limites méthodologiques de l’étude de Prévost, Julien et Brown, 1995),<br />

<strong>le</strong> profil des personnes <strong>suicidaire</strong>s qui choisissent de passer à l’acte à partir d’un <strong>pont</strong> semb<strong>le</strong><br />

bien particulier. Ces personnes souffrent souvent de graves troub<strong>le</strong>s psychiatriques et semb<strong>le</strong>nt<br />

faire un choix bien particulier au niveau <strong>du</strong> moyen à utiliser pour mourir. Cela tendrait donc à<br />

démontrer que, une fois contraints dans ce choix (par une barrière anti-saut par exemp<strong>le</strong>), ils se<br />

rabattront tout au plus <strong>sur</strong> un moyen moins létal.<br />

Pour ce qu’il en est plus spécifiquement <strong>du</strong> «risque de report des suicides depuis <strong>le</strong>s<br />

cheminements piétons/cyclistes vers la chaussée <strong>du</strong> <strong>pont</strong>» (préoccupation exprimée par <strong>le</strong> client<br />

au début <strong>du</strong> projet), la documentation scientifique ne nous éclaire pas clairement <strong>sur</strong> ce sujet.<br />

Le client réfère ici (1) à la possibilité qu’une personne <strong>suicidaire</strong> se rende <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong> en<br />

automobi<strong>le</strong> pour passer à l’acte et (2) à la possibilité d’un suicide à partir de l’ouverture qui<br />

existe dans <strong>le</strong> tablier <strong>du</strong> <strong>pont</strong>, entre la chaussée (où circu<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s autos) et <strong>le</strong>s voies<br />

piétonnières. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s préférences particulières<br />

pour une méthode de suicide (section III.A.1), il est permis de croire que <strong>le</strong> scénario de la<br />

majorité des personnes qui veu<strong>le</strong>nt se suicider <strong>sur</strong> un <strong>pont</strong> implique déjà éga<strong>le</strong>ment un scénario<br />

<strong>sur</strong> la façon de s’y rendre et d’y sauter. Nous pourrions alors croire que <strong>le</strong>s piétons <strong>suicidaire</strong>s<br />

ne choisiraient pas faci<strong>le</strong>ment un scénario alternatif où ils s’y rendraient en auto ou bien<br />

sauteraient, de façon moins spectaculaire, par une ouverture existant dans <strong>le</strong> tablier.<br />

Resteraient néanmoins <strong>le</strong>s indivi<strong>du</strong>s <strong>suicidaire</strong>s qui avaient déjà en tête, au point de départ, un<br />

scénario d’accès au <strong>pont</strong> par véhicu<strong>le</strong> automobi<strong>le</strong>. Cependant, comme <strong>le</strong>s statistiques <strong>le</strong><br />

démontrent, ce scénario serait extrêmement rare, même si un événement récent vient <strong>le</strong> mettre<br />

en évidence. Fina<strong>le</strong>ment, il faut rappe<strong>le</strong>r qu’il semb<strong>le</strong> maintenant acquis que l’ouverture dont il<br />

est question ici serait probab<strong>le</strong>ment obstruée dans <strong>le</strong> cadre de nouveaux travaux et que <strong>le</strong>s<br />

barrières anti-saut seraient fina<strong>le</strong>ment aussi efficaces avec <strong>le</strong>s piétons qu’avec <strong>le</strong>s<br />

automobilistes <strong>suicidaire</strong>s.<br />

Rappelons fina<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> présent rapport s’appuie essentiel<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> des données<br />

scientifiques, publiées la plupart <strong>du</strong> temps dans des revues internationa<strong>le</strong>s révisées par des<br />

pairs des chercheurs concernés. Dans <strong>le</strong> domaine de la psychologie, il s’agit <strong>du</strong> critère <strong>le</strong> plus<br />

rigoureux que nous puissions espérer. Par contre, pour ce qu’il en est précisément <strong>du</strong> contenu<br />

de ces recherches reconnues scientifiquement, il faut voir qu’il ne réponde pas nécessairement<br />

à tous <strong>le</strong>s critères de la recherche dite «expérimenta<strong>le</strong>», ce qui est souvent <strong>le</strong> cas en<br />

psychologie. En effet, des devis de recherche véritab<strong>le</strong>ment «expérimentaux» ne peuvent pas<br />

être utilisés ici. Cela supposerait une «expérience» où nous manipu<strong>le</strong>rions de grands<br />

ensemb<strong>le</strong>s d’être humains et des investissements considérab<strong>le</strong>s, ce qui serait non seu<strong>le</strong>ment<br />

très diffici<strong>le</strong> mais éga<strong>le</strong>ment pas très éthique. Par exemp<strong>le</strong>, il faudrait construire deux <strong>pont</strong>s plus<br />

ou moins sécuritaires dans des endroits similaires, puis faire <strong>le</strong> décompte des suicides quelques<br />

années plus tard. Dans cet exemp<strong>le</strong>, nous manipu<strong>le</strong>rions <strong>le</strong>s niveaux de prévention et nous<br />

pourrions comparer <strong>le</strong> profil psychologique des indivi<strong>du</strong>s qui se suicident ou non, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s deux<br />

<strong>pont</strong>s ou ail<strong>le</strong>urs… Toutes ces contraintes n’empêchent quand même pas que nous pouvons<br />

affirmer que <strong>le</strong>s recherches répertoriées sont très fiab<strong>le</strong>s dans la plupart des cas. Par contre,<br />

el<strong>le</strong>s ne permettent pas de pouvoir en arriver à des conclusions hors de tout doute, comme en<br />

science expérimenta<strong>le</strong>. Néanmoins, comme nous l’avons vu plus haut, <strong>le</strong>s cas étudiés indiquent<br />

bien, selon l’état actuel des connaissances scientifiques, que <strong>le</strong> risque de déplacement vers<br />

d’autres moyens de se suicider, advenant l’installation de barrières anti-saut <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>pont</strong><br />

<strong>Jacques</strong>-Cartier, soit relativement faib<strong>le</strong>, <strong>du</strong> moins à court et à moyen termes.<br />

Ce rapport se veut donc scientifique et il ignore sciemment <strong>le</strong>s «opinions» qui ont pu être<br />

émises, notamment au Québec suite notamment au dépôt <strong>du</strong> rapport <strong>du</strong> Groupe de travail <strong>sur</strong><br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

24


<strong>le</strong>s suicides depuis <strong>le</strong> <strong>pont</strong> <strong>Jacques</strong>-Cartier (2002). Ces opinions sont néanmoins souvent<br />

basées <strong>sur</strong> l’expérience clinique des intervenants et, auquel cas, el<strong>le</strong>s méritent alors d’être<br />

estimées comme tel<strong>le</strong>s. Re<strong>le</strong>vons quand même ici une de ces opinions qui invoque <strong>le</strong>s coûts<br />

éventuel<strong>le</strong>ment reliés à l’installation des barrières. Certains suggèrent, en effet, que «six millions<br />

de dollars» (un coût qui n’est d’ail<strong>le</strong>urs avancé qu’à partir des estimations financières pour <strong>le</strong><br />

projet de Toronto) seraient mieux investis dans d’autres démarches de prévention <strong>du</strong> suicide<br />

(voir, par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s alternatives qui apparaissent au Graphique 1). Or, par delà la validité<br />

réel<strong>le</strong> ou non de cet argument, rappelons qu’un éventuel investissement de six millions de<br />

dollars est justement un «investissement». En effet, il s’agit d’un montant dont <strong>le</strong>s dividendes se<br />

feraient sentir pendant toute la <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> <strong>pont</strong>. Son amortissement annuel est donc<br />

probab<strong>le</strong>ment bien bas et son équiva<strong>le</strong>nt ne viendrait pas nécessairement soulager <strong>le</strong>s autres<br />

besoins déjà identifiés en prévention <strong>du</strong> suicide. Par ail<strong>le</strong>urs, un éventuel coût de «six millions<br />

de dollars» peut aussi être mis en relation avec <strong>le</strong> coût que représente chaque suicide pour la<br />

société. L’étude de Barcelo et Clayton (rapportée par Dennis Bueckert dans La Presse <strong>du</strong> 7<br />

septembre 1999), par exemp<strong>le</strong>, l’estime à $850 000. Medoff (1984) en est arrivé éga<strong>le</strong>ment à<br />

des montants semblab<strong>le</strong>s en comptabilisant essentiel<strong>le</strong>ment «the sum of the discounted value of<br />

the future stream of income not lost as a result of an indivi<strong>du</strong>al being deterred from committing<br />

suicide» (p. 51).<br />

Soulignons aussi que <strong>le</strong> présent rapport a considéré uniquement la possibilité d’éliminer <strong>le</strong>s<br />

suicides suite à l’installation de barrières, l’obstruction des ouvertures existant dans <strong>le</strong> tablier, de<br />

même que l’installation de «colliers» empêchant de gravir la structure <strong>du</strong> <strong>pont</strong>. Néanmoins, il<br />

faut voir que d’autres incidents pourraient aussi être prévenus par ces me<strong>sur</strong>es de contrô<strong>le</strong> : des<br />

chutes accidentel<strong>le</strong>s (notamment lors d’événements de grande envergure comme <strong>le</strong>s feux<br />

d’artifices), l’escalade des structures par des manifestants, des actes téméraires (gestes des<br />

cascadeurs ou des casse-cou), et, comme <strong>le</strong> soulignaient Berman, O’Carroll et Silverman<br />

(1994), la commission d’actes criminels (victimes jetées <strong>du</strong> <strong>pont</strong> ou menacées d’être jetées).<br />

Fina<strong>le</strong>ment, rappelons que <strong>le</strong>s me<strong>sur</strong>es de prévention <strong>du</strong> suicide qui seraient éventuel<strong>le</strong>ment<br />

mises en place recevraient fort probab<strong>le</strong>ment l’appui non seu<strong>le</strong>ment de la majorité des<br />

spécialistes de la prévention <strong>du</strong> suicide mais aussi de la population généra<strong>le</strong>. Des rapports<br />

anecdotiques ont pu indiquer que certains automobilistes exacerbés par <strong>le</strong> ra<strong>le</strong>ntissement de la<br />

circulation semblaient souhaiter qu’une personne <strong>suicidaire</strong>, juchée dans <strong>le</strong>s structures <strong>du</strong> <strong>pont</strong><br />

<strong>Jacques</strong>-Cartier, en finisse au plus vite. Néanmoins, cela ne reflète pas l’opinion de la majorité<br />

de la population qui appuie généra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s me<strong>sur</strong>es de prévention, <strong>sur</strong>tout lorsqu’el<strong>le</strong> est bien<br />

informée <strong>sur</strong> la souffrance des personnes <strong>suicidaire</strong>s, sinon des troub<strong>le</strong>s mentaux qui sont<br />

associés, chez 80% d’entre eux, à cette souffrance.<br />

Marc Daig<strong>le</strong> (2003). <strong>Analyse</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>suicidaire</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Pont <strong>Jacques</strong>-Cartier<br />

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